1
Stage effectué à Madagascar du 06/03/20 au
06/01/21 au sein de l'ADPRA Pisciculture Paysanne
Maître de stage : MAUREAUD Clémentine Tutrice
pédagogique : SALEMBIER Chloé
ISTOM
Ecole Supérieure d'Agro-Développement
International
4, rue Joseph Lakanal, 49 000 ANGERS Tél. : 02 53 61 84
60
istom@istom.fr
Traque aux innovations piscicoles paysannes dans le
district de Vatomandry à Madagascar : étude de pratiques
piscicoles alternatives aux référentiels techniques
proposés par l'APDRA
Figure 1: Photos de rizières empoissonnées
(à gauche) et d'un étang barrage (à droite)
Mémoire de fin d'études
(Hersant, 2020)
HERSANT Toan Promotion 106
2
RÉSUMÉ
Les paysans sont des acteurs incontournables de
l'innovation agricole. Ils testent, s'adaptent et s'organisent pour
répondre aux problèmes qu'ils rencontrent et saisir de nouvelles
opportunités. Etudier les innovations paysannes permet d'enrichir le
processus de Recherche et Développement agricole. Cette étude
mobilise la méthode de la « traque aux innovations » pour
identifier et caractériser des pratiques piscicoles paysannes peu
connues par l'APDRA et susceptibles d'être diffusées par la suite
à d'autres pisciculteurs. En somme, nous constatons que les
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA dans le district de Vatomandry ont
adapté les pratiques recommandées par l'ONG et ont innové,
que ce soit dans les aménagements, dans la conduite des espèces
élevées ou encore dans les échanges et
l'entraide.
Mots clés : Pisciculture, Innovation paysanne,
Système d'élevage, Traque à l'innovation,
APDRA
ABSTRACT
Farmers are key players in agriculture's innovation.
They test, adapt and organize themselves to respond to the problems they
encounter and seize new opportunities. Studying farmers' innovations enriches
the agricultural Research and Development process. This study mobilizes the
« tracking innovations » method to identify and characterize farmers
fish farming practices still barely known to APDRA and likely to be diffused to
other fish farmers. To sum up, we observe that the fish farmers accompanied by
APDRA in the district of Vatomandry have adapted the practices recommended by
the NGO and have innovated, whether in the development, in the management of
the species bred or in the exchanges and mutual aid.
Key worlds: Pisciculture, Farmer's innovation, Farming
system, Tracking innovations, APDRA
RESUMEN
Los campesinos son protagonistas de la
innovación agrícola. Prueban, se adaptan y se organizan para
responder a los problemas que encuentran y aprovechar las nuevas oportunidades.
Estudiar las innovaciones de los campesinos enriquece el proceso de
Investigación y Desarrollo agrícola. Este estudio emplea el
método de «rastreo de innovaciones» para identificar y
caracterizar las prácticas piscícolas campesinas aún pocas
conocidas por el APDRA. A lo mejor, estas prácticas se podrían
transmitir a otros campesinos. En resumen, observamos que los piscicultores
acompañados por el APDRA en el distrito de Vatomandry han adaptado las
prácticas recomendadas por la ONG y han innovado, que sea en la
gestión, en el manejo de las especies criadas o en los intercambios y la
ayuda mutual.
Palabras claves: Piscicultura, Innovación
campesina, Sistema de ganadería, Rastreo de innovaciones,
APDRA
3
Remerciements
Je tiens tout d'abord à remercier Samuel, mon
ami de toujours qui m'a parlé de l'ISTOM il y a 6 ans et avec qui je
finis en beauté sur ce grand périple à Madagascar. C'est
un grand plaisir d'avoir passé la majeure partie de ce stage à
tes côtés « au bled ». Les moments de discussion avec
toi, de la chambre de la maison de retraite d'Antsirabe aux plages d'Antseraka
et de Mangily ou encore les coups de téléphones pour parler
d'innovations et de traque quand nous étions tous les deux dans nos
zones d'études, ont été précieux et d'une grande
importance pour tenir le coup moralement. Je tiens également à
remercier ta famille et surtout ta mère (tantine Anta) qui m'a accueilli
chez vous à Toliara pendant 6 mois. Misaotra rahalahy sy misaotra longo
Gate !
Ensuite j'aimerais remercier l'ensemble des personnes
qui ont participé à la bonne réalisation de ce stage. Tout
d'abord, merci à l'APDRA et sa grande équipe, de Paris,
d'Antsirabe et surtout de Vatomandry où cette étude a
été menée. Vous m'avez tous grandement aidé entre
les dossiers administratifs, les transports, les appuis techniques et
méthodologiques ... et j'en passe ! Les différentes discussions
sur la pisciculture (et bien d'autres choses) avec Zo, JB, Samson, Julien,
Arnaud, Tojo, José, Julie, Phillipe et d'autres ont été
essentielles pour me permettre au mieux de réaliser cette étude.
Un clin d'oeil à Julien qui m'a accueilli chez lui pendant les deux mois
de terrain et avec qui j'ai beaucoup appris, misaotra zoky be ! Je tiens
également à remercier Sarah Audouin du CIRAD qui m'a
apporté des conseils méthodologiques précieux tout au long
du stage.
Mes grands remerciements vont « au poste 10 de
l'APDRA », « la vazaha gasy (même Betsimisaraka) d'Antsirabe
» : Clémentine Maureaud, maître de stage. Tu as
été super de A à Z, de ton accueil chez toi le jour de
notre arrivée aux dernières relectures de ce mémoire. Les
différents échanges que nous avons eu m'ont été
d'une grande aide pour réaliser ce travail et tu as consacré
beaucoup de temps à ces deux stages (« c'est génial comme
dirait Sam !»).
Mes grands remerciements vont également
à « la star des traques aux innovations » : Chloé
Salembier, tutrice de ce stage. Je tiens à te remercier grandement pour
ton implication dans cette étude que ce soit dans l'appui
méthodologique que tu m'as apporté, le temps que tu m'as
accordé et tes nombreux encouragements, vitaux pour garder le
moral.
Je remercie l'ISTOM (et les Istomiens) pour les cinq
ans de formation très enrichissantes, intellectuellement, et surtout
humainement. Un grand merci à Marc Oswald qui m'a aidé et soutenu
lors de la phase de rédaction du mémoire.
Je remercie également Abdoul, le traducteur de
cette étude. Tu as été très motivé et
curieux d'apprendre sur la pisciculture. J'espère un jour passer chez
toi à Manompana pour te voir et peut être observer un étang
barrage rempli de poissons !
Un grand MERCI aux différents pisciculteurs qui
m'ont accordé leur temps et avec qui j'ai beaucoup appris sur la
pisciculture et sur la vie paysanne à Madagascar.
Enfin, je remercie mes parents pour tout ! pour Tout !
pour TOUT !
« Je le sens, même si ce n'est pas dans le
sang, mon histoire est liée à la grande île. Ces 10
mois passés sur le pied gauche de Darafify
ont été à la fois un retour aux sources et
une découverte. Je m'incline, avec admiration et respect, car c'est
avec hospitalité et simplicité, qu'une fois de plus, le peuple
malagasy m'a accueilli. Orphelin de cette île, je le reste... Misaotra
zanahary, Mirary fasalamana antsika jiaby ! »
4
Table des matières
Table des illustrations 6
Liste des sigles 7
Vocabulaires et expressions « malagasy »
7
Introduction 8
Chapitre 1 : De l'essor mondial de la pisciculture
à l'APDRA, ONG actrice
du développement de la pisciculture paysanne
à Madagascar 9
1.1 La pisciculture, une des réponses à la
diminution des ressources halieutiques
mondiales 9
1.2 L'APDRA, actrice du développement de la
pisciculture à Madagascar 10
1.2.1 L'historique de l'intervention de l'APDRA à
Madagascar 10
1.2.2 L'innovation paysanne, une des clés du
développement de la pisciculture à Madagascar 11
1.2.3 La problématique de recherche de
l'étude 11
1.3 Définitions des termes piscicoles clés
utilisés dans l'étude 12
Conclusion partielle 1 12
Chapitre 2 : Méthodologie : La « traque aux
innovations » piscicoles
paysannes 13
2.1 Concepts mobilisés 13
2.1.1 L'innovation : 13
2.1.2 Le système d'élevage 13
2.2 La méthode de la traque à l'innovation
et son adaptation à l'étude 14
2.2.1 La traque à l'innovation de Salembier et
Meynard 14
2.2.2 L`adaptation de « la traque à
l'innovation » à l'étude 15
2.3 Le contexte de la zone d'étude 27
2.3.1 La région Atsinanana :
27
2.3.2 Le district de Vatomandry : 28
Conclusion partielle 2 30
Chapitre 3 : Les résultats de l'étude
31
3.1 Evolution du référentiel technique de
l'APDRA sur la Côte Est 31
3.2 Caractérisation de six innovations techniques et
organisationnelles identifiées
chez les pisciculteurs enquêtés
33
3.2.1 Des aménagements et des utilités
innovantes de l'étang barrage 33
5
3.2.2 Les échanges entre les pisciculteurs, une
source d'entraide et d'interdépendance 41
3.3 Deux innovations systémiques approfondies et une
étude sur les marchés de
vente des pisciculteurs enquêtés
47
3.3.1 Innovation systémique n°1 : La combinaison
de la pisciculture en étang barrage et en
rizière chez un même pisciculteur :
47
3.3.2 Etude de cas n°2 : Différentes
conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil 52
3.3.3 Caractéristiques des marchés de
poissons auxquels ont accès les pisciculteurs enquêtés
64
Conclusion partielle 3 70
Chapitre 4 : Discussions et recommandations
71
4.1 Limites des résultats de l'étude
71
4.2 Discussion sur les résultats obtenus :
72
4.2.1 Un panel d'innovations identifiées et
caractérisées qui restent à valider 72
4.2.2 Les évolutions des aménagements
piscicoles 73
4.2.3 La grande plasticité des systèmes
d'élevages des pisciculteurs de l'APDRA 74
4.2.4 L'intervention des ACP dans les échanges
entre les pisciculteurs 75
4.3 L'accompagnement des innovations paysannes par les ACP
à l'APDRA :
constats et pistes à approfondir 76
4.3.1 L'accompagnement actuel de l'innovation paysanne
par les ACP 76
4.3.2 Des pistes pour enrichir les outils d'accompagnement
et de diffusion des innovations
paysannes 77
Conclusion et ouverture 79
Bibliographie 80
Annexes 83
6
Table des illustrations
FIGURE 1: PHOTOS DE RIZIERES EMPOISSONNEES (A GAUCHE)
ET D'UN ETANG BARRAGE (A DROITE) 1
FIGURE 2 LA PRODUCTION HALIEUTIQUE ET AQUACOLE
MONDIALE EN 2016 9
FIGURE 3 : LES ETAPES DE LA TRAQUE A L'INNOVATION
14
FIGURE 4: LES 5 ETAPES DE LA TRAQUE A L'INNOVATION
MENEE SUR LA COTE EST DE MADAGASCAR 16
FIGURE 5: REGIONS DANS LESQUELLES ONT ETE MENEES LES
DEUX TRAQUES AUX INNOVATIONS PARMI LES
REGIONS D'INTERVENTIONS DE L'APDRA-MADAGASCAR
17 FIGURE 6 : LES 4 PHASES DE VALIDATION DES PRATIQUES
FAISANT PARTIE DU REFERENTIEL TECHNIQUE DE
L'APDRA-COTE EST 19 FIGURE 7:
L'EVOLUTION DE LA CONSTRUCTION DE L'ECHANTILLON DES PISCICULTEURS AUX
PRATIQUES
INNOVANTES 20
FIGURE 8: CARTE DE MADAGASCAR AVEC LA REGION
ATSINANANA EN ROUGE (A GAUCHE) 27
FIGURE 9 : CARTE BIOCLIMATIQUE DE MADAGASCAR (A
DROITE) 27
FIGURE 10: PRECIPITATIONS EN 2020 A TOAMASINA,
CAPITALE DE LA REGION D'ATSINANANA 28
FIGURE 11: CARTE DES ZONES D'INTERVENTIONS DE L'APDRA
DANS LA REGION ATSINANANA SUR LE PROJET
PADPP3 28 FIGURE 12: PHOTOS DES
DIFFERENTES TAILLES D'ETANGS « EN CASCADE » D'UN PISCICULTEUR ENCADRE
PAR
L'APDRA 33 FIGURE 13: CANAUX DE
DRAINAGE ET DE CIRCULATION CHEZ DEUX PISCICULTEURS ENCADRES PAR L'APDRA
:
36 FIGURE 14: PHOTOS DE DEUX SYSTEMES DE VIDANGES
EN BAMBOUS PLACES SOUS LA DIGUE AVAL DE L'ETANG
BARRAGE 39
FIGURE 15: PHOTOS D'UN SYSTEME DE VIDANGE EN TRONC DE
RAVINALA CHEZ UN PISCCIULTEUR 39
FIGURE 16: ANALYSE DES 4 EXEMPLE D'ECHANGES DE
GENITEURS DE CARPES POUR LA REPRODUCTION 44
FIGURE 17: LES DIFFERENTS PRATIQUES RETENUES POUR
DECRIRE LES SYSTEMES D'ELEVAGE DES 4
PISCICULTEURS ENQUETES 47 FIGURE
18: LES ETAPES PISCICOLES MENANT AU SEXAGE DES FINGERLINGS DE TILAPIA DANS
L'ETANG DE
SERVICE 52 FIGURE 19: LES
DIFFERENTES PRATIQUES RETENUES POUR DECRIRE LA DIVERSITE DES CONDUITES
D'ELEVAGES
DU TILAPIA PRATIQUEES PAR LES 8 PISCICULTEURS ENQUETES
55 FIGURE 20: PHOTOS PRISES SUR LE MARCHE DE TSARASAMBO DE
DIFFERENTS POISSONS PECHES EN EAU
DOUCE : PARETROPLUS POLYACTIS (A GAUCHE) / CHANNA
STRIATA (A DROITE) 67 FIGURE 21: PHOTOS DE POISSONS VENDUS
EN TAS : POISSONS D'EAU DE MER SUR LE MARCHE DE TSARASAMBO
(A GAUCHE) / TILAPIAS FRITS VENDUS AU MARCHE D'ILAKA
EST (A DROITE) 68
TABLEAU 1: NOMBRES DE PISCICULTEURS ENCADRES PAR
L'APDRA SUR LA COTE EST ET PISCICULTEURS
ENQUETES 22 TABLEAU 2: LES
PRATIQUES RETENUES POUR COMPARER LES CYCLES D'ELEVAGE DES PISCICULTEURS
DANS
LES INNOVATIONS APPROFONDIES A TRAVERS DES ETUDES DE
CAS 25
TABLEAU 3: L'UTILISATION DES DIFFERENTS ETANGS D'UN
PISCICULTEUR 34
TABLEAU 4: COMPARAISON DE LA PRATIQUE DU REFERENTIEL
TECHNIQUE ET DE LA PRATIQUE INNOVANTE N°1
35 TABLEAU 5: COMPARAISON DE LA PRATIQUE DU
REFERENTIEL TECHNIQUE ET DE LA PRATIQUE INNOVANTE N°2
36
TABLEAU 6: LES TROIS DIFFERENTS MOINES PROPOSES PAR
L'APDRA SUR LA COTE EST DE MADAGASCAR 37
TABLEAU 7: COMPARAISON DE LA PRATIQUE DU REFERENTIEL
TECHNIQUE ET DE LA PRATIQUE INNOVANTE N°3
37 TABLEAU 8: COMPARAISON DES 4 EXEMPLES
D'ECHANGES DE GENITEURS AUTOUR DE LA REPRODUCTION DE
LA CARPE 43
TABLEAU 9: TABLEAU EXPLICATIF DES GRADIENTS DES
VARIABLES DE LA FIGURE 17 44
TABLEAU 10: LES 5 TYPES DE MARCHES RENCONTRES CHEZ LES
12 PISCICULTEURS DE L'ECHANTILLON 64
TABLEAU 11: LES PRIX DE VENTE DES ALEVINS VIVANTS EN
FONCTION DE L'ESPECE ET DU POIDS 64
TABLEAU 12: LES PRIX DE VENTE DES POISSONS DESTINES A
LA CONSOMMATION EN FONCTION DE L'ESPECE ET
DU POIDS 64
7
Liste des sigles
ACP : Animateur Conseiller Piscicole
AFD : Agence Française de
Développement
AVSF : Agronome et Vétérinaires Sans
Frontières
CIRAD : Recherche Agricole pour le
Développement
DRAEP : Direction Régionale de l'Agriculture, de
l'Elevage et de la Pêche
EP : Ecloseries Paysannes
FAO : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation
et l'agriculture
FIDA : Fond Internationale de Développement
Agricole
FOFITA : Le Centre National de Recherche Appliquée
et de Développement Rural
GIZ: German Agency for International
Cooperation
GERDAL: Groupe d'Expérimentation et de Recherche :
Développement et Actions Localisées
LFL: Livestock Feed Limited
MAEP : Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et
de la Pêche
ONG : Organisation Non Gouvernemental
PADDP3 : Projet d'Appui au Développement de la
Pisciculture Paysanne-Phase 3
PADM : Projet d'Aquaculture Durable à
Madagascar
PPA : Producteurs Privés d'Alevins
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
R&D : Recherche et Développement
RSE : Responsable du Suivi Evaluation
SPA : Service de la Pêche et de
l'Aquaculture
Vocabulaire et expressions « malagasy
»
Angady : Bêche malgache, principal instrument de
travail des paysans malgaches composé d'une lame en fer et d'un manche
en bois.
Fibata : Channa striata (dit
« snakehead »)
Masovoatôka : Paretroplus
polyactis
Ravinala : Ravenala madagascariensis
Vary ririnina : Riz à cycle court (3 à 4
mois), généralement cultivé en contre saison
Vary Vato : Riz à cycle long (5 mois)
cultivé en saison des pluies
Vola malaky : Argent rapide
8
Introduction
Selon un rapport récent du FIDA (Fond
Internationale de Développement Agricole) , la prévalence de la
sous-alimentation à Madagascar est passée de 34 % en 2000
à 43% de la population en 2017 (FIDA, 2021). Selon la FAO (Organisation
des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), l'aquaculture, et en
particulier la pisciculture, ont été identifiées comme des
activités pertinentes à développer «
pour lutter contre la pauvreté et la faim à
Madagascar » et des secteurs prometteurs «
pour suivre le rythme de la demande croissante et de la pression
de la surpêche » (FAO, 2008). En effet, la pisciculture
permet d'augmenter les protéines animales disponibles pour nourrir la
population sans puiser dans les ressources halieutiques marines. En 2017, la
pisciculture d'eau douce n'a produit que 5 390 tonnes à Madagascar, soit
7 fois moins que la pêche continentale (FAO, 2019). Les potentiels de la
pisciculture d'eau douce sont néanmoins très importants sur
l'île. En effet, Madagascar dispose d'environ « 150 000 ha de lacs
et de zones lacustres et 200 000 ha de rizières irriguées
adaptées à la pisciculture, dont moins de 20 % sont
exploités » (Andria-Mananjara et al., 2018). De plus, il existe, au
moins sur la Côte Est de l'île, un grand nombre de bassins versants
et de bas-fonds peu valorisés et adaptés à la
pisciculture, notamment en étang barrage (APDRA, 2017a).
« L'APDRA-pisciculture paysanne » est une
association à but non lucratif reconnue d'intérêt
général fondée en 1996 en France. Elle intervient dans le
développement de la pisciculture paysanne dans les pays du Sud.
Après être intervenue 10 ans en Côte d'Ivoire et en
Guinée, l'APDRA s'est étendue dans d'autres pays comme le
Cameroun ou encore Madagascar depuis 2006.
Les agriculteurs s'adaptent en permanence aux
événements structurels et conjoncturels qui modifient leurs
exploitations agricoles, et plus généralement, leurs
environnements biophysiques, socio-économiques et politiques. Pour
s'adapter, mais aussi pour saisir de nouvelles opportunités et
construire leurs projets, ils innovent à différentes
échelles, de leurs systèmes de culture ou d'élevage
jusqu'à leurs systèmes d'activité. Ces pratiques
innovantes peuvent être d'ordres technique, organisationnel ou encore
institutionnel (Goulet et al., 2008). Etudier les innovations paysannes est une
des voies empruntées pour alimenter le processus de Recherche et de
Développement (R&D) agricole (Dugué et al.,
2006).
Ce mémoire a pour objet l'étude de
pratiques piscicoles peu connues voir inconnues par l'APDRA, majoritairement
chez les pisciculteurs qu'elle accompagne. L'objectif est d'enrichir le
référentiel piscicole1 de l'ONG (Organisation Non
Gouvernemental) afin qu'elle puisse par la suite accompagner le
développement de nouvelles pratiques piscicoles. L'étude traite
une série d'innovations piscicoles rencontrées dans le district
de Vatomandry, sur la Côte Est de Madagascar.
Nous aborderons dans un premier temps des
éléments de contexte sur la pisciculture dans le monde (en
particulier à Madagascar) et sur l'intérêt, pour l'APDRA,
d'étudier les pratiques piscicoles paysannes. Ensuite, nous
définirons la méthodologie adoptée, son adaptation
à l'étude et nous mentionnerons quelques éléments
pour présenter la zone étudiée. Puis, nous
présenterons les résultats de ce travail, à savoir, une
série de pratiques innovantes identifiées et analysées
chez les pisciculteurs enquêtés. Enfin, nous discuterons des
résultats obtenus et nous verrons comment ils peuvent alimenter le
référentiel piscicole de l'APDRA. Nous proposerons
également des pistes pour que l'APDRA continue à accompagner les
paysans dans les innovations qu'ils mettent en oeuvre.
1 Le référentiel piscicole de l'APDRA
regroupe l'ensemble des conseils (principalement techniques) apportés
par l'ONG aux pisciculteurs qu'elle encadre.
9
Chapitre 1 : De l'essor mondial de la pisciculture
à l'APDRA, ONG actrice du développement de la pisciculture
paysanne à Madagascar
1.1 La pisciculture, une des réponses à la
diminution des ressources halieutiques mondiales
L'aquaculture représente l'ensemble des
activités qui concernent aussi bien l'élevage des animaux
aquatiques que la culture des végétaux vivant dans l'eau
(Audebert et al., 2008). L'aquaculture produisait en 2016 presque la même
quantité de ressources halieutiques que celles prélevées
dans les milieux naturels, hors plantes aquatiques (voir Figure 3). En effet,
depuis les années 80, la production de la pêche de capture est
relativement stable et c'est l'aquaculture qui a permis de continuer à
augmenter la production halieutique mondiale, qui atteignait en 2016, plus de
171 millions de tonnes, dont 47% était produit par l'aquaculture (FAO,
2018).
Figure 3 La production halieutique et aquacole mondiale en
2016
Source : (FAO, 2018)
La pisciculture est une branche de l'aquaculture.
C'est l'ensemble des procédés et des pratiques ayant pour objet
la reproduction et l'élevage de poissons. Sur les 80 millions de tonnes
produites dans le monde par l'aquaculture en 2016, 54 millions venaient de la
pisciculture et principalement de la pisciculture en eau douce (47,5 millions
de tonnes). La Chine produisait à elle seule plus de poissons
d'élevage destinés à la consommation que tous les autres
pays du monde réunis. Il est intéressant de noter que l'Afrique,
malgré une production aquacole mondiale encore très faible (2
millions de tonnes), est le seul continent qui a observé une croissance
à deux chiffres de sa production aquacole annuelle moyenne entre 2001 et
2016 contre une croissance à un chiffre pour les autres continents (FAO,
2018).
Les différents systèmes de production
piscicole sont généralement caractérisés par leur
degré d'intensification, lui-même souvent défini selon les
pratiques d'alimentations. On peut différencier trois grands types de
pisciculture (Lazard et al., 2002) :
· La pisciculture extensive, se base sur la
productivité naturelle de l'environnement pour nourrir les poissons.
L'apport d'intrant est faible voire inexistant.
·
10
La pisciculture semi intensive utilise une
fertilisation ou une alimentation complémentaire. On peut citer
l'exemple des associations volailles-poissons ou porcs-poissons dans lesquels
les fientes de volailles et de porcs servent à augmenter la
biodiversité de l'étang, et donc in fine, l'alimentation des
poissons (phyto planctons, zoo planctons, ...)
· La pisciculture intensive et super
intensive dans laquelle les besoins nutritionnels des poissons sont satisfaits
par l'apport exogène d'aliments complets riches en protéines. On
peut citer les élevages en cages ou en enclos. Dans ces cas, l'aliment
exogène représente en général plus de 50% du
coût total de production.
1.2 L'APDRA, actrice du développement de la
pisciculture à Madagascar
1.2.1 L'historique de l'intervention de l'APDRA
à Madagascar
L'intégration de la pisciculture à
l'agriculture à Madagascar remonterait au règne
d'Andrianampoinimerina à la fin du XVIIIème siècle (Bentz
& Oswald, 2010). Par la suite, des espèces ont été
introduites sur la grande île comme la carpe miroir
(Cyprinus carpio) en 1912 (Kiener & Therezien,
1958) ou encore le tilapia du Nil (Oreochromis
niloticus) en 1956 (Kiener, 1963). A partir de 1985, l'Etat a
décidé de relancer la filière dans un objectif
d'autosuffisance alimentaire et d'augmentation de la disponibilité en
protéines avec l'appui du PNUD (Programme des Nations Unies pour le
Développement) et de la FAO. Entre 1985 et 1989, plusieurs projets de
vulgarisation du grossissement de la carpe en rizières se sont
succédés (Oswald et al., 2016). La FAO a promu la mise en place
de Producteurs Privés d'Alevins (PPA) pour remplacer les stations
piscicoles étatiques dans le but de fournir les pisciculteurs en alevins
de carpe.
En 2004, L'APDRA a constaté que des paysans
maîtrisaient la reproduction de carpe dans la zone de Betafo dans la
région du Vakinankaratra à Madagascar. Ces pisciculteurs
produisaient des alevins de carpes dans des rizières ou des tout petits
étangs sans l'apport d'intrants, contrairement aux PPA. Cela permettait
d'assurer l'autonomie de chacun pour son approvisionnement en alevins de carpe
(Oswald et al., 2016). L'APDRA s'est alors inspirée de ces pratiques
innovantes observées, qu'on appelle les Ecloseries Paysannes (EP), pour
concevoir un référentiel technique qu'elle a ensuite promu et
diffusé auprès d'autres paysans malgaches à partir de
2007.
L'APDRA intervient aujourd'hui dans 5 régions
de Madagascar et propose deux référentiels techniques (qui font
partie du référentiel piscicole de l'ONG). Sur 4 régions
des Hautes Terres de la grande île, elle propose la rizipisciculture et
sur la région de la Côte Est, elle propose la pisciculture en
étang barrage et la rizipisciculture. Elle intervient aujourd'hui
à travers deux projets sur la grande île : la composante A du
Projet d'Aquaculture Durable à Madagascar (PADM) financé par la
GIZ (German Agency for International Cooperation) et le Projet d'Appui au
Développement de la Pisciculture Paysanne-Phase 3 (PADPP3)
financé principalement par l'Agence Française de
Développement (AFD). Les objectifs principaux de l'APDRA à
travers ces deux projets sont d'augmenter et de diversifier les ressources des
exploitations familiales, de renforcer la sécurité alimentaire et
d'appuyer les organisations professionnelles représentatives du monde
rural. Pour cela, elle travaille en partenariat avec des organismes de
recherche (CIRAD, FOFIFA), avec le Ministère de l'Agriculture, de
l'Elevage et de la Pêche (MAEP) et avec des groupes de paysans
pisciculteurs dans le but de proposer des pistes de développement de la
pisciculture paysanne à Madagascar. L'APDRA dispose d'un panorama
d'outils pour produire des références et enrichir ses conseils.
L'innovation paysanne, encore peu valorisée, est un des outils que
l'APDRA souhaite développer pour enrichir sa compréhension de la
pisciculture paysanne à Madagascar.
11
1.2.2 L'innovation paysanne, une des clés du
développement de la pisciculture à Madagascar
Différents travaux ont montré que
l'innovation paysanne peut enrichir la Recherche et le Développement
(R&D). L'exemple de l'étude de l'usage des légumineuses en
culture pluviale dans le Moyen-Ouest de Madagascar portée par le CIRAD
en 2017 a permis d'étudier les pratiques innovantes
développées par les agriculteurs et de mieux comprendre les
freins à l'adoption de pratiques agroécologiques proposées
par les organismes de développement, tant du point de vue technique que
cognitif (Audouin et al., 2017). Cette étude mobilise plusieurs outils,
dont la « traque à l'innovation » pour identifier et
décrire les pratiques des agriculteurs. L'étude des Ecloserie
Paysannes observées dans la zone de Betafo en 2004 par l'APDRA est
également un exemple probant qui montre l'intérêt
d'étudier les pratiques des agriculteurs. Celles-ci ont permis à
l'APDRA de s'inspirer et de construire un référentiel technique
qu'elle propose jusqu'à aujourd'hui aux pisciculteurs qu'elle accompagne
à Madagascar.
1.2.3 La problématique de recherche de
l'étude
L'APDRA cherche à enrichir ses connaissances
sur la pisciculture paysanne en étudiant les pratiques des
pisciculteurs. Ainsi, elle pourra ensuite diffuser les pratiques piscicoles
paysannes qu'elle juge pertinentes et adaptées aux contextes
socioéconomiques des pisciculteurs et des piscicultrices qu'elle
accompagne. Pour cela, l'APDRA met en place depuis quelques années des
méthodes d'accompagnements de l'innovation piscicole en milieu paysan
comme la recherche-action ou encore la recherche coactive de solution. En 2020,
l'APDRA a souhaité définir un cadre méthodologique pour
identifier des pratiques piscicoles innovantes et, par la suite, valider et
stimuler le développement de celles qui paraissent les plus pertinentes.
Pour cela, elle a commandité à deux stagiaires, une étude
externe sur les innovations piscicoles paysannes présentes dans ses
zones d'interventions à Madagascar. Le deuxième stagiaire a
travaillé sur les régions d'interventions des Hautes Terres de
l'île et la présente étude a été menée
sur la Côte Est de Madagascar, en particulier dans le district de
Vatomandry.
Cela nous amène à notre
problématique de recherche : Quelles sont les pratiques piscicoles
innovantes qui pourraient enrichir le référentiel piscicole de
l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ?
Nous déclinons cette problématique en
plusieurs sous-questions :
- Quelles sont les référentiels techniques
proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ? - Quelles
sont les pratiques piscicoles paysannes différentes du
référentiel piscicole par l'APDRA sur la Côte Est de
Madagascar ?
- Comment les pisciculteurs et les piscicultrices
encadrés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ont-ils
adopté et adapté les conseils proposés par l'ONG
?
- Quelles sont les pratiques piscicoles paysannes
susceptibles d'enrichir les connaissances de l'ONG et les
référentiels techniques qu'elle propose ?
Nous partons de l'hypothèse qu'il existe une
diversité de pratiques piscicoles innovantes (pour l'APDRA) dans les 5
zones d'interventions de l'ONG à Madagascar. La compréhension de
ces pratiques permettra d'enrichir le référentiel de l'ONG et
pourra alimenter le processus de Recherche et Développement (R&D) en
pisciculture à Madagascar.
12
1.3 Définitions des termes piscicoles clés
utilisés dans l'étude
Nous définissons ici les termes piscicoles les
plus utilisés afin de clarifier leurs compréhensions dans
l'ensemble de l'étude.
Grossissement : Action de faire grossir un lot
de poissons dans le but de les vendre, les donner, les autoconsommer ou encore
les garder pour en faire un lot de géniteurs.
Pré grossissement : Action de faire
pré grossir un lot d'alevins jusqu'à une certaine taille pour
ensuite les vendre (vente d'alevins) ou les faire grossir
(généralement dans un autre espace). Pour le tilapia, on parle de
pré grossissement jusqu'à la taille fingerlings (poissons d'une
vingtaine de grammes), taille à laquelle le sexe du tilapia est
facilement reconnaissable.
Etang barrage : Construction d'une digue pour
bloquer le lit du cours d'eau d'un bas-fond ou retenir les eaux de pluies et
ainsi créer une réserve d'eau propice à la pisciculture
appelée « étang barrage ». Cet étang est
équipé d'un système de vidange (l'APDRA propose le moine)
et d'un trop plein pour évacuer l'eau. La profondeur de l'étang
fait généralement plus d'1,5 mètre (voir annexe
2).
Rizière : Lieu de culture du riz, la
rizière est un champ arable entouré de diguette dans lesquelles
de l'eau peut être maintenue permettant ainsi l'élevage de poisson
dans le même temps que la culture du riz (voir Figure 1).
Trou vidangeable : Trou creusé et rempli
d'eau destiné à l'élevage de poisson et
équipé d'un système d'alimentation en eau et d'un
système de vidange (pour renouveler l'eau et la vider). Ces trous sont
souvent de petite surface (< 1 are) mais ils peuvent atteindre 2 à 3
ares au maximum.
Etang de service : Espace destiné
à la reproduction de géniteurs pour produire des alevins et au
pré grossissement des alevins (voir annexe 2). Dans cette étude,
un étang de service pourra être un trou vidangeable, une
rizière mais également un étang barrage selon la fonction
donné par le pisciculteur.
Un groupement de pisciculteurs accompagné
par l'APDRA : Des pisciculteurs de plusieurs villages ou hameaux habitant
tous dans un rayon de 5 km les uns des autres (pour pouvoir se regrouper
facilement à pied). Ils constituent un groupe de pisciculteurs
accompagnés par l'APDRA et souvent effectuant plusieurs tâches
piscicoles ensemble (construction des étangs barrages, entraide lors des
pêches, échanges, organisation collective de travail).
Conclusion partielle 1
L'aquaculture, et en particulier la pisciculture, sont
des secteurs prometteurs pour lutter contre la pauvreté et
l'insécurité alimentaire à Madagascar. La pisciculture
extensive, développée notamment par l'APDRA, permet à la
petite paysannerie malgache d'améliorer sa sécurité
alimentaire et ses revenus. Les pratiques piscicoles alternatives aux
recommandations de l'APDRA sont intéressantes à étudier
pour enrichir les connaissances de l'ONG en pisciculture à Madagascar et
plus largement le processus de Recherche et Développement piscicole
à Madagascar.
13
Chapitre 2 : Méthodologie : La « traque aux
innovations » piscicoles paysannes
2.1 Concepts mobilisés
Notre étude prendra appui sur deux principaux
concepts : l'innovation et le système d'élevage. Nous utiliserons
ces concepts pour analyser les innovations piscicoles paysannes.
2.1.1 L'innovation :
Le concept de système d'innovation attribue la
réussite d'une innovation « à l'existence
d'institutions et de réseaux grâce auxquels les chercheurs et les
entrepreneurs des secteurs public et privé ont collaboré, appris
les uns des autres, partagé des ressources et agi pour faire face aux
mutations des conditions économiques et techniques »
(Faure et al., 2018).
On parle de système d'innovation agricole pour
montrer la diversité des acteurs qui y contribuent (Touzard et al.,
2014). Il existe une grande diversité de processus d'innovation en
agriculture. Certains sont initiés par la recherche dans une
démarche de transfert de technologie. D'autres sont « co-construits
» par un ensemble d'acteurs et on retrouve à l'opposé «
les innovation ouvertes » ou « collaboratives » dans laquelle la
recherche n'est pas forcément présente (Faure et al., 2018). Les
changements techniques opérés par un paysan peuvent être le
début d'un processus « d'innovation ouverte »
intéressant à étudier.
L'innovation a une dimension sociale très
forte. Bien plus que la simple introduction d'une nouveauté dans un
système socio-économique, l'innovation est un processus qui
résulte d'interactions entre de nombreux acteurs, intervenant dans un
contexte donné et exprimant une intention de changement (Faure et al.,
2018). Chauveau (1999) va plus loin en disant que « la
dimension technique de l'innovation n'est qu'une des dimensions parmi tant
d'autres. Lorsqu'une innovation produite est considérée comme
point de départ, elle ne peut pas être isolée ni de sa
composante économique, ni de ses composantes organisationnelles,
institutionnelles, sociale voire politique et identitaire ».
(Chauveau, 1999).
Enfin, l'innovation n'est pas figée dans le
temps, elle évolue constamment en fonction du contexte et des acteurs
qui la mobilisent. En effet, un paysan peut avoir adopté depuis des
années une pratique que son voisin jugera innovante pour lui. Cette
notion amène à l'idée d'inconnue, de nouveauté,
désirable pour d'autres paysans.
Dans cette étude, nous définirons
l'innovation comme un changement de pratique (de nature technique ou
organisationnelle), initiée par un paysan ou un groupe de paysans. Nous
parlerons d'innovation paysanne comme d'un processus porté par les
paysans qui peut être influencé par des agents extérieurs
(les chercheurs et les vulgarisateurs) ou des facteurs exogènes (le
marché, les politiques agricoles, l'évolution du climat, etc.).
C'est le paysan qui fait passer « l'invention », qui peut être
proposée par les chercheurs ou les agents de développement, au
statut « d'innovation », totalement incorporée par le paysan
(Dugué et al., 2006).
2.1.2 Le système d'élevage
Le système d'élevage est défini
comme « un ensemble d'éléments en interaction dynamique,
organisé par l'homme en fonction de ses objectifs, pour faire produire
(lait, viande, cuirs et peaux, travail, fumure...) et se reproduire un
collectif d'animaux domestiques en valorisant et renouvelant différentes
ressources » (Landais et al., 1987).
14
La littérature sur ce concept souligne deux
points. D'une part, tous les éleveurs ne conduisent pas leur troupeau
à l'identique et n'obtiennent pas le même niveau de performances.
Partant du constat que « les éleveurs ont des raisons de faire ce
qu'ils font » (Osty, 1978), la diversité des conduites et des
performances s'explique en partie par la diversité de ce qu'attendent
les éleveurs de leur activité. D'autre part, quand la
disponibilité de ressources alimentaires conserve un caractère
incertain, les éleveurs visent à combiner objectifs de production
et résistance aux aléas (Dedieu et al., 2008).
Landais et al. (1987 ; 1994) insistent sur la
nécessité de comprendre le fonctionnement du troupeau. Il faut
prendre en compte « l'ensemble des animaux
élevés à l'échelle de l'exploitation,
répartis en lots - sous-unités fonctionnelles avec des objectifs
variés au fil des saisons et qui peuvent être élevés
sur des sites différents - en vue d'un objectif global unifié
» (Oswald et al., 2016).
