L'engagement francais dans le processus d'internationalisation des droits de l'hommepar Aurelia Kergueno epouse Peuch Université Pierre Mendes France de Grenoble - DEA "histoire, droit, droits de l'homme" 1996 |
A- Convention européenne et Déclaration universelle des droits de l'homme: un idéal commun.
1- La sauvegarde des droits de l'homme comme moyen de réaliser l'union
a) Les origines du Conseil de l'Europe L'idée de créer une union européenne n'était pas nouvelle Elle avait été proposée non seulement par des hommes politiques mais aussi par des philosophes et poètes. Les noms de Pierre DUBOIS, de Georges PODIEBRAD, roi de Bohème, de SULLY, de l'Abbé de SAINT-PIERRE et de SAINT-SIMON sont à cet égard très connus et ces hommes ont élaboré des plans détaillés en vue de la création d'une union européenne, mais aucun de ces plans n'a été réalisé219(*). En France, dès 1925, des hommes politiques tels que BRIAND ou HERRIOT se firent les avocats de l'idée européenne220(*). En 1929, Aristide BRIAND, président du Conseil des Ministres et Ministre des Affaires Etrangères, tenta de susciter la création d'une véritable fédération européenne qui entrerait dans le cadre des "ententes régionales" encouragées par l'article 21 du Pacte de la S.D.N. Il prononça le 5 septembre 1929 un discours devant l'Assemblée de la Société des Nations dans lequel il dit notamment: "Je pense qu'entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d'Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral [...]. C'est ce lien que je voudrais m'efforcer d'établir [...]. Je suis sûr aussi qu'au point de vue politique, au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher la souveraineté d'aucune des nations qui pourraient faire partie d'une telle organisation, peut-être bienfaisant, et je me propose, pendant la durée de cette session de prier ceux de mes collègues qui représentent ici des nations européennes de bien vouloir envisager officieusement cette suggestion et de la proposer à l'étude de leur Gouvernement, pour dégager plus tard, pendant la prochaine session de l'Assemblée peut-être, les possibilités de réalisation que j'y crois décerner."221(*) Après ce discours, il fut chargé de soumettre aux différents Gouvernements un mémorandum détaillé afin de rendre possible un examen plus approfondi de la question lors de la session suivante de l'Assemblée. Comme seul résultat pratique, une résolution fut votée impliquant la création d'une "Commission européenne" de la S.D.N. Mais l'Assemblée réunie en septembre 1931 fit passer l'idée de désarmement universel avant celle des ententes régionales. La commission d'étude tint sa dernière session en 1932, alors que son président, BRIAND, était mort et que HITLER était en train de conquérir le pouvoir. Le projet BRIAND n'était pas parvenu à tempérer la peur des Etats d'abandonner même la plus petite parcelle de leur souveraineté. Le projet avait pourtant essayé de contourner cet obstacle, en masquant la réalité, c'est-à dire que toute organisation interétatique est inconciliable avec l'idée de souveraineté absolue. En 1948, il existait deux mouvements principaux favorables à la création d'une fédération européenne occidentale : le "Mouvement européen" avec pour présidents CHURCHILL, BLUM (remplacé après sa mort par SCHUMAN), SPAAK et DE GASPERI; et l'"Union parlementaire européenne" animée par le comte de COUDENHOVE-KALERGI.222(*) En novembre 1947, les divers mouvements européens apparus unirent en effet leurs efforts en créant un "Comité international de coordination des mouvements pour l'unité de l'Europe" pour préparer le "Congrès de l'Europe" qui se tint du 7 au 10 Mai 1948 à La Haye, et proposa de créer une union européenne. Le Comité devait se transformer en "Mouvement européen" en novembre 1948. "Le succès a été retentissant. Dans une atmosphère d'espoir et de ferveur, près de 800 personnes venues de presque tous les pays d'Europe de l'Ouest, écrivains, syndicalistes, industriels, parlementaires, hommes politiques ont imaginé les premières institutions européennes, les principes généraux d'un marché commun, une charte des droits de l'homme, une cour de justice internationale pour faire respecter ces droits."223(*) La Commission politique, présidée par Paul RAMADIER, préconisait la mise en place d'une Assemblée européenne composée de représentants des Parlements. Une proposition de Paul REYNAUD prévoyant l'élection au suffrage universel de cette Assemblée, fut contrée aussi bien par les délégués britanniques que par les ressortissants des