DISCUSSION GENERALE
Dans l'expérience principale (la condition standard),
nous examinons l'existence d'un effet de l'encodage en mémoire
sémantique sur une épreuve de rappel via le paradigme DRM.
Nous allons voir dans la discussion en quoi nos
hypothèses de départ vont à l'encontre des
résultats observés dans l'expérience principale, et
l'explication de ceux-ci à partir de la tâche de pleasantness et
des modalités de présentation. Enfin je mettrai en
évidence les biais liés à la condition d'inclusion, biais
probablement à l'origine des divergences observées dans les
rappels de leurres par rapport à la condition standard.
Contrairement à ce que l'on supposait, un encodage
sémantique ne provoque pas obligatoirement un rappel élevé
de leurres ; le traitement superficiel d'items mène à plus de
faux rappels que le traitement profond, bien que ce ne soit pas significatif.
En effet les hypothèses étaient basées sur la propagation
de l'activation en mémoire et la théorie des niveaux de
traitement de Craik et Lockhart. Cette théorie postule qu'un traitement
profond d'un item mène à plus de faux rappels qu'un traitement
superficiel.
Force est de constater que la distinctivité s'impose
comme processus principal de l'interprétation de nos
résultats.
Selon Smith et Hunt (1998) le traitement sémantique,
grâce à un encodage de type pleasantness, provoque un meilleur
rappel de mots présentés sans pour autant augmenter le rappel de
leurres. La discrimination entre un item étudié et un leurre lors
de la récupération dépend du traitement distinctif
effectué au moment de l'encodage. En évaluant le degré de
pleasantness d'un item, on attribue une caractéristique
spécifique à celui-ci. Ainsi cet encodage permet un moindre taux
de rappel de leurres.
Dans leur expérience Smith et Hunt comparent les
conditions d'encodage standard et de pleasantness. Les résultats
indiquent un taux moins élevé de rappel de leurres avec la
condition pleasantness par rapport à la condition standard. Les
mêmes résultats sont observés dans notre
expérience avec ce type d'encodage.
Nous pouvons, en outre, interpréter nos
résultats en fonction des modalités de présentation. Dans
notre expérience, les mots sont présentés visuellement
à intervalle de 3 secondes.
McDermott et Watson (2001) font varier les temps de
présentation des items. Ils observent avec une présentation de
3000 ms, un taux de leurres plus ou moins équivalent aux nôtres en
condition profonde (m = 14 versus m = 16 pour notre
expérience) et superficiel (m = 20 versus m = 21). On
remarque en outre une même tendance dans la variation des
résultats selon l'encodage : un taux de rappel de leurres en condition
superficielle supérieur à celui du traitement profond.
McDermott et Watson expliquent leurs résultats en
traitement sémantique par la distinctivité effectuée lors
de l'encodage.
Une présentation inférieure à 1 seconde
donnerait lieu à des processus automatiques. Les sujets n'auraient pas
le temps de mettre en oeuvre un quelconque processus stratégique, comme
attribuer une caractéristique spécifique à l'item. Ce
serait donc l'activation qui serait prise en compte. Cependant, une
présentation supérieure à 1seconde permet aux sujets
d'utiliser des stratégies pouvant s'opposer aux effets de la propagation
de l'activation. Au moment de la récupération, les participants
peuvent alors utiliser les traitements distinctifs effectués sur les
items lors de l'encodage afin de limiter le rappel des leurres.
Smith et Hunt (1998) font aussi varier les modalités de
présentation des listes de mots. Selon eux, la présentation
visuelle des items permet une meilleure discrimination des mots
présentés par rapport aux leurres, contrairement à la
présentation auditive. Une présentation visuelle accentue les
détails perceptifs. Cette meilleure discrimination peut entraîner
un taux moins élevé de rappel de leurres même pour un
encodage profond, par rapport à la condition auditive. Ils observent
moins de rappels de leurres avec un traitement visuel, qu'avec un traitement
auditif.
