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La MONUSCO dans le résolution des conflits: entre contestation locale et légitimation global


par Bernard POPO-E-POPO
Université Paris 8 Vincennes Saint Denis - Master 2 2020
  

Disponible en mode multipage

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UFR TEXTES ET SOCIÉTÉS

DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE

MASTER 2, PARCOURS POLITIQUE TRANSNATIONALE ET MONDIALISATION

LA MONUSCO DANS LA RÉSOLUTION DES CONFLITS : ENTRE
CONTESTATION LOCALE ET LÉGITIMATION GLOBALE

Mémoire de recherche présenté en vue de l'obtention du diplôme de master 2 en Science

Politique

Par

Bernard POPO-E-POPO

ANNÉE UNIVERSITAIRE 2020-2021

Sous la direction de Monsieur Kolja LINDNER

1

DÉDICACE

À tout le peuple de la République Démocratique du Congo, spécialement aux victimes des conflits et violences à l'Est

2

REMERCIEMENTS

Ce travail est le couronnement de la conjugaison de plusieurs forces et apports. Les différents moments d'épreuves m'ont fait traverser toutes les émotions possibles : Je suis passé du sentiment d'abandon, de découragement, de désespoir, de peur, à celui de détermination. Toutes ces émotions pourront être retrouvées dans chaque phrase de mon travail à travers des affects de manière visible ou invisible. Je voudrais donc saisir ce moment pour remercier en toute humilité et de façon sincère toutes les personnes qui m'ont aidé à réaliser ce projet, malgré les doutes.

Je remercie tout d'abord Monsieur Kolja Lindner, Maître des conférences à l'Université Paris 8, qui a accepté sans hésitation de diriger ce travail pendant mes deux années de Master en science politique. Sa rigueur, sa fermeté, ses encouragements et son souci du travail bien fait m'ont permis d'atteindre mes objectifs dans cet exercice académique en surmontant mes lacunes ,
·

Je remercie en suite Monsieur Clemens Zobel et Madame Camille Al Diabaghy pour leurs participations et encouragements à travers les cours des méthodes de la recherche approfondie et du Tutorat. Sans leur concours, ce travail n'aurait pas été réalisé dans sa forme actuelle ,
·

Mes remerciements s'adressent également à tout.es les professeur.es et enseignant.es du Départements de science politique de l'Université Paris 8 pour leurs enseignements et encouragements tout au long de mon parcours, le personnel de l'université, les responsables de master et les camarades étudiant.es. Qu'ils trouvent dans ces lignes toute ma gratitude ,
·

Je remercie de façon spéciale Madame Gueye Yalla-Marie pour son soutien inconditionnel tant moral que matériel. C'est grâce à elle que j'ai pu repousser les limites de la langue à travers ses corrections. Je ne la remercierai jamais assez. Qu'elle trouve dans ces lignes toute mon admiration et reconnaissance.

Je termine cette série de remerciement en m'adressant au Père Bienvenu Fambio, Ninette Matondo, Alcina Genner, Zamor Fixnel, Ludovic Kabengele, Père François Ndali, Père Joël Kongolo et les personnes qui, de près ou de loin m'ont permis de réaliser ce travail.

3

ABRÉVIATIONS

ADF : Allied Democratic Forces

AFDL : Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (du Congo)

ALEC : Alliance pour Libération de l'Est du Congo

APCLS : Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain

CACH : Cap pour le Changement

CNDP : Congrès National pour la Défense du Congo

CRD : Conseil pour le Renouveau Démocratique

FARDC : Forces Armées de la République Démocratique du Congo

FCC : Front Commun pour le Congo

FNL : Front National de Libération

FOLC : Force OEcuménique pour la Libération du Congo

FPR : Le Front Patriotique Rwandais

GEC : Groupe d'Étude sur le Congo

M23 : Mouvement du 23 mars

MONUSCO : Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République

Démocratique du Congo

RDC (OU RD CONGO) : République Démocratique du Congo

RED : Résistance pour un État de Droit

RFI : Radio France Internationale

4

INTRODUCTION

Problématique

Le 03 mai 2021, le président Félix Tshisekedi a décrété un état de siège pour tenter d'en finir avec les violences qui ravagent l'Est de la République démocratique du Congo, notamment les régions du Nord-Kivu et de l'Ituri1. D'après les ordonnances présidentielles du 03 mai, ces deux provinces sont passées sous administration militaire pour une durée de trente jours, prolongeable par le Congrès. Les gouverneurs et vice-gouverneurs civils ont été suspendus pour être remplacés par des gouverneurs militaires et vice-gouverneurs issus des rangs de la police. Ce dispositif juridique généralement mis en oeuvre par le gouvernement en cas de péril imminent pour la nation, s'inscrit à la suite d'une série de manifestation des populations contre les massacres et les tueries à l'est du pays. Ces différents mouvements contestataires réclament le retour de la paix dans le pays et le départ de la Mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo (Monusco).

En effet, depuis plus de deux décennies, la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) oeuvre pour la paix dans le pays. Rongée par la prolifération des groupes armés et des multiples milices insurrectionnelles, la République Démocratique du Congo est encore loin de la stabilisation voulue par l'ONU. Pourtant en 2009, le gouvernement de Kinshasa demandait le retrait progressif des troupes de la mission de l'organisation des Nations unies (Monuc) à échéance de juin 2011. Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon prenait alors acte d'une telle demande de l'État congolais, et dans son rapport du 30 mars 20102, il dressait un bilan des activités de la Monuc tout en soulignant le caractère précoce du souhait du gouvernement congolais de se débarrasser des casques bleus. Dans le même temps, il mettait en avant le caractère irréaliste des attentes des autorités congolaises au regard de la situation stratégique à l'intérieur du pays. Pour le secrétaire général des Nations unies, un retrait trop rapide des troupes onusiennes en République Démocratique du Congo risquerait de provoquer une résurgence de la violence, susceptible d'anéantir tous les efforts consentis depuis des années par la communauté internationale pour la construction de la paix sur tout le territoire national, et particulièrement dans les provinces du Kivu et de l'Ituri. Face aux contestations de l'État congolais, évoquant le principe de souveraineté, le Conseil de Sécurité prenait acte avec la résolution 1925 du 28 mai 2010 créant ainsi la Monusco en

1 Le Monde Afrique, RDC : l'état de siège décrété dans l'est inquiète la société civile, publié le 04 mai 2021. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/04/rdc-l-etat-de-siege-decrete-dans-l-est-inquiete-la-societe-civile_6079105_3212.html, consulté le 05 mai 2021.

2 Cfr. S/2010/164

5

remplacement de la Monuc. Ce qui marqua la première possibilité de retrait des forces de l'ONU en République Démocratique du Congo, retrait qui ne sera pourtant pas réalisé au regard de l'instabilité et de l'insécurité toujours croissante à l'Est de la République Démocratique du Congo.

En 2018 à Kinshasa, en pleine période préélectorale, le président Joseph Kabila et le chef de la diplomatie congolaise critiquaient vivement la Monusco, souhaitant par ce fait son retrait définitif dans un délais cours. Dans son discours du 26 septembre 2018 en pleine Assemblée Générale de l'ONU, le président Joseph Kabila déclarait : « ... vingt ans après le déploiement de forces onusiennes dans mon pays et en raison de leurs résultats largement mitigés au plan opérationnel, mon gouvernement réitère son exigence du début effectif et substantiel du retrait de cette force multilatérale... »3. Interrogée sur cette déclaration de l'État congolais, Madame Leila Zerrougui, représentante de l'ONU en République Démocratique du Congo, répondait : « La Monusco n'a pas son mot à dire et n'a pas vocation à rester éternellement en RDC. Elle exécute la volonté du Conseil de sécurité des Nations unies, avec lequel le gouvernement congolais peut discuter s'il le souhaite... »4. Une année plus tard, des locaux de la Monusco dans la ville de Beni avaient été pris pour cible par des centaines de manifestants après un massacre de civils, protestant ainsi contre « l'inaction » de l'Armée congolaise et des Casques bleus onusiens tout en exigeant le départ de la Monusco. Contrairement au régime sortant de Joseph Kabila qui réclamait le retrait de cette mission onusienne du territoire national, le régime entrant de Félix Tshisekedi sollicitait l'intervention de la Monusco pour accompagner le pays dans sa démarche de rétablissement de la paix et dans la résolution de conflits et violences, notamment dans les Kivus. Lors de sa 8216ème séance du 27 mars 2018, le Conseil de Sécurité vota à l'unanimité la résolution 24095 en prolongeant d'un an le mandat de la Monusco. Ce mandat sera prorogé respectivement par la résolution 2502 du 27 janvier 2020 et la résolution 2556 du 31 décembre 2020. Face aux journalistes de RFI et France 24 sur la même question du retrait de la Monusco, le président Félix Tshisekedi répondait :

« Pour le moment nous avons besoin de la Monusco, et surtout besoin dans les zones à problème... à Kinshasa ou à Lubumbashi on ne voit pas vraiment la nécessité. Mais par rapport à ce qui se passe à l'est, par moment je vous ai parlé de renforcement de capacité de nos forces de sécurité et de défense, la Monusco est un partenaire essentiel

3 Extrait du discours de président Joseph Kabila à l'Assemblée Générale de l'ONU le 26 septembre 2018. https://www.youtube.com/watch?v=FHOsCRN7msI, Consulté le 23 mars 2021.

4 Propos de Madame Leila Zerrougui, ancienne représentante de l'ONU en R D Congo. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/04/09/l-onu-travaille-a-convaincre-kinshasa-qu-il-n-est-pas-en-guerre-avec-son-peuple_5282977_3212.html

5 S/RES/2409 (2018).

6

comme la brigade d'intervention composée de la Tanzanie, de l'Afrique du Sud et de

Malawi... En ce moment nous avons besoin d'appui ... la Monusco est nécessaire »6. Ces deux discours opposés et parfois contradictoires, tenus par les autorités étatiques congolaises montrent combien la présence de l'ONU en République Démocratique du Congo est un sujet de clivage politique et de perceptions différentes. Mon travail s'inscrit ainsi dans ce cadre de tension et de contestation sur la présence de l'ONU en République Démocratique du Congo. Si au plan local la présence de la Monusco est régulièrement contestée, comment se fait-il qu'au plan global le Conseil de Sécurité puisse voter chaque année des résolutions qui prolongent le mandat de celle-ci en légitimant ses actions ?

La contestation à l'égard de la Monusco suscite fondamentalement la question de la souveraineté de la République Démocratique du Congo. La Monusco apparait dans ce cadre comme une mission imposée à la RDC par la communauté internationale. Partant de cette hypothèse, on peut évoquer la question de violation du droit à l'autodétermination. Or, depuis sa définition dans l'article premier de la Charte des Nations Unies et sa codification par l'Assemblée générale de l'ONU dans un certain nombre de textes ultérieurs tels que la résolution 1514(XV) de 1960 sur l'octroi de l'indépendance aux peuples et aux pays coloniaux, l'autodétermination est devenue l'un des concepts le plus usité en politique et implique des droits politiques mais aussi des droits économiques, culturels et sociaux. Cependant, à côté de l'autodétermination, se pose également la question de la légitimation des interventions de cette mission onusienne. Cette légitimation se trouverait non seulement au niveau de l'ONU en tant qu'institution mais également par le canal de son secrétaire général, les discours des résolutions, des délibérations à l'ONU. Le chapitre VII de la Chartes de Nations Unies donne déjà des actions à mener de façon légitime en cas de menace contre la paix, de rupture contre la paix et d'acte d'agression : « Le conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prise conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale »7.

Cependant, de nombreuses analyses ont souligné que la mission des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo ne parvient pas à mettre fin aux conflits qui gangrènent le pays, une mission budgétivore en raison de l'effectif important de son personnel militaire et civile. Ces analyses mettent l'accent sur le fait que les raisons de

6 France 24 - Entretien exclusif avec Felix Tshisekedi, président de la RD Congo, le 29 juin 2019. https://www.youtube.com/watch?v=KoGUsr0lXQY, consulté le 23 mars 2021.

7 Article 39 de la Charte des Nations Unies.

7

l'inefficacité apparente de la Monusco est liée à sa volonté manifeste de garder le statu quo dans la région du Kivu. Il faudrait donc s'attendre à ce que les voix s'élèvent à l'unisson pour réclamer le retrait définitif de la mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo qui a montré ses limites dans sa vocation de la construction de la paix. Bien au contraire, on constate des divergences d'opinion sur le départ ou non de cette mission onusienne en République Démocratique du Congo. Tandis qu'une partie de la classe politique y compris certaines franges de la population réclament le départ sans condition de la Monusco, d'autres par contre, estiment que la construction de la paix en République Démocratique du Congo ne peut être possible sans l'intervention des Nations Unies. Une telle contradiction n'est-elle pas problématique ?

Hypothèses

Je propose d'analyser le rôle de la Mission de l'Organisation des Nations Unie pour la stabilisation du Congo dans un contexte marqué par les conflits et violences. Je cherche à explorer les facteurs de prolongation et de reproduction des opérations de maintien de la paix dans un environnement contestataire. Il s'agit de voir comment le Conseil de Sécurité de l'ONU légitime le mandat de la Monusco malgré les contestations locales. Pour y parvenir, je pars de quelques hypothèses. Il convient de souligner tout d'abord que les conflits et les violences qui rendent la paix impossible dans l'Est de la République Démocratique du Congo depuis ces dernières décennies ont pris place dans un contexte où les règles du jeu politique étaient en plein bouleversement. La fin du régime du président Mobutu en 1997 représentait la deuxième vague d'un processus de changement politique amorcé à la Conférence nationale souveraine qui avait remis en question les règles du jeu politique. Cependant, ces règles n'étaient pas remplacées en tout cas par un nouvel ordre structuré et prévisible. Après ces événements, ils s'en suivront la prise de pouvoir du président Laurent-Désiré Kabila, la fin de la libération politique avec l'interdiction des partis politiques, le déclenchement de la deuxième guerre du Congo, l'assassinat du président Laurent-Désiré Kabila et l'intronisation de son fils Joseph Kabila en 2001, les élections contestées de 2006, 2011 et 2018. Ces différents évènements expliquent que la RD Congo en tant qu'espace politique et social se soit trouvé dans un « état d'urgence »8 permanent peu propice à une consolidation ou normalisation politique. Dans ce même ordre d'idées, la contestation à l'égard de la Mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) dont je fais état dans ce travail, ainsi que les

8 Pierre Englebert & Denis Tull, « Contestation, négociation et représentation : L'État congolais au quotidien », Politique africaine, 2013/1 n° 129, p. 5-22.

8

négociations autour de la présence de l'ONU dans le pays pourraient être interprétées comme autant d'effets d'une crise d'autorité et de légitimité qui conduit à l'incertitude généralisée et à la prolifération des conflits et violences. Le fait que tout soit contesté et négocié suggère que les normes et les règles se trouvent dans une phase de transition dont la fin n'est pas encore prévisible. Le manque de clarté et légitimité des normes et institutions, prolongé et intensifié par une longue période de violence, est un facteur fondamental pour comprendre l'ampleur des contestations et des négations dans la RDC actuelle.

Je m'appuierai sur les concepts de contestation et de légitimation débattues dans la théorie politique pour éclairer mon argumentaire. Ces deux concepts étant antithétiques et hautement contradictoires, je proposerai de les étudier à partir du cadre onusien en République Démocratique du Congo. J'entends par le terme contestation, à la suite de Georges Lavau, toutes les manifestations d'agitation et de critiques radicales à l'égard des institutions et des valeurs établies « lorsque ces manifestation s'expriment en dehors des cadre institutionnels d'opposition »9.

Mon intérêt sur la question de la présence clivante de la mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo a commencé en 2018 lorsque les habitants de Beni avaient incendié les locaux de la Monusco en leur demandant de quitter le Kivu. Cet intérêt s'est renforcé avec l'assassinat de l'Ambassadeur de l'Italie en République Démocratique du Congo, de son garde du corps et son chauffeur congolais alors qu'ils effectuaient un voyage humanitaire dans le cadre du programme mondial pour la faim au Kivu le 22 février 2021. La mort de l'Ambassadeur italien a suscité un vif émoi aussi bien sur la scène nationale qu'internationale en réactivant la contestation sur le rôle de la Monusco dans les zones à conflits. Dans mon travail, je tenterai de faire une analyse de la structuration de la mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo en prenant en compte la question de la domination sous le prisme de la promotion des droits de l'homme et de la construction de la paix mondiale.

Définitions conceptuelles

a. Approche sémantique de la contestation

Le verbe « conteste » a le même radical latin que protester « testis » qui signifie au sens juridique, témoigner. Le premier sens du mot latin constatio est judiciaire : c'est l'appel à un autre témoignage, c'est la dénégation d'un témoignage ou d'une parole qui se donne pour vraie. De ce point de vue, la contestation apparait donc caractérisée par la récusation (comme on

9 George Lavau, La contestation politique, In Courrier hebdomadaire du CRISP, 1970/15 (N°480) pages 1 à 21.

9

récuse un témoin), par la non-reconnaissance de ce qui se donne pour représentation du vrai, par la mise en doute radicale10.

Ces caractères font passer au second plan un autre élément qui est aussi contenu dans la contestation mais y apparait secondaire, à savoir le désaccord. C'est au contraire cet élément qui est principal et même exclusif dans l'opposition. S'opposer, c'est prendre une position inverse ou simplement différente. Vue sous cet angle, le contestataire prend, lui aussi, du moins dans la généralité des cas - une position différente ou inverse de celle que tiennent ceux qu'il conteste ; mas il peut aussi ne pas définir sa position par rapport à ses adversaires car il refuse de partager de références communes avec eux. Ce qu'il met en cause, c'est un lien quelconque qui le relierait à ceux qu'il récuse. De plus, il y a dans la contestation, du moins dans ses formes extrêmes et absolues, une volonté de passer à l'infraction, une volonté de mettre en marge des normes acceptées et des institutions. Elle s'expose à être décrétée illégitime, mais seulement dans la mesure où c'est elle-même qui commence par mettre en doute la légitimité du système contesté11. L'attitude « contestataire », si on essaie de la situer par rapport à l'attitude « oppositionnelle » révèle soit un stade antérieur à l'organisation systémique d'une opposition, soit au contraire un stade postérieur à l'organisation d'une telle opposition. Dans ce dernier cas, la contestation constitue un désaveu de l'opposition jugée insuffisante ou inopérante ; elle est un déplacement de l'opposition12. Dans l'interprétation que propose Georges Lavau de ce concept, il semble aller de soi que la contestation politique est un stade plus radical ou plus élémentaire que l'opposition politique, qu'elle n'obéit à aucune règle conventionnelle.

b. Opposition, contestation, révolution

Les formes et les manifestions de la contestation extrêmement variable et en général fort peu systématisées ne permettent pas toujours de distinguer la contestation de l'opposition ; d'autres plus que celle-ci peuvent aussi revêtir des formes qui l'apparentent à la contestation. Il existe plusieurs formes de contestation. Dans la contestation, on peut juxtaposer un ensemble de manifestations et d'activités qui, même si elles présentent une certaine unité, peuvent revêtir des formes très différentes. En effet, l'usage de la violence civile à titre d'exemple, est un des caractères possibles mais non nécessaires de la contestation13. L'organisation collective ne semble pas le critère qui distingue l'opposition politique de la contestation. S'il est vrai qu'en

10 Ibid, p. 6.

11 Ibid.

12 Ibid., p.7.

13 Ibid.

10

pratique presque toutes les oppositions politiques supposent et nécessitent une organisation collective, il n'est pas exact que la contestation politique soit par nature, rebelle à l'organisation collective et inévitablement individualiste.

La distinction que l'on peut établir entre l'opposition et la contestation est que la première a pour but de se substituer aux autorités en place en tant que structure du pouvoir, alors que la contestation ne poursuivrait que le but platonique de la dénonciation de la légitimité du système ou le but révolutionnaire de la subversion de ce système. Mais cette distinction semble limitée car il y a des oppositions qui, soient en raison de leur faiblesse, soient en raison de leur radicalisme idéologique, ne peuvent guère être crues lorsqu'elles prétendent se substituer aux autorités en place. Quant aux mouvements de contestation, ils peuvent au moins prétendre que leur refus de reconnaitre la légitimité du système et de leurs actions pratiques d'insoumission sont le moyen les plus sûr d'user ce système et de provoquer son effondrement.

De ce point de vue, il y a certainement des zones-frontières où certains types d'action peuvent relever aussi bien, selon le point de vue où l'on se place, de l'opposition politique de la contestation politique. Néanmoins, on peut trouver, un critère distinctif de ces deux types d'action. Ce qui caractérise l'opposition politique, c'est que - quelles que soient les motivations profondes des opposants et quels que soient leurs buts plus ou moins manifestes, elle est une action qui s'inscrit à l'intérieur des structures du sous-système politique.

Ce qui fait la spécificité de la contestation et qui nous concerne dans ce travail, c'est qu'elle déborde le cadre de sous-système politique pour mettre en cause non seulement son ordre normatif propre mais aussi les modèles culturels généraux qui assurent la légitimité profonde du sous-système politique. La contestation s'attaque au système qui a la plus grande valeur « contrôlant ». C'est la raison pour laquelle toutes contestations politiques débordent du terrain spécifiquement politique et comporte aussi une « révolution culturelle »14.

Une autre manière de comprendre l'attitude contestataire, c'est de la mettre en parallèle avec l'attitude révolutionnaire. Pour Alain Touraine, le refus peut conduire à la contestation et à la lutte politique. Il résume donc la différence entre la contestation et le projet révolutionnaire comme étant des nouveaux problèmes : « de nouveaux problèmes et de nouveaux conflits... ont fait irruption dans la vie sociale de manière sauvage, sans théorie, sans partie, sans politique »15. Le fond de l'argumentation tendant à opposer « mouvement contestataire » et « mouvement révolutionnaire » repose finalement sur cette idée qu'il ne peut y avoir accès à la conscience révolutionnaire qu'à la condition de dépasser le stade « primitif » du refus de

14 Ibid.

15 Alain Touraine, Le mouvement de mai et le communication utopique, p. 288, Cité par Georges Lavau, Op. Cit.

11

l'adaptation et de « l'intégration ». La différence entre révolution et contestation parait plus résider en une différence historique ou une divergence sur les conceptions stratégiques à l'intérieur du même phénomène, à savoir le phénomène révolutionnaire. Ce qui n'implique pas du tout que les mouvements contestataires que j'étudie dans ce mémoire aient une efficacité révolutionnaire pratique comparable à celles des mouvements révolutionnaires. L'ensemble des actions que l'on peut grouper sous le nom contestataire, écrit Georges Lavau, ne sont rien d'autres que des actions révolutionnaires qui, pour la première fois depuis longtemps échappent à un modèle jusqu'alors indiscuté qui était une certaine version de la pensée de Marx, mais qui était surtout dérivé du schéma léniniste. Pour lui, la contestation peut être in fine comme étant « une action de protestation véhémente, accompagnée ou non d'actes de violence, qui méprise les moyens institutionnalisés de l'opposition politique (lorsque ceux-ci sont disponibles), qui reproche à l'activité d'opposition de facilité finalement la survie d'un système social et politique répressif. De plus, c'est une action qui nie radicalement la légitimité des modèles culturels les plus profonde et les plus tacitement acceptés du système social, et qui cherche à en faire éclater la véritable nature oppressive. Enfin, elle vise non pas un simple changement politique, ni même à une transformation ordonnée des structures économiques, mais à une totale de l'être social de l'homme »16.

Structure du mémoire

L'architecture de ce travail sera tripartite. Dans la première partie, il sera question de montrer comment la Monusco se trouve à l'épreuve de la contestation (I). L'objectif de cette partie étant de saisir la manière dont se construit les rhétoriques contestataires aussi bien par les acteurs politiques que par la société civile et les mouvements citoyens (A). Ces rhétoriques contestataires sur la mission de l'ONU en République Démocratique du Congo, comme je les montrerai, s'inscrivent dans le prolongement de la contestation nationale comme modes de gestion politique.

Dans la deuxième partie, il sera question de comprendre comment les conflits et les violences constituent un facteur aggravant de la contestation à l'égard de la Monusco (II.). La complexité à mettre en place un plan de résolution de conflit peut se comprendre non seulement à travers les enjeux politiques mêmes de ces conflits pour relever enfin les défis de la paix (A.), mais également l'implication de plusieurs acteurs (B.).

La troisième partie cherchera à comprendre le rôle de la Monusco dans la résolution des conflits en République Démocratique du Congo (III.). Comment la Monusco, malgré les

16 Georges Lavau, La contestation politique, Op. Cit, p. 10.

12

contestations locales contre son intervention au Congo, met en avant la promotion des Droits de l'Hommes et la protection des civiles comme facteur de légitimation de son mandat (A.). Enfin, il sera question de monter comment la recherche de la légitimation par le prisme de la négociation toujours renouvelée permet à la Monusco de passer d'une mission d'observation à une mission d'intervention en mettant l'accent sur le concept de la coopération.

Méthodologie

Pour mener à bien cette recherche, la méthode de mon travail a été une enquête sociologique. En effet, l'enquête sociologique, écrit Serge Paugam, peut être définie à partir de l'ensemble épistémologique complet qui comprend la posture scientifique du chercheur, la construction de l'objet, la définition des hypothèses, les modes d'objectivation, la méthodologie d'enquête, les instruments d'analyse des résultats et les formes d'écriture17

Dans cette enquête sociologique, j'ai utilisé une démarche inductive. Le choix de cette approche se justifie du fait que j'ai, d'abord, voulu commencer par collecter plusieurs matériaux de recherche avant de formuler mes hypothèses. La difficulté à faire le terrain au regard de la situation sanitaire liée au covid19 et l'impossibilité d'accéder directement aux informations de la Monusco ont totalement orienté ma démarche vers le choix d'autres procédés, notamment la collection des documents et d'archives en ligne. Quant à ces modalités d'accès aux matériaux de recherche, je me suis spécifiquement basé non seulement sur les rapports réguliers et officiels de l'ONU, mais également sur les compte-rendu de l'actualité des Nations Unies en République Démocratique du Congo. J'ai réussi à faire la collection de différentes résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU sur le mandat de la Monusco depuis 2010 jusqu'en 2020 en faisant un travail d'archive en ligne. En outre, j'ai réalisé dix entretiens (en faisant usage des nouveaux moyens de communications et technique d'information, notamment les appels téléphones, les échanges sur le réseau social WhatsApp) avec des officiers de l'Armée Congolaise à partir de Beni et Goma qui participent aux opérations conjointes MONUSCO-FARDC.

Les résultats de mon enquête m'amènent à la conclusion qu'il existe un malaise grandissant au sein de la population congolaise sur rôle de la Monusco dans les conflits et violences dans la région de l'Est de la République démocratique du Congo. La multiplication des massacres des civils par les rebelles à quelques mètres de postes de la Monusco, la prolifération des groupes armés et l'insécurité sont les facteurs qui augmentent la frustration et

17 Serge Paugam, Introduction - L'enquête sociologique en vingt leçons. Dans L'enquête sociologique (2012), pages 1 à 4.

13

la méfiance à l'égard de la Mission. Ce climat de méfiance fait que la population, notamment à travers les mouvements citoyens de la société civile considèrent la Monusco comme étant complice aux massacres des civils. Cependant, du côté des acteurs de la Monusco, cette campagne de diabolisation contre la mission est une mauvaise appréhension du vrai rôle de la Monusco qui se veut d'abord une mission pour la protection des civils et la construction de la paix. Les frustrations accumulées du peuple ont inéluctablement engendré la révolte et la contestation à l'égard de la Monusco, réclamant dans le même coup le retrait définitif de celle-ci.

Ma démarche a été réflexive. La réflexivité m'a permis de rompre avec le sens commun, à savoir les représentations partagées par les diverses composantes de la société. Même si mon expérience personnelle et mon vécu sont souvent déterminants dans ce travail, j'ai toujours cherché à faire une distanciation par rapport au sens commun pour garantir la scientificité de ma démarche. Par exemple, dans ma note de recherche de Master 1 à travers lequel j'avais voulu comprendre pour la première fois les soubassements des conflits à l'est du Congo, il m'était arrivé de plonger dans le sens ou même dans la passion en adoptant parfois une attitude militante plutôt que scientifique. Ce qui n'est pas du tout le cas dans ce travail. Mon attitude par rapport à mon objet d'étude en Master 2 est totalement différente. Pour changer de paradigme, j'ai d'abord commencé par prendre du recul face à mon objet d'étude, à questionner ce qui me paraissait comme étant une évidence. Après cette gymnastique de la distanciation avec mon objet d'étude, je me suis rendu compte de la difficulté à travailler scientifiquement sur le sujet sur lequel on est soi-même, du moins de manière inconsciente, sujet et objet de recherche sans sombrer dans les prétentions de jugement de valeurs, surtout lorsque je sais qu'un matin je peux recevoir un coup de téléphone m'annonçant la mort d'un des membres de ma famille. Ayant vu l'arrivée de la MONUC, actuellement MONUSCO et ayant vécu avec elle depuis mon enfance, je considérais celle-ci, peut-être à tort et à raison, comme un sauveur qui sortirait le peuple congolais dans le gouffre de la violence infernale. Cependant, en questionnant le fonctionnement de la contestation à l'égard de la Monusco aujourd'hui, je me suis interrogé sur les vraies motivations de la mission qui semblent aller de soi comme la protection des civiles et la promotion des droits de l'homme. Tout en reconstruisant la genèse les mouvements contestataires à l'égard de la mission et les rhétoriques sous-jacentes, j'ai cherché à comprendre comment les catégories des groupes contestataires ont pu, au prix de la lutte sociale, imposer leur légitimité. La démarche réflexive m'a servie également lors de la réalisation des entretiens à avoir un regard critique. Ce qui m'a permis de questionner mes données et de ne pas leur accorder, comme dirait Serge Paugam, « une confiance aveugle ».

