Sommaire
1
REMERCIEMENTS 4
I. INTRODUCTION 5
I.1. Intérêt du sujet 5
I.2. Contexte de la recherche 5
I.3.Présentation de la zone de recherche 12
I. 4. OBJET DE LA RECHERCHE OU PROBLEMATIQUE 13
I. 5. QUESTION DE DEPART 14
I. 6. HYPOTHESES 14
I.7. PLAN DE LA RECHERCHE 15
II.2.1.FEMINISME 21
II.2.2.Mouvement social 24
II.2.3.Répertoire de l'action collective 25
II.3.Méthode de collecte des données 29
II.3.1.Entretiens : 29
II.3.2.Observation : 29
II.3.3.Revue de la bibliographie 29
II.3.4.Méthodes d'analyse des données 30
II.3.5.Échantillon des associations et le critère
de choix 31
II.3.6.Limite de la recherche 31
III.1.ETAT DES LIEUX 32
III.2.HERITAGE HISTORIQUE DE LA REGION DU NORD 33
III.3.STATUT JURIDIQUE DE LA FEMME MAROCAINE : ENJEU DE LA
DEMOCRATIE 34
2
III.4.FEMINISME MAROCAIN ET DEFI D'INCLUSION DES FEMMES 36
III.5. ACTIONS COLLECTIVES LOCALES ET LE STAT DE LA FEMME 39
IV.1.PROGRES VERS LE RECUL 43
IV.2. REFORMES LIMITEES 44
IV.3. MOUVEMENT FEMINISTE ET LES TABOUS RESISTANTS 46
IV.3.1. Loi sur l'héritage maintenue par la religion et
la parenté patriarcale 46
IV.3.2. Arguments des féministes islamistes pour le
maintien de la loi 48
IV.3.3.Arguments des féministes universalistes en faveur
du changement de la loi 48
IV.4. Marginalisation au féminin 49
IV.5.PARTICIPATION LIMITEE DANS LA GESTION LOCALE 52
V.1. EMERGENCE DU MOUVEMENT FEMINISTE ISLAMISTE 56
V.1.1.Naissance du mouvement féministe 57
V.1.2. Apparition du mouvement Féministe islamiste au
Maroc 58
V.1.4. Troisième voie du féminisme islamiste 61
V.2. REPERTOIRE D'ACTIONS DES FEMINISTES ENTRE UNIVERSALISME
ET
ISLAMISME 63
V.3.FEMINISTES CONTRE L'ETAT... NAISSANCE D'UN FEMINISME
D'ETAT...
65
V.3.1.En guise de définition 66
V.3.2.L'institutionnalisation du féminisme d'Etat 67
V.3.3.Réforme du secteur religieux et
institutionnalisation d'approche genre 67
V.4.POUVOIR POLITICO-RELIGIEUX BASÉ SUR L'EXCLUSION
FEMININE 68
V.4.1.Les bases de la monarchie marocaine 70
V.5. RAPPORTS D'ALLIANCE ET D'OPPOSITION AUTOUR DU
FEMINISME
MAROCAIN 71
VI.CONCLUSIONS 73
VII.
3
BIBLIOGRAPHIE 75
VIII. GLOSSAIRE 80
IX. ANNEXES 82
4
REMERCIEMENTS
Je voudrais remercier sincèrement tous ceux et celles
qui ont m'accordé leur soutien directement ou indirectement pour que je
puisse réaliser ma recherche.
Je remercie particulièrement ma directrice de
mémoire, Bérengère Marques-Pereira qui a accepté
mon sujet et m'a donné sa confiance et son soutien pour mener à
bien, les démarches de ce travail.
Je remercie également mon assesseur Firouzeh Nahavandi,
pour sa disponibilité à des moments propices. Merci infiniment
pour avoir répondu à mes questions tout au long de la
rédaction de mon mémoire.
Je tiens à remercier mes amies, Qods, Chloé et
Hind pour leur précieuse aide dans la réalisation de ce
mémoire.
Je remercie aussi, tous les membres des associations
féminines au nord du Maroc pour le temps et l'intérêt
qu'ils ont consacré à mon travail.
Je remercie de tout mon coeur, Mohammed, mon mari, ami et
compagnon, qui a toujours été présent à mes
côtés durant cette longue recherche. Merci pour sa présence
et son soutien moral.
Je tiens aussi à remercier en particulier Ali pour son
aide précieuse, sans oublier Khalid.
Je termine en remerciant sincèrement tous ceux que j'ai
pu oublier dans mes remerciements et qui ont contribué à la
réalisation de ce mémoire, que ce soit, de près ou de
loin.
5
I. INTRODUCTION
I.1. Intérêt du sujet
Des recherches précédentes sur le
féminisme marocain m'ont amenée à me questionner sur la
situation de la femme marocaine en général et sur le travail de
terrain des associations féminines dans la région du nord du
Maroc en particulier. De ces travaux, de nouvelles interrogations sont
nées qui me poussent aujourd'hui à vouloir continuer la
recherche.
I.2. Contexte de la recherche
Mon travail, réalisé entre 2000 et 2007, a mis
en exergue la marginalisation de la femme marocaine en général.
En réaction à cet état de fait, la Région du nord
du Maroc a vu se développer un réseau d'associations
féministes oeuvrant à l'émancipation des femmes de la
région. Ce travail m'a, en effet, amenée à conclure
à quel point la femme, au Nord du Maroc, rencontre des obstacles
imposés par la nature traditionnelle et patriarcale1 de la
société. La seconde conclusion est celle de la marginalisation de
la région qui entraîne une féminisation de la
pauvreté. La troisième conclusion concerne le statut juridique de
la femme qui, jusqu'à sa reforme en 2004, était lui-même un
obstacle à l'émancipation des femmes.
Des articles que je publierai par la suite (entre 2004 et
2008), il en est ressorti que le mouvement féministe du Nord n'est pas
un mouvement uniforme. Composés de très nombreux types
d'associations, il ne coule en effet pas d'un même flot, dans une seule
direction, mais bien dans des sens qui souvent divergent voir s'opposent et se
contraignent. Et cette fragmentation, affaiblit le mouvement. Les courants
principaux du mouvement et qui le tiraille et l'affaiblisse sont 1) Le
féminisme universaliste2 ; 2) Le féminisme islamiste ;
3) Le féminisme d'Etat3.
Le féminisme universaliste renvoie à l'ensemble
des associations féminines qui adoptent le référentiel
universel des Droits humains de la Femme4. Concernant le
féminisme islamiste, il émerge avec plus de clarté au
début des années 2000. A cette occasion, la fragmentation du
mouvement
1 La région fait partie du système
patriarcal répandu en méditerranée
2 Universaliste = qui adopte le
référentiel des conventions internationales des droits humains
conclues par les nations unies.
3 Le nom qu'a donné le sociologue marocaine
Dialmy pour désigner toutes les interventions de l'Etat marocain dans la
condition féminine.
4 Représentés par la charte
internationale des droits humains, les pactes, les conventions et les
déclarations émanant de l'ONU et des organisations
concernées traitants les droits humains de la femme.
6
féministe se marque davantage. Ceci est dû au
débat autour du plan d'action national pour l'intégration de la
femme au développement ((PANIFD)5. Dans le plan initial
existait une référence universelle aux Droits Humains de la
Femme6. Les islamistes s'y sont opposés. Une telle
référence représentant, selon eux, une menace envers la
tradition islamique et, bien plus, constituait un pas supplémentaire
vers l'occidentalisation de la société marocaine. Cela s'est
traduit par des violences urbaines répétées. Le
gouvernement a retiré le plan, et a appelé à l'arbitrage
royal7. En avril 2001, le roi désigne une commission en vue
de changer le Code du statut personnel (1957). La commission clôture ses
travaux en octobre 2003, et depuis février 2004, le code
réformé est entré en vigueur et est connu sous le nom de
Code de la famille8.
Cette intervention royale officielle recouvre une importance
fondamentale dans le développement du paysage du mouvement
féministe marocain. En effet, à partir de ce moment, l'Etat joue
un rôle actif développant une politique interventionniste en la
matière. Mais une question doit ici être posée : si l'objet
de la politique d'Etat en matière de féminisme dans les pays
démocratiques est clairement défini et doté des
instruments nécessaires à sa mise en place (nous pensons ici
à un Ministère, à des budgets, promotions des droits,
égalité entre les hommes et les femmes basée sur
l'approche genre,...), qu'en est-il pour les Etats dits non
démocratiques ou en transition dont le Maroc fait partie ? La
récupération et l'instrumentalisation sont ici, les
pièges. De fait, nous avons observé un constant jeu de
va-et-vient de la politique gouvernementale marocaine en la matière.
Tantôt reprenant les idées des associations universalistes
tantôt celles des associations islamistes, l'Etat contribue tout au moins
à la dispersion du mouvement.
En outre, d'autres de mes articles publiés
ultérieurement traitaient du sujet de la place de la femme dans la
société marocaine. Il en ressort que les femmes marocaines
souffrent d'une exclusion de la sphère publique et d'une domination
masculine dans la sphère privée. Le constat va plus loin. La
marginalisation se rencontre même au niveau de l'associatif. Les projets
peuvent être pensés sans elles et donc passer à
côtés de leurs besoins et de leurs demandes réelles. Elles
sont par là, exclues de fait des bénéfices des projets.
Tout ceci nous pousse aujourd'hui à étudier
«Le mouvement féminin et féministe au Nord du Maroc.
Objectifs et répertoire d'actions : 1990-2010», thème
du présent mémoire. L'enjeu :
5 Le Plan d'Action National pour l'Intégration
de la Femme dans le Développement
6 En particulier la convention internationale
d'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard
des femmes
7 Cette tâche garantie au Roi depuis la
première constitution de 1962, et demeure encore dans la nouvelle
constitution de 2011.
8 Aussi connu sous le nom moudawana AlOusra (voir
Glossaire pour plus d'explication).
7
confronter la situation du mouvement féministe au nord
du Maroc et tenter de comprendre pourquoi ce mouvement n'a pas réussi
à construire une unité et une identité cohérente
qui adopte la référence universelle.
Au moment d'entamer notre recherche, il est bon de passer en
revue les paramètres sociaux, culturels, religieux et politiques qu'il
faudra à chaque instant prendre en compte dans le cadre de notre analyse
; ces paramètres orientant et conditionnant la réalité de
l'aire étudiée:
- Le poids prégnant de la religion et de la tradition
dans la région du nord du Maroc ;
- Le système de parenté dans la région
fait partie du système patriarcale du pourtour
méditerranéen ;
- La montée des mouvements conservateurs au sein
d'associations de quartiers ont occasionné un recul des progrès
réalisés par les combats des mouvements féministes
universalistes menés depuis les années 1980 ;
- La nature du régime de la monarchie marocaine repose
autant sur le politique que sur le religieux. Cette nature ambivalente encadre
les décisions prises pour développer la condition féminine
;
- La Multiplicité des intervenants sur la question de
la Femme : l'Etat à travers ses appareils (ministères et
administrations) ; les mouvements sociaux avec les associations
féminines (universalistes et particularistes) ; les organisations
internationales (bailleurs de fonds).
Ces paramètres viennent se greffer sur le tissu d'un
contexte plus large, national et international. Jusqu'en 1956, veille de
l'indépendance du Maroc, la femme marocaine à l'égal de
l'homme a contribué à la résistance dans les rangs des
nationalistes contre le colonisateur. Mais, en 1958, l'élaboration du
Code du statut personnel, a montré que les responsables et les
nationalistes ont tourné le dos à la femme marocaine dans ce que
le statut représentait un recul, excluant désormais les femmes de
la sphère publique, il légitimait la suprématie des hommes
dans la sphère privée. « Un long hiver
»9 commençait qui coïncide avec les
années de plomb10
Il faudra attendre 1975, pour qu'à l'aune des
engagements et initiatives internationales en faveur des femmes (les nations
Unies organise des conférences pour les femmes depuis 1975 chaque dix
ans, et pendant chaque décennie, d'importantes décisions sont
prises en faveur des droits de la
9Expression empruntée à Zakya Daoud,
(1996), le féminisme et politique au Maghreb : sept décennies de
lutte, Casablanca : EDDIF
10Période des violations graves des droits
humains commis par le régime, elle a durée plus de 30 ans
(début des années 1960 jusqu'à début des
années 1990).
8
femme11. Au Maroc, la première association
féminine ADFM12 est créée en 1985. Le
véritable combat féministe au Maroc est lancé et
fleurissent des associations féminines fondées par des militantes
des partis de gauche. L'espoir d'apporter des changements au statut juridique
de la femme naît.
Dans un double mouvement, des changements juridiques
modifieraient la mentalité de la région marquée par le
patriarcat. L'ouverture politique du Régime, va se couronner par
l'arrivé de la période de transition démocratique avec le
gouvernement d'alternance.
A partir de 1999, les féministes vont être
confrontées à une réalité émergente :
l'islamisme. Cette année, en effet, sera marquée par un
évènement majeur : le gouvernement d'alternance13 a
élaboré le PANIFD. La société politique et civile
réagit de façon passionnelle, ce qui provoque une violente
scission de la société marocaine en deux camps : les islamistes /
conservateurs et les universalistes / modernistes.
Des associations et des partis politiques islamistes vont
intégrer la mosaïque politique du Maroc, instauré par le
nouveau roi (Mohammed VI). Le mouvement féministe se trouve alors
confronté à un autre obstacle, celui d'une division qui touche
son unité. Ceci a fait l'échec du PANIFD, « un
échec d'un Islam sexuellement démocrate (Marche de Rabat) face
à un Islam phallocrate (Marche de Casablanca)»14.
Ce constat va ouvrir un chantier de mobilisation féminine
caractérisée par des réseaux et des partenariats pour
contrer cette nouvelle réalité qui existait déjà
mais qui se dévoile à haute voix.
Cette tendance conservatrice va trouver dans la région
du nord un écho et un champ fertile pour une telle stratégie.
L'analyse des programmes mis en place par le gouvernement
marocain en matière de politique sociale destinée aux femmes,
nous révèle l'absence d'une approche globale et cohérente
au niveau des choix sociaux et de leur financement. La «tendance
à cantonner les programmes et les actions ciblant les femmes dans les
départements sociaux, faiblement dotés de ressources humaines et
financières, fait qu'au lieu de contribuer effectivement à la
promotion des femmes, ces
11La Convention sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination à l'égard des femmes, (CEDAW) a
adopté par l'assemblée générale des Nations Unies
en décembre 1979.
12Association Démocratique des Femmes du
Maroc, première association indépendante créée par
des militantes de gauche à Rabat.
13Cette expérience qui n'a pas
été prolongé, a été marquée par la
nomination du premier ministre de parti socialiste de l'opposition en 1997 pour
la première fois après les années de plomb.
14DIALMY, A. (2004), « Le féminisme
marocain et la modernisation du droit de la famille », in femmes et
Etat de droit, sous la direction de F. GHISSASSI & A. MOULAYRCHID,
121- 135, Rabat : Dar Al Qalam.
9
programmes ont, tout au contraire, participé
à une construction des identités féminines
étroitement et parfois exclusivement liées à la
famille.»15 . Cette politique a donné la place aux
idées des traditionalistes se répandant qui situent la femme dans
un rôle étroitement lié à la famille (mère)
active à la sphère privée, et non à une citoyenne
qui jouit de sa place dans la sphère publique de la
société. Une vision partagée par les associations et les
partis islamistes16. Il importe maintenant d'approcher les rapports
d'alliances et d'oppositions des acteurs sociaux avec l'Etat. Comment l'Etat
crée un équilibre entre la référence islamique et
la référence universelle des droits humains,
particulièrement le statut juridique de la femme ? Dans cette
perspective, comment les composantes du féminisme marocain
(étatique, islamiste et universaliste) se positionnent par rapport
à la condition féminine ? Pourquoi malgré les luttes et
les mobilisations féminines, le féminisme universaliste n'a pas
réussi à construire une théorie cohérente ?
L'analyse du discours sur la condition féminine
révèle les lacunes et les contradictions de tous les discours
visant les droits humains de la femme proclamés par les institutions de
l'Etat et qui adoptent encore et toujours une tendance patriarcale des
manifestes : « Il faut reconnaître que les hommes politiques,
toutes tendances confondues sont conservateurs. Sur la question de la femme,
force est de constater que la monarchie a été à
l'avant-garde ou, du moins, a eu une double attitude, à la fois
moderniste et conservatrice ».
Nous entrevoyons l'idée qui défend que l'Etat ou
El Makhezen17 a toujours essayé de domestiquer les
associations pour qu'elles ne représentent pas un contre-pouvoir. Il a
même, à plusieurs reprises, adapté son discours et ses
projets sociaux18. Nous pouvons aussi remarquer qu'il y a, parfois,
dans le chef du mouvement féministe une avance pratique sur les
discours, ou l'inverse. C'est ce que nous allons tenter de démontrer
grâce à des entretiens réalisés avec des
responsables d'un échantillon des associations féministes comme
méthode choisie, mais aussi par des observations personnelles
accumulées pendant une période de travail au sein d'associations
féminines du nord du
15 ADFM. (2004), Le processus d'examen et
d'évaluation des progrès réalisés dans la mise en
oeuvre du Programme d'action de Beijing en Afrique (Beijing + 10) : Rapport des
ONG au Maroc, p 5.
15 Pour les islamistes, la famille reste la cellule
de la société, il faut alors mener des projets en faveur de la
femme et l'enfant, ainsi comme le construit la politique du gouvernement, en
mettant en place un ministère des affaires sociales pour traiter les
problèmes liés au genre et la femme.
16 RAJI, H. (2005), l'injustice faite aux
femmes en terre d'Islam,
www.mediterranéas.org,
Consulté le 20 novembre 2010. 17L'ordre jugé
nécessaire et consolidé par un recours illimité à
la violence. Il exprime la nudité de l'exercice de l'autorité et
de la raison politique, dénué de toute morale ou sentiment
», in TOZY, M. (1999), Monarchie et islam politique au Maroc, Paris :
L'Harmattan, p 43.
18 Exemple : La réforme du code de la
famille, la stratégie de lutte contre la violence faite aux femmes,
Initiative nationale de développement humain.
10
Maroc.
Notre recherche a pour but alors, d'approcher la mobilisation
des femmes marocaines durant les vingt dernières années et de
montrer que cette mobilisation a été transformée de la
mobilisation sans émancipation 19 durant la guerre
de l'indépendance à une participation féminine active
pendant la période étudiée.
Au cours de cette période, qui s'étend de 1990
à nos jours, les politiques d'ajustement structurel ont
été plus lourdes pour la situation de la femme que pour celle des
hommes. Concrètement: une féminisation de la pauvreté, un
taux plus élevé de filles non scolarisées, ou qui
abandonnent le parcours scolaire pour subvenir aux besoins de leurs familles,
un taux de violence conjugale qui augmente de façon significative entre
1990 et 2000. Si cette dernière est basée sur le statut juridique
inégalitaire entre l'homme et la femme au sein du couple, elle
résulte également de problèmes économiques et
sociaux.
Au niveau local, la période particulière qui
s'étend de 1998 à 2001 voit l'émergence de nombreuses
associations de quartiers dont le terreau est islamiste. Ces associations
visent les femmes comme premières bénéficiaires de leurs
activités. Mobilisées par des projets qui répondent
à leurs besoins, les femmes se voyaient en même temps
engagées dans les objectifs religieux de ces associations. C'est ainsi
que l'on voit, le retour marqué du voile parmi elles, une
fréquentation féminine plus massive des mosquées. Le
phénomène se répand d'autant mieux que l'image de la
musulmane pratiquante façonnée au sein des premières
associations facilitera la création d'associations filles à
travers la région20. Simultanément, bien que dans une
moindre mesure, ce phénomène régional de propagation
s'observe aussi au niveau des associations féminines de type
universaliste21.
Au niveau national, survient « un coup d'Etat moral
»22 qui passe inaperçu dans les études
historiques, mais qui a bouleversé la société marocaine
traditionnelle. Il s'agit de l'affaire du commissaire Tabet en 1993, tant
médiatisée. Elle a sollicité pour la première fois,
un débat de société sur les sujets tabous du sexe, de la
violence, des abus de l'Etat.
19 MOLYNEUX, M. (2000), « mobilisation sans
émancipation ? Participation des femmes, Etat et révolution au
Nicaragua », in Le genre : un outil nécessaire, cahier genre et
développement, sous la direction de J, Basilliat & C,
Vershcuur, 123-131, Paris : L'Harmattan, Paris.
20 Observation directe pendant la période de
travail, à cette époque il y'a une émergence des
associations de quartiers à Tanger qui se lancent dans des grands
projets de développement. Ces associations ont toutes une tendance
islamiste, exemple : association Mesnana Rahrah, association Deradeb ain
Hayani, association Hay ben Kirane) ces noms sont aussi des noms des quartiers
défavorisés de Tanger.
21 Parmi ces associations, les associations de notre
échantillon qui ont été créées entre 1996 et
2003
22 DAOUD, Z. (1996), Féminisme et politique au
Maghreb : sept décennies de lutte, Casablanca : EDDIF
11
Tabet, un commissaire haut gradé abuse de son pouvoir
pour violer, torturer et filmer 1060 jeunes filles et femmes mariées
entre 1990 et 1993. Tabet sera condamné à mort. Les associations
féminines seront portées parties civiles durant le
procès.
L'affaire va ouvrir les yeux des médias et de la presse
mais aussi ceux de l'opinion publique sur les violences faites aux femmes, dans
le silence, dans le cadre de la sphère publique et de la sphère
privée, et toujours avec la complicité des autorités et
des populations. Des réactions en chaines. En 1993, les premières
réformes du Code du statut personnel sont élaborées ; le
fruit de la mobilisation conduite par UAF (union de l'action féminine),
qui a réussit à rassembler un million de signature pour
l'obtention de cette réforme. Une victoire mitigée : les
modifications de quelques articles du CSP étant jugées trop
timides.
Les associations féminines locales et nationales
mettront en place des centres d'écoute et d'orientation pour les femmes
victimes de violence23. De son côté, l'Etat va
élaborer une stratégie de lutte contre la violence à
l'égard des femmes, un peu plus tard en 2002.
Les mobilisations suivent avec le PANIFD en 1998, et quatre
ans plus tard lors de l'élaboration du nouveau Code du statut personnel
qui devient désormais Code de la famille en 2004. Un nouveau bras de fer
s'engage entre le mouvement féministe marocain et l'Etat dans
l'application du Code de la famille, autrement appelé : Moudawana Al
Osra dont les rapports des associations, principalement de la ligue
démocratique des droits des femmes, prouvent que le Code de la famille a
suscité des problèmes et des obstacles structurels et moraux dans
l'application, six ans de sa mise en place.
Au niveau international, la période
étudiée (1990- 2010) voit un tournant historique : la chute du
bloc socialiste symbolisée par la destruction du mur de Berlin fin 1989.
