Quels sont les impacts de la
Révolution Informatique sur
le Contrôle de Gestion ?
Présenté par Benjamin SIMEON
Master II - Pilotage et Contrôle de Gestion
- Promotion 2018-2019
IES Normandie
Mes plus sincères remerciements à :
Florence GONTHIER, ma tutrice et responsable d'alternance chez
DELPHARM
Yves POMMES-BAUDRES, directeur chez DELPHARM
Boris MAZURIER, Directeur de l'IESN
Christophe CLAVEL, Directeur Adjoint de l'IESN
Gérard DUTHIL, Responsable des cycles B4 et B5 et
directeur de mémoire
François POTTIER, Enseignant et tuteur
L'ensemble de l'équipe pédagogique de l'IESN
Ma mère et mon épouse pour leurs relectures et
leur patience
Maxime JOUAS pour sa traduction anglophone
Table des matières
Résumé 5
Introduction 6
Partie I : Contrôle de Gestion, Information et
Révolution Informatique 7
A : Contrôle de Gestion 8
1 / Définition du Contrôle de Gestion 9
2 / Histoire du Contrôle de Gestion 13
3 / Les fonctions du Contrôleur de Gestion dans
l'entreprise 19
4/ Le besoin d'Information 23
B L'Information 25
1 / La définition de l'Information 26
2 / L'importance de l'Information pour le Contrôle de
Gestion et sa relativité 28
3 / Les sources d'Information 30
4 / Les Moyens d'Information 32
5 / Information numérique : de la rareté à
l'abondance 34
C / La Révolution Informatique 36
1 / Définition et contextualisation 37
2 / Histoire pré mécanographique 39
3 / Mécanographie 41
4 / L'informatique comme post mécanographie. 43
5 / Quel avenir pour l'Informatique ? 46
Partie II : Les impacts de la Révolution Informatique sur
le Contrôle de gestion 48
A / Les Impacts de la Révolution Informatique sur les
entreprises 49
1 / Disparition d'anciens métiers et apparition de
nouveaux 50
2 / De nouvelles manières de produire - MRP 52
3 / Accélération des innovations 53
4 / Toyotisme et Kanban 54
B / Les effets positifs 56
1 / Les impacts positifs sur la production d'Information 57
2 / Les impacts positifs sur l'aide à la décision
62
C / Les effets négatifs 65
1 / La surinformation 66
2 / La crédulité aveugle 68
3 / Ne trouver que ce que l'on cherche 70
4 / La limite du temps humain disponible 71
5 / La dépendance 72
D / Avenir 73
1 / Des décisions identiques et un rapprochement des
performances 74
2 / La séparation des rôles avec le Management
75
3 / Se différencier 76
4 / Une analogie avec le MRP et le Kanban 77
5 / Repenser le métier de Contrôleur de Gestion
78
Conclusion 80
Bibliographie 82
Résumé
Français
L'objectif de ce mémoire est de présenter les
impacts de la Révolution informatique de la seconde moitié du
XXème siècle sur le Contrôle de Gestion. Le Contrôle
de Gestion est un métier récent dont la pratique date de la
seconde moitié du XIXème et la théorie de moins de 70 ans.
Le Contrôleur de Gestion ne peut rien sans l'Information, elle est le
matériau indispensable à sa profession. La Révolution
Informatique à partir des années 1950 a permis l'automatisation
de cette Information. La quantité de données consultables et les
capacités de calculs ont cru de manière exponentielle modifiant
de manière profonde et permanente le Contrôle de Gestion. Les
opportunités nouvelles ouvertes par cette Révolution se sont
accompagnées de risques inédits. Le Contrôle de Gestion est
passé en 50 ans d'une situation de rareté de l'Information pour
la production d'analyses à un excès d'Information et à des
analyses préprogrammées. Le métier n'a pas fini de
s'adapter au nouveau paradigme technologique engendré par la
Révolution Informatique, que se profile un nouveau bouleversement majeur
avec les prémices de l'Intelligence Artificielle.
Anglais
The aim of this master's thesis is to explain the influence of
the Computer Revolution during the last half of the 20th century on
the Management Control. Management Control is a recent profession whose
practice appeared during the second half of the 19th century and whose theory
is less than 70 years old. The Management Controller cannot do anything without
Information, it is the essential material for his/her work. The Computer
Revolution, which started in the 1950s, allowed the automatization of this
Information. The amount of searchable data and computational capabilities has
grown exponentially, deeply and permanently changing the Management Controller
work habits. New risks appeared with the new opportunities opened by this
Revolution. In 50 years, Management Control went through a situation of rare
Information to produce analysis to an excess of Information and to
pre-programmed analyses. While adapting this job to the new technological
paradigm engendered by Computer Revolution is still in progress, a new major
upheaval, with the beginnings of Artificial Intelligence, is already
emerging.
Introduction
Dans ce mémoire, nous avons souhaité nous
interroger sur les impacts de la Révolution Informatique sur le
Contrôle de Gestion.
Le Contrôle de Gestion est une discipline récente
dont la formalisation théorique n'intervient qu'après la seconde
guerre mondiale. Mais sa pratique est antérieure à sa
définition scientifique. Elle découle de l'apparition de
l'organisation scientifique du travail dans la deuxième moitié du
XIXème siècle.
L'Information est le matériau essentiel du
Contrôle de Gestion et sa collecte est la première étape de
son processus. Nous adopterons une approche scientifique de la
modélisation de l'Information afin de la définir et comprendre
les propriétés intrinsèques qu'elle doit posséder
pour être utilisable.
Nous nous inscrirons dans un cheminement historique pour
analyser les différentes Révolutions qu'ont connues les process
organisationnels de production afin de déboucher sur celle qui retiendra
toute notre attention, à savoir la « Révolution Informatique
». Nous la contextualiserons et étudierons le cheminement de son
avènement. Nous appuierons notre analyse sur l'ampleur du
phénomène par des exemples concrets.
Nous analyserons les impacts de cette automatisation de
l'Information sur les entreprises en général et sur le
Contrôle de Gestion en particulier. Ce nouveau paradigme technologique a
créé des opportunités inédites, permis des
avancées majeures et engendré des gains substantiels pour la
profession.
Mais cette Révolution s'est également
accompagnée de l'approche de risques nouveaux et de menaces jusqu'alors
inconnues. Le bouleversement organisationnel a touché de nombreux
métiers et celui du Contrôleur de Gestion ne fut pas exempt. Nous
détaillerons les risques nombreux et divers que cette Révolution
a engendrés et les changements qu'elle a provoqués.
Enfin, la Révolution Informatique parait à peine
digérée que semble s'ouvrir une nouvelle ère, celle de l'
« Intelligence Artificielle ». Nous essaierons d'ouvrir les
perspectives de ce nouvel environnement qui s'augure.
Partie I : Contrôle de Gestion, Information et
Révolution Informatique
« Ce qui se conçoit bien, s'énonce
clairement » 1
Dans cette première partie et dans un premier temps
nous nous concentrerons sur l'Histoire du Contrôle de Gestion et son
apparition au fil du temps car bien que non formalisée, sa
présence est induite par la notion même d'objectifs à
atteindre, de planification et de suivi. Nous étudierons sa
théorisation et surtout ses définitions en insistant sur
l'écart de perception qui existe entre la vision anglosaxonne et la
vision française. Nous observerons également le rôle
aujourd'hui dévolu au Contrôleur de Gestion dans le monde de
l'entreprise. Enfin nous mettrons à jour la relation fondamentale et
surtout constitutive de l'Information au Contrôle de Gestion.
Commenté [D1]:
Dans un second temps, nous essaierons de comprendre ce qu'est
l'Information dans son acceptation la plus théorique avant une
modélisation plus générale et pratique. Nous verrons toute
l'ambivalence qu'elle peut inclure dans sa nature même et surtout
l'importance qu'elle revêt pour le Contrôleur de Gestion dans la
réalisation de ses missions. Puis nous détaillerons le processus
de l'Information depuis sa source jusqu'aux médias qu'elle emprunte.
Dans un troisième et dernier temps, nous aborderons la
Révolution Informatique de la deuxième moitié du
XXème siècle. Nous la recontextualiserons par rapport à la
Révolution Agricole et la Révolution Industrielle, puis nous
adopterons une vision historique dans le cadre de l'entreprise pour comprendre
son apparition, son développement et ses potentielles futures
évolutions.
1 BOILEAU N. (1674), Art poétique,
Gallimard
A : Contrôle de Gestion
« La confiance n'exclut pas le Contrôle »
2
Afin de répondre à la question des impacts de la
Révolution Informatique sur le Contrôle de Gestion, il semble
indispensable de définir et délimiter ce qu'est le Contrôle
de Gestion mais aussi de répondre à plusieurs questions.
Existe-t-il ou non une perception commune du métier ? Y a-t-il un biais
de compréhension lié à la traduction du «
Management Control » ?
A partir de la définition du Contrôle de Gestion,
nous essaierons de repérer l'apparition du Contrôle de Gestion au
fil de l'Histoire Économique. Le Contrôle de Gestion est-il en
premier lieu une construction théorique qui s'est ensuite
appliquée au besoin des agents ou inversement une pratique
répandue qui s'est ensuite dotée d'un cadre théorique ?
Quelles missions sont aujourd'hui dévolues au
Contrôleur de Gestion, quelles sont les limites de son
périmètre d'action et ces limites sont-elles clairement
normées ? Pour y répondre, nous nous appuierons sur des exemples
simples, concrets et surtout vécus dans le cadre de l'alternance pour
une meilleure compréhension globale.
Enfin, nous établirons le besoin intrinsèque et
existentiel d'Information pour la réalisation du Contrôle de
Gestion afin d'introduire le prochain chapitre dédié à
l'Information.
2 LENINE VI. (1870-1924),
Homme politique russe
1 / Définition du Contrôle de
Gestion
Puisque l'origine du Contrôle de Gestion est une
traduction de l'anglais, il est préférable de repartir du concept
non traduit, « Management Control » pour en faire une
analyse sémantique.
La définition du Management par le
Cambridge Dictionary
1/ The control and organization of something, esp. a business
and its employees
Traduisible par « la maîtrise et l'organisation
de quelque chose (principalement une entreprise et ses salariés)
»
2/ Management is also the people in charge of a business
organization
Traduisible par « Le Management représente
également les responsables d'une
entreprise ».
Ces deux aspects sont identiques en français, le
management représente à la fois, la maîtrise et
l'organisation d'une activité mais aussi les personnes qui en assument
la responsabilité. Ce terme pose peu de difficultés dans la
compréhension française car son origine est continentale et
latine. « Maneggiare », de l'italien, contrôler,
manier, avoir en main (Manus = la main). On le retrouve aussi en vieux
français « Ménager » conduire avec raison,
avec ménagement (« ménager sa monture »).
La Gestion, l'Organisation et le Management ne sont
pas la même chose. Quand on parle de Contrôle de Gestion,
personne en France n'imagine un contrôle des managers. La traduction de
Management par Gestion pose une réelle difficulté de
compréhension. En traduisant le Management par la Gestion, le
Contrôle de Gestion en français est réduit dans son champ
d'intervention. La notion anglosaxonne évoque tout à la
fois, les managers, l'organisation et la gestion quand la notion
française tend à se limiter à la gestion
uniquement.
La définition du Control par le
Cambridge Dictionary
To order, limit, or rule something, or someone's actions or
behaviour
Traduisible par « Ordonner, limiter ou régler
quelque chose ou les actions / comportements de quelqu'un ».
Bien que de prime abord on puisse penser que les deux termes
aient la même signification en anglais et en français, ce n'est
pas tout à fait le cas. Il existe une nuance de perception entre les
deux langues qui sera à l'origine de nombreuses méprises. En
français, le terme de Contrôle à une connotation
autoritaire et/ou hiérarchique. Un Contrôle (de la contraction
du vieux français contre-rôle = copie du jugement) est une
vérification, un examen. Ainsi le contrôle d'un véhicule
fait d'abord penser à un contrôle de la police sur le
véhicule et non à la maîtrise du véhicule par le
pilote. Or en anglais la notion de « Control » est plus
proche de la notion de « Maîtrise » en
français.
La définition du Management Control par
le Cambridge Dictionary
1/ the systems that managers use to make sure that a company
or an organization is run in an effective way
Traduisible par « Le système que les managers
utilisent pour s'assurer qu'une entreprise ou une organisation est
gérée de manière effective ».
2/ the fact of a person or group being in charge of a
company, etc. because they own it or have more shares than anybody else
Traduisible par « Le fait que des personnes ou un
groupe soient en charge d'une entreprise parce qu'ils la possèdent
intégralement ou en majorité ».
La traduction de « Management Control » ne permet
pas d'appréhender de manière correcte le principe initial et
anglosaxon de la discipline.
BOUQUIN H. (1946 - 2012), Professeur de Gestion, a
tenté de synthétiser les différents types de
Contrôle de Gestion qui peuvent être mis en place en fonction de
l'interprétation qui peut être faite des différents termes
:
La première définition donnée par le
Cambridge Dictionary correspond à la définition historique
retenue le plus régulièrement donnée par ANTHONY R. (1916
- 2006) en 1965 :
« The process by which Managers assure the resources
are obtained and used effectively and efficiently in the accomplishment of
the organization's objectives »4.
Traduisible par : « Le processus par lequel les
managers obtiennent l'assurance que les ressources sont obtenues et
utilisées de manière efficace et efficiente pour la
réalisation des objectifs de l'organisation »
La deuxième définition du Cambridge Dictionary
correspond davantage au contrôle actionnarial. Le français dans ce
cas souffre moins d'ambiguïté de traduction et cette notion n'entre
pas dans notre sujet de mémoire.
Depuis, d'autres définitions ont été
données au Contrôle de Gestion par d'autres auteurs, ANTHONY R.
fera évoluer sa définition en 1988 ainsi : « Le
Contrôle de Gestion est le processus par lequel les managers influencent
d'autres membres de l'organisation pour appliquer les stratégies
»5
3 BOUQIN.H (2011), Herméneutiques du
Contrôle, Gallimard, p.14
4 ANTHONY R. (1965), Planning and Control Systems:
A Framework for Analysis. Boston, MA: Division of Research, Graduate
School of Business Administration, Harvard University.
5 ANTHONY R. (1988), The Management Control
Function Boston, Harvard Business School
En 1984, KHEMAKHEM A. écrit :
« Le Contrôle de Gestion est le processus mis
en oeuvre au sein d'une entité économique pour s'assurer d'une
mobilisation efficace et permanente des énergies et des ressources en
vue d'atteindre l'objectif que vise cette entité
».6
En 1994, BOUQUIN H. rédige :
« On conviendra d'appeler Contrôle de Gestion
les dispositifs et processus qui garantissent la cohérence entre la
stratégie et les actions concrètes et quotidiennes
».7
On peut également essayer de définir le
contrôle de gestion par la temporalité dans laquelle il s'inscrit
comme le fait le « DCG 11 : Contrôle de Gestion »
(Édition DUNOD).
Le long terme y est décrit comme le
domaine de la stratégie et son contrôle en est le Contrôle
Stratégique.
Le court terme y est décrit comme la
gestion quotidienne et son contrôle en est le Contrôle
Opérationnel.
Donc le moyen terme représente
l'interface entre le long terme et le court terme, l'interface entre la
stratégie et l'exécution. C'est ici que se situe le
Contrôle de Gestion selon le DCG.
Enfin, il paraît pertinent de relever la vision de
l'État français sur le Contrôle de Gestion. Le
Contrôle de Gestion est défini comme « un système
de pilotage mis en oeuvre par un responsable dans son champ d'attribution en
vue d'améliorer le rapport entre les moyens engagés - y compris
les ressources humaines - et soit l'activité développée,
soit les résultats obtenus dans le cadre déterminé par une
démarche stratégique préalable ayant fixé des
orientations » ... « Il permet d'assurer, tout à la fois, le
pilotage des services sur la base d'objectifs et d'engagements de service et la
connaissance des coûts, des activités et des résultats.
».8
6 KHEMAKEM A. (1984), La Dynamique du
Contrôle de Gestion, Dunod
7 BOUQUIN H. (1994), Les fondements du
contrôle de gestion, Presse universitaire de France « Que
sais-je ? » ; N°2892
8 Circulaire Interministérielle du 21 juin
2001 : Développement du Contrôle de Gestion dans les
administrations
Le Contrôle de Gestion est complexe à
définir et délimiter dans son champ d'intervention car à
la différence de la comptabilité, il n'est pas une
discipline normée. Il n'existe pas de lois, de
règlements, ou de jugements pour en forcer une acceptation et surtout
une utilisation commune.
Chaque entité est libre de définir «
son » Contrôle de Gestion, d'en délimiter «
son » périmètre, de choisir les outils et moyens
mis à sa disposition et de le placer dans sa hiérarchie où
cela lui sied. Ainsi le Contrôle de Gestion n'est pas structuré de
la même manière entre les différentes entreprises.
Certaines lui accordent une forte autonomie et d'importants moyens
d'investigation, quand d'autres le limiteront aux contrôles des budgets
et des écarts.
Le Contrôleur aura donc pour limite d'action les
contraintes fixées par l'organisation mais également les
siennes.
2 / Histoire du Contrôle de Gestion
Au quatrième millénaire avant notre ère,
les échanges inter cités génèrent un besoin
croissant d'enregistrements des transactions agricoles (bétails,
céréales, ...). Les calculis (petits cailloux) servant
à compter la taille des troupeaux devenant insuffisants,
l'écriture apparait. On mesure à ce moment-là des
quantités échangées.
Le Contrôle de Gestion en entreprise n'a pas de raison
d'être car il n'y a pas d'entreprise si l'on retient la définition
suivante pour cette dernière « le regroupement durable et la
mise en oeuvre organisée de moyens en capitaux, en hommes, en
techniques, pour produire des biens et des services ». 9
Un forgeron n'a de compte à rendre qu'à son
commanditaire et uniquement sur le résultat final. Il n'a pas à
se justifier sur son efficience (nous préciserons un peu plus loin
la différence fondamentale entre l'efficacité et l'efficience
dans la prochaine
9 DRANCOURT M. (1988), Leçon d'histoire
sur l'entreprise de l'Antiquité à nos jours, Presses
Universitaires de France
section). Il est probable qu'il se fixe des objectifs
personnels (temps, consommation de matériaux, ...) mais il n'a pas de
raison de les formaliser.