14

PREMIÈRE PARTIE :

LA MONUSCO À L'ÉPREUVE DE LA CONTESTATION ET DE LA NÉGOCIATION

Introduction

Cette première partie se charge d'étudier la manière dont se construit la rhétorique contestataire autour de la présence de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en pour la stabilisation du Congo. Je montrerai comment un tel discours conditionne les rapports entre la Monusco d'une part, et les acteurs étatiques et non étatiques (en l'occurrence les mouvements citoyens, les ONGs, la Société civile) d'autre part. Pour y parvenir, j'étudierai d'abord le concept de contestation dans son assertion politique en montrant d'une part le contexte d'émergence de la contestation locale face à la Monusco (A), et d'autre part comment la contestation constitue l'une des modalités de la gestion politique en République Démocratique du Congo (B).

A. CONTEXTE D'EMERGENCE DE LA CONTESTATION LOCALE

Comment s'est construit au fil du temps le discours contestataire et hostile à la mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo ? Telle est la question à laquelle ce point tentera de répondre. Dans l'interprétation que propose Georges Lavau, il semble aller de soi que la contestation politique est un stade plus radical ou plus élémentaire que l'opposition politique, qu'elle n'obéit à aucune règle conventionnelle. On se serait alors tenté d'en déduire que la marge qui sépare la contestation de la révolte, de la rébellion, ou de l'insoumission est mince. Il est cependant peut-être prématuré d'aboutir à de telles conclusion car rien ne prouve a priori que les conséquences pratiques de toute opposition, même si elle reste canalisée dans des formes légales, soient moins graves pour le fonctionnement du système politique que celle de la contestation18. Deux formes de contestation contre la Monusco méritent d'être d'étudiées. Il y a tout d'abord la rhétorique contestataire développée par les autorités politiques et étatiques ; il y a ensuite les rhétoriques contestataires émergeant à travers les mouvements citoyens. Cette deuxième forme de discours est parfois marquée par la violence. Une fois ces

18 Georges Lavau, Op. Cit., La contestation politique, In Courrier hebdomadaire du CRISP, 1970/15 (N°480) pages 1 à 21.

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discours étudiés, nous poserons la question de savoir si la Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo est-elle une réussite, un échec ou si elle relève d'une stratégie de domination.

1. Contestation de la Monusco par les autorités étatiques

La rhétorique contestataire à l'égard de la Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo est souvent développée pendant des moments de guerres, de débordement de violence y compris pendant la période électorale (il s'agit précisément de la période préélectorale, période électorale et poste électorale). Très souvent, l'on constate qu'une telle rhétorique est généralement utilisée par les acteurs politiques, en l'occurrence ceux qui sont au pouvoir. Comme je l'ai évoqué à l'introduction, l'an 2009 marque un moment important du discours contestataire par les autorités politico-étatiques du rôle de la Monusco sur ses engagements dans les opérations de maintien de la paix. Le président Joseph Kabila n'avait pas hésité de demander aux responsables de la Monuc (actuellement Monusco) le retrait progressif des troupes des Casques Bleus à échéance 2011. Cette demande du retrait de la Mission de l'ONU en République démocratique du Congo s'inscrivait dans un contexte préélectoral où le pouvoir de Kinshasa subissait de grandes critiques aussi bien sur la scène nationale qu'internationale. Au niveau la national, la population reprochait au pouvoir de Kinshasa de manquer à ses responsabilités d'assurer la sécurité de la population, notamment dans les régions de Kivus et en Ituri. Rongé par des mouvements insurrectionnels et les groupes armés, le pays était dans une forme d'instabilité pérenne, la même instabilité s'est intensifiée au cours des dernières années jusqu'à aujourd'hui. Dans le 31ème rapport de l'ONU du 30 mars 2010, rapport qui dresse le bilan des actions de la mission onusienne en République Démocratique du Congo, on peut lire ceci :

« Malgré les progrès importants réalisés en 2010 dans le cadre des efforts déployés pour tenir compte de la présence de groupes armés étrangers et congolais dans l'Est de la RDC, ceux-ci ont continué de constituer un danger pour la sécurité des civils et une source d'instabilité générale dans les Kivus et dans certaines parties de la province Orientales. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ont continué de mener des attaques des représailles contre les civiles. De plus, certains éléments des organismes nationaux de sécurité ont continué de commettre des graves violations de droits de l'homme... »19.

19 Conseil de sécurité des Nations Unie, Trente et unième rapport du Secrétaire général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo. S/2010/164.

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Ce qui l'on constate à première vue dans ce rapport, c'est qu'il revient sur le fait que l'insécurité dans le Kivus et en Ituri demeure persistante. Il s'agit d'une insécurité pérenne dans la mesure où plusieurs acteurs nationaux et étrangers sèment la terreur au sein des populations locales et que chaque jour l'on ne cesse de compter des morts. Parmi les acteurs qui continuent à mener des attaques sporadiques contre les civiles, le rapport de l'ONU cite les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) composés généralement des anciens génocidaires des Tutsis. Il y a également l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) qui est un groupe composé des rebelles ougandais qui persécutent les populations aussi bien en République Démocratique du Congo qu'on Ouganda. Il y a en outre les rebelles Maï-Maï généralement composés des congolais se réclamant un groupe d'auto-défense contre les milices étrangères. J'y reviendrai sur l'itinéraires de ces acteurs dans la deuxième partie. Dans ce contexte d'insécurité persistante, les responsables de l'ONU en République Démocratique Congo soulignent que le souhait pour les responsables politiques du pays de se débarrasser des Casques Bleus avait un caractère prématuré. Le représentant spécial de la Monusco encore Monuc en jusqu'en 2010, Ban Ki Moon mettait en avant le caractère irréaliste des attentes des autorités du Congo au regard de la situation stratégique à l'intérieur du pays. Pour lui, un retrait trop rapide des troupes onusiennes risquait de provoquer une résurgence de la violence, susceptible d'anéantir tous les efforts consentis jusque-là par la communauté internationale. Ces deux points de vue totalement aux antipodes mettaient les autorités congolaises et la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation du Congo dans une forme de tension. C'est dans ce cadre précis que va se développe la rhétorique contestataire des responsables politiques congolais à l'égard de la mission.

En effet, la rhétorique contestataire développée par les autorités congolaises à l'égard de la Monusco s'appuie sur le principe de la souveraineté et de la non-ingérence. En convoquant la Charte de l'ONU, le pouvoir de Kinshasa, extrêmement sensible à tout signe de tutelle extérieure et évoquant volontiers le principe de souveraineté, semble souvent sans appel. Cette contestation basée sur le principe de la souveraineté de non-ingérence est parfois accompagnée d'un appel au retrait de la Monusco à chaque fois que le pouvoir entre en tension avec la Mission. Le discours contestataire du président Kabila sur la présence des Casques Bleus en 2018 à l'Assemble générale de l'ONU montrant les résultats largement mitigés sur le plan opérationnel de la Monusco et réclamant le retrait de cette force multilatérale, est ici éloquent pour le signaler. Le fait de demander aux forces onusiennes de se retirer du territoire congolais permet de poser la question de savoir si la confiance de l'État congolais en sa capacité à gérer seul la situation sécuritaire sur base du principe de souveraineté n'est-il pas à nos jours

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problématiques au regard de l'instabilité liée aux groupes armés et des milices insurrectionnelles. Il se pose dans le même coup la question de la stratégie mise en place pour mettre fin aux conflits et violences dans les Kivus et en Ituri. Le contenue de la demande de retrait de la Monusco est-il en adéquation aux particularités que présentent les multiples groupes armés qui prolifèrent au regard de la logique de la contre-insurrection ? Il s'agit ici de voir la nature de la réponse conjuguée de l'État congolais et de la Monusco aux problèmes posés par les différents groupes armés et les milices rebelles qui continuent à semer la terreur et à la distiller la haine entre les populations. Dans les paragraphes qui suivent, mon analyse se focalisera particulièrement sur l'aspect politique et sécuritaire. L'objectif étant de comprendre le contexte dans lequel émergent les contestations politiques qui alimentent les tensions entre la Monusco et l'État congolais.

1.1.La défiance permanente de l'État congolais

Pour comprendre le cadre d'émergence de la rhétorique contestataire sur la présence de l'ONU en République Démocratique du Congo, il parait important de revenir sur l'histoire politique du pays. En effet, plusieurs études sur la République Démocratique du Congo associent la faiblesse de l'État à son histoire politique. Ilinca Mathieu considère l'État congolais comme étant « une institution structurellement défaillante, dont la faiblesse est à la fois cause et conséquence des défis qu'elle doit affronter »20. Ceci étant, les aspirations de l'autonomie, de l'autodétermination et les appétits de la sécession des provinces qui ont pris aujourd'hui la forme de la balkanisation sont ici remarquables pour le signaler. Comme on peut le voir dans le même ordre d'idées, quelques jours après l'indépendant du Congo, la province du Katanga proclamait déjà son indépendance, suivi de la province du Kasaï. Ce qui marque les premiers coups de boutoir à l'unité et à l'instabilité du Congo. Cette première forme d'incertitude rendra nécessaire le déploiement de la première opération de maintien de la paix de l'ONU au Congo appelée ONUC21. Cependant, cette mission onusienne ne règlera le problème que de façon précaire, car les « deux guerres du Shaba » qui est l'actuel Katanga de 1977 et 1978 obligeront le président Joseph-Désiré Mobutu à se tourner vers la France et le Maroc pour contrer l'intervention des ex-gendarmes katangais venus d'Angola puis de la Zambie. Bien au-delà de ces tentatives de sécession appuyées par des forces étrangères, le Congo, écrit Ilinca Mathieu,

20 Cfr. Ilinca Mathieu, La contre-insurrection en République démocratique du Congo : Le défi des « forces négatives », ESKA / « Sécurité globale », 2010/4 N°14/ pages 97 à 110.

21 Ibid.

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« est également un État politiquement fragilisé de l'intérieur »22, notamment avec l'instauration du parti unique de Mobutu qui contraint l'opposition à la clandestinité, ce qui occasionnera le recours des opposants aux armes. Dépassé par les événements, l'impossibilité de Kinshasa à asseoir son autorité sur les provinces les plus éloignées de la capitale a permis aux différentes milices insurgées de tirer un revenu substantiel, prolongeant par voie de conséquence leur résistance. Les richesses de ces provinces font également état de convoitise et sont la cible d'attaques étrangères directes, en l'occurrence l'illustre trafic des minerais organisé par le Rwanda et l'Ouganda dans les provinces du Kivu. Ces richesses ont également largement motivé (bien au-delà des enjeux politiques et sécuritaires), l'engagement militaire de ces derniers dans les deux grandes guerres du Congo entre 1996 et 1997 puis entre 1998-2002, (je reviendrai de façon explicite à cet aspect dans la deuxième partie en abordant le Rwanda et l'Ouganda comme acteurs essentiels dans le conflits congolais). Cette forme de prédation économique va prendre enfin de compte une forme indirecte par le biais des contrats léonins imposés à l'État congolais par des compagnie liées aux élites du Zimbabwe, de la Namibie ou de l'Angola, en échange de leur soutien politique et militaire23. On peut donc comprendre par ici comment l'ingérence étrangère devient un facteur aggravant de l'affaissement de l'État congolais. Cette ingérence étrangère est devenue une donnée permanente dans l'histoire politique de la République démocratique du Congo.

En 1990, le contexte politique étant radicalement modifié avec la venue du multipartisme, notamment face au poids grandissant de l'opposition qui, jadis vivait dans la clandestinité et l'ampleur des troubles sécuritaires causés par différentes milices, a permis la tenue d'une Conférence nationale souveraine. Conférence qui sera convoquée précisément en 1991 dans le but de jeter les bases d'une transition démocratique. Celle-ci aura cependant du mal à se mettre en place car le présidente Mobutu entravera le processus en retardant les élections, tirant ainsi profit du contexte trouble du génocide des Tutsi qui va générer des flux migratoires dans les provinces du Kivu. Avec l'arrivée de Laurent-Désiré Kabila, soutenu par l'Ouganda et le Rwanda, l'Alliance des Force démocratique pour la libération (AFDL) accélérera la chute du président Mobutu en mai 1997 au terme de la première guerre du Congo. Cette deuxième forme d'instabilité permettra également aux Nations Unies d'avoir un regard attentif à la situation politique en République démocratique du Congo. Voilà pourquoi une nouvelle opération pour le maintien de la paix sera mise en place par l'ONU en république démocratique du Congo.

22 Ibid.

23 Ibid., p. 99.

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1.2. L'ONU face à l'instabilité en RD Congo

Il me parait important dans ce sous point de rappeler le contexte dans lequel l'ONU intervient en République démocratique du Congo. En effet, après les événements du génocide au Rwanda en 1944, près de 1,2 million de Hutus dont certains avaient pris part aux massacres, ont fui vers le Nord-Kivu et le Sud-Kivu qui sont les deux provinces limitrophes situées à l'Est de la République démocratique du Congo et peuplées par d'autres ethnies, en l'occurrence des Tutsis24 que l'on appelle plutôt les populations rwandophones. Deux ans plus tard après le génocide rwandais, une insurrection dans la région du Kivu a conduit en 1996 à des affrontements entre les forces dirigées par Laurent-Désiré Kabila et l'armée du Zaïre du président Mobutu Sese Seko. Dans ce contexte de tension persistante, les forces de Laurent-Désiré Kabila, soutenues par le Rwanda et l'Ouganda se sont donc emparées de la capitale Kinshasa en 1997. Du coup, le pays sera rebaptisé République démocratique du Congo.

Une année après la prise de pouvoir par Laurent-Désiré Kabila, un soulèvement contre le gouvernement va éclater dans les Kivus en 1998. Du coup, les rebelles occuperont une importante partie du pays. Tandis que l'Angola, la Namibie, le Tchad et le Zimbabwe proposent un soutien militaire au président Kabila, le rebelles conservèrent leur emprise sur les provinces Orientales. Le Rwanda et l'Ouganda soutiendront quant à eux le mouvement rebelle, à savoir le Rassemblement congolais pour la démocratie25. C'est dans cette perspective que le Conseil de sécurité va demander un cessez-le-feu tout en exigeant le retrait des forces étrangères et exhortant les États à ne pas intervenir dans les affaires intérieures qui concernent la République démocratique du Congo. Cette intervention onusienne sera couronnée par la signature de l'accord de Lusaka en juillet 1999.

En effet, après l'accord de cessez-le-feu de Lusaka entre la République démocratique du Congo et les cinq pays qui en avaient pris part à cette guerre que je viens d'énumérer précédemment, le Conseil de sécurité de l'ONU créa, par la Résolution 1279 du 30 nombre 199926, la Mission de l'Organisation de Nations Unies en République Démocratique du Congo (Monuc). Cette Résolution, tout en réaffirmant d'abord la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la République démocratique du Congo et tous les États de la région ; elle réaffirme également que l'accord de cessez-le-feu de Lusaka (S/1999/815) représente la base la plus visible pour la résolution du conflit en République démocratique du

24 Cfr. Nations Unies, Paix, dignité et égalité sur une planète saine.

https://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/background.shtml, consulté le 26 avril 2021.

25 Ibid.

26 Nations Unies, S/RES/1279 (1999), 30 novembre 1999.

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Congo et note que le rôle de l'Organisation des Nations Unies est appelé à jouer pour le respect de cessez-le-feu. Au paragraphe 2 de cette résolution 1279 (1999), le Conseil de sécurité souligne « qu'une véritable réconciliation nationale doit constituer un processus suivi, encourage tous les Congolais à participer au dialogue national qui doit être organisé en coopération avec l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et demande à toutes les parties congolaises et l'OUA de se mettre d'accord sur le médiateur du dialogue national »27.

Avec l'intervention des Nations-Unies, la République démocratique du Congo va vivre ses premières élections libres le 30 juillet 2006. À l'occasion de ses élections historiques organisées dans le pays en 46 ans, le peuple congolais sur l'ensemble du territoire choisit les 500 représentants (députés) de l'Assemblée nationale. Ces élections, notamment l'élection présidentielle, seront marquées par des contestations. À l'issue du deuxième tour de l'élection présidentielle tenue le 29 octobre 2006, et du règlement de la contestation électorale, Joseph Kabila est proclamé président de la République démocratique du Congo. D'ailleurs les experts de l'ONU estiment que de toutes les élections que les Nations Unies ont organisées, celles de 2006 en République démocratique du Congo ont été parmi les plus complexes28. Voilà pourquoi, après les élections et conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, la Mission est restée sur le terrain pour continuer à s'acquitter de multiples tâches d'ordre purement politique, militaire, ou relatives à l'état de droit et au renforcement des capacités, notamment le règlement des conflits en cours dans un certain nombre de provinces de la République Démocratique du Congo.

Par la résolution 1925 (2010), le Conseil de sécurité rebaptise la Monuc Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo (Monusco) pour tenir compte de la l'entrée du pays dans une nouvelle phase. À travers cette résolution, le Conseil décide que la Monusco comprendrait, en sus des composantes civile, judiciaire et pénitentiaire appropriées, un effectif maximal de 19 815 soldats, 760 observateurs militaires, 391 fonctionnaires de polices et 1 050 membres d'unités de police constituées29. Cette résolution reconnait l'importance de soutenir les efforts de consolidation de la paix pour raffermir et faire avancer la stabilisation du pays et insiste sur la nécessité d'un appui international continue pour assurer le lancement des activités de relèvement rapide et poser les bases d'un développement. Dans ce texte, le Conseil souligne le fait qu'il existe une connexion entre l'exploitation et les commerces illicites des ressources naturelles et que la prolifération et

27 S/RES/1279 (1999).

28 Nations Unies, Paix, dignité et égalité sur une planète saine, Op. Cit.

29 S/RES/1925 (2010), paragraphe 2.

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le trafic des armes est l'un des principaux facteurs qui alimentent et exacerbent les conflits dans la région des Grands Lacs30. Au regard de l'instabilité toujours grandissante, le Conseil, en agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte de Nations Unies 31, décide au premier point de ladite résolution de proroger jusqu'au 30 juin 2010 le mandat de la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (Monuc) et dans le même coup, il décide également, puisque la République démocratique du Congo est entrée dans ce qu'on appelle « nouvelle phase politique », que la Mission s'appellera à partir du 1er juillet 2010 « Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo » ou « Monusco »32. Il s'agit donc de cette mission qui sera soumise à l'épreuve de la critique et de la contestation. Dans le mandat de la Monusco tel que défini au paragraphe 12 de la résolution 1925 (2010), le Conseil insiste sur deux ordres de priorité, à savoir la protection des civiles d'une part, et d'autre part la stabilisation et la consolidation de la paix.

Par la protection des civiles, il s'agit bien évidement d'assurer la protection des civiles, y compris le personnel humanitaire et le personnel chargé de défendre le droit de l'homme, se trouvant sous la menace imminente de violences physiques, en particulier de violences qui seraient le fait de l'une de quelconque des parties au conflits33. La protection des civiles passe également par le fait d'assurer la protection du personnel et des locaux, des installations et du matériel de Nations Unies. La protection des civils se comprend aussi dans le sens de soutenir l'action que mène le Gouvernement de la République Démocratique du Congo pour protéger les civils contre les violentions du droit international humanitaire et des droits de l'homme, y compris toute les formes de violence sexuelle et sexiste, pour ainsi promouvoir et protéger le droit de l'homme et pour lutter contre l'impunité, y compris en appliquant sa politique de « tolérance zéro » en ce qui concerne les manquements à la discipline et les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire commis par des éléments des forces de sécurité, en particulier qui y sont nouvellement intégrés34.

En parlant de stabilisation et consolidation de la paix, il s'agit d'abord de soutenir en étroit coopération avec les autres acteurs internationaux, l'action que mène les autorités

30 Cfr. Nations-Unies, S/RES/1925 (2010).

31 Chartes de l'ONU, Fait à San Francisco le vingt-six juin mil neuf cent quarante-cinq. Le Chapitre VII dit à l'article 39 que « Le conseil de Sécurité statue l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prise conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale.

32 S/RES/1925 (2010).

33 Ibid.

34 Cfr. S/RES/1925 (2010).

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congolaises pour renforcer et réformer les institutions de sécurité et l'appareil judiciaire. Ensuite, et conformément à la législation pertinente sur la réforme des Forces Armées de la République démocratique du Congo et au plan de réforme de l'armée présenté en janvier 2010, aider le gouvernement congolais, de concert avec les partenaires internationaux et bilatéraux, à renforcer ses capacités militaires, y compris la justice militaire et la police militaire, notamment en harmonisant les activités menées et en facilitant l'échange d'information et de données d'expérience, et si le gouvernement congolais en fait la demande, aider à former les bataillons de FARDC et de la police militaire, soutenir les institutions de justice militaire et mobiliser les donateurs afin qu'ils fournissent le matériel et les autres ressources nécessaires35. Un autre aspect important qu'il faut souligner dans le mandat de stabilisation et de consolidation de la paix consiste à appuyer la réforme engagée par le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, notamment en disposant une formation au bataillon de la Police nationale congolaise et en mobilisant les donateurs afin qu'ils apportent des fournitures de base, en rappelant que les autorités congolaises doivent d'urgence adopter un cadre juridique approprié. Comme on peut voir dans cette résolution, compte tenu de la nécessité pressante de la lutte contre l'exploitation et le commerce illicites des ressources naturelles, le conseil donne à la Monusco la responsabilité d'appuyer l'action que mène le gouvernement congolais et de renforcer ses capacités, de concert avec les partenaires internationaux et les pays voisins, pour empêcher qu'un appui ne soit apporté aux groupes armés, en particulier grâce au produit d'activités économiques illicites et du commerce illicite des ressources naturelles, et renforcer et évaluer avec le Gouvernement congolais le projet expérimental de création dans le Nord-Kivu et Sud-Kivu de cinq comptoirs regroupant tous les services d'État concernés en vue d'améliorer la traçabilité de mirerais. Je reviendrai sur cet aspect dans la troisième partie lorsque j'aborderai le concept de « minerais du sang » qui devient une nouvelle théorie politique.

Dans la dynamique de cette intervention, le Conseil décide que la Monusco comprendrait, en sus des composantes civile, judiciaire et pénitentiaire appropriées, un effectif maximal de 19 815 soldats, 760 observateurs militaires, 391 fonctionnaires de police et 1 050 membres d'unité de police constituée36. Ces chiffres n'étant pas définitifs, les reconfigurations de la Monusco sont souvent en fonction de l'évolution de la situation sur le terrain, en particulier de l'achèvement des opérations militaires en cours dans le Kivu et dans la province Orientale, de l'amélioration des moyens dont dispose le gouvernement congolais pour protéger efficacement la population, et du renforcement de l'autorité de l'État sur l'ensemble du

35 Ibid.

36 Cfr Nations Unies, Paix, dignité et égalité sur une planète saine. Op. Cit.

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territoire national. Aujourd'hui, face aux mouvements contestataires exigeant le retrait de cette Mission au motif de son inefficacité à protéger les civils, le plafond des effectifs en uniforme de la Monusco est de 14 000 membres du personnel militaire, 660 observateurs et officiers d'état-major, 591 policiers, et 1 050 membres des unités de police constituées. Un déploiement temporaire d'un maximum de 360 membres d'unité de police constituées est également autorisé à condition qu'ils soient déployés en remplacement du personnel militaire37.

Malgré les efforts réalisés par les Nations Unies que je viens d'évoquer dans les lignes précédentes depuis qu'une opération de maintien de la paix a été établie et que la situation semble être dans plusieurs régions du pays stable, l'Est de la République Démocratique du Congo est depuis plus de deux décennies en proie à des vagues de conflits récurrentes, à des crises humanitaires chroniques et à des violations graves des droits de l'homme. Le cycle de violence est, à nos jours, entretenu par la présence persistance de groupes armées aussi bien congolais qu'étrangers profitant du vide sécuritaire qui caractérise l'Est du pays, l'exploitation illégale des ressources, l'ingérence des pays voisins, que j'évoquerai dans la deuxième partie, l'impunité généralisée, des affrontements intercommunautaires, l'incapacité de l'armée et de la police nationale de protéger de manière efficace les civils et le territoire, y compris le maintien de l'ordre. On se poserait ainsi la question de savoir quel rôle joue la Monusco face à la récurrence des violences ?

En effet, dans le souci de s'atteler aux causes profondes du conflits et de garantir le maintien de la paix dans le pays et dans l'ensemble de la région des Grands Lacs, un accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo a été signé par les représentants de 11 pays de la région, les Présidents de l'Union africaine, la Conférence internationales sur la régions des Grands Lacs, la Communauté de développement de l'Afrique australe et le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, le 24 février 2013 à Addis-Abeba. D'ailleurs le paragraphe 2 de cet accord montre que « l'Est de la République démocratique du Congo continue de subie des cycles de conflits récurrents et des violences persistantes de la part des groupes armés tant nationaux qu'internationaux »38. Et le texte poursuit au paragraphe 3 que les conséquences de cette violence ont été plus que dévastatrice. Des actes des violence sexuelle et de graves violations des droits de l'homme sont utilisés régulièrement et quotidiennement comme des armes de guerre. Le nombre de personnes déplacées figure parmi les plus au monde et tourne de façon persistante autour de 2 millions de

37 ONU Info, RDC : le mandat de la MONUSCO prorogé d'un an. 19 décembre 2020. https://news.un.org/fr/story/2020/12/1084982, Consulté le 27 avril 2021.

38 Nations Unies, S/2013/131.

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personnes. La mise en oeuvre du programme national de reconstruction, de réforme du secteur de la sécurité et d'éradication de la pauvreté est constamment interrompue39. L'accord termine par un paragraphe qui fait de la Monusco une partie de la solution dans le problème du Congo : « ... la Monusco fera partie de la solution, et continuera à travailler en étroite collaboration avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo »40. Si nous partons du fait que la Monusco est l'une de partie fondamentale de la résolution des conflits en République démocratique du Congo, il parait donc logique que la population lui demande des actions efficaces pour l'éradication des conflits et violences dans le pays. C'est dans cette perspective que la brigade d'intervention de la Monusco mérite tout son sens.

En effet, le Conseil de sécurité adopta le 28 mars 2013 la résolution 2098 dans l'optique de soutenir l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et dans la toute la région des grands Lacs. Cette résolution est une réponse à l'appel lancé par les Gouvernements des grands Lacs. Il y a lieu de remarquer ici que la résolution 2098 prorogeait jusqu'au 31 mars 2014 le mandat de la Monusco tout en créant une brigade d'intervention pour renforcer les opérations de maintien de la paix. Cette résolution s'inscrit dans le cadre des recommandations contenue dans le rapport spécial du 27 février 2013. Ce rapport spécial du Secrétaire général de l'ONU41 présenté au Conseil de sécurité, expose la situation d'ensemble et les conséquences régionales de la crise survenue dans l'Est de la République démocratique du Congo. Il contient également des recommandations pour une action régionale collective et intégrée visant à enrayer le cycle de la violence. Le Secrétaire général propose dans ce rapport un ensemble de mesure à prendre au niveau national et régional et formule des recommandations sur l'appui de la communauté internationale, tout en préconisant notamment l'intensification de l'action politique de Nations Unies et le renforcement de la Monusco. Au chapitre IV dudit rapport, il est proposé qu'une brigade d'intervention spéciale relevant de la Monusco soit établie pour une période initiale d'un an. Opérant sous le commandement opérationnel direct du commandant de la Monusco et aux côtés d'autres brigades dans l'Est de la République démocratique du Congo, la brigade d'intervention, parallèlement a réalisé des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration et de désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement. Elle a exercé des fonctions d'imposition de la paix consistant à empêcher l'expansion des groupes armés, les

39 Ibid.

40 Ibid.

41 Nations Unies, Rapport spécial du Secrétaire général sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs, 27 février 2013. S/2013/19.

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neutraliser et les désarmer42. Du coup, on pourrait dire que les interventions de cette brigade viseraient à créer des conditions propices à la restauration de l'autorité de l'État et à l'établissement d'une stabilité durable.

Cependant, au regard l'insécurité grandissante à l'Est du pays et compte tenu du rapport du Secrétaire général de l'ONU, le Conseil de sécurité, par sa résolution 2147 du 28 mars 2014 prorogeât jusqu'au 31 mars 2015 le mandat de la Monusco et de sa brigade d'intervention à titre exception et sans créer de précédent ni sans préjudice des principes de maintien de la paix. Cette résolution 2147 (2014) note qu'une stratégie de retrait clairement défini s'impose, y compris pour la Bridage d'intervention, et décide que les reconfigurations futures de la Monusco et de son mandat seront en fonction de l'évolution de la situation sur le terrain et, dans le contexte de la mise en oeuvre par le gouvernement de la République démocratique du Congo et tous les signataire de l'accord-cadre des progrès vers la réalisation des objectifs suivants, conformément aux trois priorités énoncées dans le concept stratégique, à savoir la protection des civiles, la stabilisation et l'appuis à la mise en oeuvre de l'accord-cadre. Le conseil autorise la Monusco, en vue d'atteindre les objectifs énoncés au paragraphe 3, à prendre les mesures nécessaires pour s'acquitter des taches que sont la protection de civils, la neutralisation des groupes armés par la Brigade d'intervention, la surveillance de la mise en oeuvre de l'embargo sur les armes, l'appui aux procédures judiciaires nationales et internationales43. Cependant, ce que l'on constate aujourd'hui, c'est que malgré les stratégies mises en place par le Conseil de sécurité pour la protection des civils, la situation sécuritaire demeure précaire et problématique à l'Est du pays et en Ituri. Ce sentiment de l'inefficacité de la Monusco a fait augmenter ces dernières années les constatations au sein des populations à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ces mouvements contestataires, parfois accompagnés de violence et réclamant le retrait des Casques bleus, s'intensifient aux jours les jours. Je propose ainsi de montrer dans les lignes qui suivent les formes de contestation à l'égard de la Mission par les mouvements de la société civiles.