La géographie politique du monde change. Le monde ne sera plus
divisé en deux blocs, certes opposés dans une guerre, la Guerre
Froide mais garant d'un certain équilibre. La fin de la Guerre Froide
rompt l'équilibre, engendrant de nombreuses guerres civiles, des
conflits armés et des génocides ; un changement radical de
régime géopolitique mondial. Paradoxalement, le statut des femmes
dans le monde connait une évolution positive avec l'organisation des
conférences sur la Femme : 4ème conférence sur
la Femme à Pékin qui a été l'occasion d'un
véritable traitement des rapports de l'égalité entre les
sexes et l'adoption de l'approche genre dans le traitement de ces rapports. La
conférence a été organisée en 1995, cette
conférence qui va être suivie des réunions mondiales pour
l'évaluation et le suivi des
23 Les deux premiers centres sont créés
à Casablanca en 1996 par l'association UAF et en 1997 par ADFM
12
recommandations de la conférence de Pékin
199524. C'est aussi l'époque des marches mondiales des
femmes. En effet, la première marche mondiale est organisée en
200025, sous thématique spécifique pour chaque
région. Ainsi pour le Maroc, la première marche est
organisée le 12 mars 2000 à Rabat avec le slogan : « Nous
partageons la terre, partageons ses biens ». 2000 est aussi l'année
qui va marquer l'histoire du féminisme marocain avec les deux marches
organisées à Casablanca et Rabat. Ainsi, les marches mondiales se
succédèrent tout au long de la période
étudiée. Parallèlement, le gouvernement marocain s'engage
dans le processus de ratification des conventions internationales des droits
des femmes, avec des réserves, il est vrai, mais cela motivera le
mouvement féministe marocain à poser d'autres revendications et
à mener de nouvelles contestations.
I.3.Présentation de la zone de recherche
L'espace de la recherche, le Nord du Maroc, est appelée
officiellement « Région Tanger/ Tétouan »26.
La région comprend cinq provinces : Chefchaouen ou
Chefchaouen-Tétouan, Tanger et Larache ou Araich. La région se
situe au carrefour des deux continents, l'Afrique et l'Europe (à 14 km
de la côte espagnole). Cette position géographique
stratégique a permis à la région d'être le
pôle d'investissements majeurs à partir du milieu des
années 1990. Néanmoins, les investissements économiques
n'ont pas fait disparaitre les formes d'exclusions sociales et la
pauvreté féminine, encore fort présente dans les rues des
villes de la région. Ainsi, les études et enquêtes
menées durant les dix dernières années montrent clairement
que la région est loin d'atteindre les objectifs des millénaires
du développement (OMD)27 que le Maroc s'est engagé
à réaliser à l'horizon de l'année 2015.
À cela, s'ajoute le phénomène de
l'urbanisation de la région qui pose un réel problème.
L'urbanisation, intimement liée à un exode rural massif, peut se
faire dans deux sens : intra urbain et périurbaine. Dans la
région qui nous intéresse, on observe un élargissement
sauvage de la périphérie. Les quartiers naissent de façon
spontanée, sans aménagement et en dehors des lois.
Pauvreté, analphabétisme des femmes et des filles surtout, manque
d'hygiène et autres augmentent. Les chiffres
24 Les conférences sont : Pékin + 5,
Pékin +1O, Pékin + 15
25 La première marche mondiale des femmes a
été décidée lors de la conférence de
Pékin de 1995 à l'initiative de la délégation du
Canada. En 2000 les marches ont été organisées à
travers 143 pays, entre le 8 mars, journée de la femme et le 17 octobre,
journée mondiale contre la pauvreté.
26 Voir la carte en annexe 4.
27 Principalement en ce qui concerne les femmes :
promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes,
réduire la mortalité infantile et améliorer la
santé maternelle.
13
témoignent de cette réalité, ainsi les
femmes analphabètes sont plus de 94% dans le quartier périurbain:
Ain Haouzi de la ville de Chechaouen28. En effet dans certains
quartiers périurbains, le pourcentage de filles non scolarisées
au milieu atteint 60%.
En intra urbain maintenant, de nombreuses constructions
massives, de grands immeubles voient le jour, au centre des villes ou sur des
zones vertes qui disparaissent jour après jour29.
L'enquête30 menée en 2003 dans la ville de Tanger sur
la catégorie des femmes de ménages de
Moukef31 a montré que ces femmes vivent dans une
extrême pauvreté et sont toutes chefs de famille, leur mari
étant en prison, elles sont même souvent veuves, divorcées
ou parfois le mari ne travaille pas. A Larache, une enquête
réalisée en 2009 auprès de femmes ouvrières
agricoles32 a montré que ces femmes contribuent au revenu du
ménage, et travaillent pour un salaire inférieur au minimum
légal, sans aucune couverture sociale ni mutuelle de
santé33. Ainsi, à partir de ces quelques exemples qui
ne recouvrent certes pas toute la réalité de la condition
féminine de la région, nous avons pour objectif de montrer que
l'exclusion des femmes dans la zone est due à l'absence de structures
institutionnalisées chargées du développement humain des
femmes.
I. 4. Objectif de la recherche ou
problématique
Notre recherche a pour objectif d'aborder les points forts et
les points faibles de l'émergence des associations féminines au
nord du Maroc. Et de couvrir, par la même occasion, le champ d'action,
dominé ou gagné, sur le terrain, par des associations locales
à caractères religieux se référant à
l'Islam, et qui travaillent sur la condition de la Femme. Par ailleurs, nous
travaillerons à mettre en exergue le changement du statut juridique de
la Femme et les enjeux accompagnant cette dynamique à la fois sociale et
politique. Ainsi, la problématique de la recherche se formule autour du
débat qui a
28 Enquête réalisée par
l'association Saida AlHorra en 2004 sous thème : « Ces femmes
pauvres ! Qui se battent pour le bien être de leurs familles »
dirigée par Hakima Naji.
29 OUAIAOU, F. (2005), la société
civile marocaine : entre la vision de développement et les droits
humains, ttpp://
www.tanmia.ma/article.php3?id_article
30 Réalisée dans le cadre de mon
travail comme coordinatrice avec l'organisation internationale Global Rihgts
pour l'association AMNA pour la protection des femmes victimes de violence
à Tanger, en mars 2003.
31 Moukef désigne des endroits précis
dans une ville où la femme attend qu'une personne vienne la chercher
pour qu'elle fasse le ménage à la maison pour un paiement
journalier qui ne dépasse pas 5 euro sans prendre en
considération la durée du travail, peut être une
journée, ou plusieurs heures. Ces endroits sont de plus en plus
peuplés par ces femmes. (Selon notre enquête menée en mars
2003).
32 Enquête réalisée par
l'association Mains Solidaires en coordination avec Intermon Oxfam
33 L'enquête avait pour objectif de monter un
projet en faveur de ces femmes pour pousser les patrons à les
enregistrer dans la caisse nationale de la sécurité sociale.
14
accompagné le processus de changement du Code de la
famille. Un débat qui a engendré confrontations et conflits entre
les composantes du féminisme marocain. Nous formulons alors notre
problématique autour des rapports entre les composantes de
féminisme et le rôle de l'Etat dans la qualification de ces
rapports à la fois d'alliance et d'opposition.
I. 5. Question de départ
Il existe alors des divisions au sein du mouvement
féministe marocain. Partant de là, quels sont les rapports entre
les composantes du féminisme au nord du Maroc et comment peut-on
qualifier ces relations à la fois de rapports d'opposition et d'alliance
?
I. 6. Hypothèses
Par conséquent, l'instance politico-religieuse est
l'instance qui balise les possibilités d'alliance et d'opposition entre
les trois composantes du mouvement féministe marocain. Ainsi, le
changement du statut juridique de la femme (Code de la famille) va être
modulé ou adapter selon les intérêts de la monarchie,
parfois plus religieux parfois plus politiques en fonction de
l'évolution de la société et des rapports du pouvoir.
Sous hypothèse 1 :
Dans ces divisions, le rôle du Code de la
famille34 est indéniable. Ce code est une émanation de
la jurisprudence islamique. Par essence, le code est donc religieux, le
référentiel en matière de Droits Humains de la Femme est
religieux. Voilà la fracture avec les universalistes. Mais, la
réalité est plus complexe car les universalistes, bien que
n'adhérant pas au référentiel islamique de la Moudawana,
doivent s'y plier s'ils veulent mener leurs actions dans la
légalité. Et s'ils veulent modifier le code lui-même, ils
devront interpréter les textes sacrés en faveur de la vision
universaliste des Droits Humains de la Femme. Un piège et un défi
pour les universalistes.
Sous hypothèse 2 :
De son côté, l'Etat n'adopte pas une position
claire. À chaque fois qu'il semble annoncer la
34 On le désigne en arabe par Moudawana
AlOssera (voir Glossaire pour plus d'explications)
15
modernisation de la société, (rappelons que
l'Etat a des engagements vis-à-vis de la Communauté
internationale et qu'il est tenu à des résultats à de
nombreux niveaux), nous observons qu'il fait un pas en arrière. En
effet, l'Etat est fondé sur l'Islam. Le monarque est le «
commandant des croyants »35. Si donc l'Etat abandonne son
essence religieuse, quelle raison d'être a encore la monarchie ?
Vidée de son essence, elle serait en péril. Le va et vient
incessant de l'Etat, entre modernisme et tradition, prend son sens.
I.7. Plan de la recherche
La première partie de notre recherche est
consacrée au cadre conceptuel du sujet, et au contexte politique et
social des mouvements contestataires au Maroc de l'indépendance à
2004. En effet, le chapitre I comprend la méthodologie et les concepts
étudiés, ainsi que la méthode d'analyse des données
et les constats incitant à une telle recherche. Dans le chapitre II,
l'approche vise à présenter les actions collectives des femmes au
cours de la période étudiée, soit de 1990 à 2010.
Dans ce chapitre, nous visons principalement les mobilisations féminines
dans la région du nord du Maroc ; une région aux controverses
portant les stigmates d'un héritage patriarcal.
La deuxième partie, nous la consacrons à la
discussion sur la problématique : les conflits et obstacles qui ont
marqués les mobilisations du mouvement féministe dans le cadre de
l'application du code de la famille depuis son entrée en vigueur en
février 2004 jusqu'à 2010. En effet, la question des droits de la
femme reste toujours, depuis l'indépendance, un enjeu dans le jeu
politique36. La question de la place de la femme dans les deux
sphères, privée et publique, fut, de tous temps, un
problème au sein des sociétés arabes et musulmanes. Ainsi,
dans le chapitre III, nous abordons la place de la femme dans la
société marocaine avec pour objectif de montrer comment la
religion est devenue un champ où se disputent les revendications
contradictoires des universalistes et des islamistes. Dans le chapitre IV, nous
proposerons une définition du féminisme d'Etat,
développerons son histoire, envisagerons sa manifestation dans les pays
démocratiques et présenterons sa construction au Maroc. Le Maroc
est un pays encadré par une pensée islamique dans laquelle il est
encore plus difficile de revendiquer une citoyenneté
féminine37. De cette façon, la discussion conduira la
recherche vers une comparaison entre Féminisme islamiste,
Féminisme d'Etat et Féminisme universaliste. En somme, la
35En arabe Amir Almoumenine qui est une appellation
chargée de significations politiques et religieuses (voir Glossaire)
36ALAMI M'CHCICHI, H. (2010), Le féminisme d'Etat au Maroc :
jeux et enjeux politiques, Paris : L'Harmattan. 37La Umma
(communauté) est une forme de citoyenneté plutôt masculine,
car la présence des femmes dans la sphère publique est
très limitée selon la pensée islamique qui encadre le
fondement d'Umma.
16
deuxième partie sera consacrée à analyser
l'hypothèse de la recherche et à mesurer la relation entre les
variables de cette hypothèse. Le but final, étant d'essayer
d'approcher les fondements des rapports qui se jouent sur la scène
politique et sociale au Maroc ; d'une part, entre l'Etat et les islamistes,
d'autre part, entre l'Etat et les universalistes. En outre, l'approche visera
à montrer le rôle de la religion et de la politique dans la
construction des alliances et des oppositions dans une société
qui oscille entre la modernisation (démocratie) et la tradition
(l'autoritarisme).
17
PREMIERE PARTIE
FEMINISME MAROCAIN...
UNE MOBILISATION AU FEMININ
18
II.CHAPITRE I : METODHOLOGIE DE LA RECHERCHE
II.1.REVUE DE LA LECTURE
La littérature traitant le féminisme au Maroc a
révélé un manque crucial d'études sur le sujet. En
effet, les recherches et les études sur le féminisme marocain, et
encore plus pour la région du nord sont quasi inexistantes. Toutefois,
on trouve une importante étude élaborée par Zakya
Daoud38, intitulée «Féminisme et politique au
Maghreb, sept décennies de lutte »39. Cette
étude ne traite pas particulièrement du mouvement
féministe marocain, mais apporte des informations et des analyses en
abordant le parcours de ce mouvement à travers tout le Maghreb.
L'ouvrage de Zakia Daoud est la première étude ayant
traité la question du féminisme au Maghreb.
L'étude est une approche critique de la situation de la
femme au Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie) certes. Néanmoins,
l'ouvrage exprime une grande admiration de la lutte des femmes
maghrébines. Selon Daoud, le processus de l'évolution du
féminisme marocain se divise en trois grandes phases : la
première « évolution contrastée » qui commence
en 1900 et s'achève en 1965 ; la seconde phase « un long hiver
» de 1965 à 1985 ; la troisième et dernière phase :
« l'explosion des potentialités » se déroule entre 1985
et 1992. Le point clé de cet ouvrage est la relation que fait Zakya
Daoud entre la condition féminine et la politique des trois pays
(Algérie, Maroc et Tunisie) concernés par l'étude. Elle
s'inspire fortement du philosophe Avères (Ibn Rochd) qui fît lien
entre la chute des pays arabo-musulmans et le statut de la femme.
Est-ce là, tout le problème des mouvements
féministes marocains qu'il faut encore régler, et avant tout
étudier ?
La seconde étude «La femme et la politique,
étude sociologique des secteurs féminins des partis
politiques40» de la chercheuse Asma BEADADA41,
parue en langue arabe n'a pas pour objectif d'approcher le féminisme
marocain avec ses composantes. Cependant, l'auteure a donné une vision
globale et profonde de la structure des secteurs féminins au sein des
partis politiques. L'étude met en avant le lien entre la mobilisation
féminine actuelle au Maroc et sa participation politique. L'auteure
dénonce le fossé énorme qu'il y a entre la réelle
participation de la femme dans la sphère publique et
38 Journaliste, écrivain et militante
39 Éditions Eddif, Casablanca, 1996, 409p
40 Edition L'institut universitaire de la recherche
sociale, Rabat, 2007, 251p
41 Sociologue chercheuse et féministe
19
les données reprises dans les études et la
documentation des divers partis politiques sur cette participation. En effet,
les chiffres et les études ne représentent pas la
réalité. Les femmes sont beaucoup moins présentes dans la
sphère publique que ce que les études veulent bien nous laisser
croire.
L'étude n'a pas abordé le féminisme
marocain dans ses dimensions actuelles ou par rapport aux défis
lancés par ce dernier. L'objectif principal de l'étude est de
donner au chercheur un outil pour la compréhension de la structure des
partis politiques marocains avec toutes les tendances (de gauche, de droite et
aussi islamiste) à travers leur perception de la participation politique
des femmes au Maroc. Aussi, l'auteure aborde les concepts
d'égalité, de parité et d'universalisme.
L'étude «Le Féminisme au Maroc»,
publiée par Abdessamad Dialmy a la spécificité d'aborder
simultanément plusieurs sujets concernant le féminisme
marocain.
Effectivement, l'ouvrage permet au chercheur d'approcher les
différentes formes de féminisme. Pour l'auteur, il y'a trois
composantes du féminisme marocain: Etatique (féminisme d'Etat) ;
associative et partisane. Ces trois composantes sont présentes
essentiellement au sein de deux milieux : les universités et les
associations. Dialmy se rend compte que le féminisme marocain n'a pas
pris racine au sein de milieux populaires. De plus, les études sur le
féminisme et le genre sont encore loin de se libérer du
« monopole féminin sur le marché scientifique des
études féminines »42. Mais aussi, les
universitaires n'arrivent pas à transformer la condition des femmes en
objet de recherche.
« Le féminisme d'Etat au Maroc, jeux et enjeux
politiques »43 de Houria Alami M'Chichi44 est la
dernière étude publiée sur le féminisme marocain.
Cette étude est une analyse de la réalité progressiste
d'un Féminisme d'Etat qui suscite certaines interrogations. Comment les
pouvoirs publiques (l'Etat) peuvent-ils se servir de « la cause » de
la femme et linstrumentaliser ainsi ? Comment se manifestent les
rapports entre le mouvement social féminin et l'Etat et comment se
transforment-elles en alliances ? De quelle manière, les associations
féminines mettent en place leur répertoire d'actions et leur
champ de revendications ?
Alami M'Chichi, affirme que le « Féminisme d'Etat
» peut contribuer au processus de la démocratisation et encourager
« les réflexes de participation et favoriser les changements
des
42 DIALMY, A, 2008, P 31-36.
43 Edition L'Harmattan, Paris, 2010.
44 Professeure en science politique et en relations
internationales à la faculté de droit de Casablanca,
université Hassan II.
20
mentalités »45.
En effet, par exemple, pour l'auteure, le féminisme
d'Etat au Maroc est différent du féminisme d'Etat en Tunisie dans
la mesure où le premier associe la modernisation à la
démocratisation alors que le second a modernisé la condition des
femmes et la société sous l'ancien régime, en absence de
toute démarche de démocratisation.
Il importe également de mentionner qu'il y'a quatre
études réalisées par Aicha Belarbi, sociologue marocaine,
sur les associations féminines au Maroc. La première étude
« Les associations féminines au Maroc »46 est
publiée en français et la seconde, publiée en arabe sous
le titre : «Mouvement féminin et la transition vers la
démocratie »47.
La troisième étude a pour titre :
«Affirmation de citoyenneté féminine »48 et
la quatrième, s'intitule « le mouvement associatif féminin
»49. Au cours de ces études, la sociologue Aicha Belarbi
développe les actions des associations féminines, les
étapes de l'évolution historique du mouvement féminin au
Maroc et les obstacles que rencontrent ces associations.
Cette lecture a permis de déceler un manque cruel
d'études des rapports dialectiques entre le religieux, le pouvoir et le
statut de la femme marocaine. Ainsi, notre problématique est construite
autour des rapports entre les trois composantes du féminisme marocain
(féminisme universaliste, féminisme islamiste et féminisme
d'Etat), principaux acteurs chargés de la condition féminine.
De ce fait, notre question de départ est « Quels
sont les rapports entre les composantes du mouvement féministe au nord
du Maroc, et comment peut-on qualifier ces relations à la fois de
rapports d'opposition et d'alliance ? ». Nous tenterons d'y
répondre à travers, la présente recherche. Ce qui est fort
marquant est que le travail des organisations et associations féminines
au Maroc, et particulièrement au Nord n'est pas suffisamment mis en
avant dans les diverses revues et études sur le sujet alors qu'il est
primordial dans la condition féminine.
Il y a un manque profond de connaissance du travail de ces
organisations mais surtout une vision erronée des enjeux cruciaux de ces
dernières. La problématique est d'autant plus complexe que ces
études ne tiennent pas compte des relations que peuvent avoir les
organisations entre elles d'une part et d'autre part entre elles et les femmes
bénéficiaires. Mais aussi entre les organisations et
45 ALAMI M'CHCIHCI, 2010, p 143.
46 En 1989 dans Annuaire de l'Afrique du Nord, tome
XXVIII, Éd. du CNRS.
47 Dans l'ouvrage collectif « Les femmes et la
société civile » publié par l'organisation allemande
Fréderic Edberg.
48 Dans l'ouvrage collectif « La
société civile consciente d'elle-même, la
société civile au Maghreb », en 1998 édition Toubkal
à Casablanca.
49 Dans la revue « PROLOGUES » revue
maghrébine du livre, Numéro 9, Mai 1997.
21
l'Etat. Alors que la compréhension de ces relations
serait un facteur émanant pour une compréhension des rapports
d'alliance et d'opposition entre les composantes du féminisme
marocain.
Aussi, pour répondre à la problématique
de la présente recherche, il importe d'aborder trois concepts principaux
: le mouvement social, le féminisme marocain et le répertoire
d'actions collectives. Notre recherche vise à les aborder selon leurs
définitions d'après les sociologues occidentaux, mais aussi,
selon le contexte historique, social, culturel et politique du Maroc.
L'évolution de cette recherche va nous conduire
à traiter d'autres concepts liés à la problématique
principale. Il s'agit du genre et de la citoyenneté, dans la mesure
où la précarité de la condition des femmes au Maroc est
corolaire au manque de citoyenneté féminine à part
entière basée sur l'approche genre.
II.2.CONCEPTUALISATION
La conceptualisation est une étape importante dans
toute recherche en sciences sociales. Elle est plus qu'une définition,
c'est une construction abstraite qui vise à rendre compte du
réel50. Les concepts sont alors indispensables pour la
présente recherche. Nous allons cerner le concept du féminisme en
tant que mouvement social dans une géographie précise, celle du
Maroc et à travers son répertoire d'action. Notre
conceptualisation se penchera sur le féminisme marocain en tant que
mouvement social, possédant un répertoire d'action et
référant au féminisme, un courant mondial.
II.2.1.Féminisme
D'après le dictionnaire de la sociologie, le terme
« féminisme » est définit comme : « Courant
d'idées et luttes concernant les droits des femmes, le féminisme
devient, dans certaines périodes historiques, un mouvement social et
politique pour l'émancipation des femmes. Il désigne aussi un
corpus de différentes théories 51». Le
féminisme comme mouvement d'actions collectives des femmes visant
à lutter en faveur d'une reconnaissance de leur statut
indépendamment des hommes aura une visibilité à partir du
XIXe siècle.
Ainsi, le féminisme se construit comme un mouvement qui
a pour objectif principal de mener
50 VAN CAMPENHOUDT, Q. (2006), Manuel de recherche
en sciences sociales, Paris : DUNOD, p 115
51 Zaidman Claude, « Féminisme »,
in Dictionnaire de sociologie, Akoun P. et Ansart P. (dir.), Le
Robert/Seuil, 199.Paris.
22
une réflexion sur les rapports hommes-femmes. Ces
rapports seront encadrés par une transformation du naturel au
politique52. Nous concluons alors par la définition de Louise
Toupin53 : « Il s'agit d'une prise de conscience d'abord
individuelle, puis ensuite collective, suivie d'une révolte contre
l'arrangement des rapports de sexe et la position subordonnée que les
femmes y occupent dans une société donnée, à un
moment donné de son histoire. Il s'agit aussi d'une lutte pour changer
ces rapports et cette situation ».
II.2.2.1.Féminisme marocain
Avant d'aborder le concept du féminisme marocain dans
le cadre de la présente recherche, il est nécessaire d'aborder le
féminisme dans le contexte international et principalement en Occident.
En premier lieu, nous aborderons le féminisme comme un courant de
pensée qui comprend des idées philosophiques, politiques,
sociales et culturelles, « le féminisme est un mouvement
complexe à la fois politique, social, culturel et intellectuel, qui
s'est affirmé dans le dernier tiers du XXe siècle au sein de la
culture occidentale (États-Unis et Europe) pour s'étendre
ensuite, sous des formes diverses, à toutes les régions du monde.
Il remet théoriquement et politiquement en question la relation entre
les sexes qui a assuré séculairement «la domination
masculine» ainsi que leurs définitions »54. Il
défend les droits des femmes et leurs dividendes dans la
société. Il faut dire que le féminisme n'est pas un
courant unique il est plutôt un ensemble de courants différents.
Ainsi, on peut citer les principaux courants qui ont marqué
l'évolution des théories du féminisme.
