Université d'Aix-Marseille
Faculté des arts, des lettres, des langues et des sciences
humaines Domaine : sciences humaines et sociales
1
Les bals de lycée dans l'Utah
Etude anthropologique d'un rite de liminalité :
famille, adolescence et sexualité
(Début du XXIème
siècle)
Mémoire de master 1
Christelle Lardeux
Sous la direction de Valérie Feschet
Département Anthropologie sociale et culturelle
2018-2019
2
Remerciements
Je remercie vivement Valérie Feschet pour m'avoir
accompagnée durant ce parcours de master particulier. Ses conseils ont
été précieux et son regard une grande chance pour moi.
Un grand merci à mes lecteurs : Carine,
Bérangère et Alexandra.
A mon époux : Serge qui m'a encouragée à
faire ce master et fut mon premier lecteur
A mes trois enfants : Bruyère, Simon et Maïa. Et
particulièrement Bruyère, mon adolescente jamais en rupture avec
ses parents, ma lumière sur le monde de l'adolescence, mon
enquêtrice qui a récupéré toutes les informations
que je lui demandais.
Une reconnaissance infinie pour tout ce que l'Utah nous a
apporté. L'expérience fut profonde et bouleversante. Elle aura
touché toutes les dimensions de nos êtres : notre
côté humain, psychologique, affectif, sociologique. Elle aura
été une expérience professionnelle et personnelle
au-delà ce que j'aurais pu envisager. J'y ai appris l'humilité,
la bienveillance, la diversité, la tolérance, la motivation
positive, l'action dans le présent.
Je suis profondément reconnaissante à
l'Université d'avoir accepté que je fasse ce master
d'anthropologie. Ce fut un régal personnel et intellectuel de renouer
avec cette discipline. J'ai été étonnée de
retrouver en moi et de pouvoir remobiliser tant d'éléments de ma
formation initiale qui a eu lieu il y a si longtemps.
3
Sommaire
SOMMAIRE 3
INTRODUCTION : ETHNOGRAPHIE ET EXPÉRIENCE DE VIE
AMÉRICAINE 5
PARTIE I - APPROCHE THÉORIQUE ET
MÉTHODOLOGIQUE 9
I. MÉTHODOLOGIE : CONSTRUCTION D'UN OBJET EMPIRIQUE 9
A Le terrain 9
B Mon immersion 12
II. PRÉSENTATION DU MÉMOIRE 13
III. UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE 14
A Regard sur les Rallyes français 14
B Regard ethnologique sur les Fest-Noz 15
C La liminalité 16
D L'adolescence et la sexualité 18
PARTIE II - ETUDE DE CAS : L'INDIVIDU DANS LA
SOCIÉTÉ UTAHNE 20
I. LES FAMILLES EN UTAH, MORMONES ET NON-MORMONES 21
A La structure familiale 22
B Le scoutisme 22
II. L'ADOLESCENCE À BOUNTIFUL, UTAH, UNE APPROCHE
ETHNOLOGIQUE 24
A Le temps des responsabilités engagées
25
B L'âge des sorties 26
C L'alcool et la drogue 27
D L'adolescent parmi ses pairs 28
E La différence entre les sexes 29
III. LA SEXUALITÉ 30
A La question de l'homosexualité et de la
bi-sexualité 31
B Quelques règles au lycée 32
PARTIE III - LES BALS AU LYCÉE EN UTAH
33
I. L'ORGANISATION PAR LE LYCÉE 33
II. LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DU RITE 34
A Le choix de « la Date » 35
B Les groupes 36
C Les vêtements et accessoires 37
D Les lieux 40
E Le rôle des parents 40
III. LE DÉROULEMENT 41
A Les préliminaires 41
B Le jour J 43
C L'après bal 45
4
PARTIE IV - ANALYSES COMPLEMENTAIRES 45
A Eclairage d'après la théorie d'Emmanuel
Todd 47
B Le rite comme éducation à la perte de
l'objet pour assurer la stabilité du couple 49
C La notion de créativité rituelle
49
CONCLUSION 51
BIBLIOGRAPHIE 54
ANNEXES I : DONNEES STATISTIQUES : 57
ANNEXES II : TEXTES DE REFERENCE MORMON 60
ANNEXES III : TEXTES DE REFERENCE MORMON
61
ANNEXES IV : TEXTES DE REFERENCE MORMON 62
ANNEXES V : LES MODELES PARENTAUX 63
ANNEXES VI : LES MODES DE SANCTIONS PARENTALES
64
5
Introduction : Ethnographie et expérience de vie
américaine
En 2016, je participe à un programme proposé par
l'éducation nationale. Je pars vivre deux années dans l'Utah,
à Woods Cross pour exercer mon métier d'enseignante dans une
classe d'immersion du programme UDLI : Utah Dual Language
Immersion1. Woods Cross tout comme North Salt Lake où
nous vivrons durant notre séjour sont des villes nouvelles. Elles se
situent à 10 km de Salt Lake City, la capitale de l'Utah et à 4
km de Bountiful, le lieu d'étude proprement dit.
J'emmène mes trois enfants : Bruyère, 15 ans,
Simon, 12 ans et Maïa, 9 ans. Bruyère ira au lycée High
School de Bountiful, tandis que Simon et Maïa seront dans mon
école à Woods Cross. Notre vie s'organise très rapidement.
La bienveillance et la solidarité des gens qui nous entourent nous
aident à nous intégrer.
En février, Bruyère décide de participer
à un bal de lycée. Elle est française et la communication
avec les locaux est encore compliquée. Pour ce bal, ce sont les filles
qui invitent. Bruyère s'informe et ses premières amies lui
trouvent un garçon qu'elle peut inviter. A partir de là je
découvre toute une organisation qui se répétera à
chaque bal. A chaque fois, le même rituel, les mêmes
procédures mais à chaque fois avec sa touche de
créativité, d'expressions. J'observe chaque bal s'organiser, je
regarde cela d'un oeil ethnologique et analytique. Je souhaite faire de cette
expérience mon sujet de master. L'organisation sociétale se
prête à une étude anthropologique. A la fois très
moderne, elle revendique des valeurs et des préceptes d'anciens textes
religieux. La vie quotidienne est scandée par la modernité et le
traditionnel. Elle balance entre initiative et adaptabilité, mouvement
et tradition, conservatisme et inertie. A travers la famille est
perpétué un système organisationnel conservateur se
réalisant dans une société contemporaine et ouverte. Il
peut y avoir confrontation entre les valeurs mais c'est toujours le religieux
et le familial qui l'emportent. Les bals s'inscrivent dans cette
continuité.
Afin de recueillir des données, j'accepte que les
missionnaires viennent toutes les semaines chez moi pour nous faire des
leçons d'anglais qui se finissent le plus souvent par un
prosélytisme religieux. Dans la vie quotidienne, « l'ambiance
» mormone se retrouve même chez les non-Mormons. Mes enfants et moi
découvrons alors une société organisée selon des
préceptes de réussites individuelles qui doivent
impérativement rejoindre le groupe et le collectif. C'est une
obligation, si l'on peut dire, de service et d'aide à autrui. Il ne
s'agit pas de forme d'assistanat mais de soutien, l'individu aidé doit
savoir se débrouiller par la suite.
1 Les mots anglais sont en italique.
Salt Lake City, Capitale de l'Utah
Notre immeuble à North Salt Lake.
North Salt Lake et Woods Cross sont des villes en pleine
expansion. Des nouveaux quartiers résidentiels ne cessent
d'émerger, avec des commodités valorisant le bien-être
individuel et familial au service du quartier.2
6
2 Woods Cross : recensement : 1990 : 5383 habitants ;
2010 : 9761 habitants North Salt Lake : recensement : 1990 : 6474 habitants ;
2010 : 16322 habitants Source :
http://www.city-data.com/city/
7
Légende : Bountiful, North Salt Lake/Woods
Cross3
La ville de Bountiful et ses environs sont marqués par
la religion mormone qui est omniprésente et bien plus
représentative qu'à Salt Lake city. Chaque quartier est muni
d'une église mormone. L'espace est sectorisé : deux immeubles
mitoyens peuvent appartenir à deux Églises mormones
différentes. Nous sommes dans un environnement très familial :
les familles sont nombreuses et l'on compte entre 2 et 4 enfants en moyenne.
Les jeunes se marient relativement tôt, entre 19 et 22 ans (annexe I :
58.8% sont mariés à partir de 15 ans)4 (TRIGEAUD,
2013,299). La
3
http://www.city-data.com/city/Bountiful-Utah.html
4 « pour le garçon, le mariage n'est pas
envisageable avant la mission. Pour les filles, au contraire, un mariage
précoce semble usuel : lors d'un cours de premier cycle à la BYU,
lorsqu'un professeur demanda aux étudiantes mariées
présentes de lever la main, les trois-quarts de l'assistance se
déclarèrent et leur âge moyen ne dépassait pas 19-20
ans. »
8
plupart du temps dès leur mission de 18 mois accomplie.
L'enfant et la famille sont au coeur des préoccupations. Dans les
représentations mormones, la réussite sociale n'est pas seulement
professionnelle, elle est familiale. L'individu est valorisé dans sa
concrétisation d'une union et de la procréation.
L'éducation est importante. Les familles savent que l'adolescence est
une période charnière et dangereuse. C'est justement sur cet
aspect que j'ai souhaité porter mon attention.
The Bountiful High School est un lycée de
secteur public qui appartient à Davis School district,
localisé à Farmington. Il compte plus de 1550
élèves répartis entre le 10ème et 12ème
grade ce qui correspond de la seconde à la terminale dans le
système français. Malgré les effectifs importants, quand
on se rend au lycée, notre première impression n'est pas
l'immensité de la structure car l'espace extérieur est
très aéré. C'est plutôt un lycée à
dimension humaine qui émane du lieu.
Le symbole du lycée est les Braves : le nom de
l'équipe de football américain du lycée.
Sur la colline surplombant Bountiful, nous pouvons apercevoir
un B pour Braves s'élever. Plus loin une lettre
différente qui représente l'équipe concurrente
principale.5 Comme nombre de lycées : le sport et les
équipes sportives sont très représentés : le
football américain, le volley-ball et le basket (très
adulé dans l'Utah avec les Jazz, leur équipe
professionnelle). La musique aussi avec l'orchestre philharmonique et la
chorale du lycée qui donnent lieu à quatre concerts par an et
deux performances.
Le lycée de Bountiful organise six bals par an. Ce
n'est pas le cas partout aux USA. Ces bals sont organisés ainsi : trois
bals où ce sont les filles qui invitent, trois bals où ce sont
les garçons. Les bals les plus importants sont ceux de la
rentrée, de Noël et de fin d'année.
Le sujet des bals dans l'Utah est ambitieux car il se situe au
croisement de plusieurs champs d'études (le religieux et le
non-religieux, la famille, l'adolescence, et le rapport à la
sexualité). Il est certain, comme l'explique Pascal Lardellier dans
« Théorie du lien rituel »6 que le rite de passage
n'a plus « bonne presse » scientifique mais je chercherai
malgré tout à montrer en quoi ces bals peuvent être
appréhendés comme des rites de passage et des lieux
particulièrement opérant du contrôle social sur les
adolescents.
Ces rencontres festives organisées, et
institutionnalisées agissent comme des barrières dans
lesquelles l'adulte en devenir peut exercer (ou pas) son
libre-arbitre. Comment se met en place ce contrôle social sur les
relations matrimoniales en devenir ? Quel est le contexte culturel et
créatif dans lequel s'insèrent ces moments partagés tout
au long de l'année scolaire ? Quels sont les « tabous »
respectés ou transgressés ? En quoi consistent la participation
et l'investissement des parents dans cette activité ? Qu'est-ce que les
parents cherchent à mettre en oeuvre en aidant les
5
https://www.facebook.com/BountifulHigh
https://high-schools.com/directory/ut/cities/bountiful/bountiful-high-school/490021000105/
6Lardellier Pascal, Théorie du lien rituel,
éd. L'Harmattan communication, 2003
enfants à se préparer pour le bal ? Le groupe passe
par des activités ludiques pour transmettre des valeurs et des attentes
communautaires.
Partie I - Approche théorique et
méthodologique
I. Méthodologie : construction d'un objet
empirique
A Le terrain
Le terme « tribu » plutôt que «
communauté » que développe A. Hyman me parait juste en
parlant des Utahns : ainsi il considère le terme de «
communauté » comme « trompeur » dans son utilisation par
les Américains. Il pense que le fonctionnement est tribal car on
reconnait très vite un indien d'un évangéliste.... Il
considère la capacité qu'ont les Américains à
sortir de leur « milieu », la tribu est ouverte, la communauté
non. Il établit que les Américains ont une origine duale, triple
voire quadruple. Selon lui, c'est ce qui fait que la société
américaine ne s'effondre pas car ce creuset finit par s'amalgamer dans
une identité nationale (HYMAN, 2016, 14).
La société mormone a souvent cette connotation
de communauté voire de secte. Or les mormons apparaissent plus ouverts
sur le monde qu'il n'y parait, même si c'est sous couvert d'un
prosélytisme religieux. Il y a une attitude d'accueil au lycée de
ma fille. Les familles mormones particulièrement recoivent des
adolescents d'ailleurs, Mormons ou non-Mormons. Là où nous
habitions, ils viennent essentiellement de l'Amérique du sud mais
Bruyère a eu aussi un camarade venant d'Allemagne.
1. Un peu d'histoire
L'Utah est un jeune état américain. Du fait de
son histoire d'origine, liée à la persécution d'une
dissidence religieuse menée par les frères Smith : les Mormons.
L'Utah est « un état d'esprit » avant tout. Les autochtones
sont des Indiens Pueblo essentiellement. Petit à petit, d'autres
populations indiennes : les Utes notamment vont s'installer. Ils sont d'origine
mexicaine et liés aux Navajos du sud-est des Etats-Unis. Le territoire
va rester sous domination mexicaine jusqu'à l'arrivée de premiers
colons Mormons en 1847. Le traité signé établissant l'Utah
comme Etat est établi en 1850. Mais ce n'est qu'à l'aube du
20ème siècle qu'il devient état
fédéré après s'être engagé à
renoncer à la polygamie.
9
2. Les Mormons et les premiers colons
10
On ne peut pas parler de l'Utah sans aborder la religion
mormone. Les analyses sur cette confession religieuse que j'ai trouvée
dans « Devenir Mormon » de Sophie-Hélène Trigeaud
confirment mes propres observations ethnologiques. La conclusion est qu'il
s'agit probablement moins d'une religion que d'une culture (TRIGEAUD, 2013).
John Smith est investi à l'âge de 14 ans d'une
vision où deux personnages se présentent à lui. Ces
derniers vont lui indiquer où sont cachées les véritables
écritures bibliques. Il est alors demandé à John Smith de
remettre les hommes sur le véritable chemin suite à la perversion
et l'éloignement des écrits sacrés d'origine (idib,
16). 7
Accompagné de son frère, John Smith se lance
dans une quête prosélytique. L'église mormone est
créée. Elle se consolide très vite socialement,
politiquement et religieusement. La polygamie est pratiquée et
revendiquée. La communauté s'agrandit. Les Mormons cherchent
alors un lieu de vie. Mais si l'accueil se déroule parfois favorablement
notamment dans l'Illinois, très vite l'organisation structurelle des
Mormons pose problème (notamment la polygamie), entraînant des
persécutions.
A ce moment de leur histoire, John Smith commence à
être mis en difficulté par la légitimité des textes
sacrés qu'il transmet (dont notamment qu'une terre promise les attend).
Mais habité par ses convictions, il continue sa quête et attend
d'être guidé. C'est son frère qui reçoit le premier
une vision lui indiquant où se rendre. Lorsqu'ils arrivent dans ce
désert que représente le territoire des Utes, les premiers colons
n'ont que leur croyance et la force de leur bras pour construire leur pays. Le
Tabernacle de Salt Lake City sera construit en premier. Depuis, L'Utah est
avant tout un état d'esprit. L'empreinte des pionniers, l'individualisme
pour construire sa vie de famille, et l'entretien de la vie communautaire sont
encore fortement ancrés dans les mentalités.
La désaffection religieuse qui a touché
particulièrement l'Europe et surtout les jeunes pendant plusieurs
décennies fut moins accentuée dans le nord-américain.
(KOSTECKI, 2016, 10) (TRIGEAUD, 2013, 153-155). On peut même parler
d'après ces auteurs de « vitalité religieuse »,
plutôt « conventionnelle » (chez les adolescents). La religion
mormone n'apparait donc plus comme un particularisme. De nos jours, c'est une
religion en pleine expansion. Bien que le nombre des fidèles mormons ne
soit pas significatif par rapport aux autres religions8, les
chiffres montrent que la communauté double tous les vingt ans. Cet essor
s'explique par une natalité importante mais pas seulement, on peut
penser que l'organisation des missionnaires a aussi son impact. (TRIGEAUD,
7« John Smith explique qu'un ange lui aurait
livré un texte sacré ancien...... Lors de la première
vision, le Père et son fils J-C seraient apparus pour enjoindre de ne se
lier à aucune communauté religieuse tombée dans l' «
apostasie ». Puis Moroni aurait indiqué l'endroit où se
trouvaient les plaques du Livre... » C'est aussi ce que nous avaient
expliqué les missionnaires Mormons.
8 A nuancer si on compare avec d'autres chiffres :
une amie me faisait remarquer que le nombre de Mormons était
équivalent au nombre de juifs dans le monde. Je suis allée
vérifier. En effet, il y a 14 millions de Juifs dans le monde et 16
millions de Mormons.
11
2013, p. 18)9. Les missionnaires sont des jeunes de
19 à 22 ans qui partent dans une autre région (USA ou le reste du
monde) pendant 18 à 24 mois. Leur mission consiste à mettre en
place des activités de services et d'aides à la personne et de
diffusion de la Bible mormone, en proposant quelques lectures et
prières. Ces services peuvent être : des cours de langue, trouver
des vêtements à des familles défavorisés, apporter
son soutien aux personnes âgées, organiser des activités
pour des jeunes enfants : jeu, sport, activités ludiques.
Source :
http://www.city-data.com/city/Bountiful-Utah.html
Dans ce mémoire, les lecteurs trouveront souvent le
terme « l'Église ». Cela désigne à la fois le
lieu et l'office du dimanche. On ne parle pas de « messe » mais de
l'Église en ce qui concerne l'office.
A propos des pionniers, les informations que j'ai recueillies
en visitant le musée de l'histoire de l'Utah, montrent que les premiers
pionniers n'étaient pas tous Mormons. Ils y avaient aussi d'autres
colons poussés par la ruée vers l'or, la conquête de
l'ouest, chercheurs de terre où s'installer. Cet esprit pionnier est
encore très actif dans les mentalités. Il s'exprime notamment
dans l'attitude à toujours réaliser toute opportunité,
à valoriser l'idée d'efforts, de courage. Les termes «
opportunity » « you're brave » «
you're champion » sont quotidiennement employés dans les
familles comme à l'école. La vie quotidienne est rythmée
par l'action et ce qu'il y a à faire. Les gens se plaignent très
peu, ils agissent. Le système scolaire repose avant tout sur
l'apprentissage de savoir-faire. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a
pas de problème. La dépression et les suicides sont une
réalité inquiétante. Même à l'école
primaire, sont donnés les chiffres des dépressions et des
suicides des enfants, adolescents et adultes.
