Le personnel politique et diplomatique camerounais dans le fonctionnement et le processus de prise de décision à l'assemblée générale des nations-unies (1960-2017)par Ezekiel ZANG NGBWA Université de Yaoundé I - Master 2021 |
4. Impact et portée des premières interventions camerounaises à l'ONUDe façon globale, les interventions des nationalistes camerounais aux Nations-Unies se soldèrent par un succès. En effet, le territoire sous tutelle française accéda à la souveraineté internationale. Cela traduisait donc la victoire des revendications des nationalistes camerounais dans les instances de l'organisation mondiale. Cependant, les divergences dont ces revendications furent l'objet entre les protagonistes, ainsi que les différentes manoeuvres qui en découlèrent, ont largement hypothéqué l'avenir du pays. L'impuissance de l'ONU à s'imposer aux puissances tutélaires a eu des incidences à long terme sur le nouvel Etat du Cameroun, surtout sur les plans politique et économique. Sur le plan politique, l'incapacité de l'ONU à faire triompher les thèses nationalistes initiales et authentiques (celles de l'UPC) a entraîné l'arrivée au pouvoir d'hommes totalement acquis à la cause de la France. Ainsi, le Cameroun entre de pleins pieds dans l'ère du néocolonialisme, avec tous les effets pervers que cela comporte C'est ainsi qu'on se retrouva en train de déclencher et de faire aboutir un processus d'«unité nationale» qui a abouti, le 20 mai 1972, à l'avènement de l'Etat unitaire. En réalité (et ceci est un fait inédit), ce processus n'est que la suite chronologique de la découverte d'importants gisements d'hydrocarbures en zone anglophone, ce qui incita Paris à mettre la pression au pouvoir de Yaoundé dans ce sens.94(*) Les manoeuvres qui aboutirent à ce processus peuvent aisément aider les uns et les autres à comprendre le malaise qui sévit actuellement dans ces zones.95(*) Sur le plan économique, les principaux aspects qui retiennent l'attention sont les aspects financier et monétaire. En effet, selon les accords de coopération franco-camerounais signés le 13 novembre 1960, la trésorerie camerounaise est totalement assujettie à la trésorerie française. Ainsi, tous les fonds issus des recettes domaniales et fiscales de l'Etat camerounais doivent impérativement transiter vers le trésor français.96(*) Ces accords font en sorte que, pour tout besoin de financement d'un projet quelconque, le gouvernement camerounais doive au préalable se référer à la France. Et très souvent, il ne reçoit pas toujours la somme nécessaire pour la réalisation du projet. Il arrive parfois qu'on se retrouve dans des situations inouïes, comme par exemple celle où l'Etat camerounais se retrouve débiteur de ses propres fonds...97(*) Avec de tels aléas, on peut aisément comprendre que le développement devient fortement hypothéqué. Un autre aspect qui mérite d'attirer l'attention, c'est l'aspect éducatif. Selon les accords de coopération franco-camerounais susmentionnés, les programmes scolaires et universitaires (même dans les grandes écoles et académies militaires) sont proposés par Paris.98(*) Point n'est besoin de rappeler que bon nombre de ces programmes n'étaient nullement adaptés aux réalités locales. De ce fait, ils ne pouvaient en aucun cas contribuer à booster le développement du pays. Enfin, ces accords de coopération stipulaient que tout produit acheté à l'étranger doit obligatoirement transiter par les ports français avant d'arriver en terre camerounaise. Cette subordination politique peut avoir pour conséquence l'interception et le remplacement de certains produits dans les ports parisiens lorsqu'ils sont jugés trop bons pour le Cameroun...99(*) En somme, tous ces effets néfastes des traités franco-camerounais sont issus de l'arrivée