UFR TEXTES ET SOCIÉTÉS
DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE
MASTER 2, PARCOURS POLITIQUE TRANSNATIONALE ET
MONDIALISATION
LA MONUSCO DANS LA RÉSOLUTION DES CONFLITS :
ENTRE CONTESTATION LOCALE ET LÉGITIMATION GLOBALE
Mémoire de recherche présenté en vue
de l'obtention du diplôme de master 2 en Science
Politique
Par
Bernard POPO-E-POPO
ANNÉE UNIVERSITAIRE 2020-2021
Sous la direction de Monsieur Kolja LINDNER
1
DÉDICACE
À tout le peuple de la République
Démocratique du Congo, spécialement aux victimes des conflits et
violences à l'Est
2
REMERCIEMENTS
Ce travail est le couronnement de la conjugaison de
plusieurs forces et apports. Les différents moments d'épreuves
m'ont fait traverser toutes les émotions possibles : Je suis
passé du sentiment d'abandon, de découragement, de
désespoir, de peur, à celui de détermination. Toutes ces
émotions pourront être retrouvées dans chaque phrase de mon
travail à travers des affects de manière visible ou invisible. Je
voudrais donc saisir ce moment pour remercier en toute humilité et de
façon sincère toutes les personnes qui m'ont aidé à
réaliser ce projet, malgré les doutes.
Je remercie tout d'abord Monsieur Kolja Lindner,
Maître des conférences à l'Université Paris 8, qui a
accepté sans hésitation de diriger ce travail pendant mes deux
années de Master en science politique. Sa rigueur, sa fermeté,
ses encouragements et son souci du travail bien fait m'ont permis d'atteindre
mes objectifs dans cet exercice académique en surmontant mes lacunes
, ·
Je remercie en suite Monsieur Clemens Zobel et Madame
Camille Al Diabaghy pour leurs participations et encouragements à
travers les cours des méthodes de la recherche approfondie et du
Tutorat. Sans leur concours, ce travail n'aurait pas été
réalisé dans sa forme actuelle , ·
Mes remerciements s'adressent également à
tout.es les
professeur.es et
enseignant.es du
Départements de science politique de l'Université Paris 8 pour
leurs enseignements et encouragements tout au long de mon parcours, le
personnel de l'université, les responsables de master et les camarades
étudiant.es. Qu'ils
trouvent dans ces lignes toute ma gratitude , ·
Je remercie de façon spéciale Madame Gueye
Yalla-Marie pour son soutien inconditionnel tant moral que matériel.
C'est grâce à elle que j'ai pu repousser les limites de la langue
à travers ses corrections. Je ne la remercierai jamais assez. Qu'elle
trouve dans ces lignes toute mon admiration et reconnaissance.
Je termine cette série de remerciement en
m'adressant au Père Bienvenu Fambio, Ninette Matondo, Alcina Genner,
Zamor Fixnel, Ludovic Kabengele, Père François Ndali, Père
Joël Kongolo et les personnes qui, de près ou de loin m'ont permis
de réaliser ce travail.
3
ABRÉVIATIONS
ADF : Allied Democratic
Forces
AFDL : Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération (du Congo)
ALEC : Alliance pour
Libération de l'Est du Congo
APCLS : Alliance des Patriotes
pour un Congo Libre et Souverain
CACH : Cap pour le
Changement
CNDP : Congrès National
pour la Défense du Congo
CRD : Conseil pour le Renouveau
Démocratique
FARDC : Forces Armées de
la République Démocratique du Congo
FCC : Front Commun pour le
Congo
FNL : Front National de
Libération
FOLC : Force OEcuménique
pour la Libération du Congo
FPR : Le Front Patriotique
Rwandais
GEC : Groupe d'Étude sur
le Congo
M23 : Mouvement du 23
mars
MONUSCO : Mission de
l'Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en
République
Démocratique du Congo
RDC (OU RD CONGO) :
République Démocratique du Congo
RED : Résistance pour un
État de Droit
RFI : Radio France
Internationale
4
INTRODUCTION
Problématique
Le 03 mai 2021, le président Félix Tshisekedi a
décrété un état de siège pour tenter d'en
finir avec les violences qui ravagent l'Est de la République
démocratique du Congo, notamment les régions du Nord-Kivu et de
l'Ituri1. D'après les ordonnances présidentielles du
03 mai, ces deux provinces sont passées sous administration militaire
pour une durée de trente jours, prolongeable par le Congrès. Les
gouverneurs et vice-gouverneurs civils ont été suspendus pour
être remplacés par des gouverneurs militaires et vice-gouverneurs
issus des rangs de la police. Ce dispositif juridique
généralement mis en oeuvre par le gouvernement en cas de
péril imminent pour la nation, s'inscrit à la suite d'une
série de manifestation des populations contre les massacres et les
tueries à l'est du pays. Ces différents mouvements contestataires
réclament le retour de la paix dans le pays et le départ de la
Mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo
(Monusco).
En effet, depuis plus de deux décennies, la Mission de
l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco)
oeuvre pour la paix dans le pays. Rongée par la prolifération des
groupes armés et des multiples milices insurrectionnelles, la
République Démocratique du Congo est encore loin de la
stabilisation voulue par l'ONU. Pourtant en 2009, le gouvernement de Kinshasa
demandait le retrait progressif des troupes de la mission de l'organisation des
Nations unies (Monuc) à échéance de juin 2011. Le
secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon prenait
alors acte d'une telle demande de l'État congolais, et dans son rapport
du 30 mars 20102, il dressait un bilan des activités de la
Monuc tout en soulignant le caractère précoce du souhait du
gouvernement congolais de se débarrasser des casques bleus. Dans le
même temps, il mettait en avant le caractère irréaliste des
attentes des autorités congolaises au regard de la situation
stratégique à l'intérieur du pays. Pour le
secrétaire général des Nations unies, un retrait trop
rapide des troupes onusiennes en République Démocratique du Congo
risquerait de provoquer une résurgence de la violence, susceptible
d'anéantir tous les efforts consentis depuis des années par la
communauté internationale pour la construction de la paix sur tout le
territoire national, et particulièrement dans les provinces du Kivu et
de l'Ituri. Face aux contestations de l'État congolais, évoquant
le principe de souveraineté, le Conseil de Sécurité
prenait acte avec la résolution 1925 du 28 mai 2010 créant ainsi
la Monusco en
1 Le Monde Afrique, RDC : l'état de siège
décrété dans l'est inquiète la
société civile, publié le 04 mai 2021.
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/04/rdc-l-etat-de-siege-decrete-dans-l-est-inquiete-la-societe-civile_6079105_3212.html,
consulté le 05 mai 2021.
2 Cfr. S/2010/164
5
remplacement de la Monuc. Ce qui marqua la première
possibilité de retrait des forces de l'ONU en République
Démocratique du Congo, retrait qui ne sera pourtant pas
réalisé au regard de l'instabilité et de
l'insécurité toujours croissante à l'Est de la
République Démocratique du Congo.
En 2018 à Kinshasa, en pleine période
préélectorale, le président Joseph Kabila et le chef de la
diplomatie congolaise critiquaient vivement la Monusco, souhaitant par ce fait
son retrait définitif dans un délais cours. Dans son discours du
26 septembre 2018 en pleine Assemblée Générale de l'ONU,
le président Joseph Kabila déclarait : « ... vingt ans
après le déploiement de forces onusiennes dans mon pays et en
raison de leurs résultats largement mitigés au plan
opérationnel, mon gouvernement réitère son exigence du
début effectif et substantiel du retrait de cette force
multilatérale... »3. Interrogée sur cette
déclaration de l'État congolais, Madame Leila Zerrougui,
représentante de l'ONU en République Démocratique du
Congo, répondait : « La Monusco n'a pas son mot à dire
et n'a pas vocation à rester éternellement en RDC. Elle
exécute la volonté du Conseil de sécurité des
Nations unies, avec lequel le gouvernement congolais peut discuter s'il le
souhaite... »4. Une année plus tard, des locaux de
la Monusco dans la ville de Beni avaient été pris pour cible par
des centaines de manifestants après un massacre de civils, protestant
ainsi contre « l'inaction » de l'Armée congolaise et des
Casques bleus onusiens tout en exigeant le départ de la Monusco.
Contrairement au régime sortant de Joseph Kabila qui réclamait le
retrait de cette mission onusienne du territoire national, le régime
entrant de Félix Tshisekedi sollicitait l'intervention de la Monusco
pour accompagner le pays dans sa démarche de rétablissement de la
paix et dans la résolution de conflits et violences, notamment dans les
Kivus. Lors de sa 8216ème séance du 27 mars 2018, le
Conseil de Sécurité vota à l'unanimité la
résolution 24095 en prolongeant d'un an le mandat de la
Monusco. Ce mandat sera prorogé respectivement par la résolution
2502 du 27 janvier 2020 et la résolution 2556 du 31 décembre
2020. Face aux journalistes de RFI et France 24 sur la même question du
retrait de la Monusco, le président Félix Tshisekedi
répondait :
« Pour le moment nous avons besoin de la Monusco, et
surtout besoin dans les zones à problème... à Kinshasa ou
à Lubumbashi on ne voit pas vraiment la nécessité. Mais
par rapport à ce qui se passe à l'est, par moment je vous ai
parlé de renforcement de capacité de nos forces de
sécurité et de défense, la Monusco est un partenaire
essentiel
3 Extrait du discours de président Joseph Kabila
à l'Assemblée Générale de l'ONU le 26 septembre
2018.
https://www.youtube.com/watch?v=FHOsCRN7msI,
Consulté le 23 mars 2021.
4 Propos de Madame Leila Zerrougui, ancienne représentante
de l'ONU en R D Congo.
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/04/09/l-onu-travaille-a-convaincre-kinshasa-qu-il-n-est-pas-en-guerre-avec-son-peuple_5282977_3212.html
5 S/RES/2409 (2018).
6
comme la brigade d'intervention composée de la
Tanzanie, de l'Afrique du Sud et de
Malawi... En ce moment nous avons besoin d'appui ... la
Monusco est nécessaire »6. Ces
deux discours opposés et parfois contradictoires, tenus par les
autorités étatiques congolaises montrent combien la
présence de l'ONU en République Démocratique du Congo est
un sujet de clivage politique et de perceptions différentes. Mon travail
s'inscrit ainsi dans ce cadre de tension et de contestation sur la
présence de l'ONU en République Démocratique du Congo. Si
au plan local la présence de la Monusco est régulièrement
contestée, comment se fait-il qu'au plan global le Conseil de
Sécurité puisse voter chaque année des résolutions
qui prolongent le mandat de celle-ci en légitimant ses actions ?
La contestation à l'égard de la Monusco suscite
fondamentalement la question de la souveraineté de la République
Démocratique du Congo. La Monusco apparait dans ce cadre comme une
mission imposée à la RDC par la communauté internationale.
Partant de cette hypothèse, on peut évoquer la question de
violation du droit à l'autodétermination. Or, depuis sa
définition dans l'article premier de la Charte des Nations Unies et sa
codification par l'Assemblée générale de l'ONU dans un
certain nombre de textes ultérieurs tels que la résolution
1514(XV) de 1960 sur l'octroi de l'indépendance aux peuples et aux pays
coloniaux, l'autodétermination est devenue l'un des concepts le plus
usité en politique et implique des droits politiques mais aussi des
droits économiques, culturels et sociaux. Cependant, à
côté de l'autodétermination, se pose également la
question de la légitimation des interventions de cette mission
onusienne. Cette légitimation se trouverait non seulement au niveau de
l'ONU en tant qu'institution mais également par le canal de son
secrétaire général, les discours des résolutions,
des délibérations à l'ONU. Le chapitre VII de la Chartes
de Nations Unies donne déjà des actions à mener de
façon légitime en cas de menace contre la paix, de rupture contre
la paix et d'acte d'agression : « Le conseil de sécurité
constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou
d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles
mesures seront prise conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir
ou rétablir la paix et la sécurité internationale
»7.
Cependant, de nombreuses analyses ont souligné que la
mission des Nations Unies pour la stabilisation en République
Démocratique du Congo ne parvient pas à mettre fin aux conflits
qui gangrènent le pays, une mission budgétivore en raison de
l'effectif important de son personnel militaire et civile. Ces analyses mettent
l'accent sur le fait que les raisons de
6 France 24 - Entretien exclusif avec Felix
Tshisekedi, président de la RD Congo, le 29 juin 2019.
https://www.youtube.com/watch?v=KoGUsr0lXQY,
consulté le 23 mars 2021.
7 Article 39 de la Charte des Nations Unies.
7
l'inefficacité apparente de la Monusco est liée
à sa volonté manifeste de garder le statu quo dans la
région du Kivu. Il faudrait donc s'attendre à ce que les voix
s'élèvent à l'unisson pour réclamer le retrait
définitif de la mission des Nations Unies en République
Démocratique du Congo qui a montré ses limites dans sa vocation
de la construction de la paix. Bien au contraire, on constate des divergences
d'opinion sur le départ ou non de cette mission onusienne en
République Démocratique du Congo. Tandis qu'une partie de la
classe politique y compris certaines franges de la population réclament
le départ sans condition de la Monusco, d'autres par contre, estiment
que la construction de la paix en République Démocratique du
Congo ne peut être possible sans l'intervention des Nations Unies. Une
telle contradiction n'est-elle pas problématique ?
Hypothèses
Je propose d'analyser le rôle de la Mission de
l'Organisation des Nations Unie pour la stabilisation du Congo dans un contexte
marqué par les conflits et violences. Je cherche à explorer les
facteurs de prolongation et de reproduction des opérations de maintien
de la paix dans un environnement contestataire. Il s'agit de voir comment le
Conseil de Sécurité de l'ONU légitime le mandat de la
Monusco malgré les contestations locales. Pour y parvenir, je pars de
quelques hypothèses. Il convient de souligner tout d'abord que les
conflits et les violences qui rendent la paix impossible dans l'Est de la
République Démocratique du Congo depuis ces dernières
décennies ont pris place dans un contexte où les règles du
jeu politique étaient en plein bouleversement. La fin du régime
du président Mobutu en 1997 représentait la deuxième vague
d'un processus de changement politique amorcé à la
Conférence nationale souveraine qui avait remis en question les
règles du jeu politique. Cependant, ces règles n'étaient
pas remplacées en tout cas par un nouvel ordre structuré et
prévisible. Après ces événements, ils s'en suivront
la prise de pouvoir du président Laurent-Désiré Kabila, la
fin de la libération politique avec l'interdiction des partis
politiques, le déclenchement de la deuxième guerre du Congo,
l'assassinat du président Laurent-Désiré Kabila et
l'intronisation de son fils Joseph Kabila en 2001, les élections
contestées de 2006, 2011 et 2018. Ces différents
évènements expliquent que la RD Congo en tant qu'espace politique
et social se soit trouvé dans un « état d'urgence
»8 permanent peu propice à une
consolidation ou normalisation politique. Dans ce même ordre
d'idées, la contestation à l'égard de la Mission de
l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) dont je
fais état dans ce travail, ainsi que les
8 Pierre Englebert & Denis Tull, « Contestation,
négociation et représentation : L'État congolais au
quotidien », Politique africaine, 2013/1 n° 129, p. 5-22.
8
négociations autour de la présence de l'ONU dans
le pays pourraient être interprétées comme autant d'effets
d'une crise d'autorité et de légitimité qui conduit
à l'incertitude généralisée et à la
prolifération des conflits et violences. Le fait que tout soit
contesté et négocié suggère que les normes et les
règles se trouvent dans une phase de transition dont la fin n'est pas
encore prévisible. Le manque de clarté et
légitimité des normes et institutions, prolongé et
intensifié par une longue période de violence, est un facteur
fondamental pour comprendre l'ampleur des contestations et des négations
dans la RDC actuelle.
Je m'appuierai sur les concepts de contestation et de
légitimation débattues dans la théorie politique pour
éclairer mon argumentaire. Ces deux concepts étant
antithétiques et hautement contradictoires, je proposerai de les
étudier à partir du cadre onusien en République
Démocratique du Congo. J'entends par le terme contestation, à la
suite de Georges Lavau, toutes les manifestations d'agitation et de critiques
radicales à l'égard des institutions et des valeurs
établies « lorsque ces manifestation s'expriment en dehors des
cadre institutionnels d'opposition »9.
Mon intérêt sur la question de la présence
clivante de la mission des Nations Unies en République
Démocratique du Congo a commencé en 2018 lorsque les habitants de
Beni avaient incendié les locaux de la Monusco en leur demandant de
quitter le Kivu. Cet intérêt s'est renforcé avec
l'assassinat de l'Ambassadeur de l'Italie en République
Démocratique du Congo, de son garde du corps et son chauffeur congolais
alors qu'ils effectuaient un voyage humanitaire dans le cadre du programme
mondial pour la faim au Kivu le 22 février 2021. La mort de
l'Ambassadeur italien a suscité un vif émoi aussi bien sur la
scène nationale qu'internationale en réactivant la contestation
sur le rôle de la Monusco dans les zones à conflits. Dans mon
travail, je tenterai de faire une analyse de la structuration de la mission des
Nations Unies en République Démocratique du Congo en prenant en
compte la question de la domination sous le prisme de la promotion des droits
de l'homme et de la construction de la paix mondiale.
Définitions conceptuelles
a. Approche sémantique de la contestation
Le verbe « conteste » a le même radical latin
que protester « testis » qui signifie au sens juridique,
témoigner. Le premier sens du mot latin constatio est
judiciaire : c'est l'appel à un autre témoignage, c'est la
dénégation d'un témoignage ou d'une parole qui se donne
pour vraie. De ce point de vue, la contestation apparait donc
caractérisée par la récusation (comme on
9 George Lavau, La contestation politique, In Courrier
hebdomadaire du CRISP, 1970/15 (N°480) pages 1 à 21.
9
récuse un témoin), par la non-reconnaissance de
ce qui se donne pour représentation du vrai, par la mise en doute
radicale10.
Ces caractères font passer au second plan un autre
élément qui est aussi contenu dans la contestation mais y
apparait secondaire, à savoir le désaccord. C'est au contraire
cet élément qui est principal et même exclusif dans
l'opposition. S'opposer, c'est prendre une position inverse ou simplement
différente. Vue sous cet angle, le contestataire prend, lui aussi, du
moins dans la généralité des cas - une position
différente ou inverse de celle que tiennent ceux qu'il conteste ; mas il
peut aussi ne pas définir sa position par rapport à ses
adversaires car il refuse de partager de références communes avec
eux. Ce qu'il met en cause, c'est un lien quelconque qui le relierait à
ceux qu'il récuse. De plus, il y a dans la contestation, du moins dans
ses formes extrêmes et absolues, une volonté de passer à
l'infraction, une volonté de mettre en marge des normes acceptées
et des institutions. Elle s'expose à être
décrétée illégitime, mais seulement dans la mesure
où c'est elle-même qui commence par mettre en doute la
légitimité du système contesté11.
L'attitude « contestataire », si on essaie de la situer par rapport
à l'attitude « oppositionnelle » révèle soit un
stade antérieur à l'organisation systémique d'une
opposition, soit au contraire un stade postérieur à
l'organisation d'une telle opposition. Dans ce dernier cas, la contestation
constitue un désaveu de l'opposition jugée insuffisante ou
inopérante ; elle est un déplacement de
l'opposition12. Dans l'interprétation que propose Georges
Lavau de ce concept, il semble aller de soi que la contestation politique est
un stade plus radical ou plus élémentaire que l'opposition
politique, qu'elle n'obéit à aucune règle
conventionnelle.
b. Opposition, contestation, révolution
Les formes et les manifestions de la contestation
extrêmement variable et en général fort peu
systématisées ne permettent pas toujours de distinguer la
contestation de l'opposition ; d'autres plus que celle-ci peuvent aussi
revêtir des formes qui l'apparentent à la contestation. Il existe
plusieurs formes de contestation. Dans la contestation, on peut juxtaposer un
ensemble de manifestations et d'activités qui, même si elles
présentent une certaine unité, peuvent revêtir des formes
très différentes. En effet, l'usage de la violence civile
à titre d'exemple, est un des caractères possibles mais non
nécessaires de la contestation13. L'organisation collective
ne semble pas le critère qui distingue l'opposition politique de la
contestation. S'il est vrai qu'en
10 Ibid, p. 6.
11 Ibid.
12 Ibid., p.7.
13 Ibid.
10
pratique presque toutes les oppositions politiques supposent
et nécessitent une organisation collective, il n'est pas exact que la
contestation politique soit par nature, rebelle à l'organisation
collective et inévitablement individualiste.
La distinction que l'on peut établir entre l'opposition
et la contestation est que la première a pour but de se substituer aux
autorités en place en tant que structure du pouvoir, alors que la
contestation ne poursuivrait que le but platonique de la dénonciation de
la légitimité du système ou le but révolutionnaire
de la subversion de ce système. Mais cette distinction semble
limitée car il y a des oppositions qui, soient en raison de leur
faiblesse, soient en raison de leur radicalisme idéologique, ne peuvent
guère être crues lorsqu'elles prétendent se substituer aux
autorités en place. Quant aux mouvements de contestation, ils peuvent au
moins prétendre que leur refus de reconnaitre la
légitimité du système et de leurs actions pratiques
d'insoumission sont le moyen les plus sûr d'user ce système et de
provoquer son effondrement.
De ce point de vue, il y a certainement des
zones-frontières où certains types d'action peuvent relever aussi
bien, selon le point de vue où l'on se place, de l'opposition politique
de la contestation politique. Néanmoins, on peut trouver, un
critère distinctif de ces deux types d'action. Ce qui caractérise
l'opposition politique, c'est que - quelles que soient les motivations
profondes des opposants et quels que soient leurs buts plus ou moins
manifestes, elle est une action qui s'inscrit à l'intérieur des
structures du sous-système politique.
Ce qui fait la spécificité de la contestation et
qui nous concerne dans ce travail, c'est qu'elle déborde le cadre de
sous-système politique pour mettre en cause non seulement son ordre
normatif propre mais aussi les modèles culturels généraux
qui assurent la légitimité profonde du sous-système
politique. La contestation s'attaque au système qui a la plus grande
valeur « contrôlant ». C'est la raison pour laquelle toutes
contestations politiques débordent du terrain spécifiquement
politique et comporte aussi une « révolution culturelle
»14.
Une autre manière de comprendre l'attitude
contestataire, c'est de la mettre en parallèle avec l'attitude
révolutionnaire. Pour Alain Touraine, le refus peut conduire à la
contestation et à la lutte politique. Il résume donc la
différence entre la contestation et le projet révolutionnaire
comme étant des nouveaux problèmes : « de nouveaux
problèmes et de nouveaux conflits... ont fait irruption dans la vie
sociale de manière sauvage, sans théorie, sans partie, sans
politique »15. Le fond de l'argumentation tendant à
opposer « mouvement contestataire » et « mouvement
révolutionnaire » repose finalement sur cette idée qu'il ne
peut y avoir accès à la conscience révolutionnaire
qu'à la condition de dépasser le stade « primitif » du
refus de
14 Ibid.
15 Alain Touraine, Le mouvement de mai et le communication
utopique, p. 288, Cité par Georges Lavau, Op. Cit.
11
l'adaptation et de « l'intégration ». La
différence entre révolution et contestation parait plus
résider en une différence historique ou une divergence sur les
conceptions stratégiques à l'intérieur du même
phénomène, à savoir le phénomène
révolutionnaire. Ce qui n'implique pas du tout que les mouvements
contestataires que j'étudie dans ce mémoire aient une
efficacité révolutionnaire pratique comparable à celles
des mouvements révolutionnaires. L'ensemble des actions que l'on peut
grouper sous le nom contestataire, écrit Georges Lavau, ne sont rien
d'autres que des actions révolutionnaires qui, pour la première
fois depuis longtemps échappent à un modèle jusqu'alors
indiscuté qui était une certaine version de la pensée de
Marx, mais qui était surtout dérivé du schéma
léniniste. Pour lui, la contestation peut être in fine
comme étant « une action de protestation
véhémente, accompagnée ou non d'actes de violence, qui
méprise les moyens institutionnalisés de l'opposition politique
(lorsque ceux-ci sont disponibles), qui reproche à l'activité
d'opposition de facilité finalement la survie d'un système social
et politique répressif. De plus, c'est une action qui nie radicalement
la légitimité des modèles culturels les plus profonde et
les plus tacitement acceptés du système social, et qui cherche
à en faire éclater la véritable nature oppressive. Enfin,
elle vise non pas un simple changement politique, ni même à une
transformation ordonnée des structures économiques, mais à
une totale de l'être social de l'homme »16.
Structure du mémoire
L'architecture de ce travail sera tripartite. Dans la
première partie, il sera question de montrer comment la Monusco se
trouve à l'épreuve de la contestation (I). L'objectif de cette
partie étant de saisir la manière dont se construit les
rhétoriques contestataires aussi bien par les acteurs politiques que par
la société civile et les mouvements citoyens (A). Ces
rhétoriques contestataires sur la mission de l'ONU en République
Démocratique du Congo, comme je les montrerai, s'inscrivent dans le
prolongement de la contestation nationale comme modes de gestion politique.
Dans la deuxième partie, il sera question de comprendre
comment les conflits et les violences constituent un facteur aggravant de la
contestation à l'égard de la Monusco (II.). La complexité
à mettre en place un plan de résolution de conflit peut se
comprendre non seulement à travers les enjeux politiques mêmes de
ces conflits pour relever enfin les défis de la paix (A.), mais
également l'implication de plusieurs acteurs (B.).
La troisième partie cherchera à comprendre le
rôle de la Monusco dans la résolution des conflits en
République Démocratique du Congo (III.). Comment la Monusco,
malgré les
16 Georges Lavau, La contestation
politique, Op. Cit, p. 10.
12
contestations locales contre son intervention au Congo, met en
avant la promotion des Droits de l'Hommes et la protection des civiles comme
facteur de légitimation de son mandat (A.). Enfin, il sera question de
monter comment la recherche de la légitimation par le prisme de la
négociation toujours renouvelée permet à la Monusco de
passer d'une mission d'observation à une mission d'intervention en
mettant l'accent sur le concept de la coopération.
Méthodologie
Pour mener à bien cette recherche, la méthode de
mon travail a été une enquête sociologique. En effet,
l'enquête sociologique, écrit Serge Paugam, peut être
définie à partir de l'ensemble épistémologique
complet qui comprend la posture scientifique du chercheur, la construction de
l'objet, la définition des hypothèses, les modes d'objectivation,
la méthodologie d'enquête, les instruments d'analyse des
résultats et les formes d'écriture17
Dans cette enquête sociologique, j'ai utilisé une
démarche inductive. Le choix de cette approche se justifie du fait que
j'ai, d'abord, voulu commencer par collecter plusieurs matériaux de
recherche avant de formuler mes hypothèses. La difficulté
à faire le terrain au regard de la situation sanitaire liée au
covid19 et l'impossibilité d'accéder directement aux informations
de la Monusco ont totalement orienté ma démarche vers le choix
d'autres procédés, notamment la collection des documents et
d'archives en ligne. Quant à ces modalités d'accès aux
matériaux de recherche, je me suis spécifiquement basé non
seulement sur les rapports réguliers et officiels de l'ONU, mais
également sur les compte-rendu de l'actualité des Nations Unies
en République Démocratique du Congo. J'ai réussi à
faire la collection de différentes résolutions du Conseil de
Sécurité de l'ONU sur le mandat de la Monusco depuis 2010
jusqu'en 2020 en faisant un travail d'archive en ligne. En outre, j'ai
réalisé dix entretiens (en faisant usage des nouveaux moyens de
communications et technique d'information, notamment les appels
téléphones, les échanges sur le réseau social
WhatsApp) avec des officiers de l'Armée Congolaise à partir de
Beni et Goma qui participent aux opérations conjointes MONUSCO-FARDC.
Les résultats de mon enquête m'amènent
à la conclusion qu'il existe un malaise grandissant au sein de la
population congolaise sur rôle de la Monusco dans les conflits et
violences dans la région de l'Est de la République
démocratique du Congo. La multiplication des massacres des civils par
les rebelles à quelques mètres de postes de la Monusco, la
prolifération des groupes armés et l'insécurité
sont les facteurs qui augmentent la frustration et
17 Serge Paugam, Introduction - L'enquête
sociologique en vingt leçons. Dans L'enquête sociologique
(2012), pages 1 à 4.
13
la méfiance à l'égard de la Mission. Ce
climat de méfiance fait que la population, notamment à travers
les mouvements citoyens de la société civile considèrent
la Monusco comme étant complice aux massacres des civils. Cependant, du
côté des acteurs de la Monusco, cette campagne de diabolisation
contre la mission est une mauvaise appréhension du vrai rôle de la
Monusco qui se veut d'abord une mission pour la protection des civils et la
construction de la paix. Les frustrations accumulées du peuple ont
inéluctablement engendré la révolte et la contestation
à l'égard de la Monusco, réclamant dans le même coup
le retrait définitif de celle-ci.
Ma démarche a été réflexive. La
réflexivité m'a permis de rompre avec le sens commun, à
savoir les représentations partagées par les diverses composantes
de la société. Même si mon expérience personnelle et
mon vécu sont souvent déterminants dans ce travail, j'ai toujours
cherché à faire une distanciation par rapport au sens commun pour
garantir la scientificité de ma démarche. Par exemple, dans ma
note de recherche de Master 1 à travers lequel j'avais voulu comprendre
pour la première fois les soubassements des conflits à l'est du
Congo, il m'était arrivé de plonger dans le sens ou même
dans la passion en adoptant parfois une attitude militante plutôt que
scientifique. Ce qui n'est pas du tout le cas dans ce travail. Mon attitude par
rapport à mon objet d'étude en Master 2 est totalement
différente. Pour changer de paradigme, j'ai d'abord commencé par
prendre du recul face à mon objet d'étude, à questionner
ce qui me paraissait comme étant une évidence. Après cette
gymnastique de la distanciation avec mon objet d'étude, je me suis rendu
compte de la difficulté à travailler scientifiquement sur le
sujet sur lequel on est soi-même, du moins de manière
inconsciente, sujet et objet de recherche sans sombrer dans les
prétentions de jugement de valeurs, surtout lorsque je sais qu'un matin
je peux recevoir un coup de téléphone m'annonçant la mort
d'un des membres de ma famille. Ayant vu l'arrivée de la MONUC,
actuellement MONUSCO et ayant vécu avec elle depuis mon enfance, je
considérais celle-ci, peut-être à tort et à raison,
comme un sauveur qui sortirait le peuple congolais dans le gouffre de la
violence infernale. Cependant, en questionnant le fonctionnement de la
contestation à l'égard de la Monusco aujourd'hui, je me suis
interrogé sur les vraies motivations de la mission qui semblent aller de
soi comme la protection des civiles et la promotion des droits de l'homme. Tout
en reconstruisant la genèse les mouvements contestataires à
l'égard de la mission et les rhétoriques sous-jacentes, j'ai
cherché à comprendre comment les catégories des groupes
contestataires ont pu, au prix de la lutte sociale, imposer leur
légitimité. La démarche réflexive m'a servie
également lors de la réalisation des entretiens à avoir un
regard critique. Ce qui m'a permis de questionner mes données et de ne
pas leur accorder, comme dirait Serge Paugam, « une confiance aveugle
».