En revanche dans le domaine public, les administrations
(Cités, États, Fiefs, ...) suivent leurs comptes. L'utilisation
des moyens mis à disposition est contrôlée. La France voit
la création des Missi Dominici dans le Haut Moyen-Âge par
Charlemagne. Parmi les différentes tâches qui leurs sont
attribuées, ils sont en charge du contrôle des comptes. On
retrouve dans le même rôle, les Sendgraf en Allemagne, les
Podestat en Italie, ... On ne peut pas parler de contrôle de
gestion car ces personnes avaient une multiplicité de
responsabilités, à la fois religieuses, légales,
judiciaires et militaires.
On peut remarquer que le mot « budget »
vient d'ailleurs de cette époque. La « bougette » est
la bourse (le « bagage ») dans laquelle le voyageur met
l'ensemble des écus ou des effets dont il aura besoin pour son voyage.
La notion d'anticipation est bien présente comme pour un budget.
Les entreprises dans le sens retenu
précédemment, ne se développent qu'à partir du bas
Moyen Âge. Le plus vieil exemple tracé en France date de 1250,
« La Société des Moulins du Bazacle ». Il
s'agit de la première société par actions10.
Bien que les échanges commerciaux aient toujours existé, ce n'est
que vers la fin du Moyen Âge que le commerce européen va prendre
un nouvel essor (Commerce triangulaire avec les Amériques, Compagnie des
Indes, Route de la Soie, ...). Les découvertes scientifiques et les
avancées techniques européennes de cette époque portent en
elles les prémices du développement vers la société
préindustrielle.
A la fin du XVème siècle, les échanges
commerciaux internationaux se complexifient. D'un système d'aller/retour
entre deux villes (les foires), on passe à des systèmes multi
escales, les marchands deviennent les mandataires de personnes fortunées
(Grimaldi, Gresham, ...) Les besoins financiers
s'accroissent, le système bancaire devient un enjeu majeur et certaines
familles s'imposent : Médicis en Italie, Fugger en
Allemagne, Coeur en France, ...
Des marchandises chargées en Afrique sont vendues en
Indes sans que l'affréteur du navire ne voie cette marchandise depuis
Gênes. La « Méthode
10 Les Moulins du Bazacle : aux sources de la
première société par actions, Les Echos, 27 juillet
2016
Comptable Vénitienne » apparue vers la
fin du XIIIème siècle est généralisée
grâce à PACIOLI L. (1445 - 1517) dans son traité «
Tractatus XI particularis de computibus et scripturis »
publié à Venise en 1494 et plus communément connue sous le
nom de « Comptabilité en partie double ». Cette
méthode présente de nombreux avantages, elle consacre l'aspect
primordial des flux par rapport aux stocks et limite le risque de fraudes. La
comptabilité est officiellement née mais pas le Contrôle de
Gestion.
Le XVIIIème siècle est assurément un
tournant majeur pour l'Histoire des Sciences Économiques. La
Révolution Agricole en Angleterre est un cas typique de la
transformation que va connaître l'ensemble de l'Europe. Les Lords anglais
qui possèdent des terres, s'intéressent davantage aux profits et
cherchent à maximiser leurs gains. Ainsi le poids moyen du boeuf passe
de 370 livres en 1700 à 800 livres en 1800 et la jachère est
délaissée au profit de l'assolement Norfolk qui augmente la
production fourragère. 11
La Révolution Industrielle est rendue possible par la
Révolution Agricole. La relation de cause à effet est quasi
directe. Le besoin en main d'oeuvre dans les champs diminuant grâce aux
différentes innovations et la population augmentant, les villes vont
bénéficier d'un apport massif de main d'oeuvre. De nombreuses
avancées scientifiques et technologiques (machine à vapeur en
1710, métier à tisser mécanique en 1764, ...) permettent
des gains de productivité jusqu'alors inconnus.
L'idée de « maximiser » ces gains
est introduite dans la littérature de l'époque avec SMITH A.
(1723 - 1790) dans son ouvrage « Recherche sur la nature et les causes
de la richesse des nations » édité en 1776. Il s'agit
d'un ouvrage majeur qui pose les bases de la théorisation de
l'Économie moderne en dissertant sur de nombreux sujets : division du
travail, profits, accumulation du capital, économie politique, ...
Dans sa théorie des « avantages absolus
», complétée en 1817 par les « avantages
comparatifs » de RICARDO D. (1772 - 1823), SMITH A. écrit
« la maxime de tout chef de famille prudent est de ne jamais essayer
de faire chez soi la chose qui lui coûtera moins à acheter
qu'à faire. »12. Faire ou faire-faire est une
décision majeure
11 BAIROCH P. (1989), Les Trois
Révolutions Agricoles du monde développé : Rendements et
Productivité, Annales, Économies, Sociétés,
Civilisations, volume 44
12 SMITH A. (1776), Recherche sur la nature et les
causes de la richesse des nations, Strahan & Cadell
en économie et les sociétés actuelles
s'appuient sur leur service de contrôle de gestion pour obtenir les
éléments nécessaires à la prise de cette
décision. Nous pourrions y voir la base d'une idée de
Contrôle de Gestion.
Lors du XIXème siècle, la taille des entreprises
croît. Le capitalisme industriel supplante le capitalisme marchand. Mais
le Contrôle de Gestion, avec les définitions que nous avons vues
précédemment, n'apparaît pas. Plusieurs pistes
d'explication à cela. Le manque de concurrence n'incite pas à une
meilleure performance des agents ? Les écarts de revenus et de
patrimoines sont-ils si significatifs entre les propriétaires
d'entreprises et le reste de la population qu'ils n'encouragent pas à
gagner plus d'argent ? Afin d'aider à se représenter cet
écart le premier décile perçoit 55% des revenus en 1780 en
France13 contre 24 % en 200714. Ou bien s'agit-il d'un
ordre plus naturel des choses ?
On peut constater que la théorie du management
n'apparait pas alors que tout comme le Contrôle de Gestion, tous les
éléments sont en place. Au XIXème siècle, la
pensée économique voit des oeuvres majeures apparaître :
Le Capital de MARX K. (1818 - 1883), Principes d'Économie
politique de MILL J.S. (1806 - 1873), ... Les grands théoriciens se
penchent sur des domaines plus philosophiques ou politiques que sur les sujets
plus pragmatiques et s'inscrivent ainsi dans une lignée prestigieuse
(HOBBES T., ROUSSEAU JJ., ...)
Le passage au XXème siècle et surtout
l'organisation scientifique du travail, introduite par TAYLOR FW. (1856 -
1915), promeuvent une productivité maximale grâce à une
division extrême du travail, on parle du « Taylorisme
». Pour la première fois et à grande échelle, on
cherche à maximiser une production en fonction d'une ressource
disponible : la main d'oeuvre. La philosophie du Contrôle de
Gestion est présente.
FAYOL H. (1841-1925), est un ingénieur français
devenu Directeur Général de mines. En homme de terrain, il
constate, prend des notes et porte un regard rationaliste, naturaliste et
scientifique sur les organisations des entreprises. Il définit plusieurs
fonctions dans l'entreprise dont celle de l' « Administration
» qu'il décrit en
13MORRISON C. (2000), Les
inégalités de revenus en France du début du XVIIIe
siècle à 1985, Revue économique volume 51
14 PIKETTY T. (2004), L'économie des
inégalités, La Découverte
charge de : Prévoir, Organiser, Commander, Coordonner
et Contrôler.15 Le « Fayolisme » donne la
définition suivante pour le dernier élément:
« Contrôler » : vérifier que tout
se passe conformément au programme [d'actions] adopté, aux ordres
donnés, et aux principes admis [dans le] but de signaler les fautes et
les erreurs afin qu'on puisse les réparer et en éviter le
retour. »
Le terme de Contrôle est présent mais dans une
vision positiviste. Les idées de FAYOL H. seront très
positivement accueillies au milieu de la première guerre mondiale, car
selon son oeuvre les échecs incombent à la
hiérarchie et non aux exécutants. Le lien entre
l'entreprise et l'armée bien que non formalisé par FAYOL H. le
sera par ses lecteurs. Bien que cela ne soit pas dans le cadre de ce
mémoire, il est à souligner qu'il a également fait de
très nombreux apports théoriques sur la science du Management.
Son oeuvre a été très souvent reprises par les
anglosaxons16. Parmi ses nombreuses notes, celle sur « la
suppression du poste de nuit dans le remblayage des grandes couches
»17 peut faire date, car il y explique comment sa
décision est prise en fonction du coût de revient.
La pratique du Contrôle de Gestion dans les entreprises
précède sa théorisation mais la fonction est très
souvent mélangée à celle des comptables pendant la
première moitié du XXème siècle. Le Contrôle
de Gestion souffre encore aujourd'hui de sa porosité avec la
comptabilité analytique. Tout Contrôleur de Gestion ayant
exercé en entreprise a eu à expliquer en quoi son métier
n'était pas celui d'un comptable.
Il faut attendre le début de la deuxième
moitié du XXème siècle et la fin de la seconde guerre
mondiale pour voir les premiers ouvrages poser un cadre théorique.
ANTHONY R. est souvent considéré comme le précurseur avec
« Planning and Control Systems : a Framework for Analysis »
paru en 1965. Il définit dans son ouvrage le contrôle de gestion
comme :
« Le processus par lequel les managers
obtiennent l'assurance que les ressources sont obtenues et utilisées de
manière efficace et efficiente pour réaliser les objectifs de
l'organisation ».
15 FAYOL H. (1917), Administration Industrielle et
Générale, DUNOD et PINAT
16 GULICK L & URWICK L. (1937), Papers on the
Science of Administration, Institute of Public Administration,
17 FAYOL H (1882), Comptes rendus mensuels de la
Société de l'Industrie Minérale
Différents auteurs apporteront des définitions
complémentaires, mais le Contrôle de Gestion est né. Comme
nous venons de le voir, il est plus facile d'en dater la conception
scientifique que l'apparition de son usage pratique.
Dans les années 1970, les entreprises françaises
s'inspirent des méthodes organisationnelles venues des États-Unis
et implantent des process de planification de gestion budgétaire. Un
système de pilotage via le tandem Objectif/Moyen devient la norme. Ce
système perdure encore aujourd'hui. A titre d'exemple, les Agences
Régionales de Santé contractualisent des CPOM (Contrats
Pluriannuels d'Objectifs et de Moyens) avec les partenaires
privés18.
Les années 1970 ont marqué un tournant dans le
rapport de force entre l'offre et la demande et donc dans l'organisation de la
production. Globalement avant cette période la demande était
supérieure à l'offre. Il était donc moins important de se
soucier des débouchés de la production. FOURASTIER J. (1907-1990)
appelle cette période (1945 - 1975), les « Trente Glorieuses
»19. Il suffit de produire pour vendre et donc pour gagner
de l'argent. Les risques économiques sont faibles, il ne semble pas
pertinent de dépenser de l'argent dans un nouveau service pour limiter
ce risque.
La fin des années 1970 voit plusieurs
éléments concomitants faire leur apparition. Les économies
européennes ont terminé leur reconstruction et achevé une
partie de leur rattrapage économique et technologique sur les
États Unis, les prix des matières premières augmentent
(crise pétrolière, ...), les empires coloniaux se disloquent.
L'ensemble de ces éléments amène l'offre à
progressivement dépasser la demande. La concurrence s'intensifie et
devient plus prégnante, les entreprises, si elles souhaitent survivre,
doivent devenir « meilleures » que leurs concurrentes. La
compétition se fait alors sur le prix, la qualité, la
réactivité, ...
Tous ces éléments seront autant de chance pour
le métier de Contrôleur de Gestion. La course à
l'efficience s'enclenche et est portée à son paroxysme
par le « Toyotisme »20. Apparu dans les
années 1960 au Japon, il est un précurseur à ce
18 Circulaire du 25 juillet 2013 relative
à la mise en oeuvre du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens
prévu à l'article L. 313-11 du code de l'action sociale et des
familles.
19 FOURASTIER J. (1979),
Les Trente Glorieuses ou la Révolution Invisible,
FAYARD
20 SHIMIZU K. (1999),
Toyotisme (Repères), La
Découverte
phénomène. C'est avec ce nouveau paradigme
économique et l'augmentation des risques de disparition pour les
entreprises que le besoin de Contrôle de Gestion devient
croissant dans les entreprises.
3 / Les fonctions du Contrôleur de Gestion dans
l'entreprise
Le Contrôle de Gestion est un processus permettant de
mesurer et expliquer les écarts entre l'utilisation réelle et
l'utilisation optimale des ressources pour l'atteinte des objectifs
fixés.
La plupart des études sur la fonction du Contrôle
de Gestion se font d'amont en aval, des ressources vers l'objectif. Afin
d'essayer d'adopter un regard nouveau sur le flux du métier du
Contrôleur de Gestion, le process sera descendu de l'objectif vers les
ressources.
Le Contrôleur de Gestion ne définit pas
les objectifs
Cette tâche revient au management. Il faut adopter une
vision élargie des objectifs. Ceux-ci sont le plus souvent financiers
(rentabilité, chiffre d'affaires, marges, ...) mais pas
seulement. Le management peut définir des objectifs commerciaux
(parts de marché, taux de notoriété, part à
l'export, ...), sociaux (turn-over, absentéisme, accidents du
travail, ...) environnementaux (taxe carbone, émission de CO2,
label qualité, ...), technologiques (brevets, monopole
temporaire, ...), organisationnels (respect des process, communication
interne, ...), ...
La majorité des missions actuellement confiées
aux Contrôleurs de Gestion dans les entreprises sont axées sur des
aspects économiques et financiers, le suivi des autres objectifs est
parfois (souvent ?) confié à d'autres services (Qualité,
Ressources Humaines, ...).
Le Contrôleur de Gestion mesure l'atteinte des
écarts
Via différents outils et différentes sources, le
Contrôleur de Gestion mesure les écarts entre les objectifs
fixés au départ et les résultats atteints. Il s'agit de
l'une des
premières tâches du Contrôle de Gestion,
s'assurer de l'atteinte de l'objectif (efficacité).
Le Contrôleur de Gestion pondère ses
mesures
Un écart de 1800 litres constaté, a peu de sens
en fonction du résultat attendu et de la criticité de
l'écart. Ces 1800 litres d'écart peuvent représenter un
écart de 1% de la consommation d'eau et un surcoût de 123€ ce
qui sera insignifiant. Mais si ce sont 1800 litres d'eau radioactive qui
manquent lors d'un contrôle de retraitement d'une centrale
nucléaire, on comprend aisément la différence de risque.
Ainsi la non-atteinte d'un objectif doit être relativisée.
Le Contrôleur de Gestion crée des processus
et des outils de mesure
Afin d'acquérir ses mesures, le Contrôleur de
Gestion doit disposer d'outils adéquats. Il s'appuie le plus souvent sur
le Système d'Information informatisé de l'entreprise (ERP,
Gestion de Production Assistée par Ordinateur, ...), principalement pour
les données comptables ou de production. Mais dans certains cas, il doit
construire ses outils de mesure. Si la mesure doit être faite par un
autre utilisateur, le Contrôleur doit s'assurer de la coopération
de l'autre. Dans l'industrie pharmaceutique, les calculs de rebuts ne peuvent
être réalisés que par les opérateurs de lignes,
alors leur coopération est indispensable.
Le Contrôleur de Gestion identifie et quantifie
les ressources
Les ressources ou facteurs de production sont divers et
multiples mais il est possible de les regrouper en quatre grandes familles :
Financières, Humaines, Matérielles et Immatérielles. En
fonction de la nature de l'activité, de la taille de l'entreprise et du
Contrôleur, le niveau de détail varie. Le contrôleur doit
aussi quantifier ces ressources. Cette tâche semble anodine mais peut
s'avérer périlleuse. Quantifier des mètres carrés
d'aluminium est plus aisé dans l'industrie pharmaceutique que quantifier
le départ du Directeur de production. Pour filer cet exemple cette perte
est-elle de même valeur si le Directeur part à la retraite ou s'il
part à la concurrence ?
Le Contrôleur de Gestion identifie les causes de
l'écart
Arrive sans nul doute la partie la plus intéressante du
métier de Contrôle de Gestion : l'explication de l'écart
entre l'utilisation des ressources, le résultat final et le
résultat attendu. L'activité prévoyait un
budget de 300k€ pour la production de 1 million de boîtes de
paracétamol, or les dépenses ont été de 305k€
pour 975 000 boîtes. La mesure de la ressource et la mesure de l'objectif
ne pose pas de difficulté. Mais les sources de l'écarts peuvent
être multiples : hausse du prix du principe actif, taux de perte à
la fabrication, évènement exceptionnel extérieur,
non-respect des recettes, ...
Le Contrôleur de Gestion met en relation le
résultat avec les ressources
engagées pour l'obtenir
L'efficacité est souvent confondue avec l'efficience
(effectiveness et efficiency en anglais).
L'efficacité, c'est le fait d'atteindre l'objectif (Marcher sur la lune,
développer une voiture électrique qui peut parcourir 600km sans
recharge). L'utilisateur final ne perçoit que cette notion, nous
retrouvons ici le cas du forgeron évoqué dans la partie
historique. L'efficience, c'est la capacité à atteindre
l'objectif avec le minimum de ressources. Nous sommes bien du côté
de la production dans cette mesure car elle impactera directement la
rentabilité et donc la survie de l'entreprise.
Le Contrôleur de Gestion propose des corrections
pour faire disparaître
les écarts
Grâce aux outils déployés, le
Contrôleur de Gestion identifie les causes des écarts et propose
des solutions. Il doit pour cela se rapprocher des différents acteurs de
la production. GERRARD A. a écrit en 1969 dans la revue The Accoutant,
« le contrôleur ne peut plus rester dans sa tour d'ivoire et
jeter, selon son bon plaisir, des bribes d'informations à ses
collègues de la fabrication, de la vente, de l'ingénierie
»21. En fonction de la source de l'écart
identifié, le Contrôleur de Gestion proposera des solutions :
formation, changement de fournisseur, remplacement d'une machine, ...
