ANNEXE D :
Entretien avec Justine
Moi : Alors, est ce que tu peux me dire depuis combien de temps
tu travailles dans le service ?
Justine : Et bah cette année, ça fera 12 ans.
Moi : 12 ans.
Justine : Ouais.
Moi : Ok. Et pourquoi tu as choisi le service de
réanimation ?
Justine : Pourquoi la réa ? Euh vraiment ? (Rire).
Moi : Bah oui, (rire).
Justine : Ça s'est fait un petit peu par hasard parce que
j'avais pas moi de...service, ouais
dominant à la fin de mon diplôme, à la fin de
mon cursus. Et je suis venue avec une future
collègue, Estelle, elle, elle est venue déposer son
attestation de réussite et on m'a proposé un
poste en réa. J'ai dit : « ok, pourquoi pas, je n'en
ai jamais fait ». Elle m'a dit « oh ça c'est pas
grave ». Très bien. Et puis ça s'est fait
comme ça. Et depuis je suis restée.
Moi : Et ça t'as plu du coup ?
Justine : Ça m'a plu, la première année
était très compliquée et puis l'année suivante...tu
te fais
ta petit bosse...
Moi : Et pourquoi c'était compliqué au début
?
Justine : Première année, parce qu'en réa,
la première année c'est compliqué. Enfin d'autant
plus quand t'as pas fait du tout de réanimation ou des
soins compliqués, voilà...j'ai juste fait
des perfs, ou prises de sang, basiques quoi. KT central et KT
artériel je ne connaissais pas, et
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l'intubation, je ne connaissais pas non plus. Et...et c'est
compliqué d'acquérir l'organisation de la réanimation, la
rigueur, qu'on nous imposait à l'époque, et, et voilà...
Mais c'est bien parce que ça te permet de...d'avoir cette rigueur qui
t'assure une sécurité de ton malade...Voilà, d'être
plus réactive et plus organisée par la suite.
Moi : Ok, donc finalement tu y es restée.
(Interruption par une sonnette, nous nous sommes
finalement installées dans une salle de staff). Moi : Cette petite
coupure va nous permettre de passer à l'humanisation des soins. Donc on
ne revient pas sur ce que c'est, tu es déjà très au
courant (rire). Donc est-ce que tu peux me parler directement si tu as des
exemples de postures, d'approches ou de pratiques qui permettent de remettre de
l'humain dans le soin ?
Justine : Euh alors...Je sais que, enfin ici, ce qu'on
pratique globalement...on est assez centré sur la personne, pas le
bien-être parce que ce n'est pas des soins bien-être, mais en tout
cas de...d'essayer de réincorporer un peu d'humain dans les soins. Et
ça commence par des trucs basiques hein mais du style fermer les stores,
faire participer au maximum enfin quand c'est possible le patient
évidemment, et toujours parler aux malades, ça c'est le truc
basique qu'on devrait avoir tous que ce soit en réa ou ailleurs mais
voilà. Ensuite, on a axé beaucoup sur l'alimentation, et par le
biais de la biographie sensorielle. Je sais pas si tu avais connu, mais oh bah
si...
Moi : Tout à fait.
