WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'impact de la valorisation de ressource en eau sur la prospérité


par Nathan Luwawu kalemba
Université de Jendouba /FSJEGJ/ Tunisie - Master de recherche 2021
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Introduction

Dans cette section nous allons après une revue de la littérature dense, présenter la théorie de base de notre étude. Nous avons parcouru la complexité en présentant comment elle a été abordée jusqu'à être structuré pour devenir un paradigme et une théorie suscitant beaucoup d'intérêts.

Étymologiquement, le mot complexité est emprunté au XIVème siècle au terme latin « complexus », dérivé de cum et plexum qui signifiait rouler ses cheveux, tresser ou contenir (Ardoino, 2000).

Elle est reprise au XVIème comme adjectif qualificatif de tout ce qui est composé d'éléments difficiles à saisir, hétérogènes, ayant des aspects différents (Rey, 2000). Au XXème siècle, le mot complexité est introduit en psychanalyse pour désigner l'ensemble des représentations contradictoires, à forte valeur affective, partiellement ou totalement inconscients et qui conditionnent en partie le comportement de l'individu (complexe d'infériorité, complexe d'oedipe) (Institut National de la Langue Française, 2005). En tant qu'adjectif, elle renvoie ainsi à un "composé d'éléments qui entretiennent des rapports nombreux, diversifiés, difficiles à saisir par l'esprit, et présentant souvent des aspects différents". On parlera ainsi d'une personnalité, d'une société, d'un sentiment ou d'une pensée complexe (Institut National de la Langue Française, 2005). Le terme "complexité" (substantif féminin) apparaît plus tardivement (1755) en fournissant le nom d'état correspondant au caractère de tout ce qui est complexe et au fait d'être complexe (souvent par rapport à un objet de même nature qui l'est moins) (Rey, 2000 ; Institut National de la Langue Française, 2005).

9

10

11

Durant les siècles passés, le recours au qualificatif "complexe", exprimant un pluriel de qualité et un pluriel de quantité, véhiculé différentes significations plus spécifiques, notamment en mathématique (nombre complexe), en sémiotique (terme complexe), en linguistique (sujet ou attribut complexe) ou en musique (son complexe) (Institut National de la Langue Française, 2005). Pris comme substantif masculin, la signification du terme "complexe" renvoie à un ensemble d'éléments divers, le plus souvent abstraits, qui, à cause de leur interdépendance, constituent un tout plus ou moins cohérent. Substantivé au sens d'"ensemble" en physiologie (1781) (où il traduit le latin complexus employé concurremment pour évoquer des masses musculaires paires), elle passe en économie (1918) (Rey, 2000), en chimie (où il renvoie à un certain type de molécule), en géométrie (complexe des droites ou complexe linéaire), en biologie (complexe de Golgi). Il apparaît en psychanalyse au début du XXème siècle pour rendre compte d'un "ensemble de représentations et de souvenirs à forte valeur affective, contradictoires, partiellement ou totalement inconscients, et qui conditionnent en partie le comportement d'un individu" (complexe d'OEdipe, complexe d'infériorité, etc.) (Institut National de la Langue Française, 2005). Il est également emprunter en psychologie (Théorie de la forme ou Gestalt), en médecine (complexe ganglio-pulmonaire) et en électroencéphalographie (complexe d'ondes anormal ou aberrant). Au Final, l'idée de complexe renvoie à l'idée de composé, utilisé comme synonyme de composite, varié, mixte. Sous cette acceptation, le terme apparaît notamment en pédologie où il renvoie à la constitution des sols.

Comme relevé par Ardoino (2000), à travers ses différents emplois, le terme "complexité" s'oppose toujours à simplicité : tantôt ce qui domine dans sa définition c'est ce caractère molaire, holistique, global, non linéaire de la forme d'intelligibilité qu'il requiert ; tantôt c'est le caractère pathologique, enchevêtré, rebelle à l'ordre normal de la connaissance qui semble prédominer. Une telle opposition apparaît ainsi associée à une confusion fréquente dans l'utilisation, dont Ardoino rappelle qu'elle est signalée comme abusive par pratiquement tous les dictionnaires, entre "compliqué" (étymologie plicare : plier) et "complexe".

En 1934, Bachelard a légitimé le rôle de la complexité en tant qu'idéal pour les sciences contemporaines lors de sa formulation d'une approche non cartésienne de la science (Le Moigne, 1996). Selon Durant (Durand 2013), la logique cartésienne nous avait appris à simplifier tous les phénomènes en éliminant l'inconnu, l'aléatoire ou l'incertain. En fait, la complexité est partout, dans tous les systèmes, et il est nécessaire de conserver cette complexité, quitte à admettre qu'on ne puisse comprendre et en saisir toute la richesse. ». Bachelard est probablement le premier à légitimer le rôle de la complexité lorsqu'il formule en 1934 une

approche non-cartésienne de la science, en tant qu'idéal pour les sciences contemporaines, (Le Moigne, 1996). Si une épistémologie cartésienne réduit un phénomène complexe à l'analyse de ses composants, compris comme absolus, simples et objectifs, une épistémologie non-cartésienne des sciences privilégie quant à elle une approche dialectique appréhendant les phénomènes en tant que tissus de relations : "Il n'y a pas d'idée simple, parce qu'une idée simple doit pour être comprise, être insérée, dans un système complexe de pensées et d'expériences." (Bachelard, 1934/2003, p.152). La reconnaissance de la complexité apparaît comme à la racine d'un nouveau genre d'explication scientifique percevant la simplicité en tant que phénomène provisoire. Dans cette perspective, si la complication renvoie à l'idée d'une situation confuse dans l'attente d'être démêlée, la complexité suppose quant à elle un fondamental non simplicité des phénomènes étudiés (Ardoino, 2000).