Le Contrôleur de Gestion anticipe les
résultats intermédiaires pour
permettre une identification des écarts le plus
rapidement possible
Afin d'anticiper au mieux le risque d'écart, le
Contrôleur de Gestion est amené à prévoir un plan
(un budget pour la partie comptable et financière) et poser des jalons
intermédiaires avec les opérateurs pour repérer le plus
tôt possible tout
21LAMBERT C. et SPONEM, S. (2009). La fonction
contrôle de gestion : proposition d'une typologie,
Comptabilité - Contrôle - Audit, tome 15
risque d'écart et permettre sa correction le plus
rapidement possible. Ainsi les process se raccourcissent, le temps devient une
denrée rare. La méthode des coûts préétablis
en est le meilleur exemple.
Le Contrôleur de Gestion identifie les
opportunités
Enfin dans une vision élargie, le Contrôleur de
Gestion ne se contente pas d'observer l'existant. Il est capable de
repérer les opportunités. Une nouvelle matière
première que l'entreprise n'utilisait pas, un nouveau marché, ...
Le Contrôleur de Gestion ne sélectionne pas les
opportunités à retenir, il analyse les gains et synergies
potentiels ainsi que les risques associés.
Cette approche volontairement à rebours du flux est un
choix pratique pour la suite de notre sujet. Il existe de nombreuses autres
approches qui sont tout aussi valides.
BOLLECKER M, professeur des Universités en Sciences de
Gestion, met en avant deux fonctions pour le Contrôleur de Gestion :
la vérification et l'aide à la
décision22. La première fonction est la plus
communément acceptée, la seconde en revanche peine à
s'imposer. WHITE L., Président de l' « Institut of Management
Accountant » a déclaré en 2004 : « Nous vivons
une crise du Contrôle de Gestion, mais personne ne s'en est rendu compte
pour le moment. Je veux aider les Contrôleurs à gagner leur juste
place dans la profession comptable, c'est-à-dire celle de
véritables business partners qui agissent à l'interface des
opérations et de la prise de décision économique à
un niveau qui change les opérations des entreprises ».
Une conception par phase du métier de Contrôleur
de Gestion est également assez commune :
- Phase de prévision : Budgets, Moyens, Objectifs,
...
- Phase d'exécution : Mise en oeuvre des moyens, suivi
par le système
d'information, mesure des actions, ...
- Phase d'évaluation : Comparaison des
résultats et des objectifs, mesure de la performance et des
écarts, ...
22 BOLLECKER M. (2004), Les Contrôleurs de
Gestion : L'Histoire et les conditions d'exercice de la profession,
L'Harmattan
- Phase d'analyse (ou d'apprentissage) : Corrections des
causes d'écarts,
Modifications des process, ...
DRUCKER P. (1909-2005), Professeur en Management à
l'Université de New York, a déclaré « ce qui
n'est pas mesuré, ne peut être géré », on
dit également souvent en Contrôle de Gestion que « ce qui
est mesuré s'améliore ». Le Contrôle de Gestion
ne mesure pas que des chiffres, il mesure une organisation dont il fait partie.
Cela peut d'ailleurs paraître incongru car cela signifie qu'il doit se
contrôler (vérifier) lui-même.
L'observateur influence donc directement le système
observé. Nous pouvons faire ici un petit clin d'oeil aux amateurs de
physique quantique : « l'influence de l'observateur sur l'objet
observé » (Expériences des fentes de Young).
4/ Le besoin d'Information
Si l'on devait trouver la variable la plus indispensable, la
plus essentielle, la plus existentielle au Contrôle de Gestion, il
s'agirait sûrement de l'Information. Toute analyse, toute mesure est une
Information. Sans information, pas de Contrôle de
Gestion.
La Science Économique énonce une «
Information Parfaite »23 (ou « Transparence
de l'Information ») comme un axiome à son modèle de
« Concurrence Pure et Parfaite ». Cela signifie qu'à
tout moment, tous les acteurs bénéficient de la totalité
des informations à titre gratuit.
Cette hypothèse est évidement facilement
critiquable. Dans l'entreprise l'Information n'est pas parfaite, il y a une
« asymétrie de l'information » entre ceux qui
savent, ceux qui ignorent et ceux qui engagent des dépenses pour
savoir24 (ces
23 HENRY GM. (2009), Histoire de la pensée
économique : Chapitre 9 Jevons et l'économie mathématique,
Armand COLLIN
24 EBER N. (2006), Le Dilemme du prisonnier et ses
variantes, La Découverte
catégories ne sont pas exclusives). De plus toutes les
Informations ne se valent pas. Un manager sera plus intéressé par
la marge sur coût direct de ses produits que par le poids moyen de ses
salariés.
L'information n'est pas gratuite, elle a un
coût. Collecter, traiter puis transmettre une information
génère des frais. Permettons-nous une petite mise en abîme
pour souligner qu'en Économie, un prix est une Information (le plus
souvent sur la rareté d'un bien). Ainsi le prix élevé
d'une Information est une Information.
Le Contrôleur de Gestion, conscient de
la rareté et du coût de l'Information est amené
à prendre des décisions a priori. Quelles Informations
sont pertinentes et rentables pour l'exercice de sa mission ? L'ensemble de ses
analyses, de ses conclusions et de ses préconisations découleront
des choix initiaux opérés pour sa collecte de l'Information.
Ainsi il est indispensable de comprendre ce qu'est
l'Information pour réussir son Contrôle de Gestion.
B L'Information
« La connaissance s'acquiert par l'expérience,
tout le reste n'est que de l'Information »25
Avant de s'interroger à propos des impacts de la
Révolution de l'Informatique sur les métiers du Contrôle de
Gestion, il est important de comprendre la notion même d'Information.
Nous essaierons de répondre à de nombreuses questions. Quelle est
son origine sémantique ? Quelles sont ses définitions ?
Existe-t-il un cadre théorique ?
Quelle est l'importance de l'Information pour le
Contrôle de Gestion ? Estelle relative et quelles sont les conditions
intrinsèques à son utilisation ou pas par le Contrôleur de
Gestion ?
En repartant des modèles théoriques, nous
verrons ce que sont les sources d'Information, ce qui les différencie
les unes des autres et ce qui les caractérise. Nous fournirons plusieurs
exemples tangibles afin d'en faciliter la compréhension.
Quelle est la distinction entre la source d'Information et le
média d'Information ? Quels sont les nouveaux moyens d'Information que
sont les progiciels intégrés ? Comment sont-ils apparus, quel est
leur évolution et leur utilité ?
Comment en quelques décennies ces progiciels
intégrés ont démultiplié de manière
exponentielle la quantité d'Information disponible et traitable pour le
Contrôle de Gestion en entreprise ?
25 Citation populaire souvent attribué à
tort à EINSTEIN A. (1879-1955)
1 / La définition de l'Information
Du latin « informare », qui signifie «
façonner, donner une forme à l'esprit
»26, l'Information revêt aujourd'hui une
définition plus commune :
La définition selon le Larousse
« Fait ou jugement que l'on porte à la
connaissance d'une personne, d'un public »
La définition selon l'Académie
Française
« Renseignement qu'on donne ou qu'on obtient
»
Mais il existe également une définition plus
scientifique :
La définition selon le Bulletin Officiel de
l'Éducation Nationale du 26/02/1981 :
« Élément de connaissance susceptible
d'être représenté à l'aide de conventions pour
être conservé, traité ou communiqué ».
Le Larousse donne également une
définition plus scientifique :
« Élément de connaissance traduit par un
ensemble de signaux selon un code déterminé, en vue
d'être conservé, traité ou communiqué »
Les travaux de SHANNON C. (1916-2001), ingénieur et
mathématicien étatsunien, dès le début de la
deuxième moitié du XXème siècle sur la «
Théorie de l'Information » ont permis une appréhension
différente de l'Information ainsi qu'une approche plus scientifique et
théorique27. Il débute son ouvrage par un
schéma devenu célèbre. Cette représentation
initialement prévue pour décrire la communication entre deux
machines a été élargie à la communication entre
deux humains, mais peut très bien s'entendre pour toute information.
26 FLOBERT P. et GAFFIOT F. (2001), Le Gaffiot de
poche - Dictionnaire Latin - Français, Hachette
27 SHANNON C. (1949), A Mathematical Theory of
Communication, BELL System Technical Journal
Ce modèle est iconoclaste car l'Information n'est plus
la connaissance en soi, mais le support de cette connaissance. Le journal
Le Monde écrit le 16 mars 1974, « C'est
précisément l'un des grands progrès dus à
l'informatique d'avoir distingué l'information comme support des
connaissances, et les connaissances elles-mêmes ».
Bien que cette théorisation poussée de
l'Information puisse paraître au premier abord, éloignée du
Contrôle de Gestion, elle est pourtant la base de toute
l'évolution du métier de contrôleur de gestion entre 1950
et nos jours.
SHANNON C. restreint la définition de l'Information en
précisant qu'elle est une « connaissance pouvant avoir
un effet ». Ainsi le poids moyen des salariés ne
revêt plus le caractère d'Information car elle ne
génère pas d'effet. Le Contrôleur de Gestion ne mettra pas
en place un système de mesure sur cette variable car elle n'a pas
d'effet sur son entreprise (sous réserve qu'il ne travaille pas pour une
équipe de sportifs de haut niveau).
Si l'on comprend ce qu'est l'Information, il faut aussi
comprendre ce qui ne l'est pas. La science de la Communication a
démontré que l'Information n'est pas la
Communication. Elle n'en est qu'une partie. Le contexte, la source,
... sont autant de
28 SHANNON C. (1949), A Mathematical Theory of
Communication, BELL System Technical Journal
critères d'appréciation d'une Information. Ainsi
l'information : « J'ai soif », n'aura pas la même
signification au milieu du désert ou au milieu d'un festival de musique.
L'information est la même mais les effets consécutifs seront
très différents.
La théorie de l'Information est beaucoup plus technique
et nous l'avons simplifiée au niveau qui nous intéresse pour ce
mémoire. Citons juste par souci d'exhaustivité (et un peu par
plaisir) que l'Information est quantifiable selon les chercheurs et que cette
quantité correspond à une réduction de l'entropie (ou de
l'incertitude pour vulgariser). Ainsi dire « Le soleil s'est levé
ce matin » possède une quantité quasi nulle d'information
car la probabilité que cet évènement arrive est de presque
100%. La quantité d'information peut même être
négative. Si nous prenons cet incipit célèbre : «
Aujourd'hui, maman est morte ... »29, il y a baisse de
l'entropie, la quantité d'Information est positive. Mais la phrase de
CAMUS A. (1913-1960) se poursuit ainsi « ... ou peut être hier,
je ne sais pas » 23, l'incertitude croît,
la quantité d'Information est négative.
2 / L'importance de l'Information pour le
Contrôle de Gestion et sa relativité
La page Wikipédia consacrée au Contrôle de
Gestion précise : « Le Contrôle de Gestion n'est pas un
organe opérationnel, mais un organe d'échange d'information
»30. Sans vouloir juger de la source de cette affirmation,
elle démontre le lien reconnu traditionnellement entre l'Information et
le Contrôle de Gestion. Le rôle du Contrôle de Gestion ne se
limite pas à la transmission d'une Information brute, sans quoi il
serait facilement automatisable et remplaçable. La valeur d'une
Information reste relative en fonction de sa source, de son
récipiendaire et de son contexte.
L'Information brute est indispensable, sans elle rien
n'est possible. « Sans données fiables, pas d'analyse
pertinente »31. Mais l'Information brute ne suffit
29 CAMUS A. (1942), L'Étranger,
Gallimard
30
https://fr.wikipedia.org/wiki/Contr%C3%B4le_de_gestion
31 VINCENOT P (2016), La dataviz : aide à
la décision et la compréhension, I2D
pas. Nous allons dans cette section donner plus d'exemples
concrets pour saisir toute l'importance de la mise en perspective de cette
dernière.
Un stock de matière première de 1 million
d'euros ne signifie pas la même chose pour l'entreprise A et pour
l'entreprise B. En fonction qu'elles réalisent 1 ou 100 millions d'euros
de chiffre d'affaires. Une même information présente des risques
qui peuvent s'opposer (pénurie versus surabondance).
Les valeurs peuvent aussi s'inscrire dans un flux temporel.
À données équivalentes, l'information d'un stock de 1
million d'euros dans l'entreprise A, n'a pas la même signification si
l'entreprise disposait d'un stock de 2 millions d'euros l'année
précédente ou si elle disposait d'un stock de 500 000 euros.
Ainsi la hausse de la quantité d'Information permet une
meilleure compréhension de la situation, donc une meilleure analyse,
donc de meilleures préconisations et in fine un meilleur
pilotage de l'entreprise. La tentation du Contrôleur de Gestion
est donc d'obtenir le maximum d'information et si possible sans
discontinuité. Avant la deuxième moitié du XXème
siècle, ce souhait est une utopie.
Mais toutes les Informations ne sont pas exploitables. Nous ne
nous référons pas ici à l'intérêt de
l'Information mais aux critères essentiels qu'elle doit posséder
pour que le Contrôleur de Gestion ait le droit de l'utiliser.
Les trois critères sont :
- Fiabilité : L'Information doit
être vérifiable. Si le module Warehouse
Management indique un stock de 1 million alors que la
comptabilité indique un stock de 500 000 euros, aucune de ses deux
informations ne peut être considérée comme fiable tant
qu'elle n'aura pas été vérifiée et
confrontée. Si l'on ne peut ni accéder à l'entrepôt,
ni avoir accès aux opérations comptables enregistrées
alors l'information n'est pas fiable et ne peut être utilisée.
L'Information doit pouvoir être constatée sans contestation.
- Accessibilité : Si l'information n'est
plus accessible alors on ne peut pas
l'exploiter. Le responsable du magasin avait montré les
documents qui prouvaient que
le stock était de 1 million d'euros au comptable mais a
perdu ces documents. Une Information non accessible ne doit pas ou plus
être exploitée.
- Signature : Une Information doit être
tracée, on doit connaître son
émetteur. Une Information dont on ne peut garantir la
source n'est pas une donnée exploitable.
Attention, la réunification de ces trois
critères permet l'exploitation
d'une Information mais elle ne garantit pas sa
véracité.
Afin de respecter ces trois critères, le
Contrôleur de Gestion doit mettre en place une organisation que l'on
nomme un Système d'Information. Bien qu'aujourd'hui quasi exclusivement
compris dans son acceptation informatique, un Système d'Information peut
être d'autres natures. Nous pouvons citer le plus grand marché aux
fleurs à Aalsmeer aux Pays-Bas32 (990 000m2,
le deuxième plus grand bâtiment au monde pour sa surface au
sol), les adjudications se font via un système d'enchères
dites « hollandaises », il s'agit d'enchères
inversées, où le prix annoncé au départ est
très élevé puis diminue très rapidement,
jusqu'à ce qu'un acheteur se manifeste33. Ce système
d'Information sur le prix existe depuis plus d'un siècle et à ses
débuts, il n'était pas informatisé. Ce système
permettait la transmission d'une Information fiable, accessible et
tracée.
3 / Les sources d'Information
Les sources d'information sont multiples et diverses mais nous
pouvons les scinder en deux grandes catégories selon un critère
simple : interne ou externe.
32
https://www.francetvinfo.fr/decouverte/au-plus-grand-marche-aux-fleurs-du-monde_872481.html
33 CESSOU S. (31 décembre 2007), Journal
Libération
Interne
- La Comptabilité permet l'enregistrement des flux
financiers de
l'entreprise. Dans la majorité des entreprises, il
s'agit de la source principale du Contrôle de Gestion.
- Les Ressources Humaines doivent garantir un capital humain
suffisant,
qualifié et motivé dans le respect du code du
travail. Elles sont une source d'Information quantitative mais aussi
qualitative. Le Contrôle de Gestion Social se
développe dans les grandes structures. Celui-ci se concentre sur la
performance du personnel de l'entreprise et non sur les autres aspects
(matières premières, machines, ...)34.
- L'Administration des Ventes, ce service regroupe le plus
souvent les
services commerciaux, l'approvisionnement, la distribution et
parfois la facturation. Il est l'intermédiaire entre l'entreprise et le
client. Il dispose de nombreuses données parfois non formalisées
(arrangement verbal avec un client, ...).
- La Production, particulièrement dans le milieu
industriel, les apports de
la Production Assistée par Ordinateur (PAO) ont permis
une collecte d'information toujours croissante. Déjà auparavant,
c'est auprès de la Production que le Contrôleur de Gestion devait
s'informer puisque son objectif initial était une recherche de
productivité industrielle.
- La Maintenance est le service le mieux placé pour
connaître l'état réel
d'obsolescence des machines et estimer au mieux les risques de
pertes de performance liées.
- La Direction est la partie prenante ayant les informations
relatives aux
choix stratégiques ou tactiques qui ont été
réalisés ou qui sont projetés.
Bien que cela semble une évidence, il est obligatoire
de rappeler que le Contrôleur de Gestion doit être en relation avec
tous les services de l'entreprise.
34 MARTORY B. (1999), Contrôle de gestion
Sociale, Vuibert
L'Information est partout et le
Contrôleur de Gestion doit s'assurer de bénéficier du
maximum d'Information pertinentes.
Externe
- Les partenaires de l'entreprise : les clients, les
fournisseurs, les sous-
traitants, les partenaires financiers, ... Toutes ces parties
prenantes bénéficient d'Information sur l'entreprise et bien que
cela demande plus d'énergie, la mise en place d'une remontée
d'information depuis ces partenaires est une source précieuse :
questionnaire de satisfaction, réunion annuelle de point d'étape,
etc. Les commissaires aux comptes y ont recours pour leurs
circularisations35.
- Les institutions publiques et privées : chambres de
commerce,
préfectures, syndicats, organisations non
gouvernementales, associations, ... Ces institutions sont en recherche
permanente de partenariats. Elles mènent des études dont elles
sont prêtes à partager les résultats36.
- Les professionnels de l'information : consultants, bases de
données
payantes, médias, ... Les entreprises de taille
importante ont souvent recours à ces professionnels mais rarement dans
le cadre de leur Contrôle de Gestion.
4 / Les Moyens d'Information
Nous essaierons ici d'avoir une vision plus pragmatique que
celle de SHANNON C. en évoquant les moyens d'Information avec une notion
plus large que celles de canaux d'information.