9 « La reconduction de cette enquête en 2004
faisait encore état d'une progression numérique en plaçant
les Mormons en tête...avec une croissance de 1.88%. En 2005, la
communauté s'était alors hissée à la
quatrième place nationale(USA). »
12
3. Les référents institutionnels
L'Utah a plusieurs emblèmes :
· La ruche : on la trouve sur les panneaux de
circulation
· L'aigle, plus exactement le pygargue,
représentant les USA, et ayant pour symbole la protection.
Sur le drapeau : au centre se trouve la ruche, symbole de
l'Utah. Au-dessus l'aigle américain, signifiant que l'Utah se rallie aux
Etats-Unis et le soutiendra toujours. Les lances dans les serres montrent le
courage des Utahns. Le calochortus représente la fleur symbole de paix.
L'ensemble est entouré d'un cercle d'or, représentant la
protection divine.
B Mon immersion
En ce qui concerne le terrain d'étude : j'ai
été partie prenante de l'expérience en tant que
témoin et observatrice. Ma principale interlocutrice est ma fille :
Bruyère. Le lecteur peut penser que mon implication est trop
personnelle. Si cette question émerge je peux opposer que Bruyère
est une adolescente très « populaire ». Ses relations amicales
sont très nombreuses et variées. Elle a su se faire plusieurs
cercles : des adolescents Mormons, non-Mormons, hispaniques (grâce
auxquels elle est trilingue aujourd'hui), Américains et
étrangers. Même si les Mormons ont tendance à rester entre
eux, ils se mélangent aussi avec les autres. Ainsi, le nombre de Mormons
sera simplement dominant dans un groupe donné. A ce panel s'ajoutent mes
propres connaissances : des relations de travail, de voisinage.
L'avantage indiscutable que j'ai eu fut mon immersion du fait
de ma situation professionnelle et familiale. J'arrivais avec trois enfants et
la population locale m'a immédiatement intégré un peu
partout. Ainsi donc j'ai pu acquérir une légitimité
immédiate.
Je mentionnerai de temps en temps mon binôme
américain : Courtney Pirouznia. Je dois expliquer le contexte
professionnel. J'enseignais le français à des classes de CP. En
fait, j'avais
13
deux classes de 26 à 28 élèves : soit
entre 52 et 56 élèves répartis. Le matin, une classe avait
anglais et l'autre français et l'après-midi nous
échangions les groupes. Nous travaillions donc en binôme. Les
enseignants français s'occupaient du français, des maths, des
sciences et de l'art. Les enseignants Américains s'occupaient de
l'anglais, de l'art aussi et de l'histoire. Courtney non-mormone, a 2 enfants
adolescents.
J'utiliserai fréquemment le récit de vie pour
illustrer mes propos. J'ai pu voir dans nombres de thèses actuelles que
j'ai consultées (
theses.fr) ce choix
méthodologique. Et donc je choisis de faire aussi cet exercice.
Néanmoins, dans les thèses que j'ai consultées, le
récit de vie est souvent une partie en elle-même alors que j'ai
choisi d'incorporer des passages de récit de vie dans mes
différents chapitres. J'espère que ce choix paraitra judicieux
par rapport à mon sujet.
II. Présentation du mémoire
Pour préparer ce mémoire, j'ai utilisé
des documents de la bibliothèque « Les Fenouillères »
du site universitaire. Néanmoins, mes ressources principales furent
internet. J'ai travaillé en grande majorité sur les liens de
recherches préconisés par l'université. En plus, j'ai eu
accès à un certain nombre de documents sur le site de
l'Université de Laval, au Canada. Je me suis servie uniquement de
documents numériques dans leur texte intégral. Et lorsque je le
pouvais, je trouvais l'ouvrage papier. Je suis consciente de la facilité
que nous offre l'outil informatique et notamment internet mais aussi de ses
limites en tant que sources. Le site «
theses.fr » m'a permis
d'accéder à des thèses récentes proches de mon
sujet. L'une de mes principales difficultés a été de
trouver des documents récents en ligne sur le sujet. Le fait aussi que
beaucoup d'études sur la famille, la sexualité ou l'adolescence
concernaient des sujets en France. Or par exemple, la plupart des études
indique un affaiblissement du mariage et des naissances. Ce n'est pas le cas en
Utah où le nombre de mariage et la natalité sont importants (voir
annexe).
Après une première partie sur les aspects
théoriques et méthodologiques, ce mémoire de master 1
présentera un chapitre sur la famille en Utah, avec un éclairage
sur les familles mormones et non-mormones. Ainsi qu'un chapitre sur
l'adolescence à Bountiful, qui sera une approche ethnologique à
partir de mes observations et des témoignages de Bruyère et de
ses camarades. Le troisième chapitre portera sur la sexualité
dans l'Utah. Une troisième partie sera consacrée aux bals et
à leur organisation avec une analyse éclairée par mes
lectures. Enfin, une dernière partie apportera des analyses
complémentaires à mon sujet.
Il est important de noter que je vais conserver quelques
termes anglais. J'en préciserai leur traduction et leur sens, dans le
contexte de la tranche d'âge concernée : les adolescents. En
effet, il
14
est souvent difficile de trouver dans les traductions une
sémantique équivalente.
A propos du terme « utahn » : on ne parle
pas dans les publications françaises de société utahne, de
famille utahne... C'est un terme qu'en revanche on trouve en Utah : «
utahn society ». Je choisis donc de l'utiliser en français. Vous
trouverez donc les termes : société utahne, famille utahne,
adolescent utahn.
Enfin, je mets en italique les citations que j'utilise.
III. Une approche pluridisciplinaire A Regard sur
les Rallyes français
Le terme « rallye » a plusieurs origines : il
était employé dans la chasse à courre et c'est aussi un
mot anglais « to rally » (réunir). Ce type
d'événements a été créé au lendemain
de la guerre dans le but de se reconnaitre entre pairs et d'affirmer
l'appartenance à une classe sociale. La revendication toujours plus
grande du choix personnel du partenaire a amené la création de
ces soirées. Il existe plusieurs rallyes. Et il faut passer une
sélection pour en faire partie. Un jeune peut appartenir à
plusieurs rallyes. Il y a un engagement financier et personnel important. Les
familles s'engagent à organiser une réception par an. Même
si aujourd'hui, les soirées tendent à laisser place à plus
de créativité, ce sont des organisations très
protocolaires. Les rallyes sont organisés par les familles. Celles-ci
restent présentes même si elles sont discrètes. Les
éléments constitutifs vont être : les lieux de la
fête, le protocole d'organisation (tenue vestimentaire en
général très habillé voire sur-mesure ; l'annonce
des personnes arrivant...), les invitations. Les acteurs de la soirée
font partie d'une liste close. Les rallyes concernent toute la période
de l'adolescence : vers 12-13 ans débutent des rallyes d'apprentissage :
journées d'activités, goûters, de jeux de
société type bridge, apprentissage des danses (rock, danse de
salon) et des règles de bienséances. (LUCA, 2014-2015) (JOLY,
2009). Ici, on peut parler de ghettoïsation sociale et politique (COGET,
2018), car ils sont endogames alors que, comme nous le verrons dans ce
mémoire, les bals de lycée sont exogames. Le but principal de ces
soirées est de se constituer un carnet de connaissances dans lequel
potentiellement on pourrait trouver un futur conjoint. L'objet de notre sujet
comme nous le développerons ci-dessous est plus de se préparer
à « l'idée du mariage » qu'à la recherche d'un
partenaire. Il ne s'agit pas d'une quête de la reproduction sociale mais
d'une réalisation de réussite personnelle et sociale dans le
mariage et la famille. Les adolescents semblent peu enclins à la
rébellion et/ou la remise en cause dans les rallyes comme dans les bals.
Du point de vue du rite de passage, les rallyes rentrent dans un rituel
d'agrégation alors que comme nous le verrons les bals relèvent de
la liminalité.
15
B Regard ethnologique sur les
Fest-Noz
En 2005, Dominique Crozat et Sébastien Fournier
notaient que la conceptualisation du champ des fêtes et du loisir
était faible alors que ce sont des pratiques très actives,
soumises à des statistiques et à des études diverses
notamment touristiques. (FOURNIER D. C., 2005, 308). La fête s'est
longtemps opposée aux cérémonies, commémorations...
Elles étaient considérées comme profanes et s'opposaient
ainsi à celles, sacrées, relevant souvent de la religion. La
fête s'inscrivait dans une action purgatoire : « il faut que
jeunesse se passe ».10 Le regard ethnologique sur les
fêtes n'est plus orienté sur l'opposition sacré-profane
mais sur la notion de patrimonialisation (FOURNIER L. S., 2003). Le Fest-Noz
nous permet un éclairage sur les représentations, les pratiques
et enjeux. Cette fête traditionnelle fait l'objet actuellement d'une
déclaration au patrimoine mondial culturel (PCI). « C.
Augé et Y. Paire (2006), le monde du bal est un monde en soi. Ces
auteurs ont réalisé un travail sur l'engagement corporel dans les
danses traditionnelles de France métropolitaine. Le fest-noz
étant considéré comme un « bal de danse
traditionnelle ». Un bal, selon les auteurs, peut succéder
à l'autre et emmener les danseurs jusqu'au bout de la nuit ; une nuit
aussi longue et diversifiée qu'une journée, avec des temps de
danse, des temps de rencontre, des temps de restauration et de repos, un rythme
propre qu'il faut longtemps pour comprendre et pénétrer».
(AGUIAR, 2017, 351 ). Si le Fest-Noz est une forme d'enracinement
territorial ce n'est pas le cas des bals de lycée. Dans le cas d'un
enracinement, cela suppose une stabilité de la population qui s'inscrit
alors dans une reconnaissance socio-historique et ethnoculturelle. On peut
parler de « lieu-mémoire » (AGUIAR, 2017, 346 ). Si on peut
attester qu'il y a une part de cela en Utah, notamment dans la revendication de
leur histoire pionnière et religieuse, la mobilité
géographique reste importante (voir annexe 1). Le patrimoine culturel
immatériel qu'est le Fest-Noz crée ainsi un territoire : «
espace d'identité, d'investissement affectif et culturel, et
évoque des sentiments d'appartenance ». (AGUIAR, 2017, 354) Le
parallèle avec ce type de fête est intéressant par rapport
à la notion de « patrimoine culturel immatériel ». Les
bals de lycée sont organisés sur tout le territoire
américain mais leur nombre par an et leur organisation varient d'un
état à l'autre voire même au sein d'un état. Des
collègues expatriés me faisaient remarquer que dans leur district
(Provo, Utah), seulement trois bals étaient organisés par le
lycée de proximité. Cette pratique festive nationale
relève donc bien d'un patrimoine commun à tous. Les travaux
d'Yvon Lamy (1992, cité par AGUIAR, 2017) déterminent «
plusieurs formes de patrimoine : le patrimoine comme politique publique,
qui renvoie à la longue histoire des rapports entre l'État et la
nation ; le patrimoine comme mobilisation sociale, en ce qu'il favorise
l'appropriation par les acteurs sociaux de leur environnement ; et le
patrimoine comme terrain de
10 Mircea Eliade « le sacré et le profane
», 1987.
16
rencontre entre administrations et associations.
D'après l'auteur (Y. Lamy, cité par AGUIAR, 2017), le
patrimoine est une ressource pour la reproduction sociale car il se transmet de
génération en génération, mais aussi une
construction sociale opérant des classements entre les objets et les
acteurs sociaux majeurs. En tout état de cause, le patrimoine est un
objet construit, légitimé par une institution publique ou
scientifique faisant autorité, de préférence
l'État, et dont la valeur trouve ses racines dans l'histoire»
(Ibid, 343). La performance culturelle (connaitre la
technique de danse) du Fest-Noz a un rôle d'outil de communication voire
d'action sociale.11 . « Les groupes sociaux communiquent et
montrent aux autres leurs valeurs et la façon dont ils veulent
être représentés au travers de leurs performances
corporelles ». Dans les bals de lycée, la performance ne se
situe pas dans la danse mais dans la construction de tous les
éléments entourant l'événement. Ils apparaissent
alors comme des outils qui ont la même action que la danse des Fest-Noz.
De la même façon ils canalisent divers sentiments comme la joie,
la détente, l'anxiété, la colère et la tension,
voire comme l'a développé V. Turner et que je développe
dans la partie suivante, une effervescence, une excitation.
C La liminalité
Le rite contemporain est fréquemment un rite
désacralisé car c'est un rite volontaire, personnalisé
laissant la place à la créativité avec une fragmentation
des passages et une réitération des seuils symboliques. Le rite a
une fonction de transformation irréversible. Il a aussi une fonction de
reliance. Isabelle Kostecki et Raymond Lemieux ont montré à
travers les rites religieux qu'il y a
.
reliance verticale et horizontale. (KOSTECKI, 2016, 63) 12
La reliance verticale concerne tout ce qui va être plus
grand que soi (l'institution par exemple), il y a l'idée de
transcendance, et la reliance horizontale concerne la communauté des
11 G. Bateson (1972), V. Turner et R. Schechner (1988)
et R. Bauman (1992). S. Tambiah (1985)
12 (KOSTECKI, 2016), elle reprend les travaux de R.
Lemieux de 2002
17
pairs : la reliance sociale.
David Harvengt13 montre dans sa thèse de
2005 sur les bals de fin d'année au Québec, que les adolescents
peuvent aller jusqu'à se créer de nouveaux rites totalement
personnalisés (CHERBLANC, 2011,60) mais qu'il n'en demeure pas moins que
ce sont des rites collectifs. Ainsi les bals pourraient être
qualifiés de rites individuels. Cependant la constitution de groupe
prévalant sur l'individu dans notre sujet montre qu'il s'agit de rite
collectif. Se pose alors la problématique de l'intégration dans
le groupe. D. Harvengt établit deux critères : la non-obligation
du rite et l'individu dans le groupe. Le bal est pour lui un rite d'initiation
et l'initiation à l'université est un rite d'intégration.
Les témoignages parlent de « cheminement », une prise de
conscience que c'est la fin de quelque chose mais que d'autres choses aussi
important se préparent. Il est évoqué comme une « fin
collective ». Il note que même s'il n'y a pas de caractère
obligatoire ou de pression, la participation est importante car « les
jeunes ont un besoin et une demande de rituels, de créer un temps
intense hors du quotidien. Pour lui, les jeunes cherchent ainsi des «
balises » individuelles et collectives qui expriment une reconnaissance
personnelle et sociale de leur accomplissement et de leur appartenance à
leur communauté. » (Ibid, 61). Il reprend aussi les
travaux de Michel Maffesoli qui parle de « tribalisme postmoderne »
mélangeant distinction et fusion dans des groupes où
prévaut « la conviction d'une destinée commune
».
Victor Turner (1990) va proposer le concept de
liminalité (seuil). Il étend les travaux de Van Gennep, (VAN
GENNEP, 2011, ) à toutes les situations de transition. Cela concerne des
lieux, des moments, des étapes de la vie. La liminalité indique
une période ou un lieu temporaire14 sauf dans le cas de
« personne liminale »15 où il y a un
caractère permanent (comme chez la personne handicapée) (BLANC,
2008). « Si elle traduit une transformation des identités, il
ne s'agit pas d'un passage entre identités normées, mais
plutôt du processus social d'interactions par lequel se retravaillent des
identifications. La liminalité est ainsi posée comme un mode de
construction de soi, qui passe par l'hybridation, le métissage et le
refus de formes imposées. Le «ni l'Un ni l'Autre» des travaux
antérieurs devient l'«articulation d'éléments
contradictoires» (Bhabha, 1994). L'incertitude et le danger de la
situation demeurent, puisqu'elle conduit à la contestation de la norme.
» (FOURNY, 2013). C'est un processus complexe de
différenciation de nouvelles catégories. Les travaux d'Homi
Bhabba (FOURNY, 2013) montrent que la liminalité ne construit pas
l'individu par le conflit autour d'une hiérarchie de valeurs mais par un
processus de construction et même de production de
références institutionnelles. A l'opposé, Théodoro
Patera,
13 Harvengt, David, 2005, Le faste et la farce. Les
rituels contemporains en milieu scolaire. Université Laval, thèse
de doctorat en ethnologie. In (CHERBLANC, 2011, 56-72).
14 Marie-Christine Fourny, « La
frontière comme espace liminal », Journal of Alpine Research |
Revue de géographie alpine [En ligne], 101-2 | 2013, mis en ligne
le 07 avril 2014, consulté le 04 juin 2019. URL :
http://journals.openedition.org/rga/2115
; DOI : 10.4000/rga.2115
15 SCARPA Marie, « Le personnage liminaire
», Romantisme, 2009/3 (n° 145), p. 25-35. DOI :
10.3917/rom.145.0025. URL :
https://www.cairn.info/revue-romantisme-2009-3-page-25.htm
18
montre dans son article « liminalité et
performance »16 que cette marge rituelle comporte des
similarités avec la dramaturgie et qu'elle est de ce fait forte de
créativité. Le drame social qui se joue dans cette phase permet
des ajustements et réajustements au sein d'espaces liminaires. Il (le
drame social) « ... relève d'un caractère performatif,
puisque dans la mise en question des règles ordinaires sur lesquelles se
fonde le groupe social, les parties en conflit donnent vie à une sorte
d'expérimentation de rôles, comportements, structures visant
à créer une structure alternative à celle qui a
échoué. » (PATERA, 2014, 9)
Martine Segalen montre que le temps « liminaire »
(TURNER) est souvent une période de ségrégation qui
entraîne un isolement. Cet isolement est sociologique (séparation
avec le groupe) et géographique (tente de sudation...). Les futurs
initiés sont exclus de la communauté, donc sans protection et
ainsi se confrontent aux forces du mal. (SEGALEN, 1998, 35-36). Si je
considère les bals de lycée comme un seuil de passage. Le
processus est inverse : il n'y a pas d'isolement entrainant une mort
symbolique. La chrysalide se déploie dans un temps continu. Il y a dans
ce rite contemporain une fluidité des étapes de vie. C'est la
« communitas existentielle » de Victor Turner. C'est-à-dire
« du vivre et du sentir communautaire » qui se manifeste au
travers du « nous effervescent ». « Le vouloir vivre et sentir
communautaire ne se manifeste-t-il pas, dans le moment du rituel, qu'au travers
de sa forme inachevée que constitue « l'être ensemble »,
le « nous effervescent », toujours contingent et provisoire»
(DARTIGUENAVE, 2012). Les membres du rite liminal se trouvent dans une
dynamique de coprésence, « Elle (la coprésence)
autorise
l'indifférence réciproque entre semblables,
mais non celle de chacun envers l'unité de lieu et de
temps qui les rassemble tous. Ici, le tout agit comme tel,
réunissant des parties sans que celles-ci
disposent de l'autonomie susceptible de redéfinir
le tout. ». (DARTIGUENAVE, 2012, 23) La « communitas
existentielle » s'inscrit dans une « atmosphère communielle
» laissant une large part au ludique et à la recherche
esthétique. C'est «entre des moments de forts désirs
fusionnels et
d'autres où l'individu réflexif prend distance
par rapport au scénario qui rarement l'engage
totalement... » (C. Rivière, cité
par DARTIGUENAVE, 2012, 20). La seule fin en soi est
l'accomplissement du rituel qui remplit sa fonction de promesse
de rencontre de l'autre, de
« renouvellement permanent ». ( DARTIGUENAVE,
2012)17. Tout au long de ce travail, nous
verrons que les différents aspects évoqués
ici concernent les bals au lycée. Les mots clés de
« communitas existentielle », « coprésence
», « provisoire », « forme inachevée », «
effervescent »,
« renouvellement permanent » sont propres à
qualifier les bals de lycée.