petits Etats. La commission s'en tint à l'idée d'une Assemblée délibérative, expression de l'opinion publique européenne. Elle suggérait également la création d'une Charte des droits de l'homme, garantie par une Cour suprême."224(*) Le Gouvernement français s'inspira de ces travaux et décida de les soumettre aux cinq membres du Pacte de Bruxelles. Conclu le 17 Mars 1948 entre la France, le Royaume-Uni et le Bénélux, le Traité des Cinq ne se bornait pas à établir une alliance militaire. Il prévoyait aussi une coopération économique, sociale et culturelle. Mais ses structures restaient très classiques, avec un "Conseil consultatif" composé des ministres des Affaires Etrangères, et pour le suivi, un "Comité permanent" réunissant les ambassadeurs des Etats parties à Londres.225(*) Le Gouvernement français ainsi que la Belgique obtinrent, malgré l'opposition anglaise au projet, la constitution d'un "Comité d'étude chargé de proposer les mesures à prendre en vue de réaliser une union plus grande des Etats européens", qui se réunit à Paris à la fin de l'année 1948. "Du côté français, l'on désirait la création d'une Assemblée consultative, ayant un caractère représentatif, embryon d'un futur Parlement européen, et l'on envisageait sans crainte l'abandon éventuel d'une portion de la souveraineté nationale. Du côté anglais, l'on mettait l'accent sur le maintien intégral de la souveraineté nationale, et l'on réclamait la création d'un simple "Comité des ministres", se réunissant périodiquement, assisté tout au plus par une Assemblée dont les membres seraient nommés par les Gouvernements."226(*) Après la séparation du Comité d'étude, les ministres des Affaires Etrangères décidèrent la création d'un Conseil de l'Europe composé d'un Comité des ministres où devaient se prendre les décisions et d'une Assemblée consultative européenne faisant des recommandations et formée des représentants des parlements nationaux. Un compromis fut ainsi réalisé entre la coopération diplomatique et la représentation parlementaire. Le traité constitutif contenant le statut du Conseil de l'Europe fut signé à Londres le 5 Mai 1949 par dix pays. Il fut entendu que le Conseil de l'Europe serait ouvert aux 17 pays membres de l'Organisation européenne de coopération économique (O.E.C.E.)227(*) Le siège est fixé à Strasbourg pour symboliser le rapprochement franco-allemand. b) Le rapport entre les buts du Conseil de l'Europe et les droits de l'homme Le Congrès de La Haye avait fait apparaître l'Europe dans toutes ses contradictions dans le débat opposant les "unionistes" partisans de l'union, et non de l'unité (conservateurs britanniques) et les "fédéralistes" issus des rangs français, italiens, belges et néerlandais.228(*) Le Conseil de l'Europe resta marqué par cette cohabitation initiale de projets contradictoires, ce qui explique le flou des objectifs de l'Organisation. Son statut prévoit (article 1, alinéa a) que "le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social". Emmanuel DECAUX pose la question229(*) : " [...] qu'entendre par "une union plus étroite" ? " Mais derrière ce but général, le professeur entrevoit deux objectifs. L'un d'eux est de "favoriser le progrès économique et social". Il conduira le Conseil de l'Europe à l'élaboration d'une Charte sociale européenne. L'autre objectif, le plus important en pratique, est la réunion des libres démocraties européennes. La défense de la démocratie libérale correspond ainsi à un "patrimoine commun". Le statut rappelle les bases d'une démocratie véritable : primauté de l'Etat de droit, pluralisme politique des démocraties représentatives, protection des libertés individuelles et des droits de l'homme. Ainsi que le précise l'article 1, alinéa b du statut du Conseil230(*): "[Le] but [du Conseil de l'Europe] sera poursuivi au moyen des organes du Conseil, par l'examen des questions d'intérêt commun, par la conclusion d'accords et par l'adoption d'une action commune dans les domaines économique, social, culturel, scientifique, juridique et administratif, ainsi que par la sauvegarde et le développement des droits de l'homme et des libertés fondamentales." Le respect des droits de l'homme est considéré comme une condition sine qua non de l'adhésion d'un Etat européen au Conseil de l'Europe. On na pu se demander si la France, du fait de sa qualité de membre du Conseil de l'Europe, était tenue de ratifier la Convention. "Sur le plan politique, on relève que le Conseil de l'Europe est un club fermé, dont les règles d'admission sont très strictes puiqu'il