Au XXIème siècle, l'Entreprise Ressource
Planning (ERP) est devenu le moyen d'Information majeur (et malheureusement
parfois exclusif) du Contrôleur de
35 Arrêté du 22 décembre 2006
publié au Journal Officiel n°302 du 30 décembre 2006,
Normes d'exercice professionnel N°505
36
https://www.cci.fr/web/nos-metiers-nos-missions/nos-services-aux-entreprises/-/article/La+formation
Gestion. Mais avant de nous attarder sur ce média, je
souhaite faire un bref récapitulatif non exhaustif des autres moyens
existants.
La fiche de relevés de mesure à remplir : le
Contrôleur de Gestion ayant identifié une information qui lui
manque et souhaitant disposer de plus d'éléments peut
créer des fiches de relevés sur lesquelles les opérateurs
en charge de l'action viendront noter les valeurs. Par exemple, le nombre de
rebut par jour pour un conducteur de ligne, le nombre de salariés
absents par jour pour maladie pour la responsable paie, le nombre d'heures
d'arrêt machine pour le technicien de maintenance. Cet outil est parfois
mal perçu par les opérateurs car il vient se rajouter au travail
habituel. De plus l'opérateur ne perçoit pas toujours la
finalité de la mesure et prend cela comme une opération de
surveillance et (parfois à raison) comme une mesure de sa
performance.
Les échanges oraux : trop souvent
négligés, les échanges permettent au Contrôleur de
Gestion de comprendre le travail de son interlocuteur, de mieux
apprécier la complexité de certaines interactions. Mais surtout,
cela lui offre l'occasion d'expliquer son action et son intérêt
pour l'entreprise et ainsi espérer une meilleure implication et
coopération de ses collègues. OLIVARES F., ancien Directeur du
Contrôle de Gestion chez LAFARGE, déclarait « Inutile de
passer des journées dans son bureau à s'imaginer des tas de
choses. Pour comprendre, il n'y a que deux choses à faire : voir sur le
terrain ce qui s'y passe véritablement et en parler avec les
opérationnels »37.
Ainsi on arrive au troisième point qui est le constat :
Le Contrôleur de Gestion doit aussi se déplacer sur le terrain et
observer, vérifier que les Informations qui lui parviennent sont
cohérentes avec ses observations. Si l'opérateur déclare
0% de rebut mais que les stocks indiquent une surconsommation de
matières premières alors le Contrôleur de Gestion devra
réaliser des observations in situ.
L'objectif n'est pas de dresser une liste à la
Prévert mais uniquement de pointer qu'avant l'informatisation de tous
les process, le Contrôleur de Gestion disposait déjà de
nombreux outils pour collecter de l'Information.
37 MARTIN.F (2021), Étude Contrôleur
de Gestion, Hudson
Pour conclure sur ce chapitre des moyens d'Information, les
progiciels intégrés ont toute leur place. La Révolution
Informatique des dernières décennies a permis une hausse
exponentielle des capacités de calculs et de stockage pour un coût
décroissant. L'enregistrement toujours plus précis de chaque
tâche, de chaque élément a ouvert des possibilités
vertigineuses pour le Contrôle de Gestion. Une Information toujours plus
fiable car recroisée à plusieurs éléments et une
source garantie (puisque toute saisie dans le système enregistre le
moment exact et l'identité de l'opérateur) et une
accessibilité parfaitement encadrée et continue, l'ensemble de
ces éléments ont radicalement modifié la transmission de
l'Information auprès du Contrôle de Gestion.
Le métier de Contrôleur de Gestion dans les
années 1970, reposait sur la capacité du contrôleur
à produire des analyses et recommandations utiles et pertinentes
à partir d'une Information initiale limitée. Aujourd'hui il
s'agit de faire le tri entre l'utile et le superflu dans ce brouillard
informationnel38.
5 / Information numérique : de la
rareté à l'abondance
MOORE G., un des trois fondateurs d'INTEL édicte une
conjecture en 1965, vulgarisée depuis sous le nom de « Loi de
Moore »39, le doublement tous les deux ans de la
complexité des semi-conducteurs. Pour simplifier, cela équivaut
au doublement des capacités de calculs des processeurs. Cette loi s'est
parfaitement vérifiée entre 1970 et le début des
années 2010.
38 SHENK D. (1997), Data SMOG Surviving the
Information Glut, Harper Collins
39 MOORE G. (1965), Cramming More Components Onto
Integrated Circuits, Electronics, vol. 38,
40
Le doublement des capacités de calculs tous les deux
ans, se traduit par une explosion du nombre d'Information disponible pour le
Contrôleur de Gestion. Ainsi augmentent en parallèle les
données produites et conservées et les capacités de
calculs pour les traiter.
Une étude publiée en 2014 indiquait que le
volume annuel mondial de données produites doublait tous les 2
ans41. L'estimation d'IBM donnait des résultats plus
vertigineux en estimant en 2013 que 90% des datas mondiales avaient
été créées au cours des deux dernières
années42. Cette hausse exponentielle, à la fois de la
quantité d'information disponible et des capacités de traitement
de cette dernière se retrouve souvent sous le terme de
Révolution Informatique.
Le rêve d'automatisation de l'Information est né
avec l'Informatique, un néologisme crée en 1962 par DREYFUS P.
(1925 - 2018), Directeur chez BULL, lors de la création de son
entreprise « Société d'Informatique Appliquée
». L'Informatique a pour origine la contraction de deux mots :
Information et Automatique, mais nous verrons plus loin que ce
néologisme a probablement été emprunté au voisin
germanique.
40 PAPON P. (2017),
La Loi de Moore anticipe l'avenir électronique,
FUTURIBLES N°417
41 Cabinet Mc KINSEY (2014):
Accélérer la mutation numérique des entreprises : un
gisement de croissance et de compétitivité pour la France
42 JACOBSON R. (2013) :
2,5 quintillion bytes of data created every day, IBM
Industry Insight
C / La Révolution Informatique
« Ce ne sont point les hommes qui mènent la
Révolution, c'est la Révolution qui emploie les hommes
»43
Dans ce chapitre, nous verrons dans un premier temps la
définition et surtout la contextualisation historique de la
Révolution Informatique. Nous y détaillerons les
différentes Révolutions des systèmes de production au
cours des derniers siècles en expliquant pourquoi la Révolution
Informatique peut être vue comme la troisième en raison des
bouleversements profonds qu'elle a engendré dans l'organisation des
cycles de production.
Qu'est ce qui a précédé l'informatique
dans les entreprises ? Nous étudierons ce qu'est la mécanographie
et ce qui l'a précédée. Quelles sont les inventions
décisives de l'avènement de l'automatisation. Comment la seconde
guerre mondiale a joué un rôle décisif dans la recherche et
les innovations.
Quel est ce lien, quasi filial entre la mécanographie
et l'Informatique ? Comment l'Informatique s'est-elle répandue au sein
des entreprises puis dans tous les domaines de la vie courante ? À
partir d'exemples concrets nous essaierons de visualiser les progrès de
l'Informatique au cours de cette période.
43 De MAISTRE J.
(1753-1821)
1 / Définition et
contextualisation
L'Histoire a nommé « Révolution
Agricole » la modification profonde des systèmes de
production agraire (bien que certains spécialistes la divise en six
phases distinctes et une septième à venir44). La
Révolution Agricole du XVIIIème siècle est la plus
marquante car c'est celle qui permet l'avènement de la «
Révolution Industrielle » et fait basculer les fondements
de l'économie de l'agriculture vers l'industrie.
La concomitance de plusieurs découvertes majeures
(machine à vapeur, métier à tisser, progrès en
métallurgie, engrais ...) engendre le début de l'exode rural et
draine une main d'oeuvre abondante dans les centres urbains. Les
manières de produire évoluent si radicalement en une cinquantaine
d'année, que ce phénomène sera nommé en 1937 par
BLANQUI A. (1798-1854), économiste français, la «
Révolution Industrielle »45.
L'artisanat et l'agricole s'effacent au profit de l'industrie et du
commercial.
La Révolution Industrielle initiée au
XVIIIème siècle en Angleterre, connait une seconde phase
à partir de 1870. Selon SCHUMPETER J. (1883-1950),
économiste étatsunien, on voit apparaitre des « grappes
d'innovations »46. Des découvertes en
entraînent d'autres et ainsi de suite. Chaque domaine
bénéficie des progrès des autres. À cette
période les énergies disponibles et maitrisées croissent
(gaz, électricité, pétrole, charbon, ...), les
progrès en chimie sont conséquents, l'automobile fait son
apparition, les grandes usines sur le modèle tayloriste se
développent.
La Révolution Agricole a été beaucoup
étudiée, analysée et documentée et il en va de
même de la Révolution Industrielle dans les deux phases distinctes
qu'elle a connues. Dans les deux cas le terme de Révolution fut
employé pour décrire le changement profond et radical de
production. Le déversement intersectoriel des
44 GRIFFON M. (2013), Vers une septième
révolution agricole, Revue Projet, no 332
45 BLANQUI A. (1937), Histoire d'économie
politique en Europe, depuis les anciens jusqu'à nos jours,
Guillaumin
46 SCHUMPETER J. (1911), Théorie de
l'évolution économique : recherches sur le profit, le
crédit, l'intérêt et le cycle de la conjoncture,
Dalloz
travailleurs y est clairement établi. En revanche, le
passage d'un modèle de production basé sur l'Industrie aux
modèles économiques actuels basés sur les activités
de services fait moins consensus. Pourtant personne ne remet en question la
véracité des bouleversements des méthodes de production
depuis la fin de la seconde guerre mondiale, de même que le basculement
d'économies basées sur l'industrie vers des économies de
services. Cette période est pourtant assimilable à une «
Révolution Informatique », comme le
précise CARON F. (1931-2014), Historien économique, lorsqu'il
écrit « Depuis le XVIIIe siècle, l'Occident vit au
rythme des avancées technologiques : mécanisation,
industrialisation et révolution informatique » 47
Si nous devions identifier une troisième
révolution dans les systèmes de production, ce serait celle qui a
vu l'Informatique se rependre à toutes les strates de la production.
Nous pouvons situer son apparition vers les années 1960 - 1970.
L'électronique via les transistors et microprocesseurs mais surtout
leurs miniaturisations offrent de nouvelles potentialités.
L'automatisation du processus de fabrication s'accroît. Les tâches
les plus répétitives sont robotisées.
Il ne serait pas équitable de ne pas souligner que
certains penseurs ne considèrent pas le développement de
l'Informatique comme une révolution économique. En 1987, le prix
Nobel d'économie SOLOW R. déclarait : « Nous voyons des
ordinateurs partout, sauf dans les statistiques liées à la
productivité »48.
De nombreux ouvrages parlent d'une «
Quatrième révolution Industrielle
»49 qui serait une révolution
numérique. Bien qu'elle ne soit pas notre sujet d'étude, elle
ouvre de très nombreuses questions sur les futures méthodes de
production mais elle confirme surtout l'existence de cette troisième
révolution qu'est l'Informatique.
Si nous devions retenir un fait générateur de la
« Révolution Informatique » ce serait la
création par Intel en 1971 du microprocesseur. Les progrès des
télécommunications ont permis une nouvelle organisation moins
verticale de la production. La sous-traitance et la délocalisation
prennent leur essor dans ce contexte. Ainsi elle a accompagné le
phénomène de mondialisation dans un premier temps puis de
globalisation à terme. CUILLERAI M., philosophe et directrice du
laboratoire de
47 CARON F. (1997), Les deux révolutions
industrielles du XXème siècle, Albin Michel
48 MICHEL D. (2003), Le Paradoxe de Solow,
journal L'EXPRESS L'ENTRPRISE
49 SCHWAB K. (2017), La quatrième
révolution Industrielle, Dunod
changement social et politique écrit : « La
révolution de l'informatique est au coeur d'un processus que le terme
américain de «globalisation», (...) rend plus explicite, et
par là même plus réducteur que la traduction et l'usage
faits en français du terme mondialisation »50
Cette informatisation ne s'est pas limitée aux acteurs
de la production des biens et services, elle s'est
généralisée chez les particuliers également. IBM
lance en 1980 le premier ordinateur individuel. Les ordinateurs d'aujourd'hui
fonctionnent sur le même modèle que les ordinateurs des
années 1980. Les principaux changements sont une diminution de leur
taille, une hausse extraordinaire de leur puissance de calcul, une augmentation
de leur capacité de stockage et une réduction de leur coût.
Nous sommes donc aujourd'hui toujours dans cette même phase.
2 / Histoire pré
mécanographique
En 1957, STEINBUCH K. (1917 - 2005), ingénieur
allemand, est le premier à utiliser le terme « Informatik »
lors des cours qu'il donne51. Le terme est repris en français
par Philippe DREYFUS en 1962 lors de la fondation de la «
Société d'Informatique Appliquée »et la
paternité lui sera conservée en France.
Mais bien que le terme soit apparu au début de la
seconde moitié du XXème siècle, son apparition historique
réelle peut être considérée comme plus ancienne. En
recherche fondamentale, le développement informatique est lié aux
algorithmes mathématiques. Le mathématicien AL-KHWARIZMI
(env 780 - env 850) (dont la latinisation du nom donnera
le mot « algorithme »), en pose les bases et
définitions52. Un algorithme est une suite finie et
ordonnée d'opérations ou d'instructions non ambiguës
permettant de résoudre un type de problème. Par exemple le
Rubik's Cube est solutionnable par un algorithme. Il suffit de suivre une suite
d'opérations préétablies
50 CUILLERAI M. (2001), Mondialisation, Le
Télémaque N°19
51 STEINBUCH K (1957) : Informatik: Automatische
Informationsverarbeitung Berlin: SEG-Nachrichten
52 ALLARD A. (1992) : Muhammad ibn
Mûsâ al-Khwârizmî, Le calcul indien (algorismus).
Histoire des textes, édition critique, traduction et commentaire,
Blanchard
et cela sans tenir compte de la position de départ du
cube. Les résultats affichés par Google lors d'une recherche sont
le résultat d'un algorithme appelé PageRank53.
Les ordinateurs ne sont en réalité que de
gigantesques machines à calculer qui réalisent des
opérations préprogrammées par des algorithmes. L'histoire
de l'Informatique s'apparente donc à l'histoire du calcul. Nous ne
remonterons pas jusqu'aux cailloux grecs mais certaines inventions ont toute
leur place ici.
La réalisation d'automates ou de systèmes
artificiels autonomes qui s'animent n'est pas récent. Dès le
XVIème siècle, DE VINCI L. (1452 -1519) s'y essaie avec un
chevalier et un lion5455. Mais l'invention qui est le plus souvent
citée est la Pascaline. En 1645, PASCAL B (1623 - 1662),
mathématicien et philosophe, alors âgé de 22 ans seulement,
présente sa « Machine d'Arithmétique » qui
réalise mécaniquement des additions, des soustractions et des
multiplications.
Autre réalisation majeure, le ruban perforé
(ancêtre de la carte perforée) mis au point par BOUCHON
B. (inconnue - inconnue) en 1725 pour le métier
à tisser. Ce ruban perforé permet de donner des instructions
à l'appareil qui adapte son processus en fonction des informations
contenues sur le ruban. L'usage encore actuel le plus connu du grand public de
cette invention sont les orgues de barbaries. La carte perforée fait
jouer une note à l'appareil. Les cartes perforées permettent la
reconstitution des mélodies. Nous avons ici les bases de la
programmation. L'humain n'apportant dans ce cas que l'énergie avec ses
mouvements de bras et le rythme de la mélodie en fonction de sa vitesse
d'exécution.
L'invention majeure qui en découlera est le «
Métier à tisser » de JACQUARD JM. (1752 - 1834),
inventeur français, en 1801. La machine utilise des cartes
perforées dont les trous renseignent sur le motif de tissage à
réaliser (fleur, feuille, ...). Il s'agit de la première machine
programmable car les possibilités de la machine changent lorsque l'on
modifie son programme (la carte perforée dans ce cas).
Dès le XVIIIème siècle, entre les besoins
en tables trigonométriques et logarithmiques qui ne cessent de
croître (Cadastre, Artillerie, Astronomie, Navigation,
53 BRIN S. et PAGE L. (1998)
: The anatomy of a large-scale hypertextual Web search
engine, Stanford University
54 DE VINCI L. (1503 - 1505),
Codex Madrid
55 DE VINCI L. (1478 - 1518),
Codex Atlanticus
...) et l'essor des mathématiques savantes (calculs
d'intégrales, calculs différentiels, ...), des problèmes
de ressources pour la réalisation des nombreux calculs se posent. Les
multiplications et les divisions sont rendues extrêmement difficiles par
les systèmes non décimaux utilisés à travers
l'Europe (pieds, pintes, coudées, ...).
BABBAGE C. (1791-1871), est un mathématicien anglais
souvent considéré comme le père de l'Informatique. En 1819
il rend visite au Baron de Prony à Paris et est surpris par l'ampleur
des opérations répétitives nécessaires à la
réalisation des tables et surtout les erreurs qu'elles
comprennent56. Il a alors l'idée de créer une «
Machine à calculer » qui effectuerait automatiquement ces
calculs. En 1820, il conçoit sa « Machine à
différence » qui est une machine à calculer en
fonctions des différences finies. Son idée géniale est
d'avoir associer la « Pascaline » et les cartes perforées des
machines à tisser (Jacquard)57. Cette machine
permettait de calculer et imprimer des tables nautiques, mathématiques
et astronomiques précises et fiables.
3 / Mécanographie
Le Larousse définit la mécanographie comme une
« Méthode de dépouillement, de tri ou
d'établissement de documents administratifs, comptables ou commerciaux,
fondée sur l'utilisation de machines traitant mécaniquement des
cartes perforées ». La mécanographie à cartes
perforées s'est développée de 1890 à 1960, elle
peut être considérée comme l'ancêtre direct de
l'Informatique58. L'élément de différenciation
majeur tient au fait que la mécanographie est basée sur la
mécanique ou l'électromécanique, c'est le
déplacement de pièces (comme les pistons dans un moteur de
voiture) qui permet d'obtenir un résultat (une poussée
ou une traction). L'informatique se base sur l'électronique.