42 S/2013/119*.

43 Cfr. S/RES/2147 (2014).

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2. Contestation de la Monusco par la population : Société civile, Mouvements citoyens

Les mobilisations des mouvements contestataires à l'égard de la Monusco deviennent de plus en plus nombreuses en République démocratique du Congo. Depuis 2010 les manifestations contre « l'inaction » des forces onusiennes ont pris une proportion forte au sein de la société civile mais également dans les communautés diasporiques de la République démocratique du Congo. Jadis, apanage des acteurs politiques qui cherchaient à s'éterniser au pouvoir en s'en prenant aux responsables de la mission qui leurs exigeaient le respect des principes démocratiques, notamment l'alternance au sommet de l'État, aujourd'hui la contestation contre la Monusco est devenue le combat des mouvements citoyens, de la diaspora congolaise, généralement pilotés par des jeunes. Ces contestations trouvent leur source de légitimation sur ce que certains chercheurs appellent « l'inefficacité de la Monusco ». Ces mouvements contestataires qui se mobilisent contre l'incapacité de la force onusienne à mettre fin aux massacres des civiles à l'Est de la République démocratique du Congo ont pris ces dernières années une proportion nationale alors qu'au départ, ils étaient beaucoup plus visibles à l'Est du pays. Si les manifestions organisées contre la Monusco sont d'abord des manifestations pacifiques, elles dégénèrent très souvent par la violence ou même par l'extrême violence.

En effet, la contestation autour de Mission de l'ONU au République démocratique du Congo est né par ce que l'on pourrait appeler la crise d'autorité de la Monusco. Par autorité, je n'entends pas seulement des personnes titulaires de statuts, mais de façon plus générale tous ceux que l'on doit croire, comme écrit Georges Lavau, parce qu'ils font autorité en tant que représentation du vrai. De ce point de vue, la contestation nait ici de ce que les autorités n'ont plus de signification : on leur adresse le défi de faire la preuve de leur fidélité à leur propre principe et leur mission qui est premièrement celle de la protection de civils comme décrit à l'alinéa i) du paragraphe 29 de la résolution 2502 (2019) et appuyer la stabilisation et le renforcement des institutions de l'État en République démocratique du Congo ainsi que les principes de la gouvernance et de la sécurité, comme décrit à l'alinéa ii) du paragraphe 29 de la même résolution44. Parlant de la croyance en l'autorité, Michel de Certeau écrit : « pour être crues, les autorités doivent être vérifiées et qu'elles n'ont de légitimité que par les adhésions qu'elles reçoivent et les participations dont elles bénéficient »45. Commençant parfois par une manifestation banale, la perte de confiance dans les autorités de la Mission de l'Organisation

44 Cfr. Nations-Unies, S/RES/2502 (2019).

45 Michel de Certeau, Les révolutions du croyable, Esprit, Février, 1969, pp. 190-202.

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des Nations Unies pour la stabilisation du Congo s'est convertie en contestation lorsque les autorités onusiennes auxquelles la population avait d'abord fait confiance étaient précisément celles qui paraissaient les mieux qualifiées pour mettre réellement en ouvre les valeurs politiques auxquelles sont attachés les contestataires, à savoir le retour de la paix dans le Kivu et l'instauration d'un État de droit et démocratique.

En effet, la mort des civils tués par les rebelles ADF à quelques mètres des forces onusiennes a été un facteur aggravant de la contestation à l'égard de la Monusco. Le 22 novembre 2019, la Monusco faisait face à une contestation populaire d'une grande envergure dans le Nord-Kivu qui s'est rependu dans d'autres grandes villes du pays, notamment à Kinshasa. Quelques jours plus tard, le 25 nombre, un des camps de la Monusco à Beni, notamment dans le quartier de Boikene avait été détruit et incendié par des manifestants qui l'accusent de passivité et de complicité lors des massacres des civils. D'ailleurs le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) avait recensé la mort d'au moins 123 civiles du fait des groupes armée depuis le 5 nombre sur le territoire de Beni46. Plusieurs sources attribuent la majorité de ces exactions aux rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF), considérés comme un groupe islamique. Dans son compte-rendu du 27 novembre 2019, l'ONU attribue plusieurs attaques contre les civils au ADF : « Nous tenons à réaffirmer que nous ne sommes ni résignés ni indifférents aux terribles agissement de ADF. 14 attaques attribuées aux ADF et 80 morts depuis le 30 octobre : cette situation est inacceptable et nous tenons à redire que la Monusco comprend la colère et la frustration de la population et fait tout son possible, en collaboration avec les FARDC et la PNC, pour limiter les atteintes contre les populations civiles »47. Ces propos tenus par les responsables de l'ONU s'inscrivent dans le cadre d'une manifestation marquée d'extrêmes violences où l'on voit s'établir le rapport de force entre les forces onusiennes et les manifestants dans lequel on avait enregistré des morts aussi bien du côté des manifestants que du côté des Forces armées congolaises. Dans ces affrontements d'extrêmes violences, un jeune homme avait été tué dans un échange avec les Casques bleus alors qu'il s'apprêtait, selon le compte-rendu de la Monusco, de lancer un cocktail molotov. Cet épisode avait d'ailleurs contribué encore à la radicalisation de la contestation. Celle-ci a même gagné plus du terrain en s'exportant dans d'autres grandes villes du pays où des rassemblements ont été organisés par des mouvement citoyens tels que la Lucha, à Goma et Kinshasa scandant des

46 KIVU Security Tracker, La Monusco peut-elle réellement quitter la RDC, KST on december 6, 2019. https://blog.kivusecurity.org/fr/la-monusco-peut-elle-reellement-quitter-la-rdc/, consulté le 29 avril 2021.

47 Organisation des Nations Unies, Compte-rendu de l'actualité des Nations Unies en RDC à la date du 27

novembre 2019. https://monusco.unmissions.org/sites/default/files/compte-
rendu_de_lactualite_des_nations_unies_en_rdc_a_la_date_du_27_novembre_2019_final.pdf.

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pancartes qui appellent au « dégagisme » de la Monusco, si elle n'était pas capable d'agir contre les massacres. Les images en annexe témoignent de la colère des manifestants.

Ces différentes images montrent combien la confiance des congolais dans les capacités de la Mission à assurer la sécurité des civils s'est en réalité érodé. Elles rappellent un malaise profond et le sentiment de méfiance contre la Monusco. Cette crise de confiance survient au moment où les discussions sur l'avenir de la Mission était au siège de Nations-Unies autour du nouveau mandat qui était adopté à la fin de compte en décembre. Dans ce climat morose, le Conseil de sécurité n'avait renouvelé le mandat de la Monusco que pour neuf mois (Résolution 2502 (2019)), alors qu'habillement, les mandats de la mission dans d'autres résolutions sont d'une durée de douze mois. Ce mandat, le Conseil de sécurité le prenait comme un moment de transition. Dans son intervention au le Conseil de sécurité lors de renouvellement du mandat de la Monusco, le Ministre français de l'Europe et des Affaires Étrangères, Monsieur Jean-Yves Le Drian déclarait : « Le mandat qui vient d'être adopté marque tout d'abord une transition. Ce délai de 9 mois laissera le temps au Secrétariat d'effectuer une revue statistique de la mission, dans l'objectif de bénéficier d'une meilleure compréhension des enjeux et des besoins et d'adapter le mandat de la mission »48. Dans l'entre-temps, une revue stratégique de la mission a été conduite par le diplomate tunisienne. Dans son rapport, Yossef Mohamoud préconisait le retrait de la Monusco dans un délai de trois ans. Ce rapport souligne « offrir une analyse indépendante des défis et opportunités en RDC et sur la pertinence du mandat de la Monusco ». Il contient également « des paramètres pour assurer une transition responsable et efficace, indépendamment de considérations financières, de préférences institutionnelles ou d'intérêts géopolitiques »49. Cependant un tel retrait ne peut être envisageable que dans le meilleur scénario, à savoir si le gouvernement congolais prend le relais au fur et à mesure des missions assurées par la Monusco. Le rapport établit ainsi trois types de repères et d'indicateurs devant guider une telle transition. Il s'agit des repères fondamentaux sur lesquels la mission a un contrôle, des indicateurs sur la paix et la sécurité dépendant des parties locales, et des lignes rouges qui pourraient amener l'ONU à suspendre son désengagement.

Face aux contestations grandissantes à l'égard de la Monusco, contestation qui génèrent très souvent les violences, les points de vue divergent. Certains, y compris quelques membres

48 Mission permanente de la France auprès des Nations Unies à New York. Représentation permanente de la France, Renouvèlement du manda de la Monusco. Intervention de M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des Affaires Étrangère. Conseil de sécurité - 29 mars 2019. https://onu.delegfrance.org/Le-Conseil-de-securite-renouvelle-le-mandat-de-la-MONUSCO, Consulté le 30 avril 2021.

49 Jeune Afrique, RDC : un rapport de l'ONU propose un retrait des casques bleus sur trois ans, publié le 06 novembre 2019. https://www.jeuneafrique.com/852338/politique/rdc-un-rapport-de-lonu-propose-un-retrait-des-casques-bleus-sur-trois-ans/, consulté le 30 avril 2021.

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de la mission sont démoralisés tant ils ont l'impression de devenir des boucs émissaires. Ceux qui soutiennent ce point de vue estiment que la Monusco n'est pas à l'origine de la nouvelle spinale de violences. Et le fait de « s'attaquer aux installations de la Monusco, s'attaquer aux bâtiments institutionnels, ne fait qu'affaiblir la lutte contre ce groupe et contre les autres groupes armés »50. Dans une conférence de presse au palais de la Nation le 29 avril 2021 à Kinshasa, le président Félix-Antoine Tshisekedi, affirmait contre les contestations à l'égard de la Monusco ceci :

« A propos de la Monusco, je crois que les jeunes gens sont emportés par les émotions d'une part, et d'autres part, je suppose qu'il y quelque part de la manipulation des adultes. La Monusco est venue en partenaire en RDC pour nous aider à éradiquer les violences, à stabiliser le pays et surtout à protéger les populations... Mais ce n'est pas la Monusco qui est responsable de ces violences. Cette violence est aveugle, elle est lâche, elle est sournoise. On ne la voit pas venir. Et ce n'est pas la Monusco qui la suscite. Et donc vous devez comprendre que la Monusco est là pour nous accompagner dans les efforts que nous fournissons »51.

Ce propos du président de la République, tenu dans un contexte où la contestation avait atteint le monde scolaire, notamment les écoliers qui manifestaient pour réclamer non seulement le retour de la paix à Beni mais également le départ de la Monusco, permet de poser la question de la source de violence. Pour le président de la République, les manifestations contestataires à l'égard de la Monusco relèvent non seulement d'un sentiment de frustration mais également de la manipulation de la catégorie sociale des jeunes par adultes. Cependant, de mon point de vue, ses propos relèvent de l'ordre de la croyance et de la supposition parce qu'il utilise le verbe « croire » d'une part, d'autre part le verbe « supposer ». Ce qui plane le doute sur les sources de la violence avec comme objectif le dédouanement de la Monusco en vue redorer l'image de celle-ci afin renforcer sa légitimité. Si la Monusco est le partenaire privilégié de la République démocratique du Congo comme l'affirme le président Félix-Antoine Tshisekedi dans son discours et que sa mission est celle d'aider l'État congolais à éradiquer la violence, à stabiliser le pays et à protéger les civils, pourquoi les mouvements citoyens et contestataires s'en

50 Organisation des Nations Unies, Compte-rendu de l'actualité des Nations unies en RDC à la date du 27 novembre 2019. Op. Cit.

51 Radio Okapi, Félix Tshisekedi : « La MONUSCO est venue en RDC pour nous aider à éradiquer les violences et à stabiliser le pays », publié le 29 avril 2021. https://www.radiookapi.net/2021/04/29/actualite/securite/felix-tshisekedi-la-monusco-est-venue-en-rdc-pour-nous-aider-eradiquer, Consulté le 01 mai 2021.

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prennent-ils à la Mission ? Dans quel but ces mouvements contestataires auraient-ils chercher à attiser l'hostilité contre la Monusco ?

Il y a lieu de remarquer ici que le fait de faire de la Monusco le centre des critiques pourrait faire passer au second plan la responsabilité de l'État congolais qui est le premier responsable de la sécurité de la population. Ensuite, la plupart des responsables de l'armée congolaise entretiennent des rapports de méfiances avec les Casques bleus. Dans l'un de mes entretiens réalisés avec deux officiers militaires de la FARDC, l'un d'eux n'hésitait pas de dire : « Mon cher, même si aujourd'hui les relations semblent être au bon fixe avec le gens de la Monusco à travers les opérations conjointes que nous menons, nos relations demeurent compliquées. Normalement, certaines attaques des ADF contre les civils pouvaient être anticipées si nous actions étaient coordonnées et si les casques bleus étaient là uniquement pour nous soutenir, mais malheureusement cela n'est toujours pas le cas... ». Pourtant dans une enquête réalisée par Hans Hoebeke, Jair Van Der Linje, Tim Glawion et Nikki De Zwaan, on peut lire que la population locale a généralement critiqué la Monusco affirmant que même lorsque la Monusco est présente et prévenue d'un incident par un réseau d'alerte précoce, une réaction dans le temps est hautement improbable52. Dans cette étude, les auteurs reprennent les propos d'un responsable de Rutanga sur l'inaction de la Monusco : « personnellement, je ne vois pas ce que fait la Monusco. Son rôle est censé être de protéger la population, mais nous mourrons en sa présence. Et lorsque nous demandons de l'aide, elle arrive 30 minutes ou une heure après le départ de l'ennemi »53. Le climat de méfiance qui s'est installée au sein des institutions en charge de mettre fin à l'insécurité ne favorise pas l'opérationnalisation du maintien de la paix et la protection de civils qui est l'une des deux priorités principielles de la Monusco avec le soutien aux institutions congolaises. Parfois les troupes sur le terrain, rappelle un officier de l'armée congolaise, ne semblent pas « s'adapter en réalité dans le territoire de Beni ». De l'autre côté, les Casques bleus affirment que la question de l'insécurité à l'est de la République démocratique est due à l'impossibilité des hauts responsables de l'armée congolaise à y mettre terme, car souvent impliqués dans l'exploitation des matière premières54. Du coup, l'extrême violence à l'Est de la République démocratique du Congo est, selon le président Tshisekedi, le fruit de la « sournoiserie » et de « l'aveuglement ». Cette violence est de l'ordre

52 Cfr. Hans Hoebeke, Jair Van Der Lijn, Tim Glawion et Nikki De Zwaan, Garantir la stabilité légitime en RDC : Hypothèses extérieurs et perspectives locales. Étude politique, In Sipri, Stockholm international peace researche

institute, Septembre 2019. https://www.sipri.org/sites/default/files/2020-
01/garantir_la_stabilite_legitime_en_rdc.pdf, Consulté le 03 mais 2021.

53 Agent de l'État de plus de 55 ans, Rutanga, traduction des auteurs. In Op. Cit.

54 Jeune Afrique, RDC : faut-il en finir avec la Monusco ? Publié le 23 juillet 2019. https://www.jeuneafrique.com/mag/806091/politique/rdc-faut-il-en-finir-avec-la-monusco/

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de l'inattendu parce qu'on ne la voit pas venir. Alors comment doit-on parler d'une violence imprévisible alors même qu'elle est devenue depuis des décennies une normalité ? Si la contestation contre la Monusco est-elle aveugle, peut-on estimer qu'elle constitue l'une des modalités de la gestion politique en République démocratique du Congo ? Telles sont les questions auxquelles je tenterai de répondre dans le point sous dessous.

B. LA CONTESTATION COMME MODES DE GESTION POLITIQUE EN RD CONGO

Je pars d'un constat très contrastant : Tout porte à croire que la République démocratique du Congo est en perpétuel mouvement contestataire. Parfois on n'arrive pas à faire la différence entre le haut et le bas. Une telle ambivalence fait penser comme écrivent Pierre Englebert et Denis Tull, que « la certitude n'est pas de mise au Congo »55. Dans cette perspective, je montrerai dans ce point comment la contestation contre la Monusco peut-elle s'inscrire dans la logique des modalités de la politique en République Démocratique du Congo. Cette contestation comme modes de gestion politique passe par la résistance à la gouvernances locale. Ce qui fait que la Monusco soit régulièrement dans un processus de négociation et en quête de légitimation permanente.

1. Régime de contestation et gouvernance locale

Depuis plus de dix ans, la résistance contre la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation de la République démocratique du Congo a pris de proportions variables. En effet, les contestations à l'égard de la Mission s'inscrivent dans un contexte local marqué par l'instabilité politique et l'incertitude sociale. La pérennité des violences depuis le début des années 1990 à l'Est du pays, traduisent la routinisation du phénomène des mobilisations contestataire parfois marqué d'extrême violences et même militarisés. Les multiples recompositions politiques, notamment le changement de régime, accords de paix, disparation et réapparition des groupes armés, vagues d'intégration des belligérants dans l'armées nationales ou régulière n'ont fait que nourrir l'incertitude. D'ailleurs cette situation a fait l'objet d'une attention particulière de la part des chercheurs. Si certains s'attarder sur l'interprétation mobilisant les théories économiques des conflits et la notion d'États faillis56. D'autres sont

55 Pierre Englebert, Denis Tull, Contestation, négociation et résidence : L'État congolais au quotidien, Karthala / « Politique africaine », 2013/1 N° 129, pages 5 à 22.

56 Cette interprétation est développée par les chercheurs comme Timothy Raeymaekers, Ken Menkhaus, Koen Vlassenroot, « States and Nonstate Regulation in African Protracted Crises : Governance without Governance »,

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attentifs aux contextes locaux dans lesquels ces mobilisations interviennent en mettant l'accent sur les antagonismes intercommunautaires relatif à la question foncière que j'aborderai dans la deuxième partie, et aux enjeux de pouvoir qui y sont inséparables57. Ces études avancent l'argument de la marginalisation sociale et économique d'une frange considérable de la jeunesse. Du coup, l'engagement au sein des structures combattantes pourrait traduire une volonté de contester l'ordre sociale et de renégocier la place occupée à son sein58. Il y a également des chercheurs qui mettent parallèlement en lumière le rôle des accords de paix et des processus erratique d'intégration des ex-belligérant qui en découlent dans la reproduction de ces mobilisation59. D'autres enfin, s'intéressent à l'architecture sociale sous-jacente aux groupes armés tout en soulignant la diversité de leurs réseaux dans ces mobilisations violentes60. Dans une récente étude, à la différence des autres chercheurs, Mehdi Belaid s'intéresse plutôt aux trajectoires des acteurs de violence en se basant sur la sociologie des mobilisations militantes61. Toutes ces études permettent de comprendre le paysage socio-politique dans lequel les contestations contre la Monusco s'enracinent.

Ce cadre socio-politique permet de saisir l'essentiel du politique congolais marqué par sa complexité. Le cycle de violence sans arrêt dans les provinces du Kivu, la violation continue des droits de l'homme, l'échec de la réforme du secteur sécuritaire, les intimidations et les répressions étatiques, ajouté à cela l'effritement du processus de démocratisations, sont des signes qui rappelle la persistance de la crise. Ce malaise sociétal occasionne la contestation susceptible de générer de la violence.

Le régime de contestation trouve son point d'irréversibilité lors des guerres de 19961997 et de 1998-2002, même si on se demander comme estiment Pierre Engelebert et Denis Tull, « si cette périodisation et cette césure entre les deux guerres ne devrait pas être abandonnée pour parler d'un conflit unique »62. La violence insurrectionnelle en 2012 à l'initiative du groupe Mouvement du 23 mars (M23) qui est l'émanation de l'ancien CNDP rappelle les formes

Afrika Focus, 21 (2), 2008, p. 7-22 ; Roland Marchal, Christine Messiant, « De l'avidité des rebelles. L'analyse économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique internationale, 16, 2002, p. 58-69.

57 Pour ce courant de pensée, on peut citer Séverine Autesserre, The trouble with the Congo: Local violence and the Failure of International Peacebuilding, Cambridge, Cambridge University, 2010.

58 Cfr. K. Vlassenroot, « Négocier et contester l'ordre public dans l'Est de la RDC », Politique africaine, 111, 2008, p.44-68.

59 Cfr. Maria Eriksonn Baaz, Judith Verweijen, « The Volatility of a Half-Cooked Bouillabaisses: Rebel-Military Integration and Conflict Dynamics in the Eastern DRC», African Affairs, 112 (449), 2013, p. 563-582.

60 Jason Strearns, « Repenser la crise au Kivu : mobilisation armée et logique du gouvernement de transition », Politique africaine, 129, 2013, p. 23-48.

61 Mehdi Belaid, « Les mobilisations armées à l'Est de la République démocratique du Congo : Dynamique sociales d'une pratique ordinaire », Critique internationale, 2019/1 N°82, p. 31-49.

62 Pierre Englebert & Denis Tull, « Contestation, négociation et résistance : L'État congolais au quotidien », Politique africaine, 2013/1 N°129, p. 5-22.

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de contestations violentes. Pendant ce temps, la Monusco s'est avérée incapable de jouer un rôle autre que marginal63. Dans l'entre-temps, on recense un nombre important de groupes armés, milices ou alliés du gouvernement qui contestaient le pouvoir en place et demandaient l'accès à l'emploi public, la reconnaissance de droits fonciers, l'accès aux minerais et leur trafic, les défenses de communauté locales et l'hostilité aux étrangers. Ces mouvements contestataires et parfois insurrectionnels naissent, grandissent, se divisent, disparaissent pour enfin du compte réapparaitre sous d'autres formes.

Dans cette perspective, Jason Stearns illustre la logique interne de l'usage de la contestation violente parmi les groupes armés. Il montre par exemple que la décision d'appartenir à ces mouvements violents tels que le CNDP, le mouvement hutu Pareco ou la milice Maï-Maï Raia Mutomboki, n'est pas simplement le résultat de grief locaux ou de la fameuse « malédiction des ressources »64. Cette violence est plus largement en rapport avec la capacité de mobilisation sociale de ces groupes. Pour comprendre une telle mobilisation, il est nécessaire de saisir la manière dont ces groupes s'insèrent dans la société, que ce soit par des réseaux sociaux, par opportunisme, ou par alliance avec divers politiciens. Il s'agit ici d'une conception de la violence imposée aux sociétés locales par les combattants eux-mêmes. En revanche, Pierre Englebert et Denis Tull conceptualisent la logique locale de la violence et sa participation à une panoplie plus large de types de rapports sociaux65. Dans un contexte politique toujours contesté, le fait de pouvoir mobiliser des acteurs armés semble présenter un atout. Cette violence est aussi un moyen de communication et de négociation pour rééquilibrer les rapports de force dans les configurations politiques. Ce qui permet aux contestataires, écrit Waal, de s'intégrer dans le systèmes politique en dehors duquel les opportunités sociales et économiques sont rares66. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on peut dire que l'Est du pays n'a pas le monopole de la contestation mais une réalité nationale. Malgré l'intervention des forces onusiennes, la République démocratique du Congo n'a pas été pacifiée au sens propre du terme après les élections de 2006. Des violences et confrontations ont eu lieu dans diverses provinces de la république, notamment au Bas-Congo en 2007-2008, le grand Équateur en 2009, au Katanga il y a de la violence presque chaque année, dans le grand Bandundu en 2010,

63 Ibid.

64 Ibid.

65 Pierre Englebert & Denis Tull, « Contestation, négociation et résistance : L'État congolais au quotidien », Op. Cit. p. 13.

66 A. de Waal, « Mission without End? Peacekeeping in the Africa Political Marketplace», International Affairs, Vol. 85, n° 1, Janvier 2009, p. 99-113.

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à Kinshasa en 2011, dans le grand Kasaï en 2017-2018 et tout récemment à Beni jusqu'à nos jours.

Bien au-delà de la violence, la contestation fait également le quotidien de la classe politique congolaise. Les élections de 2006 ont été marquée par des grandes contestations. Celles de 2011 ont été également contestées et hautement controversée. En 2018, la République démocratique du Congo a connu aussi un moment électoral avec des résultats extrêmement contestés. Comme on peut le remarquer, la République démocratique du Congo sort régulièrement de chaque période électorale sous le choc, difficile jusqu'alors de réparer les déchirures sociales et la pénurie de la confiance engendrée dans différents scrutins.

Au regard de ce qui précède, il reste donc à s'interroger sur les vraies causes de ces contestations qui sont quasi permanentes. Sont-elles la résultante de l'instabilité l'insécurités grandissante ou de dynamiques historiques de plus long terme ? Sont-elles dans la continuité des logiques et pratiques politiques sur lesquelles repose l'État congolais à travers les mécanismes de négociation ?

2. Processus de négociation et de légitimation de la Monusco

Si en 1999 le regard de la population sur la Mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo a été bienveillant jusqu'en 2006 avec l'organisation des premières élections dites démocratiques dans le pays après une longue période de guerres et d'incertitude politique, il n'en est pas pour autant durant la dernière décennie. Confrontée généralement à des contestations manifestes au regard l'instabilité à l'Est de la République Démocratique du Congo, la Monusco a tenté à plusieurs reprises de réaliser sa mission par défit. Parfois imposé par le Conseil de sécurité contre la volonté de la population et parfois des responsables politiques du pays, la Monusco a chaque fois réussi à s'imposer comme acteur majeur dans la résolution des conflits et violences en République Démocratique du Congo.

Depuis 2010 jusqu'en 2020, toutes les résolutions votées par le Conseil de sécurité pour le prolongement du mandat de la Monusco, convergent vers un processus de légitimation de la mission malgré les contestations locales toujours grandissantes. À travers les négociations entre le Conseil de sécurité et l'État congolais, ces résolutions généralement votées à l'unanimité par les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et avec le consentement de l'État congolais, sont les premières sources de légitimation globale des opérations de l'ONU en République Démocratique du Congo.

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En effet, les dernières années du Président Joseph Kabila à la tête de la République démocratique du Congo ont été un moment de tension avec la Monusco. Ces années ont été un véritable moment de frustration pour la communauté internationale, y compris en particulier pour la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo. A l'occasion du 20 anniversaire de la Monusco, le président Donald Trump cherchait à mettre en avant le coût d'une des plus grandes missions de maintien de la paix de l'ONU. Dans ce contexte particulier, marqué par les contestations locales et les manifestations parfois violentes contre la Monusco, la mission a vu sa présence se réduire au cours des dernières années. L'examen stratégique indépendant que j'ai souligné précédemment a pu montrer les modalités et les conditions de retrait des Casques bleus en République Démocratique du Congo. Le personnel local de l'ONU et la présence de la communauté internationale dans son ensemble s'est concentré sur cette examen. Ce qui a permis d'éclairer la réflexion du Secrétariat des Nations Unies à New York et constitué un facteur influent de la décision du Conseil de Sécurité avec le vote de la résolution 2502 (2019) qui avait prorogé pour neuf mois le mandat de la Monusco. Parallèlement, le président Tshisekedi, au lendemain de son élection à la tête du pays et sa prise de fonction les 24 janvier 2019, réclamait comme nous l'avons souligné, que la Monusco devrait rester en place en tant partenaire privilégié pour le rétablissement de la paix à l'est de la République démocratique du Congo. Cette position qui renforce la légitimité de la Monusco a été réitérée lors des grandes manifestations des mouvements citoyens comme la Lucha et les élèves qui se mobilisait pour les manifestions contre « l'inaction de la Monusco ». Ce soutien à la mission, venu du sommet de l'État est un signe incontestable de la légitimation de la Monusco.

Pourtant en 2016, la tension entre la Monusco et le président Joseph Kabila était saisissante. L'expiration du dernier mandat de celui-ci ne faisait que renforcer cette tension. Un diplomate souligne même que « Kabila craignait que les forces de la Monusco puissent être utilisées contre lui, comme celles de l'Onuci l'ont été contre l'Ivoirien Laurent Gbagbo »67. Ce climat de tension a été encore renforcée en 2017 avec la mort de deux experts de l'ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, puis l'attaque de la base de Samuliki à l'Est du pays. Au sein de la mission, comme écrit Pierre Boisselet, plusieurs cadres ont vu dans ces violences contre les acteurs de la Monusco, le spectre d'un avertissement adressé par le service de renseignements congolais68.

67 Jeune Afrique, RDC : faut-il finit avec la Monusco ? Op. Cit.

https://www.jeuneafrique.com/mag/806091/politique/rdc-faut-il-en-finir-avec-la-monusco/, consulté le 5 mai 2021.

68 Ibid.

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En outre, les autorités congolaises, en se basant sur l'argument de la souveraineté avait en tout cas refusé que la Monusco les aide dans l'organisation du scrutin de décembre de 2018.

