III.4.FEMINISME MAROCAIN ET LE DEFI D'INCLUSION DES
FEMMES
Dans les années 90, l'émergence des associations
locales dans la région du nord est le résultat d'une ouverture
politique, imposée par les luttes des années 1980 et celles du
début des années 1990. Cela s'explique aussi par le fait
qu'à partir de cette période, le gouvernement va reconnaitre les
associations féministes comme actrices du changement prévu dans
le processus démocratique entamé100. A ce propos, il
importe de dire que le climat international était favorable à une
telle émergence. En effet, après la conférence de 1995 sur
la Femme, organisée à Beijing, le Maroc a été
contraint d'instaurer davantage d'ouverture politique, et, plus
particulièrement, de considérer les droits de la Femme comme
l'une des priorités stratégiques à l'aube du XXIème
siècle. Le Maroc était forcé d'entrer dans une nouvelle
phase de son histoire, une phase de transition démocratique. Cette
transition est marquée par la clôture du dossier des
détenus politiques et par le retour des exilés
politiques101. Il est à noter que cette transition est venue
après de grands sacrifices et de combats menés par les militants
et militantes des partis politiques de gauche102. Des combats
accompagnés par l'émergence remarquable d'une
société civile active. Cette société,
constituée d'associations a
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d'emprisonner les opposants. Mais dans les livres d'histoires la
période se situe entre 1960 et 1994.
98 Durant tout l'époque de Hassan II, la
région du Nord n'a jamais bénéficié des projets de
développement ni des infrastructures, la région est
laissée marginalisée jusqu'à l'avènement de roi
Mohammed VI, qui fait la première visite du roi du Maroc en 2000 depuis
l'indépendance.
99 ALAMI M'CHICHI, H, (2002), p 36.
100 ALAMI M'CHCICHI, H, (2010), Le féminisme d'Etat au
Maroc : Jeux et enjeux politiques, Paris : L'Harmattan, p 47.
101 C'est le dossier noir des années de Plomb, qui
été validé en 1994, ainsi les exilés politiques
sont retournés au Maroc, et les procès symboliques ouverts pour
entendre les témoignages des exilées, des détenus et aussi
leurs familles.
102 Violations des droits humains, les tortures, les disparitions
ainsi que les assassinats politiques.
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remplacé les partis politiques de la gauche radicale
pendant les années de plomb. Par conséquent, les associations ont
commencé à gagner du terrain en tant que mouvement social
contestataire et revendicateur. En outre, les associations féministes
étaient parmi les mouvements les plus actifs et les plus radicaux.
Les associations féministes émergentes vont
être confrontées à un héritage lourd au moment de
lutter pour l'émancipation de la Femme ; héritage qui se
manifeste par « des blocages issus de la société
traditionnelle »103. Ainsi, l'héritage d'un
système patriarcal, lié au rapport de parenté
répandu dans la région méditerranéenne, fut
renforcé par les traditions liées à la religion, fortement
présente dans le nord du Maroc. Dans un tel système de
parenté, le puissant, qui détient tout le pouvoir au sein d'une
communauté, est toujours masculin. « Ce rapport de soumission,
au lieu d'une relation complémentaire entre les deux sexes, explique
l'absence des femmes dans les prises de responsabilités et de
décisions »104. Ceci explique, le combat du
mouvement féministe marocain qui vise entre autre chose, la
revendication d'une citoyenneté à part entière des femmes,
comme l'égalité des droits et des libertés de base. Sans
oublier d'inclure les droits fondamentaux, comme le droit à choisir le
conjoint, le droit au divorce, le droit à une égalité dans
l'héritage105.
Cette transition politique106 va être
couronnée par le projet du PANIFD, élaboré par le
gouvernement d'alternance en 1998. Le plan part du constat d'échec des
politiques publiques destinées à la promotion de la femme depuis
l'indépendance107 Le plan comprend divers domaines :
économiques, sociaux, juridiques, liés à la situation de
la femme. Voici les dispositions juridiques108 concernant le statut
de la Femme:
- Elever l'âge du mariage pour les deux sexes à 18
ans ;
- Supprimer la tutelle matrimoniale ;
- Transformer toute dissolution de mariage en un divorce
juridique ;
- Enregistrer l'enfant naturel de la mère
célibataire sous le nom de famille de celle-ci ;
- Le juge qui prononce le divorce doit partager les biens
accumulés au cours de la vie
conjugale, et offrir à la femme la moitié des biens
dont elle a participé à l'acquisition, soit par
son travail domestique, soit par son travail de salarié
;
103 COMBE, J. (2001), p114.
104 LAALA HAFDANE, H. (2003), Les femmes marocaines une
société en mouvement, Paris : l'Harmattan, P 36.
105 CHARRAD, M. 2003.
106 La période de transition (1994-1999), est
marqué par la réforme de la constitution en1996, liquidation
limitée de dossier des violations des droits, et l'arrivé de
gouvernement d'alternance en 1998.