56 DURAND-RICHARD MJ.
(2010), Le regard français de Charles Babbage (1791-1871)
sur le « déclin de la science en Angleterre », Document
pour l'Histoire des Techniques
57 LIGONNIÈRE R
(1987), Préhistoire et histoire des ordinateurs
- Laffont
58 POULAIN P. (1968),
Éléments fondamentaux de l'Informatique -
Équipements mécanographique à cartes perforées,
Dunod
L'année 1890 est souvent retenue comme début de
la mécanographie à carte perforée car elle fut
utilisée pour la première fois à grande échelle
pour le recensement des étatsuniens59. HOLLERITH H. (1860 -
1929) créa un système de traitement de cartes perforées
qui permettait d'accélérer de manière très
significative le dépouillement des résultats. Ces
premières machines furent appelées des « Machines
à statistiques », puis des « Tabulatrices
».
Au début du XXème siècle, ces machines se
développent et connaissent de nouvelles applications. Facturations,
payes, gestions de stocks, comptabilité, tenue de comptes bancaires, ...
A partir des années 1920 ces machines sont reliées à des
imprimantes, il n'est plus nécessaire de noter les résultats
à la main.
La perforation des cartes auparavant manuelle, s'automatise
également avec un système qui relie des claviers à des
perforatrices automatiques. Il ne faut pas sous-estimer la
pénibilité de l'utilisation de ces machines (bruit, poids,
pannes, ...). Leur usage est long et pénible.
La mécanographie arrive au même moment que
l'organisation scientifique du travail et ce n'est pas un hasard. La machine a
rencontré un réel succès dans un premier temps dans les
sociétés d'assurances (car elles sont des grandes
consommatrices de calcul pour l'actuariat) puis progressivement, par
l'ensemble des industries. Les entreprises grossissent et les besoins en
calculs pour le suivi des stocks, des maintenances augmentent. La
mécanographie répond à ce besoin.
En plus des limites de la mécanographie
évoquées plus haut, l'un des principaux défauts de ce
système est dans la nature même de son fonctionnement, à
savoir le traitement par cartes perforées. La machine ne peut
pas « mémoriser » le résultat de la
précédente carte, pour l'utiliser sur la suivante. L'apparition
des bandes magnétiques palliera partiellement ce défaut.
La filiation entre la mécanographie et l'informatique
est confirmée par l'évolution des plus grosses
sociétés de mécanographie. Aux États-Unis, la
société HOLLERITH leader des mécanographes devient en 1924
IBM. Le premier constructeur européen est norvégien et s'appelle
BULL.60
59 POUGET A. (2013), Le Grand Livre des Pourquoi,
Cherche Midi
60 ROCHAIN S. (2016), De la mécanographie
à l'informatique, 50 ans d'évolution, Istes
Les pièces mécaniques en mouvement
nécessitent des entretiens et réparations fréquentes, les
mécanographes sont volumineux. Des progrès sont
réalisés sur leur miniaturisation mais elle touche vite sa
limite. Une brève a parte, pour souligner que les
nanotechnologies relancent la mécanographie au point que certains
évoquent une « Révolution Nanotechnologique
»61
TURING A. (1912 - 1954), mathématicien et cryptologue
britannique, célèbre pour avoir permis de casser le code
d'ENIGMA, publie en 1936 un article majeur dans l'histoire de la science
informatique. Il jette les bases de l'ordinateur programmable et de la
programmation, sa « Machine de Turing » a le potentiel pour
être le premier calculateur universel programmable62.
4 / L'informatique comme post
mécanographie.
En 1946, ENIAC (Electronic Numerical Integrator And
Computer) est le premier ordinateur au monde car il ne contient pas de
pièces mécaniques. Il est installé sur 160 mètres
carrés à l'université de Pennsylvanie, pèse 30
tonnes et est capable de calculer 5 000 additions par secondes63. La
recherche sur les ordinateurs a fait de grand progrès lors de la seconde
guerre mondiale en raison de la course à l'armement et des besoins en
calculs. Ceux-ci se poursuivront avec la guerre froide car la course à
l'armement est une course à la technologie et ces domaines
nécessitent toujours plus de calculs (trajectoires de missiles
balistiques, etc)64.
En 1958, KILBY J. (1923 - 2005), employé chez Texas
Instrument, crée le premier circuit intégré (composant
qui permet d'effectuer plusieurs opérations complexes à partir
d'un petit support de silicium). Cette invention lui vaudra un prix Nobel
de Physique en 200065. L'invention du Modem est plus ardue à
dater car son usage fut d'abord militaire et tenu secret dans les années
1950 par la US ARMY. Un
61 JUPILLE J. et KHALATBARI A. (2018), La
Nanorévolution, QUAE
62 TURING A. (1937), On Computable Numbers,
with an Application to the Entscheidungsproblem, London Mathematical
Society
63 Mc CARTNEY S. (2001), ENIAC: The
Triumphs and Tragedies of the World's First Computer, Berkley Publishing
Group
64
http://www.feb-patrimoine.com/histoire/english/information_technology/information_technology_2.htm
65
https://www.nouvelobs.com/monde/20001010.OBS8065/les-prix-nobel-de-physique-et-chimie-2000.html
Modem transforme un signal numérique binaire (donc
d'ordinateur) en un signal analogique (et inversement),
d'où son nom de modulateur - démodulateur. Le logo de VAIO, la
marque d'ordinateurs portables est d'ailleurs un merveilleux hommage à
ce passage de l'analogique au numérique. Ce sont les inventions du modem
et du circuit intégré qui permettront l'apparition d'Internet
quelques décennies après.
En 1959, IBM met sur le marché un « electronic
computer » qui assure les fonctions de tabulatrice, trieuse,
interclasseuse, ... Alors qu'auparavant il fallait autant de
mécanographes que de tâches.
Dans les années 1960, la miniaturisation et le
développement des langages de programmation permettent de nouvelles
applications et surtout la réduction des coûts. L'ordinateur
devient plus accessible, les entreprises vont donc en acheter toujours plus et
son usage va se diversifier.
Dans les années 1970 apparaît le vidéo
ludisme. Pour la seconde fois, l'Informatique n'est pas uniquement
considérée comme un outil de production, elle est vue comme une
source de distraction. La première fois, ce fut dans le domaine de l'art
avec Vera MOLNAR qui réalise les premières oeuvres à
partir d'ordinateurs. Le jeu PONG est commercialisé en 1972 par Alan
ALCORN
Les années 1980 voient l'apparition de la bureautique.
Des employés non informaticiens commencent à utiliser des
ordinateurs pour effectuer les mêmes tâches qu'auparavant. La
machine à écrire tend à disparaître,
remplacée par des logiciels de traitement de texte qui bouleversent le
secrétariat et permettent des gains de temps conséquents. Il est
désormais possible pour un devis de ne modifier que quelques
éléments de la trame de base. Le tableur fait gagner en temps et
en fiabilité dans les cabinets comptables. Les gains et apports sur
cette période sont trop nombreux pour pouvoir être tous
détaillés : l'impression, la souris, l'interconnexion, les
sauvegardes de données, ...
Ces bouleversements en quelques décennies accompagnent
parfaitement le passage d'économies industrielles basées sur la
production de biens à des économies de services basées sur
la production de services.
En un demi-siècle, les entreprises ont toutes eu
l'obligation d'embrasser la Révolution Informatique pour survivre. Cela
leur a permis d'optimiser leurs processus,
de rationaliser leurs organisations, de fiabiliser leurs
données et leur traitement. L'Information est devenue moins
coûteuse à collecter, à stocker, à analyser et plus
facilement traçable. Des postes de Direction des Services Informatiques
se sont créés.
Afin de mieux appréhender cette évolution, voici
quelques chiffres que j'ai souhaité retenir afin de comprendre le
bouleversement profond induit par l'Informatique :
- Il faut environ 5 minutes à un étudiant pour
faire à la main une multiplication de deux termes à 10 chiffres.
Il faut un milliardième de seconde à un ordinateur.
- Une recherche informatique sur Google prend en moyenne un
demi seconde et nécessite autant de calculs que l'ensemble des
opérations nécessaires aux missions Apollo sur les 11
années du programme.
- Le transistor inventé dans les laboratoires de BELL
en 1947 faisait la taille d'une ampoule (et leur valut un prix Nobel de
physique en 1956). Aujourd'hui, les transistors les plus petits au monde
font 7 nanomètres (7x10-9 mètres).
- En 1890, on pouvait stocker 80 bits (unités
d'informations) sur une carte perforée, en 1928 la bande
magnétique permettait le stockage de 400 bits, en 1970 800 bits sur un
disque souple de la taille d'une pizza, en 1980 sur les grandes disquettes 9600
bits, en 1990 le compact disc 4 800 000 bits, en 2000 une clé USB permet
le stockage de 256 millions de bits, en 2017 les disques durs externes
permettent de stocker 8 000 milliards de bits.
Parler d'ordinateurs n'a presque plus de sens aujourd'hui
sachant qu'un téléphone portable à plus de puissance de
calculs et de capacité de stockage qu'un ordinateur d'il y a 10 ans.
Dans l'entreprise, les salariés se connectent via des interfaces mais
les calculs et le stockage sont réalisés sur des serveurs qui
peuvent être à des milliers de kilomètres de
l'utilisateur.
Mais la Révolution Informatique semble marquer le pas.
La loi de Moore n'est plus respectée depuis le début des
années 2010, les investissements pour
augmenter les capacités de calculs sont trop importants
pour le gain espéré. Les entreprises ont suivi cette
Révolution en adaptant toutes leurs chaînes de fonctionnement. Les
ERP ont pris une place centrale. On peut néanmoins s'interroger sur les
futures évolutions informatiques à venir.
5 / Quel avenir pour l'Informatique ?
La Révolution Numérique et celle des moyens de
communication est en cours mais la prochaine révolution ne serait-elle
pas celle de l'Intelligence Artificielle comme le pense certains
auteurs66 ?
Le Larousse définit l'Intelligence Artificielle par
« l'ensemble de théories et de techniques mises en oeuvre en
vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine
».
Son aboutissement peut paraître illusoire mais force est
de constater les progrès réalisés. L'idée de cette
section n'est pas de débattre des idées de TURING A. sur les
possibilités de conscience de la machine mais de se concentrer sur la
possibilité pour un système d'apprendre par lui-même et
donc de pouvoir à terme mener un raisonnement non programmé.
Ainsi dans son rapport de 2019 intitulé Intelligence Artificielle -
État de l'Art et perspectives pour la France, le
PIPAME67 écrit que l'Intelligence Artificielle a trois
catégories de tâches cognitives à reproduire pour
être considérée comme telle :
1 Perception de l'environnement
2 Compréhension de la situation
3 Prise de décision par l'Intelligence Artificielle.
Des faits marquants de l'actualité plus ou moins
récente viennent forcément à l'esprit : Deep Blue bat
Kasparov aux échecs en 1997 (bien que nous ne soyons pas
66 SELLE G. (2019),
Intelligence Artificielle : L'ultime Révolution vers la
prospérité ou l'extinction,
Indépendant
67 Pôle Interministériel de
Prospective et d'Anticipation des Mutations Économiques
dans un cas d'intelligence artificielle), la victoire
d'Alpha go sur Ke Jie au jeu de Go en 2017 et le succès de Libratus au
Poker.68 En janvier 2018 un logiciel développé par
Alibaba et Microsoft a réussi la performance de battre des humains dans
une compréhension de texte69.
Sans vouloir rentrer dans les débats liés
à la faisabilité, le Contrôle de Gestion ne pourra pas
faire l'impasse de la réflexion sur cet apport pour l'entreprise et la
manière d'intégrer ces nouvelles technologies dans son
organisation.
Après cette phase descriptive du Contrôle de
Gestion, de l'Information et de la Révolution Informatique,
concentrons-nous sur les impacts de la Révolution Informatique sur le
Contrôle de Gestion.
68 PLASSE F. (2019), Après deep Blue et
Alpha Go, Google repousse les frontières de l'Intelligence
Artificielle, HBR France
69 FENNER R (2018), Alibaba's AI outguns Humans in
reading test, Bloomberg
Partie II : Les impacts de la
Révolution Informatique sur le Contrôle de gestion
« Les ordinateurs sont inutiles.
Ils ne savent que donner des réponses
»70
La Révolution Informatique de la seconde moitié
du XXème siècle a profondément impacté les
entreprises dans leur organisation et leur processus de fabrication. Le
métier de Contrôleur de Gestion nouvellement apparu n'a eu
d'autres choix que de s'adapter.
Nous essaierons d'éclairer plusieurs interrogations.
Quel fut l'impact général de la Révolution Informatique
sur les entreprises et leurs organisations ? Quels furent les emplois les plus
impactés ?
Dans un deuxième chapitre, nous listerons les impacts
positifs de cette Révolution Informatique sur les métiers du
Contrôle de Gestion en distinguant les impacts sur l'Information, sa
collecte et son traitement.
Ensuite, nous nous attarderons sur le revers de la
médaille et analyserons les impacts négatifs de la
Révolution Informatique sur le Contrôle de Gestion. Quels sont les
risques et les menaces liés à l'Informatique ? Sont-ils tous
maîtrisables ?
Enfin dans un dernier chapitre, nous envisagerons l'avenir du
métier face aux autres Révolutions à venir. Nous nous
interrogerons sur la place du Contrôleur de Gestion dans les nouvelles
organisations de travail, sur sa fonction, son rôle et son devenir.
70 PICASSO P (1881 - 1973)
A / Les Impacts de la Révolution Informatique
sur les entreprises
« Les gagnants seront ceux qui restructurent la
manière dont l'information circule dans leur entreprise
»71
La seconde moitié du XXème siècle
voit la Révolution Information naître en même temps
que les besoins de reconstruction de l'Europe génèrent une
demande mondiale largement supérieure à l'offre.
La vision schumpetérienne de la « destruction
créatrice » peut être vue par le prisme des
métiers qui ont disparu et de ceux qui sont apparus. Bien que de tout
temps des métiers aient disparu, cette tendance s'est accentuée
pendant cette période. Plusieurs données chiffrées
appuient cette transformation et c'est à ce moment que le métier
de Contrôleur de Gestion se développe et se répand.
Les entreprises se réorganisent grâce à
l'Informatique, elles adaptent leur process organisationnel. Nous insisterons
sur le MRP (Management Ressource Planning) et son essor grâce
aux progiciels de gestion intégrés.
Dans un troisième temps nous nous s'attarderons sur
l'accélération des apparitions d'innovations disruptives et la
difficulté pour les entreprises de s'adapter à ce
perpétuel changement.
Enfin nous verrons en quoi l'essor de l'informatique a permis
la mise en place de nouveaux types d'organisations comme le Toyotisme, le
Kanban, ...
71 HENRY W., dit GATES B. (1955 - )
1 / Disparition d'anciens métiers et apparition de
nouveaux
SCHUMPETER J. (1883 - 1950), économiste autrichien
naturalisé étatsunien, popularise la définition des
processus économiques comme une « destruction créatrice
»72 pour définir la croissance. Dans cette vision,
l'innovation permet à de nouveaux acteurs de s'imposer au
détriment d'anciens qui disparaissent. Ainsi l'innovation va
entraîner la disparation de certains acteurs et l'apparition de nouveaux
et une analogie est possible avec les métiers.
NINTENDO développe dans les années 1990 en
partenariat avec SONY des consoles avec un support sur CD pour remplacer ses
habituelles cartouches de jeu. Après quelques années de recherche
et développement, NINTENDO décide de se retirer du projet. SONY
continue seul et sort la Playstation. SONY devient le numéro 1 mondial
des jeux-vidéos. KODAK a fait faillite en 2012 car elle n'a pas voulu
voir venir la fin de l'argentique alors qu'elle possédait la
majorité des brevets sur le numérique à la fin du
XXème siècle. BLACKBERRY et les claviers physiques, NOKIA et son
système d'exploitation « Symbian », ... La liste des
entreprises ayant disparu ou raté la marche du progrès est sans
fin.
Il en va de même pour les métiers. Les
télégraphistes, les réveilleurs, les allumeurs de
réverbères, les poinçonneurs, les livreurs de lait, les
gardiens de phare, les cochers, ... sont autant d'exemples de ce
phénomène. Ces cas prêtent souvent à sourire mais
des métiers plus contemporains sont en train de disparaitre ou de se
transformer. Il y a 40 ans tous les médecins avaient leur
secrétaire médicale. Aujourd'hui, les cabinets sous-traitent la
prise de rendez-vous. Les cochers ont été remplacés par
les taxis, les taxis sont peut-être en train de disparaître au
profit des VTC (véhicule de tourisme avec Chauffeur), qui seront
eux-mêmes substitués par des véhicules autonomes.
La disparition de chacun de ces métiers est liée
à une innovation : électrification, automobile, distribution et
consommation de masse, ... Si la liste des
72 SCHUMPETER J., (1942), « Capitalisme,
Socialisme et Démocratie », Harper Perrenial
métiers qui ont disparu ou sont menacés de
disparition est aisée à établir et ne souffre que de peu
de contestation73, la liste des métiers qui demeureront et
surtout ceux qui se développeront ou apparaîtront est plus
difficile à énoncer.
Selon le classement de juin 2019 établi par PIPLER
YATEDO74, les trois métiers les plus en tensions (offres
d'emploi très supérieures au nombre de candidats) sont :
1 Data Analyste
2 Ingénieur en cybersécurité
3 Développeur Web
Il est mal aisé à la suite de ce résultat
de remettre en cause la profonde mutation dans le marché de l'emploi des
nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).
LA DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des
Études et des Statistiques) chiffre à 150 000 le nombre de
départs à la retraite qui seront remplacés entre 2012 et
2022 pour les cadres administratifs, comptables et financiers et 110 000 la
création nette supplémentaire dans ce
secteur75.
Le Contrôle de Gestion s'inscrira dans la même
évolution. Les exigences en maitrise de l'Informatique vont croissantes.
Il se peut aussi que les entreprises privilégient les fonctions
d'encadrement à l'avenir dans leur service de Contrôle de Gestion,
le Contrôleur pouvant être amené à manager les data
analystes.