14
PREMIÈRE PARTIE :
LA MONUSCO À L'ÉPREUVE DE LA CONTESTATION
ET DE LA NÉGOCIATION
Introduction
Cette première partie se charge d'étudier la
manière dont se construit la rhétorique contestataire autour de
la présence de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en pour la
stabilisation du Congo. Je montrerai comment un tel discours conditionne les
rapports entre la Monusco d'une part, et les acteurs étatiques et non
étatiques (en l'occurrence les mouvements citoyens, les ONGs, la
Société civile) d'autre part. Pour y parvenir, j'étudierai
d'abord le concept de contestation dans son assertion politique en montrant
d'une part le contexte d'émergence de la contestation locale face
à la Monusco (A), et d'autre part comment la contestation constitue
l'une des modalités de la gestion politique en République
Démocratique du Congo (B).
A. CONTEXTE D'EMERGENCE DE LA CONTESTATION LOCALE
Comment s'est construit au fil du temps le discours
contestataire et hostile à la mission des Nations Unies en
République Démocratique du Congo ? Telle est la question à
laquelle ce point tentera de répondre. Dans l'interprétation que
propose Georges Lavau, il semble aller de soi que la contestation politique est
un stade plus radical ou plus élémentaire que l'opposition
politique, qu'elle n'obéit à aucune règle conventionnelle.
On se serait alors tenté d'en déduire que la marge qui
sépare la contestation de la révolte, de la rébellion, ou
de l'insoumission est mince. Il est cependant peut-être
prématuré d'aboutir à de telles conclusion car rien ne
prouve a priori que les conséquences pratiques de toute opposition,
même si elle reste canalisée dans des formes légales,
soient moins graves pour le fonctionnement du système politique que
celle de la contestation18. Deux formes de contestation contre la
Monusco méritent d'être d'étudiées. Il y a tout
d'abord la rhétorique contestataire développée par les
autorités politiques et étatiques ; il y a ensuite les
rhétoriques contestataires émergeant à travers les
mouvements citoyens. Cette deuxième forme de discours est parfois
marquée par la violence. Une fois ces
18 Georges Lavau, Op. Cit., La contestation
politique, In Courrier hebdomadaire du CRISP, 1970/15 (N°480) pages 1
à 21.
15
discours étudiés, nous poserons la question de
savoir si la Mission des Nations Unies en République Démocratique
du Congo est-elle une réussite, un échec ou si elle relève
d'une stratégie de domination.
1. Contestation de la Monusco par les autorités
étatiques
La rhétorique contestataire à l'égard de
la Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo
est souvent développée pendant des moments de guerres, de
débordement de violence y compris pendant la période
électorale (il s'agit précisément de la période
préélectorale, période électorale et poste
électorale). Très souvent, l'on constate qu'une telle
rhétorique est généralement utilisée par les
acteurs politiques, en l'occurrence ceux qui sont au pouvoir. Comme je l'ai
évoqué à l'introduction, l'an 2009 marque un moment
important du discours contestataire par les autorités
politico-étatiques du rôle de la Monusco sur ses engagements dans
les opérations de maintien de la paix. Le président Joseph Kabila
n'avait pas hésité de demander aux responsables de la Monuc
(actuellement Monusco) le retrait progressif des troupes des Casques Bleus
à échéance 2011. Cette demande du retrait de la Mission de
l'ONU en République démocratique du Congo s'inscrivait dans un
contexte préélectoral où le pouvoir de Kinshasa subissait
de grandes critiques aussi bien sur la scène nationale
qu'internationale. Au niveau la national, la population reprochait au pouvoir
de Kinshasa de manquer à ses responsabilités d'assurer la
sécurité de la population, notamment dans les régions de
Kivus et en Ituri. Rongé par des mouvements insurrectionnels et les
groupes armés, le pays était dans une forme d'instabilité
pérenne, la même instabilité s'est intensifiée au
cours des dernières années jusqu'à aujourd'hui. Dans le
31ème rapport de l'ONU du 30 mars 2010, rapport qui dresse le
bilan des actions de la mission onusienne en République
Démocratique du Congo, on peut lire ceci :
« Malgré les progrès importants
réalisés en 2010 dans le cadre des efforts déployés
pour tenir compte de la présence de groupes armés
étrangers et congolais dans l'Est de la RDC, ceux-ci ont continué
de constituer un danger pour la sécurité des civils et une source
d'instabilité générale dans les Kivus et dans certaines
parties de la province Orientales. Les Forces démocratiques de
libération du Rwanda (FDLR) ont continué de mener des attaques
des représailles contre les civiles. De plus, certains
éléments des organismes nationaux de sécurité ont
continué de commettre des graves violations de droits de l'homme...
»19.
19 Conseil de sécurité des
Nations Unie, Trente et unième rapport du Secrétaire
général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies en
République démocratique du Congo. S/2010/164.
16
Ce qui l'on constate à première vue dans ce
rapport, c'est qu'il revient sur le fait que l'insécurité dans le
Kivus et en Ituri demeure persistante. Il s'agit d'une insécurité
pérenne dans la mesure où plusieurs acteurs nationaux et
étrangers sèment la terreur au sein des populations locales et
que chaque jour l'on ne cesse de compter des morts. Parmi les acteurs qui
continuent à mener des attaques sporadiques contre les civiles, le
rapport de l'ONU cite les Forces démocratiques de libération du
Rwanda (FDLR) composés généralement des anciens
génocidaires des Tutsis. Il y a également l'Armée de
résistance du Seigneur (LRA) qui est un groupe composé des
rebelles ougandais qui persécutent les populations aussi bien en
République Démocratique du Congo qu'on Ouganda. Il y a en outre
les rebelles Maï-Maï généralement composés des
congolais se réclamant un groupe d'auto-défense contre les
milices étrangères. J'y reviendrai sur l'itinéraires de
ces acteurs dans la deuxième partie. Dans ce contexte
d'insécurité persistante, les responsables de l'ONU en
République Démocratique Congo soulignent que le souhait pour les
responsables politiques du pays de se débarrasser des Casques Bleus
avait un caractère prématuré. Le représentant
spécial de la Monusco encore Monuc en jusqu'en 2010, Ban Ki Moon mettait
en avant le caractère irréaliste des attentes des
autorités du Congo au regard de la situation stratégique à
l'intérieur du pays. Pour lui, un retrait trop rapide des troupes
onusiennes risquait de provoquer une résurgence de la violence,
susceptible d'anéantir tous les efforts consentis jusque-là par
la communauté internationale. Ces deux points de vue totalement aux
antipodes mettaient les autorités congolaises et la Mission de
l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation du Congo dans une forme
de tension. C'est dans ce cadre précis que va se développe la
rhétorique contestataire des responsables politiques congolais à
l'égard de la mission.
En effet, la rhétorique contestataire
développée par les autorités congolaises à
l'égard de la Monusco s'appuie sur le principe de la souveraineté
et de la non-ingérence. En convoquant la Charte de l'ONU, le pouvoir de
Kinshasa, extrêmement sensible à tout signe de tutelle
extérieure et évoquant volontiers le principe de
souveraineté, semble souvent sans appel. Cette contestation basée
sur le principe de la souveraineté de non-ingérence est parfois
accompagnée d'un appel au retrait de la Monusco à chaque fois que
le pouvoir entre en tension avec la Mission. Le discours contestataire du
président Kabila sur la présence des Casques Bleus en 2018
à l'Assemble générale de l'ONU montrant les
résultats largement mitigés sur le plan opérationnel de la
Monusco et réclamant le retrait de cette force multilatérale, est
ici éloquent pour le signaler. Le fait de demander aux forces onusiennes
de se retirer du territoire congolais permet de poser la question de savoir si
la confiance de l'État congolais en sa capacité à
gérer seul la situation sécuritaire sur base du principe de
souveraineté n'est-il pas à nos jours
17
problématiques au regard de l'instabilité
liée aux groupes armés et des milices insurrectionnelles. Il se
pose dans le même coup la question de la stratégie mise en place
pour mettre fin aux conflits et violences dans les Kivus et en Ituri. Le
contenue de la demande de retrait de la Monusco est-il en adéquation aux
particularités que présentent les multiples groupes armés
qui prolifèrent au regard de la logique de la contre-insurrection ? Il
s'agit ici de voir la nature de la réponse conjuguée de
l'État congolais et de la Monusco aux problèmes posés par
les différents groupes armés et les milices rebelles qui
continuent à semer la terreur et à la distiller la haine entre
les populations. Dans les paragraphes qui suivent, mon analyse se focalisera
particulièrement sur l'aspect politique et sécuritaire.
L'objectif étant de comprendre le contexte dans lequel émergent
les contestations politiques qui alimentent les tensions entre la Monusco et
l'État congolais.
1.1.La défiance permanente de l'État
congolais
Pour comprendre le cadre d'émergence de la
rhétorique contestataire sur la présence de l'ONU en
République Démocratique du Congo, il parait important de revenir
sur l'histoire politique du pays. En effet, plusieurs études sur la
République Démocratique du Congo associent la faiblesse de
l'État à son histoire politique. Ilinca Mathieu considère
l'État congolais comme étant « une institution
structurellement défaillante, dont la faiblesse est à la fois
cause et conséquence des défis qu'elle doit affronter
»20. Ceci étant, les aspirations de l'autonomie, de
l'autodétermination et les appétits de la sécession des
provinces qui ont pris aujourd'hui la forme de la balkanisation sont ici
remarquables pour le signaler. Comme on peut le voir dans le même ordre
d'idées, quelques jours après l'indépendant du Congo, la
province du Katanga proclamait déjà son indépendance,
suivi de la province du Kasaï. Ce qui marque les premiers coups de boutoir
à l'unité et à l'instabilité du Congo. Cette
première forme d'incertitude rendra nécessaire le
déploiement de la première opération de maintien de la
paix de l'ONU au Congo appelée ONUC21. Cependant, cette
mission onusienne ne règlera le problème que de façon
précaire, car les « deux guerres du Shaba » qui est l'actuel
Katanga de 1977 et 1978 obligeront le président
Joseph-Désiré Mobutu à se tourner vers la France et le
Maroc pour contrer l'intervention des ex-gendarmes katangais venus d'Angola
puis de la Zambie. Bien au-delà de ces tentatives de sécession
appuyées par des forces étrangères, le Congo, écrit
Ilinca Mathieu,
20 Cfr. Ilinca Mathieu, La contre-insurrection en
République démocratique du Congo : Le défi des «
forces négatives », ESKA / « Sécurité
globale », 2010/4 N°14/ pages 97 à 110.
21 Ibid.
18
« est également un État politiquement
fragilisé de l'intérieur »22, notamment avec
l'instauration du parti unique de Mobutu qui contraint l'opposition à la
clandestinité, ce qui occasionnera le recours des opposants aux armes.
Dépassé par les événements, l'impossibilité
de Kinshasa à asseoir son autorité sur les provinces les plus
éloignées de la capitale a permis aux différentes milices
insurgées de tirer un revenu substantiel, prolongeant par voie de
conséquence leur résistance. Les richesses de ces provinces font
également état de convoitise et sont la cible d'attaques
étrangères directes, en l'occurrence l'illustre trafic des
minerais organisé par le Rwanda et l'Ouganda dans les provinces du Kivu.
Ces richesses ont également largement motivé (bien au-delà
des enjeux politiques et sécuritaires), l'engagement militaire de ces
derniers dans les deux grandes guerres du Congo entre 1996 et 1997 puis entre
1998-2002, (je reviendrai de façon explicite à cet aspect dans la
deuxième partie en abordant le Rwanda et l'Ouganda comme acteurs
essentiels dans le conflits congolais). Cette forme de prédation
économique va prendre enfin de compte une forme indirecte par le biais
des contrats léonins imposés à l'État congolais par
des compagnie liées aux élites du Zimbabwe, de la Namibie ou de
l'Angola, en échange de leur soutien politique et
militaire23. On peut donc comprendre par ici comment
l'ingérence étrangère devient un facteur aggravant de
l'affaissement de l'État congolais. Cette ingérence
étrangère est devenue une donnée permanente dans
l'histoire politique de la République démocratique du Congo.
En 1990, le contexte politique étant radicalement
modifié avec la venue du multipartisme, notamment face au poids
grandissant de l'opposition qui, jadis vivait dans la clandestinité et
l'ampleur des troubles sécuritaires causés par différentes
milices, a permis la tenue d'une Conférence nationale souveraine.
Conférence qui sera convoquée précisément en 1991
dans le but de jeter les bases d'une transition démocratique. Celle-ci
aura cependant du mal à se mettre en place car le présidente
Mobutu entravera le processus en retardant les élections, tirant ainsi
profit du contexte trouble du génocide des Tutsi qui va
générer des flux migratoires dans les provinces du Kivu. Avec
l'arrivée de Laurent-Désiré Kabila, soutenu par l'Ouganda
et le Rwanda, l'Alliance des Force démocratique pour la
libération (AFDL) accélérera la chute du président
Mobutu en mai 1997 au terme de la première guerre du Congo. Cette
deuxième forme d'instabilité permettra également aux
Nations Unies d'avoir un regard attentif à la situation politique en
République démocratique du Congo. Voilà pourquoi une
nouvelle opération pour le maintien de la paix sera mise en place par
l'ONU en république démocratique du Congo.
22 Ibid.
23 Ibid., p. 99.
19
1.2. L'ONU face à l'instabilité en RD
Congo
Il me parait important dans ce sous point de rappeler le
contexte dans lequel l'ONU intervient en République démocratique
du Congo. En effet, après les événements du
génocide au Rwanda en 1944, près de 1,2 million de Hutus dont
certains avaient pris part aux massacres, ont fui vers le Nord-Kivu et le
Sud-Kivu qui sont les deux provinces limitrophes situées à l'Est
de la République démocratique du Congo et peuplées par
d'autres ethnies, en l'occurrence des Tutsis24 que l'on appelle
plutôt les populations rwandophones. Deux ans plus tard après le
génocide rwandais, une insurrection dans la région du Kivu a
conduit en 1996 à des affrontements entre les forces dirigées par
Laurent-Désiré Kabila et l'armée du Zaïre du
président Mobutu Sese Seko. Dans ce contexte de tension persistante, les
forces de Laurent-Désiré Kabila, soutenues par le Rwanda et
l'Ouganda se sont donc emparées de la capitale Kinshasa en 1997. Du
coup, le pays sera rebaptisé République démocratique du
Congo.
Une année après la prise de pouvoir par
Laurent-Désiré Kabila, un soulèvement contre le
gouvernement va éclater dans les Kivus en 1998. Du coup, les rebelles
occuperont une importante partie du pays. Tandis que l'Angola, la Namibie, le
Tchad et le Zimbabwe proposent un soutien militaire au président Kabila,
le rebelles conservèrent leur emprise sur les provinces Orientales. Le
Rwanda et l'Ouganda soutiendront quant à eux le mouvement rebelle,
à savoir le Rassemblement congolais pour la
démocratie25. C'est dans cette perspective que le Conseil de
sécurité va demander un cessez-le-feu tout en exigeant le retrait
des forces étrangères et exhortant les États à ne
pas intervenir dans les affaires intérieures qui concernent la
République démocratique du Congo. Cette intervention onusienne
sera couronnée par la signature de l'accord de Lusaka en juillet
1999.
En effet, après l'accord de cessez-le-feu de Lusaka
entre la République démocratique du Congo et les cinq pays qui en
avaient pris part à cette guerre que je viens d'énumérer
précédemment, le Conseil de sécurité de l'ONU
créa, par la Résolution 1279 du 30 nombre 199926, la
Mission de l'Organisation de Nations Unies en République
Démocratique du Congo (Monuc). Cette Résolution, tout en
réaffirmant d'abord la souveraineté, l'intégrité
territoriale et l'indépendance politique de la République
démocratique du Congo et tous les États de la région ;
elle réaffirme également que l'accord de cessez-le-feu de Lusaka
(S/1999/815) représente la base la plus visible pour la
résolution du conflit en République démocratique du
24 Cfr. Nations Unies, Paix, dignité et
égalité sur une planète saine.
https://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/background.shtml,
consulté le 26 avril 2021.
25 Ibid.
26 Nations Unies, S/RES/1279 (1999), 30 novembre
1999.
20
Congo et note que le rôle de l'Organisation des Nations
Unies est appelé à jouer pour le respect de cessez-le-feu. Au
paragraphe 2 de cette résolution 1279 (1999), le Conseil de
sécurité souligne « qu'une véritable
réconciliation nationale doit constituer un processus suivi, encourage
tous les Congolais à participer au dialogue national qui doit être
organisé en coopération avec l'Organisation de l'unité
africaine (OUA) et demande à toutes les parties congolaises et l'OUA de
se mettre d'accord sur le médiateur du dialogue national
»27.
Avec l'intervention des Nations-Unies, la République
démocratique du Congo va vivre ses premières élections
libres le 30 juillet 2006. À l'occasion de ses élections
historiques organisées dans le pays en 46 ans, le peuple congolais sur
l'ensemble du territoire choisit les 500 représentants
(députés) de l'Assemblée nationale. Ces élections,
notamment l'élection présidentielle, seront marquées par
des contestations. À l'issue du deuxième tour de
l'élection présidentielle tenue le 29 octobre 2006, et du
règlement de la contestation électorale, Joseph Kabila est
proclamé président de la République démocratique du
Congo. D'ailleurs les experts de l'ONU estiment que de toutes les
élections que les Nations Unies ont organisées, celles de 2006 en
République démocratique du Congo ont été parmi les
plus complexes28. Voilà pourquoi, après les
élections et conformément aux résolutions du Conseil de
sécurité, la Mission est restée sur le terrain pour
continuer à s'acquitter de multiples tâches d'ordre purement
politique, militaire, ou relatives à l'état de droit et au
renforcement des capacités, notamment le règlement des conflits
en cours dans un certain nombre de provinces de la République
Démocratique du Congo.
Par la résolution 1925 (2010), le Conseil de
sécurité rebaptise la Monuc Mission de l'Organisation des Nations
Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo
(Monusco) pour tenir compte de la l'entrée du pays dans une nouvelle
phase. À travers cette résolution, le Conseil décide que
la Monusco comprendrait, en sus des composantes civile, judiciaire et
pénitentiaire appropriées, un effectif maximal de 19 815 soldats,
760 observateurs militaires, 391 fonctionnaires de polices et 1 050 membres
d'unités de police constituées29. Cette
résolution reconnait l'importance de soutenir les efforts de
consolidation de la paix pour raffermir et faire avancer la stabilisation du
pays et insiste sur la nécessité d'un appui international
continue pour assurer le lancement des activités de relèvement
rapide et poser les bases d'un développement. Dans ce texte, le Conseil
souligne le fait qu'il existe une connexion entre l'exploitation et les
commerces illicites des ressources naturelles et que la prolifération
et
27 S/RES/1279 (1999).
28 Nations Unies, Paix, dignité et
égalité sur une planète saine, Op. Cit.
29 S/RES/1925 (2010), paragraphe 2.
21
le trafic des armes est l'un des principaux facteurs qui
alimentent et exacerbent les conflits dans la région des Grands
Lacs30. Au regard de l'instabilité toujours grandissante, le
Conseil, en agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte de Nations Unies
31, décide au premier point de ladite résolution de
proroger jusqu'au 30 juin 2010 le mandat de la Mission de l'Organisation des
Nations Unies en République démocratique du Congo (Monuc) et dans
le même coup, il décide également, puisque la
République démocratique du Congo est entrée dans ce qu'on
appelle « nouvelle phase politique », que la Mission s'appellera
à partir du 1er juillet 2010 « Mission de l'Organisation
des Nations Unies pour la stabilisation en République
démocratique du Congo » ou « Monusco »32. Il
s'agit donc de cette mission qui sera soumise à l'épreuve de la
critique et de la contestation. Dans le mandat de la Monusco tel que
défini au paragraphe 12 de la résolution 1925 (2010), le Conseil
insiste sur deux ordres de priorité, à savoir la protection des
civiles d'une part, et d'autre part la stabilisation et la consolidation de la
paix.
Par la protection des civiles, il s'agit bien évidement
d'assurer la protection des civiles, y compris le personnel humanitaire et le
personnel chargé de défendre le droit de l'homme, se trouvant
sous la menace imminente de violences physiques, en particulier de violences
qui seraient le fait de l'une de quelconque des parties au
conflits33. La protection des civiles passe également par le
fait d'assurer la protection du personnel et des locaux, des installations et
du matériel de Nations Unies. La protection des civils se comprend aussi
dans le sens de soutenir l'action que mène le Gouvernement de la
République Démocratique du Congo pour protéger les civils
contre les violentions du droit international humanitaire et des droits de
l'homme, y compris toute les formes de violence sexuelle et sexiste, pour ainsi
promouvoir et protéger le droit de l'homme et pour lutter contre
l'impunité, y compris en appliquant sa politique de «
tolérance zéro » en ce qui concerne les manquements à
la discipline et les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire
commis par des éléments des forces de sécurité, en
particulier qui y sont nouvellement intégrés34.
En parlant de stabilisation et consolidation de la paix, il
s'agit d'abord de soutenir en étroit coopération avec les autres
acteurs internationaux, l'action que mène les autorités
30 Cfr. Nations-Unies, S/RES/1925 (2010).
31 Chartes de l'ONU, Fait à San Francisco le vingt-six
juin mil neuf cent quarante-cinq. Le Chapitre VII dit à l'article 39 que
« Le conseil de Sécurité statue l'existence d'une menace
contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des
recommandations ou décide quelles mesures seront prise
conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la
paix et la sécurité internationale.
32 S/RES/1925 (2010).
33 Ibid.
34 Cfr. S/RES/1925 (2010).
22
congolaises pour renforcer et réformer les institutions
de sécurité et l'appareil judiciaire. Ensuite, et
conformément à la législation pertinente sur la
réforme des Forces Armées de la République
démocratique du Congo et au plan de réforme de l'armée
présenté en janvier 2010, aider le gouvernement congolais, de
concert avec les partenaires internationaux et bilatéraux, à
renforcer ses capacités militaires, y compris la justice militaire et la
police militaire, notamment en harmonisant les activités menées
et en facilitant l'échange d'information et de données
d'expérience, et si le gouvernement congolais en fait la demande, aider
à former les bataillons de FARDC et de la police militaire, soutenir les
institutions de justice militaire et mobiliser les donateurs afin qu'ils
fournissent le matériel et les autres ressources
nécessaires35. Un autre aspect important qu'il faut souligner
dans le mandat de stabilisation et de consolidation de la paix consiste
à appuyer la réforme engagée par le Gouvernement de la
République Démocratique du Congo, notamment en disposant une
formation au bataillon de la Police nationale congolaise et en mobilisant les
donateurs afin qu'ils apportent des fournitures de base, en rappelant que les
autorités congolaises doivent d'urgence adopter un cadre juridique
approprié. Comme on peut voir dans cette résolution, compte tenu
de la nécessité pressante de la lutte contre l'exploitation et le
commerce illicites des ressources naturelles, le conseil donne à la
Monusco la responsabilité d'appuyer l'action que mène le
gouvernement congolais et de renforcer ses capacités, de concert avec
les partenaires internationaux et les pays voisins, pour empêcher qu'un
appui ne soit apporté aux groupes armés, en particulier
grâce au produit d'activités économiques illicites et du
commerce illicite des ressources naturelles, et renforcer et évaluer
avec le Gouvernement congolais le projet expérimental de création
dans le Nord-Kivu et Sud-Kivu de cinq comptoirs regroupant tous les services
d'État concernés en vue d'améliorer la
traçabilité de mirerais. Je reviendrai sur cet aspect dans la
troisième partie lorsque j'aborderai le concept de « minerais du
sang » qui devient une nouvelle théorie politique.
Dans la dynamique de cette intervention, le Conseil
décide que la Monusco comprendrait, en sus des composantes civile,
judiciaire et pénitentiaire appropriées, un effectif maximal de
19 815 soldats, 760 observateurs militaires, 391 fonctionnaires de police et 1
050 membres d'unité de police constituée36. Ces
chiffres n'étant pas définitifs, les reconfigurations de la
Monusco sont souvent en fonction de l'évolution de la situation sur le
terrain, en particulier de l'achèvement des opérations militaires
en cours dans le Kivu et dans la province Orientale, de l'amélioration
des moyens dont dispose le gouvernement congolais pour protéger
efficacement la population, et du renforcement de l'autorité de
l'État sur l'ensemble du
35 Ibid.
36 Cfr Nations Unies, Paix, dignité
et égalité sur une planète saine. Op. Cit.
23
territoire national. Aujourd'hui, face aux mouvements
contestataires exigeant le retrait de cette Mission au motif de son
inefficacité à protéger les civils, le plafond des
effectifs en uniforme de la Monusco est de 14 000 membres du personnel
militaire, 660 observateurs et officiers d'état-major, 591 policiers, et
1 050 membres des unités de police constituées. Un
déploiement temporaire d'un maximum de 360 membres d'unité de
police constituées est également autorisé à
condition qu'ils soient déployés en remplacement du personnel
militaire37.
Malgré les efforts réalisés par les
Nations Unies que je viens d'évoquer dans les lignes
précédentes depuis qu'une opération de maintien de la paix
a été établie et que la situation semble être dans
plusieurs régions du pays stable, l'Est de la République
Démocratique du Congo est depuis plus de deux décennies en proie
à des vagues de conflits récurrentes, à des crises
humanitaires chroniques et à des violations graves des droits de
l'homme. Le cycle de violence est, à nos jours, entretenu par la
présence persistance de groupes armées aussi bien congolais
qu'étrangers profitant du vide sécuritaire qui caractérise
l'Est du pays, l'exploitation illégale des ressources,
l'ingérence des pays voisins, que j'évoquerai dans la
deuxième partie, l'impunité généralisée, des
affrontements intercommunautaires, l'incapacité de l'armée et de
la police nationale de protéger de manière efficace les civils et
le territoire, y compris le maintien de l'ordre. On se poserait ainsi la
question de savoir quel rôle joue la Monusco face à la
récurrence des violences ?
En effet, dans le souci de s'atteler aux causes profondes du
conflits et de garantir le maintien de la paix dans le pays et dans l'ensemble
de la région des Grands Lacs, un accord-cadre pour la paix, la
sécurité et la coopération pour la République
démocratique du Congo a été signé par les
représentants de 11 pays de la région, les Présidents de
l'Union africaine, la Conférence internationales sur la régions
des Grands Lacs, la Communauté de développement de l'Afrique
australe et le Secrétaire général de l'Organisation des
Nations Unies, le 24 février 2013 à Addis-Abeba. D'ailleurs le
paragraphe 2 de cet accord montre que « l'Est de la République
démocratique du Congo continue de subie des cycles de conflits
récurrents et des violences persistantes de la part des groupes
armés tant nationaux qu'internationaux »38. Et le texte
poursuit au paragraphe 3 que les conséquences de cette violence ont
été plus que dévastatrice. Des actes des violence sexuelle
et de graves violations des droits de l'homme sont utilisés
régulièrement et quotidiennement comme des armes de guerre. Le
nombre de personnes déplacées figure parmi les plus au monde et
tourne de façon persistante autour de 2 millions de
37 ONU Info, RDC : le mandat de la MONUSCO prorogé
d'un an. 19 décembre 2020.
https://news.un.org/fr/story/2020/12/1084982,
Consulté le 27 avril 2021.
38 Nations Unies, S/2013/131.
24
personnes. La mise en oeuvre du programme national de
reconstruction, de réforme du secteur de la sécurité et
d'éradication de la pauvreté est constamment
interrompue39. L'accord termine par un paragraphe qui fait de la
Monusco une partie de la solution dans le problème du Congo : « ...
la Monusco fera partie de la solution, et continuera à travailler en
étroite collaboration avec le Gouvernement de la République
démocratique du Congo »40. Si nous partons du fait que
la Monusco est l'une de partie fondamentale de la résolution des
conflits en République démocratique du Congo, il parait donc
logique que la population lui demande des actions efficaces pour
l'éradication des conflits et violences dans le pays. C'est dans cette
perspective que la brigade d'intervention de la Monusco mérite tout son
sens.
En effet, le Conseil de sécurité adopta le 28
mars 2013 la résolution 2098 dans l'optique de soutenir l'Accord-cadre
pour la paix, la sécurité et la coopération pour la
République démocratique du Congo et dans la toute la
région des grands Lacs. Cette résolution est une réponse
à l'appel lancé par les Gouvernements des grands Lacs. Il y a
lieu de remarquer ici que la résolution 2098 prorogeait jusqu'au 31 mars
2014 le mandat de la Monusco tout en créant une brigade d'intervention
pour renforcer les opérations de maintien de la paix. Cette
résolution s'inscrit dans le cadre des recommandations contenue dans le
rapport spécial du 27 février 2013. Ce rapport spécial du
Secrétaire général de l'ONU41
présenté au Conseil de sécurité, expose la
situation d'ensemble et les conséquences régionales de la crise
survenue dans l'Est de la République démocratique du Congo. Il
contient également des recommandations pour une action régionale
collective et intégrée visant à enrayer le cycle de la
violence. Le Secrétaire général propose dans ce rapport un
ensemble de mesure à prendre au niveau national et régional et
formule des recommandations sur l'appui de la communauté internationale,
tout en préconisant notamment l'intensification de l'action politique de
Nations Unies et le renforcement de la Monusco. Au chapitre IV dudit rapport,
il est proposé qu'une brigade d'intervention spéciale relevant de
la Monusco soit établie pour une période initiale d'un an.
Opérant sous le commandement opérationnel direct du commandant de
la Monusco et aux côtés d'autres brigades dans l'Est de la
République démocratique du Congo, la brigade d'intervention,
parallèlement a réalisé des programmes de
désarmement, démobilisation et réintégration et de
désarmement, démobilisation, réintégration et
rapatriement. Elle a exercé des fonctions d'imposition de la paix
consistant à empêcher l'expansion des groupes armés, les
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Nations Unies, Rapport spécial du Secrétaire
général sur la République démocratique du Congo et
la région des Grands Lacs, 27 février 2013. S/2013/19.
25
neutraliser et les désarmer42. Du coup, on
pourrait dire que les interventions de cette brigade viseraient à
créer des conditions propices à la restauration de
l'autorité de l'État et à l'établissement d'une
stabilité durable.
Cependant, au regard l'insécurité grandissante
à l'Est du pays et compte tenu du rapport du Secrétaire
général de l'ONU, le Conseil de sécurité, par sa
résolution 2147 du 28 mars 2014 prorogeât jusqu'au 31 mars 2015 le
mandat de la Monusco et de sa brigade d'intervention à titre exception
et sans créer de précédent ni sans préjudice des
principes de maintien de la paix. Cette résolution 2147 (2014) note
qu'une stratégie de retrait clairement défini s'impose, y compris
pour la Bridage d'intervention, et décide que les reconfigurations
futures de la Monusco et de son mandat seront en fonction de l'évolution
de la situation sur le terrain et, dans le contexte de la mise en oeuvre par le
gouvernement de la République démocratique du Congo et tous les
signataire de l'accord-cadre des progrès vers la réalisation des
objectifs suivants, conformément aux trois priorités
énoncées dans le concept stratégique, à savoir la
protection des civiles, la stabilisation et l'appuis à la mise en oeuvre
de l'accord-cadre. Le conseil autorise la Monusco, en vue d'atteindre les
objectifs énoncés au paragraphe 3, à prendre les mesures
nécessaires pour s'acquitter des taches que sont la protection de
civils, la neutralisation des groupes armés par la Brigade
d'intervention, la surveillance de la mise en oeuvre de l'embargo sur les
armes, l'appui aux procédures judiciaires nationales et
internationales43. Cependant, ce que l'on constate aujourd'hui,
c'est que malgré les stratégies mises en place par le Conseil de
sécurité pour la protection des civils, la situation
sécuritaire demeure précaire et problématique à
l'Est du pays et en Ituri. Ce sentiment de l'inefficacité de la Monusco
a fait augmenter ces dernières années les constatations au sein
des populations à l'intérieur et à l'extérieur du
pays. Ces mouvements contestataires, parfois accompagnés de violence et
réclamant le retrait des Casques bleus, s'intensifient aux jours les
jours. Je propose ainsi de montrer dans les lignes qui suivent les formes de
contestation à l'égard de la Mission par les mouvements de la
société civiles.
