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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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Conclusion

La monnaie semble reposer sur un paradoxe de taille. En effet, alors qu'elle demeure un « objet » très prisé au sein des sociétés modernes, pour ne pas dire qu'elle constitue dans une certaine mesure le point de gravité de l'économie marchande, curieusement, la théorie économique dominante semble éprouver beaucoup de peine à rendre compte de sa nature. Tout se passe comme si elle embarrassait les théoriciens de l'économie standard qui, du coup, sont amenés à l'insérer dans le cadre d'une approche strictement fonctionnaliste, pour ne pas dire simpliste. Dès lors, est-ce que le problème provient du fait que l'étudier implique de dépasser la sphère économique ? Ou alors, peut-être que la monnaie dérange les économistes dans le sens où l'insérer pleinement au sein de la discipline impliquerait de remettre en cause un certain nombre de postulats sur lesquels la science économique s'est bâtie au fil du temps ? D'ailleurs, un des postulats des plus fondamentaux concernés ici consiste dans le naturalisme des relations marchandes en ce que, au moins depuis Adam Smith, la théorie économique dominante raisonne et établit ses résultats au sein d'un univers naturel et spontané. Or, l'ensemble de cette réflexion repose sur l'idée selon laquelle la monnaie n'est pas un fait naturel ; elle est un fait construit qui amène à penser que l'économie de marché repose sur des bases anti-naturelles, avec toutes les conséquences que cela implique. Signe de pouvoir bien plus que signe de richesse, elle défère à celui qui l'a détient en quantité significative diverses valeurs socialement partagées209(*) : pouvoir, supériorité, admiration, intelligence, etc. Dès lors, la monnaie devient embarrassante tant elle détient cette capacité à fausser les relations économiques et sociales. Elle semble être un paramètre important et un moteur incontestable de l'action individuelle. Cette idée n'est pourtant pas novatrice ; déjà Aristote dénonçait au IVème siècle avant notre ère le moment où la monnaie devient à la fois « le principe et la fin de l'échange »210(*). Ainsi, beaucoup de questions peuvent être formulées pour tenter de comprendre pourquoi la monnaie constitue encore aujourd'hui un « trou noir » de la théorie économique, pour paraphraser le titre de l'ouvrage de Jacques Sapir211(*). Quoiqu'il en soit, la thèse défendue au cours de cette réflexion soutient, à travers l'exemple de la monnaie, que l'économie n'est pas cette « science » close, autonome, qui étudie les phénomènes économiques comme s'ils étaient indépendants de l'environnement social au sein duquel ils sont encastrés. Ce faisant, on pourrait plutôt penser l'économie comme une discipline pertinente, clef de compréhension du monde qui nous entoure, dont la capacité analytique peut être bonifiée en la mêlant à d'autres disciplines appartenant aux sciences sociales, telles que la sociologie, la psychologie, l'histoire ou la philosophie.

En somme, dans la perspective qui a été la nôtre au cours de cette réflexion, la monnaie se présente comme une composante centrale de la réalité socialement construite dont la pérennité, par essence, demeure friable. Elle repose en effet sur un équilibre multidimensionnel fragile et fondamentalement instable. Telle est la principale caractéristique des faits institutionnels. En outre, une analyse hétérodoxe de la monnaie doit permettre de porter un regard nouveau sur les phénomènes monétaires. Ainsi, l'analyse théorique menée au cours de la première partie de cette réflexion, appliquée à l'euro par la suite, a conduit à conclure que la monnaie unique européenne se veut être une monnaie originale, ambitieuse mais fragile. Ne tirant pour l'heure sa légitimité que de la seule raison économique stricto sensu, elle devra trouver les moyens d'éviter le sort qu'a connu l'Union latine ou, plus récemment, le Système monétaire européen. De ce fait, il lui reste à asseoir sa souveraineté sur des bases extérieures à l'économie ; cela ne sera pas aisé car il est plus facile de s'unifier monétairement sur la base d'une union politique préexistante qu'inversement. Cela dit, l'originalité de l'euro interpelle et impose une certaine réflexion. Né dans un contexte de mondialisation et de régionalisation de l'économie, l'euro retranscrit l'importance que revêt l'économie dans le monde actuel. Le pouvoir économique ayant (presque) supplanté le pouvoir politique, l'euro serait-il une monnaie moderne qui ouvre une brèche supplémentaire vers la dématérialisation ? En démontrant que la monnaie est peut-être en passe de s'affranchir du politique et du social, l'euro est un peu à l'image des firmes multinationales, guidées par le seul intérêt économique et dont l'activité est déconnectée d'un attachement particulier à une société humaine.

* 209 Voir sur ce point l'ouvrage de John Kenneth Galbraith, Brève histoire de l'euphorie financière (précédemment cité).

* 210 Aristote, Les politiques, Flammarion, Paris, 1999.

* 211 Jacques Sapir, Les trous noirs de la science économique. Essai sur l'impossibilité de penser le temps et l'argent (précédemment cité).

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