Paradoxalement, le retrait de la Monusco du territoire congolais vivement souhaité par le président Joseph Kabila a été remise en question par son successeur, le président Félix-Antoine Tshisekedi. À son arrivée au pouvoir, on a vu à plusieurs reprise la représentante de l'ONU en République démocratique du Congo, rencontrer le nouveau président Tshisekedi. Pour celui-ci, la présence des Casques bleus est importante et même rassurante au regard de la situation sécuritaire dont la maitrise de l'armée ne semble pas évidente. Dans une interview à Jeune Afrique, un de ses conseiller affirmait : « Nous avons dit à la Monusco que nous avions encore besoin d'elle. Mais nous avons demandé que ses troupes soient relocalisées là où elles sont le plus utile, c'est-à-dire dans l'Est, et qu'elles soient renforcées pour être plus efficaces »69. Ces divergences des perceptions et même contradictoires sur le rôle de la Monusco par les responsables étatiques permettent à l'ONU de rejouer les cartes de la négociation sur la présence de la Monusco. Le changement de position entre Joseph Kabila et Felix Tshisekedi est éminemment stratégique et politique. Politiquement parlant, ayant été élu président de la République Démocratique du Congo dans un processus électoral entaché des multiples irrégularités et des plusieurs contestations aussi bien au plan local qu'au plan international, contestations qui ont fait soulever la question de sa légitimé à la tête pays, le rapprochement du président Felix Tshisekedi avec la Monusco ne peut paraître qu'un élément essentiel de la lutte pour la reconnaissance dans l'optique de construire (par tous les moyens - diplomatiques et politiques) sa légitimité sur la scène internationale. Stratégiquement parlant, le Président Tshisekedi ne pouvait que renégocier avec la Monusco car l'avenir de la majorité issue de la coalition qui s'est malheureusement effritée après plusieurs mois de cohabitation impossible ; les modalités d'organisation des prochaines élections en 2023 (étant donné que plusieurs parties qui forment le corps politique congolais ne parviennent pas à s'entendre sur l'organisation des prochaines élections), sont autant d'éléments sur éléments sur lesquels le nouveau régime ne pouvait que s'appuyer dans l'objectif d'avoir un soutien international. D'où l'enjeu de la négociation avec la Monusco. Cette négociation permanente sur le mandat et le rôle de la Monusco permet également à l'ONU d'adapter sa stratégie sur l'opérationnalisation de la mission. Il n'est pas étonnant de voir comment la Monusco a adapté sa stratégie à aux recommandations formulées depuis longtemps ainsi qu'au coupes budgétaires décidées à New York en fermant certaines des bases militaires pour mettre en place des détachement plus

69 https://www.jeuneafrique.com/mag/806091/politique/rdc-faut-il-en-finir-avec-la-monusco/

mobiles, de 50 à 100 hommes. Dans le rapport portant sur le budget de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) pour l'exercice allant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 (exercice 2019/20), le montant s'élève à 1 023 267 600 dollars américains70. Ceci étant, tout porte à penser qu'aussi longtemps que les violences demeurent et que les civils ne seront pas protégés, les contestations contre la mission risqueraient de s'intensifier.

Conclusion

L'objectif de cette première partie était d'étudier la manière avec laquelle la Monusco fait face à l'épreuve de la contestation. En identifiant le contexte d'émergence de la rhétorique contestataire, nous retiendrons que celle-ci se construit à travers deux modèles. Le première modèle est celui qui s'est développé par les responsables politiques et détenteurs du pouvoir autoritaire. Pour se maintenir au pour, les acteurs politiques développent le discours contestataire à l'égard de la mission qui leurs rappellent le respect des principes démocratiques. Le deuxième modèle émergeant de la rhétorique contestataire est celui qui réunit les différents groupes de la société civile qui dénoncent l'opacité du rôle de la Monusco dans les massacres sporadiques et régulières des civils à l'Est du pays. Ce deuxième modèle du discours contestataire est souvent marqué par des manifestions parfois violentes et les affrontements lors des grandes mobilisations contre la présence de la Monusco.

Il importe de retenir aussi que ces rhétoriques contestataires s'inscrivent dans le prolongement de la contestation nationale qui constitue l'une des modalités de la gestion politique en République démocratique du Congo. Par conséquent, l'intensification des contestations à l'égard de la Monusco dépend de la manière avec laquelle celle-ci protège les civils. Les massacres des civils au regard passif des casques bleus ne serait-il le facteur aggravant de la contestation ? Telle est la question à laque la deuxième partie de ce travail tentera de répondre.

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70 Nation Unie, A/73/816. https://undocs.org/fr/A/73/816.

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DEUXIÈME PARTIE :

CONFLITS ET VIOLENCES COMME FACTEUR AGGRAVANT DE LA CONTESTATION

Introduction

Il ne se passe pas une semaine à l'Est du Congo sans qu'on entende parler d'une situation conflictuelle susceptible de germer la violence. Celle-ci parait parfois comme une banalité et un moyen de servie. Dans cette deuxième partie, je pars d'un fait que la Monusco a pris, au cours des années, des formes très diverses et complémentaires. Ce constat rejoint ce que Alexendra Novosseloff développe dans un état des lieux qu'elle fait sur l'engagement de l'ONU en Afrique71. Dans le cadre de la République Démocratique du Congo, les opérations de la Monusco sont multidimensionnelles. Le travail de Novosseloff basé sur les plusieurs missions de terrain et les rapports du Groupe d'experts documentent le rôle de médiation des envoyés spéciaux, le rôle des agences humanitaires et le travail de la commission de consolidation de la paix à l'égard de certains États sortant de crise72.

Dans le contexte congolais, je montrerai comment les conflits et les violences constituent un facteurs aggravant de la contestation à l'égard de la Monusco et paradoxalement comment celle-ci est souvent tiraillée entre le désir d'intégrer dans son action les perspectives locales d'une part, et d'autre part comment elle se voit obliger de respecter les exigences libérales de maintien de la paix tracées par l'ONU. Pour comprendre ce paradoxe, j'étudierai au point (A) les enjeux politiques des conflits au regard des défis de la paix. Au point (B) de cette partie, j'évoquerai, les acteurs de ces conflits afin de saisir la complexité de la question de de la paix en République Démocratique du Congo.

A. ENJEUX POLITIQUES DE CONFLITS ET DEFIS DE LA PAIX

Au travers des enjeux de conflits, nous tenterons de les saisir par les facteurs structurels à long terme. Les enjeux de ces conflits permettent de comprendre comment sont développées les violences armées dans la sécurisation de frontières. Il sera aussi question de voir comment sont fabriquées les normes qui régissent la problématique de la sécurisation foncière.

71 Alexandra Novosseloff, Engagement de l'ONU en Afrique : Un état des lieux, Comité d'études de Défense National / « Revue Défense Nationale », 2016/7 N° 792, pages 105 à 109.

72 Ibid.

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1. Enjeux de conflits à l'Est de la RD Congo

Les conflits et violences qui affectent la République Démocratique du Congo sont liés à plusieurs enjeux. Roland Pourtier étudie ces conflits à partir des enjeux miniers. Il souligne trois raisons principales qui sont à la base de conflits surtout dans le Nord et le Sud-Kivu73. La première raison est directement est celle de la terre. L'est du Congo est une région de hautes terres qui est très convoitée en raison de son aptitude agro-pastorale. C'est un espace qui a plusieurs horsts et volcans. La deuxième raison est celle de la proximité ou ce que j'appellerai voisinage. Il s'agit en fait de territoires qui ont été entraînés dans ce que Pourtier appelle « la guerre des Grands Lacs par un phénomène mécanique de proximité »74. Étant proche du Rwanda, ces régions n'ont pas résisté à l'exportation des conflits rwandais qui ont conduit au génocide des Tutsis. La troisième raison est celle des mines. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu sont des régions où il existe plusieurs mines. Ces ressources minières ont été exploitées depuis l'époque coloniale et elles ont été fortement valorisées par le « boom du tantale au tournant du militaire : la columbo-tantalite (« coltan ») »75. Il s'agit donc d'un minerai qui est devenu stratégique depuis l'explosion du téléphone portable dont le tantale est l'un des composants irremplaçables76.

À partir de ces trois raisons, il y a lieu de constater le caractère multidimensionnel des enjeux de conflits dans les régions du Kivu. Ce qui alimente la guerre à l'est du pays c'est bien précisément la conjugaison de ces différents enjeux. Du coup, la résolution des conflits devient complexe. Plutôt que de parler de « guerres de ressources » comme certains le pensent, Roland Pourtier ainsi que Philippe De Billon, cherchent plutôt à comprendre cette multiplicité de violences et conflits. Pour Philippe De Billon, le contrôle des ressources, de leurs territoires et des réseaux de commercialisation influencent les stratégies des groupes armés, le déroulement des conflits et leur résolution. Toutefois pour lui, qualifier ces conflits de « guerres de ressources » motivées par la cupidité de combattants est simplificateur. Il faudrait plutôt prendre en compte autant d'éléments majeurs, notamment les intérêts commerciaux des étrangers, le contexte de dépendance vis-à-vis des matières premières, débouchant parfois sur « une déliquescence des États »77. En effet, l'importance du contrôle de ressources, écrit

73 Roland Pourtier, « Les enjeux minier de la guerre au Kivu », in Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde, Armand Colin, 2016, p. 249 à 261.

74 Ibid., p. 250.

75 Ibid.

76 Ibid.

77 Cfr. Philippe Le Billon, « Matières premières, violences et conflits armées », in Revue Tiers Monde, Armand Colin, 2003/2 n°174, pages 297 à 321.

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Philippe Le Billon, a souvent eu un impact direct sur les zones de déploiement et l'intensité des groupes armés78. Pour lui, le groupes rebelles cherchent à établir des bases solides ou des zones de forte insécurité dans les régions de production ou sur les itinéraires de transport. Dans ce sens, les troupes du gouvernement essayent de manière générale d'empêcher ceci par des mesures de contre-insurrection à l'encontre des populations civiles qui sont déplacées vers des zones de regroupements sous surveillance. Dans la plupart des cas, malheureusement, les troupes du gouvernement s'associent au pillage. Un des rapports des experts de l'ONU, connu sous le nom « Rapport Mapping »79 qui traitent de crimes de violation de droits de l'Homme et de crimes contre l'humanité commis en République Démocratique du Congo aborde cette problématique. Il y a parfois une ambiguïté dans l'effet global des ressources naturelles. Plutôt que de servir au bien-être de la population, les ressources minières à l'est de la République Démocratique du Congo servent plutôt à l'intensification des confrontations au niveau des zones économiques. Comme écrit Philippe De Billon, « si les revenus de ces ressources permettent d'augmenter l'armement et le recrutement des groupent armés, le peu d'affrontement opposant les belligérants reflète parfois paradoxalement leurs préoccupations commerciales »80. Dans cette perspective, on a parfois l'impression que dans les conflits qui rongent la République Démocratique du Congo, les différents acteurs qui tirent profit de la situation ne souhaiteraient changer le statu quo.

Pour Roland Pourtier, l'évaluation de l'impact des enjeux miniers sur les conflits en République Démocratique du Congo ne peut s'apprécier qu'à partir d'un contexte. En effet, à l'Est de la RDC, « la guerre - qui pour être dite de `'basse intensité» n'en est pas moins très destructrice - s'est installée dans la durée parce qu'elle traduit des tensions structurelles extrêmement fortes »81. Pour parler des enjeux des conflits à l'Est du Congo, Jean-Claude Willame82 parle du paradigme de la « salle climatisée » et de la « véranda ». Ces termes sont évoqués pour désigner les deux lieux de pouvoir où se discute, se donne à voir et se gère le conflit du Kivu. Il entend par la « salle climatisée » le site symbolique du pouvoir officiel, à savoir des chancelleries et des conférences internationales. Par la véranda, il fait l'analogie avec le site des rencontres et du pouvoir informels. Du coup, il soumet l'instabilité liée à la guerre

78 Ibid., p. 309.

79 Nations Unies, Rapport du projet Mapping concernant les violations les plus graves de droits de l'homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, Août 2010.

80 Philippe Le Billon, « Matières premières, violences et conflits armés », Op. Cit., p. 309.

81 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au Kivu », Op. Cit. p. 2049-250.

82 Cfr. Jean-Claude Willame, « La guerre du Kivu. Vue de la salle climatisée et de la véranda », In Politique étrangère, 2010/3 Automne, pages 678 à 706.

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au Kivu à cette double perspective de la véranda pour montrer des « dimensions aussi surprenantes qu'oubliées d'un affrontement qui ne veut pas finir »83.

Les enjeux politiques de la guerre au Kivu ne peuvent être compris, selon J.-C Willame, qu'en restituant une dimension historique à cette guerre, dimension trop souvent méconnue, y compris par ceux qui sont censés y mettre fin. En revisitant l'histoire, il montre comment les déplacements de populations à l'époque coloniale ont abouti aux premières violences entre rwandophones dès les premières années de l'indépendance de la République Démocratique du Congo. Pour lui, même si ces violences ont laissé une marque indélébile, elles n'ont guère eu de visibilité dans le « désordre généralisé qui s'est emparée du pays entre 1960 et 1964 »84. L'antagonisme entre rwandophones et allochtones mis en avant par certains chercheurs, n'est donc pour lui que le résultat de l'intrusion brutale de près d'un million de Hutus au Kivu après le génocide rwandais, mais plonge plutôt ses racines dans « une compétition forcenée et de longue durée »85. Pour lui, la richesse des hautes terres volcaniques, le surpeuplement des pays voisins et la formation d'une bourgeoisie latifundiaire dans les années 1970 ont provoqué des émotions meurtrières limitées dans le temps et dans l'espace. Il note à titre d'exemple les massacres anti-tutsis auxquels répondent la révolte dite « Kinyarwanda » en 1965, guerre de Walikale en 1993. Ces massacres ont donc forgé ce qu'il appelle « des identités meurtrières » qui n'hésitent pas à manipuler la loi sur la nationalité à des fins d'exclusivité foncière86. C'est dans cette perspective de guerres paysannes que s'inscrit les guerres d'État des années 1990. Il y a lieu de constater ici un système d'emboitement des conflits où plusieurs petites guerres se déroulent au sein d'une grande guerre et que Jean-Claude Willame appelle « première guerre africaine »87. Pour lui, cette première guerre est celle du Rwanda qui part à la poursuite de génocidaires réfugiées au Kivu. Cette poursuite des génocidaires dans le Kivu se transforme avec Laurent-Désiré Kabila en guerre de succession du régime de Mobutu comme je l'ai montré plus haut, puis lors d'un revirement dont l'histoire a le secret, en une guerre sur le territoire congolais mettant aux prises sept pays africains et deux anciens alliés devenu ennemis, à savoir le Rwanda et l'Ouganda88. Ce que l'on retient dans cet évènement, c'est que les guerres d'État ont ainsi laissé place à un système de « Seigneur de guerre » qui continue à semer de la terreur jusqu'à nos jours, mais sous d'autres formes. Les conflits du Kivu a fait intervenir plusieurs

83 Ibid., p. 695.

84 Ibid., p. 695.

85 Ibid.

86 Ibid.

87 Ibid.

88 Cfr. Ibid.

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acteurs pour tenter de les résoudre. De l'accord de Lusaka en 1999 à la crise de Goma en 2008, l'Organisation des Nations Unies, l'Union africaine, la Communauté de développement d'Afrique australe, l'Union européenne, ont ainsi tenté d'intervenir pour résoudre ces conflits sans réussir à orienter de manière décisive, s'il faut reprendre l'expression de J.-C. Willame « la logique de véranda »89.

L'histoire des initiatives de paix est celle d'une rencontre constamment manquée entre la logique de la salle climatisée et celle de la véranda. J.-C. Willame observe et décrypte pendant plusieurs années les opérations de maintien de la paix. Le cas du Kivu servira ainsi pour lui, de façon successive, de laboratoire à une laborieuse politique européenne, de critère du maintien de la paix à la mode onusienne, d'impasse existentielle pour l'aide au développement, et de lieu d'externalisation de querelles belgo-belges qui iront jusqu'à l'incident diplomatique de 2008. Et dans ce jeu, renchérit-il, « seul la Chine tient une place à part, car elle est parvenue à devenir le premier partenaire de la reconstruction de la RDC sans se mêler réellement de sa pacification - hormis la présence symbolique de 200 casques bleus chinois »90.

Les enjeux miniers en République Démocratique du Congo sont souvent renouvelés. Il convient de préciser que les ressources minières à l'est du pays ne sont pas comparables à celles de Katanga. Dans ses recherches sur les conflits à l'Est de la République Démocratique du Congo, Roland Pourtier affirme que cuivre, cobalt, zinc, manganèse, or, uranium et germanium ont scellé le destin de cette province orientale de la RDC91. Dans le conflit qui avait conduit à la sécession du Katanga quelques jours après l'indépendance, l'enjeu était celui de la préservation des intérêts de l'Union minière du Haut-Katanga (UMHK) qui constituait l'archétype de la compagnie minière coloniale. La première intervention onusienne en Afrique subsaharienne mettra fin à ce projet de sécession. Pourtant, la situation n'est pas la même avec les conflits à l'Est de la république. En effet, Roland Pourtier précise que les minerais du Kivu n'ont pas non plus autant de valeurs que les diamants du Kasaï, province qui fut également agitée par des tentatives de sécession. La chasse aux minerais du Kivu est devenue un enjeu économique et politique crucial « lorsque la compétition minière s'est emparée d'un espace

89 Willame s'inpire de l'anthropologue Emmanuel Terray pour penser le conflit congolais à partir du paragramme de la « salle climatisée » et de la « véranda » pour désigner les deux lieus de pouvoir où se discute, se donne à voir et se gère le conflit du Kivu. La véranda est donc le site des rencontres et pouvoir informel. Tandis que la salle climatisée est le site symbolique du pouvoir officiel.

90 Jean-Claude Willame, La guerre du Kivu. Vue de la salle climatisée et de la véranda, Op. Cit, p. 696.

91 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au Kivu », In Béatrice Giblin, Les conflits dans le monde, Op. Cit. p. 252.

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déjà fragilisé par ses tentatives démo-ethniques »92. Pourtant, cette exploitation de minerais à l'Est du Congo n'est pas du tout récente.

En effet, la découverte de l'or puis de la cassitérite dans le Kivu remonte aux années 1920 leur exploitation n'avait pas les mêmes enjeux comme aujourd'hui. Après les années de guerre civile, les contrats miniers signés dans les conditions opaques ont été révisés avec succès mitigé, pour reprendre les termes de Roland Pourtier, car la confusion juridique couvre des pratiques de corruption solidement ancrées dans la société congolaise93.

Aujourd'hui, le paysage minier semble complément modifié. Avec l'avènement des nouvelles technologies, les start-up ont soudainement valorisé le tantale. Il est devenu un enjeu de taille à partir du moment où il est rentré dans la fabrication des condensateurs qui équipent les téléphones portables et les consoles informatiques. L'entrée du tantale dans l'usage des nouvelles technologies aura des conséquences majeures dans le devenir du Congo en général et la région du Kivu en particulier. L'abondance de la columbo-tantalite au Kivu, écrit Pourtier, a provoqué la ruée de dizaine de milliers des personnes vers les sites miniers abandonnés par la SOMIKI. Ils ont rejoint l'immense cohorte de ceux qu'on appelle les `'creuseurs» au Congo-Zaïre. La flambée des cours du tantale n'a été que de courte durée (1999-2001), mais l'activité minière s'est adoptée aux variations de la demande du marché mondial. Elle se partage aujourd'hui entre production de cassitérite, wolframite, coltan, sans compter l'or dont les cours ont atteint des sommets en 201394. A partir de ce qui précède, il convient de souligner le lien qui existe entre matière première, nouvelles technologies et économie qui permettent de comprendre le conflit dans le Kivu.

La situation économique à l'Est de la République Démocratique du Congo est radicalement complexe. La complexité de celle-ci est due au fait que cette économie, basée sur les mines, passe du caractère informel au caractère formel par le prisme de la mondialisation du marché. Les exploitants miniers du Kivu sont « l'image emblématique de l'informalisation de l'économie minière congolaise »95. Le contexte sécuritaire dans lequel se sont proliférés les groupes armés, l'informel a été, le paradigme de l'économie du marché. Dans ce contexte d'une économie déstructurée par le délitement de l'État et le repli identitaire des campagnes sur une autosubsistance de survie, la mine offre aux populations locales la possibilité d'un gain pour une grande majorité, mais en même temps, elle laisse miroiter la possibilité de chance. A l'Est

92 Ibid.

93 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au Kivu », Op. Cit., p. 253.

94 Ibid.

95 Ibid.

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de la République Démocratique du Congo, notamment dans les places aurifères, il y a toujours la possibilité de rêve de trouver une petite.

Le fait d'être informelle, l'économie minière n'est pas du tout inorganisée. Le secteur minier informel fonctionne cependant dans un rapport hiérarchique d'un modèle pyramidal. Tout en bas de la pyramide, on trouve des creuseurs qui extraient le minerai dans des conditions parfois de fortune sous la responsabilité d'un chef d'équipe qui coordonne l'exploitation. Les chefs coutumiers profitent de leurs privilèges pour faire reconnaitre des droits miniers et prélever ainsi une rente sur l'activité extractive. Il y a ensuite des négociants qui achètent les minerais et les acheminent, ou même les font transporter jusqu'aux comptoirs. En suivant tout un réseau, les minerais sont transportés à des conditions extrêmement difficiles, parfois à dos d'homme sur plusieurs kilomètres jusqu'à la grande route dans des sacs qui sont ensuite acheminés par camion jusqu'à un tronçon asphalté qu'on utilise comme piste d'atterrissage par de petits avions. En prenant le relais, les avions évacuent le minerai jusqu'à Goma. Cette forme de réseau de coopération mise en place pour l'extraction de minerai est une forme d'organisation, bien qu'informelle, de l'économie minière. Mais comment passe-t-on de l'économie informelle à l'économie informelle ?

Le passage de l'informel au formel suit un cheminement par réseau. Ce réseau de l'ombre pour reprendre les termes de Joroeme Cuvelier96, bien qu'informel se construit à côté de projets plus officiels. En effet, les villes frontières réceptionnent les minerais qui proviennent de l'intérieur. Ces villes de réception des minerais constituent ainsi une véritable charnière entre, ce que Roland Pourtier appelle, « l'économie informelle en amont et l'économie formelle en aval »97. Du coup, les courtiers et les sociétés spécialisées dans le commerce des minerais prennent le relai en servant d'intermédiaires entre les comptoirs et les entreprises métallurgiques des pays industriels ou émergents, équipés pour le traitement du tantale comme les États-Unis, l'Allemagne, la Belgique, la Chine, y compris le Kazakhstan. La chaine de production se termine dans les usines de la fabrication des condensateurs et dans celles des portables qui ont envahi le marché mondial98. Comme on peut le constater, le premier segment de réseau de circulation, de la mine aux comptoirs, est confronté à un environnement de grande insécurité, d'absence de droit, du surgissement de la violence. Dans ce contexte où l'État congolais a montré ses limites pendant des décennies pour assurer la sécurité et la protection

96 Joroen Cuvelier, Traduction de Christine Messiant, « Réseau de l'ombre et configurations régionale. Le cas du commerce du coltan en République démocratique du Congo », In Politique africaine, 2004/1 N° 93/ pages 82 à 92.

97 Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au Kivu », Op. Cit., p. 254.

98 Ibid.

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des personnes, il règne alors la `'loi du plus fort». Il faut également souligner que l'économie minière a été très militarisée et des hommes en armes qui assurent `'la police des mines» avant que la situation politique du Kivu ne conduise à une multiplication de groupes armés qui trouvent dans leur contrôle des moyens financiers pour l'achat d'armements. Aujourd'hui, l'Est de la République Démocratique du Congo continue à vivre une spirale d'instabilité : lorsqu'un groupe des milices dépose les armes, un autre groupe apparait.

2. Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation des frontières

Les frontières sont les lieux où l'usage de la violence a atteint son paroxysme à l'Est de la République Démocratique du Congo. La mobilisation de la violence par les groupes armés dans les frontières à l'Est constitue un élément essentiel pour maintenir le contrôle sur les territoires occupés par les milices rebelles. Dans une récente étude publiée en avril 2020, François M'munga Assumani analyse le phénomène de la sécurisation des foncières par la violence armée au moment de l'éclatement des conflits fonciers en province du Sud-Kivu. Il réalise cette étude dans un contexte caractérisé par la « déliquescence de l'État congolais »99. En se basant sur deux cas d'études des conflits fonciers, il montre comment les acteurs locaux recourent souvent aux forces armées nationales, aux groupes armés locaux et/ou aux autres acteurs armés pour sécuriser leurs terres. À la différence des groupes armés rebelles, les stratégies et les logiques d'action des acteurs attestent que la « violence armée peut être considérée comme une des normes pratiques dans la sécurisation des droits fonciers en milieu coutumier »100 sans distinction. Ce recours à la violence pour sécuriser les frontières n'est pas l'apanage des congolais de l'Est du pays. Même si le contexte de la région de l'Est de la RDC est particulier, la pratique de la violence dans l'optique de défendre la terre est courante dans toutes les régions du pays, surtout pour un peuple attaché à la terre natale. Pour le peuple congolais dans l'ensemble, l'identification à la terre est une question de vie ou de mort. Les peuples s'identifient généralement à la tribu qui, elle-même est liée à la terre. C'est dans cette perspective que le recours à la violence, même si celle-ci parait inadmissible et contestable, trouve tout son sens.

En effet, la thèse soutenue par François M'munga Assumani est que la terre n'est pas seulement une cause de conflit et de violence, mais elle est aussi devenue un facteur de

99 François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation foncière. Cas de la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu en République démocratique du Congo », Revue internationale des études du développement, Éditions de la Sorbonne, 2020/4 N° 224 / pages 55 à 77.

100 Ibi., p. 55.

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perpétuation des conflits. En se focalisant sur la situation du Kivu, l'on constate que malgré l'immensité de sa superficie, la terre est un objet de préoccupation dans le sens que 80% de conflits soumis aux cours et tribunaux se rapportent de manière directe ou indirecte au problème foncier ou l'immobilier101. Il importe ainsi de préciser qu'en République Démocratique du Congo, la gestion foncière, du moins dans les milieux ruraux, est assurée par des chefs coutumiers et sur la base d'identité ethnique. Il s'agit souvent d'une gestion qui entre parfois en désaccord avec la gestion foncière étatique qui donne plus d'importance au droit national. Ce qui montre la difficulté à établir les limites entre le droit coutumier congolais et le droit national. Selon Mugangu Matabaro, la gouvernance foncière étatique semble ne pas être adaptée aux réalités locales et aux logiques des acteurs locaux102. Le problème se pose alors sur le fait que l'attribution et le transfert de la terre relèvent des pratiques coutumières et d'autres pratiques foncières au niveau local.

Dans un contexte où les tensions sont de plus en plus exacerbées, la présence des forces armées vient complexifier cette problématique. En effet, les forces armées étatiques tout comme non étatiques sont souvent mobilisées par les acteurs afin d'intervenir dans l'accès et le contrôle de la terre. D'où l'importance d'établir les normes dans l'optique de sécuriser les frontières.

3. La fabrique de normes et la sécurisation foncière

Au regard de ce que je viens d'évoquer précédemment, il convient de souligner que le recours à la violence armée est le point central de tensions foncières et qu'il est intéressant de s'accrocher sur cet aspect pour comprendre en quoi cette violence participe à la fabrique des normes dans la sécurisation frontière.

En effet, il importe de préciser également qu'à l'Est de la République Démocratique du Congo tout comme dans quelques autres provinces du pays, les jeunes sont souvent armés par les leaders ethniques. Ce qui crée parfois des tensions intercommunautaires autour du pouvoir local et des ressources naturelles. Il s'agit très souvent de tensions qui ont pour objectif la défense du territoire ethnique et la lutte contre toute forme d'agression étrangère. Très souvent, les milices armées se présentent comme étant les défenseurs de revendications ethniques. Mais paradoxalement, l'on constate aussi que même au sein d'une même communauté ethnique, il y a des groupes qui se forment pour sécuriser le pouvoir et la terre clanique. À travers nos entretiens, il ressort qu'au-delà de la sécurisation des terres, les jeunes qui sont généralement

101 Ibid., p. 56.

102 Cfr. Mugangu Matabora, S., « La crise foncière à l'est de la RDC ». In Marysse, S., Reyntjens, F. & Vandeginste, S. (Eds.), L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2007-2008 (385-414). L'harmattan, 2008.

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en collaboration avec les groupes armés s'appliquent avec constance aussi à des actes de violence, de pillage. D'autres deviennent des coupeurs de routes et font parfois des enlèvements contre rançon. Dans un entretien réalisé par M'munga Assumani en 2016 avec l'un des acteurs de terrain, un habitant témoignait :

« Le 10 mars 2016, les milices armées des Banakyoyo sont venues voler mes vaches chez moi, dans la clôture, à 21 heures. Je leur avais donné 1 150 dollars américains pour restituer 7 vaches sur 17 volées »103.

M'munga Assumani lie directement le vol de bétail au conflit dans le sens que l'homme à qui appartenait ce bétail était l'un des proches collaborateurs de la nouvelle élite locale au pouvoir à Nyakabere I. Il fait remarquer que ces milices ne vivent pas de la sécurisation foncière de leurs terres, car leurs clans ne prévoient aucun salaire pour les motiver. Du coup, ils pillent les ressources économiques de la population pour satisfaire leurs besoins de premières nécessités104. L'analyse de M'munga Assumani rejoint celle de chercheurs comme Hugon (2009), Jacquemot (2009), Pourtier (2012) Van Acker et Vlassenroot (2001) y compris Jean-Claude Willame (2010) qui, pour eux, focalisent leur idées sur le rapport entre ressources naturelles, violences armées et économique politique de la guerre lorsqu'ils montrent, comme je l'ai évoqué au point précédent, que les forces armées officielles et non officielles sont impliquées directement ou indirectement dans l'accumulation des ressources économiques par les violences armées à l'Est de la République Démocratique du Congo. D'ailleurs pour M'munga Assumani, « l'Est du pays est un noeud gordien où les seigneurs des guerres s'enrichissent par les pillages des ressources naturelles »105. Roland Marchal et Christine Messiant quant à eux considèrent ces « seigneurs de guerre » comme de nouveaux entrepreneurs et des grands prédateurs qui ne luttent pas pour le pouvoir mais qui font la guerre pour la guerre106. La particularité du travail de M'mungana est qu'il met en lumière les rapports de collaboration entre les milices armées claniques et d'autres groupes armés dans les actions inhérentes aux pillages de ressources économiques des autres clans avec lesquels ces milices se trouvent en compétition d'accès au pouvoir local.