42 S/2013/119*.
43 Cfr. S/RES/2147 (2014).
26
2. Contestation de la Monusco par la population :
Société civile, Mouvements citoyens
Les mobilisations des mouvements contestataires à
l'égard de la Monusco deviennent de plus en plus nombreuses en
République démocratique du Congo. Depuis 2010 les manifestations
contre « l'inaction » des forces onusiennes ont pris une proportion
forte au sein de la société civile mais également dans les
communautés diasporiques de la République démocratique du
Congo. Jadis, apanage des acteurs politiques qui cherchaient à
s'éterniser au pouvoir en s'en prenant aux responsables de la mission
qui leurs exigeaient le respect des principes démocratiques, notamment
l'alternance au sommet de l'État, aujourd'hui la contestation contre la
Monusco est devenue le combat des mouvements citoyens, de la diaspora
congolaise, généralement pilotés par des jeunes. Ces
contestations trouvent leur source de légitimation sur ce que certains
chercheurs appellent « l'inefficacité de la Monusco ». Ces
mouvements contestataires qui se mobilisent contre l'incapacité de la
force onusienne à mettre fin aux massacres des civiles à l'Est de
la République démocratique du Congo ont pris ces dernières
années une proportion nationale alors qu'au départ, ils
étaient beaucoup plus visibles à l'Est du pays. Si les
manifestions organisées contre la Monusco sont d'abord des
manifestations pacifiques, elles dégénèrent très
souvent par la violence ou même par l'extrême violence.
En effet, la contestation autour de Mission de l'ONU au
République démocratique du Congo est né par ce que l'on
pourrait appeler la crise d'autorité de la Monusco. Par autorité,
je n'entends pas seulement des personnes titulaires de statuts, mais de
façon plus générale tous ceux que l'on doit croire, comme
écrit Georges Lavau, parce qu'ils font autorité en tant que
représentation du vrai. De ce point de vue, la contestation nait ici de
ce que les autorités n'ont plus de signification : on leur adresse le
défi de faire la preuve de leur fidélité à leur
propre principe et leur mission qui est premièrement celle de la
protection de civils comme décrit à l'alinéa i) du
paragraphe 29 de la résolution 2502 (2019) et appuyer la stabilisation
et le renforcement des institutions de l'État en République
démocratique du Congo ainsi que les principes de la gouvernance et de la
sécurité, comme décrit à l'alinéa ii) du
paragraphe 29 de la même résolution44. Parlant de la
croyance en l'autorité, Michel de Certeau écrit : « pour
être crues, les autorités doivent être
vérifiées et qu'elles n'ont de légitimité que par
les adhésions qu'elles reçoivent et les participations dont elles
bénéficient »45. Commençant parfois par
une manifestation banale, la perte de confiance dans les autorités de la
Mission de l'Organisation
44 Cfr. Nations-Unies, S/RES/2502 (2019).
45 Michel de Certeau, Les révolutions du croyable, Esprit,
Février, 1969, pp. 190-202.
27
des Nations Unies pour la stabilisation du Congo s'est
convertie en contestation lorsque les autorités onusiennes auxquelles la
population avait d'abord fait confiance étaient
précisément celles qui paraissaient les mieux qualifiées
pour mettre réellement en ouvre les valeurs politiques auxquelles sont
attachés les contestataires, à savoir le retour de la paix dans
le Kivu et l'instauration d'un État de droit et démocratique.
En effet, la mort des civils tués par les rebelles ADF
à quelques mètres des forces onusiennes a été un
facteur aggravant de la contestation à l'égard de la Monusco. Le
22 novembre 2019, la Monusco faisait face à une contestation populaire
d'une grande envergure dans le Nord-Kivu qui s'est rependu dans d'autres
grandes villes du pays, notamment à Kinshasa. Quelques jours plus tard,
le 25 nombre, un des camps de la Monusco à Beni, notamment dans le
quartier de Boikene avait été détruit et incendié
par des manifestants qui l'accusent de passivité et de complicité
lors des massacres des civils. D'ailleurs le Baromètre
sécuritaire du Kivu (KST) avait recensé la mort d'au moins 123
civiles du fait des groupes armée depuis le 5 nombre sur le territoire
de Beni46. Plusieurs sources attribuent la majorité de ces
exactions aux rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF),
considérés comme un groupe islamique. Dans son compte-rendu du 27
novembre 2019, l'ONU attribue plusieurs attaques contre les civils au ADF :
« Nous tenons à réaffirmer que nous ne sommes ni
résignés ni indifférents aux terribles agissement de ADF.
14 attaques attribuées aux ADF et 80 morts depuis le 30 octobre : cette
situation est inacceptable et nous tenons à redire que la Monusco
comprend la colère et la frustration de la population et fait tout son
possible, en collaboration avec les FARDC et la PNC, pour limiter les atteintes
contre les populations civiles »47. Ces propos tenus par les
responsables de l'ONU s'inscrivent dans le cadre d'une manifestation
marquée d'extrêmes violences où l'on voit s'établir
le rapport de force entre les forces onusiennes et les manifestants dans lequel
on avait enregistré des morts aussi bien du côté des
manifestants que du côté des Forces armées congolaises.
Dans ces affrontements d'extrêmes violences, un jeune homme avait
été tué dans un échange avec les Casques bleus
alors qu'il s'apprêtait, selon le compte-rendu de la Monusco, de lancer
un cocktail molotov. Cet épisode avait d'ailleurs contribué
encore à la radicalisation de la contestation. Celle-ci a même
gagné plus du terrain en s'exportant dans d'autres grandes villes du
pays où des rassemblements ont été organisés par
des mouvement citoyens tels que la Lucha, à Goma et Kinshasa scandant
des
46 KIVU Security Tracker, La Monusco
peut-elle réellement quitter la RDC, KST on december 6, 2019.
https://blog.kivusecurity.org/fr/la-monusco-peut-elle-reellement-quitter-la-rdc/,
consulté le 29 avril 2021.
47 Organisation des Nations Unies,
Compte-rendu de l'actualité des Nations Unies en RDC à la
date du 27
novembre 2019.
https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/compte- rendu_de_lactualite_des_nations_unies_en_rdc_a_la_date_du_27_novembre_2019_final.pdf.
28
pancartes qui appellent au « dégagisme » de
la Monusco, si elle n'était pas capable d'agir contre les massacres. Les
images en annexe témoignent de la colère des manifestants.
Ces différentes images montrent combien la confiance
des congolais dans les capacités de la Mission à assurer la
sécurité des civils s'est en réalité
érodé. Elles rappellent un malaise profond et le sentiment de
méfiance contre la Monusco. Cette crise de confiance survient au moment
où les discussions sur l'avenir de la Mission était au
siège de Nations-Unies autour du nouveau mandat qui était
adopté à la fin de compte en décembre. Dans ce climat
morose, le Conseil de sécurité n'avait renouvelé le mandat
de la Monusco que pour neuf mois (Résolution 2502 (2019)), alors
qu'habillement, les mandats de la mission dans d'autres résolutions sont
d'une durée de douze mois. Ce mandat, le Conseil de
sécurité le prenait comme un moment de transition. Dans son
intervention au le Conseil de sécurité lors de renouvellement du
mandat de la Monusco, le Ministre français de l'Europe et des Affaires
Étrangères, Monsieur Jean-Yves Le Drian déclarait : «
Le mandat qui vient d'être adopté marque tout d'abord une
transition. Ce délai de 9 mois laissera le temps au Secrétariat
d'effectuer une revue statistique de la mission, dans l'objectif de
bénéficier d'une meilleure compréhension des enjeux et des
besoins et d'adapter le mandat de la mission
»48. Dans l'entre-temps, une revue
stratégique de la mission a été conduite par le diplomate
tunisienne. Dans son rapport, Yossef Mohamoud préconisait le retrait de
la Monusco dans un délai de trois ans. Ce rapport souligne « offrir
une analyse indépendante des défis et opportunités en RDC
et sur la pertinence du mandat de la Monusco ». Il contient
également « des paramètres pour assurer une transition
responsable et efficace, indépendamment de considérations
financières, de préférences institutionnelles ou
d'intérêts géopolitiques
»49. Cependant un tel retrait ne peut
être envisageable que dans le meilleur scénario, à savoir
si le gouvernement congolais prend le relais au fur et à mesure des
missions assurées par la Monusco. Le rapport établit ainsi trois
types de repères et d'indicateurs devant guider une telle transition. Il
s'agit des repères fondamentaux sur lesquels la mission a un
contrôle, des indicateurs sur la paix et la sécurité
dépendant des parties locales, et des lignes rouges qui pourraient
amener l'ONU à suspendre son désengagement.
Face aux contestations grandissantes à l'égard
de la Monusco, contestation qui génèrent très souvent les
violences, les points de vue divergent. Certains, y compris quelques membres
48 Mission permanente de la France auprès des Nations
Unies à New York. Représentation permanente de la France,
Renouvèlement du manda de la Monusco. Intervention de M. Jean-Yves
Le Drian, Ministre de l'Europe et des Affaires Étrangère.
Conseil de sécurité - 29 mars 2019.
https://onu.delegfrance.org/Le-Conseil-de-securite-renouvelle-le-mandat-de-la-MONUSCO,
Consulté le 30 avril 2021.
49 Jeune Afrique, RDC : un rapport de l'ONU propose un
retrait des casques bleus sur trois ans, publié le 06 novembre
2019.
https://www.jeuneafrique.com/852338/politique/rdc-un-rapport-de-lonu-propose-un-retrait-des-casques-bleus-sur-trois-ans/,
consulté le 30 avril 2021.
29
de la mission sont démoralisés tant ils ont
l'impression de devenir des boucs émissaires. Ceux qui soutiennent ce
point de vue estiment que la Monusco n'est pas à l'origine de la
nouvelle spinale de violences. Et le fait de « s'attaquer aux
installations de la Monusco, s'attaquer aux bâtiments institutionnels, ne
fait qu'affaiblir la lutte contre ce groupe et contre les autres groupes
armés »50. Dans une
conférence de presse au palais de la Nation le 29 avril 2021 à
Kinshasa, le président Félix-Antoine Tshisekedi, affirmait contre
les contestations à l'égard de la Monusco ceci :
« A propos de la Monusco, je crois que les jeunes
gens sont emportés par les émotions d'une part, et d'autres part,
je suppose qu'il y quelque part de la manipulation des adultes. La Monusco est
venue en partenaire en RDC pour nous aider à éradiquer les
violences, à stabiliser le pays et surtout à protéger les
populations... Mais ce n'est pas la Monusco qui est responsable de ces
violences. Cette violence est aveugle, elle est lâche, elle est
sournoise. On ne la voit pas venir. Et ce n'est pas la Monusco qui la suscite.
Et donc vous devez comprendre que la Monusco est là pour nous
accompagner dans les efforts que nous fournissons
»51.
Ce propos du président de la République, tenu
dans un contexte où la contestation avait atteint le monde scolaire,
notamment les écoliers qui manifestaient pour réclamer non
seulement le retour de la paix à Beni mais également le
départ de la Monusco, permet de poser la question de la source de
violence. Pour le président de la République, les manifestations
contestataires à l'égard de la Monusco relèvent non
seulement d'un sentiment de frustration mais également de la
manipulation de la catégorie sociale des jeunes par adultes. Cependant,
de mon point de vue, ses propos relèvent de l'ordre de la croyance et de
la supposition parce qu'il utilise le verbe « croire » d'une part,
d'autre part le verbe « supposer ». Ce qui plane le doute sur les
sources de la violence avec comme objectif le dédouanement de la Monusco
en vue redorer l'image de celle-ci afin renforcer sa légitimité.
Si la Monusco est le partenaire privilégié de la
République démocratique du Congo comme l'affirme le
président Félix-Antoine Tshisekedi dans son discours et que sa
mission est celle d'aider l'État congolais à éradiquer la
violence, à stabiliser le pays et à protéger les civils,
pourquoi les mouvements citoyens et contestataires s'en
50 Organisation des Nations Unies, Compte-rendu de
l'actualité des Nations unies en RDC à la date du 27 novembre
2019. Op. Cit.
51 Radio Okapi, Félix Tshisekedi : « La
MONUSCO est venue en RDC pour nous aider à éradiquer les
violences et à stabiliser le pays », publié le 29 avril
2021.
https://www.radiookapi.net/2021/04/29/actualite/securite/felix-tshisekedi-la-monusco-est-venue-en-rdc-pour-nous-aider-eradiquer,
Consulté le 01 mai 2021.
30
prennent-ils à la Mission ? Dans quel but ces
mouvements contestataires auraient-ils chercher à attiser
l'hostilité contre la Monusco ?
Il y a lieu de remarquer ici que le fait de faire de la
Monusco le centre des critiques pourrait faire passer au second plan la
responsabilité de l'État congolais qui est le premier responsable
de la sécurité de la population. Ensuite, la plupart des
responsables de l'armée congolaise entretiennent des rapports de
méfiances avec les Casques bleus. Dans l'un de mes entretiens
réalisés avec deux officiers militaires de la FARDC, l'un d'eux
n'hésitait pas de dire : « Mon cher, même si aujourd'hui
les relations semblent être au bon fixe avec le gens de la Monusco
à travers les opérations conjointes que nous menons, nos
relations demeurent compliquées. Normalement, certaines attaques des ADF
contre les civils pouvaient être anticipées si nous actions
étaient coordonnées et si les casques bleus étaient
là uniquement pour nous soutenir, mais malheureusement cela n'est
toujours pas le cas... ». Pourtant dans une enquête
réalisée par Hans Hoebeke, Jair Van Der Linje, Tim Glawion et
Nikki De Zwaan, on peut lire que la population locale a
généralement critiqué la Monusco affirmant que même
lorsque la Monusco est présente et prévenue d'un incident par un
réseau d'alerte précoce, une réaction dans le temps est
hautement improbable52. Dans cette étude, les auteurs
reprennent les propos d'un responsable de Rutanga sur l'inaction de la Monusco
: « personnellement, je ne vois pas ce que fait la Monusco. Son
rôle est censé être de protéger la population, mais
nous mourrons en sa présence. Et lorsque nous demandons de l'aide, elle
arrive 30 minutes ou une heure après le départ de l'ennemi
»53. Le climat de méfiance qui s'est
installée au sein des institutions en charge de mettre fin à
l'insécurité ne favorise pas l'opérationnalisation du
maintien de la paix et la protection de civils qui est l'une des deux
priorités principielles de la Monusco avec le soutien aux institutions
congolaises. Parfois les troupes sur le terrain, rappelle un officier de
l'armée congolaise, ne semblent pas « s'adapter en
réalité dans le territoire de Beni ». De l'autre
côté, les Casques bleus affirment que la question de
l'insécurité à l'est de la République
démocratique est due à l'impossibilité des hauts
responsables de l'armée congolaise à y mettre terme, car souvent
impliqués dans l'exploitation des matière
premières54. Du coup, l'extrême violence à l'Est
de la République démocratique du Congo est, selon le
président Tshisekedi, le fruit de la « sournoiserie » et de
« l'aveuglement ». Cette violence est de l'ordre
52 Cfr. Hans Hoebeke, Jair Van Der Lijn, Tim Glawion et Nikki
De Zwaan, Garantir la stabilité légitime en RDC :
Hypothèses extérieurs et perspectives locales. Étude
politique, In Sipri, Stockholm international peace researche
institute, Septembre 2019.
https://www.sipri.org/sites/default/files/2020- 01/garantir_la_stabilite_legitime_en_rdc.pdf,
Consulté le 03 mais 2021.
53 Agent de l'État de plus de 55 ans, Rutanga, traduction
des auteurs. In Op. Cit.
54 Jeune Afrique, RDC : faut-il en finir avec la Monusco ?
Publié le 23 juillet 2019.
https://www.jeuneafrique.com/mag/806091/politique/rdc-faut-il-en-finir-avec-la-monusco/
31
de l'inattendu parce qu'on ne la voit pas venir. Alors comment
doit-on parler d'une violence imprévisible alors même qu'elle est
devenue depuis des décennies une normalité ? Si la contestation
contre la Monusco est-elle aveugle, peut-on estimer qu'elle constitue l'une des
modalités de la gestion politique en République
démocratique du Congo ? Telles sont les questions auxquelles je tenterai
de répondre dans le point sous dessous.
B. LA CONTESTATION COMME MODES DE GESTION POLITIQUE EN
RD CONGO
Je pars d'un constat très contrastant : Tout porte
à croire que la République démocratique du Congo est en
perpétuel mouvement contestataire. Parfois on n'arrive pas à
faire la différence entre le haut et le bas. Une telle ambivalence fait
penser comme écrivent Pierre Englebert et Denis Tull, que « la
certitude n'est pas de mise au Congo »55. Dans cette
perspective, je montrerai dans ce point comment la contestation contre la
Monusco peut-elle s'inscrire dans la logique des modalités de la
politique en République Démocratique du Congo. Cette contestation
comme modes de gestion politique passe par la résistance à la
gouvernances locale. Ce qui fait que la Monusco soit
régulièrement dans un processus de négociation et en
quête de légitimation permanente.
1. Régime de contestation et gouvernance
locale
Depuis plus de dix ans, la résistance contre la Mission
des Nations-Unies pour la stabilisation de la République
démocratique du Congo a pris de proportions variables. En effet, les
contestations à l'égard de la Mission s'inscrivent dans un
contexte local marqué par l'instabilité politique et
l'incertitude sociale. La pérennité des violences depuis le
début des années 1990 à l'Est du pays, traduisent la
routinisation du phénomène des mobilisations contestataire
parfois marqué d'extrême violences et même
militarisés. Les multiples recompositions politiques, notamment le
changement de régime, accords de paix, disparation et
réapparition des groupes armés, vagues d'intégration des
belligérants dans l'armées nationales ou régulière
n'ont fait que nourrir l'incertitude. D'ailleurs cette situation a fait l'objet
d'une attention particulière de la part des chercheurs. Si certains
s'attarder sur l'interprétation mobilisant les théories
économiques des conflits et la notion d'États
faillis56. D'autres sont
55 Pierre Englebert, Denis Tull, Contestation,
négociation et résidence : L'État congolais au
quotidien, Karthala / « Politique africaine », 2013/1 N°
129, pages 5 à 22.
56 Cette interprétation est développée
par les chercheurs comme Timothy Raeymaekers, Ken Menkhaus, Koen Vlassenroot,
« States and Nonstate Regulation in African Protracted Crises : Governance
without Governance »,
32
attentifs aux contextes locaux dans lesquels ces mobilisations
interviennent en mettant l'accent sur les antagonismes intercommunautaires
relatif à la question foncière que j'aborderai dans la
deuxième partie, et aux enjeux de pouvoir qui y sont
inséparables57. Ces études avancent l'argument de la
marginalisation sociale et économique d'une frange considérable
de la jeunesse. Du coup, l'engagement au sein des structures combattantes
pourrait traduire une volonté de contester l'ordre sociale et de
renégocier la place occupée à son sein58. Il y
a également des chercheurs qui mettent parallèlement en
lumière le rôle des accords de paix et des processus erratique
d'intégration des ex-belligérant qui en découlent dans la
reproduction de ces mobilisation59. D'autres enfin,
s'intéressent à l'architecture sociale sous-jacente aux groupes
armés tout en soulignant la diversité de leurs réseaux
dans ces mobilisations violentes60. Dans une récente
étude, à la différence des autres chercheurs, Mehdi Belaid
s'intéresse plutôt aux trajectoires des acteurs de violence en se
basant sur la sociologie des mobilisations militantes61. Toutes ces
études permettent de comprendre le paysage socio-politique dans lequel
les contestations contre la Monusco s'enracinent.
Ce cadre socio-politique permet de saisir l'essentiel du
politique congolais marqué par sa complexité. Le cycle de
violence sans arrêt dans les provinces du Kivu, la violation continue des
droits de l'homme, l'échec de la réforme du secteur
sécuritaire, les intimidations et les répressions
étatiques, ajouté à cela l'effritement du processus de
démocratisations, sont des signes qui rappelle la persistance de la
crise. Ce malaise sociétal occasionne la contestation susceptible de
générer de la violence.
Le régime de contestation trouve son point
d'irréversibilité lors des guerres de 19961997 et de 1998-2002,
même si on se demander comme estiment Pierre Engelebert et Denis Tull,
« si cette périodisation et cette césure entre les deux
guerres ne devrait pas être abandonnée pour parler d'un conflit
unique »62. La violence insurrectionnelle en 2012 à
l'initiative du groupe Mouvement du 23 mars (M23) qui est
l'émanation de l'ancien CNDP rappelle les formes
Afrika Focus, 21 (2), 2008, p. 7-22 ; Roland Marchal,
Christine Messiant, « De l'avidité des rebelles. L'analyse
économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique
internationale, 16, 2002, p. 58-69.
57 Pour ce courant de pensée, on peut citer
Séverine Autesserre, The trouble with the Congo: Local violence and
the Failure of International Peacebuilding, Cambridge, Cambridge
University, 2010.
58 Cfr. K. Vlassenroot, « Négocier et contester
l'ordre public dans l'Est de la RDC », Politique africaine, 111,
2008, p.44-68.
59 Cfr. Maria Eriksonn Baaz, Judith Verweijen, « The
Volatility of a Half-Cooked Bouillabaisses: Rebel-Military Integration and
Conflict Dynamics in the Eastern DRC», African Affairs, 112
(449), 2013, p. 563-582.
60 Jason Strearns, « Repenser la crise au Kivu :
mobilisation armée et logique du gouvernement de transition »,
Politique africaine, 129, 2013, p. 23-48.
61 Mehdi Belaid, « Les mobilisations armées
à l'Est de la République démocratique du Congo : Dynamique
sociales d'une pratique ordinaire », Critique internationale,
2019/1 N°82, p. 31-49.
62 Pierre Englebert & Denis Tull, « Contestation,
négociation et résistance : L'État congolais au quotidien
», Politique africaine, 2013/1 N°129, p. 5-22.
33
de contestations violentes. Pendant ce temps, la Monusco s'est
avérée incapable de jouer un rôle autre que
marginal63. Dans l'entre-temps, on recense un nombre important de
groupes armés, milices ou alliés du gouvernement qui contestaient
le pouvoir en place et demandaient l'accès à l'emploi public, la
reconnaissance de droits fonciers, l'accès aux minerais et leur trafic,
les défenses de communauté locales et l'hostilité aux
étrangers. Ces mouvements contestataires et parfois insurrectionnels
naissent, grandissent, se divisent, disparaissent pour enfin du compte
réapparaitre sous d'autres formes.
Dans cette perspective, Jason Stearns illustre la logique
interne de l'usage de la contestation violente parmi les groupes armés.
Il montre par exemple que la décision d'appartenir à ces
mouvements violents tels que le CNDP, le mouvement hutu Pareco ou la
milice Maï-Maï Raia Mutomboki, n'est pas simplement le
résultat de grief locaux ou de la fameuse « malédiction des
ressources »64. Cette violence est plus largement en rapport
avec la capacité de mobilisation sociale de ces groupes. Pour comprendre
une telle mobilisation, il est nécessaire de saisir la manière
dont ces groupes s'insèrent dans la société, que ce soit
par des réseaux sociaux, par opportunisme, ou par alliance avec divers
politiciens. Il s'agit ici d'une conception de la violence imposée aux
sociétés locales par les combattants eux-mêmes. En
revanche, Pierre Englebert et Denis Tull conceptualisent la logique locale de
la violence et sa participation à une panoplie plus large de types de
rapports sociaux65. Dans un contexte politique toujours
contesté, le fait de pouvoir mobiliser des acteurs armés semble
présenter un atout. Cette violence est aussi un moyen de communication
et de négociation pour rééquilibrer les rapports de force
dans les configurations politiques. Ce qui permet aux contestataires,
écrit Waal, de s'intégrer dans le systèmes politique en
dehors duquel les opportunités sociales et économiques sont
rares66. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on peut dire que
l'Est du pays n'a pas le monopole de la contestation mais une
réalité nationale. Malgré l'intervention des forces
onusiennes, la République démocratique du Congo n'a pas
été pacifiée au sens propre du terme après les
élections de 2006. Des violences et confrontations ont eu lieu dans
diverses provinces de la république, notamment au Bas-Congo en
2007-2008, le grand Équateur en 2009, au Katanga il y a de la violence
presque chaque année, dans le grand Bandundu en 2010,
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Pierre Englebert & Denis Tull, «
Contestation, négociation et résistance : L'État congolais
au quotidien », Op. Cit. p. 13.
66 A. de Waal, « Mission without End?
Peacekeeping in the Africa Political Marketplace», International
Affairs, Vol. 85, n° 1, Janvier 2009, p. 99-113.
34
à Kinshasa en 2011, dans le grand Kasaï en
2017-2018 et tout récemment à Beni jusqu'à nos jours.
Bien au-delà de la violence, la contestation fait
également le quotidien de la classe politique congolaise. Les
élections de 2006 ont été marquée par des grandes
contestations. Celles de 2011 ont été également
contestées et hautement controversée. En 2018, la
République démocratique du Congo a connu aussi un moment
électoral avec des résultats extrêmement contestés.
Comme on peut le remarquer, la République démocratique du Congo
sort régulièrement de chaque période électorale
sous le choc, difficile jusqu'alors de réparer les déchirures
sociales et la pénurie de la confiance engendrée dans
différents scrutins.
Au regard de ce qui précède, il reste donc
à s'interroger sur les vraies causes de ces contestations qui sont quasi
permanentes. Sont-elles la résultante de l'instabilité
l'insécurités grandissante ou de dynamiques historiques de plus
long terme ? Sont-elles dans la continuité des logiques et pratiques
politiques sur lesquelles repose l'État congolais à travers les
mécanismes de négociation ?
2. Processus de négociation et de
légitimation de la Monusco
Si en 1999 le regard de la population sur la Mission de
l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en République
Démocratique du Congo a été bienveillant jusqu'en 2006
avec l'organisation des premières élections dites
démocratiques dans le pays après une longue période de
guerres et d'incertitude politique, il n'en est pas pour autant durant la
dernière décennie. Confrontée généralement
à des contestations manifestes au regard l'instabilité à
l'Est de la République Démocratique du Congo, la Monusco a
tenté à plusieurs reprises de réaliser sa mission par
défit. Parfois imposé par le Conseil de sécurité
contre la volonté de la population et parfois des responsables
politiques du pays, la Monusco a chaque fois réussi à s'imposer
comme acteur majeur dans la résolution des conflits et violences en
République Démocratique du Congo.
Depuis 2010 jusqu'en 2020, toutes les résolutions
votées par le Conseil de sécurité pour le prolongement du
mandat de la Monusco, convergent vers un processus de légitimation de la
mission malgré les contestations locales toujours grandissantes.
À travers les négociations entre le Conseil de
sécurité et l'État congolais, ces résolutions
généralement votées à l'unanimité par les
membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et avec le
consentement de l'État congolais, sont les premières sources de
légitimation globale des opérations de l'ONU en République
Démocratique du Congo.
35
En effet, les dernières années du
Président Joseph Kabila à la tête de la République
démocratique du Congo ont été un moment de tension avec la
Monusco. Ces années ont été un véritable moment de
frustration pour la communauté internationale, y compris en particulier
pour la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en
République démocratique du Congo. A l'occasion du 20 anniversaire
de la Monusco, le président Donald Trump cherchait à mettre en
avant le coût d'une des plus grandes missions de maintien de la paix de
l'ONU. Dans ce contexte particulier, marqué par les contestations
locales et les manifestations parfois violentes contre la Monusco, la mission a
vu sa présence se réduire au cours des dernières
années. L'examen stratégique indépendant que j'ai
souligné précédemment a pu montrer les modalités et
les conditions de retrait des Casques bleus en République
Démocratique du Congo. Le personnel local de l'ONU et la présence
de la communauté internationale dans son ensemble s'est concentré
sur cette examen. Ce qui a permis d'éclairer la réflexion du
Secrétariat des Nations Unies à New York et constitué un
facteur influent de la décision du Conseil de Sécurité
avec le vote de la résolution 2502 (2019) qui avait prorogé pour
neuf mois le mandat de la Monusco. Parallèlement, le président
Tshisekedi, au lendemain de son élection à la tête du pays
et sa prise de fonction les 24 janvier 2019, réclamait comme nous
l'avons souligné, que la Monusco devrait rester en place en tant
partenaire privilégié pour le rétablissement de la paix
à l'est de la République démocratique du Congo. Cette
position qui renforce la légitimité de la Monusco a
été réitérée lors des grandes manifestations
des mouvements citoyens comme la Lucha et les élèves qui se
mobilisait pour les manifestions contre « l'inaction de la Monusco ».
Ce soutien à la mission, venu du sommet de l'État est un signe
incontestable de la légitimation de la Monusco.
Pourtant en 2016, la tension entre la Monusco et le
président Joseph Kabila était saisissante. L'expiration du
dernier mandat de celui-ci ne faisait que renforcer cette tension. Un diplomate
souligne même que « Kabila craignait que les forces de la Monusco
puissent être utilisées contre lui, comme celles de l'Onuci l'ont
été contre l'Ivoirien Laurent Gbagbo »67. Ce
climat de tension a été encore renforcée en 2017 avec la
mort de deux experts de l'ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, puis l'attaque
de la base de Samuliki à l'Est du pays. Au sein de la mission, comme
écrit Pierre Boisselet, plusieurs cadres ont vu dans ces violences
contre les acteurs de la Monusco, le spectre d'un avertissement adressé
par le service de renseignements congolais68.
67 Jeune Afrique, RDC : faut-il finit avec la Monusco ?
Op. Cit.
https://www.jeuneafrique.com/mag/806091/politique/rdc-faut-il-en-finir-avec-la-monusco/,
consulté le 5 mai 2021.
68 Ibid.
36
En outre, les autorités congolaises, en se basant sur
l'argument de la souveraineté avait en tout cas refusé que la
Monusco les aide dans l'organisation du scrutin de décembre de 2018.