Justine : Voilà chez les patients chez qui on va
interroger soit les familles, soit les patients directement, et sur les
habitudes de vie qui sont à la maison, que ce soit sur le sommeil,
l'alimentation, des activités style s'il veut la
télé...voilà si...s'ils ont d'autres « hobbies
». Et donc on va essayer de recentrer le patient au centre du soin, et non
pas mettre des soins avec... sur un patient. On met vraiment le patient au
centre. Et donc, quand il va mieux ou même quand il commence à
sortir du coma, parce-que c'est plus compliqué quand ils sont dans le
coma, mais ça se fait aussi, mais c'est plus compliqué. On va les
intégrer dans les démarches de...par exemple, tout ce qui est
repas, essayer de...quand on va faire des soins de bouche, bah s'il y a
quelqu'un qui aime bien le café, on va essayer de faire des soins de
bouche au café quand c'est possible, évidemment, quand il y a
candidose c'est plus compliqué, mais voilà, quand c'est possible,
on le fait quoi. Donc ça, ça va être chez les patients qui
sont intubés, dans une phase de réveil et, ouais, dans la mesure
du possible toujours. Et ensuite ça va être, je sais pas, quand il
commence à être bien réveillé et que...et qu'ils
arrivent à nous répondre ou quand ils sont extubés, bah on
va essayer de mettre en lien avec la diet des repas qui favorisent, ou si la
famille y a pas de régime particulier ou en tout cas si la famille peut
cuisiner et rapporte. Après, quant au soin esthétique, on essaie
de favoriser les douches si possibles, pour faire comme à la maison, si
c'est des personnes qui prennent une douche, évidemment, mais sinon
ça va être des soins « du corps ». On va beaucoup faire
des massages, des, des, des soins, pas des mains, mais je sais qu'on a eu
un...de C****l, je crois C****l, qui font beaucoup de soins esthétiques,
et qui ont commencé à mettre beaucoup de soins esthétiques
et...et voilà, Nous on essaie maintenant...on rapporte nos produits,
avant on ne prenait que les trucs de l'hôpital, maintenant on rapporte
nos produits et c'est vrai qu'on fait beaucoup shampoings, soins, on coupe les
cheveux, `fin voilà, si c'est une dame et qu'elle veut bien être
rasée, je sais pas les jambes ou les aisselles bah on essaie de raser.
Enfin voilà pour qu'elles se sentent mieux, et que, ils se
réapproprient leur corps petit à petit quoi. Donc ça c'est
le côté esthétique. Et ensuite, bah on
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essaie d'apporter de la famille, quand c'est possible
toujours, dans tous les cas, tout ce que je veux dire c'est dans la mesure du
possible évidemment. Donc ça va être bah des visites
dès que possible à partir de 13h00, on n'a pas élargi les
horaires à H24, c'est toujours 13-20. Et, d'apporter des photos. Enfin
on essaie de tapisser, de rendre l'environnement un peu plus accueillant. Et
voilà, je sais que pendant le COVID, il y avait même eu, et
c'était des cas COVID, des visios. Eh bien on avait une tablette, on
avait eu des dons de tablette, et pour les patients qui... chez qui on pouvait,
on faisait des visios, pour apporter la famille puisque les visites
étaient interdites. Donc voilà, je sais que l'adresse mail qui a
été mise en place pendant le COVID, elle est toujours
d'actualité, on reçoit parfois des photos directement sur cette
boîte et la secrétaire va nous les imprimer, nous on imprime les
photos si on peut, ou alors c'est les familles qui impriment directement. On
fait aussi de la musique, maintenant on a une petite enceinte, bon on a aussi
le portable. Mais quand on leur demande les goûts musicaux ou que la
famille nous le dis, et on essaie de mettre de la musique quand c'est possible.
Euh globalement c'est à peu près ça...
Moi : C'est déjà un beau tableau.
Justine : Ouais Ben on essaye après encore une fois
c'est pas toujours possible tu vois, mais...après moi j'sais que je...
j'ai tendance à...même chez une personne diabétique,
équilibrée à peu près en tout cas, pas qui est en
acido-cétose quoi, mais tu vois un petit vieux sous diabète, si
ça lui fait plaisir de manger une viennoiserie bah c'est pas grave, on
ajustera plus tard l'insuline. On s'en fout, on essaye de faire plaisir comme
on peut, et puis voilà...ce n'est pas toujours simple...
Moi : Ouais, ça passe beaucoup autour de la
communication en fait.
Justine : Ah clairement, enfin t'es obligé d'avoir une
communication qu'elle soit verbale ou non verbale forcément, mais par
des soins...enfin le touché et forcément tu es obligé
sinon c'est compliqué...et sans communication tu n'as pas
d'humanité.
Moi : On passe à côté de la relation de
soin.
Justine : Oui clairement oui.
Moi : (Se racle la gorge). Est-ce que tu trouves justement
qu'entretenir une relation de soin donc plus humaine entre guillemets avec ce
projet l'humanisation des soins apporte, ou t'as apporté une charge
émotionnelle en plus ?