ne peut comprendre que les Etats démocratiques. Or, la Convention est l'expression même de la démocratie, car le respect de ses dispositions aboutit à créer un régime démocratique. Pour appartenir au Conseil de l'Europe, un Etat doit donc ratifier la Convention. Ce syllogisme a toujours été présent à l'esprit de l'Assemblée Consultative lorsqu'en vertu d'une résolution statutaire de mai 1951, elle est consultée par le Comité des Ministres sur l'invitation que celui-ci se propose d'adresser à un Etat européen à devenir Membre ou Membre associé du Conseil de l'Europe: dans sa réponse au Comité des Ministres, l'Assemblée a en effet constamment insisté sur la nécessaire ratification de la Convention par le nouvel Etat Membre. Mais le Comité des Ministres n'a jamais fait sien ce syllogisme, se bornant, dans le cas particulier de la République Fédérale d'Allemagne et de la Sarre, à leur demander d'insérer dans l'instrument d'acceptation du Statut la déclaration précisant qu'ils ont "la volonté d'accepter les principes directeurs et les buts du Conseil de l'Europe tels qu'ils sont exposés dans le Préambule et l'article 3 du Statut."231(*) 2- La Déclaration universelle comme source et cadre de référence Les alinéas 2 et 3 du Préambule de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales sont ainsi libellés232(*) : "Considérant la Déclaration universelle des droits de l'homme, proclamée par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948; Considérant que cette Déclaration tend à assurer la reconnaissance et l'application universelles et effectives des droits qui y sont énoncés". Les premiers projets de Convention européenne renvoyaient même explicitement aux numéros des articles de la Déclaration universelle de 1948. On estima par la suite qu'il fallait donner aux droits garantis une existence autonome. Ils furent définis de manière plus détaillée. Les références à la Déclaration disparurent du corps de la Convention, mais on ne manqua pas d'affirmer, dans le Préambule233(*) le lien étroit qui subsistait entre le traité européen et le document universel le plus important de l'époque en matière de droits de l'homme. Comme on le sait dans les années 49, 50 et 51 pendant lesquelles se préparait la Convention, les Pactes venant parfaire la Charte internationale des droits de l'homme n'étaient pas encore ratifiés. Cependant, les discussions dont les premiers projets faisaient l'objet à la Commission de l'O.N.U. servirent également d'éléments de référence aux auteurs de la Convention européenne, ce qui explique les similitudes entre les dispositions de la Charte internationale et celles du document européen. Quelle signification générale cette référence à l'instrument universel de protection des droits de l'homme devait-elle avoir ? L'idée était qu'en principe, il n'y avait pas de contradiction entre les efforts régionaux et universels pour défendre ces droits. La protection régionale renforçait la protection universelle, en même temps qu'elle y puisait son inspiration. Cet idéal, que revendiquait Pierre-Henri TEITGEN, ne parvint pas immédiament à faire consensus. * 219 Nikolaus VON MACH, Le Conseil de l'Europe et la Charte des Nations Unies, p.33. * 220 Ibidem, p. 44 et s. * 221 Ibidem, p. 45. * 222 V. J.B. DUROSELLE, Histoire diplomatique, 1919-1957, p. 547 à 549. * 223 Marie-Claude SMOUTS, les Organisations internationales, p. 93 * 224 Emmanuel DECAUX, Le Conseil de l'Europe, Jurisclasseur europe fasc. 6100, p.5. * 225Ibidem, p. 6. * 226 J.B. DUROSELLE, Histoire diplomatique, 1919-1957, P. 548 * 227 La Turquie et la Suisse par exemple étaient membres de l'O.E.C.E., première institution de coopération créée en avril 1948 pour encadrer l'acheminement de l'aide américaine dispensée dans le cadre du plan Marshall. Elle accomplit sa mission, qui consistait à contribuer au redressement des économies ouest-européennes en aidant au développement des échanges et au retour progressif à la convertibilité des monnaies - V. Marie-Claude SMOUTS, Les Organisations internationales, p. 92. * 228 Emmanuel DECAUX, op.cit., p.5 * 229 Ibidem, p.7. * 230 PETTITI, la Convention européenne des droits de l'homme, p.128. * 231 Karel VASAK, Colloque de Besançon, p.561. * 232 PETTITI, op.cit., commentaire du Préambule par Théo VAN BOVEN, p.125 et s. * 233 Remarque: l'article 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités reconnaît expressément l'indivisibilité du lien existant entre le Préambule et le corps d'un traité donné. |
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