Paradoxalement, le retrait de la Monusco du territoire
congolais vivement souhaité par le président Joseph Kabila a
été remise en question par son successeur, le président
Félix-Antoine Tshisekedi. À son arrivée au pouvoir, on a
vu à plusieurs reprise la représentante de l'ONU en
République démocratique du Congo, rencontrer le nouveau
président Tshisekedi. Pour celui-ci, la présence des Casques
bleus est importante et même rassurante au regard de la situation
sécuritaire dont la maitrise de l'armée ne semble pas
évidente. Dans une interview à Jeune Afrique, un de ses
conseiller affirmait : « Nous avons dit à la Monusco que nous
avions encore besoin d'elle. Mais nous avons demandé que ses troupes
soient relocalisées là où elles sont le plus utile,
c'est-à-dire dans l'Est, et qu'elles soient renforcées pour
être plus efficaces »69. Ces divergences
des perceptions et même contradictoires sur le rôle de la Monusco
par les responsables étatiques permettent à l'ONU de rejouer les
cartes de la négociation sur la présence de la Monusco. Le
changement de position entre Joseph Kabila et Felix Tshisekedi est
éminemment stratégique et politique. Politiquement parlant, ayant
été élu président de la République
Démocratique du Congo dans un processus électoral entaché
des multiples irrégularités et des plusieurs contestations aussi
bien au plan local qu'au plan international, contestations qui ont fait
soulever la question de sa légitimé à la tête pays,
le rapprochement du président Felix Tshisekedi avec la Monusco ne peut
paraître qu'un élément essentiel de la lutte pour la
reconnaissance dans l'optique de construire (par tous les moyens -
diplomatiques et politiques) sa légitimité sur la scène
internationale. Stratégiquement parlant, le Président Tshisekedi
ne pouvait que renégocier avec la Monusco car l'avenir de la
majorité issue de la coalition qui s'est malheureusement effritée
après plusieurs mois de cohabitation impossible ; les modalités
d'organisation des prochaines élections en 2023 (étant
donné que plusieurs parties qui forment le corps politique congolais ne
parviennent pas à s'entendre sur l'organisation des prochaines
élections), sont autant d'éléments sur
éléments sur lesquels le nouveau régime ne pouvait que
s'appuyer dans l'objectif d'avoir un soutien international. D'où l'enjeu
de la négociation avec la Monusco. Cette négociation permanente
sur le mandat et le rôle de la Monusco permet également à
l'ONU d'adapter sa stratégie sur l'opérationnalisation de la
mission. Il n'est pas étonnant de voir comment la Monusco a
adapté sa stratégie à aux recommandations formulées
depuis longtemps ainsi qu'au coupes budgétaires décidées
à New York en fermant certaines des bases militaires pour mettre en
place des détachement plus
69
https://www.jeuneafrique.com/mag/806091/politique/rdc-faut-il-en-finir-avec-la-monusco/
mobiles, de 50 à 100 hommes. Dans le rapport portant
sur le budget de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la
stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) pour
l'exercice allant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 (exercice
2019/20), le montant s'élève à 1 023 267 600 dollars
américains70. Ceci étant, tout porte à penser
qu'aussi longtemps que les violences demeurent et que les civils ne seront pas
protégés, les contestations contre la mission risqueraient de
s'intensifier.
Conclusion
L'objectif de cette première partie était
d'étudier la manière avec laquelle la Monusco fait face à
l'épreuve de la contestation. En identifiant le contexte
d'émergence de la rhétorique contestataire, nous retiendrons que
celle-ci se construit à travers deux modèles. Le première
modèle est celui qui s'est développé par les responsables
politiques et détenteurs du pouvoir autoritaire. Pour se maintenir au
pour, les acteurs politiques développent le discours contestataire
à l'égard de la mission qui leurs rappellent le respect des
principes démocratiques. Le deuxième modèle
émergeant de la rhétorique contestataire est celui qui
réunit les différents groupes de la société civile
qui dénoncent l'opacité du rôle de la Monusco dans les
massacres sporadiques et régulières des civils à l'Est du
pays. Ce deuxième modèle du discours contestataire est souvent
marqué par des manifestions parfois violentes et les affrontements lors
des grandes mobilisations contre la présence de la Monusco.
Il importe de retenir aussi que ces rhétoriques
contestataires s'inscrivent dans le prolongement de la contestation nationale
qui constitue l'une des modalités de la gestion politique en
République démocratique du Congo. Par conséquent,
l'intensification des contestations à l'égard de la Monusco
dépend de la manière avec laquelle celle-ci protège les
civils. Les massacres des civils au regard passif des casques bleus ne
serait-il le facteur aggravant de la contestation ? Telle est la question
à laque la deuxième partie de ce travail tentera de
répondre.
37
70 Nation Unie, A/73/816.
https://undocs.org/fr/A/73/816.
38
DEUXIÈME PARTIE :
CONFLITS ET VIOLENCES COMME FACTEUR AGGRAVANT DE LA
CONTESTATION
Introduction
Il ne se passe pas une semaine à l'Est du Congo sans
qu'on entende parler d'une situation conflictuelle susceptible de germer la
violence. Celle-ci parait parfois comme une banalité et un moyen de
servie. Dans cette deuxième partie, je pars d'un fait que la Monusco a
pris, au cours des années, des formes très diverses et
complémentaires. Ce constat rejoint ce que Alexendra Novosseloff
développe dans un état des lieux qu'elle fait sur l'engagement de
l'ONU en Afrique71. Dans le cadre de la République
Démocratique du Congo, les opérations de la Monusco sont
multidimensionnelles. Le travail de Novosseloff basé sur les plusieurs
missions de terrain et les rapports du Groupe d'experts documentent le
rôle de médiation des envoyés spéciaux, le
rôle des agences humanitaires et le travail de la commission de
consolidation de la paix à l'égard de certains États
sortant de crise72.
Dans le contexte congolais, je montrerai comment les conflits
et les violences constituent un facteurs aggravant de la contestation à
l'égard de la Monusco et paradoxalement comment celle-ci est souvent
tiraillée entre le désir d'intégrer dans son action les
perspectives locales d'une part, et d'autre part comment elle se voit obliger
de respecter les exigences libérales de maintien de la paix
tracées par l'ONU. Pour comprendre ce paradoxe, j'étudierai au
point (A) les enjeux politiques des conflits au regard des défis de la
paix. Au point (B) de cette partie, j'évoquerai, les acteurs de ces
conflits afin de saisir la complexité de la question de de la paix en
République Démocratique du Congo.
A. ENJEUX POLITIQUES DE CONFLITS ET DEFIS DE LA
PAIX
Au travers des enjeux de conflits, nous tenterons de les
saisir par les facteurs structurels à long terme. Les enjeux de ces
conflits permettent de comprendre comment sont développées les
violences armées dans la sécurisation de frontières. Il
sera aussi question de voir comment sont fabriquées les normes qui
régissent la problématique de la sécurisation
foncière.
71 Alexandra Novosseloff, Engagement de l'ONU en Afrique :
Un état des lieux, Comité d'études de Défense
National / « Revue Défense Nationale », 2016/7 N° 792,
pages 105 à 109.
72 Ibid.
39
1. Enjeux de conflits à l'Est de la RD Congo
Les conflits et violences qui affectent la République
Démocratique du Congo sont liés à plusieurs enjeux. Roland
Pourtier étudie ces conflits à partir des enjeux miniers. Il
souligne trois raisons principales qui sont à la base de conflits
surtout dans le Nord et le Sud-Kivu73. La première raison est
directement est celle de la terre. L'est du Congo est une région de
hautes terres qui est très convoitée en raison de son aptitude
agro-pastorale. C'est un espace qui a plusieurs horsts et volcans. La
deuxième raison est celle de la proximité ou ce que j'appellerai
voisinage. Il s'agit en fait de territoires qui ont été
entraînés dans ce que Pourtier appelle « la guerre des Grands
Lacs par un phénomène mécanique de proximité
»74. Étant proche du Rwanda, ces régions n'ont
pas résisté à l'exportation des conflits rwandais qui ont
conduit au génocide des Tutsis. La troisième raison est celle des
mines. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu sont des régions où il existe
plusieurs mines. Ces ressources minières ont été
exploitées depuis l'époque coloniale et elles ont
été fortement valorisées par le « boom du tantale au
tournant du militaire : la columbo-tantalite (« coltan »)
»75. Il s'agit donc d'un minerai qui est devenu
stratégique depuis l'explosion du téléphone portable dont
le tantale est l'un des composants irremplaçables76.
À partir de ces trois raisons, il y a lieu de constater
le caractère multidimensionnel des enjeux de conflits dans les
régions du Kivu. Ce qui alimente la guerre à l'est du pays c'est
bien précisément la conjugaison de ces différents enjeux.
Du coup, la résolution des conflits devient complexe. Plutôt que
de parler de « guerres de ressources » comme certains le pensent,
Roland Pourtier ainsi que Philippe De Billon, cherchent plutôt à
comprendre cette multiplicité de violences et conflits. Pour Philippe De
Billon, le contrôle des ressources, de leurs territoires et des
réseaux de commercialisation influencent les stratégies des
groupes armés, le déroulement des conflits et leur
résolution. Toutefois pour lui, qualifier ces conflits de « guerres
de ressources » motivées par la cupidité de combattants est
simplificateur. Il faudrait plutôt prendre en compte autant
d'éléments majeurs, notamment les intérêts
commerciaux des étrangers, le contexte de dépendance
vis-à-vis des matières premières, débouchant
parfois sur « une déliquescence des États
»77. En effet, l'importance du contrôle de ressources,
écrit
73 Roland Pourtier, « Les enjeux minier de la guerre au
Kivu », in Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde,
Armand Colin, 2016, p. 249 à 261.
74 Ibid., p. 250.
75 Ibid.
76 Ibid.
77 Cfr. Philippe Le Billon, « Matières
premières, violences et conflits armées », in Revue
Tiers Monde, Armand Colin, 2003/2 n°174, pages 297 à 321.
40
Philippe Le Billon, a souvent eu un impact direct sur les
zones de déploiement et l'intensité des groupes
armés78. Pour lui, le groupes rebelles cherchent à
établir des bases solides ou des zones de forte insécurité
dans les régions de production ou sur les itinéraires de
transport. Dans ce sens, les troupes du gouvernement essayent de manière
générale d'empêcher ceci par des mesures de
contre-insurrection à l'encontre des populations civiles qui sont
déplacées vers des zones de regroupements sous surveillance. Dans
la plupart des cas, malheureusement, les troupes du gouvernement s'associent au
pillage. Un des rapports des experts de l'ONU, connu sous le nom « Rapport
Mapping »79 qui traitent de crimes de violation de droits de
l'Homme et de crimes contre l'humanité commis en République
Démocratique du Congo aborde cette problématique. Il y a parfois
une ambiguïté dans l'effet global des ressources naturelles.
Plutôt que de servir au bien-être de la population, les ressources
minières à l'est de la République Démocratique du
Congo servent plutôt à l'intensification des confrontations au
niveau des zones économiques. Comme écrit Philippe De Billon,
« si les revenus de ces ressources permettent d'augmenter l'armement
et le recrutement des groupent armés, le peu d'affrontement opposant les
belligérants reflète parfois paradoxalement leurs
préoccupations commerciales »80. Dans cette
perspective, on a parfois l'impression que dans les conflits qui rongent la
République Démocratique du Congo, les différents acteurs
qui tirent profit de la situation ne souhaiteraient changer le statu
quo.
Pour Roland Pourtier, l'évaluation de l'impact des
enjeux miniers sur les conflits en République Démocratique du
Congo ne peut s'apprécier qu'à partir d'un contexte. En effet,
à l'Est de la RDC, « la guerre - qui pour être dite de
`'basse intensité» n'en est pas moins très destructrice -
s'est installée dans la durée parce qu'elle traduit des tensions
structurelles extrêmement fortes »81. Pour parler des
enjeux des conflits à l'Est du Congo, Jean-Claude Willame82
parle du paradigme de la « salle climatisée » et de la «
véranda ». Ces termes sont évoqués pour
désigner les deux lieux de pouvoir où se discute, se donne
à voir et se gère le conflit du Kivu. Il entend par la «
salle climatisée » le site symbolique du pouvoir officiel, à
savoir des chancelleries et des conférences internationales. Par la
véranda, il fait l'analogie avec le site des rencontres et du pouvoir
informels. Du coup, il soumet l'instabilité liée à la
guerre
78 Ibid., p. 309.
79 Nations Unies, Rapport du projet Mapping concernant les
violations les plus graves de droits de l'homme et du droit international
humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la
République démocratique du Congo, Août 2010.
80 Philippe Le Billon, « Matières premières,
violences et conflits armés », Op. Cit., p. 309.
81 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au
Kivu », Op. Cit. p. 2049-250.
82 Cfr. Jean-Claude Willame, « La guerre du Kivu. Vue de
la salle climatisée et de la véranda », In Politique
étrangère, 2010/3 Automne, pages 678 à 706.
41
au Kivu à cette double perspective de la véranda
pour montrer des « dimensions aussi surprenantes qu'oubliées
d'un affrontement qui ne veut pas finir »83.
Les enjeux politiques de la guerre au Kivu ne peuvent
être compris, selon J.-C Willame, qu'en restituant une dimension
historique à cette guerre, dimension trop souvent méconnue, y
compris par ceux qui sont censés y mettre fin. En revisitant l'histoire,
il montre comment les déplacements de populations à
l'époque coloniale ont abouti aux premières violences entre
rwandophones dès les premières années de
l'indépendance de la République Démocratique du Congo.
Pour lui, même si ces violences ont laissé une marque
indélébile, elles n'ont guère eu de visibilité dans
le « désordre généralisé qui s'est
emparée du pays entre 1960 et 1964 »84. L'antagonisme
entre rwandophones et allochtones mis en avant par certains chercheurs, n'est
donc pour lui que le résultat de l'intrusion brutale de près d'un
million de Hutus au Kivu après le génocide rwandais, mais plonge
plutôt ses racines dans « une compétition forcenée
et de longue durée »85. Pour lui, la richesse des
hautes terres volcaniques, le surpeuplement des pays voisins et la formation
d'une bourgeoisie latifundiaire dans les années 1970 ont provoqué
des émotions meurtrières limitées dans le temps et dans
l'espace. Il note à titre d'exemple les massacres anti-tutsis auxquels
répondent la révolte dite « Kinyarwanda » en 1965,
guerre de Walikale en 1993. Ces massacres ont donc forgé ce qu'il
appelle « des identités meurtrières » qui
n'hésitent pas à manipuler la loi sur la nationalité
à des fins d'exclusivité foncière86. C'est dans
cette perspective de guerres paysannes que s'inscrit les guerres d'État
des années 1990. Il y a lieu de constater ici un système
d'emboitement des conflits où plusieurs petites guerres se
déroulent au sein d'une grande guerre et que Jean-Claude Willame appelle
« première guerre africaine »87. Pour lui, cette
première guerre est celle du Rwanda qui part à la poursuite de
génocidaires réfugiées au Kivu. Cette poursuite des
génocidaires dans le Kivu se transforme avec
Laurent-Désiré Kabila en guerre de succession du régime de
Mobutu comme je l'ai montré plus haut, puis lors d'un revirement dont
l'histoire a le secret, en une guerre sur le territoire congolais mettant aux
prises sept pays africains et deux anciens alliés devenu ennemis,
à savoir le Rwanda et l'Ouganda88. Ce que l'on retient dans
cet évènement, c'est que les guerres d'État ont ainsi
laissé place à un système de « Seigneur de guerre
» qui continue à semer de la terreur jusqu'à nos jours, mais
sous d'autres formes. Les conflits du Kivu a fait intervenir plusieurs
83 Ibid., p. 695.
84 Ibid., p. 695.
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Cfr. Ibid.
42
acteurs pour tenter de les résoudre. De l'accord de
Lusaka en 1999 à la crise de Goma en 2008, l'Organisation des Nations
Unies, l'Union africaine, la Communauté de développement
d'Afrique australe, l'Union européenne, ont ainsi tenté
d'intervenir pour résoudre ces conflits sans réussir à
orienter de manière décisive, s'il faut reprendre l'expression de
J.-C. Willame « la logique de véranda
»89.
L'histoire des initiatives de paix est celle d'une rencontre
constamment manquée entre la logique de la salle climatisée et
celle de la véranda. J.-C. Willame observe et décrypte pendant
plusieurs années les opérations de maintien de la paix. Le cas du
Kivu servira ainsi pour lui, de façon successive, de laboratoire
à une laborieuse politique européenne, de critère du
maintien de la paix à la mode onusienne, d'impasse existentielle pour
l'aide au développement, et de lieu d'externalisation de querelles
belgo-belges qui iront jusqu'à l'incident diplomatique de 2008. Et dans
ce jeu, renchérit-il, « seul la Chine tient une place à
part, car elle est parvenue à devenir le premier partenaire de la
reconstruction de la RDC sans se mêler réellement de sa
pacification - hormis la présence symbolique de 200 casques bleus
chinois »90.
Les enjeux miniers en République Démocratique du
Congo sont souvent renouvelés. Il convient de préciser que les
ressources minières à l'est du pays ne sont pas comparables
à celles de Katanga. Dans ses recherches sur les conflits à l'Est
de la République Démocratique du Congo, Roland Pourtier affirme
que cuivre, cobalt, zinc, manganèse, or, uranium et germanium ont
scellé le destin de cette province orientale de la
RDC91. Dans le conflit qui avait conduit à
la sécession du Katanga quelques jours après
l'indépendance, l'enjeu était celui de la préservation des
intérêts de l'Union minière du Haut-Katanga (UMHK) qui
constituait l'archétype de la compagnie minière coloniale. La
première intervention onusienne en Afrique subsaharienne mettra fin
à ce projet de sécession. Pourtant, la situation n'est pas la
même avec les conflits à l'Est de la république. En effet,
Roland Pourtier précise que les minerais du Kivu n'ont pas non plus
autant de valeurs que les diamants du Kasaï, province qui fut
également agitée par des tentatives de sécession. La
chasse aux minerais du Kivu est devenue un enjeu économique et politique
crucial « lorsque la compétition minière s'est
emparée d'un espace
89 Willame s'inpire de l'anthropologue Emmanuel Terray pour
penser le conflit congolais à partir du paragramme de la « salle
climatisée » et de la « véranda » pour
désigner les deux lieus de pouvoir où se discute, se donne
à voir et se gère le conflit du Kivu. La véranda est donc
le site des rencontres et pouvoir informel. Tandis que la salle
climatisée est le site symbolique du pouvoir officiel.
90 Jean-Claude Willame, La guerre du Kivu. Vue de la salle
climatisée et de la véranda, Op. Cit, p. 696.
91 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au
Kivu », In Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde,
Op. Cit. p. 252.
43
déjà fragilisé par ses tentatives
démo-ethniques »92. Pourtant, cette exploitation de
minerais à l'Est du Congo n'est pas du tout récente.
En effet, la découverte de l'or puis de la
cassitérite dans le Kivu remonte aux années 1920 leur
exploitation n'avait pas les mêmes enjeux comme aujourd'hui. Après
les années de guerre civile, les contrats miniers signés dans les
conditions opaques ont été révisés avec
succès mitigé, pour reprendre les termes de Roland Pourtier, car
la confusion juridique couvre des pratiques de corruption solidement
ancrées dans la société congolaise93.
Aujourd'hui, le paysage minier semble complément
modifié. Avec l'avènement des nouvelles technologies, les
start-up ont soudainement valorisé le tantale. Il est devenu un
enjeu de taille à partir du moment où il est rentré dans
la fabrication des condensateurs qui équipent les
téléphones portables et les consoles informatiques.
L'entrée du tantale dans l'usage des nouvelles technologies aura des
conséquences majeures dans le devenir du Congo en général
et la région du Kivu en particulier. L'abondance de la columbo-tantalite
au Kivu, écrit Pourtier, a provoqué la ruée de dizaine de
milliers des personnes vers les sites miniers abandonnés par la SOMIKI.
Ils ont rejoint l'immense cohorte de ceux qu'on appelle les `'creuseurs»
au Congo-Zaïre. La flambée des cours du tantale n'a
été que de courte durée (1999-2001), mais
l'activité minière s'est adoptée aux variations de la
demande du marché mondial. Elle se partage aujourd'hui entre production
de cassitérite, wolframite, coltan, sans compter l'or dont les cours ont
atteint des sommets en 201394. A partir de ce qui
précède, il convient de souligner le lien qui existe entre
matière première, nouvelles technologies et économie qui
permettent de comprendre le conflit dans le Kivu.
La situation économique à l'Est de la
République Démocratique du Congo est radicalement complexe. La
complexité de celle-ci est due au fait que cette économie,
basée sur les mines, passe du caractère informel au
caractère formel par le prisme de la mondialisation du marché.
Les exploitants miniers du Kivu sont « l'image emblématique de
l'informalisation de l'économie minière congolaise
»95. Le contexte sécuritaire dans lequel se sont
proliférés les groupes armés, l'informel a
été, le paradigme de l'économie du marché. Dans ce
contexte d'une économie déstructurée par le
délitement de l'État et le repli identitaire des campagnes sur
une autosubsistance de survie, la mine offre aux populations locales la
possibilité d'un gain pour une grande majorité, mais en
même temps, elle laisse miroiter la possibilité de chance. A
l'Est
92 Ibid.
93 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au
Kivu », Op. Cit., p. 253.
94 Ibid.
95 Ibid.
44
de la République Démocratique du Congo,
notamment dans les places aurifères, il y a toujours la
possibilité de rêve de trouver une petite.
Le fait d'être informelle, l'économie
minière n'est pas du tout inorganisée. Le secteur minier informel
fonctionne cependant dans un rapport hiérarchique d'un modèle
pyramidal. Tout en bas de la pyramide, on trouve des creuseurs qui extraient le
minerai dans des conditions parfois de fortune sous la responsabilité
d'un chef d'équipe qui coordonne l'exploitation. Les chefs coutumiers
profitent de leurs privilèges pour faire reconnaitre des droits miniers
et prélever ainsi une rente sur l'activité extractive. Il y a
ensuite des négociants qui achètent les minerais et les
acheminent, ou même les font transporter jusqu'aux comptoirs. En suivant
tout un réseau, les minerais sont transportés à des
conditions extrêmement difficiles, parfois à dos d'homme sur
plusieurs kilomètres jusqu'à la grande route dans des sacs qui
sont ensuite acheminés par camion jusqu'à un tronçon
asphalté qu'on utilise comme piste d'atterrissage par de petits avions.
En prenant le relais, les avions évacuent le minerai jusqu'à
Goma. Cette forme de réseau de coopération mise en place pour
l'extraction de minerai est une forme d'organisation, bien qu'informelle, de
l'économie minière. Mais comment passe-t-on de l'économie
informelle à l'économie informelle ?
Le passage de l'informel au formel suit un cheminement par
réseau. Ce réseau de l'ombre pour reprendre les termes de Joroeme
Cuvelier96, bien qu'informel se construit à côté
de projets plus officiels. En effet, les villes frontières
réceptionnent les minerais qui proviennent de l'intérieur. Ces
villes de réception des minerais constituent ainsi une véritable
charnière entre, ce que Roland Pourtier appelle, «
l'économie informelle en amont et l'économie formelle en aval
»97. Du coup, les courtiers et les sociétés
spécialisées dans le commerce des minerais prennent le relai en
servant d'intermédiaires entre les comptoirs et les entreprises
métallurgiques des pays industriels ou émergents,
équipés pour le traitement du tantale comme les
États-Unis, l'Allemagne, la Belgique, la Chine, y compris le Kazakhstan.
La chaine de production se termine dans les usines de la fabrication des
condensateurs et dans celles des portables qui ont envahi le marché
mondial98. Comme on peut le constater, le premier segment de
réseau de circulation, de la mine aux comptoirs, est confronté
à un environnement de grande insécurité, d'absence de
droit, du surgissement de la violence. Dans ce contexte où l'État
congolais a montré ses limites pendant des décennies pour assurer
la sécurité et la protection
96 Joroen Cuvelier, Traduction de Christine
Messiant, « Réseau de l'ombre et configurations régionale.
Le cas du commerce du coltan en République démocratique du Congo
», In Politique africaine, 2004/1 N° 93/ pages 82 à
92.
97 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de
la guerre au Kivu », Op. Cit., p. 254.
98 Ibid.
45
des personnes, il règne alors la `'loi du plus
fort». Il faut également souligner que l'économie
minière a été très militarisée et des hommes
en armes qui assurent `'la police des mines» avant que la situation
politique du Kivu ne conduise à une multiplication de groupes
armés qui trouvent dans leur contrôle des moyens financiers pour
l'achat d'armements. Aujourd'hui, l'Est de la République
Démocratique du Congo continue à vivre une spirale
d'instabilité : lorsqu'un groupe des milices dépose les armes, un
autre groupe apparait.
2. Mobilisation de la violence armée dans la
sécurisation des frontières
Les frontières sont les lieux où l'usage de la
violence a atteint son paroxysme à l'Est de la République
Démocratique du Congo. La mobilisation de la violence par les groupes
armés dans les frontières à l'Est constitue un
élément essentiel pour maintenir le contrôle sur les
territoires occupés par les milices rebelles. Dans une récente
étude publiée en avril 2020, François M'munga Assumani
analyse le phénomène de la sécurisation des
foncières par la violence armée au moment de l'éclatement
des conflits fonciers en province du Sud-Kivu. Il réalise cette
étude dans un contexte caractérisé par la «
déliquescence de l'État congolais »99. En se
basant sur deux cas d'études des conflits fonciers, il montre comment
les acteurs locaux recourent souvent aux forces armées nationales, aux
groupes armés locaux et/ou aux autres acteurs armés pour
sécuriser leurs terres. À la différence des groupes
armés rebelles, les stratégies et les logiques d'action des
acteurs attestent que la « violence armée peut être
considérée comme une des normes pratiques dans la
sécurisation des droits fonciers en milieu coutumier
»100 sans distinction. Ce recours à la violence pour
sécuriser les frontières n'est pas l'apanage des congolais de
l'Est du pays. Même si le contexte de la région de l'Est de la RDC
est particulier, la pratique de la violence dans l'optique de défendre
la terre est courante dans toutes les régions du pays, surtout pour un
peuple attaché à la terre natale. Pour le peuple congolais dans
l'ensemble, l'identification à la terre est une question de vie ou de
mort. Les peuples s'identifient généralement à la tribu
qui, elle-même est liée à la terre. C'est dans cette
perspective que le recours à la violence, même si celle-ci parait
inadmissible et contestable, trouve tout son sens.
En effet, la thèse soutenue par François M'munga
Assumani est que la terre n'est pas seulement une cause de conflit et de
violence, mais elle est aussi devenue un facteur de
99 François M'munga Assumani, « Mobilisation de la
violence armée dans la sécurisation foncière. Cas de la
plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu en République démocratique du
Congo », Revue internationale des études du
développement, Éditions de la Sorbonne, 2020/4 N° 224 /
pages 55 à 77.
100 Ibi., p. 55.
46
perpétuation des conflits. En se focalisant sur la
situation du Kivu, l'on constate que malgré l'immensité de sa
superficie, la terre est un objet de préoccupation dans le sens que 80%
de conflits soumis aux cours et tribunaux se rapportent de manière
directe ou indirecte au problème foncier ou l'immobilier101.
Il importe ainsi de préciser qu'en République Démocratique
du Congo, la gestion foncière, du moins dans les milieux ruraux, est
assurée par des chefs coutumiers et sur la base d'identité
ethnique. Il s'agit souvent d'une gestion qui entre parfois en désaccord
avec la gestion foncière étatique qui donne plus d'importance au
droit national. Ce qui montre la difficulté à établir les
limites entre le droit coutumier congolais et le droit national. Selon Mugangu
Matabaro, la gouvernance foncière étatique semble ne pas
être adaptée aux réalités locales et aux logiques
des acteurs locaux102. Le problème se pose alors sur le fait
que l'attribution et le transfert de la terre relèvent des pratiques
coutumières et d'autres pratiques foncières au niveau local.
Dans un contexte où les tensions sont de plus en plus
exacerbées, la présence des forces armées vient
complexifier cette problématique. En effet, les forces armées
étatiques tout comme non étatiques sont souvent mobilisées
par les acteurs afin d'intervenir dans l'accès et le contrôle de
la terre. D'où l'importance d'établir les normes dans l'optique
de sécuriser les frontières.
3. La fabrique de normes et la sécurisation
foncière
Au regard de ce que je viens d'évoquer
précédemment, il convient de souligner que le recours à la
violence armée est le point central de tensions foncières et
qu'il est intéressant de s'accrocher sur cet aspect pour comprendre en
quoi cette violence participe à la fabrique des normes dans la
sécurisation frontière.
En effet, il importe de préciser également
qu'à l'Est de la République Démocratique du Congo tout
comme dans quelques autres provinces du pays, les jeunes sont souvent
armés par les leaders ethniques. Ce qui crée parfois des tensions
intercommunautaires autour du pouvoir local et des ressources naturelles. Il
s'agit très souvent de tensions qui ont pour objectif la défense
du territoire ethnique et la lutte contre toute forme d'agression
étrangère. Très souvent, les milices armées se
présentent comme étant les défenseurs de revendications
ethniques. Mais paradoxalement, l'on constate aussi que même au sein
d'une même communauté ethnique, il y a des groupes qui se forment
pour sécuriser le pouvoir et la terre clanique. À travers nos
entretiens, il ressort qu'au-delà de la sécurisation des terres,
les jeunes qui sont généralement
101 Ibid., p. 56.
102 Cfr. Mugangu Matabora, S., « La crise foncière
à l'est de la RDC ». In Marysse, S., Reyntjens, F. &
Vandeginste, S. (Eds.), L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2007-2008
(385-414). L'harmattan, 2008.
47
en collaboration avec les groupes armés s'appliquent
avec constance aussi à des actes de violence, de pillage. D'autres
deviennent des coupeurs de routes et font parfois des enlèvements contre
rançon. Dans un entretien réalisé par M'munga Assumani en
2016 avec l'un des acteurs de terrain, un habitant témoignait :
« Le 10 mars 2016, les milices armées des
Banakyoyo sont venues voler mes vaches chez moi, dans la clôture,
à 21 heures. Je leur avais donné 1 150 dollars américains
pour restituer 7 vaches sur 17 volées »103.
M'munga Assumani lie directement le vol de bétail au
conflit dans le sens que l'homme à qui appartenait ce bétail
était l'un des proches collaborateurs de la nouvelle élite locale
au pouvoir à Nyakabere I. Il fait remarquer que ces milices ne vivent
pas de la sécurisation foncière de leurs terres, car leurs clans
ne prévoient aucun salaire pour les motiver. Du coup, ils pillent les
ressources économiques de la population pour satisfaire leurs besoins de
premières nécessités104. L'analyse de M'munga
Assumani rejoint celle de chercheurs comme Hugon (2009), Jacquemot (2009),
Pourtier (2012) Van Acker et Vlassenroot (2001) y compris Jean-Claude Willame
(2010) qui, pour eux, focalisent leur idées sur le rapport entre
ressources naturelles, violences armées et économique politique
de la guerre lorsqu'ils montrent, comme je l'ai évoqué au point
précédent, que les forces armées officielles et non
officielles sont impliquées directement ou indirectement dans
l'accumulation des ressources économiques par les violences
armées à l'Est de la République Démocratique du
Congo. D'ailleurs pour M'munga Assumani, « l'Est du pays est un noeud
gordien où les seigneurs des guerres s'enrichissent par les pillages des
ressources naturelles »105. Roland Marchal et Christine
Messiant quant à eux considèrent ces « seigneurs de guerre
» comme de nouveaux entrepreneurs et des grands prédateurs qui ne
luttent pas pour le pouvoir mais qui font la guerre pour la
guerre106. La particularité du travail de M'mungana est qu'il
met en lumière les rapports de collaboration entre les milices
armées claniques et d'autres groupes armés dans les actions
inhérentes aux pillages de ressources économiques des autres
clans avec lesquels ces milices se trouvent en compétition
d'accès au pouvoir local.
Les acteurs des conflits agissent de façon
stratégique pour sécuriser leurs territoires. En effet, lorsque
les acteurs locaux recourent à la violence armée des milices
comme mode de
103 Cfr. François M'munga Assumani, « Mobilisation
de la violence armée dans la sécurisation foncière »,
Op. Cit. p. 66.