Justine : Euh, en plus, je sais pas. Probablement, parce que
tu...Là où on se forge un peu une carapace en tant que
soignant...soit tu gardes cette carapace hein, pour te protéger tout
simplement hein, soit tu la laisses tomber un peu et forcément ça
t'affecte, que ce soit une situation grave ou moins grave, même les trucs
positifs hein, mais forcément ça t'affecte, et je pense c'est
soignant dépendant pour le coup. Moi personnellement il y a des cas oui
qui m'ont affecté, parce que tu laisses, mine de rien...t'es pas que
soignant, tu restes humaine, et puis t'as tes failles et t'as ta
personnalité...et comment t'es avec tes patients aussi. Et
forcément ça joue dans la relation que tu vas instaurer avec ton
patient. Et s'il se passe quelque chose, de négatif, je sais pas ton
patient s'aggrave ou fini par décéder... Moi je pense que
ça ajoute...voilà sur ta charge mentale, charge affective en tout
cas. Mais après je pense c'est soignant dépendant. Moi : C'est
soignant dépendant ?
Justine : Ouais. Tu as des soignants qui vont pas...que eux
auront une carapace, qui vont pas tisser de liens avec leurs patients, mais
ça c'est comme partout et voilà.
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Moi : Et toi t'as pas vu que dans le processus d'humanisation
des soins, ça pouvait avoir un impact sur ta charge émotionnelle,
ça ne t'as pas impactée ?
Justine : Ça...bah pas forcément de
manière négative, ça va forcément m'impacter. Et
même tu te sens un peu plus léger quand tu vois que ton patient
finalement, je sais pas, là où il peut y avoir des tensions parce
que il est à l'hôpital, il est pas content...ça
voilà, et on lui balance une pathologie qu'il avait pas, ou alors qui
s'est aggravée. Enfin bref peu importe. Et là toi tu vas enfin,
t'arrives avec tes soins qui sont invasifs, enfin tu...globalement on leur fait
pas forcément du bien. Ben t'essaies d'adoucir un peu cette
réalité et de te dire c'est un peu grâce à moi quoi.
Donc t'as un genre de reconnaissance même si elle est pas
forcément avouée de la part du patient parce que y'en a qui ne te
le diront jamais. Mais voilà, te dire bon ben j'ai un peu
amélioré son bien-être et ça, c'est tant mieux quoi,
c'est tant mieux. Tu te dis je suis pas complètement inutile, et je suis
pas là à faire que des soins invasifs quoi, surtout en réa
pour le coup.
Moi : Hum. Tout à l'heure t'as dit que justement tu
t'étais déjà identifiée, ou il y avait des patients
qui t'avaient marqué plus que d'autres, qu'est-ce que ça,
ça induit dans ta relation de soin avec les patients ?
Justine : Avec ce genre de patient ?
Moi : Hum.
Justine : Euh, bah c'est des relations qui sont un peu, pas
malgré toi parce qu'on l'instaure, mais où tu te sens plus
engagée auprès d'eux. Enfin pas forcément plus
engagée mais en tout cas plus investie, parce que tu te dis qu'y a
quelque chose de spécial avec ce patient là, que avec un
autre...enfin comme avec les personnes lambda, pinpin, t'as des relations que
t'as pas avec d'autres quoi. C'est un peu pareil avec les patients et...le truc
c'est que bah...c'était quoi la question (rire) ?
Moi : Est-ce que ça...comment ça a
modifié ou pas ta relation de soin avec lui ?
Justine : Peut-être que je suis plus investie. Ou en
tout cas peut être plus compréhensive. Enfin je dirais pas que je
vais moins comprendre l'autre, mais...je suis peut-être pas à
égalité effectivement. C'est pas bien hein, mais je suis
peut-être moins à égalité avec quelqu'un qui sera
aigri, qui n'aura pas envie de me voir quoi hein. Ce qui peut se concevoir
aussi quoi...donc bon, mais globalement effectivement, je pense que tu as quand
même modification de l'implication.
Moi : Et justement, est-ce que t'arrives à t'impliquer
en gardant la juste distance, en ayant l'impression de garder une juste
distance ?
Justine : (Silence) Hum...Ouais (rire). Je, oui, on va dire
oui (rire). Si globalement si quand même. Après y a
des...maintenant, je sais que je prends plus de reculs sur des situations qui
sont compliquées. Parce que je suis humaine aussi et que j'ai pas envie
de transporter tous les les sacs de la réa chez moi quoi. A un moment
donné, j'ai envie d'avoir la tête légère et puis de
toute façon voilà...ce qui arrive aux patients n'est en soi pas
de ta faute, et bah tu peux pas ramener toutes les misères du monde chez
toi quoi.