D L'adolescence et la
sexualité
16 Teodoro Patera, « Liminalité et
performance : de l'anthropologie de Victor Turner aux Folies Tristan
», Perspectives médiévales [En ligne], 35 |
2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 04 juin 2019. URL :
http://journals.openedition.org/peme/5025
;
In (DARTIGUENAVE, 2012)
17 M. Maffesoli, La conquête du présent,
Paris, PUF, 1979, p. 127.
19
L'adolescence est caractérisée par des
transformations mentales et corporelles. Il s'y mélange des pulsions
(vie-mort), des désirs sexuels sur des développements
narcissiques, d'une approche du relationnel idéalisé (les mots :
amis à la place de copain, le meilleur ami, la meilleure amie). Le
rapport à la sexualité est plus explicite : l'élaboration
de la sexualité va de « l'amour courtois) à
l'érotisme. Alain Braconnier dans son article du dernier Sciences
Humaines : « Qu'est-ce que l'adolescence ? » fait le lien avec la
psychanalyse et le complexe d'Oedipe marquant ainsi le passage à l'acte
sexuel autorisé. Il parle de « consolidation des fonctions et
intérêts du moi » à la fin de l'adolescence.
Cette période de vie marque trois changements d'état :
l'acquisition progressive de l'autonomie vis-à-vis des parents (voire
financière : les nombre d'adolescents utahns qui occupent des petits
emplois est important), l'acceptation du corps (Lacan : le stade du miroir) et
de la sexualité, et pour finir la projection des choix de vie.
L'adolescent va s'individualiser, apprendre à poser ses limites (de la
tolérance à ce qu'il juge intrusif) et essayer d'installer son
idéal. Il va répondre ou pas aux attentes sociales (A. BRACONNIER
: « les adieux à l'enfance » cité par BEDIN, 2019,
43-44).
Martine Fournier (BEDIN, 2019) reprend les travaux de
Dominique Pasquier « Lycéens, la culture des pairs » pour
montrer qu'en France, le clivage de classe est moins accentué chez les
adolescents. On parlerait ainsi plus de « culture des jeunes » qui
serait une mixité sociale : le banlieusard peut écouter du jazz
ou de la musique « qui craint » tout comme le jeune des quartiers
favorisés. Ainsi « la transmission culturelle verticale serait
confrontée à la culture des pairs » que l'on peut qualifier
d'horizontale (BEDIN, 2019, 135) Par contre les recherches tendraient à
démontrer qu'il y aurait une fragmentation sexuée : les
garçons choisiraient une expression dans l'extériorité qui
les ferait rechercher une homogénéisation de groupe, alors que
les filles nourriraient une culture plus intimiste où se
révèlerait une individualité plus personnelle.
1. Les dangers de l'adolescence et le rapport à
l'autorité
Véronique Bedin et Nicole Catheline mentionnent que le
regard du parent est passé du rejet de l'adolescent à une forte
attente à son égard. Le parent est omniprésent afin de
s'assurer que son enfant ne va pas être en difficulté et
entraîne ainsi la création de « Tanguy ». (BEDIN, 2019,
50). L'adolescence est fréquemment étudiée sous l'aspect
conflictuel avec les représentants de l'autorité. Daniel
Marcelli, pédopsychiatre rappelle que deux composantes interviennent
dans la notion d'autorité : l'une concerne le relationnel
(institutionnel ou non) et l'autre, l'individu et ses représentations
(D. Marcelli : « Adolescence et autorité » cité par
BEDIN, 2019, 72-80). Pour lui, l'adolescent se trouve dans une phase
pulsionnelle et donc son principal souci serait la satisfaction plus ou moins
immédiate de ses désirs avec son corollaire le surmoi dans une
position de dictat.
20
L'adolescent rentre alors dans une période de risque
où il peut chercher la maitrise excessive (anorexie-boulimie,
addiction...) expression d'une « toute-puissance ». L'adolescent va
devoir faire un travail de déconstruction du surmoi infantile vers un
travail de personnification de son « idéal du moi » en
choisissant des valeurs personnelles et subjectives et en cherchant à
échapper à celles de leurs parents, figures d'autorité.
Cette construction, pour se faire, se confronte à la
réalité sociale, familiale et culturelle. Jadis, il s'agissait
d'un travail de refoulement face à la norme. Aujourd'hui « le
besoin narcissique d'affirmation de soi prend le pas ». L'adolescent
n'est plus dans une confrontation à l'autre pour se construire mais dans
une confrontation à soi. Pour l'auteur, c'est là que
réside le danger (Ibid, 79). Quant au prétendu
mal-être des adolescents, le sociologue Michel Fize débat sur la
croyance médiatique qui, ramenée aux statistiques, ne rendrait
pas compte de la réalité (cité par BEDIN, 2019, 60). Il
postule ainsi que les adolescents dans leur grande majorité sont
épanouis. Il rappelle que « problèmes relationnels » ne
veulent pas forcément dire « crise d'adolescence ».
2. L'adolescent et le rapport à l'argent
Les adolescents auraient une meilleure connaissance de
l'argent qui, selon une enquête Sofres de 2015 aurait été
transmise par leurs parents. Les jeunes seraient des consommateurs de plus en
plus tôt. Ils passeraient par la voie de l'insistance auprès de
leur mère pour obtenir ce qu'ils veulent (BEDIN, 2019, 158). Dans notre
sujet d'étude, dès le 4ème grade (CM1), des
activités sont organisées pour apprendre à gérer
son argent : cela peut-être des jeux de rôles dans une rue
reconstituée où banquier, médecin, secrétaire,
personnel des travaux publics se côtoient et dépensent leur
salaire, des activités comptables sur des logiciels. Au lycée,
des cours spécifiques de gestion sont organisés et obligatoires,
y compris un cours de gestion des finances du gouvernement. Comme je le dis
plus loin, la plupart des jeunes lycéens occupent un petit emploi.
Partie II - Etude de cas : l'individu dans la
société utahne
La construction de l'individu se concrétise dans l'
« american way of life », le chemin de vie américain.
Une partie est véhiculée par des croyances, des images, c'est le
cas du « self made made » et des « success
stories » et d'autre part par des actes philanthropiques et
altruistes essentiels. L'ensemble se matérialise dans la pratique
sportive ou musicale. Les enfants sont élevés et
encouragés à montrer leur talent. Ce n'est pas une culture de
l'élitisme, même si à un moment il y a une
sélection. L'adage « on a toujours besoin d'un plus petit que soi
» est applicable à cette société. L'effort et
l'engagement sont très valorisés. (HYMAN, 2016, 24-27) . Dans la
société
21
française, l'individu évitera de dire que son
entreprise a fait faillite. Cette expérience portera les stigmates du
résultat. Aux États-Unis, et encore plus dans l'Utah, dans la
même situation, ce qui sera considéré c'est l'engagement,
la façon dont l'individu a su rebondir et la vision positive qu'il en a
retirée. L'individu apprend très jeune à ne pas
considérer les choses personnellement. Il ne s'agit pas d'une notion
philosophique comme l'impermanence chez les asiatiques mais d'une approche
factuel : les faits sont là à un moment donné, mais ce qui
est vrai présentement ne le sera peut-être pas plus tard que ce
soit la réussite ou l'échec. Les adultes seront confrontés
à une insécurité permanente de l'emploi que ce soit en
matière de recrutement et d'emploi occupé. Un projet peut
être extrêmement bien noté et finalement il ne sera pas
retenu. Les raisons sont variables et rarement liées à la
personne qui l'a construit. De même, le licenciement est immédiat.
L'individu doit être prêt à rebondir. C'est donc une
société que l'on peut qualifier de violente psychologiquement.
Le sport est particulièrement important car il allie
l'engagement, l'altruisme, l'individualisme et l'éthos collectif.
Le chemin de vie américain passe aussi par le mot
très usité d' « opportunity », les
opportunités. Les Américains font une différence entre
l'arriviste et l'opportuniste. Dans les opportunités, il y a
l'idée d'accepter l'aide proposée (sinon l'obligation
philanthropique ne pourrait pas s'exercer) et de se lancer. L'image qui
illustre ce propos est la navette spatiale qui pour décoller à
besoin de kérosène en grande quantité, puis une fois
autour de la terre, elle est autonome. Saisir les opportunités est
presque une obligation sociale. Il est important aussi de préciser la
relation qu'entretiennent les Américains avec l'assistanat. Donner est
de l'ordre de l'obligation sociale (d'ailleurs chez les Mormons, cela fait
partie de leur chemin de vie et des témoignages qu'ils doivent
apporter). Néanmoins, ce don ne doit pas devenir de l'assistanat. La
personne ou l'organisme qui reçoit doit être en mesure de montrer
qu'il va devenir autonome ou bien que cette aide est provisoire ou/et
efficace.
I. Les familles en Utah, mormones et
non-mormones
L'idée du rêve américain ou «
american dream » est toujours présent et ancré dans
la culture. Il revêt d'autres formes : celle de la photo de famille
nombreuse mais aussi du lieu où l'on vit. Si un endroit ne convient pas,
les familles n'hésitent pas à déménager. Nous avons
assisté à cela : nous habitions dans la partie immeuble de notre
quartier résidentiel. Au bout de deux ans, nous étions les plus
vieux locataires. Les familles arrivaient dans un pickup avec juste une
remorque derrière. Ils s'installaient entre deux et douze mois et
repartaient. Souvent aucun signe ne présageait de leur départ. Un
matin, nous découvrions une « yard sale » en bas de
l'immeuble, c'est-à-dire une
22
vente des effets personnels. Leur efficacité est
remarquable. Ils n'hésitent pas à se séparer de leur bien
en ne gardant que l'essentiel. Ils vendent ou donnent. Il existe des
entrepôts de vente d'occasion : les Deserts Industries où
tout s'achète à moindre prix. La mobilité des familles
logeant en maisons individuelles était moins importante car il s'agit
plus de propriétaires.
A La structure familiale
Les observations que j'ai pu faire de la structure familiale
dans notre secteur sont :
- Les familles sont composées des parents avec deux
à cinq enfants. Les familles non-mormones ont souvent deux enfants. De
même dans les familles mormones, les fratries sont rapprochées et
fonctionnent souvent en binôme. Alors que l'écart d'âge est
variable dans les autres familles.
- La femme mormone ne travaille pas ou à mi-temps
pendant toute la période de la petite enfance et de l'enfance. Par
contre, elle s'investit dans les activités de l'Église, de
l'école et d'association caritative. La femme non-mormone travaille en
général.
L'école est très investie et peu remise en
cause. Les parents participent beaucoup aux différents temps scolaires
(les assemblées, les activités festives...). Si on reprend la
nomenclature de Claes : les parents utahns sont de style
authoritative18 (CLAES, 2003, 23 ).
Le réseau familial est très important et
beaucoup pratiqué par des rencontres régulières dans
l'année. Rappelons-le, la mobilité géographique est
importante. Les membres peuvent être éloignés les uns des
autres. A titre d'illustration, je vais parler des campings. La première
fois que j'ai été dans un camping, j'ai été
surprise de voir un nombre incalculable d'emplacement de groupes. Connaissant
l'importance de la pratique du scoutisme en Utah, j'ai d'abord pensé que
c'était pour les groupes de scout. J'ai fini par interroger mon amie
Courtney. Elle m'expliqua qu'en fait c'était pour les familles qui
partaient fréquemment en week-end toutes ensemble. A de nombreuses
occasions, en effet, nous avons pu voir des familles de dix à quinze
personnes d'une même famille occuper des emplacements. L'enfant et donc
particulièrement l'adolescent vit dans un réseau
intergénérationnel. Il n'est pas ou très peu dans une
configuration où les relations familiales se liquéfient.
B Le scoutisme
18 Le style authoritative
(exigence/affection). Les parents ont de grandes exigences en
matière d'éducation et ils entretiennent des projets pour leurs
enfants. Ils imposent des règles et fixent des limites tout en
répondant aux besoins des adolescents. Ils font preuve de fermeté
et de chaleur, mais ils assument la responsabilité ultime de leurs
décisions. Ces parents expriment leur proximité affective et ils
dialoguent avec leurs enfants afin de leur faire comprendre leurs
décisions. Annexe V Le terme « authoritative
» a été conservé car il n'a pas d'équivalent
en français.
23
Les activités de scoutisme sont extrêmement
valorisées dans l'Utah. Le scoutisme peut être laïque «
Girl scout » ou religieux.
Mes trois enfants ont participé à ces
activités. Probablement que leur intégration en fut
facilitée. Il convient que je fasse état de mon expérience
en tant que parent. Bruyère et Simon : 15 et 12 ans au début de
notre séjour ont été intégrés dans des
groupes de scoutisme mormon. Maïa qui avait 9 ans est allée dans un
groupe laïque « The girl scout »19. Sur la
question des choix des groupes, ce n'était pas un choix
conscientisé, simplement une question de circonstances et
d'opportunité. Pour mes deux ainés ce sont les missionnaires et
les groupes qui sont venus nous demander si j'acceptais qu'ils participent
à des activités de jeunes. J'ai inscrit Maïa dans le groupe
dont s'occupait Courtney, mon binôme anglais à l'école. On
parle indifféremment de scoutisme ou d'activités («
scout » « activities »). Les groupes sont
organisés par genre : groupes filles et groupes garçons. Et les
activités ne sont pas pratiquées le même soir sauf 2
à 3 fois par an où ils sont tous réunis.
Quelques précisions : Bruyère a souhaité
participer aux activités de la religion mormone. Elle n'a pas choisi
pour autant de se faire baptiser. Mais elle fait partie des « Young
Women » de son Église. Et elle assiste à
l'Église tous les dimanches depuis 3 ans. Les « Young
Women » ne sont pas des scouts, c'est un groupe de jeunes filles
amenées à prendre des responsabilités au sein de
l'Église. Mon sujet ne portant pas sur le religieux, je laisse le
lecteur lire « Devenir mormon » s'il souhaite des renseignements
supplémentaires sur le sujet (TRIGEAUD, 2013, 200-202). N'étant
pas de confession religieuse, j'ai laissé à mes enfants le choix
d'adhérer ou pas selon leur besoin et leur opinion (ce fut le cas pour
Bruyère). Simon ne souhaitait pas aller à l'Église. Je
pensais qu'il ne pourrait pas continuer les activités de scoutisme,
d'autant plus qu'il ne lisait pas les textes de la bible des Mormons
demandés chaque semaine. Mais il n'a jamais été exclu,
bien au contraire. Quelque soit le type de scoutisme, il y a une tenue
vestimentaire particulière dont l'élément le plus
important est la chemise. Un système de récompense et
d'encouragement est organisé chaque année. Ce sont des «
merit badge » (des badges de mérite). En
général ce sont des écussons à coudre sur la
chemise. L'adolescent se fixe des objectifs liés à des notions de
courage, ou d'éducation civique (apprendre les gestes de secourisme, tir
à l'arc, dormir dehors à la belle étoile, réussir
à allumer un feu de camp, entretien du matériel et du camp...).
Ils sont évalués par leurs pairs et les adultes
référents. Selon leur degré d'engagement, ils peuvent
changer de statut et prendre des responsabilités plus importantes. Ils
deviennent alors des référents pour les autres ou des leaders de
groupes. Pour les garçons, les enjeux et l'évaluation sont plus
individuels que chez les filles : les garçons ont une feuille de route
personnelle alors que les filles sont évaluées au sein du
groupe.
19 http://www.gsutah.org/
24
Chacun de mes enfants a vécu cette expérience
avec sa personnalité : Bruyère toujours très
engagée a été très heureuse quand on lui a
proposé une responsabilité que normalement elle ne pouvait pas
avoir puisqu'elle n'était pas baptisée mormone. Simon
n'étant pas d'une grande ambition compétitive était ravi
des écussons qu'il obtenait. Maïa a très mal vécu le
fait qu'elle n'ait pas eu de récompense pour une activité car
elle s'y était investie mais tout reposait sur le réseau social
et familial, or toute notre famille était en France, elle n'avait pas pu
rivaliser avec les autres.
Comme nous le développerons plus loin,
l'éducation américaine et mormone repose sur une éducation
horizontale par le groupe de pairs. Le scoutisme fait partie de cette
éducation horizontale. L'adolescent adopte une attitude «
d'ouverture d'esprit » avec son groupe de pairs qui lui permet de faire
l'expérience de l'adhésion et de l'altérité des
références socioculturelles. Ces références qui
font l'objet des attentes parentales. On peut parler de « transmission
horizontale » (BEDIN, 2019). Ce n'est pas le conflit qui construit le
nouvel adulte mais l'interrelationnel par un jeu de miroir
réciproque.20.
II. L'adolescence à Bountiful, Utah, une approche
ethnologique
Pour développer cette partie, j'utiliserai les travaux
de Michel Claes comme référence. Il parle de « mythe de
l'inévitable confrontation entre parents et adolescents ».
Pendant longtemps, les recherches ont fait apparaître que l'adolescence
était une période de perturbations inévitables, de
confrontation et d'opposition à l'autorité. « Les
conflits sont considérés comme l'expression normale du mouvement
de détachement qui libère l'individu des liens infantiles et lui
permettent d'accéder à la maturité. C'est l'absence de
conflits qui est perçue comme un symptôme d'immaturité.