Nous pouvons donc supposer que la présentation visuelle
ainsi que le temps de présentation des items dans notre
expérience a contribué à la spécificité de
l'encodage, et facilité le monitoring à la
récupération.
La distinctivité lors de la récupération
est la conséquence de la spécificité de
l'encodage. Par conséquent, Smith et Hunt
émettent l'hypothèse que le leurre pourrait venir de l'encodage,
lors de l'activation, tout comme le postulait Underwood (1965) avec le
modèle IAR.
Il semblerait donc que le traitement profond facilite un
traitement spécifique de l'item au moment de l'encodage, et une
meilleure probabilité de distinctivité de celuici lors de la
récupération. Ainsi ce type d'encodage aurait pour tendance plus
de rappels corrects d'items, et moins de leurres, car les résultats ne
sont pas significatifs.
Afin de déterminer le moment où se forment les
faux souvenirs, nous avons utilisé la condition d'inclusion lors d'une
expérience exploratoire.
Le faible taux de rappel de leurres avec étoile pour
l'encodage génération pourrait être expliqué par un
biais au niveau des passations : la voyelle manquante pouvait être
différente selon les mots (cf. annexe) : pour le mot « mare »,
on présente au sujet « m.re », ce qui peut
donner « mure » ou « mère » ; de
même pour le mot « pure » où l'on observe de temps en
temps le mot « père » ce qui change totalement
l'efficacité de l'induction du leurre. On observe de plus une forte
tendance des participants à marquer une étoile auprès de
ces mots incorrects. Ils sont donc persuadés que ces mots font partie de
la liste. Ces mots ne sont absolument pas associés au leurre critique.
Leur encodage et leur rappel empêchent par conséquent l'activation
du leurre.
Afin de limiter les biais au niveau de l'encodage
génération, il faudrait reconstruire des listes en
vérifiant à l'aide d'une étude pilote, que la voyelle
manquante ne présente pas d'ambiguïtés en s'inspirant par
exemple de la procédure de Soraci et al (1 994, cités
par Soraci & al, 2003) et qui présentent, en même
temps que le mot, une phrase qui le définit. Ainsi ils minimisent le
risque de confusions quant à la voyelle manquante.
On observe dans la condition d'inclusion des résultats
assez différents de ceux en condition standard. Les leurres avec
étoile supposent une consigne identique à celle de la condition
standard. Cependant les résultats sont totalement inversés. Pour
l'encodage profond, on observe un taux inférieur de leurres en condition
standard, et un taux supérieur en inclusion par rapport aux deux autres.
Les types d'encodages étant identiques pour les deux expériences,
le traitement de
l'item et donc l'activation en mémoire
sémantique restent par conséquent les mêmes. En effet ce
sont les mêmes mots et les mêmes consignes d'encodage pour les deux
conditions. Seule la phase de récupération diffère. Les
divergences dans les résultats s'expliqueraient donc par l'action du
monitoring, lors de la récupération : étant donné
que l'encodage est similaire, l'activation en mémoire des items est
obligatoirement identique pour les deux expériences. On peut supposer
que les variations des résultats indiquent un effet du monitoring, et
donc du processus de décision quant à la présence ou non
du mot dans la liste.
La condition d'inclusion ne dépendrait que de
l'activation. Cependant l'index * spécifie le processus de monitoring.
En effet, l'inscription de l'étoile signifie de discriminer les items
perçus de ceux uniquement pensés.
Ainsi l'inclusion nécessite l'activation puis le
monitoring, mais à des moments différents de la condition
standard. Ainsi une réserve est émise quant à l'effet du
monitoring, en raison des biais exprimés ci-dessus.
Les différents résultats dans les deux
conditions découlent probablement d'autres processus. Les études
effectuées sur la condition d'inclusion sont peu nombreuses et
récentes. Ce type de rappel est encore mal maîtrisé. De
futures recherches s'avèrent donc nécessaires sur ce sujet afin
de mieux comprendre le fonctionnement de cette modalité.
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