Moi : Très bien. Alors du coup, le 3e thème
donc, l'empathie des soignants. Euh je vais juste te demander avant ce que
c'est l'empathie pour toi, parce que ça regroupe, ça peut
regrouper plein de définitions différentes et je voudrais
être sûr qu'on parte sur la même définition,
après je vais te donner donc celle sur laquelle je pars dans mon...
Justine : Dans ton truc.
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Moi : Voilà. Toi là, comme ça, ça
te fait penser à quoi l'empathie ?
Justine : Bah l'empathie, c'est la capacité à
ressentir les émotions des autres...et la façon dont ça
t'affecte.
Moi : Humhum. Alors effectivement, on est là-dedans, il
y a juste une petite nuance, donc effectivement savoir se mettre à la
place d'autrui, c'est dire ce qu'il veut, comprendre son point de vue. Mais y a
pas forcément ou pas dans tous les cas, un impact émotionnel.
Justine : D'accord.
Moi : On va plus traduire l'empathie comme une relation
cognitive plutôt que affective. Et...(interruption sonnette «
l'entrée est dans le SAS »), objective plutôt que
subjective. Donc il peut y avoir une implication émotionnelle, mais pas
forcément. C'est plus vraiment autour de la compréhension globale
qu'on va avoir du patient.
Justine : Ok.
Moi : Alors du coup, depuis que tu travailles en
réanimation, tu l'as déjà un petit peu
évoqué, mais ce que tu as observé plutôt une
augmentation, ou une diminution de ton empathie envers les patients ?
Justine : Je dirais que c'est variable, en fonction de mon
état de fatigue. Maintenant je pense que je suis plus empathique
maintenant, parce qu'en début de carrière j'étais
axée sur mes compétences à acquérir et les
connaissances heureusement, que maintenant je suis plus à l'aise avec
mon métier hein. Je dis pas que j'apprends plus rien mais en tout cas
moins quoi. Et donc je peux me concentrer plus sur la communication...enfin
voilà le côté un peu humain de mon métier quoi.
Moi : D'accord, donc finalement ce que tu dis c'est que t'as
besoin d'être disponible émotionnellement, et au niveau des
savoirs : être sur des savoir-faire que tu vas apporter aux patients,
pour pouvoir donner cet espace empathique.
Justine : Bah j'arrive pas à me dédoubler,
c'est-à-dire que si je dois faire un soin que je ne connais pas, il faut
que je sois concentrée sur ce soin-là hein. Et si je suis sur mon
soin, je suis pas à parler avec mon patient par exemple en faisant le
soin. Parce que j'ai pas envie de me louper. Mais euh, je pense que, ça,
soit tu es, en règle générale, t'es à l'aise avec
ton soin et tu peux communiquer avec ton patient, soit tu l'es pas et tu peux
pas communiquer parce que tu es concentrée sur ce que tu fais, donc tu
communiques après, soit tu l'es pas, t'as pas la compétence, mais
tu donnes le change en communiquant. Qu'est ce qui est le mieux, je sais pas,
je ne dirais pas la dernière, mais bon après voilà !
C'est...mais ouais je...
Moi : (Rire) D'accord. Très intéressant, ok.
Est-ce que tu as déjà eu l'impression de faire des soins sans
pour autant prendre soin du patient ?