Les différents articles cités
s'accordent sur l'importance de prendre en compte les pratiques à la
base de la gestion des élevages, et donc des cycles d'élevages,
piscicoles dans notre cas, mis en place par le pisciculteur. De plus, il est
important de comprendre la représentation qu'a le pisciculteur de ses
pratiques et leurs évolutions temporelles. En effet, «
les pratiques sont souvent liées, interdépendantes
et l'identification de « systèmes de pratiques »,
c'est-à-dire les liens rationnels et fonctionnels entre elles,
s'avèrent souvent plus précieux que leurs simples descriptions
» (Oswald et al., 2016). L'ensemble des auteurs cités
conseillent d'adopter une vision systémique et temporelle pour traiter
de la notion de système d'élevage.
2.2 La méthode de la traque à l'innovation et
son adaptation à l'étude
2.2.1 La traque à l'innovation de Salembier et
Meynard
Il existe dans la littérature plusieurs
méthodes qui ont pour objectif d'étudier les pratiques des
agriculteurs (Doré et al., 2008). L'une d'entre elle est la «
traque à l'innovation ». Elle vise à étudier des
pratiques paysannes dites « hors normes », c'est-à-dire
éloignées du modèle agricole dominant d'une zone
donnée ou éloignées d'un modèle défini par
un groupe d'acteurs (Salembier & Meynard, 2013). Cette méthode se
divise en 5 étapes et a pour but de générer des contenus
agronomiques et/ou zootechniques potentiellement diffusables par la suite (voir
Figure 4).
Partant du constat que les agriculteurs innovent
d'eux-mêmes, étudier ces pratiques « hors normes » peut
permettre de mettre en lumière des systèmes agricoles alternatifs
et ainsi, renouveler et enrichir les démarches et projets de R&D. En
effet, comme le montre Salembier (2019), ces pratiques singulières
peuvent être des ressources pour d'autres agriculteurs (ex. sources
d'inspiration) et des moteurs de la R&D (ex. pour enrichir/renouveler le
conseil).
Définir un projet de traque
aux innovations
Repérer des innovations chez
des agriculteur.rice.s
Prendre connaissance, découvrir
les innovations
Analyser ces innovations
Générer des contenus agronomiques
/ enseignements
Figure 4 : Les étapes de la traque à
l'innovation Source : (Salembier, 2019)
15
2.2.2 L`adaptation de « la traque à
l'innovation » à l'étude
a) Définition d'une innovation dans notre
étude
La traque à l'innovation est une
méthode qui a été initialement utilisée pour
caractériser des systèmes de culture « hors normes »
comme c'est le cas de l'étude de Chloé Salembier dans la Pampa en
Argentine (Salembier & Meynard, 2013).
Notre étude a pour objectif principal
d'enrichir la compréhension de l'APDRA sur les pratiques piscicoles peu
connues dans ses zones d'interventions. Nous étudions alors les
pratiques piscicoles « hors normes » par rapport aux conseils
proposés par l'ONG. Nous considérons une innovation comme
étant une pratique piscicole paysanne différente de ce que
recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour
d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Cette définition
peut restreindre la traque menée. En effet, les pratiques
apportées par l'ONG peuvent être des innovations du point de vue
du pisciculteur s'il les intègre durablement dans son exploitation. Ces
pratiques innovantes peuvent alors modifier d'autres éléments du
système d'élevage de l'exploitation qui seront potentiellement
considérées comme des innovations paysannes dans notre
étude. De plus, un deuxième point de la définition porte
sur le caractère diffusable pour l'APDRA de la pratique innovante
étudiée. La demande de l'APDRA est d'étudier des pratiques
innovantes qui s'intègrent dans les modèles de pisciculture
qu'elle propose. Nous gardons cependant une certaine liberté car des
pratiques jugées à première vue trop
éloignées du référentiel de l'ONG pourraient tout
de même l'intéresser.
b) Une étude impactée par la crise
sanitaire du COVID 19
A cause de la pandémie mondiale du COVID 19 qui
a également frappé Madagascar, l'APDRA a décidé de
réduire ses activités et de limiter au maximum ses
déplacements sur le terrain. Les deux stages, initialement prévus
de mars à septembre 2020, se sont divisés en deux
phases.
Une première phase de télétravail
a eu lieu de mars à mai 2020 (3 mois au lieu de 1 mois prévu
initialement) en dehors de la zone d'étude et donc
déconnectée des réalités du terrain. Nous avons
dressé, en équipe avec le deuxième stagiaire, un
état de l'art sur l'innovation paysanne et travaillé sur la
méthodologie de la traque à l'innovation et son adaptation
à nos deux études. De plus, j'ai mis à jour une
première version du référentiel technique de l'APDRA sur
la Côte Est, réalisé des guides d'entretiens (guide
équipe technique de l'APDRA, guide du 1er entretien avec les
pisciculteurs) et mené les premiers entretiens
téléphoniques avec les membres des équipes techniques de
l'APDRA-Côte Est pour identifier et pré caractériser des
pratiques paysannes innovantes.
Le stage a ensuite été mis en pause et
un autre stage de 2 mois a été réalisé avec une
entreprise qui propose un modèle d'algoculture villageoise dans le
Sud-Ouest de Madagascar. Cela a marqué une coupure et une certaine
déconnexion avec l'étude mais également une prise de recul
et l'acquisition de nouvelles expériences.
Une deuxième phase, sur le terrain, a eu lieu
d'octobre à décembre 2020. Lors de cette phase, les mesures de
restrictions prises par l'ONG ont été assouplies, ce qui a permis
une bonne réalisation de l'étude. Cependant, l'APDRA nous a
fortement conseillé de rencontrer uniquement des pisciculteurs
encadrés par l'ONG en présence d'un Animateur Conseiller
Piscicole (ACP), au moins lors de la première visite ; de même
l'hébergement chez les pisciculteurs était interdit. De plus, la
phase de terrain a été réduite, initialement d'une
durée de trois mois et demi, elle est passée à deux mois.
Les préparations logistiques, le choix et la formation du traducteur,
les phases de capitalisation et de restitution et un arrêt maladie ont
diminué le temps d'enquête auprès des pisciculteurs qu'on
estime finalement autour d'un mois. Ce temps est relativement court pour mener
à bien notre étude.
Définir un projet de traque aux innovations
Repérer des pratiques innovantes
c) Les 5 étapes de la « traque à
l'innovation » menée sur la Côte Est de Madagascar
Les 5 étapes de la traque à l'innovation
(voir Figure 4) ont été adaptées en fonction du contexte
du stage (voir Figure 5). La dernière phase de test et de validation des
innovations ne relève pas du stagiaire et sera du ressort de
l'APDRA.
· Mise à jour du référentiel piscicole
de l'APDRA-Côte Est pour définir les pratiques piscicoles
jugées "normales": la polyculture en étang barrage ou en
rizière
· Les innovations à "traquer" seront les
pratiques alternatives à celles du
référentiel piscicole
|
|
· Identification de pratiques piscicoles
innovantes et de pisciculteurs innovateurs en enquêtant les
équipes techniques de l'APDRA, les pisciculteurs (échantillonnage
par méthode « boule de neige ») et
les Services de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) de
Vatomandry.
|
|
·
Test et validation (APDRA)
1ère phase terrrain:
Caractérisation d'une trentaine d'innovations
identifiées --> Restitutions aux équipes APDRA / Discussions
des résultats / Choix de 2 innovations à approfondir
· 2ème phase terrain:
Caractérisation de deux innovations systémiques
(à travers 12 études de cas) --> Restitutions aux
équipes APDRA / Discussions des résultats
·
Caractérisation des pratiques innovantes
Analyse comparée des pratiques innovantes
rencontrées et des pratiques recommandées pa l'APDRA
· Analyse transversale des pratiques
innovantes identifiées chez plusieurs pisciculteurs
·
Analyse des pratiques innovantes
Analyse zootechnique et analyse des
trajectoires des deux innovations systémiques
approfondies
· Analyse des marchés de vente
auquelles ont accès les 12 pisciculteurs étudiés
en études de cas
· Formulation de protocoles tests pour
certaines innovations (Recherche-action, CIRAD)
· Validation des innovations par expériences
validées ou par le processus d'appropriation sociale
de l'innovation (nombre important de pisciculteurs ayant
adoptés l'innovation)
· Diffusion via différents canaux (foire aux
innovations, échanges entre les pisciculteurs, conseils
techniques,...)
|
16
Figure 5: Les 5 étapes de la traque à
l'innovation menée sur la Côte Est de Madagascar
1ère étape : Formuler un projet de
traque aux innovations
A/ Le projet de traque a été mené
sur les régions d'interventions de l'APDRA à Madagascar pour
permettre à l'ONG d'enrichir sa compréhension des pratiques
piscicoles innovantes dans les zones où elle intervient. La
répartition des deux stagiaires s'est faite entre la zone des Hautes
Terres de l'île (4 régions), où l'ONG propose
l'élevage mono spécifique de carpe en rizière et la zone
Est du pays (1 région) où l'élevage plurispécifique
en étang barrage et en rizière sont proposés. L'autre
stagiaire a mené une traque dans 3 des 4 régions des Hautes
Terres et notre étude, présentée ici, se concentre sur la
région de la Côte Est, Atsinanana (voir Figure 6).
17
Figure 6: Régions dans lesquelles ont
été menées les deux traques aux innovations parmi les
régions d'intervention de l'APDRA-Madagascar
B/ Dans cette étude, le
référentiel technique est considéré comme
l'ensemble des conseils techniques apportés par les équipes de
l'APDRA-Côte Est aux pisciculteurs, en termes d'aménagements et de
conduites piscicoles. Définir ce référentiel nous permet
de caractériser les pratiques piscicoles considérées comme
« normales » pour l'APDRA, pour, par la suite, identifier les
pratiques « hors normes » des pisciculteurs enquêtés.
Les principaux acteurs de la transmission des conseils techniques de l'APDRA
aux pisciculteurs sont les Animateurs Conseillers Piscicoles (ACP).
Encadré n°1 : Le rôle de
l'Animateur Conseiller Piscicole à l'APDRA
L'ACP «est à la fois technicien, animateur et
catalyseur du développement de l'activité piscicole »
(Halftermeyer, 2008).
Missions : Sensibilisation des candidats à
la pisciculture, réalisation d'études topographiques, conception
d'aménagements piscicoles, formation des pisciculteurs à la
construction des ouvrages et aux techniques piscicoles, appui à
l'organisation des groupes locaux de pisciculteurs, médiation lors
d'éventuels conflits. (Halftermeyer, 2008)
Outils : Référentiels techniques de
l'APDRA / Méthode de recherche co-active de solution / Tests et
expérimentations avec les pisciculteurs /Formations et appuis du
pôle de Recherche-action de l'APDRA et des partenaires (CIRAD,
DRAEP).
Conditions : Travail sur le terrain 4 à 5
jours par semaine / hébergement chez les pisciculteurs.
« L'ACP doit
tout mettre en oeuvre pour le développement de
la pisciculture paysanne dans le territoire, il faut être polyvalent
à ce poste » (dires du Responsable de la Composante
Côte Est du PADPP3, Zo Andrianarinirina, 2020).
18
L'APDRA-Côte Est ne possède pas de
document actualisé que l'on puisse considérer comme le
référentiel technique actuel. Une démarche
itérative a alors été adoptée pour élaborer
ce référentiel articulant successivement :
1/ L'étude des documents capitalisés par
l'APDRA, principalement sur la Côte Est de Madagascar. 2/ La modification
du référentiel en fonction des différents conseils
techniques apportés par les équipes sur le terrain.
1/ Tout d'abord, une première version du
référentiel technique a été élaborée
en amont de la phase terrain. Celle-ci décrit les deux modèles de
pisciculture proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar,
à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture.
La pisciculture en étang barrage
proposée par l'APDRA sur la Côte Est a été
inspirée du référentiel technique développé
par l'ONG en Guinée Forestière. Nous avons utilisé
différents documents techniques capitalisés par l'APDRA en
Guinée et sur la Côte Est de Madagascar. Plusieurs documents, dont
le rapport de capitalisation PPMCE-SA (Projet Piscicole Côte Est de
Madagascar - Sécurité Alimentaire - 2012-2017) écrit en
2017 font part d'adaptations faites sur la Côte Est de Madagascar du
référentiel de Guinée Forestière. De plus, le
Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 a apporté d'autres
éléments sur les pratiques techniques conseillées par ses
équipes aux pisciculteurs. Les informations obtenues ont
été recoupées et triangulées entre elles en
essayant au maximum de prendre en compte les spécificités de la
zone d'étude et les adaptations du système étang barrage
sur la Côte Est de Madagascar.
La rizipisciculture proposée par l'APDRA sur la
Côte Est est inspirée du modèle développé par
l'ONG sur les Hautes Terres de la grande île. Aucun document n'a
été trouvé sur l'adaptation de ce modèle sur la
Côte Est. Nous nous sommes donc basés sur les informations
disponibles sur les Hautes Terres. Celles-ci ont été
réunies sous forme d'un référentiel technique par le
deuxième stagiaire (S. Gate). Il s'est basé sur les documents
capitalisés par l'APDRA sur les Hautes Terres, à savoir
principalement les rapports de capitalisation de projets, les fiches techniques
et les LVRP2*.
2/ Ensuite, lors du début de la phase terrain,
nous avons passé quelques jours à accompagner les ACP dans leurs
visites chez les pisciculteurs. Les premières discussions avec les ACP
et les pisciculteurs ont révélé l'existence d'un gap
important entre les informations présentes dans la première
version du référentiel technique élaborée et les
conseils techniques réellement donnés par les équipes sur
le terrain. De plus, il existe des divergences de discours entre les
équipes techniques de la Côte Est sur les conseils à
recommander aux pisciculteurs. On peut penser que chacun à une vision
partielle de ce que l'on pourrait appeler « le référentiel
technique de l'APDRA Côte Est ».
Comment composer un référentiel unique
qui nous servira de base de comparaison si le référentiel
lui-même n'est que partiellement connu de tous ? Rappelons que ce stage a
pour objectif de capitaliser des pratiques piscicoles encore inconnues par tous
les membres de l'APDRA, à savoir, les salariés de l'APDRA dans
les autres régions de Madagascar mais aussi dans les autres pays. Un
choix a été fait de considérer comme faisant partie du
référentiel technique toutes les pratiques que le Responsable
de la Composante Côte Est du PADPP3, qui dirige les équipes de
l'APDRA sur la Côte Est, valide comme faisant partie des conseils
techniques à recommander aux pisciculteurs sur le terrain.
2 *LVRP : La Voix des Rizipisciculteurs
est un journal trimestriel produit par l'APDRA portant sur différentes
thématiques piscicoles et principalement destiné aux
pisciculteurs.
Le Responsable de la Composante Côte Est du
PADPP3 est en quelque sorte le lien entre l'équipe de coordination
nationale et l'équipe technique de la Côte Est. C'est lui qui d'un
côté rédige les rapports de capitalisation et de l'autre
travaille au quotidien avec les ACP.
Une méthode de validation en 4 phases des
conseils techniques faisant partie du référentiel technique a
été mise au point :
Phase 1 : Identification
des conseils techniques recommandés par l'APDRA dans
ses documents capitalisés (1ère version du
référentiel : phase pré terrain)
Phase 2 : Identification de conseils
techniques différents de la 1ère version du
référentiel : - Discussions informelles avec les ACP -
Discussions informelles avec les pisciculteurs - Observations sur le
terrain
Phase 3 : Recoupement
des informations obtenues : Conseils retenus : Les
conseils techniques donnés par la majorité des
ACP Conseils non retenus : les conseils techniques
identifiés un nombre restreint de fois sur le terrain
19
Phase 4 : Discussion en réunion
des conseils techniques retenus lors de la phase 3 : - Personnes
présentes : ACP, responsable ACP, Responsable de la Composante du
PADPP3, Responsable Suivi-Evaluation (RSE) - Questions non ciblées
sur le conseil retenu : « Quelle pratique recommande l'APDRA pour ...
» / « J'ai repéré ... chez un pisciculteur, est ce
que vous le recommandez ? » -* Si la pratique est acceptée par
le Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 comme faisant
partie des recommandations de l'APDRA sur le terrain, alors elle fait partie du
référentiel technique actualisé
Figure 7 : Les 4 phases de validation des pratiques faisant
partie du référentiel technique de l'APDRA-Côte Est
La phase 1 consistait à réunir l'ensemble
des conseils techniques recommandés par l'APDRA dans les documents que
l'ONG a capitalisés. La phase 2 consistait à repérer sur
le terrain ou lors des discussions avec les ACP, les conseils techniques
donnés par les ACP aux pisciculteurs. La phase 3 différenciait
les conseils techniques identifiés un certain nombre de fois, et
notamment provenant de plusieurs ACP, des conseils techniques identifiés
un nombre restreint de fois. Cela a permis de faire un premier tri et de gagner
du temps pour aborder lors de la phase 4, uniquement les conseils qui
paraissent « généralisés ». La phase 4 visait,
lors des réunions du lundi avec l'ensemble de l'équipe technique
de la Côte Est, à aborder les différents conseils retenus
lors de la phase 3 pour voir s'ils étaient approuvés ou non par
le Responsable de la Composante du PADPP3 et le reste de l'équipe (voir
Figure 7). Cette méthode a permis de constituer, tout au long de la
phase terrain, une deuxième version du référentiel
technique de l'APDRA Côte Est en validant, ajoutant, remplaçant ou
en supprimant des éléments issus de la première
version.
2ème étape : Repérage des
pisciculteurs aux pratiques innovantes A/ Le référentiel
technique, un 1er filtre pour identifier les pisciculteurs
innovateurs :
L'identification des pisciculteurs innovateurs s'est
faite en comparant les pratiques des pisciculteurs et les pratiques
recommandées par l'APDRA dans son référentiel technique.
Quand celles-ci étaient différentes, une porte s'ouvrait sur une
potentielle innovation à étudier. Cependant, comme nous l'avons
vu, le référentiel lui-même a évolué tout au
long de la phase terrain. Une démarche itérative a
été adoptée et les innovations identifiées
étaient comparées à la version actualisée du
référentiel technique à chaque moment. Certaines
innovations identifiées comme telles au départ, se sont alors
avérées ne plus en être par la suite.
20
B/ Les activités de recherche-action de l'APDRA, un
2ème filtre écartant des pratiques innovantes :
L'APDRA accompagne déjà certaines
innovations piscicoles qui sont testées en milieu paysan (la recherche
action). En ce moment, les principales innovations étudiées par
l'ADPRA Côte-Est sont l'élevage de gourami, la ponte multiple de
carpes ou encore le décalage de ponte de carpes. Le faible temps de
terrain disponible a fait qu'il était préférable
d'étudier des pratiques piscicoles peu connues par l'APDRA et donc
d'écarter notre traque de ces innovations déjà
étudiées.
C/ D'une traque qui se veut large à un
échantillon restreint de pisciculteurs étudiés :
1) Une traque qui se veut large :
Phase
méthodologique
2ème partie des enquêtes : les études
de cas
Légende :
Les phases du stage
Phase de télétravail
et début de terrain
1ère partie des enquêtes : Un
panel d'innovations
Personnes ressources : Pisciculteurs,
équipe APDRA, DRAEP Echantillon : ACP/ Pisciculteurs APDRA et
hors APDRA
Personnes ressources : Pisciculteurs,
DRAEP, équipe APDRA, autres acteurs de la pisciculture Echantillon
: Pisciculteurs APDRA et hors APDRA
2) Une traque adaptée au contexte de
l'étude :
3) Une « traque qui a le trac » ?
Personnes ressources : Surtout les ACP Echantillon : Principalement
des pisciculteurs APDRA
4) Les études de cas : Personnes
ressources : Uniquement ACP Echantillon : Pisciculteurs APDRA dont la
moitié étudiée par Marion Mounayar en 2019
Légende :
Difficultés rencontrées
Des études de cas sur un
échantillon connu par l'APDRA
Restrictions COVID 19 ; Temps de
terrain diminué
Faible identification grâce
aux pisciculteurs
Figure 8: L'évolution de la construction de
l'échantillon des pisciculteurs aux pratiques innovantes
1) Une traque qui se veut large :
Pour identifier des pratiques éloignées
de ce que propose l'APDRA, nous avion prévu, lors de la phase de
préparation méthodologique, qu'une part importante de
l'échantillon soit des pisciculteurs non encadrés ou anciennement
encadrés par l'APDRA. Afin d'identifier ces pisciculteurs, nous avions
prévu d'entrer en contact avec des agents du Service de la Pêche
et de l'Aquaculture (SPA) de la Direction Régionale de l'Agriculture, de
l'Elevage et de la Pêche (DRAEP). L'identification de ces pisciculteurs
pouvait se faire également par « effet boule de neige » en
suivant la démarche proposée par Chloé Salembier
(Salembier et al., 2016). Cette démarche consiste à mobiliser le
réseau social d'un
21
pisciculteur en lui demandant s'il connait ou
travaille avec d'autres pisciculteurs ou s'il a vu d'autres pisciculteurs qui
ont adopté les mêmes pratiques innovantes que celles qu'il met en
place.
2) Une traque adaptée au contexte :
Le contexte de la pandémie de COVID 19 a
fortement impacté les champs d'études de cette traque (voir page
15). Le bureau de l'APDRA sur la Côte Est se trouve à Vatomandry,
ville principale du district. 18 des 23 zones où intervient l'APDRA
(voir Tableau 1) sur la Côte Est se situent dans ce district, ce qui
regroupe 65% des pisciculteurs que l'ONG encadre. Les enquêtes se sont
quasi exclusivement passées dans le district de Vatomandry à
cause des temps de transport importants pour aller à la rencontre des
pisciculteurs plus excentrés. Finalement, cette traque s'est
limitée à étudier principalement des pratiques innovantes
mises en place par des pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans le
district de Vatomandry.
- Identifier des pisciculteurs aux pratiques
innovantes pendant la phase de télétravail (11 pratiques
innovantes identifiées) :
La première identification de pisciculteurs aux
pratiques innovantes s'est faite à distance lors de la phase de
télétravail. Nous avons demandé aux ACP de la Côte
Est de relever des pratiques qu'ils jugeaient innovantes chez les pisciculteurs
qu'ils encadrent. Ensuite, lors d'entretiens téléphoniques avec
les ACP, nous avons caractérisé ces pratiques (selon le point de
vue des ACP) et nous avons, en réexpliquant la notion d'innovation,
tenté d'identifier d'autres pisciculteurs aux pratiques innovantes. Une
partie de ces pratiques identifiées se sont avérées par la
suite, être déjà étudiées par les
activités de recherche-action de l'APDRA. Ensuite, des discussions
informelles avec le coordinateur national de l'APDRA ont permis d'identifier
d'autres pisciculteurs aux pratiques innovantes.
- Identifier des pisciculteurs aux pratiques
innovantes lors du début de la phase terrain grâce aux ACP et aux
pisciculteurs (10 pratiques innovantes identifiées) :
La première semaine de la phase terrain a
été une semaine de découverte en suivant les ACP dans leur
travail. Les premières discussions informelles avec les ACP et les
pisciculteurs encadrés par l'APDRA ainsi que les observations terrains
ont permis d'enrichir le panorama d'innovations non mentionnées lors de
la phase pré-terrain. La première semaine d'entretien
auprès des pisciculteurs (identifiés grâce aux ACP) a alors
eu pour objectif principal d'identifier de nouvelles innovations et non de
caractériser les innovations repérées en amont de la phase
terrain. Cela s'est fait à travers des entretiens semi directifs en
discutant de l'historique de la pisciculture dans l'exploitation, la gestion
piscicole actuelle et les échanges avec d'autres pisciculteurs. Une des
portes d'entrées pertinente a été d'identifier les
problèmes rencontrés par le pisciculteur et les solutions
(parfois innovantes) développées par celui-ci en
retour.
L'identification d'autres pisciculteurs par «
effet boule de neige » s'est avérée peu efficace sur le
terrain, surtout pour identifier des pisciculteurs en dehors de l'APDRA. En
effet, l'unique réseau mentionné par les pisciculteurs lors des
entretiens était leurs groupements. Ces groupements ont
été formés sous l'impulsion de l'APDRA et sont
constitués uniquement de pisciculteurs encadrés par l'ONG. De
plus, les pisciculteurs enquêtés se sont bien souvent
désignés comme unique « penseur et créateur » de
la pratique innovante identifiée (cet élément sera
discuté dans le chapitre 4).
22
3 ) Une « traque qui a le trac »
?
- Identifier des pisciculteurs aux pratiques
innovantes grâce aux ACP et au responsable du Service de la Pêche
et de l'Aquaculture de Vatomandry (15 pratiques innovantes identifiées)
:
Un deuxième entretien a été
mené auprès de chaque ACP pour détailler les pratiques
innovantes identifiées lors du début de la phase terrain chez
certains pisciculteurs et repérer d'autres pisciculteurs les pratiquant
(uniquement des pisciculteurs encadrés par l'APDRA).
Un entretien a également été
mené auprès du responsable du SPA de Vatomandry. Nous avons
identifié trois pratiques innovantes chez deux pisciculteurs non
encadrés par l'APDRA. Cet entretien a surtout permis de mieux visualiser
la diversité des formes de pisciculture existantes et des acteurs de la
pisciculture présents sur la Côte Est de Madagascar.
Peu d'innovations ont été
identifiées chez des paysans ne faisant que de la rizipisciculture. En
effet, peu d'entre eux ont été rencontrés. Selon le
Responsable Suivi Evaluation (RSE), 73% des rizipisciculteurs ont
commencé après le 1er octobre 2019 et 52% après le 1er
janvier 2020 (voir annexe 1). Nous avons écarté ces pisciculteurs
« nouveaux » car selon les équipes de l'APDRA, ils sont encore
peu expérimentés et se contentent d'adopter les pratiques
recommandées par l'ONG.
4) Les études de cas :
Nous avons approfondi deux innovations à
travers des études de cas. Celles-ci ont permis d'identifier quelques
autres pratiques innovantes mais elles ont surtout permis d'approfondir celles
identifiées en amont. Notre échantillon se compose de 12
pisciculteurs, généralement accompagnés par l'APDRA depuis
plus de 3 ans. Ils ont été sélectionnés au fur et
à mesure car ils présentaient des innovations, plus
systémiques sur leurs exploitations. Nous supposons que leur
ancienneté leur procure un niveau de maîtrise piscicole suffisant
pour innover. On remarque que 6 de ces 12 pisciculteurs avaient
déjà été sélectionnés dans les
études de cas de Marion Mounayar en 2018-20193. Elle
cherchait à étudier l'évolution de la stratégie de
pisciculteurs et avait donc également sélectionné des
pisciculteurs anciens. Cependant, il faut noter que nous nous écartons
des pisciculteurs « inconnus » par l'APDRA recherchés en
début de traque.
Tableau de l'échantillon des pisciculteurs
enquêtés et des zones étudiées :
|
Nombre de pisciculteurs
|
Nombres de zones de l'APDRA
|
Pisciculteurs APDRA-Côte Est
|
211
|
23
|
Pisciculteurs APDRA-district
de Vatomandry
|
137
|
18
|
Exploitations piscicoles visitées au
total
|
35
|
14 (1 zone de Mahanoro)
|
Pisciculteurs enquêtés au
total
|
25 (1 hors APDRA)
|
12
|
Pisciculteurs enquêtés pour
les études de cas
|
12
|
10
|
Tableau 1: Nombres de pisciculteurs encadrés par
l'APDRA sur la Côte Est et pisciculteurs enquêtés
3 Ce rapport se base principalement sur des
études de cas (de pisciculteurs accompagnés par l'ADPRA) pour
décrire l'évolution de la stratégie piscicole et la place
de la pisciculture dans certaines exploitations agricoles sur la Côte Est
de Madagascar.
23
3ème étape : Caractérisation
des innovations piscicoles paysannes
La phase de caractérisation se rapporte
à la collecte des données sur les innovations
étudiées. La porte d'entrée adoptée dans cette
étude pour caractériser les innovations est tout d'abord
zootechnique. Notre démarche combine et confronte un ensemble de
matériaux empiriques issus d'enquêtes qualitatives menées
dans la zone d'étude. En effet, les données brutes
collectées proviennent des dires des pisciculteurs et des observations
terrains récoltées lors des entretiens semi directifs.
L'entretien semi directif est un outil intéressant pour avoir une
discussion autour d'un sujet délimité sans être trop
restrictif dans les réponses attendues : « le questionnaire
provoque une réponse, l'entretien fait construire un discours »
(Ferraton & Touzard, 2009). La quasi-totalité des entretiens ont
été enregistrés et réécoutés pour
obtenir le plus de détails possibles lors des retranscriptions. Cela a
également permis de limiter les erreurs de traduction en faisant
réécouter au traducteur des passages qui semblaient incomplets ou
erronés dans leurs premières interprétations. De plus,
très régulièrement et surtout pour les études de
cas, après avoir visité la parcelle du pisciculteur, une carte
représentant son exploitation et ses surfaces piscicoles était
réalisée pour servir de support de discussion. Cette carte
était parfois vérifiée et complétée par
l'ACP.
En nous appuyant sur le concept de système
d'élevage (voir 2.1.2 Le système d'élevage), les
entretiens avec les pisciculteurs ont consisté à leur faire
expliciter les dimensions suivantes :
- Les caractéristiques de leurs systèmes
d'élevage ou des techniques élémentaires
innovantes
qu'ils mettent en oeuvre (ce qu'ils font et
comment)
- Les raisons / les motivations qui les conduisent
à mettre ces systèmes en oeuvre
- Les mécanismes zootechniques (et parfois
agronomiques) qui permettent, de leurs points de
vue, à l'innovation d'aboutir aux effets qu'ils
attendent
- Les conditions d'émergences et
d'efficacité de l'innovation
- La trajectoire d'évolution de l'innovation
(phase de test, pratique déjà expérimentée
depuis
longtemps, ...)
- Les réseaux mobilisés (groupements de
pisciculteurs, ACP, autres acteurs)
- Les performances de l'innovation du point de vue du
pisciculteur
- L'insertion de l'innovation dans le système
d'élevage voir au-delà (système de production,
territoire).
4 Au cours de l'entretien, d'autres innovations peuvent
alors découler de la première identifiée.
La première phase de collecte de données
a permis de caractériser un panel d'innovations afin de montrer la
diversité des pratiques piscicoles innovantes existantes dans la zone
d'étude. Cette première caractérisation des innovations se
base sur les dimensions citées précédemment. En fonction
de la nature de l'innovation (plus ou moins simple à
caractériser) et du temps d'échange avec le pisciculteur, les
pratiques innovantes ont été plus ou moins
détaillées et caractérisées.
Ensuite, une phase de capitalisation et de restitution
à l'équipe technique et à l'équipe de coordination
a eu lieu. Elle a permis de confronter les premiers résultats
récoltés, de les consolider et de sélectionner les
innovations les plus intéressantes à approfondir à travers
des études de cas. Ces innovations ont été choisies car
elles sont de nature systémique, elles englobent une grande partie du
système d'élevage du pisciculteur et révèlent des
stratégies innovantes mises en place par celui-ci. Elles sont
également jusqu'alors peu connues par l'APDRA.
La deuxième phase de collecte de données
s'est focalisée sur deux innovations : « la combinaison de la
pisciculture en étang barrage et en rizière chez un même
pisciculteur » et « des
24
conduites d'élevages innovantes du tilapia du
Nil ». La moitié des 12 pisciculteurs sélectionnés
pour les études de cas avaient déjà été
enquêtés lors de la première phase et une première
collecte de données avait été réalisée. La
caractérisation de ces deux innovations systémiques s'est faite
sur les 8 dimensions citées à la page précédente.
Plus précisément, nous avons décortiqué avec le
pisciculteur les différentes étapes de son calendrier piscicole
l'année en cours et les années précédentes. Les
étapes clés comme la reproduction, le pré grossissement
des alevins, le grossissement, les pêches, les ventes et les autres
activités agricoles (notamment la riziculture sur les surfaces
empoissonnées) ont été essentielles à comprendre
pour déterminer les choix du paysan dans sa gestion de son
activité piscicole. Cela a permis, in fine, de
mieux comprendre ses stratégies piscicoles et la place de la
pisciculture dans son exploitation.
A la fin de la phase terrain, une restitution a
été faite auprès de toute l'équipe technique de la
Côte Est. Cette restitution portait essentiellement sur les
résultats de la phase d'étude de cas et présentait en
détail les résultats obtenus (calendriers piscicoles, pratiques
innovantes et stratégies développées par les
pisciculteurs). Cela a permis de confronter nos résultats avec les dires
des ACP afin d'enrichir nos données, remettre en question certains
résultats obtenus et en valider d'autres.
4ème étape : Analyse des innovations
piscicoles paysannes
Pour l'ensemble des innovations analysées, nous
présentons dans un premiers temps la pratique conseillée par
l'APDRA dans son référentiel pour ensuite caractériser la
ou les pratique(s) alternative(s) observée(s) chez les pisciculteurs
enquêtés.
A/ Première partie : L'analyse de six innovations
parmi toutes les innovations identifiées :
Dans un premier temps, nous avons
sélectionné 6 des 23 innovations repérées et
caractérisées lors de la première phase de collecte de
données pour les analyser dans ce mémoire. Le choix s'est fait en
fonction du nombre important de fois où l'innovation a été
repérée chez les pisciculteurs et en fonction de la
différence des pratiques d'élevage qu'elle entraine par rapport
aux pratiques recommandées dans le référentiel piscicole
de l'ONG. Nous avons également fait le choix de présenter des
innovations de natures différentes (techniques et organisationnelles)
pour montrer la diversité des pratiques piscicoles existante. Nous avons
regroupé les innovations au sein de deux thèmes : « des
innovations techniques au sein de l'étang barrage » et « des
innovations organisationnelles entre les pisciculteurs ».
Le premier grand thème choisi porte sur
l'analyse de quatre innovations techniques (aménagements, outils,
conduites d'élevage ou de culture) observées au sein des
étangs barrages des pisciculteurs enquêtés (22 des 25
pisciculteurs enquêtés possèdent un étang barrage).
Chaque innovation est comparée à la pratique du
référentiel technique de l'APDRA. Quand l'innovation a
été caractérisée chez plusieurs pisciculteurs, elle
fait également l'objet d'une analyse comparée. Cette analyse se
base sur 4 critères principaux :
- Les caractéristiques de l'innovation (quelle est
cette innovation ? à quoi sert-elle ?)
- Les raisons et les motivations d'adoptions de
l'innovation (pourquoi le pisciculteur adopte-t-il cette pratique innovante
?)
- Les conditions de développement de l'innovation
(quelles sont les conditions nécessaires au bon développement de
l'innovation ?)
- L'évaluation de la pratique innovante par le
pisciculteur (est-il satisfait de son innovation ? va-t-il changer sa pratique
?)
25
Pour le deuxième thème, nous avons
choisi de présenter deux types d'échanges observés
fréquemment entre les pisciculteurs enquêtés : les
échanges autour de la reproduction de la carpe et ceux autour des
problèmes liés aux aléas climatiques. On parle ici
d'innovations organisationnelles car les pisciculteurs collaborent entre eux
pour répondre aux problèmes qu'ils rencontrent. La nature de ces
échanges ne relève pas d'une analyse approfondie des processus
qui les soutiennent. Nous avons relevé les contraintes
rencontrées par les pisciculteurs (les conditions manquantes sur leurs
exploitations), les solutions collectives qu'ils mettent en oeuvre et les
conditions d'émergences nécessaires pour que l'échange ait
lieu à un instant T (le réseau d'acteur et les termes de
l'échange).
B/ Deuxième partie : Deux innovations
approfondies en étude de cas et une étude des marchés de
vente auxquels ont accès les pisciculteurs enquêtés
Nous avons approfondi deux innovations systémiques
à travers 12 études de cas :
1/ La combinaison de la pisciculture en étang
barrage et en rizière chez un même pisciculteur (4 pisciculteurs)
et 2/ Les conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil (8
pisciculteurs).
1/ Cette innovation a été
étudiée dans un deuxième temps lors de la phase terrain.
Nous la présenterons ici en premier pour donner au lecteur des
clés de compréhension plus globales sur les dynamiques piscicoles
innovantes observées. En effet, cette innovation permet d'observer,
à l'échelle de tout le système d'élevage,
l'évolution des aménagements piscicoles dans le temps et de leurs
utilisations par les pisciculteurs. Cette analyse nous montre
l'évolution des pratiques d'élevages et des stratégies
développées par les 4 pisciculteurs
enquêtés.
2/ La deuxième innovation se concentre
principalement sur les conduites d'élevage innovantes du tilapia du Nil
observées chez les 8 pisciculteurs enquêtés. Ces
pisciculteurs ne pratiquent pas la sélection des individus males et
l'élimination des femelles avant le cycle de grossissement comme le
recommande l'APDRA dans son référentiel. On parle ici d'une
innovation par retrait car cette pratique a été enlevée de
la conduite d'élevage du tilapia par ces pisciculteurs. Nous nous sommes
intéressés aux différentes alternatives qu'ils mettent en
places.
Etape 1 : L'analyse zootechnique des
différentes pratiques liées aux conduites des cycles
d'élevage
Pour analyser les données
récoltées, nous avons d'abord fait une analyse zootechnique des
différentes pratiques liées à la conduite d'élevage
des espèces piscicoles élevées (carpe et tilapia), avec un
focus sur le tilapia pour la deuxième innovation. Les 12 pisciculteurs
ont chacun une manière singulière de conduire leurs
différents cheptels. Pour analyser chaque innovation, nous avons
sélectionné des pratiques permettant de décrire la
diversité des cycles d'élevages présents chez les 12
pisciculteurs enquêtés (voir Tableau 2).
Pratique 1 retenu Pratique 2 retenu
Innovation n° 1 : La Type d'élevage :
Type d'étang de grossissement :
combinaison de la - Monoculture (carpe
ou tilapia) - Etang barrage
pisciculture en étang -
Polyculture (carpe et tilapia) -
Rizière barrage et en rizière
|
Type de reproduction :
- Retrait des géniteurs avant leur 2ème
cycle de reproduction - Reproduction en continue
- Reproduction spontanée
Pratique du sexage des fingerlings de tilapia :
- Oui - Non
Innovation n° 2 : Les conduites innovantes
du tilapia du Nil
Tableau 2: Les pratiques retenues pour comparer les cycles
d'élevage des pisciculteurs dans les innovations approfondies à
travers des études de cas
26
Etape 2 : L'analyse des trajectoires des
innovations et plus généralement de l'activité
piscicole
Pour chacun des 12 pisciculteurs, nous avons
analysé l'évolution de la conduite des espèces piscicoles
élevées sur leur exploitation. Pour la première
étude de cas, nous nous sommes intéressés
particulièrement à l'évolution des aménagements
piscicoles et à leurs utilisations au cours du temps. Pour la
deuxième étude de cas, nous nous sommes concentrés
principalement sur l'évolution des pratiques techniques liées
à l'élevage du tilapia.
Dans un premier temps, nous avons
caractérisé l'exploitation du pisciculteur. Pour cela, nous avons
relevé, pendant les entretiens et grâce aux bases de
données de l'APDRA, les étangs utilisés pour les
différentes espèces élevées et leurs surfaces
(étang barrage, trou vidangeable, rizière). De plus, lors des
entretiens, nous avons relevé certaines caractéristiques de
l'exploitation piscicole comme la disponibilité en eau dans les
différents étangs au cours de l'année, les risques de vol
ou encore la localisation de l'exploitation par rapport aux marchés de
vente de poisson.
Dans un deuxième temps, nous avons
analysé l'évolution des techniques piscicoles et des
stratégies adoptées par les pisciculteurs sur leur exploitation.
Pour cela nous sommes partis des discours des pisciculteurs et nous avons
recoupé les informations obtenues avec les dires des ACP (notamment
pendant la restitution finale aux équipes techniques) et avec les
données contenues dans le rapport de Marion Mounayar écrit en
2019 qui contient des études de cas sur la moitié des
pisciculteurs de notre échantillon (Mounayar, 2019).
Etape 3 : L'analyse des marchés de vente de
poisson auxquelles ont accès les 12 pisciculteurs
enquêtés
L'analyse des deux innovations approfondies a
progressivement révélé que les pratiques des pisciculteurs
enquêtés dépendent grandement de leurs accès aux
différents marchés de vente. Nous avons donc fait une
étude des différents débouchés de vente auxquels
ont accès les 12 pisciculteurs étudiés. Pour cela, une
partie des résultats provient des entretiens avec les pisciculteurs.
Nous avons également fait quelques enquêtes auprès des
revendeurs et des revendeuses de poissons dans les différents
marchés des grandes villes de notre zone d'étude (Tsarasambo,
Vatomandry et Ilaka Est). L'entretien avec un cagiste et avec le Responsable du
SPA de Vatomandry nous ont apporté des informations précieuses
sur les différents marchés de ventes. Nous avons également
recoupé ces informations avec les dires des équipes techniques de
l'APDRA, notamment pour situer la place de notre échantillon dans
l'ensemble des pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Nous avons abouti
à une typologie des marchés de vente de poissons. Cette typologie
se base sur deux critères principaux :
- Les différents débouchés
: Vente à des particuliers, sur les grands marchés locaux,
sur les petits marchés en zones isolées, autoconsommation ou
dons.
- Le type de poissons vendus : alevins, poissons
de petites tailles ou poissons de grosses tailles
Les 12 pisciculteurs sont également
présentés en annexe à travers des études de cas.
Pour chaque pisciculteur, nous avons mené une analyse transversale
portant sur 4 grands volets :
(1) Les pratiques d'élevages des espèces
empoissonnées (focus sur le tilapia pour l'étude de cas
n°2)
(2) La production et les
débouchés
(3) L'évolution des pratiques piscicoles chez le
pisciculteur
(4) L'évaluation de la satisfaction du
pisciculteur par rapport à son activité piscicole
Les 3 premiers volets ont été
principalement analysés à partir des dires des pisciculteurs
collectés lors des entretiens semi directifs. La restitution finale
auprès des ACP a permis de confronter les données semi
analysées obtenues sur le terrain (notamment sur les cycles
d'élevages, les pêches, les
stratégies ...) avec les avis des ACP. De plus,
les bases de données remplies par le Responsable du Suivi-Evaluation
(RSE) ont été utilisées pour confronter les cycles, les
rendements et les ventes mentionnés par les pisciculteurs. Pour
l'évolution de la pratique innovante (3), les avis des ACP ont
apporté des éléments complémentaires
précieux sur les pratiques des pisciculteurs lors des années
précédentes. Le volet 4 est entièrement analysé
à partir des dires des pisciculteurs puisqu'il s'agit de leur
satisfaction par rapport à leurs activités
piscicoles.
2.3 Le contexte de la zone d'étude
2.3.1 La région Atsinanana :
27
Figure 9: Carte de Madagascar avec la région
Atsinanana en rouge (à gauche)
Source (Google image)
Figure 10 : Carte bioclimatique de Madagascar (à
droite)
Source (Cornet, 1972)
Le climat de la région Atsinanana située
sur la Côte Est de Madagascar (voir Figure 9) est de type tropical humide
(voir Figure 10) Sur la période de 2016 à 2020, le climat est
caractérisé par une pluviométrie élevée
d'une moyenne de 2440 mm par an avec d'importantes variantes au cours de
l'année (voir Figure 11). La saison sèche se situe entre
septembre et novembre (lors de la phase terrain du stage) et la saison des
pluies arrive entre janvier et avril (période à fort risque
cyclonique). Entre 2014 et 2017, la température moyenne a
été de 24,9° (Climatologie de l'année
2020 à Tamatave - Infoclimat, s. d.) Cette
température influe directement sur la température de l'eau et a
des effets sur la
28
croissance des espèces piscicoles et sur la
productivité naturelle des étangs. Les sols de la Côte Est
sont majoritairement des sols ferralitiques principalement constitués
d'argiles (Roederer, 1972).
Figure 11: Précipitations en 2020 à Toamasina,
capitale de la région d'Atsinanana Source (Climatologie de
l'année 2020 à Tamatave - Infoclimat, s. d.)
2.3.2 Le district de Vatomandry :
Le district de Vatomandry (voir Figure 12) se situe
à 180 km au Sud de Toamasina en passant par la route nationale 2 puis la
route national 11A.
Figure 12: Carte des zones d'interventions de l'APDRA dans la
région Atsinanana sur le projet PADPP3
Source : (APDRA, 2020)
29
Selon les derniers recensements démographiques,
la population du district s'élevait en 2016 à 248 000 habitants
(contre 165 000 en 2003) dont 75% avait moins de 25 ans. La majorité de
la population vit en zone rurale et principalement des activités
agricoles (Jérôme Elia Randriamanjaka, adjoint du district de
Vatomandry, rapport de 2016). La capitale du district, Vatomandry, comptait 15
836 habitants en 2018 (RGPH, 2018).
Les cultures vivrières principales sont le riz,
le maïs et le manioc. Il existe des grandes plaines
aménagées comme celle d'Ilaka Est où sont cultivés
deux cycles de riz inondé par an (De Robillard et al., 2013). Les
cultures de rentes sont également importantes dans la zone. La plupart
des paysans produisent du girofle, de la cannelle, du litchi, ou encore du
poivre (De Robillard et al., 2013). Selon un rapport sur les secteurs
économiques du district de Vatomandry datant de 2016, le riz
représenterait en moyenne 30% des revenus bruts de chaque exploitant
agricole, les cultures de rente 24% et les cultures fruitières 17%. Ces
3 secteurs représenteraient en moyenne les trois quarts des revenus
bruts des exploitants agricoles.
L'élevage se caractérise par des petits
cheptels familiaux de zébus, qui servent notamment à
piétiner les parcelles rizicoles entre deux cultures, on trouve quelques
porcins dans certaines familles et quasi systématiquement des volailles
(poulets, canards, dindons, oies). Certains paysans se lancent dans
l'élevage de poulets de chair nourris avec de la provende.
En ce qui concerne la production halieutique, les
villes côtières comme Vatomandry, Maintinandry, Sahamatevina ou
encore Ilaka Est conservent une pêche traditionnelle en mer qui fournit
la majeure partie des marchés locaux. Il existe également de la
pêche en eau douce dans le canal des
Pangalanes, le fleuve Sakanil
et plusieurs grands lacs. La très grande majorité
des poissons vendus et consommés localement provient de la pêche
(dires du responsable du SPA de Vatomandry). Une partie des poissons sont
également vendus en dehors du district, notamment sur la route nationale
2 qui relie les grandes villes comme Antsampanana, Moramanga, Toamasina et
Antananarivo.
La pisciculture est mentionnée comme « une
potentialité de développement » dans le rapport sur les
secteurs économiques du district de Vatomandry. Néanmoins, selon
les dires du responsable du SPA de Vatomandry, elle est en pleine expansion
depuis 10 ans et les acteurs se multiplient :
- L'APDRA est arrivée en 2009, avec un premier
projet pilote en 2012, c'est l'ONG la plus présente ; depuis 5 ans, on
observe un développement de l'élevage de tilapia en « cage
artisanale » sur le canal des Pangalanes ; le
développement des étangs en dérivation ou des
étangs barrages chez des particuliers aisés se fait de plus en
plus ; «Tilapia de l'Est» est une union de coopératives qui
produit des tilapias nourris à la provende industrielle ; on observe un
petit peu de pisciculture traditionnelle (stockage de poisson sauvage dans des
trous ou piégeage dans les rizières après les
crus).
- Il y a une entreprise Mauricienne, « Livestock
Feed Limited » (LFL), qui conçoit et commercialise de la provende
industrielle à Madagascar, notamment à Toamasina. LFL aimerait
créer un point de vente à Vatomandry.
- L'état et les organisations
paraétatiques jouent également un rôle dans le
développement de la pisciculture dans le district de Vatomandry et plus
largement sur la Côte Est. On peut citer l'exemple du MAEP
(Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche) qui va
bientôt financer des crédits à travers le projet FIHARIANA,
qui seront notamment destinés à des pisciculteurs de l'APDRA ; ou
encore la Banque Africaine de Développement (BAD) qui a financé
des prêts à des jeunes entrepreneurs ayant fait des études
d'agriculture et d'élevage : deux jeunes se sont lancés dans
l'élevage en cage artisanale près de Vatomandry
(projet
30
PEJAA) ; Il y a également le Fond International
de développement Agricole (FIDA) qui intervient à travers le
projet FORMAPROD pour fournir des formations en pisciculture aux populations
rurales.
De plus, le foncier situé en bas-fonds a pris
de la valeur ces dix dernières années du fait du
développement de la pisciculture. Selon le responsable du SPA de
Vatomandry, les opportunités de développement de la pisciculture
dans le district sont nombreuses. En effet, il existe des marchés
à haute rémunération car le district se situe proche de la
route nationale 2, axe principal reliant les deux plus grandes villes du pays.
D'autre part, la consommation moyenne par habitant à Madagascar est
actuellement de 5,3 kg/individu/an contre au moins 10 kg/individu/an
recommandé par la FAO (FAO, 2018). Il existe également un fort
potentiel de vente sur les marchés locaux d'autant plus que les
pêcheurs notent une diminution du tonnage des prises maritimes et d'eau
douce.
Conclusion partielle 2
Dans cette étude, nous définissons
l'innovation comme « une pratique piscicole paysanne différente de
ce que recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour
d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA ».
Afin d'étudier les pratiques piscicoles
innovantes, nous avons adapté la méthodologie de la « traque
aux innovations » développé par Chloé Salembier dans
la pampa en Argentine. Notre méthodologie se décline en 5
étapes :
1) Définir un projet de traque aux innovations :
« étudier les pratiques piscicoles différentes de celles
proposées par l'APDRA dans ces référentiels techniques
».
2) Repérer des innovations chez des
agriculteur.rice.s : « identifier des pratiques piscicoles innovantes chez
les pisciculteurs et les piscicultrices du district de Vatomnadry
».
3) Prendre connaissance, découvrir les
innovations : « caractériser ces pratiques piscicoles innovantes
».
4) Analyser ces innovations : « Analyser sous
différents angles les pratiques innovantes des pisciculteurs
rencontrés ».
5) Générer des contenus agronomiques et
des enseignements : « valider des innovations piscicoles paysannes pour
ensuite les diffuser aux pisciculteurs encadrés par l'APDRA »
(étape du recours de l'ONG).
A cause de la pandémie du COVID-19, la
durée de la phase terrain a été réduite à 2
mois dont 1 mois d'enquêtes. Cela a restreint le stage à
l'étude de pratiques piscicoles innovantes présentes chez des
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA situés dans le district de
Vatomandry.
Notre zone d'étude présente des
dynamiques piscicoles variées allant de l'élevage de tilapia en
cage sur le canal des pangalanes à de la
pisciculture en étang barrage ou en rizière. Il existe un certain
nombre d'acteurs qui participent au développement de la pisciculture
(DRAEP, APDRA, LFL, FIDA, pisciculteurs, ...)
|
31
Chapitre 3 : Les résultats de l'étude
3.1 Evolution du référentiel technique de
l'APDRA sur la Côte Est
Le référentiel technique de l'APDRA sur
la Côte Est de Madagascar détaille les différentes
étapes d'installation d'un site piscicole et la conduite des
différentes espèces piscicoles élevées. Dans cette
partie, nous exposerons les deux modèles piscicoles proposés par
l'APDRA sur la Côte Est et le caractère évolutif du
référentiel technique qu'elle propose. Certains détails du
référentiel technique importants à comprendre pour
analyser les innovations piscicoles repérées sur le terrain
seront mentionnés par la suite, en présentant chaque
innovation.
A son arrivée sur la Côte Est en 2009, et
surtout à partir du début du projet PPMCE-SA4 en 2012,
l'APDRA proposait un système d'élevage plurispécifique en
étang barrage (voir annexe 2Erreur ! Source du renvoi introuvable.),
fortement inspiré du référentiel technique que l'ONG
utilisait en Afrique de l'Ouest. Plusieurs grandes adaptations ont
été faites (APDRA, 2017a) :
- La fréquence élevée des
cyclones sur la Côte Est a amené à un renforcement des
aménagements de l'étang barrage pour éviter les casses de
la digue aval. De plus, l'ONG a créé un fond de solidarité
qui sert à aider les pisciculteurs ayant subi une casse de leurs digues
à cause d'un cyclone.
- Les espèces de poissons élevés
ont été adaptées en fonction des espèces
disponibles à Madagascar : dans le modèle Guinéen, le
tilapia (Oreochomis niloticus) est l'espèce
centrale du système, l'hémichromis (Hemichromis fasciatus) est un
carnassier qui permet de réduire le nombre d'alevins de tilapias et
l'hétérotis (Heterotis niloticus) et le
silure (Clarias spp. Et Heterobranchus spp.) sont des
espèces complémentaires (APDRA, 2017b) Sur la Côte Est, au
départ, le tilapia était l'espèce centrale, le paratilapia
(Paratilapia sp) a été proposé
pour jouer le rôle du carnassier et l'hétérotis
était l'espèce complémentaire. Depuis 2014, l'ADPRA
accompagne techniquement les pisciculteurs qu'elle encadre à la
pisciculture de carpe commune (Cyprinus carpio) car
cette espèce présente un fort potentiel de grossissement et elle
ne rentrait pas beaucoup en compétition alimentaire avec le tilapia
(Rothuis et al., 2008) . De plus, le gourami (Osphronemus
goramy), une espèce herbivore introduite au XIXème
siècle et naturalisée depuis dans la région, est depuis
quelques années testé en milieu paysan par l'APDRA mais sa
reproduction reste difficile et peu maitrisée.
- Au cours du projet PPMCE-SA, l'équipe
technique a constaté que le modèle de Guinée
Forestière, basé sur une surface d'étang(s) de service
faisant 15% à 20% de l'étang barrage ne suffisait plus. En effet,
l'ajout de la carpe commune dans le référentiel demande des
surfaces supplémentaires pour certaines étapes clés comme
la reproduction ou le pré grossissement des alevins. Il est alors
conseillé aux pisciculteurs de multiplier les très petits
étangs et d'atteindre, dans l'idéal, une superficie totale
d'étangs de services faisant au moins 30% de l'étang barrage. De
plus, le moine, système de vidange initialement recommandé pour
les étangs barrages et les étangs de service, ne l'est plus pour
les petits étangs (appelé trous vidangeable). L'installation de
tuyau PVC ou de bambou est proposée.
- Les équipes de la Côte Est sont de
moins en moins exigeantes sur la surface nécessaire pour construire un
étang barrage. Elle valide des étangs barrages de petites tailles
(> 5 ares) si le pisciculteur a la possibilité d'agrandir ses
surfaces piscicoles par la suite.
4 PPMCE-SA : Projet Piscicole Côte Est de
Madagascar - Sécurité Alimentaire (2012-2017)
32
Un peu avant la fin du projet PPMCE en 2016, l'APDRA a
testé sur la Côte Est la rizipisciculture, inspirée du
référentiel technique qu'elle propose sur les Hautes Terres
depuis 2006. Pour cela, l'APDRA a travaillé avec un groupe de dix
rizipisciculteurs de la Côte Est pour qu'ils testent différents
systèmes d'élevages en rizières (élevage
monospécifique de carpe, élevage plurispécifique de
tilapia, carpe, gourami, ...). L'APDRA a finalement validé
l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia en
rizière. L'APDRA a développé cette technique dans un
contexte favorable car la riziculture irriguée est pratiquée de
manière importante dans les bas-fonds de la Côte Est (De Robillard
et al., 2013). Celle-ci offre des potentialités importantes pour
augmenter les surfaces empoissonnées. La pisciculture en rizière
a l'avantage d'être moins couteuse à aménager que la
pisciculture en étang barrage quand le paysan possède
déjà ses rizières. En effet, les deux principaux travaux
sont le rehaussement des diguettes et le creusement de canaux refuges au milieu
de la rizière (ils servent à limiter les risques de
prédation et à créer une zone d'eau plus profonde pour les
poissons). Dans la continuité de la volonté d'augmenter le nombre
et la surface totale des étangs de services pour faciliter la gestion
des différentes espèces piscicoles, l'APDRA Côte Est a
proposé depuis 2017 aux pisciculteurs d'utiliser les rizières
aménagées pour la pisciculture comme étang de service
à l'étang barrage (par exemple pour le pré-grossissement
des alevins carpes ou tilapias).
Afin de faciliter son intervention et mutualiser les
moyens, tant financier qu'en ressources humaines, l'APDRA mobilise une approche
d'accompagnement par groupement locaux depuis 2014. Celui-ci consiste à
réunir les pisciculteurs d'une même zone (regroupement de quelques
hameaux/villages proche) lors de la venue de l'ACP afin qu'ils travaillent
ensemble (formations techniques, visite des parcelles ou encore discussions
collectives, formations par les pairs). De plus, l'ONG a récemment mis
en place les Ecloseries de Formation Paysanne (EFP). L'idée est de
mobiliser la parcelle d'un des pisciculteurs du groupement au service de tous
les membres du groupement. L'ACP peut ainsi y faire des formations (notamment
à la reproduction) et cet étang permet de produire des alevins
pour ravitailler les pisciculteurs du groupe, en particulier pour les nouveaux
pisciculteurs.
33
3.2 Caractérisation de six innovations
techniques et organisationnelles identifiées chez les pisciculteurs
enquêtés
Dans cette première partie, nous
présenterons 6 innovations identifiées et
caractérisées dans la zone d'étude lors de la
première partie de la phase terrain. En annexe 2 et 3, nous
présentons plusieurs tableaux qui font part de la diversité des
innovations identifiées sur le terrain.
3.2.1 Des aménagements et des utilités
innovantes de l'étang barrage
22 des 25 pisciculteurs enquêtés ont un
étang barrage. Sur le terrain, on remarque qu'ils ont innové dans
l'aménagement de leur étang barrage et dans l'utilisation qu'ils
en font.
Innovation n°1 : Plusieurs étangs en
cascade au lieu d'un grand étang barrage (1
pisciculteur)
Référentiel APDRA - Pour les
pisciculteurs qui ne font pas de grossissement en rizière, L'APDRA
recommande de construire un étang barrage d'une grande surface (>20
ares) pour y effectuer le grossissement des espèces
élevées.
Innovations rencontrées- Un
pisciculteur a préféré construire 3 étangs de
production de 20 ares « en cascade ». Multiplier ses étangs
lui a permis de faciliter la gestion de ses espèces piscicoles. Ce
pisciculteur est à la fois alevineur et grossisseur. Il compte
aujourd'hui 11 étangs sur son exploitation. Nous avons
caractérisé l'utilisation de ses étangs dans
l'exploitation à un moment T, vers mi-octobre pendant la période
de reproduction de la carpe (voir Tableau 3).
Figure 13: Photos des différentes tailles
d'étangs « en cascade » d'un pisciculteur encadré par
l'APDRA
La figure 12 nous permet de visualiser les
différentes tailles d'étangs mentionnées. Sur la photo de
gauche, l'étang à l'arrière-plan est un étang de
moyenne surface (2 à 5 ares) et les deux étangs au premier plan
sont des étangs de petite surface (<1 are). Sur la photo de droite,
l'étang à l'arrière-plan est un étang de grande
surface (>20 ares).
Nombre et type d'étang :
|
Fonction en octobre 2020 :
|
3 étangs de grandes surfaces (20
ares chacun) :
|
-Grossissement plurispécifique de carpe et de
tilapia mâle -Reproduction en continu d'un lot de géniteurs de
tilapias pour la production d'alevins
-Stockage des géniteurs mâles
carpes
-Stockage des hétérotis, des gouramis et
des paratilapias
|
34
2 étangs de moyenne surface (2 à 5 ares)
:
|
-Pré grossissement des alevins de tilapia
jusqu'à la taille fingerlings -Pré grossissement des alevins de
carpes
|
5 étangs de petite surface (<1 are)
:
|
-Reproduction contrôlée de
tilapias
-Pré grossissement des larves de
tilapias
-Reproduction de carpes (présence de supports
de ponte : la jacinthe d'eau) -Pré grossissement des larves de
carpes
-Stockage des géniteurs carpes femelles
(séparation des géniteurs avant la reproduction)
|
Tableau 3: L'utilisation des différents étangs
d'un pisciculteur
Multiplier les étangs de petites et de moyennes
surfaces permet à l'exploitant de reproduire les principales
espèces, le tilapia et la carpe. Ces étangs servent
également pour le pré grossissement et le stockage des alevins de
carpe et de tilapia qu'il compte vendre ou faire grossir par la suite. Il les
stocke séparément pour pouvoir pêcher en fonction de
l'espèce commandée par ses clients. Cela lui permet
également de pouvoir sexer les fingerlings de tilapia (pour
n'empoisonner que les mâles dans son grand étang) sans avoir
à les différencier des alevins de carpe.
De plus, avoir plusieurs étangs de grande
taille lui sert pour le grossissement plurispécifique de carpe et de
tilapia, comme c'est initialement recommandé par l'APDRA. Cela lui sert
également pour reproduire des lots de géniteurs de tilapias en
continu afin d'obtenir un nombre important d'alevins pour la vente (voir
Tableau 4). Il utilise aussi ses grands étangs pour stocker ses
géniteurs mâles de carpe et pour stocker séparément
d'autres espèces (hétérotis et gouramis) qu'il
considère comme « des pièces de collection
» car il maîtrise peu leurs reproductions et que la
demande est faible contrairement aux carpes et tilapias. A noter que ce
pisciculteur a aménagé un canal de contournement pour maintenir
le niveau de fertilité de ses étangs (en déviant le canal,
il diminue le débit d'eau, ce qui permet de mieux valoriser la
fertilisation par rapport à un écoulement important ou les
fertilisants sont très rapidement dilués et emportés). Il
fertilise avec du fumier de zébu en priorité ses étangs de
petites et de moyennes tailles (reproduction et pré
grossissement).
Il faut noter qu'un aménagement pareil demande
un travail très important. La première digue construite a
couté 830 000 MGA (soit 185 €) en frais de main d'oeuvre et les
deux autres ont coûté encore plus cher selon le pisciculteur. A
cela s'ajoute le canal de contournement qui a subi un éboulement
récemment et les différents étangs de services
creusés.
|
Référentiel APDRA
|
1 pisciculteur
|
Caractéristiques
|
-Un étang de production de plus de 20 ares
pour le grossissement plurispécifique et un ou plusieurs
étangs de services
|
-Combinaison de 11 étangs de 1 à 20 ares,
en cascade -Permet une gestion plus indépendante des
espèces piscicoles entre elles et en fonction du
stade phénologique des espèces
|
Raisons /motivations
|
-Faire le grossissement des espèces
piscicoles dans l'étang barrage
|
-Combiner l'activité d'alevineur et de
grossisseur
|
Conditions de développement
|
- Bas fond aménagé
|
-Bas fond avec un certain dénivelé pour
assurer un débit d'eau suffisant
-Demande une main d'oeuvre importante pour
|
35
|
|
l'aménagement de tous ces étangs et du
canal de contournement
|
Evaluation de la pratique
|
/
|
-Jugée très avantageuse par le
pisciculteur pour produire et vendre des alevins de tilapia et de
carpe et faire du grossissement -Demande beaucoup de travail
|
Tableau 4: Comparaison de la pratique du
référentiel technique et de la pratique innovante
n°1
A noter, un autre pisciculteur a également le
projet de construire une série de 6 étangs en cascade pour faire
du grossissement plurispécifique.
Innovation n°2 : Des canaux de drainages et de
circulation dans l'étang barrage (4 pisciculteurs)
Référentiel APDRA - L'APDRA
donne peu de conseils sur l'aménagement et la culture du riz en
étang barrage. Elle indique juste qu'il faut laisser une zone de
pêche sans riz autour du moine (système de vidange).
Innovations rencontrées - La
riziculture dans l'étang barrage sur des surfaces plus ou moins grande
peut impacter directement l'aménagement de l'étang
réalisé par le pisciculteur. Sur notre échantillon, 4
pisciculteurs creusent des « canaux de circulation et de drainage »
dans différentes parties de leurs étangs. Les
variétés locales de riz utilisées par ces pisciculteurs
demandent une élévation de la lame d'eau régulière
ajustée à la hauteur des tiges de riz pour ne pas submerger le
plant. Ces variétés sont repiquées dans les parties aval
de l'étang et/ou sur les contours, laissant ainsi une zone profonde aux
alentours du moine et de la digue aval. 1 des 4 pisciculteurs a fait le choix
de repiquer du riz sur l'ensemble de son étang (sauf dans les canaux) et
de ne rempoissonner son étang que lorsque les tiges de riz auront
atteint une hauteur assez haute pour élever la lame d'eau.
|
Référentiel APDRA
|
4 pisciculteurs
|
Caractéristiques
|
- Pas de canaux aménagés dans
l'étang - Zone de pêche sans riz autour du moine
|
- Canaux de circulation et de drainages dans les parties
rizicoles de l'étang barrage
|
Raisons /motivations
|
/
|
- Permettre une circulation des poissons dans les
zones rizicoles à faible lame d'eau - Eviter que les poissons ne
restent bloqués lors des pêches - Faciliter les
récoltes du riz
|
Conditions de développement
|
/
|
- Demande de la main d'oeuvre pour creuser
les canaux et les entretenir - Demande un sol pas trop boueux pour
éviter que le canal ne se bouche trop rapidement
|
Evaluation de la pratique
/
-Les 4 pisciculteurs sont satisfaits de
leurs aménagements - Une piscicultrice a arrêté de
faire ces canaux car son sol est trop boueux et cela demandait trop
d'entretien
36
Tableau 5: Comparaison de la pratique du
référentiel technique et de la pratique innovante
n°2
Ces canaux permettent aux 4 pisciculteurs de faciliter
la circulation de leurs poissons dans les zones rizicoles à faible lame
d'eau et évitent que les poissons restent bloqués dans les
parties rizicoles lors des pêches (voir Tableau 5). Deux d'entre eux
soulignent l'utilité de ces canaux afin de pêcher une partie du
cheptel sans perdre toute l'eau de l'étang. C'est notamment utile
pour un de ces pisciculteurs qui cherche à ne pêcher que les
tilapias de taille fingerlings. Pour les deux autres,
ces canaux permettent également de vider les parties amont de
l'étang afin de récolter le riz en gardant une lame d'eau
suffisante pour le cheptel (notamment en période sèche). Cet
aménagement permet de gérer de manière plus
indépendante l'activité piscicole et la riziculture.
La réalisation et l'entretien de ces canaux
demande du travail manuel souvent fait à l'aide d'une pioche ou d'un
« angady ». Les sols de la Côte Est sont principalement
constitués d'argiles (Roederer, 1972). La formation de boue est
fréquente ce qui rend les travaux d'entretiens des canaux difficiles.
Parfois, au cours du cycle du riz, les pisciculteurs doivent enlever la boue de
leurs canaux. Une autre piscicultrice de l'échantillon a
arrêté de faire ces canaux à cause de cette
difficulté.
Figure 14: Canaux de drainage et de circulation chez deux
pisciculteurs encadrés par l'APDRA :
Partie aval et partie amont d'un même étang
barrage (photos de gauche et du milieu)
Etang barrage d'un pisciculteur équipé de
canaux de drainage et de circulation (photo de droite)
Innovation n° 3 : Des systèmes de vidanges
en matériel végétal peu couteux (5
pisciculteurs)
Référentiel APDRA - Le
système de vidange préconisé par l'APDRA est un ouvrage en
béton constitué de trois éléments : la semelle, le
moine et les buses (APDRA, 2017b). Ce système permet de régler le
niveau de remplissage et le débit d'évacuation de l'eau dans
l'étang (Schlumberger & Girard, 2013). Pouvoir réguler la
hauteur de la lame d'eau dans l'étang permet par exemple de cultiver
plus facilement du riz en ajustant la hauteur d'eau en fonction de la hauteur
des tiges de riz. L'APDRA recommande 3 types de moine sur la Côte Est
(voir Tableau 6) qui évacuent plus ou moins d'eau (en fonction du nombre
d'étage et de la taille de la buse) et qui coûtent plus ou moins
cher (en fonction de la quantité de ciment).
37
Type de moine
|
Description
|
Coût (MGA et €)
|
Avantages et inconvénients
|
Petit moine
|
1 étage de 150 cm Buse normale
|
111 450 MGA (25€)
|
Coût inférieur mais 1 seul
étage
|
Moyen moine (modèle de
Guinée)
|
3 étages de 75 cm Buse normale
|
146 450 MGA (32,5€)
|
Coût moyen et plusieurs
étages
|
Grand moine
|
3 étages de 75 cm Grande buse
|
307 700 MGA (68€)
|
Coût élevé
mais évacuation d'un débit d'eau important
|
Tableau 6: Les trois différents moines proposés
par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar
Innovations rencontrées - Sur le
terrain, des pisciculteurs ont adopté l'équivalent de tuyau fait
à partir de bambou ou de tronc de « ravinala »
(Ravenala madagascariensis ou arbre du voyageur) pour
vidanger leurs étang barrages. Ces systèmes sont
fréquemment utilisés pour relier les rizières ou les trous
vidangeables entre eux ou pour alimenter les étangs depuis le canal de
contournement. Nous avons identifié 5 pisciculteurs qui utilisent ces
tuyaux pour remplacer le moine au niveau de la digue aval de l'étang
barrage et servir de système de vidange.
|
Référentiel APDRA (20 pisciculteurs)
|
Buse en bambou
(2 pisciculteurs + 2 non enquêtés)
|
Buse en tronc de ravinala
(1 pisciculteur)
|
Caractéristiques
|
-Permet de vidanger et de réguler la
lame d'eau de l'étang barrage
|
-Permet de vidanger l'étang barrage -10
à 15cm de diamètre - Noeuds des bambous coupés
à l'intérieur -Possibilité de mettre
plusieurs bambous côte à côte
|
-Permet de vidanger l'étang barrage -15
à 25cm de diamètre - Coupe longitudinale du tronc de
ravinala : intérieur vidé et
tronc recouvert d'argile
|
Raisons /motivations
|
-Système de vidange efficace et
résistant
|
-Matériel disponible facilement et
gratuitement
|
-Matériel disponible facilement
et gratuitement
|
Conditions de développement
|
-Observé sur des étangs de
10 à 62 ares
|
-Observé sur des petits étangs de 6
à 12 ares
|
- Observé sur un petit étang de 6
ares
|
Evaluation de la pratique
|
/
|
-Un pisciculteur parle d'une « solution
transitoire » avant de mettre un moine, jugé plus sûr -
L'autre pisciculteur est satisfait de son système de vidange et
compte le garder
|
- Satisfait de son système de vidange, il compte
en
mettre sur ses deux prochains étangs (le
plus
grand fera 28 ares)
|
Tableau 7: Comparaison de la pratique du
référentiel technique et de la pratique innovante
n°3
Chez 5 pisciculteurs, ces deux systèmes de
vidange alternatifs sont installés sur des étangs de petites
tailles, ne dépassant pas 12 ares et donc retenant un volume d'eau
faible à vider et à remplir
38
(voir Tableau 7). Aucun de ces pisciculteurs n'a connu
de casse de digue ou d'inondations dans son étang barrage pour le
moment.
Unanimement, ces pisciculteurs mettent en avant le
caractère gratuit et disponible de ces deux matériaux (voir
Tableau 7). Un des pisciculteurs n'aurait pas eu assez d'argent au moment de
son installation pour investir dans un système de vidange proposé
par l'APDRA (voir Tableau 6).
Les pisciculteurs ont des visions différentes
de ces systèmes de vidange. Un des pisciculteurs a eu besoin d'un nouvel
espace pour stocker ses hétérotis. Il a alors construit dans
l'urgence une digue en aval de son étang barrage sur une ancienne
rizière pour disposer d'un deuxième étang. Pour le
système de vidange, il a installé 3 bambous côte à
côte sous la digue (il aurait préféré mettre des
tuyaux PVC, selon lui plus résistants). Il parle d'une solution
transitoire car il n'avait pas les moyens pour construire un moine. Pour lui,
« rien n'est mieux que le moine ». Deux autres pisciculteurs y voient
des alternatives permanentes au moine. Un pisciculteur dit qu'il gardera son
bambou « tant que ça résiste ». L'autre va plus loin.
Il aménage en ce moment deux nouveaux étangs barrages dont l'un
fera 28 ares et servira au grossissement de ses carpes. Il compte y mettre des
troncs de ravinala car il est satisfait des
résultats obtenus sur son petit étang de 6 ares.
Le bambou et surtout le ravinala
ont été jugés fragiles et perméables
par les équipes techniques de l'APDRA, ce qui peut entrainer une casse
de la digue aval et une perte importante pour le pisciculteur. Le pisciculteur
qui utilise un tronc de ravinala dans son étang depuis 2 ans le
décrit pourtant comme « résistant » et une fois
placé sous la terre de la digue, « imperméable
».
Encadré n° 2 : Des sources de
l'innovation diverses :
Les 5 pisciculteurs qui ont adopté ces
systèmes de vidanges alternatifs sont tous situés dans la
même commune. Pour deux d'entre eux, non encadrés par l'APDRA,
cela s'est fait en observant le moine installé chez un pisciculteur
encadré par l'APDRA. L'idée d'utiliser du bambou en tant que
système de vidange est venue car il est parfois utilisé entre les
rizières dans la zone. Sinon, le pisciculteur qui ne pouvait pas
financer un moine lors de son installation a été conseillé
par un ACP, qui lui-même s'était inspiré de ce qu'il avait
vu dans une autre zone. Enfin, pour le système en tronc
ravinala, le pisciculteur dit y avoir pensé
tout seul. Il utilise des bambous entre ses rizières et a eu
l'idée du tronc de ravinala car le
diamètre est plus large. Un pisciculteur d'une autre zone, a
également adopté le tronc de ravinala,
mais seulement entre ses trous vidangeables et son canal de contournement (voir
Figure 16).
Autres points de vue sur l'innovation : Selon
un ACP, lorsque les installations d'étangs barrages sont faites par des
pisciculteurs relais (et non par les ACP), cela arrive qu'ils conseillent au
nouveau pisciculteur un système de vidange en bambou, surtout si le
nouveau pisciculteur dit ne pas avoir assez d'argent pour financer un
moine.
39
Figure 15: Photos de deux systèmes de vidanges en
bambous placés sous la digue aval de l'étang barrage
Figure 16: Photos d'un système de vidange en tronc de
ravinala chez un pisciculteur
Encadré n° 3 -Les différentes
opportunités que présentent ces systèmes de vidanges
alternatifs :
Sur la Côte Est, beaucoup de pisciculteurs
construisent des étangs de petites tailles. Selon les bases de
données APDRA, sur les 120 pisciculteurs possédant un
étang barrage, la superficie moyenne d'un étang barrage est de
22,3 ares (avec une moyenne de 12 ares pour les pisciculteurs installés
en 2019 et 2020). Cette solution de système de vidange gratuit et
facilement disponible
pour les pisciculteurs est à considérer.
En effet, elle peut servir : - A se lancer en pisciculture sans avoir
à investir dans le moine (voir Tableau 6)
- De solution transitoire avant d'installer un moine.
A considérer : le temps de travail pour casser et reconstruire une
partie de la digue afin d'y placer par la suite la buse en
béton.
- De solution permanente remplaçant le moine
pour certains étangs, notamment les étangs de petites tailles non
exposés à des débits d'eau trop importants.
Cependant ces systèmes de vidanges apparaissent
moins efficaces que le moine. En effet, le fait de ne pas pouvoir
réguler la lame d'eau aussi facilement qu'avec le moine peut être
un frein à la culture du riz en étang barrage et donc une perte
économique importante pour le pisciculteur. On remarque que les
pisciculteurs adoptant ces systèmes de vidange alternatifs ne
cultivaient pas de riz. De plus, lors des pêches, les buses en
matériaux végétaux peuvent se boucher et ralentir la
vidange de l'étang, ce qui peut grandement impacter le cheptel,
notamment si les poissons sont fortement exposés à des
températures élevées et au manque d'eau dans
l'étang pendant plusieurs heures.
|
40
Innovation n°4 : Les différentes
utilisations faites de l'étang barrage
Référentiel APDRA- L'APDRA
recommande d'utiliser l'étang barrage pour le grossissement des
espèces piscicoles.
Innovations rencontrées en ferme -Sur
le terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs utilisent
l'étang barrage pour d'autres finalités.
> Un réservoir d'eau pour les étangs
de services (2 pisciculteurs)
Deux pisciculteurs rencontrés utilisent leurs
étangs barrages comme réserve d'eau en période
sèche pour alimenter une batterie de trous vidangeables situés en
aval. Cela leur permet d'avoir de l'eau en permanence pour la reproduction (de
carpe et de tilapia) et pour le pré grossissement des
alevins.
> Un réservoir d'eau pour d'autres
activités agricoles ou d'élevages (4
pisciculteurs)
Deux pisciculteurs rencontrés ont
rapproché leurs pépinières (fruitiers et épices) de
leurs étangs barrage pour pouvoir arroser leurs plants avec de l'eau
facile d'accès et fertilisée. L'un d'eux utilise également
l'eau pour le maraîchage ainsi que d'autres activités agricoles
(voir annexe 5). Un autre pisciculteur utilise l'eau de son étang de
production, situé tout près du village, pour faire tourner son
alambic et produire de l'huile essentielle de girofle tout au long de
l'année. Une autre piscicultrice laisse ses zébus s'abreuver dans
son étang de production.