au pouvoir d'hommes inféodés à la France, corollaire à l'impuissance des Nations-Unies à faire triompher le vrai nationalisme au Cameroun,100(*) alors sous tutelle onusienne. Photo N° 1 : Ruben Um Nyobe de retour de l'ONU (New-York) Source : www.jeuneafrique.com, consulté le 1er mars 2021. Photo N° 2 : Le Premier Ministre Ahmadou Ahidjo devant le Conseil de tutelle des Nations-Unies en 1958 Source : www.jeuneafrique.com, consulté le 1er mars 2021 Photo N° 3: Arrivée du Premier Ministre du Cameroun britannique (Southern Cameroons), John Ngu Foncha à New-York, février 1959 Source : fr.wikipedia.com, consulé le 1er mars 2021. II. LES FONDEMENTS DE LA DIPLOMATIE ONUSIENNE DU CAMEROUNDevenu un Etat souverain le 1er janvier 1960, le Cameroun est admis à l'ONU le 13 septembre de la même année, par la résolution 1476 de l'Assemblée générale100(*). On a déjà eu à le dire plus tôt : le Cameroun est un Etat, et en tant que tel, il a une politique étrangère. Or la politique étrangère d'un Etat, surtout dans le cadre de ses relations avec les autres acteurs de la société internationale, doit être basée sur un certain nombre d'éléments justifiant son engagement dans ces relations. Ainsi, dans cette première partie du deuxième axe de notre étude, nous nous proposons d'examiner les facteurs ayant motivé le Cameroun à adhérer au système onusien en général, et les raisons de sa présence à l'Assemblée générale de ladite organisation en particulier. À ce propos, deux types de facteurs ont été retenus : le facteur historique et idéologique, et les facteurs stratégiques. 1. Les facteurs historique et idéologiqueDu point de vue historique, le principal élément qui lie le Cameroun et l'organisation new-yorkaise, c'est la période pendant laquelle ce territoire fut sous la tutelle de ladite organisation. Comme nous nous sommes attelé à le démontrer plus haut, du fait de ce statut, l'organisation internationale a tant bien que mal suivi de près l'évolution politique et socio-économique de ce territoire. En témoignent ses nombreuses missions de visite à l'intérieur du territoire, ainsi que les différentes sessions spéciales qu'elle y consacra dans ses tribunes, notamment à l'Assemblée générale et à la Quatrième Commission du Conseil de tutelle.101(*) De plus, en sa qualité de tuteur, l'ONU s'est donc, au fil du temps, érigé en une sorte de « mère protectrice `' pour le Cameroun. Vues sous cet angle, les relations entre le Cameroun, alors territoire sous tutelle, et l'ONU, organisation tutrice, ont largement débordé les cadres juridique et politique pour rejoindre les cadres de la psychologie à travers les sentiments.102(*) C'est ce qui ressort du discours du président Biya prononcé le 29 février 1998 à l'occasion de la visite d'un secrétaire général de l'organisation à Yaoundé :«L'Organisation des Nations-Unies (...) a permis à notre jeune nation d'exister Nous sommes tous particulièrement conscients du rôle de l'ONU dans le processus de décolonisation qui a conduit le Cameroun à son indépendance"103(*). Au plan idéologique, l'adhésion du Cameroun au système onusien peut se comprendre, ou mieux, s'analyser sous deux prismes : le prisme idéologique national et le prisme idéologique onusien. Parler du prisme idéologique renvoie à certains principes phares de la politique étrangère du Cameroun. Au lendemain de son accession à l'indépendance, le Cameroun se fixe pour principales lignes directrices de politique étrangère la défense de son indépendance et de sa souveraineté nationale et internationale, la coopération et la solidarité internationales, le non-alignement et l'unité africaine. Pour mieux comprendre les premier, deuxième et quatrième principes, il faudrait considérer le contexte de l'après-indépendance dans lequel ils sont énoncés. En effet, le Cameroun, comme l'Afrique en général, sort fraîchement de l'ère coloniale, et entre, vollens nollens, dans la toute nouvelle ère du néocolonialisme. 