» (CLAES, 2003, 28-35 ). A partir des années 70, les
recherches tendent à montrer que s'il y a conflit, ils sont mineurs et
qu'ils n'entrainent pas de ruptures. Ainsi les adolescents déclarent
plutôt bien s'entendre avec leurs parents (Steinberg, 1990, cité
par CLAES, 2003). D'autres travaux montrent que les conflits récurrents
entre parents et adolescents sont en fait les signes de dysfonctionnements
familiaux (Barrera et Li, 1996, cités par CLAES, 2003) où
règnent tensions, agressivité et négligence. «
Une chose est claire, et les praticiens le savaient : sur fond solide
d'affects positifs, l'entente parents-adolescent résiste, sauf
accidents, aux soubresauts venus des revendications et des affirmations de soi
de l'adolescent, et donne, jusqu'à la fin de l'adolescence et
au-delà, un socle essentiel et des réassurances pour la
construction de soi » (DUMORA, 2004). Pour comprendre
l'adolescent à Bountiful, il faut regarder du côté des deux
fonctions parentales que sont l'attachement et le contrôle parental. Les
liens d'affection, la
20 Qui induit une réciprocité entre
pairs.
25
propension à couvrir les besoins affectifs et
émotionnels montrent le niveau d'attachement de la part des parents. Les
enquêtes établissent que plus il est élevé moins
souvent l'enfant développe des états dépressifs. Pour
certains c'est le fondement de la construction morale. Les observations que
j'ai faites du fait de mon métier d'enseignante révèlent
des comportements familiaux où l'affect, l'écoute et la
démonstration sont très importants. Néanmoins, j'ai pu
aussi constater de nombreux enfants avec un état dépressif. Pour
certains, temporaire, pour d'autres, nécessitant une médication.
21. Le contrôle parental est soit coercitif, soit inductif. (CLAES, 2003
). Ici, c'est un contrôle inductif fait de négociations,
d'échanges qui visent à l'adaptation de l'adolescent. Barber
(cité par CLAES, 2003) distingue « contrôle psychologique et
comportemental ». « La première forme désigne une
présence parentale intrusive qui ne respecte pas la vie privée de
l'adolescent, lui dicte les conduites à suivre et lui impose des modes
de pensée. Le contrôle comportemental est d'un autre ordre : il
vise à encadrer la vie familiale et scolaire des adolescents, en fixant
des règles et des limites qui ne pourront être franchies. »
(CLAES, 2003). Les parents comme je le développe dans une autre
partie, poussent l'adolescent à sortir (à partir de 16 ans pour
les Mormons) avec des amis. Il l'encourage à avoir sa vie de «
jeunesse » personnelle. La mère et le père de famille qui
s'occupent de Bruyère aux USA, sont venus un soir dans sa chambre pour
lui parler. Bruyère est une jeune fille très travailleuse qui a
pris des classes très difficiles dont certaines ont un niveau
universitaire (c'est possible au USA). Elle avait donc beaucoup de travail. Sa
famille, lui a expliqué que ce n'était pas possible, qu'elle
devait absolument sortir avec ses amis et développer une vie sociale
enrichissante.
Le contrôle parental implique un mode de sanctions. Les
modes inductif et punitif sont ceux que j'ai le plus observés (Annexe
VI)22. « Les adolescents qui vivent dans un tel
environnement familial acquièrent une meilleure compétence
personnelle, ils s'affirment et réussissent mieux sur le plan scolaire
et
professionnel »(Ibid) et manifestent moins d'actes
délinquants.
A Le temps des responsabilités
engagées
Lorsque l'enfant atteint l'adolescence, il entre dans un
âge de responsabilité active : les petits emplois dans les
supermarchés, les actions caritatives auprès des personnes
âgées ou en difficulté, les ventes diverses de
gâteaux... vont être encouragés. Les parents qui
accompagnent beaucoup au départ, vont laisser progressivement le jeune
se débrouiller seul. Cela va souvent de pair avec le permis de conduire.
C'est aussi une préparation soit au monde du travail au sortir du
21 L'enfant est habitué à exprimer
ses « états d'âme », l'ensemble des structures veillent
à ce qu'il soit peu confronté aux manques, aux frustrations. Et
parallèlement, il est encouragé à faire preuve
d'initiative, de courage et de persévérance.
22 Mode inductif. Les parents
expriment clairement leur désapprobation et leur volonté de voir
changer les choses ; ils tentent toutefois de résoudre les
problèmes en discutant avec l'adolescent et en l'associant à la
recherche d'une solution. Mode punitif. Les parents expriment
clairement leur désapprobation et imposent des sanctions (privations de
sortie, interdiction de recevoir des amis à la maison, travaux
supplémentaires, etc.).
26
lycée soit à l'édification des projets de
« scolarship » 23. L'adolescent va être
aussi beaucoup plus sollicité pour l'entretien des maisons que ce soit
le jardin, la cuisine, le ménage. Au lycée, il peut postuler pour
faire partie des SBO : ce sont des représentants d'élèves.
Ils sont organisés en groupe de fonction : certains s'occupent des
messages par haut-parleurs le matin, d'autres d'organiser des collectes,
d'autres d'organiser les assemblées (« assembly » qui
est souvent une mini-performance : pièces de théâtre,
« talent show ») et l'organisation des bals. Le lycée
organise chaque année, en général en milieu
d'année, des élections pour élire les représentants
de l'année suivante. Lié d'abord aux activités de
scoutisme lorsqu'il était plus jeune, en grandissant, l'adolescent est
sollicité pour s'engager. L'engagement a un rôle éducatif
complémentaire du système familial et scolaire. Il est à
la fois un espace d'expérimentation et de construction de soi. Sans
doute, comme s'interroge C. THOURY dans sa thèse a-t-il un rôle
« d'émancipateur » (THOURY, 2017, 11). Pour elle, il est
probablement l'élément actif de rite de passage. (THOURY, 2017,
9). L'adolescent engagé rentrerait dans un processus de
reconnaissance24. « Axel Honneth identifie trois types de
reconnaissance : la reconnaissance amoureuse et affective où la relation
à autrui se caractérise par un lien affectif, cette
reconnaissance primaire est essentielle selon l'auteur car elle permet à
l'individu d'entrer en société ; la reconnaissance légale
qui renvoie au fait d'être reconnu en tant qu'individu responsable de ses
actes, c'est l'égalité de droit au sein d'une même
sphère ; la reconnaissance socioculturelle est la reconnaissance
liée au fait de contribuer à un groupe ou de faire certaines
activités, ce mode de reconnaissance passe essentiellement par le
travail et nécessite que les individus soient reconnus à leur
juste valeur. François de Singly renomme ces trois types de
reconnaissance de la façon suivante : amour et sollicitude ; droit et
considération cognitive ; estime sociale, qui signifie la reconnaissance
des compétences personnelles. » (THOURY, 2017, 92). Les
lycéens qui font partie des groupes SBO sont dits : « popular
» (populaire : « ils sont très populaires... je suis
sortie avec quelqu'un de très populaire »)
B L'âge des sorties
Avant 16 ans, les sorties sont assez rares voire interdites
chez les Mormons. Les jeunes adolescents contrôlent beaucoup leur rapport
à l'autre sexe. Il y a comme une indifférenciation des genres
pour privilégier les amitiés. Par contre, à partir de 16
ans, les relations avec l'autre sexe sont
23 Les « scolarship » sont des bourses
d'étude souvent d'ordre privé obtenues après avoir
proposé un projet : tous les projets sont possibles : monter une
exposition dans un musée, aider des personnes âgées, donner
des cours gratuitement, aider des familles défavorisées...
Souvent un futur étudiant présente plusieurs scolarship ce qui
lui permet de payer ses études.
24 « la reconnaissance renvoie quant à elle
à la confirmation par le regard d'autrui de l'existence d'un individu ou
d'un groupe par l'attestation de sa valeur et de ses capacités »
Riffaut, HADRIEN, « S'aider soi-même en aidant les autres. Le
bénévolat : un espace de construction de soi et de
réalisation personnelle », Thèse de doctorat de
l'Université Paris Descartes, réalisée sous la direction
de François de Singly et soutenue le 23 novembre 2012, p.66 cité
par THOURY, 2017
27
fortement encouragées et deviennent une «
quasi-obligation sociale » (TRIGEAUD, 2013, 299). « Elles sont
organisées... en sorties de groupe de deux couples au minimum, pour des
activités de détente. L'enjeu de ces sorties est, explicitement,
de mieux connaitre les membres du sexe opposé pour, finalement, choisir
un conjoint. »25 Les soirées finissent avant minuit
en général. Les soirées des adolescents se prolongent plus
tardivement que celles des adultes où les rencontres entre amis
commencent entre 17h et 18h. Une table est dressée sur laquelle chacun
dépose le plat qu'il a apporté. Les convives commencent par
diner. Puis ensuite, il y a un moment de jeu, de karaoké. La
soirée finit vers 21h30-22h30 maximum. Ce type d'organisation est
possible car le travail finit tôt.
L'autre aspect est en rapport avec le permis : les adolescents
peuvent conduire dès l'âge de 16 ans. Les six premiers mois, ils
doivent être accompagnés d'un adulte, puis ils peuvent conduire
seuls avant minuit. En général, ils passent leur permis au
lycée qui est un cours du cursus qu'ils peuvent choisir. Ils ne peuvent
pas conduire après minuit avant l'âge de 21 ans. C'est aussi ce
qui explique que les soirées ne s'éternisent pas.
C L'alcool et la drogue
Dans l'Utah, seuls les magasins d'Etat sont habilités
à vendre de l'alcool et uniquement aux adultes de plus de 21 ans. Le
permis de conduire ou le passeport doivent être présentés.
Les supermarchés vendent de la bière qui est relativement
chère par rapport à la France car très taxée.
A cela s'ajoute la religion mormone qui proscrit toute sorte
de substances pouvant amener une dépendance. L'éducation scolaire
intervient aussi par des moments (dans les assemblées26 ou
dans certaines classes) de projections de films choquants sur le sujet.
Les jeunes ne boivent pas dans les soirées. L'alcool ne
fait pas partie des soirées comme en France. 27 Cela ne
signifie pas pour autant qu'ils ne recherchent pas des moments d'ivresse pour
« essayer ». Bruyère était souvent
décontenancée par ses nombreux amis français qui lui
disaient que l'alcool est nécessaire dans une soirée pour se
« détendre » et « ne plus penser ». Elle constatait
de son côté, qu'elle et ses amis Américains s'amusaient
beaucoup, riaient, et se détendaient sans avoir besoin de boire. Il en
est de même pour la drogue, le cannabis. Ce n'est pas une composante des
soirées mais cela ne signifie pas pour autant que les adolescents ne
vont pas essayer. Pour le
25 Ceci est vrai pour les Mormons comme les
non-Mormons.
26 Assemblées « assembly » en
anglais. Les lycéens sont réunis dans une grande salle pour
assister à différentes temps : spectacles, pièces de
théâtre, flash mob, éducation civique avec intervention de
personnes de loi...
27 En France : 57% des jeunes de 17 ans
déclarent avoir été déjà ivres au cours de
leur vie.
- 49% l'ont été au cours des 12 derniers mois.
- Un jeune de 17 ans sur dix, a été ivre au moins
une fois au cours des douze derniers mois. Ivresses
répétées moins
importantes que chez nos voisins européens.
- Ivresses masculines. Les garçons sont presque trois fois
plus nombreux que les filles à avoir connu au moins 10
ivresses dans l'année.
https://www.alcoolassistance.net/les-jeunes-alcool
28
parent, il y a donc un côté
sécurisé et sécurisant. La probabilité d'une
conduite en état d'ivresse est très mince.
Si l'adolescent de l'Utah remet très peu en cause sa
famille, son environnement, les observations que j'ai pu faire montrent des
fragilités existentielles. La scarification, notamment est
pratiquée. Les adolescents en parlent entre eux. Il en est de même
pour les euphorisants : drogues ou alcool sont essayés. Ce n'est pas
« institutionnalisé » comme dans les soirées
lycéennes françaises mais c'est plutôt quelque chose qui
est de l'ordre expérimental.
D L'adolescent parmi ses
pairs
L'adolescent n'a pas de groupe déterminé, il a
des groupes. Cela tient à la structure scolaire. A partir du
collège qui commence en 5ème par rapport à
notre système scolaire, l'élève choisit les «
class » (classe de niveau) qu'il veut faire. Certaines sont
obligatoires comme l'anglais et les mathématiques. Néanmoins
même dans ces disciplines, plusieurs niveaux sont possibles. Donc, il n'y
a pas de classe proprement dites mais des niveaux. Et l'étudiant peut
changer d'un semestre à l'autre. Il peut monter ou redescendre de niveau
de difficultés. Comme les challenges sont encouragés : il peut
essayer un niveau plus difficile et finalement revenir à un plus facile.
De même certains cours ont lieu seulement pour un semestre. Le semestre
suivant, l'étudiant changera d'option. L'adolescent se trouve donc
toujours dans un « brassage » d'individus. Ces interactions s'en
trouvent variées. Il y a donc aussi une dimension
éphémère dans les relations. Cela pourrait être
problématique dans une période comme l'adolescent, ou à la
fois le jeune recherche la cohésion du groupe et l'isolement. C'est
encore l'école, qui ajuste : l'organisation didactique des cours est
basée essentiellement sur l'oral, le jeu en interaction avec l'autre et
le travail de groupe sous forme d'exposé. J'ajouterai mon
expérience en tant qu'expatriée avec enfants. Les familles
d'enseignants participant au programme Jules Verne, étaient
dispatchées dans tout l'Utah. Les formations organisées par le
programme DLI, nous permettaient de nous retrouver une à deux fois par
an. Quelques familles ont dû repartir au bout d'un an malgré leur
volonté de rester deux ans car leur(s) adolescent(s) n'avai(en)t pu
s'adapter et trouver des amis(es).
Cette organisation amène à connaitre les uns et
les autres, au moins de vue (rappelons que le lycée de Bountiful compte
plus de 1500 étudiants). Et il est fréquent que lorsque la
question de trouver le partenaire du bal va se poser, « untel
soit l'ami de l'ami de la personne visée ».
Les adolescents se retrouvent souvent après les cours.
Ils s'organisent en covoiturage pour se rendre chez les uns et les autres.
C'est l'occasion de discuter autour des questions existentielles, des
problèmes relationnels, de vêtements, de maquillage mais aussi de
regarder des films ou bien
29
simplement de faire son travail. Ils n'ont pas
forcément les mêmes classes mais peuvent se faire réviser
réciproquement. On y parle aussi de sexualité. Il y a une
similitude avec les « veillées de Anne Monjaret .28
La structure religieuse est analogue à
l'éducation dans l'Utah : l'organisation mormone repose sur des groupes
d'âges d'abord, groupes de genre (les groupes des hommes et des femmes
sont différents). La pratique religieuse repose en partie sur des
témoignages de foi. L'éducation ne se fait pas verticale de
génération en génération mais horizontale avec son
groupe de pair (D. Gayet « la pédagogie et l'éducation
familiale » 2006, éd. L'Harmattan cité TRIGEAUD, 2013, 214).
Le fonctionnement est similaire entre les deux structures. Les classes sont par
niveau et non pas par tranche d'âge. Et le travail est organisé
sous forme de nombreux exposés qui rappellent le principe du
témoignage (« testimony »). Quant est-il alors du
contrôle social pour que l'individu s'inscrive dans « le rang
attendu » ? Cette forme de structuration entraîne un
autocontrôle par le groupe de pairs vers ses membres et des membres vers
le groupe de pairs. Le contrôle parental se trouve en partie levé
puisque le groupe va assurer la coercition de façon implicite. Et les
conflits vont s'en trouver amoindris.
E La différence entre les
sexes
Je souhaite donner un éclairage supplémentaire
sur le sujet qui est développé par Michel Claes, dans «
L'univers social des adolescents » (CLAES, 2003, 111-121)29
.Quand l'adolescent se retrouve dans une relation amoureuse, la demande de
chaque partenaire n'est pas forcément la même. Le garçon
souhaite continuer à fréquenter son groupe alors que la fille est
prête à réduire la fréquence des contacts avec le
sien. Elle souhaite entrer dans des relations engagées et plus intimes
percevant le groupe comme une entrave. Alors que pour le garçon, la
relation amoureuse revêt un caractère de prise de
responsabilité (cela le renvoie à une prise de conscience de sa
vie future qu'il préfère mettre en attente). En ce qui concerne,
les adolescents de mon sujet, ces attitudes sont aussi observables mais elles
sont minimisées. Les relations amoureuses sont encouragées, mais
les sorties en couple isolées des autres non. C'est évidemment,
d'autant plus vrai pour les adolescents Mormons. Les couples vont sortir entre
couples, ou demander à un ami ou une amie de les accompagner. Le groupe
devient plus restreint mais il continue d'être. C'est un moyen de
contrôler la sexualité. L'adolescent qui est seul et accompagne
peut se retrouver dans une situation ambigüe :
28 Les veillées dont le cycle s'amorce
vers la fin de l'automne en sont d'autres, non seulement parce qu'il s'y
raconte des histoires et des contes, mais aussi parce que les femmes s'y
retrouvent pour filer la quenouille et qu'il s'y déroule des rituels de
courtoisie qui incitent les jeunes gens à faire l'apprentissage des
relations amoureuses sous l'oeil attentif de la collectivité
(Belmont 1978b; Monjaret 1997: 26-28). (MONJARET, 2005)
29 Voir : CLAES, Michel. « Les relations
amoureuses : intimité et sexualité » In :
L'univers social des adolescents [en ligne]. Montréal : Presses
de l'Université de Montréal, 2003 (généré le
05 juin 2019). Disponible sur Internet :
http://books.openedition.org/pum/13742.
DOI : 10.4000/books.pum.13742.
30
à la fois de mise à l'écart, de
témoin (notamment de préliminaires simples), de confident.
III. La sexualité
Comme le précise David Berliner et Cathy Herbrand dans
leur article « Pragmatique et médiations sexuelles » (HERBRAND
D. B., 2010) « la sexualité ne se réduit pas au sexuel
mais fait intervenir des notions sociales et culturelles du genre,
financière et identitaire ». Aborder la sexualité est
compliqué en anthropologie puisque l'ethnologue ne peut être dans
l'observation. Le langage est alors l'intermédiaire. Le rôle du
scientifique en sciences sociales et culturelles sera alors d'être en
mesure de décrypter les croyances, les interdits, les pudeurs et les
transgressions.
Les rapports sexuels sont interdits avant le mariage chez les
Mormons. Cela fait partie des dix commandements. Les adolescents arrivent
à échanger entre eux sur la sexualité. Et d'après
les témoignages que m'a rapportés Bruyère, cet interdit
entraine beaucoup de frustrations et complique les rapports avec le sexe
opposé.30 Notamment, parce que les garçons
sembleraient plus facilement prêts à déroger à la
règle que les filles. Ainsi, il n'est pas rare qu'on découvre
qu'un garçon mormon a fait des tentatives de séduction
auprès d'une adolescente amie non-mormone. C'est une cause de rupture
dans un jeune couple mormon. Dans les pratiques qu'ils s'autorisent, ils
peuvent aller jusqu'aux « préliminaires »31 et la
jeune fille mormone est souvent inquiète de ce qu'elle peut accepter ou
pas dans ces préliminaires. S'ils allaient trop loin, ils devraient se
rendre individuellement chez le « Bichop » sorte de «
diacre » qui accueillerait leur confession et leur repentir. Le fait que
Bruyère soit une française, certains garçons lui parlaient
franchement qu'ils ne sentaient pas en accord avec l'interdiction des rapports
avant le mariage.
