3. L'humanisation des soins infirmiers
3.1 Définition et historique
J'ai donc posé le cadre et les différents
acteurs que sont les soignants et les patients à travers la relation et
les enjeux qui sont à l'oeuvre dans un contexte de soin. En filigrane de
ces questionnements et définitions, il y a le concept d'humanisation des
soins infirmiers qui émerge. Le professeur T. Denise écrit dans
ledit article que «la volonté d'humanisation des soins de
réanimation trouve son origine dans les années 1980 avec, entre
autres, l'émergence d'initiatives collectives issues du corps
médical.». Cette volonté s'est approfondie en 2005 avec
la loi Leonetti, qui vise «à renforcer les droits des malades
et encadrer la fin de vie». Cependant, selon l'auteur, les
spécificités de la réanimation que je me suis
attachée à décrire, rendent «la discipline
marquée par une culture de la survie qui continue de structurer
l'organisation de la prise en charge».
La récente crise sanitaire a remis au jour la
nécessité d'humaniser les soins. C'est du moins dans ce contexte
que Sophie Lasserre, responsable de l'humanisation des soins au sein de la
Fondation de France, s'exprime : «Aujourd'hui, on a une
médecine de pointe qui nous permet de vivre mieux et plus longtemps.
Cette technique protocolaire, qui même si elle est très positive,
déshumanise un peu le soin. La fondation de France [...] veut remettre
de l'humain dans le soin, car on sait bien qu'il est essentiel et vital dans
l'acte thérapeutique.». La technologie médicale
évolue, et les soignants interagissent avec les patients avec des
techniques et des machines qui reproduisent des résultats sans plus
considérer parfois la personne singulière qui réside
derrière le patient de tous les jours. Le discours d'ouverture de Walter
Hesbeen, infirmier et docteur en santé publique, secrétaire
général de l'institut la Source, et vice-président du
SIDIIEF, lors du congrès sur l'humanité du soin en 2004, compare
le prendre soin au souci authentique de l'autre. À sa suite, Lise R.
Talbot, directrice du département des sciences infirmières de la
faculté de médecine de l'université de Sherbrooke, renonce
à l'idée que la course à l'efficacité des soins
réduise la part de l'humain dans la prise en charge. Pour elle, prendre
en soin est un art. Pour elle, «cet art se compose d'attitudes et de
façons d'êtres» propre aux infirmières,
«puisqu'il s'agit de fournir au patient tout ce dont il a besoin pour
favoriser la réparation du corps et de l'esprit». Tel que le
décrit le décret de 1993 sur le rôle infirmier, la prise en
charge infirmière doit reconnaitre la personne dans sa globalité.
Lise Talbot dit que le «prendre soin est possible à la
condition de considérer l'autre avec amour et d'accepter la
complexité, l'individualité et le caractère unique de cet
autre dans un lien de relation d'aide». Le philosophe humaniste E. T.
Kamgue lui écrit que «pour que les hôpitaux
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puissent s'humaniser, il est important que la
dignité humaine et la primauté de l'être humain constituent
des repères fondamentaux pour les soins en leur sein».
«Trouver un sens à ce que l'on fait est le
défi de la nouvelle éthique au travail.» W.
Glaser
3.1.2 Humanisation des soins infirmiers en
réanimation adulte
Outre les défis actuels évoqués notamment
lors de ce congrès sur l'humanité du soin, à savoir
«la notion de productivité», les «exigences
de rapidité et de performance» ou encore
«l'obligation de toujours faire plus avec moins» (L. R.
Talbot), le service de réanimation
représente un défi à lui tout seul du
fait de ses spécificités. Le professeur T. Denise explique que
les patients de réanimation sont «noyés sous les
machines», et qu'ils subissent, comme leur famille à leur
entrée dans leur service, «un dépaysement».
C'est en ce sens que E. T. Kamgue assure que «l'accueil du malade et
de sa famille est un facteur indispensable pour humaniser les soins et les
structures de soins». Dans son article, T. Denise nomme certains
actes, certaines attentions, destinés à «redonner du
quotidien dans un contexte qui est précisément en rupture avec le
cours normal de la vie individuelle.». Ceci a vocation à
remettre de l'humain dans le soin.
Lors d'un stage, j'ai assisté à une réunion
de l'équipe au sujet du projet de
l'humanisation des soins mis en place dans le service.
À l'initiative notamment du docteur Vincent Das, chef du service de
réanimation adulte de l'hôpital André Grégoire de
Montreuil. Le service a repensé la prise en soin et le règlement
du service pour privilégier le bien-être du patient et adoucir son
expérience d'hospitalisation. Cette dernière peut être pour
certains patients, source d'un stress post-traumatique. Selon les dires du Dr
Das, voici quelques exemples de ce dont les patients de réanimation
peuvent se plaindre :
- Discussions des soignants entre eux au lit du patient sans le
considérer
- La peur et le stress liées aux machines, aux bruits et
à la lumière artificielle - Le manque d'intimité
- Le peu de visite autorisée
- La douleur et la gêne liées aux manipulations
corporelles des soignants...
Par ailleurs, le Dr Das souligne que si la stratégie
défensive des soignants réside dans une forme de
détachement, alors il y a un risque de déshumanisation des soins.
En effet, dans cette forme de mise à distance, le patient est
considéré comme un objet de soin, qui conduit le
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soignant à se désidentifier des besoins des
patients et de la famille. Il y a une scission dans la relation de soin, ce qui
me rappelle les enjeux relationnels évoqués plus haut. Afin de
pallier ces problématiques, diverses initiatives ont été
prises pour améliorer l'expérience des patients
:
- Moins de bruits nocturnes, d'avantage de lumière
naturelle
- Introduction de massage et de musique lors des soins de
nursing
- Personnalisation de la chambre par des effets personnels du
patient (tableau, photos...) - Attention portée à
l'intimité du patient
- Focaliser la discussion sur le patient en sa
présence
- Élargissement des horaires de visites, accueil et
espace dédiés aux enfants, mallette MAEVA
- Stimulation basale : attention portée aux
expériences sensorielles des patients
- Biographie sensorielle : recueil de données des
habitudes de vie du patient par la famille pour mieux le connaitre, et pour
permettre aux soignant de recréer un environnement et une routine
similaire.
- Formation au toucher thérapeutique...
Il me semble intéressant de préciser que des
initiatives ont également été mises en place pour les
soignants : une salle de détente avec fauteuil massant, des groupes de
paroles, aménagement de la salle de détente... Les soignants ont
pris l'habitude de toujours s'adresser au patient et de le prévenir des
soins effectués même quand ce dernier est intubé et
sédaté. Cela leur permet de ne pas traiter le patient comme un
objet de soin. Certaines infirmières appellent les patients par leur
prénom, pour créer une proximité et favoriser la relation
de confiance. Les mesures prises mettent en évidence une prise en soin
empathique du patient.
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