Justine : Ouais. Ça m'est arrivé dans des cas
où je comprends pas la prise en charge médicale, je suis pas
d'accord avec, et qu'on me dit « il faut quand même le faire »,
et moi...je voilà, typiquement la dame du 12. La dame du 12 bon qui
vient pour...elle a un cas un peu compliqué, mais qui a
été intubée, ventilée, on a été
très très loin avec elle. C'est une dame qui ne rentrera jamais
chez elle, qui va mourir chez nous. Et on était sur de l'acharnement
à comment ça s'appelle...calci...elle a des cristaux au niveau
des vaisseaux et en fait elle nécrose du coup...'fin en fait ça
remonte ça remonte...donc on est en train d'enlever des bouts, elle a eu
je sais pas combien de bloc, et en fait `fin, ça ne fait
qu'évoluer, et la dame a fini par s'extuber il y a 2 nuits là, et
maintenant elle est complètement cohérente, enfin la dame elle
sait où elle est, elle sait ce qu'il se passe. Et avant qu'elle se
réveille nous on était en mode « mais faut
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qu'on arrête, on va trop loin sur cette dame, enfin on
est en train de lui enlever des bouts, cette dame ne rentrera jamais à
domicile ». Faut dire ce qui est. Et la dame a fini par statuer
aujourd'hui, et enfin ils écoutent. Ouais « non arrêtez tout
». Donc on a arrêté la noradré, on a
arrêté l'antibiothérapie, elle avait une batterie d'antibio
la dame, elle était sous levo, mero...'fin des trucs artillerie lourde
quoi. Et parce qu'il a fallu attendre que la dame dise STOP pour qu'on
écoute, alors qu'il y a plein de soignants qui n'étaient pas
d'accord avec la démarche ! Mais parce que les médecins, et puis
un peu les chir qui poussent : « non mais on va en retirer encore un
peu... », et c'est des soins qui prennent, enfin si tu as le temps et que
tu veux aller voir si Sarah elle fait les soins, parce-qu'elle n'a pas encore
fait les pansements, bah tu verras l'étendue du truc quoi.
Moi : Mais c'est des amputations ou c'est... ?
Justine : Ah c'est des...alors pas des amputations parce
qu'elle a encore ses jambes, mais on lui a retiré des bouts de muscles,
`fin on voit ses tendons...c'est c'est c'est, ah non c'est horrible !
Moi : Et la cicatrisation c'est ?
Justine : Ah mais ça ne cicatrisera pas, elle est
diabétique, hypertendue, `fin...
Moi : Ah en plus ouais...
Justine : Des antécédents de...je t'ai dit, elle
est insuffisante rénale...
Moi : Hum.
Justine : Fin voilà, on va où, on va où.
« Oui maieuh... » (dit-elle en imitant), bah ouais mais non en
fait... Enfin voilà, donc bah oui effectivement il y a
déjà eu des prises en charge où moi j'étais pas
à l'aise, et j'ai pas l'impression de faire du soin. Mais tu rentres,
t'es pas à l'aise avec ce que t'as fait dans la journée quoi !
Donc voilà c'est vrai qu'ici on est assez ouvert, que ce soit les
médecins ou même...
Moi : Vous arrivez à vous exprimer.
Justine : On arrive à dire ce qu'on pense, et à
pas être d'accord, et à dire « bon bah ok on en rediscute, ou
on va faire un staff », enfin voilà, pour statuer le truc parce
que...
Moi : Donc c'est lors des staffs que vous statuez sur
l'arrêt des soins ?
Justine : Ouais, c'est une décision collégiale
avec des intervenants extérieurs au service, on présente le
dossier et puis voilà, on fait ça, on fait pas ça, on
limite ou on arrête ça dépend, et à ce
moment-là tu...toi tu donnes ton avis, `fin t'entends tout le dossier
qui est évoqué, et du coup est décidé à la
fin de ce staff si on continue ou pas, si on limite, ou si par exemple, on ira
pas jusqu'à une intubation s'il n'est pas intubé, ou alors on ne
dépassera pas tant de noradré, fin voilà c'est...Et quand
les patients ne sont pas statués, par exemple un week-end il n'y pas de
staff et il y a moins d'intervenants qu'en semaine, bah on fait un micro staff
entre nous quoi, on fait avec le médecin de garde, l'interne et
l'aide-soignant quoi. Et puis s'il y a un médecin des urges qui est
dispo mais en général c'est compliqué, et bah on fait avec
eux, mais en général c'est pris...la décision est prise
sur le vif quoi.
Moi : D'accord. Hum, très bien, est-ce que pour toi le
fait d'être professionnel va avec le fait d'être empathique ?
Justine : Non. Non parce que...enfin, tu peux être
empathique dans la vie de tous les jours, pas forcément dans ton
métier (rire). Alors il se trouve que nous on fait de l'humain, mais
donc voilà. Je vois pas un informaticien être empathique avec ses
PC quoi. Mais non je pense que
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c'est pas lié, parce que malheureusement on connait
tous des professionnels et soignants, qui ne sont pas empathiques, et on se
demande ce qu'ils foutent dans le métier.
Moi : Oui alors du coup toi qu'est-ce que tu en penses (rire)
?