Les acteurs des conflits agissent de façon stratégique pour sécuriser leurs territoires. En effet, lorsque les acteurs locaux recourent à la violence armée des milices comme mode de

103 Cfr. François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation foncière », Op. Cit. p. 66.

104 Cfr. François M'munga Assumani, Op. Cit., p. 66-67.

105 Ibid., p. 67.

106 Cfr. Roland Marchal & Christine Messiant, « Les guerre civiles à l'ère de la globalisation. Novelles réalité et nouveaux paradigmes », In Critique internationale, 2003, 18 (1), p. 91-112. https://doi.org/10.3917/crii.018.0091

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gouvernement du foncier dans l'objectif de sécuriser leurs terres, ils agissent en mettant en place des stratégies. L'une des stratégies mises en place est le recours aux appels et messages téléphoniques pour menacer et intimider. Il y a également des tirs à balles réelles, les enlèvements, les visites improvisées sur les champs et les parcelles. Du coup, ces différentes stratégies ont un rôle important dans la mesure où elles permettent à certains acteurs locaux de continuer à exploiter la terre sous la conduite des milices armées.

On peut considérer la sécurisation foncière par la violence armée comme étant relativement instable dans la mesure où elle n'a aucune garantie à long terme. Tout semble être provisoire et le risque de tomber dans la violence est permanent. On se rend également compte que les milices armées jouent parfois un rôle important dans la régulation de la société, notamment en matière foncier. Dans ses travaux réalisés en 2013, Janson Stearns souligne que certains groupes armés exercent un large contrôle politique et économique sur leurs fiefs locaux et sont peu enclins à abandonner le pouvoir à l'Est de la République Démocratique du Congo107. Certaines études, en l'occurrence celles de Mathys Gillian et Vlassenroot Koen108 soulignent qu'un grand nombre de litiges fonciers ne sont pas une question de terres comme on le croirait généralement, mais plutôt une manifestation de la crise du gouvernement qui règne dans cette partie de la République109.

Au regard de ce qui précède, il parait intéressant de montrer les relations qui existent entre clans, milices armées et Armée nationale, y compris les rapports qu'entretiennent les populations avec l'État. En effet, l'on remarque que les rapports entre clans sont souvent marqués par la compétions et les luttes autour de l'accès au pouvoir clanique et l'accès à la terre. Ainsi, ces luttes finissent généralement par la violence ou même l'extrême violence. Dans cette perspective, le vivre ensemble devient problématique. Concernant les relations entre les milices et l'armée nationale, M'munga Assumani à travers deux études de cas au sein du clan des Bahembwe, montre qu'elles sont dans l'ordre de compétitions armées ou de guerre110. Dans ce cas d'espèce, on voit intervenir une pluralité d'institutions et d'acteurs qui se manifestent à travers un « forum shopping » armé dans la mesure où les acteurs ont recours aux milices armées et les autres recourent à l'armée nationale pour sécuriser leurs terres. Ce qui convient en outre de souligner, c'est le fait que dans le cadre de régime foncier coutumier ou national, il

107 Cfr. Janson Stearns, Judith Verweijen, & Eriksson Baaz, Armée nationale et groupes armés dans l'est du Congo : trancher le noeud gordien de l'insécurité, Rift Valley Institute, 2013.

108 Koen Vlassenroot, Sud-Kivu Identité, territoire et pouvoir dans l'est du Congo, Rift Valley Institute, 2013.

109 Gillian Mathys et Koen Vlassenroot, « Pas juste une question de terre » : litiges et conflit fonciers dans l'est du Congo, RIFT Valley Institute PSRP Briefing 14, Octobre 2016.

110 François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation foncière. Cas de la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu en République démocratique du Congo », Op., Cit., p. 68.

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n'est pas prévu de mobiliser l'armée nationale. Les chefs coutumiers ou même les conservateurs de titres immobiliers suffisent pour gérer simplement la terre au niveau local. Par contre, l'armée nationale peut intervenir lorsque les acteurs locaux recourent aux armes blanches et/ou aux armes feu dans l'accès à la terre. M'munga Assumani souligne également que même certains acteurs économiques possédant des certificats d'enregistrement s'encapèrent des terres paysannes dans la plaine de la Ruzizi et font souvent, de façon illégale, appel à l'armée nationale pour faire face à la résistance des paysans qui refusent de céder leurs terres111. Quant aux rapports des populations à l'État, certaines franges de la population estiment qu'à l'Est de la République Démocratique du Congo, les populations se voient déconnectées de l'État suite à la confusion qui règne dans la gouvernance foncière locale par une diversité d'instances et d'acteurs en la matière. Cette confusion est souvent justifiée au regard de la recrudescence des groupes armés locaux, burundais et rwandais ; les actions terrorisantes de la police nationale et de l'armée ; l'insécurité galopante ; les tueries des masses et quasi quotidiennes des habitants ; les enlèvements contre rançon. Toute cette chaine de violence a comme conséquence l'abandon de certains villages par la population à cause de l'insécurité. Par ses services au niveau local, « l'État congolais est qualifié par la population comme un état absent, violent, post-souverain, fragile et qui a failli dans la vie sociopolitique »112.

En fait, en parlant de l'absence de l'État, il ne s'agit pas de soutenir ici l'idée d'un État inexistant, mais bien plus d'un État incapable de protéger ses populations éprises du désir de paix. Le sentiment d'absence de l'État est généralement entretenu en raison de la régularité de meurtres et de la banalisation de la violence ; cette violence qui est devenue le mode de vie pour la survie. La violence a radicalement remplacé les valeurs du dialogue et de la palabre africaine qui ont jadis orienté des peuples dans la résolution des conflits ; conflits qui, à nos jours divisent les populations pourtant obligées à cohabiter dans un destin commun. La permanence de l'instabilité remet en cause la nation même de la souveraineté de l'État congolais. Classé dans la catégorie des états fragiles et faillis113, l'État congolais ne rassure plus ses populations, notamment celles de l'Est de la république. La porosité des frontières, la crise de l'autorité de l'état et l'exploitation illicite et illégale des matières premières dans la violence ont donné lieu à l'émergence des nouvelles théories, nomment celle de minerais de guerre que j'aborde dans le point ci-dessous.

111 Ibid., p. 69.

112 François M'munga Assumani, « Mobilisation de la violence armée dans le sécurisation foncière... », Op. Cit. p. 69.

113 Pascal Boniface, La géopolitique. 48 fiches pour comprendre l'actualité, Paris, Eyrolles, 2018, p. 59.

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3.1. Minerais de guerre comme nouvelle théorie de la mondialisation du droit

Les conflits et violence en République démocratique du Congo ont fait intervenir plusieurs acteurs, notamment les organisations non gouvernementales de défense de droits de l'Hommes et plusieurs internationaux et transnationaux. La mobilisation de ces différentes organisations a permis de rendre visible le concept de « blood mineral ». L'expression blood minrals est née à l'imitation des blood diamonds pour désigner l'ensemble des minerais provenant des mines illégales que les guérillas contrôlent pour alimenter les besoins des industries occidentales114. Derrière cette mobilisation aux allures internationales, les associations et ONG dénoncent le fait que ces minerais qu'on appelle également `'minerais de guerre» sont à la cause du plus grand massacre depuis la seconde guerre mondiale. Par le fait que des millions de personnes sont mortes en République Démocratique du Congo à cause de ces minerais, « l'Organisation des Nations Unies et les industries minières ont donc tenté de réguler le commerce en interdisant la vente des minerais provenant de ce mines »115. Ces mobilisations seront également à la base des deux résolutions de l'ONU qui comprennent des mesures visant à mettre un terme au commerce illicite de ressources naturelles qui alimente les conflits armés dans l'Est de la République Démocratique du Congo. En effet, si la résolution 1856 (2008) engage donc tous les États, notamment ceux de la région des Grands Lacs à prendre des mesures nécessaires pour mettre fin au commerce illicite de ressources naturelles116 ; dans la seconde résolution 1857 (2008), le Conseil de Sécurité élargit des sanctions ciblées pour qu'elles incluent également « les personnes ou entités appuyant les groupes armés illégaux... au moyen du commerce illicite de ressources naturelles »117. Depuis le Dadd-Franck Act américain de juillet 2010 et les décrets d'application de la Security and Exchange Commission d'août 2012, il y aura une mise en place d'une régulation à caractère mondial du commerce des produits miniers. Cette nouvelle régulation, écrit Gilles Lhuillier, « prend des formes inédites mêlant résolution de l'ONU, certifications privées et obligations du droit international »118.

C'est dans ce cadre précis que la première régulation globale de l'histoire de commerce voit le jour en Afrique à partir de la situation congolaise. Ce qui est encore plus remarquable c'est le fait que cette régulation ne se limite pas à s'appliquer au territoire national, mais elle

114 Cfr. Gilles Lhuilier, « Minerais de guerre. Une nouvelle théorie de la mondialisation du droit ? », in Droits et société, 2016/1 N°92, pages 117 à 135.

115 Ibid., p. 118.

116 Cfr Nations Unies, S/RES/1856 (2008), 22 décembre 2008. https://undocs.org/fr/S/RES/1856(2008), Consulté le 25 mai 2021.

117 United Nations, S/RES/1857 (2008), 22 December 2008. https://www.undocs.org/en/S/RES/1857(2008), consulté le 25 mai 2021.

118 Gille Lhuilier, « Minerais de guerre. Une nouvelle théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 118.

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traverse l'espace et le temps en s'appliquant également à toutes les personnes qui font le commerce des minerais. L'espace de normativité est ici déterritorialisé. Il s'agit d'un espace mouvant de normes qui ne coïncide pas avec l'espace territorial étatique, qui constitue, pour reprendre les mots de Lhuilier, le « critère d'application du droit internationale classique même si ce droit international nouveau ne peut exister sans l'aide de certains États »119. Du coup, le droit global qui émerge dans cette perspective mêle des acteurs et des normes très divers. Parmi ces acteurs, il y a les ONGs internationales, l'État, l'ONU, l'association d'entreprises, les consultants, les sociétés civiles locales, les décrets de l'État congolais, des clauses spéciales de contrats de droit privé, les déclarations comptables à la Security and Exchange Commission. À partir du contexte congolais, « ces mutations du droit transnational incitent les juristes à opérer un global turn »120. Il s'agit donc d'un tournant épistémologique des sciences sociales dans le sens que l'enjeu décisif est de faire entrer les changements du monde dans les sciences sociales, en général appelée à penser « global »121. Dans l'idée de pensée « global », il y a d'abord la question de l'analyse des changements du monde et l'étude de nouveaux objet d'un droit plutôt déterritorialisé, en l'occurrence le droit de produits miniers africains en général et congolais en particulier. Il y a également dans la « pensée global », une manière d'établir une nouvelle théorie de la mondialisation du droit susceptible de rendre compte « de ces nouveaux modes de régulation qui ne peuvent être pensés à l'aide des catégories traditionnelles que sont l'État, l'Ordre juridique et le territoire nationale »122. Il y a enfin, l'idée de penser l'élaboration de nouveaux protocoles de recherche en sciences sociales qui étudient le droit non seulement par « le haut », c'est-à-dire l'étude des normes juridiques, mais également par « le bas » dans le sens qu'on étudie les pratiques d'acteurs privés et publics qui créent des espaces déterritorialisés de normes.

3.2. Théorie de l'espace normatif

La théorie de l'espace normatif permet de déterritorialiser la loi sur le commerce de minerais qui sortent dans les zones de guerre. Dans ce sens, l'État n'exerce plus nécessairement sa souveraineté dans le cadre du territoire national. Dans le contexte d'une montée en puissance des sociétés transnationales en République Démocratique du Congo qui, dans ce monde global, sociétés qui créent des normes souvent plus efficaces que celles de l'État123, nous assistons

119 Gilles Lhuilier, « Minerais de guerre. Une théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 118.

120 Ibid.

121 Cfr. Michel Wieviorka et Craig Calhoun, « Manifeste pour les sciences sociales » », Socio, 1, « Penser Global », 2013.

122 Gilles Lhuilier, Op. Cit., p. 19.

123 Gilles Lhuilier, « Minerais de guerre, une théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 126.

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également à l'émergence des acteurs globaux non étatiques qui ne ressemblent pas du tout aux catégories traditionnelles, notamment dans le domaine du droit. Certains penseurs, en l'occurrence Gunther Teubner124 qualifie ces nouvelles formes de normativité de « droit sans État », d'autres par contre parlent plutôt d'ordre juridique transnational.

Jean-Bernard Auby lie le concept « d'espace normatif » au phénomène d'interpénétration, d'interaction, de communication, d'échange et d'incidence125. Il s'agit d'un espace de circulation des idées et de transfert des normes, de « métissage des ordres juridiques » pour reprendre l'expression de Neil Walker126. D'autres penseurs, en l'occurrence Mireille Delmas, considère l'espace normatif comme étant le lieu d'émergence d'un droit commun qui établirait le lien entre les ordres et les espaces normatifs127. Certains juristes, notamment Dominique Bureau et Horatia Muir Watt, font remarquer que « les acteurs économiques, du moins ceux qui en ont les moyens, en termes de rapport de force et de pensée stratégique `'acquièrent» le pouvoir de redessiner leur propre espace normatif »128. Mais comment peut-on comprendre la pertinence du concept « d'espace normatif » dans le contexte congolais ?

En effet, le concept « espace normatif » mérite d'être redéfinit et réinterprété. Pour Wilfrid Sellars, le concept d'espace normatif qui est de l'ordre juridique appartient également à la philosophie, notamment à la philosophie analytique américaine et anglo-saxonne de l'esprit. Cette philosophie est souvent nommée « philosophie néo-pragmatique »129. C'est lui qui, pour la première fois dans l'univers de la pensée va introduire l'image130 « d'espace raison » ainsi que le concept « d'espace normatif »131. D'ailleurs, Gilles Lhuilier considère que « l'espace normatif » tel que développé par Wildrid Sallars, contient toutes les croyances, idées et normes qui construisent le monde social d'une société donnée, disons dans tous les standards de comportement, des valeurs, des croyances produites par une société. Ces précisions permettent de voir combien la notion d'espace normatif se situe au carrefour du droit, de la philosophie et des sciences sociales et lui donne, de ce point de vue, une dimension opératoire pour penser la question des minerais de guerres comme une nouvelle théorie de la

124 Gunther Teubner, « Foreword: Legal Regimes of Global No-State Actors», In ID. (ed.), Global Law without à State, Alederneshot: Dartmouth, 1997, p. XIII-34; ID., «Global Bukowina: Legal Pluralism in the World Society», p. 5.

125 Cfr. Jean-Bernard Auby, La globalisation, le droit et l'état, Paris : LGDJ Lextenso, 2ème édition, 2010.

126 Neil Walker, « The Idea of Constitutional pluralism», Modern Law Review, 65, 2002, p. 317

127 Cfr. Mireille Delmas-Marty, pour le droit commun, Paris, Seuil, 2005.

128 Dominique Bureau et Horatia Muir Watt, Droit international privé, Paris, PUF, 2007, p. 564.

129 Wilfrid Sellars, « Philosophie and the Scientific Image of Man, In ID., Science, perception and Reality, Atascadero, Ridgeview Publishing Co, 1963.

130 Gilles Lhulier, «Minerais de guerre, une théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 128.

131 Cfr. Wilfrid Sellars, «Philosophy and the Scientific Image of Man», ID., Science and Métaphysics, Londres, Routlegde, 1968.

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mondialisation. Au regard de ce qui précède, la définition qu'il convient de retenir de l'espace normatif est celle que propose Gilles Lhuilier, qui définit l'espace normatif comme étant un « agencement singulier » composé de trois éléments : des techniques ou pratiques juridiques, par lesquelles les acteurs choisissent des règles juridiques, le plus souvent élaborées par les États ou les organismes internationaux, réalisant ainsi les agencements normatifs en des synthèses propres à chaque espace normatif conforme à des discours savants, professionnels, politiques sur la pratiques et normes132. Dans cette approche, on retient tout d'abord que dans la compréhension de l'espace normatif, il y a la mise en place de techniques juridiques ; ensuite, il y a la question des règlements ou des règlementations juridiques qui sont non seulement élaborées par les États, mais également par les organisations internationales et transnationales. Il y a enfin la qualité du discours. Chaque discours est adapté selon qu'il émane du champ politique, juridique et même professionnel. Il s'agit en définitive des représentations qui en rendent compte tout en contribuant à orienter et à justifier les choix opérés.

La République Démocratique du Congo en tant qu'espace normatif en général et l'Est du pays en particulier apparaît ici comme espace de nouvelle unité d'analyse des global legal Studies qui réalisent dans le droit le décentrement méthodologique opéré dans les sciences sociales par le global turn133. De ce point de vue, la théorie de « l'espace normatif » se veut donc une étude de droit mondialisé non plus à travers les États mais des pratiques de choix du droit des sujets. Lhuilier considère que si la notion d'espace normatif conduit à abandonner le seul point de vue de l'État au profil de pratiques et des discours d'acteurs privés et publics qui créent des espaces singuliers en empruntant les plus souvent des règles étatiques ou internationales alors déterritorialisées, le sujet de droit est lui aussi au croisement de plusieurs espaces déterritorialisés de lois, qui sont autant d'espaces normatifs qu'il a contribué à construire. L'élaboration de la notion d'espace normatif en République démocratique du Congo relève néanmoins d'une théorisation qui nous a semblé faible, d'un suspens de la théorie face aux objets et aux pratiques des acteurs. Cela est dû au fait que « la visibilité des phénomènes est fonction de la théorisation naturelle des chercheurs plus que des phénomènes »134.

En étudiant la théorie de l'espace normatif comme nouveau mode d'analyse de la mondialisation, celle-ci ne peut prouver son utilité que dans la mesure où elle permet de renouveler la lecture de l'ensemble des manifestations du droit de la mondialisation. Lorsqu'on examine les acteurs de la chaine de production des « minerais de guerre » en République

132 Gilles Lhuilier « Minerais de guerre, une théorie de la mondialisation du droit ? », Op. Cit., p. 128.

133 Ibi., p. 129.

134 Ibid., p.

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Démocratique du Congo en opérant un décentrement de l'analyse, l'on voit apparaitre une nouvelle image de la globalisation du droit. Il ne s'agit donc pas d'une création de droit par les personnes privées, un ordre juridique des marchands de minerais. Cet espace normatif est ainsi fait non seulement des techniques de choix de la loi par des acteurs, mais également de choix communs aux acteurs privés et publics, de justices privées organisée par l'États, de régulations étatiques déterritorialisées.

Pour les techniques, il convient de revenir sur les techniques des choix de la loi par les acteurs privés. En effet, une première étude menée par Lhuilier a porté les techniques juridiques à l'oeuvre dans la construction des grands contrats mondiaux miniers et pétrolier en République Démocratique du Congo. L'exemple du contrat pétrolier portant sur le partage de production du Block pétrolier n°1 situé sur les rives du Lac Albert en mai 2010 entre l'État et un consortium d'investisseurs incorporé aux Iles Vierges. Ce contrat ne résistera pas à l'épreuve de la contestation locale. Dans un rapport réalisé par Taimour Lay et Minio-Paluello de PLATFORM, les auteurs fournissent une analyse détaillée des Accords de partage de production confidentiels, accords qui seront sans doute contestés, et que le gouvernement avait signé avec deux groupes d'entreprise en 2006 et 2008135. Ces techniques sont à comprendre dans un cadre commun avec d'autres pays d'Afrique en général. En effet, les entreprises transnationales souvent domiciliées en Afrique créent de filiales incorporées aux Iles Vierges britanniques pour contracter avec les États africains ce que Lhuilier appelle des « Production Sharing Agreement136 qui est une espèce de contrat de partage de production. Ce qu'il convient de souligner c'est le fait que les entreprises choisissent diverses lois nationales qui sont applicables au contrat. Ces lois sont généralement pétrifiées ou dépecées par les entreprises qui choisissent alors à l'identique divers traités internationaux comme loi du contrat. Il s'agit des lois qui échappent aux régulations nationales, notamment au paiement d'impôts, à l'éventuelle responsabilité en cas d'exécution du contrat, à la compétence des juges étatiques pour juger les conflits. Cependant, ces techniques de choix de la loi mises en oeuvre et perfectionnées d'années en année par les lawyers sont organisées par les droits des États et le droit international lui-même. Le principe d'autonomie, le principe de l'incorporation sont ici des règles étatiques et internationales qui organisent et légitimisent ces espaces privés de régulation137.

135 Taimour Lay et Mike Minio-Paluello, Pétrole au Lac Albert. Révélation des contrats congolais contestés, Mai

2010. http://www.capac.ulg.ac.be/Petrole_au_Lac_Albert_fr_DRC_Tullow_PLATFORM_May_2010.pdf,
Consulté le 30 mai 2021.

136 Gilles Lhuilier, « Minerai de guerre, une théorie de la mondialisation du Droit », Op. Cit. p. 131.

137 Gilles Lhuilier, Op. Cit., 132.

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Le contrat minier Chine- République Démocratique du Congo est un paradigme vivant pour parler des espaces normatifs public-privé. Ce contrat, appelé également contra offset, signé le 28 avril 2008 entre la RDC et un consortium d'investisseurs privés chinois peut être compris comme étant une illustration de ce que Dunia Zongwe appelle « nouvelle forme d'économie-monde »138. Dans ce contrat qui est extrêmement contesté, des millions de tonnes de cuivre et des tonnes de cobalt sont proposés par l'État congolais à la Chine contre le financement de réalisation d'un gigantesque programme de construction d'infrastructures qui sont aujourd'hui encore inachevés. Pourtant, on a souvent venté l'intérêt de ces opérations multilatérales comme étant le moyen d'encourager le développement local ou de limiter à terme la dépendance à l'égard d'une entreprise étrangère intervenant dans des domaines régaliens comme la défense et l'énergie. Ce grand contrat, aujourd'hui contesté et remis en question par le pouvoir actuel alors plébiscité par le régime du président Joseph Kabila, constitue à la fois la nouvelle diplomatie et la nouvelle régulation du développement économique mondial, par des techniques et maillages, de choix, d'élaboration d'espaces normatifs singuliers opérés par les acteurs privés et acteurs étatiques.

Avec le concept de minerais de guerre, on voit alors apparaître une nouvelle technique de choix de la loi par les acteurs, à savoir le product shopping. Dans ce modèle, le droit est incorporé au produit et son implication internationale est assurée par ce que Lhuilier appelle « mécanismes de droit privé que sont la spécification contractuelle et la certification de ces spécifications par un auditeur privé »139. En fait, la circulation internationale du bien est ici liée au respect par les marchands de ces obligations qui permettent donc de vérifier l'application du droit international en République Démocratique du Congo. Dans cette mondialisation des lois partant du contexte congolais, les normes étant très diverses sont liées entre elles. Il y a des résolutions de l'ONU, des codes non obligatoires, des certifications privées, une législation nationale américaine ayant pour vocation à s'appliquer sur le territoire d'un autre État, à savoir la République Démocratique du Congo. Comme pour dire que les normes internationales à effet transnational sont en contradiction totale avec le principe de l'effet nationale de la loi. On voit aussi comment le discours des acteurs sont inspirés des discours sur la labellisation, la certification, les obligations comptables qui sont, somme toute, partagées par l'ensemble des acteurs qui ont élaboré le droit impératif de minerais de guerre, qu'il s'agisse des membres groupes d'expert de l'ONU, des parlementaires américains, des Organisations non

138 Cfr. Dunia P. Zongwe, « On the Road to Post Conflict Reconstruction by Contract; The Angola Model», Working Paper, Cornell University, 2011.

139 Gilles Lhuilier, Op. Cit., p. 133.

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gouvernementales (ONG), mais également des de certaines sociétés transnationales regroupées en association professionnelles de producteurs ou de consommateurs de minerais. Dans ce contexte contestataire aux allures transnationales, les Organisations non gouvernementales, les entreprises transnationales, les associations, y compris les simples citoyens dans leur vie ordinaire et quotidienne deviennent pour ainsi dire les acteurs de ce ré-enchantement du politique tant attendu. Il convient de préciser que la théorie de l'espace normatif qui s'est développée à partir de la notion de minerais guerre montre combien les conflits dans les Kivu impliquent plusieurs acteurs. Le point suivant propose d'étudier ces acteurs et ce qui fait leurs singularités.

B. LES ACTEURS DES CONFLITS DANS LES KIVUS

Pour comprendre les conflits dans les Kivu, il paraît nécessaire d'étudier les acteurs de ces conflits aussi bien du point de vue national et régional. Il s'agit de mettre en avant l'itinéraire de chaque acteur, le rôle que chacun de ces acteurs joue dans ces conflits, leur degré d'intervention et/ou d'ingérence (notamment pour les acteurs étrangers comme le Rwanda, l'Ouganda et les groupes armés étrangère en l'occurrence les FDLR, ADF). En étudiant également les rapports de force entre ces acteurs, je montrerai en outre le degré d'influence de chaque acteur, du moins ceux sous examen.

La compréhension de conflits à l'Est de la République Démocratique du Congo nécessite le voyage dans le temps long de l'histoire politique du pays. La situation de conflits n'est pas identique dans tout l'Est de la RDC. Les conflits dans le Nord-Kivu qui est aujourd'hui l'épicentre de violences, à la différence des provinces du Sud-Kivu et de l'Ituri également affecté par l'insécurité, remonte dans les années 1960. Ces conflits présentent une double dimension. Il y a à la fois la dimension inter-ethnique et intra ethnique. Déjà en 1963, les conflits avaient pris de l'ampleur avec le déclenchement de la « guerre kinyarwanda » qui opposait durant plus de deux ans les Banyarwandas aux Nande, Hunde et Nyanga, suite au mouvement d'autonomistes ayant abouti à la création de 21 provinces dans l'ancien Congo Belge jusqu'à l'arrivée au pouvoir du président Mobutu qui optera pour 11 provinces en 1965.

1. Les acteurs étatiques et non étatiques

Ce sous point s'attèle exclusivement sur les acteurs locaux ou nationaux. Son objectif consiste à montrer les différents points d'achoppement entre les nationaux et la Monusco. Parmi ces acteurs locaux, nous avons l'État congolais, les milices insurrectionnelles et contestataires.

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1 1. L'État au coeur des conflits et violences

Les conflits et violences qui empoisonnent la vie sociale dans les Kivus et en Ituri relèvent de l'incapacité de l'État ou de ses limites du point de responsable à régler les antagonismes entre groupes sociaux. L'État dans ses prérogatives régaliennes est l'acteur principal des conflits dans les Kivu. Nous partons ainsi de l'idée que « l'État est le siège et l'instrument du pouvoir politique »140. Entant que siège du pouvoir, l'État désigne les hommes et les assemblées qui décident de l'intérêt public et des lois. Comme instrument du pouvoir, l'État désigne pour ainsi dire les institutions chargées d'appliquer les lois (gouvernement), de maintenir de l'ordre et de garantir la sécurité (police, armée), de rendre la justice (tribunaux). Dans cette perspective, l'État s'oppose à la société civile, où règne les intérêts privés comme la famille et l'économie prennent le dessus. C'est donc à l'État que revient le « monopole de la violence légitime » pour reprendre les termes de Max Weber. On entend ici par la violence légitime, les moyens de garantir les droits de peuples et non pas la justification de la violence envers le peuple. Dans le même ordre d'idées, il convient de souligner que les conflits locaux à l'Est de la République Démocratique du Congo et leurs caractères originels sont à comprendre dans une logique interne d'incompréhension et du déni de l'autre. En effet, les principaux groupes sociaux qui composent et peuplent le Nord-Kivu qui est aujourd'hui, je l'ai montré précédemment, l'épicentre des conflits et violences sont les Nande, les Banyarwandas (qui sont des populations d'origine rwandaise issues de plusieurs vaques d'immigration), les Nyanga, les Hunde et le Tembo. Cette diversité des populations est généralement repartie en deux catégories, à savoir les autochtones d'une part, et les allochtones (c'est-à-dire les groupes sociales issue des grandes vaques d'immigration et les réfugiés des événements de 1959 au Rwanda) d'autre part. Ce qu'il convient encore de préciser, c'est le fait que ces différents groupes sociaux, les Banyarwandas sont les seuls à se trouver à la fois dans les deux catégories tandis que les autres groupes sociaux se trouvent uniquement dans la première catégorie. L'État entant qu'organisateur de la société et du vivre ensemble harmonieux devrait en réalité régler ces antagonismes sociaux de manière efficace. Force est de constater que la situation est telle qu'il n'est pas étonnant de remarquer l'absence de solutions efficaces qui seraient l'émanation de l'État.

Du point de vue administratif, le Nord-Kivu qui est aujourd'hui en « état de siège » est divisé en cinq subdivisions territoriales plus la ville de Goma qui est le chef-lieu de la province. Parmi ces territoires, nous avons Beni, Lubero, Masisi, Rutshuru et Walikale. Cependant,

140 Hervé Boillot (dir), Le petit Larousse de la philosophie, Piolitello, Rotolito Lombard, 2018, p. 709.

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lorsqu'il s'agit de tenir compte de répartition ethnique et des deux catégories de population que je viens d'évoquer précédemment, la province de Nord-Kivu s'organise autour de trois pôles. Il y a en premier lieu la zone de Beni et Lubero qui sont exclusivement peuplé par le peuple Nande ; il y a en deuxième lieu la zone de Rutshuru qui est majoritairement occupée par les Banyarwandas ; la troisième zone qui est celle de Goma-Masisi-Walikalé quant à elle, bien au-delà de son caractère hétérogène du point de vue ethnique (parce qu'on y trouve aussi bien les Hunde, Tembo et les Banyarwanda dans le Masisi, et les Nyanga à Walikalé), présente un caractère commun. C'est d'ailleurs dans cette région que sont majoritairement concentrés les Banyarwandas immigrés ou « transplantés »141 pour reprendre l'expression d'Étienne Rusamira et les réfugiés de 1959. Je précise aussi que c'est dans cette troisième zone qu'il se pose le problème de conflits fonciers que j'ai fait allusion précédemment, notamment dans le territoire de Misisi et de Walikale.

Outre le caractère géographique, deux autres paramètres alimentent les conflits entre groupes sociaux, à savoir les aspects démographiques et politico-économique142. Du point de vue démographique, le peuple Nanda et les Banyarwandas sont les deux groupes sociaux majoritaires. De ce point de vue, ils se disputent toujours le leadership économique et politique de cette riche province.