107 SAADI, S. (1998), PANIFD, Rabat : Secrétaire d'Etat de
la famille
108 Secrétariat d'Etat chargée de la protection
sociale, de la famille et de l'enfance, (1999), PANIFD, (47- 49).
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- Créer des tribunaux familiaux ;
- Reconnaître aux femmes, le droit d'être
jugée en matière du statut personnel.
Le projet va être le centre d'intérêts de
mobilisations pro et anti PANIFD qui créera, sur la scène
marocaine, des alliances inattendues109, La principale initiative
contre le PANIFD fut « la ligue nationale de la protection de la famille
»110, avec le slogan « une famille soudée
équivaut à une saine société ». Cette
initiative a réuni le Parti de la Justice et du Développement
(PJD)111, des membres du parti USFP112 avec des membres
de parti Istiqlal113, et a été encadrée par le
Ministère des affaires islamiques. Le parti d'Union Socialiste des
Forces Populaires (USFP) était alors à la tête du
gouvernement qui a élaboré le projet du PANIFD. Cette division
à l'intérieure même du front qui lutte pour la promotion
des droits de la femme et le changement de son statut juridique va créer
une tension entre marocains musulmans pratiquants et marocains musulmans
occidentalisés selon les termes consacrés par les partis
islamistes et traditionalistes. Et pour ces derniers, il est bien entendu que
«le référentiel reste le pôle central de toutes
les critiques que font (les islamistes) du projet du plan d'action et, de
manière générale, de toute politique concernant les femmes
»114.
Le 12 mars 2000, deux manifestations furent organisées,
la première à Rabat, dans le cadre de la marche mondiale contre
la pauvreté, et à l'initiative des associations féminines.
La seconde à Casablanca où se retrouvent les opposants au PANIFD.
Toutes deux ont été organisées le même jour,
à la même heure. La grande différence dans le nombre de
participants entre les deux marches, (six à dix fois plus de
participants à celle de Casablanca qu'à celle de Rabat), fut le
symbole d'une opposition populaire massive au PANIFD115. Mais cette
différence du nombre s'explique facilement si l'on considère tout
simplement, les acteurs à l'origine des manifestations. En effet, ce
front dur représenté à Casablanca fut soutenu par le
Ministère des affaires islamiques avec tous ses organismes
109 DAMMAME, A. 2005, P 200.
110 Ibidem.
111 Parti Justice et Développement né le 2 juin
1996, d'après une unification avec un autre parti politique mouvement
national populaire est qui va adopter un nouveau nom : PJD, cette
stratégie est adopter par les islamiste car l'Etat n'accord pas
d'autorisation pour des partis politiques qui se base sur une
référence religieuse. Mais ça n'a pas empêché
le parti de dévoiler sa référence à travers des
discours qui revendique le retour à la charia. (BENADADA, A. (2007), La
femme et la politique : Etude sociologique des secteurs des femmes au sein des
partis politique, Rabat : IURS, p134.
112 Union socialiste des forces populaires, un ancien parti du
gauche crée en 1972, et qui a été élu Pour la
première fois au gouvernement d'alternance en 1997.
113 Parti du mouvement nationaliste il est sur la scène
politique avant l'indépendance, il a une référence
réformiste salafiste basée sur la religion islamique.
114 ALAMI M'CHICHI, H. (2002) P 66.
115 DAMMAME, A, (2005), P 202
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(les lauréats de « dar Hadite
Hassaniya116 », la ligue des oulémas du
Maroc117, les imams des mosquées du Royaume). En plus, il y
avait également la présence d'organisations non étatiques,
comme le parti islamiste « justice et développement » et le
mouvement d'unification et de réforme118. De l'autre
côté, on retrouve le front qui a soutenu le PANIFD jusqu' à
ce que le gouvernement déclare son intention de mettre le dossier du
plan entre les mains du commandeur des croyants le 13 janvier 2000.
Finalement, le plan a été retiré, mais a
laissé la place à une stratégie nationale pour
l'intégration de la femme dans le développement présentant
un changement radical dans la structure du document. Dorénavant, il
s'agit de séparer le domaine juridique des autres domaines politiques,
sociaux et économiques. La charge du juridique est prise en main par le
Roi Mohammed VI qui va créer «une commission consultative
chargée de la révision de la moudawana ». Cette commission
est le fruit du pouvoir du roi qui a joué le rôle d'arbitre :
«le recours à l'arbitrage royal a trahi les limites de
l'exécutif, pire, il a montré que l'exécutif n'est qu'une
partie du conflit incapable de trancher au profit de son propre
plan»119.
Nous allons aborder, dans les chapitres suivants, les causes
et les conséquences de cette nouvelle réalité qui
s'annonce sur la scène politique marocaine. Une réalité
aux origines de l'émergence du mouvement féministe islamiste au
nord du Maroc et du féminisme d'Etat.
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