104 Cfr. François M'munga Assumani, Op. Cit., p.
66-67.
105 Ibid., p. 67.
106 Cfr. Roland Marchal & Christine Messiant, « Les
guerre civiles à l'ère de la globalisation. Novelles
réalité et nouveaux paradigmes », In Critique
internationale, 2003, 18 (1), p. 91-112.
https://doi.org/10.3917/crii.018.0091
.
48
gouvernement du foncier dans l'objectif de sécuriser
leurs terres, ils agissent en mettant en place des stratégies. L'une des
stratégies mises en place est le recours aux appels et messages
téléphoniques pour menacer et intimider. Il y a également
des tirs à balles réelles, les enlèvements, les visites
improvisées sur les champs et les parcelles. Du coup, ces
différentes stratégies ont un rôle important dans la mesure
où elles permettent à certains acteurs locaux de continuer
à exploiter la terre sous la conduite des milices armées.
On peut considérer la sécurisation
foncière par la violence armée comme étant relativement
instable dans la mesure où elle n'a aucune garantie à long terme.
Tout semble être provisoire et le risque de tomber dans la violence est
permanent. On se rend également compte que les milices armées
jouent parfois un rôle important dans la régulation de la
société, notamment en matière foncier. Dans ses travaux
réalisés en 2013, Janson Stearns souligne que certains groupes
armés exercent un large contrôle politique et économique
sur leurs fiefs locaux et sont peu enclins à abandonner le pouvoir
à l'Est de la République Démocratique du
Congo107. Certaines études, en l'occurrence celles de Mathys
Gillian et Vlassenroot Koen108 soulignent qu'un grand nombre de
litiges fonciers ne sont pas une question de terres comme on le croirait
généralement, mais plutôt une manifestation de la crise du
gouvernement qui règne dans cette partie de la
République109.
Au regard de ce qui précède, il parait
intéressant de montrer les relations qui existent entre clans, milices
armées et Armée nationale, y compris les rapports
qu'entretiennent les populations avec l'État. En effet, l'on remarque
que les rapports entre clans sont souvent marqués par la
compétions et les luttes autour de l'accès au pouvoir clanique et
l'accès à la terre. Ainsi, ces luttes finissent
généralement par la violence ou même l'extrême
violence. Dans cette perspective, le vivre ensemble devient
problématique. Concernant les relations entre les milices et
l'armée nationale, M'munga Assumani à travers deux études
de cas au sein du clan des Bahembwe, montre qu'elles sont dans l'ordre de
compétitions armées ou de guerre110. Dans ce cas
d'espèce, on voit intervenir une pluralité d'institutions et
d'acteurs qui se manifestent à travers un « forum shopping
» armé dans la mesure où les acteurs ont recours aux
milices armées et les autres recourent à l'armée nationale
pour sécuriser leurs terres. Ce qui convient en outre de souligner,
c'est le fait que dans le cadre de régime foncier coutumier ou national,
il
107 Cfr. Janson Stearns, Judith Verweijen, & Eriksson
Baaz, Armée nationale et groupes armés dans l'est du Congo :
trancher le noeud gordien de l'insécurité, Rift Valley
Institute, 2013.
108 Koen Vlassenroot, Sud-Kivu Identité, territoire et
pouvoir dans l'est du Congo, Rift Valley Institute, 2013.
109 Gillian Mathys et Koen Vlassenroot, « Pas juste une
question de terre » : litiges et conflit fonciers dans l'est du
Congo, RIFT Valley Institute PSRP Briefing 14, Octobre 2016.
110 François M'munga Assumani, « Mobilisation de
la violence armée dans la sécurisation foncière. Cas de la
plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu en République démocratique du
Congo », Op., Cit., p. 68.
49
n'est pas prévu de mobiliser l'armée nationale.
Les chefs coutumiers ou même les conservateurs de titres immobiliers
suffisent pour gérer simplement la terre au niveau local. Par contre,
l'armée nationale peut intervenir lorsque les acteurs locaux recourent
aux armes blanches et/ou aux armes feu dans l'accès à la terre.
M'munga Assumani souligne également que même certains acteurs
économiques possédant des certificats d'enregistrement
s'encapèrent des terres paysannes dans la plaine de la Ruzizi et font
souvent, de façon illégale, appel à l'armée
nationale pour faire face à la résistance des paysans qui
refusent de céder leurs terres111. Quant aux rapports des
populations à l'État, certaines franges de la population estiment
qu'à l'Est de la République Démocratique du Congo, les
populations se voient déconnectées de l'État suite
à la confusion qui règne dans la gouvernance foncière
locale par une diversité d'instances et d'acteurs en la matière.
Cette confusion est souvent justifiée au regard de la recrudescence des
groupes armés locaux, burundais et rwandais ; les actions terrorisantes
de la police nationale et de l'armée ; l'insécurité
galopante ; les tueries des masses et quasi quotidiennes des habitants ; les
enlèvements contre rançon. Toute cette chaine de violence a comme
conséquence l'abandon de certains villages par la population à
cause de l'insécurité. Par ses services au niveau local, «
l'État congolais est qualifié par la population comme un
état absent, violent, post-souverain, fragile et qui a failli dans la
vie sociopolitique »112.
En fait, en parlant de l'absence de l'État, il ne
s'agit pas de soutenir ici l'idée d'un État inexistant, mais bien
plus d'un État incapable de protéger ses populations
éprises du désir de paix. Le sentiment d'absence de l'État
est généralement entretenu en raison de la
régularité de meurtres et de la banalisation de la violence ;
cette violence qui est devenue le mode de vie pour la survie. La violence a
radicalement remplacé les valeurs du dialogue et de la palabre africaine
qui ont jadis orienté des peuples dans la résolution des conflits
; conflits qui, à nos jours divisent les populations pourtant
obligées à cohabiter dans un destin commun. La permanence de
l'instabilité remet en cause la nation même de la
souveraineté de l'État congolais. Classé dans la
catégorie des états fragiles et faillis113,
l'État congolais ne rassure plus ses populations, notamment celles de
l'Est de la république. La porosité des frontières, la
crise de l'autorité de l'état et l'exploitation illicite et
illégale des matières premières dans la violence ont
donné lieu à l'émergence des nouvelles théories,
nomment celle de minerais de guerre que j'aborde dans le point ci-dessous.
111 Ibid., p. 69.
112 François M'munga Assumani, «
Mobilisation de la violence armée dans le sécurisation
foncière... », Op. Cit. p. 69.
113 Pascal Boniface, La géopolitique.
48 fiches pour comprendre l'actualité, Paris, Eyrolles, 2018, p.
59.
50
3.1. Minerais de guerre comme nouvelle théorie
de la mondialisation du droit
Les conflits et violence en République
démocratique du Congo ont fait intervenir plusieurs acteurs, notamment
les organisations non gouvernementales de défense de droits de l'Hommes
et plusieurs internationaux et transnationaux. La mobilisation de ces
différentes organisations a permis de rendre visible le concept de
« blood mineral ». L'expression blood minrals est
née à l'imitation des blood diamonds pour
désigner l'ensemble des minerais provenant des mines illégales
que les guérillas contrôlent pour alimenter les besoins des
industries occidentales114. Derrière cette mobilisation aux
allures internationales, les associations et ONG dénoncent le fait que
ces minerais qu'on appelle également `'minerais de guerre» sont
à la cause du plus grand massacre depuis la seconde guerre mondiale. Par
le fait que des millions de personnes sont mortes en République
Démocratique du Congo à cause de ces minerais, «
l'Organisation des Nations Unies et les industries minières ont donc
tenté de réguler le commerce en interdisant la vente des minerais
provenant de ce mines »115. Ces mobilisations seront
également à la base des deux résolutions de l'ONU qui
comprennent des mesures visant à mettre un terme au commerce illicite de
ressources naturelles qui alimente les conflits armés dans l'Est de la
République Démocratique du Congo. En effet, si la
résolution 1856 (2008) engage donc tous les États, notamment ceux
de la région des Grands Lacs à prendre des mesures
nécessaires pour mettre fin au commerce illicite de ressources
naturelles116 ; dans la seconde résolution 1857 (2008), le
Conseil de Sécurité élargit des sanctions ciblées
pour qu'elles incluent également « les personnes ou entités
appuyant les groupes armés illégaux... au moyen du commerce
illicite de ressources naturelles »117. Depuis le
Dadd-Franck Act américain de juillet 2010 et les décrets
d'application de la Security and Exchange Commission d'août
2012, il y aura une mise en place d'une régulation à
caractère mondial du commerce des produits miniers. Cette nouvelle
régulation, écrit Gilles Lhuillier, « prend des formes
inédites mêlant résolution de l'ONU, certifications
privées et obligations du droit international »118.
C'est dans ce cadre précis que la première
régulation globale de l'histoire de commerce voit le jour en Afrique
à partir de la situation congolaise. Ce qui est encore plus remarquable
c'est le fait que cette régulation ne se limite pas à s'appliquer
au territoire national, mais elle
114 Cfr. Gilles Lhuilier, « Minerais de guerre. Une
nouvelle théorie de la mondialisation du droit ? », in Droits
et société, 2016/1 N°92, pages 117 à 135.
115 Ibid., p. 118.
116 Cfr Nations Unies, S/RES/1856 (2008), 22
décembre 2008.
https://undocs.org/fr/S/RES/1856(2008),
Consulté le 25 mai 2021.
117 United Nations, S/RES/1857 (2008), 22 December
2008.
https://www.undocs.org/en/S/RES/1857(2008),
consulté le 25 mai 2021.
118 Gille Lhuilier, « Minerais de guerre. Une nouvelle
théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p.
118.
51
traverse l'espace et le temps en s'appliquant également
à toutes les personnes qui font le commerce des minerais. L'espace de
normativité est ici déterritorialisé. Il s'agit d'un
espace mouvant de normes qui ne coïncide pas avec l'espace territorial
étatique, qui constitue, pour reprendre les mots de Lhuilier, le «
critère d'application du droit internationale classique même si ce
droit international nouveau ne peut exister sans l'aide de certains
États »119. Du coup, le droit global qui émerge
dans cette perspective mêle des acteurs et des normes très divers.
Parmi ces acteurs, il y a les ONGs internationales, l'État, l'ONU,
l'association d'entreprises, les consultants, les sociétés
civiles locales, les décrets de l'État congolais, des clauses
spéciales de contrats de droit privé, les déclarations
comptables à la Security and Exchange Commission. À
partir du contexte congolais, « ces mutations du droit transnational
incitent les juristes à opérer un global turn
»120. Il s'agit donc d'un tournant
épistémologique des sciences sociales dans le sens que l'enjeu
décisif est de faire entrer les changements du monde dans les sciences
sociales, en général appelée à penser « global
»121. Dans l'idée de pensée « global »,
il y a d'abord la question de l'analyse des changements du monde et
l'étude de nouveaux objet d'un droit plutôt
déterritorialisé, en l'occurrence le droit de produits miniers
africains en général et congolais en particulier. Il y a
également dans la « pensée global », une manière
d'établir une nouvelle théorie de la mondialisation du droit
susceptible de rendre compte « de ces nouveaux modes de régulation
qui ne peuvent être pensés à l'aide des catégories
traditionnelles que sont l'État, l'Ordre juridique et le territoire
nationale »122. Il y a enfin, l'idée de penser
l'élaboration de nouveaux protocoles de recherche en sciences sociales
qui étudient le droit non seulement par « le haut »,
c'est-à-dire l'étude des normes juridiques, mais également
par « le bas » dans le sens qu'on étudie les pratiques
d'acteurs privés et publics qui créent des espaces
déterritorialisés de normes.
3.2. Théorie de l'espace normatif
La théorie de l'espace normatif permet de
déterritorialiser la loi sur le commerce de minerais qui sortent dans
les zones de guerre. Dans ce sens, l'État n'exerce plus
nécessairement sa souveraineté dans le cadre du territoire
national. Dans le contexte d'une montée en puissance des
sociétés transnationales en République Démocratique
du Congo qui, dans ce monde global, sociétés qui créent
des normes souvent plus efficaces que celles de l'État123,
nous assistons
119 Gilles Lhuilier, « Minerais de guerre.
Une théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit.,
p. 118.
120 Ibid.
121 Cfr. Michel Wieviorka et Craig Calhoun,
« Manifeste pour les sciences sociales » », Socio, 1,
« Penser Global », 2013.
122 Gilles Lhuilier, Op. Cit., p.
19.
123 Gilles Lhuilier, « Minerais de guerre,
une théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit.,
p. 126.
52
également à l'émergence des acteurs
globaux non étatiques qui ne ressemblent pas du tout aux
catégories traditionnelles, notamment dans le domaine du droit. Certains
penseurs, en l'occurrence Gunther Teubner124 qualifie ces nouvelles
formes de normativité de « droit sans État », d'autres
par contre parlent plutôt d'ordre juridique transnational.
Jean-Bernard Auby lie le concept « d'espace normatif
» au phénomène d'interpénétration,
d'interaction, de communication, d'échange et d'incidence125.
Il s'agit d'un espace de circulation des idées et de transfert des
normes, de « métissage des ordres juridiques » pour reprendre
l'expression de Neil Walker126. D'autres penseurs, en l'occurrence
Mireille Delmas, considère l'espace normatif comme étant le lieu
d'émergence d'un droit commun qui établirait le lien entre les
ordres et les espaces normatifs127. Certains juristes, notamment
Dominique Bureau et Horatia Muir Watt, font remarquer que « les acteurs
économiques, du moins ceux qui en ont les moyens, en termes de rapport
de force et de pensée stratégique `'acquièrent» le
pouvoir de redessiner leur propre espace normatif »128. Mais
comment peut-on comprendre la pertinence du concept « d'espace normatif
» dans le contexte congolais ?
En effet, le concept « espace normatif »
mérite d'être redéfinit et
réinterprété. Pour Wilfrid Sellars, le concept d'espace
normatif qui est de l'ordre juridique appartient également à la
philosophie, notamment à la philosophie analytique américaine et
anglo-saxonne de l'esprit. Cette philosophie est souvent nommée «
philosophie néo-pragmatique »129. C'est lui qui, pour la
première fois dans l'univers de la pensée va introduire
l'image130 « d'espace raison » ainsi que le concept «
d'espace normatif »131. D'ailleurs, Gilles Lhuilier
considère que « l'espace normatif » tel que
développé par Wildrid Sallars, contient toutes les croyances,
idées et normes qui construisent le monde social d'une
société donnée, disons dans tous les standards de
comportement, des valeurs, des croyances produites par une
société. Ces précisions permettent de voir combien la
notion d'espace normatif se situe au carrefour du droit, de la philosophie et
des sciences sociales et lui donne, de ce point de vue, une dimension
opératoire pour penser la question des minerais de guerres comme une
nouvelle théorie de la
124 Gunther Teubner, « Foreword: Legal Regimes of Global
No-State Actors», In ID. (ed.), Global Law without à
State, Alederneshot: Dartmouth, 1997, p. XIII-34; ID., «Global
Bukowina: Legal Pluralism in the World Society», p. 5.
125 Cfr. Jean-Bernard Auby, La globalisation, le droit et
l'état, Paris : LGDJ Lextenso, 2ème
édition, 2010.
126 Neil Walker, « The Idea of Constitutional
pluralism», Modern Law Review, 65, 2002, p. 317
127 Cfr. Mireille Delmas-Marty, pour le droit commun,
Paris, Seuil, 2005.
128 Dominique Bureau et Horatia Muir Watt, Droit
international privé, Paris, PUF, 2007, p. 564.
129 Wilfrid Sellars, « Philosophie and the Scientific
Image of Man, In ID., Science, perception and Reality,
Atascadero, Ridgeview Publishing Co, 1963.
130 Gilles Lhulier, «Minerais de guerre, une théorie
de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 128.
131 Cfr. Wilfrid Sellars, «Philosophy and the Scientific
Image of Man», ID., Science and Métaphysics, Londres,
Routlegde, 1968.
53
mondialisation. Au regard de ce qui précède, la
définition qu'il convient de retenir de l'espace normatif est celle que
propose Gilles Lhuilier, qui définit l'espace normatif comme
étant un « agencement singulier » composé de trois
éléments : des techniques ou pratiques juridiques, par
lesquelles les acteurs choisissent des règles juridiques, le
plus souvent élaborées par les États ou les organismes
internationaux, réalisant ainsi les agencements normatifs en des
synthèses propres à chaque espace normatif conforme à des
discours savants, professionnels, politiques sur la pratiques et
normes132. Dans cette approche, on retient tout d'abord que dans la
compréhension de l'espace normatif, il y a la mise en place de
techniques juridiques ; ensuite, il y a la question des règlements ou
des règlementations juridiques qui sont non seulement
élaborées par les États, mais également par les
organisations internationales et transnationales. Il y a enfin la
qualité du discours. Chaque discours est adapté selon qu'il
émane du champ politique, juridique et même professionnel. Il
s'agit en définitive des représentations qui en rendent compte
tout en contribuant à orienter et à justifier les choix
opérés.
La République Démocratique du Congo en tant
qu'espace normatif en général et l'Est du pays en particulier
apparaît ici comme espace de nouvelle unité d'analyse des
global legal Studies qui réalisent dans le droit le
décentrement méthodologique opéré dans les sciences
sociales par le global turn133. De ce point de vue, la
théorie de « l'espace normatif » se veut donc une étude
de droit mondialisé non plus à travers les États mais des
pratiques de choix du droit des sujets. Lhuilier considère que si la
notion d'espace normatif conduit à abandonner le seul point de vue de
l'État au profil de pratiques et des discours d'acteurs privés et
publics qui créent des espaces singuliers en empruntant les plus souvent
des règles étatiques ou internationales alors
déterritorialisées, le sujet de droit est lui aussi au croisement
de plusieurs espaces déterritorialisés de lois, qui sont autant
d'espaces normatifs qu'il a contribué à construire.
L'élaboration de la notion d'espace normatif en République
démocratique du Congo relève néanmoins d'une
théorisation qui nous a semblé faible, d'un suspens de la
théorie face aux objets et aux pratiques des acteurs. Cela est dû
au fait que « la visibilité des phénomènes est
fonction de la théorisation naturelle des chercheurs plus que des
phénomènes »134.
En étudiant la théorie de l'espace normatif
comme nouveau mode d'analyse de la mondialisation, celle-ci ne peut prouver son
utilité que dans la mesure où elle permet de renouveler la
lecture de l'ensemble des manifestations du droit de la mondialisation.
Lorsqu'on examine les acteurs de la chaine de production des « minerais de
guerre » en République
132 Gilles Lhuilier « Minerais de guerre, une théorie
de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 128.
133 Ibi., p. 129.
134 Ibid., p.
54
Démocratique du Congo en opérant un
décentrement de l'analyse, l'on voit apparaitre une nouvelle image de la
globalisation du droit. Il ne s'agit donc pas d'une création de droit
par les personnes privées, un ordre juridique des marchands de minerais.
Cet espace normatif est ainsi fait non seulement des techniques de choix de la
loi par des acteurs, mais également de choix communs aux acteurs
privés et publics, de justices privées organisée par
l'États, de régulations étatiques
déterritorialisées.
Pour les techniques, il convient de revenir sur les techniques
des choix de la loi par les acteurs privés. En effet, une
première étude menée par Lhuilier a porté les
techniques juridiques à l'oeuvre dans la construction des grands
contrats mondiaux miniers et pétrolier en République
Démocratique du Congo. L'exemple du contrat pétrolier portant sur
le partage de production du Block pétrolier n°1 situé sur
les rives du Lac Albert en mai 2010 entre l'État et un consortium
d'investisseurs incorporé aux Iles Vierges. Ce contrat ne
résistera pas à l'épreuve de la contestation locale. Dans
un rapport réalisé par Taimour Lay et Minio-Paluello de PLATFORM,
les auteurs fournissent une analyse détaillée des Accords de
partage de production confidentiels, accords qui seront sans doute
contestés, et que le gouvernement avait signé avec deux groupes
d'entreprise en 2006 et 2008135. Ces techniques sont à
comprendre dans un cadre commun avec d'autres pays d'Afrique en
général. En effet, les entreprises transnationales souvent
domiciliées en Afrique créent de filiales incorporées aux
Iles Vierges britanniques pour contracter avec les États africains ce
que Lhuilier appelle des « Production Sharing
Agreement136 qui est une espèce de contrat de partage de
production. Ce qu'il convient de souligner c'est le fait que les entreprises
choisissent diverses lois nationales qui sont applicables au contrat. Ces lois
sont généralement pétrifiées ou
dépecées par les entreprises qui choisissent alors à
l'identique divers traités internationaux comme loi du contrat. Il
s'agit des lois qui échappent aux régulations nationales,
notamment au paiement d'impôts, à l'éventuelle
responsabilité en cas d'exécution du contrat, à la
compétence des juges étatiques pour juger les conflits.
Cependant, ces techniques de choix de la loi mises en oeuvre et
perfectionnées d'années en année par les lawyers
sont organisées par les droits des États et le droit
international lui-même. Le principe d'autonomie, le principe de
l'incorporation sont ici des règles étatiques et internationales
qui organisent et légitimisent ces espaces privés de
régulation137.
135 Taimour Lay et Mike Minio-Paluello, Pétrole au Lac
Albert. Révélation des contrats congolais contestés,
Mai
2010.
http://www.capac.ulg.ac.be/Petrole_au_Lac_Albert_fr_DRC_Tullow_PLATFORM_May_2010.pdf, Consulté
le 30 mai 2021.
136 Gilles Lhuilier, « Minerai de guerre, une théorie
de la mondialisation du Droit », Op. Cit. p. 131.
137 Gilles Lhuilier, Op. Cit., 132.
55
Le contrat minier Chine- République Démocratique
du Congo est un paradigme vivant pour parler des espaces normatifs
public-privé. Ce contrat, appelé également contra
offset, signé le 28 avril 2008 entre la RDC et un consortium
d'investisseurs privés chinois peut être compris comme
étant une illustration de ce que Dunia Zongwe appelle « nouvelle
forme d'économie-monde »138. Dans ce contrat qui est
extrêmement contesté, des millions de tonnes de cuivre et des
tonnes de cobalt sont proposés par l'État congolais à la
Chine contre le financement de réalisation d'un gigantesque programme de
construction d'infrastructures qui sont aujourd'hui encore inachevés.
Pourtant, on a souvent venté l'intérêt de ces
opérations multilatérales comme étant le moyen
d'encourager le développement local ou de limiter à terme la
dépendance à l'égard d'une entreprise
étrangère intervenant dans des domaines régaliens comme la
défense et l'énergie. Ce grand contrat, aujourd'hui
contesté et remis en question par le pouvoir actuel alors
plébiscité par le régime du président Joseph
Kabila, constitue à la fois la nouvelle diplomatie et la nouvelle
régulation du développement économique mondial, par des
techniques et maillages, de choix, d'élaboration d'espaces normatifs
singuliers opérés par les acteurs privés et acteurs
étatiques.
Avec le concept de minerais de guerre, on voit alors
apparaître une nouvelle technique de choix de la loi par les acteurs,
à savoir le product shopping. Dans ce modèle, le droit
est incorporé au produit et son implication internationale est
assurée par ce que Lhuilier appelle « mécanismes de
droit privé que sont la spécification contractuelle et la
certification de ces spécifications par un auditeur privé
»139. En fait, la circulation internationale du bien est
ici liée au respect par les marchands de ces obligations qui permettent
donc de vérifier l'application du droit international en
République Démocratique du Congo. Dans cette mondialisation des
lois partant du contexte congolais, les normes étant très
diverses sont liées entre elles. Il y a des résolutions de l'ONU,
des codes non obligatoires, des certifications privées, une
législation nationale américaine ayant pour vocation à
s'appliquer sur le territoire d'un autre État, à savoir la
République Démocratique du Congo. Comme pour dire que les normes
internationales à effet transnational sont en contradiction totale avec
le principe de l'effet nationale de la loi. On voit aussi comment le discours
des acteurs sont inspirés des discours sur la labellisation, la
certification, les obligations comptables qui sont, somme toute,
partagées par l'ensemble des acteurs qui ont élaboré le
droit impératif de minerais de guerre, qu'il s'agisse des membres
groupes d'expert de l'ONU, des parlementaires américains, des
Organisations non
138 Cfr. Dunia P. Zongwe, « On the Road to Post Conflict
Reconstruction by Contract; The Angola Model», Working Paper,
Cornell University, 2011.
139 Gilles Lhuilier, Op. Cit., p. 133.
56
gouvernementales (ONG), mais également des de certaines
sociétés transnationales regroupées en association
professionnelles de producteurs ou de consommateurs de minerais. Dans ce
contexte contestataire aux allures transnationales, les Organisations non
gouvernementales, les entreprises transnationales, les associations, y compris
les simples citoyens dans leur vie ordinaire et quotidienne deviennent pour
ainsi dire les acteurs de ce ré-enchantement du politique tant attendu.
Il convient de préciser que la théorie de l'espace normatif qui
s'est développée à partir de la notion de minerais guerre
montre combien les conflits dans les Kivu impliquent plusieurs acteurs. Le
point suivant propose d'étudier ces acteurs et ce qui fait leurs
singularités.
B. LES ACTEURS DES CONFLITS DANS LES KIVUS
Pour comprendre les conflits dans les Kivu, il paraît
nécessaire d'étudier les acteurs de ces conflits aussi bien du
point de vue national et régional. Il s'agit de mettre en avant
l'itinéraire de chaque acteur, le rôle que chacun de ces acteurs
joue dans ces conflits, leur degré d'intervention et/ou
d'ingérence (notamment pour les acteurs étrangers comme le
Rwanda, l'Ouganda et les groupes armés étrangère en
l'occurrence les FDLR, ADF). En étudiant également les rapports
de force entre ces acteurs, je montrerai en outre le degré d'influence
de chaque acteur, du moins ceux sous examen.
La compréhension de conflits à l'Est de la
République Démocratique du Congo nécessite le voyage dans
le temps long de l'histoire politique du pays. La situation de conflits n'est
pas identique dans tout l'Est de la RDC. Les conflits dans le Nord-Kivu qui est
aujourd'hui l'épicentre de violences, à la différence des
provinces du Sud-Kivu et de l'Ituri également affecté par
l'insécurité, remonte dans les années 1960. Ces conflits
présentent une double dimension. Il y a à la fois la dimension
inter-ethnique et intra ethnique. Déjà en 1963, les conflits
avaient pris de l'ampleur avec le déclenchement de la « guerre
kinyarwanda » qui opposait durant plus de deux ans les Banyarwandas aux
Nande, Hunde et Nyanga, suite au mouvement d'autonomistes ayant abouti à
la création de 21 provinces dans l'ancien Congo Belge jusqu'à
l'arrivée au pouvoir du président Mobutu qui optera pour 11
provinces en 1965.
1. Les acteurs étatiques et non
étatiques
Ce sous point s'attèle exclusivement sur les acteurs
locaux ou nationaux. Son objectif consiste à montrer les
différents points d'achoppement entre les nationaux et la Monusco. Parmi
ces acteurs locaux, nous avons l'État congolais, les milices
insurrectionnelles et contestataires.
57
1 1. L'État au coeur des conflits et
violences
Les conflits et violences qui empoisonnent la vie sociale dans
les Kivus et en Ituri relèvent de l'incapacité de l'État
ou de ses limites du point de responsable à régler les
antagonismes entre groupes sociaux. L'État dans ses prérogatives
régaliennes est l'acteur principal des conflits dans les Kivu. Nous
partons ainsi de l'idée que « l'État est le siège et
l'instrument du pouvoir politique »140. Entant que siège
du pouvoir, l'État désigne les hommes et les assemblées
qui décident de l'intérêt public et des lois. Comme
instrument du pouvoir, l'État désigne pour ainsi dire les
institutions chargées d'appliquer les lois (gouvernement), de maintenir
de l'ordre et de garantir la sécurité (police, armée), de
rendre la justice (tribunaux). Dans cette perspective, l'État s'oppose
à la société civile, où règne les
intérêts privés comme la famille et l'économie
prennent le dessus. C'est donc à l'État que revient le «
monopole de la violence légitime » pour reprendre les termes de Max
Weber. On entend ici par la violence légitime, les moyens de garantir
les droits de peuples et non pas la justification de la violence envers le
peuple. Dans le même ordre d'idées, il convient de souligner que
les conflits locaux à l'Est de la République Démocratique
du Congo et leurs caractères originels sont à comprendre dans une
logique interne d'incompréhension et du déni de l'autre. En
effet, les principaux groupes sociaux qui composent et peuplent le Nord-Kivu
qui est aujourd'hui, je l'ai montré précédemment,
l'épicentre des conflits et violences sont les Nande, les Banyarwandas
(qui sont des populations d'origine rwandaise issues de plusieurs vaques
d'immigration), les Nyanga, les Hunde et le Tembo. Cette diversité des
populations est généralement repartie en deux catégories,
à savoir les autochtones d'une part, et les allochtones
(c'est-à-dire les groupes sociales issue des grandes vaques
d'immigration et les réfugiés des événements de
1959 au Rwanda) d'autre part. Ce qu'il convient encore de préciser,
c'est le fait que ces différents groupes sociaux, les Banyarwandas sont
les seuls à se trouver à la fois dans les deux catégories
tandis que les autres groupes sociaux se trouvent uniquement dans la
première catégorie. L'État entant qu'organisateur de la
société et du vivre ensemble harmonieux devrait en
réalité régler ces antagonismes sociaux de manière
efficace. Force est de constater que la situation est telle qu'il n'est pas
étonnant de remarquer l'absence de solutions efficaces qui seraient
l'émanation de l'État.
Du point de vue administratif, le Nord-Kivu qui est
aujourd'hui en « état de siège » est divisé en
cinq subdivisions territoriales plus la ville de Goma qui est le chef-lieu de
la province. Parmi ces territoires, nous avons Beni, Lubero, Masisi, Rutshuru
et Walikale. Cependant,
140 Hervé Boillot (dir), Le petit Larousse de la
philosophie, Piolitello, Rotolito Lombard, 2018, p. 709.
58
lorsqu'il s'agit de tenir compte de répartition
ethnique et des deux catégories de population que je viens
d'évoquer précédemment, la province de Nord-Kivu
s'organise autour de trois pôles. Il y a en premier lieu la zone de Beni
et Lubero qui sont exclusivement peuplé par le peuple Nande ; il y a en
deuxième lieu la zone de Rutshuru qui est majoritairement occupée
par les Banyarwandas ; la troisième zone qui est celle de
Goma-Masisi-Walikalé quant à elle, bien au-delà de son
caractère hétérogène du point de vue ethnique
(parce qu'on y trouve aussi bien les Hunde, Tembo et les Banyarwanda dans le
Masisi, et les Nyanga à Walikalé), présente un
caractère commun. C'est d'ailleurs dans cette région que sont
majoritairement concentrés les Banyarwandas immigrés ou «
transplantés »141 pour reprendre l'expression
d'Étienne Rusamira et les réfugiés de 1959. Je
précise aussi que c'est dans cette troisième zone qu'il se pose
le problème de conflits fonciers que j'ai fait allusion
précédemment, notamment dans le territoire de Misisi et de
Walikale.
Outre le caractère géographique, deux autres
paramètres alimentent les conflits entre groupes sociaux, à
savoir les aspects démographiques et
politico-économique142. Du point de vue démographique,
le peuple Nanda et les Banyarwandas sont les deux groupes sociaux majoritaires.
De ce point de vue, ils se disputent toujours le leadership économique
et politique de cette riche province.
