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Les conséquences du principe que de responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais


par Ivan De Nguimbous Tjat Limbang
Université de Yaoundé II - Soa - Master en droit privé 2018
  

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§-2 : L'extension rationae materiae plus poussée

86. Au-delà de la question de savoir quelles sont les personnes morales concernées par le principe général de responsabilité pénale des personnes morales, se greffe une autre, celle de la détermination des atteintes pouvant entrainer cette responsabilité.

À cet effet, l'idée de base était que les personnes morales n'étaient pénalement responsables que pour des infractions limitativement énumérées ou décrites dans les lois spéciales.Il semblait impossible pour les personnes morales de commettre des infractions d'une certaine nature qui constituent des atteintes spécifiques239(*).Parlant précisément de la détermination de ces atteintes, celles-ci ont été étendue par l'abandon du principe de spécialité (A), tant les lois spéciales elles même ont multipliés le nombre d'infractions imputables à la personne morale, toute chose qui a justifié l'adoption d'une vision générale (B).

A- Une extension marquée par l'abandon progressif du principe de spécialitéde la délinquance des personnes morales

87. Nécessaire à la base car l'admission de la responsabilité pénale des personnes morales faisait ses premiers pas dans la plupart des législations pénales, le principe de spécialité a permis que l'on puisse aménager lentement mais sûrement un régime de responsabilité qui originairement n'était prévu que pour les personnes physiques240(*). Mais le principe de spécialité a très vite posé certains problèmes qui ont justifiés son abandon (1) un abandon qui s'est fait de façon progressive (2).

1- Un abandon justifié par les limites du principe de spécialité

88. Le principe de spécialité a très vite posé des problèmes. Il est une source d'inégalité entre les personnes pénalement responsables, mais il posait aussi des problèmes particuliers aux autorités judiciaires et aux personnes morales elle-même.

En effet, en limitant la responsabilité pénale des personnes morales pour des infractions bien précises, le régime de responsabilité pénale des personnes morales paraissait bien plus souple que celui des personnes physiques241(*). Bien plus, les personnes morales pourraient en vertu du principe de spécialité échapper à la répression, tout simplement parce que les actes illicites qu'elles ont posées ne leur étaient pas imputables. Cela donnait donc une sorte d'immunité aux personnes morales pour les infractions qui n'étaient pas expressément prévues à leur endroit.

D'un autre côté, le principe de spécialité, couplé à un des principes fondamentaux du droit pénal qui est le principe de la légalité entraine nécessairement une inflation législative. Une telle situation s'avère compliqué autant pour les autorités de la justice pénale qui sont obligé de scruter les nouvelles réformes législatives242(*), d'autant plus que les lois éparses sont des outils privilégiés par le législateur quand il s'agit de développée de nouvelles institutions. Face à l'expansion des dispositions spéciales « dynamiques »243(*), les magistrats devraient donc être à l'affut de nouveaux textes pour déterminer non seulement quelles sont les nouvelles infractions imputables à la personne morale mais aussi, suivant quel mécanisme d'imputation. La même difficulté se pose pour les personnes morales à la différence que contrairement aux autorités judiciaires, elles ne sont pas forcément des spécialistes en droit244(*).

De ce qui précède, force est de constater que le principe de spécialité dans la responsabilité pénale des personnes morales était appelé à disparaitre dans la mesure où il pose autant si ce n'est plus de problèmes qu'il en résout. C'est pourquoi le législateur camerounais l'a progressivement délaissé.

2- Un abandon progressif suggéré par les textes spéciaux

89. L'élargissement matériel du champ de la répression des personnes morales par le principe général de responsabilité pénale des personnes morales est le résultat d'un processus amorcé dès les premières lois spéciales. En effet, l'option choisie par le législateur de 2016 de généraliser les atteintes pouvant justifier la mise en jeu de la responsabilité pénale des personnes morales vient du fait de l'accroissement qualitatif mais aussi quantitatif245(*) des atteintes qui leur sont imputables par les textes spéciaux.