Deux des amies de Bruyère sont venues pendant un an
dans une famille américaine. L'une était dans l'État de
New-York, l'autre dans le Missouri. Les deux ont expliqué à
Bruyère que les rapports sexuels commençaient dès
l'âge de 14 ans, ce qu'explique aussi (HYMAN, 2016, 24), « le
paradoxe américain se retrouve aussi dans le mélange plaisir
sexuel et pudibonderie. » « L'activité sexuelle est
très valorisée par la partie non-religieuse de la
société américaine ». Même chez les
non-Mormons, l'âge de la sexualité est plus tardif dans l'Utah que
dans le reste des Etats-Unis. Des préservatifs et moyens de
contraception sont offerts directement dans les lycées de d'autres
états.
30 Ibid, « Garçons et filles
diffèrent également dans leurs attitudes à l'égard
des activités sexuelles : les garçons ont des attentes sexuelles
plus précoces et ils perçoivent les rencontres amoureuses comme
le lieu de réalisation des pulsions sexuelles. Les filles estiment que
la sexualité, l'amour et l'engagement émotionnel ne peuvent
être séparés. Le fait de subir des pressions indues pour
s'adonner à des relations sexuelles est souvent cité par les
filles comme source de tension dans le couple (Knox et Wilson, 1983)
».
31 « Préliminaires » : pour les adolescents,
c'est à peu près tout sauf la pénétration : pour
certains c'est juste s'embrasser et se toucher, pour d'autres cela peut
être un peu plus. Ce qu'ils désignent comme l'acte sexuel est la
pénétration. J'ai mis un exemple de site où des jeunes
s'expriment à ce sujet.
http://forum.psychologies.com/psychologiescom/Ados/premiere-fois-sujet_2338_1.htm
31
Ce qui est inimaginable dans l'Utah. Pour aborder le corps
sexué en classe de science, j'ai eu à remplir trois feuilles
d'autorisations. Même chose pour le moindre film projeté au
lycée dans lequel il pouvait seulement avoir une scène qui
évoque la sexualité.
Nous avons évoqué aussi avec les missionnaires
et les personnes référentes de l'Église de notre quartier
la place de la sexualité. La sexualité et parler du sexe sont
relégués au privé chez les croyants, alors que les
non-croyants n'hésitent pas à exprimer, « que faire l'amour
est bon pour la santé physique et mentale » (HYMAN, 2016, 24).
Les Utahns et les Américains ne s'embrassent pas sur la
joue pour se saluer comme en France. Mais la pratique de « câlin
» est très répandue chez les adolescents et chez les adultes
dans l'Utah comme un peu partout aux USA. D'après des études
américaines dont celle de C. J. Pascoe : Il montre brillamment combien,
pour un adolescent, apprendre à être un homme passe notamment par
l'inculcation et la pratique de manières, particulièrement
homophobes, de parler de sexualité, mais aussi par des rituels
d'interactions entre garçons et filles (comme « se toucher »,
depuis le flirt au simulacre de combat), qui font partie d'un long «
processus d'hétérosexualisation »32.
A La question de l'homosexualité et de la
bi-sexualité
Les données indiquent que 5% des hommes et 3% des
femmes adultes se disent homosexuels (Denney et Quadagno, 1988, cité par
CLAES, 2003) et c'est autour de 21 ans qu'ils l'affirmeraient. Les
enquêtes rapportent que peu d'adolescents reconnaissent avoir eu des
activités ou des désirs homosexuels ; certains évoquent
« avoir tenté l'expérience ». Ce cheminement de
reconnaissance de son homosexualité est long et douloureux pour
l'adolescent car il se sait fondamentalement différent de ses pairs. La
médiatisation importante des communautés gays aux USA a sans
doute permis une tolérance et une acceptation plus importantes.
Tous les commentaires qui vont suivre proviennent des
conversations entre adolescents rapportés par ma fille ou
occasionnellement, lorsque je discutais avec certains d'entre eux. Les
adolescents parlent entre eux de la question de la sexualité, qu'ils
soient hétérosexuels ou LGB33. Dans leur discours, ils
reconnaissent avoir l'idéal de l'hétérosexualité.
C'est renforcé chez les jeunes Mormons. Beaucoup reconnaissent
être soulagés de ne pas être dans l'ambivalence sexuelle qui
reste compliqué dans la religion même si un certain nombre
d'Église accepte aujourd'hui les familles homosexuelles. Il est
important d'apporter une précision sur : « être homosexuel
chez les Mormons ». Il peut y avoir une différence entre ce qui est
véhiculé par les médias ou les instances officielles et la
réalité du terrain, c'est d'ailleurs en ça que repose
souvent le travail de
32 PASCOE, C. J., 2007. « Dude, You are a Fag
». Masculinity and Sexuality in High School. Berkeley/Los
Angeles/London : University of California Press.
33 Lesbiennes, gays, bisexuels
32
l'ethnologue : quelles sont les pratiques effectives. Ainsi
contrairement à ce que disent la presse et le conseil des 12
(apôtres)34, les LGB sont accueillis et cela ne veut pas dire
acceptés. 35 Car aux USA, la plupart des états
autorisent les LGB à adopter ou avoir des enfants par
insémination. Donc comme la famille est l'élément de base,
ils peuvent faire partie de la communauté. Cela implique tout de
même une contrepartie qui peut varier d'une Église à
l'autre. Le LGB doit se rendre régulièrement chez le
Bishop (rappel : sorte de diacre) pour parler avec lui, et surtout il doit
garantir qu'il prie pour l'aider dans sa quête de perfection (la famille
hétéro étant la perfection). Leur qualité sexuelle
n'est pas remise en cause mais il leur est demandé fréquemment
l'abstinence pour rester dans la communauté. La notion de liberté
étant respectée, on laisse l'individu faire ses choix
(grâce à la prière) et je n'ai jamais vu de cas
d'excommunication pendant mon séjour. Cette pression est plus simple
à gérer pour l'adulte qui est déjà dans une phase
d'agrégation et qui a souvent confirmé ses choix de vie. C'est
plus compliqué pour l'adolescent qui est dans une phase de marge. Et
c'est encore plus problématique à la fin du lycée quant
l'heure de choisir de partir en mission approche. C'est beaucoup plus simple
pour l'adolescent non-mormon même si en Utah, il doit rester discret. Ce
n'est pas rare que les adolescents parlent aussi de leur relation à
l'érotisme, et partagent leur expérience avec les autres. Ils
pratiquent les sites de rencontres sur internet dans ce but. L'éducation
sexuelle se fait là aussi par une transmission horizontale du groupe de
pair. L'adolescent ne va pas forcément jusqu'à
l'expérimentation lui-même de ce qu'un(e) ami(e) lui a
raconté mais il sait que potentiellement, il peut. Le fait de ces
confidences permet de lever aussi des jugements de valeur, des condamnations.
« L'ami(e) est quelqu'un de bien » son attitude même si on ne
l'approuve pas pour soi n'est pas condamnable puisqu'elle lui convient.
B Quelques règles au
lycée
34 Annexe II : « Pureté
sexuelle : Lorsque vous sortez avec une personne de l'autre sexe,
traitez-la avec respect, et attendez d'elle le même respect.
Abstenez-vous de toute relation sexuelle avant le mariage, de pelotage, de
perversions sexuelles (homosexualité, viol, inceste), de masturbation ou
d'obsession pour le sexe dans vos pensées, dans vos paroles et dans vos
actions. N'ayez de relations sexuelles que dans le cadre du mariage. N'ayez pas
d comportement homosexuels et lesbiens. Demandez de l'aide et des conseils si
vous avez été victime de viol, d'inceste ou d'autres
sévices sexuels. »
Annexe IV : « Le comportement homosexuel et lesbien est
un sérieux péché. Si vous vous trouvez vous-même en
lutte du fait d'une attirance pour le même sexe et que vous êtes
persuadé que c'est un comportement inadéquate, demandé
conseil à vos parents et à votre Bishop. Ils peuvent vous aider.
» livret pour les jeunes : The Church of Jesus Christ of latter day
Saints, Salt Lake City, Utah, 2001 ; 2011
« Si vous êtes tenté de commettre une forme
de transgression sexuelle. Faites-vous aider de vos parents et de votre Bishop.
Prier le père qui peut vous aider à résister à la
tentation, aux pensées et sentiments inappropriés. Parler avec
votre Bishop et commencer un processus de repentance et ainsi vous pourrez
trouver la paix et vous remplir de Saint-Esprit. Vous devez vous engager
personnellement dans une sexualité pure et encourager les autres
à faire de même . « Genesis 39 :1-12, doctrine et
gouvernances 38 :42 »
35
https://tetu.com/2016/03/18/les-Mormons-divises-sur-la-question-lgbt/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Point_de_vue_mormon_sur_l%27homosexualit%C3%A9
https://www.lesinrocks.com/2012/12/12/actualite/actualite/Mormonsandgays-org-les-Mormons-ont-ils-change-davis-sur-les-homosexuels/
: Gay et mormon, c'est possible? 12/12/12 15h39 par Carole Boinet
33
L'étudiant n'a pas le droit de venir au lycée en
débardeur ou caraco, les épaules doivent être couvertes
mais paradoxalement : les jeans déchirés ainsi que les tee-shirts
courts où le ventre apparait sont autorisés.
Les couples n'ont pas le droit de manifester leur relation en
public : pas de baiser, il est interdit de se tenir la main... Par contre il
existe un endroit connu de tous où ils peuvent se retrouver pour
échanger un baiser. Les couples sont donc très discrets et cela
passe beaucoup par le regard et les expressions.
Les lycées sont publics et pourtant le règlement
rappelle celui préconisé par l'Église
mormone.36
Partie III - Les bals au lycée en Utah
I. L'organisation par le lycée
Les dates des bals sont données en début
d'année. Il y a 3 bals où ce sont les filles qui
invitent et 3 bals où ce sont les garçons. Ce sont
les garçons qui invitent aux bals les plus
importants.
Ainsi voici la succession des bals :
Homecoming : garçons
Halloween : filles
Christmas : filles
Sweetheart : garçons
Senate : filles
Prom : garçons
L'année scolaire débute par le bal «
Homecoming ». Il s'organise autour de l'ouverture des
entrainements et des premiers matchs de football
37. C'est un bal important. Sweetheart qui correspond
à « Valentine Day » (St Valentin) est le
4ème bal essentiel. Enfin le bal primordial est le «
Prom ». C'est le bal où il faut être
invité. Il y a une attente importante teintée de stress, de
déception et de rebondissements. Pour ces trois « Dances
»38 (bals en français), ce sont les garçons qui
invitent. Je choisis de parler de « bals majeurs » dans ce cas de
figure et de « bals mineurs » pour les autres.39
36 Voir annexe
37 J'entends par « football » : le
football américain car le football de type européen s'appelle le
« soccer ». Il est aussi beaucoup pratiqué en Utah et
notamment là où je vivais. Mais il est essentiellement
féminin. Les petites filles y jouent dès l'âge de 6 ans.
38 terme américain
39 Je prends conscience en écrivant cette
phrase que je désigne par « majeur » les bals où ce
sont les garçons qui invitent
34
Le « Senate » est un bal à thème
qui change chaque année.
A propos de la culture consommiste
américaine.40.
Les représentations données dans les films
Américains se rapportant aux décorations d'Halloween et de
Noël ne sont ni un mythe ni exagérés. Et il en va de
même pour la St Valentin (Valentine Day). Les maisons sont
surchargées de décorations et d'animations et les jardins
investis par toutes sortes de figurines selon l'événement. Sur
les murs des habitations sont projetés des fantômes au moment
d'Halloween, et des coeurs quand il s'agit de la St Valentin. Le 14
février est considéré comme la fête de l'amour mais
dans un sens beaucoup plus étendu que celui des amoureux. Avec
Thanksgiving, c'est un moment de rappel des liens d'amour et de
fraternité. Elle se fête aussi à l'école dès
le plus jeune âge41. En tant que Française, c'est assez
inimaginable car la St Valentin est une fête à connotation «
commerciale ». Ce qualificatif pourrait aussi s'employer dans ce cas de
figure, mais l'aspect culturel est plus important ici.
La consommation de « gadgets » en tous genres touche
tous les lieux de vie et ce, à la moindre occasion se présentant
: les familles achètent des fidget spinner sortes de triskels
qui tournent sur un axe, des ballons à l'hélium, beaucoup de
bonbons aux formes originales, toutes sortes de petits jeux très bon
marché. Dans le monde professionnel, régulièrement, les
managers organisent un moment particulier avec un panier surprise. La
directrice de l'école où j'exerçais nous préparait
une table avec gâteaux, boissons chaque vendredi lors de notre
réunion et organisait régulièrement un temps
spécial (flash mob, déguisement, ice-cream soda...) avec un petit
cadeau à la fin (pins, serviette de plage,...). Et enfin à
l'école, l'enjeu de l'engagement scolaire ou comportemental des
élèves est récompensé par des bonbons ou des
gadgets divers.
Les bals occasionnent donc aussi un certain nombre de frais.
Les frais sont payés par celui qui invite : sont compris
l'activité qui précède quelques jours avant le bal avec le
repas ou la collation ; le restaurant le jour du bal ; les entrées au
bal. Il faut compter entre 150 et 250 dollars pour un bal.
II. Les principaux éléments du
rite
et « mineur » les bals où ce sont les filles
40 J'utilise ce terme que j'ai trouvé dans
plusieurs revues ethnographiques et que je trouve juste dans ce cadre : pour
exemple : Fournier, Laurent Sébastien. « Le jeu de « soule
» en France aujourd'hui : un revivalisme sans patrimonialisation »,
Ethnologie française, vol. vol. 39, no. 3, 2009, pp.
471-481.
41 Le jour de la St Valentin, les parents
organisent toute sorte d'ateliers : loto avec des bonbons en forme de coeurs,
préparation de cookies en forme de coeur, décoration de
sachets... chaque enfant arrive avec des friandises qu'il a apportées
pour tous ceux de sa classe. Chaque enfant repart avec son sac de st
Valentin.
35
On trouve trois éléments principaux qui forment
le substrat du rite : la constitution des groupes, les vêtements choisis
par le groupe (couleur et tenue vestimentaire), et les lieux choisis pour
avant, le jour du bal et après celui-ci.
A Le choix de « la Date
»
D'abord, l'adolescent va se mettre à la recherche d'une
«Date ». Normalement, la traduction est « rendez-vous
amoureux ». Mais comme nous allons le voir avec ce sujet d'étude,
ce n'est pas juste « le rendez-vous ». En France, le rendez-vous
correspond à un événement, un lieu : « mon
rendez-vous ».
Le Larousse 42 le définit comme : Rencontre
prévue entre deux ou plusieurs personnes à une même heure
dans un même lieu : Prendre rendez-vous chez le médecin.
Lieu où l'on doit se rencontrer : Être le premier à un
rendez-vous. Lieu qui sert de point de rencontre, de réunion
habituelle : Ce café est le rendez-vous des artistes. Rencontre
aménagée entre partenaires sociaux pour discuter des
problèmes en suspens.
La « date » représente en anglais
autant le meeting que la personne comme le précise « The
Cambridge dictionary »43 : « a social meeting
planned before it happens, especially one between two people who have or might
have a romantic relationship : He asked her out on a date. She has a
hot date (= an exciting meeting) tonight.
MAINLY US a person you have a romantic meeting with :
Who's your date for the prom?»
Je choisis de faire quelques commentaires à ce propos.
D'abord, certains comme Alexandre Cormont, coach, explique ce qu'est le «
dating » aux USA et sa surprise la première fois qu'il a
rencontré « sa date »44. Nous sommes
très loin de la notion de romantisme. L'aspect matériel,
financier et les perspectives maritales sont très vite explorés.
Les questions sur la vie et les pratiques de vie. Pourtant comme le souligne le
coach, c'est aux USA que le regard miroir, les yeux dans les yeux ont
été inventés en Amérique. Une anecdote maintenant :
nous avions invité Kaye Murdock à diner. En 2016, Kaye
était la responsable du programme DLI45 sur tout l'Utah.
Lorsqu'elle a demandé à mon compagnon pourquoi il quittait son
emploi et sa situation en France ; il lui a répondu « par amour
». Elle a souri et déclaré « c'est très
français ». Bruyère, ma fille a expérimenté
cette croyance du français romantique. Et surtout du baiser
français. Elle me raconta que ses amis lui avaient expliqué qu'on
embrassait qu'exceptionnellement avec la langue et que ce baiser s'appelait le
« french kiss ». Les Utahns sont très friands de
« romantic love ». Néanmoins,
42
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rendez-vous/68143
43
https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/date
44
https://www.alexandrecormont.com/comment-seduire/dating/
45 RAPPEL : DLI : Dual Language Immersion
36
les bals aux lycées montrent que, c'est plus la mise en
scène qui est recherchée que l'histoire romantique.
Pour le « first date », il s'agira souvent
d'un ami(e) ou d'une connaissance d'un ami(e). Le choix du partenaire ne se
fait pas forcément avec une intention de poursuivre la relation, ni
même sur des critères esthétiques. C'est avant tout le
côté amical qui prime. L'adolescent se sent certainement en
sécurité en choisissant un ami, une amie pour cette «
première fois ». L'exigence de la performance est
atténuée dans l'expérience d'inviter, de partager,
s'essayer aux éventuels écueils. D'autre part, s'il fallait faire
face à un imprévu, l'ami est sécurisant, on peut compter
sur lui. La « date » peut être quelqu'un du
lycée, un camarade d'une des classes, un ami d'un ami, celui
peut-être le fils ou la fille d'amis des parents aussi. C'est une
recherche à la fois individuelle et collective : le jeune
réfléchit individuellement et en discute avec son groupe
d'ami(e)s proche. Souvent c'est une copine ou un copain qui propose quelqu'un.
Cette communication est particulièrement importante chez les filles.
Mes observations m'ont montré que le couple des bals
est éphémère, il existe le temps de
l'événement. C'est très rare lorsqu'il débouche sur
une relation plus sérieuse. La plupart du temps, les « dates »
de ma fille étaient des camarades de classes avec qui elle s'entendait
bien. Une seule fois, elle a décidé par défi, d'inviter
quelqu'un de « populaire » : Sam, joueur de football américain
au lycée et qui fait aussi parti du SBO (les élèves qui
organisent des manifestations). Autre point, nous avons souvent
été surpris de voir des couples disharmonieux d'un point de vue
esthétique : l'un des deux partenaires était
particulièrement beau (critère subjectif et culturel) et l'autre
ingrat. L'aspect esthétique semble moins important que la
personnalité. Pourtant, la recherche du paraître est très
importante notamment dans l'élaboration vestimentaire. La recherche
ethnologique chez certains chercheurs (D'ERRICO & VANHAEREN, 2011 et
MONJARET, 2005) tendent à montrer que l'aspect esthétique
intervient comme outil pour signifier un changement de statut. C'est ce que je
développe dans les parties suivantes.
B Les groupes
Souvent le groupe se dessine avant d'avoir trouvé la
« date ». Parfois, l'adolescent devra changer de groupe et
finalement aller avec son partenaire. Cela se fait par consensus. Les groupes
changent à chaque bal. Souvent un ou plusieurs membres se retrouvent.
C'est donc informel. Parfois, des amis ont la surprise de se retrouver dans le
même groupe sans le savoir. Ils se découvrent lors de la
première sortie. Les membres choisissent d'abord les vêtements :
robe de soirée, costumes, jeans, chemise/pantalon... Et
déterminent les lieux de sortie avant et après le bal. En
général, le groupe ne doit pas être trop important, c'est
le choix de beaucoup d'adolescents. Le
37
but étant la communication. Tout le monde doit pouvoir
se parler au moins une fois dans la soirée. Cet aspect se rapproche des
rallyes français qui sont organisés pour augmenter ses
connaissances. Ce type d'organisations permet d'étendre son
réseau social et de faire l'exercice de construire ses critères
de sélection matrimoniale.
C Les vêtements et
accessoires
Les bals majeurs occasionnent plus de frais vestimentaires.
Lorsqu'il s'agit d'un bal mineur, en général l'adolescent puise
dans sa garde-robe. Il peut aussi emprunter à un autre adolescent. Pour
les bals majeurs, les garçons Mormons ont leur costume qu'ils utilisent
tous les dimanches pour l'Église. Le costume des Mormons est un complet
: veste et pantalon de couleur sombre ou gris, chemise blanche et cravate.
Néanmoins les non-Mormons ont souvent aussi un costume de même
type ou à cette occasion, ils en achètent un. Courtney Pirouznia,
que j'ai interviewée me disait qu'Isaac, son fils n'avait pas de costume
lors de son premier bal. Elle a mis presque 100 dollars et elle sait qu'elle
devra lui en acheter un pour chaque bal.
les Lowe (famille mormone) Isaac Pirouznia non-mormon
Pour les bals majeurs, les filles sont en robe de
soirée. Elles en changent à chaque fois. Les deux
premières années, nous allions en acheter dans des magasins de
solderie. Cette année, Bruyère a récupéré
celle d'une amie qui est partie en mission. En général, elles
portent des talons hauts jusqu'à la prise des photos puis elles
prévoient une autre paire de chaussures pour la danse.
Pour les bals mineurs, cela dépend du thème du
groupe ou de la soirée. Cela peut-être déguisement et
maquillage particuliers pour Halloween ; les années 70 ; le jeans ; une
couleur.... Chaque partenaire pourvoit à son habit.
38
Thème : les années 70 et bal d'Halloween
L'habit est mis en valeur. Il occupe de fonction de
séduction à la fois du partenaire mais aussi du groupe dans
lequel l'adolescent est.
L'accessoire principal est la fleur. Pour les filles, il
s'agit d'une fleur montée en bracelet et pour les garçons c'est
une boutonnière. Les fleurs peuvent être réelles ou
artificielles. Le jeune garçon et la jeune fille s'offrent mutuellement
l'accessoire, le soir du bal. C'est souvent l'adolescente qui met la
boutonnière à la veste du garçon. Les fleurs sont choisies
en fonction de la couleur que le groupe aura décidé. Il faut
compter entre 9 et 12 dollars (soit 8 à 10 euros).
Pose de la boutonnière sur la veste La fleur toujours
très chargée autour du poignet
Le plus souvent la fleur est une rose mais pas toujours les
lys, les magnolias s'utilisent. Le thème de la rose dans les contes
traditionnels (la Belle au Bois Dormant) lié à celui de la jeune
fille est fréquent. L'expression « qui s'y frotte, s'y pique »
renvoie aux rosiers mais aussi à ce que les jeunes appellent aujourd'hui
« le risque de se prendre un vent ». (MONJARET, 2005)46
46« Les plantes et les fleurs associées aux
jeunes filles ne renvoient pas à n'importe quelles
variétés, elles doivent, semble-t-il, piquer comme
l'épingle. C'est sans doute cela qui a fait qualifier les menstrues de
«tante Rose» et baptiser la princesse de La Belle au bois
dormant, selon les versions, «Rose Épineuse»,
«Fleur-d'Épine» (Von Franz: 1979: 38,
39
Dans « L'émergence du corps paré »,
Marian Vanhaeren et Francesco d'Errico 47 étudient le support
de l'accessoire. L'idée, concernant notre sujet d'étude, peut
être de penser que la fleur se met autour du poignet; comme plus tard,
l'alliance se mettra autour de l'annulaire. Le support révèle
alors le statut de la jeune fille à ce moment là.
On peut parler de « parure »48 (MONJARET,
2005) :« Ce changement d'état se concrétise encore dans
d'autres usages, et en particulier par l'obtention de nouvelles pièces
de vêtement: la coiffe en dentelle et le soulier (le chapeau et les
chaussures vers le début du XXe siècle) (Verdier
1979). Les mères accompagnent leur fille en ville pour l'achat de
parures d'hiver et d'été. »
L'achat de la robe et des accessoires avec la
mère.
Comme mentionné plus haut, les filles portent des
talons hauts qu'elles retireront plus tard pour danser. Cet accessoire ne
semble pas avoir le statut qu'il peut avoir dans d'autres rituels tels que
décrit dans « de l'épingle à l'aiguille »
(MONJARET, 2005)
Rappelons que les artefacts sont autant des marqueurs
d'appartenance qu'ils servent à construire la personne : ici
l'accessoire marque l'adolescent passant à l'âge nubile, et, en
même temps, il signifie à l'adolescent lui-même qu'il est
prêt à franchir une étape de sa vie49
(D'ERRICO
41) ou encore «Rose d'Épine», «Rose
Dormante» (Saintyves 1987: 86). Madeleine Blondel note d'ailleurs que dans
le mâconnais l'expression «epenessi sa foeye» ou
«épinasser sa fille» désigne le fait «de
l'entourer, au figuré, d'épines, objets piquants qui remplacent
l'épingle, pour la protéger de prétendants trop nombreux
car... «qui s'y frotte s'y pique»!» (1995).
47 « L'ethnographie nous apprend aussi que dans la
confection de la parure, les sociétés traditionnelles utilisent
une grande diversité de supports dépassant souvent celle
utilisée dans les activités de subsistance (Paulme & Brosse
1956). Ces supports ne sont pas choisis au hasard : chacun implique un jugement
de valeur et est chargé de connotations symboliques connues, au moins
à un certain niveau, de tous les membres de la société.
» 23 ; Civilisations, 59-2 | 2011, 59-86.
48 MONJARET, Anne, 2005 « De l'épingle
à l'aiguille », L'Homme 173 |, mis en ligne le 01 janvier
2007, URL :
http://journals.openedition.org.lama.univ-amu.fr/lhomme/25033
; DOI : 10.4000/lhomme.25033 et (D'ERRICO & VANHAEREN, 2011)
49 « Selon les sociétés, les groupes
sociaux sont déterminés par le sexe de l'individu (O'Hear 1998,
Meisch 1998), par son âge (enfance, adolescence, maturité,
vieillesse) et/ou par le franchissement, au cours de sa vie, de certaines
étapes
40
& VANHAEREN, 2011) 50. Il est à noter
que le statut de l'objet comme le font remarquer les auteurs peut être un
prêt et restitué après le cérémonial, ou
conservé par l'utilisateur. Ici la fleur est symbolique le temps du bal.
L'adolescent la conserve quelques jours seulement.
« L'ethnographie nous enseigne que la parure
répond rarement à un seul ... impératif. »
(D'ERRICO & VANHAEREN, 2011). On peut aussi conclure que le message
véhiculé est moins vers le partenaire que vers la
communauté et les autres potentiels de trouver un partenaire.
Le vêtement de la jeune fille particulièrement
serait sans doute une trace au même titre que le journal intime. Il est
un élément biographique marquant un changement d'état
visible. « Nous sommes là au coeur de la problématique
passage / identité, puisque ces états successifs que sont les
états de jeune fille, de fiancée, de mère, puis de
grand-mère, à défaut d'être encore aussi
marqués que jadis par des rituels de « prise d'âge
» (Maisonneuve, 1988, p. 41). C'est « une trace, non pas
géographique cette fois, mais scripturaire. Journal intime,
correspondance amoureuse, « Journal de Bébé », «
Album de grand-mère », etc. : dans leur diversité, ces
façons d'écrire s'enracinent dans la perdurance de certains
modèles identitaires féminins, en même temps qu'elles
accompagnent des situations toute nouvelles. » (SOUDIèRE,
2000)
D Les lieux
Des « activités » (« activities
» en anglais) sont organisées quelques jours avant le bal, et
le soir après le bal. En général, celle qui
précède le bal est une sortie autour de jeux : bowling, paint
ball, laser game, ... Le but étant que les participants qui ne se
sont jamais rencontrés puissent apprendre à se connaitre. En
effet, chacun amène sa « date » qui n'a pas
forcément été trouvée dans le lycée ou qui
n'est pas forcément connue des autres. L'activité est
précédée d'un repas (pizza, hamburger) ou d'une collation
(glaces).
E Le rôle des parents
Il est d'abord financier. Chaque bal demande un investissement
financier important surtout pour les filles. Il y a la robe ou le
vêtement choisis, la fleur et les sorties. Mais là aussi tout est
possible, et la plupart du temps, les adolescents s'organisent pour trouver des
activités ou des vêtements sans dépenser de façon
dispendieuse. La dépense principale en matière de vêtement
sera
biologiques (puberté, ménopause) et
relationnelles (célibat, mariage, veuvage). Les adolescentes Turkana du
Kenya ont longtemps porté des tabliers triangulaires, bordés de
perles en oeuf d'autruche, qui deviennent de plus en plus longs quand
l'âge de se marier approche (Dubin 1987). Les enfants de cette même
population ne portent, traditionnellement, que de simples brins de perles.
» D'ERRICO, F., & VANHAEREN, M., 2011, « L'émergence du
corps paré ». Civilisations ( 59-2 ), pp. 56-89.
50 L'article cité est une étude
archéologique sur la parure au paléolithique. Les auteurs se sont
inspirés des travaux ethnologiques pour établir les fonctions de
la parure dans le passé.
41
la robe de la jeune fille et les chaussures. Puis la fleur
pour les filles et la boutonnière pour les garçons. Les autres
dépenses sont les activités et l'entrée du bal.
La plupart des adolescents ont déjà un petit
emploi. C'est très valorisé même si les parents ont des
revenus financiers corrects, voire importants. Ainsi le « teenager
» assure lui-même les dépenses. Il arrive que les
parents s'occupent entièrement de la soirée avant le bal, ainsi
ils décorent la pièce et préparent le repas des
adolescents. Bruyère m'a dit « on se serait cru au restaurant
».
Au 10ème grade (seconde) dans notre cursus,
les adolescents ne peuvent pas encore conduire seuls (voir le chapitre sur les
adolescents dans l'Utah), les parents s'organisent pour véhiculer tout
le monde aux différents lieux. Les années suivantes, les
adolescents s'organisent entre eux.
Les soirées se terminent souvent chez l'un des
adolescents. Les parents ont alors prévu snacks et boissons.
Location d'un bus pour transporter les « teenagers
» et le repas et les préparatifs assurés par les
parents
III. Le déroulement
A Les préliminaires
1. Phase 1
Un fois la « date »51 choisie,
l'adolescent prépare son invitation. Elle se décline par un mot,
une carte avec une ou plusieurs phrases le plus atypique possible. Souvent, les
jeux de mots sont employés. L'adolescent se renseigne sur les
goûts de l'autre, il essaye de prendre des éléments des
instants où il a été avec lui/elle en classe (le type
d'inscription sur son tee-shirt peut indiquer quel sport, quelle équipe
il affectionne particulièrement...). Cette partie est accompagnée
d'un présent qui peut être une boite de chocolat, des boissons,
des ballons, des gâteaux... C'est la partie qui requiert
créativité et originalité.
51 Je conserve le terme anglais
42
Invitation du garçon pour Prom et la
réponse
Il faut aussi obtenir l'adresse du futur invité et le
numéro de téléphone. En général, d'autres
adolescents se chargent par connaissances interposées de
récupérer les coordonnées. Le partenaire apprend donc par
personnes intermédiaires que quelqu'un souhaite l'invité. Cela ne
signifie pas forcément qu'il sera invité. Il y a une certaine
attente et l'apprentissage du lâcher-prise.
J'utilise mon témoignage comme support dans cette
partie. Le protocole est toujours le même. L'adolescent a passé un
moment à préparer son invitation : colle et ciseaux à la
main. Ensuite ma fille et moi, nous rendons à l'adresse du jeune homme.
En général, les adolescents s'assurent par SMS ou autre, qu'au
moment où ils porteront leur message, l'autre sera présent chez
lui. D'abord, nous « repérons » l'endroit, nous faisons donc
un tour du quartier. Puis je gare la voiture le plus près possible (en
général au pied de la maison, imaginez la discrétion avec
une voiture 4*4 de 8 places) mais prête à repartir le plus vite
possible. Ma fille souffle un grand coup, ouvre la porte qu'elle laisse ouverte
et court jusqu'à la porte d'entrée. Elle dépose
l'invitation sur le perron, et sonne. Elle repart en courant, claque la porte
(bruyamment), évidemment, j'ai laissé le moteur tourner, et nous
repartons immédiatement. Ma fille, le regard rivé sur la porte
d'entrée pour voir si c'est bien le garçon en question qui
récupèrera l'invitation. Il arrivera qu'elle verra qui a
récupéré le paquet mais pas toujours. Cette année,
elle fait cette même procédure mais avec ses amies, et elles
restent cachées dans la voiture. Je le dis avec humour car c'est un
moment de jeu, d'excitation, de complicité et de rires. L'invitation
postée. C'est un temps d'attente qui commence. Plusieurs demandes
peuvent avoir été données. Souvent, le premier qui a
invité sera retenu même si le protagoniste aurait voulu aller avec
quelqu'un d'autre. Il y a un respect du courage entrepris. L'autre aspect peut
être économique : le coût du bal peut occasionner un refus
même si, les bals où l'adolescent est invité occasionnent
moins de frais pour lui. Ensuite, la même procédure s'applique
pour la réponse : un présent élaboré par le jeune
avec un mot de réponse et un cadeau qui l'accompagne, tout cela
déposé à l'entrée du lieu d'habitation. Cette phase
a lieu deux semaines environ avant la date.
2. 43
Phase 2 L'activité pré-bal
Les adolescents communiquent entre eux
régulièrement durant l'intermédiaire qui sépare les
différentes phases. L'objet essentiel des concertations est maintenant
de trouver l'activité qui permettra que tout le groupe de se rencontrer
avant la soirée. En général, cette activité est
ludique : bowling, paintball, laser game, snow en piscine.... Suivi
d'un repas type tacos, fast food ou tout simplement : une glace.
Certains lieux ne vendent que des glaces ou des yaourts (Cold Stone,
Yogurtland).
3. Phase 3 Préparation à la
soirée
Les adolescents s'organisent alors pour la soirée en
elle-même : qui vient chercher qui ? Où se retrouve-t-on ? Quel
restaurant ? Qui ramènera qui ? Quand fait-on les photos et où ?
Et pour les filles : qui maquillera qui ? Qui coiffe ? Où se
prépare-t-on ?...
L'entretien des cheveux et les coiffures sont très
importants. Les femmes mettent beaucoup en valeur leurs cheveux et elles sont
souvent très maquillées. Les tutoriels de coiffures sont
très nombreux. Et quotidiennement, les jeunes filles se font une
coiffure qui peut être très compliquée pour se rendre au
lycée. Cet apprentissage commence très tôt. Dans ma classe
de CP, j'étais tous les jours impressionnée par la
complexité des coiffures de mes élèves. Toutes les filles
étaient coiffées impeccablement. Le budget dépensé
est assez important. Ainsi la coiffure est l'élément le plus
important après la robe. Le maquillage est comme l'apanage du plumage
chez certaines espèces d'oiseaux, pour séduire le partenaire.
B Le jour J
Le garçon quelque soit le bal passe prendre la jeune
fille. Au fur et à mesure des bals, Bruyère perfectionnait son
entrée afin que sa « date » la découvre. A
chaque fois, c'est un moment d'émotions : le jeune homme adopte des
attitudes « de gentleman » ce qui lui occasionne un stress visible,
on peut parler d'émoi, et parallèlement, il découvre la
jeune fille qui en général est rayonnante, ce qui lui apporte une
immense fierté. A ce moment, il n'y a pas de gestes de contact avec
l'autre : ni embrassade, ni accolade (ce que les Américains adorent).
C'est plutôt une certaine timidité, une réserve qui est de
mise. Les deux protagonistes s'offrent ensuite leur fleur. La jeune fille,
souvent aidée de la mère met la boutonnière au
garçon.
1. Les photos :
Le choix du lieu est important : cela peut-être un parc,
le Capitol de Salt Lake City, près
44
d'une rivière ou d'un lac. Les photos sont prises avant
le restaurant, en début de soirée. Il y a toujours une photo du
groupe des filles, une du groupe des garçons, une pour chaque couple,
une du groupe entier ensemble, une humoristique ou avec des positions
particulières. C'est souvent un parent ou un adulte plus
âgé (une tante, un oncle) qui prend les photos.
Source : Album personnel : photos des différents
bals
On peut se rapprocher de l'analyse d'Anne Monjaret en parlant
des veillées « Les veillées dont le cycle s'amorce vers
la fin de l'automne en sont d'autres, non seulement parce qu'il s'y raconte des
histoires et des contes, mais aussi parce que les femmes s'y retrouvent pour
filer la quenouille et qu'il s'y déroule des rituels de courtoisie qui
incitent les jeunes gens à faire l'apprentissage des relations
amoureuses sous l'oeil attentif de la collectivité (Belmont 1978b;
Monjaret 1997: 26-28). Ainsi, la fileuse laissera tomber son fuseau
pour que son galant le ramasse et le lui rende en échange d'un baiser
» (MONJARET, 2005). Ce n'est plus le temps des contes qui occupent la
soirée mais la danse et surtout ce qui précède et s'en
suit. Et ce n'est pas le fuseau qui amènera peut-être le baiser
mais le slow. Le bal en lui-même dure en général entre deux
et trois heures. Il commence vers 21h et finit à 23h. Les occasions de
danser à deux sont rares. Une à deux séries de slow est
proposée. De même peut-on constater, que si l'adulte responsable :
parent ou institutionnel comme le lycée ne sont pas omniprésents,
ils chaperonnent toujours. Dishion et MacMahon (cité par CLAES, 2003 )
développent la notion de « supervision parentale » :
« ce qui
45
renvoie à la quantité et à la
justesse de l'information que les parents détiennent sur ce qui se passe
dans la vie quotidienne des adolescents, particulièrement en dehors de
la sphère familiale, à l'école ou avec les amis
».
Après le bal, la soirée se poursuit en
général chez un des protagonistes du groupe de
référence. Là, les adolescents se retrouvent pour jouer
à des jeux de société en général, quelques
fois pour regarder un film. Une collation : type glace, pancakes, avec soda est
offert par la famille qui accueille. Puis les conducteurs (parents ou jeunes
selon les circonstances et l'âge) ramènent chacun.
L'après-bal se vit comme un dernier moment entre soi. L'adolescent
expérimente un dernier temps ce monde idéal où tout le
monde est beau et tout le monde est gentil. (CHERBLANC, 2011, 69).
C L'après bal
Ainsi, j'ai pu observer que très peu de couples restent
ensemble et se forment vraiment. Il s'agit avant tout d'une
expérimentation des protocoles amoureux..... On peut penser aussi que le
projet de partir en mission un an ou deux après, empêchent les
adolescents de vraiment s'engager. Il y a des missionnaires qui ont une
relation amoureuse avant de partir. Certains resteront ensemble malgré
cette période (rappelons-le : les communications sont
réglementées, une à deux fois pendant la mission et les
familles sont privilégiées. Une petite amie ou un petit ami n'a
pas de statut légal). Néanmoins la plupart se sépareront.
Est-ce par peur de cette épreuve de la fidélité ? Y-a-t-il
la question de la sexualité : oser l'interdit avant de partir en mission
? Ce qu'a pu me rapporter Bruyère sur les relations des adolescents
Mormons entre eux me permet d'émettre l'hypothèse que la
sexualité est l'objet principal des questionnements.
Si les Utahns et particulièrement les Mormons se
marient jeunes (voir l'annexe), ils le font juste après leur mission. En
deux ans, trois des missionnaires se sont mariées dans l'année
qui a suivi. Et dans les familles mormones que nous fréquentions, nous
avons souvent été surpris de constater que les jeunes que nous
avions rencontrés au sortir de leur mission, se retrouvaient quelques
mois plus tard mariés et avec un enfant qui allait naitre alors que
souvent ils n'avaient pas de relation suivie connue auparavant.
Partie IV - Analyses complémentaires
Isabelle KOSTECKI note dans son mémoire qu'aujourd'hui
dans l'expression « religion à la carte », il y a une
proportion à donner la liberté à l'individu de prendre
certains éléments et d'en rejeter d'autres ainsi qu'à
aller puiser d'autres éléments religieux exogènes (dans le
boudhisme,...)
46
« afin d'élaborer de façon volontariste
un ensemble hybride de croyances représentatives de leur monde
intérieur ». L'adolescent mormon a été
élevé dans la référence des textes bibliques, et
dans l'attachement familial. Son libre-arbitre s'exerce pour beaucoup dans la
communication au sein même de ses références et non pas
dans la remise en cause en adhérant à des éléments
qu'il aurait puisés ailleurs par sens critique. Et tout le
système qu'il soit éducatif, religieux et familial est
fondé sur ce fonctionnement. L'adolescent mormon quitte l'ensemble ou
adhère à l'ensemble. (KOSTECKI, 2016)
Le réseau familial étant très
solidarisant, le jeune adulte mormon ou non-mormon exercera son libre-arbitre
dans le cercle proche des références sociales et culturelles
qu'il a reçues. Ce qui fait la force de perpétuation d'un tel
système qui pourrait apparaitre sclérosé, c'est
certainement la mise en pratique et la réitération de rite comme
le bal, ou même le système scolaire de classe. Le jeune adulte en
devenir a pu exercer ses critères dans un cadre
semi-institutionnalisé.
Cependant, l'auteur note plus loin « Toutefois, les
acteurs restent soumis à des influences présentes dans la culture
ambiante et ne peuvent puiser que dans un répertoire symbolique qui leur
est accessible. De plus, la capacité de choix de l'individu n'est pas
libérée des contraintes sociales et culturelles (Roy, 2008 :
276), particulièrement manifeste dans la pratique des rites de passage,
essentiellement collectifs. » (KOSTECKI, 2016, 11). Je peux conclure
comme elle l'avait proposé dans son modèle qu'il s'agit d'une
dynamique de reliance verticale et horizontale partant de l'individu et
permettant ainsi l'agrégation par l'intégration du Soi dans le
Tout (ce qu'elle appelle l'Autre avec une majuscule). 52
Comme je l'ai mentionné j'ai choisi de parler de bals
majeurs et mineurs, et j'ai pris conscience du lien avec le genre que cela
impliquait. Or ce sont aussi les bals demandant plus d'investissement financier
notamment au niveau des « activités » qui incombent au
garçon. Je vais faire un lien avec la notion de responsabilité
demandée aux hommes dans la société utahne. Tout d'abord,
la loi53 est très stricte au niveau des besoins financiers
d'une famille. Il existe aux Etats-Unis plusieurs procédures pour que
les pensions alimentaires soient honorées. C'est encore plus vrai dans
l'Utah et surtout pour l'homme (RENAUDAT, 1985).
Ceci est renforcé par la religion mormone. Mes enfants
et moi avons été invités à assister à «
l'Église »54 au début de mon séjour. Ce
temps dure trois heures et se découpent en trois moments : le premier
est commun à tous et dure en moyenne 45 mn, il se passe dans la salle
principale, le second est sectorisé dans des lieux différents et
par tranche de vie (enfants, adolescents, adultes) :
52 Dans mon mémoire : p.11
53
https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_1985_num_0_1_1172
RENAUDAT Evelyne. Le dispositif américain de
recouvrement des pensions alimentaires. In: Recherches et
Prévisions, n°0-1, février 1985. pp. 5-9.
54 Cela ne désigne pas seulement le lieu
mais aussi la cérémonie hebdomadaire que l'on appelle «
messe » en France chez les catholiques
les plus jeunes enfants sont pris en charge dans une salle et
des activités ludiques leur sont proposées. Les adolescents se
rendent dans une autre salle où les préceptes religieux sont
travaillés sous forme de jeux et de lecture. Les couples se retrouvent
ensemble, c'est un temps de premières lectures de textes et de
témoignages. Ce temps dure environ une heure. La dernière heure,
seuls les adultes sont de nouveau dispatchés : les hommes partent dans
un autre lieu, les femmes restent dans la salle. Ce sont les hommes qui se
déplacent du fait des enfants en bas-âge qui restent le plus
souvent avec la mère mais pas toujours, parfois c'est le père qui
part avec le bébé.
De mon point de vue, ces temps sont très chaleureux et
très positifs. L'accent est mis sur les témoignages après
lecture de textes et l'émotion qui s'en dégage (les pleurs et les
rires sont nombreux). Il est important de noter qu'il n'y a pas de sens
critique, c'est un partage. Je sais donc ce qui se passe du côté
des femmes mais pas des hommes... Je recherche donc des renseignements. Ma
kiné, une jeune femme de 28 ans qui a été en mission en
France, m'explique que le temps des hommes est beaucoup plus moralisateur, on
leur rappelle leurs devoirs conjugaux et familiaux. En effet, un soir nous
sommes invités par les missionnaires et des voisins Mormons (un jeune
couple que nous apprécions beaucoup). Les missionnaires nous montrent
une vidéo qui explique le rôle de l'homme dans la famille :
rôle financier d'abord et ensuite rôle de prendre le relai de sa
femme après sa journée de travail. Notre voisin nous explique que
c'est ce dont ils ont parlé plusieurs fois à l'église le
dimanche. Ainsi donc je peux penser que les bals ont un objectif similaire :
apprendre à l'adolescent masculin ses futures responsabilités. Il
faut dire que l'autorité du père est encore un gage de
protection.
On peut remarquer sur les photos que les jeunes filles sont
toujours découvertes, comme si dans l'Utah, il faisait très chaud
toute l'année ou qu'il n'y avait pas de bal l'hiver. Alors qu'il faut
savoir que l'hiver, il fait entre 0 et -8 degré. En fait, elles se
découvrent le temps des photos, les tenues sont ainsi mises en valeur :
la robe pour la fille, le costume pour le garçon. De même qu'elles
n'hésitent pas à porter des talons hauts de type escarpin ouvert
pour les mêmes raisons. Si j'ajoute le symbole de la fleur, je peux dire
en reprenant l'analyse d'Anne Monjaret (MONJARET, 2005) qu'il y a un «
caractère saisonnier » à ces rites. L'attente du printemps
comme celui de l'attente du mariage. Ainsi donc en reprenant les
caractéristiques de Van Gennep et réinvesties par Martine Segalen
(VAN GENNEP, 2011 et SEGALEN, 1998), le bal correspond à un temps de
« marge » symbolique où l'individu signifie qu'il rentre dans
l'âge nubile. Nous ne sommes plus tout à fait dans le temps de la
séparation. L'adolescent se trouve à la liminarité de sa
famille et de son groupe de pairs dont il cherche l'agrégation.
47
A Eclairage d'après la théorie
d'Emmanuel Todd
48
Emmanuel Todd, anthropologue controversé, qui a
popularisé les travaux de Frédéric Le Play55
(TRIPIER-CONSTANTIN, 2016) selon lesquels la cellule familiale est
l'unité fondamentale d'une société. Sa théorie est
complexe, mais elle a le mérite de lancer une réflexion
intellectuelle et scientifique sur le devenir d'une société. La
société ne serait que l'institutionnalisation des principes
structuraux de la famille (MENDRAS, 1984). Les axes sont l'autorité et
la liberté dans le relationnel parent-enfant, l'égalité ou
l'inégalité dans la fratrie (relié à
l'héritage), l'endogamie et l'exogamie, la place du genre (importance du
rôle de la femme). Il effectue un parallèle entre la baisse de la
natalité et le recul religieux. Pour Todd, l'archéologie montre
qu'en fait la société aurait pour origine la famille
nucléaire56 et qu'ensuite la structure familiale se serait
transformée en famille souche pour assurer la cohésion
patrimoniale (notamment l'indivision des terres). Le type de famille qui nous
intéresse est la famille nucléaire absolue. C'est le
modèle le plus répandu dans les sociétés
anglo-saxonnes. Ainsi le contrôle social s'effectue par un système
libéral bi-égalitaire (l'héritage patrimonial est transmis
de façon égalitaire ou inégalitaire). Le religieux est
plutôt de type protestant : à la fois messianique et
isolationniste marqué par une tendance à
l'anticléricalisme. C'est un type exogame. C'est-à-dire que le
partenaire est recherché à l'extérieur du clan proche. Le
droit à la différence est reconnu. Et donc la vision de
l'immigration oscille entre acceptation et ghettoïsation. Le religieux est
fragile mais sans être remis en cause. Du point de vue historique le
système productif était du type fermage peu modernisé et
non domaniale, l'accès à la culture par l'alphabétisation
fut tardif et l'enracinement géopolitique faible et instable,
plutôt de nature ouvrière. La centralisation étatique est
faible. La famille dans l'Utah a les caractéristiques de la structure
nucléaire absolue avec quelques nuances : historiquement ce sont des
pionniers constitués de famille nucléaire : parents et enfants.
Malgré un territoire hostile plutôt de type désertique, la
structure familiale est restée nucléaire. Cela tient sans doute
au type de productivité : L'Utah est un état industrialisé
et de services (notamment bancaires)57. La réussite
individuelle et financière est valorisée et
concrétisée dans une nouvelle famille nucléaire qui doit
rester en lien avec la famille étendue. La mobilité
géographique est importante. Du fait de la religion mormone, l'exogamie
et le messianisme sont très répandus avec paradoxalement une
endogamie religieuse (un mormon épouse un mormon majoritairement). Le
cléricalisme est faible en bas de la pyramide religieuse : l'office et
le référent des groupes d'âges sont tenus par un
laïque58 pourtant en haut de la pyramide mormone, les «
apôtres » au nombre de 12 constituent une oligarchie dont
l'autorité est souveraine. L'anthropologue mentionne une concomitance
entre la baisse de la natalité et la désaffection reli-
55 LECUYER, B.-P. (1992). Frédéric Le Play,
fondateur de la « science sociale ». (5. L.-5. Communications,
Ed.) Retrieved mai 2019, from
https://doi.org/10.3406/comm.1992.1812:
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1992_num_54_1_1812
56 alors qu'il a été pensé
pendant longtemps que c'était la famille souche.
57
http://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/utah.htm
58 Le « bishop »
gieuse. La forte natalité et la pratique religieuse
mormone en Utah et particulièrement dans le district de Davis confirme
cette théorie. Toute l'architecture sociétale utahne repose sur
la cellule familiale comme perpétuation et solidification
institutionnelles. Les textes de référence Mormons illustrent
cela (Annexe III) : « Nous faisons également cette mise en
garde : la désagrégation de la famille attirera sur les gens, les
collectivités et la nation, les calamités prédites par les
prophètes d'autrefois et d'aujourd'hui. Nous appelons les citoyens
responsables et les dirigeants des gouvernements de partout à promouvoir
des mesures destinées à sauvegarder et à fortifier la
famille dans son rôle de cellule de base de la société.
»
B Le rite comme éducation à la perte
de l'objet pour assurer la stabilité du couple
L'hypothèse que je vais soumettre vient d'un article
que j'ai lu : « Les rites et la condition sexuelle » de Jean-Thierry
Maertens. Le rituel est vu comme une forme de pouvoir exercée par
l'homme sur la femme et notamment à travers le marquage sur le corps
(scarification, excision ...). La partie consacrée à la perte de
l'Objet m'a amenée à un questionnement par rapport à mon
sujet : « Le rite-signifiant est donc, tout compte fait, insignifiant
puisqu'il est barré et qu'ainsi il manifeste la perte de l'Objet et la
constante et répétitive substitution d'objets métonymisant
l'Objet perdu (la perte d'Objet). Mais si insignifiant qu'il soit, le rite est
pourtant bien significatif : alors qu'un pénis suffirait à mettre
des corps en rapport, le rite tend à en faire un phallus qui triangule
le rapport de l'un à l'autre d'un rapport commun à l'autre
désiré au point que le corps-autre n'est plus jamais, une fois le
rite passé par là, saisi pour lui-même, mais
simultanément pour ce qu'il dit ou est censé dire de l'autre
à quelqu'un qui, lui-même se prend pour l'autre. »
(MAERTENS, 1978). Le bal n'entraine pas de modification perpétuelle
sur le corps par contre la réitération du rite et notamment le
renoncement à chaque fois du couple (c'est un couple non
réalisé, virtuel rappelons-le) a un rapport direct avec la perte
de l'objet principal du bal : le couple. L'adolescent s'entraine à la
perte du partenaire dans la sécurité du rite. Cela signifie qu'il
n'y a pas de processus de deuil, donc de souffrance. Et pour aller plus loin,
le jeune apprend à faire des choix conscients et ainsi s'assure de
construire le moment venu un couple réalisé stable.
Cette dernière analyse me permet de conclure que le bal
américain est plus une préparation au mariage et par extension
à la constitution d'une famille (base d'une société
étatique selon Emmanuel Todd) que la recherche d'un partenaire.
C La notion de créativité
rituelle
49
Trois types de représentant : le bricoleur,
l'ingénieur et l'artiste qui ont été établis par
les
50
travaux de Lévi-Strauss (1962) (KOSTECKI, 2016 , 30)
« Pour Lévi-Strauss, l'activité du
bricoleur se situe dans le spectre opposé à celle de
l'ingénieur. Le répertoire culturel disponible dans lequel puise
le bricoleur est limité ; son activité est donc contrainte
à l'avance. Le matériau recyclé provient de stocks
circonscrits et reste marqué par ses significations et ses usages
antérieurs. La figure du bricoleur, décrite comme une «
personne qui se livre à un travail intermittent et sans connaissances
techniques » (Thuderoz et Odin, 2010 : 7) est empreinte d'amateurisme.
Toutefois, McGuire (2008 : 195) affirme que bien des éléments
assemblés par un bricoleur peuvent paraître disparates pour
l'observateur extérieur, l'ensemble peut revêtir du sens pour le
principal concerné et être efficace dans son expérience du
monde. L'ingénieur, quant à lui, fait recours à des
contenus et des outils « conçus et procurés à la
mesure de son projet» (Lévi-Strauss, 1967). La démarche
rationnelle et méthodique de l'ingénieur s'oriente vers une
finalité extérieure qui n'est pas axée sur la
transformation personnelle (Thuderoz et Odin, 2010). Il conçoit puis
fait exécuter, contrairement au bricoleur qui fait et met en oeuvre.
Ceci implique qu'il jouit d'une position plus puissante que celle du bricoleur,
dont l'influence se réduit à soi ou à un groupe de
proximité. Dans son projet, le bricoleur met « quelque chose de soi
» (Lévi-Strauss). Si les aboutissements du bricolage peuvent
être « brillants et imprévus » (Lévi-Strauss,
1962), l'innovation culturelle (et rituelle) la plus accomplie est
réservée à l'ingénieur, selon Lévi-Strauss.
La troisième figure que propose Lévi-Strauss est celle de
l'artiste. Elle se situe à mi-chemin entre celle du bricoleur et de
l'ingénieur. Elle réunirait « une connaissance interne et
externe, un être et un devenir » et saurait créer une «
synthèse exactement équilibrée de plusieurs structures
artificielles et naturelles » (Lévi-Strauss, 1962). Ce processus de
créativité conduit sur la base d'un travail imaginatif
résulterait en une forme cohérente. L'artiste ne disposerait pas
pour autant des moyens de diffusion verticale associés à
l'ingénieur. Il est doté de critères intuitifs, mais pas
nécessairement des orientations objectives de l'ingénieur
(Thuderoz et Odin, 2010). Son engagement découlerait du désir et
de la vocation plus que de la froide nécessité. »
La créativité ritualisée dans notre sujet
se trouve dans l'invitation, les lieux d'activités, la tenue surtout
pour la jeune fille (pas les accessoires comme la fleur qui est normative).
L'invitation est le plus marquant. C'est un travail imaginatif de performances
personnelles et de recherche des centres d'intérêt de l'autre.
L'acte créatif rituel est un processus d'emprunts, d'appropriation, de
combinaisons, et de synthèse souvent associés à la
culture. Dans cet espace liminal qu'est le bal de lycée, l'adolescent
est encore dans l'expérimentation oscillant entre le bricoleur et
l'artiste comme décrit dessus. Il met en place par la
créativité ritualisée l'affirmation de son identité
dans la considération de l'identité de l'autre.
51
Isaac passionné de films d'horreur
Ce qui se joue ici est que cette festivité canalise la
sexualité. Je rejoins alors René Roussillon qui pense que la
création est en lien directe avec le sexuel. Il s'agit moins d'un
désir que d'un besoin qui conduira à la sexualité. C'est
un processus sublimatoire qui permet la gestion des pulsions voire un
contrôle.59 (JOULAIN, 2012)
Conclusion
Il était très compliqué de travailler
à partir d'études récentes françaises sur le sujet
car la plupart des observations et conclusions ne sont pas applicables aux
modèles utahns. Pour donner quelques éclairages, quand Maud
Navarre dans un article de la revue Sciences
humaines60écrit : « Jusqu'au années
1970, le mariage constituait un « rite de passage » à part
entière.... Il faisait entrer les jeunes dans l'âge adulte : la
sexualité devenait légitime et souvent dans la foulée,
l'enfantement.... ce passage.... est devenu une option. » Cet
état des lieux est peut-être valable pour la France et
certainement pour l'Europe mais pas pour l'Utah. Le mariage est important en
Utah. D'autre part, dans ce rite, la dimension économique rentre moins
en ligne de compte que la dimension sociale : les jeunes font preuve de
créativité en amont dans les préparatifs, tout doit
être dans la cohésion : couleur, lieu de rencontre.....
L'observation minutieuse des échanges entre danseurs et spectateurs fait
d'avantage apparaître une revendication de sa personnalité que de
stratégies d'alliance, le tout dans un rituel établi.
Le bal au lycée est un événement
réitéré pendant les trois années. Il s'agit d'une
forme de consolidation de l'être sociétale. Tout cela
marqué par la dernière soirée : celle de la Graduation
qui
59« L'activité sublimatoire qui
débouche sur la production de créations artistiques ou
culturellement investies est prise au sein d'un ensemble d'enjeux, qui
concernent aussi bien la place du processus sublimatoire dans l'ensemble de
l'économie de la personnalité, que le jeu des relations sociales
dans lesquelles elle s'inscrit. »P.30
« Le processus sublimatoire s'offre comme l'un des
processus de gestion de l'économie pulsionnelle, mais il n'est qu'une
partie d'un tout et il est tributaire d'une économie psychique
d'ensemble. C'est l'un des destins de la pulsion sexuelle, un processus de
« transformation » (René Roussillon) de la pulsion, comme nous
allons le voir, qui peut se combiner (Jean-Louis Baldacci ) à des
mécanismes de défense comme l'idéalisation, la projection,
le refoulement, le clivage... »P.31 (JOULAIN, 2012)
60Navarre Maud, revue « Sciences Humaines
», décembre 2015, N°276
52
marque la fin de la liminalité. Après
l'été, l'adolescent rentrera dans la postadolescence et/ou
l'âge adulte selon son engagement professionnel. La société
individualiste est passée à une société
singu-lariste c'est-à-dire avec des parcours personnalisés
où chacun est unique. Le processus d'individuation61 produit
par l'expérience personnelle permet de donner du sens à
l'être social et politique en soi. Et ainsi « L'individu devient
l'horizon liminaire de la perception sociale » (LITS, 2010, 28).
L'idée est que les « épreuves » forment l'individu
mais aussi la société. On ne parle pas de n'importe quelles
épreuves mais celles qui vont entrainer une transformation structurel,
historique de l'individu et ainsi vont avoir un impact sur l'état de la
société. L'ensemble des expériences personnelles constitue
une « longue série des diverses socialisations secondaires
auxquelles chaque individu est soumis tout au long de la vie, la socialisation
cesse d'être conçue comme un processus unique ayant sa fin
à l'âge adulte et devient une réalité ouverte,
multiple et sans terme » (THOURY, 2017, 93). Je pense alors que la
société singulariste62explique que l'adolescent ne va
pas chercher la rupture mais l'expression de soi qui l'amènera vers
l'agrégation de son nouveau statut (MARTUCCELI, 2010). Par la
réitération de l'expérience du bal et sa
spécificité de thème, le jeune devient expert ou tout au
moins expérimenté et ainsi il peut asseoir un savoir-faire qui
lui apportera une légitimité dans son nouveau statut. Les danses
des bals de lycée ne demandent pas un apprentissage spécifique
comme le Fest Noz ou les Rallyes que nous avons développés plus
haut. La performance individuelle n'est pas dans une «
spécialisation » : le rock pour les Rallyes, la danse folklorique
pour les Fest Noz. La performance se situe dans la capacité d'adaptation
et de créativité de l'individu. Au final, il y a une forme de
singularité dans l'individuation.
Les Rallyes et les bals de lycée montrent que
l'adolescent fait l'objet de rites organisationnels pour répondre aux
attentes sociales. Dans les deux cas, l'adolescent adhère et participe
activement. L'étude des Fest-Noz a éclairé notre propos
sur la notion de patrimoine culturel immatériel. Le concept de
liminalité s'applique au bal américain ainsi que la notion de
« communitas existentielle » et mettent en lumière comment la
reliance développée par Isabelle Kostecki agit. Enfin,
l'éducation horizontale qui repose sur le groupe de pairs montre comment
le contrôle social et parental opère de façon sous-jacente
et atténue le conflit avec l'adolescent.
61 L'individuation est le
processus de « distinction d'un individu des autres de la même
espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie.
62 « la singularité qui remplace
l'individualisation. Elle n'abolit pas le principe fondateur de
l'individualisme - le primat de l'individu - mais elle le colore d'une toute
autre manière, et en fait apparaître de nouvelles facettes. C'est
cette inflexion qui nous fait glisser vers le singularisme. 11 le but
du singularisme n'est pas tellement d'articuler le singulier et l'universel
(comme c'est le cas justement avec l'exemplarité), ni de se
désolidariser de toute affiliation collective afin d'affirmer une
originalité personnelle (Ferrara, 1999, notamment chapitre 4 et 2008 ;
Heinich, 2000, p. 147), mais de parvenir à mettre en oeuvre une
dynamique nouvelle entre le singulier et le commun » Danilo
Martuccelli, « Grand résumé de La Société
singulariste, Paris, Éditions Armand Colin, coll. individu et
société, 2010 », SociologieS [En ligne], Grands
résumés, La Société singulariste, mis en ligne le
27 décembre 2010, consulté le 08 juin 2019. URL :
http://journals.openedition.org/sociologies/3344
Pour conclure, l'étude des bals est un objet
ethnologique des plus intéressants pour approfondir le processus
d'individuation. L'expérience personnelle et sa
réitération jusqu'à ce qu'un
pro-cess63 soit réalisé, produit le
sociétal. Les process sont un ensemble d'étapes
permettant d'aboutir à un certain résultat. La question que se
pose Julia De Funès, à propos du monde de l'entreprise : c'est
comment innover lorsqu'on vous demande d'être créatif mais que
l'individu est enfermé dans des protocoles.
53
63 (FUNES, 2019)
54
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Annexes I : Données statistiques :
Source :
http://www.city-data.com/city/Bountiful-Utah.html
2. Population Bountiful
3. Histogramme et pourcentage des secteurs
d'activités
57
4. Répartition des populations ethniques
Bountiful
58
5. Statistiques des différentes religions à
Bountiful
6. 59
Histogrammes du niveau d'éducation
7. Statistiques du niveau d'études et de l'âge
au mariage
Statistiques des élections
présidentielles
60
Annexes II : Textes de référence
mormon
8. « Jeunes soyez forts »
« Résumé des principes : sorties
en couple : préparez-vous pour le mariage au temple. Ne
sortez pas en couple avant d'avoir 16 ans. Quand vous commencez à sortir
en couple, allez par groupe ou avec un autre couple. Ne sortez qu'avec des
personnes qui ont des principes élevés. Evitez la tentation.
Tenue vestimentaire et présentation :
habillez-vous pudiquement afin de témoigner du respect envers Dieu et
vous-mêmes. Evitez les vêtements extravagants ainsi qu'une
présentation extravagante. Habillez-vous de manière convenable
pour toutes les réunions et les activités de l'Église.
Amitié : Choisissez de bons amis avec qui vous
avez des principes élevés en commun. Faites des efforts pour
aider vos amis timides. Traitez chacun avec gentillesse et dignité.
Invitez vos amis non-membres aux activités de l'Église.
Honnêteté : soyez honnête avec
vous-même. Soyez honnête avec les autres. Soyez honnête avec
le seigneur. Médias : ne lisez que de bons
magazines, ne regardez que de bons programmes qui vous édifieront et
vous inspireront, vous et les autres. Evitez la pornographie sous toutes ses
formes. Ne regardez pas de films qui soient vulgaires. Fuyez ou changez toute
situation immorale ou suggestive. Santé mentale ou
physique : Veillez à votre santé physique, mentale
et spirituelle. Ne faites pas usage de drogues, d'alcool, de café, de
thé ni de tabac. Rappelez-vous que votre corps est le temple de Dieu
où le Saint-Esprit peut demeurer. Musique et
danse : Ecoutez de la bonne musique qui vous aidera à vous
rapprocher de votre Père Céleste. N'écoutez pas de musique
qui encourage à l'immoralité, qui emploie un langage grossier ou
qui chasse l'Esprit. Evitez de danser corps contre corps ou d'avoir des
posttures indécentes avec votre cavalier ou votre cavalière.
Organisez et fréquentez des bals ou l'esprit du Seigneur peut être
présent. Pureté sexuelle : Lorsque vous
sortez avec une personne de l'autre sexe, traitez-la avec respect, et attendez
d'elle le même respect. Abstenez-vous de toute relation sexuelle avant le
mariage, de pelotage, de perversions sexuelles (homosexualité, viol,
inceste), de masturbation ou d'obsession pour le sexe dans vos pensées,
dans vos paroles et dans vos actions. N'ayez de relations sexuelles que dans le
cadre du mariage. N'ayez pas d comportement homosexuels et lesbiens. Demandez
de l'aide et des conseils si vous avez été victime de viol,
d'inceste ou d'autres sévices sexuels. Comportement le
dimanche : le jour sur sabbat, adorez le seigneur, affermissez vos
relations familiales, aidez les autres et rapprochez-vous du Seigneur. Evitez
de rechercher le divertissement ou de dépenser de l'argent pendant le
jour du sabbat. Si possible évitez toute activité professionnelle
le dimanche. Repentir : si vous avez commis des
erreurs, vous pouvez être purifiés en vous repentant
convenablement. Aide spirituelle : vous n'êtes
jamais seul. Faites confiance au Saint-Esprit. IL est toujours possible de
savoir ce qui est juste et ce
61
qui est injuste. » 64
Annexes III : Textes de référence
mormon
9. « La famille : déclaration au monde
»
« Nous, première présidence et conseil des
douze apôtres de l'Église ...déclarons solennellement que
le mariage de l'homme et la femme est ordonné de Dieu et que la famille
est essentielle au plan du créateur pour la destinée
éternelle de ses enfants. TOUS LES ÊTRES HUMAINS, hommes et
femmes, sont créés à l'image de Dieu. Chacun est un fils
ou une fille d'esprit aimé de parents célestes, et à ce
titre, chacun a une nature et une destinée divines. Le genre masculin ou
féminin est une caractéristique essentielle de l'identité
et de la raison d'être individuelle prémortelle, mortelle et
éternelle. Dans la condition prémortelle, les fils et les filles
d'esprit connaissaient et adoraient Dieu, leur Père éternel. Ils
acceptèrent son plan selon lequel ses enfants pourraient obtenir un
corps physique et acquérir de l'expérience sur la terre de
manière à progresser vers la perfection, et réaliser en
fin de compte leur destinée divine en héritant de la vie
éternelle. Le plan divin du bonheur permet aux relations familiales de
perdurer au-delà de la mort. Les ordonnances et les alliances
sacrées que l'on peut accomplir dans les saints temples permettent aux
personnes de retourner dans la présence de Dieu, et aux familles
d'être unies éternellement. Le premier des commandements que Dieu
a donné à Adam et Eve concernait leur potentiel de parents, en
tant que mari et femme. Nous déclarons que le commandement que Dieu a
donné à ses enfants de multiplier et de remplir la terre reste en
vigueur. Nous déclarons également que Dieu a ordonné que
les pouvoirs sacrés de procréation ne doivent être
employés qu'entre l'homme et la femme, légitimement
mariés. Nous déclarons que la manière dont la vie dans la
condition mortelle est créée a été ordonnée
par Dieu. Nous affirmons le caractère sacré de la vie et son
importance dans le plan éternel de Dieu. Le mari et la femme ont la
responsabilité solennelle de s'aimer et de se chérir et d'aimer
et de chérir leurs enfants. « Les enfants sont un héritage
de l'Eternel ». Les parents ont le devoir sacré d'élever
leurs enfants dans l'amour et la droiture, de subvenir à leurs besoins
physiques et spirituels, de leur apprendre à s'aimer et à se
servir les uns des autres, à observer les commandements de Dieu et
à être des citoyens respectueux des lois, où qu'ils vivent.
Les maris et les femmes (les mères et les pères) seront
responsables devant Dieu de la manière dont ils se seront
acquittés de ces obligations. La famille est ordonnée de Dieu. Le
mariage entre l'homme et la femme est essentiel à son plan
éternel. Les enfants ont le droit de naître dans les liens du
mariage et d'être élevés par un père et une
mère qui honorent leurs voeux de mariage dans la fidélité
totale. On a le plus de chances d'atteindre le bonheur en famille lorsque
celle-ci est fondée sur les enseignements du Seigneur
Jésus-Christ. La réussite conjugale et familiale repose,
dès le départ et
64 « La Perle du Grand Prix » 3ème
livre des Mormons. P.73-74
62
constamment, sur la foi, la prière, le repentir, le
pardon, le respect, l'amour, la compassion, le travail et les divertissements
sains. Par décret divin, le père doit présider sa famille
dans l'amour et la droiture, et a la responsabilité de pourvoir aux
besoins vitaux et à la protection de sa famille. La mère a pour
première responsabilité d'élever ses enfants. Dans ces
responsabilités sacrées, le père et la mère ont
l'obligation de s'aider en qualité de partenaires égaux. Un
handicap, la mort ou d'autres circonstances peuvent nécessiter une
adaptation particulière. La famille élargie doit apporter son
soutien quand cela est nécessaire. Nous lançons une mise en garde
: les personnes qui enfreignent les alliances de la chasteté, qui font
subir des sévies à leur conjoint ou à leurs enfants, ou
qui ne s'acquittent pas de leurs responsabilités familiales devront un
jour en répondre devant Dieu. Nous faisons également cette mise
en garde : la désagrégation de la famille attirera sur les gens,
les collectivités et la nation, les calamités prédites par
les prophètes d'autrefois et d'aujourd'hui. Nous appelons les citoyens
responsables et les dirigeants des gouvernements de partout à promouvoir
des mesures destinées à sauvegarder et à fortifier la
famille dans son rôle de cellule de base de la société.
»65
Annexes IV : Textes de référence
mormon
« Le comportement homosexuel et lesbien est un
sérieux péché. Si vous vous trouvez vous-même en
lutte du fait d'une attirance pour le même sexe et que vous êtes
persuadé que c'est un comportement inadéquate, demandé
conseil à vos parents et à votre Bishop. Ils peuvent vous aider.
» livret pour les jeunes : The Church of Jesus Christ of latter day
Saints, Salt Lake City, Utah, 2001 ; 2011
« Si vous êtes tenté de commettre une forme
de transgression sexuelle. Faites-vous aider de vos parents et de votre Bishop.
Prier le père qui peut vous aider à résister à la
tentation, aux pensées et sentiments inappropriés. Parler avec
votre Bishop et commencer un processus de repentance et ainsi vous pourrez
trouver la paix et vous remplir de Saint-Esprit. Vous devez vous engager
personnellement dans une sexualité pure et encourager les autres
à faire de même . « Genesis 39 :112, doctrine et
gouvernances 38 :42 »
65 Op.cit.
Annexes V : Les modèles parentaux
63
FIGURE 6. Les modèles parentaux
LES STYLES PARENTAUX (Baumrind, 1971)
Le style authoritative (exigence/affection).
Les parents ont de grandes exigences en matière
d'éducation et ils entretiennent des projets pour leurs enfants. Ils
imposent des règles et fixent des limites tout en répondant aux
besoins des adolescents. Ils font preuve de fermeté et de chaleur, mais
ils assument la responsabilité ultime de leurs décisions. Ces
parents expriment leur proximité affective et ils dialoguent avec leurs
enfants afin de leur faire comprendre leurs décisions.
Le style autoritaire. Les parents
préconisent l'obéissance et le respect des règles
familiales, mais ils accordent peu de place aux dimensions affectives et
relationnelles. Ils considèrent que les enfants et les adolescents
doivent se plier aux règles qu'on leur impose et adoptent des mesures
disciplinaires punitives en cas de transgression. On recourt peu au dialogue,
car ces parents sont d'avis que l'enfant doit se conformer aux exigences
parentales, sans discuter.
Le style permissif ou indulgent. Les parents
n'utilisent guère la discipline et ils accordent à leurs enfants
une grande liberté d'action. Les dimensions émotionnelles de
proximité et d'harmonie sont particulièrement valorisées.
Les parents se considèrent comme une présence affective à
laquelle l'adolescent peut faire appel selon ses besoins. Ils font preuve de
compréhension, se montrent tolérants face aux situations
problématiques, car ils pensent que l'exercice de l'autorité
entrave le développement.
Le style indifférent ou négligent.
Ce style se caractérise par l'absence d'attachement
émotionnel et l'absence de contrôle et de sanctions. Il s'agit de
parents qui, pour des raisons diverses, ont délaissé leurs
fonctions parentales ; ils sont peu concernés affectivement par ce qui
se passe dans la vie de leurs enfants et ne posent guère d'exigences
envers eux.
CLAES, Michel. « 5. Les relations avec les
parents : attachement et contrôle » In :
L'univers
64
social des adolescents [en ligne]. Montréal :
Presses de l'Université de Montréal, 2003
(généré le 05 juin 2019). Disponible sur Internet : <
http://books.openedition.org/pum/13740>.
ISBN : 9791036504365. DOI : 10.4000/books.pum.13740.
Annexes VI : Les modes de sanctions parentales
Mode permissif. Les parents, même s'ils
sont ennuyés par la conduite de leur enfant, n'expriment pas ouvertement
leur désapprobation ; ils ne recourent pas non plus à des
sanctions. Mode inductif. Les parents expriment clairement
leur désapprobation et leur volonté de voir changer les choses ;
ils tentent toutefois de résoudre les problèmes en discutant avec
l'adolescent et
en l'associant à la recherche d'une
solution. Mode réactif. Les parents expriment
fortement leur désapprobation et leur colère par des
réprimandes, des reproches, des cris ou des commentaires
désobligeants, sans toutefois punir l'adolescent.
Mode punitif. Les parents expriment
clairement leur désapprobation et imposent des sanctions (privations de
sortie, interdiction de recevoir des amis à la maison, travaux
supplémentaires, etc.). Mode coercitif. Le comportement
donne lieu à des sanctions corporelles (gifles ou autres), des insultes
ou des menaces sévères.
CLAES, Michel. 5. Les relations avec les parents :
attachement et contrôle In :L'univers social des adolescents
[en ligne]. Montréal : Presses de l'Université de
Montréal, 2003 (généré le 05 juin 2019). Disponible
sur Internet : <
http://books.openedition.org/pum/13740>.
ISBN : 9791036504365. DOI : 10.4000/books.pum.13740.
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