Pendant des années auparavant, le conflit opposait les Banyarwandas composés des Hutus et des Tutsis du Masisi d'un côté, et de l'autre côté les Nande, le Hunde et le Nyanga. De par sa puissance, l'État en utilisant ses pouvoirs régaliens avait réussi non seulement à supprimer les petites provinces qui composaient le Kivu, mais également à dissoudre les forces de police et à muter les autorités politico-administratives qui étaient impliquées dans ce conflit. Cependant, toute ces mesures avaient mis fin à ce conflit, sans pour autant réparer durablement les liens brisés dans les relations entre les groupes sociaux opposés, qui ne le resteront toutefois pas jusqu'à aujourd'hui.

Dans le contexte actuel, d'autres paramètres entrent en jeu, rendant ainsi la situation encore beaucoup plus complexe à l'État. L'arrivée en masse de réfugiés rwandais au moment des événement du génocide, l'exil de Tutsi au Rwanda à partir de 1995, la première guerre du Congo en 1996 et la deuxième guerre en 1998 ont ainsi modifié de façon considérable les éléments sur lesquels reposait la dynamique des conflits et violences à l'Est de la République

141 Étienne Rusamira, « La dynamique des conflits ethniques u Nord-Kivu : une réflexion prospective », In Afrique contemporaine, 2003/3 (N°207), pages 147 à 163.

142 Étienne Rusamira, « La dynamique des conflits ethniques au Nord-Kivu : une réflexion prospective », Op. Cit., p. 148.

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Démocratique du Congo, notamment dans le Nord-Kivu. Ce changement de paradigme a comme effet majeur l'émergence des milices rebelles et contestataires à l'Est de la République Démocratique du Congo.

1.2. Les milices insurrectionnelles et contestataires

Le changement de modèle de conflit a eu des conséquences considérables dans le fonctionnement de la société congolaise. En effet, seul la zone ethnique Lubero-Beni résiste encore en maintenant malgré plusieurs événements malheureux de violences et massacres de la population par les milices rebelles. Les deux autres zones en l'occurrence Goma-Masisi-Walikalé et Rutshuru sont aujourd'hui compléments déstabilisés principalement à cause de l'impact négatif des événement de Banyarwanda. La majorité des Tutsis du groupe social Banyarwanda vivent encore au Rwanda, tandis que les Hutus ont payé cher leur alliance avec les forces négatives au cours de la première guerre du Congo.

Il convient de préciser ce que l'on entend par milices insurrectionnelles à la différence des groupes armés que j'aborde dans les lignes qui suivent. En effet, comme le montre bien Jasons Stearns, si les groupes armés sont étroitement intégrés aux sociétés dont ils sont issus et sont en constante interaction avec l'État auquel ils s'opposent, les milices insurrectionnelles s'inscrivent quant à elles dans « le spectre de la contestation populaire, aux côtés des mouvements sociaux et protestataires »143. Pour comprendre les milices qui perpétuent les violences à l'Est de la RDC, je métrai l'accent sur l'interaction entre trois facteurs. Le premier facteur est celui des opportunités politiques disponibles pour la mobilisation. Ces opportunités sont relatives à un contexte politique caractérisé par des clivages et des divisions au sein des élites ; par une capacité plus ou moins importante du système politique congolais à intégrer la contestation ; par une instabilité de l'appareil d'État souvent propice à l'émergence de mouvement sociaux contestataires. Le deuxième facteur est celui de la présence de la structure de la mobilisation de ces violences. Enfin, le troisième facteur est celui du processus de cadrage. Ici, la mobilisation opère ainsi autant par le haut que par le bas tout en s'appuyant à la fois sur les opportunités politiques pour procurer l'encrage nécessaire à la mobilisation, sur le tissu social pour se développer, et sur un cadrage culturel ou idéologique approprié pour rallier des partisans. Il ne s'agit pas de faire une histoire de ces mouvements mais de comprendre plutôt leur dynamique social.

143 Jason Stearns, Traduction de Christine Mercier, Avec l'appui de Nicolas Donner, « L'ancrage social des rebellions congolaises. Approche historique de la mobilisation des groupes armés en République démocratique du Congo », In Afrique contemporaine 2018/1 (N° 265), pages 11 à 37, p. 12.

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En effet, au début des années 1960 l'État n'avait presque plus le monopole de l'extraction minière. Cette perte du monopole de l'État était la conséquence de l'effondrement des entreprises publiques et parapubliques. Du coup, l'exploitation artisanale prendra son essor pour suppléer à l'exploitation industrielle. Dans ce contexte, les jeunes, généralement majoritaires et issus de l'immigration seront exploités dans le commerce transnational très lucratif et bien souvent illégal. Après la crise des réfugiés rwandais que j'ai déjà mentionnée et l'invasion de l'AFDL de Laurent désiré Kabila, les groupes armés vont se multiplier considérablement. Ceux-ci vont s'impliquer de manière considérable dans « une économie de guerre qui se nourrissait de l'impôt illicite, de la contrebande et racket »144. Du coup, cette situation entraine une transformation radicale du cadrage de la mobilisation de milices contestataires. Les conflits communautaires qui avaient autrefois marqué le début des années 1990 cèdent la place au repli identitaire et au renouvèlement du sentiment d'appartenance à la nation congolaise en défense contre l'agression étrangère145. C'est dans cette perspective que les milices Maï-Maï prendront de l'ampleur en s'exprimant à travers la rhétorique d'autodéfense. Les Maï-Maï renforcent ainsi leur encrage social dans les régions ayant une histoire d'insurrection armée, notamment dans les territoires de Masisi, Bunyakiri, Ruwenzorie et Fizi. Dans cette perspective, Jasons Stearns considère que « l'ethnicité fut cependant de plus en plus exprimée en termes abstraits et réifiés - `'l'agression Tutsi» devant un prisme dominant pour de nombreux Mai-Maï, alors même que les groupes rwandophones développaient une rhétorique de la victimisation, mêlant souvent les expériences de leurs communautés avec le génocide rwandais »146. La capacité des groupes Maï-Maï demeure toutefois limitée dans le sens qu'ils sont essentiellement incapables de peser sur le événement au-delà de communautés ethniques ou sociales qui les soutiennent.

C'est précisément lors de la deuxième guerre du Congo qui eut lieu entre 1998 et 2003 que les groupes armés et les milices contestataires dans les Kivu ont proliféré en bénéficiant généralement des appuis et collaboration extérieur. Plusieurs études sur les milices à l'Est de la République Démocratique du Congo, notamment celle de Jason Stearns que j'ai largement mobilisée montre que cet appui venait du Rwanda, tandis que les Maï-Maï étaient soutenu par les acteurs politiques de Kinshasa147. Et l'important de ce soutien extérieur, renchérit Reyntjens

144 Jason Stearns, Traduction de Christine Mercier, Avec l'appui de Nicolas Donner, « L'ancrage social des rébellions congolaise... », Op. Cit., p. 24.

145 Ibid.

146 Ibid.

147 Jason Stearnrs, Op. Cit., p. 25.

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s'est affirmé à la suite de l'accord de cessez-le-feu de Lusaka en 1999148. Par conséquent, les deux guerres du Congo ont totalement modifié l'encrage social de la mobilisation armée dans le sens qu'elles ont transformé les groupes armés qui étaient au départ des milices d'autodéfenses inscrites dans la réalité de la vie rurale, en acteurs étroitement mêlés aux élites politiques et au monde des affaires. Pour Jason Stearns, « la montée des hommes forts militaires qui s'impliquèrent dans l'administration locale, éroda davantage les structures de l'autorité coutumière et de la cohésion sociale »149. Il montre de ce fait, que si dans la première vague de milices qui s'étaient formées dans les années 1990 comptait fortement sur l'appui des chefs coutumiers et les communautés locales, ces liens s'élargirent lorsque les chefs militaires ont commencé à se construire de bases autonomes de revenus et de soutiens à travers leurs liens avec Kinshasa, des groupes armés étrangers et des réseaux commerciaux transnationaux. Du coup, les chefs coutumiers vont être aussi intimidés, remplacés ou même assassinés par divers groupes rebelles actifs dans l'Est de la République Démocratique du Congo. Et dans le même temps comme le souligne Vlassenroot, le recrutement des jeunes va ainsi donner naissance à une génération militarisée qui se détache de plus en des chefs coutumiers, des anciens et des parents150. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre la logique des milices rebelles et contestataires qui prolifèrent aujourd'hui à l'Est de la République Démocratique du Congo.

Toujours dans une logique contestataire, l'Est de la République Démocratique du Congo avait été en avril 2012 le théâtre d'une escalade de violence. Cette violence présentait les mêmes caractéristiques communes avec CNDP151. Ces milices rebelles et contestataires, composées généralement des chefs de la rébellion du M23 étaient des officiers de l'ex- CNDP, que les Forces armées de la République démocratique du Congo avaient tenté de redéployer loin de Kivu depuis leur intégration en 2009. Comme l'explique Janson Stearns, les grandes irrégularités des élections de 2011, qui incitèrent les donateurs étrangers à intensifier leurs pressions sur le président Joseph Kabila et séparèrent sa légitimité nationale, vont amener le gouvernement congolais à redoubler d'efforts dans l'objectif de démanteler ces réseaux de l'ex-

148 Cfr. Reyntjens, F., The Great Africa War. Congo and Regional Geopolitics (1996-2006), Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

149 Janson Stearns « L'ancrage social des rebellions congolaises », Op. Cit. p. 25.

150 Cfr. Vlassenroot Koen, Raeymaekers Timothy, «Kivu's Intractable Security Conundrum», In African Affairs, vol. CVIII, n°432, p. 475-484.

151 Le Congrès nationale pour la défense du peuple (CNDP en sigle) est l'administration rebelle établie par Laurent Nkunda dans la région du Kivu de la République démocratique du Congo. Le CNDP s'était battu contre les Forces armées congolaise dans le conflit du Kivu.

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CNDP152. Il va s'ensuivre une mutinerie que l'on appelle également « mutinerie préventive » d'un groupe d'officiers qui annonçaient la création du M23153.

En fait, la crise de M23 aura pour résultante la formation ou pour ainsi dire le renforcement de plusieurs groupes contestataires dans la région, notamment Rutshuru. L'intensification de la mobilisation résultait également des efforts du M23 et les alliées au Rwanda dans l'objectif de construire des alliances ou même de créer de nouveaux groupes dans le territoire orientale congolais tels que l'Alliance pour la libération de l'Est (ALEC) dans le territoire d'Uvira, et la Force oecuménique pour la libération du Congo (FOLC), dirigée par les militaires qui avaient désertés des FARDC dans la région de Beni, dans le Nord-Kivu. Dans ces mouvements, l'on retrouve les politiciens marginalisés jouant un rôle crucial dans cette entreprise.

Après la défaite du M23 suite au mouvement de contre-insurrection lancée par les Forces Armées de la République Démocratique du Congo avec l'appui de la Monusco, on assistera à des nouvelles séries d'opérations contre les groupes armés étrangers. Les opérations « Sukola I et Sukola II » auront par exemple pour cible dans un premier temps l'insurrection des Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF en sigle) autour de Beni, ensuite il sera question de la poursuite des FDLR dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu. Le groupe d'études sur le Congo documente que les opérations menées contre ces deux groupes que je viens d'évoquer avaient montré leur ancrage dans la société. À Beni, les ADF vont se joindre aux groupes armés locaux pour perpétrer une série de massacres en riposte à l'offensive des Forces armées de la République Démocratique du Congo154. Pendant cette campagne contre le FDLR, il est documenté également que l'armée congolaise n'avait pas hésité à nouer les alliances avec les milices locales, tandis que les FDLR en firent autant avec d'autres milices, notamment les divers groupes de Nyatura. Jason Stearns précise que les FDRL s'associaient aux groupes Nyatura qui sont des milices locales qui recrutent au sein de la communauté hutue congolaise155.

Les études menées en 2017 par Jason Stearns et Christoph Vogel montrent que depuis la fin du M23, plusieurs tendances nouvelles se sont ainsi faites jour dans le conflit à l'Est de

152 Jason Stearns « L'ancrages social des rebellions congolais », Op. Cit. p. 29.

153 Groupe d'experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo, « Final Report of the UN Group of Experts on the Democratic Republic of the Congo, UN/S/2012/843 », Nations Unies, p. 10-12.

154 Cfr. Congo Research Group «Mass Killings in Beni Territory. Political Violence, Cover Ups and Cooptation», New York, Congo Research Group, Center on International Cooperation, 2017.

155 Janson Stearns, « L'ancrage social des rebellions congolaises... », Op. Cit., p. 30.

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la République Démocratique du Congo156. On note premièrement qu'avec la chute de M23, le conflit a considérablement diminué dans sa dimension régionale d'une part, et d'autres part les arènes de mobilisation sont apparues. Plusieurs groupes rebelles étrangers persistent cependant, en l'occurrence l'ADF, les FDLR.

Aujourd'hui, l'on assiste plutôt à un changement de paradigme des conflits. Même si le rôle de soutiens étrangers semble visiblement diminuer, en réalité ils impactent tout de même la situation conflictuelle à l'Est du Congo. Ce qui parait tout au plus évident dans ce changement de paradigme c'est le fait que l'agitation politique nationale a offert une motivation et des opportunités pour des nouvelles alliances. On peut ainsi lier dans cette tendance la violation armée à la lutte pour la succession à la tête du pays. L'exemple de la lutte pour la succession du président Joseph Kabila en 2016 semble assez éloquent pour le signaler. En effet, ayant été empêché par la constitution de la République Démocratique du Congo de briguer un troisième mandat, le président Kabila avait utilisé les manoeuvres dilatoires pour reporter les élections dans l'optique de se maintenir au pouvoir. Dans une perspective contestataire marqué par l'extrême violence, en début d'année 2017, les groupes armés locaux de l'Est reformulaient de plus en plus leurs objectifs en faisant référence à la question des élections nationales. De telles réclamations faisait dans le même temps occulter par conséquent la rhétorique omniprésente de l'agression étrangère. Dans ce contexte de tension, Jason Stearns souligne que les réactions du gouvernement congolais avaient été également influencées par la politique nationale157. L'extrême brutalité de la répression qu'on avait constatée et la participation de certains haut gradés de l'armée nationale aux massacres de Beni nous permettent de penser que le gouvernement n'est pas totalement innocent concernant l'instabilité à l'Est. On a assisté par exemple à la gratification des officiers loyaux dans le cadre de la stratégie visant à diviser les opposants. Division qui aura comme conséquence la réactivation des conflits locaux qui sera un argument de taille pour prétexter le report des élections. Du coup, l'armée nationale congolaise qui était jadis sollicitée pour distribuer des privilèges et coopter de potentiels rivaux, parait au contraire muer en force de répression. On se demande alors si la force militaire ne pourrait pas redevenir un moyen de contester le contrôle de l'État.

Ce que l'on remarque encore ces dernières années comme quelque chose de plus visible, c'est le fait de la fragmentation des groupes armés et de la prolifération des milices contestataires à l'Est du pays. Dans la dernière cartographie des groupes armés dans l'Est du

156 Cfr. Jonson Stearns, Vogel, « The Landscape of Armed Groups in Eastern Congo. Fragmented, Politicized Networks », Congo Research Group, New York University, 2017.

157 Janson Stearns, « L'encrage social de rebellions congolaise... », Op. Cit., p. 31.

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Congo réalisée par le Groupe d'étude sur le Congo et le Baromètre sécuritaire du Kivu en février 2021, on compte en 2020, plus ou moins 122 groupes armés dans tout l'Est de la République démocratique du Congo (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri et Tanganyika)158. Ce rapport récent examine les principales dynamiques de la mobilisation armée et de l'insécurité dans l'Est de la République Démocratique du Congo dans l'objectif de mieux contextualiser la cartographie des groupes armés. Il illustre pour ainsi dire les différentes tendances en examinant plusieurs zones géographiques et en analysant certaines zones des développements politiques et sociaux plus large qui façonnent la violence. Plusieurs facteurs expliquent la prolifération de ces groupes armés. Il importe de souligner que la plupart des groupes armés subissent peu de pression de la part de l'armée congolaise qui est d'ailleurs hyper sollicitée et le programme de démobilisation nationale n'a pas du tout été véritablement opérationnel depuis plusieurs années.

Aujourd'hui, bien au-delà des nouvelles causes ou des nouveaux déclencheurs, il semble pertinent de souligner les caractéristiques permanentes et persistantes des conflit et violences. Le dernier rapport du Groupe d'étude sur le Congo souligne qu'« une partie de la violence dans l'Est du Congo est motivée par le besoin des groupes armés de survivre en extrayant de ressources et se battent pour conserver le contrôle de territoire »159. Force est de constater que les interventions extérieures visant à rompre cette inertie ont largement montré leurs limites. L'arrivée au pouvoir du président Felix Tshisekedi n'a fait qu'aggraver la situation d'insécurité à l'Est du pays. Malgré les deux ordonnances présidentielles que j'ai évoquées à l'introductions déclarant « l'état de siège » dans le Nord-Kivu et en Ituri, une grande partie de la population pense même l'actuel président, Félix Tshisekedi, s'est trop peu intéressé au début de son mandat à la tête du pays aux conflits à l'Est de la République Démocratique du Congo et les désaccords politiques entre le CACH du président Tshisekedi et le FCC de l'ancien président Joseph Kabila dans un gouvernement de coalition n'ont fait qu'entraver toutes les pulsions de réforme dans le domaine de la sécurité du pays en 2019 et en 2020. De l'autre côté, la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) a été réduite suite aux contestations locales. Du coup, l'absence d'opérationnalisation du programme de démobilisation, la reddition de dizaine de groupes armés au cours de ces deux dernières années n'a eu que peu d'impact.

158 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre de sécurité du Kivu, Center on International Cooporation, « La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo. Opportunité manquées, insécurité prolongée et prophétie

auto-réalisatrices », Février, 2021.
https://kivusecurity.nyc3.digitaloceanspaces.com/reports/39/2021%20KST%20rapport%20FR.pdf, Consulté le 03 juin 2021.

159 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre sécuritaire du Kivu, Center on International Cooporation, « La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo, Op. Cit., p. 8.

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Ce qui a occasionné la réactivation au sein de la communauté locale de la thèse l'ingérence étrangère dans les conflits congolais.

2. L'ingérence des acteurs étrangers

Si au point précédent j'ai voulu traiter des acteurs nationaux, ce deuxième sous point aborde plutôt la question de l'ingérence les acteurs étrangers dans les conflits congolais. En effet, l'ingérence des pays de la région des Grands dans l'Est de la République Démocratique du Congo s'est accrue de nouveau ces dernières années, plus précisément dans des zones qu'on appelle aujourd'hui `'zones sensibles». Parmi ces zones, nous avons le Nord-Kivu et les Hauts-Plateaux du Sud-Kivu. Dans les Hauts plateaux, « le Burundi et le Rwanda continuent de mener par procuration certaines de leurs luttes de le pouvoir tant à l'intérieur de chaque pays qu'entre eux »160

2.1. L'ingérence du Rwanda dans les conflits à l'Est de la RDC

La proximité du Nord-Kivu avec le Rwanda fait qu'il parait impossible d'aborder la problématique des conflits et violence dans les Kivu sans convoquer l'ingérence du Rwanda entant qu'acteur non négligeable de ces conflits. En fait, la situation limitrophe du Nord-Kivu avec le Rwanda a eu triple effet. Il y a tout d'abord des courants migratoires à différentes époques que j'ai indiqué plus haut, puis une radicalisation du clivage entre le Banyarwanda dont les uns étaient Hutu et les autres Tutsis, c'est dans ce sens qu'on assistera à un troisième effet qui est l'exportation du conflit interne rwandais au République Démocratique du Congo.

Depuis l'arrivée au pouvoir du président Felix Tshisekedi en janvier 2019, le Rwanda est intervenu plusieurs fois dans le Nord-Kivu avec plus de force pour cibler les rebelles rwandais qui sont en même temps les anciens génocidaires Interahmwes. Ces nouvelles ingérences s'inscrivent dans le prolongement d'un projet politique qui avait un objectif double. Comme le montre bien Gérard Prunier161, le premier objectif de l'ingérence du Rwanda à l'Est de la République Démocratique du Congo était non seulement de détruire la réorganisation militaire des génocidaires hutus installés en République démocratique du Congo mais également le renversement du pouvoir du président Mobutu. Une fois engagé dans cette guerre, dans le deuxième objectif, le Rwanda a commencé à construire une économie de guerre en exploitant les ressources minières de la République démocratique du Congo pour financer sa

160 Groupe d'étude sur le Congo, La cartographie de groupes armés dans l'Est du Congo, Op., Cit., p. 8.

161 Cfr. Gérard Prunier, Africa's World War: Congo, the Rwandan Genocide, and the making of a continental catastrophe, Oxford: Oxford University Presse, 2009.

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présence sur place et la politique dans son propre pays. Gérard Prunier parle même d'intervention rwandaise en RDC en termes des paradoxes. Les paradoxes étaient massifs, surtout si l'on se souvient à l'idée que c'était pour « sauver » les Banyamulenge » qui étaient menacés du génocide que l'armée rwandaise était d'abord entrée au Congo. Cependant, cette même armée rwandaise attaquait les mêmes Banyamulenges avec des hélicoptères de combat162. Ce qui devient aujourd'hui un argument incontestable, du moins sur le plan de la recherche, c'est le fait d'affirmer que la cause fondamentale de l'action rwando-ougandaise en République Démocratique du Congo alors Zaïre à l'époque, précisément à partir de septembre 1996 tient bien évidement au problème des réfugiés rwandais au Kivu, « réfugiés armés qui menaçaient la stabilité du régime FPR et qui cherchaient à reprendre par la force le pouvoir de Kigali »163 Remarquons qu'aujourd'hui, ces interventions régionales, notamment celles du Rwanda est un facteur aggravant des conflits qui génère de la violence, notamment les conflits fonciers et les conflits liés aux ressources locales ainsi que la lutte pour le pouvoir politique et coutumier. On pourrait dire que le projet politique du Rwanda dans les conflits à l'Est de la République démocratique du Congo n'est pas du tout d'assister à l'émancipation d'un nouveau Congo, « mais plutôt la conception d'un « Congo vache à lait » qu'irait traire les cadets Tutsis d'une APR en surnombre à la recherche d'emplois pour ses jeunes officiers et d'un Kivu satellite ouvert à une quasi-colonisation rwandaise »164. Même si depuis le régime de Laurent-Désiré Kabila, le Congo en tant qu'État ne pouvait pas tolérer cette conception humiliante du Rwanda sur la République Démocratique du Congo, cette perception revient régulièrement dans le discours des congolais à chaque fois que la présence de militaires rwandais est observée sur le territoire congolais, notamment les régions du Kivu où règne l'instabilité. C'est d'ailleurs dans ce contexte que s'est développé non seulement la rhétorique contestataire contre la présence des militaires rwandais sur le territoire congolais, mais également s'est réactivé le discours anti-tutsi. Celui-ci étant devenu le potentiel ennemi du Congo. Cependant tout porte à croire que le Rwanda n'est pas le seul pays de la région à s'ingérence dans les conflits à l'Est du Congo. Un autre acteur régional parmi tant d'autres qui mérite d'être convoqué, c'est l'Ouganda.

162 Ibid., p. 283.

163 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres congolaises », In Politique africaine, 1999/3 N°75, pages 34 à 59, p. 47.

164 Ibid., p. 51.

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2.2. De l'ingérence ougandaise en RDC

Il existe plusieurs interprétations sur l'ingérence de l'Ouganda dans les conflits congolais. L'une des plus fréquentes consiste à voir dans l'intervention militaire de l'Ouganda une tentative d'établir dans l'Est de la République Démocratique du Congo en symbiose avec le Rwanda et le Burundi un « empire hima »165. D'après ce courant, l'on soutient l'idée que le président Museveni s'est lancé depuis longtemps dans une grande entreprise impériale dans l'Afrique des Grands Lacs, dont la conquête du Rwanda par le Tutsi entre 1990 et 1994 n'a été que la première étape166. De ce point de vue, ce courant de pensée affirme que les États-Unis sont pour ainsi dire, censés soutenir l'Ouganda pour des raisons géostratégiques liées aux intérêts miniers. Le deuxième argument de l'ingérence ougandaise au Congo est donc celui de la propagande des États-Unis. Si l'on part de cette hypothèse, l'Ouganda, loin de toute finalité impériale, ne serait en République Démocratique du Congo que pour des raisons de sécurité. Le troisième argument est celui de « la coalition ougando-rwandaise »167. Cet argument, écrit Gérard Prunier, a couramment servi dans les milieux des organisations internationale comme l'ONU et dans une certaine mesure l'Union européenne : « Kampala se trouverait au Congo dans le but de soutenir un régime rwandais menacé par un retour offensif des tenants de l'ancien système génocidaire »168. On parlerait ici des régimes rwandais et ougandais qui opéraient concomitamment et main dans la main dans l'objectif d'empêcher le retour des Interahamwe. Cependant, Gérard Prunier ne considère qu'aucune de ces explications ne fonctionne et que les véritables motivations de l'ingérence ougandaise dans les conflits congolais sont beaucoup plus complexes et méritent un traitement approfondi et nos simplifié.

En effet, Gérard Prunier remonte l'intervention ougandaise en République Démocratique du Congo à partir de l'histoire de la décolonisation en Afrique. « Quarante ans après la décolonisation, nous assistons à un processus d'éclosion d'État-nations en Afrique, avec tout ce que cela implique d'intérêts matériels des élites, de mauvaise foi nationaliste, de réflexion honnête sur la nature des intérêts nationaux, de récupération propagandiste de la détresse du `petit peuple' face aux phénomènes de violence, de calculs diplomatiques complexes et de contradictions inextricables héritées de l'État prénational est encore

165 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres congolaises », Op. Cit.

166 Ibid., p. 43.

167 Gérard Prunier, Op. Cit., p. 44.

168 Ibid.

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vivante »169. Il s'agit surtout de faire « du désordre comme instrument politique »170 pour reprendre les termes de Patrick Chabal et Jean-Paul Daloz.

Gérard Prunier replace l'ingérence ougandaise en République Démocratique du Congo dans son contexte. Ce contexte est celui de la vision révolutionnaire et nationaliste réformiste de président Museveni « pour qui certaines idées essentielles président à l'action »171. L'une des raisons de l'ingérence ougandaise en République Démocratique du Congo est l'initiation venue de ce soubassement idéologique radical. Le deuxième objectif de l'ingérence ougandaise en République Démocratique du Congo (Zaïre à l'époque) était celui du renversement du Président Mobutu qui était l'antithèse presque systématique du président Museveni. Pour le président Museveni, « le Maréchal Mobutu représentait un solide danger pour la sécurité ougandaise »172. Dans cette perspective, l'argument de poursuite de rebelles Nalu et Amon Bazira n'était qu'un épiphénomène, car ceux-ci n'étaient que des irritants périphériques. Du coup, il importe de comprendre que pour l'Ouganda, à la différence du Rwanda le danger du péril était essentiellement extérieur, même si, affirme Gérard Prunier, ses causes profondes étaient plutôt extérieures.

Bien au-delà de l'engagement idéologique et le souci sécuritaire, le troisième facteur de l'ingérence ougandaise en République Démocratique du Congo tient aux idées économiques du président Museveni qui, au demeurant est marxiste. En tant que marxiste, « il continue à voir dans l'économie la clef de l'histoire et ne croit pas à une transformation du continent africain sur le plan politique sans de profondes transformations du soubassement économique »173. En fait, même si le Président Museveni croit à l'idée américaine de la bonne gouvernance comme le souligne Gérard Prunier, il ne croit pas non plus qu'elles doivent s'exprimer dans le multipartisme avant que celui-ci ne puisse s'appuyer sur une base économique plus ferme. En mettant en symbiose son ancien déterminisme marxiste avec sa nouvelle religion libéral, « il est littéralement obsédé par la nécessité d'élargir les marchés en Afrique »174. Dans cette perspective, il apparait comme l'anti-Nkrumah, si bien qu'ils ont une filiation intellectuel commune qui remonte à Georges Padmore175. Il importe de noter également à la suite de Gérard Prunier que l'ingérence ougandaise auprès au sein du régime de Laurent désiré était éminemment politique. Le président Museveni souhaitait voir Laurent-Désiré Kabila créer en

169 Ibid.

170 Patrick Chabal et Jean-Paul Daloz, L'Afrique est mal partie, Paris, Economica, 1999.

171 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres congolaises », Op. Cit., p. 44.

172 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres congolaises », p. 45.

173 Gérard Prunier, « L'Ouganda et les guerres congolaises », Op. Cit., p. 46.

174 Ibid.

175 Cfr. Georges Padmore, Panafricanisme ou communisme ? Paris, Présence africaine, 1960.

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République Démocratique du Congo une régime « progressiste » avec lequel il aurait pu collaborer pour éviter tout retour offensif des Soudanais dans le Haut-Congo, et avec lequel il aurait la possibilité de « faire des affaires », notamment étendant au géant de l'Afrique médiane le projet de communauté économique dont Kampala rêvait176. Comme on le souligner, les interventions rwando-ougandaises ont ainsi occasionné le développement des groupes armés étrangers sur le territoire congolais.