Le développement des lois spéciales dans le domaine divers a rendu les personnes morales responsables des atteintes couvrant les domaines économiques, environnementaux, la cybercriminalité246(*), mais aussi des atteintes qui ne sont pas normalement imputables à la personne morale comme les atteintes à l'intégrité physique, à l'intégrité morale des personnes humaines247(*).

Pour ce qui est des atteintes dans le domaine de l'environnement, la loi du 29 décembre 1989 portant sur les déchets toxiques et dangereux interdit à la fois la production, l'exploitation des déchets toxiques sous toutes ses formes248(*). Dans le même domaine de l'environnement, le législateur a multiplié les lois chronologiquement250(*), il s'agit de la loi du 30 janvier 1995 portant sur la radioprotection et la loi-cadre sur l'environnement de 1996251(*) qui réprime la pollution, la dégradation ou l'altération de la terre et de l'air252(*). Pour les atteintes relatives à l'activité économique, il peut s'agir des infractions portant atteinte aux droits des investisseurs ou à l'activité des investisseurs253(*). Ces infractions sont prévues par la loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation du marché financier.

Un palier est franchi en 2005 avecla loi n°05/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite des enfants254(*) et en 2010 avec la loi sur la cyber sécurité et la cybercriminalité. Tandis que la loi de 2005 prévoit des infractions relatives à l'exploitation des enfants et fait ainsi entrer dans les domaines déjà assez étendus des atteintes imputables à la personne morale les atteintes à l'intégrité des personnes255(*). La loi de 2010 quant à elle vise les atteintes à la sécurité des personnes, à leur vie privée, à leur honneur256(*). En somme, on observe d'un point de vu chronologique l'extension du champ matériel de la répression des personnes morales, suggéré par la prolifération des textes spéciaux invitait nécessairement le législateur à rechercher un énoncé général confirmant cette tendance.

A- Une extension du champ matériel de la responsabilité fruit d'un choix tranché

90. Le législateur de 2016 avait des raisons suffisantes au soutien de l'abandon du principe de spécialité de la répression des personnes morales, mais aussi l'appuie légistique nécessaire que lui fournissait les textes spéciaux. Il ne lui restait donc qu'à définir comment est-ce qu'il allait envisager l'abandon, mais aussi comment allait désormais se faire la répression des personnes morales pour les infractions qui ne leur était pas jusque-là imputable.

Dans ce sens, le législateur camerounais avait le choix entre l'abandon partiel comme le législateur brésilien257(*) ou un abandon total comme le législateur français258(*) ; il a fait le choix d'un abandon total (1) du principe de spécialité. Il avait également le choix entre l'entreprise ardue de revoir toute sa législation en la matière afin de déterminer les modalités de répression de la personne morale pour les infractions qui ne leur était pas jusque-là applicable ou alors tout simplement énoncer un cadre général de répression de toutes ces infractions ; il a fait le choix de la simplicité (2).

1- Le choix d'un abandon total du principe de spécialité

91. Affirmer que le législateur a fait le choix de l'abandon total du principe de spécialité, signifie que désormais, la personne morale ne sera plus responsable pénalement uniquement pour une certaine catégorie d'infraction définies par les lois pénales éparses. Mais ce n'est pas pour autant dire la personne morale peut commettre toutes les infractions.

Une fois la précision faite, l'abandon du principe de spécialité n'a pas emprunté le chemin d'une simple extension du domaine des atteintes imputables à la personne morale, ni même par une vaste énumération de ces atteintes. Une telle démarche n'aurait marqué qu'un abandon partiel, qui ne constitue qu'une première étape vers l'inéluctable qui est le rejet total du principe de spécialité. Le code pénal camerounais de 2016 a opté pour une formulation générique retenant la responsabilité pénale des personnes pour « des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants »259(*) sans identifier lesdites infractions. L'on penserait à tort que c'est un oubli du législateur de 2016, mais il s'agit là d'un choix bien tranché qui donne un sens nouveau à la responsabilité pénale des personnes morales. L'article 74-1 du code pénal exprime ainsi le choix d'un abandon total du principe de spécialité de la responsabilité des personnes en droit camerounais.