Justine : Bin que soit ils sont à bout de leur
métier et qu'il est temps qu'ils changent, soit ils n'ont jamais
été fait pour ce métier mais ils sont venus là
parce que c'était facile, c'est une voie qui est facile d'accès.
Que ce soit infirmière ou aide-soignante, c'est facile.
Moi : Et du coup qu'est-ce que tu penses de la place de
l'empathie dans l'humanisation des soins ?
Justine : Bah y a forcément enfin...on peut pas faire
de l'humanisation des soins, sans empathie. Les soignants qui ne sont pas
empathiques, je ne vois pas comment ils peuvent faire de l'humain, enfin de
l'humanisation des soins. C'est...c'est pas compatible pour moi. L'un ne va pas
sans l'autre. Si tu n'as pas un minimum d'empathie envers ton patient, tu ne
peux pas vouloir te dire, bah tiens « je vais mettre tout en place pour
qu'il soit bien », enfin...je pense que ce n'est pas compatible, l'un ne
va sans l'autre.
Moi : Ok.
Justine : On voit chez nous, on va dire qu'on est 90% en
accord avec le projet d'humanisation des soins, et peut-être 10% qui ne
le sont pas, en tous cas qui ne le mettent pas en place, qui s'en foutent,
clairement...S'il y a des choses qui sont mises en place, elles ne sont pas
forcément suivies par ces personnes-là. Alors c'est le temps de
12h, trois fois 12h s'ils font un roulement...voilà. Mais voilà
c'est dommage.
Moi : Qu'est-ce qui fait selon toi qu'il y a certains
professionnels qui vont s'impliquer, qui vont vouloir aller vers l'humanisation
des soins et d'autres non ?
Justine : C'est l'amour de ton métier je pense. Le fait
de vouloir prendre soin de tes patients. Tu ne peux pas vouloir t'occuper de
l'humain, et t'en foutre de l'humain. Sauf si effectivement tu es en burn out,
tu es à bout de ton métier et voilà...Dans ce
cas-là faut changer quoi.
Moi : D'acc. Alors du coup notre quatrième thème
: la résilience des patients. Donc pareil que pour l'empathie, la
résilience regroupe plein de définitions différentes,
qu'est-ce que c'est pour toi ?
Justine : Euh, c'est quand...je suis pas sûre
hein...mais je dirais c'est quand t'es...pour une pathologie qu'est complexe ou
peu importe, que ton patient va subir plein d'épreuves et malgré
tout ça il arrive à avancer quand même, enfin pas à
se dire qu'il y a pire parce que parfois c'est compliqué...mais
voilà, à malgré tout trouver le bout de force qui lui
reste pour continuer à faire les soins, `fin voilà...je sais pas
si c'est ça ?
Moi : C'est ça, tout à fait. En fait c'est ce
qui désigne tout ce qui va graviter autour du patient en termes de
milieu familial, social, psychologique, émotionnel, et qui donc va
définir sa capacité à surmonter les épreuves de la
vie.
Justine : Bon ça va j'étais pas trop loin
(rire).
Moi : Donc c'était tout à fait ça (rire).
Alors, est-ce que tu arrives dans ta pratique, à mobiliser les
ressources du patient ? A déceler, déjà dans un premier
temps, pour les mobiliser.
Justine : (Réfléchit). Oui...encore une fois
c'est patient dépendant. Tu en as c'est pas possible, t'en as qui ne
veulent pas, tout simplement. Là je vois par exemple ma patiente au 3,
c'est une dame qui était chauffeur de taxi, et bref, je ne sais pas si
tu es passé devant ou pas, mais tu verrais l'état de ses
pieds...c'est une amputation qui se profile, et voilà c'est une dame qui
était complètement autonome, des antécédents comme
certains à son âge quoi, et le truc c'est que
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t'arrives pas à la faire participer...elle est
compliante, mais par exemple tu veux la booster pour un peu la faire se
surpasser, dans la mesure du possible évidemment, je ne vais pas lui
faire faire le marathon de Paris quoi. Mais en tous cas, ne serait-ce qu'aller
au fauteuil, même si ce n'est pas elle qui marche et qu'on utilise le
lève-malade, c'est non quoi. Le problème c'est que si le patient
n'a pas envie, tu peux pas quoi.
Moi : Hum, c'est normal.