2.3. Groupes armés étrangères

L'émergence des groupes armés étrangers en République Démocratique du Congo s'inscrit dans un temps long. La prolifération de ces groupes armés découle d'une histoire régionale marquée par la montée en puissance des antagonismes politico-ethniques177. Roland Pourtier parle d'un double clivage Tutus/Tutsis, autochtones/allochtones comme étant à l'origine de la formation de ce groupes armés et autres milices se réclamant d'auto-défense. En effet, après les événements malheureux du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, je l'ai souligné, la République Démocratique du Congo a accueilli plusieurs réfugiés Rwanda sur son territoire. En 1996, à la suite de la destruction de camps de réfugiés rwandais, notamment les réfugiés Hutus-rwandais, quelques milliers d'entre eux qui étaient pour la plupart anciens militaires et les miliciens Interahamwe acteurs du génocide vont trouver refuge dans dans la forêt congolaise, précisément dans le Kivu (Cfr. Roland Pourtier, 2016). Ces Interahamwe vont s'organiser en un mouvement politico-militaire connu du nom de FDLR qui signifie Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda. Plusieurs rapports d'experts, en l'occurrence le rapport des experts de l'ONU connu du nom de rapport Mapping178 montre que le FDLR ont souvent bénéficié de l'appui en sous-main des autorités de Kinshasa. Lors de nos entretiens semi-directifs179 avec les trois officiers des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) qui combattent les rebelles à Beni, l'un d'eux qui est à l'Est depuis l'année 2000 me confirmait dans un mélange du français et de Lingala la collaboration des FARDC-FDLR.

176 Gérard Prunier, « L'Ouganda et la guerre congolaise », Op. Cit., p. 51.

177 Cfr. Roland Pourtier, « Les enjeux miniers de la guerre au Kivu », in Béatrice Giblin, les conflits dans le monde, Armand Colin, 2016 / page 249 à 261.

178 Le Rapport Mapping parle, Op. Cit., 2010.

179 J'ai réalisé sept entretiens téléphoniques avec trois officiers des Forces Armées de la République Démocratique du Congo qui sont à Beni. Je reprends en annexe, l'intégralité de l'entretien du 12 mars 2021 réalisé avec l'Adjudant que je nomme (S) pour garder son anonymat.

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Les propos ces officiers tenus en « frangala »180 (qui est mélange du français et de Lingala) lors de nos échanges que je reprends en Annexe et que je traduis, montrent la complexité qui existe dans les tentatives d'éradication des conflits à l'Est du Congo. Les FDLR, disaient ces officiers avec un ton parfois tendu et parfois décontracté, sont des hutus qui sont des indésirables dans leur pays et qui vivent à l'étranger (entendu la RD Congo). Il y a de fois où ils prennent refuge chez eux (le chez eux dont il est question ici c'est le Rwanda), parfois ils demandent un retour légal. Cependant, lorsqu'ils arrivent parfois dans leur pays (entendu le Rwanda), ils sont tués. Ils ont également leur mouvement assez puissant qui fait la loi à l'Est de la RD Congo. Ce sont eux qui occupent ce terrain au Nord-Kivu. (L'idée sous-jacente ici que les FDLR connaissent bien le Nord-Kivu pour avoir vécu pendant longtemps et d'avoir tisser et renforcé les liens avec les communautés local où l'on trouve un plusieurs groupe rwandophone). Mais nous combattons avec eux. Il y a de fois où si nous collaborons avec eux, je te le dis parce que tu es proche de moi et je te fais confiance (Le nous utilisé dans cette phrase renvoi aux militaires de l'armée congolais). Parfois nous collaborons avec eu d'une façon assez bonne ou mauvaise. Par rapport à la question de savoir ceux qui les soutiennent, je te dis qu'ils sont parfois appuyés par les députés nationaux originaire de leurs villages (Lorsque je posais la question de savoir les personnes qui soutiennent les FDLR, le ton de l'Adjudant EJ avait totalement changé. Il n'hésitait pas de m'assimilé aux politiciens. Pour lui, le fait que je suis étudiant en science politique, je fais également partie de cette catégorie des acteurs politiques congolais qui veulent que la situation sécuritaire à l'Est demeure échangée). Pour eux, lorsqu'il y a la guerre, ils profitent de l'occasion, disant qu'à partir de la guerre, les fonds et les moyens de la République sortiront pour pouvoir soutenir leurs actions et avoir une autonomie financière. Par conséquent, s'il y a la paix, ils ne pourront pas avoir des moyens. Lorsqu'il y a l'insécurité, ils sont dans la joie puisque les fonds de l'État sortent. Dans le même temps, ils profitent de l'occasion pour construire des hôtels, acheter des appartements. Aujourd'hui, je suis pressé, mais voilà l'essentiel... Après l'appel en urgence de ses camarades, notre entretien avec l'Adjudant (S) s'est terminé dans une ambiance plutôt conviviale. Il était d'ailleurs content de communiquer avec moi depuis Paris.

Comme on le constater dans ces propos de ce soldat de l'armée congolaise, les FDLR comme mouvement politico-militaire contrôlent des territoires miniers au Nord-Kivu et Sud-Kivu, ce qui assure le côté économique de leur mouvement. Leur bonne connaissance du terrain leur permet d'échapper aux quelques tentatives d'opération militaire montée contre eux (Roland

180 Le frangala est un mélange du français et le Lingala qui est l'une des quatre langues nationales en République démocratique du Congo

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Pourtier, 2016). Même si aujourd'hui le mouvement semble être affaibli par rapport à ses débuts, il continue tout de même semer la terreur au sein de la population et bénéficit non seulement l'appui des acteurs politico-militaires congolais mais également des solides appuis au sein des réseaux de commercialisation de minerais dans l'Est de la République Démocratique du Congo. Ceci montre le caractère ambiguë et complexe des conflits et violence dans la région de Kivu. En 2014, le gouvernement congolais et la MONUSCO, n'ont pas réussi leur plan de désarment de ce mouvement. Les FDLR ne sont pas les seuls acteurs de la terreur dans la région de l'Est de la République Démocratique du Congo. D'autres acteurs méritent d'être soulignés.

En effet, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) verra le jour en 2005 sous la houlette de Laurent Nkunda. Ce deuxième acteur se présentait quant à lui comme mouvement de la défense des Tutsis du Congo (Scott STEWART, 2008), implanté dans les territoires à fort peuplement banyarwanda, notamment à Masisi et à Rutshuru. Plusieurs études, notamment celles de Roland Pourtier (2016) et Scott Stewart (2008) montrent que ce mouvement était fortement lié aux élites économiques rwandophones, en l'occurrence les Tutsis. Le CNDP tirait donc une part de ses ressources de l'économie minière. En 2009, le rapprochement entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda aura comme effet immédiat non seulement l'arrestation du leader du CNDP, Laurent Nkunda actuellement au Rwanda, mais également l'intégration du mouvement dans l'armée de la République Démocratique du Congo. Dans le même temps, une partie de ces rebelles contesta cette intégration en 2012 estimant que l'accès aux ressources minières leur était fermé. C'est dans cette perspective qu'ils vont reprendre le chemin de la rébellion en créant en 2012 le Mouvement du 23 mars (M23), avec le soutien du Rwanda181. Le M23 a été vaincu en 2013 avec l'appui de la Monusco, du moins militairement. C'est d'ailleurs l'unique opération réussi de la Mission des Nations unies pour stabilisation de la République démocratique du Congo qui fait l'unanimité.

Un autre groupe rebelle étranger comme acteur de l'instabilité à l'Est de la République Démocratique du Congo ce sont les ADF182. Certaines études remontent les origines lointaines des ADF en Inde. En effet, c'est en Inde au début du 20ème siècle que se niche la préhistoire de la rébellion ADF, Allied Democratic Forces183 . En novembre 2018, le Groupe d'Études sur le Congo (GEC) publiait un rapport dans lequel il montre que le premiers membres de ce groupe

181 Roland Pourtier, 2016, Op. Cit. p. 258.

182 ADF signifie Allied Democratic Forces.

183 Matthieu Vendrely, En RDC, qui est la rébellion ADF qui sévit dans la région de Beni ? TV5MONDE. Source : https://information.tv5monde.com/afrique/en-rdc-qui-est-la-rebellion-adf-qui-sevit-dans-la-region-de-beni-334045, Consulté le 04 avril 2021.

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rebelle appartenaient à la secte Tabligh, née dans une Inde sous la domination britannique. Très actifs dans les opérations des tueries sporadiques dans le Kivu, ce groupe constitue une véritable menace sécuritaire dans les Kivus.

Même s'il existe une prolifération des groupes armés à l'Est de la République Démocratique du Congo, il convient de souligner que certains de ces groupes armés dominent les conflits. Le GEC et le baromètre sécuritaire du Kivu en recensent quatre. Il y a tout d'abord le Forces démocratique alliées (ADF), les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), l'Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) me NDC-R, ainsi que l'armée congolaise qui sont responsables de plus d'un tiers de tous les accidents et la moitié de civiles tués184. Aujourd'hui, les ADF sont une grande menace particulière. Ils sont considérés comme responsable de plus de meurtres de de civils (37%) que tout autre groupe armé, et de loin d'ailleurs185. Dans le même temps, d'autres groupes armés qui avaient longtemps constitué des noeuds de conflits, en l'occurrence le FDLR et le Front national de libération (FNL) burundais semble perdre leur importance, quand bien même que les incursions régulières des armées rwandaise et burundaise ont contribué à la contre mobilisation de groupes Congolais. La situation est telle que de zones spécifiques des conflits et de violence ont totalement modelé les types de mobilisation de la violence. Outre la situation qui prévaut à Beni, le NDC-R a formé un noeud de conflit qui attire des alliés mais en même temps galvanise également de rivaux comme son principal adversaire, la coalition des mouvements pour le changement du Congo (CMC), les différents groupes « Mazembe dans le Sud du Lubero ». Le rapport du GEC montre que « l'impulsion du groupe, qui a commencé avec une scission et un moindre soutien de l'armée congolaise en 2020, pourrait déclencher une dynamique inverse »186. Dans les Hauts Plateaux du Kivu, on assiste depuis quelques années à une forte escalade de la violence. Si les acteurs du conflit se multipliés, il s'avère que les principaux protagonistes ont également réussi à rassembler les belligérants au sein de la coalition plus large et décentralisé. Le point suivant abordera l'examen de ces quatre zones géographiques de conflit du Sud au Nord.

184 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre sécuritaire du Kivu, Center on International Coopération, « La Cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit., p. 9.

185 Ibid.

186 Groupe d'étude sur le Congo « La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit., p. 11.

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3. Le cas de Minembwe comme carrefour du local, du national et du régional

La crise de Minembwe avait été présenté en fin 2019, du moins par les médias internationaux comme étant un événement nouveau. Pourtant la guerre sur les Hauts Plateau du Sud-Kivu commençait déjà ses signes depuis 2015, dans un contexte où les conflits locaux pour le pouvoir coutumier se sont mêlés aux luttes de pouvoir régionales dans le sillage de la crise politique de 2015 au Burundi. L'ingérence régionale, mêlée à l'opportunisme des hommes politiques ont remis sur la scène nationale l'ancien débat mais toujours nouveau de la « balkanisation » du Congo en 2019. Cette situation a alimenté les bases d'une violence accrue tout au long l'année 2020 jusqu'à aujourd'hui. Cependant, bien que cette crise présentée généralement comme un conflit ethnique entre des population autochtones et allochtones, pourtant Gérard Prunier montre clairement que les identités ethniques ne sont pas la cause de conflit en République Démocratique du Congo mais en sont seulement « les outils, conséquence d'une situation politique, économique et social profondément pourri »187. Ce qu'il convient de savoir c'est le fait que les raisons profondes de la violence à Minembwe dans les Hauts Plateaux du Sud-Kivu demeurent complexes.

Les dernières vagues de violence à Minembwe a mobilisé l'intervention de plusieurs acteurs. D'ailleurs, les acteurs de toutes les communautés ethniques se sont retrouvés « à parts égales parmi les victimes et les instigateur »188. Comme je l'ai évoqué précédemment, si les groupes armés recrutent en fonction de lignes ethniques, par exemple les Gumino mobilisant parmi les « Banyamulenge », les Maï-Maï Yakutumba et les Biloze Bishambuka parmi les Bembe, Fuliiro et Nyindu, il s'agit pour ainsi dire d'une conséquence et d'une cause de conflit. Comme dans d'autres parties de la République, marquées par la contestation de l'autorité, le dirigeants politiques et militaires de Hauts Plateau s'accrochent sur des cadres ethniques et des histoires d'appartenance identitaire pour rallier des combattants. Verweijen Judith considère que, les explications privilégiant une « grille ethnique deviennent des prophéties qui se réalisent d'elles-mêmes »189. Tout ceci rend complexe la distinction des multiples causes de conflits et violences dans cette partie de la République Démocratique du Congo.

187 Gérard Prunier, From Genocide to Continental War. The `Congolese' Conflicts and the Crisis of Contemporary Africa, London, Hurst, 2009, p. 170-171

188 Groupe d'étude sur le Congo, Baromètre sécuritaire du Kivu, Center on International Cooperation, « La Cartographies des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit., p. 12.

189 Cfr. Verweijen Judith et al. (à paraître), Mayhem in the Mountains. How violent conflict on the Hauts Plateaux of Fizi, Uvira and Mwenga became intractable. Insecure Livelihoods series, Governances in Conflict network, Université de Gand. Cité par Groupe d'étude sue le Congo « La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo », Op. Cit., p. 12.

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Cependant, lorsqu'on examine minutieusement les conflits à Minembwe, l'on constate que les tensions intracommunautaires sont bien évidemment plus fréquentes que les tensions intercommunautaires. Il y a souvent des escarmouches qui ont lieu entre des groupes armés censés défendre la même communauté communément appelé « Banyamulenge », comme entre les Twigwaneho qui est désormais soutenus par le colonel déserteur Michel Rukunda et les Gumino, tandis que les conflits de succession au sein des entités coutumières opposent de Fuliiro ou de Bembe entre eux. Outre ces arguments et en dépit d'une insécurité toujours croissante, certains lieux de cohabitation entre Bembe, Fuliiro, Vira, Nyindu, Banyamulenge et Mbuti existe toujours. L'on constate également des coalitions complexes, très souvent basées sur le principe de « l'ennemi de mon ennemi est mon ami »190. C'est ce qui déclenche un enchaînement d'alliance et contribue en quelque sorte à susciter ce que l'on appellerait aujourd'hui l'antagonisme et la militarisation des communautés et des groupes armées qui leurs sont associés.

Un dernier élément qui rend encore complexe les conflits à Minembwe, c'est l'ingérence du Rwanda et du Burundi que j'ai suffisamment mobilisée. Le rapport de GEC souligne le fait que certaines parties de l'opposition de l'armée burundaise ayant choisi Uvira et Fizi comme bases arrière pour organiser la résistance, « elles ont conclu des alliances de convenance dans le paysage tentaculaire des groupes armés dans la plaine de Ruzizi »191. Dans le même temps, des incursions de l'armée burundaise se sont intensifiées sur le sol congolais, souvent en collaboration avec les milices de la plaine de la Ruzizi. L'on constate par la suite que les forces anti-Bujumbura, en l'occurrence la Résistance pour un état de droit (RED)-Tabara ou les Forces républicaines du Burundi ont été soutenu par le Rwanda, tandis que les acteurs de l'opposition rwandaises tels qui la formation du congrès national (RNC)/P5 ou le Conseil pour le renouveau et la démocratie (CRD) et sa branche armée, les Forces de libération nationale (FLN, étaient soupçonnés d'avoir des affinités avec le gouvernement de Bujumbura.

Conclusion

Cette partie qui se voulait l'étude des conflits et violences à l'Est de la République Démocratique du Congo a permis de rentrer en immersion de ce qui rend le vivre ensemble improbable dans cette région de l'Afrique des Grand Lacs. L'on retiendra dans cette partie que l'arrivées massive des réfugiés rwandais en 1994, l'exile de Tutsi au Rwanda en 1995, les deux guerres du Congo ont modifié radicalement plusieurs des éléments sur lesquels reposait la

190 Groupe d'étude sur le Congo, « La cartographie des groupes armés dans l'Est du Congo... », Op. Cit., p.

191 Ibid.

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dynamique conflictuelle dans les provinces du Kivu. Le premier facteur des tensions ethnique est bien évidemment les litiges fonciers.

La criminalisation de l'économie par l'implication des groupes armés dans l'exploitation de matières premières impliquant plusieurs acteurs, notamment les multinationales, les groupes armés et les groupes mafieux augmente le risque de prolongation de conflits qui engendrent la violence. Les enjeux des conflits à l'est de la République Démocratique du Congo sont non seulement économiques mais aussi et surtout politiques. D'où l'ingérence des puissances étrangères. Si le Rwanda et l'Ouganda apparaissent comme les acteurs régionaux notablement impliqués dans les conflits à l'Est du Congo, qu'en est-il des grandes puissances symboliquement représentées par l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation du Congo ?

TROISIÈME PARTIE

:

RÔLE DE LA MONUSCO DANS LES CONFLITS DANS LES KIVU

Introduction

Dans cette partie, il sera question d'étudier le rôle que joue la Monusco dans la résolution des conflits dans les régions du Kivu, une région marquée par la prolifération des groupes armés étrangers et les milices locales dites d'autodéfense. Je montrerai à travers l'approche politique et sécuritaire les facteurs de prolongation et de légitimation de la mission des Nations Unies pour le maintien de la paix en République Démocratique du Congo. Deux facteurs importants, à savoir la promotion des Droits de l'homme et la recherche de la paix mondiale, méritent d'être étudiés.

A. MONUSCO : UNE MISSION DE PROMOTION DES DROITS DE L'HOMME ET DE PROTECTION DES CIVILES OU DU MAINTIEN DE L'HÉGÉMONIE ?

Les questions relatives aux droits de l'homme sont légion à notre époque, et il se passe rarement une semaine sans qu'un point d'actualité en République Démocratique du Congo ne soit rattaché à un enjeu impliquant ces droits. Ils sont régulièrement l'objet de discours, de débats, de confrontation par tout un ensemble d'acteurs variés dans le spectre politique et militant : représentant d'États et d'organisations internationales, membres d'organisation non

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gouvernementales (ONG), acteurs issus de la société civile (mouvements citoyens, associations, etc.). Mais de quoi parle-t-on lorsque l'on évoque ces droits ?

Les droits de l'homme sont un ensemble de notion dont les toutes premières émanations ont émergé au cours de l'Antiquité en Europe. Mais c'est surtout à partir du XVIII ème siècle en Europe occidentale et aux États-Unis d'Amérique qu'un premier sens moderne va être institutionnalisé pour ce droit : il s'agit d'un ensemble de droits inaliénables qui impose le respect de l'individu dans son intégrité, et qui se situe au-dessus de toute loi. L'un des meilleurs exemples de la mise sur marbre de ces droits est la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen pendant la Révolution française, le 26 août 1789 à Paris. Parmi ces droits se trouvent la liberté de croyance, d'opinion, liberté de vivre libre dans la sécurité et la dignité, etc.

Depuis, cette déclaration a gardé son fondement initial, tout en s'enrichissant de nouveaux actes, au gré de révolutions sociales, des évolutions sociétales et politiques192 : droits sociaux et économiques, droits-créances, droits syndicaux, et plus récemment même des droits environnementaux. La définition précise des droits de l'homme est un enjeu en lui-même, en fonction de positionnement des acteurs sur les scènes nationales, internationales et transnationales.

L'ensemble des droits que je viens d'évoquer ne sont qu'une énonciation générale et abstraite de sens que l'on peut inclure dans les droits de l'homme. D'un point de vue plus international, une petite mise en contexte s'impose pour mieux comprendre les enjeux actuels qui y sont relatifs. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté internationale, intensément marquée par un conflit qui a vu entre autres l'extermination systématique de plus de six millions de personnes de religion juive en Europe, se dote d'une organisation qui poussera plus loin les principes de la Société des Nations (SDN). Sous l'égide des États-Unis d'Amérique - l'un des grands vainqueurs de ce conflit avec l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) - l'Organisation des Nations-Unies est créée durant la conférence de San Francisco, d'avril à juin 1945. Le but de cette organisation est de prévenir les futurs conflits en accentuant le dialogue entre les nations. En 1948, dans le cadre de ces Nations-Unies, une Déclaration universelle des Droit de l'homme est adoptée. Elle définit tout un ensemble de droits, auquel les États doivent se soumettre. Bien que non contraignant d'un point de vue du droit international, ce texte est l'une des principales sources d'inspiration pour tout un ensemble de traités internationaux ou régionaux qui eux ont une valeur plutôt contraignante. Et à entendre le discours de la plupart des ONG et de membres de la société civile internationale, ces droits

192 Lochak Danièle, « V. Universalisation et universalité des droits de l'homme », Danièle Lochak, éd., Les droits de l'homme, Paris, La Découverte, 2018, pp. 34-54.

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inscrits dans cette Déclaration et ces traités sont des choses que l'on oppose aux États, lesquels sont tenus et contraints de respecter ces derniers afin de garantir l'intégrité des individus.

Cependant, dans un contexte de Guerre Froide, la signification portée aux droits de l'Homme va prendre un enjeu idéologique. D'un côté, le bloc occidental mené par les États-Unis prône la démocratie libérale qui s'inscrit dans le capitalisme et l'économie de marché, et de l'autre, le bloc de l'Est mené par l'URSS prône le communisme et le socialisme et l'économie d'État. Cette confrontation va engendrer des conséquences sur les acteurs, les discours, et les pratiques relatives aux droits de l'Homme, dont les répercussions se manifestent toujours, trente années après la fin de cette opposition des deux grandes puissances qui avaient émergé à l'issue du second conflit mondial. Régulièrement critiqué par tout un ensemble d'acteurs pour le contenu qui y est attribué, les droits de l'homme sont dénoncés comme servant une hégémonie souvent américaine, parfois élargie à l'Occident de façon plus large.

Je tenterai ainsi de répondre dans les points qui suivent à la question suivante : en quoi les droits de l'Homme, dans leur emploi et leur définition, peuvent-ils être, du moins dans le cadre la mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo, considérés comme l'expression d'une domination de certains acteurs sur d'autres ? Dans un premier temps, je montrerai que ce qu'on appelle « Droits de l'Homme » est un ensemble de pratiques, des discours portés par des acteurs spécifiques, dans une logique que l'on qualifie de champs social (pour reprendre le concept de Bourdieu) des Droits de l'Homme et de la démocratie. Bien au-delà d'une simple opposition de droit que les individus portent et que les États sont tenus de respecter, je développerai, dans un deuxième temps, le fait qu'ils sont un enjeu pour les puissances nationales et internationales afin de légitimer leurs actions et interventions : on peut considérer qu'ils peuvent être instrumentalisés dans une logique de domination.

1. Les droits de l'homme comme culture partagée d'un ensemble d'acteurs dominants aux prédispositions comparables

Comme je le mentionne plus haut, les droits de l'homme sont souvent perçus comme des droits dont les individus disposent et qu'ils peuvent opposer aux États. C'est la manière dont la théorie classique en droit international a souvent vu la leçon dont les droits de l'homme s'insèrent dans les relations entre acteurs. Ce constat a depuis été largement dépassé. Toute une série de concepts et des théories ont depuis été développés pour expliquer quels rôles jouent les droits de l'homme dans les relations internationales et transnationales. L'une de grilles de lecture les plus saillantes à la fin des années 1990 a été celle du Transanal Advocacy Netword (TAN), développé par Keck et Sikkink en 1998. Cette dernière a analysé les acteurs portant les

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droits de l'Homme comme étant connectés sous forme de réseaux. Réseaux qui dépassent les cadres étatiques tant au niveau territorial qu'institutionnel. Ainsi, ces TAN complètent l'idée de Epistemic community développée par Peter Hass plus tôt dans les décennies : c'est un ensemble des réseaux d'acteurs dans le domaine de l'expertise ou académique qui sont reconnu et se reconnaissent entre eux dans un domaine particulier, et qui de surcroît porte des revendications de légitimité à se prononcer dans ce domaine de politique donné. Ces TAN permettaient, pour les auteurs qui ont utilisé ce concept par la suite de créer une gouvernementalité plus démocratique à l'échelle internationale, en ce que dans un monde globalisé comme le nôtre, il permet une meilleure coordination des savoirs, des ressources entre une multitude d'acteurs qui, isolés, ne disposent pas d'un poids suffisant pour porter les droits de l'Hommes face aux États.

Cependant, ces travaux pâtissent d'une lacune fondamentale : ils ne soulignent pas vraiment les capitaux mobilisés par cet ensemble d'acteurs, et ne creusent pas la question des origines, des formations de différents individus qui sont considérés comme étant des professionnels de l'international, de la défense des droits de l'Homme. Ce sont les apports de Yves Dezalay et Bryant Garth en 1998193 et plus tard de Nicolas Guilhot en 2005194 qui vont porter principalement cette critique et proposer une grille de lecture alternative pour mieux saisir l'objet des droits de l'Homme et ses enjeux dans le monde contemporain.

Les travaux de ces acteurs portent leur attention sur la manière dont se sont constituées tout un réseau d'acteurs variés qui entretiennent des liens étroits entre eux et avec les instances de pouvoir états-uniennes dans la seconde moitié du XXe siècle. Dezalay et Garth expliquent qu'au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les droits de l'Homme vont être investis dans le pouvoir états-uniens dans la logique d'opposition au communisme implanté dans le pays sous influence soviétique. Tout un ensemble d'acteurs issus de classes aux capitaux élevés vont se mettre en action afin de porter ces droits dans un but de destruction du communisme : juristes, scientifiques, universitaires, philanthropes, etc. Ces notables, issu des mêmes universités prestigieuses, vont entretenir des relations avec le pouvoir fédéral et créer des liens dans nombres de pays pour implanter un environnement favorable à la démocratie libérale. À cette époque, voit la naissance d'institutions de recherches, d'organisation comme Amnesty International (Britannique), qui vont porter en elles, les valeurs libérales sur la question des

193 Dezalay Yves, Garth Bryant, « Droits de l'homme et philanthropie hégémonique. », Actes de la recherche en science sociale. Vol. 121-122, mars 1998. Les ruses de la raison impérialiste, pp. 23-41.

194 Ghuillot Nicolas, The Democracy Makers: Human Rights and the Politicals of Global Order, Columbia University Press, 2005.

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droits de l'Homme. Cependant, les échecs de États-Unis au Vietnam, les révélations de financements occultes par les services secrets américains vont rediriger leurs efforts vers une vision moins pro-gouvernementale. Porté par des militants plus à gauche issu des campus de grandes universités, Delazay et Garth souligne leur statut d'outsider dans ces institutions, dont les individus les plus dotés en capitaux se trouvent à des postes au sein de l'administration fédérale. C'est à cette époque que l'on voit la création d'ONG comme Human Right Watch.

Au cours du milieu de ces années 1970, le consensus de façade des classes dirigeantes se délite, et deux fractions principales voient le jour. D'un côté, un ensemble d'acteurs situés plus à gauche sur l'échiquier politique, qui vont porter les droits de l'Homme comme une limitation de la souveraineté des États par le droit international ; de l'autre, une fraction plus à droite, précurseur de la contre-révolution conservatrice qui portera Reagan à la Maison-Blanche en 1980, et défendra les droits de l'Homme comme mode de la gouvernementalité démocratique. La thèse de Nicolas Guilhot, qui complète l'étude de Dezalay et Garth - en cherchant à analyser les dispositions sociales des individus porteurs de ces discours et de ces pratiques - sera de considérer ces deux groupes comme étant complémentaires. Selon lui, ils forment un seul et même champ social, au sein duquel une lutte de définition de normes et des capitaux s'établit pour légitimer un projet plutôt qu'un autre. En effet, pour revenir à Dezalay et Garth, même si le consensus évoqué plus haut semble s'effriter, ce champ de pratiques et de discours perdure car les acteurs qui en relèvent font partie d'un seul et même microcosme, traversé par des oppositions entre des section des classes dominantes. Il s'inscrit dans les deux logiques : celles de l'économie du marché et des pratiques d'État.

Dans la première, les différentes ONG ou organisations de défense des droits de l'Homme sont financées par des fondations philanthropiques qui monnaient leurs dons par l'agitation de la concurrence. Cette concurrence se joue tant au niveau de ces fondations que des organisations de défense, mais se retrouve aussi dans les médiatisations des travaux de ces acteurs professionnels de l'activisme des droits humains. Dans la seconde, cet ensemble d'acteurs se voit en forte connexion avec les instances gouvernementales et ainsi, toutes les administrations fédérales américaines ont une influence certaine sur le travail de l'intégralité des acteurs, Tandis que ce dernier, influence de façon relative les orientations en politiques étrangères de Washington. Dans les deux cas, chaque acteur est en interdépendance les uns avec afin de légitimer leurs actions et leurs existences, et ce même du camp opposé, qui offre des possibilités de médiatisation en organisant son opposition à celui-ci.

On comprend mieux l'existence de ce champ de pratiques et de discours quand on s'intéresse à des cas spécifiques. L'exemple de Human Rights Watch (HRW) est

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représentatif. Créé par des militants des droits de l'Homme en 1975 à la suite des accords d'Helsinki195, cette ONG est constituée d'environ 150 experts dans les domaines de la recherche, du plaidoyer, des médias, etc. Beaucoup de ses membres ont été auparavant et par la suite de leur passage à HRW en service dans d'autres institution privées, gouvernementales et internationales196.

Les auteurs mobilisés nous permettent de comprendre en quoi une division internationale du travail s'opère entre différentes institutions peuplées d'acteurs qui se connaissent et se reconnaissent. Cela permet de justifier un certain interventionnisme que nous allons développer ici dans un cadre différent que celui des États-Unis et de sa politique étrangère. Il s'agit plutôt de l'usage des droits de l'Homme dans le cadre des opérations de maintien de la paix, notamment dans les pays du Sud en général, et en particulier en République Démocratique du Congo.