Pendant des années auparavant, le conflit opposait les
Banyarwandas composés des Hutus et des Tutsis du Masisi d'un
côté, et de l'autre côté les Nande, le Hunde et le
Nyanga. De par sa puissance, l'État en utilisant ses pouvoirs
régaliens avait réussi non seulement à supprimer les
petites provinces qui composaient le Kivu, mais également à
dissoudre les forces de police et à muter les autorités
politico-administratives qui étaient impliquées dans ce conflit.
Cependant, toute ces mesures avaient mis fin à ce conflit, sans pour
autant réparer durablement les liens brisés dans les relations
entre les groupes sociaux opposés, qui ne le resteront toutefois pas
jusqu'à aujourd'hui.
Dans le contexte actuel, d'autres paramètres entrent en
jeu, rendant ainsi la situation encore beaucoup plus complexe à
l'État. L'arrivée en masse de réfugiés rwandais au
moment des événement du génocide, l'exil de Tutsi au
Rwanda à partir de 1995, la première guerre du Congo en 1996 et
la deuxième guerre en 1998 ont ainsi modifié de façon
considérable les éléments sur lesquels reposait la
dynamique des conflits et violences à l'Est de la République
141 Étienne Rusamira, « La dynamique des conflits
ethniques u Nord-Kivu : une réflexion prospective », In Afrique
contemporaine, 2003/3 (N°207), pages 147 à 163.
142 Étienne Rusamira, « La dynamique des conflits
ethniques au Nord-Kivu : une réflexion prospective », Op. Cit.,
p. 148.
59
Démocratique du Congo, notamment dans le Nord-Kivu. Ce
changement de paradigme a comme effet majeur l'émergence des milices
rebelles et contestataires à l'Est de la République
Démocratique du Congo.
1.2. Les milices insurrectionnelles et
contestataires
Le changement de modèle de conflit a eu des
conséquences considérables dans le fonctionnement de la
société congolaise. En effet, seul la zone ethnique Lubero-Beni
résiste encore en maintenant malgré plusieurs
événements malheureux de violences et massacres de la population
par les milices rebelles. Les deux autres zones en l'occurrence
Goma-Masisi-Walikalé et Rutshuru sont aujourd'hui compléments
déstabilisés principalement à cause de l'impact
négatif des événement de Banyarwanda. La majorité
des Tutsis du groupe social Banyarwanda vivent encore au Rwanda, tandis que les
Hutus ont payé cher leur alliance avec les forces négatives au
cours de la première guerre du Congo.
Il convient de préciser ce que l'on entend par milices
insurrectionnelles à la différence des groupes armés que
j'aborde dans les lignes qui suivent. En effet, comme le montre bien Jasons
Stearns, si les groupes armés sont étroitement
intégrés aux sociétés dont ils sont issus et sont
en constante interaction avec l'État auquel ils s'opposent, les milices
insurrectionnelles s'inscrivent quant à elles dans « le spectre de
la contestation populaire, aux côtés des mouvements sociaux et
protestataires »143. Pour comprendre les milices qui
perpétuent les violences à l'Est de la RDC, je métrai
l'accent sur l'interaction entre trois facteurs. Le premier facteur est celui
des opportunités politiques disponibles pour la mobilisation. Ces
opportunités sont relatives à un contexte politique
caractérisé par des clivages et des divisions au sein des
élites ; par une capacité plus ou moins importante du
système politique congolais à intégrer la contestation ;
par une instabilité de l'appareil d'État souvent propice à
l'émergence de mouvement sociaux contestataires. Le deuxième
facteur est celui de la présence de la structure de la mobilisation de
ces violences. Enfin, le troisième facteur est celui du processus de
cadrage. Ici, la mobilisation opère ainsi autant par le haut que par le
bas tout en s'appuyant à la fois sur les opportunités politiques
pour procurer l'encrage nécessaire à la mobilisation, sur le
tissu social pour se développer, et sur un cadrage culturel ou
idéologique approprié pour rallier des partisans. Il ne s'agit
pas de faire une histoire de ces mouvements mais de comprendre plutôt
leur dynamique social.
143 Jason Stearns, Traduction de Christine Mercier, Avec
l'appui de Nicolas Donner, « L'ancrage social des rebellions congolaises.
Approche historique de la mobilisation des groupes armés en
République démocratique du Congo », In Afrique
contemporaine 2018/1 (N° 265), pages 11 à 37, p. 12.
60
En effet, au début des années 1960 l'État
n'avait presque plus le monopole de l'extraction minière. Cette perte du
monopole de l'État était la conséquence de l'effondrement
des entreprises publiques et parapubliques. Du coup, l'exploitation artisanale
prendra son essor pour suppléer à l'exploitation industrielle.
Dans ce contexte, les jeunes, généralement majoritaires et issus
de l'immigration seront exploités dans le commerce transnational
très lucratif et bien souvent illégal. Après la crise des
réfugiés rwandais que j'ai déjà mentionnée
et l'invasion de l'AFDL de Laurent désiré Kabila, les groupes
armés vont se multiplier considérablement. Ceux-ci vont
s'impliquer de manière considérable dans « une
économie de guerre qui se nourrissait de l'impôt illicite, de la
contrebande et racket »144. Du coup, cette situation entraine
une transformation radicale du cadrage de la mobilisation de milices
contestataires. Les conflits communautaires qui avaient autrefois marqué
le début des années 1990 cèdent la place au repli
identitaire et au renouvèlement du sentiment d'appartenance à la
nation congolaise en défense contre l'agression
étrangère145. C'est dans cette perspective que les
milices Maï-Maï prendront de l'ampleur en s'exprimant à
travers la rhétorique d'autodéfense. Les Maï-Maï
renforcent ainsi leur encrage social dans les régions ayant une histoire
d'insurrection armée, notamment dans les territoires de Masisi,
Bunyakiri, Ruwenzorie et Fizi. Dans cette perspective, Jasons Stearns
considère que « l'ethnicité fut cependant de plus en
plus exprimée en termes abstraits et réifiés -
`'l'agression Tutsi» devant un prisme dominant pour de nombreux
Mai-Maï, alors même que les groupes rwandophones
développaient une rhétorique de la victimisation, mêlant
souvent les expériences de leurs communautés avec le
génocide rwandais »146. La capacité des
groupes Maï-Maï demeure toutefois limitée dans le sens qu'ils
sont essentiellement incapables de peser sur le événement
au-delà de communautés ethniques ou sociales qui les
soutiennent.
C'est précisément lors de la deuxième
guerre du Congo qui eut lieu entre 1998 et 2003 que les groupes armés et
les milices contestataires dans les Kivu ont proliféré en
bénéficiant généralement des appuis et
collaboration extérieur. Plusieurs études sur les milices
à l'Est de la République Démocratique du Congo, notamment
celle de Jason Stearns que j'ai largement mobilisée montre que cet appui
venait du Rwanda, tandis que les Maï-Maï étaient soutenu par
les acteurs politiques de Kinshasa147. Et l'important de ce soutien
extérieur, renchérit Reyntjens
144 Jason Stearns, Traduction de Christine
Mercier, Avec l'appui de Nicolas Donner, « L'ancrage social des
rébellions congolaise... », Op. Cit., p. 24.
145 Ibid.
146 Ibid.
147 Jason Stearnrs, Op. Cit., p. 25.
61
s'est affirmé à la suite de l'accord de
cessez-le-feu de Lusaka en 1999148. Par conséquent, les deux
guerres du Congo ont totalement modifié l'encrage social de la
mobilisation armée dans le sens qu'elles ont transformé les
groupes armés qui étaient au départ des milices
d'autodéfenses inscrites dans la réalité de la vie rurale,
en acteurs étroitement mêlés aux élites politiques
et au monde des affaires. Pour Jason Stearns, « la montée des
hommes forts militaires qui s'impliquèrent dans l'administration locale,
éroda davantage les structures de l'autorité coutumière et
de la cohésion sociale »149. Il montre de ce fait, que
si dans la première vague de milices qui s'étaient formées
dans les années 1990 comptait fortement sur l'appui des chefs coutumiers
et les communautés locales, ces liens s'élargirent lorsque les
chefs militaires ont commencé à se construire de bases autonomes
de revenus et de soutiens à travers leurs liens avec Kinshasa, des
groupes armés étrangers et des réseaux commerciaux
transnationaux. Du coup, les chefs coutumiers vont être aussi
intimidés, remplacés ou même assassinés par divers
groupes rebelles actifs dans l'Est de la République Démocratique
du Congo. Et dans le même temps comme le souligne Vlassenroot, le
recrutement des jeunes va ainsi donner naissance à une
génération militarisée qui se détache de plus en
des chefs coutumiers, des anciens et des parents150. C'est dans
cette perspective qu'il faut comprendre la logique des milices rebelles et
contestataires qui prolifèrent aujourd'hui à l'Est de la
République Démocratique du Congo.
Toujours dans une logique contestataire, l'Est de la
République Démocratique du Congo avait été en avril
2012 le théâtre d'une escalade de violence. Cette violence
présentait les mêmes caractéristiques communes avec
CNDP151. Ces milices rebelles et contestataires, composées
généralement des chefs de la rébellion du M23
étaient des officiers de l'ex- CNDP, que les Forces armées de la
République démocratique du Congo avaient tenté de
redéployer loin de Kivu depuis leur intégration en 2009. Comme
l'explique Janson Stearns, les grandes irrégularités des
élections de 2011, qui incitèrent les donateurs étrangers
à intensifier leurs pressions sur le président Joseph Kabila et
séparèrent sa légitimité nationale, vont amener le
gouvernement congolais à redoubler d'efforts dans l'objectif de
démanteler ces réseaux de l'ex-
148 Cfr. Reyntjens, F., The Great Africa War. Congo and
Regional Geopolitics (1996-2006), Cambridge, Cambridge University Press,
2009.
149 Janson Stearns « L'ancrage social des rebellions
congolaises », Op. Cit. p. 25.
150 Cfr. Vlassenroot Koen, Raeymaekers Timothy, «Kivu's
Intractable Security Conundrum», In African Affairs, vol. CVIII,
n°432, p. 475-484.
151 Le Congrès nationale pour la défense du
peuple (CNDP en sigle) est l'administration rebelle établie par Laurent
Nkunda dans la région du Kivu de la République
démocratique du Congo. Le CNDP s'était battu contre les Forces
armées congolaise dans le conflit du Kivu.
62
CNDP152. Il va s'ensuivre une mutinerie que l'on
appelle également « mutinerie préventive » d'un groupe
d'officiers qui annonçaient la création du M23153.
En fait, la crise de M23 aura pour résultante la
formation ou pour ainsi dire le renforcement de plusieurs groupes
contestataires dans la région, notamment Rutshuru. L'intensification de
la mobilisation résultait également des efforts du M23 et les
alliées au Rwanda dans l'objectif de construire des alliances ou
même de créer de nouveaux groupes dans le territoire orientale
congolais tels que l'Alliance pour la libération de l'Est (ALEC) dans le
territoire d'Uvira, et la Force oecuménique pour la libération du
Congo (FOLC), dirigée par les militaires qui avaient
désertés des FARDC dans la région de Beni, dans le
Nord-Kivu. Dans ces mouvements, l'on retrouve les politiciens
marginalisés jouant un rôle crucial dans cette entreprise.
Après la défaite du M23 suite au mouvement de
contre-insurrection lancée par les Forces Armées de la
République Démocratique du Congo avec l'appui de la Monusco, on
assistera à des nouvelles séries d'opérations contre les
groupes armés étrangers. Les opérations « Sukola I et
Sukola II » auront par exemple pour cible dans un premier temps
l'insurrection des Forces démocratiques alliées (Allied
Democratic Forces, ADF en sigle) autour de Beni, ensuite il sera question
de la poursuite des FDLR dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu. Le groupe
d'études sur le Congo documente que les opérations menées
contre ces deux groupes que je viens d'évoquer avaient montré
leur ancrage dans la société. À Beni, les ADF vont se
joindre aux groupes armés locaux pour perpétrer une série
de massacres en riposte à l'offensive des Forces armées de la
République Démocratique du Congo154. Pendant cette
campagne contre le FDLR, il est documenté également que
l'armée congolaise n'avait pas hésité à nouer les
alliances avec les milices locales, tandis que les FDLR en firent autant avec
d'autres milices, notamment les divers groupes de Nyatura. Jason Stearns
précise que les FDRL s'associaient aux groupes Nyatura qui sont des
milices locales qui recrutent au sein de la communauté hutue
congolaise155.
Les études menées en 2017 par Jason Stearns et
Christoph Vogel montrent que depuis la fin du M23, plusieurs tendances
nouvelles se sont ainsi faites jour dans le conflit à l'Est de
152 Jason Stearns « L'ancrages social des rebellions
congolais », Op. Cit. p. 29.
153 Groupe d'experts des Nations unies sur la
République démocratique du Congo, « Final Report of the UN
Group of Experts on the Democratic Republic of the Congo, UN/S/2012/843 »,
Nations Unies, p. 10-12.
154 Cfr. Congo Research Group «Mass Killings in Beni
Territory. Political Violence, Cover Ups and Cooptation», New York, Congo
Research Group, Center on International Cooperation, 2017.
155 Janson Stearns, « L'ancrage social des rebellions
congolaises... », Op. Cit., p. 30.
63
la République Démocratique du
Congo156. On note premièrement qu'avec la chute de M23, le
conflit a considérablement diminué dans sa dimension
régionale d'une part, et d'autres part les arènes de mobilisation
sont apparues. Plusieurs groupes rebelles étrangers persistent
cependant, en l'occurrence l'ADF, les FDLR.
Aujourd'hui, l'on assiste plutôt à un changement
de paradigme des conflits. Même si le rôle de soutiens
étrangers semble visiblement diminuer, en réalité ils
impactent tout de même la situation conflictuelle à l'Est du
Congo. Ce qui parait tout au plus évident dans ce changement de
paradigme c'est le fait que l'agitation politique nationale a offert une
motivation et des opportunités pour des nouvelles alliances. On peut
ainsi lier dans cette tendance la violation armée à la lutte pour
la succession à la tête du pays. L'exemple de la lutte pour la
succession du président Joseph Kabila en 2016 semble assez
éloquent pour le signaler. En effet, ayant été
empêché par la constitution de la République
Démocratique du Congo de briguer un troisième mandat, le
président Kabila avait utilisé les manoeuvres dilatoires pour
reporter les élections dans l'optique de se maintenir au pouvoir. Dans
une perspective contestataire marqué par l'extrême violence, en
début d'année 2017, les groupes armés locaux de l'Est
reformulaient de plus en plus leurs objectifs en faisant
référence à la question des élections nationales.
De telles réclamations faisait dans le même temps occulter par
conséquent la rhétorique omniprésente de l'agression
étrangère. Dans ce contexte de tension, Jason Stearns souligne
que les réactions du gouvernement congolais avaient été
également influencées par la politique nationale157.
L'extrême brutalité de la répression qu'on avait
constatée et la participation de certains haut gradés de
l'armée nationale aux massacres de Beni nous permettent de penser que le
gouvernement n'est pas totalement innocent concernant l'instabilité
à l'Est. On a assisté par exemple à la gratification des
officiers loyaux dans le cadre de la stratégie visant à diviser
les opposants. Division qui aura comme conséquence la
réactivation des conflits locaux qui sera un argument de taille pour
prétexter le report des élections. Du coup, l'armée
nationale congolaise qui était jadis sollicitée pour distribuer
des privilèges et coopter de potentiels rivaux, parait au contraire muer
en force de répression. On se demande alors si la force militaire ne
pourrait pas redevenir un moyen de contester le contrôle de
l'État.
Ce que l'on remarque encore ces dernières années
comme quelque chose de plus visible, c'est le fait de la fragmentation des
groupes armés et de la prolifération des milices contestataires
à l'Est du pays. Dans la dernière cartographie des groupes
armés dans l'Est du
156 Cfr. Jonson Stearns, Vogel, « The Landscape of Armed
Groups in Eastern Congo. Fragmented, Politicized Networks », Congo
Research Group, New York University, 2017.
157 Janson Stearns, « L'encrage social de rebellions
congolaise... », Op. Cit., p. 31.
64
Congo réalisée par le Groupe d'étude
sur le Congo et le Baromètre sécuritaire du Kivu en
février 2021, on compte en 2020, plus ou moins 122 groupes armés
dans tout l'Est de la République démocratique du Congo
(Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri et Tanganyika)158. Ce rapport
récent examine les principales dynamiques de la mobilisation
armée et de l'insécurité dans l'Est de la
République Démocratique du Congo dans l'objectif de mieux
contextualiser la cartographie des groupes armés. Il illustre pour ainsi
dire les différentes tendances en examinant plusieurs zones
géographiques et en analysant certaines zones des développements
politiques et sociaux plus large qui façonnent la violence. Plusieurs
facteurs expliquent la prolifération de ces groupes armés. Il
importe de souligner que la plupart des groupes armés subissent peu de
pression de la part de l'armée congolaise qui est d'ailleurs hyper
sollicitée et le programme de démobilisation nationale n'a pas du
tout été véritablement opérationnel depuis
plusieurs années.
Aujourd'hui, bien au-delà des nouvelles causes ou des
nouveaux déclencheurs, il semble pertinent de souligner les
caractéristiques permanentes et persistantes des conflit et violences.
Le dernier rapport du Groupe d'étude sur le Congo souligne
qu'« une partie de la violence dans l'Est du Congo est motivée par
le besoin des groupes armés de survivre en extrayant de ressources et se
battent pour conserver le contrôle de territoire »159.
Force est de constater que les interventions extérieures visant à
rompre cette inertie ont largement montré leurs limites.
L'arrivée au pouvoir du président Felix Tshisekedi n'a fait
qu'aggraver la situation d'insécurité à l'Est du pays.
Malgré les deux ordonnances présidentielles que j'ai
évoquées à l'introductions déclarant «
l'état de siège » dans le Nord-Kivu et en Ituri, une grande
partie de la population pense même l'actuel président,
Félix Tshisekedi, s'est trop peu intéressé au début
de son mandat à la tête du pays aux conflits à l'Est de la
République Démocratique du Congo et les désaccords
politiques entre le CACH du président Tshisekedi et le FCC de l'ancien
président Joseph Kabila dans un gouvernement de coalition n'ont fait
qu'entraver toutes les pulsions de réforme dans le domaine de la
sécurité du pays en 2019 et en 2020. De l'autre
côté, la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la
stabilisation du Congo (Monusco) a été réduite suite aux
contestations locales. Du coup, l'absence d'opérationnalisation du
programme de démobilisation, la reddition de dizaine de groupes
armés au cours de ces deux dernières années n'a eu que peu
d'impact.
158 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre de
sécurité du Kivu, Center on International Cooporation, «
La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo.
Opportunité manquées, insécurité prolongée
et prophétie
auto-réalisatrices », Février,
2021.
https://kivusecurity.nyc3.digitaloceanspaces.com/reports/39/2021%20KST%20rapport%20FR.pdf,
Consulté le 03 juin 2021.
159 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre
sécuritaire du Kivu, Center on International Cooporation, « La
cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo, Op. Cit., p.
8.
65
Ce qui a occasionné la réactivation au sein de
la communauté locale de la thèse l'ingérence
étrangère dans les conflits congolais.
2. L'ingérence des acteurs étrangers
Si au point précédent j'ai voulu traiter des
acteurs nationaux, ce deuxième sous point aborde plutôt la
question de l'ingérence les acteurs étrangers dans les conflits
congolais. En effet, l'ingérence des pays de la région des Grands
dans l'Est de la République Démocratique du Congo s'est accrue de
nouveau ces dernières années, plus précisément dans
des zones qu'on appelle aujourd'hui `'zones sensibles». Parmi ces zones,
nous avons le Nord-Kivu et les Hauts-Plateaux du Sud-Kivu. Dans les Hauts
plateaux, « le Burundi et le Rwanda continuent de mener par procuration
certaines de leurs luttes de le pouvoir tant à l'intérieur de
chaque pays qu'entre eux »160
2.1. L'ingérence du Rwanda dans les conflits
à l'Est de la RDC
La proximité du Nord-Kivu avec le Rwanda fait qu'il
parait impossible d'aborder la problématique des conflits et violence
dans les Kivu sans convoquer l'ingérence du Rwanda entant qu'acteur non
négligeable de ces conflits. En fait, la situation limitrophe du
Nord-Kivu avec le Rwanda a eu triple effet. Il y a tout d'abord des courants
migratoires à différentes époques que j'ai indiqué
plus haut, puis une radicalisation du clivage entre le Banyarwanda dont les uns
étaient Hutu et les autres Tutsis, c'est dans ce sens qu'on assistera
à un troisième effet qui est l'exportation du conflit interne
rwandais au République Démocratique du Congo.
Depuis l'arrivée au pouvoir du président Felix
Tshisekedi en janvier 2019, le Rwanda est intervenu plusieurs fois dans le
Nord-Kivu avec plus de force pour cibler les rebelles rwandais qui sont en
même temps les anciens génocidaires Interahmwes. Ces nouvelles
ingérences s'inscrivent dans le prolongement d'un projet politique qui
avait un objectif double. Comme le montre bien Gérard
Prunier161, le premier objectif de l'ingérence du Rwanda
à l'Est de la République Démocratique du Congo
était non seulement de détruire la réorganisation
militaire des génocidaires hutus installés en République
démocratique du Congo mais également le renversement du pouvoir
du président Mobutu. Une fois engagé dans cette guerre, dans le
deuxième objectif, le Rwanda a commencé à construire une
économie de guerre en exploitant les ressources minières de la
République démocratique du Congo pour financer sa
160 Groupe d'étude sur le Congo, La cartographie de
groupes armés dans l'Est du Congo, Op., Cit., p. 8.
161 Cfr. Gérard Prunier, Africa's World War: Congo,
the Rwandan Genocide, and the making of a continental catastrophe, Oxford:
Oxford University Presse, 2009.
66
présence sur place et la politique dans son propre
pays. Gérard Prunier parle même d'intervention rwandaise en RDC en
termes des paradoxes. Les paradoxes étaient massifs, surtout si l'on se
souvient à l'idée que c'était pour « sauver »
les Banyamulenge » qui étaient menacés du génocide
que l'armée rwandaise était d'abord entrée au Congo.
Cependant, cette même armée rwandaise attaquait les mêmes
Banyamulenges avec des hélicoptères de combat162. Ce
qui devient aujourd'hui un argument incontestable, du moins sur le plan de la
recherche, c'est le fait d'affirmer que la cause fondamentale de l'action
rwando-ougandaise en République Démocratique du Congo alors
Zaïre à l'époque, précisément à partir
de septembre 1996 tient bien évidement au problème des
réfugiés rwandais au Kivu, « réfugiés
armés qui menaçaient la stabilité du régime FPR et
qui cherchaient à reprendre par la force le pouvoir de Kigali
»163 Remarquons qu'aujourd'hui, ces interventions
régionales, notamment celles du Rwanda est un facteur aggravant des
conflits qui génère de la violence, notamment les conflits
fonciers et les conflits liés aux ressources locales ainsi que la lutte
pour le pouvoir politique et coutumier. On pourrait dire que le projet
politique du Rwanda dans les conflits à l'Est de la République
démocratique du Congo n'est pas du tout d'assister à
l'émancipation d'un nouveau Congo, « mais plutôt la
conception d'un « Congo vache à lait » qu'irait traire les
cadets Tutsis d'une APR en surnombre à la recherche d'emplois pour ses
jeunes officiers et d'un Kivu satellite ouvert à une quasi-colonisation
rwandaise »164. Même si depuis le régime de
Laurent-Désiré Kabila, le Congo en tant qu'État ne pouvait
pas tolérer cette conception humiliante du Rwanda sur la
République Démocratique du Congo, cette perception revient
régulièrement dans le discours des congolais à chaque fois
que la présence de militaires rwandais est observée sur le
territoire congolais, notamment les régions du Kivu où
règne l'instabilité. C'est d'ailleurs dans ce contexte que s'est
développé non seulement la rhétorique contestataire contre
la présence des militaires rwandais sur le territoire congolais, mais
également s'est réactivé le discours anti-tutsi. Celui-ci
étant devenu le potentiel ennemi du Congo. Cependant tout porte à
croire que le Rwanda n'est pas le seul pays de la région à
s'ingérence dans les conflits à l'Est du Congo. Un autre acteur
régional parmi tant d'autres qui mérite d'être
convoqué, c'est l'Ouganda.
162 Ibid., p. 283.
163 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », In Politique africaine, 1999/3 N°75, pages 34
à 59, p. 47.
164 Ibid., p. 51.
67
2.2. De l'ingérence ougandaise en RDC
Il existe plusieurs interprétations sur
l'ingérence de l'Ouganda dans les conflits congolais. L'une des plus
fréquentes consiste à voir dans l'intervention militaire de
l'Ouganda une tentative d'établir dans l'Est de la République
Démocratique du Congo en symbiose avec le Rwanda et le Burundi un «
empire hima »165. D'après ce courant, l'on soutient
l'idée que le président Museveni s'est lancé depuis
longtemps dans une grande entreprise impériale dans l'Afrique des Grands
Lacs, dont la conquête du Rwanda par le Tutsi entre 1990 et 1994 n'a
été que la première étape166. De ce
point de vue, ce courant de pensée affirme que les États-Unis
sont pour ainsi dire, censés soutenir l'Ouganda pour des raisons
géostratégiques liées aux intérêts miniers.
Le deuxième argument de l'ingérence ougandaise au Congo est donc
celui de la propagande des États-Unis. Si l'on part de cette
hypothèse, l'Ouganda, loin de toute finalité impériale, ne
serait en République Démocratique du Congo que pour des raisons
de sécurité. Le troisième argument est celui de « la
coalition ougando-rwandaise »167. Cet argument, écrit
Gérard Prunier, a couramment servi dans les milieux des organisations
internationale comme l'ONU et dans une certaine mesure l'Union
européenne : « Kampala se trouverait au Congo dans le but de
soutenir un régime rwandais menacé par un retour offensif des
tenants de l'ancien système génocidaire »168. On
parlerait ici des régimes rwandais et ougandais qui opéraient
concomitamment et main dans la main dans l'objectif d'empêcher le retour
des Interahamwe. Cependant, Gérard Prunier ne considère qu'aucune
de ces explications ne fonctionne et que les véritables motivations de
l'ingérence ougandaise dans les conflits congolais sont beaucoup plus
complexes et méritent un traitement approfondi et nos
simplifié.
En effet, Gérard Prunier remonte l'intervention
ougandaise en République Démocratique du Congo à partir de
l'histoire de la décolonisation en Afrique. « Quarante ans
après la décolonisation, nous assistons à un processus
d'éclosion d'État-nations en Afrique, avec tout ce que cela
implique d'intérêts matériels des élites, de
mauvaise foi nationaliste, de réflexion honnête sur la nature des
intérêts nationaux, de récupération propagandiste de
la détresse du `petit peuple' face aux phénomènes de
violence, de calculs diplomatiques complexes et de contradictions inextricables
héritées de l'État prénational est encore
165 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », Op. Cit.
166 Ibid., p. 43.
167 Gérard Prunier, Op. Cit., p. 44.
168 Ibid.
68
vivante »169. Il s'agit surtout de
faire « du désordre comme instrument politique »170
pour reprendre les termes de Patrick Chabal et Jean-Paul Daloz.
Gérard Prunier replace l'ingérence ougandaise en
République Démocratique du Congo dans son contexte. Ce contexte
est celui de la vision révolutionnaire et nationaliste réformiste
de président Museveni « pour qui certaines idées
essentielles président à l'action »171. L'une des
raisons de l'ingérence ougandaise en République
Démocratique du Congo est l'initiation venue de ce soubassement
idéologique radical. Le deuxième objectif de l'ingérence
ougandaise en République Démocratique du Congo (Zaïre
à l'époque) était celui du renversement du
Président Mobutu qui était l'antithèse presque
systématique du président Museveni. Pour le président
Museveni, « le Maréchal Mobutu représentait un solide danger
pour la sécurité ougandaise »172. Dans cette
perspective, l'argument de poursuite de rebelles Nalu et Amon Bazira
n'était qu'un épiphénomène, car ceux-ci
n'étaient que des irritants périphériques. Du coup, il
importe de comprendre que pour l'Ouganda, à la différence du
Rwanda le danger du péril était essentiellement extérieur,
même si, affirme Gérard Prunier, ses causes profondes
étaient plutôt extérieures.
Bien au-delà de l'engagement idéologique et le
souci sécuritaire, le troisième facteur de l'ingérence
ougandaise en République Démocratique du Congo tient aux
idées économiques du président Museveni qui, au demeurant
est marxiste. En tant que marxiste, « il continue à voir dans
l'économie la clef de l'histoire et ne croit pas à une
transformation du continent africain sur le plan politique sans de profondes
transformations du soubassement économique »173. En
fait, même si le Président Museveni croit à l'idée
américaine de la bonne gouvernance comme le souligne Gérard
Prunier, il ne croit pas non plus qu'elles doivent s'exprimer dans le
multipartisme avant que celui-ci ne puisse s'appuyer sur une base
économique plus ferme. En mettant en symbiose son ancien
déterminisme marxiste avec sa nouvelle religion libéral, «
il est littéralement obsédé par la nécessité
d'élargir les marchés en Afrique »174. Dans cette
perspective, il apparait comme l'anti-Nkrumah, si bien qu'ils ont une filiation
intellectuel commune qui remonte à Georges Padmore175. Il
importe de noter également à la suite de Gérard Prunier
que l'ingérence ougandaise auprès au sein du régime de
Laurent désiré était éminemment politique. Le
président Museveni souhaitait voir Laurent-Désiré Kabila
créer en
169 Ibid.
170 Patrick Chabal et Jean-Paul Daloz, L'Afrique est mal
partie, Paris, Economica, 1999.
171 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », Op. Cit., p. 44.
172 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », p. 45.
173 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres
congolaises », Op. Cit., p. 46.
174 Ibid.
175 Cfr. Georges Padmore, Panafricanisme ou communisme ?
Paris, Présence africaine, 1960.
69
République Démocratique du Congo une
régime « progressiste » avec lequel il aurait pu collaborer
pour éviter tout retour offensif des Soudanais dans le Haut-Congo, et
avec lequel il aurait la possibilité de « faire des affaires
», notamment étendant au géant de l'Afrique médiane
le projet de communauté économique dont Kampala
rêvait176. Comme on le souligner, les interventions
rwando-ougandaises ont ainsi occasionné le développement des
groupes armés étrangers sur le territoire congolais.
2.3. Groupes armés étrangères
L'émergence des groupes armés étrangers
en République Démocratique du Congo s'inscrit dans un temps long.
La prolifération de ces groupes armés découle d'une
histoire régionale marquée par la montée en puissance des
antagonismes politico-ethniques177. Roland Pourtier parle d'un
double clivage Tutus/Tutsis, autochtones/allochtones comme étant
à l'origine de la formation de ce groupes armés et autres milices
se réclamant d'auto-défense. En effet, après les
événements malheureux du génocide des Tutsi au Rwanda en
1994, je l'ai souligné, la République Démocratique du
Congo a accueilli plusieurs réfugiés Rwanda sur son territoire.
En 1996, à la suite de la destruction de camps de réfugiés
rwandais, notamment les réfugiés Hutus-rwandais, quelques
milliers d'entre eux qui étaient pour la plupart anciens militaires et
les miliciens Interahamwe acteurs du génocide vont trouver
refuge dans dans la forêt congolaise, précisément dans le
Kivu (Cfr. Roland Pourtier, 2016). Ces Interahamwe vont s'organiser en
un mouvement politico-militaire connu du nom de FDLR qui signifie Forces
Démocratiques pour la Libération du Rwanda. Plusieurs rapports
d'experts, en l'occurrence le rapport des experts de l'ONU connu du nom de
rapport Mapping178 montre que le FDLR ont souvent
bénéficié de l'appui en sous-main des autorités de
Kinshasa. Lors de nos entretiens semi-directifs179 avec les trois
officiers des Forces Armées de la République Démocratique
du Congo (FARDC) qui combattent les rebelles à Beni, l'un d'eux qui est
à l'Est depuis l'année 2000 me confirmait dans un mélange
du français et de Lingala la collaboration des FARDC-FDLR.
176 Gérard Prunier, « L'Ouganda et la guerre
congolaise », Op. Cit., p. 51.
177 Cfr. Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la
guerre au Kivu », in Béatrice Giblin, les conflits dans le
monde, Armand Colin, 2016 / page 249 à 261.
178 Le Rapport Mapping parle, Op. Cit., 2010.
179 J'ai réalisé sept entretiens
téléphoniques avec trois officiers des Forces Armées de la
République Démocratique du Congo qui sont à Beni. Je
reprends en annexe, l'intégralité de l'entretien du 12 mars 2021
réalisé avec l'Adjudant que je nomme (S) pour garder son
anonymat.
70
Les propos ces officiers tenus en « frangala
»180 (qui est mélange du français et de
Lingala) lors de nos échanges que je reprends en Annexe et que je
traduis, montrent la complexité qui existe dans les tentatives
d'éradication des conflits à l'Est du Congo. Les FDLR, disaient
ces officiers avec un ton parfois tendu et parfois décontracté,
sont des hutus qui sont des indésirables dans leur pays et qui
vivent à l'étranger (entendu la RD Congo). Il y a de
fois où ils prennent refuge chez eux (le chez eux dont il est
question ici c'est le Rwanda), parfois ils demandent un retour
légal. Cependant, lorsqu'ils arrivent parfois dans leur pays
(entendu le Rwanda), ils sont tués. Ils ont également
leur mouvement assez puissant qui fait la loi à l'Est de la RD Congo. Ce
sont eux qui occupent ce terrain au Nord-Kivu. (L'idée sous-jacente
ici que les FDLR connaissent bien le Nord-Kivu pour avoir vécu pendant
longtemps et d'avoir tisser et renforcé les liens avec les
communautés local où l'on trouve un plusieurs groupe
rwandophone). Mais nous combattons avec eux. Il y a de fois où si
nous collaborons avec eux, je te le dis parce que tu es proche de moi et je te
fais confiance (Le nous utilisé dans cette phrase renvoi
aux militaires de l'armée congolais). Parfois nous collaborons avec
eu d'une façon assez bonne ou mauvaise. Par rapport à la question
de savoir ceux qui les soutiennent, je te dis qu'ils sont parfois
appuyés par les députés nationaux originaire de leurs
villages (Lorsque je posais la question de savoir les personnes qui
soutiennent les FDLR, le ton de l'Adjudant EJ avait totalement changé.
Il n'hésitait pas de m'assimilé aux politiciens. Pour lui, le
fait que je suis étudiant en science politique, je fais également
partie de cette catégorie des acteurs politiques congolais qui veulent
que la situation sécuritaire à l'Est demeure
échangée). Pour eux, lorsqu'il y a la guerre, ils profitent
de l'occasion, disant qu'à partir de la guerre, les fonds et les moyens
de la République sortiront pour pouvoir soutenir leurs actions et avoir
une autonomie financière. Par conséquent, s'il y a la paix, ils
ne pourront pas avoir des moyens. Lorsqu'il y a l'insécurité, ils
sont dans la joie puisque les fonds de l'État sortent. Dans le
même temps, ils profitent de l'occasion pour construire des hôtels,
acheter des appartements. Aujourd'hui, je suis pressé, mais voilà
l'essentiel... Après l'appel en urgence de ses camarades, notre
entretien avec l'Adjudant (S) s'est terminé dans une ambiance
plutôt conviviale. Il était d'ailleurs content de communiquer avec
moi depuis Paris.
Comme on le constater dans ces propos de ce soldat de
l'armée congolaise, les FDLR comme mouvement politico-militaire
contrôlent des territoires miniers au Nord-Kivu et Sud-Kivu, ce qui
assure le côté économique de leur mouvement. Leur bonne
connaissance du terrain leur permet d'échapper aux quelques tentatives
d'opération militaire montée contre eux (Roland
180 Le frangala est un mélange du
français et le Lingala qui est l'une des quatre langues nationales en
République démocratique du Congo
71
Pourtier, 2016). Même si aujourd'hui le mouvement semble
être affaibli par rapport à ses débuts, il continue tout de
même semer la terreur au sein de la population et bénéficit
non seulement l'appui des acteurs politico-militaires congolais mais
également des solides appuis au sein des réseaux de
commercialisation de minerais dans l'Est de la République
Démocratique du Congo. Ceci montre le caractère ambiguë et
complexe des conflits et violence dans la région de Kivu. En 2014, le
gouvernement congolais et la MONUSCO, n'ont pas réussi leur plan de
désarment de ce mouvement. Les FDLR ne sont pas les seuls acteurs de la
terreur dans la région de l'Est de la République
Démocratique du Congo. D'autres acteurs méritent d'être
soulignés.
En effet, le Congrès national pour la défense du
peuple (CNDP) verra le jour en 2005 sous la houlette de Laurent Nkunda. Ce
deuxième acteur se présentait quant à lui comme mouvement
de la défense des Tutsis du Congo (Scott STEWART, 2008), implanté
dans les territoires à fort peuplement banyarwanda, notamment
à Masisi et à Rutshuru. Plusieurs études, notamment celles
de Roland Pourtier (2016) et Scott Stewart (2008) montrent que ce mouvement
était fortement lié aux élites économiques
rwandophones, en l'occurrence les Tutsis. Le CNDP tirait donc une part de ses
ressources de l'économie minière. En 2009, le rapprochement entre
la République Démocratique du Congo et le Rwanda aura comme effet
immédiat non seulement l'arrestation du leader du CNDP, Laurent Nkunda
actuellement au Rwanda, mais également l'intégration du mouvement
dans l'armée de la République Démocratique du Congo. Dans
le même temps, une partie de ces rebelles contesta cette
intégration en 2012 estimant que l'accès aux ressources
minières leur était fermé. C'est dans cette perspective
qu'ils vont reprendre le chemin de la rébellion en créant en 2012
le Mouvement du 23 mars (M23), avec le soutien du Rwanda181. Le M23
a été vaincu en 2013 avec l'appui de la Monusco, du moins
militairement. C'est d'ailleurs l'unique opération réussi de la
Mission des Nations unies pour stabilisation de la République
démocratique du Congo qui fait l'unanimité.
Un autre groupe rebelle étranger comme acteur de
l'instabilité à l'Est de la République Démocratique
du Congo ce sont les ADF182. Certaines études remontent les
origines lointaines des ADF en Inde. En effet, c'est en Inde au début du
20ème siècle que se niche la préhistoire de la
rébellion ADF, Allied Democratic Forces183 . En
novembre 2018, le Groupe d'Études sur le Congo (GEC) publiait
un rapport dans lequel il montre que le premiers membres de ce groupe
181 Roland Pourtier, 2016, Op. Cit. p. 258.
182 ADF signifie Allied Democratic Forces.
183 Matthieu Vendrely, En RDC, qui est la rébellion
ADF qui sévit dans la région de Beni ? TV5MONDE. Source :
https://information.tv5monde.com/afrique/en-rdc-qui-est-la-rebellion-adf-qui-sevit-dans-la-region-de-beni-334045,
Consulté le 04 avril 2021.
72
rebelle appartenaient à la secte Tabligh, née
dans une Inde sous la domination britannique. Très actifs dans les
opérations des tueries sporadiques dans le Kivu, ce groupe constitue une
véritable menace sécuritaire dans les Kivus.
Même s'il existe une prolifération des groupes
armés à l'Est de la République Démocratique du
Congo, il convient de souligner que certains de ces groupes armés
dominent les conflits. Le GEC et le baromètre sécuritaire du Kivu
en recensent quatre. Il y a tout d'abord le Forces démocratique
alliées (ADF), les Forces démocratiques pour la libération
du Rwanda (FDLR), l'Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain
(APCLS) me NDC-R, ainsi que l'armée congolaise qui sont responsables de
plus d'un tiers de tous les accidents et la moitié de civiles
tués184. Aujourd'hui, les ADF sont une grande menace
particulière. Ils sont considérés comme responsable de
plus de meurtres de de civils (37%) que tout autre groupe armé, et de
loin d'ailleurs185. Dans le même temps, d'autres groupes
armés qui avaient longtemps constitué des noeuds de conflits, en
l'occurrence le FDLR et le Front national de libération (FNL) burundais
semble perdre leur importance, quand bien même que les incursions
régulières des armées rwandaise et burundaise ont
contribué à la contre mobilisation de groupes Congolais. La
situation est telle que de zones spécifiques des conflits et de violence
ont totalement modelé les types de mobilisation de la violence. Outre la
situation qui prévaut à Beni, le NDC-R a formé un noeud de
conflit qui attire des alliés mais en même temps galvanise
également de rivaux comme son principal adversaire, la coalition des
mouvements pour le changement du Congo (CMC), les différents groupes
« Mazembe dans le Sud du Lubero ». Le rapport du GEC montre que
« l'impulsion du groupe, qui a commencé avec une scission et un
moindre soutien de l'armée congolaise en 2020, pourrait
déclencher une dynamique inverse »186. Dans les Hauts
Plateaux du Kivu, on assiste depuis quelques années à une forte
escalade de la violence. Si les acteurs du conflit se multipliés, il
s'avère que les principaux protagonistes ont également
réussi à rassembler les belligérants au sein de la
coalition plus large et décentralisé. Le point suivant abordera
l'examen de ces quatre zones géographiques de conflit du Sud au Nord.
184 Groupe d'étude sur le Congo,
Baromètre sécuritaire du Kivu, Center on International
Coopération, « La Cartographie des groupes armés dans l'Est
du Congo... », Op. Cit., p. 9.
185 Ibid.
186 Groupe d'étude sur le Congo « La
cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op.
Cit., p. 11.
73
3. Le cas de Minembwe comme carrefour du local, du
national et du régional
La crise de Minembwe avait été
présenté en fin 2019, du moins par les médias
internationaux comme étant un événement nouveau. Pourtant
la guerre sur les Hauts Plateau du Sud-Kivu commençait
déjà ses signes depuis 2015, dans un contexte où les
conflits locaux pour le pouvoir coutumier se sont mêlés aux luttes
de pouvoir régionales dans le sillage de la crise politique de 2015 au
Burundi. L'ingérence régionale, mêlée à
l'opportunisme des hommes politiques ont remis sur la scène nationale
l'ancien débat mais toujours nouveau de la « balkanisation »
du Congo en 2019. Cette situation a alimenté les bases d'une violence
accrue tout au long l'année 2020 jusqu'à aujourd'hui. Cependant,
bien que cette crise présentée généralement comme
un conflit ethnique entre des population autochtones et allochtones, pourtant
Gérard Prunier montre clairement que les identités ethniques ne
sont pas la cause de conflit en République Démocratique du Congo
mais en sont seulement « les outils, conséquence d'une situation
politique, économique et social profondément pourri
»187. Ce qu'il convient de savoir c'est le fait que les raisons
profondes de la violence à Minembwe dans les Hauts Plateaux du Sud-Kivu
demeurent complexes.
Les dernières vagues de violence à Minembwe a
mobilisé l'intervention de plusieurs acteurs. D'ailleurs, les acteurs de
toutes les communautés ethniques se sont retrouvés «
à parts égales parmi les victimes et les instigateur
»188. Comme je l'ai évoqué
précédemment, si les groupes armés recrutent en fonction
de lignes ethniques, par exemple les Gumino mobilisant parmi les «
Banyamulenge », les Maï-Maï Yakutumba et les Biloze Bishambuka
parmi les Bembe, Fuliiro et Nyindu, il s'agit pour ainsi dire d'une
conséquence et d'une cause de conflit. Comme dans d'autres parties de la
République, marquées par la contestation de l'autorité, le
dirigeants politiques et militaires de Hauts Plateau s'accrochent sur des
cadres ethniques et des histoires d'appartenance identitaire pour rallier des
combattants. Verweijen Judith considère que, les explications
privilégiant une « grille ethnique deviennent des prophéties
qui se réalisent d'elles-mêmes »189. Tout ceci
rend complexe la distinction des multiples causes de conflits et violences dans
cette partie de la République Démocratique du Congo.
187 Gérard Prunier, From Genocide to Continental
War. The `Congolese' Conflicts and the Crisis of Contemporary Africa,
London, Hurst, 2009, p. 170-171
188 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre
sécuritaire du Kivu, Center on International Cooperation, « La
Cartographies des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op.
Cit., p. 12.
189 Cfr. Verweijen Judith et al. (à
paraître), Mayhem in the Mountains. How violent conflict on the Hauts
Plateaux of Fizi, Uvira and Mwenga became intractable. Insecure
Livelihoods series, Governances in Conflict network, Université de Gand.
Cité par Groupe d'étude sue le Congo « La cartographie des
groupes armés dans l'Est du Congo », Op. Cit., p. 12.
74
Cependant, lorsqu'on examine minutieusement les conflits
à Minembwe, l'on constate que les tensions intracommunautaires sont bien
évidemment plus fréquentes que les tensions intercommunautaires.
Il y a souvent des escarmouches qui ont lieu entre des groupes armés
censés défendre la même communauté
communément appelé « Banyamulenge », comme entre les
Twigwaneho qui est désormais soutenus par le colonel déserteur
Michel Rukunda et les Gumino, tandis que les conflits de succession au sein des
entités coutumières opposent de Fuliiro ou de Bembe entre eux.
Outre ces arguments et en dépit d'une insécurité toujours
croissante, certains lieux de cohabitation entre Bembe, Fuliiro, Vira, Nyindu,
Banyamulenge et Mbuti existe toujours. L'on constate également des
coalitions complexes, très souvent basées sur le principe de
« l'ennemi de mon ennemi est mon ami »190. C'est ce qui
déclenche un enchaînement d'alliance et contribue en quelque sorte
à susciter ce que l'on appellerait aujourd'hui l'antagonisme et la
militarisation des communautés et des groupes armées qui leurs
sont associés.
Un dernier élément qui rend encore complexe les
conflits à Minembwe, c'est l'ingérence du Rwanda et du Burundi
que j'ai suffisamment mobilisée. Le rapport de GEC souligne le fait que
certaines parties de l'opposition de l'armée burundaise ayant choisi
Uvira et Fizi comme bases arrière pour organiser la résistance,
« elles ont conclu des alliances de convenance dans le paysage
tentaculaire des groupes armés dans la plaine de Ruzizi
»191. Dans le même temps, des incursions de
l'armée burundaise se sont intensifiées sur le sol congolais,
souvent en collaboration avec les milices de la plaine de la Ruzizi. L'on
constate par la suite que les forces anti-Bujumbura, en l'occurrence la
Résistance pour un état de droit (RED)-Tabara ou les Forces
républicaines du Burundi ont été soutenu par le Rwanda,
tandis que les acteurs de l'opposition rwandaises tels qui la formation du
congrès national (RNC)/P5 ou le Conseil pour le renouveau et la
démocratie (CRD) et sa branche armée, les Forces de
libération nationale (FLN, étaient soupçonnés
d'avoir des affinités avec le gouvernement de Bujumbura.
Conclusion
Cette partie qui se voulait l'étude des conflits et
violences à l'Est de la République Démocratique du Congo a
permis de rentrer en immersion de ce qui rend le vivre ensemble improbable dans
cette région de l'Afrique des Grand Lacs. L'on retiendra dans cette
partie que l'arrivées massive des réfugiés rwandais en
1994, l'exile de Tutsi au Rwanda en 1995, les deux guerres du Congo ont
modifié radicalement plusieurs des éléments sur lesquels
reposait la
190 Groupe d'étude sur le Congo, « La cartographie
des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit.,
p.
191 Ibid.
75
dynamique conflictuelle dans les provinces du Kivu. Le premier
facteur des tensions ethnique est bien évidemment les litiges
fonciers.
La criminalisation de l'économie par l'implication des
groupes armés dans l'exploitation de matières premières
impliquant plusieurs acteurs, notamment les multinationales, les groupes
armés et les groupes mafieux augmente le risque de prolongation de
conflits qui engendrent la violence. Les enjeux des conflits à l'est de
la République Démocratique du Congo sont non seulement
économiques mais aussi et surtout politiques. D'où
l'ingérence des puissances étrangères. Si le Rwanda et
l'Ouganda apparaissent comme les acteurs régionaux notablement
impliqués dans les conflits à l'Est du Congo, qu'en est-il des
grandes puissances symboliquement représentées par l'Organisation
des Nations unies pour la stabilisation du Congo ?
RÔLE DE LA MONUSCO DANS LES CONFLITS DANS LES
KIVU
Introduction
Dans cette partie, il sera question d'étudier le
rôle que joue la Monusco dans la résolution des conflits dans les
régions du Kivu, une région marquée par la
prolifération des groupes armés étrangers et les milices
locales dites d'autodéfense. Je montrerai à travers l'approche
politique et sécuritaire les facteurs de prolongation et de
légitimation de la mission des Nations Unies pour le maintien de la paix
en République Démocratique du Congo. Deux facteurs importants,
à savoir la promotion des Droits de l'homme et la recherche de la paix
mondiale, méritent d'être étudiés.
A. MONUSCO : UNE MISSION DE PROMOTION DES DROITS DE
L'HOMME ET DE PROTECTION DES CIVILES OU DU MAINTIEN DE
L'HÉGÉMONIE ?
Les questions relatives aux droits de l'homme sont
légion à notre époque, et il se passe rarement une semaine
sans qu'un point d'actualité en République Démocratique du
Congo ne soit rattaché à un enjeu impliquant ces droits. Ils sont
régulièrement l'objet de discours, de débats, de
confrontation par tout un ensemble d'acteurs variés dans le spectre
politique et militant : représentant d'États et d'organisations
internationales, membres d'organisation non
76
gouvernementales (ONG), acteurs issus de la
société civile (mouvements citoyens, associations, etc.). Mais de
quoi parle-t-on lorsque l'on évoque ces droits ?
Les droits de l'homme sont un ensemble de notion dont les
toutes premières émanations ont émergé au cours de
l'Antiquité en Europe. Mais c'est surtout à partir du XVIII
ème siècle en Europe occidentale et aux États-Unis
d'Amérique qu'un premier sens moderne va être
institutionnalisé pour ce droit : il s'agit d'un ensemble de droits
inaliénables qui impose le respect de l'individu dans son
intégrité, et qui se situe au-dessus de toute loi. L'un des
meilleurs exemples de la mise sur marbre de ces droits est la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen pendant la
Révolution française, le 26 août 1789 à Paris. Parmi
ces droits se trouvent la liberté de croyance, d'opinion, liberté
de vivre libre dans la sécurité et la dignité, etc.
Depuis, cette déclaration a gardé son fondement
initial, tout en s'enrichissant de nouveaux actes, au gré de
révolutions sociales, des évolutions sociétales et
politiques192 : droits sociaux et économiques,
droits-créances, droits syndicaux, et plus récemment même
des droits environnementaux. La définition précise des droits de
l'homme est un enjeu en lui-même, en fonction de positionnement des
acteurs sur les scènes nationales, internationales et
transnationales.
L'ensemble des droits que je viens d'évoquer ne sont
qu'une énonciation générale et abstraite de sens que l'on
peut inclure dans les droits de l'homme. D'un point de vue plus international,
une petite mise en contexte s'impose pour mieux comprendre les enjeux actuels
qui y sont relatifs. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la
communauté internationale, intensément marquée par un
conflit qui a vu entre autres l'extermination systématique de plus de
six millions de personnes de religion juive en Europe, se dote d'une
organisation qui poussera plus loin les principes de la Société
des Nations (SDN). Sous l'égide des États-Unis d'Amérique
- l'un des grands vainqueurs de ce conflit avec l'Union des Républiques
Socialistes Soviétiques (URSS) - l'Organisation des Nations-Unies est
créée durant la conférence de San Francisco, d'avril
à juin 1945. Le but de cette organisation est de prévenir les
futurs conflits en accentuant le dialogue entre les nations. En 1948, dans le
cadre de ces Nations-Unies, une Déclaration universelle des Droit de
l'homme est adoptée. Elle définit tout un ensemble de droits,
auquel les États doivent se soumettre. Bien que non contraignant d'un
point de vue du droit international, ce texte est l'une des principales sources
d'inspiration pour tout un ensemble de traités internationaux ou
régionaux qui eux ont une valeur plutôt contraignante. Et à
entendre le discours de la plupart des ONG et de membres de la
société civile internationale, ces droits
192 Lochak Danièle, « V.
Universalisation et universalité des droits de l'homme »,
Danièle Lochak, éd., Les droits de l'homme, Paris, La
Découverte, 2018, pp. 34-54.
77
inscrits dans cette Déclaration et ces traités
sont des choses que l'on oppose aux États, lesquels sont tenus et
contraints de respecter ces derniers afin de garantir l'intégrité
des individus.
Cependant, dans un contexte de Guerre Froide, la signification
portée aux droits de l'Homme va prendre un enjeu idéologique.
D'un côté, le bloc occidental mené par les
États-Unis prône la démocratie libérale qui
s'inscrit dans le capitalisme et l'économie de marché, et de
l'autre, le bloc de l'Est mené par l'URSS prône le communisme et
le socialisme et l'économie d'État. Cette confrontation va
engendrer des conséquences sur les acteurs, les discours, et les
pratiques relatives aux droits de l'Homme, dont les répercussions se
manifestent toujours, trente années après la fin de cette
opposition des deux grandes puissances qui avaient émergé
à l'issue du second conflit mondial. Régulièrement
critiqué par tout un ensemble d'acteurs pour le contenu qui y est
attribué, les droits de l'homme sont dénoncés comme
servant une hégémonie souvent américaine, parfois
élargie à l'Occident de façon plus large.
Je tenterai ainsi de répondre dans les points qui
suivent à la question suivante : en quoi les droits de l'Homme, dans
leur emploi et leur définition, peuvent-ils être, du moins dans le
cadre la mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation du
Congo, considérés comme l'expression d'une domination de certains
acteurs sur d'autres ? Dans un premier temps, je montrerai que ce qu'on appelle
« Droits de l'Homme » est un ensemble de pratiques, des discours
portés par des acteurs spécifiques, dans une logique que l'on
qualifie de champs social (pour reprendre le concept de Bourdieu) des Droits de
l'Homme et de la démocratie. Bien au-delà d'une simple opposition
de droit que les individus portent et que les États sont tenus de
respecter, je développerai, dans un deuxième temps, le fait
qu'ils sont un enjeu pour les puissances nationales et internationales afin de
légitimer leurs actions et interventions : on peut considérer
qu'ils peuvent être instrumentalisés dans une logique de
domination.
1. Les droits de l'homme comme culture partagée
d'un ensemble d'acteurs dominants aux prédispositions comparables
Comme je le mentionne plus haut, les droits de l'homme sont
souvent perçus comme des droits dont les individus disposent et qu'ils
peuvent opposer aux États. C'est la manière dont la
théorie classique en droit international a souvent vu la leçon
dont les droits de l'homme s'insèrent dans les relations entre acteurs.
Ce constat a depuis été largement dépassé. Toute
une série de concepts et des théories ont depuis
été développés pour expliquer quels rôles
jouent les droits de l'homme dans les relations internationales et
transnationales. L'une de grilles de lecture les plus saillantes à la
fin des années 1990 a été celle du Transanal
Advocacy Netword (TAN), développé par Keck et Sikkink en
1998. Cette dernière a analysé les acteurs portant les
78
droits de l'Homme comme étant connectés sous
forme de réseaux. Réseaux qui dépassent les cadres
étatiques tant au niveau territorial qu'institutionnel. Ainsi, ces TAN
complètent l'idée de Epistemic community
développée par Peter Hass plus tôt dans les
décennies : c'est un ensemble des réseaux d'acteurs dans le
domaine de l'expertise ou académique qui sont reconnu et se
reconnaissent entre eux dans un domaine particulier, et qui de surcroît
porte des revendications de légitimité à se prononcer dans
ce domaine de politique donné. Ces TAN permettaient, pour les auteurs
qui ont utilisé ce concept par la suite de créer une
gouvernementalité plus démocratique à l'échelle
internationale, en ce que dans un monde globalisé comme le nôtre,
il permet une meilleure coordination des savoirs, des ressources entre une
multitude d'acteurs qui, isolés, ne disposent pas d'un poids suffisant
pour porter les droits de l'Hommes face aux États.
Cependant, ces travaux pâtissent d'une lacune
fondamentale : ils ne soulignent pas vraiment les capitaux mobilisés par
cet ensemble d'acteurs, et ne creusent pas la question des origines, des
formations de différents individus qui sont considérés
comme étant des professionnels de l'international, de la défense
des droits de l'Homme. Ce sont les apports de Yves Dezalay et Bryant Garth en
1998193 et plus tard de Nicolas Guilhot en 2005194 qui
vont porter principalement cette critique et proposer une grille de lecture
alternative pour mieux saisir l'objet des droits de l'Homme et ses enjeux dans
le monde contemporain.
Les travaux de ces acteurs portent leur attention sur la
manière dont se sont constituées tout un réseau d'acteurs
variés qui entretiennent des liens étroits entre eux et avec les
instances de pouvoir états-uniennes dans la seconde moitié du XXe
siècle. Dezalay et Garth expliquent qu'au sortir de la Seconde Guerre
Mondiale, les droits de l'Homme vont être investis dans le pouvoir
états-uniens dans la logique d'opposition au communisme implanté
dans le pays sous influence soviétique. Tout un ensemble d'acteurs issus
de classes aux capitaux élevés vont se mettre en action afin de
porter ces droits dans un but de destruction du communisme : juristes,
scientifiques, universitaires, philanthropes, etc. Ces notables, issu des
mêmes universités prestigieuses, vont entretenir des relations
avec le pouvoir fédéral et créer des liens dans nombres de
pays pour implanter un environnement favorable à la démocratie
libérale. À cette époque, voit la naissance d'institutions
de recherches, d'organisation comme Amnesty International (Britannique), qui
vont porter en elles, les valeurs libérales sur la question des
193 Dezalay Yves, Garth Bryant, « Droits
de l'homme et philanthropie hégémonique. », Actes de la
recherche en science sociale. Vol. 121-122, mars 1998. Les ruses de la
raison impérialiste, pp. 23-41.
194 Ghuillot Nicolas, The Democracy
Makers: Human Rights and the Politicals of Global Order, Columbia
University Press, 2005.
79
droits de l'Homme. Cependant, les échecs de
États-Unis au Vietnam, les révélations de financements
occultes par les services secrets américains vont rediriger leurs
efforts vers une vision moins pro-gouvernementale. Porté par des
militants plus à gauche issu des campus de grandes universités,
Delazay et Garth souligne leur statut d'outsider dans ces
institutions, dont les individus les plus dotés en capitaux se trouvent
à des postes au sein de l'administration fédérale. C'est
à cette époque que l'on voit la création d'ONG comme
Human Right Watch.
Au cours du milieu de ces années 1970, le consensus de
façade des classes dirigeantes se délite, et deux fractions
principales voient le jour. D'un côté, un ensemble d'acteurs
situés plus à gauche sur l'échiquier politique, qui vont
porter les droits de l'Homme comme une limitation de la souveraineté des
États par le droit international ; de l'autre, une fraction plus
à droite, précurseur de la contre-révolution conservatrice
qui portera Reagan à la Maison-Blanche en 1980, et défendra les
droits de l'Homme comme mode de la gouvernementalité
démocratique. La thèse de Nicolas Guilhot, qui complète
l'étude de Dezalay et Garth - en cherchant à analyser les
dispositions sociales des individus porteurs de ces discours et de ces
pratiques - sera de considérer ces deux groupes comme étant
complémentaires. Selon lui, ils forment un seul et même champ
social, au sein duquel une lutte de définition de normes et des capitaux
s'établit pour légitimer un projet plutôt qu'un autre. En
effet, pour revenir à Dezalay et Garth, même si le consensus
évoqué plus haut semble s'effriter, ce champ de pratiques et de
discours perdure car les acteurs qui en relèvent font partie d'un seul
et même microcosme, traversé par des oppositions entre des section
des classes dominantes. Il s'inscrit dans les deux logiques : celles de
l'économie du marché et des pratiques d'État.
Dans la première, les différentes ONG ou
organisations de défense des droits de l'Homme sont financées par
des fondations philanthropiques qui monnaient leurs dons par l'agitation de la
concurrence. Cette concurrence se joue tant au niveau de ces fondations que des
organisations de défense, mais se retrouve aussi dans les
médiatisations des travaux de ces acteurs professionnels de l'activisme
des droits humains. Dans la seconde, cet ensemble d'acteurs se voit en forte
connexion avec les instances gouvernementales et ainsi, toutes les
administrations fédérales américaines ont une influence
certaine sur le travail de l'intégralité des acteurs, Tandis que
ce dernier, influence de façon relative les orientations en politiques
étrangères de Washington. Dans les deux cas, chaque acteur est en
interdépendance les uns avec afin de légitimer leurs actions et
leurs existences, et ce même du camp opposé, qui offre des
possibilités de médiatisation en organisant son opposition
à celui-ci.
On comprend mieux l'existence de ce champ de pratiques et de
discours quand on s'intéresse à des cas spécifiques.
L'exemple de Human Rights Watch (HRW) est
80
représentatif. Créé par des militants des
droits de l'Homme en 1975 à la suite des accords
d'Helsinki195, cette ONG est constituée d'environ 150 experts
dans les domaines de la recherche, du plaidoyer, des médias, etc.
Beaucoup de ses membres ont été auparavant et par la suite de
leur passage à HRW en service dans d'autres institution privées,
gouvernementales et internationales196.
Les auteurs mobilisés nous permettent de comprendre en
quoi une division internationale du travail s'opère entre
différentes institutions peuplées d'acteurs qui se connaissent et
se reconnaissent. Cela permet de justifier un certain interventionnisme que
nous allons développer ici dans un cadre différent que celui des
États-Unis et de sa politique étrangère. Il s'agit
plutôt de l'usage des droits de l'Homme dans le cadre des
opérations de maintien de la paix, notamment dans les pays du Sud en
général, et en particulier en République
Démocratique du Congo.
2. Les droits de l'homme dans leur aspect
interventionniste et `'humanitaro-repressif » : Monusco dans les
opérations de maintien de la paix
Les opérations de maintien de la paix ou de
construction de la paix menées par l'ONU, notamment dans les pays du Sud
en général et en République démocratique du Congo
en particulier, trouvent leurs légitimations par le prisme des droits de
l'Homme et de la paix mondiale. Fondées souvent sous un accord de paix
globale négocié à l'échelon international, ces
opérations sont mandatées par le Conseil de
sécurité en raison de leur responsabilité principale qui
l'échoit en matière de paix et de sécurité
internationale. Comme l'écrit Pascaline Motsch, à la fin de la
guerre froide, les Nations Unies passent d'une logique classique de maintien de
la paix à une logique plus substantielle de la construction de la
paix197. Ce qui parait encore plus intéressant dans cette
vision interventionniste, c'est le fait que la nouvelle approche de la paix
constructiviste des Nations Unies a permis aux droits de l'Homme de faire leur
entrée dans le domaine du maintien de la paix. C'est pourquoi,
conformément aux orientations voulues par les experts et le soutien du
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, le Conseil de
sécurité intègre dans les interventions une mission
spécifique de « protection et
195 Les Accords d'Helsinki est nom
donné à l'Acte final de la Conférence d'Helsinki (ou
conférence sur la sécurité et coopération en Europe
- CSCE) ont été signés le 1er
août 1975 entre 33 pays européens, les États-Unis et le
Canada. Ces accords visent à établir une paix durable entre les
pays signataires.