Il importe pour cette recherche d'aborder brièvement
les principaux courants du féminisme occidental. Le but est de mieux
cerner l'objet de cette recherche en relation avec les luttes des femmes
marocaines pour leur droit à une reconnaissance de leur statut
indépendamment à celui des hommes dans la société.
Ainsi, les courants du mouvement féministe occidental sont connus sous
le nom « vague ». Il comprend trois vagues depuis son
émergence au début du 20ème siècle
jusqu'aux dernières tendances marquant le siècle courant.
La première vague mettait déjà en
scène les luttes des femmes au 19ème siècle et
au début du 20ème siècle, ce sont les
suffragettes qui luttaient pour le droit de vote, en Grande Bretagne, en
Europe, au Canada, et aux Etats unis. Cette vague qui se nomme aussi «
féminisme égalitaire », revendiquait
52 HIRATA, H., LABORIE, F., LE DOARE H., Dictionnaire
critique du féminisme, Paris, PUF, 2000, p 138 53TOUPIN,L.
http://classiques.uqac.ca/contemporains/toupin_louise/courants_pensee_feministe/courants_pensee
54 COLLIN. F,
http://geographica.danslamarge.com/Le-feminisme.html?var_recherche=sens
23
des droits égalitaires à ceux des hommes. La
principale revendication de ce courant est le droit de vote, accordé aux
femmes en Allemagne et aux Etas Unis en 1919.
La seconde vague débutera à partir de la
deuxième moitié du 20ème siècle. Lors de
cette vague, le droit de disposer de son corps est revendiqué. Ainsi, le
débat se déroule autour des questions de fécondité
et de contraception. Le célèbre slogan de la seconde vague «
le privé est politique »55 désigne une articulation
entre la sphère privée et la sphère publique. C'est
à cette époque, qu'apparurent les ouvrages, tels que «
le Deuxième sexe » de Simon de Beauvoir ou « la
Politique du mâle » de Kate Millet. Dès lors, il y aura
une distinction entre les deux grandes tendances de féminisme, les
universalistes et les différencialistes56 ;
La troisième vague du féminisme va naître au
milieu des populations minoritaires aux Etats Unis, et dans le monde entier
à partir des années 1980. Celle-ci revendique les droits des
femmes pour les défavorisées. La plus grosse revendication est
celle liée au droit à la diversité. La diversité
revendiquée renvoi surtout à l'occupation des différentes
places par les femmes au sein de la société, et qui
étaient majoritairement des places masculines. Cependant, avec cette
vague, il y aura une coupure idéologique avec les premières
vagues, c'est un courant incohérent. Incohérent car sa
diversité divise les objectifs des féministes, elles ne
mèneront plus complètement le même combat. Notre recherche
s'intéresse à cette troisième vague, un féminisme
lié au problème d'identité culturelle, ethnique,
religieuse qui marquera les tensions du féminisme mondial actuel.
En étudiant le féminisme marocain, on ne peut
que se rendre compte que ce sont les deuxième et troisième vagues
du féminisme qui ont influencé les luttes des mouvements des
femmes marocaines. Néanmoins il ne faut pas faire de lien ni d'approche
de réciprocité entre le féminisme occidental et le
féminisme marocain, étant donné que le concept
féminisme marocain doit être abordé dans le contexte
marocain lié à la géographie
Méditerranéenne, au MOAN57 et à la culture
musulmane.
Au Maroc, tant que société et régime,
représente un cadre particulier par rapport au concept «
féminisme », qui a provoqué et continue encore de provoquer
des controverses, un débat marqué parfois par des confrontations
entre les courants traditionnels et les modernistes. De plus, il importe
d'indiquer que les études et les recherches concernées par le
féminisme n'ont pas donné qu'une seule
55 REVILLARD,A.
http://ecoledoctorale.sciences-po.fr/actu_scientif/2006_07/genre/PapierRevillardBereni.pdf
consulté en ligne le 15 septembre 2010.
56 MARQUES-PEREIRA, B. (2003), La
citoyenneté politique des femmes, Paris : ARMAND COLIN.
57 Moyen Orient et Afrique du Nord.
24
définition ou qu'une approche unique au mouvement
social associatif qui mène les luttes pour les droits des femmes depuis
le début des années 80 à nos jours.
Selon Zakya Daoud, le féminisme est : « le fait
d'élites urbaines actives et instruites qui s'investissent dans des
luttes d'émancipation dès lors qu'elles constatent les limites
des évolution et des progrès induits par les politiques
étatiques et les menaces de régression»58 .
Selon le sociologue Abdessamad Dialmy, « en tant que
mouvement organisé, le féminisme marocain s'est exprimé
sous trois formes majeurs, étatique (féminisme d'état),
partisan et associative. Chacun de ces trois féminismes a donné
une période de l'histoire postcoloniale du Maroc et a tenté avec
plus ou moins du succès de provoquer des réformes en vue de
promouvoir la condition de la femme. »59. Et ajoute qu': «
en effet, la modernité ne peut se concevoir que dans le cadre d'un droit
qui institue et institutionnalise l'égalité des sexes.
»60
Néanmoins, le concept « féminisme « en
désignant le mouvement féministe se présente sous forme
d'associations féministes, travaillant avec les femmes sur leurs
problèmes juridiques, économiques et sociaux. Le féminisme
s'organise autour de la lutte pour une égalité basé sur un
statut juridique égal entre les hommes et les femmes. Ces actions
placent le féminisme marocain dans le rang des mouvements sociaux.
II.2.2.Mouvement social
Le concept du mouvement social a été
traité par plusieurs sociologues en sociologie des mouvements sociaux.
En effet, le sociologue Neveu définit le mouvement social en tant qu':
« un agir ensemble intentionnel, marqué par le projet explicite
des protagonistes de se mobiliser de concert. Cet agir ensemble se
développe dans une logique de revendications, de défense d'un
intérêt matériel ou d'une « cause »
»61 . Il faut alors selon Neveu décrire chaque mouvement
social dans son contexte historique, culturel et revendicatif dans le but de
défendre une cause.
Alain Touraine, considère la société
comme « action sociale et rapports sociaux » où le mouvement
social est un conflit social défini et limité par un enjeu
culturel commun aux opposants62.. Le mouvement social désigne
« la conduite collective d'un acteur de classe luttant contre
son
58 DAOUD Z. (2004), in Sous la direction de
GUBIN E. Le siècle des féministes, p.371.
59 DIALMY A, (2008), P 199.
60 Ibidem.
61 NEVEU, E. (2005), Sociologie des mouvements
sociaux, Paris : La Découverte, p 8-9.
62 TOURAINE A. (1978), La voix et le regard,
Paris, Le Seuil. p.9
25
adversaire de classe pour la direction sociale de
l'historicité dans une collectivité concrète
»63
Par conséquent, le mouvement social est porteur d'un
projet social qui a pour objectif un changement de situation sociale.
Cependant, ce mouvement est censé être une combinaison de trois
principes pour parvenir à ce changement social : l'identité ; la
totalité et l'opposition.
Le principe d'identité autour duquel se construit
l'identité de l'acteur social « est la définition de l'acter
par lui-même. Un mouvement social ne peut s'organiser que si cette
définition est consciente ; mais la formation du mouvement
précède largement cette conscience. L'identité de l'acteur
ne peut pas être définie indépendamment du conflit
réel avec l'adversaire et de la reconnaissance de l'enjeu de la lutte
» 64 ; Toujours selon Touraine, le principe d'opposition qui fait
manifester la conscience des acteurs sociaux est définit comme le
conflit qui« fait surgir l'adversaire ». Et enfin, le principe de
totalité qui désigne le projet social alternatif est perçu
selon Touraine comme un mouvement« dont les adversaires situés dans
la double dialectique des classes sociales, se disputent la domination
»65. Ainsi ce qui permet au féminisme d'être un
mouvement social c'est sa durée.66
Le mouvement féministe marocain en tant que nouveau
mouvement social vise à changer les rapports sociaux basés sur le
patriarcat et sur l'inégalité entre les deux sexes. Ainsi,
à partir des années 1980, de nouvelles revendications vont surgir
sur la scène politique et sociale, avec de nouveaux mouvements sociaux
aux côtés des mouvements féminins. Nous pouvons citer, par
exemple, le mouvement des familles des détenus politiques pendant les
années de plomb ou encore le mouvement des étudiants, et dans les
années 90, le mouvement des chômeurs diplômés.
Ces nouveaux mouvements sociaux marocains, dotés de
nouvelles revendications sont exprimées par des nouvelles actions
collectives. Ce qui nous met dans l'obligation de cerner le concept de
répertoire d'actions collectives pour une approche pertinente du sujet
de notre recherche.
II.2.3.Répertoire de l'action collective
Les mobilisations collectives menées par les acteurs
dans une société sont au centre des travaux de Charles Tilly,
historien américain. Il désigne un champ bien plus large que ce
qu'un mouvement social peut atteindre. Ainsi, selon lui, les mobilisations
collectives se font à l'intérieur du
63 TOURAINE, (1993), La production de la
société, p.322 -327.
64 ibidem
65 FELLIEULE, MATHIEU, PECHU, (2009), Dictionnaire
des mouvements sociaux, Paris : Presse de la Fondation nationale des sciences
politiques, P 455-461.
66HIRATA, H., LABORIE, F., LE DOARE H.( 2000),
Dictionnaire critique du féminisme, Paris : PUF, p.146.
26
processus politique de la protestation. Tilly distingue deux
éléments qui éclairent son approche sur les mobilisations
collectives : le premier s'intéresse à la manière par
laquelle se forment les mouvements et le deuxième s'intéresse au
répertoire de l'action collective67.
Le répertoire de l'action collective selon Tilly «
se caractérise par l'utilisation des moyens d'action plutôt
autonomes différents de ceux dont font l'usage les autorités ;
l'apparition fréquente d'intérêt définis comme tels,
dans un cadre associatif ou quasi associatif, (« coalition pour la justice
», « citoyens unis contre », etc) ; les défis directs aux
concurrents, ou aux autorités surtout nationales, et à leurs
représentants, plutôt que des appels à des patrons
puissants ; la tenue délibérée d'assemblées pour
l'élaboration de programmes ; la présentation publique de
programmes, des slogans, l'exhibition d'insignes d'appartenance et de
solidarité ; une préférence pour l'action en espace
publique. »68
Ainsi, Charles Tilly est le premier à inventer ce
concept qui va connaitre une évolution marquante et positive depuis les
années 80 et 90. Le répertoire de l'action collective des
mouvements sociaux va connaitre une évolution avec des théories
de d'autres sociologues, particulièrement de ceux qui ont
étudié les nouveaux mouvements sociaux. Cependant, le
répertoire d'action collective va aussi développer des critiques
et des études d'évaluation.
On trouve alors à titre d'exemple, Alberto Melucci qui
a étudié « l'action collective ». Selon lui, «
l'action collective implique l'existence d'une lutte entre deux acteurs
pour l'appropriation et l'orientation de valeurs sociales et de ressources,
chacun des acteurs étant caractérisé par une
solidarité spécifique»69. Toutefois,
Mellucci établit une séparation au sein de ces nouveaux
mouvements sociaux, celle-ci se fait entre le mouvement revendicatif et le
mouvement contestataire, en se référant pour chacun, à son
répertoire d'action collective.
Le répertoire de l'action collective désigne
alors un ensemble de moyens mis à disposition des mouvements sociaux
contestataires. Ceci est bien démontré par la diversité du
répertoire de l'action des mouvements sociaux contemporains,
(grèves, manifestation, settings, caravanes, marches, occupation des
endroits publics, débats et discussions sur les réseaux
sociaux,).
Au Maroc, depuis les années 1990 et 2000, les
mouvements contestataires de toutes tendances inventent des actions collectives
de protestation. L'association des chômeurs diplômés est
l'exemple le plus marquant. Il s'agit d'un mouvement social unique au monde et
qui a articulé ses
67 ibedem
68 TILLY, C, (1986), La France conteste de 1600
à nos jours, Paris, Fayard, 1986, p .87
69 MELLUCCI, A en ligne
http://www.crasc-dz.org/article-530.html
consulté le 12 février 2010.
27
manifestations sur « al waqfa70 »
(setting), appelés également: rassemblement debout. Ce setting
deviendra au répertoire d'action collective des mouvements sociaux
marocains ce qu'était la grève des ouvriers.
L'approche du répertoire d'actions collectives du
mouvement féminin au nord du Maroc que nous aborderons dans notre
recherche, sera pertinente dans la mesure où elle vise à cerner
l'objectif principal des mouvements féministes marocains. En effet, les
actions des associations féminines (durant la période 1990- 2010)
se déroulent autour du changement du statut juridique de la femme.
L'importance de ce changement découle de la nature de la subordination
et de l'oppression qu'exerce un tel statut sur les femmes marocaines. Par
ailleurs, le changement du statut de la femme est conditionné par le
changement des politiques qui visent la condition féminine. Ainsi, la
place de la femme dans la sphère privée est fortement liée
à se place dans la sphère publique, « ce qui est personnel
est politique » »71 . Cette devise est rapidement devenue
le principe fondateur de la pensée et de l'action féminine.
L'espace privée est ainsi réintroduit dans le politique.
»72 .
Toutefois, il importe de souligner la difficulté qui a
surgit lors de la conceptualisation du féminisme marocain, étant
donné le vide théorique dont souffre le contexte marocain en ce
qui concerne l'associatif et le militantisme féministe. Ce vide renvoi
à des contraintes qui poussent les intervenants et les acteurs de la
condition des femmes au Maroc à véhiculer la politique du
possible. C'est cette stratégie qui va pousser les autorités et
la société à accepter un changement du juste milieu entre
les traditionnalistes et les modernistes. Cependant, ce juste milieu va
engendrer des doutes sur une réelle volonté politique de
répondre à la revendication de l'état de droit pour tous
les marocains et toutes les marocaines.
Nous pouvons présenter le féminisme marocain
comme un mouvement social qui se caractérise par les traits des nouveaux
mouvements sociaux, comme les a identifié Alain Touraine
(Identité, opposition et totalité). En effet, à partir des
années 80, le mouvement féministe a construit son identité
propre en opposition à des nouveaux conflits autour des questions
féminines. Le mouvement féministe marocain se manifeste par les
valeurs et les principes partagés entre ses
70Waqfa signifie « rassemblement debout »
une action inventée par les militants et militantes des droits humains
au Maroc. Elle s'organise devant les tribunaux, les parlements, les
sièges des ministères concernés et sur les grandes places
des villes.
71 ALAMI M'CHICHI, H, (2002), Genre et politique au
Maroc : les enjeux de l'égalité hommes-femmes entre islamisme et
modernisme, Paris : L'harmattan, p 24.
72 COMBE, J, ( 2001), La condition de la femme
marocaine, Paris : L'Harmattan, p 8.
28
membres fondateurs, en se libérant de la tutelle
partisane73, qui a dominé le champ (Bourdieu, 1980) social et
politique depuis l'indépendance et même au moment du mouvement
nationaliste pendant la période coloniale.
La présente recherche adoptera les trois formes de
féminisme marocain comme elles ont été
développées par Dialmy. Par ailleurs, il nous semble
nécessaire de souligner que le développement du sujet va
également se faire autour des interactions et des corrélations
entre les trois tendances qui sont les plus actives et qui gagnent du terrain :
Féminisme d'Etat/ Féminisme islamiste / Féminisme
universaliste.
Comment se construisent, les rapports d'alliance et
d'opposition entre les trois composantes citées ? Pourquoi ces rapports
se basent sur le statut juridique de la femme marocain ? Comment la condition
juridique de la femme marocaine est devenue à la fois un enjeu et un jeu
politique entre les trois composantes du mouvement féministe au Maroc
?
« Le sort de la Moudawana peut emprunter plusieurs
voies. On peut considérer que l'Etat, arbitre, gère bien les
contradictions dans un espace très complexe. Il calme le jeu. L'Etat
médiateur traite d'une manière modérée les
problèmes dans leurs difficultés. Et c'est la voie qui est
suivie. »74.
En conclusion, étant donné que le
féminisme marocain vit en paradoxe permanent, il crée en tant que
concept encore et toujours des polémiques. En effet, à partir du
moment où l'Etat marocain s'est engagé dans la question de
l'égalité entre les femmes et les hommes, le féminisme
marocain ne peut plus être présenté uniquement comme un
mouvement contestataire.
Selon Alami M'Chichi, il importe de s'interroger: «
Comment comprendre le féminisme d'Etat dans un pays à faible
potentiel démocratique ou en transition démocratique ?
»75.
La nécessité d'une conceptualisation de la
notion « islamisme » est pertinente dans le cadre de cette recherche,
puisque émerge depuis quelques années un débat sur un
féminisme islamiste. Ainsi, le champ d'action de ce mouvement
s'étend au niveau mondial, il a même été
institutionnalisé en Occident76.
Notre recherche adoptera le féminisme marocain pour
désigner tous les mouvements des femmes qui se présentent comme
des organisations non gouvernementales, dites associations
73 NACIRI, R, (2006), Le mouvement féminin
au Maroc, Rabat : Publication ADFM.
74 MY RCHID, A, (2003) la Moudawana en question in
Condition féminine au Maroc sous direction de Abdelkrim Gherib,
Casablanca : NAJAH EL JADIDA, p 21.
75 (Alami M'Chichi, 2010, p13).
76Exemple : femme musulmane en Europe, groupe
international d'étude et de réflexion sur la femme en Islam
(GIERFI) et Europe Forum of Muslim Women (EFOMW).
29
féministes, travaillant avec les femmes et sur les
problèmes de discriminations basées sur le genre dans la
région du nord du Maroc et dans leur diversité idéologique
(on peut inclure aussi les associations de quartiers locales ou de sections
locales des associations nationales).
La recherche mènera aussi à une réflexion
sur le Féminisme d'Etat, sur son apparition, ses tendances en Occident
et dans les pays arabo-musulmans. Comment se manifeste, le concept «
Féminisme d'Etat » dans les pays démocratiques et dans les
pays en transition comme au Maroc?
II.3.Méthode de collecte des données
II.3.1.Entretiens :
La méthode d'entretien utilisée est semi-directive.
Les personnes interviewées sont :
- Responsables d'associations féminines (Féministe
islamiste et Féministe universaliste pour
les villes de Tanger, Larache, Tétouan et Chefchaouen)
;
- Femmes bénéficiaires des activités des
centres des associations ;
- Chercheurs dans le domaine des droits des femmes et genre (sur
Tanger, Larache, Tétouan)
II.3.2.Observation :
Le but de l'observation est d'analyser les informations et les
faits remarqués pendant la phase d'observation directe (période
de travail s'étalant de 2000 à 2007 dans le nord du Maroc), nous
utiliserons les observations tirées lors des ateliers de formation et
des séances de sensibilisation (particulièrement les ateliers sur
le code de la famille et le rôle des différents intervenants) que
nous avons animées en faveur des différents participant(e)s selon
leur place dans la hiérarchie des associations féminines. Nous
explorerons aussi les enquêtes déjà faites lors de notre
travail sur le terrain, surtout dans l'analyse de la violence basée sur
le genre, les lois discriminatoires à l'égard des femmes, ainsi
que l'observation de la progression de la situation pendant la période
de stage sur un terrain limité (deux villes : Tanger et Larache) et plus
particulièrement, sur l'évolution de l'application du code de la
famille et le processus d'inclusion des femmes depuis 2007 jusqu'à
2010.
II.3.3.Revue de la bibliographie
Cette étape consiste à faire le tour des
principaux documents traitant le sujet de la recherche, en adoptant l'approche
du développement historique des mouvements féminins au nord du
Maroc. Cette méthode vise aussi à analyser les changements
idéologiques et structurels du mouvement
30
féministe durant la période
étudiée. Les différents documents utilisés vont
permettre de prendre conscience de ce qui reste à réaliser afin
de répondre de la manière la plus complète possible
à la question de la présente recherche, les conclusions
tirées de la problématique des rapports entre les trois
composantes du féminisme marocain, quel genre de rapports, pouvons nous
faire? Et l'impact de ces rapports sur la condition juridique de la femme. Le
but est de construire la problématique, la question de recherche et de
formuler les hypothèses possibles.
II.3.4.Méthodes d'analyse des données
Le but est d'analyser le contenu des textes tirés des
entretiens semi directifs afin d'en ressortir le maximum d'informations,
particulièrement sur les positions des différentes personnes
rencontrées.
En plus de répondre à l'objectif de cette
recherche, il nous faut analyser les attitudes dans le cadre des rapports
d'oppositions et d'alliances des différentes composantes du mouvement
féministe au nord du Maroc. L'analyse vise, aussi, à relier les
trois concepts de cette étude : mouvement social, féminisme et
répertoire d'actions. Nous tenterons de répondre à la
question : Comment le mouvement féministe construit son
répertoire pour institutionnaliser sa place comme mouvement social,
acteur de changement de la situation de la femme ?
Nous allons utiliser la méthode
hypothético-déductive, comme elle a été
développée chez Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt77
afin d'analyser l'intervention de ce mouvement au niveau du champ religieux
(ici le mouvement fémininiste marocain est pris au
piège)78. Pour réaliser une avancée en faveur
des droits de la femme, comment mobiliser le mouvement féminin à
travers son répertoire d'actions collectives (ouakfa: rassemblement
debout, caravanes, marche mondiale, tribunaux des femmes) ? Et, comment l'Etat
instrumentalise les mouvements féministes ? Le contenu des entretiens
sera un matériau dont nous ferons l'analyse systématique afin de
vérifier les hypothèses formulées.
Notre autre méthode d'analyse complémentaire aux
entretiens est la méthode d'observation que nous avons
réalisée sur le terrain durant sept ans de travail et
récemment durant deux mois de stage.
Ces deux méthodes seront complétées par
la revue de documentation qui traite l'objet de la recherche dans sa dimension
historique et du développement du mouvement féministe
Marocain.
77 VAN CAMPENTOUTH, Q. (2006), p 126-135.
78 Par l'Etat religieux et par les mouvements
islamistes qui prennent du terrain et par la population pour qui la religion
constitue un pilier important de la société.
31
L'analyse qualitative, critique et historique est pertinente
dans l'approche des idéologies et du système de valeurs des
composantes du mouvement féministe au nord du Maroc durant la
période étudiée (1990-2010).
II.3.5.Échantillon des associations et le
critère de choix
L'échantillon choisi est constitué de huit
associations, dix fonctionnaires dans les projets d'une association
féminine, trente femmes bénéficiaires d'un centre
d'écoute, de soutien et d'orientation pour les femmes victimes de
violence. (En annexes : les associations et guide d'entretiens).
II.3.5.1.Le critère du choix des
associations
Associations féministes avec référence
universaliste ou islamiste ;
La date de création de l'association qui doit se situer
dans la période choisie pour la présente
recherche (c'est-à-dire entre 1990 et 2010) ;
Le siège de l'association, celui-ci doit se trouver au
nord du Maroc;
Approche du genre dans le choix des membres de l'association,
fonctionnaires ou direction.
II.3.6.Limite de la recherche
Nous qualifions le sujet de cette étude comme
étant « une grande aventure ». En effet, la situation
géographique de l'analyse de la situation du féminisme marocain
ne se prête pas à extraire le maximum de résultats. Et cela
est dû au terrain d'étude très limité. Les
échantillons sont peu nombreux et pas représentatifs de tout le
mouvement féministe. Ce qu'il faut également retenir, c'est que
les associations dans le nord ne se limitent qu'au travail sur le terrain sans
connaître les enjeux du féminisme marocain.
En conclusion, l'approche du mouvement féministe au
nord parait difficile à cause du manque de mouvements féministes
locaux cohérents et forts. La limite se présente aussi par la
segmentation du mouvement féministe marocain et la difficulté
d'analyser ses rapports sur le terrain, qui oscillent entre un partenariat et
une guerre froide. Devant ces limites, les efforts de changement et de
développement de la condition féminine paraissent incertains, ce
qui permet à l'Etat d'intervenir pour établir les règles
du jeu dans le but de renforcer ses alliances et d'affaiblir ses opposants.
32
III.CHAPITRE II : MOBILISATIONS FEMININES FACE AUX
CONTRAINTES DE LA REALITE DU NORD DU MAROC
Dans ce deuxième chapitre, nous aborderons les
contraintes d'exclusion des femmes face aux luttes des associations
féministes dans la zone géographique étudiée.
Comment le combat pour le changement du statut juridique de la femme est au
coeur des revendications des féministes marocaines ? Comment se
manifeste la mobilisation féminine face aux contraintes de la
réalité d'exclusion des femmes au nord du Maroc ? Et enfin,
comment le combat pour le changement du Code de la famille a fait
émerger de nouvelles associations féministes, a enrichi le
répertoire d'actions du mouvement féministe au nord du Maroc, et
a construit des partenariats régionaux, nationaux et internationaux ?
III.1.ETAT DES LIEUX
La situation de la femme marocaine au nord du Maroc est
fortement liée à l'histoire et à la géographie de
la région. En effet, durant des siècles, l'histoire ne s'est
construite que par les hommes. Les livres d'Histoire et les ouvrages des
orientalistes, toujours rédigés par des hommes, en sont une
preuve. L'image de la femme arabe en général
véhiculée par les orientalistes est à l'intérieur
du Harem79 . Un rôle exclusivement érotique et sensuel.
De cette façon, la femme est exclue de la sphère publique comme
acteur social et politique, et ce malgré le fait qu'elle assume son
rôle économique d'épouse, de mère et de soeur en
subvenant aux besoins de la famille. En effet, la femme au Nord est laborieuse,
et, en réalité, par sa force physique, elle occupe les deux
sphères publique et privée, à l'intérieur de la
maison comme à l'extérieur, en ville comme à la compagne.
Or, cette réalité économique, sociale et culturelle de la
« fille du Nord »80 n'était reconnue ni par la
société, ni à
79Expression qui désigne le lieu où
résident les femmes (épouses concubines) du roi, du maitre du
château ou un seigneur qui a du pouvoir et de l'argent, le Harem est
plutôt une tradition répandue chez les arabes au Moyen Orient,
plus qu'au Maghreb.
80Une expression dialecte qu'utilise les marocains
pour désigner la femme de la région du Nord du Maroc, (en
dialecte
travers le statut juridique. Et bien que l'enseignement ait
permis d'améliorer la situation économique des femmes, «
le quotidien demeure toujours aussi ségrégatif, difficile et
inégalitaires »81.
III.2.HERITAGE HISTORIQUE DE LA REGION DU NORD
Après que le Maroc se soit libéré du
protectorat français en 1956, la monarchie marocaine hérite de
l'organisation administrative du régime français. Il importe ici
de signaler que la région du Nord du Maroc était
séparée géographiquement mais aussi structurellement des
autres régions étant elle administrée par les espagnols.
En effet, la région colonisée par les espagnoles (à
l'exception de la ville de Tanger qui a bénéficié d'un
statut international), est marquée par une réalité
économique précaire. Le colon espagnol n'a pas investi dans le
développement de la région. Cette politique de marginalisation de
la région continuera après l'indépendance sous le
régime de Hassan II. Il faut souligner que la vision du colonisateur
français perdurera et se manifestera dans le fait de considérer
la région comme sans intérêt ni utilité
économique. Cette vision va se perpétuer avec la monarchie
chérifienne82 jusqu'à l'ouverture politique avec le
roi Mohammed VI, succédant à son père en juillet 1999.
Au niveau des lois, le Maroc a hérité des codes
de lois français, excepté pour ce qui est du Code du statut
personnel, qui organise les relations hommes-femmes au sein de la famille. Ce
code basé sur « Elfiqh83 » (jurisprudence
islamique) et précisément la doctrine
Mâlikite84, confère aux hommes l'autorité sur
les femmes. Par essence, les rapports de genre dans le Code du statut personnel
sont donc inégalitaires et prouvent une exclusion des femmes, tant de la
sphère publique que de la sphère privée. Sans entrer dans
les détails et à titre d'exemple : les deux premiers livres du
Code du Statut Personnel de 1957, sont consacrés aux fiançailles.
Le mariage est définit comme suit : « le mariage est un contrat
légal par lequel un homme et une femme s'unissent en vue d'une vie
conjugale commune et durable. Il a pour but la vie dans la
fidélité, la procréation par la fondation, sur les bases
stables et sous direction du mari, d'un foyer permettant aux époux de
faire face à leurs obligations réciproques dans la
sécurité, la paix, l'affection et le respect mutuel
»85. Ainsi, l'article consacre l'autorité de
l'homme! mari dans la sphère privée ! la famille, cette
autorité est légitimée par le
33
marocain : Bente chamal)
81 MINCES, J. (1980), la femme dans le monde arabe,
Paris : MAZARINE, p 30.
82 Descendant du Prophète (voir Glossaire)
83 Voir Glossaire
84 Voir glossaire
85 Code du statut personnel, (1958), Livre I, article
1.
34
Coran86. L'autorité du mari,
présentée dans le CSP87 comme la base du mariage, et
la femme, une mineure à vie88.
Autre article frappant et contradictoire qui aura des
répercussions jusqu'à nos jours, malgré les
réformes apportées au Code du statut personnel, est celui de
l'âge minimum au mariage. L'article 8 du code de la famille de 2004
mentionne dorénavant dix-huit ans pour l'homme et pour la femme. Tout de
même, il importe de souligner que le code de la famille marocain, qui se
base sur la doctrine Mâlékite, est plus avancé que d'autres
doctrines islamiques qui, pour certaines stipulent que l'âge minimum du
mariage de la femme n'est pas limité... Ainsi, une fille pourra
être mariée dès sa naissance, une pratique courante au
Moyen Orient. Aussi, l'article concernant l'âge du mariage
révèle deux contradictions: « La première tient
à l'âge de la majorité civile, qui est, depuis 1992,
fixée à 20 ans. Comment peut-on reconnaître à une
personne la capacité d'exercer ses droits à 20 ans, et lui
permettre cependant de conclure, avant cette majorité, un contrat par
lequel, elle s'engage sa vie ? La seconde contradiction tient à
l'âge minimum, et cela laisse présager le peu d'efficacité
d'une telle mesure.»89.
III.3.STATUT JURIDIQUE DE LA FEMME MAROCAINE : ENJEU DE
LA
DEMOCRATIE
Il importe de souligner que le statut juridique imposé
aux femmes par le Code du statut personnel élaboré à la
veille de l'indépendance (1957), légitime la discrimination
envers les femmes au quotidien. Ce constat fait référence aux
circonstances dans lesquelles, le statut personnel a été produit.
En effet, le premier gouvernement marocain souverain dirigé par le roi
Mohammed V, n'était pas un gouvernement constitué par les partis
nationalistes qui ont conduit la résistance contre le colonisateur.
Certes, il y avait quelques personnalités d'obédience
nationaliste mais ce mouvement, constitué d'une élite d'hommes et
de femmes s'est retrouvé marginalisé. Ainsi, le modèle
français était copié dans tous les domaines, même
dans le domaine du droit qui était intégralement français
- à l'exception du droit qui organise les rapports hommes-femmes au sein
de la famille et qui lui,
86 DAMMAME, A, (2005), Le genre à
l'épreuve du développement au Maroc : discours et pratiques
concernant la place des femmes dans les projets, Thèse de doctorat
présenté à l'université d'Orleans, p 65.
87 Voir Glossaire
88 COMBE, J, (2001), La condition de la femme
marocaine, Paris : L'Harmattan, P 31-32.
89 Ibidem.
35
demeure inspiré de la jurisprudence
islamique90.
Paradoxalement, les nationalistes n'ont pas fait de cette
discrimination, leur principale revendication. Pour eux, l'émancipation
des femmes n'était pas une priorité91. Ainsi en 1957,
le code du statut personnel (CSP) est conçu en adoptant une domination
des hommes sur les femmes. Malheureusement, comme le code était
basé sur la Loi islamique, il ne pouvait plus être modifié.
Les tentatives de changement de 1961, de 1968 et de 1982 n'ont jamais pu
aboutir car elles visaient à toucher au texte
sacré92.
L'Histoire demeure encore plus verrouillée quand il
s'agit de la question de la condition féminine. Après
l'indépendance, il n'y avait sur la scène politique que deux
forces représentées par le pouvoir du roi et celui du Parti de
l'Istiqlal93. Ces deux associés/rivaux94
étaient très occupés par l'instauration d'un ordre
politique qui se voyait menacé par les adversaires du couple Istiqlal /
roi (Mohammed V à l'époque). Néanmoins, le Roi et son fils
Hassan II, héritier au trône, vont enraciner et fortifier la
monarchie chérifienne, en optant pour la division des partis politiques
nationalistes qui réclamaient un partage du pouvoir95. Notons
qu'il existe un lien fort entre la stabilité de la monarchie
chérifienne, basée sur la doctrine Malékite et celle de ce
modèle familial.
A l'époque de Hassan II, la monarchie a réussi
sa souveraineté dans un système politique marqué par
« un schéma circulaire où tout part de la monarchie et
tout revient vers elle »96. Quant aux partis politiques
qui ont vu le jour après la constitution de 1962,
particulièrement, ceux de gauche, ils n'ont pas fait de l'inclusion des
femmes dans la sphère publique, ni du changement de son statut
juridique, une priorité ou même une de leurs revendications.
Pourtant la femme marocaine était présente dans tous les combats
menés par les opposants au régime de Hassan II durant les
années de plomb97.
90 DAMMAME, A, (2005), p 63.
91 ALAMI M'CHICHI, H, (2002), Genre et politique au
Maroc : les enjeux de l'égalité hommes-femmes entre islamisme et
modernisme, Paris : L'Harmattan, p 37.
92RHIWI,L,(2006),Code de la famille :enjeu des
luttes des femmes, publié sur le site :
http://grittransversales.org/(page
consulté le 13 mars 2011).
93 SANTUCCI, J. (2001), « les partis
politiques marocains à l'épreuve du pouvoir », REMALD,
manuels et travaux universitaires, 24 .
94 SANTUCCI, J, ( 2006),
http://remmm.revues.org/index2864.html
consulté le 13 novembre 2010
95EUZZIERE,P, (2006 ), « Tunisie et Maroc : de
la colonisation à la mondialisation » in Recherches
internationales, 77,(3), 49-64.
96 ibidem
97 La période commence dès
l'indépendance jusqu'à la mort de Hassan II en 1999, car pour
nous les bombardements de la région du rif par les autorités
marocaines pour calmer la révolution contre la monarchie, étaient
déjà le début des années de Plomb. Et même
avec le gouvernement d'alternance en 1997, Hassan II, continuent, d'interdire
les journaux,
Elle a été détenue politique mais aussi
torturée parce qu'elle est la mère, l'épouse, la fille,
l'amie ou la soeur d'un détenu.
A partir de là, la femme au nord du Maroc va subir une
double exclusion: économique et sociale, imposée par le
régime central à l'époque de Hassan II qui ne voit pas
d'intérêt stratégique à la
région98, et une exclusion juridique et culturelle
liée aux rapports de genre instaurés par la culture patriarcale
répandue sur les deux rives de la Méditerranée et à
travers le CSP élaboré par les hommes du gouvernement marocain.
Nous le voyons, ce sont les hommes qui ont élaboré le statut
juridique des femmes, puisque celles-ci, aussi bien à l'époque de
la colonisation qu'après l'indépendance, n'étaient
toujours qu'une question d'enjeu du pouvoir politique99.
III.4.FEMINISME MAROCAIN ET LE DEFI D'INCLUSION DES
FEMMES
Dans les années 90, l'émergence des associations
locales dans la région du nord est le résultat d'une ouverture
politique, imposée par les luttes des années 1980 et celles du
début des années 1990. Cela s'explique aussi par le fait
qu'à partir de cette période, le gouvernement va reconnaitre les
associations féministes comme actrices du changement prévu dans
le processus démocratique entamé100. A ce propos, il
importe de dire que le climat international était favorable à une
telle émergence. En effet, après la conférence de 1995 sur
la Femme, organisée à Beijing, le Maroc a été
contraint d'instaurer davantage d'ouverture politique, et, plus
particulièrement, de considérer les droits de la Femme comme
l'une des priorités stratégiques à l'aube du XXIème
siècle. Le Maroc était forcé d'entrer dans une nouvelle
phase de son histoire, une phase de transition démocratique. Cette
transition est marquée par la clôture du dossier des
détenus politiques et par le retour des exilés
politiques101. Il est à noter que cette transition est venue
après de grands sacrifices et de combats menés par les militants
et militantes des partis politiques de gauche102. Des combats
accompagnés par l'émergence remarquable d'une
société civile active. Cette société,
constituée d'associations a
36
d'emprisonner les opposants. Mais dans les livres d'histoires la
période se situe entre 1960 et 1994.
98 Durant tout l'époque de Hassan II, la
région du Nord n'a jamais bénéficié des projets de
développement ni des infrastructures, la région est
laissée marginalisée jusqu'à l'avènement de roi
Mohammed VI, qui fait la première visite du roi du Maroc en 2000 depuis
l'indépendance.
99 ALAMI M'CHICHI, H, (2002), p 36.
100 ALAMI M'CHCICHI, H, (2010), Le féminisme d'Etat au
Maroc : Jeux et enjeux politiques, Paris : L'Harmattan, p 47.
101 C'est le dossier noir des années de Plomb, qui
été validé en 1994, ainsi les exilés politiques
sont retournés au Maroc, et les procès symboliques ouverts pour
entendre les témoignages des exilées, des détenus et aussi
leurs familles.
102 Violations des droits humains, les tortures, les disparitions
ainsi que les assassinats politiques.
37
remplacé les partis politiques de la gauche radicale
pendant les années de plomb. Par conséquent, les associations ont
commencé à gagner du terrain en tant que mouvement social
contestataire et revendicateur. En outre, les associations féministes
étaient parmi les mouvements les plus actifs et les plus radicaux.
Les associations féministes émergentes vont
être confrontées à un héritage lourd au moment de
lutter pour l'émancipation de la Femme ; héritage qui se
manifeste par « des blocages issus de la société
traditionnelle »103. Ainsi, l'héritage d'un
système patriarcal, lié au rapport de parenté
répandu dans la région méditerranéenne, fut
renforcé par les traditions liées à la religion, fortement
présente dans le nord du Maroc. Dans un tel système de
parenté, le puissant, qui détient tout le pouvoir au sein d'une
communauté, est toujours masculin. « Ce rapport de soumission,
au lieu d'une relation complémentaire entre les deux sexes, explique
l'absence des femmes dans les prises de responsabilités et de
décisions »104. Ceci explique, le combat du
mouvement féministe marocain qui vise entre autre chose, la
revendication d'une citoyenneté à part entière des femmes,
comme l'égalité des droits et des libertés de base. Sans
oublier d'inclure les droits fondamentaux, comme le droit à choisir le
conjoint, le droit au divorce, le droit à une égalité dans
l'héritage105.
Cette transition politique106 va être
couronnée par le projet du PANIFD, élaboré par le
gouvernement d'alternance en 1998. Le plan part du constat d'échec des
politiques publiques destinées à la promotion de la femme depuis
l'indépendance107 Le plan comprend divers domaines :
économiques, sociaux, juridiques, liés à la situation de
la femme. Voici les dispositions juridiques108 concernant le statut
de la Femme:
- Elever l'âge du mariage pour les deux sexes à 18
ans ;
- Supprimer la tutelle matrimoniale ;
- Transformer toute dissolution de mariage en un divorce
juridique ;
- Enregistrer l'enfant naturel de la mère
célibataire sous le nom de famille de celle-ci ;
- Le juge qui prononce le divorce doit partager les biens
accumulés au cours de la vie
conjugale, et offrir à la femme la moitié des biens
dont elle a participé à l'acquisition, soit par
son travail domestique, soit par son travail de salarié
;
103 COMBE, J. (2001), p114.
104 LAALA HAFDANE, H. (2003), Les femmes marocaines une
société en mouvement, Paris : l'Harmattan, P 36.
105 CHARRAD, M. 2003.
106 La période de transition (1994-1999), est
marqué par la réforme de la constitution en1996, liquidation
limitée de dossier des violations des droits, et l'arrivé de
gouvernement d'alternance en 1998.
107 SAADI, S. (1998), PANIFD, Rabat : Secrétaire d'Etat de
la famille
108 Secrétariat d'Etat chargée de la protection
sociale, de la famille et de l'enfance, (1999), PANIFD, (47- 49).
38
- Créer des tribunaux familiaux ;
- Reconnaître aux femmes, le droit d'être
jugée en matière du statut personnel.
Le projet va être le centre d'intérêts de
mobilisations pro et anti PANIFD qui créera, sur la scène
marocaine, des alliances inattendues109, La principale initiative
contre le PANIFD fut « la ligue nationale de la protection de la famille
»110, avec le slogan « une famille soudée
équivaut à une saine société ». Cette
initiative a réuni le Parti de la Justice et du Développement
(PJD)111, des membres du parti USFP112 avec des membres
de parti Istiqlal113, et a été encadrée par le
Ministère des affaires islamiques. Le parti d'Union Socialiste des
Forces Populaires (USFP) était alors à la tête du
gouvernement qui a élaboré le projet du PANIFD. Cette division
à l'intérieure même du front qui lutte pour la promotion
des droits de la femme et le changement de son statut juridique va créer
une tension entre marocains musulmans pratiquants et marocains musulmans
occidentalisés selon les termes consacrés par les partis
islamistes et traditionalistes. Et pour ces derniers, il est bien entendu que
«le référentiel reste le pôle central de toutes
les critiques que font (les islamistes) du projet du plan d'action et, de
manière générale, de toute politique concernant les femmes
»114.
Le 12 mars 2000, deux manifestations furent organisées,
la première à Rabat, dans le cadre de la marche mondiale contre
la pauvreté, et à l'initiative des associations féminines.
La seconde à Casablanca où se retrouvent les opposants au PANIFD.
Toutes deux ont été organisées le même jour,
à la même heure. La grande différence dans le nombre de
participants entre les deux marches, (six à dix fois plus de
participants à celle de Casablanca qu'à celle de Rabat), fut le
symbole d'une opposition populaire massive au PANIFD115. Mais cette
différence du nombre s'explique facilement si l'on considère tout
simplement, les acteurs à l'origine des manifestations. En effet, ce
front dur représenté à Casablanca fut soutenu par le
Ministère des affaires islamiques avec tous ses organismes
109 DAMMAME, A. 2005, P 200.
110 Ibidem.
111 Parti Justice et Développement né le 2 juin
1996, d'après une unification avec un autre parti politique mouvement
national populaire est qui va adopter un nouveau nom : PJD, cette
stratégie est adopter par les islamiste car l'Etat n'accord pas
d'autorisation pour des partis politiques qui se base sur une
référence religieuse. Mais ça n'a pas empêché
le parti de dévoiler sa référence à travers des
discours qui revendique le retour à la charia. (BENADADA, A. (2007), La
femme et la politique : Etude sociologique des secteurs des femmes au sein des
partis politique, Rabat : IURS, p134.
112 Union socialiste des forces populaires, un ancien parti du
gauche crée en 1972, et qui a été élu Pour la
première fois au gouvernement d'alternance en 1997.
113 Parti du mouvement nationaliste il est sur la scène
politique avant l'indépendance, il a une référence
réformiste salafiste basée sur la religion islamique.
114 ALAMI M'CHICHI, H. (2002) P 66.
115 DAMMAME, A, (2005), P 202
39
(les lauréats de « dar Hadite
Hassaniya116 », la ligue des oulémas du
Maroc117, les imams des mosquées du Royaume). En plus, il y
avait également la présence d'organisations non étatiques,
comme le parti islamiste « justice et développement » et le
mouvement d'unification et de réforme118. De l'autre
côté, on retrouve le front qui a soutenu le PANIFD jusqu' à
ce que le gouvernement déclare son intention de mettre le dossier du
plan entre les mains du commandeur des croyants le 13 janvier 2000.
Finalement, le plan a été retiré, mais a
laissé la place à une stratégie nationale pour
l'intégration de la femme dans le développement présentant
un changement radical dans la structure du document. Dorénavant, il
s'agit de séparer le domaine juridique des autres domaines politiques,
sociaux et économiques. La charge du juridique est prise en main par le
Roi Mohammed VI qui va créer «une commission consultative
chargée de la révision de la moudawana ». Cette commission
est le fruit du pouvoir du roi qui a joué le rôle d'arbitre :
«le recours à l'arbitrage royal a trahi les limites de
l'exécutif, pire, il a montré que l'exécutif n'est qu'une
partie du conflit incapable de trancher au profit de son propre
plan»119.
Nous allons aborder, dans les chapitres suivants, les causes
et les conséquences de cette nouvelle réalité qui
s'annonce sur la scène politique marocaine. Une réalité
aux origines de l'émergence du mouvement féministe islamiste au
nord du Maroc et du féminisme d'Etat.
III.5. ACTIONS COLLECTIVES LOCALES ET LE STAT DE LA
FEMME
La région du Nord a aussi été
mobilisée pour participer à des actions variées
(manifestations, caravanes, sittings, conférences, tables rondes, etc.),
et ce, dans le but de faire pression sur la commission.
Il faut dire que la condition de la femme dans la
région du nord, a plus d'une raison d'inciter les associations
féminines locales à s'engager dans cette mobilisation. Ceci est
survenu grâce et malgré un climat de transition
démocratique. A cette occasion, de nouvelles associations
féminines
116 Institut qui forme les savants en sciences de la religion
et la charia se trouve à Rabat sous la tutelle du Ministère des
Habous et les affaires islamiques.
117 La ligue des Oulémas du Maroc (la ligue des savants
religieux du Maroc)
118BENADADA, A. (2007), La femme et la politique :
Etude sociologique des secteurs des femmes au sein des partis politiques, Rabat
: IURS, 236-237.
119 DIALMY, A. (2004), P 121-135.
40
verront le jour.
Le but premier de la mobilisation était
d'élaborer des partenariats et des réseaux entre les associations
féminines locales et les associations au niveau national,
régional et international. L'objectif ultime étant de donner la
voix aux femmes dans le cadre des travaux de la commission et d'empêcher
que les résultats n'aboutissent une fois de plus à la
ségrégation des femmes mais aille bien dans le sens d'une
société plus égalitaire. Entre autre réseaux, nous
relèverons le grand réseau national : « Printemps de
l'égalité » créé en mars 2001, il
possède un site web consacré à la femme :
www.marocaufeminin.com.120
Au niveau régional, mentionnons par exemple « Le
Conseil de coordination régionale pour l'action féminine »,
fondé en 2002 dans la région comprise entre Chefchaouen et
Larache. Parmi ses actions : la caravane qui a défilé à
travers le nord (Chefchaoun-Tétouan-Tanger-Larache), organisée en
mars 2003, à l'occasion de la journée mondiale de la
femme121.