> Un réservoir pour stocker les poissons en
période sèche (>5 pisciculteurs)
Face au manque d'eau en période sèche
dans les rizières ou dans les trous vidangeables, l'étang barrage
sert de réservoir d'eau. Un grand nombre de pisciculteurs
rencontrés y transfèrent leurs cheptels de poisson sur l'ensemble
de la période sèche (entre septembre et novembre).
> L'étang de production comme étang
de reproduction de carpe (3 pisciculteurs)
La reproduction de carpe se fait parfois dans
l'étang barrage en réponse aux problèmes de vol ou de
manque d'eau dans les étangs de service. Trois pisciculteurs de
l'échantillon laissent leur lot de géniteurs carpes dans
l'étang barrage pendant la période de reproduction. Ils y placent
des supports de ponte (jacinthes d'eau) et attendent une ponte non
maîtrisée des génitrices. La ponte non
maîtrisée est moins performante que la méthode
contrôlée proposée par l'APDRA. En effet, la
différence de température, facteur principal du
déclenchement de la ponte, est moins contrôlée que dans les
étangs de service et le risque de mortalité des alevins y est
plus élevé (présence de prédateur comme le
Channa striata, compétition avec les poissons
de plus grosse taille). Cependant, le risque de vol des géniteurs
représente une perte économique importante pour les
pisciculteurs. En effet, le prix du kilo de géniteur de carpe
s'élève en moyenne à 15 000 MGA/kg (soit 3€) et le
pisciculteur qui perd ses géniteurs sera dans l'obligation d'acheter des
alevins et / ou des géniteurs carpes pour reconstituer son
cheptel.
> Un étang de stockage lors des risques
d'inondations (> 5 pisciculteurs)
L'étang barrage, par son trop plein et son
système de vidange, permet d'évacuer rapidement l'eau lors des
épisodes de fortes pluies (notamment lors des cyclones). Ce n'est pas le
cas des rizières ou des trous vidangeables qui peuvent être plus
exposés aux inondations. Une grande partie des pisciculteurs
rencontrés utilisent leurs étangs barrages pour stocker leur
cheptel lors des périodes propices aux inondations (décembre
à mars où les précipitations et le risque cyclonique sont
maximaux).
41
> Un étang de stockage des
géniteurs (> 5 pisciculteurs)
Du fait de sa profondeur plus importante que la
rizière ou le trou vidangeable, l'étang barrage sert chez
certains pisciculteurs d'étang de stockage des lots de géniteurs
carpes et tilapias (notamment entre janvier et juillet quand la carpe ne se
reproduit pas). Cela permet de laisser les lots de géniteurs dans une
surface assez grande où ils continuent à grossir. De plus,
l'étang barrage est facile à vidanger grâce au moine ce qui
permet de les récupérer facilement. Enfin, dans cet étang
profond, les risques de vols sont moindres que dans un trou vidangeable
où la pêche au filet est simple.
3.2.2 Les échanges entre les pisciculteurs, une
source d'entraide et d'interdépendance Référentiel
APDRA- L'APDRA conseille aux pisciculteurs d'un même groupement de
s'entraider pour faciliter les travaux d'aménagements (notamment la
construction de la digue aval de l'étang barrage) et les pêches.
Elle conseille également l'échange de géniteurs entre les
pisciculteurs pour favoriser le brassage génétique des
espèces.
Echanges innovants rencontrés entre les
pisciculteurs - Une grande partie de l'échantillon des
pisciculteurs rencontrés sur le terrain collaborent autour de
l'activité piscicole. Les échanges identifiés sont de
plusieurs types : échanges de travail, de foncier ou de capital (en
considérant le cheptel comme un capital). Ces échanges ont
principalement été observés entre les pisciculteurs d'un
même groupement. Nous présenterons ici deux types
d'échanges observés entre les pisciculteurs.
Innovation n°5 : Des échanges pour
favoriser la reproduction de la carpe (10 échanges
identifiés)
La carpe est une espèce nouvelle pour les
pisciculteurs enquêtés. Elle suscite un fort intérêt
car elle grossit plus vite et présente des performances optimales sans
sexage par rapport au tilapia (voir annexe 6). De plus, les consommateurs sont
attirés par ce nouveau poisson qu'il ne connaisse pas. Cependant, la
reproduction de la carpe nécessite une maîtrise technique (sexe
ratio des géniteurs, préparation de l'étang de ponte,
support de ponte) et certaines conditions physico-chimiques spécifiques
(de l'eau oxygénée et à température
élevée pour déclencher la ponte). La reproduction de la
carpe, plus difficile que celle du tilapia, a amené les pisciculteurs
à collaborer entre eux pour produire des alevins de carpes.
Dix échanges ont été
identifiés dans lesquels des pisciculteurs accompagnés par
l'APDRA font leur reproduction de carpe dans l'étang de ponte d'autres
pisciculteurs. Dans la majorité des cas identifiés (6 sur 10), un
pisciculteur dispose d'un étang de ponte disponible et un autre a des
géniteurs de carpes prêts à se reproduire. Ils reproduisent
les géniteurs de l'un dans l'étang de ponte de l'autre et les
alevins sont partagés à part égal. Nous présentons
ici 4 exemples aux modalités d'échanges diverses.
Exemple 1 : Un nouveau pisciculteur a besoin d'alevins
de carpes
Un nouveau pisciculteur encadré par l'APDRA,
situé dans le district de Mahanoro, a finalisé son étang
barrage de 13 ares au mois de mars 2020. L'APDRA lui a fourni 100 alevins de
carpes de 3g pour débuter. Afin d'empoissonner plus d'alevins de carpes
pour son premier cycle, l'ACP qui l'encadre lui a proposé d'accueillir
dans son trou vidangeable les géniteurs de carpes d'un autre
pisciculteur du district qui n'a pas assez d'étangs de ponte
disponibles. L'ACP transfère les géniteurs de l'un vers le trou
vidangeable de l'autre et l'accompagne techniquement pour la reproduction des
carpes. Une fois que la reproduction a lieu, le nouveau pisciculteur garde la
moitié des alevins produits et l'ACP ramène à l'autre
pisciculteur les géniteurs ainsi que l'autre moitié des alevins
produits.
42
Exemple 2 : Un pisciculteur n'a pas réussi
à faire sa reproduction de carpe
Un pisciculteur (P1) de la zone d'Andasibe n'a pas
réussi à reproduire ses géniteurs de carpes cette
année dans son étang de ponte. Selon lui, malgré l'eau
présente dans un de ses étangs de ponte, elle n'est pas assez
oxygénée et il ne peut pas la renouveler car il n'y a plus d'eau
venant de sa source (saison sèche). Avec l'ACP qui l'encadre, ils sont
allés voir un autre pisciculteur (P2) du groupement qui vit dans les
environs pour lui demander son aide. Ces deux pisciculteurs se
considèrent comme des « amis », ils ont un lien familial et
s'appellent l'un l'autre « beau-frère ». P1 a demandé
à P2 l'utilisation de son étang de ponte. P2 était
d'accord, d'autant plus qu'il avait déjà produit plus de 10 500
alevins de carpes en faisant trois reproductions cette année. A ce
moment-là, ils n'ont pas conclu les termes de l'échange (partage
des alevins produits ou non). P1 a transféré sa génitrice
de carpe chez P2 qui a empoissonné 3 de ses géniteurs mâles
pour la reproduction. P2 s'est occupé de la reproduction qui a bien
réussi, mais la génitrice de P1 est morte par la suite. La
moitié des oeufs ont été directement
transférée dans l'étang de ponte de P1 dans lequel il lui
restait de l'eau. L'autre moitié a éclos et a commencé son
pré-grossissement dans l'étang de ponte de P2. P1
récupérera l'autre moitié des alevins à
l'arrivée des premières pluies quand il aura suffisamment d'eau
dans ses trous vidangeables. Les deux pisciculteurs ont par la suite
discuté sans l'ACP et ont conclu que P1 garderait la totalité des
alevins produits. P1 estime avoir une dette morale envers P2. Il dit : «
s'il a besoin d'aide un jour, je l'aiderai ».
Trois hypothèses viennent renforcer le
caractère gratuit de cet échange :
- Le lien familial entre ces deux
pisciculteurs.
- P2 a produit beaucoup d'alevins de carpes cette
année et n'arrive pas à les vendre.
- La génitrice de P1 est morte chez P2
après la reproduction. Il y a donc une perte pour P1.
Exemple 3 : Un pisciculteur n'a pas réussi sa
reproduction de carpe
Un pisciculteur (P1) de la zone d'Amboditavolo n'a pas
réussi sa reproduction de carpe dans son étang de ponte. L'ACP le
met en lien avec une piscicultrice (P2) de la zone d'Ambalavolo qui a 6 trous
vidangeables avec de l'eau, même en saison sèche. Les deux
pisciculteurs se connaissaient très peu, ils s'étaient vus lors
des formations de l'APDRA. L'ACP a transporté les géniteurs de P1
sur l'exploitation de P2. P2 garde en stock tous les alevins de carpes de la
reproduction dans son trou vidangeable car P1 est en train de repiquer du riz
de saison dans son étang barrage à sec. Finalement, P1
récupèrera la moitié des alevins produits et ses
géniteurs avant le mois de mars et P2 gardera l'autre moitié des
alevins.
Exemple 4 : Quatre pisciculteurs reproduisent des
génitrices de carpes achetées en commun
Quatre pisciculteurs d'un même groupement de la
zone d'Ambodiaramy ont acheté 3 génitrices carpes cette
année auprès d'un ACP également pisciculteur qui leur
avait conseillé cette option pour être autonomes en alevins de
carpes. Ils ont fait reproduire ces carpes chez deux d'entre eux, qui disposent
de trous vidangeables alimentés en eau en période sèche et
de géniteurs mâles. Finalement, ils se divisent les alevins de
carpes produits. A titre d'exemple, une des deux reproductions de cette
année a donné 800 alevins et ils les ont divisés de la
manière suivante :
- 140 alevins chacun (= 560)
- 205 alevins stockés chez le pisciculteur qui
a fait la reproduction en guise de sécurité si l'un des 4
pisciculteurs rencontre des problèmes (casse de digue, vol,
...)
- 35 alevins en plus ont été
donné au pisciculteur qui a fait la reproduction chez lui (calcul du
prix des dépenses de nutrition des alevins en jaune d'oeuf et en poudre
de riz remboursé
directement en alevins sur la base du prix des alevins
dans la zone : 500 MGA/pièce).
43
Tableau comparatif des 4 exemples d'échanges
de géniteurs autour de la reproduction de la carpe :
Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4
|
|
Pas de lien : Ne se
|
Lien familial (beaux-
|
Faible lien : Se
|
Lien fort : habitent dans le même
|
Liens entre les
|
connaissent pas / Ne se
|
frères) : se considèrent
|
connaissent grâce à cet
|
village / Même groupement
|
pisciculteurs
|
sont jamais rencontrés /
|
comme des amis / Même
|
échange / Deux
|
|
|
Deux groupements différents
|
groupement
|
groupements différents
|
|
|
Intervention forte :
|
Intervention faible :
|
Intervention forte :
|
Intervention forte au départ :
|
|
L'ACP a organisé tout
|
L'ACP est intervenu lors
|
L'ACP les a mis en lien
|
L'ACP-pisciculteur leur a vendu
|
Intervention de
|
l'échange entre les deux
|
du première échange
|
/ a organisé tout
|
les génitrices et leur a conseillé
de
|
l'ACP
|
pisciculteurs
|
seulement
|
l'échange
|
faire des reproductions collectives de
carpe.
|
|
Economique : Partage
|
Economique : P1 garde
|
Economique : Partage
|
Economique : Partage d'une partie
|
Nature des
|
égal des alevins de
|
l'ensemble des alevins de
|
égal des alevins de
|
des alevins à parts égales
|
échanges
|
carpes produits
|
carpes produits
|
carpes produits
|
Social : 14 des alevins sont gardés
|
(économique et
|
|
Social : P1 dit avoir une
|
|
en réserve au cas où un des
|
social)
|
|
dette morale envers P2
|
|
pisciculteurs rencontrent des problèmes
(vols, inondations).
|
Durée de l'échange
|
Courte durée : juste le
|
Moyenne durée : Une
|
Moyenne durée : Les
|
Longue durée : 14 des alevins
|
|
temps de la reproduction
|
partie des alevins
|
alevins produits restent
|
appartiennent à tout le groupement
|
|
(<1 mois)
|
produits restent 2 mois
|
1 à 3 mois chez P2 car
|
tant que personnes ne rencontrent
|
|
|
chez P2 car P1 n'a pas
|
P1 a repiqué son étang
|
de problèmes
|
|
|
assez d'eau
|
avec du riz de saison
|
(> 3 mois)
|
|
|
(2 mois)
|
(1 à 3 mois)
|
|
Tableau 8: Comparaison des 4 exemples d'échanges de
géniteurs autour de la reproduction de la carpe
Analyse des 4 échanges de géniteurs carpes pour la
reproduction
Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4
Economique
3
2,5
2
1,5
Intervention de l'ACP
0,5
0
Lien entre les psiciculteurs
1
Durée de l'échange
Social
44
Figure 17: Analyse des 4 exemple d'échanges de
géniteurs de carpes pour la reproduction
Economique
|
0 : pas d'échange d'alevins / 3 : alevins
divisés totalement à parts égales
|
Social
|
0 : pas de dette morale / 3 : dette morale
importante
|
Durée de l'échange
|
0 : durée de stockage des alevins < 1 mois / 3
: Durée > 3 mois
|
Lien entre les pisciculteurs
|
0 : pas de lien / 3 : lien familial
|
Intervention de l'ACP
|
0 : pas d'intervention de l'ACP / 3 : forte intervention
de l'ACP
|
Tableau 9: Tableau explicatif des gradients des variables de
la figure 17
Dans l'exemple 1 et 3, les pisciculteurs ne se
connaissent quasiment pas avant l'échange et leur lien dépend
totalement de l'ACP qui les met en contact et transporte les géniteurs
de l'un vers l'autre. Dans l'exemple 1, les pisciculteurs ne se sont même
pas rencontrés et dans l'exemple 3, ils se connaissaient de vue lors des
réunions de l'APDRA (voir
Tableau 8). La durée de l'échange est
rapide pour l'exemple 1, elle ne dure que le temps de la reproduction et est un
peu plus longue pour l'exemple 3 car les alevins restent en pré
grossissement chez la piscicultrice qui a fait la reproduction.
L'échange est principalement économique, ils se partagent les
alevins. Une fois l'échange terminé, ils ne se doivent
apparemment plus rien. A noter que ces pisciculteurs ne font pas partie du
même groupement.
Dans l'exemple 2 et 4, on observe que les
pisciculteurs se connaissaient et que l'ACP n'a presque pas eu besoin
d'intervenir dans ces échanges (voir Figure 17). En effet, ces
pisciculteurs font partie du même groupement. L'échange est
beaucoup moins économique (voir Tableau 9). Dans l'exemple 2, les deux
pisciculteurs se considèrent comme des amis et « des beaux
frères ». Le pisciculteur qui fait sa reproduction chez l'autre
récupère l'ensemble de ses alevins sans contrepartie
économique. Il estime cependant avoir « une dette morale ».
L'échange dure plus longtemps car l'autre pisciculteur s'occupe du
pré grossissement de la moitié des alevins produits tant que son
beau-frère n'a pas d'eau dans ses trous vidangeables. Dans l'exemple 4,
les pisciculteurs se répartissent équitablement les alevins et
dédommagent le pisciculteur qui s'est occupé de la reproduction.
De plus, il garde des alevins en stock dans le cas où l'un des
pisciculteurs rencontrerait des problèmes (vol ou
45
inondation). Cette réserve d'alevins montre le
caractère organisé de ces pisciculteurs et la durée
importante de l'échange qu'ils ont mis en place (voir Figure
17).
D'autres formes d'échanges ont
été identifiés autour de la carpe comme l'échange
d'alevins de carpes contre des fertilisants (fiente de poule, fumier de
zébu) ou encore contre de la main d'oeuvre. A titre d'exemple, un
pisciculteur a échangé 1000 alevins de carpes contre la
construction de la maison de son gardien au bord de son étang
barrage.
Innovation n° 6 : Les systèmes d'entraide
face aux aléas climatiques
Sur la Côte Est certains pisciculteurs subissent
des tarissements de leurs étangs lors de la saison sèche
(d'octobre à décembre) et tous les pisciculteurs sont
exposés de manière plus ou moins importante aux risques
d'inondations, notamment en période cyclonique (de janvier à
avril). Des dynamiques d'entraides entre les pisciculteurs sont apparues pour
répondre à ces deux problèmes.
> Le transfert du cheptel d'un pisciculteur dans
l'étang d'un autre en cas de tarissement (5 échanges
identifiés)
Echanges innovants rencontrés entre les
pisciculteurs - Lors de la saison sèche, certains pisciculteurs
subissent un manque d'eau important qui met en danger leur cheptel. Une des
solutions est alors de transférer une partie ou l'ensemble de leurs
cheptels dans les étangs d'autres pisciculteurs qui disposent encore
d'une réserve d'eau.
Exemple 1 : Un pisciculteur transfère une
partie de son cheptel chez un autre pisciculteur du groupement
Un pisciculteur (P1) du groupement d'Ambodivoananto a
connu un tarissement de son étang barrage en 2018. Il a alors
transféré 8 gouramis et 4 hétérotis chez un autre
pisciculteur (P2) du groupement. Au sein de ce groupement, ils s'étaient
mis d'accord au préalable pour s'entraider sans contrepartie
financière en cas de problème de tarissement. P1 a pu conserver
ses tilapias et ses carpes dans son trou vidangeable. Il a ensuite
décidé de repiquer du riz de saison dans son étang barrage
et n'a pas récupéré ses poissons stockés au
début du retour des premières pluies. P2 a connu une inondation
dans l'étang où étaient stockés les poissons de P1
et l'ensemble de ces poissons ont été perdus. P1 dit n'avoir rien
à reprocher à P2 car il n'était pas venu
récupérer ses poissons à temps et les inondations sont des
phénomènes climatiques qui ne sont de « la faute à
personne ».
> Don ou prêt d'alevins ou de
géniteurs après une inondation (5 échanges
identifiés)
Lors des périodes de fortes pluies, les
pisciculteurs sont exposés à des risques importants d'inondations
et peuvent perdre une partie voire la totalité de leur cheptel,
notamment si la digue aval de l'étang barrage cède. A titre
d'exemple, lors du cyclone de février 2020, il y a eu 14 casses de
digues chez les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA, soit 10% des
pisciculteurs possédant un étang barrage ont été
touchés.
Echanges innovants rencontrés entre les
pisciculteurs - Sur le terrain, nous avons observé des dons ou des
prêts faits par un pisciculteur à un autre, quand ce dernier a
perdu son cheptel à cause d'une inondation. Les alevins de tilapias
s'échangent gratuitement entre les pisciculteurs des groupements de
l'APDRA. Lors des pertes liées aux inondations, les dons les plus
courants sont les dons d'alevins de tilapias. Les alevins de carpe ont de la
valeur et se vendent entre les pisciculteurs d'un même groupement.
Ceux-ci sont donc plus rares, tout dépend du lien entre les
pisciculteurs et des termes de l'échange.
46
Exemple 2 : Un ACP-pisciculteur aidé par 4
pisciculteurs après avoir subi une inondation
Un pisciculteur, également ACP, a perdu 50
géniteurs de carpes lors d'une inondation. Il stockait également
les géniteurs de carpe de deux autres pisciculteurs dans son
étang pour faire leurs reproductions. L'un des deux a été
aidé par le fond de solidarité de l'APDRA car il était
nouveau et l'autre n'a rien reçu, il a reconstitué son cheptel de
géniteurs à partir de ses carpes en grossissement.
L'ACP pisciculteur a reçu l'aide de 4
pisciculteurs de l'APDRA situés dans des zones distinctes. Sur les 4
pisciculteurs, l'ACP en encadrait 3. Il a reçu gratuitement 3
géniteurs de carpes de 3 pisciculteurs différents. Il a
également reçu 2 génitrices femelles et 8 mâles
carpes (valeur estimée à 150 000 MGA) en échange de 400
alevins de carpes en retour les mois suivants (valeur estimée à
200 000 MGA).
Cet ACP pisciculteur donne régulièrement
des alevins de tilapias et de carpes. Fin 2019 et début 2020, il a
donné un total de 2000 alevins de carpes à 8 pisciculteurs de
deux groupements différents : le sien (Ambohimiadana) et celui voisin de
la même commune (Tsarasambo). En annexe 9, une figure représente
les différents échanges identifiés (de différentes
natures) qui ont eu lieu au sein de ces deux groupements voisins. On observe la
place centrale de l'ACP pisciculteur dans ces échanges.
Encadré n°4 : Synthèse sur les
systèmes d'entraides face aux aléas climatiques
Ces mécanismes d'entraides ont
été identifiés plusieurs fois sur le terrain, la plupart
du temps entre les pisciculteurs d'un même groupement, sauf quand il
s'agissait d'un ACP pisciculteur (exemple 2).
Pour les transferts de cheptel en cas de tarissement,
il n'y a (apparemment) pas de contrepartie en échange de cette aide. Les
membres du groupe se mettent d'accord sur le fait que cette aide reste
gratuite. Un argument cité était que celui qui prête son
étang ne perd rien en retour. Cependant, il faut noter que celui-ci,
recevant le cheptel d'un autre, voit la densité d'empoissonnement de son
étang augmenter, ce qui diminue la croissance de son cheptel. L'exemple
1 a été confirmé par l'équipe technique de l'APDRA
qui avait déjà observé cette situation. En effet, quand un
pisciculteur perd le cheptel d'un autre à cause d'une inondation,
celui-ci n'a pas à rembourser l'autre pisciculteur. Premièrement
car l'inondation est un phénomène météorologique et
donc perçue comme inévitable et deuxièmement car l'autre
pisciculteur n'est pas venu récupérer son cheptel au moment de
l'arrivée des premières pluies.
Pour les dons en cas de perte liés à des
inondations, on assiste surtout à des dons d'alevins de tilapia entre
les pisciculteurs d'un même groupement car la production est plus
abondante et moins couteuse en travail et en investissement que la production
d'alevins de carpe. Des échanges dans le temps peuvent également
avoir lieu comme le don de géniteurs de carpes en échange
d'alevins de carpes quelques mois plus tard (exemple 2).
47
3.3 Deux innovations systémiques approfondies et une
étude sur les marchés de vente des pisciculteurs
enquêtés
3.3.1 Innovation systémique n°1 : La
combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière
chez un même pisciculteur :
Référentiel APDRA - Les deux
référentiels techniques de l'APDRA utilisés sur la
Côte Est, à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture
ont continué à être décrits comme deux
entités bien distinctes dans les différents rapports
écrits par l'APDRA. Très peu d'études ont
été menées sur les différents intérêts
à combiner ces deux types d'espaces piscicoles et les manières de
le faire en fonction de la conduite des espèces piscicoles
proposées. Pour l'instant, l'équipe de
la Côte Est a validé l'intérêt de l'utilisation de la
rizière comme étang de service à l'étang barrage,
notamment pour différentes opérations techniques comme la
séparation des géniteurs ou le pré grossissement des
alevins.
Dans les bases de données de l'APDRA Côte
Est, on observe qu'à ce jour, environ 10% des pisciculteurs combinent
les deux référentiels techniques sur leurs exploitations, soit
entre 20 et 25 pisciculteurs encadrés par l'ONG. Selon l'équipe
de l'APDRA, ce chiffre serait sous-estimé car un certain nombre de
pisciculteurs utilisent ponctuellement leurs rizières comme
étangs de service à l'étang barrage sans être
enregistrés comme tel.
Dans l'étude de cette innovation, nous
cherchons à mettre en avant différentes combinaisons innovantes
des deux référentiels techniques chez différents
pisciculteurs. L'objectif est de faire ressortir les caractéristiques,
les intérêts que peuvent avoir les pisciculteurs à combiner
ces deux référentiels techniques et les conditions dans
lesquelles leur combinaison est de leur point de vue efficace et
intéressante. Notre échantillon se compose de 4 pisciculteurs
issus de 4 zones différentes.
3.3.1.1 : Les différentes pratiques retenues
pour décrire les systèmes d'élevage
rencontrés
Elevages mono ou pluri spécifiques
?
|
Quelles espèces ?
|
Où se fait le grossissement ?
|
|
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|
|
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|
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CE1: En étang barrage
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Carpe
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CE2: En rizière
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Mono spécifique
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|
CE3: En rizière
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|
Elevage
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|
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|
|
|
|
Pluri spécifiques
|
|
|
Carpe et tilapia
|
|
|
CE4
En rizière
|
|
|
|
|
|
|
Figure 18: Les différents pratiques retenues pour
décrire les systèmes d'élevage des 4 pisciculteurs
enquêtés
48
Les 4 pisciculteurs rencontrés utilisent
différemment leurs surfaces empoissonnées (voir Figure 18). Ils
se distinguent des référentiels techniques proposés par
l'APDRA car ils ne font pas de grossissement plurispécifique dans leur
étang barrage :
- Un pisciculteur utilise son étang barrage pour
l'élevage monospécifique de carpe en monoculture (CE1) et utilise
ses rizières pour l'élevage monospécifique de tilapia
(CE3) - Un pisciculteur utilise ses rizières pour
l'élevage de carpe en monospécifique (CE2)
- Deux pisciculteurs utilisent leurs rizières
pour l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia (CE4). L'un
d'entre eux fait également de l'élevage monospécifique de
carpe dans une partie de ses rizières. (CE2)
3.3.1.2 L'étude de deux trajectoires
d'exploitations
> Une piscicultrice (P1) qui est passée
de la pisciculture dans un étang barrage de 8 ares à plus d'un
hectare de rizières empoissonnées (voir annexe 12)
Caractéristiques de l'exploitation :
P1 a commencé la pisciculture avec l'APDRA en
2016. Elle se situe dans une zone très isolée, difficilement
accessible, à 2 heures de moto depuis la route nationale 11A. Avec son
mari et ses enfants, ils possèdent un étang barrage de 8 ares, 6
trous vidangeables et plus d'un hectare de rizières
aménagés pour la rizipisciculture depuis 2018. Certaines de ses
rizières ont été léguées à ses 3
enfants mais c'est toujours elle qui dirige l'activité piscicole sur
l'exploitation et ils se partagent équitablement les poissons obtenus
lors des pêches. Une partie des rizières se trouve en amont et est
moins exposée aux risques d'inondations. Elle ne connait pas de
problème de tarissement de ses parcelles en saison sèche. Le vol
est un problème survenu plusieurs fois. Lors de notre échange, le
mari était au tribunal pour régler une affaire de vol de carpes
sur leur exploitation.
Evolution des pratiques et des stratégies de la
piscicultrice sur son exploitation :
En 2016 et en 2017, cette piscicultrice faisait des
cycles de 6 mois de grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia
en étang barrage et a obtenu des rendements de plus de 500 kg/ha/an. En
2018, conseillé par l'équipe de l'APDRA, elle décide de
prolonger son cycle de grossissement à 1 an pour augmenter le
grossissement de ses poissons car elle n'en était pas satisfaite.
Cependant, lors de ce cycle, elle subit un vol de l'ensemble de son cheptel qui
la démotive à continuer la pisciculture. Cette même
année, elle participe à une visite échange
organisée par l'APDRA dans la région Itasy sur les Hautes Terres
de Madagascar. Elle y découvre la rizipisciculture qu'elle décide
d'adopter à son retour. L'adoption de la rizipisciculture lui permet
d'augmenter ses surfaces empoissonnées (multiplier par 12 en 2 ans) et
de répartir son cheptel dans l'espace et ainsi diminuer les risques de
vol.
« La rizipisciculture m'a permis d'augmenter ma
production piscicole et de diminuer les risques de vol » P1, novembre
2020
En 2019, elle a vendu 5000 alevins de carpes
localement pour avoir de l'argent et finaliser la construction de sa maison en
bois avec un toit en tôle. Il lui manque alors des alevins au mois de
juillet 2020 pour empoissonner l'ensemble de ses rizières. En 2021, elle
aimerait empoissonner une surface plus importante de ses rizières au
risque de les perdre lors de la saison cyclonique. Son mari s'y oppose et
préfère vendre les alevins, une stratégie qu'il juge plus
sûre. A moyen terme, elle aimerait acheter
49
des grilles pour éviter la perte de ses
poissons en rizières lors des inondations et une décortiqueuse
pour leur riz et celui des gens du village. Elle utiliserait le son de riz pour
nourrir ses poissons.
> Un pisciculteur(P2) qui mise de nouveau sur
l'étang barrage pour faire grossir ses alevins de carpes qu'il n'arrive
pas à vendre (voir annexe 10)
Caractéristiques de l'exploitation :
P2 est un pisciculteur situé à 16 km de
Vatomandry en passant par des routes secondaires peu praticables. Il a
commencé la pisciculture en 2004 en élevant du gourami
pêché dans les cours d'eau mais il a fini par arrêter par
manque de connaissances techniques. Il a repris la pisciculture avec l'APDRA en
2017 en rizière puis très rapidement a construit un étang
barrage de 6 ares avec l'argent des premières pêches. Il a
aujourd'hui près d'un demi-hectare de rizière empoissonné
près de sa maison. Il est en train de construire deux étangs
barrages supplémentaires. La partie aval de ses rizières est
exposée aux risques d'inondations. P2 a des parcelles de café,
c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent. Grâce à ses
rizières, lui et sa famille arrivent à être auto-suffisant
en riz.
Evolution des pratiques et des stratégies du
pisciculteur sur son exploitation :
Lors de son premier cycle d'élevage de carpe et
de tilapia en 2017, il a d'abord fait pré grossir ses poissons dans ses
rizières pendant 3 mois. Il a perdu ses tilapias lors d'une inondation
dans ses rizières. Il a ensuite transféré ses carpes dans
son étang barrage de 5 ares. Il a remarqué que ses carpes
grossissaient mieux en étang barrage qu'en rizière car elles
avaient plus d'espace. Jusqu'en 2020, P2 faisait de la monoculture de carpe en
rizière et utilisait ponctuellement son étang barrage en fonction
de la disponibilité en eau de celui-ci. Cependant, ses carpes ne
grossissaient pas beaucoup en rizière, selon lui à cause de la
faible lame d'eau et la présence du riz qui gêne les carpes (il
n'a pas de canaux refuges dans toutes ses rizières). L'ACP qui l'encadre
dit que ses carpes ne font que pré grossir en rizière et ne
dépasse pas 100 à 150 g. P2 vendait ses carpes en tas dans les
villages environnants.
« Les pisciculteurs de la zone ne veulent que des
petites quantités d'alevins, moins de 100, mais moi j'ai beaucoup
d'alevins à vendre I » P2, novembre 2020
En 2020, P2 a réussi à produire plus de
11 000 alevins de carpe sur 4 reproductions. Il espérait vendre ses
carpes à d'autres pisciculteurs et gagner beaucoup d'argent. Cependant,
il se trouve dans une zone reculée difficile d'accès et il n'a
pas beaucoup de contacts d'acheteurs. Il a demandé à l'APDRA de
l'aider pour lui trouver des clients ou pour lui acheter directement ses
alevins. Il a réussi à vendre une centaine d'alevins seulement
à un de ses voisins. Avec cet argent, il a pu embaucher de la main
d'oeuvre pour finaliser la construction de deux étangs barrages, dont un
de 28 ares. Vu qu'il n'arrive pas à vendre ses alevins, il
prévoit de faire le pré grossissement de ses carpes en
rizières et le grossissement de 1600 alevins carpes dans son
étang barrage de 28 ares. Les tilapias qu'un ami va lui fournir seront
empoissonnés dans le deuxième étang en construction afin
de tester quel poisson grossit le mieux.
50
3.3.1.3 Les principaux intérêts de la
combinaison de la pisciculture en étang barrage et en
rizière
> Avantage de la rizipisciculture : augmenter
les surfaces empoissonnées pour un faible coût
d'aménagement
Selon les bases de données de l'APDRA, une
grande partie des pisciculteurs qui combinent les deux
référentiels techniques ont commencé avec la pisciculture
en étang barrage et ont ensuite développé la
rizipisciculture quand l'APDRA a diffusé ces techniques
développées sur les Hautes Terres. Sur les 4 pisciculteurs
enquêtés, 3 d'entre eux ont participé à des visites
échanges chez des rizipisciculteurs des Hautes Terres de l'île
avant d'adopter la rizpisciculture. Ces échanges organisés par
l'APDRA ont permis aux 3 pisciculteurs d'apprendre des techniques
rizipiscicoles et d'échanger avec d'autres pisciculteurs. Ils parlent de
ces échanges comme d'un moment riche d'apprentissage
L'adoption de la rizipisciculture a permis
d'augmenter, à faible coût, les surfaces piscicoles des
exploitations. En effet, ces pisciculteurs avaient déjà des
rizières. Les seuls aménagements à faire
recommandés par l'APDRA sont le rehaussement des diguettes et
l'installation d'un canal refuge au milieu des rizières. Le canal refuge
n'est pas adopté par tous les pisciculteurs rencontrés. En effet,
les sols de la Côte Est sont principalement constitué d'argiles et
la formation de boue est fréquente (Roederer, 1972). Le canal peut se
boucher rapidement au cours d'un cycle d'élevage. La construction d'un
étang barrage demande des investissements plus lourds. La construction
de la digue aval demande elle une quantité de travail importante. Le
pisciculteur emploie alors de la main d'oeuvre et/ou mobilise la main d'oeuvre
familiale de l'exploitation. De plus, le moine est une dépense
monétaire incompressible (voir Tableau 6). Les pisciculteurs mettent
généralement plusieurs années (entre 0,7 et 5,6
années selon le RSE) à rembourser leurs investissements
lorsqu'ils construisent un étang barrage.
Sur les 4 pisciculteurs enquêtés, 2 ont
multiplié par 10 leurs surfaces empoissonnées en 2 ans. Pour l'un
des autres pisciculteurs, les deux systèmes lui ont permis de
séparer ses carpes et ses tilapias car il rencontrait des
problèmes de surdensité d'alevins de tilapia dans son
étang barrage, qui selon, lui freinait la croissance de ses carpes. Le
dernier pisciculteur a un étang barrage de petite taille (6 ares). Il ne
l'utilise jusqu'alors presque pas car il tarit en saison sèche. Il
utilise ses rizières pour le grossissement de ses carpes.
L'adoption de la pisciculture en rizière
impacte la culture du riz. L'un des 4 pisciculteurs faisait autrefois 3 cycles
de riz par an alors qu'il n'en fait plus que 2 depuis qu'il y associe
l'élevage de poisson. Il a arrêté de faire du
« vary ririnina », la variété
de riz à cycle court. En effet, le travail du sol, notamment le
piétinage du sol par les zébus demande un à sec total des
rizières et donc une maîtrise plus importante de l'eau, en plus de
pêches qui peuvent fragiliser une partie du cheptel. Le pisciculteur dit
être satisfait car le « vary ririnina
» ne fait que des petits grains et que quand il n'y a pas de
riz dans les rizières, la fertilité de l'eau « ne profite
qu'aux poissons qui grossissent mieux ». Un autre pisciculteur a
adopté des variétés de riz à cycle
intermédiaire de 4 mois et à pailles longues qui peuvent
atteindre plus d'un mètre. Le passage d'un cycle de riz long (vary vato)
à un cycle de riz intermédiaire lui laissent plus de temps pour
organiser les différents travaux agricoles, principalement le
piétinage par les zébus et l'apport de fertilisant (fumier de
zébu et fiente de volaille). Cela lui permet après la
récolte du riz, de garder ses lots de poissons dans quelques
rizières où il maintient une lame d'eau suffisante pendant qu'il
travaille sur ses autres rizières.
51
> Des fonctions de l'étang barrage
différentes de celles recommandées par l'APDRA :
Les 4 pisciculteurs de l'échantillon
n'utilisent plus leurs étangs barrages pour le grossissement
plurispécifique de leurs poissons depuis qu'ils ont des
rizières.
Un pisciculteur utilise ses étangs barrages
comme étang de stockage lorsqu'il rencontre des problèmes de
sécheresses ou d'inondations dans ses rizières. Cette
année, il n'a pas manqué d'eau dans ses rizières. Quand
cela lui arrive, il se sert de ses étangs barrages qui ne tarissent pas,
pour stocker son cheptel (en priorité les poissons les plus gros). Les
risques d'inondations en rizières sont plus fréquents (entre
janvier et mars), il utilise alors ses étangs barrage pour stocker son
cheptel. En effet, le système de vidange de l'étang barrage
permet de réguler plus facilement le niveau d'eau et le trop plein
permet d'éviter les risques de débordements. Après le mois
mars, il pêche ses poissons stockés, les vend s'il a des commandes
ou les remet en grossissement dans le cas contraire. Un autre avantage du
stockage en étang barrage est que la pêche à
l'épervier (filet lesté qui piège les poissons proches de
la surface) est très facile pour de petites quantités de poissons
pour l'autoconsommation ou la vente en détail à des
voisins.
Une piscicultrice utilise son étang barrage
entre janvier et juillet pour stocker ses géniteurs de carpes et de
tilapias et stocker ses alevins de carpes de l'année
précédente. Dans le même temps, les géniteurs de
tilapias se reproduisent en continu. L'étang barrage est l'endroit le
plus sûr sur son exploitation face aux risques d'inondations. Elle fait
une première pêche en mai pour récupérer ses
géniteurs de carpes qu'elle sépare avant la reproduction. A ce
moment elle récupère également des alevins de tilapias
pour les faire pré grossir dans des trous vidangeables. Au mois de
juillet, elle refait une pêche de son étang barrage pour enlever
tous les poissons qui s'y trouvent : les géniteurs de tilapias sont
transférés dans des trous vidangeables avec les alevins de
tilapia et les alevins de carpe sont empoissonnés dans l'ensemble des
rizières aménagées de l'exploitation. L'étang
barrage sert alors pour la reproduction de carpe à partir du mois
d'août car il y a moins de risque de vol que dans un trou vidangeable.
Elle place des jacinthes d'eau dans son étang barrage et
récupère au fur et à mesure les jacinthes d'eau où
sont présents des oeufs de carpes pour les transférer dans un
trou vidangeable. Fin novembre, elle fait une pêche de son étang
barrage pour récupérer les géniteurs et les alevins de
carpe encore présents. Le tout est transféré dans les
trous vidangeables en attendant que l'étang barrage se
remplisse.
Un pisciculteur utilisait en 2020 son étang
barrage pour stocker ses géniteurs de carpes d'avril à juillet.
Il vivait à ce moment près de son étang barrage et il
préférait garder ses géniteurs de carpes près de
lui pour éviter le vol. Après le mois d'août, il n'avait
plus assez d'eau dans son étang barrage. Il a donc décidé
d'y cultiver uniquement du riz sur la totalité.
Le dernier pisciculteur utilise son étang
barrage comme source d'eau pour faire fonctionner ses deux alambics. Quand il a
assez d'eau dans son étang barrage, il fait deux cycles de riz par an et
deux cycles de grossissement de six mois d'alevins carpes achetés
(élevage monospécifique). Quand son étang barrage manque
d'eau, il choisit de ne faire qu'un cycle de riz (riz de saison) et un cycle de
grossissement de carpes d'un an. Il s'assure d'avoir de l'eau dans son
étang barrage pour faire fonctionner ses deux alambics en saison des
pluies et un alambic en saison sèche. L'emplacement de son étang
barrage (juste à côté du village) est idéal pour
installer ses alambics et louer leur utilisation aux villageois pour qu'ils
distillent leurs feuilles de girofle (voir annexe 13).
52
3.3.2 Etude de cas n°2 : Différentes
conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil
Référentiel APDRA - Le tilapia
du Nil (O.niloticus) est une espèce qui a une
maturité sexuelle précoce et qui se reproduit fréquemment
et en nombre important. En effet, à l'âge adulte, 60
géniteurs (15 mâles et 45 femelles) produisent en moyenne 5000
alevins en 1 mois (APDRA, 2017b). La surdensité d'alevins de tilapia de
différentes générations dans un même étang
entraine une compétition alimentaire (Lazard et al., 1990) et des effets
de cannibalisme des plus gros alevins sur les petits. Cela réduit de
manière significative le Gain Moyen Quotidien5 (GMQ) des lots
de tilapias, surtout dans les systèmes extensifs proposés par
l'APDRA où il n'y a pas ou peu d'apport de fertilisants et/ou
d'aliments.
Dans le but de maximiser la croissance des tilapias
dans un système extensif, l'APDRA recommande un certain nombre
d'étapes (voir Figure 19) afin d'obtenir des « fingerlings »
(tilapia d'une taille de 2 à 3 doigts, soit environ 20 à 30g)
mâles pour le grossissement dans l'étang barrage (APDRA, 2017b).
En effet, l'indice de performance de croissance est plus élevé
pour un élevage monosexe mâles de tilapia (O.niloticus) que pour
l'élevage pluri sexes ou l'élevages monosexe femelles (Lazard et
al., 1990).
Figure 19: Les étapes piscicoles menant au sexage des
fingerlings de tilapia dans l'étang de service
Source : (APDRA, 2017b)
Etape 1 : Empoissonnement des géniteurs
(T0)
Afin d'améliorer le génotype du lot de
poisson, l'ADPRA encourage le brassage génétique et l'utilisation
de géniteurs ayant connus une bonne croissance. Elle recommande
également de respecter le sexe ratio suivant : 1 géniteur
mâle pour 3 génitrices femelles. Ce sexe ratio représente
une fécondité optimale du tilapia en étang (Abdel-Fattah
M.El Sayed, 2006). Les géniteurs sont empoissonnés ensemble dans
un étang de service.
Etape 2 : Retrait des géniteurs ou pêche
des larves naissantes (T30)
Après 20 à 30 jours, les
géniteurs se sont reproduits entre eux et ont donné naissance
à une population d'alevins de la même génération (au
stade de larves). Pour éviter qu'une deuxième population
d'alevins ne naisse, l'APDRA recommande de retirer les géniteurs de
l'étang de service. Pour cela une première pêche est
effectuée en vidant l'étang de service, en stockant les alevins
de
5 Le Gain Moyen Quotidien
(GMQ) représente la masse gagnée ou perdue en moyenne chaque jour
par un poisson ou un lot de poisson sur une période donnée
(exprimé dans l'étude en g/j pour un cycle donné)
53
tilapia et en retirant les géniteurs.
L'étang est ensuite rempli de nouveau et les alevins sont
réempoissonnés.
L'APDRA propose également de pêcher
directement les larves naissantes tous les 7 à 15 jours pour avoir des
lots homogènes et de les empoissonner directement dans un autre
étang. Cette technique permet de laisser le lot de géniteurs se
reproduire plusieurs fois pour obtenir une quantité importante
d'alevins.
Etape 3 : Pêche de comptage
(T60)
Un mois après la pêche des
géniteurs ou le pré grossissement d'un lot homogène
d'alevins dans un autre étang, les alevins ont grossi un petit peu et
sont moins fragiles. On effectue alors une pêche de comptage. Celle-ci
sert à garder uniquement le nombre d'alevins de tilapias
nécessaire pour empoissonner l'étang barrage. Il faut alors
sélectionner les alevins les plus gros et de préférence
d'une taille plutôt homogène pour faciliter le sexage. Pour cette
seconde pêche, l'étang de service est de nouveau vidé puis
rempli.
Etape 4 : La pêche de sexage
(T90-T150)
Après 3 à 5 mois de
pré-grossissement en moyenne (selon la fertilisation, l'alimentation
apportée et la densité d'alevins), les alevins de tilapias
obtiennent la taille de fingerlings (20 à 30g). A cette taille, il est
possible de reconnaître facilement le sexe des alevins de tilapia. Une
nouvelle pêche, la pêche de sexage, a alors lieu afin de
séparer les alevins mâles et les alevins femelles. Ils sont
empoissonnés dans l'étang barrage. Les alevins femelles peuvent
être consommés ou vendus. On peut noter que sur le terrain pour
1000 alevins de 20 g produits, environ 1 tiers sera sélectionné
comme alevins mâle. En effet, en plus du tiers de femelle, le dernier
tiers est constitué d'alevins dont le sexe est difficile à
définir. Plus la taille du tilapia grandi, plus le tilapia est facile
à sexer.
Etape 5 : Le grossissement des fingerlings mâles
dans l'étang barrage
L'APDRA conseille un cycle de grossissement de 6 mois
pour pouvoir faire deux cycles de grossissement par an. En
général, les tilapias atteignent la taille d'une main, soit
environ 200 g (APDRA, 2017b). Ce chiffre dépend principalement de la
densité d'empoisonnement, du niveau de fertilité de
l'étang et de l'apport d'aliments.
Lors du sexage, qui se fait manuellement, les erreurs
sont inévitables, entre 2 et 10% (Lazard et al., 1990) et des tilapias
femelles sont réempoissonnées par erreur dans l'étang
barrage. Cela donne naissance à des générations d'alevins
de tilapia non désirées. C'est pourquoi, l'APDRA recommandait
d'associer le tilapia avec le paratilapia, un prédateur qui aurait pour
rôle d'éliminer ces populations non désirées.
Cependant, le paratilapia est jugé peu efficace par les pisciculteurs et
les équipes de l'APDRA. Actuellement, malgré les recherches et
les tests qui sont en cours en station sur d'autres espèces, aucun
prédateur satisfaisant n'a pu être identifié sur la
Côte Est.
Encadrée n°5 : Les conditions
nécessaire recommandée par l'APDRA pour l'élevage du
tilapia :
- Au moins 1 étang de service mobilisé pour
le tilapia ; cet étang doit pouvoir être alimenté en eau
(rapidement) après les trois différentes pêches (retrait
des géniteurs, comptage et sexage) - Maitriser la
technique de sexage des alevins de tilapia
- Un étang barrage pour le grossissement des
tilapias mâles
54
Innovations rencontrées - Sur le
terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs conduisent leurs
cheptels de tilapia différemment de ce que recommande l'APDRA. Le point
de départ de cette étude a été d'observer l'absence
de la pêche de sexage chez les pisciculteurs de notre échantillon.
En effet, des pisciculteurs déjà expérimentés, qui
réalisaient le sexage auparavant, ont arrêté de le faire.
On parle alors d'une innovation par retrait car la technique de sexage a
été enlevée de la conduite d'élevage du tilapia par
ces pisciculteurs (Goulet & Vinck, 2012).
Notre échantillon se compose de 8 pisciculteurs
situés dans 7 zones différentes. Nous nous intéressons ici
aux différentes raisons qui ont amené ces pisciculteurs à
cesser de sexer les fingerlings de tilapia, et plus généralement,
à l'étude des différentes conduites d'élevages du
tilapia par rapport à ce que recommande l'APDRA.
3.3.2.1 Analyse zootechnique des différentes
pratiques d'élevages du tilapia
Nous avons décrit la diversité des cycles
d'élevages rencontrés dans notre échantillon du point de
vue de trois pratiques clés, qui les discriminaient
particulièrement :
- L'utilisation ou non d'un lot de tilapias comme
géniteurs dans le but de les faire se reproduire entre
eux.
- Le type de reproduction :
Si le pisciculteur retire ses géniteurs de
l'étang avant leur deuxième cycle de reproduction, soit à
peu près 30 jours après l'empoissonnement des géniteurs,
il y a une seule génération d'alevins qui nait.
Si le pisciculteur laisse ses géniteurs ensemble
pendant plus de 30 jours, on parle de reproduction continue et plusieurs
générations d'alevins naissent.
Si le pisciculteur n'empoissonne pas de géniteurs
mais seulement des alevins de tilapias et
qu'ils se reproduisent une fois leur maturité
sexuelle atteinte, on parle de reproduction spontanée et en
général, plusieurs générations d'alevins
naissent.
- La pratique de la pêche de sexage pour
n'empoissonner que les tilapias mâles dans l'étang
barrage.
Ces trois pratiques zootechniques nous permettent de
montrer une diversité de conduites d'élevage du tilapia. A noter,
un pisciculteur peut adopter plusieurs conduites d'élevages sur son
cheptel de tilapia. Cependant, ces pratiques sélectionnées ne
suffisent pas pour dire que les pisciculteurs conduisent de la même
façon leurs lots de tilapias. D'autres critères ont
été relevés et seront mentionnés par la
suite.
Les différentes pratiques retenues pour
décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia
pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés
L'empoissonnement -Utilisation de géniteurs
? -Sexe ratio géniteurs ? -Autres espèces présentes
?
La reproduction - Type de reproduction ? - Type
d'étang ? -Autres espèces présentes ?
Le pré grossissement et le grossissement :
-Pré grossissement et grossissement séparés ? -
Type d'étang ? - Durée du ou des cycle(s) ? - Pratique de
la pêche de comptage ? de sexage ? - Autres espèces
présentes ?
Séparation géniteurs-alevins
Stockage Alevins de TTV
sexage
CE1:
Grossissement Tilapias mâles
Retrait des géniteurs avant leurs 2ème
cycles de reproduction
Pré grossissement alevins TTV*
Empoissonnement
Alevins TTV
sexage
CE3
Pré grossissement et grossissement TTV
CE4
Pré grossissement et grossissement TTV
Géniteurs Tilapias
Reproduction continue
Reproduction spontanée
Pré grossissement alevins TTV
CE2
Grossissement Tilapias mâles
|
55
*TTV : Tilapia Tout Venants : des tilapias qui ne sont pas
sexés
Figure 20: Les différentes pratiques retenues pour
décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia
pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés
56
CE1 : Un cycle d'élevage qui se rapproche du
référentiel de l'APDRA (3 pisciculteurs)
Ce type de conduite d'élevage du tilapia
représente les pisciculteurs qui, a priori, suivent le
référentiel de l'APDRA. En effet, ils gèrent la
reproduction des géniteurs de tilapias en faisant en sorte que les
générations d'alevins produites ne soient pas
mélangées entre elles. Ensuite, ils laissent les alevins
pré grossir dans des trous vidangeables bien alimentés en eau.
Ces 3 pisciculteurs possèdent de nombreux trous vidangeables (de 5
à 14). Ils ont une bonne gestion et une bonne disponibilité en
eau dans ces trous vidangeables pendant toute la période sèche
(septembre à novembre).
On observe que 2 des 3 pisciculteurs vendent leurs
alevins de tilapias en priorité et ne les font presque pas grossir. En
effet, ils laissent pré grossir leurs alevins de tilapias entre 1 et 5
mois dans leurs trous vidangeables et les vendent par la suite (de 1 à
20g). L'un deux ne fait plus de grossissement de tilapias mâles dans son
étang barrage car il obtenait de mauvais rendements (200kg/ha/an)
à cause de la mauvaise fertilité naturelle de celui-ci. L'autre,
quand il lui reste des alevins non vendus, les sexe pour ne faire grossir que
les mâles dans son étang barrage. Cette année 2020, il a
vendu l'ensemble de sa production d'alevins de tilapia et n'en a pas fait
grossir. Ces deux pisciculteurs se sont spécialisés dans le
marché de vente d'alevins de tilapias.
Le troisième pisciculteur fait grossir ses
alevins dans ses trous vidangeables jusqu'à la taille sexable
(fingerlings). Il sexe ensuite les fingerlings et ne fait grossir que les
mâles dans son étang barrage. Cependant, lors de la saison de
reproduction de la carpe (de juillet à décembre), il mobilise ses
5 trous vidangeables pour la séparation des géniteurs de carpes,
leurs reproductions et le pré grossissement des alevins de carpes. Il a
alors développé une technique alternative pour produire des
fingerlings de tilapia (CE2).
CE2 : Un cycle d'élevage comprenant une
technique alternative au référentiel de l'APDRA pour produire
des fingerlings de tilapias (1 pisciculteur)
Le pisciculteur enquêté dispose d'un
étang de 20 ares équipé d'un système de vidange en
tuyau PVC de grosse taille et un canal de drainage aménagé. Tout
au long de l'année, il utilise cet étang pour produire des
fingerlings de tilapias. Il empoissonne 60 à 80 géniteurs de
tilapia (sexe ratio APDRA) qui se reproduisent en continu sur une
période de 6 mois. Il fait une première pêche en juin en
récoltant le riz de saison et prélève les alevins les plus
gros. Le canal lui permet lors des pêches, de ne vidanger qu'une partie
de son étang et donc de garder une lame d'eau suffisante, utile en
période sèche, pour les géniteurs et les alevins non
récupérés. Ensuite, il transfère les alevins dans
des moustiquaires situées dans le canal de contournement ou dans un de
ses trous vidangeables. Il fait alors le sexage des fingerlings qui ont une
taille assez grande et empoissonne les alevins mâles dans son
étang barrage de 62 ares. Les alevins femelles sont autoconsommés
et les alevins de taille non sexable sont laissés à pré
grossir plus longtemps dans un de ses trous vidangeables.
Le sexage des fingerlings de tilapia lui prend du
temps et nécessite de la main d'oeuvre formée. Il fait donc appel
à d'autres pisciculteurs du groupement pour l'aider. Finalement, on
constate que les rendements de ce pisciculteur restent faibles. Lors de la
dernière pêche de son étang barrage de 62 ares (cycle de 10
mois), il n'a obtenu que 25 kilos de tilapias d'un poids moyen de 80 g et 25
kilos d'alevins de tilapia non désirés. Selon lui, cela serait
dû aux erreurs de sexage inévitables et à la
difficulté qu'il rencontre à faire un à sec total de son
étang de barrage pour éliminer les alevins de tilapia restants
entre chaque cycle.
57
CE3 : Un cycle d'élevage de production de
tilapias tout venant par reproductions en continu
(4 pisciculteurs)
Les 4 pisciculteurs enquêtés font de la
reproduction en continu d'un lot de géniteurs de tilapias. Le pré
grossissement et grossissement des tilapias se fait dans le même espace
que le lot de géniteurs. 3 des 4 pisciculteurs enquêtés
rencontrent un manque de trous vidangeables alimentés en eau pendant la
saison sèche.
Deux pisciculteurs (voir annexe14 et 15) empoissonnent
une partie de leurs géniteurs dans leurs étangs barrages sur des
cycles de 6 mois à 1 an en fonction de la disponibilité en eau.
Leur objectif principal est d'obtenir beaucoup d'alevins de tilapias pour
ensuite les revendre à d'autres pisciculteurs. Lors de leurs
pêches finales de l'étang barrage, ils récupèrent
les alevins de tilapias et les stockent dans leurs trous vidangeables. Ces
alevins peuvent avoir des âges variés (de moins d'un mois à
presque 1 an) ce qui impacte directement leur croissance (Abdel-Fattah M.El
Sayed, 2006). Les tilapias de plus grosses tailles sont vendus,
autoconsommés ou parfois servent à la reconstitution du lot de
géniteurs. Un des deux pisciculteurs mobilise également une de
ses rizières pour faire de la reproduction en continue et ainsi produire
des d'alevins destinés à la vendre.
Un autre pisciculteur fait de la monoculture de
tilapia dans un étang de 3,5 ares équipé d'un moine. Il
laisse se reproduire en continue 40 géniteurs de tilapia (sexe ratio
APDRA) dans l'objectif d'obtenir beaucoup de petits tilapias pour les vendre.
Il fait une pêche environ tous les 4 mois et vend les tilapias de plus de
50 g en tas, localement. Il réempoisonne les tilapias de moins de 50g
avec les géniteurs dans son étang. Il a arrêté de
mettre ses tilapias dans son étang barrage car il voulait voir si
l'absence de tilapia allait favoriser la croissance des carpes.
Le dernier pisciculteur fait normalement des cycles de
6 mois dans son étang barrage. Cette année, il a
été occupé par des « affaires personnelles » et
a fait un cycle d'un an et demi. Lors des pêches de son étang
barrage, il transfère ses alevins de tilapias dans un trou vidangeable.
Il fait alors un tri et n'empoissonne dans son étang barrage que les
gros alevins de tilapias (les autres sont autoconsommés). Il souligne
également qu'il obtient à chaque cycle une quantité
importante d'alevins de paratilapias et qu'il est obligé d'en enlever
pour éviter une surdensité de paratilapia. La pisciculture a pour
lui un objectif d'autoconsommation. Il préfère miser sur d'autres
activités comme les cultures de rentes (les clous de girofle, le poivre,
la vanille, la cannelle, le letchi, ...) pour gagner de l'argent.
CE4 : Un cycle d'élevage de production de
tilapias tout venants par reproductions spontanées
(2 pisciculteurs)
Les 2 pisciculteurs enquêtés font des
reproductions spontanées dans leurs étangs barrages sur des
cycles de 6 mois. L'étang est exploité de manière continue
et rarement vidangé. Lors des vidanges, le réempoissonnement se
fait avec le reliquat de petits poissons (taille d'alevin). Dans ce
système, la maîtrise de la population de tilapias est faible et
l'empoissonnement ne peut garantir l'atteinte de la taille
désirée. La production de biomasse de tilapia y est faible. Ces 2
pisciculteurs ont peu de trous vidangeables (2 à 3) et rencontrent des
difficultés pour y avoir une quantité d'eau suffisante en saison
sèche.
De plus, ces deux pisciculteurs favorisent la carpe
dans leur exploitation car c'est un poisson qui grossit plus vite que le
tilapia (voir annexe 6) (APDRA, 2017a). C'est également un poisson
« nouveau dans la zone » apprécié par les
consommateurs. Pour cela, ils mobilisent l'ensemble de leurs trous vidangeables
pour la reproduction des carpes et le pré grossissement des alevins de
carpes.
58
3.3.2.2 L'exemple de deux trajectoires d'exploitations
:
Plusieurs pisciculteurs de l'échantillon sont
passés en quelques années de la vente de tilapias dans les
marchés de consommation à la vente d'alevins de tilapias à
d'autres pisciculteurs. Quant à d'autres pisciculteurs, ils sont
passés de la vente de tilapias grossis dans les grandes villes à
la vente de petits tilapias vendus « en tas » dans les hameaux
environnants. Cela montre une plasticité importante des systèmes
d'élevage des pisciculteurs qui s'adaptent rapidement à la
demande du marché et aux difficultés qu'ils
rencontrent.
> Un pisciculteur (P3) qui est passé du
grossissement plurispécifique en étang barrage à la vente
d'alevins de tilapias (voir annexe 14)
Caractéristiques de l'exploitation :
P3 est un pisciculteur encadré par l'APDRA
depuis 2016. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A,
à 30 km au Sud d'Antsampanana (ville située sur l'axe principal
du pays reliant les deux plus grandes villes de l'île). Sur son
exploitation, il a un bas fond de 50 ares. Sur celui-ci, il dispose d'un
étang barrage de 9 ares et de 8 étangs de services faisant entre
1 et 3 ares. Il possède également une pépinière
(fruitiers et épices) qui, en 2019, lui rapportait 85 % de sa marge
brute (Mounayar, 2019). En saison sèche, son étang barrage manque
d'eau mais il arrive à conserver de l'eau dans l'ensemble de ses trous
vidangeables en la renouvelant très peu.
Evolution des pratiques et des stratégies du
pisciculteur sur son exploitation :
De 2016 à 2018, P3 suivait le
référentiel recommandé par l'APDRA et faisait grossir des
tilapias mâles et des carpes dans son étang barrage. Cependant,
son étang barrage, de petite taille, s'est révélé
très peu fertile. Entre 2016 et 2019, les 4 cycles de production n'ont
jamais dépassé un rendement de plus de 200 kg/ha/an6
(Mounayar, 2019).
« Si tu n'as pas assez d'espace, il vaut mieux
être producteur d'alevins » P3, novembre 2020
P3 a alors changé de stratégie et a
aménagé petit à petit une série de 8 trous
vidangeables en aval de son étang barrage dans le but de produire des
alevins de tilapias pour la vente. En 2018, il a fait sa première grosse
vente de 1000 alevins à 300 MGA pièce qui lui a rapporté
300 000 MGA (environ 70 €). Cette vente a compensé la très
faible production de son cycle de grossissement.
Aujourd'hui P3 utilise son étang barrage en
priorité pour laisser se reproduire en continu une partie de ses
géniteurs de tilapia sur un cycle d'un an. Il dispose de 8 trous
vidangeables, dont 7 ont pour objectif de produire des alevins de tilapias. 2
étangs de service sont mobilisés pour la reproduction (sexe ratio
APDRA). Il laisse ses géniteurs se reproduire trois fois
d'affilée, en retirant à chaque fois la génération
de larves naissantes pour ne pas les mélanger entre elles, puis il
change de géniteurs. Les larves naissantes sont
transférées dans deux étangs de service pour le pré
grossissement. En fonction des commandes, les alevins pré grossissent un
temps plus ou moins long, la moyenne étant de 2 à 3 mois pour un
poids final de 10 à 20 g. Il utilise également un ou deux trous
vidangeables pour stocker les géniteurs s'étant
déjà reproduits. Il mobilise également deux autres trous
vidangeables pour le grossissement des futurs géniteurs. Quand il peut
séparer les géniteurs mâles et femelles, il le fait pour
éviter des reproductions en continu et pour nourrir en priorité
les génitrices.
6 Pour l'APDRA, un rendement
correct est aux alentours de 500kg/ha/an
59
P3 a remarqué que la demande en alevins de
tilapia a fortement augmenté ces deux dernières années car
de plus en plus de gens font de la pisciculture dans la zone. Il s'est
constitué petit à petit un réseau de clients grâce
au « bouche à oreille » Sa proximité avec la
route nationale lui a permis d'avoir une grande visibilité et un
accès facile pour distribuer ses alevins. Il vend aujourd'hui de
Mahanoro jusqu'à Brickaville. Ses acheteurs ne sont pas des
pisciculteurs encadrés par l'APDRA, ce sont des cagistes et des grands
propriétaires qui ont un étang barrage. Mais c'est surtout son
travail avec FORMAPROD7 qui lui permet de vendre une grande
partie de ses alevins de tilapias. En effet, P3 a d'abord travaillé avec
FORMAPROD à travers son activité de pépiniériste
(Mounayar, 2019). Aujourd'hui, il joue un rôle de formateur en
pisciculture en trous, et fait des prospections de sites pour conseiller les
bénéficiaires du projet. En retour, il attend d'eux qu'ils lui
achètent ses alevins de tilapia. Si P3 n'a pas assez d'alevins, il fait
appel à d'autres pisciculteurs pour le fournir (notamment des
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA). Il leur achète à
150 MGA pièce pour les revendre 300 MGA pièce aux
bénéficiaires de FORMAPROD.
P3 nous dit avoir honoré en 2020 cinq grosses
commandes à des cagistes et des grands propriétaires pour un
total de 2000 alevins vendus à 300 MGA, soit un gain annuel de 600 000
MGA (110€). Cependant, il nous dit qu'aujourd'hui, la pisciculture lui
rapporte autant que son activité de pépiniériste et que la
marge dégagée par sa pépinière est restée
relativement stable ces dernières années. Nous émettons
l'hypothèse qu'il gagne autant en 2020 avec la pisciculture qu'il ne
gagnait avec sa pépinière en 2019, lors de l'étude de cas
de M. Mounayar. La pisciculture lui rapporterait dans ce cas 2 800 000 MGA
(510€) de marge brute. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait
qu'il n'ait pas mentionné ses gains auprès de FORMAPROD lors de
l'entretien.
Pour la suite, il prévoit de produire
également des alevins de carpes car cela se vend à un meilleur
prix que les alevins de tilapias (environ le double). Cependant, il souligne
qu'il risque de manquer de trous vidangeables sur son exploitation et que pour
lui, la vente d'alevins de tilapias reste plus sûre car il a sa
clientèle et il maîtrise la production d'alevins de
tilapia.
7 FORMAPROD : Programme de
Formation Professionnelle et d'Amélioration de la Productivité
Agricole est un projet du MAEP financé principalement par le Fond
International de Développement Agricole
Conduite d'élevage sur l'année 2020 (Site
de 15 ares)
P3 : Producteur d'alevins de tilapia
2016 2017 2018 2019 2020
Début de la pisciculture
Pratique du sexage des fingerlings de tilapia
1ère grosse vente de 1000 alevins
Arrêt du sexage et productions d'alevins
tout
venants
Evolution de la pratique du sexage
Evolution de la stratégie du pisciculteur sur la
conduite du lot de tilapias
Grossissement de tilapias mâles en étang
barrage (2016-2019) : - Empoissonnement des tilapias mâles en
association avec de la carpe pour les vendre au marché
Constat :
- Etang barrage peu fertile, petit (9 ares), manque d'eau en
saison sèche (1 seule pêche / an) -* faible rendement
: 200 kg/he/an
- Opportunité de vendre des alevins de tilapias
|
Vente d'alevins de tilapias tout venant (2019-2020) : -
Vente aux propriétaires de cages et d'étangs barrages : 2000
alevins vendus en 2020
- Projet FORMAPROD (FIDA) l'embauche pour former et fournir des
pisciculteurs en alevins de tilapias
|
1 étang barrage (9 ares) : - Reproduction
en continue d'un lot de géniteurs (sexe ratio APDRA
respecté) pour obtenir des alevins
- Grossissement de carpe et de tilapias pour
géniteurs + vente
- 1 pêche par an
|
2 étangs de reproduction - Reproduction d'un lot
de géniteurs et retrait des géniteurs avant leur 2ème
cycle de reproduction - 3 reproductions d'affilés puis
changement du lot de géniteurs (tous les 3 mois)
2 étangs de pré grossissement : -
Pré grossissement des alevins pendant 2 mois environ (10-20g) -
Stockage des alevins tilapias jusqu'à la vente
1 ou 2 étangs de
stockage des géniteurs : - Stockage des
géniteurs s'étant reproduits si 2 étangs
disponibles, séparation pour éviter la reproduction en continue
et nourrir en priorité les femelles
|
2 étangs de grossissement des futurs géniteurs
: - Grossissement des futurs géniteurs de
tilapias
- Grossissement des futurs géniteurs de
carpes
|
Réseaux d'acheteurs important :
connu auprès du projet FORMAPROD et des grands patrons
Exploitation en bord de route national,
à 20km de la Route Nationale 2
En 2020 les marges brutes précises de l'exploitant
n'ont pas été obtenues mais :
- La pisciculture lui rapporte autant que la
pépinière grâce aux ventes d'alevins tilapias
- La girofle et l'ananas ne produisent que très peu - La
cannelle commence à produire
60
La pisciculture lui rapporte autant que sa
pépinière, qui lui rapportait 85 % de ses revenus
il y a 2 ans
Il achète à moitié prix
des alevins de tilapias à d'autres pisciculteurs
pour les revendre le double
Bilan économique sur l'exploitation
Eléments importants sur l'exploitant et sur
son exploitation
61
> Un pisciculteur (P4) qui est passé de la
vente de tilapias mâles sur les marchés des villes à la
vente de tilapias « en tas » sur les marchés locaux et au bord
de son étang (voir annexe 15)
Caractéristiques de l'exploitation :
P4 a commencé la pisciculture avec l'APDRA fin
2014. Son exploitation est accessible par une route secondaire difficilement
praticable en saison des pluies. C'est un grand propriétaire, il
possède 30 hectares de terre dont la majorité se situe sur les
coteaux. En bas fond, il possède 3 hectares de rizières qu'il
loue en métayage, un étang barrage de 13,5 ares et un
étang de service de 3,5 ares (équipé d'un moine). Il a
également des cultures de rentes (letchis, vanille) et 3 hectares de
maïs en coteaux qui lui rapportait 60% de sa marge brute en 2019
(Mounayar, 2019).
Evolution des pratiques et des stratégies du
pisciculteur sur son exploitation :
L'évolution de sa conduite d'élevage est
liée aux problèmes qu'il a rencontrés dans le passé
pour écouler ses productions de poissons. En 2016, à ses
débuts, P3 a voulu vendre ses poissons à Antananarivo, la
capitale, où le prix est plus élevé. Il a fait venir un
camion sur son site. Les erreurs de sexages ont entraîné une
surdensité des tilapias dans son étang barrage réduisant
ainsi le GMQ des poissons empoissonnés. Sur les 400 alevins de tilapias
mâles qu'il avait empoissonnés, il s'est retrouvé avec 1000
tilapias d'un poids moyen de 40g et 1500 alevins de tilapias de moins de 5g
(base de données de l'APDRA). Les carpes elles, avaient plutôt
bien grossi (150g). Finalement, il n'a pas pu rentabiliser le coût du
transport du camion.
Depuis, il a arrêté de faire le sexage
des fingerlings de tilapia qu'il juge inutile et laisse un lot de 40
géniteurs (sexe ratio APDRA) se reproduire en continue dans l'objectif
d'obtenir beaucoup de tilapias à vendre. Pour la carpe, il n'ose plus
faire une ponte maîtrisée dans son étang de ponte depuis
qu'il s'est fait voler 8 géniteurs en 2018. Il laisse alors ses
géniteurs carpes dans l'étang barrage et y met des jacinthes
d'eau en espérant qu'elles se reproduisent naturellement. Depuis le mois
d'août, il teste d'élever séparément la carpe dans
son étang barrage et le tilapia dans son étang de service car il
pense que la surdensité de tilapia freine la croissance des carpes. P3
essaie de faire des pêches tous les 4 mois dans ses 2 étangs (en
fonction de la disponibilité en eau) pour vendre fréquemment ses
poissons.
P3 s'est replié sur les marchés locaux.
Il est d'abord allé vendre à Vatomandry mais il a rapidement
remarqué que le plus avantageux était de vendre dans les hameaux
et les petits villages autour de chez lui. En effet, à Vatomandry, il
doit parfois brader ses poissons car il ne peut pas revenir avec sa marchandise
alors que chez lui, il n'est pas obligé de tout vendre en une seule
fois. Lors de ses pêches, il sélectionne tous les tilapias qui ont
atteint une taille vendable (estimée à plus de 50 g) et toutes
les carpes de plus de 150 g (estimation). Il réempoissonne tous les
poissons plus petits pour un nouveau cycle de grossissement. Lors des
pêches, les villageois des hameaux environnants viennent directement
acheter au bord de son étang. Le tilapia se vend à 8 000 MGA/Kg
(1,78€) et la carpe à 10 000 MGA/Kg (2,22€).Si P3 ne vend pas
tout, ses fils vont, en plusieurs fois, vendre ses poissons en petite
quantité sur les marchés avoisinants (Ambalavolo,
Anosomanasa).
« Avoir des gros poissons ne m'intéresse pas
vraiment mais c'est avoir de nombreux poissons car ça sera
consommé par les acheteurs de la localité ici » P3, novembre
2020
A partir de 2021, il utilisera quelques-unes de ses
rizières pour empoissonner des alevins de tilapias tout venants sur une
surface plus grande. On peut s'attendre à une augmentation de sa
production de tilapias de petites tailles. Selon lui, la demande locale est
importante car « le poisson est la protéine la moins
chère ici ».
Evolution de la pratique de sexage des tilapias
Début de la pisciculture : empoissonne des
alevins de tilapias tout venants fournis par l'APDRA
2014
P4 : producteur de petits tilapias vendus sur les
marchés environnants
Pratique du sexage des fingerlings de
tilapias
2015-2016
Arrêt du sexage au vue du faible taux
de croissance des tilapias mâles : empoissonne du tout
venants
2017
Reproduction en continue d'un lot
de géniteurs et pêche tous les 4 mois : -
Vente des tilapias > 50g - Réempoissonne tilapias <50g
2017-2020
|
|
Produire des tilapias de petites
tailles (pêche tous les 4 mois) : (actuel) Elevage
plurispécifique auparavant / test en 2020 de
l'élevage monospécifique de tilapia: vente des tilapias en
« tas » dans les hameaux
|
|
Evolution de la stratégie du pisciculteur sur la
conduite du lot de tilapias
|
Produire des tilapias de grosses tailles:
(passé) Vendre des tilapias mâles à la capitale
-* vente à perte à cause du
faible rendement et du prix élevé du transport
(camion privé, zone isolée)
|
Produire des tilapias de petites tailles en
rizière : (futur) Elevage monospécifique de
tilapia en rizière de mars à octobre pendant les deux cycles
de riz annuel / stockage en étang de service pendant la
période sèche et la période cyclonique
|
|
|
1 étang barrage (13,5 ares) : Elevage
plurispécifique de carpe, tilapia, hétérotis et
gourami. Ponte non maîtrisée de
géniteurs carpes (mesure anti-vol) et reproduction
en continue d'un lot de géniteurs de tilapia Actuellement
: retrait du tilapia pour éviter la compétition
avec la carpe (priorité) Pêche de décembre :
présence importante de channa striata -* mortalité
des alevins de carpes + sol boueux -* A sec pendant 2 mois et culture de riz
de saison
|
1 étang de service (3 ares) Elevage
plurispécifique de tilapia et de carpe Actuellement : retrait de
la carpe et élevage monospécifique de tilapias tout
venant
|
Conduite d'élevage sur l'année 2020 (Site
de 20 ares)
|
|
|
|
62
Présence importante de channa striata dans ses
étangs -* mortalité des alevins de carpes
Exploitation dans une zone isolée,
difficile d'accès (surtout en saison des pluies)
Grand propriétaire : cultures de
rentes en perspectives (vanille pas encore en production)
Prix de vente locale : (bord d'étang
et hameaux) - Tilapia : 8000 MGA/kg en tas -Carpe : 10 000 MGA/kg
Eléments importants sur l'exploitant et sur
son exploitation
63
3.3.2.3 Les principaux éléments à
retenir sur les conduites d'élevage innovantes du tilapia du Nil
> Des difficultés rencontrées par la
plupart des pisciculteurs pour produire des tilapias mâles sexés :
Selon les équipes techniques de l'APDRA et
d'après les résultats de ces enquêtes, une grande partie
des pisciculteurs encadrés par l'ONG ne trouvent pas
d'intérêt ou n'ont pas les conditions pour pratiquer les 5
étapes recommandées par l'APDRA afin de faire grossir des
tilapias mâles en étang barrage. Premièrement, les erreurs
de sexages inévitables et l'inefficacité du paratilapia
(carnassier) entrainent une prolifération d'alevins de tilapias non
désirés qui rend la pratique du sexage inefficace. En effet, lors
des pêches, les pisciculteurs retrouvent systématiquement une
quantité importante de générations d'alevins de tilapias
non désirées qui diminuent nettement la croissance des
mâles sexés. Le channa striata avait été
imaginé par l'APDRA pour remplacer le paratilapia mais il a
été cité de nombreuses fois par les pisciculteurs comme
étant un problème car il réduit les populations d'alevins
de carpes en association avec les tilapias et prolifèrent lui aussi
rapidement. De plus, les différentes étapes pour arriver à
obtenir des fingerlings de taille sexable demande de l'espace, une lame d'eau
suffisante (difficile, notamment en période sèche), du temps et
de la main d'oeuvre formée. Enfin, les pisciculteurs rencontrent des
difficultés pour produire suffisamment de tilapias de taille fingerlings
afin d'empoisonner leurs étangs avec une densité correcte de
tilapias mâles. Selon les équipes de l'APDRA, ce sont surtout les
pisciculteurs qui ont reçu la formation mais qui n'ont pas encore
beaucoup d'expérience en pisciculture qui pratiquent le sexage des
tilapias avant de l'abandonner par la suite.
> Une tendance à produire des tilapias tout
venants de moins de 100g :
Face à l'inefficacité du sexage, nous
voyons apparaitre des pratiques alternatives d'élevage du tilapia. En
effet, une grande partie des pisciculteurs de l'APDRA laissent des lots de
géniteurs de tilapia se reproduire en continu sur des cycles plus ou
moins long. Ils obtiennent lors des pêches des tilapias d'âges
différents, une partie ayant grossi jusqu'à une centaine de
grammes au maximum et une partie qui reste au stade alevins de moins de 10g.
Certains pisciculteurs revendent ou donnent les alevins de tilapias qu'ils
obtiennent à d'autres pisciculteurs. D'autres vendent des tilapias de
petites tailles « en tas » sur les marchés locaux. L'un
d'entre eux fait une pêche tous les 4 mois afin d'améliorer la
biomasse produite. Certains pisciculteurs gardent les tilapias de petite taille
pour l'autoconsommation. Enfin, certains utilisent la reproduction en continu
pour obtenir des alevins de tailles fingerlings et ensuite les sexent pour
n'empoissonner que les mâles dans l'étang barrage.
A travers l'exemple de P3, on observe que pour
certains pisciculteurs, il est plus intéressant de produire des tilapias
tout venants de petites tailles, vendus localement dans les hameaux
environnants, plutôt que des tilapias mâles vendus sur les grands
marchés. En effet, la mauvaise croissance des tilapias et le
caractère isolé de son exploitation rendent les coûts de
transport élevés pour aller vendre sur les grands
marchés.
La littérature souligne que les
températures optimales de croissance du tilapia (Oreochromis Niloticus)
se situe autour de 30°C (Baras et al., 2001). Nous émettons
l'hypothèse que la température des eaux sur la Côte Est
pourrait être trop froide à certains moments de l'année
pour une croissance optimale des tilapias. En effet, la température
moyenne annuelle relevée entre 2014 et 2017 était de 24,9 °C
à Toamasina, ville située en bord de mer Les exploitations
piscicoles se situent souvent dans les terres à une altitude plus haute.
La température serait peut-être un facteur supplémentaire
qui expliquerait la faible croissance des tilapias chez les pisciculteurs de la
Côte Est (voir annexe7).
64
> Une tendance à prioriser l'élevage
de carpe, un poisson qui grossit plus vite que le tilapia
A travers ces enquêtes, on observe que
l'élevage de tilapia dépend de plus en plus de l'élevage
de carpe. En effet, les pisciculteurs mobilisent leurs trous vidangeables en
priorité l'élevage de carpe (séparation des
géniteurs, reproduction et pré grossissement des alevins). Cela
peut s'expliquer car la carpe est un poisson qui grossit deux fois plus vite
que le tilapia (voir annexe 6). De plus, par son effet de nouveauté, la
carpe se vend bien sur les marchés locaux. Enfin, la carpe est un
poisson qui n'atteint pas une maturité sexuelle avant l'âge d'un
an, ce qui limite les risques de reproduction non
désirées.
3.3.3 Caractéristiques des marchés de
poissons auxquels ont accès les pisciculteurs
enquêtés
Les deux études de cas
précédentes soulignent l'existence d'un marché
sectorisé entre la vente d'alevins vivants à d'autres
pisciculteurs et la vente de poissons sur les différents marchés
de consommation, au kilo ou « en tas ». Nous avons
différencié 5 types de marchés (voir Tableau 10) de vente
du tilapia et de la carpe en fonction de deux critères principaux
:
- Les différents débouchés
: Vente à des particuliers, sur les grands marchés locaux,
sur les petits marchés en zones isolées, autoconsommation et
dons.
- Le type de poissons vendus : alevins, poissons
de petites tailles ou poissons de grosses tailles
Type 1 :
|
Type 2 :
|
Type 3 :
|
Type 4
|
Type 5
|
La vente d'alevins sur des
marchés privilégiés
|
La vente d'alevins à
des pisciculteurs locaux
|
La vente de poissons grossis sur les
marchés des grandes villes
|
La vente « en tas » de poissons
de petites tailles sur les marchés locaux
|
L'autoconsommation et/ou le don de poissons de
petites tailles
|
Tableau 10: Les 5 types de marchés rencontrés
chez les 12 pisciculteurs de l'échantillon
Les prix sur les marchés varient en fonction du
type de produit vendu, de la localité, de la saison ou encore du lien
entre le pisciculteur et l'acheteur. Sans prétendre couvrir la
diversité des prix de vente des pisciculteurs dans le district de
Vatomandry, nous tentons à travers les deux tableaux ci-dessous de faire
ressortir des approximations sur les prix de vente de la carpe et du tilapia
dans les différents marchés fournis par les 12 pisciculteurs
enquêtés en études de cas.
Alevins Tilapia Carpe
A l'unité (MGA)
Au kilos (MGA)
A l'unité (MGA)
Au kilo (MGA)
1 à 5 g (5g) 8
|
100 à 200
|
(150)
|
30
|
000
|
300
|
|
60
|
000
|
5 à 20 g (10g)
|
200 à 300
|
(250)
|
25
|
000
|
400 à 500
|
(450)
|
45
|
000
|
>20g (20g)
|
700
|
|
35
|
000
|
1000
|
|
50
|
000
|
Tableau 11: Les prix de vente des alevins vivants en fonction
de l'espèce et du poids
Poissons grossis
|
Tilapia Carpe
|
En tas (MGA)
|
Au kilos (MGA)
|
En tas (MGA)
|
Au kilo (MGA)
|
Hameaux (>50g)
|
1000 ou 2000
|
6000 à 8000
|
1000 ou 2000
|
8000 à 10 000
|
Villes (>50g)
|
1000 ou 2000
|
8000 à 10000
|
Non vendu en tas
|
10 000 à 12 000
|
Restaurateurs et grandes villes (>200
g)
|
Non vendu en
tas
|
12 000 à 14 000
|
Non vendu en tas
|
14 000 à 16 000
|
Tableau 12: Les prix de vente des poissons destinés
à la consommation en fonction de l'espèce et du poids
8 Les chiffres entre parenthèse sont
les chiffres retenus pour les calculs des prix de vente
effectués
65
> Type 1 : La vente d'alevins sur des
marchés privilégiés (4 pisciculteurs)
Ce type correspond aux pisciculteurs qui ont
accès à des marchés de vente d'alevins dans lesquelles la
demande est importante. La comparaison des prix au kilo entre la vente
d'alevins et la vente de poissons pour la consommation (voir Tableau 11 &
Tableau 12) montre qu'il est beaucoup plus intéressant de vendre des
alevins. En effet, les prix rapportés au kilo de la vente d'alevins, de
tilapia ou de carpe, sont 2 à 3 fois supérieurs aux prix de vente
des poissons destinés à la consommation. De plus, la vente
d'alevins est jugée « plus sûre » par les pisciculteurs
enquêtés. En effet, les cycles de grossissements sont nettement
diminués (certains alevins sont vendus au bout d'un mois) et les ventes
sont réparties sur l'année. Cela limite fortement les risques de
perte et/ou de mortalité liés aux vols et aux
événements climatiques (inondations et
sécheresses).
Les quatre pisciculteurs enquêtés se sont
spécialisés dans la production et la vente d'alevins de tilapias
et parfois de carpes car celles-ci permettent de générer des
revenus importants et rapides. Les pisciculteurs parlent de « vola malaky
» ce qui veut dire « argent rapide ». Ils ont mis au second rang
le grossissement des espèces piscicoles dans leur exploitation. Ils
placent tous la pisciculture au centre de leurs activités. Selon les
équipes techniques de l'APDRA, ce type est minoritaire parmi les
pisciculteurs accompagnés par l'ONG.
Pour la vente d'alevins de tilapia, les gros acheteurs
sont principalement les grands propriétaires qui possèdent des
élevages en cage ou des étangs barrages.
Généralement, ils font des commandes de 1000 à 2000
alevins d'un poids de 1 à 5 g. Le prix varie en fonction de la
quantité d'alevins commandés : plus celle-ci augmente, plus le
prix baisse. Ces acheteurs sont surtout situés à
l'extérieur du district de Vatomandry, dans d'autres districts de la
région Atsinanana comme Mahanoro ou encore Brickaville ou bien à
l'extérieur de la région, notamment le long de la route nationale
2 qui mène à la capitale. Nous avons également
rencontré un pisciculteur qui commercialise ses alevins de tilapias
à travers un projet de développement (FORMAPROD) à de
nombreux pisciculteurs du district de Vatomandry non accompagnés par
l'APDRA.
Pour la vente d'alevins de carpes, les acheteurs sont
à la fois des pisciculteurs du district, notamment des pisciculteurs
accompagnés par l'APDRA mais aussi des pisciculteurs en dehors du
district, plus aisés, qui achètent des alevins en plus grande
quantité. Un des quatre pisciculteurs (voir annexe 17) vend ses alevins
jusqu'à la capitale. La vente d'alevins de carpe est plus
rémunératrice que la vente d'alevins de tilapia (voir Tableau 11
& Tableau 12). En effet, un alevin de carpe de 5 g se vend en moyenne deux
fois plus cher qu'un alevin de tilapia de 5g. Plusieurs pisciculteurs qui
commercialisent des alevins de tilapias aimeraient aussi produire et vendre des
alevins de carpes. Cependant, ils soulignent que la vente d'alevins de tilapia
reste un marché plus sûr car les alevins de tilapias sont plus
faciles à produire que les alevins de carpes et il y a une
clientèle importante, notamment les différents cagistes de la
Côte Est
D'une manière générale, ces
pisciculteurs vendent en gros (>1000 alevins) principalement à
l'extérieur du district de Vatomandry. Ils fournissent très peu
les paysans pisciculteurs de la zone car les ventes en petites quantités
ne les intéressent pas (même s'ils y ont des surplus). Il priorise
les économies d'échelles. Les gros acheteurs sont demandeurs de
grandes quantités et préfèrent avoir un interlocuteur
unique, d'où l'élimination d'office des pisciculteurs qui
produisent moins de 1000 ou 2000 alevins par an.
66
Trois des quatre pisciculteurs enquêtés
se trouvent au bord de la route nationale 11A. Leur localisation, accessible et
visible, leur a permis de vendre plus facilement leurs alevins. En plus de
fournir des alevins, ils fournissent des conseils techniques, initialement
appris auprès des ACP de l'APDRA. L'un des quatre pisciculteurs a
installé une petite boutique de vente d'alevins de carpes et de tilapias
en bord de la route nationale. Le vendeur d'alevins de tilapia pour le projet
FORMAPROD se ravitaille en alevins chez d'autres pisciculteurs (notamment de
l'APDRA) et les vend deux fois plus cher aux pisciculteurs encadrés par
le projet. Le troisième pisciculteur (Voir annexe 15), a cette
année construit l'étang barrage d'un riche propriétaire et
lui a par la suite, vendu des alevins de tilapias et des géniteurs de
carpes. Cela représentait les trois quarts de son chiffre d'affaires
piscicole annuel en 2020. Le quatrième pisciculteur (voir annexe 11) se
trouve dans une zone isolée mais il a l'avantage d'être connu
comme vendeur d'alevins dans tout le district, notamment car il est
enregistré au bureau du SPA de Vatomandry comme vendeur d'alevins. Ils
ne sont que deux pisciculteurs de l'APDRA à être
enregistrés comme vendeurs d'alevins, lui et un ACP-pisciculteur. Ils
gagnent tous les deux en visibilité et ont un accès
privilégié aux marchés des gros acheteurs d'alevins. Ils
se sont récemment divisé une commande de 50 000 alevins de
tilapias pour fournir un cagiste. Ils vendent également leurs alevins
à l'APDRA pour que l'ONG puisse fournir des nouveaux pisciculteurs quand
elle n'arrive pas à produire suffisamment d'alevins dans sa station
piscicole.
> Type 2 : La vente d'alevins à des
pisciculteurs locaux (3 pisciculteurs)
Ce type fait référence aux pisciculteurs
qui vendent des alevins à d'autres pisciculteurs locaux,
généralement situés dans des zones proches.
Au sein des groupements de pisciculteurs de l'APDRA
rencontrés, les alevins de tilapias ne se vendent pas. Plusieurs
pisciculteurs enquêtés soulignent que comme le tilapia existe
naturellement dans les cours d'eau de la zone, il est facile de s'en procurer.
Dans les hameaux, les pisciculteurs rencontrés se donnent des alevins de
tilapias ou les pêchent dans le milieu naturel. A titre d'exemple, un
pisciculteur qui se trouve également en bord de route nationale 11A
donne peu d'importance aux alevins de tilapias qu'il pêche. Il laisse les
gens présents lors de sa pêche les ramasser « gratuitement
».
Les alevins qui se vendent entre les petits
pisciculteurs locaux sont les alevins de carpes. Une piscicultrice a vendu une
partie de ses alevins carpes à moitié prix (200 MGA au lieu de
400) à un pisciculteur voisin qui est venu l'aider lors de sa
pêche de l'étang barrage. L'an dernier, elle a réussi
grâce à la vente d'alevins, à vendre 5000 alevins de carpes
au total. Cependant, les ventes restent généralement des petites
quantités, entre 50 et 250 alevins pour une commande. Cela pose beaucoup
de problèmes à un autre pisciculteur (voir annexe 10). En effet,
il a produit plus de 11 000 alevins cette année mais il n'arrive pas
à les vendre. Il se situe dans une zone isolée et n'a pu vendre
qu'une centaine d'alevins à un pisciculteur voisin. Il a eu quelques
autres petites commandes qu'il a dû refuser pour ne pas perdre l'eau de
ses rizières (en saison sèche) lors des pêches d'alevins.
Il demande actuellement l'aide de l'APDRA pour lui acheter ses alevins de
carpes.
Plusieurs pisciculteurs enquêtés aspirent
à devenir alevineurs de carpes vu le prix attractif des alevins sur le
marché. Cependant, la production en grande quantité et la vente
d'alevins de carpes nécessitent des conditions favorables sur
l'exploitation (beaucoup d'étangs de différentes tailles
alimentés en eau toute l'année), une bonne maîtrise des
techniques piscicoles et un réseau d'acheteurs
consolidé.
67
> Type 3 : La vente de poissons grossis sur les
marchés des grandes villes (4 pisciculteurs)
Ce type correspond aux pisciculteurs qui
approvisionnent les marchés des grandes villes du district de
Vatomandry. Des enquêtes menées auprès des revendeurs et
revendeuses de poissons sur les différents marchés de la route
nationale 11A (Vatomandry, Ilaka Est, Tsarasambo) ont
révélé que très peu de poissons vendus
étaient issus de la pisciculture (voir Figure 21). La majorité
des poissons viennent de la pêche en eau douce et en mer. On y trouve des
tilapias issus de la pêche en eau douce mais les carpes sont rares et
plusieurs vendeuses du marché ne connaissaient pas ce
poisson.
Figure 21: Photos prises sur le marché de Tsarasambo
de différents poissons pêchés en eau douce : Paretroplus
polyactis (à gauche) / Channa striata (à droite)
Comme nous l'avons vu dans l'étude de cas
n°2, les pisciculteurs enquêtés produisent très peu de
tilapia de grosses tailles. Un pisciculteur, fait grossir des tilapias
mâles et va vendre les plus gros (>200g) à des restaurateurs de
la ville d'Antsampanana. Il aménage actuellement d'autres étangs
barrages et des canaux de contournement pour pouvoir faire grossir plus de
poissons (tilapia et carpe) et les vendre dans ces marchés de
niches.
Les 4 pisciculteurs de l'échantillon arrivent
à produire des carpes d'un poids supérieur à 200g et
parfois allant jusqu'à 500 ou 600 grammes sur un cycle d'un an. Ils vont
vendre leurs carpes sur les marchés des villes du district. Le
coût de transport représente des frais importants et du temps
passé contrairement à la vente en bord d'étang où
dans les hameaux aux alentours de l'exploitation. Un des pisciculteurs de
l'échantillon doit payer des frais de pirogue et des frais de taxi
brousse pour arriver sur les marchés de Vatomandry avec ses poissons
(ses ventes restent malgré tout très rentable). En période
de forte agitation de la mer (notamment pendant les cyclones), les
pêcheurs ne vont plus en mer et l'offre de poisson sur les marchés
locaux diminue. Selon un pisciculteur, le prix du tilapia et de la carpe
augmente de 10 à 20 %. Il cale ses cycles exprès pour vendre
à ce moment-là. Un pisciculteur possède un restaurant. Il
dit que la carpe s'est très bien vendue dans son restaurant lors de sa
dernière pêche en novembre. Les clients, qui avaient de l'argent
grâce à la récolte des litchis ont beaucoup
apprécié ce « nouveau poisson » encore inconnu dans la
zone.
> Type 4 : Les producteurs de poissons de
petites tailles vendus « en tas » sur les marchés locaux
(7 pisciculteurs)
Dans les différents marchés du district
de Vatomandry et en bord de route, on observe beaucoup de poissons vendus
« en tas » et non au kilo. Ces poissons sont de petite taille, entre
30 et 100g (généralement 2 à 3 doigts) et sont issus d'eau
douce ou d'eau de mer (voir Figure 22). Il existe plusieurs prix de tas, en
général, 1000 ou 2000 MGA le tas. Chaque tas varie selon le
nombre, l'espèce et le taille des poissons et également s'il est
déjà cuisiné (en friture).
68
Figure 22: Photos de poissons vendus en tas : poissons
d'eau de mer sur le marché de Tsarasambo (à gauche) / tilapias
frits vendus au marché d'Ilaka Est (à droite)
Ce type correspond aux pisciculteurs qui vendent leurs
poissons en tas ou approvisionnent les revendeurs de poissons en tas sur les
marchés des villes du district ou des zones reculées.
D'après les informations récoltées auprès de notre
échantillon de 25 pisciculteurs et d'après les équipes
techniques de l'APDRA, une grande partie des poissons produits par les
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA desservent les marchés des
villages des zones reculées dans lesquelles ils vivent et sont vendus
«en tas».
Ce sont principalement les tilapias de petites tailles
qui sont vendues « en tas » par les pisciculteurs dans les
marchés environnants leurs exploitations ou directement en bord
d'étang. Cela dit, les débouchés sont également
nombreux dans les marchés des grandes villes du district. En effet,
beaucoup de ménages achètent les tilapias vendus « en tas
» plutôt qu'au kilo. Cela leur permet, malgré un faible
pouvoir d'achat, d'avoir accès à plusieurs petits poissons pour
que chaque membre de la famille mange un poisson en entier au repas. On peut
également noter que la consommation de poisson entier, avec la
tête et les arrêtes représente une source plus importante
d'acides aminées et donc une meilleure nutrition (dires de Mortillaro,
2020).
« Acheter des petits poissons en tas permet à
chaque personne de la famille d'avoir son poisson dans l'assiette »
Martin, octobre 2020
Pour la carpe, elle se vend plutôt au kilo
même dans les zones reculées ou au bord des étangs des
pisciculteurs (exemple de Martin qui a vendu 30 kilos de carpe au kilo en bord
de son étang lors de sa dernière pêche). Une piscicultrice
rencontrée vend également ses carpes de 100 à 150 g en tas
dans les hameaux et les villages aux environs de son exploitation.
69
> Type 5 : Producteurs de poissons pour
l'autoconsommation et/ou le don (3 pisciculteurs)
Ce type concerne de nombreux pisciculteurs
encadrés par l'ONG selon les équipes techniques. Ces
pisciculteurs utilisent leurs productions de poissons principalement pour
l'autoconsommation. Ils produisent généralement des tilapias de
différentes classes d'âges et des carpes dans des étangs
rarement vidangés.
On remarque que chez deux de ces trois pisciculteurs,
le tilapia devient le poisson d'autoconsommation et la carpe le poisson de
vente sur les marchés locaux et les marchés des villes. Un des
deux pisciculteurs a obtenu 2600 alevins de tilapias (23 kilos) lors de sa
dernière pêche au mois de mars 2020. Il en a donné 1000
à son oncle, quelques centaines à d'autres amis-pisciculteurs et
a réempoissonné le reste. Il a autoconsommé les quelques
tilapias qui ont grossi. Il garde ses étangs de service (trous
vidangeables et rizière) en priorité pour l'élevage de
carpes qu'il compte aller vendre sur le marché de Vatomandry en
2021.
Le troisième pisciculteur souligne les
difficultés qu'il rencontre à accéder à un
marché de vente. Il se trouve dans une zone très isolée,
l'accès au marché d'Ilaka Est lui prendrait plus de 2 heures
à pied. Sa femme et lui pourraient vendre dans les hameaux environnants
mais cela serait beaucoup de travail pour très peu de rentrée
d'argent. En effet, il faudrait faire du « porte à porte »
avec les poissons, les vendre, parfois à crédit car les gens
n'ont pas beaucoup d'argent. Ils ne veulent pas que les villageois viennent
acheter directement au bord de leur étang lors des pêches car ils
craignent le vol. Finalement, ils gardent leur production pour
l'autoconsommation et en vendent une partie à bas prix à leurs
enfants. S'ils pêchent beaucoup de poissons, ils les font sécher
pour les conserver plus longtemps.
« Je préfère manger mes poissons que les
vendre à crédit » La femme d'un pisciculteur
novembre 2020
70
Conclusion partielle 3
Pour résumer, on peut dire que l'APDRA
Côte Est s'est basée sur deux référentiels
techniques : l'étang barrage en Guinée Forestière et la
rizipisciculture sur les Hautes Terres de Madagascar. Elle les a adaptés
au fur et à mesure en fonction des conditions pédoclimatiques de
la zone, de la diversité des espèces piscicoles qu'elle propose,
des différents tests effectués en milieu paysan et des
différentes observations faites des pratiques des paysans-pisciculteurs.
L'évolution de ces référentiels s'est faite rapidement au
cours de ces dix dernières années. On observe une
diversité d'adaptations de ces référentiels faites par les
pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Cela révèle une
dynamique d'innovations paysannes importante.
Le type d'étang barrage initialement
recommandé par l'APDRA est censé faire plus de 20 ares pour
permettre le grossissement plurispécifique des espèces
élevées. Cependant, on observe que certains pisciculteurs ont
construit des étangs de petites surfaces, de 5 à 20 ares. Ils y
ont parfois mis un simple système de vidange en bambou ou en tronc de
ravinala ou encore installé un canal de
drainage et d'aménagement pour y faciliter la riziculture en
étang. De plus, l'utilité de l'étang barrage a
changé et ne sert plus uniquement d'étang de grossissement. C'est
également devenu une réserve d'eau sécurisé qui
permet de répondre (en partie) aux trois risques majeurs
rencontrés par les pisciculteurs sur la Côte Est : les
sécheresses, les inondations et le vol.
Les pisciculteurs enquêtés
échangent entre eux pour faire face aux différents
problèmes qu'ils rencontrent. En effet, ils se prêtent parfois des
étangs de ponte alimentés en eau pour la reproduction de la carpe
et se divisent les alevins obtenus ; ils transfèrent leur cheptel chez
d'autres pisciculteurs en cas de tarissement de leurs étangs ou encore
ils se donnent des alevins en cas de perte liés aux inondations. Ces
échanges se font surtout au sein des groupements et sont souvent
impulsés par les ACP qui les encadrent.
De plus, l'introduction par l'APDRA de la
rizipisciculture a permis à une partie des pisciculteurs
enquêtés d'augmenter leurs surfaces empoissonnées à
un faible coût d'aménagement. Cela a globalement permis de
faciliter la gestion piscicole sur l'exploitation et donner plus d'importance
à la pisciculture dans les systèmes de production des paysans
rencontrés. La combinaison de la pisciculture en étang barrage et
en rizière permet alors d'augmenter les surfaces empoissonnées et
de profiter des différentes utilités de l'étang
barrage.
L'élevage de carpe, apparait de plus en plus
central dans les systèmes d'élevage des pisciculteurs. En effet,
ce poisson grossi plus vite que le tilapia et sa reproduction est plus facile
à contrôler en cours de cycle pour éviter les
phénomènes de surdensité de poissons. De plus, ce «
nouveau » poisson est apprécié par les consommateurs et se
vend facilement sur les différents marchés. En
conséquence, l'élevage de tilapia apparait moins prioritaire pour
certains pisciculteurs. De plus, la technique de sexage enseignée par
l'APDRA, qui est censé permettre un bon grossissement de
l'espèce, n'est que très peu appliquée par les
pisciculteurs enquêtés. En effet, les erreurs de sexage sont
inévitables et le paratilapia ne semble pas efficace en tant que
prédateur des alevins de tilapias non désirés. La pratique
du sexage s'avère alors souvent inutile.
Enfin, on observe que les pisciculteurs ont
accès à différents marchés de vente
sectorisés. Les marchés de vente d'alevins de carpes et de
tilapias sont très rémunérateurs mais nécessitent
un accès aux réseaux d'acheteurs. La vente de poissons à
consommer est plus rémunérateur en ville mais plus difficile et
couteux d'accès que la vente dans les hameaux qui se fait
généralement « en tas » de poissons
71
Chapitre 4 : Discussions et recommandations
4.1 Limites des résultats de
l'étude
Un des premiers enjeux de ce travail était de
réussir à formaliser par écrit le
référentiel piscicole proposé par l'APDRA sur la
Côte Est. Cependant, il a été difficile de
caractériser l'ensemble des conseils techniques et organisationnels
réellement apportés par les ACP aux pisciculteurs. D'une part, le
temps passé sur le terrain n'a permis de suivre que ponctuellement les
ACP dans leur travail et la diversité des conseils apportés n'a
pas été décrite. D'autre part, nous avons remarqué
qu'il existe une multitude de conseils techniques qui peuvent être
différents d'un ACP à l'autre selon son expérience
personnelle. Il est donc difficile d'aboutir à un
référentiel technique unique qui servirait de base de comparaison
pour identifier les pratiques piscicoles innovantes pour l'APDRA. De plus, il a
été difficile de délimiter la frontière entre les
conseils donnés par les ACP qui correspondent au « package
technique » de l'ONG et les conseils donnés par les ACP
adaptés aux situations et aux objectifs des pisciculteurs qu'ils
encadrent.
La traque à l'innovation n'a pas pour vocation
à être représentative, on cherche des singularités
dans la masse. Cependant, notre échantillon gagnerait à
être enrichi par plus de pisciculteurs situés dans des zones
différentes. En effet, notre échantillon se limite à une
partie des pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans le district de
Vatomandry. Il existe d'autres systèmes d'élevages piscicoles
allant de l'élevage de tilapia en cage à la pisciculture
traditionnelle en trou (voir page 28). Il aurait été
intéressant d'étudier cette diversité de pratiques
d'élevages et leur place dans le développement de la pisciculture
sur la Côte Est de Madagascar. De plus, il y a d'autres zones où
ont évolué des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. La
région Analanjirofo, située au nord d'Atsinanana a
été jusqu'en 2017 l'autre région de la Côte Est
où intervenait l'APDRA à travers le projet PPMCE-SA9.
A la fin de ce projet, une association de pisciculteurs s'est
constituée, l'ADRPi10. Aujourd'hui, d'après des
membres de cette association, des anciens bénéficiaires de
l'APDRA continuent à pratiquer la pisciculture dans cette région.
Il aurait été intéressant d'aller voir comment les
pratiques piscicoles ont évolué depuis qu'il n'y a plus de
conseils techniques apportés par les ACP. De plus, les trois autres
districts d'interventions actuels de l'APDRA sur la Côte Est, Toamasina,
Brickaville et Mahanoro, n'ont pas été explorés. Les
pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans les communes autour de Toamasina
se trouvent près de la deuxième plus grande ville du pays. On
peut penser qu'ils ont un accès plus facile aux marchés de la
grande ville, à des ressources comme la provende alimentaire et à
de l'information, notamment externe à l'APDRA. Dans le district de
Mahanoro, nous avons identifié des paysans qui s'étaient
lancés tout seul dans la construction de leurs étangs et qui
sollicitaient un appui technique de l'APDRA. Il aurait été
intéressant d'étudier leurs aménagements et leurs
pratiques piscicoles.
Troisièmement, la méthode de «
traque aux innovations » a été difficile à mettre en
oeuvre. Tout d'abord, le contexte de la pandémie du COVID-19 a restreint
le champ de cette traque à l'étude des pisciculteurs de l'APDRA
sur un temps de terrain plus court : 2 mois au lieu de 3 mois et demi
initialement prévus. Ce temps court ne m'a pas permis de construire un
réseau d'information suffisant pour « traquer » une grande
diversité des pratiques innovantes existantes. La méthode
d'identification par « effet boule de neige » n'a pas
réellement fonctionné et très peu de pisciculteurs
enquêtés nous ont redirigé vers d'autres pisciculteurs
innovateurs. Les liens établis avec les pisciculteurs ont sans doute
été trop faibles pour entrer dans une relation de confiance et
comprendre les réseaux d'acteurs mobilisés par les pisciculteurs
dans leurs innovations. De plus, un certain nombre de biais
d'enquêtes
9 PPMCE-SA : Projet Pisciculture Madagascar Côte
Est - Sécurité Alimentaire
10 ADRPi : Association pour le Développement
Rural de la Pisciculture
72
existent :
- Le traducteur n'était pas formé en
pisciculture et vient d'un district plus au nord de la Côte Est. Il ne
maîtrisait pas le vocabulaire agricole nécessaire pour une bonne
compréhension des dires des pisciculteurs enquêtés, en plus
de quelques lacunes en langue française. - Cette étude
mériterait d'être enrichie de données quantitatives sur les
systèmes d'élevage étudiés (coût des
aménagements piscicoles, temps de travail, poids des poissons, kilos de
poissons produits et vendus, valeur ajoutée brute de l'activité
piscicole ...) et sur les autres activités de l'exploitation (gains
économiques générés par les autres activités
agricoles). Cela permettrait de mieux comprendre les pratiques et les
stratégies misent en oeuvre par le paysan sur son exploitation. - La
phase d'enquête s`est déroulée en parallèle de
moments clés du calendrier agricole des pisciculteurs de la Côte
Est. En effet, la récolte de girofle s'est faite fin octobre, celle du
letchi fin novembre et la récolte du riz de contre saison
commençait début décembre. A cela s'ajoute la «
fête des morts » au moment de la Toussaint qui est la fête
traditionnelle la plus importante de l'année pour l'ethnie majoritaire
de la région, les Betsimisaraka. Certains
pisciculteurs n'étaient alors pas disponibles pour des
entretiens.
Pour finir, les personnes ressources permettant
d'identifier des pisciculteurs aux pratiques innovantes étaient
principalement les ACP de l'APDRA. Il faut noter que « l'appartenance
institutionnelle ou la position sociale du pisteur conditionne
l'identité de l'individu atypique identifié. » (Blanchard et
al., 2017). Cette « porte d'identification » présente un
double biais. D'une part, les ACP sont les agents terrains de l'APDRA, ils ont
des objectifs de performance chez les pisciculteurs qu'ils encadrent, qui
indirectement sont liés à l'application du
référentiel technique recommandé. Il est alors difficile
d'identifier des pratiques « hors normes » et très
décalées du référentiel de l'APDRA. On rejoint ici
les constatations de Lucas Fertin, qui a fait une étude pour l'APDRA sur
les Hautes Terres en 2018 et qui parle de la porte d'entrée par les ACP
: « Il faut savoir que les techniciens auront tendance à proposer
des localités où l'accompagnement se passe bien, où les
dynamiques piscicoles ont tendance à être exemplaires par rapport
aux prescriptions de l'APDRA » (Fertin, 2018). D' autre part, on peut
émettre l'hypothèse qu'une partie des pisciculteurs ayant des
pratiques « hors-normes » ne souhaitent pas se faire connaître
(Audouin et al., 2017). Il est alors peu probable qu'ils soient
identifiés comme tels puis désignés par les ACP.
Finalement, une partie importante des pratiques innovantes identifiées
lors de ce stage sont déjà connues par les équipes de la
Côte Est.
4.2 Discussion sur les résultats obtenus
:
4.2.1 Un panel d'innovations identifiées et
caractérisées qui restent à valider
Ce travail a permis d'identifier et de
caractériser une diversité d'innovations paysannes touchant aux
aménagements piscicoles, aux outils innovants utilisés, aux
différentes gestions des espèces piscicoles ou encore aux
différents échanges existants entre les pisciculteurs. Cela
permet d'enrichir les connaissances piscicoles de l'APDRA et surtout de passer
de connaissances orales à une formalisation écrite qui permet de
mettre en partage toutes ces informations au sein du réseau de l'APDRA.
Cette traque pourrait permettre d'enrichir le bagage d'options
conseillées par l'APDRA aux pisciculteurs qu'elle accompagne. Les pistes
à approfondir sont nombreuses (voir annexe 3 et 4). Il serait
intéressant de tester les systèmes de vidanges alternatifs
étudiés pour voir les conditions de leurs efficacités ;
les variétés de riz locales utilisées par les
pisciculteurs en étang barrage (à la place de la
variété de riz 3308 recommandé
par l'APDRA) et en rizière ; les différentes adaptations à
opérer sur la gestion des rizières (riz et poisson) en cas
d'absence de canal refuge (car celui-ci demande beaucoup d'entretien à
une partie des pisciculteurs rencontrés à cause des sols boueux
de la Côte Est);
73
ou encore l'efficacité des premiers tests
d'utilisation de provende artisanale effectués par quelques
pisciculteurs (notion de coût d'opportunité à mobiliser).
Dans un premier temps, ces innovations techniques pourraient être
rediscutées avec les équipes de l'APDRA afin de capitaliser plus
d'informations sur ce que font les pisciculteurs et ensuite être
testées en milieu paysan, notamment en suivant les pisciculteurs qui les
mettent déjà en oeuvre (Recherche-action). Sur les
échanges innovants identifiés, il serait pertinent de continuer
à les étudier pour mieux comprendre les conditions de ces
échanges dans le temps en mobilisant des analyses processuelles. Cet
accompagnement pourrait se faire avec l'outil de recherche co-active de
solution (GERDAL11) que l'APDRA mobilise déjà à
Madagascar.
4.2.2 Les évolutions des aménagements
piscicoles
Cette étude fait ressortir des dynamiques
d'évolutions des aménagements piscicoles chez les pisciculteurs
encadrés par l'APDRA sur la Côte Est. Au départ, l'APDRA a
proposé une pisciculture dans des étangs barrages de grandes
surfaces. Notre étude révèle l'émergence d'un
nombre croissant de pratiques piscicoles en rizière avec des
étangs barrages de petites tailles qui ne servent plus uniquement au
grossissement des espèces piscicoles et l'apparition d'une multitude de
trous vidangeables qui servent d'étangs de service pour les
différentes étapes d'élevages des espèces
piscicoles. On assiste à une intégration de l'activité
piscicole dans d'autres activités des exploitations agricoles,
principalement la riziculture.
Dans un premier temps, la diffusion de la
rizipisciculture sur la Côte Est par l'APDRA à partir de 2016 a
permis à un certain nombre de paysans de se lancer dans la pisciculture.
En effet, le nombre de rizipisciculteurs est passé de 6 en 2017 à
73 en 2020 (voir annexe 1), soit presque un tiers des pisciculteurs
encadrés par l'APDRA. De plus, 10% des pisciculteurs encadrés
combinent la pisciculture en étang barrage et la rizipisciculture. La
plupart ont commencé avec l'étang barrage et ont ensuite
adopté la rizipisciculture. Les visites échanges sur les Hautes
Terres ont été une source importante d'apprentissage pour une
partie de ces pisciculteurs. L'adoption de la rizipisciculture leur a permis
d'augmenter considérablement leurs surfaces empoissonnées pour un
faible coût d'aménagement. Certains d'entre eux ont
multiplié par 10 leurs surfaces piscicoles en 2 ans grâce à
la rizipisciculture qui occupe parfois jusqu'à 2 hectares de leur
exploitation. Finalement, on constate que l'augmentation de la production
piscicole s'est plutôt faite par une augmentation des surfaces
empoissonnées grâce à la rizipisciculture que par une
intensification des espaces piscicoles par l'alimentation. Cela peut
s'expliquer notamment par le fait que le foncier n'est pas encore la ressource
limitante des exploitations agricole sur la Côte Est de Madagascar
contrairement aux Hautes Terres (De Robillard et al., 2013). Nous pouvons tout
de même noter que certains pisciculteurs rencontrés fertilisent
(élevage porcin au-dessus de l'étang, fiente de volaille, fumier
de zébu) ou alimentent leurs étangs (provende artisanale, larves
de termite, fruits du Jacquier) afin d'augmenter leur rendement (voir annexe
3).
L'étang barrage est initialement proposé
par l'APDRA pour le grossissement des espèces piscicoles. Initialement,
il est recommandé qu'il fasse plus de 20 ares pour offrir une surface
assez grande aux poissons élevés. Selon des données
capitalisées par le RSE, les nouveaux étangs barrage construit en
2019 et 2020 font en moyenne 13 ares avec un écart type tout de
même important qui montre une diversité de tailles d'étangs
(voir annexe 8). Cette étude révèle des informations
encore peu connues sur l'évolution de l'aménagement et de
l'utilité des étangs barrages chez les pisciculteurs,
11 GERDAL : Groupe d'Expérimentation et
de Recherche : Développement et Actions Localisées
74
notamment chez ceux qui possèdent
également des rizières empoissonnées. On remarque qu'ils
aménagent généralement des étangs de petites
surfaces (entre 5 et 20 ares). Ces étangs sont parfois
équipés d'un simple système de vidange artisanale en
bambou ou en tronc de ravinala à la place du
moine. D'une part, cela révèle les difficultés
rencontrées par les pisciculteurs pour accéder aux
aménagements proposés par l'APDRA qui sont coûteux en temps
de travail et en investissement. D'une autre part, l'étang barrage de
petite taille semble adapté aux besoins des pisciculteurs, à
savoir, disposer d'un bassin d'eau vidangeable et sécurisé sur
son exploitation. En effet, l'étang barrage sert de réservoir
d'eau pour stocker les poissons en cas de sécheresse (notamment dans les
rizières) ; c'est un espace vidangeable équipé d'un trop
plein, ce qui limite les risques d'inondations (plus importants en
rizière) ; c'est un espace plus profond et plus sécurisé
en termes de vol que les trous vidangeables. Des pisciculteurs l'utilisent pour
stocker leurs géniteurs où même y faire la reproduction de
leurs carpes. Chez des pisciculteurs, d'autres éléments du
système de production dépendent de la ressource en eau
stockée par l'étang barrage. On voit apparaitre des
pépinières (fruitiers et épices) ou des cultures
maraichères aux alentours de l'étang barrage, cela permet
également aux zébus de s'abreuver ou encore à des alambics
de fonctionner pour produire des huiles essentielles (notamment de girofle). A
noter, certains déchets agricoles (fruits, son de riz, légumes)
et les excréments d'animaux élevés (zébu, porcs,
volaille) servent également à alimenter les poissons et à
fertiliser l'étang. L'étang barrage de petite surface apparait
alors comme un pilier du système d'élevage et participe à
l'intégration de la pisciculture dans le système de production de
l'exploitant.
Des recherches peuvent être menées pour
mieux évaluer l'intérêt pour un pisciculteur de combiner la
pisciculture en étang barrage et en rizière. Il serait
intéressant de comparer les coûts des aménagements
piscicoles en fonction de l'utilité qu'ils ont sur l'exploitation. On
peut s'interroger sur la taille optimale de l'étang barrage en fonction
des coûts d'aménagements de celui -ci et des potentialités
de développement de la rizipisciculture.
4.2.3 La grande plasticité des systèmes
d'élevages des pisciculteurs de l'APDRA
L'étude des trajectoires des exploitations
piscicoles rencontrées dans notre échantillon
révèle une grande plasticité des systèmes
d'élevage des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. En effet,
plusieurs pisciculteurs sont passés de la production de poissons
destinés à la consommation à la production d'alevins, un
marché bien plus rémunérateur. D'autres sont passés
de la vente de poissons vendus au kilo sur des grands marchés urbains
à la vente de poissons vendus « en tas » dans les hameaux et
en bord de parcelle afin de limiter les coûts de transport et les pertes
des poissons non vendus. Ces exemples montrent que certains pisciculteurs
accompagnés par l'APDRA s'adaptent rapidement aux opportunités
qu'ils rencontrent et aux contraintes auxquelles ils font face.
D'une part, cela révèle que les
modèles de piscicultures extensifs proposés par l'APDRA
permettent cette élasticité et cette capacité d'adaptation
rapide. En effet, l'élevage plurispécifique permet de produire
plusieurs espèces de poissons plus ou moins demandées sur les
différents marchés. Les deux autres espèces
proposées par l'APDRA, à savoir le gourami (vendu et
apprécié sur les marchés locaux) et
l'hétérotis, pourraient devenir des poissons de pisciculture
vendus sur les marchés. Nous pouvons également citer le
Channa striata (appelé localement
fibata) ou encore le Paretroplus
polyactis (appelé localement
masovoatôka) qui se vendent actuellement sur
les marchés locaux. De plus, la maîtrise des techniques de
reproduction de la carpe et du tilapia permet aux producteurs encadrés
par l'APDRA de produire des alevins en quantité importante et de les
vendre. Enfin, les modèles extensifs proposés par l'APDRA sont
peu coûteux en investissement et en coût de fonctionnement. Cela
permet aux pisciculteurs d'avoir plus de souplesse dans la gestion de cette
activité.
75
D'autre part, ces exemples montrent que les
pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est font partie
d'un ensemble d'acteurs à l'échelle du territoire. En effet, les
pisciculteurs de l'APDRA fournissent des alevins à des cagistes,
à des projets de développement mais aussi à des
pisciculteurs dans des zones reculées ; ils fournissent certains
marchés des grandes villes comme ceux des petits hameaux isolés ;
ils échangent entre eux, et potentiellement avec d'autres pisciculteurs,
des facteurs de production (géniteurs, alevins, temps de travail et
matériels) ou des conseils techniques pour développer leurs
activités piscicoles ; certains sont même enregistrés
auprès du Service de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) du
district et ont des licences de vente. Les pisciculteurs encadrés par
l'APDRA s'intègrent dans les dynamiques locales voire régionales
de développement de la pisciculture. Ils échangent des biens, des
services et des informations avec des acteurs divers et
variés.
Cependant, les pisciculteurs encadrés par
l'APDRA n'ont pas tous les mêmes degrés d'imbrications dans ces
réseaux d'acteurs et donc pas les mêmes accès aux
différents marchés de vente de poisson. Certains exploitants,
situés dans des zones isolées, restent sur des marchés de
vente de petits poissons en tas ou limite la pisciculture à des fins
d'autoconsommation. D'autres exploitations, idéalement situées le
long de la route nationale, jouissent d'un accès à des
marchés plus rémunérateurs. Les réseaux d'acteurs
auxquels ont accès les pisciculteurs dépendent également
de leurs liens plus ou moins fort avec les ACP, le Service de la Pêches
et de l'Aquaculture ou encore d'autres acteurs du développement de la
pisciculture (projet FORMAPROD, les cagistes). Ces liens
privilégiés peuvent aboutir à des situations de monopole
des marchés détenus par quelques pisciculteurs, notamment pour le
marché de vente d'alevins. En effet, le marché de la vente
d'alevins semble aux mains de quelques pisciculteurs en capacité de
produire suffisamment d'alevins et ayant accès aux réseaux des
acheteurs. Si de plus en plus de pisciculteurs deviennent alevineurs, on peut
penser que les prix des alevins vont baisser comme cela a été le
cas dans la zone de Betafo dans le Vakinankaratra sur les Hautes Terres de
l'île. Les alevins seront alors plus facilement accessibles aux
pisciculteurs et ce type de marché sera moins attractif. Pour cela, des
initiatives comme les « trano be fiompina laoka
» (« maisons de la pisciculture ») que l'APDRA
commence à mettre en place avec les services étatiques et les
pisciculteurs locaux paraissent intéressantes à
développer. En effet, elles permettraient de répertorier l'offre
et la demande en alevins et en poissons destinés à la
consommation sur un territoire donné. Cela permettrait une meilleure
circulation de l'information et, in fine, donnerait
une plus grande visibilité aux pisciculteurs isolés des
différents marchés. Afin de mieux accompagner des innovations qui
englobent un réseau d'acteurs variés, l'APDRA peut approfondir le
concept de système d'innovation agricole (Touzard et al.,
2014).
4.2.4 L'intervention des ACP dans les échanges
entre les pisciculteurs
Nous avons observé que les ACP jouaient un
rôle important dans les échanges entre les pisciculteurs de
l'APDRA. En effet ils sont régulièrement à l'initiative
d'échanges entre des pisciculteurs, parfois situés dans des zones
différentes. Ils arrivent alors à répondre à un
certain nombre de problèmes auxquels sont confrontés les
pisciculteurs, comme faciliter l'approvisionnement en alevins de carpes des
pisciculteurs (voir page 41). Cependant, cela peut créer une certaine
dépendance des pisciculteurs envers les ACP, surtout si les ACP
deviennent un intermédiaire nécessaire au « bon
déroulement » de l'échange. Cela va à l'encontre d'un
des objectifs de l'APDRA qui est d'autonomiser au maximum les
pisciculteurs.
De plus, les ACP sont très rarement originaires
des zones dans lesquelles évoluent les pisciculteurs. On peut penser
qu'ils connaissent peu les enjeux sociaux qui existent dans ces zones et qu'ils
peuvent potentiellement perturber l'équilibre social à travers
ces nouveaux échanges piscicoles qu'ils impulsent. Il peut
également noter qu'en se rapprochant des ACP, les
76
pisciculteurs ont accès à de
l'information, à des éléments techniques et à des
réseaux d'acteurs. Il y a alors le risque que seulement certains
pisciculteurs, les plus proches des ACP, puissent jouir de ces informations et
participer à d'avantage d'échanges avec d'autres pisciculteurs.
On peut penser que ces pisciculteurs seront avantagés au
détriment des pisciculteurs moins proches des ACP.
Enfin, les ACP qui sont également pisciculteurs
peuvent avoir un statut spécial dans ces échanges et plus
généralement dans les groupements. L'ACP pisciculteur
expérimente de son côté, il enrichi les discussions avec
les autres pisciculteurs autour de pratiques techniques et peut être un
moteur fort de l'innovation paysanne. Cependant, cette double casquette peut
également lui permettre, à travers les réseaux de
pisciculteurs qu'il encadre, de vendre ses alevins ou même ses
géniteurs. Ces échanges peuvent se faire au détriment
d'autres échanges qui auraient pu avoir lieu entre des pisciculteurs. De
plus, L'ACP peut plus facilement devenir leader du groupe dans lequel il se
trouve, même s'il n'est pas élu officiellement président.
En effet, les réseaux d'informations qu'il possède (formations
avec l'APDRA, SPA, pisciculteurs du district) et sa présence dans
beaucoup de localités (encadrement de groupes, déplacements
à moto) font de lui une personne incontournable. Un des ACP a
été responsable de la zone dans laquelle se trouve son
exploitation. Il est au centre de nombreux échanges au sein des
pisciculteurs de sa zone (voir annexe 9)
4.3 L'accompagnement des innovations paysannes par les
ACP à l'APDRA : constats et pistes à approfondir
4.3.1 L'accompagnement actuel de l'innovation paysanne
par les ACP
Notre premier constat porte sur les différences
entre l'accompagnement de l'innovation par les équipes techniques des
Hautes Terres et celle de la Côte Est de Madagascar. En effet, le
deuxième stagiaire (S.Gate) a constaté que sur les Hautes Terres,
l'accompagnement de l'innovation par les ACP différait selon le type
d'innovation. Lorsqu'il s'agit d'une innovation au sein du système
d'élevage proposé par l'APDRA (la monoculture de carpe en
rizière), les ACP identifient bien les changements et les accompagnent
(d'autant plus si ces changements sont simples). Cependant, si l'innovation va
à l'encontre des schémas techniques proposés par l'ONG,
l'accompagnement des ACP est quasi-inexistant. On peut alors supposer que les
pisciculteurs auront tendance à ne pas faire part aux ACP des pratiques
alternatives à la monoculture de carpe en rizière qu'ils mettent
en place. De plus, l'ACP, lui, aura tendance à ne pas faire remonter les
pratiques « alternatives » qu'il observe sur le terrain de peur
qu'elles ne s'accordent pas avec le référentiel technique de
l'APDRA.
Sur la Côte Est, le constat diffère. On
remarque que les ACP ont dû s'adapter à l'évolution rapide
du référentiel technique. En effet, l'apprentissage de la
polyculture en étang barrage avec le tilapia comme espèce phare a
commencé en 2010 et les ACP ont intégré dans le
référentiel la rizipisciculture et l'élevage de carpe au
cours des 5 dernières années. Cela a permis de proposer aux
pisciculteurs une diversité de pratiques. Cela a sans doute
également provoqué une maîtrise moins fine de cette
diversité de pratiques par les ACP. Nous supposons qu'il y a moins de
blocages dans le dialogue entre les pisciculteurs et les ACP sur les
différentes pratiques innovantes que sur les Hautes Terres. En effet,
les ACP de la Côte Est se figent moins sur un référentiel
précis et délimité et laissent ainsi plus facilement une
diversité de pratiques apparaitre. Ils forment techniquement les
pisciculteurs aux différentes pratiques du « package technique
» de l'APDRA (reproduction de carpe, sexage des fingerlings de tilapia)
mais les aident également à développer des pratiques
alternatives (exemple du système de vidange en bambou conseillé
par un ACP à un pisciculteur). Le problème réside dans
l'identification des innovations et leurs diffusions. Sur la cinquantaine de
pratiques innovantes identifiées lors de cette traque, pratiquement
toutes étaient connues par les ACP. Cependant, lors du
77
premier relevé des innovations par les ACP
(lors de la phase de télé travail), ils n'en avaient
identifié que 6. On peut penser que les ACP ont du mal à
reconnaitre certaines pratiques innovantes en tant que telles et/ou ne
consacrent pas assez de temps à faire remonter ces pratiques au reste de
l'équipe de l'APDRA. Cela a plusieurs conséquences. D'un
côté, ils n'accompagnent pas forcément le pisciculteur dans
la mise en oeuvre de ces pratiques innovantes et d'un autre côté,
ils ne les identifient pas et ne les font pas remonter comme des pratiques
innovantes auprès du reste de l'équipe de l'APDRA
Le rôle de l'ACP (voir encadré n°1
page 15) est très important dans l'accompagnement des innovations
paysannes. En effet, ce sont les ACP qui font remonter la majorité des
informations récoltées sur le terrain par l'APDRA. Pour
identifier des innovations, l'outil principal qui leur a été
proposé est la recherche co active de solutions ou démarches du
GERDAL. Cette démarche vise à « renforcer, par
le dialogue et la réflexion collective entre pairs, l'activité de
production et de transformation des connaissances, pour élaborer des
pistes de solutions adaptées et être à même de les
discuter avec d'autres acteurs » (Faure et al., 2018). Il
faut noter que la légitimité de l'ACP, souvent appelé
« technicien » par les pisciculteurs enquêtés, repose en
partie sur les connaissances techniques en pisciculture qu'il apporte aux
paysans. Le rôle d'animateur dans la démarche du Gerdal peut alors
paraitre secondaire auprès des pisciculteurs. De plus, cet outil est
difficile à mettre en oeuvre. D'une part, chaque ACP encadre en moyenne
30 à 40 pisciculteurs (contre 10 en début de projet) et a un
rôle de formateur technique et de collecteur des informations
quantitatives pour le suivi et l'évaluation des pisciculteurs. Il a
alors peu de temps à consacrer à la mise en place de ces
arènes de dialogues. D'autre part, la démarche du Gerdal requiert
la maîtrise d'outils sociologiques et une certaine expérience en
animation de groupe (Faure et al., 2018).
4.3.2 Des pistes pour enrichir les outils
d'accompagnement et de diffusion des innovations paysannes
Dans la littérature, les paysans apparaissent
de plus en plus comme des acteurs essentiels du processus d'innovation agricole
(Dugué et al., 2006). Cette étude montre qu'effectivement, les
pisciculteurs encadrés par l'APDRA adaptent les conseils donnés
par l'ONG et adoptent des pratiques innovantes à l'échelle de
leurs systèmes d'élevage. Les techniques
transférées par les acteurs du développement et de la
recherche aux paysans sont également des moteurs importants de
l'innovation. L'APDRA a par exemple participé au développement de
la rizipisciculture et de l'élevage de carpe dans le district de
Vatomandry ce qui a fortement impacté les systèmes
d'élevage des pisciculteurs enquêtés et renforcé les
dynamiques d'innovations paysannes.
D'un point de vue opérationnel, nous pouvons
relever quelques pistes à creuser pour un meilleur accompagnement de
l'innovation paysanne à l'APDRA.
Au sein des équipes de l'APDRA, un travail est
à continuer pour amener les ACP (ou d'autres agents terrains) à
dialoguer davantage avec les pisciculteurs afin de faciliter l'émergence
et la diffusion d'innovations piscicoles. Un premier point porte sur une mise
à jour des conseils techniques validés par l'ensemble de l'APDRA.
En effet, il faudrait encourager l'émergence de différentes
combinaisons possibles à proposer aux pisciculteurs et insister sur
l'intérêt d'étudier les adaptations faites de ces conseils
par les pisciculteurs. De plus, pour permettre une meilleure remonté des
informations récoltées sur le terrain par les ACP, il est
important de libérer la parole et d'encourager les discussions sur les
pratiques piscicoles alternatives, même si celles-ci peuvent paraitre
inefficaces à première vue (exemple de l'innovation par retrait :
l'élevage de tilapias non sexés). Pour cela, il faut
éviter que l'évaluation des ACP ne dépende de
l'application des conseils techniques présents dans les
référentiels et il faut mettre en place ces espaces de
discussions. Un deuxième point porte sur la
78
formation des ACP au concept d'innovations,
très compliqué à saisir. Il est important de renforcer les
connaissances théoriques sur les concepts d'innovations, d'innovations
paysannes et de système innovant en soulignant le caractère multi
acteurs de ces concepts (voir page 13). Pour finir, il faudrait continuer
à faire des études sur les innovations paysannes existantes et
les capitaliser au fur et à mesure pour enrichir la compréhension
de l'ONG sur les dynamiques piscicoles existantes dans ses zones
d'interventions. Pour cela, la « traque aux innovations adaptés
à la pisciculture sur la Côte Est de Madagascar » mise en
place lors de cette étude pourrait être une démarche plus
largement mobilisée par les ACP ou par d'autres agents de l'APDRA afin
de repérer, caractériser et valoriser des innovations
paysannes.
Une deuxième piste de travail serait de
renforcer les moments d'échanges entre les pisciculteurs. En effet, les
visites-échanges organisées par l'APDRA, notamment pour faire
découvrir la rizipisciculture des Hautes Terres aux pisciculteurs de la
Côte Est, ont été citées fréquemment lors des
enquêtes comme des sources importantes d'apprentissages et donc de
diffusion de l'innovation. Les observations par un pisciculteur, des techniques
mises en place par un autre pisciculteur et les discussions entre ces deux
personnes apparaissent comme des moments riches d'échanges
d'informations, de transfert de connaissances et de diffusion des innovations
(Aare et al., 2020). Il serait intéressant de multiplier ces visites,
notamment entre les pisciculteurs d'une même zone qui sont susceptibles
de partager des caractéristiques communes (climat, ressources,
problématiques).
L'organisation d'une « foire aux innovations
» avait été imaginée par l'APDRA pour créer un
lieu d'échange des pratiques innovantes entre les pisciculteurs. Cette
idée semble intéressante pour des innovations techniques simples
comme des outils ou des techniques d'alimentation. La foire permettrait en
effet de réunir beaucoup de pisciculteurs dans un même lieu pour
leur apporter de nouvelles connaissances et potentiellement, créer un
dialogue entre eux (Quiroga & Flink, 2017). Cependant, cet outil parait
moins pertinent pour des innovations plus systémiques ou des innovations
organisationnelles plus complexes et plus difficiles à aborder dans des
grandes sphères. D'autres outils peuvent être mis en place comme
les Groupes d'échanges de Pratiques (GEP). Lors de ces réunions,
« les agriculteurs échangent non seulement sur les
données technico-économiques, mais aussi sur les nouveaux
marchés, les modes de commercialisation, l'ancrage territorial,
l'organisation du travail. Ils échangent également sur des
niveaux d'analyse plus globaux, envisageant l'exploitation agricole comme un
système à appréhender dans sa globalité.
L'animateur est là pour faciliter ces échanges et assurer un
retour écrit ou oral aux agriculteurs (analyse ou synthèse) qu'il
leur fait valider. » (Goulet et al., 2008).
Pour finir, il y a un enjeu à construire des
formations sur la méthode de « traques aux innovations »
développée dans cette étude. En effet, cette
méthode permet d'identifier et de caractériser un panel
d'innovations allant de techniques simples à des innovations
organisationnelles ou systémiques mises en oeuvre par les paysans. Cette
formation pourrait être donnée auprès de différents
agents terrains de l'APDRA comme les ACP ou auprès d'autres acteurs
n'ayant pas le rôle de technicien qui demande déjà un
travail conséquent.
79
Conclusion et ouverture
Pour conclure, cette étude montre que les
pisciculteurs accompagnés par l'APDRA adaptent en permanence les
conseils de l'ONG et innovent à leur échelle pour répondre
aux problèmes qu'ils rencontrent et saisir les opportunités qui
se présentent à eux. Ainsi, ils adaptent les aménagements
et les techniques piscicoles recommandés par l'APDRA aux contextes de
leurs exploitations et échangent des informations ou des ressources pour
développer leurs activités piscicoles. L'accès aux
différents marchés, l'accès à l'eau et les
problèmes de vols sont des facteurs déterminants qui poussent les
pisciculteurs à innover. Les caractéristiques des exploitations
et l'accès à l'information paraissent très
hétérogènes entre les pisciculteurs accompagnés par
l'APDRA. Certains se retrouvent sur des marchés très
rémunérateurs comme la vente d'alevins à des gros
acheteurs tandis que d'autres ne trouvent pas de débouchés pour
vendre leurs poissons.
L'APDRA joue un rôle important dans les
dynamiques d'innovations piscicoles sur la Côte Est de Madagascar. En
effet, elle a participé au développement de pratiques
d'élevages innovantes pour les pisciculteurs du district de Vatomandry
comme la rizipisciculture ou encore l'élevage de carpe. Les ACP de
l'APDRA accompagnent les pisciculteurs aux quotidiens et alimentent
l'innovation en milieu paysan. Cependant, les pratiques piscicoles innovantes
ont du mal à être identifiées comme telles par les ACP et
remontées vers les équipes de coordinations de l'ONG. Il serait
intéressant de renforcer les formations au sein de l'APDRA sur le
concept et l'accompagnement de « l'innovation paysanne » et de
favoriser les échanges entre les pisciculteurs, les ACP, et l'ensemble
des acteurs de la pisciculture sur des territoires donnés.
Cette étude présente plusieurs limites.
Tout d'abord, l'échantillon n'est pas représentatif des
pisciculteurs encadrés par l'APDRA, et encore moins de tous les
pisciculteurs et les formes de piscicultures qui existent sur la Côte Est
de Madagascar. En conséquence, cette étude ne montre qu'une
partie des pratiques piscicoles innovantes existantes et susceptibles
d'enrichir les référentiels techniques de l'ONG. De plus, le
temps limité de la phase terrain ne nous a pas permis de situer la place
de la pisciculture au sein des activités globales des paysans
rencontrés. Il est important de souligner que les pisciculteurs
encadrés par l'APDRA sont avant tout des paysans. Ils ont tous des
cultures vivrières (riz, manioc, maïs), d'autres activités
d'élevages (volailles, porcins, bovins) et des cultures de rente
(poivre, vanille, girofle, cannelle, letchi), parfois en interactions directes
avec la pisciculture. Etudier ces activités permettrait de mieux
comprendre le choix des paysans quant à leur activité piscicole
(calendrier agricole, notion de coût d'opportunité).
Depuis quatre ans, la rizipisciculture est
proposée par l'APDRA aux paysans qu'elle accompagne sur la Côte
Est de Madagascar. Dans cette étude, peu d'innovations de paysans ne
pratiquant que de la rizipisciculture ont été
étudiées, car la plupart de ces paysans étaient encore peu
expérimentés en pisciculture. En effet, 73% des rizipisciculteurs
accompagnés sur la Côte Est ont commencé après le
1er octobre 2019 et 52% après le 1er janvier 2020. Nous supposons que
des innovations paysannes vont émerger dans les années à
venir grâce à l'acquisition d'expérience de ces
rizipisciculteurs. Il serait dans ce cas, très intéressant
d'étudier et d'accompagner ces dynamiques d'innovations. Cela pourrait
se faire en menant de nouvelles traques couplant simultanément
l'étude des pratiques piscicoles et rizicoles qui sont intimement
liées dans les systèmes rizipiscicoles.
80
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AGROALIMENTAIRE.
83
Annexes
Annexe 1 : Graphique représentant
l'évolution du nombre de rizipisciculteurs encadrés par l'ADPRA
sur la Côte Est entre 2017 et 2020 (source : Sadousty J, APDRA,
2021)
Evolution du nombre de rizipisciculteurs encadrés
par l'ADPRA sur la Côte Est entre 2017 et 2020
2017 2018 2019 2020
6 15
35
73
Annexe 2 : Schéma d'un étang fermé
dans le modèle de Guinée Forestière : (source : APDRA,
2017)
84
Annexe3 : Différentes formes d'alimentations et
de fertilisations innovantes
Innovation
|
Référentiel
technique APDRA
|
Description et intérêt de
l'innovation
|
Provende artisanale
|
Non mentionné
|
Production de 1,8 tonnes de provende artisanale
faite à partir de maïs, manioc, riz, soja (qu'il cultive
exprès pour ça) et escargot : ensemble broyé au hachoir
(prend beaucoup de temps) / Sert à alimenter en priorité
les géniteurs de carpes
|
Compost
|
Non mentionné
|
1 pisciculteur emmagasine dans un trou : son de riz
+ paille de riz + fiente de volaille/porcs/zébu
|
Fruit de jacquier
|
Non mentionné
|
Coupé puis jeté directement dans l'eau,
ce fruit flotte parfois à la surface des étangs. Fruit
disponible en abondance autour des étangs dans les forêts
plantées des paysans. Ne parait pas alimenter de manière
importante les poissons.
|
Termite
|
Non mentionné
|
Termites (notamment les larves) jetés dans
les
étangs. Source de protéine disponible
gratuitement. Donné de manière dérisoire par la plupart
des pisciculteurs, 1 le fait cependant
de manière quotidienne.
|
Provende achetée
|
Non mentionné
|
Quelques pisciculteurs aisés achètent de
la provende alimentaire (LFL, AMI) à Tamatave
|
Elevage de canard
|
Non mentionné
|
Elevage de canard au milieu des étangs
pour fertiliser l'étang de manière naturelle Risque de
mortalité sur les alevins (problématique surtout pour les
alevins de carpe qui ont plus de valeur)
|
Fiente de poulet de chaire
|
Non mentionné
|
Utilisation de fiente de poulet de chair,
encore riche grâce à leur alimentation en
provende industriel
|
Annexe 4 : Différents outils et
aménagements innovants
Innovation
|
Référentiel
technique APDRA
|
Description et intérêt de
l'innovation
|
Etang de vente cimenté en bord d'étang
barrage
|
Non mentionné
|
Etang de 3m2 alimenté en eau toute
l'année et situé près de l'étang
barrage
Avoir un étang pour le stockage et la vente
d'alevins (éviter la mortalité et vendre des alevins propres aux
clients)
|
Absence de canal refuge en
rizière (Innovation par retrait)
|
L'APDRA recommande un canal refuge faisant 10
à 15% de la surface de la rizière.
|
Pisciculteurs ne mettant pas de canal
refuge
dans leurs rizières à cause de la boue
qui bouche rapidement le canal et demande un entretien régulier.
Utilisation de riz à paille longue et repiquage tardif pour maintenir
une
|
85
|
|
lame d'eau suffisante pour les poissons
|
Canal refuge sur le côté
|
Canal refuge recommandé au milieu pour
éviter le vol
|
Rizière de petite taille : permettre le
piétinage des zébus : travaux de préparation des
rizières
|
Support de ponte en racine de raphia
|
Support de ponte en jacinthe d'eau
|
Support en bois avec des racines de raphia dessus :
matériel facilement disponible et facile à conserver
contrairement aux jacinthes d'eau
|
Enherbement des digues avals
|
Non mentionné
|
Digue aval enherbée pour éviter
l'érosion du
sol
|
Palissade en bambou tressé
|
Non mentionné
|
Palissade en bambou tressé pour séparer
un petit étang en deux afin de pouvoir séparer
les géniteurs de carpes
|
Annexe 5 : Les échanges entre l'étang
barrage et d'autres activités du système de production d'un
pisciculteur ;
Annexe 6: Tableau représentant le GMQ moyen de
la carpe et du tilapia en rizière et en étang barrage (EB) en
2020 chez l'ensemble des pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la
Côte Est (source : Sadousty J, APDRA, 2021)
GMQ moyen des carpes en 1,60 GMQ moyen des tilapias N
0,66
|
rizières g/j en rizières g/j
|
GMQ moyen des carpes en
|
1,16
|
GMQ moyen des tilapias N
|
0,3 à
|
EB
|
g/j
|
en EB
|
0,5g/j
|
86
Annexe 7 : Graphique de la croissance pondérale
moyenne du tilapia (O.niloticus) à différentes
températures : (source : Mélard, C, 1986)
Annexe 8 : Tableau de la surface moyenne en are en
étang barrage et en rizière des nouveaux pisciculteurs en
fonction des années d'installations (source : Sadousty, J, APDRA,
2021)
Année de début
du pisciculteur
|
|
Surface moyenne par pisciculteur en étang
barrage (en ares)
|
|
Ecart type
1
|
|
Surface moyenne par pisciculteur en
rizière (en ares)
|
|
Ecart type
2
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
2016
|
24
|
18
|
41
|
62
|
2017
|
15
|
13
|
13
|
12
|
2018
|
22
|
31
|
11
|
10
|
2019
|
13
|
9
|
11
|
7
|
2020
|
13
|
8
|
9
|
9
|
87
Annexe 9 : Echanges identifiés entre les
pisciculteurs de deux groupements avec un ACP pisciculteur au centre
88
Annexe 10 : Etude de cas de Victor12 (P2
dans notre étude), un pisciculteur qui n'a pas réussi à
devenir alevineur
Caractéristique de l'exploitation
:
Victor est un pisciculteur de la commune d'Andasibe,
situé à 16 km de Vatomandry en passant par des routes secondaires
peu praticables. Il a commencé la pisciculture en 2004 en élevant
du gourami pêché dans les cours d'eau mais il a fini par
arrêter par manque de connaissances techniques. Il a repris la
pisciculture avec l'APDRA en 2017 en rizière puis très rapidement
a construit un étang barrage de 5 ares. Il a aujourd'hui près
d'un demi-hectare de rizière empoissonné près de sa
maison. Il est en train de construire deux étangs barrages
supplémentaires. La partie aval de ses rizières est
exposée aux risques d'inondation. Victor a des parcelles de café,
c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent. Grâce à ses
rizières, lui et sa famille arrivent à être auto-suffisant
en riz.
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020) Elevage mono
spécifique de carpe en rizière :
Victor n'élève que de la carpe depuis
qu'il a perdu ses tilapias donnés par l'ADPRA lors d'une inondation. Il
utilise ses étangs de service pour séparer ses géniteurs
carpes et faire la reproduction de carpe. Cette année, il a fait 3
reproductions de carpes. Il laisse pré grossir ses alevins de carpes
dans un étang de service de 2 ares équipé d'un ombrage.
Ensuite les alevins continuent leur pré grossissement et le
grossissement dans les rizières. Une partie des rizières,
situées en aval, est plus exposé aux risques d'inondations. Il
peut alors, notamment grâce à des canaux de pêches
récupérer ses poissons pour les empoissonner dans les
rizières en aval. Initialement, Victor arrivait à faire 3 cycles
de riz par an. Depuis qu'il fait de la pisciculture, il ne peut faire que 2
cycles de riz en rizière par an à cause des travaux d'entretiens,
notamment le piétinage des rizières par les zébus qui
empêchent les activités piscicoles d'avoir lieu.
L'étang barrage lui a servi cette année
pour stocker ses géniteurs de carpes d'avril à juillet. En effet,
il vivait à ce moment près de son étang barrage et il
préférait garder ses géniteurs de carpes près de
lui pour éviter le vol. Après le mois d'août, il n'avait
plus assez d'eau dans son étang barrage. Il a donc décidé
d'y cultiver du riz sur la totalité. Cependant, il est en train de
finaliser un étang barrage de 28 ares pour y faire grossir ses carpes
partir d'avril 2021. Victor pense que le riz dans les rizières
gêne les poissons quand ils sont trop gros (il n'a pas de canaux refuges
dans toutes ses rizières).
« Je compte finir mon étang barrage de 28 ares
pour y faire séparément le grossissement de 1600 carpes
que j'irai vendre sur le marché de Vatomandry lors des fêtes
».
Production et débouchés
:
Victor se trouve dans une zone isolée. Pour
l'instant il n'a vendu que localement des petites carpes en tas et en petites
quantités car il ne produisait pas beaucoup d'alevins de carpes
jusqu'alors.
Cette année, Victor a produit 10 500 alevins en
2 reproductions et les alevins obtenus lors de la troisième reproduction
n'ont pas encore été comptés. Il espérait pouvoir
les vendre facilement. Cependant, il n'a pas de contact d'acheteurs. Il a
réussi à vendre 140 alevins à 400MGA pièce. Cet
argent lui a permis de payer de la main d'oeuvre pour la construction de ses
deux nouveaux étangs barrages. Il a également reçu une
commande de 200 alevins mais il a dû la refuser pour ne pas perdre l'eau
de ses rizières lors des pêches. Il se plaint de n'avoir que
quelques acheteurs locaux qui ne veulent que des petites quantités
d'alevins alors qu'il en a beaucoup à proposer.
12 L'ensemble des noms des pisciculteurs
présentés dans ces études de cas ont été
changé pour respecter leurs anonymats
89
« Les pisciculteurs de la zone ne veulent que des
petites quantités d'alevins, moins de 100, mais moi j'ai beaucoup
d'alevins à vendre et je ne sais pas à qui. »
Il sait que s'il obtient des grosses carpes, il pourra
les vendre sur les marchés de Vatomandry facilement lors des grandes
fêtes de l'année. Il est prêt à transporter 20 kilos
de poissons à pied (3 heures de marche).
Evolution de la pratique :
Lors de son premier cycle d'élevage de carpe et
de tilapia, il a d'abord laissé ses poissons dans ses rizières
pendant 3 mois avant de les transférer dans son étang barrage. Il
a remarqué que les poissons grossissaient mieux en étang
barrage.
Ensuite, Victor a voulu produire beaucoup d'alevins en
espérant les vendre et gagner beaucoup d'argent. Cependant, il se trouve
dans une zone reculée dur d'accès et il n'a pas beaucoup de
contacts d'acheteurs. Il se retrouve cette année avec beaucoup d'alevins
non vendus.
Il a construit deux nouveaux étangs barrage et
y prévoit d'y faire le grossissement de ses carpes et des tilapias qu'un
ami va lui fournir. Il prévoit de faire le pré grossissement de
ses carpes en rizières et le grossissement de 1600 alevins carpes dans
son étang barrage de 28 ares. Les tilapias seront empoissonnés
dans le deuxième étang afin de tester quels poissons grossissent
le mieux.
Evaluation de la pratique :
Victor dit être « heureux » de son
activité piscicole, surtout cette année où il a
réussi à produire beaucoup d'alevins de carpes mais il est
également « triste » de ne pas réussir à les
vendre. Il aimerait que l'APDRA lui rachète ses alevins de carpes. Il
envisage alors de faire grossir des poissons et de les vendre sur les
marchés de Vatomandry où il est sûr de pouvoir
écouler toute sa production.
Annexe 11 : Etude de cas de Alex, un grossisseur et un
alevineur de carpe et de tilapia Caractéristique de
l'exploitation :
Alex est un pisciculteur de la commune d'Antanambao
Mahatsara, il travaille avec l'APDRA depuis 2016. C'est un grand
propriétaire terrien, il a 30 hectares de terres. La route secondaire
qui accède à son exploitation est en mauvaise état
(quasiment impraticable en saison des pluies) et il y a plus de 40 km pour
rejoindre la route nationale RN11A. Il a commencé par aménager un
étang barrage de 20 ares et 3 étangs de service. Depuis 3 ans, il
a transformé trois hectares de terrain en une vingtaine de parcelles de
rizières de 15-20 ares chacune, dont 2 ha sont maintenant
dédiés à la rizipisciculture. Sa femme a également
aménagé un étang de 15 ares en amont des rizières,
et un troisième étang-barrage de 30 ares a été
construit dans un bas-fond à quelques km de ses rizières. Sur ses
terres, il cultive également du maïs pour l'autoconsommation et
l'alimentation de ses volailles, du girofle, du letchi et des ananas (Mounayar
M, 2019). Depuis 2020, il a commencé à cultiver du soja dans le
but de produire de l'aliment artisanal pour ses poissons.
Conduites d'élevage des espèces
piscicoles : (année 2020)
Alex utilise ses rizières pour le pré
grossissement et le grossissement des carpes et dans une moindre mesure, des
tilapias. Les 2 hectares aménagés de rizières dont il
dispose lui permettent d'avoir une grande surface à empoissonner. Il
fait 2 cycles de riz court à paille longue (cycle de 4 mois) par an et 1
cycle de pré grossissement et de grossissement par an (8 mois). Il n'a
pas manqué d'eau dans ses rizières cette année. Quand
ça lui arrive, il se sert de ses étangs barrages qui ne tarissent
pas pour stocker son cheptel (en priorité les poissons les plus gros).
Les risques d'inondations en rizières sont plus fréquents (entre
janvier et mars), il utilise également ses étangs barrage pour
stocker son cheptel. En effet, le système de vidange de l'étang
barrage permet de réguler plus facilement le niveau d'eau et le trop
plein permet d'éviter les risques de débordements. Après
le mois mars, il pêche ses poissons stockés, les vend s'il a des
commandes ou les remet en grossissement dans le cas contraire. Sur une partie
de ses rizières il ne fait que de la carpe en monoculture car il a
observé que les
90
carpes grossissaient mieux que le tilapia. Dans les
autres rizières, il fait de la polyculture de tilapia et de carpe. Pour
les pêches, il récolte d'abord le riz de toutes ses
rizières et laisse une lame d'eau pour ses poissons. Ensuite, il fait la
pêche de la majeure partie de ses rizières et utilise les
rizières restantes (qui ressemble alors à des petits
étangs car il n'y plus de riz) pour stocker ses poissons. Cela lui
laisse le temps de travailler ses rizières vidées en restaurant
les canaux refuge et en piétinant la terre avec ses
zébus.
L'année 2019, M. Alex a produit 14 000 alevins
de carpes. Pour cela, il utilise ses 3 étangs de service plus facile
à fertiliser que les rizières car ils sont plus petit et il y a
moins de fuite. Dans un premier temps, il sépare les géniteurs
mâles et femelles puis il utilise un étang de ponte pour la
reproduction. Ensuite, il amène les larves jusqu'au stade alevins avant
de les empoissonner en rizière. Selon lui, il y a des risques de
mortalité important si on empoissonne les larves de carpes directement
dans la rizière car il y a plus de prédateurs et de poissons
sauvages.
Pour le tilapia, Alex a arrêté de faire
le sexage des alevins. En effet, cela lui prenait trop de temps et il avait des
difficultés à identifier le sexe des alevins du fait de sa
mauvaise vue. De plus, les erreurs de sexage amenaient les tilapias à
des tailles de 50g tout au plus. En 2019, il a failli arrêter de faire du
tilapia mais il a appris que des clients aisés achetaient des alevins de
tilapias. L'ACP pisciculteur qui l'encadre lui a proposé de produire 25
000 alevins pour une commande qu'il a auprès d'un cagiste. Le tilapia
est alors redevenu un des objectifs de production d'Alex.
Alex fertilise seulement les rizières
empoissonnées avec la fiente de ses poules et le fumier de ses
zébus. Il embauche de la main d'oeuvre pour fertiliser et déverse
environ 30kg de fumier de zébu 1 à 2 fois par an par
rizière. De plus, il laisse les pailles de riz quelques jours
après le piétinage des zébus. Depuis l'année 2020,
il a commencé à fabriquer sa propre provende artisanale à
partir de maïs et de manioc qu'il produit et bientôt en ajoutant du
soja qu'il compte produire.
Production et débouchés
:
Alex est un vendeur d'alevins très
réputé dans le district de Vatomandry. Il est connu du directeur
du service des pêches pour ses nombreuses ventes d'alevins en dehors du
district. Sur les 14 000 alevins qu'il a produits en 2019, il en a vendu
presque 12 000. Une petite partie a été vendue localement aux
pisciculteurs de la commune. La plus grande partie a été vendue
en dehors, notamment à Tsarasambo et Vaotmandry (500 alevins à
l'APDRA). Le prix des alevins varie selon la taille et donc selon la
durée de pré grossissement. En général il vend
à 300MGA l'alevin de moins de 4 mois, entre 400 et 500 MGA 500 l'alevin
de 4 à 7 mois et 1000 MGA l'alevin de plus de 7 mois.
Il a empoissonné 2000 alevins dans ses
rizières et ils ont grossi jusqu'à 400 à 500g. Une partie
a été autoconsommée au fur et à mesure et l'autre
partie a été vendue. Il vend en bord d'étang lors des
fêtes importantes de l'année, en faisant du « porte à
porte » dans les environs de chez lui et en vendant dans les villes de
Vatomandry et d'Antsampanana (aux restaurateurs). Il ne vend pas au
marché de sa commune car cela lui prendrait beaucoup de temps. Il a
également vendu des géniteurs de carpes, notamment à des
pisciculteurs de Brickaville de la coopérative de « Tilapia de
l'Est » qui cherchent à diversifier leurs productions.
Alex est certain de pouvoir écouler ses
poissons sur le marché de Vatomandry. Selon lui, c'est « facile d'y
vendre 100 kilos, surtout pendant la période cyclonique car il y a moins
de poissons de mer qui approvisionne les marchés des grandes villes de
la route nationale ». En effet, à cause des mauvaises conditions
météorologiques, les pêcheurs ne vont pas en mer et seules
la pêche et la pisciculture d'eau douce alimentent les marchés du
district.
Le plus gros problème rencontré par Alex
actuellement est le caractère isolé de son exploitation. La route
étant quasi impraticable, il transporte ses poissons et ses alevins sur
les grands marchés en passant par la voie fluviale. Il paye environ 20
000 MGA pour un trajet avec sa marchandise. Ensuite, une fois sur la route
nationale, il doit payer le taxi brousse pour aller dans la ville de son
choix.
91
Evolution de la pratique :
En 2017, Alex commence la pisciculture dans son
étang barrage de 20 ares. Il obtient alors un très bon rendement
de plus de 1T/ha/an. Il remarque que les carpes grossissent mieux que les
tilapias (100 g en moyenne contre 50) et il obtient une quantité
importante d'alevins de tilapias lors de ses pêches.
Il participe ensuite à une visite
échange sur les hauts plateaux et se forme en rizipisciculture. A son
retour, il aménage une partie de ses rizières et décide de
faire de la monoculture de carpe dans une partie de ses rizières. Il
arrête le sexage du tilapia qui lui prend trop de temps et ne
s'intéresse plus vraiment à cette espèce. Il agrandit
petit à petit ses surfaces de rizipisciculture jusqu'à 2
hectares.
Dans le futur, il aimerait aménager quelques
autres parcelles rizicoles pour la pisciculture mais elles sont plus petites et
plus exposées aux inondations. Il souhaite également acheter sa
propre pirogue pour être autonome et limiter ses frais de
transport.
Evaluation de la pratique :
L'adoption de la rizipisciculture lui a permis de
multiplier par 10 ses surfaces empoissonnées. La mono culture de carpe
en rizière permet d'obtenir des poissons de grosses tailles, il a obtenu
un rendement allant jusqu'à 1t/ha/an en rizière. La vente
d'alevins de carpe est son activité la plus importante car il
génère beaucoup d'argent rapidement. Cela lui permet de payer les
études de ses 3 enfants à la capitale, Antananarivo.
Annexe 12 : Etude de cas de Christine (P1 dans notre
étude), une piscicultrice qui mise sur le grossissement en
rizière
Caractéristique de l'exploitation
:
Christine a commencé la pisciculture avec
l'APDRA en 2016. Elle se situe dans une zone très isolée,
difficilement accessible à 2 heures de moto depuis la route nationale.
Avec son mari et ses enfants, ils possèdent un étang barrage de 8
ares, 6 étangs de services et plus d'un hectare de rizière
aménagé pour la rizipisciculture. Certaines de ses
rizières ont été léguées à ses 3
enfants mais c'est toujours elle qui dirige l'activité piscicole sur
l'exploitation. Une partie des rizières se trouve plus en amont et est
moins soumise aux risques d'inondations que l'autre partie. Elle ne connait pas
de problème de tarissement de ses parcelles en saison sèche. Le
vol est un problème survenu plusieurs fois : lors de notre
échange, le mari était au tribunal pour régler une affaire
de vol de carpes.
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020)
Le grossissement de carpes et de tilapias mâles
en rizière et l'utilisation de l'étang barrage comme étang
de service :
Christine utilise son étang barrage entre
janvier et juillet pour stocker ses géniteurs de carpes et de tilapias
et stocker ses alevins de carpes de l'année précédente.
Dans le même temps, les géniteurs de tilapias se reproduisent de
manière non contrôlée. L'étang barrage est l'endroit
le plus sûr sur son exploitation face aux risques d'inondations
importants entre janvier et avril. Elle fait une première pêche en
mai pour récupérer ses géniteurs de carpes qu'elle
sépare avant la reproduction. A ce moment elle récupère
également des alevins de tilapias pour les faire pré grossir en
étang de service. Au mois de juillet, elle refait une pêche de son
étang barrage pour enlever tous les poissons qui s'y trouve : les
géniteurs de tilapias sont transférés en étang de
service avec les alevins de tilapia et les alevins de carpe sont
empoissonnés dans l'ensemble des rizières aménagées
de l'exploitation. L'étang barrage sert alors pour la reproduction de
carpe à partir du mois d'août car il y a moins de risque de vol
qu'en étang de service. Christine place des jacinthes d'eau dans son
étang barrage et récupère au fur et à mesure les
jacinthes d'eau où sont présents des oeufs de carpes pour les
transférer dans un étang de service. Fin novembre, elle fait une
pêche de son étang barrage pour récupérer les
géniteurs et les alevins de carpe encore présents. Le tout est
transféré dans les étangs de services en attendant que
l'étang barrage se remplisse.
92
Les alevins de tilapias sont produits en étang
de service et en étang barrage. Christine fait des pêches de
comptage pour sélectionner les plus gros alevins et les met dans une
rizière équipée d'une zone de pêche (technique
observée sur les hauts plateaux lors d'une visite échange). Elle
fait ensuite le sexage des tilapias pour essayer de n'empoissonner que les
mâles par la suite. Une vingtaine d'ares sont situés en amont et
sont moins exposés aux inondations. Ils sont empoissonnés deux
fois dans l'année pendant les deux cycles de riz avec 80 alevins de
tilapias mâles et 120 carpes (rizière de 3 à 5 ares). Les
4/5 -ème des rizières restantes ne sont empoissonnés
qu'une seule fois par an sur un cycle de 6 mois à cause du risque
d'inondation. Lors de l'année 2020, il n'y a pas eu d'inondation dans
l'ensemble des rizières aménagées.
Production et débouchés
:
Les cycles de 4 à 5 mois de grossissement en
rizière lui donnent des carpes de 100 à 200 g et des tilapias.
Christine vend la plupart de ses poissons localement en tas.
Elle vend également des alevins de carpes aux
alentours et à l'extérieur de la commune. Lors de la pêche
de son étang barrage, un pisciculteur du coin venait l'aider pour avoir
des alevins à un prix inférieur de 200 MGA/pièce. Sinon,
elle les vend à 400 MGA/pièce. Elle a vendu 5000 alevins de
carpes en 2019 pour financer la construction de sa maison.
Evolution de la pratique :
En 2016 et en 2017, Christine faisait des cycles de 6
mois de grossissement en étang barrage et obtient des rendements de plus
de 500 kg/ha/an. En 2018, avisée par l'équipe de l'APDRA, elle
décide de prolonger son cycle de grossissement à 1 an pour
augmenter ses rendements car elle n'en était pas satisfaite. Cependant,
lors de ce cycle en 2018, elle subit un vol de l'ensemble de son cheptel. Cette
même année, Christine participe à une visite échange
dans la région Itasy sur les hauts plateaux de Madagascar. Elle y
découvre la rizipisciculture qu'elle décide d'adopter dès
son retour. Ce nouveau système d'élevage lui permet d'augmenter
ses surfaces empoissonnées (multiplier par 12 en 2 ans) et donc
d'augmenter le nombre de poissons empoissonnés à l'are et/ou de
diminuer la densité de poisson à l'are. Cela permet
également de répartir le cheptel dans l'espace et ainsi diminuer
les risques de vol.
En 2019, Christine décide de vendre ses alevins
de carpes pour avoir de l'argent et finaliser la construction de sa maison en
bois avec un toit en tôle. Il lui manque alors des alevins au mois de
juillet 2020 pour empoissonner l'ensemble de ses rizières. En 2021,
Christine aimerait empoissonner une surface plus importante de ses
rizières pendant la saison cyclonique au risque de perdre ses poissons.
Son mari s'y oppose et préfère vendre les alevins, une
stratégie qu'il juge plus sûre.
A moyen terme, Christine aimerait acheter des grilles
pour éviter la perte de poissons dans ses rizières lors des
inondations et une décortiqueuse pour leur riz et celui des gens du
village. Le son de riz serait alors récupéré pour nourrir
les poissons.
Evaluation de la pratique :
Christine a une volonté d'investir du temps et
des moyens dans la pisciculture car elle juge que c'est une activité qui
peut rapporter beaucoup d'argent, même dans sa zone qui est
isolée. Elle est satisfaite de son activité piscicole, surtout
depuis qu'elle a adopté la rizipisciculture. En effet, elle pense avoir
trouvé une stratégie lui permettant de produire du poisson sur
une grande surface en évitant au maximum les problèmes de vol et
d'inondation. A l'avenir, elle veut miser de plus en plus sur l'activité
piscicole mais son mari semble retissant à quelques-unes de ses
propositions (l'achat du grillage, le grossissement plutôt que la vente
d'alevin).
93
Annexe 13 : Etude de cas de Sylvain, un pisciculteur
et un producteur d'huiles essentielles de girofles
Caractéristique de l'exploitation
:
Sylvain a commencé la pisciculture avec l'APDRA
en 2017. Il habite dans la commune de Ambalamangahazo et se trouve relativement
isolé des grands marchés (Ilaka Est est à 2 heures
à pied). Il possède un étang barrage de 33 ares et un
étang de service idéalement situés tout près du
village. A 30 minutes de marche, sa mère possède 60 ares de
rizières en bas-fonds. Seule une petite partie est empoissonnée
à cause des risques d'inondations (Mounayar, 2019).
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020) L'élevage mono spécifique
de carpe en étang barrage : (SE1)
La conduite d'élevage de Sylvain dépend
grandement de la disponibilité en eau dans son étang barrage et
du fonctionnement de ses 2 alambics. Quand il a assez d'eau dans son
étang barrage, il fait 2 cycles de riz par an et 2 cycles de
grossissement de 6 mois d'alevins carpes achetés (élevage mono
spécifique). Quand son étang barrage manque d'eau, il choisit de
ne faire qu'un cycle de riz (riz de saison) et un cycle de grossissement de
carpes d'un an. Il s'assure d'avoir de l'eau dans son étang barrage pour
faire fonctionner ses 2 alambics en saison des pluies et 1 alambic en saison
sèche. L'emplacement de son étang barrage (juste à
côté du village) est idéal pour installer ses alambics et
louer leurs utilisations aux villageois pour qu'ils distillent leurs feuilles
de girofle.
Cette année, pour financer les études de
sa petite soeur, il a dû faire la pêche de son étang barrage
en juin avant la fête nationale. Il n'y avait alors plus assez d'eau pour
la pisciculture et pour le fonctionnement de son alambic. Il a alors fait un
cycle de riz de contre saison sur la totalité de son étang
barrage. Pour ses alambics, il a loué l'accès à l'eau du
terrain d'un autre agriculteur du village.
L'élevage mono spécifique de tilapia en
rizières : (SE3)
Les rizières empoissonnées de tilapia
(élevage mono spécifique) appartiennent à sa mère
et sont gérées par la famille nucléaire. Ils font 2 cycles
de riz par an et 3 pêches dans l'année. Ils réempoissonnent
seulement les alevins de petites tailles. Sylvain aimerait gérer les
tilapias tout seul pour les laisser grossir plus longtemps et potentiellement
les sexer mais les membres de sa famille préfèrent maintenir les
3 pêches par an.
Production et débouchés
:
Lors de la pêche de juin, Sylvain a
pêché 53 kg de carpe. Il en a vendu 40 à environ 10 000MGA
le kg (400 000 MGA soit 90 €). Les plus petits en tas dans son village et
les plus gros sur le marché et dans les restaurants d'Ilaka Est. Il a
également gardé 10 kilos de géniteurs et a
autoconsommé les 3 kilos restants. Les tilapias sont vendus en tas sur
le marché et autoconsommé.
Pour la location de ses alambics, Sylvain et le
propriétaire du terrain sont payés directement en huile de
girofle. Sylvain achète ensuite l'huile de girofle produits par les
villageois et va la revendre à l'extérieur de la commune. Il nous
dit qu'il achète à 32 000 MGA le litre pour le revendre à
36 000 MGA. Marion Mounayar avait elle relevé le chiffre de 20 000 MGA
le litre acheté et 50 000 MGA revendu. Selon elle, la production de
girofle représentait 91% de sa marge brute en 2019, soit près de
23 millions MGA (5000 €), une somme très importante (Mounayar,
2019).
Evolution de la pratique :
En 2017 et 2018, Sylvain faisait de l'élevage
pluri spécifique de carpe et de tilapia tout venant dans son
étang barrage situé à côté du village. Il
n'avait qu'un étang de service et peu d'eau disponible donc il n'a pas
adopté la pratique du sexage de tilapia. Finalement, lors des
pêches, il se retrouvait avec 1000 à 2000 alevins de tilapias de
moins de 10g qui freinaient la croissance de ses carpes.
94
A partir de 2019, il a décidé de faire
du grossissement de carpe uniquement. Le résultat va dans le sens de ses
observations car en 2017, le GMQ moyen de ses carpes était de 0,8g/j et
en juin 2020, il était de 1,8g/j selon la base de données de
l'ADPRA.
Dans le futur, Sylvain prévoit de revenir
à l'élevage pluri spécifiques de carpe et de tilapia dans
son étang barrage mais en s'assurant de n'empoissonner que des tilapias
mâles. Pour cela, il va utiliser une rizière pour produire des
alevins de tilapias, les sexer puis les faire pré-grossir de nouveau
dans un étang barrage situé à côté des
rizières. Enfin il fera un deuxième sexage des alevins de
tilapias avant de les mettre dans l'étang barrage situé
près du village.
Evaluation de la pratique :
Sylvain est satisfait de l'utilisation qu'il donne
à son étang barrage. En effet, en plus de faire fonctionner ses
alambics (source principale de revenu économique en 2019), son cheptel
de carpe est un capital qu'il peut mobiliser en cas d'urgence comme cette
année pour les frais de scolarité de sa petite soeur. Les
rizières empoissonnées sont gérées par les membres
de la famille nucléaire ce qui fait que Sylvain a moins de
liberté dans la gestion du tilapia. Finalement, cette activité
reste surtout pour l'autoconsommation de la famille et quelques petites ventes
locales.
Annexe 14 : Etude de cas de Melville (P3 dans notre
étude), un producteur d'alevins de tilapia pour le projet FORMAPROD
Caractéristique de l'exploitation
:
Melville est un pisciculteur de Amboditavolo qui
travaille avec l'ADPRA depuis 2016. Son site piscicole se trouve au bord de la
route nationale 11A, à 30 km au Sud de Antsampanana, l'embranchement
avec la route nationale 2 qui relie les deux plus grandes villes du pays. Sur
son exploitation, Melville dispose de peu de surfaces aménagées
pour la pisciculture (>15 ares). Il a un bas fond de 50 ares, et sur
celui-ci, il dispose d'un étang barrage de 9 ares et de 8 étangs
de services faisant entre 1 et 3 ares. Il possède également une
pépinière (fruitiers, épices) qui en 2018 lui rapportait
85 % de sa marge brute (Mounayar.M, 2019). En saison sèche, son
étang barrage manque d'eau mais il arrive à conserver de l'eau
dans l'ensemble de ses étangs de service en la renouvelant très
peu. En plus de manquer d'eau, son étang barrage est très peu
fertile : entre 2016 et 2019, les 4 cycles de production n'ont jamais
dépassé un rendement de plus de 200 kg/ha/an* (Mounayar.M,
2019).
Cette année, Melville a fait un cycle d'un an
dans son étang barrage où il laisse se reproduire des
géniteurs de tilapia en association avec des carpes. L'objectif est en
premier lieu de produire un maximum d'alevins de tilapia. Ensuite, une partie
des poissons grossis (carpe et tilapia) servira de futurs géniteurs et
l'autre partie sera vendue ou autoconsommée.
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020)
Melville dispose de 8 étangs de services, dont
7 ont pour objectifs de produire des alevins de tilapias. 2 étangs de
service sont mobilisés pour la reproduction (sexe ratio APDRA : 6
mâles et 18 femelles par étang). Il laisse ses géniteurs se
reproduire trois fois d'affilée, en retirant à chaque fois la
génération de larves naissantes pour ne pas les mélanger
entre elles, puis il change de géniteurs. Les larves naissantes sont
transférées dans deux étangs de service pour le pré
grossissement. En fonction des commandes, les alevins pré grossissent un
temps plus ou moins long, la moyenne étant de 2 mois pour un poids final
de 20 à 30 g selon le pisciculteur. Il dispose également d'1 ou 2
étangs de service pour stocker les géniteurs s'étant
déjà reproduits. Il mobilise également deux autres
étangs de service pour le grossissement des futurs géniteurs.
Quand il peut séparer les géniteurs mâles et femelles, il
le fait pour éviter des reproductions non contrôlées et
pour nourrir en priorité les génitrices. A noter, le dernier
étang de service, qui est le plus grand (3 ares) et le plus
fertilisé (élevage porcin au-dessus de l'étang), est
mobilisé pour le grossissement des futurs géniteurs de carpes.
Melville a perdu tous ses géniteurs de carpes l'an dernier à
cause d'une casse de digue et veut reconstituer son cheptel.
95
« Si tu n'as pas assez d'espace, il vaut mieux
être producteur d'alevins » Melville, novembre 2020 La
production et les débouchés :
Melville s'est constitué un réseau de
clients grâce au « bouche à oreille » et au
travail qu'il a avec FORMAPROD (projet du MAEP financé
principalement par le Fond International de Développement Agricole). Sa
proximité avec la route nationale lui a permis d'avoir une grande
visibilité et un accès facile pour les acheteurs. Il vend
aujourd'hui de Mahanoro jusqu'à Brickaville. Les acheteurs sont des
pisciculteurs non encadrés par l'ADPRA : quelques cagistes et grands
propriétaires qui ont un étang barrage mais surtout des
pisciculteurs possédant des trous qui font partie du projet FORMAPROD.
Melville a d'abord travaillé avec FORMAPROD à travers son
activité de pépiniériste. Aujourd'hui, il joue un
rôle de formateur en pisciculture et fait des prospections de sites pour
conseiller les bénéficiaires du projet. En retour, il attend
d'eux qu'ils lui achètent ses alevins. Si Melville n'a pas assez
d'alevins, il fait appel à d'autres pisciculteurs pour le fournir
(notamment des pisciculteurs de l'ADPRA). Il leur achète à 150
MGA pièce pour les revendre 300 MGA pièce aux
bénéficiaires de FORMAPROD.
Melville nous dit avoir honoré cette
année 5 grosses commandes pour un total de 2000 alevins vendus à
300 MGA, soit un gain annuel de 600 000 MGA (110€). Cependant, il nous dit
qu'aujourd'hui, la pisciculture lui rapporte autant que son activité de
pépiniériste et que la marge dégagée par sa
pépinière est restée relativement stable ces
dernières années. Nous émettons l'hypothèse que
Melville gagne autant en 2020 avec la pisciculture qu'il ne gagnait avec sa
pépinière en 2019, lors de l'étude de cas de M. Mounayar.
La pisciculture lui rapporterait dans ce cas 2 800 000 MGA (510€) de marge
brute. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait qu'il n'ait pas
mentionné ses gains auprès de FORMAPROD.
Evolution de la pratique :
Au départ, Melville cherchait à faire
grossir des tilapias mâles et des carpes dans son étang barrage.
Cependant, celui-ci s'est révélé défaillant car de
petite taille, très peu productif et en partie tari en saison
sèche. Il a alors changé de stratégie et
aménagé une série de 8 étangs de services en aval
de son étang barrage dans le but de produire des alevins de tilapias
pour la vente. En effet, il a remarqué que la demande en alevins de
tilapia a fortement augmenté ces deux dernières années car
de plus en plus de gens font de la pisciculture dans la zone. Il prévoit
également de produire des alevins de carpes dans le futur car cela se
vend à un bon prix (500 MGA pièce contre 200 à 300 MGA
pièce pour les alevins de tilapias). Cependant, il souligne qu'il risque
de manquer d'étangs de service sur son exploitation et que pour lui, la
vente d'alevins de tilapias reste prioritaire car plus sûr en termes de
vente.
Evaluation de la pratique par le pisciculteur
:
Melville est très satisfait de son
système d'élevage. Il estime « qu'un pisciculteur doit
s'adapter aux surfaces disponibles qu'il possède » et qu'il a
réussi à s'en sortir en devenant producteur d'alevins de tilapia.
Une fois que les aménagements sont faits, « la pisciculture ne
demande pas beaucoup de temps et rapporte beaucoup ». Sa
pépinière lui prend plus de temps car il doit arroser tous les
jours. Finalement, son activité de pisciculture lui rapporte autant que
sa pépinière, qui était de loin sa principale source de
revenus il y a encore deux ans. (Mounayar.M, 2019).
Annexe 15 : Francis, un producteur d'alevins et un
prestataire de service pour les grands propriétaires
Caractéristiques de l'exploitation :
Francis est pisciculteur avec l'APDRA depuis fin 2015.
Il est localisé à Ambohimiadana et son site piscicole se trouve
au bord de la route nationale 11A, à 30 km au sud de Vatomandry. Il
possède un étang barrage de 37 ares où il cultive du riz
de saison sur 12 ares (Mounayar.M, 2019). Il a 3 étangs de services
(< 1are) et 3 rizières aménagées pour la pisciculture
(< 2 ares). Pendant la saison sèche de 2020, il a connu des
problèmes d'eau : une partie de son étang barrage s'est tari
ainsi que ses 3 rizières et 2 de ses 3 étangs de
service.
96
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020)
Francis empoissonne une partie de ses géniteurs
tilapias dans son étang barrage de 37 ares et l'autre partie dans deux
de ses rizières (sexe ratio ADPRA). De janvier à juin, les
géniteurs de tilapia se reproduisent de manière non
contrôlée et les alevins pré grossissent. Dans
l'étang barrage, il y a également des carpes de la reproduction
de l'année 2019, des hétérotis et des gouramis. Dans les
rizières, il a uniquement des tilapias. En juin, il récolte le
riz de ses parcelles et récupère les alevins de tilapias produits
pour les transférer dans ses étangs de service. Ils sont alors
stockés jusqu'à ce qu'un client vienne les acheter. Lors du
deuxième cycle de juillet à décembre, Francis n'utilise
plus que son étang barrage pour la production d'alevins car il mobilise
la rizière où il a encore de l'eau pour stocker ses
géniteurs de carpe mâles avant la reproduction.
Cette année, Francis n'a pas fait de
reproduction de carpe. En effet, d'août à octobre, il a
travaillé sur la construction de l'étang barrage d'un grand
propriétaire situé à Ilaka Est et l'a fourni en alevins de
tilapia et en carpes. De plus, ses deux étangs de service les plus
alimentés en eau étaient mobilisés pour le stockage de ses
alevins de tilapia avant la vente. D'octobre à décembre, il
n'avait plus assez d'eau dans ses rizières et ses étangs de
service et a donc transféré ses géniteurs de carpes dans
son étang barrage. Il pense acheter des alevins de carpes en 2021 pour
les faire grossir dans son étang barrage.
Francis construit actuellement un petit étang
de service situé près du sentier menant vers la route nationale.
Il prévoit d'y faire un étang de vente pour ses alevins de
tilapias. Cet étang sera alimenté directement par sa source. Il a
le projet de cimenter le fond de cet étang pour éviter la boue et
ainsi vendre des alevins « plus propres » et « limiter le taux
de mortalité des alevins ».
La production et les débouchés
:
Francis vend ses alevins de tilapias directement
à des personnes qu'il connait. Ce sont majoritairement des
propriétaires de cage, notamment à Ilaka Est, à 30 km au
sud de son exploitation mais aussi des propriétaires d'étangs
barrages.
Nous avons comparé ici deux années de
production de ce pisciculteur : En 2017, où il a effectué son
meilleur cycle de grossissement en empoissonnant des tilapias mâles ; et
en 2020, où la majeure partie de ses revenus piscicoles proviennent de
la vente d'alevins.
Pêche et vente
|
Poissons
|
Poids moyens (g)
|
Poids total produits (kg)
|
Prix de vente et bénéfice
(MGA)
|
Gain total (MGA et euros)
|
Marché / débouché
|
Juin 2017 (cycle de 6 mois)
|
Tilapia grossis
|
140
|
68
|
(7500MGA/kg) 510 000 MGA
|
987 000 MGA soit
180 €
|
Marché de Vatomandry
|
Carpe
|
580
|
53
|
(9 000MGA/kg) 477 000 MGA
|
Marché de Vatomandry (direct au
client)
|
2020
|
Alevins tilapias vivants
|
Non estimé
|
Nombre :
4000
|
(3500 à 200 MGA et 500 à 100
MGA/ pièce) 750 000MGA*
|
1 125 000 MGA soit
205 €
|
2 clients : - Cagiste (1000
alevins) -Propriétaire d'étang barrage (3 000
alevins)
|
Carpes vivantes (futur géniteur)
|
100
|
15
|
(30 000 ar/kg) 375 000 MGA
|
A 1 client : Propriétaire
d'étang barrage
|
*A noter, il lui restait 700 alevins TN non vendus qu'il
pensait vendre à un prix > 200MGA/pièce
97
Cette année, Francis a aménagé
l'étang barrage d'un grand propriétaire d'Ilaka Est. Il a
été payé 275 000 MGA (50€) pour cette prestation de
service et a vendu 3000 alevins de tilapia ainsi que 150 futurs
géniteurs carpes à ce même propriétaire. Ceci
représenterait les trois quarts de son chiffre d'affaire annuel sur les
activités liées à la pisciculture (230€).
Evolution de la pratique :
En 2016 et en 2017, FRANCIS cherchait à
produire une quantité importante d'alevins de tilapia pour empoissonner
des fingerlings mâles dans l'étang barrage. Il a effectué
son meilleur cycle de grossissement en 2017 (rendement de 1T/ha/an) qu'il
écoula au marché de Vatomandry (voir figure 25). Cependant, il
souligne la difficulté qu'il a eu pour produire suffisamment d'alevins
mâles. Il a le souvenir de n'avoir obtenu que 300 alevins mâles sur
1000 alevins lors du sexage alors qu'il voulait en empoissonner 1000. Il a
également observé que les carpes grossissent plus vite que les
tilapias.
En 2018 et en 2019, il a effectué ses
premières ventes d'alevins de tilapias à des cagistes d'Ilaka
Est. Il a gagné successivement 300 000 MGA puis 500 000 MGA. A partir de
là, il a choisi de privilégier la vente d'alevins de tilapia qui
permet de générer de l'argent rapidement et
facilement.
Evaluation de la pratique par le
pisciculteur
Francis est très satisfait de son
activité piscicole cette année 2020. Selon lui, c'est
l'activité de son exploitation qui lui a fait gagner le plus d'argent,
devant les letchis (notamment car les prix ont baissé cette
année). Il qualifie la vente d'alevins de « vola malaky » qui
veut dire « l'argent rapide ».
Annexe 16 : Etude de cas de Martin (P4 dans
l'étude), producteurs de poissons vendus « en tas » sur les
marchés locaux
Caractéristique de l'exploitation
:
Mr Martin est un ancien fonctionnaire à la
retraite, il a 76 ans. Il a commencé la pisciculture avec l'APDRA fin
2014. Son exploitation se situe dans la commune d'Ambalavolo, accessible par
une route secondaire difficilement praticable en saison des pluies. C'est un
grand propriétaire : 30 hectares de terre dont la majorité se
situe sur les coteaux. En bas fond, il possède 3 hectares de
rizières en métayage, un étang barrage de 13,5 ares et un
étang de service de 3,5 ares (équipé d'un moine). Il a
également des cultures de rentes (letchis, vanille) et 3 hectares de
maïs en coteaux qui lui rapportait 60% de sa marge brute en 2019 (Mounayar
M, 2019).
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020)
Martin fait de l'élevage pluri
spécifique de tilapias, carpes, hétérotis et gourami dans
son étang barrage. Dans son étang de service, il
élève uniquement des tilapias. Dans ses deux étangs,
Martin a un total de 40 géniteurs de tilapia (sexe ration APDRA) qu'il
laisse se reproduire de manière non contrôlée en continue
dans l'objectif d'obtenir beaucoup de poissons à vendre. Pour la carpe,
il n'ose plus faire une ponte maîtrisée dans son étang de
service depuis qu'il s'est fait voler 8 géniteurs en 2018. Il laisse
alors ses géniteurs carpes dans l'étang barrage et y met des
jacinthes d'eau en espérant qu'elles se reproduisent naturellement.
Depuis le mois d'août, il teste d'élever séparément
la carpe et le tilapia car il pense que la surdensité de tilapia freine
la croissance des carpes dans l'étang barrage.
Martin essaie de faire des pêches tous les 4
mois dans ses 2 étangs pour vendre fréquemment ses poissons. Lors
de la saison des pluies, Martin peut se permettre de faire plus de pêches
car les étangs se remplissent rapidement. Alors qu'en saison
sèche, il ne fait pas de pêche entre septembre et
décembre.
« Acheter des petits poissons en tas permet à
chaque personne de la famille d'avoir son poisson dans l'assiette » Mr
Martin, octobre 2020
98
« La pisciculture a pour moi des fins
pécuniaires ... avoir des gros poissons ne m'intéresse pas
vraiment mais c'est avoir de nombreux poissons car ça sera
consommé par les acheteurs de la localité ici » Mr
Martin,
novembre 2020
La production et les débouchés
:
Lors de la pêche, Martin sélectionne tous
les tilapias qui ont atteint une taille vendable (estimée à plus
de 50 g) et toutes les carpes de plus de 150 g (estimation). Il
réempoissonne tous les poissons plus petits pour un nouveau cycle de
grossissement d'environ 4 mois avec les géniteurs. Lors des
pêches, les villageois des hameaux environnants viennent acheter la
production de Martin au bord de son étang. S'il ne vend pas tout, ses
fils vont, en plusieurs fois, vendre ses poissons en petite quantité sur
les marchés avoisinants (Ambalavolo, Anosomanasa).
Evolution de la pratique :
L'évolution de sa conduite d'élevage est
liée aux problèmes qu'il a rencontrés dans le passé
pour écouler ses poissons. En 2016, à ses débuts, Mr
Martin a voulu vendre ses poissons à Antananarivo, la capitale,
où le prix est plus élevé (150 % du prix à
Vatomandry en 2020). Il a fait venir un camion sur son site. Les erreurs de
sexage ont entraîné une surdensité des poissons dans son
étang barrage réduisant ainsi le GMQ des poissons
empoissonnés. Sur les 400 alevins de tilapias mâles qu'il avait
empoissonnés, il s'est retrouvé avec 1000 tilapias d'un poids
moyen de 40g et 1500 alevins de tilapias de moins de 5g. Les carpes elles
avaient plutôt bien grossi (150g). Finalement, Martin n'a pas pu
rentabiliser le coût du transport du camion.
Depuis, Mr Martin s'est replié sur les
marchés locaux. Il est allé vendre à Vatomandry mais il a
rapidement remarqué que le plus avantageux était de vendre dans
les hameaux et les petits villages autour de chez lui. En effet, à
Vatomandry, il doit parfois brader ses poissons car il ne peut pas revenir avec
sa marchandise. Tandis que chez lui, il n'est pas obligé de tout vendre
en une seule fois.
Récemment, il a décidé de
séparer son élevage de carpe (en étang barrage) et son
élevage de tilapia (en étang de service). A partir de 2021, il
utilisera quelques-unes de ses rizières pour empoissonner des alevins de
tilapias tout venants sur une surface plus grande. On peut s'attendre à
une augmentation de sa production de tilapias de petites tailles. Selon lui, la
demande locale est importante car « le poisson est la protéine la
moins chère ici ».
Evaluation de la pratique par le pisciculteur
:
Martin dit être satisfait de la combinaison
actuelle qu'il a trouvée car il ne prend pas de risque financier (aucun
investissement mise à part la main d'oeuvre familiale), il limite les
problèmes de vol (reproduction en étang barrage des carpes) et
l'activité piscicole ne lui prend pas beaucoup de temps (3 pêches
par an de ses deux étangs). Il aimerait produire et vendre davantage de
carpes car c'est un poisson qui grossi bien. Cependant, lors de sa
dernière pêche, il n'a trouvé aucun alevin de carpes issu
d'une potentielle reproduction naturelle dans son étang barrage. Selon
lui, le problème vient des Channa sp. qu'il a retrouvé dans son
étang barrage et qui aurait éliminé les alevins
naissants.
Annexe 17 : Etude de cas de Bastien, un alevineur qui
veut à l'avenir devenir grossisseur Caractéristique de
l'exploitation :
Bastien est un jeune pisciculteur de Amboditavolo qui
travaille avec l'ADPRA depuis 2018. Son père,
décédé, avait commencé la pisciculture avec l'ADPRA
en 2015. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A,
à 30 km au Sud de Antsampanana, l'embranchement avec la route nationale
2 qui relie les deux plus grandes villes du pays. Près de sa maison, il
possède un premier site de 14 étangs de services. Ce site est
alimenté par une source en amont à l'aide d'un canal
d'alimentation. Il manque un peu d'eau au mois d'octobre et la moitié
des étangs de service ne sont pas utilisable en saison sèche. A 5
kilomètres du village, il possède un
99
étang barrage de 26 ares construit par son
père en 2015. Bastien a le projet de s'installer plus tard près
de cet étang barrage et d'en aménager d'autres afin de faire du
grossissement de poissons en étang barrage.
Conduites d'élevages des espèces
piscicoles : (année 2020)
Bastien fait de la reproduction contrôlée
de tilapia dans 2 étangs de service entre octobre et janvier (4 mois).
Il n'applique pas le même sexe ratio que celui de l'APDRA, il met 5
femelles pour 1 mâle. Le pré grossissement des alevins de tilapia
se fait avec les alevins de carpes. Avant octobre, il n'a pas assez d'eau dans
une partie de ses étangs de service et il préfère
prioriser la reproduction et le pré grossissement des alevins de carpe.
Cette année, il a fait 4 reproductions de carpe, dont 2 pontes
multiples, entre le mois d'août et le mois de décembre et a
produit 10 000 alevins de carpes sans compter la 4ème
reproduction du mois de décembre. Après janvier, il estime que
ses capacités de stockage d'alevins dans les étangs de services
sont saturées. Les alevins produits sont stockés jusqu'au mois de
juin dans les étangs de service et vendus petit à petit. En juin,
après la pêche de l'étang barrage il empoissonne les
alevins non vendus. A ce moment-là, s'il lui reste des alevins de
tilapias, il les sexe et empoissonne les mâles dans l'étang
barrage.
Entre le mois de février et le mois de juin,
l'étang barrage lui sert principalement à stocker ses
géniteurs de carpes et ses géniteurs de tilapias mâles. En
effet, ils ont plus d'espace pour grossir et il y a moins de risque de vol. En
juin, il fait la pêche de son étang barrage pour
récupérer les géniteurs de carpes pour la reproduction
débutant au mois d'août.
Entre juillet et janvier, Bastien fait du
grossissement dans son étang barrage avec les alevins de l'année
N1 non vendus. En 2019, Bastien n'avait mis que 130 alevins de carpes car il
avait écoulé tous ses alevins de tilapias. En 2020, il a mis des
alevins de carpes et des alevins mâles de tilapia en
grossissement.
La production et les débouchés
:
Bastien vend en grande majorité à des
pisciculteurs en dehors de l'APDRA. Il est surtout connu en tant que producteur
d'alevin de carpe. Il a un client à Antananarivo, la capitale, qui lui
achète des alevins de carpe. Cette année, il a vendu 2000 alevins
de carpes au propriétaire d'un étang barrage à
Brickaville. Il donne parfois des conseils techniques à ses clients,
notamment lorsqu'il va livrer les alevins (à partir de 500 alevins
achetés). Il a déjà eu, mais rarement, des commandes
d'alevins de tilapia mâles vendu à 700 MGA/pièce au lieu de
300 MGA pour les alevins tout venant. Bastien a remarqué que beaucoup de
pisciculteurs de la zone font leurs pêches pendant la saison
sèche, vers le mois d'octobre et attendent que la saison des pluies soit
finie pour réempoissonner leurs étangs. Bastien reçoit
souvent des commandes au mois de décembre mais les acheteurs ne viennent
récupérer leurs alevins qu'à partir de mars-avril quand la
période cyclonique est passée.
Pêche et vente
|
Poissons
|
Poids moyens (g)
|
Poids total produits (kg)
|
Prix de vente et bénéfice
(MGA)
|
Marché / débouché
|
2020
|
Tilapia
|
Non estimé
|
5
|
8000/kg
40 000 MGA
|
Autoconsommation
|
Carpe
|
Non estimé
|
5
|
(10 000/kg) 50 000 MGA
|
Marché local
|
Alevins TN vivants
|
Non estimé
|
Nombre :
2000
|
(300 MGA/pièce) 600 000 MGA
|
Marché extérieur : 1
client
|
Alevins Carpes vivantes
|
Non estimé
|
Nombre :
6000
|
(500 MGA/pièce) 3 000 000 MGA
|
Marché extérieur : Brickaville
/Antananarivo
|
Sur l'année 2020, c'est la vente d'alevins de
carpe qui a été la plus rentable pour Bastien (près de 3
000 000 MGA), vient ensuite la vente d'alevins de tilapias (600 000 MGA) et
enfin la vente de carpes grossies pêchées en octobre 2020 (60 000
MGA). Enfin, 5 kg de tilapia grossis ont été autoconsommés
(l'équivalent de 40 000 MGA).
100
Evolution de la pratique :
Bastien a repris l'exploitation piscicole de son
père en 2018 avec son grand frère Max. Ils se sont mis à
produire des alevins et à ouvrir leur boutique le long de la route
nationale. Au départ, il faisait de la reproduction de carpe entre
août et décembre et la reproduction de tilapia entre août et
mars dans ses étangs de services. En 2020, il a réduit cette
durée entre août et janvier. Cela lui a libérer du temps
pour d'autres activités : la vente de charbon de bois,
l'aménagement de l'autre site où il prévoit de faire du
grossissement, la préparation de ses étangs de service pour la
prochaine reproduction (mis à sec, fertilisations, défrichage des
bords d'étangs et du canal d'alimentation.) et il est également
chauffeur de taxi brousse ponctuellement.
Evaluation de la pratique par le pisciculteur
:
Bastien est satisfait de son activité de
producteur d'alevins car cela lui rapporte beaucoup d'argent (« vola
malaky »). Il a connu une casse de digue en 2018 qui lui a fait perdre ses
poissons en grossissement. La vente d'alevins est plus sûre que la
production d'alevins grossis. Cependant, il constate que la production de
poissons grossis est une opportunité intéressante. En effet, sa
localisation, à 30km de la route nationale 2, lui donne accès
à des marchés prometteurs : la vente de poissons grossis aux
restaurateurs d'Antsampanana ou d'Andranamafana. Les tilapias de plus de 200g
valent entre 12 et 14 000 MGA/kg et la carpe 16 000 MGA /kg. Il prévoit
d'aménager son bas fond en construisant 5 autres étangs barrage,
en cascade et alimentés par deux canaux de contournement reliés
à deux sources d'eaux différentes. Quand il aura
aménagé son bas fond, il léguera l'activité de
producteur d'alevins à son petit frère et se concentrera sur le
grossissement
|