Pourtant une difficulté majeure se présente, en effet, malgré l'innovation majeure qu'il sous-tend, l'abandon du principe de spécialité pose un problème, comment réprimer les personnes morales pour des infractions qui n'étaient imputables que jusque-là à des personnes physiques ? Le législateur a apporté une réponse simple mais pertinente.

2- Le choix de la simplicité dans la résolution des difficultés nées de l'abandon du principe de spécialité

92. Deux difficultés majeures se sont présentées, la première est celle de savoir, si pour les infractions nouvellement applicables à la personne morales, il fallait leur imposer la même peine d'amende (même montant) que celle infligé aux personnes physiques. La seconde plus complexe, posait le problème de savoir quelle sanction appliquer à la personne morale lorsque seule une peine d'emprisonnement était prévue ?

Parmi les solutions envisageables, il y avait celle d'une révision législative qui consistait à procéder au cas par cas pour fixer les sanctions à chacune de ces infractions, en plus d'être trop laborieuse cette solution n'apportait pas grand-chose en termes d'efficience. Il ne restait donc plus qu'à déterminer de façon générale le montant de l'amende applicable à la personne morale, et la sanction applicable à la personne morale lorsque seule une peine de prison était prévue. À cet effet, il fallait nécessairement un référent, et le législateur en a trouvé un en la personne physique. Ainsi, le calcul de l'amende se fera à partir du montant fixé pour la personne physique, partant du principe que le montant de l'amende applicable à la personne morale doit nécessairement être plus élevée 260(*)et ou en fonction aura un montant stablelorsque seule une peine d'emprisonnement est fixée.

93. Le législateur a su adapter cette sanction au principe de proportionnalité des peines. Ainsi, en fonction de la gravité de l'infraction le juge pourra moduler l'amende entre le maximum et le minimum.

Au fond, les précisions apportées par le principe général de responsabilité pénale des personnes morales ont permis une extension du champ de la répression des personnes morales tant sur le personnel que sur le plan matériel, ce qui a pour effet de limiter la possibilité pour la personne morale d'échapper à la répression. Mais cet élargissement n'est qu'une étape, car dans la responsabilité des groupements, d'autres acteurs que sont les organes et les représentants sont à prendre compte. En ce qui leur concerne, même eux peuvent difficilement se servir du principe général pour échapper à la répression, celui-ci ayant admis un cumul de responsabilité.

Section 2 : Une limitation inhérente à l'admission d'un cumul de responsabilité entre les personnes physiques auteurs des actes incriminés et les personnes morales

94. La possibilité d'échapper à la répression ne doit pas uniquement s'envisager sous le prisme de la personne morale. En effet, le choix de l'utilisation de la personne physique comme substratum humain et même comme « instrument »261(*) de la responsabilité pénale des personnes morales, laisse ainsi planer le doute sur la possibilité d'engager sa responsabilité sous le fondement de l'infraction qu'elle a commise pour le compte de la société.

95. Ainsi, soit l'on admet que la personne physique organe ou représentant auteur des infractions imputables à la personne morale se confond avec celle-ci et donc elle ne devrait pas être considérée de façon singulière comme pénalement responsable. Soit on considère que la personne physique servant de support humain est différente de la personne morale, la responsabilité pénale des personnes morales deviendrait alors une responsabilité du fait d'autrui d'où le cumul de responsabilité entre les personnes morales et des personnes physiques. L'idée retenue était alors que la responsabilité pénale des personnes morales est une responsabilité pénale du fait personnel et celle des personnes physiques se trouve diluée voir même absorbée par celle de la personne morale.