Tous les réseaux et toutes les activités du
mouvement féministe universaliste ont contribués activement aux
actions des réseaux nationaux créés pour la campagne en
faveur d'un code de la famille égalitaire. En même temps, le
mouvement féministe islamiste du nord, a également
contribué aux réseaux nationaux afin de faire pression sur la
commission royale dans le but de faire respecter les décrets de la
« Charia »122. Pour ce mouvement, il s'agit de
protéger la cellule familiale qui constitue le noyau de la
société marocaine musulmane, et de faire du
référentiel religieux islamique la seule référence
pour les droits humains. Ainsi, pour le mouvement féministe islamiste,
il faut s'adapter à la Charia pour organiser la relation entre les
hommes et les femmes. Cette relation doit se baser sur trois principes :
complémentarité, coopération et affection123 .
Tout comme pour la mobilisation universaliste, la mobilisation du mouvement
féministe islamiste a aussi été marqué par la
création d'un réseau national « Montada Zahrae pour la femme
marocaine et l'orientation familiale »124 en 2002. Autour de
lui, les associations féminines islamistes vont se mobiliser pour
organiser des activités dans le but de véhiculer à leur
tour la vision du mouvement islamiste sur le changement du statut des femmes ;
et ce changement ne doit pas dépasser la référence
islamiste et la
120 DIALMY, A, (2008), Le féminisme au Maroc, Casablanca :
Toubkal, P 205.
121 OUAIAOU, F, 2003, Rapport du comité d'organisation de
la caravane.
122 La loi d'origine islamique ou la jurisprudence islamique.
123 MOSSALI, J, 2011, Le mouvement féminin
contemporain au Maroc : tendances et questions, Rabat : CEMERC,
P278 (en arabe). Ces principes sont de ma traduction (les nuancer le terme
arabe et français)
124 Réseau des associations féminines islamistes
crée en 2002 à Rabat.
41
particularité de la société marocaine.
L'importance du changement du statut juridique de la femme
part du constat que la femme marocaine ne peut pas exercer ses droits civils
comme une citoyenne à part entière, tant qu'elle est
obligée d'être sous la tutelle d'un parent masculin. Même si
la femme peut être ministre ou juge, elle est soumise à des lois
discriminatoires régies par le Code du statut personnel.
Le Code de la famille de 2004 a certes été un
tournant historique dans la vie des femmes marocaines, mais d'autres lois
existent encore par lesquelles la femme peut être la victime de
violations de ses propres droits. Ainsi, à ce jour, la violence
conjugale à l'égard des femmes n'est pas pénalisée
dans le code pénal marocain125. L'injustice et la
discrimination dans la loi sur l'héritage reste aussi au coeur du
débat entre le mouvement féministe universaliste d'un
côté et le mouvement féministe islamiste, les
autorités et les Oulémas d'un autre côté.
Afin de bien comprendre les points d'opposition entre les
trois composantes du féminisme marocain (féminisme universaliste,
féminisme islamiste et féminisme d'Etat), il importe d'approcher
dans la deuxième partie, les lacunes du code et les obstacles
d'application. En effet, sept ans après la réforme du Code de la
famille, les questions liées au statut de la femme dans un contexte
politique, social et juridique restent encore à l'ordre du jour. Ainsi,
où en est la question de l'inclusion des femmes dans la sphère
publique dans un système régi par la loi islamique ? Comment
peut-on parler d'une citoyenneté des femmes si une partie des lois qui
organisent les rapports entre les femmes et les hommes se basent sur la Charia
? Comment alors se manifestent les rapports entre les trois composantes du
féminisme marocain dans une monarchie encadrée par les valeurs de
l'Umma126 (communauté musulmane) et dirigée
par l'Amir Moumenine127 (commandeur des croyants).
125 Il y'a un projet de loi pour la violence contre les femmes
mais la nature hiérarchique du code n'est pas encore changée pour
plus d'égalité et de justice envers les femmes.
126 Nation mais aussi un terme qui est chargé des
valeurs politiques dans la pensée islamique comme le terme
citoyenneté dans la pensée occidentale.
127 ABOU ZAID, N. (2004), Les cercles de la peur : lecture
dans le discours de la femme, Rabat : le centre culturel arabe, p 164-167.
(en arabe).
42
DEUXIEME PARTIE
ETAT, FEMINISME, ISLAM
QUELS RAPPORTS ?
43
IV.CHAPITRE III : DE LA LIBERATION DES FEMMES ...A LA
LIBERTE DES FEMMES
« En orient, on voile la femme sous le joug de
l'homme et l'homme sous le joug du gouvernement : là où les
femmes jouissent de leur liberté individuelle, les hommes jouissent de
leur liberté politique, les deux situations sont
interdépendantes Qasim Amin, la
libération de la femme, 1899128
IV.1.PROGRES VERS LE RECUL
Au 19ème siècle, à l'époque de
Nahda (renaissance arabe), les penseurs réformateurs ont
déclenché le signal d'alarme quant à la situation de la
femme arabe (musulmane et chrétienne). Cette dernière vivait dans
l'ignorance, privée de tous ses droits fondamentaux. À cette
époque, les voix des réformateurs arabes s'élèvent
pour revendiquer l'égalité sur le plan éducatif des filles
et des garçons. Parmi eux, Rafaha Tahtawi, Mohamed Abdu, Jamal Dine
Alafghani, et d'autres.
Néanmoins pour la question de l'émancipation des
femmes, il importe de citer le libérateur de la femme arabe, Qasim
Amine, qui a publié : « l'émancipation de la femmes
» en 1899 et « la nouvelle femme » en 1900. Avec
ces deux livres, Qasim Amine représentait la pensée des
lumières européennes dans le monde arabe. Pour lui,
l'émancipation de la femme équivaut à la libération
de la Umma (communauté musulmane) et à son
développement129. Sa pensée est
influencée par les idées des penseurs et philosophes occidentaux,
particulièrement en France où il a fait ses études. Cette
pensée se base sur deux principes : la science et la raison. «
La femme est privée de tout ce dont l'homme jouit : le plaisir est
réservé à l'homme et la peine pour la femme ; l'homme vit
dans la liberté et elle dans l'esclavage ; l'homme acquiert et
détient le savoir, la femme reste dans l'ignorance ; l'homme peut
prétendre à l'intelligence, la femme est proie à la
sottise ; l'homme commande et ordonne, la femme ne peut qu'obéir et
endurer »130.
128 AMIN, Q. (1899), libération de la Femme,
nouvelle édition en 1993, Caire : Office Egyptien
général du livre. (En arabe).
129 SAID, K. (1991), « Femme, liberté, innovation
», sous direction de MERNISSI, F in Femmes maghrébines à
l'horizon 2000, Casablanca : Le Fennec, p 13 - 62 (en arabe).
130 AMINE, Q. (1993), p 20
44
D'autres voix se sont élevées pour revendiquer
le dévoilement des femmes. Ainsi, de retour au Caire d'une
conférence en Italie sur la condition des femmes, la féministe
égyptienne Hoda Chaaraoui131 accompagnée d'un groupe
des femmes descendirent du train, toutes dévoilées.
Au Maroc en 1947, lors de la manifestation organisée
à l'occasion de la première visite du souverain marocain sous le
protectorat à Tanger (ville de statut international à
l'époque), la fille du roi Mohammed V a pris la parole non
voilée. Les femmes présentes sur place ont commencé
à se découvrir la tête: un véritable symbole de la
libération des femmes marocaines.
Il importe également de signaler qu'à
l'époque du protectorat, le leader du mouvement nationaliste et
réformateur Allal Elfassi 132 a revendiqué
l'interdiction de la polygamie et la réglementation de la
répudiation133.
En 2002, les résultats des élections des
représentants à la chambre des députés ont
montré que le jeune parti politique islamiste PJD134 a
triplé ses sièges au parlement, ils sont passés de 14
à 42 sièges135. Il faut souligner que le processus
électoral a « respecté dans l'ensemble, les
règles de transparence »136. Ceci montre que la
société a changé et que la pensée religieuse a
gagné du terrain par rapport aux partis de gauche traditionnellement
populaires. De 1993 à 2004, les débats n'ont pas changé.
Le combat est toujours le même entre les universalistes et les
particularistes autour de la question des droits de la femme dans le code de la
famille et autour de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Toutefois, ce débat a montré que la condition de la femme a
régressé et ce, partout au Maroc. En effet, comme le souligne
Isabel Taboada Leonetti : « De dévoilement en revoilement, le
corps des femmes n'a cessé d'être symboliquement manipulé
par les hommes et leur statut modifié au gré des
événements et des rapports de force, nationaux ou internationaux
».137
IV.2. REFORMES LIMITEES
131 L'une des premières féministes
égyptiennes
132 Fondateur du parti Istiqlal et coordinateur du projet du
premier code du statut personnel en 1957 (loi de la famille).
133 DAOUD, Z. (1996), P 257.
134 Le Parti Justice et Développement (le seul parti
politique islamique qui siège le parlement comme groupe d'opposition
depuis les deux élections précédentes : en 2002 et en
2007
135 ZAGHAL, M. (2003), Religion et politique au Maroc
aujourd'hui, consulté en ligne sur la page :
http://www.ifri.org/files/Moyen_Orient/DT_3_Zeghal.pdf
le 12 juin 2011.
136 Ibidem.
137 TABOADA LEONETTI, I., sous la direction de (2004), Les
femmes et l'Islam : entre modernité et intégrisme, Paris :
L'Harmattan, p 10-11.
45
Le régime politique accorde aux femmes une certaine
place au sein de postes politiques mais ces derniers demeurent sans importance
décisive 138 . Les militantes du mouvement féministe
universaliste ont été convaincues que le changement des
mentalités discriminatoires envers les femmes ne peut être
réalisé qu'à travers une réforme du statut
juridique de la femme139. Ensuite, il importe de souligner que
l'ambition des militantes du mouvement féministe universaliste a subi un
choc, vu la réalité d'application du nouveau code de la famille,
mais aussi à cause des lacunes existants encore dans le texte tant
décrit progressiste (LDDF140). En effet, les rapports que
publie la ligue démocratique des droits de la femme sur l'application du
code de la famille, attestent d'une dure réalité. Certains
articles de ce code restent encore inégalitaires ou ouvrent une
possibilité d'interprétation d'un juge, qui dans la
majorité des cas décide en faveur d'une vision patriarcale.
Ainsi, l'âge du mariage est souvent une violation des droits humains.
Cette interprétation abusive touche particulièrement les
adolescentes âgées de 12 à 16ans. Dans la région du
Nord, le mariage des mineures demeure encore une réalité
choquante. Malheureusement, selon les rapports des centres d'écoute qui
accueillent des mineures victimes de violence conjugale, le nombre des mariages
de ces dernières après la réforme de la moudawana (Code de
la famille 2004) a connu une hausse remarquable.
Ainsi, juste après l'entrée en vigueur du code
de la famille, le rapport de la LDDF sur les mariages précoces (entre
5/2/2004 et 31/12/ 2005) a enregistré pour la ville de Larache 400
demandes de mariages des mineures autorisées des 406 demandes de mariage
déposées. Cela signifie que l'appréciation du juge dans la
majorité des cas entraine l'accord. Force est de constater que laisser
une marge d'interprétation dans une loi n'est en faveur que de la
mentalité conservatrice. Ce sujet entraîne des débats
continuels, la loi sur l'âge du mariage régit par le code de la
famille anime encore des polémiques entre les particularistes (les
islamistes) et les universalistes. Les articles 20 et 21141 du code
de la famille ouvre au juge la possibilité d'autoriser le mariage d'un
mineur avec l'accord de son tuteur, et même parfois, sans l'accord de
celui-ci dans certaines circonstances. Le nombre de mariages de mineures sous
l'autorité d'un juge a dépassé toutes les limites lors de
l'entrée en vigueur du Code de la famille. Il est donc alors primordial
de prendre au sérieux la déclaration de la secrétaire
générale
138 ALAMI M'CHCHI, H. (2002), p 41.
139 COMBE, J. (2001), p 195.
140 La Ligue Démocratique des Droits de la Femmes, une
association féminine nationale qui publie chaque année un rapport
sur l'application du code de la famille depuis son entrée en vigueur en
février 2004, sa section de Larache fait partie de notre
échantillon. (rapport de 2009).
141 Les articles 19, 20 et 21, (2004), Code de la
famille, ministère de la justice :
http://www.justice.gov.ma/fr/documentation/documentation
46
de la Ligue démocratique des Droits de la Femme (LDDF)
Fawzia Assouli lors d'une interview donnée au journal marocain «
Aujourd'hui le Maroc »142: « le mariage des mineurs a
connu une hausse de plus de 10% ». On peut donc en conclure que le
juge abuse de son pouvoir et ce en toute légalité. «
Comment empêcher alors ce dernier d'user largement (voir arbitrairement)
de son pouvoir pour transgresser la règle juridique
?143». Il faut rappeler que le Code de la famille
régit d'autres domaines qui demeurent discriminatoires envers les
femmes. Ainsi, il comprend des articles sur les domaines suivants: la
polygamie, l'héritage et la répudiation (rapport 2010, rapport
annuel du centre d'écoute de l'association Mains Solidaires pour le
droit à la dignité et à la
citoyenneté144.
La présidente de la section de la LDDF à Larache
a souligné lors de notre entretien que « l'article sur l'âge
du mariage a constitué un piège, puisqu'il y'a des juges qui ont
une vision patriarcale et qui abusent de leur pouvoir, et autorisent la
majorité des demandes de mariages des mineures. Ce qui constitue un
recul par rapport à la situation avant le nouveau Code de la famille
»145.
Les articles du Code de la famille posent problème dans
la société marocaine.
En effet, les articles cités ci-dessus sont plus que
conflictuels entre les islamistes et les universalistes. Pour bien comprendre
les points de vue des trois composantes du Féminisme marocain (Etatique,
islamiste et universaliste), il importe d'approcher la question de
l'héritage puisque c'est une loi qui découle du Coran, donc
sacrée et intouchable, mais aussi qui est basée sur la nature de
la filiation d'une société patriarcale. Mais la loi sur
l'héritage est également fortement liée à la nature
de la monarchie marocaine. C'est une évidence qui explique pourquoi le
Code de la famille n'a pas apporté de changement à la loi sur
l'héritage. L'approche de cette loi dans le cadre de notre recherche a
pour objectif d'analyser les rapports entre les composantes du féminisme
marocain (féminisme d'Etat, féminisme islamique et
féminisme universaliste). L'objectif est aussi de montrer que le statut
juridique de la femme est fortement lié aux rapports d'alliance et
d'opposition qui sont basés sur le pouvoir politico-religieux.
IV.3. MOUVEMENT FEMINISTE ET LES TABOUS RESISTANTS
IV.3.1. Loi sur l'héritage maintenue par la
religion et la parenté patriarcale
La région du Nord du Maroc fait partie de la région
Méditerranée ou encore appelée selon la
142 Aujourd'hui le Maroc 13 octobre 2008
143 ALAMI M'CHICHI, H. (2010), P 85.
144 Une association féminine qui fait partie de notre
échantillon.
145 Entretien avec Mme Soudia Touati présidente de la
section LDDF à Larache réalisé en décembre 2010.
47
géographie-politique, MOAN (Moyen Orient et Afrique du
Nord). Cette région est historiquement connue pour l'organisation de la
filiation selon la famille patrilinéaire; ce qui explique la nature
patriarcale des sociétés arabes et musulmanes qui suivent toutes,
ce lignage. Cette filiation impose aux femmes, une domination masculine de la
part du groupe de lignage en plus de la domination masculine au sein de la
famille. Aussi, pour renforcer la place et la légitimité du
lignage, les femmes étaient exclues de l'héritage.
Ce processus ne sera pas totalement aboli par l'Islam car
celui-ci préserve toujours la base des relations de
parenté146. Avant la naissance de l'Islam, dans le nord du
Maroc comme dans toute l'Afrique du Nord d'ailleurs, la femme n'avait pas droit
à l'héritage. Cependant, avec l'Islam, la femme a acquis ce droit
mais elle n'a que la moitié de l'homme héritier. En effet, dans
le Coran147, la succession et le partage de l'héritage montre
que la femme reçoit toujours une part deux fois inferieure à
celle de l'homme148. Force est de constater, l'importance
d'approcher les différents points de vue des trois composantes du
féminisme marocain sur la loi sur l'héritage qui n'a pas
été reformée dans le Code de la famille de 2004.
Selon le code de la famille149, le principe de la
tradition patriarcale est maintenu. En effet, comme précisé
ci-dessus, la part de l'héritier est le double de celle de
l'héritière. Cependant, contre toute attente,
l'inégalité de cette loi a engendré très peu de
contestations ou de revendications de la part des féministes Seule la
Ligue Démocratique des Droits de la Femme a remis la
légitimité de cette loi en question à l'époque.
Plus récemment, en mai 2008, ADFM a pris l'initiative de discuter la
réforme de la loi mais sans sortir du cadre islamique150.
C'est un combat qui tient très à coeur à la
présidente de la section de LDDF à Larache, Soudia Touati qui a
déclaré: « la ligue maintient encore et toujours sa
détermination de pousser en avant le processus de
l'égalité à part entière entre les femmes et les
hommes, en se basant sur les conventions internationales ».
Toutefois, il ne faut pas négliger le fait que le changement de cette
loi ne serait pas perçu comme un changement favorable par toute la
population. Il importe donc, d'approcher les arguments présentés
par les défenseurs de la loi sur l'héritage et ceux,
présentés par les revendicateurs de la réforme de cette
loi.
146 MAYA CHARRAD, M. (2007), Citoyenneté
inégale. Enjeux de justice de genre au Moyen-Orient et en Afrique du
Nord, publié sur le site :
http://network.idrc.ca/fr/ev-111820-201
consulté le 15 mai 2011.
147 TALBI, M. (1997), « Lecture historique des versets 34
et 35 de la sourate du Coran Intitulée « les femmes » »,
PRROLOGUES, 9(5-7) : 89-106.
148 MINCES, J. (1980), 98.
149 Code de la famille, 2004, Articles : de 315 jusqu'à
l'article 320.
150EDDOUADA, S & PEPECILLI, R (2010),
«Maroc: vers un «féminisme islamique d'Etat» »,
Critiques internationales, 46 : 67-100.
48
IV.3.2. Arguments des féministes islamistes pour
le maintien de la loi
Sur le sujet de l'héritage, sujet très sensible
au sein de la société marocaine, les féministes islamistes
appuient l'importance du maintien de cette loi. Elles prônent le cadre
islamique pour le partage de l'héritage. Leur principal argument est
évidemment le Coran, à travers l'exemple suivant: «
Devant la loi divine, l'homme est obligé de prendre en charge les
femmes de sa famille : mères, soeurs, filles, épouses. C'est une
obligation juridique et non un octroi d'aumône alors que cette obligation
ne concerne pas la femme. La part d'héritage de cette dernière
constitue un capital dont elle n'usera que pour ses extras (habits, bijoux,
achats de biens, etc) et non pour le dépenser à ses besoins
primaires. »151. Cependant, pour les féministes
islamistes, il y'a des cas où la part d'héritage d'une femme est
égale ou même supérieure à celle de l'homme.
Le texte coranique est clair et détaillé sur la
succession et l'héritage. Les inégalités sont claires
certes, mais elles sont liées à la période et les
circonstances de vie des arabes et des autres peuples. Ainsi, il est
nécessaire que les textes religieux soient compatibles avec le temps et
non l'inverse. Ne nous pouvons donc pas nier que si les situations historiques
changent, le discours et les textes religieux doivent être
interprétés pour en sortir ce qui est encore applicable et ce qui
peut être changé en fonction de l'époque152.
En clair, il s'agit d'interpréter les textes religieux
selon l'époque. Il n'est pas sans importance de souligner que le courant
chiite par exemple, à l'inverse du courant sunnite malékite
adopte une loi plus égalitaire envers les femmes en matière
d'héritage. Cette loi bien plus égalitaire est notamment
appliquée depuis 1963 en Irak. Celle-ci est appliquée aux deux
communautés qui y vivent: sunnites et shiites153. (Deux
doctrines islamiques (voir Glossaire).
Nous sommes donc forcés de conclure que le
problème des islamistes est que leur discours est passé de
discours de Nahda (renaissance) avec les réformistes fin
19ème siècles vers un discours de Azma (Crise) avec
les fondamentalistes islamistes au début des années
1990154.
IV.3.3.Arguments des féministes universalistes
en faveur du changement de la loi
Les féministes universalistes
représentées par les associations féminines revendiquent
la nécessité de changer la loi sur l'Héritagedu fait que
le Maroc a levé toutes les réserves sur l'article de
151 Explication recueillie de l'entretien avec Mrini Mohammed,
journaliste et chercheur dans la question des mouvements islamistes à
Tanger en octobre 2010.
152 ABOU ZAID, N. (2004), p 122-123 (en arabe)
153 MINCES,J. (1980), p 100.
154 ABOU ZAID, N. (2004), p 40-44 (en arabe)
49
la convention CEDAW qui prône l'égalité en
matière d'héritage .Toutefois, il importe de dire que lors des
entretiens pour la présente recherche, les interviewés n'avaient
aucune idée de l'état d'avancement et de la mise en oeuvre du
contenu de la lettre royale155 daté du 10 décembre
2008 qui ordonne la levé de toutes les réserves sur la convention
CEDAW. Ainsi la présidente de l'association Mains Solidaires pour le
droit à la citoyenneté et à la dignité, Asma
Elbaghdadi explique qu' « il n'y a jusqu'à ce jour, aucune
procédure d'opérationnalisation du contenu de la lettre royale,
ni un communiqué officiel sur le levé des réserves sur la
convention CEDAW »156.
Les féministes universalistes mettent en avant diverses
raisons pour revendiquer le changement de la loi sur l'héritage. En
effet, la situation de la femme au Maroc a tellement changé ces
dernières années. Le changement s'est surtout opéré
au niveau du rôle de la femme dans le foyer. Elles prennent de plus en
plus de place dans la famille. Par exemple, plusieurs chefs de familles sont
des femmes, que ce soit dans le milieu rural ou dans le milieu urbain. On
estime alors qu'entre 1960 et 2000, le nombre de femmes actives est
passé de moins de 1 millions à 2,4 millions157. Parmi
ces femmes actives, la majorité participe aux dépenses
liées aux besoins primaires du ménage. Cette
réalité contredit l'idéologie que le principal chef de
famille est l'homme. Au nord du Maroc, beaucoup de jeunes femmes
célibataires immigrent à Tanger pour travailler dans le domaine
du textile (une de formes d'exploitation des multinationales) dans les zones
industrielles de la ville. La majorité de ces ouvrières prennent
en charge leurs familles restées à la campagne ou dans les autres
villes marginalisées158. En conclusion, l'utilisation de
l'Islam n'est qu'un prétexte qui justifie l'inégalité dans
la loi sur l'héritage.
IV.4. MARGINALISATION AU FEMININ
L'observation des cas de violence des centres d'écoute
d'associations féminines oeuvrant dans la région du Nord a
révélé la tolérance de la société
envers les souffrances des femmes. Ceci montre à quel point, la
société est marquée par les traditions, souvent
très dures. L'approche de la violence basée sur le genre dans la
région montre qu'il existe deux approches contradictoires qui encadrent
les associations féministes islamistes et les associations
féministes universalistes. En effet, le principe de
155 La lettre royale envoyée au conseil consultatif des
droits de l'homme organisé à l'occasion de la déclaration
universelle des droits de l'homme le 10 décembre 2008.