Justine : Bah disons que je ne fais pas de la magie quoi.
C'est compliqué.
Moi : Il faut que le patient soit réceptif.
Justine : Ah clairement, enfin je dis pas que l'humanisation
si ton patient il est pas réceptif tu peux pas car par exemple tu peux
faire de l'humanisation à un patient qui est dans le coma, mais à
des gens qui sont réveillés, qui ne veulent pas, si la
volonté en fait est exprimée, tu ne peux pas quoi, enfin, tu ne
peux pas aller à l'encontre de la volonté de ton patient. Dans le
coma, il n'a pas de volonté il est dans le coma. Tu fais selon ce que la
famille te dit, et voilà tu essaies de faire au mieux. Mais quand ils
sont pleinement vigils et qu'ils ne veulent pas...
Moi : Oui donc ça passe obligatoirement par une
espèce d'alliance thérapeutique.
Justine : Ah oui, tu n'as pas le choix. Si ton patient il ne
participe pas et qu'il n'a pas envie, tu vas dans un mur pour moi.
Moi : Hum. Est-ce que l'humanisation des soins t'aide dans le
processus justement de mobiliser ou pas les ressources du patient ? Est-ce que
ça a un impact là-dessus ?
Justine : Ouais si ça peut, souvent dans le cadre de la
toilette, parce que en général le moment de la toilette, que ce
soit à la douche ou à la bassine, en tous cas la douche souvent,
c'est un plaisir pour les patients, parce que c'est chaud, parce que ça
détend, nous on en profite pour les masser, enfin voilà,
ça a un côté un peu plaisir entre guillemet, et du coup
ça peut faire le...se mobiliser, et en même temps se dire bah
voilà « j'ai réussis quand même à faire
ça », et il va chercher en lui ce qu'il faut pour amener à
l'état que toi tu as envie quoi. Donc ça peut effectivement
être le cas, dans la toilette, après peut-être pour le
repas. Après du moment qu'il y prend du plaisir, tu ne vas pas mobiliser
grand-chose (rire). Je vois pas trop.
Moi : Hum ok. Qu'est-ce qui dans ta pratique soignante peut
selon toi influencer la résilience du patient ? Donc sa capacité
à se remettre de son épreuve.
Justine : Dans ma pratique ?
Moi : Hum, dans ton approche, dans la relation de soin que tu
vas pouvoir mettre en place avec lui...
Justine : Euh...je pense qu'il faut adapter les objectifs
entre guillemet que tu veux en fonction du patient et de ses capacités.
Et de se dire que si ce n'est pas atteint, bah ce n'est pas grave. On
réessaiera plus tard, ou alors on baisse les objectifs, voilà.
Maintenant, nous bah on est un peu là pour les booster, on est un peu
les cheerleader « allez allez ! », et puis, de toute façon on
est là, il y en ils te disent hein : « vous me faites chier mais je
vous aime bien quoi ». Bah ouais, parce qu'on les boost et parce que bah
oui, quand on les laisse au fauteuil et qu'ils râlent : « Ah oui
mais ça fait tant de temps que je suis au fauteuil... », bah ouais
ouais, mais en même temps c'est bien pour les poumons et t'es content
après quoi. Donc, ouais je pense que c'est important qu'ils voient notre
motivation à les soigner, et comme ça eux ça leur permet
aussi de se booster et de se dire bon bah ok si elles, elles y vont, enfin en
tous cas si elles prennent le temps de...c'est que ça vaut la peine
quoi.
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Moi : Ok. Dernière question, est-ce que tu penses que
finalement ton empathie, donc ta capacité à comprendre le
patient, peut avoir un impact sur sa résilience à lui ?
Justine : Oui. Parce que je pense que si on est en mesure de
comprendre ses envies, ses désirs, enfin tout ce qui peut le motiver, ou
ce qui fait qu'il est lui, ça peut le...
Moi : ...le booster ?
Justine : Ouais c'est ça exactement, l'aider quoi.
C'est-à-dire que si ton interlocuteur te comprend, bah il est en
capacité de t'aider à aller au-delà de tes limites quoi.
Enfin je pense. Moi : Et bien merci beaucoup.
Justine : Bin de rien, c'est tout bon ?
Moi : Oui c'est tout bon pour moi. Très
intéressant, je te remercie.
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