À la réalité, ces deux hypothèses n'ont de séduisante que leur simplicité. Car au fond suivant la logique employée par le législateur ce n'est pas la personne physique qui serait assimilée à la personne morale, mais le personnage ou l'institution qu'il incarne262(*). Ainsi la distinction doit plutôt être faite entre l'institution de l'organe ou du représentant et la personne qui incarne cette institution, de telle sorte que la faute de l'organe ou du représentant considérée comme la faute de la personne morale puisse cohabiter avec la faute de la personne physique. C'est dans cette hypothèse qu'on envisage le cumul de responsabilité pour juguler la dépénalisation que l'admission généralisée de la responsabilité pénale des personnes morales pourrait entrainer pour les personnes physiques auteurs des actes incriminés (§-1), mais aussi comme outil pouvant servir à leur répression (§-2).

* 239La personne morale ne saurait se rendre coupable d'adultère par exemple.

* 240 JEANDIDIER (W.), « La longue gestation de la responsabilité pénale des personnes morales », in Cahiers de droit de l'entreprise, n° 1, Janvier-Février, 2006 p. 26.

* 241« Enfin, l'énoncé limitatif des infractions imputables aux personnes morales apparaît contraire au principe d'égalité devant la loi pénale dans la mesure où les personnes morales sont parfois mieux traitées que les personnes physiques à partir de critères dont nous avons montré l'arbitraire »CARTIER (M.-E.), « La responsabilité pénale des personnes morales : évolution ou révolution »,op.cit. p. 33.

* 242Ibid.

* 243 NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. pp. 221 et s.

* 244 CARTIER (M.-E.), « De la suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres propos », in Les droits et le Droit : mélanges dédies à Bernard Bouloc, Paris : Dalloz, 2007, p. 98. p. 105. « Les services juridiques de nos entreprises se disent incapables de définir et de mesurer, au jour le jour, le risque pénal encouru par leurs groupements. Que dire des petites et moyennes entreprises qui n'ont pas de service juridique ou n'ont pas les moyens d'avoir un service juridique suffisant ».

* 245V. NTONO TSIMI (G.), « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? ». op.cit. p.221 et s.

* 246 Cette extension était déjà analysée comme un des indices de la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. V. NTONO TSIMI (G.), La responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais : Esquisse d'une théorie générale, op.cit. p. 18

* 247Ibid.

* 248 Article 1er de la loi, V. NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit.p. 221 et s.

249Ibid.

* 250Ibid.

* 251Ibid. Voir article 80, 81, 82.

* 252NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » Ibid. pp 221 et s.

* 253Ibid.Article 7 « Nonobstant la responsabilité pénale de leurs dirigeants, les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables et condamnées aux amendes ci-dessus prévues lorsque les infractions ont été commises par lesdits dirigeants, agissant dans l'exercice de leurs fonctions ».

* 254NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » Ibid.pp 221 et s.

* 255Ibid.

* 256Ibid.

* 257L'article 41 du projet de nouveau Code pénal, brésilien dispose « les personnes morales de droit privé sont pénalement responsables pour les infractions accomplies contre l'administration publique, l'ordre économique, le système financier et l'environnement ». V. Projet de Loi au Sénat (PLS) n° 236/2012.

* 258V. l'article 54 de la loi du 9 mars 2004 supprimant le principe de spécialité en France.

* 259 Voir L'article 74-1 du code pénal de 2016.

* 260Cinq fois plus élevé que le maximum prévu pour les personnes physiques v. supra n°67.

* 261 NTONO TSIMI (G.) « Le devenir de la responsabilité pénale des personnes morales en droit camerounais. Des dispositions spéciales vers un énoncé général ? » op.cit. pp. 221 et s.

* 262« D'une part, les organes et représentants se confondent avec la personne morale qui est alors personnellement responsable par leur représentation, c'est-à-dire à travers eux. D'autre part, les personnes physiques se distinguent des organes dont elles sont membres ou de la qualité de représentant qu'elles endossent et cette dissociation conduit à envisager l'imputation d'une autre responsabilité » SAINT-PAU (J.-C.), La responsabilité des personnes morales : réalité et fiction, op.cit.p. 105.

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