156 L'entretien s'est déroulé le 12 décembre
2010 à Larache.
157ZIRARI, H. (2006), « Femmes au Maroc :
entre hier et aujourd'hui quels changements ? », Critiques
internationales, 77 : 65-80.
158 Les observations personnelles tirées lors de la
période de travail sur terrain, entre 2000 et 2007.
50
complémentarité qu'adoptent les
féministes islamistes entraine une approche à la violence
conjugale très particulière. Ainsi, la présidente de
l'association Mawada estime que l'unité de la famille est l'objectif
primordial de l'association. « C'est pour cette raison que l'on
préfère régler le problème de la violence conjugale
en premier lieu par un dialogue et une tentative de réconciliation entre
les époux, car notre centre est un centre d'orientation familiale. On
travaille alors pour la protection de l'unité familiale et plus
particulièrement quand celle-ci est composée d'enfants afin de
les protéger de vagabondage et de clochardisation qui sont les
conséquences du divorce.».159
Alors que l'approche des associations féministes
universalistes se base sur le principe de l'égalité dans la vie
de couple. Elles mettent en avant le droit de la femme à une vie sans
violence et à la protection de sa personne contre toute forme de
violence. Il importe de rappeler que la déclaration sur
l'élimination de la violence faite à l'égard des femmes
(AGNU)160 de 1993 désigne dans son premier article, le terme
de la violence à l'égard des femmes, comme : « Tout acte
dirigé contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux
femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou
psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la
privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou
dans la vie privée. ». En effet, lors de l'entretien avec la
directrice du centre d'écoute de l'association Mains Solidaires et du
soutien juridique et psychologique, l'association revendiquant son statut de
mouvement féministe universaliste, celle-ci a expliqué que «
la dignité et la sécurité de la femme tant dans la
sphère publique que dans la sphère privée font partie des
droits humains fondamentaux. Ainsi, le travail au sein de notre centre se base
sur les conventions des droits humains de la femme. Les femmes marocaines
mariées, célibataires, divorcées ou veuves ont le droit
à une protection et à la justice de leur droits qui sont garantis
par la législation nationale ou par les conventions internationales
»161.
Le point essentiel qui encadre les travaux au sein des centres
d'écoute est la protection de la femme et la punition de l'agresseur.
Cela pose un gros problème dans l'application des lois marocaines et
plus particulièrement, dans les cas de violences
conjugales162. La directrice du centre CAFMAT163 de
l'association ARFEDEC164 de Tétouan, Mariam Moussa a
insisté sur «l'importance de l'approche genre dans le
traitement des inégalités dont souffrent les femmes au Nord du
Maroc et
159 Entretien que nous avons réalisé avec
réalisé dans le cadre la présente recherche.
160 Assemblée Générale des Nations Unies
161 Entretien réalisé dans le cadre de la
présente recherche.
162 Manque de loi pénalisant la violence conjugale dans le
code pénal marocain
163 Centre d'Assistance pour les Femmes MalTraitées de
l'association ARFEDEC de Tétouan
164 Association de la recherche féminine pour le
développement et la coopération.
51
particulièrement dans la région de
Tétouan »165. De plus, les féministes
universalistes insistent sur le travail de la justice et de la pression qu'il
faut lui mettre pour intégrer la violence conjugale dans le code
pénal mais aussi afin de changer le texte de ce code qui discrimine au
sein même des femmes victimes de violence, ces dernières selon
leur statut social.
Nous avons pu constater l'importance du réseau «
printemps de la dignité » créé par des associations
féminines du mouvement des féministes universaliste à
Rabat, pour les associations féminines locales du Nord.
Zakia ELBaghdadi de l'association Mains Solidaires a
expliqué que:« le réseau du printemps de la
dignité a pour but de changer les dispositions qui réduisent les
femmes à des corps à surveiller, et les privent de leur droit
d'en disposer. Ces dispositions sont différentes, selon que la femme est
mariée ou non, vierge ou non»166. Ainsi, le travail
de plaidoirie est plus que nécessaire dans le cadre du partenariat et de
réseautage. Le mouvement féministe universaliste du Nord est
aussi engagé dans le cadre du Réseau ANARUZ167.
Il est primordial de remarquer que la violence basée
sur le genre est devenue plus visible pour la combattre. Nous nous devons
souligner qu'il existe d'autres catégories de femmes
marginalisées au Maroc. Malheureusement, la loi du silence telle qu'elle
est appliquée dans la société traditionnelle, maintient
ces femmes dans l'obscurité et dans une souffrance profonde, une
souffrance silencieuse. De fait, dans une société qui se
transforme mais qui vit toujours entre la modernité et les traditions,
le célibat est mal vécu pour les femmes. C'est pourquoi, les
structures juridiques politiques et sociales de la société, ne
permettent pas à la femme célibataire, divorcée,
mère célibataire, prostituée ou femme abandonnées
d'avoir une place digne puisqu'elle n'a de véritable statut que
lorsqu'elle est mariée ou mère168.
En tout cas, la double marginalisation de ces femmes est le
résultat d'une structure politique et sociale créée par
l'Etat qui se désengage complètement de sa responsabilité
à l'égard de ces femmes laissées sur les bans de la
société. En effet, celui-ci féminise la pauvreté,
refuse de subvenir aux besoins fondamentaux de ces victimes d'une
société machiste. Sans oublier que l'Etat est également
responsable de l'échec de la majorité des projets de
développement mis en place par les associations en collaboration avec
des bailleurs de fonds.
165 Entretien avec la directrice du centre et la
présidente de l'association ARFEDEC le 7 janvier 2011
166 Entretien avec directrice de centre d'écoute de
l'association mains solidaires le 18 novembre 2010.
167 Nom en amazight qui désigne Lumière,
(Réseau national des centres d'écoute des femmes victimes de
violence crée le 24 avril 2004 à l'initiative de 19 associations
des différentes régions du Maroc.
168 COMBE, J. (2001), p 120-121.
52
La question de la professionnalisation et du financement des
associations féminines au Nord du Maroc a été à
l'ordre du jour de diverses discussions avec leurs membres (responsables,
fonctionnaires, bénéficiaires). Aussi, lors des entretiens avec
les fonctionnaires et les responsables d'associations du mouvement
féministe universaliste, un sentiment de déprime est ressenti au
vu des problèmes que rencontrent ces dernières au quotidien pour
mener à bien leurs projets.
Par ailleurs, il importe de dire que le travail de terrain de
ces associations a été « un palliatif au
désengagement de l'Etat »169. Cependant la
tâche est lourde pour les associations féministes. En effet, le
désengagement de l'Etat a poussé les associations
féministes à mettre en place des projets contribuant à
aider les femmes pauvres à surmonter les difficultés
financières et sociales du quotidien. Par conséquent, cet
engagement a entrainé un recul au niveau du combat de ces associations
pour la défense des femmes au niveau juridique. L'idée de mettre
la pression sur la justice pour changer les lois discriminatoires à
l'égard des femmes a été peu à peu
abandonnée. Cependant, les projets des associations ont contribué
à absorber les chômeurs diplômés
particulièrement au sein des femmes universitaires. Paradoxalement, la
nature des projets à durée déterminée sur lesquels
travaillent les jeunes diplômés n'offre à ceux-ci qu'une
phase de transition dans l'attente d'un poste au sein d'une administration
publique. Ainsi les associations ne forment pas de cadres dont le but serait de
s'investir à fond dans une association mais dans le but de renforcer au
maximum, leurs capacités institutionnelles. Donc, nous pouvons en
conclure que, les associations sont toujours en manque de ressources humaines
et de volontaires.170
IV.5.PARTICIPATION LIMITEE DANS LA GESTION LOCALE
La conquête forcée des femmes de l'espace
publique à travers une activité professionnelle et un
investissement colossal de l'espace associatif n'a pas empêché
leur exclusion perpétuée de la sphère publique. Mais, il
importe d'appuyer l'idée qui considère que la participation des
femmes à la gestion locale permet d'opérer les changements dans
le statut de celles-ci. C'est pourquoi, leurs interventions actives dans les
décisions politiques sont de plus en plus présentes. C'est bien
souvent grâce aux associations féministes locales qui ont un
rôle primordial dans cette participation que les
169 Ibidem p 184
170 Les observations personnelles recueillies lors des
ateliers de formation que nous avons animée durant la période du
travail.
53
femmes peuvent élever leurs voix171. Et
pourtant, nous avons pu constater à travers nos recherches et notre
terrain d'étude que la participation politique des femmes dans la
gestion des collectivités locales dans le Nord du Maroc est encore
très limitée et même quasi inexistante. Cette triste
réalité peut notamment s'expliquer par l'enjeu de l'époque
qui présente un prétexte pour les autorités mais aussi et
surtout pour les partis politiques. Ainsi dans la pensée politique
marocaine, il y'a un double temps, « le temps politique et
l'époque des femmes »172. Le changement du statut
des femmes n'est donc pas une urgence. En effet, la participation politique
réelle des femmes ne tient qu'à une succession de projets et de
décisions peu importantes et sans grande influence. Il existe tout de
même un partenariat entre les politiques et les associations, plus
particulièrement avec les associations féministes locales. Une
bonne gestion locale prend en considération trois principes : le genre,
l'associatif local et politique publique. L'entrée des femmes dans une
citoyenneté à part entière se joue alors en premier lieu,
dans une dimension locale dans la mesure où « l'inclusion par
le bas à travers la participation locale met en lumière,
l'importance de cet espace où les femmes sortent effectivement de la
sphère domestique pour se frayer un passage entre la sphère
productive, la sphère reproductive et les associations volontaires de la
société civile » 173 . Ce que nous pouvons ajouter est
que les associations féministes marocaines (universalistes et
islamistes) dans le nord sont confrontées au constat d'une trop grande
absence de femmes au sein de la vie politique et de la gestion des
collectivités locales de la région.
En effet, les études et les enquêtes
menées auprès des femmes174 ont montré que les
rapports de genre et les inégalités dans la sphère
privée ne laissent pas place à l'inclusion de femmes au sein de
la vie politique et dans la gestion des communes. Voilà, encore, une
contradiction de la référence entre les universalistes et les
particularistes (islamistes). Cette contradiction agit sur le
déséquilibre des rapports de genre dans la vie politique.
Toutefois, le slogan « le privé est politique » a
pour but une démocratisation dans la sphère privée pour
atteindre une démocratisation dans la sphère
171 MARQUES-PEREIRA, B. & P, MEIER, sous le direction de
(2005), Genre et gestion locale du changement : quelle méthode
comparative ? in Genre et politique en Belgique et en francophonie,
Louvain-la-Neuve : ACADAMIA BRUYLANT p 102.
172 ALAMI M'CHICHI, H. (2002), P 88.
173 MARQUES-PEREIRA, B. (2003), La citoyenneté
politique des femmes, Paris : AEMANS COLIIN, p 138
174 À titre d'exemple : recherche -action menée
par : L'Institut International de Recherche et de Formation des Nations Unies
pour · la Promotion de la Femme (UN-INSTRAW) ET Le Centre de la Femme
Arabe pour la Formation et la Recherche (CAWTAR), en 2009 sur Le renforcement
des capacités des femmes en matière de leadership et de
participation à la vie politique et à la prise de décision
en Algérie, au Maroc et en Tunisie, réalisée par Houria
Alami M'chichi. - aussi une étude du rôle sur le rôle de
l'Etat dans l'évolution des systèmes de genre au Maroc de
Nadira BARKALLIL en 2000
54
publique. Ainsi, l'inégalité entre les
époux au sein de la famille ou du couple renvoie l'image d'une
inégalité entre les sexes au sein de la société
marocaine. Effectivement, le déséquilibre vient de ce double sens
d'un même discours destiné à la femme. Par exemple,
beaucoup d'islamistes dissocient la sphère publique de la sphère
privée et considèrent que la famille doit se baser sur le
principe de complémentarité et non sur celui de
l'égalité. Tandis que les universalistes sont partagés
entre deux opinions, l'une qui met en avant que le moment actuel n'est pas le
moment propice pour la participation des femmes puisque les élections
sont encore truquées. Ils seraient donc plus sensibles à un
boycott des élections. Ensuite, la seconde opinion qui suit plutôt
la voie du Silence sur la religion, silence sur les orientations en
matière de genre175. Entre le silence des universalistes et
le discours religieux des islamistes, les résultats des élections
communales révèlent encore une faible représentation de
femmes aux collectivités locales. De plus, selon une publication de
l'association ADFM176, les partis politiques n'ont pas
respecté leurs engagements tant au niveau des campagnes
électorales qu'au niveau des candidatures « le scrutin du 12
septembre 2003 à a été marqué par le
caractère masculin de la démocratie marocaine
»177.
Aussi, la forte présence des mouvements islamistes au
Nord et la culture patriarcale répandue écarte la participation
féminine à la vie politique. Celle-ci reste encore loin des
priorités. En effet, les inégalités sociales et
économiques et plus particulièrement la féminisation de la
pauvreté fait encore de la sensibilisation aux droits humains de la
femme un défi majeur. De plus, la mentalité patriarcale ne va pas
céder facilement à une participation féminine dans la
gestion des collectivités locales. Ils refusent que la femme puisse
avoir une responsabilité sur la gestion locale car ce droit donnera
l'occasion aux femmes d'aménager une sphère publique moins
agressive et moins violente envers elles178. En conclusion, le
combat n'est pas encore gagné car la société marocaine est
encore ancrée de pratiques et de mentalités machistes, pour ne
pas dire archaïques.
Après l'analyse des différentes formes de
violences et de marginalisations que subissent les femmes dans le Nord du
Maroc, notre recherche approchera dans le chapitre suivant, les actions
collectives des mouvements féministes modernistes et les mobilisations
féminines. Nous y présentons également, les enjeux d'une
réelle intégration des femmes au Nord du Maroc. Toutes fois
175 ALAMI M'CHICHI, H, Le féminisme d'Etat au Maroc, (
2010).
176 Dans ce scrutin les candidatures féminines n'ont pas
dépassé 5% du nombre total des candidatures.
177 ADFM, (2004), Elections du 12 septembre 2003
problématique de la représentation féminine : les espoirs
avortés, 2004 publication de l'Association Démocratique des
Femmes du Maroc.
178 OUAIAOU, F. (2005), la société civile
marocaine : entre la vision de développement et les droits humains,
ttpp://
www.tanmia.ma/article.php3?id_article.
55
cette analyse va conduire l'étude à approcher
l'existence d'un féminisme d'Etat, certes mais aussi d'un
féminisme islamiste. Le dernier chapitre tentera alors, d'approcher
l'hypothèse de la recherche en répondant aux questions suivantes
:
Comment se construisent les rapports d'alliance ou
d'opposition entre le féminisme d'Etat et le féminisme islamiste,
au point qu'on puisse affirmer l'existence d'un féminisme islamiste
d'Etat ? Est ce que le féminisme universaliste est pris au piège
lorsqu'il revendique les droits de la femme à partir du champ religieux
au point qu'il risque de s'éloigner de son référentiel qui
a été la base de son émergence et de sa lutte ? Et enfin,
comment le pouvoir politico-religieux oriente les rapports d'alliance entre les
trois composants du féminisme marocain ?
56
V.CHAPITRE IV : SEGMENTATION DU FEMINISME MAROCAIN
« Je ne rêve pas d'un monde où la
religion n'aurait plus de place, mais d'un monde où le besoin de
spiritualité serait dissocié du besoin d'appartenance.
Séparer l'Eglise de l'Etat ne suffit plus ; tout aussi
important
serait de séparer le religieux de
l'identitaire. » Amine Maalouf, « Les
identités meurtrières »
Dans le chapitre suivant, nous analysons, à travers une
réflexion personnelle, les débats agités et parfois
conflictuels que vit le féminisme Marocain. Cependant, dans ce monde
caractérisé par un conflit civilisateur et de guerre où
chacun cherche à se protéger d'un danger inconnu, est-il logique
de se demander à quelles identités les féministes
appartiennent ?
V.1. EMERGENCE DU MOUVEMENT FEMINISTE ISLAMISTE
Le concept « féminisme islamiste » peut
désigner tout mouvement social qui travaille sur la condition
féminine en tenant compte des références islamiques. Ce
mouvement peut se faire entendre à travers des associations
féminines, des groupes de recherches, des associations de
développement, des associations de quartiers, des réseaux sociaux
et des forums de discussions. Le féminisme islamiste adopte la
référence islamique pour traiter les problèmes liés
à l'exclusion de la femme et les inégalités des rapports
entre les hommes et les femmes dans le contexte du terrain d'étude. On
confond souvent ce concept avec celui de « féminisme islamique
» qui, lui, renvoi à un mouvement adopté par des
féministes musulmanes, certes, mais qui ont comme
référence la charte universelle des droits humains. Ce mouvement
peut être constitué de femmes de différentes appartenances
politiques, philosophiques, sociales ou culturelles.
Ainsi, la distinction est claire entre féminisme
islamiste et féminisme islamique. Le premier est un courant social,
politique et culturel qui se base sur la religion islamique et en fait son
idéologie, notamment dans le domaine de la politique. Tandis que le
deuxième est composé de membres musulmans mais qui
n'intègrent pas forcément la religion dans leurs actions et dans
leurs politiques. Le mouvement féministe islamique ou musulman est
ancien par contre le féminisme islamiste a
57
émergé à la fin des années 1990 et va
connaitre une expansion mondiale à partir de 2005179.
V.1.1.Naissance du mouvement féministe
islamiste
En effet, le féminisme islamique est apparu pour la
première fois dans les écrits de féministes iraniennes
à partir de 1990. Dans le milieu intellectuel et universitaire iranien,
des travaux ont été entamés pour prouver les droits
délégués aux femmes par l'Islam. Ces travaux ont
interpelé l'importance de l'utilisation de l'instrument « ijtihad
180» pour interpréter les textes religieux en faveur des
droits de la femme. Ainsi, est né le « féminisme islamique
» en tant que mouvement intellectuel en Iran à travers la
publication de ses travaux dans la revue « ZÂNAN »
(les femmes) crée en 1992. En effet, la sociologue Ziba Mir-Hosseini
publie une étude du débat entamé sur la question du genre
entre les théologiens181.
A travers la religion alors, les féministes islamiques
d'Iran contestent les politiques discriminatoires pratiquées par l'Etat
islamique et au nom de l'Islam envers les femmes. Elles revendiquent une
conciliation entre l'islam et la démocratie182 . Le
féminisme islamique comme courant intellectuel a connu son extension
grâce aux travaux d'Amina Wadud, une intellectuelle
afro-américaine convertie à l'Islam en 1972, avec son livre
« le Coran et la femme » en 1992.
Dix ans plus tard, Asmae Barles, une Américaine
d'origine Pakistanaise publie son livre « Femmes croyantes" dans
l'Islam : Déconstruire les interprétations patriarcales du Coran
»183. Ce livre a également comme but de
défendre les droits de la femme à travers le Coran.
Aussi, il faut souligner que le féminisme islamique a
émergé également en Malaisie avec le mouvement
féminin « Sisters of islam ». Ce mouvement avait pour but de
contrer l'hégémonie des lois islamiques basées sur la
discrimination à l'encontre les femmes. A l'inverse des deux exemples
précédents, ce mouvement n'a de féministe islamique que le
nom. En étudiant leurs actions, on peut se rendre compte qu'on peut
qualifier les « Sisters of Islam » de féministe islamiste. En
effet, le mouvement se penche sur les textes religieux pour les
interpréter en faveur des droits des femmes.
L'apparition du féminisme islamiste en Occident et
surtout en Europe de l'Ouest a émergé
179 L'année ou le mouvement a atteint sa
maturité, la preuve le nombre des participants au premier congrès
des féministes islamistes du monde entier à Barcelone.
180 Instrument utilisé pour une interprétation
avancée des textes religieux
181 LATTE ABDALLAH, S. (2010), « le féminisme
islamique, vingt ans après : économie d'un débat et
nouveaux chantiers de recherche » in Critiques internationales
sous la direction de L, LOUËR, 9-23. Paris : SiencesPo.
182 KIAN-THIEBAUT, 2002
183 Jean VOGEL, Du féminisme islamique, articulation
n° 44, publié le 26 février 2011 sur
www.cesep.be consulté le 15
juin 2011.
58
récemment au sein des nouvelles
générations des communautés musulmanes. Ces
dernières vivent dans une nouvelle réalité marquée
par la contribution des femmes au revenu familiale et au partage des
décisions et des responsabilités à l'intérieur de
la sphère privée.
Cette nouvelle réalité pousse les intellectuels,
les femmes instruites et les hommes à chercher dans l'Islam, des textes
qui soient compatibles avec l'égalité que vivent en
réalité ces personnes-là, partagés entre deux
cultures. La grande contradiction constatée est que ces textes
n'existent pas, ni même dans l'interprétation des
oulémas184 du Coran et des hadiths et pourtant les gens
continuent de vivre dans l'égalité hommes, femmes tout en
continuant à pratiquer l'Islam.
Il est important de noter que l'existence des
différents courants de doctrines islamiques engendre la naissance de
plusieurs mouvements de féminisme islamique suivants les doctrines
auxquels ils appartiennent. Ces doctrines sont adoptées par les
protagonistes en Occident. Le féminisme islamique en Occident est alors
encadré par au moins trois courants sont : Les Wahabites, les salafistes
et les traditionalistes185.
V.1.2. Apparition du mouvement Féministe
islamiste au Maroc
Depuis les années 80, les travaux de Fatima
Mernissi186 ont pour but d'analyser les textes religieux afin de
montrer que la situation arriérée des femmes marocaines n'est pas
dû à l'Islam, mais surement à une interprétation
patriarcale du Coran et des Hadiths187 .
Dans le contexte marocain, et particulièrement sur le
terrain de la présente recherche, le féminisme islamiste a
intégré la scène associative au Nord du Maroc à
travers les actions menées par des associations de quartiers. La
majorité d'entre elles ont émergé à travers
l'exécution des projets de développement destinés aux
femmes habitants les quartiers défavorisés des villes du Nord du
Maroc.
De manière officielle, ces associations ne travaillent
que dans le but de socialiser, d'instruire les femmes
défavorisées. Et ce, par exemple, à travers des cours
d'alphabétisation et des ateliers de formation professionnelle. Ces
projets sont financés par des bailleurs de fonds principalement
espagnols (AECI188 et fondation CODESPA189). On retient
donc que les associations porteuses de ces projets sont des associations de
quartiers mais toujours avec une référence islamique.
184 Savant musulmans chargés d'expliquer et
d'interpréter les textes religieux
185 Les musulmans et la laïcité, Tariq RAMADAN, Islam
et Laïcité, 2005, p 93-113,
186 Sociologue et écrivain marocaine qui a mené
des enquêtes la place de la femme dans la pensée islamique
à travers l'analyse les paroles du Prophète.
187 Les paroles du prophète dans lesquelles a
expliqué la pratique de la l'Islam.
188 L'Agence Espagnole de Coopération Internationale.
189 Fondation espagnole qui travail dans le domaine de
développement internationale voir :
www.codespa.org
59
En effet, les cours d'alphabétisation se
déroulent autour de la lecture et de l'apprentissage du Coran. On
inculque aux femmes les principes religieux et le comportement à adopter
afin d'être de bonnes musulmanes. (Qui porte le voile, qui veille
à protéger l'unité familiale, celle qui est une bonne
épouse obéissante et une mère idéale qui se
sacrifice pour ses enfants. La femme valorisée est la femme active dans
la sphère privée)190.