104(*) Ainsi, les autorités de Yaoundé entendent se joindre à leurs pairs africains pour porter haut ces revendications qui, du reste, sont les problèmes les mieux partagés par les Africains de cette époque. Il faut ajouter à tout ceci que le continent noir n'est pas encore totalement sorti de l'ère coloniale, et ceci au sens le plus strict du terme. De plus, ledit continent est encore sujet à des maux vicieux tels que le racisme qui se vit notamment en Afrique du Sud et en Rhodésie du Sud (futur Zimbabwe). Toutes choses que le président camerounais d'alors, Ahmadou Ahidjo, considère comme l' `'injustice de ce siècle `'105(*) Ce dernier a donc foi en les tribunes internationales en général, et en les tribunes onusiennes en particulier pour faire résonner et triompher ces idéologies Le Cameroun prône également le dialogue entre les civilisations (et peuples) du monde. Vu sous cet angle, l'Assemblée générale des Nations-Unies apparaît donc comme la plateforme par excellence pour l'atteinte de ces objectifs.106(*) Avec l'accession à la magistrature suprême de Paul Biya le 6 novembre 1982, on va assister à une réorientation des principes diplomatiques du Cameroun. Ainsi,l'on projettera désormais de déborder les principes initiaux suscités au profit de trois nouveaux principes, qui s'érigeront aussi en objectifs, à savoir la présence active, la participation effective, et le rayonnement.107(*) Intimement liés à ces facteurs idéologiques purement camerounais s'ajoutent également des principes onusiens tels la solidarité et la coopération internationale108(*), principes dont le Cameroun entend s'approprier et entend promouvoir au sein des tribunes de l'organisation mondiale. Au-delà de ces éléments idéologiques qui sou tendent la politique onusienne du Cameroun, il y a également des facteurs stratégiques. * 94 P. Ela, Dossiers noirs sur le Cameroun, Paris, Papyrus, 2002. * 95 Pour en savoir plus sur ces manoeuvres, lire Gaillard, Ahmadou Ahidjo... * 96 J. Essola Ngbwa, «L'évolution de l'administration du trésor au Cameroun et son fonctionnement depuis 1962», thèse de Doctorat/Ph. D. en Histoire, Université de Yaoundé I (en cours). * 97 Entretien avec Pierre Rodrigue Owono Ngbwa, 36 ans, financier, le 26 décembre 2016 à Zoétele. * 98 Afrique Media, Le Débat Panafricain, mai 2014. * 99 Entretien avec Gabriel NGBWA OWONO (1953-2016), professeur de lycées. Nous avons eu plusieurs entretiens sur cette question durant les quatre à cinq dernières années qui précédèrent sa mort ; nous les eûmes notamment à Yaoundé et à Zoétele. * 100 Archives du Ministère des Relations Extérieures, Dossier Cameroun-ONU, `'15ème session de l'Assemblée générale'', 13 septembre 1960,No 2924. * 101 Voir plus haut, et lire les différents ouvrages qui y sont cités à ce propos. * 102 Chouala, La politique extérieure du Cameroun...p.190 * 103 Toast au dîner offert en l'honneur du Secrétaire général de l'ONU, Javier Pérez, le 29 février 1998, cité par Chouala, La politique extérieure du Cameroun... * 104 S. Bindzi, Communication à la conférence sur «La diplomatie camerounaise face aux défis contemporains `', Cercle d'Histoire-Géographie-Archéologie, Université de Yaoundé I, 22 avril 2019.. * 105 Gaillard, Ahmadou Ahidjo...p.174 * 106 Chouala, La politique extérieure du Cameroun... p.191 * 107 U. Ekotto, Communication à la conférence sur `'La diplomatie camerounaise face aux défis contemporains `', Cercle d'Histoire-Géographie-Archéologie, Université de Yaoundé I, 22 avril 2019. * 108 Cf. Préambule de la Charte des Nations-Unies. |
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