2. Les droits de l'homme dans leur aspect interventionniste et `'humanitaro-repressif » : Monusco dans les opérations de maintien de la paix

Les opérations de maintien de la paix ou de construction de la paix menées par l'ONU, notamment dans les pays du Sud en général et en République démocratique du Congo en particulier, trouvent leurs légitimations par le prisme des droits de l'Homme et de la paix mondiale. Fondées souvent sous un accord de paix globale négocié à l'échelon international, ces opérations sont mandatées par le Conseil de sécurité en raison de leur responsabilité principale qui l'échoit en matière de paix et de sécurité internationale. Comme l'écrit Pascaline Motsch, à la fin de la guerre froide, les Nations Unies passent d'une logique classique de maintien de la paix à une logique plus substantielle de la construction de la paix197. Ce qui parait encore plus intéressant dans cette vision interventionniste, c'est le fait que la nouvelle approche de la paix constructiviste des Nations Unies a permis aux droits de l'Homme de faire leur entrée dans le domaine du maintien de la paix. C'est pourquoi, conformément aux orientations voulues par les experts et le soutien du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, le Conseil de sécurité intègre dans les interventions une mission spécifique de « protection et

195 Les Accords d'Helsinki est nom donné à l'Acte final de la Conférence d'Helsinki (ou conférence sur la sécurité et coopération en Europe - CSCE) ont été signés le 1er août 1975 entre 33 pays européens, les États-Unis et le Canada. Ces accords visent à établir une paix durable entre les pays signataires.

196 Kean Bhatt,» The Hypocrisy of Human Rights Watch», NACLA Report on the América, Vol 46, n°4, 2013, pp. 54-58.

197 Pascaline Motsch, « Les droit de l'homme dans les missions de construction de la paix », dans Civitas Europa, 2018/2 (N°41), p. 51-65.

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promotion des droits de l'homme » exécutée par une division, une section ou encore un Bureau des droits de l'Homme.

Du point de vue de l'histoire, la première mission axée sur les droits de l'homme fut déployée en 1991 au Salvador. Les 42 observateurs et conseillers des droits de l'Homme avaient pour tâche de surveiller le respect des droits de l'Homme conformément aux stipulations de l'accord de San José. Cependant, l'opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda en 1994 fut la première mission d'enquête à être dotée d'un Haut-Commissariat aux droits de l'Homme. Alors que les opérations de maintien de paix comprenant un volet spécifique de protection des droits de l'Homme ont commencé en Bosnie où la Mission des Nations-Unies en Bosnie-Herzégovic (MINUBH) a été chargée par le Conseil de sécurité de mener ou d'aider à mener des enquêtes sur les violations des droits de l'Homme commises par des agents de la République198. La MONUSCO en tant que mission de protection des droits de l'Homme peut être comprise à travers deux activités qui incarne une forme de domination à savoir la surveillance du respect des droits de l'Homme, l'activité d'enquête sur la violation des droits de l'Homme.

Dans l'activité de la surveillance, l'on remarque que les Divisions des droits de l'Homme cherchent à découvrir l'ensemble du territoire, avec différents bureaux et antennes installés dans les zones les plus instables, comprenant aussi des équipes mobiles. Ces divisions à travers des mécanismes de contrôle répertorient les victimes et témoins des violations de droit de l'Homme en s'appuyant également sur un réseau d'organisations non gouvernementales pour surveiller le respect de droit de l'Homme. Dans le cadre de la MONUSCO, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l'Homme travaille avec d'autres acteurs et spécialistes de ce sujet, notamment Amnesty International et Human Rights Watch que j'ai évoqué précédemment, pour pousser le gouvernement congolais à promouvoir les droits de l'Homme. En 2020, le BCNUDH a soutenu le parlement congolais dans les réformes législatives visant à améliorer le système de protection des droits de l'Homme. Cette commission a bénéficié d'ailleurs de l'appui technique, logistique et financier du BCNUDH199. Sur le plan législatif, le BCNUDH apporte un appui technique et financier au Ministère délégué chargé des personnes en situation de handicap et autres personnes vulnérables (les enfants qui travaillent dans les mines, les femmes victimes de viols) dans le processus d'élaboration et d'adoption de la loi. Cela rejoint l'idée développée dans la partie précédente : l'implication des droits de l'Homme

198 Ibid., Pascaline Motsch, 2018.

199 Organisation des Nations Unies, « Transcription de la conférence de presse One UN en RDC », le 09 décembre 2020 à Kinshasa.

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comme mode de gouvernementalité, appliquée par un ensemble d'acteurs dans des espaces périphériques, sert à légitimer un mode de gouvernance et des institutions dans la définition des normes. Les droits de l'homme dans leur aspect interventionniste et « humanitaro-repressif » constituent donc le premier facteur de reproduction et de légitimation de la Monusco, et par ricochet perpétue l'hégémonie des grandes puissances. C'est dans cette perspective que l'on peut penser le passage de la Monusco à travers la Brigade d'intervention d'une mission d'observation à une mission d'intervention par le prisme de la coopération.

B. DE LA MISSION D'OBSERVATION À LA MISSION D'INTERVENTION ET DE COOPÉRATION

Les violations régulières des droits de l'Homme documentées par le BCNUDH et les autres organisations transnationales comme Amnisty international et Human Right Wach sont à l'est du Congo. Violations qui sont les fruits de l'instabilité et de l'insécurité liées à la permanence des groupes armés sont un facteur de légitimation des interventions militaires de la Monusco. D'une mission d'observation à une mission d'intervention, la mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo est toujours en quête de légitimité à travers des négociations renouvelées. Dans ce point, je cherche ainsi à montrer comment se matérialise cette quête de légitimité.

Avec la résolution 2409 (20218)200 renouvelant le mandat de la Monusco, malgré l'ampleur des contestations initiées par les différents mouvements citoyens, hostiles à la présence des Casques Bleus à l'Est de la République Démocratique du Congo, l'ampleur de l'insécurité et les tueries de populations villageoises, ont permis à la Monusco de rejouer les cartes de la coopération militaro-civile. Dans son compte-rendu de l'actualité des Nations unies en République Démocratique du Congo du 28 octobre 2020, l'ONU recense un total de 3702 activités opérationnelles impliquant les patrouilles de jours comme de nuits, les escortes et les reconnaissances aériennes. Dans ce compte-rendu, on peut lire que « l'objectif prioritaires de ces opérations étant de renforcer la protection de la population »201. À travers le concept de coopération, la Monusco mène ses activités militaro-civiles avec les acteurs nationaux, internationaux et transnationaux. Ajoutant à cela, de la génie civile (construction et réhabilitation de routes et d'écoles) et du renforcement des capacités des acteurs locaux, la

200 Nations Unies, S/RES/2409 (2018).

201 ONU, Compte-rendu de l'actualité des Nations unies en RD à la date du 28 octobre 2020.

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Force d'intervention intensifie les activités de sensibilisation et de prévention contre la violence au profit des populations dans tous les secteurs.

Toujours dans la même dynamique de coopération, pour renforcer la discipline et la bonne conduite de troupes, la Force d'intervention organise des formations de ces points focaux contre la prévention des abus sexuels dans tous les secteurs.

1. Coopération FARDC-MONUSCO : Brigade intervention militaire

L'adoption à l'unanimité de la résolution 2463 (2019) par les membres du Conseil de sécurité sur le mandat de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique Congo, a radicalement modifié les rapports entre la Monusco à travers sa Brigade d'intervention et les Forces Armées de la République Démocratique du Congo. Ce nouveau prolongement à « titre exceptionnel » de la brigade d'intervention, obtenu dans un contexte où la contestation à l'égard de la Mission avait atteint son point d'irréversibilité, permet de réinterroger les rapports de force entre « le centre et la périphérie »202 pour reprendre les termes d'Immanuel Wallerstein.

Présentée sous le label de la coopération entre le local et le global, la stratégie de légitimation de la Mission apparait rassurante et permet de redorer l'image d'une Monusco contestée localement. Pour montrer que l'ONU n'a pas pour vocation de rester de façon permanente en République Démocratique du Congo, le Conseil de sécurité joue le jeu de la sérénité dans l'optique de postuler une séparation en douceur en proposant de réduire le délai des interventions conjointes MONUSCO-FARDC : « Ce délai minimum de neuf mois sera également mis à profit pour préparer `'dans le sérénité» le dialogue stratégique et la stratégie de sortie en douceur et sans heurts de la MONUSCO »203. Comme pour les autres résolutions, le texte de la résolution 2463 (2019) rappelle les deux priorités stratégiques de la Monusco qui sont la protection des civils et la stabilisation de la République Démocratique du Congo. De ces deux priorités, s'ajoute la question de renforcement des institutions de l'État. Mais la question de la volonté de l'ONU à mettre fin de façon totale aux groupes armées qui sèment la terreur à l'Est de la RDC mérite d'être posée.

Tout porte à croire à tort ou à raison que l'ONU n'a pas pour vocation d'aider de façon sincère la RDC à éradiquer les groupes armés. Lorsqu'on lit le texte des différentes résolutions,

202 Immanuel Wallerstein, Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des systèmes-monde, Paris, La Découverte, 2009.

203 Mission de l'Organisation des Nations Unies pour ls stabilisation en RDC, Échos de la Monusco, Vol. X - N°87, Mars 2019, p. 4.

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l'on constate que, très souvent, le Conseil de sécurité s'évertue à condamner les groupes armés opérant dans l'Est de la République Démocratique du Congo plutôt que d'accompagner efficacement les FARDC à l'éradication totale de ceux-ci. Le Conseil demande généralement au gouvernement congolais dans ses résolutions, de mener des nouvelles opérations militaires dans le respect du droit international mais aussi de promouvoir les approches non militarisées. D'où toute la question est de savoir comment peut-on imaginer que la Monusco au travers de sa brigade d'intervention puisse éradiquer des groupes armés et en même promouvoir une approche non militaire face à ceux qui sèment la terreur en faisant de la violence une règle de vie ? L'appui politique dans l'idée du renforcement démocratique peut-il objectivement porté ses fruits dans le contexte où les recours à la violence armée sont permanents ?

2. Appuis politique et renforcement de la démocratie

Lorsqu'on lit les résolutions du Conseil de sécurité, notamment les résolutions 2502 (2019), 2478 (2019) et 2463 (2019), l'on remarque que le Conseil de sécurité souligne généralement la nécessité de transférer de façon progressive les taches de la MONUSCO au gouvernement congolais et l'équipe de pays des Nations Unies. Ce projet de transfert des taches aux acteurs locaux est pensé afin que la Mission puisse, « moyennant une évolution favorable », quitter le pays, selon « un plan de retrait responsable et durable ».

Dans sa résolutions 2463 (2019), le Conseil de sécurité met un accent particulier sur la sécurité des communautés et l'amélioration du fonctionnement des institutions de l'État qui ont un impact sur la sécurité quotidienne. Les aspects relatifs à l'impunité et au droit de l'homme en générale, notamment en relation avec les activités des groupes armes, sont ce que le Conseil cherche à travailler avec le gouvernement de la République Démocratique du Congo. Dans le concept d'appui politique, on entend l'idée de renforcement des institutions de l'État, y compris dans le cadre du secteur de la sécurité en tant que second pilier essentiel de mission dans l'optique de compléter le premier pilier dont celui de la protection des civils et de la stabilisation du pays.

Ce qu'il semble important de mettre en perspective ici, c'est la question d'appui politique et de renforcement de la démocratie. En fait, les grands paramètres de l'action de la Mission sont situés dans un contexte post électoral, même si l'on sait bien qu'au sens strict du terme le cycle électoral n'était pas encore achevé. En même temps, il est évident qu'en l'absence d'institution nationales post-électorale, il s'agit notamment d'un mandat d'attente pour aborder

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une période transitoire204. Le Conseil de sécurité indique l'intention d'orienter l'action future de la Monusco strictement en fonction des développements politiques et institutionnels au cours de cette année post-électorale.

Ceci étant, on peut se poser la question du vrai projet de l'ONU en République Démocratique du Congo. En effet, dans la même résolution 2463 (2019) votée en pleine période d'effervescentes contestations, le Conseil confère un aspect transversal à la dimension politique. En cherchant à établir qu'il n'y a pas de solution purement militaire aux violences perpétrées généralement par les groupes armés, il souligne l'importance de l'implication politique de la Mission par l'évaluation constante du développement des politiques. Au regard de ce qui précède, les priorités énoncées par le Mécanisme national et régional de suivi de l'Accord-cadre pour 2019-2020 comprennent la promotion de la collaboration en matière de sécurité, et de l'intégration économique régionale, ainsi que l'accélération de la neutralisation de groupes armés. La République Démocratique peut-elle objectivement se soustraire de l'hégémonie de grandes puissances symboliquement représentées par la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo ?

En analysant l'action de la communauté internationale au type de guerre pratiquée en Afrique en génal et en RDC en particulier, Gérard Prunier dénonce l'inaction de la communauté internationale face à la violence envers les civiles. Il part de l'idée de « guerre à temps partiel » en opposition à « guerre totale ». Pour lui, en raison des contraintes financières de la guerre, celle-ci doit être privatisée par les combattants205. La privatisation de la guerre apparait dans cette perspective comme une forme de prédation. Ici la prédation économique, les trafics en tout genre et le pillage à la fois au niveau individuel comme collectif deviennent un élément essentiel du conflit parce qu'ils sont essentiels à son financement. De ce fait « les civiles sont ceux sur qui les militaires prélèvent leurs moyens de survie, la violence armée est plus souvent dirigée contre les civils (même ceux de son propre camp) que contre l'armée ennemie »206. Dans cette perspective, la question de l'hégémonie demeure dans un monde où les rapports de force conditionnent les relations entre la périphérie et le centre.

204 Moudjib Djinadou «Les aspect politiques du nouveau mandant de la Monusco », In Actualité de la Monusco, N°87, Op. Cit., p. 12.

205 Gérard Prunier, From Génocide to Continental War. The `Congolese' Conflict and the Crisis of Contemporay Africa, London, Hurst, 2009, p. 336.

206 Ibid. 337.

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CONCLUSION

L'objectif de ce travail était celui d'étudier le rôle de la Mission de l'Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo (Monusco). Mise à l'épreuve de la critique et de la contestation ces dernières années du point de vue son opérationnalisation dans la résolution des conflits et violences à l'Est du Congo, la Monusco, qui est l'une des missions la plus chère de l'ONU pour le maintien de la paix dont les débats ont basculé de la scène nationale à l'internationale. La question qui traverse ce travail et à laquelle j'ai tenté de répondre demeure celle de savoir comment la Monusco a pu construire sa légitimité malgré les contestations locales dans un environnement marqué en permanence par des conflits et violences ? En analysant les facteurs de légitimation et de reproduction des opérations de maintien de la paix au Congo, j'ai voulu construire mon argumentaire autour de trois parties essentielles.

Dans la première partie, intitulée Monusco à l'épreuve de la contestation et de la négociation, j'ai voulu comprendre comment s'est construit au cours de ces dernières années la rhétorique contestataire sur le plan local à l'égard de la Mission et le processus de légitimation de celle-ci à travers les mécanismes de négociations internationales. Le résultat de mon analyse qui est au demeurant sélective et non exhaustive retient deux formes de rhétoriques qui se développent d'une part dans le champ politique, et d'autre part dans le champ social. Dans le champ politique, l'on voit se construire des discours opposés et parfois contradictoires entre des acteurs politiques congolais sur le rôle de la Monusco, selon les positionnements politiques. Pour ceux qui cherchent à se maintenir au pouvoir par tous les moyens, parfois en bafouant la loi fondamentale (la Constitution) et les principes internationaux de la gouvernance démocratique, la Monusco est perçue comme un acteur dérangeant parce que ses dirigeants font souvent des rappels au respect des textes nationaux et internationaux qui régissent les modalités d'accès au pouvoir. Une telle rhétorique contestataire se construit autour des concepts de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays indépendant et souverain. Quant à ceux qui cherchent à accéder au pouvoir ou ceux qui ont accédé au pouvoir à travers des élections entachées de multiples irrégularités, et cherchent de la légitimité et de la reconnaissance sur le plan international, la Monusco est plutôt vue comme acteur essentiel et partenaire indispensable pour rééquilibrer les rapports des forces entre les antagonistes politiques.

La rhétorique qui est développée dans le champ social est différente de celle qu'on a vu émerger dans le champ politique. Cette deuxième forme de rhétorique, généralement basée sur

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les concepts de la passivité et de l'inefficace de la Monusco émergent au sein des mouvements de la société civile (Mouvements citoyens, Associations des droits de l'Homme, ONG, etc.). Ces discours contestataires qui sont au départ pacifique, peuvent parfois se transformer par des discours violents ou alimenter l'extrême violence à l'égard de la mission. Une telle violence est souvent constatée lors que des mobilisations et des manifestations contre la présence passive de la Monusco. La prise d'assaut des locaux de la Monusco en 2018 à Beni, les confrontations entre les casques bleus et les manifestants qui ont conduit à la mort d'un jeune homme en 2019 à l'occasion du 20ème anniversaire de la Mission, les attaques délibérées visant les soldats de la Monsuco, dont la dernière en date est survenue le 10 mai 2021 près de la ville de Beni qui a entrainé, par la suite, la mort d'un casque bleu du contingent malawite, sont autant d'exemple qui montrent comment les contestations pacifiques peuvent se transformer en contestations violentes. Toujours dans le champ social, il y a également une forme de discours qui s'est développé par les universitaires et chercheurs. Cette dernière catégorie du discours est marquée par la rationalité en se basant sur les jeux des conflits, les vraies causes de ce qu'on pourrait appeler « l'absence des actions efficaces » de la Monusco.

Dans la deuxième partie intitulée Conflits et violences comme facteur aggravant de la contestation, il était question d'étudier les enjeux des conflits à l'Est de la République Démocratique du Congo pour ainsi déceler ce qui pourrait être le rôle de la Monusco dans cet espace marqué par la « banalité du mal » pour utiliser les termes d'Hannah Arendt. Ce qui nous a permis de rentrer en immersion dans ces conflits tout en relevant les différents facteurs qui rendent le vivre ensemble improbable dans cette région de l'Afrique des Grands Lacs. Nous retiendrons dans cette partie que l'arrivée massive des réfugiés rwandais en 1994, l'exile des Tutsis au Rwanda en 1995, les deux guerres du Congo ont modifié radicalement plusieurs des éléments sur lesquels reposait la dynamique conflictuelle dans les provinces du Kivu. Le premier facteur des tensions ethniques est bien évidemment les litiges fonciers. La criminalisation de l'économie par l'implication des groupes armés dans l'exploitation de matières premiers impliquant plusieurs acteurs, notamment les multinationales et les groupes mafieux augmentent le risque de prolongation de conflits qui engendre la violence. Les enjeux des conflits à l'Est de la République Démocratique du Congo sont non seulement économiques mais aussi et surtout politiques. Ces enjeux qui intéressent aussi bien le cadre régional qu'international, sont bien au-delà du simple clivage ethnique qui est généralement mis en avant par certains médias lorsqu'il s'agit de parler des conflits à l'Est du Congo. C'est ce qui pourrait justifier la pertinence des ingérences des puissances étrangères.

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Le but de ma démonstration dans la troisième partie à travers l'analyse de concept des Droits de l'Homme était de montrer comment ceux-ci peuvent être déployés comme outil de domination dans les relations internationales. Une telle démonstration n'a pour autant pas eu pour but de donner une image négative des droits de l'Homme, mais de nuancer les politiques et les dynamiques qui, dans le discours des acteurs qui les brandissent, en relèvent. Les exemples que j'ai mobilisés permettent de mettre en perspective la façon dont ils sont mobilisés dans les discours et les actions qui les emploient. Dans le contexte de la République Démocratique du Congo où l'insécurité et les violations des droits de l'hommes ont éluent domicile, les droits de l'Homme sont devenus une sorte de label dont un ensemble d'acteurs qui se connaissent et se reconnaissent définit les contours, les sens et les utilisations justes et justifiables. Ils sont un levier qui appuient les prétentions des uns en légitimant leur représentation, au détriment de représentations des autres. Même si on peut retracer leur origine dans le contexte européen de l'après-guerre, dans les décennies qui ont suivi ce concept a été remodelé et retravaillé dans l'arène internationale.

Malgré le caractère hégémonique des droits de l'Homme dans la situation de la Monusco, il m'a semblé juste de nuancer mes propos : si d'un côté il est vrai qu'il existe un phénomène de `'porte tournante» (revoling doors) dans le monde des ONG et dans les institutions internationales comme l'ONU, signe d'une collusion entre la sphère militante et la sphère politique, comme l'affirme Nicolas Guilhot, on ne peut pas oublier tous le petits acteurs locaux, en République Démocratique du Congo et ailleurs, qui opèrent dans une logique ouvertement contestataire pour faire valoir ces droits universels auxquels les États s'inspirent mais qui ont parfois du mal à respecter. Au demeurant, les Droits de l'Homme restent encore un instrument qui peut être mobilisé pour dénoncer les contradictions des États ne respectant pas les conventions et traités internationaux.

Pour terminer, une question ancienne mais toujours nouvelle mérite d'être posée : La MONUSCO pourrait-elle objectivement se retirer du territoire congolais après ces multiples contestations ? Sans tomber dans un scepticisme radical ou dans un optimisme naïf, encore moins dans un prophétisme ridicule, il me semble prudent et rationnel de baser mon raisonnement plutôt sur les événements factuels. Au regard de ce que j'ai évoqué dans ce travail, il convient de souligner tout d'abord qu'il existe fondamentalement une divergence de fond entre ce que les peuples congolais attendent de la Monusco, et ce que celle-ci peut faire et veut faire. Dans ces interventions sur la question concernant le retrait de la Monusco, l'actuel président de la République Démocratique du Congo, toujours en quête de légitimité et de reconnaissance à l'international, à chaque fois, affirmé la nécessité d'avoir la Monusco en tant

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que partenaire sûr pour la stabilisation du Congo et proclamé le renforcement des capacités militaires de la Mission. De même, dans la société civile, les mouvements citoyens comme la Lucha ont toujours réclamé à la Monusco soit d'agir pour mettre fin à la violence, soit de partir au cas de l'inaction face aux massacres sporadiques et régulières de civiles. L'opposant Martin Fayulu et le Docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, sont quant à eux, favorables à la présence onusienne en République Démocratique du Congo, et demandent pour leur part d'ailleurs une intervention militaire dans le territoire de Beni sur le modèle des opérations européennes Artémis en 2003 dans l'Ituri. L'idée sous-jacente de cette position étant la mise en place d'une opération offensive militaire musclée qui pourrait rapidement éradiquer les groupes armés, notamment les ADF.

Inversement, plusieurs responsables de la Monusco dans leur prise de parole et quelques-uns que j'ai interrogé lors de mes entretiens informels estiment que la Monusco « n'est pas là pour faire la guerre » et que l'usage de la force ne peut être utile qu'en complément d'initiatives diplomatico-politiques. Dans son rapport intitulé « The art of the possible. Monusco's New Mandate »207, le Groupe d'étude sur le Congo recommande « la construction d'une stratégie politique viable pour la protection des civils en zone de conflit ». Dans le même temps, la revue scientifique indépendante affirme qu'aucune solution militaire ne permet de résoudre les multiples crises qui empoisonnent la République Démocratique du Congo. Dans son message du 08 avril 2021 sur la situation d'insécurité et des massacres dans l'Est de la RD Congo, intitulé « Le sang de ton frère crie vers moi du sol »208, la Conférence épiscopale du Congo, recommande également la mise en place d'opération militaire du genre « ARTEMIS » dans laquelle plusieurs acteurs y compris la Monusco peuvent ensemble, dans le sens de l'achèvement du processus de désarmement et de démobilisation. Les attentes, parfois irréalistes du peuple congolais dans son ensemble et les solutions ne s'inscrivant pas dans un temps long peuvent certainement peser sur la Mission et pourrait permettre aux parties prenantes congolaises, du moins de manière inconsciente, de perdre de vue les responsabilités qui incombent aux autorités congolaises dans le traitement de vraies causes des conflits et violences, dont beaucoup sont la résultante de déficits de gouvernance locale. Au demeurant le scénario qui me semble une énigme est celui savoir quelle serait la situation sécuritaire en

207 Congo Research Group, The Art of the Possible. MONUSCO's New Mandate, Consultation #1, March 2018. http://congoresearchgroup.org/wp-content/uploads/2018/02/The-Art-of-the-Possible-MONUSCOs-New-Mandate-23Feb18.pdf, Consulté le 7 juin 2021.

208 Vatican News, RD Congo : recommandations de la paix CENCO pour le retour de l paix dans l'Est du pays, Publié le 08 avril 2021. https://www.vaticannews.va/fr/afrique/news/2021-04/rd-congo-recommandations-de-la-cenco-pour-le-retour-de-la-paix.html, Consulté le 07 juin, 2021.

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République démocratique du Congo, si la Monusco quittait réellement et définitivement le territoire congolais ?

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98

ANNEXE :

Extrait d'entretien réalisé le 23 mars 2021 trois soldats des Forces Armées de la République Démocratique du Congo. Pour des raisons de leur sécurité, nous préférons garder l'anonymat en leur attribuant les noms de (Soldat1, Soldat 2 et Soldat 3).

« Les FDLR sont des hutus qui n'ont plus d'habilité na mboka na bango wana, baza libanda na étranger. Il y a des fois où bazo zua refuge epai na bango moko, bozo senga bango bazonga légelement. Kasi soki ba komi kuna d'une part, bazo boma bango. Bango pe baza na mouvement na bango ya makasi oyo ezali ko diriger vraiment nord ya Est makasi. Bango nde batu ba occuper terrain wana. Mais nous combattons avec eux. Il y a de fois où si nous collaborons avec eux, je te le dis parce que tu es proche de moi et je te fais confiance. Parfois nous collaborons avec eux d'une façon un peu bonne ou mauvaise. Par rapport à la question de savoir qui les appuie, je te dis qu'ils sont parfois appuyés par les députés nationaux, oyo ya ba mboka na bango wana. Pour eux, quand il y a la guerre, ils profitent de l'occasion, disant qu'à partir ya guerre ba fond eko bima, ba moyen eko bima po pouvoir eko aider côté wana, de façon que bazala un peu libre pona kosala makambo na bango. Et s'il y a de la paix, bako mona yango bien te. S'il n'y a pas la paix, bango bozo sepela que ba fondi na l'État ebimaka, entre-temps ils construisent, bazo sala ba grands hotels, ba grands appartements. Je suis un peu pressé pour aujourd'hui, mais voilà l'essentiel... »

Traduction :

« Les FDLR sont des hutus qui sont des indésirables dans leur pays et qui vivent à l'étranger (entendu la RD Congo). Il y a de fois où ils prennent refuge chez eux, parfois ils demandent un retour légal. Cependant, lorsqu'ils arrivent parfois dans leur pays (entendu le Rwanda), ils sont tués. Ils ont également leur mouvement assez puissant qui fait la loi à l'Est de la RD Congo. Ce sont eux qui occupent ce terrain au Nord-Kivu. Mais nous combattons avec eux. Il y a de fois où si nous collaborons avec eux, je te le dis parce que tu es proche de moi et je te fais confiance. Parfois nous collaborons avec eu d'une façon assez bonne ou mauvaise. Par rapport à la question de savoir ceux qui les soutiennent, je te dis qu'ils sont parfois appuyés par les députés nationaux originaire de leurs villages. Pour eux, lorsqu'il y a la guerre, ils profitent de l'occasion, disant qu'à partir de la guerre, les fonds et les moyens de la République sortiront pour pouvoir soutenir leurs actions et avoir une autonomie financière. Par conséquent, s'il y a la paix, ils ne pourront pas avoir des moyens. Lorsqu'il y a l'insécurité, ils sont dans la joie puisque les fonds de l'État sortent. Dans le même temps, ils profitent de l'occasion pour construire des hôtels, acheter des appartements. Aujourd'hui, je suis pressé, mais voilà l'essentiel... ».

99

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 4

Problématique 4

Hypothèses 7

Définitions conceptuelles 8

a. Approche sémantique de la contestation 8

b. Opposition, contestation, révolution 9

Structure du mémoire 11

Méthodologie 12

PREMIÈRE PARTIE : 14

LA MONUSCO À L'ÉPREUVE DE LA CONTESTATION ET DE LA NÉGOCIATION 14

Introduction 14

A. Contexte d'émergence De La Contestation Locale 14

1. Contestation de la Monusco par les autorités étatiques 15

2. Contestation de la Monusco par la population : Société civile, Mouvements

citoyens 26

B. LA CONTESTATION COMME MODES DE GESTION POLITIQUE EN RD

CONGO 31

1. Régime de contestation et gouvernance locale 31

2. Processus de négociation et de légitimation de la Monusco 34

Conclusion 37

DEUXIÈME PARTIE : 38

CONFLITS ET VIOLENCES COMME FACTEUR AGGRAVANT DE LA

CONTESTATION 38

Introduction 38

A. ENJEUX POLITIQUES DE CONFLITS ET DEFIS DE LA PAIX 38

1. Enjeux de conflits à l'Est de la RD Congo 39

2. Mobilisation de la violence armée dans la sécurisation des frontières 45

3. La fabrique de normes et la sécurisation foncière 46

100

B. LES ACTEURS DES CONFLITS DANS LES KIVUS 56

1. Les acteurs étatiques et non étatiques 56

2. L'ingérence des acteurs étrangers 65

3. Le cas de Minembwe comme carrefour du local, du national et du régional 73

Conclusion 74

TROISIÈME PARTIE : 75

RÔLE DE LA MONUSCO DANS LES CONFLITS DANS LES KIVU 75

Introduction 75

A. MONUSCO : UNE MISSION DE PROMOTION DES DROITS DE L'HOMME ET DE PROTECTION DES CIVILES OU DU MAINTIEN DE L'HÉGÉMONIE ? 75

1. Les droits de l'homme comme culture partagée d'un ensemble d'acteurs

dominants aux prédispositions comparables 77

2. Les droits de l'homme dans leur aspect interventionniste et `'humanitaro-

repressif » : Monusco dans les opérations de maintien de la paix 80

B. DE LA MISSION D'OBSERVATION À LA MISSION D'INTERVENTION ET

DE COOPÉRATION 82

1. Coopération FARDC-MONUSCO : Brigade intervention militaire 83

2. Appuis politique et renforcement de la démocratie 84

CONCLUSION 86

BIBLIOGRAPHIE 91

SOURCES 95

ANNEXE : 98

TABLE DES MATIÈRES 99






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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand