5. L'Arc alpin et la pratique des sports d'hiver dans
les Alpes
L'Arc alpin se trouve géographiquement au centre de
l'Europe et sépare différentes zones de climat en Europe
centrale. Son expansion de l'ouest à l'est, entre Gênes et Vienne
compte environ 1200km. Du nord au sud, les Alpes s'étendent sur 150
à 200km, à l'est jusqu'à 300km. Les sommets des massifs
occidentaux atteignent généralement une altitude située
entre 3000 et 4300m au8 dessus du niveau de la mer. Les Alpes orientales sont
moins élevées. Le sommet le plus haut des Alpes est le Mont Blanc
avec une altitude de 4808m au-dessus du niveau de la mer.
Les limites des Alpes sont inscrites dans la Convention Alpine
- un traité international entre les différents pays alpins (la
France, la Suisse, l'Italie, la Principauté de Liechtenstein,
l'Autriche, l'Allemagne, la Slovénie et la Principauté de Monaco)
pour la protection des Alpes.
4La discussion autour du développement durable,
notamment ses critiques, vont beaucoup plus loin de ce qui a été
évoqué ici. Pour une lecture plus détaillée,
veuillez consulter par exemple Serge Latouche, Jean Baudrillard, Vincent
Cheynet, etc.
Carte 1 : Carte du territoire de l'Arc alpin selon Batzing W. et
la Commission International de la Protection des Alpes (CIPRA); Source:
Bätzing W., Rougier H., 2005, p. 408
La situation démographique des Alpes a fortement
changé dans les décennies précédentes, notamment au
cours du XXe siècle. On y trouve deux cents quarante communes
qui peuvent être considérées comme des villes avec plus de
dix milles habitants ou cinq milles emplois. Cinquante-neuf pourcent de la
population alpine vit aujourd'hui dans des zones d'urbanisation. Selon
Götz et al. (2002, p.86) ce sont surtout les communes proches de la ville
qui ont une augmentation importante de leur population (+9,6%) et des nombres
de l'emplois (+15,2%). Cependant, les Alpes sont toujours perçues comme
un espace rural avec un paysage naturel et comme une région touristique.
La forte urbanisation n'est pas reflétée dans l'image
générale des Alpes.
5.1 L'Arc alpin et sa culture
La difficulté de traverser les Alpes l'ont fait
antérieurement un territoire retiré, solitaire avec ses propres
règles et coutumes. Jusqu'à la fin du moyen age les Alpes
étaient même considérées comme un territoire maudit
car elles représentaient une
image d'horreur et frayeur pour tous les voyageurs (cf.
Dettling, S. 2005). Les citadins venant de loin pour traverser les Alpes ne
pouvaient pas comprendre comment un tel territoire pouvait
être vivable.
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Figure 1 : Gravure des monts affreux (1756) Source : Batzing W.,
Rougier H., 2005
Notamment avant l'arrivée de la mobilité
«démocratisée» et des technologies de communication les
vallées des Alpes étaient coupées5 du reste du
monde. Les contacts qui se créaient dans les alentours les plus proches
étaient (et le sont toujours dans certaines régions) fortement
influencés par les contraintes géographiques. De nos jours,
même si le phénomène était plus important il y a
cent ans, les régions de hautes montagnes sont toujours plus
difficilement accessibles que les vallées. Les traditions culturelles
sont cantonnées dans une vallée et sont parfois connues
uniquement dans les villages les plus proches et les plus accessibles, mais ne
vont pas plus loin. Donc, dans les Alpes pendant très longtemps les
frontières nationales sont moins importantes pour l'évolution et
la dispersion de la culture que les contraintes géomorphologiques.
Bien que les Alpes se trouvent géographiquement au
coeur de l'Europe, elles sont seulement en train de sortir d'une position de
marge. C'est au XVIe siècle que les Alpes sont
considérées pour la première fois dans la
littérature comme un territoire commun.6 Mais c'est dans la
même époque où les premières créations des
états font devenir les Alpes une région transfrontalière.
Cependant, l'équipement de plus en plus développé, ouvre
les Alpes aux pays limitrophes, d'abord seulement pour la traversée mais
ensuite pour sa beauté, l'aventure et le repos. Toutefois,
l'arrivée des premiers touristes ne reste pas sans influence sur les
cultures locales:
5 Le terme «coupé » n'est pas employé
dans son sens strict ici. Ily avait bien sûr par exemple des jeunes
artisans qui passaient quelques temps loin de leurs vallées. Quand ils
revenaient ils enrichissaient la culture locale par ce qu'ils avaient appris
ailleurs. Donc, un certain échange existait en tout cas.
6 parJosias Simler dans « De Alpibus commentarius » en
1574, qui décrit les Alpes et entre autres l'équipement
nécessaire pour voyager au-dessus de la limite de neige;
«Au début, ils ne venaient pas pour rester
longtemps. [...] Mais ils racontaient beaucoup. Ils se vantaient, ils faisaient
appel au modèle de leur patrie; ils proposaient plein d'idées
pour mieux organiser le village. Ils draguaient aussi les filles et n'allaient
pas à la messe le dimanche. [...] ...le touriste allemand ... amenait
... une ambiance de ville. Il urbanisait le village. Il racontait et illuminait
ses sorties d'escalade ainsi que les jeunes villageois commençaient de
plus en plus souvent de grimper les montagnes. »7
Aujourd'hui on y trouve une économie où le
tourisme est devenu un facteur très important mais avec des grandes
disparités à l'intérieur du territoire. Pendant que
certaines régions ne cessent d'accroître en termes de
démographie et d'économie, il y a d'autres régions qui
souffrent énormément d'une perte d'habitants et d'un manque
d'activité économique. Mais en considérant l'ensemble, on
constate que le taux de croissance de l'espace alpin se trouve au-dessus de la
moyenne européenne. Il y a seulement à peu près vingt ans
que l'ensemble de l'espace alpin n'est plus un espace défavorisé.
Le déséquilibre à l'intérieur de l'Arc alpin se
retrouve également dans le social. Une très grande partie des
régions s'urbanisent de plus en plus. Elles se tournent d'une
manière irréversible vers les grandes villes dans les Alpes ou
à sa périphérie. Au contraire, il y en a d'autres qui
s'attachent très fortement aux anciennes valeurs et traditions de sorte
qu'ils n'évoluent pas et ont donc du mal à persister dans le
monde de globalisation. Bätzing (2002) constate une perte
générale des Alpes comme espace de culture indépendante.
On y trouve soit des grands centres qui sont orientés vers
l'extérieur des Alpes, soit des zones neutres et vides de culture.
7traduit de l'allemand; Lucie Varga, 1930, cité
d'après Luger K. (2003) version originale en allemand: "Zunächst
kamen sie nicht für lange Aufenthalte. [...]. Aber sie sprachen viel und
erzählten viel. Sie trumpften auf, beriefen sich auf das Vorbild ihrer
Heimat; sie machten ständig Vorschläge, wie man das Dorf besser
organisieren und verändern könnte. Sie flirteten auch mit den
Mädchen und gingen sonntags nicht zur Messe. [...] ... der deutsche
Tourist ... brachte ... eine städtische Atmosphäre mit. Er
urbanisierte das Dorf. Er erzählte und verklärte seine Klettertouren.
Und schon begannen auch die Bauernjungen immer häufiger, auf die Berge zu
steigen."
Depuis les années quatre-vingt-dix les pays alpins font
des grands efforts pour surpasser le déséquilibre à
l'intérieur de l'espace alpin et de monter une politique commune par
rapport au développement des différentes régions. La
Convention alpine se caractérise par son approche globale des
problèmes de montagnes au niveau économique et spatial. Cette
ébauche a été créée pour former un nouveau
modèle de la gestion de l'espace alpin. La convention tient un volet
«tourisme» qui poursuit l'intention de soutenir le tourisme durable
afin de préserver les ressources des Alpes et d'assurer que le tourisme
puisse représenter une économie stable sur le long terme.
5.2 L'Arc alpin et le tourisme
Le tourisme dans l'Arc alpin existe depuis plusieurs
siècles et a fortement évolué depuis son début. A
la fin du moyen age les Alpes étaient plutôt un obstacle qu'une
vraie destination. Les voyageurs du nord de l'Europe qui allaient vers l'Italie
et le sud de la France (et vice versa) traversaient les Alpes
«malgré» eux. Mais les premiers touristes curieux qui y
viennent pour les découvrir vers la fin du XVIIIe
siècle se passionnent dans leur carnets et rapports de voyage afin que
de plus en plus de personnes sont pris par l'enthousiasme d'y aller. Selon Haas
H. In Luger K. (2002), l'attrait des Alpes pour les premiers touristes reposait
surtout sur le mélange entre le «terrifiant» et le
«magnifique ». Cependant, la plupart des touristes
préfère encore de regarder le «terrifiant - magnifique»
de loin sur des chemins sécurisés et depuis des points de vue
aménagés. Le «tourisme de belle vue »8
s'instaure et pendant les deux siècles suivants, les Alpes sont
aménagées selon ces besoins. Pour pouvoir accueillir les
touristes, les grandes fermes et les manoirs sont souvent transformés
partiellement. En plus du revenu de l'agriculture et de
8Traduction de la notion originale: «
Blicktourismus » formulé par Haas H.
l'élevage, quelques ménages commencent à
profiter économiquement du tourisme en offrant des services
d'hébergement et de restauration.
Après l'arrivée des premiers touristes une
certaine image des Alpes se crée à travers des peintures et des
images et détermine fortement les nouveaux aménagements
touristiques. En 1850, à Krimml en Autriche par exemple une grande
maison de style suisse est construite entre des maisons traditionnelles et
simples (cf. ibidem).
Mais la vraie massification du tourisme dans les Alpes
commence avec le raccordement des Alpes au réseau ferroviaire, les
sports d'hiver et ensuite par une meilleure accessibilité en voitures.
Après la deuxième guerre mondiale le tourisme devient un facteur
important pour l'économie des Alpes. En même temps, la concurrence
nationale et puis internationale du marché agricole désavantage
les régions d'une agriculture sous des conditions difficiles, donc sur
des pentes, des versants mal ensoleillées, de l'espace cultivable
limité, etc. Par conséquence, l'agriculture se retire de
certaines régions alpines et le tourisme reste la seule
possibilité de revenu. Il y a une forte tendance à la diminution
du nombre d'habitants dans les régions désavantagées (un
accès difficile, une agriculture pas compétitive, etc.). Les
résultats de ces évolutions est l'abandon des communes les plus
retirées et mal adaptées à ces nouveaux enjeux.
Le tourisme alpin s'installe d'abord dans les villes et
villages bien desservis. En 1901, Chamonix compte cinquante milles touristes
par an. Six ans plus tard, après la construction du chemin de fer,
Chamonix accueille cent soixante-dix milles touristes. Encore aujourd'hui, la
plupart des centres touristiques alpins se trouvent surtout dans les grandes
agglomérations bien desservies. Certaines communes touristiques ont
dépassé le seuil des dix mille habitants. Donc, ce sont des
communes qui se trouvent en translation d'un village à une ville. Davos
l'est depuis les années soixante-dix et Chamonix
depuis 1999. Le nombre des communes touristiques qui comptent
entre cinq mille et dix mille habitants est croissant. Ils fonctionnent comme
lieu central de services et font concurrence aux centres locaux traditionnelle.
L'Alpe d'Huez et les Deux Alpes par exemple (deux grandes stations de sport
d'hiver français) remettent en question la fonction du vieux Bourg
d'Oisans. D'autres villes alpines font du tourisme pour développer
l'infrastructure liée à ces activités pour leurs habitants
et pour en retirer des impulsions économiques. Mais, ils existent aussi
des exemples contraires, donc des stations de sports d'hiver qui connaissent
une grande différence entre le nombre d'habitants et le nombre des
touristes. Ces stations ont la difficulté de gérer un besoin aux
services publics en dimensions très déséquilibrés
sur l'année.9
Le tourisme est une activité économique
essentielle dans les pays alpins. Selon, l'OCDE (Organisation de
coopération et de développement économique) on
dénombre chaque année entre 60 et 80 millions de touristes et
quelque 160 millions de "journées skieurs" en France, Autriche, Suisse
et Allemagne. Mais en même temps, il y a moins de neuf pourcent de la
population française par exemple qui pratique des sports d'hiver. De
plus, la pratique des sports d'hiver est journalière dans plus de
quatre-vingt-dix pourcent des cas, donc sans besoin d'hébergement (cf.
Stat-Info Août 2006 du Ministère Jeunesse, Sports et Vie
Associative).
Le tourisme des sports d'hiver représente des pratiques
sportives les plus chères et les plus lourdes en équipement et
aménagement.10 A travers de ces aménagements lourds le
tourisme des sports d'hiver a une grande influence sur la population locale.
Elle profite à la création d'avantages sociaux comme l'emplois,
l'amélioration de l'équipement, densification des services
publics et commerciaux, augmentation moyenne des revenus et du niveau de vie,
etc.
9cf. Götz et al. 2002, p. 89
10 Cela concerne surtout les pratiques de sports d'hiver qui
profitent des domaines skiables fortement aménagées.
Mais en même temps la population locale souffre d'une
augmentation du prix de la terre pour les agriculteurs, des loyers
élevés, d'un accès parfois difficile aux services à
la population (dû à une surcharge par les touristes), etc. Le
travail en saison et/ou dans un rythme pas du tout conforme au rythme des
enfants, rend difficile la vie quotidienne, notamment pour les familles qui
sont toujours actives dans l'agriculture (un travail qui demande
déjà beaucoup de temps) mais qui se sont senties forcé
d'offrir aussi des prestations touristiques pour complémenter leur
revenu. De plus, les «nouveaux» métiers11,
nécessitant de faibles qualifications en général,
bouleversent l'ancienne structure sociale des communes montagnardes rurales et
une reconstruction sur des bases stables et durables est souvent très
difficile.
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