Ainsi, émerge un courant islamiste dans la
société civile marocaine, encouragé et soutenu par le
parti islamiste légale (PJD) et le mouvement islamique « Adel wa-
Al-Ihssan191 ». Ce dernier a une forte présence sur le
terrain mais est interdit officiellement.
V.1.2.1.Le mouvement féministe islamiste
marqué par l'année 2000
L'année 2000 est une année forte pour le
mouvement féministe islamiste. En effet, cette année-là,
comme expliqué dans le chapitre deux, le mouvement a pris une ampleur
inattendue. Le 12 mars 2000, à l'occasion de la journée des
femmes fêtée quatre jours plus tôt, une grande marche a
été organisée à Rabat en faveur de l'adoption du
PANIFD192. Cette marche a été mise en place par les
associations appartenant au courant féministe universaliste, elle
coïncidait avec l'adoption du PANIFD par le gouvernement marocain en
faveur des droits de la femme.
En parallèle, à Casablanca, une autre marche a
lieue. Mais celle-ci, à l'inverse de la marche de Rabat, est contre
l'adoption du PANIFD, notamment à cause de la composante juridique de ce
plan car selon, ses manifestants, celle-ci déforme les textes religieux.
Cette initiative vient des associations du mouvement féministe
islamiste. Cette marche a mobilisé énormément de monde,
plus que ce que le gouvernement avait prévu. Face à un tel
dilemme, le gouvernement a décidé de faire appel au roi pour
arbitrer la situation. Ce dernier a décidé de séparer la
composante juridique du PANIFD et de constituer une commission royale
chargée de la réforme du code de statut personnel (la composante
juridique). En 2004, est né le code de la famille tel qu'expliqué
dans le chapitre précédent.
Ce qui est frappant, c'est que la commission royale n'a
finalement pas apporté de grands changements à la composante
juridique du PANIFD. Et pourtant, elle était en grande partie
composée de membres du mouvement islamistes et conservateurs. On
pourrait se demander pourquoi avoir fait un tel chahut si au final, ils ont
eux-mêmes gardés les principales idées de la composante
juridique. Est-ce par stratégie politique ? Est-ce pour avoir une
idée de l'ampleur du nombre de leurs partisans ?
190 Réalités requit lors de la phase de
l'observation entre 2000 et 2007.
191 Mouvement islamique, dont fait parti Nadia Yassine (fille
du comandant du mouvement Cheikh Yassine) fondatrice de section femme au sein
du mouvement.
192 Voir chapitre III ?
60
Ces questionnements sont plus que légitimes quand on
sait qu'ils préparaient les élections politiques 2002. Ainsi, le
féminisme islamique connu en tant que féminisme islamiste vu sa
référence religieuse et sa participation au sein de partis
politiques gagne du terrain et se présente comme une alternative au
féminisme universaliste sur la scène associative du Nord du
Maroc.
En conclusion, nous pouvons dire que l'année 2000 a
marqué un tournant majeur au sein d'organisations islamistes comme le
mouvement justice et bienfaisance et le parti de la justice et du
développement, (PJD). Effectivement, celles-ci, s'engagèrent
publiquement sur la « question féminine en défilant dans la
capitale économique du Pays193. Ensuite, cette
année-là, a fait sortir les associations islamistes de l'ombre.
Ce qui est marquant dans la naissance et la montée des mouvements
féministes islamistes au Maroc, c'est que contrairement à l'Iran,
le Pakistan ou même l'Occident, l'émergence de ce mouvement a
été réalisée sur le terrain. Autrement dis, par le
bas et pas au niveau des universitaires et intellectuels. Cette
réalité a été constatée lors de nos
entretiens.
Ainsi, lors de l'entretien avec la présidente de
l'association « Mawadda pour le développement de la femme et la
protection de la famille » Latifa Bousaid, à la question
suivante : « Est-ce que vous connaissez le féminisme islamiste ou
islamique ? » a répondu: « Je n'en ai jamais entendu
parler, nous travaillons avec la référence islamique, mais je
n'ai jamais entendu parler d'une quelconque émergence de ce
féminisme ».
Surprise de sa réponse car cette association fait
partie officiellement des mouvements féministes islamistes, nous avons
tenté d'éclaircir notre question à travers la
réflexion suivante : Le « Forum Fatima Zahrae » de Rabat dont
fait partie votre association Mawadda travaille en réseautage national
dans le but d'étendre nationalement le féminisme islamiste. L'une
de ses fondatrices, Asmae Merabet est même présidente du
réseau international GIERFI194 dont le combat est d'imposer
une troisième voie basée sur des valeurs islamiques tout en
tenant compte de la référence universelle des droits humains de
la femme. La présidente de l'association Mawadda n'avait pas l'air de
comprendre. Est-ce par stratégie ou pouvons-nous en déduire que
les motivations des décisions prises par les intellectuels du pôle
marocain (Rabat et Casablanca) ne sont pas celles des petites associations
locales ?
En effet, Latifa Bousaid, nous a répondu qu'elle
n'avait jamais entendu parler du mouvement islamiste. Cet entretien nous a
permis de constater qu'au Nord du Maroc, comme dans d'autres
193 EDDOUADA et PEPICELLI, 2010
194 Groupe international d'Etude et de Réflexion sur la
Femme en Islam voir :
www.gierfi.wordpress.com
61
régions (hors Casablanca-Rabat), le travail se fait
directement sur le terrain, et le débat intellectuel est laissé
aux leaderships, qui pour la plus part, sont installés dans la capitale
ou à Casablanca. Force est donc, de constater que l'idéologie est
encore loin d'être généralisée. En effet, même
si le travail est le même partout, les motivations ne le sont sans doute
pas. Cependant, au niveau de la pratique, les idées des
féministes islamistes sont largement diffusées sur tout le
territoire marocain.
Les recherches précédentes, nous ont permis de
prendre connaissance de la base théorique du féminisme islamiste
qui se résume en l'invention d'une troisième voie.
V.1.4. Troisième voie du féminisme
islamiste
Selon Asma Lamrabet195, qui représente le
féminisme islamiste au Maroc, le mouvement a adopté une
troisième voie, celle-ci est bien plus nuancée que les principes
du féminisme universaliste et que la perception islamique traditionnelle
des droits de la femme. « Ce féminisme islamique se
présente donc comme une alternative entre une option religieuse
traditionaliste rigide et un mimétisme aveugle du modèle
occidental érigé comme unique voie de libération possible
et imaginable. C'est entre ces deux voies qu'il a fallu trouver une
troisième, à même, de concilier les privilèges et
les acquis de l'un et de l'autre»196. Pourtant, cette
troisième voie a été à plusieurs reprises
dérivée vers une approche basée sur le
référentiel uniquement religieux.
En effet, les observations directes et participatives
accumulées lors de mon travail sur le terrain et l'analyse de l'approche
que prônent les centres d'écoute pour les femmes victimes de
violence (la majorité est victime de violence conjugale), ont pu montrer
que l'approche appropriée par ces centres varie selon la vision des
responsables et leurs appartenances politiques.
De plus, comme expliqué dans le chapitre
précédent, les associations islamistes adoptent l'approche qui a
pour objectif l'unité de la famille et ce quelque soit, la
gravité de la situation. Selon cette vision, la priorité est
donnée à une réconciliation entre l'agresseur
(l'époux) et la victime (l'épouse). La punition et la
criminalisation de la violence conjugale ne sont donc pas au premier plan.
Force est de constater que malgré les discours tenus par ces centres,
leur combat quotidien rejoint celui des féministes islamistes. Leur
vision est construite sur le principe de « complémentarité
» entre les hommes et les femmes et pas sur le principe de
l'égalité197. Par ailleurs,
195 Présidente du réseau GIERFI.
196 Asma Lamrabet, Le Coran et les femmes : une lecture de
libération, Lyon. Tawhid, 2007
197 Margo BADRAN, où en est le féminisme
islamique ?, critique international, n° 46, janvier-mars 2010, Paris,
sciences Po les Presses, p : 25-44.
62
l'instrument IJTIHAD198 reste très restreint
car plusieurs islamistes insistent sur la nature sacrée de quelques
versets coraniques comme celui sur l'héritage. L'ORCF, rapporte
« Nous n'acceptons pas une lecture moderne mais une lecture correcte
qui respecte notre référence islamique et l'identité de
notre société »199 selon la charte de
l'organisation renouvellement de la conscience féminine.
L'analyse des objectifs du féminisme islamiste nous a
conduits à nous poser des questions sur leur vision des théories
fondamentales du féminisme universaliste. Comment le mouvement
féministe universaliste perçoit les problématiques de la
société marocaine ? Est-ce de la même manière que
les féministes islamistes ?
Prenons comme exemple, la dichotomie dans le domaine du
privée/publique. Le féminisme islamiste marocain doit encore
répondre à une question importante dans la démocratisation
de la société : « l'inégalité au sein de
la famille est-elle compatible avec la démocratie dans la sphère
publique ? »200. Ainsi, la visibilité des femmes
dans la sphère publique en tant que participantes au sein des
associations caritatives est très forte. Mais, en tant que citoyennes
à part entière, la participation des femmes dans la sphère
publique est peu marquée, pour ne pas dire, inexistante.
Le féminisme islamiste prône la
complémentarité au sein de la sphère privée et
rejette toute égalité homme-femme au sein de celle-ci. Il est
important de retenir que par « complémentarité », les
adeptes du mouvement pensent hiérarchie au sein du couple avec l'homme
comme maître à bord et garant de son foyer. À l'inverse,
les universalités prônent l'égalité autant au sein
de la sphère privée que dans la sphère publique. C'est
à partir du slogan « le privé est politique »
revendiqué par les féministes universalistes que le
progrès de la condition des femmes a pu être
réalisé. Ces progrès se sont fait ressentir au niveau de
l'adoption du Code de la famille, au niveau du droit de vote des femmes,
etc.
En conclusion et selon des féministes islamistes
européennes, le féminisme islamique est «un
féminisme à l'intérieur du « féminisme»
et qui part d'une appartenance religieuse pour arriver à des principes
universels »201. Cela explique donc pourquoi le
féminisme islamiste n'a de féminisme que le nom et n'est pas un
mouvement féministe comme on pourrait le définir en Occident.
198 Interprétation avancée des textes religieux.
199 ORCF : la vision et la charte in « le mouvement
féminin au Maroc contemporain, tendances et questions, Jamila MOSALI,
Rabat. Top Presse, 2011, p 289.
200 BERKALILI, N, 2003 P 13.
201 HAMIDI, M, Féministes musulmanes : De la
réappropriation du religieux aux stratégies de libération
fidèles aux valeurs universelles.
63
V.2. REPERTOIRE D'ACTIONS DES FEMINISTES ENTRE
UNIVERSALISME ET ISLAMISME
Au cours de nos recherches et surtout lors de notre
étude de terrain, nous avons pu constater que dans la région du
nord du Maroc, il y a une forte présence de deux courants de
féminisme marocain, ces deux derniers sont totalement différents
l'un de l'autre. En effet, l'approche des problèmes sociaux,
économiques, juridiques et culturels des femmes se fait de
manière différente selon le courant.
Pour rappel, dans les faits, le premier mouvement a pour
objectif de se baser sur les textes religieux, tandis que le second a pour seul
référence, les textes universels des droits de l'Homme
malgré qu'ils prétendent l'un et l'autre avoir comme
référence la religion et les textes universels.
Le peuple marocain est en grande partie partagé entre
les deux courants et ces derniers semblent cohabiter parfaitement ensemble,
voire même être complémentaires. Toutefois, malgré
des apparences de paix et même d'une coordination entre les deux
courants, leurs rapports sont continuellement et quotidiennement en opposition.
Et parfois même, en confrontation qui peut se manifester par une guerre
froide et silencieuse. Par exemple, à Larache, ville à forte
activité associative, les courants sont souvent en opposition. Ils
doivent même faire face à des débats et à des
conflits pouvant aller jusqu'à la destruction du travail associatif.
Aussi, les réponses données par les responsables des associations
féminines par rapport au travail de coordination et de réseautage
local sont plus que décevantes.
Par conséquent, lors de l'entretien avec la directrice
du centre d'écoute (Mains Solidaires) de Larache, cette dernière
a expliqué « Malgré que l'association organise des
activités auxquelles sont invitées toutes les associations
travaillant avec les femmes et ce, quelque soit leur référence,
la coordination ne va pas plus loin que la simple présence aux
activités. En plus, au sujet du travail quotidien, il y a une
contradiction de visions des associations vis-à-vis des
différents problèmes dont doit faire face une association. Par
exemple, pour la violence conjugale, selon le courant auquel appartient
l'association, le problème est traité différemment. Nous
pouvons donc dire qu'en pratique il n'y a pas de coordination
»202.
Cette divergence pose un gros problème d'orientation
pour les femmes, allant même jusqu'à une déstabilisation
pour elles, et plus particulièrement, chez les femmes victimes de
violence. Par
202 Entretien réalisé le 28 décembre 2010
à Larache.
64
exemple, cette problématique sera abordée de
manière totalement différente en fonction du mouvement auquel
s'adresse la femme violentée. Les membres du mouvement universaliste
tenteront de déculpabiliser la femme quant à l'acte commis et sur
l'utilité de dénoncer l'acte de violence. Leur
préoccupation majeure est la sécurité de la femme. Alors
que les membres du mouvement islamiste auront tendance à directement
tenter une réconciliation au sein du couple. Leur préoccupation
majeure est à l'inverse des universalistes, de préserver une
unité familiale alors que le rôle des centres est censé
être de protéger les victimes des menaces de l'agresseur (le
mari), qui doit être jugé.
L'observation des divergences au sein des actions des
mouvements féminins marocains nous conduit à constater que la
multiplicité des actions ne joue pas en faveur de l'unité du
mouvement féministe marocain, « La segmentation du mouvement
féministe au Nord du Maroc, n'est pas due uniquement au problème
du référentiel entre les universalistes et les islamistes mais
aussi, à une aliénation politique au sein même des
universalistes »203.
L'échec des expériences de réseautage et
de partenariat témoigne de la densité des conflits
idéologiques qui détruisent l'unité et même
l'identité du féminisme marocain comme un mouvement social selon
la conceptualisation de Touraine204. En effet, l'obsession
idéologique peut détruire l'unité du féminisme
marocain, et nuire à son identité commune. Force est de constater
que le féminisme universaliste perdra de vue le véritable
adversaire et le meilleur allié. Ainsi, au printemps 2000, «
les alliances contre le PANIFD étaient marquées par une
contradiction de référentiel, mais étaient unifiées
sur le but de préserver les traditions d'une société
patriarcale »205. Cependant, nous ne nous attarderons pas
sur les autres causes de ces divergences car ce n'est pas le but de cette
présente recherche.
En conclusion, ces conflits ont produit une segmentation du
féminisme marocain alors que les universalistes venaient à peine
de construire une identité propre, indépendamment des partis
politiques et de toute autre institution étatique ou religieuse. Il est
également important de noter pour la suite de la présente
recherche que les changements de lois, (code de la famille, levé des
réserves sur CEDAW, la loi sur la nationalité, une loi contre le
harcèlement sexuel) ainsi que les politiques publiques d'Etat
basées sur l'approche genre ont pu créer une relation de
réciprocité entre les tendances du féministe et l'Etat.
203 L'entretien avec la présidente de la section de
Larache de LDDF le 27 décembre 2010.
204 Alain Touraine, la voix et le regard, Paris, Seuil. 1978.
205 Propos accueillis de l'entretien avec la présidente de
la section de LDDF à Larache le 27 décembre 2010
65
De ce fait, cela a permis la renaissance du féminisme
d'Etat déjà inauguré la veille de l'indépendance
par le code du statut personnel visant à instaurer l'autorité du
Makhzen à travers la cellule familiale.
V.3.FEMINISTES CONTRE L'ETAT... NAISSANCE D'UN
FEMINISME D'ETAT...
Durant la période de 1965 à 1985, les questions
de la condition féminine vivaient dans un long hiver comme aime tant le
dire, Zakya Daoud.
Cependant, le féminisme marocain connaîtra un
événement remarquable à partir de 1985, cette
période est fortement marquée par des luttes féministes
majoritairement de gauche et qui viennent de se libérer de la tutelle
directe des partis politiques. Les confrontations avec les autorités
marocaines ont donné au féminisme marocain, le caractère
d'un mouvement social uni avec une identité et un répertoire de
contestations certes, mais aussi d'un mouvement revendicateur, créateur
d'activités et de mobilisations au niveau local, national et
international.
Ces confrontations ont lieu car cette perspective
dérange de manière frontale non seulement les valeurs
traditionnelles mais aussi les segmentations entretenues par la
modernité, spécialement celles qui séparent sphère
publique et sphère privée. À cette époque, le
mouvement féministe se présente en tant que porteur d'un projet
social moderne. La société change, les femmes se
dévoilent, le mouvement symbolise la libération de la femme. Les
oeuvres écrites féministes se développent (journal 8 mars-
Revue Kalima- ...), l'action féministe devient alors un militantisme
politique s'opposant au régime.
Nous avons constaté, comme dis
précédemment, que les féministes sont toutes issues de
partis de gauche qui représentent la seule opposition politique à
cette époque. Malgré tout, l'Etat continue de jouer son
rôle de garant de la monarchie basée sur la religion. Le
régime est le conservateur du code de la famille, inspiré de la
jurisprudence islamique.
Toutefois, il faut impérativement souligner que
l'arrivée du roi Mohammed VI représente l'engagement de l'Etat
dans les problèmes sociaux et juridiques et dans l'adoption d'une
approche genre dans les politiques publiques. Force est de constater qu'un
Féminisme d'Etat prend place au sein de la mosaïque politique de la
monarchie. Celle-ci se retrouve malgré elle, dans l'obligation de
s'engager dans le processus de développement de la femme, et ce à
l'échelle nationale mais aussi, internationale.
66
V.3.1.En guise de définition...
Le « Féminisme d'Etat » fut l'objet de
recherches dès le début des années 90. Cependant,
celui-ci, reste encore un domaine nouveau et renvoi à des
définitions multiples206
Il importe de souligner que le « féminisme d'Etat
» a d'abord été étudié aux Etats unis sous
l'appellation : « State feminisms » par Dorothy Stetson et Amy Mazur,
avant d'intégrer les recherches en Europe, principalement en France.
Pouvons-nous faire un lien entre la démocratie et le
féminisme d'Etat ? Fort probablement que oui. Si on se penche sur
l'application de sa théorie, le féminisme d'Etat a
été fortement présent dans certains pays
démocratiques. En effet, le terme a été utilisé et
surtout appliqué au départ dans les pays scandinaves, au Canada
et en Australie, au sein des politiques nationales concernant les femmes
207 . Si nous faisons un lien entre la démocratie et
l'adoption du féminisme d'Etat, pouvons-nous alors en déduire que
le Maroc est un pays démocratique depuis qu'y est installé, un
féminisme d'Etat ? Ou encore, le Maroc est-il un état
démocratique de par son féminisme d'Etat mais à sa
manière, qui n'est sans doute pas celle de la vision occidentale ? Force
est de constater alors, la difficulté d'étudier la notion d'un
féminisme d'Etat dans un pays comme le Maroc, qui oscille encore entre
une démocratisation réelle et un trompe-l'oeil de
démocratie.
Ce qui est surtout important à retenir est que le
féminisme d'Etat désigne les politiques publiques entreprises par
les autorités en faveur de l'amélioration de la condition
féminine. Or, le terme Féminisme d'Etat peut engendrer des
ambiguïtés dans un pays comme le Maroc, vu qu'il comprend deux
termes pouvant être contradictoires si on conçoit le
féminisme comme un concept qui renvoi à un mouvement social
contestataire des politiques publiques mises en place par l'Etat.
Le terme prend sans doute sa place dans des pays
démocratiques où l'Etat « fonctionne sur la base de la
cohérence avec les demandes sociales »208. Devant
cette ambiguïté, les féministes américaines et
australiennes ont inventé le concept de « Fémocrates »
afin de désigner les militantes féministes qui luttent à
l'intérieur même de l'Etat en faveur des revendications des
femmes. « Tout en travaillant dans et pour l'État, elles ont pu
chercher à remettre radicalement en cause la structure inégale
des rapports de genre, y compris - et en premier lieu peut être- tels
qu'ils s'incarnent dans
206 REVILLARD (2006), féminisme d'Etat
www.melissa.ens.cachan.fr
207 ALAMI M'CHICHI. (2010) p 12-16
208 ibidem
67
les discours et pratiques de l'État
»209. Or, au Maroc, peu de femme sont
représentées au sein de l'Etat. Et pour la faible élite de
femmes représentées, seuls les postes peu décisives leur
sont accordés. Cela signifie donc que le concept «
fémocrates » est loin d'être opérationnel au Maroc. Le
Féminisme d'Etat aurait pu se présenter comme un allié des
féministes revendiquant la modernisation de la société et
l'égalité entre les hommes et les femmes à travers le
PANIFD210.
Par conséquent, le féminisme d'Etat marocain
n'est pas comparable à celui que l'on retrouve en Occident car le
gouvernement marocain cherche à contrôler les mouvements sociaux,
et particulièrement le mouvement féministe qui se positionne
parmi le mouvement le plus contestataire et revendicateur à
côté du mouvement des chômeurs diplômés.
Toutefois, un tel contrôle limite la liberté des demandes sociales
réclamant une révolution contre la structure patriarcale sur
laquelle s'est construite, le fondement du régime de la monarchie.
V.3.2.L'institutionnalisation du féminisme
d'Etat
L'Etat marocain par l'institutionnalisation de la question de
la femme se présente en tant que « promoteur le plus efficace
des droits des femmes »211. Ainsi, plusieurs
départements ministériels, hauts conseils et stratégies
adoptés par le gouvernement particulièrement, sous le roi
Mohammed VI, témoignent d'une volonté du régime, de
domestiquer les acteurs de la société civile tout en s'accaparant
leurs projets sociaux. Aussi, les mobilisations sociales pour changer le code
de la famille, les débats ouverts ont fait surgir des conflits et
même des confrontations entre les conservateurs et les modernistes.
Ces confrontations dans la société civile entre
1999 et 2003 auraient pu atteindre une avancée à travers un
changement plus moderne s'il n'y avait pas eu l'intervention de l'arbitrage
royal suite à l'échec du gouvernement à faire passer son
projet du PANIFD. Force est de confirmer le pouvoir spirituel, religieux et
politique de la monarchie à travers la domination des hommes sur les
femmes dans la société marocaine.
V.3.3.Réforme du secteur religieux et
institutionnalisation d'approche genre
Le 16 mai 2003, des attentats terroristes secouent Casablanca.
Ces événements ne vont pas rester sans conséquences et
sans changements politiques. Le changement le plus important est
209 L'action discrète des fémocrates, Laure
BERENI, Publié dans
laviedesidees.fr, 14janvier 2011,
consulté le 20 juillet 2011.
210 L'échec du PANIFD était un échec du
projet de féminisme d'Etat comme il est conçu dans les pays
démocrates
211 ALAMI M'CHICHI, H, (2010) P 49
68
l'accélération de réformes majeures dans
le champ religieux. Le roi Mohammed VI voit dans ces attentats une
réelle menace à la monarchie marocaine.
Ceci s'explique par la montée de l'intégrisme
islamiste au Maroc qui émanerait de nombreux « Oulemas »
formés à l'extérieur du Maroc et surtout en Arabie
Saoudite qui adopte la doctrine Wahabite, jugée très
fondamentaliste et traditionnelle. Ainsi, la réforme du champ religieux
va intégrer les femmes pour la première fois dans l'histoire du
Maroc dans « un champ exclusivement masculin
».212 De ce fait, deux projets majeurs ont marqué
l'ère du Féminisme d'Etat du roi Mohammed VI : le premier
concerne toujours le champ religieux qui prévoit la féminisation
des mosquées du royaume, en désignant des morchidates
213 dans le but d'animer des séances d'information et
d'enseignement en faveur des femmes qui viennent aux mosquées.
Même au sein de ce projet, existait encore une discrimination.
En effet, une Fatwa214 du conseil supérieur
des oulemas du Maroc a interdit à ces morchidates d'exercer en tant
qu'imams (présider les prières). « Or le décret
qui régit les conditions de contractualisation de certains mission
religieuses, celles d'Imams ou des mourchidines et mourchidates ne contient
aucune disposition interdisant l'accès des femmes à la fonction
d'imam ! »215 .
Le second projet est de nommer des ministères
chargés de la condition féminine et d'adopter des lois visant
à intégrer l'approche genre (En 2000, a été
créé un ministère délégué,
chargé de la condition féminine, de la famille, de l'enfance et
de l'intégration des personnes handicapées. La première
loi de finance intégrant l'approche genre a été
adoptée en 2006 ; le 30 mai 2008, est né, le lancement de TAMKINE
« programme multisectoriel de lutte contre les violences fondées
sur le genre par l'autonomisation des femmes et des filles au Maroc
»)216.
V.4.POUVOIR POLITICO-RELIGIEUX BASÉ SUR
L'EXCLUSION FEMININE
Au Maroc, la transition d'une société des
communautés à une société souveraine est
caractérisée par une oscillation entre la modernité et la
tradition. Pourtant, le plus marquant dans
212 Ibidem p 71.
213 Nom en arabe qui désigne les prédicatrices.
214 Consultation juridique sur un point de la religion.
215 ALAMI M'CHICHI, (2010) p 72
216 Ibidem, p 158.
69
cette période de transition est le débat
politisé sur le code de la famille. Ainsi, pour éviter toute
anomie, un retour à la religion patriarcale est la seule
solution217.
Dans le but d'apporter une réponse à notre
hypothèse de départ, il importe d'approcher les fondements du
régime marocain. Pour cela, il est primordial de comprendre les
interactions entre le pouvoir politique et la religion d'une part et les formes
d'exclusion des femmes dans les sphères privée et publique
d'autre part. Comme a été développé dans le second
chapitre, à la veille de l'indépendance, le Maroc a
élaboré le code de statut personnel comme l'un des projets
prioritaires pour la souveraineté. Le rapprochement entre la
stabilité du régime et la stabilité de la famille dans le
Maroc indépendant a été officiellement instauré
à travers le code du statut personnel. Autrement dit, la base de la
société marocaine comme toute société arabe est la
cellule de la famille. Néanmoins, les femmes marocaines subirent un
grand choc à l'époque de l'indépendance. Alors que
celles-ci ont toujours été actives au sein de la
société marocaine à travers leurs participations à
la résistance aux côtés des hommes, à la veille de
l'indépendance, elles ont été contraintes de retourner au
foyer et n'ont plus eu le droit de participer à la vie politique.
En conséquence, les pouvoirs politiques et religieux
représentés par le nationaliste Allal Fassi témoignent de
la réalité que la femme est dores et déjà exclue de
la sphère publique, espace libéré et par les hommes, et
par les femmes. Ainsi, selon la vision royale marocaine, la stabilité
politique passe par une stabilité sexuée218 . Aussi,
le maintien de l'indépendance et la souveraineté nationale passe
par le rôle de la femme dans la famille. Ce rôle se limite dans le
devoir d'éduquer les enfants et dans l'obéissance au mari, chef
de la famille selon le CSP élaboré par les nationalistes à
la veille de l'indépendance. Actuellement, la famille demeure toujours
« un élément centrale à l'identité
politique »219. La monarchie marocaine se base sur ce
constat, certes mais aussi sur le lien de parenté qui garde les
mêmes relations de lignages depuis les tribus (patrilinéaires).
Ainsi, l'Etat national n'a pas construit une vision de l'inclusion des femmes
de la citoyenneté féminine.
217 Bruno ETIENNE, division sexuelle du travail religieux : le
cas islamique actuel, in Femmes du Maghreb au
présent : la dot, le travail, l'identité, sous
la direction de : Monique GADANT et Michèle KASRIEL, 1990, Paris, NRS, p
: 245- 261.
218 Femme et citoyenneté dans le monde arabe, Suad
JOSEPH, publié sur :
www.mediterraneas.org,
le 17 novembre 2004, consulté le 15 septembre 2010.- le rôle de
l'Etat dans l'évolution des systèmes de genre au Maroc, Nadira
BARKALLIL, publié sur
www.ined.fr, juillet 2001,
consulté le 11 mai 2011- Féminisme et politique au Maghreb, sept
décennies de lutte, Zakya DAOUD, 1996, Casablanca, EDDIF, p 262.
219 JOSEPH, S. femmes et citoyenneté dans le monde
arabe, publié sur :
www.mediterraneas.org,
le 17 novembre 2004, consulté le 15 septembre 2010.
70
V.4.1.Les bases de la monarchie marocaine
Le fondement du régime de la monarchie se construit sur
une conception de la démocratie assez particulière. En effet,
pour Mohammed V, fondateur de la monarchie moderne, la démocratie est
« celle qu'on ne va pas importer de l'occident comme une marchandise
importée malgré ses défauts. Notre démocratie est
celle que nous inspire notre réalité, nos valeurs spirituelles et
les principes de notre religion »220. Dès lors, le
référentiel religieux a été utilisé comme
fondement de l'Etat et d'organisation des rapports sociaux.
Par conséquent, la nature d'un tel Etat se
caractérise par l'autoritarisme221, dont le roi tient
à la fois, le pouvoir religieux, en tant que « commandeur des
croyants », et à la fois, le pouvoir politique en tant que «
arbitre » dans les conflits sociaux, économiques, juridiques, ou
politiques. Autrement dit, ce pouvoir d'arbitrage est garanti au roi par la
constitution depuis 1962222, et l'est toujours par la nouvelle
constitution de 2011223. Cependant, si la société
marocaine est marquée par la religion et les traditions, force est de
constater que le pouvoir dominant du roi est celui de commandeur des croyants,
(Amir Almoumenine). Dans un tel régime, imaginer une citoyenneté
a part entière pour les femmes ne serait qu'illusion. Nous ne pouvons
que constater que la citoyenneté pour tous les marocains, hommes et
femmes n'est qu'un rêve.
En effet, une monarchie religieuse est encadrée par une
pensée politique islamique avec laquelle, une démocratie n'est
pas compatible. Nous constatons donc que la vision traditionnelle du Roi est
partagée avec les islamistes d'aujourd'hui. Ainsi, pour Ali Benhaj l'un
des dirigeants de FIS224 algérien, « le concept de
démocratie est absent dans le Coran et étranger à la
langue et à la culture arabe, ceux qui l'auraient importé
viseraient à affaiblir la umma (communauté musulmane) et
anéantir la religion. ».225 Paradoxalement, et pour
maintenir les valeurs traditionnelles, l'Etat n'hésite pas à
s'allier à des mouvements traditionalistes et instrumentalise la
religion pour protéger l'ordre patriarcal.
En effet, sous la pression des mouvements islamistes, le
gouvernement marocain a retiré le PANIFD dans le soi-disant but de
préserver l'unité de la umma, et ce, au détriment des
femmes. En
220 Discours du roi Mohammed V à l'occasion de
fête de 20 août 1958, in DARIF,M. l'histoire de la
pensée politique au Maroc Casablanca, Ifrikya-charq, 1988, p293. La
référence est arabe, il s'agit de ma traduction.
221 DARIF, M. histoire de la pensée politique au
Maroc, Casablanca, Ifrikya-Charq,1988, p 297-304. ( en arabe)
222 L'année de la première constitution
après l'indépendance.
223 Article 42 de la nouvelle constitution de 2011.
224 Front Islamique du Salut en Algérie.
225 KIAN-THIEBAUT, A. Les femmes et les mouvements islamistes
: actrices aliénées ou contestatrices « de
l'intérieur » ? Sous direction Isabel TABOADA LEONETTI, les femmes
et l'islam, entre modernité et intégrisme, Paris, l'Harmattan,
2004, p : 111-144.
71
conséquence, l'exclusion ou l'inclusion des femmes
devient un enjeu et un jeu polico-religieux qui permet aux autorités et
à la société patriarcale de conserver ses valeurs
marquées par la domination masculine pour reprendre la formulation de
Bourdieu.
Le Code de la famille qui se base sur la charia (jurisprudence
islamique) et pour lequel militent les féministes universalistes depuis
les années 80 est comparable au contrat social que Pateman
considère comme : « un moyen par lequel le patriarcat moderne
s'est constitué »226.
V.5. RAPPORTS D'ALLIANCE ET D'OPPOSITION AUTOUR DU FEMINISME
MAROCAIN
L'étude de la nature du régime marocain parait
pertinente afin de réaliser l'analyse de rapports d'alliance et
d'opposition autour du féminisme marocain.
De ce fait, comme souligné dans le point
précédent, il est évident que les rapports d'alliance et
d'opposition autour du féminisme sont fortement liés à la
situation de l'ordre politique de la société marocaine. Afin de
débattre des problématiques liées à la condition
féminine, les féministes universalistes sont obligées d'y
intégrer la religion car l'intervention de l'Etat ne se fait qu'à
travers le principe de l'autorité d'Amir Almoumenine (commandeur des
croyants).
Autrement dit, la condition féminine,
intrinsèquement liée aux problèmes sociaux, politiques, et
économiques est toujours intégrée dans le champ religieux.
Cette situation place le problème de l'inclusion des femmes dans un
encadrement limité à la religion. Le dilemme alors pour le
mouvement féministe universaliste est qu'il est pris au piège, il
est forcé de reculer un peu sur son référentiel, et
d'adopter le référentiel islamique.
Le but est alors de ne pas rester en marge du débat sur
le statut de la femme, puisque l'Etat a fait son choix en se penchant sur le
projet de réformer le secteur religieux, adopter un féminisme qui
a une tendance islamique. Par conséquent, les rapports sociaux qui
encadrent la condition féminine, se manifestent par des relations
à la fois contradictoires / oppositionnelles, ou identiques voire
même alliés. Néanmoins, les instances de la religion et de
la politique jouent le rôle de manipulateur de ces rapports. Par
ailleurs, le féministe universaliste marocain a été
obligé de cacher son identité séculaire devant les
islamistes mais aussi devant la monarchie.
226 JESEPH, S, Femme et citoyenneté dans le monde
arabe, publié sur
www.Mediterraneas.org le 1
novembre 2004, consulté le 15 septembre 2010.
En effet, la monté des mouvements islamistes depuis
2000 ont poussé les partis politique de gauche et les féministes
universalistes à affirmer la référence islamique dans
leurs projets et leurs déclarations227. D'autant plus que la
monarchie a adopté un discours islamique à propos des droits
humains de la femme, cette situation place le projet d'inclusion des femmes
dans les deux sphères privée et publique sur liste d'attente. En
effet, les féministes universalistes sont censées attendre un
environnement politique plus démocratique mais aussi plus civil pour
avoir des conditions favorables à des revendications plus
avancées sur l'égalité et la citoyenneté à
part entière pour les femmes marocaines.
72
227 ALAMI M'CHICHI H, (2002), p 96-97.
73
VI.CONCLUSIONS
Notre objectif par la présente étude
était de répondre à la question générale des
divisions existant au sein du mouvement féministe marocain : quels
sont-ils ? Quelles sont leurs causes ? Quelles sont leurs conséquences
sur les relations entre les différentes composantes du mouvement et sur
la condition de la femme dans la région du nord ?
Une de nos hypothèses était que la lutte pour
apporter des modifications au statut juridique des femmes aurait
créé au sein du mouvement féministe des groupes aux
antagonismes forts. Une autre de nos hypothèses, qui pourrait être
complémentaire à la première, serait le rôle de
l'autorité nationale qui, détenant à la fois les pouvoirs
temporel et spirituel, aurait joué un double jeu, tantôt
favorisant certains groupes, tantôt favorisant les autres.
En 1999, le gouvernement a élaboré le Plan
d'action nationale pour l'intégration de la femme au
développement. Le PANIFD prouve la volonté de l'Etat marocain
d'améliorer la condition féminine. Cette volonté est
encouragée par l'adhésion du Maroc aux conventions
internationales relatives aux Droits de la Femme, et par la pression du
mouvement féministe marocain. Mais c'est sans compter sur la double
nature de l'Etat, spirituelle et temporelle. Résultat : le plan sera un
échec. En effet, sa teneur trop moderniste déplut aux composantes
islamistes. Un féminisme islamiste se développe. De son
côté, l'Etat se prend à jouer un double jeu. Cherchant la
stabilité, il maintient l'équilibre entre les deux composantes du
mouvement féministe que nous appellerons désormais : les
universalistes, prônant l'égalité femmes-hommes et les
islamistes prônant la complémentarité entre les hommes et
les femmes. Divisé, le mouvement féministe se trouve affaibli.
Un autre phénomène contemporain à celui
que nous venons d'évoquer est le manque d'un réseautage et de
coordination forte chez les universalistes. La coordination étant
essentielle et nécessaire à tout travail de pression et plaidoyer
en faveur du changement du statut de la femme.
Une fois le PANIFD retiré, l'Etat opte pour la
référence islamiste en matière de Droit des Femmes. Les
universalistes doivent s'y plier. Un piège. Ils n'ont plus d'autre choix
que de passer par l'interprétation des textes religieux pour parvenir
à convaincre le régime d'apporter des changements juridiques aux
articles encore inégalitaires envers les femmes. Du fait de la
difficulté de l'exercice, les changements seront maigres.
74
De fait, des exclusions manifestes subsistent comme la
marginalisation et la faible participation politique locale des femmes. Et ceci
nous permet d'aborder la problématique de la citoyenneté
féminine.
La citoyenneté féminine reste un enjeu que nous
avons traité dans ce travail. Dans la pensée politique islamiste,
le concept de citoyenneté à proprement parlé n'existe pas.
Les musulmans font eux appel à « la Umma » qui limite la
présence des femmes dans la sphère publique. L'Etat selon qu'il
possède une nature spirituelle suit également « La Umma
». Ceci a pour conséquence que bien que la constitution donne
à la femme le droit de vote et le droit d'être élue, elle
ne peut en disposer. Nous le voyons, les femmes n'ont pas la pleine jouissance
de la citoyenneté. Dans la sphère privée, la femme demeure
sous la domination de l'homme, domination entérinée par le Code
de la famille depuis sont entrée en vigueur en 2004.
Pistes de recherche complémentaires
D'après nos conclusions, de pistes nouvelles de
recherche s'ouvrent. Notre attention en effet a été retenue par
le phénomène de l'émergence d'un féminisme
islamiste. Nous avons vu que cette émergence a automatique
été suivie d'un gonflement du mouvement. Or, nous observons le
même phénomène dans de nombreux pays du monde arabe, dans
des pays islamiques non-arabes et en Occident. Sans trop nous avancer,
peut-être pourrait-on parler d'un mouvement mondial. La question que nous
aimerions alors poser : Est ce que les mouvements sociaux dans le monde actuel
et dans l'avenir seront des mouvements qui se replient sur l'identité
religieuse ? Et au-delà, est ce qu'on ne peut pas envisager une autre
exclusion des femmes surtout marocaines, arabes et musulmane de l'espace
associatif qui est le seul espace de jouissance féminine ?...Enfin, si
l'islam associé entre Etat et religion, est ce le destin des femmes
musulmanes de subir les effets d'une inégalité instaurée
au nom de l'Islam ?...
75
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80
VIII. GLOSSAIRE
AMIR
|
: Littéralement, le chef suprême des musulmans.
|
MOUMENINE Le monarque marocain n'est un simple roi, il
règne sur l'une des
plus vieilles monarchies du monde en tant que descendant du
Prophète de l'Islam, et le prince des croyants.
CHARIA : loi islamique
Chiite : Les chiite se basent sur le principe que la direction de
la
communauté musulmane revient aux descendants du
prophète.
CSP
|
: code du Statut personnel de 1957
|
Foqh
Ijtihad : Effort d'interprétation
: droit musulman
MAKHZEN : Au départ la maison royal et par extension, tout
l'appareil de l'Etat
Malékite : musulman sounite appliquant les règles
de droit du juriste
médiéval arabe Malek Ibn anas (715-795).
Ouléma : L'ouléma est le pluriel de Alem (savant)
un savant effectuant ses
recherches dans le domaine de la tradition musulmane, la Sunna,
mais son savoir peut aller bien au-delà de la connaissance
théologique.
Généralement indépendant du pouvoir
séculier, il est gardien de la tradition musulmane et un homme de
référence docteur en droit musulman. Au Maroc les Oulema sont les
gardiens de la monarchie.
81
MOUDWANA : La Moudawana signifie littéralement en arabe
code. Le Code du Statut
personnel adopté en 1957 appelé en arabe Moudawana
Al Ahwal Achakhsiya a ainsi gardé le nom Moudawana avec le temps.
Après la réforme de 2004, on parle de « nouvelle Moudawana
», Moudawana AlOussra, le Code de la famille. Ce code renvoie au droit
applicable au sujet marocain, en matière de mariage, dissolution de
mariage, filiation, testament, succession en considération de sa
religion. Au cours de notre recherche on parle alors de Code du Statut
personnel de 1957 à 2004 et de Code de la famille de 2004 à nous
jours.
MONARCHIE : Le charife c'est celui qui descendant du
Prophète.
CHERIFFIENNE
MALEKITE : Doctrine de l'école Sounite qui suit les
traditions de Prophète lors de son
séjour à la Medina.
UMMA
|
: Communauté musulman au sens large ;
c'est-à-dire tous les musulmans.
|
Sunnite : selon les sunnites L'Islam est basé sur deux
principes juridiques : le
Coran, la tradition du Prophète.
82
IX. ANNEXES
IX.1. Annexe I : Carte du nord ouest du Maroc.
IX.2. Annexe II : Guide des entretiens pour les associations.
IX.3. Annexe III : Répertoire des associations.
ANNEXE I
83
Carte de la région nord ouest du Maroc
(zone de la recherche)
84
ANNEXE II : Guide d'entretien pour les associations
1. Historique de l'association
- Quand et comment est née l'association ?
- Quels sont les objectifs ?
- Quelles ont été les premières
activités ?
- Combien de femmes concernées ?
- Quels sont les financeurs des projets de l'association ?
2. L'organisation des activités de
l'association
- Quels sont les fonds propre de l'association ?
- Quelles sont les ressources humaines de l'association ? leurs
tâches ? - Quelles sont les ressources humaines de l'association ? leurs
tâches ? - Comment l'association élabore, gère et
exécute ses projets ?
3. La perception de l'égalité
hommes-femmes ?
- Quelles est la vision de l'association sur la participation
politique locale des femmes ?
- Quel est le niveau de coordination de l'association avec
d'autres associations : locales ; régionales et nationales ?
- Quelle est la perception de l'association de la
coopération
internationale ?
4. La participation à la marche mondiale de
l'égalité
- Est-ce que l'association est membre de la coordination de la
marche mondiale des femmes ?
85
- Comment l'association plaidoyer pour les droits de la femme
?
- Quelles sont les activités de sensibilisation
qu'organise l'association en faveur des droits humains de la femme ?
5. Point de vue sur le féminisme
islamiste
- En tant que présidente de l'association, est ce que
vous avez entendu parler de féminisme islamiste ? Comment vous
l'évaluez ?
- Le féminisme islamiste prône selon ses
dirigeantes une troisième voie entre la tendance traditionaliste et
fondamentaliste des droits de la femme et les conventions internationales des
droits humains de la femme, quel est votre opinion sur cette voie ?
- Quelle est votre référence que vous adoptez
pour plaidoyer pour les droits humains de la femme ?
6. L'évaluation du travail de
l'association
- Comment vous évaluez votre travail en faveur des
droits humains de la femme ?
- Comment vous évaluez les projets dans le cadre de la
coopération internationale destinés aux femmes ?
86
Annexe III : Répertoire des associations
Association
|
Date de création
|
Zone
d'intervention et bénéficiaires
|
Objectifs Et stratégies
|
Activités et bénéficiaires
|
Partenariats, réseaux et financement
|
Mawadda pour le développement de la femme et la protection
de la famille
|
2005
|
-Ville de
Larache et les quartiers préurbains.
- La femme, la
famille et l'enfant
|
-protection de la famille ; -Formation professionnelle des femmes
; - Soutien les femmes et les enfants en situation difficile.
|
- Alphabétisation
- Couture -Formation artisanale -Ateliers de sensibilisation
- Femmes, familles , enfants
|
-Cotisation des membres -partenariat avec la
délégation de l'Entraide Nationale -Conseil des Oulemas local
- Forum Fatima Zahrae
|
Mains Solidaires
pour le Droit à la
Dignité et à la Citoyenneté
|
2000
|
Ville de
Larache, les
quartiers
préurbains et les zones rurales
|
Militer pour les droits de la Femme en se basant sur les
conventions internationales ; Militer pour changer les législations
nationales discriminatoires à l'égard des Femmes
Les stratégies adoptées sont : le travail
|
-Centre d'écoute, -Alphabétisation juridique
-Ateliers de formation, -Séminaires, caravanes,
- Compagnes de sensibilisation aux zones rurales
- Femmes, élèves, Animatrices des associations
|
-Délégation d'éducation nationale,
-Délégation de la justice, -Délégation d'entraide
nationale, -Acsur las ségovias
- ANARUZ - Chabaka -Acsur Las segovias Ministère des
|
87
|
|
|
socio-éducatif et le lobbying et le plaidoyer.
|
|
affaires sociales
|
La Ligue Démocratique de Droits de la Femme (section
Larache)
LDDF
|
2003
|
-ville de Larache : Quartiers défavorisés
|
-Militer contre l'idéologie discriminatoire à
l'égard des femmes
- changer les législations nationales
-Ecoute et soutien pour les femmes
Victimes de violence
|
- Centre d'écoute - Caravanes
- compagnes de sensibilisation -Bénéficiaires :
Femmes
|
-Pas de partenariat directe pour la section de Larache, les
partenariats se font par
Le bureau national de l'association
|
L'Association de Recherche Féminine pour le
Développement et la Coopération
|
1996
|
Province de Tétouan
|
- Alphabétisation et formation professionnelle pour les
femmes. - Soutien pour les enfants victimes d'abus
Sexuel
|
-Séminaires - ateliers de formation : Sur Approche
genre
- Enquêtes - Cours de sensibilisation juridique -
Bénéficiaires : Femmes, enfants
|
-Délégation d'éducation nationale
- Cordaid
-Save the shildren
- Intermon Oxfam
-Fo-Nord
|
Centre
d'Assistance pour les Femmes
|
1998
|
Province de
Tétouan
|
Ecoute, soutien et orientation pour les Victimes de
|
Ecoute, orientation et assistance Bénéficiaires :
les
|
Délégation de la santé
Conraid
|
88
Maltraitées
|
|
|
violence
|
femmes maltraitées.
|
Fo-Nord ANARUZ
|
|