La concurrence toujours plus exacerbée et les
environnements changeants poussent progressivement les entreprises à
recruter des profils plus diplômés, mieux formés pour
s'adapter. L'utilisation des nouveaux outils de l'Information n'est plus
perçue comme un avantage concurrentiel mais comme un impératif,
un « must have ».
73GRANIER R. (2000), Les Métiers disparus,
Sud Ouest
74
https://www.hr-voice.com/communiques-presse/barometre-pipler-yatedo-les-profils-penuriques-en-france/2019/06/05/
75 ARGOUARC'H J (2015), Les métiers en
2022, Synthèse.Stats, DARES N°11
2 / De nouvelles manières de
produire - MRP
À l'issue de la seconde guerre mondiale, les besoins de
reconstruction de l'Europe financés par le plan MARSHAL permettent aux
entreprises de se baser sur un modèle simple : Demande >
Offre76. Ainsi il suffit de produire toujours plus pour
croître. La concurrence ne se fait pas sur les prix mais sur la
quantité. Ce modèle bénéficie pleinement de
l'organisation Tayloriste.
L'apparition de l'Informatique couplée à cette
demande mondiale en biens supérieure à l'offre, amène
à l'avènement du MRP. Au milieu des années 1960 aux
États-Unis, le « Materials Ressources Planning » que
l'on peut traduire par « Planification des Ressources de Production
» permet d'optimiser la planification de la production en fonction
des ressources disponibles (main d'oeuvre, matières premières,
temps machine, ...). Le MRP est considéré comme le
précurseur des ERP (« Entreprise Ressource Planning ») traduit
en français par Progiciel de Gestion Intégré. Si nous
devions simplifier, le MRP serait un module de l'ERP, le module Production.
L'Informatique a permis l'essor du MRP en raison de la taille
toujours grandissante des usines et des groupes. La demande mondiale
augmentant, les entreprises nord-américaines exportent plus et
grossissent. Leur gestion et la planification de leur production
nécessitent toujours plus de moyens. L'informatique a apporté une
solution nouvelle et efficace. Prenons l'exemple d'une entreprise qui fabrique
100 produits différents à base d'acier à travers 23 usines
dans 12 états différents des États-Unis. Cette entreprise
achète son acier. Pour connaître ses besoins, il fallait avant
l'arrivée de l'informatique compiler manuellement dans chaque usine,
puis transmettre au siège les quantités d'acier consommées
afin que le siège puisse passer les commandes et
réapprovisionner. Le nombre d'interventions humaines sur le processus de
réapprovisionnement étant important, le risque d'erreur
76 (1993), Le
Plan MARSHALL et le relèvement économique de l'Europe,
Comité pour l'histoire économique
augmentait. Au début des années 70, grâce
à l'informatique et au MRP, les calculs de besoin s'automatisent. Les
gains de productivité et d'efficacité augmentent.
La concomitance de cette optimisation de la production avec le
développement du métier de Contrôleur de Gestion n'est pas
fortuite. Comme nous l'avons vu dans la partie I, c'est la base du
métier de Contrôleur de Gestion de s'assurer de cette
optimisation. Pendant cette période, c'est l'output
(la production) qui est optimisé en
fonction des ressources disponibles.
3 / Accélération des
innovations
La conjecture de Moore s'est avérée exacte
durant toute la deuxième moitié du XXème siècle.
Les capacités de calcul des ordinateurs augmentent et leurs coûts
diminuent. Les programmes informatiques se diversifient et les innovations
associées s'accélèrent. Un des cas les plus
représentatifs du paradigme technologique mouvant et changeant dans
lequel se retrouvent les entreprises aujourd'hui est celui de DOW CHEMICAL
COMPANY.
DOW CHEMICAL COMPANY est un acteur mondial majeur de la chimie
avec 65 milliards de dollars de chiffre d'affaires. En 2007 il commence
l'implémentation de SAP comme progiciel intégré. SAP est
un progiciel majeur connu et reconnu. L'implémentation a pris 8 ans,
couté 500 millions de dollars et finalement a été
abandonné en 2015 car ne correspondait plus aux nouveaux besoins de
l'entreprise qui venait de fusionner.
Les entreprises ont réussi à s'adapter aux
évolutions informatiques du XXème siècle par obligation de
survie. Le temps semble s'être accéléré. Les
avantages acquis autrefois pouvaient se révéler durables et
défendables77. Cela semble de moins en moins vrai. En 2004,
le GPS (Global Positionning System) est commercialisé pour la
première fois au grand public par la société TomTom GO. Il
s'en vend 300 000 exemplaires aux États-Unis en 2004, 3 millions en
2006. Début 2010, la fonction GPS est intégrée dans les
voitures et dans les smartphones. Les ventes de
77 PORTER M. (1985), L'Avantage Concurrentiel,
Dunod
GPS indépendant (non intégré à
un autre dispositif) s'effondrent, les acteurs sont obligés de se
diversifier : Garmin vend plus de montres aujourd'hui que de GPS. Le
cycle de vie du GPS autonome fut de moins de 10 ans.
Les exemples sont nombreux, baladeur MP3, achat de musique en
ligne, abonnement télévisuel, ... Cette
accélération du temps représente un risque de survie pour
les entreprises et rendent plus aléatoires les gains liés
à la recherche et développement et aux investissements. Elles se
sont donc adaptées à ces changements jusque dans leur process de
production
4 / Toyotisme et Kanban
L'inspiration nippone dans l'organisation du travail remonte
au milieu des années 1960. La volonté permanente d'optimisation
pousse les entreprises à créer des systèmes limitant au
maximum les gâchis78. Nous pouvons citer en vrac :
- Le 5S : Seiri, Seiton, Seiso, Seiketsu et
Shitsuke traduisible en français par Débarrasser,
Ranger, Nettoyer, Standardiser et Progresser.
- Le Toyotisme (diminution au minimum des stocks,
amélioration continue, réduction des gaspillages, ...).
- Le Juste à temps (flux tendus, zéro délai,
...).
- Le Kaizen (amélioration continue, ...).
- Le Kanban (limitation de la production du poste amont par la
demande du poste aval) : système de flux tiré.
Toutes ces organisations de travail d'origine nippone se
déploient à travers le monde. L'adoption de ce modèle
s'explique par le basculement d'une situation économique où la
demande était supérieure à l'offre à une situation
où la demande devient inférieure à l'offre. Les
entreprises doivent désormais produire au plus juste pour être
efficientes. Produire ne signifie plus vendre. C'est désormais
l'input qui est optimisé pour un output fixé
initialement.
78 NEUVILLE JP. (1997), Le modèle japonais
à l'épreuve des faits, Economica
Deux éléments majeurs se sont rencontrés
après la seconde guerre mondiale. Le développement de
l'Informatique et le basculement du rapport entre l'offre et la demande. Cela a
conduit les entreprises à entamer une course à l'efficience pour
survivre à une compétition qui s'internationalisait.
Les métiers du Contrôle de Gestion sont
exactement à leur place dans ce système. Ils doivent permettre la
transmission rapide d'une Information pertinente et utile pour permettre la
prise de décision adéquate à la
compétitivité de l'entreprise. Les ERP sont devenus
l'outil indispensable au Contrôle de Gestion et à la
compétitivité des entreprises.
B / Les effets positifs
« La Révolution Informatique fait gagner un
temps fou aux hommes, mais ils le passent avec leur ordinateur
»79
Nous pouvons cataloguer les impacts positifs de la
Révolution Informatique sur le Contrôle de Gestion
spécifiquement, en deux catégories : les impacts sur
l'Information et ceux sur l'aide à la décision.
Les impacts sur l'Information sont nombreux et divers, nous
leur consacrerons donc exceptionnellement des sous-sections. Pourquoi les
entreprises ont-elles favorisé une telle hausse de la quantité
d'informations ? Quelles furent les impacts de cette nouvelle
immédiateté de la disponibilité de l'Information pour le
Contrôleur de Gestion ? L'exhaustivité de l'automatisation de
l'Information représente-t-elle un atout ? Quelle fiabilité le
Contrôleur de Gestion peut-il accorder à cette automatisation de
la production d'Information.
Les impacts sur l'aide à la décision seront
étudiés en deux sous-sections. La première essaiera
d'expliquer comment le traitement de l'Information est devenu plus aisé
grâce à l'Informatique et a permis un traitement informationnel
plus simple. La seconde tentera de comprendre comment les meilleures analyses
permises par la Révolution Informatique permettent de prendre de
meilleures décisions pour les managers.
79 ASSALA K. (2011), Les influences culturelles de
l'entrepreneuriat, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion
1 / Les impacts positifs sur la
production d'Information
A / Une production toujours plus abondante
Les logiciels informatiques se sont d'abord
développés autour de l'aide à la production et à la
gestion des matières premières (stocks,
réapprovisionnement, ...)80. Mais rapidement des
logiciels spécifiques sont venus compléter le dispositif. Ainsi
des logiciels de paie, de comptabilité, de suivi de la maintenance,
d'administration des ventes, de relation clients, de gestion de la
qualité, ... sont apparus.
Les entreprises ont vite été confrontées
à une limite majeure des programmes informatiques, leur
difficulté à communiquer ensemble. En fonction du langage de
codage et des spécificités de programmation,
l'Information présente dans un logiciel ne basculent pas
automatiquement dans un autre logiciel. Ainsi l'entreprise disposant
d'un logiciel spécifique pour le pointage des horaires de travail, ne
peut pas forcément transmettre ces informations dans son logiciel de
paie. Les choix de logiciels s'étant étalés dans le temps,
les entreprises se sont souvent retrouvées avec plusieurs logiciels non
compatibles à différents endroits.
Les ERP sont des logiciels organisés sous forme de
modules et qui regroupent toutes les applications nécessaires pour
l'entreprise dans un seul logiciel. Leur coût et la longueur de leur
déploiement ont été un frein majeur à leur
expansion.
Etonnamment, c'est la peur du bug de l'an 2000 qui va marquer
l'avènement des ERP81. Beaucoup de logiciels
développés dans les années 1970 et 1980, devaient
optimiser au maximum les ressources et le moindre bit d'information avait un
coût réel. Ainsi la variable année était souvent
codée sur 2 chiffres : 78 pour 1978. Il était difficile à
l'époque, à la fin des années 1990 d'estimer les
conséquences du passage à l'an 2000 sur les logiciels
présents dans les entreprises. Comment savoir si le logiciel en charge
des réapprovisionnements considérerait le passage du 31/12/99 au
01/01/00 ? Interpréterait-il ce passage comme un J + 1 ou d'un J - 36
525 ?
80 LAZARD E. (2016), Histoire illustrée de
l'Informatique, EDP Sciences
81 BOURNE KC. (1999), Le Bug de l'an 2000,
Sybex
Beaucoup d'entreprises ont profité de cette crainte
pour investir dans de nouveaux logiciels informatiques plus récents et
sauter le pas en passant sur des ERP82. Ainsi SAP et Oracle ont vu
le déploiement de leurs solutions informatiques sensiblement augmenter
pour devenir les plus gros acteurs de leur marché.
Cela a révolutionné la quantité
d'Information mobilisable pour le Contrôle de Gestion. La quantité
de données disponibles et surtout interconnectées est devenue
gigantesque. À tout moment, le Contrôleur de Gestion peut
consulter une facture, remonter jusqu'au devis qui lui est lié,
vérifier les ressources utilisées pour cet ordre de fabrication
spécifique, le coût de la ressource utilisée à ce
moment précis, sa provenance, etc.
La quantité d'Information interne produite par
l'entreprise est devenue exponentielle. Toute action est tracée,
enregistrée, conservée et consultable. Le Contrôleur de
Gestion est devenu un utilisateur expert en informatique. L'Information
quantitative accessible n'a jamais été aussi abondante.
B / Une production accélérée
Mais l'Information n'est pas seulement devenue plus nombreuse.
L'instantanéité des ERP a profondément bouleversé
la temporalité du métier de Contrôleur de Gestion. Il est
très fréquent qu'un Contrôleur de Gestion reçoive
une demande à traiter dans des délais extrêmement courts
voire même dans l'immédiateté.
82 RAFAL O. (1998), An
2000, KODAK choisit le tout SAP, Le Monde Informatique
Lors de mon alternance, à de nombreuses reprises, le
manager appelait le Contrôle de Gestion depuis la salle de réunion
où se tenait le Comité de Direction pour demander des calculs de
marge sur coût direct pour une famille de produits et souhaitait une
réponse immédiate pour décider de l'ordre de mise en
production.
Si la technologie a réduit l'espace
(la traversé atlantique est passée de plusieurs
semaines à 6 heures en 150 ans), elle a aussi réduit
le temps. Nous constatons également ce phénomène
dans les services de Contrôle de Gestion. Les centaines de classeurs de
données et d'archives ont quasiment disparu et se retrouvent
compactés dans le Système Informatique. Le temps de consultation
d'une donnée s'est considérablement réduit. Rechercher le
chiffre d'affaire à N-2 d'une famille de produits pour le Brésil
aurait pris plusieurs heures il y a 20 ans. Aujourd'hui, il ne faut pas plus de
3 minutes pour un utilisateur averti.
Le gain de temps se traduit par un gain de
productivité. Grâce à un accès plus rapide à
l'Information, le Contrôleur peut produire plus d'analyses. Cette
instantanéité permet également un suivi direct des
activités de l'entreprise. Le moindre écart est aussitôt
repéré et l'alerte donnée. Les anticipations du
Contrôle de Gestion sont confrontées en temps réel à
la production effective.
La tentation est forte de ne s'appuyer désormais que
sur l'ERP en raison de sa réactivité. Les constations de visu
et in situ étant plus chronophages et les résultats
incertains.
Bien que ce ne soit pas le centre de notre sujet, les
développements des moyens de communication ont accompagné celui
du traitement de l'information. Le mail, les visioconférences, ... ont
également profondément changer le rapport du Contrôleur de
Gestion au facteur temps.
La capacité du Contrôleur de Gestion à
obtenir à tout moment, n'importe quelle information présente dans
l'ERP a considérablement modifié l'organisation du travail.
L'apparition des postes de Data Manager le prouve. Il n'est pas rare de trouver
ce poste rattaché hiérarchiquement au Contrôleur de
Gestion.
Si la rapidité ou l'instantanéité de
l'accès à l'information par le Contrôleur de Gestion est
difficilement réfutable, qu'en est-il de l'exhaustivité ?
C / Une production plus
complète
Le développement des ERP et la hausse des
capacités des moyens de traitements liés, ont permis un
accès plus rapide mais surtout une collecte d'Information toujours plus
importante et volumineuse.
Afin de ne rien « rater », ne rien oublier,
les entreprises se sont mises à collecter toute l'Information sans la
hiérarchiser. Le moindre mouvement est tracé et archivé.
Dans le cadre de mon alternance, j'ai pu consulter les horaires de travail du
23 mai 2014 de M.X, conducteur de ligne mais également l'ensemble des
tâches qu'il a saisi dans l'ERP (fabrication, conditionnement,
arrêt de ligne, ...). On retrouve l'évolution du stock des
joints 8 mm qui sont des pièces de rechange, ainsi que
l'évolution de leur prix d'achat depuis la mise en place du
système. L'entreprise n'oublie plus.
La hausse des capacités de stockage et la
baisse des tarifs n'incitent pas à faire le tri, ainsi dans le
doute, tout est archivé, stocké et donc consultable. Cette
quantité d'Information toujours disponible est une opportunité
pour le Contrôleur de Gestion. Les possibilités d'analyse et
surtout d'évolution de situations ont cru au cours de la dernière
décennie comme jamais, permettant une mise en perspective des analyses
dans des délais plus longs.
Les exigences managériales ont suivi cette
évolution. Les responsables veulent tout savoir, tout connaître,
tout comprendre avant de prendre une décision83.
L'exhaustivité de l'information a pour objectif de
réduire le risque d'erreur à son niveau le plus
faible.
Il faut noter que cette exhaustivité de l'Information
est principalement interne. En effet si l'Information est aussi abondante et
tracée en interne, elle ne l'est pas de la même manière
pour les sources extérieures. Il est donc probable et rassurant que les
Contrôleurs de Gestion se concentrent désormais davantage sur
l'Information interne, puisqu'abondante et délaisse l'Information en
provenance de l'extérieur car plus difficilement mobilisable.
83 PIGET P. (2019), Décision
d'Investissement, Economica
D / Une production plus fiable
La fiabilité d'une Information diffère
de la fiabilité du système d'Information et les
utilisateurs font trop souvent l'amalgame. Si le système d'Information
n'est pas fiable, l'Information ne peut pas l'être (même si
l'Information peut s'avérer vraie). La fiabilité du
Système d'Information est donc un préalable. Une Information est
considérée comme fiable, dès lors qu'elle est
vérifiable. Un Système d'Information est considéré
comme fiable dès lors qu'il permet un accès continu à
l'Information stockée. Cela signifie qu'il n'y a aucune garantie que
l'Information présente dans le Système d'Information soit fiable.
Ainsi une Information non fiable (vraie ou pas) peut être
présente dans un Système d'Information fiable84.
Afin de limiter le risque de la présence d'une
Information non fiable, le système mis en place aura recours à
des redondances. Le système (sous réserve qu'il soit bien
paramétré) recroisera une même Information via
plusieurs sources distinctes afin de les comparer et donc de s'assurer de la
véracité de l'Information présente dans le
système.
De même des valeurs d'alertes seront définies
afin de prévenir l'utilisateur, l'administrateur ou le data manager pour
que ce dernier effectue des contrôles. Les systèmes d'informations
numériques permettent une plus grande fiabilité de l'Information
et une détection plus rapide et plus aisée des valeurs
suspectes.
84 SIMONNOT B. (2007), Évaluer
l'Information, Documentaliste - Sciences de l'Information
2 / Les impacts positifs sur l'aide à la
décision
A / Un traitement et une analyse
simplifiés
Les premiers logiciels permettaient la collecte, le stockage
et la transmission d'Information mais il ne la traitait pas. Les analyses
étaient encore réalisées « à la main
» à partir des données extraites des logiciels.
Les éditeurs de progiciels, se rapprochant des besoins
de leurs clients, ont alors commencé à développer des
outils d'analyses. Les calculs des soldes intermédiaires de gestion se
sont automatisés, puis les calculs de marges, puis les calculs de
coûts indirects, ...
Les ERP, type SAP, Oracle, Business Object ne sont plus
uniquement des logiciels collecteurs et stockeurs de données. Chacun de
ces logiciels possède une version standard qui contient des modules
dédiés à la vente, aux entrepôts, à la
logistique, à la comptabilité ... Mais aussi un module de
Contrôle de Gestion. Ainsi le logiciel est déjà
paramétré pour suivre des indicateurs : contrôle des
coûts, comparatif aux budgets, profitabilité par produits, ...
Le module est le plus souvent alimenté par le module
comptabilité via les comptes comptables en transitant par des sections
analytiques (on parle de comptabilité analytique). La force du
logiciel est la capacité d'extraire l'Information au niveau
souhaité. Ainsi chez DELPHARM, il existe une pyramide de section
analytique :
Source : Delpharm (sections anonymisées)
Il est possible à tout moment de faire une
requête pour connaitre une information (résultat, charges,
consommation, frais de personnel, ...) sur une section spécifique
(la 3ème division en province en France) ou sur un
noeud supérieur (la totalité de l'Afrique).
L'obstacle n'est pas l'accès à l'Information
mais la pertinence du niveau d'analyse. Nous n'avons abordé que la
partie standard qui s'adapte via le paramétrage classique. Mais chaque
ERP peut s'adapter spécifiquement aux besoins de l'entreprise via les
« spécifiques ». Ces développements sont
souvent réalisés par des consultants expérimentés
et permettent de « coller » l'ERP aux besoins et souvent aux
habitudes de fonctionnement de l'entreprise.
Le Contrôleur de Gestion ne réalise plus de
calculs. Le taux de rentabilité, la marge, les résultats, ...
sont calculés par le logiciel. Le Contrôleur n'étant plus
en charge de collecter et produire l'Information, son rôle évolue.
Il doit vérifier la cohérence des résultats
obtenus avec l'ERP. Il doit sélectionner l'Information
pertinente et les acteurs qui seront destinataires de cette
Information.
B / La prise de meilleures décisions
Dans la théorie de la décision, KNIGHT F. (1885
- 1972), économiste étatsunien, a écrit en 1921 que «
l'environnement est incertain si les données de cet environnement
nous sont inconnues »85.
Il est plus simple de s'orienter avec une boussole, cela
devient encore plus facile avec une carte et parfaitement rudimentaire avec un
GPS. Il en va de même dans l'entreprise avec les ERP. Le calcul
immédiat et permanent des marges permet de sélectionner les
produits dont les tarifs devront être revus en priorité. Les
suivis des coûts permettront une rationalisation des décisions sur
le choix entre la sous-traitance ou la production interne. De même les
choix de priorisation de production seront faits à la lumière des
résultats donnés par l'ERP. La Révolution Informatique a
rendu les décisions moins incertaines.
Par ses analyses et son suivi des décisions, le
Contrôleur de Gestion permet un meilleur éclairage des
décisions du manager. Nous pouvons comparer l'apport de la
Révolution Informatique dans l'entreprise à l'évolution
des équipements électroniques dans l'automobile. Tous les
véhicules bénéficient d'une jauge d'essence
(système de mécanographie), mais certains véhicules sont
équipés d'un détecteur de pression pour les pneus, d'un
GPS intégré, ... La mission initiale du conducteur (le
manager décisionnaire) est la même quel que soit
l'équipement du véhicule (Système d'Information)
: se déplacer d'un point A à un point B. Bien que rien ne
garantisse que le véhicule le plus équipé y arrivera mieux
et plus rapidement que le véhicule le moins équipé, les
risques sont diminués avec le véhicule le mieux
équipé. Il en va de même avec l'Information pour
l'entreprise.
Le manager veut bénéficier du maximum
d'Information en provenance du Contrôle de Gestion pour s'assurer qu'il
puisse remplir sa mission avec le plus de chance de succès.
Mais cette collecte d'information plus nombreuse, plus rapide, plus
complète et plus fiable ainsi que son traitement facilité ne peut
pas comporter que des aspects positifs. Il faut s'intéresser aux risques
et menaces que cette Révolution Informatique fait peser sur le
Contrôle de Gestion.
85 KNIGHT F. (1921), Risk, Uncertainty, and
Profit, Signalman Publishing
C / Les effets négatifs
« La civilisation des machines est la
civilisation de la quantité opposée à celle de la
qualité »86
Si la quantité n'est pas un gage de qualité,
force est de constater que la Révolution Informatique a
privilégié ce premier aspect sur le second. Ainsi dans ce
chapitre nous essaierons de détailler l'ensemble des aspects
négatifs de la Révolution Informatique sur le Contrôle de
Gestion.
Dans une première section, nous verrons le pendant de
la section précédente avec les risques de la surinformation. Nous
verrons que celle-ci a fait l'objet de nombreuses études et recherches.
Nous essaierons de repérer le risque de choix biaisé dans
l'Information retenue.
Parmi les risques identifiables, le risque d'excès de
confiance placé dans le Système d'Information par le
Contrôle de Gestion en particulier et par les utilisateurs en
général occupe une place majeure. Nous essaierons de le prouver
par des exemples tangibles.
Ne trouver que ce que l'on cherche est un point difficile
à saisir. Nous définirons son opposé, la
sérendipité. L'industrie pharmaceutique est un formidable secteur
d'activité pour illustrer ce phénomène.
Dans un quatrième temps, nous aborderons les limites de
ressources en temps du Contrôle de Gestion pour gérer l'ensemble
de l'Information produite. Il s'agit là d'un écueil physique et
moral. Il est difficile d'appréhender sa mission quand on sait
dès le départ que nous ne bénéficierons pas du
temps nécessaire pour la traiter intégralement.
Enfin nous analyserons la dépendance nouvelle qui s'est
créée entre le Contrôleur de Gestion et son Système
d'Information. Nous sommes passés d'une situation où le
Contrôleur définissait son Système d'Information à
l'inverse.
86 BERNANOS G. (1946),
La France contre les Robots, PLON
1 / La surinformation
La hausse croissante d'Information disponible ne revêt
pas que des aspects positifs. SAUVAJOL-RIALLAND C., auteure et chercheuse
spécialisée, a popularisé le terme d' «
Infobésité »87. Ce terme d'origine
québécoise est un concept utilisé pour définir
l'excès d'Information reçu par un agent au point qu'il n'est plus
capable de la traiter ou l'assimiler sans nuire à son activité.
On parle également de surcharge informationnelle ou surinformation.
MORIN E. lui substitue le terme de « Brouillard Informationnel
», dont l'origine se retrouve dans le livre de SCHENK
D88.
La quantité toujours croissante d'Information
disponible a profondément modifié le métier de
Contrôleur de Gestion. Nous sommes passés en quelques
décennies d'une expertise basée sur l'analyse, les calculs et la
compréhension à un métier de recherche et de tri.
Un bon Contrôleur de Gestion est une personne capable d'aller
chercher la bonne Information dans le système, même s'il reste
important de savoir articuler les informations entre elles pour leur donner du
sens.
Cette surcharge d'information peut poser de nombreuses
difficultés. La capacité de traitement de cette surcharge
d'information est gérée par l'ERP donc nous ne sommes pas
confrontés à une surcharge cognitive. En revanche le temps
disponible du Contrôleur de Gestion est limité. L'ensemble
des informations ne peut être retenu. Il faut prioriser, faire des choix,
hiérarchiser. Cette tâche peut s'avérer plus
difficile qu'il n'y paraît car les managers ont des attentes.
Ainsi il est souvent demandé au Contrôle de
Gestion de mettre en place un nouveau tableau de suivi, une nouvelle scorecard,
un nouvel indicateur de performance mais il lui est rarement (voire jamais)
demandé d'arrêter le suivi d'un indicateur. C'est ainsi
qu'après plusieurs années, on se retrouve avec toujours plus
d'indicateurs à suivre et à actualiser sans que cela soit
toujours pertinent et utile.
87 SAUVAJOL-RIALLAND C. (2013),
Infobésité : Comprendre et maîtriser la
déferlante d'informations, Vuibert
88 SCHENK D. (1997), Data Smog, Harper
Collins
Certains Contrôleurs de Gestion se plaignent de
ne plus faire d'analyses mais uniquement de la collecte, du retraitement et de
la transmission d'Information.
L'absence de recul empêche d'avoir la vision
globale qui était le coeur de métier du Contrôle de
Gestion. A vouloir tout savoir, on ne dispose plus du temps et du
recul pour comprendre. Cette boulimie d'Information est présente dans
d'autres parties de l'entreprise. L'explosion de la quantité de mails
à traiter en est un exemple connu. L'objectif initial est louable,
vouloir informer le maximum de personne mais le résultat est à
l'opposé. Ne pouvant tout lire, tout savoir et n'ayant pas le recul pour
savoir quel mail est important et lequel ne l'est pas, l'Information ne passe
plus89. La Révolution Informatique se révèle
être une arme à double tranchant.
Le brouillard informationnel noie l'Information pertinente et
utile dans une multitude d'informations non pertinentes. Un nouveau risque
apparaît, celui de ne se concentrer que sur la partie
quantifiable du métier de Contrôleur de Gestion. La
quantité d'information est telle et si facilement accessible grâce
à l'ERP que la partie du métier qui consiste à
s'intéresser à l'organisation, au fonctionnement est
délaissée. Le risque est de tomber dans la facilité et
délaisser les tâches à fortes valeurs ajoutées mais
chronophages.
Un autre écueil qui guette est l'absence de
décision. Il existera toujours une Information venant présenter
un risque associé à une prise de décision. Prenons un
exemple simple, un manager reçoit comme objectif d'augmenter ses ventes
et de maintenir ses marges. Il demande au contrôle de gestion de faire
des simulations sur la conquête de nouveaux marchés via les
données des précédents exercices. Le Contrôle de
Gestion trouvera toujours des cas où les marges ont diminué.
Dans la multitude d'Information, on trouve forcément des
données contradictoires et le risque est l'immobilisme.
Parmi les risques de choix de l'Information se situe aussi le
biais de l'Information qui confirme à tort la décision
espérée a priori. En effet en choisissant une
période donnée, un niveau donné (pays, secteur, etc, ...),
si l'on est capable de trouver des informations qui vont à l'encontre du
résultat espéré, il est tout aussi
89 LAGARDE O., Un cadre passe 30% de son temps
à gérer ses mails, France Info le 3 février 2015
possible de trouver des données qui confirment
abusivement le choix. Il suffira alors de ne retenir que ces
dernières données pour biaiser les décisions prises.
Nous pourrions faire un parallèle avec le
Système d'Information de la population et les critiques récentes.
Les pro Trump regarderont FOX NEWS car les informations iront dans le sens qui
leur plaît, les anti TRUMP regarderont CNN. L'excellent film «
BREXIT : The Uncivil War » (2018) démontre
comment en ne proposant que des Informations qui abondent dans la croyance
initiale, on peut persuader des personnes de la validité de leur choix
initial. De nombreuses études démontre la validité et les
risques du biais de confirmation d'hypothèse90.
Ce risque dépendra beaucoup du rattachement
hiérarchique du Contrôleur de Gestion. S'il est
rattaché au manager alors il aura tendance à se conformer
à la demande, s'il est rattaché à un service
extérieur, il se sentira plus libre d'émettre des réserves
sincères.
2 / La crédulité
aveugle
La complétude de l'ERP et la complexité
apparente de l'architecture du Système d'Information amènent un
risque de crédibilité exagérée. Ainsi les
données contenues dans le système ne sont plus remises en
question. Des erreurs peuvent subsister ou l'utilisation nouvelle d'une
fonctionnalité peut entrainer l'apparition d'anomalies. De même
les données du système sont parfois issues de saisies manuelles
erronées d'opérateurs. L'Information peut également
être mal codée ou mal comprise.
Nous avons évoqué dans le chapitre
précédent les valeurs d'alertes. L'effet pervers est que si une
valeur exceptionnelle devait être renseignée dans le
système, l'utilisateur qui la remplacerait par une valeur «
normale » (dans la norme) n'aurait qu'un faible risque de se
faire détecter. Ainsi un taux de rebut à 0% ou 10% provoque une
alerte, alors qu'un taux à 1% est jugé dans la marge
d'acceptation et n'éveille
90 DE LARA M. (2019), Les Biais de l'esprit,
Odile Jacob
aucune alerte. L'opérateur est tenté d'adapter
ses relevés pour ne pas provoquer de détection d'alerte dans le
système.
Si le système est plus fiable, il ne garantit pas une
fiabilité à 100%. Il est également limité par la
programmation humaine réalisée au départ. Il arrive
souvent que l'utilisateur ne comprenne que sa partie mais ne dispose plus de la
vision d'ensemble, ni ne comprenne la manière dont a été
paramétré le Système d'Information.
Ainsi lorsque le système donne un stock moyen des
encours à 100k euros, le Contrôleur de Gestion doit comprendre la
manière dont les encours ont été valorisés par le
système. Cet exemple a été retenu car j'ai pu constater
une erreur de ce type. Le stock des en-cours était valorisé
uniquement si la quantité produite était inférieure
à 80% de la quantité totale à produire. Or personne
n'était capable d'expliquer pourquoi le système avait
été ainsi paramétré. Après
vérification avec différents services, il s'est
avéré qu'il s'agissait d'une méthode choisie
arbitrairement par le Contrôleur de Gestion en poste il y a 6 ans et qui
ne faisait plus partie des effectifs depuis 2 ans.
S'il est vrai que les machines ne font pas d'erreur,
les programmateurs le peuvent. Il ne faut jamais perdre de vue que le
Système d'Information a été construit par des
informaticiens qui ne sont pas infaillibles. Le 23 septembre 1999, la sonde
Mars Orbiter doit se mettre en orbite à 140 kilomètres d'altitude
autour de la planète Mars après un voyage de plus de 600 millions
de kilomètres. L'équipe en charge de la motorisation / propulsion
était anglaise et faisait l'ensemble de ses calculs en miles.
L'équipe de navigation étatsunienne utilisait le système
métrique. Chaque équipe travaillant de son côté
avait réussi ses simulations. Lors de la mise en orbite, les logiciels
se sont emmêlés dans les systèmes de mesure et la sonde
s'est écrasée sur le sol martien91. Ce type de «
bourdes » au conséquences désastreuses n'est pas
une exclusivité des étatsuniens. Les Russes firent de même
en 1971 avec Kosmos 419. L'étage supérieur dont le rôle
était d'éjecter la sonde après la mise sur orbite, devait
réaliser l'opération au bout d'1h30. Le programmeur s'est
trompé et a codé 1,5 an 92 !
91
http://www.nirgal.net/mco_end.html
92
https://www.nirgal.net/explora_1971_2.html#kosmos419
Ceci est un cas typique d'erreur d'origine humaine de
programmation d'un Système d'Information. Mais la croyance
aveugle en la fiabilité des informations présentes dans le
système a empêché la détection de la
faille.
Le Contrôleur de Gestion doit s'appuyer sur ses outils
de mesures mais ne doit pas leur accorder une confiance
démesurée. À titre d'exemple, un niveau de stock
absolument équivalent (à l'euro près) d'une période
sur l'autre doit alerter. Une marge sur coût variable qui augmente
significativement alors qu'aucun changement n'a été
opéré, doit également alerter et permettre le lancement de
procédures de contrôle supplémentaire.
3 / Ne trouver que ce que l'on cherche
Il s'agit d'un risque trop souvent oublié ou
sous-estimé : ne trouver que ce que l'on cherche. La quantité
d'Information est tellement vaste et l'optimisation du temps de travail est
telle, que le Contrôleur de Gestion dispose de peu de temps (voire
pas du tout) pour un travail de recherche aléatoire. Comme
évoqué dans les parties précédentes, les meilleurs
Contrôleurs sont aujourd'hui ceux qui savent où chercher mais le
risque est donc de ne trouver que ce que l'on cherche ou ce qui est
déjà présent dans le système.
La Sérendipité est le fait de
réaliser une découverte de façon imprévue.
L'exemple historique le plus célèbre est sûrement la
découverte des Amériques par COLLOMB C. (1451-1506) qui pensait
rejoindre les Indes. Mais pour rendre hommage à l'industrie
pharmaceutique qui m'a accueilli pour mon alternance, on peut citer : la
pénicilline, l'aspirine, le viagra, ... 93.
Les requêtes des Systèmes d'Information
amènent directement les réponses demandées. Le
Contrôleur ne conçoit plus les chemins empruntés par le
93 BOHUON C. et MONNERET C. (2009), Fabuleux
hasard : Histoire de la découverte des médicaments, EDP
Sciences
Système. Finalement le Contrôleur ne
s'égare plus et la probabilité de tomber fortuitement sur une
Information importante a fortement décrue.
4 / La limite du temps humain disponible
La quantité d'Information disponible et
l'immédiateté des réponses détournent le
Contrôleur de Gestion de l'étude des données qualitatives.
En effet ces données sont beaucoup plus difficiles à collecter et
cela prend plus de temps de les traiter et synthétiser pour en tirer une
analyse pertinente.
Si les puissances de calcul informatique et les
capacités de stockage peuvent donner le sentiment de devenir sans
limite, ce n'est pas le cas des capacités cognitives et du temps
disponible des Contrôleurs de Gestion. La quantité d'Information
disponible via les ERP est toujours croissante. Les systèmes archivent
toutes les données ainsi les analyses à réaliser peuvent
porter sur toujours plus d'exercices comptables mais cela est chronophage.
Le Contrôleur de Gestion est passé en un
demi-siècle d'une situation de rareté de l'Information à
celle de sa surabondance. Il doit désormais faire des choix car
il ne peut pas tout traiter. Mais ces choix auront des influences sur les
résultats qu'il produira. Et ce résultat servant d'outil d'aide
à la décision, aura donc une influence sur la décision
finale.
Les critères de choix dans le traitement des
informations sont nombreux et différent d'un Contrôleur à
l'autre et d'une entreprise à l'autre. Étant donné leurs
sensibilités personnelles ou leurs parcours professionnels, certains
Contrôleurs se concentreront sur les stocks, d'autres sur les prix de
revient industriels ou sur le suivi des coûts préétablis,
...
L'entreprise, son histoire et son organigramme sont
également des facteurs d'influence sur la priorisation du traitement de
l'Information. Certaines entreprises voudront un suivi
spécifique de leurs projets par le Contrôle de Gestion, quand
d'autres souhaiteront qu'ils se concentrent sur le service maintenance.
Si la multiplicité des cas empêche toute
exhaustivité, il est certain qu'aujourd'hui il n'est pas possible
d'analyser la totalité des informations que fournissent les ERP.
5 / La dépendance
Pour finir ce chapitre, la dernière section sera
consacrée à la dépendance qui guette les Contrôleurs
de Gestion par rapport à leur Système d'Information. Dans de
nombreuses entreprises, il existe des cas d'utilisation d'analyses produites
par l'ERP sans comprendre l'origine des informations et le traitement qu'elles
ont subi. À trop s'appuyer sur l'ERP, le Contrôleur perd l'essence
même de son métier et risque de se voir cantonné à
un rôle de Data Manager. La compréhension des flux et
process de l'entreprise est modélisé par l'ERP mais l'ERP n'est
pas le flux de production.
La complexité des interconnections entre les modules
provoque des risques systémiques. Ainsi une demande de modification par
un service (logistique par exemple) peut avoir des répercussions en
chaînes sur les autres services. L'ERP est un outil au service du
Contrôle de Gestion et le Contrôle de Gestion ne doit pas se
limiter à la transmission de l'information émise par l'ERP.
A vouloir tout automatiser, on oublie de s'interroger sur le
gain de performance de l'automatisation94.
Le Contrôleur de Gestion doit repenser son ERP
comme un moyen et non comme une fin.
94 COERCHON D. (2019), Performance des processus :
attention à l'excès de vitesse,
ERP-Infos.com
D / Une prospective de la discipline
« On n'apprend pas l'informatique avec une
calculatrice de poche, mais on peut oublier l'arithmétique
»95
La Révolution Informatique a eu lieu, elle a
bouleversé la manière de faire du Contrôle de Gestion. Mais
le nouvel état actuel des forces et faiblesses en présences
détaillées dans les chapitres précédents,
n'augure-t-il pas un avenir mouvant ?
L'Information toujours plus nombreuse et les logiciels d'aide
à la décision ne font-ils pas converger les performances ?
D'autres domaines n'ont-ils pas connus cette convergence des performances par
le passé ? Les performances de l'entreprise peuvent-elles suivre le
même chemin ?
Dans un deuxième temps, nous nous interrogerons sur la
proximité et le mélange des rôles qui peuvent survenir
aujourd'hui entre le Contrôleur de Gestion et le Manager.
Nous soulignerons le besoin quasi vital de
différenciation dans la réussite d'une décision. Nous
appuierons cette section par des exemples concrets historiques mais
également des échecs retentissants et parfois
mortifères.
Une analogie entre la modification des process de production
et leur passage de flux poussés (MRP) en flux tirés (Kanban) et
la manière de faire du Contrôle de Gestion avec l'Information
est-elle envisageable ?
Le métier de Contrôleur de Gestion doit-il
être repensé ? Une meilleure adaptation aux besoins à venir
des entreprises est-elle possible ?
95 PERLIS Ai. (1982), Epigrams on Programming,
SIGPLAN
1 / Des décisions identiques et un
rapprochement des performances
La « prédiction ou prophétie
autoréalisatrice » est un phénomène scientifique
connu. Les agents disposent tous de la même information (même
si celle-ci est fausse au départ), adaptent leur
comportement en fonction de cette information et la somme des comportements
permet à l'Information de devenir vraie ou à la prédiction
de se réaliser96.
L'exemple le plus régulier que nous connaissions est la
pénurie d'essence dans les stations-services. Si l'objectif est de
provoquer cette pénurie, il est plus efficace d'informer les gens qu'il
va y avoir pénurie que de bloquer les stations d'approvisionnement. Les
agents économiques, inquiets du risque de ne pas pouvoir obtenir de
l'essence dans quelques jours, vont anticiper leur réapprovisionnement
et se rendre le plus rapidement possible dans une station essence. Le
réseau de distribution n'est pas calibré pour approvisionner tous
les agents en une journée et se retrouve donc en pénurie. La
pénurie se réalise par le simple fait qu'elle a été
annoncée. Ainsi une Information même fausse au
départ, si elle est suivie par suffisamment de personnes, devient
vraie.
Ce phénomène nous intéresse car nous le
retrouvons en partie dans le Contrôle de Gestion et les décisions
qui en découlent. Si les données sont toujours plus
complètes et exhaustives, si les capacités de traitements sont en
constante progression, si l'apprentissage des erreurs l'est également,
alors un risque nouveau apparaît. Celui de décisions
identiques par les entreprises. Cela sera d'autant plus vrai que la
décision humaine sera limitée et remplacée par des
décisions automatisées.
Prenons l'exemple d'un domaine dans lequel les
décisions prises par l'informatique sont plus nombreuses que les
décisions humaines : la Bourse. En 2012, le trading haute
fréquence, réalisé par des ordinateurs
préprogrammés via des
96 SAINT-MARTIN A., (2013), La Sociologie De
Robert K. Merton, La Découverte
algorithmes, représentait 60% des échanges
mondiaux. En 2017, on l'estime à 90% des échanges sur le New
York Stock Exchange. Or ces algorithmes sont souvent identiques ou proches
et les mouvements sont donc artificiellement amplifiés à la
hausse ou à la baisse car l'ensemble des agents (informatiques cette
fois) disposent de la même information et adoptent le même
comportement (achat ou vente)97.
Le Contrôleur de Gestion peut (et
doit) avoir ce recul que n'aura pas l'informatique (du moins
pour le moment et les quelques années à venir) sur un
emballement collectif et provisoire. Ainsi des prévisions de
retombées commerciales estimées pour un nouveau marché
doivent prendre en compte que les concurrents feront la même analyse et
voudront aussi probablement rejoindre ce marché. Les modèles
d'anticipation informatique peuvent se baser sur le passé et sur le
présent mais ne peuvent pas encore faire de projection sur l'avenir.
Le risque pour les années à venir est le
rapprochement des performances. Si l'on étudie l'histoire de la
performance dans le sport on s'aperçoit que les niveaux de performance
se sont considérablement rapprochés. Entre 1936 et 2016,
l'écart de temps entre le premier et le sixième pour la finale du
100 mètres homme est passé de 0,6 secondes à 0,15
secondes. Entre 1980 et 2018, l'écart entre le 1er et le
6ème pour la course en F1 à Monaco est passé de
2 minutes 50 secondes à 23 secondes. Entre 1970 et 2019, l'écart
entre le 1er et le 6ème pour le Tour de France est
passé de 20 minutes à 4 minutes. Le rapprochement des
performances en sport est un phénomène
généralisé. Tout indique que les entreprises suivront le
même chemin (taux de marge pour les entreprises d'un même
secteur, prix de revient industriel, etc).
2 / La séparation des rôles avec le
Management
Le Contrôle de Gestion devra aussi prendre garde
à ne pas se confondre avec le management. Si l'Information à
disposition et l'analyse indiquent que la meilleure solution est de choisir
l'option A, alors le Manager sera tenté de privilégier
97 FAUTH A. (2013), Trading Haute Fréquence
: Modèle et arbitrage, Panthéon Sorbonne
l'option A car c'est celle qui minimise les risques. Mais
comme nous l'avons vu précédemment, le Contrôleur de
Gestion en raison de son obligation de tri dans l'Information et de choix dans
la manière de traitement peut influencer le résultat de
l'analyse. « Les Chiffres sont comme les gens, si on les
torture assez, on peut leur faire dire n'importe quoi »98.
Le Contrôle de Gestion ne doit pas se mélanger ou se substituer au
management. Son rôle n'est pas de choisir. Il doit présenter la
situation de la manière la plus neutre et la plus impartiale possible.
Le Contrôleur de Gestion ne doit pas avoir d'a priori
puisque son travail sera l'analyse de la performance a
posteriori. Pour le faire de manière impartiale, il est
important qu'il ne soit pas celui qui a dicté le choix pris par le
management.
3 / Se différencier
On pose souvent un regard sur le passé en qualifiant
certains dirigeants de visionnaires. Ces personnes ont pris des
décisions majeures qui ont permis à leurs entreprises de devenir
ce qu'elles sont aujourd'hui. Les exemples sont nombreux :
- BEZOS J. a décidé en 1996 de vendre d'autres
produits que des livres sur son site internet AMAZON.
- HASTINGS R. décide en 2010 d'arrêter la
location de DVD pour produire ses propres contenus pour son site internet
NETFLIX.
Mais les contre-exemples sont au moins aussi nombreux :
- En 1985, COCA-COLA décide de remplacer toutes ses
bouteilles par le New Coke. Les ventes s'effondrent en quelques semaines. La
production des anciens modèles est relancée en catastrophe.
- En 1978, Kodak dépose le premier brevet pour les
photos numériques mais ne se développera jamais sur ce
secteur.
- Entre 2000 et 2002, l'action Vivendi voit son cours
divisé par 4 sous la Présidence de MESSIER JM. qui a
multiplié les achats hasardeux.
98 HALLEPEE D. (2013), Nombres en Folie - les
divagations du mathématicien fou, Les écrivains de
Fondcombe
On en revient à une définition très
primaire de l'entreprise qui est la prise de risque. Aucune réussite
n'est possible sans prise de risque et l'absence de prise de risque
empêche d'évoluer (KODAK). Les leaders sont ceux qui ont pris une
décision risquée, ceux qui se sont démarqués de la
concurrence. Mais la prise de risque peut aussi entraîner des
échecs (AREVA). Le Contrôleur de Gestion doit donc
accompagner cette prise de risque. Son métier ne se cantonne pas
à identifier la solution la moins risquée, mais à
quantifier le niveau de risque de chaque solution et les gains potentiels
associés. La différenciation est une stratégie
indispensable aujourd'hui pour obtenir ce fameux avantage concurrentiel durable
et défendable évoqué précédemment. Et
puisque ces avantages sont de plus en plus difficiles à défendre,
les différenciations s'enchaineront plus rapidement qu'auparavant. Le
Contrôleur de Gestion devra s'adapter à ces nouveaux rythmes.
4 / Une analogie avec le MRP et le Kanban
Les processus de production ont évolué au
XXème siècle en raison du basculement de la
supériorité de la demande à celle de l'offre. Il s'agit
d'un phénomène que nous avons décrit
précédemment. À l'époque pour la production, les
ressources (Main d'oeuvre, Capital, ...) était rares et donc
intégralement consommées pour obtenir la production la plus
importante possible. Avec le changement de paradigme
opéré dans les années 1970, l'offre devenant
supérieure à la demande, les entreprises se sont adaptées
en partant de la production prévue pour optimiser l'utilisation de leurs
ressources.
Il est tentant de faire le parallèle entre ce
changement historique dans l'économie mondiale et le Contrôle de
Gestion. Si l'Information est la ressource du Contrôle de Gestion, on
constate que nous sommes passés d'une ressource rare à une
ressource abondante. Si la production est le traitement de l'Information, on
constate également qu'auparavant le Contrôleur de Gestion devait
produire le maximum d'Information à partir d'une ressource
limitée. Alors qu'aujourd'hui il doit produire l'Information
nécessaire ou celle qui lui est demandée et pour cela choisir
l'Information la plus efficiente pour y parvenir.
Ainsi le Contrôle de Gestion vit avec quelques
décennies de décalage les mêmes transformations qu'ont
connues les process de fabrication. Aujourd'hui c'est la demande d'Information
par le management ou les autres services qui déterminent ce que le
Contrôle de Gestion doit produire. Pour cela il dispose de ressources
largement abondantes, sa problématique étant le tri dans cette
dernière.
Nous sommes donc passés pour le Contrôle
de Gestion comme pour la production en usine, d'une logique de flux
poussés à une logique de flux tirés. Cette
méthode à l'avantage de mieux répondre aux besoins des
managers. Si l'on devait filer cette métaphore, on serait tenté
de penser que le Contrôle de Gestion (tout comme la production en
usine) s'oriente désormais vers une automatisation croissante. Tout
semble indiquer que cela sera le cas., les ERP sont plus malléables et
peuvent produire les tableaux de bords que souhaite le management en place.
Si la Révolution Informatique a fait évoluer le
métier de Contrôleur de Gestion, rien ne semble indiquer que nous
soyons arrivés à un point d'équilibre. Les changements
vont se poursuivre tout comme pour les process de production qui n'ont pas
cessé de se développer. Ainsi le rôle du Contrôleur
de Gestion devra s'adapter aux prochaines évolutions.
5 / Repenser le métier de Contrôleur de
Gestion
Nous avons vu que la Révolution Informatique a
profondément changé les possibilités de collecte et
d'analyse de l'Information en l'automatisant. On peut donc légitimement
se demander si le métier de Contrôleur de Gestion va
disparaître comme d'autres métiers avant lui. Si l'aspect collecte
et une partie du traitement de l'Information ont été
retirés au Contrôleur de Gestion, rien n'indique que la partie
pondération, retraitement et transmission ne le soit pas à terme
également.
A trop se concentrer sur l'aspect informatique du poste, le
Contrôle de Gestion perd de son utilité pour l'organisation. Il ne
prend plus le recul nécessaire pour l'atteinte de son objectif à
savoir la maximisation de la performance. Le « calcul
mathématique » de cette performance sera toujours mieux
réalisé par le Système
d'Information que par le Contrôleur. La valeur
ajoutée du Contrôleur est donc sa capacité à «
définir » l'équation du calcul. Le Contrôle
de Gestion doit se reconcentrer sur les aspect plus humains qu'une machine ne
peut pas encore schématiser. Nous pouvons citer en exemple l'acceptation
par les équipes d'une nouvelle méthode de travail,
l'opportunité de formations, la relation avec un fournisseur, ...
La concomitance entre le développement du métier
et le développement de l'Informatique interroge. Ce mémoire a
montré que le métier n'existait quasiment pas en France avant la
seconde guerre mondiale et commençait à peine à se
développer aux États-Unis. Le métier a donc suivi le
développement de l'Informatique depuis ses débuts. Les impacts de
la Révolution Informatique sur le Contrôle de Gestion sont
indéniables mais finalement le Contrôle de Gestion sans outils
informatiques n'a presque pas existé.
Nous avons vu précédemment que les
métiers les plus en tension était des métiers de
l'Informatique. Et pourtant de nouveaux métiers apparus au cours des 10
dernières années sont très éloignés de la
Révolution Informatique. Du pragmatique Responsable Hygiène,
Sécurité et Environnement (HSE) au plus étonnant Happiness
Manager, ces nouveaux métiers devront aussi faire l'objet d'un suivi de
leur performance.
De manière générale, le
Contrôleur de Gestion devra se concentrer sur l'aspect qualitatif des
analyses et laisser l'Informatique traiter le quantitatif.
Conclusion
Le Contrôle de Gestion est né avec l'organisation
scientifique du travail. Sa vocation première est la recherche
d'efficience dans les processus de l'entreprise. Nous avons vu que
certains malentendus ont pu naître de la traduction de l'anglais vers le
français et par ce fait, limiter la compréhension du
métier en France.
L'Information est le matériau indispensable à la
production de Contrôle de Gestion. Sans elle rien n'est possible,
à condition qu'elle soit fiable, accessible et signée.
L'automatisation de la collecte de l'Information était une utopie avant
la seconde guerre mondiale, elle est devenue depuis une évidence.
La Révolution Informatique a démultiplié
les capacités du Contrôle de Gestion. Les possibilités
toujours croissantes de l'Informatique ont longtemps été
vécues comme une opportunité pour l'entreprise et le
Contrôle de Gestion. Or ces opportunités se sont
accompagnées de risques nouveaux qui ont parfois mal été
estimés. L'Information est parfois devenue un but en soi et plus
uniquement un moyen.
Les impacts de la Révolution Informatique sur le
métier de Contrôleur de Gestion ont été profonds et
importants. Le métier d'aujourd'hui n'a que peu à voir avec celui
d'il y a 70 ans mais cela est vrai également pour les process de
production. Le métier est passé comme la production, d'une
logique de flux poussés à une logique de flux tirés.
Ces impacts ont été bénéfiques sur
de nombreux critères, démultipliant les possibilités et
capacités du Contrôle de Gestion ainsi que la rapidité de
sa production. Mais nous avons également vu les risques induits et
nombreux.
Les progrès de L'Intelligence Artificielle
représente un vrai défi pour de nombreux métiers.
Certaines estimations d'universités prestigieuses prévoient la
disparition de 47% des métiers d'aujourd'hui au cours des 20 prochaines
années99. Le
99 FREY CB. & OSBORNA MA. (0213), The
future of employment : How susceptible are jobs to computerization ?,
Oxford University
métier de comptable est souvent évoqué
comme un métier qui disparaitra100 mais qu'en sera-t-il du
métier de Contrôleur de Gestion. Le métier de
Contrôleur de Gestion devra se recentrer sur certaines tâches qui
lui était dévolues et qui ont été
délaissées pour se concentrer sur l'informatique.
La Révolution Agricole a conduit à la
disparition des petits paysans aux profits des grandes exploitations. La
Révolution Industrielle a mené à la raréfaction des
artisans aux profits des usines. La Révolution Informatique
conduira-t-elle à la fin des Contrôleurs de Gestion ?
Tout comme le paysan et l'artisan, le Contrôleur ne
pourra pas lutter sur l'aspect quantitatif. Il devra s'orienter vers le
qualitatif comme l'ont fait les paysans et les artisans d'aujourd'hui. Cela
nécessitera des efforts sur la formation initiale et continue. Une
approche moins mécanique de la profession et une capacité
à prendre du recul. Le Contrôleur de Gestion devra apporter une
expertise non programmable.
Puisque l'activité du Contrôle de Gestion n'est
pas une discipline normée, elle est libre d'évoluer et de
s'adapter aux défis à venir. C'est au Contrôleur de Gestion
de prouver que sa fonction ne se limite pas qu'à des mesures
d'écarts. Sa formation et son expérience devront lui permettre de
savoir identifier les sources de performances inexploitées, les
évaluer, les quantifier et leurs associer un risque. Alors seulement, le
Contrôleur de Gestion continuera à occuper un rôle majeur
dans l'entreprise du XXIème siècle.
100 TISON E. (2018), TOP 5 des métiers en voie de
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