196 Kean Bhatt,» The Hypocrisy of Human
Rights Watch», NACLA Report on the América, Vol 46,
n°4, 2013, pp. 54-58.
197 Pascaline Motsch, « Les droit de
l'homme dans les missions de construction de la paix », dans Civitas
Europa, 2018/2 (N°41), p. 51-65.
81
promotion des droits de l'homme » exécutée
par une division, une section ou encore un Bureau des droits de l'Homme.
Du point de vue de l'histoire, la première mission
axée sur les droits de l'homme fut déployée en 1991 au
Salvador. Les 42 observateurs et conseillers des droits de l'Homme avaient pour
tâche de surveiller le respect des droits de l'Homme conformément
aux stipulations de l'accord de San José. Cependant, l'opération
sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda en 1994 fut la
première mission d'enquête à être dotée d'un
Haut-Commissariat aux droits de l'Homme. Alors que les opérations de
maintien de paix comprenant un volet spécifique de protection des droits
de l'Homme ont commencé en Bosnie où la Mission des Nations-Unies
en Bosnie-Herzégovic (MINUBH) a été chargée par le
Conseil de sécurité de mener ou d'aider à mener des
enquêtes sur les violations des droits de l'Homme commises par des agents
de la République198. La MONUSCO en tant que mission de
protection des droits de l'Homme peut être comprise à travers deux
activités qui incarne une forme de domination à savoir la
surveillance du respect des droits de l'Homme, l'activité
d'enquête sur la violation des droits de l'Homme.
Dans l'activité de la surveillance, l'on remarque que
les Divisions des droits de l'Homme cherchent à découvrir
l'ensemble du territoire, avec différents bureaux et antennes
installés dans les zones les plus instables, comprenant aussi des
équipes mobiles. Ces divisions à travers des mécanismes de
contrôle répertorient les victimes et témoins des
violations de droit de l'Homme en s'appuyant également sur un
réseau d'organisations non gouvernementales pour surveiller le respect
de droit de l'Homme. Dans le cadre de la MONUSCO, le Bureau conjoint des
Nations Unies aux droits de l'Homme travaille avec d'autres acteurs et
spécialistes de ce sujet, notamment Amnesty International et Human
Rights Watch que j'ai évoqué précédemment, pour
pousser le gouvernement congolais à promouvoir les droits de l'Homme. En
2020, le BCNUDH a soutenu le parlement congolais dans les réformes
législatives visant à améliorer le système de
protection des droits de l'Homme. Cette commission a
bénéficié d'ailleurs de l'appui technique, logistique et
financier du BCNUDH199. Sur le plan législatif, le BCNUDH
apporte un appui technique et financier au Ministère
délégué chargé des personnes en situation de
handicap et autres personnes vulnérables (les enfants qui travaillent
dans les mines, les femmes victimes de viols) dans le processus
d'élaboration et d'adoption de la loi. Cela rejoint l'idée
développée dans la partie précédente :
l'implication des droits de l'Homme
198 Ibid., Pascaline Motsch, 2018.
199 Organisation des Nations Unies, «
Transcription de la conférence de presse One UN en RDC », le 09
décembre 2020 à Kinshasa.
82
comme mode de gouvernementalité, appliquée par
un ensemble d'acteurs dans des espaces périphériques, sert
à légitimer un mode de gouvernance et des institutions dans la
définition des normes. Les droits de l'homme dans leur aspect
interventionniste et « humanitaro-repressif » constituent donc le
premier facteur de reproduction et de légitimation de la Monusco, et par
ricochet perpétue l'hégémonie des grandes puissances.
C'est dans cette perspective que l'on peut penser le passage de la Monusco
à travers la Brigade d'intervention d'une mission d'observation à
une mission d'intervention par le prisme de la coopération.
B. DE LA MISSION D'OBSERVATION À LA MISSION
D'INTERVENTION ET DE COOPÉRATION
Les violations régulières des droits de l'Homme
documentées par le BCNUDH et les autres organisations transnationales
comme Amnisty international et Human Right Wach sont à l'est du Congo.
Violations qui sont les fruits de l'instabilité et de
l'insécurité liées à la permanence des groupes
armés sont un facteur de légitimation des interventions
militaires de la Monusco. D'une mission d'observation à une mission
d'intervention, la mission des Nations Unies en République
Démocratique du Congo est toujours en quête de
légitimité à travers des négociations
renouvelées. Dans ce point, je cherche ainsi à montrer comment se
matérialise cette quête de légitimité.
Avec la résolution 2409 (20218)200
renouvelant le mandat de la Monusco, malgré l'ampleur des contestations
initiées par les différents mouvements citoyens, hostiles
à la présence des Casques Bleus à l'Est de la
République Démocratique du Congo, l'ampleur de
l'insécurité et les tueries de populations villageoises, ont
permis à la Monusco de rejouer les cartes de la coopération
militaro-civile. Dans son compte-rendu de l'actualité des Nations unies
en République Démocratique du Congo du 28 octobre 2020, l'ONU
recense un total de 3702 activités opérationnelles impliquant les
patrouilles de jours comme de nuits, les escortes et les reconnaissances
aériennes. Dans ce compte-rendu, on peut lire que « l'objectif
prioritaires de ces opérations étant de renforcer la protection
de la population »201. À travers le concept de
coopération, la Monusco mène ses activités
militaro-civiles avec les acteurs nationaux, internationaux et transnationaux.
Ajoutant à cela, de la génie civile (construction et
réhabilitation de routes et d'écoles) et du renforcement des
capacités des acteurs locaux, la
200 Nations Unies, S/RES/2409 (2018).
201 ONU, Compte-rendu de l'actualité des Nations unies
en RD à la date du 28 octobre 2020.
83
Force d'intervention intensifie les activités de
sensibilisation et de prévention contre la violence au profit des
populations dans tous les secteurs.
Toujours dans la même dynamique de coopération,
pour renforcer la discipline et la bonne conduite de troupes, la Force
d'intervention organise des formations de ces points focaux contre la
prévention des abus sexuels dans tous les secteurs.
1. Coopération FARDC-MONUSCO : Brigade
intervention militaire
L'adoption à l'unanimité de la résolution
2463 (2019) par les membres du Conseil de sécurité sur le mandat
de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en
République Démocratique Congo, a radicalement modifié les
rapports entre la Monusco à travers sa Brigade d'intervention et les
Forces Armées de la République Démocratique du Congo. Ce
nouveau prolongement à « titre exceptionnel » de la brigade
d'intervention, obtenu dans un contexte où la contestation à
l'égard de la Mission avait atteint son point
d'irréversibilité, permet de réinterroger les rapports de
force entre « le centre et la périphérie »202 pour
reprendre les termes d'Immanuel Wallerstein.
Présentée sous le label de la coopération
entre le local et le global, la stratégie de légitimation de la
Mission apparait rassurante et permet de redorer l'image d'une Monusco
contestée localement. Pour montrer que l'ONU n'a pas pour vocation de
rester de façon permanente en République Démocratique du
Congo, le Conseil de sécurité joue le jeu de la
sérénité dans l'optique de postuler une séparation
en douceur en proposant de réduire le délai des interventions
conjointes MONUSCO-FARDC : « Ce délai minimum de neuf mois sera
également mis à profit pour préparer `'dans le
sérénité» le dialogue stratégique et la
stratégie de sortie en douceur et sans heurts de la MONUSCO
»203. Comme pour les autres résolutions, le texte de la
résolution 2463 (2019) rappelle les deux priorités
stratégiques de la Monusco qui sont la protection des civils et la
stabilisation de la République Démocratique du Congo. De ces deux
priorités, s'ajoute la question de renforcement des institutions de
l'État. Mais la question de la volonté de l'ONU à mettre
fin de façon totale aux groupes armées qui sèment la
terreur à l'Est de la RDC mérite d'être posée.
Tout porte à croire à tort ou à raison
que l'ONU n'a pas pour vocation d'aider de façon sincère la RDC
à éradiquer les groupes armés. Lorsqu'on lit le texte des
différentes résolutions,
202 Immanuel Wallerstein, Comprendre le
monde. Introduction à l'analyse des systèmes-monde, Paris,
La Découverte, 2009.
203 Mission de l'Organisation des Nations
Unies pour ls stabilisation en RDC, Échos de la Monusco, Vol. X
- N°87, Mars 2019, p. 4.
84
l'on constate que, très souvent, le Conseil de
sécurité s'évertue à condamner les groupes
armés opérant dans l'Est de la République
Démocratique du Congo plutôt que d'accompagner efficacement les
FARDC à l'éradication totale de ceux-ci. Le Conseil demande
généralement au gouvernement congolais dans ses
résolutions, de mener des nouvelles opérations militaires dans le
respect du droit international mais aussi de promouvoir les approches non
militarisées. D'où toute la question est de savoir comment
peut-on imaginer que la Monusco au travers de sa brigade d'intervention puisse
éradiquer des groupes armés et en même promouvoir une
approche non militaire face à ceux qui sèment la terreur en
faisant de la violence une règle de vie ? L'appui politique dans
l'idée du renforcement démocratique peut-il objectivement
porté ses fruits dans le contexte où les recours à la
violence armée sont permanents ?
2. Appuis politique et renforcement de la
démocratie
Lorsqu'on lit les résolutions du Conseil de
sécurité, notamment les résolutions 2502 (2019), 2478
(2019) et 2463 (2019), l'on remarque que le Conseil de sécurité
souligne généralement la nécessité de
transférer de façon progressive les taches de la MONUSCO au
gouvernement congolais et l'équipe de pays des Nations Unies. Ce projet
de transfert des taches aux acteurs locaux est pensé afin que la Mission
puisse, « moyennant une évolution favorable »,
quitter le pays, selon « un plan de retrait responsable et durable
».
Dans sa résolutions 2463 (2019), le Conseil de
sécurité met un accent particulier sur la sécurité
des communautés et l'amélioration du fonctionnement des
institutions de l'État qui ont un impact sur la sécurité
quotidienne. Les aspects relatifs à l'impunité et au droit de
l'homme en générale, notamment en relation avec les
activités des groupes armes, sont ce que le Conseil cherche à
travailler avec le gouvernement de la République Démocratique du
Congo. Dans le concept d'appui politique, on entend l'idée de
renforcement des institutions de l'État, y compris dans le cadre du
secteur de la sécurité en tant que second pilier essentiel de
mission dans l'optique de compléter le premier pilier dont celui de la
protection des civils et de la stabilisation du pays.
Ce qu'il semble important de mettre en perspective ici, c'est
la question d'appui politique et de renforcement de la démocratie. En
fait, les grands paramètres de l'action de la Mission sont situés
dans un contexte post électoral, même si l'on sait bien qu'au sens
strict du terme le cycle électoral n'était pas encore
achevé. En même temps, il est évident qu'en l'absence
d'institution nationales post-électorale, il s'agit notamment d'un
mandat d'attente pour aborder
85
une période transitoire204. Le Conseil de
sécurité indique l'intention d'orienter l'action future de la
Monusco strictement en fonction des développements politiques et
institutionnels au cours de cette année post-électorale.
Ceci étant, on peut se poser la question du vrai projet
de l'ONU en République Démocratique du Congo. En effet, dans la
même résolution 2463 (2019) votée en pleine période
d'effervescentes contestations, le Conseil confère un aspect transversal
à la dimension politique. En cherchant à établir qu'il n'y
a pas de solution purement militaire aux violences perpétrées
généralement par les groupes armés, il souligne
l'importance de l'implication politique de la Mission par l'évaluation
constante du développement des politiques. Au regard de ce qui
précède, les priorités énoncées par le
Mécanisme national et régional de suivi de l'Accord-cadre pour
2019-2020 comprennent la promotion de la collaboration en matière de
sécurité, et de l'intégration économique
régionale, ainsi que l'accélération de la neutralisation
de groupes armés. La République Démocratique peut-elle
objectivement se soustraire de l'hégémonie de grandes puissances
symboliquement représentées par la Mission de l'Organisation des
Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du
Congo ?
En analysant l'action de la communauté internationale
au type de guerre pratiquée en Afrique en génal et en RDC en
particulier, Gérard Prunier dénonce l'inaction de la
communauté internationale face à la violence envers les civiles.
Il part de l'idée de « guerre à temps partiel » en
opposition à « guerre totale ». Pour lui, en raison des
contraintes financières de la guerre, celle-ci doit être
privatisée par les combattants205. La privatisation de la
guerre apparait dans cette perspective comme une forme de prédation. Ici
la prédation économique, les trafics en tout genre et le pillage
à la fois au niveau individuel comme collectif deviennent un
élément essentiel du conflit parce qu'ils sont essentiels
à son financement. De ce fait « les civiles sont ceux sur qui les
militaires prélèvent leurs moyens de survie, la violence
armée est plus souvent dirigée contre les civils (même ceux
de son propre camp) que contre l'armée ennemie »206.
Dans cette perspective, la question de l'hégémonie demeure dans
un monde où les rapports de force conditionnent les relations entre la
périphérie et le centre.
204 Moudjib Djinadou «Les aspect politiques du nouveau
mandant de la Monusco », In Actualité de la Monusco,
N°87, Op. Cit., p. 12.
205 Gérard Prunier, From Génocide to
Continental War. The `Congolese' Conflict and the Crisis of Contemporay
Africa, London, Hurst, 2009, p. 336.
206 Ibid. 337.
86
CONCLUSION
L'objectif de ce travail était celui d'étudier
le rôle de la Mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la
stabilisation en République Démocratique du Congo (Monusco). Mise
à l'épreuve de la critique et de la contestation ces
dernières années du point de vue son opérationnalisation
dans la résolution des conflits et violences à l'Est du Congo, la
Monusco, qui est l'une des missions la plus chère de l'ONU pour le
maintien de la paix dont les débats ont basculé de la
scène nationale à l'internationale. La question qui traverse ce
travail et à laquelle j'ai tenté de répondre demeure celle
de savoir comment la Monusco a pu construire sa légitimité
malgré les contestations locales dans un environnement marqué en
permanence par des conflits et violences ? En analysant les facteurs de
légitimation et de reproduction des opérations de maintien de la
paix au Congo, j'ai voulu construire mon argumentaire autour de trois parties
essentielles.
Dans la première partie, intitulée Monusco
à l'épreuve de la contestation et de la négociation,
j'ai voulu comprendre comment s'est construit au cours de ces dernières
années la rhétorique contestataire sur le plan local à
l'égard de la Mission et le processus de légitimation de celle-ci
à travers les mécanismes de négociations internationales.
Le résultat de mon analyse qui est au demeurant sélective et non
exhaustive retient deux formes de rhétoriques qui se développent
d'une part dans le champ politique, et d'autre part dans le champ social. Dans
le champ politique, l'on voit se construire des discours opposés et
parfois contradictoires entre des acteurs politiques congolais sur le
rôle de la Monusco, selon les positionnements politiques. Pour ceux qui
cherchent à se maintenir au pouvoir par tous les moyens, parfois en
bafouant la loi fondamentale (la Constitution) et les principes internationaux
de la gouvernance démocratique, la Monusco est perçue comme un
acteur dérangeant parce que ses dirigeants font souvent des rappels au
respect des textes nationaux et internationaux qui régissent les
modalités d'accès au pouvoir. Une telle rhétorique
contestataire se construit autour des concepts de la souveraineté et de
la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays
indépendant et souverain. Quant à ceux qui cherchent à
accéder au pouvoir ou ceux qui ont accédé au pouvoir
à travers des élections entachées de multiples
irrégularités, et cherchent de la légitimité et de
la reconnaissance sur le plan international, la Monusco est plutôt vue
comme acteur essentiel et partenaire indispensable pour
rééquilibrer les rapports des forces entre les antagonistes
politiques.
La rhétorique qui est développée dans le
champ social est différente de celle qu'on a vu émerger dans le
champ politique. Cette deuxième forme de rhétorique,
généralement basée sur
87
les concepts de la passivité et de l'inefficace de la
Monusco émergent au sein des mouvements de la société
civile (Mouvements citoyens, Associations des droits de l'Homme, ONG, etc.).
Ces discours contestataires qui sont au départ pacifique, peuvent
parfois se transformer par des discours violents ou alimenter l'extrême
violence à l'égard de la mission. Une telle violence est souvent
constatée lors que des mobilisations et des manifestations contre la
présence passive de la Monusco. La prise d'assaut des locaux de la
Monusco en 2018 à Beni, les confrontations entre les casques bleus et
les manifestants qui ont conduit à la mort d'un jeune homme en 2019
à l'occasion du 20ème anniversaire de la Mission, les
attaques délibérées visant les soldats de la Monsuco, dont
la dernière en date est survenue le 10 mai 2021 près de la ville
de Beni qui a entrainé, par la suite, la mort d'un casque bleu du
contingent malawite, sont autant d'exemple qui montrent comment les
contestations pacifiques peuvent se transformer en contestations violentes.
Toujours dans le champ social, il y a également une forme de discours
qui s'est développé par les universitaires et chercheurs. Cette
dernière catégorie du discours est marquée par la
rationalité en se basant sur les jeux des conflits, les vraies causes de
ce qu'on pourrait appeler « l'absence des actions efficaces » de la
Monusco.
Dans la deuxième partie intitulée Conflits
et violences comme facteur aggravant de la contestation, il était
question d'étudier les enjeux des conflits à l'Est de la
République Démocratique du Congo pour ainsi déceler ce qui
pourrait être le rôle de la Monusco dans cet espace marqué
par la « banalité du mal » pour utiliser les termes d'Hannah
Arendt. Ce qui nous a permis de rentrer en immersion dans ces conflits tout en
relevant les différents facteurs qui rendent le vivre ensemble
improbable dans cette région de l'Afrique des Grands Lacs. Nous
retiendrons dans cette partie que l'arrivée massive des
réfugiés rwandais en 1994, l'exile des Tutsis au Rwanda en 1995,
les deux guerres du Congo ont modifié radicalement plusieurs des
éléments sur lesquels reposait la dynamique conflictuelle dans
les provinces du Kivu. Le premier facteur des tensions ethniques est bien
évidemment les litiges fonciers. La criminalisation de l'économie
par l'implication des groupes armés dans l'exploitation de
matières premiers impliquant plusieurs acteurs, notamment les
multinationales et les groupes mafieux augmentent le risque de prolongation de
conflits qui engendre la violence. Les enjeux des conflits à l'Est de la
République Démocratique du Congo sont non seulement
économiques mais aussi et surtout politiques. Ces enjeux qui
intéressent aussi bien le cadre régional qu'international, sont
bien au-delà du simple clivage ethnique qui est
généralement mis en avant par certains médias lorsqu'il
s'agit de parler des conflits à l'Est du Congo. C'est ce qui pourrait
justifier la pertinence des ingérences des puissances
étrangères.
88
Le but de ma démonstration dans la troisième
partie à travers l'analyse de concept des Droits de l'Homme était
de montrer comment ceux-ci peuvent être déployés comme
outil de domination dans les relations internationales. Une telle
démonstration n'a pour autant pas eu pour but de donner une image
négative des droits de l'Homme, mais de nuancer les politiques et les
dynamiques qui, dans le discours des acteurs qui les brandissent, en
relèvent. Les exemples que j'ai mobilisés permettent de mettre en
perspective la façon dont ils sont mobilisés dans les discours et
les actions qui les emploient. Dans le contexte de la République
Démocratique du Congo où l'insécurité et les
violations des droits de l'hommes ont éluent domicile, les droits de
l'Homme sont devenus une sorte de label dont un ensemble d'acteurs qui se
connaissent et se reconnaissent définit les contours, les sens et les
utilisations justes et justifiables. Ils sont un levier qui appuient les
prétentions des uns en légitimant leur représentation, au
détriment de représentations des autres. Même si on peut
retracer leur origine dans le contexte européen de
l'après-guerre, dans les décennies qui ont suivi ce concept a
été remodelé et retravaillé dans l'arène
internationale.
Malgré le caractère hégémonique
des droits de l'Homme dans la situation de la Monusco, il m'a semblé
juste de nuancer mes propos : si d'un côté il est vrai qu'il
existe un phénomène de `'porte tournante» (revoling
doors) dans le monde des ONG et dans les institutions internationales
comme l'ONU, signe d'une collusion entre la sphère militante et la
sphère politique, comme l'affirme Nicolas Guilhot, on ne peut pas
oublier tous le petits acteurs locaux, en République Démocratique
du Congo et ailleurs, qui opèrent dans une logique ouvertement
contestataire pour faire valoir ces droits universels auxquels les États
s'inspirent mais qui ont parfois du mal à respecter. Au demeurant, les
Droits de l'Homme restent encore un instrument qui peut être
mobilisé pour dénoncer les contradictions des États ne
respectant pas les conventions et traités internationaux.
Pour terminer, une question ancienne mais toujours nouvelle
mérite d'être posée : La MONUSCO pourrait-elle
objectivement se retirer du territoire congolais après ces multiples
contestations ? Sans tomber dans un scepticisme radical ou dans un optimisme
naïf, encore moins dans un prophétisme ridicule, il me semble
prudent et rationnel de baser mon raisonnement plutôt sur les
événements factuels. Au regard de ce que j'ai
évoqué dans ce travail, il convient de souligner tout d'abord
qu'il existe fondamentalement une divergence de fond entre ce que les peuples
congolais attendent de la Monusco, et ce que celle-ci peut faire et veut faire.
Dans ces interventions sur la question concernant le retrait de la Monusco,
l'actuel président de la République Démocratique du Congo,
toujours en quête de légitimité et de reconnaissance
à l'international, à chaque fois, affirmé la
nécessité d'avoir la Monusco en tant
89
que partenaire sûr pour la stabilisation du Congo et
proclamé le renforcement des capacités militaires de la Mission.
De même, dans la société civile, les mouvements citoyens
comme la Lucha ont toujours réclamé à la Monusco soit
d'agir pour mettre fin à la violence, soit de partir au cas de
l'inaction face aux massacres sporadiques et régulières de
civiles. L'opposant Martin Fayulu et le Docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la
paix 2018, sont quant à eux, favorables à la présence
onusienne en République Démocratique du Congo, et demandent pour
leur part d'ailleurs une intervention militaire dans le territoire de Beni sur
le modèle des opérations européennes Artémis en
2003 dans l'Ituri. L'idée sous-jacente de cette position étant la
mise en place d'une opération offensive militaire musclée qui
pourrait rapidement éradiquer les groupes armés, notamment les
ADF.
Inversement, plusieurs responsables de la Monusco dans leur
prise de parole et quelques-uns que j'ai interrogé lors de mes
entretiens informels estiment que la Monusco « n'est pas là pour
faire la guerre » et que l'usage de la force ne peut être utile
qu'en complément d'initiatives diplomatico-politiques. Dans son rapport
intitulé « The art of the possible. Monusco's New Mandate
»207, le Groupe d'étude sur le Congo recommande
« la construction d'une stratégie politique viable pour la
protection des civils en zone de conflit ». Dans le même temps, la
revue scientifique indépendante affirme qu'aucune solution militaire ne
permet de résoudre les multiples crises qui empoisonnent la
République Démocratique du Congo. Dans son message du 08 avril
2021 sur la situation d'insécurité et des massacres dans l'Est de
la RD Congo, intitulé « Le sang de ton frère crie vers moi
du sol »208, la Conférence épiscopale du Congo,
recommande également la mise en place d'opération militaire du
genre « ARTEMIS » dans laquelle plusieurs acteurs y compris la
Monusco peuvent ensemble, dans le sens de l'achèvement du processus de
désarmement et de démobilisation. Les attentes, parfois
irréalistes du peuple congolais dans son ensemble et les solutions ne
s'inscrivant pas dans un temps long peuvent certainement peser sur la Mission
et pourrait permettre aux parties prenantes congolaises, du moins de
manière inconsciente, de perdre de vue les responsabilités qui
incombent aux autorités congolaises dans le traitement de vraies causes
des conflits et violences, dont beaucoup sont la résultante de
déficits de gouvernance locale. Au demeurant le scénario qui me
semble une énigme est celui savoir quelle serait la situation
sécuritaire en
207 Congo Research Group, The Art of the Possible. MONUSCO's
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République démocratique du Congo, si la Monusco
quittait réellement et définitivement le territoire congolais
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http://www.capac.ulg.ac.be/Petrole_au_Lac_Albert_fr_DRC_Tullow_PLATFORM_May_20
10.pdf, Consulté le 30 mai 2021.
TV5MONDE. Source :
https://information.tv5monde.com/afrique/en-rdc-qui-est-la-rebellion-adf-qui-sevit-dans-la-region-de-beni-334045,
Consulté le 04 avril 2021.
United Nations, S/RES/1857 (2008), 22
December 2008.
https://www.undocs.org/en/S/RES/1857(2008),
consulté le 25 mai 2021.
97
Vatican News, RD Congo : recommandations
de la paix CENCO pour le retour de l paix dans l'Est du pays,
Publié le 08 avril 2021.
https://www.vaticannews.va/fr/afrique/news/2021-04/rd-congo-recommandations-de-la-cenco-pour-le-retour-de-la-paix.html,
Consulté le 07 juin, 2021.
98
ANNEXE :
Extrait d'entretien réalisé le 23 mars 2021
trois soldats des Forces Armées de la République
Démocratique du Congo. Pour des raisons de leur sécurité,
nous préférons garder l'anonymat en leur attribuant les noms de
(Soldat1, Soldat 2 et Soldat 3).
« Les FDLR sont des hutus qui n'ont plus
d'habilité na mboka na bango wana, baza libanda na étranger. Il y
a des fois où bazo zua refuge epai na bango moko, bozo senga bango
bazonga légelement. Kasi soki ba komi kuna d'une part, bazo boma bango.
Bango pe baza na mouvement na bango ya makasi oyo ezali ko diriger vraiment
nord ya Est makasi. Bango nde batu ba occuper terrain wana. Mais nous
combattons avec eux. Il y a de fois où si nous collaborons avec eux, je
te le dis parce que tu es proche de moi et je te fais confiance. Parfois nous
collaborons avec eux d'une façon un peu bonne ou mauvaise. Par rapport
à la question de savoir qui les appuie, je te dis qu'ils sont parfois
appuyés par les députés nationaux, oyo ya ba mboka na
bango wana. Pour eux, quand il y a la guerre, ils profitent de l'occasion,
disant qu'à partir ya guerre ba fond eko bima, ba moyen eko bima po
pouvoir eko aider côté wana, de façon que bazala un peu
libre pona kosala makambo na bango. Et s'il y a de la paix, bako mona yango
bien te. S'il n'y a pas la paix, bango bozo sepela que ba fondi na
l'État ebimaka, entre-temps ils construisent, bazo sala ba grands
hotels, ba grands appartements. Je suis un peu pressé pour aujourd'hui,
mais voilà l'essentiel... »
Traduction :
« Les FDLR sont des hutus qui sont des
indésirables dans leur pays et qui vivent à l'étranger
(entendu la RD Congo). Il y a de fois où ils prennent refuge chez eux,
parfois ils demandent un retour légal. Cependant, lorsqu'ils arrivent
parfois dans leur pays (entendu le Rwanda), ils sont tués. Ils ont
également leur mouvement assez puissant qui fait la loi à l'Est
de la RD Congo. Ce sont eux qui occupent ce terrain au Nord-Kivu. Mais nous
combattons avec eux. Il y a de fois où si nous collaborons avec eux, je
te le dis parce que tu es proche de moi et je te fais confiance. Parfois nous
collaborons avec eu d'une façon assez bonne ou mauvaise. Par rapport
à la question de savoir ceux qui les soutiennent, je te dis qu'ils sont
parfois appuyés par les députés nationaux originaire de
leurs villages. Pour eux, lorsqu'il y a la guerre, ils profitent de l'occasion,
disant qu'à partir de la guerre, les fonds et les moyens de la
République sortiront pour pouvoir soutenir leurs actions et avoir une
autonomie financière. Par conséquent, s'il y a la paix, ils ne
pourront pas avoir des moyens. Lorsqu'il y a l'insécurité, ils
sont dans la joie puisque les fonds de l'État sortent. Dans le
même temps, ils profitent de l'occasion pour construire des hôtels,
acheter des appartements. Aujourd'hui, je suis pressé, mais voilà
l'essentiel... ».
99
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 4
Problématique 4
Hypothèses 7
Définitions conceptuelles 8
a. Approche sémantique de la contestation
8
b. Opposition, contestation, révolution
9
Structure du mémoire 11
Méthodologie 12
PREMIÈRE PARTIE : 14
LA MONUSCO À L'ÉPREUVE DE LA
CONTESTATION ET DE LA NÉGOCIATION 14
Introduction 14
A. Contexte d'émergence De La Contestation Locale
14
1. Contestation de la Monusco par les autorités
étatiques 15
2. Contestation de la Monusco par la population :
Société civile, Mouvements
citoyens 26
B. LA CONTESTATION COMME MODES DE GESTION POLITIQUE EN
RD
CONGO 31
1. Régime de contestation et gouvernance locale
31
2. Processus de négociation et de
légitimation de la Monusco 34
Conclusion 37
DEUXIÈME PARTIE : 38
CONFLITS ET VIOLENCES COMME FACTEUR AGGRAVANT DE
LA
CONTESTATION 38
Introduction 38
A. ENJEUX POLITIQUES DE CONFLITS ET DEFIS DE LA PAIX
38
1. Enjeux de conflits à l'Est de la RD Congo
39
2. Mobilisation de la violence armée dans la
sécurisation des frontières 45
3. La fabrique de normes et la sécurisation
foncière 46
100
B. LES ACTEURS DES CONFLITS DANS LES KIVUS 56
1. Les acteurs étatiques et non étatiques
56
2. L'ingérence des acteurs étrangers
65
3. Le cas de Minembwe comme carrefour du local, du
national et du régional 73
Conclusion 74
TROISIÈME PARTIE : 75
RÔLE DE LA MONUSCO DANS LES CONFLITS DANS LES
KIVU 75
Introduction 75
A. MONUSCO : UNE MISSION DE PROMOTION DES DROITS DE
L'HOMME ET DE PROTECTION DES CIVILES OU DU MAINTIEN DE
L'HÉGÉMONIE ? 75
1. Les droits de l'homme comme culture partagée
d'un ensemble d'acteurs
dominants aux prédispositions comparables
77
2. Les droits de l'homme dans leur aspect
interventionniste et `'humanitaro-
repressif » : Monusco dans les opérations de
maintien de la paix 80
B. DE LA MISSION D'OBSERVATION À LA MISSION
D'INTERVENTION ET
DE COOPÉRATION 82
1. Coopération FARDC-MONUSCO : Brigade
intervention militaire 83
2. Appuis politique et renforcement de la
démocratie 84
CONCLUSION 86
BIBLIOGRAPHIE 91
SOURCES 95
ANNEXE : 98
TABLE DES MATIÈRES 99
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