L'appropriation effective par la communauté scientifique du concept de la complexité débute une décennie plus tard. Dans "Science and complexity", Weaver (1948) identifie l'émergence successive de trois façons de concevoir la complexité des problèmes, abordés dans le champ scientifique. La première façon, qui a été identifiée plus tard en tant que "paradigme de la simplicité" par Edgar Morin (Morin, 1977/1980), est apparue entre le XVIIème et le XIXème siècle. Ancrée dans les modèles proposés par la physique classique, elle valorise l'explication causale, l'objectivité, la certitude et les données quantitatives. Suivant ce paradigme, une situation reconnue comme complexe doit être appréhendée à partir de sa réduction en problèmes simples dont l'explication ou la résolution se fait de façon successive et indépendante. A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, la découverte des classes de phénomènes désordonnés à différents niveaux d'organisation (la description de phénomènes de discontinuité en physique quantique, le principe d'entropie en thermodynamique, et la découverte de phénomènes stellaires révélant la nature explosive et catastrophique des phénomènes cosmologiques) contribue à remettre en cause la légitimité d'une épistémologie de type cartésien. Avec la réexaminassions du paradigme de la mécanique rationnelle (privilégiant l'étude d'un objet à partir de sa structure considérée comme permanente, correspondant à la rationalité cartésienne et au positivisme comtien), il émerge le paradigme de la mécanique statistique (ou paradigme évolutionniste) (Le Moigne, 1977/1984). Ce second paradigme scientifique, est identifié par Weaver comme ayant à faire face à des problèmes de "complexité désorganisée" (disorganized complexity), contribua à identifier le désordre comme la composante fondamentale des phénomènes naturels. En dépit de sa contribution importante, Weaver observa néanmoins que le cadre proposé par cette nouvelle conception scientifique ne permettait pas de résoudre

certaines questions confronté par le champ scientifique. Considérant les problèmes contemporains soulevés par les sciences et disciplines comme la médecin, la psychologie et l'économie, comme étant trop compliqués pour être interprétés à partir des modèles de la mécanique rationnelle, et pas suffisamment désordonnés pour être appréhendés à partir de la mécanique statistique, Weaver proposa de les identifier en tant que problèmes de "complexité organisée" (organized complexity). Regroupant derrière cette expression tous les problèmes impliquant de faire face simultanément à un grand nombre de facteurs interrelationnels au sein d'un tout organique. (Weaver, 1948).

La distinction opérée par Weaver a permis aujourd'hui de situer l'origine de certains enjeux liés au développement des "Sciences de la complexité", à savoir un corpus de recherches à la fois original et diffus qui s'est développé tout au long du XXème siècle. Dès 1940, on peut en effet distinguer en s'inspirant des écrits de Simon (1996) et de Le Moigne (2001 ; 2004), les générations de sciences ayant contribué, au cours de la seconde moitié du XXème siècle, à l'essor de théories cherchant à rendre compte de phénomènes perçus comme complexes. Leur émergence a conduit à un changement allant de l'étude d'une "complexité organisée" aux enjeux inhérents à une "complexité organisante" (Le Moigne, 1996) contribuant ainsi à réintroduire les incertitudes fondamentales du chercheur, telles que Bachelard les envisageait déjà dans les années 1930.

Il a ensuite été appréhendé par divers penseurs, parmi lesquels nous pouvons citer Edgar Morin. Dans son livre « introduction à la pensée complexe », Edgar Morin débouche sur l'idée exactement inverse : « la prise de conscience radicale nous est nécessaire » car « ces erreurs, ignorances, aveuglements, périls ont un caractère commun qui résulte d'un mode mutilant d'organisation de la connaissance, incapable de reconnaître et d'appréhender la complexité du réel » (p. 16).

C'est à cette « prise de conscience radicale », à cette nouvelle « organisation de la connaissance » qui permet d'appréhender le monde et la « complexité du réel » que Morin s'est attaché depuis plus de trente ans à travers les six tomes de la Méthode dont : La nature de la Nature (tome 1, 1977) à L'Éthique (tome 6, 2004) et surtout La connaissance de la Connaissance (tome 3, 1986). Mais aussi à d'autres travaux plus divers, parfois dispersés dans des recueils d'articles : aussi bien l'ambitieuse mais frustrante réflexion sur « l'unité de l'homme » qu'est le paradigme perdu (1973), que les réflexions épistémologiques d'« Au-delà de la complication, la complexité »

12

Arguments pour une Méthode, 1990), ou encore, plus récemment, la poursuite des analyses de la complexité (L'intelligence de la complexité, 2000). (Dagorn, 2005)

Selon Dagorn (2005), le travail mené par Edgar Morin s'est révélé payant car une partie des chercheurs contemporains considère tout élément du réel comme un « objet social total », selon l'expression de Marcel Mauss. Cet objet social total est multidimensionnel, non-découpable, donc il peut être dit complexe. Dans ce cadre, les différentes disciplines (économie, anthropologie, histoire, géographie...) on ne considère plus qu'elles découpent une tranche du réel mais qu'elles analysent la réalité à partir d'un point de vue et/ou d'un angle d'attaque. C'est ainsi un géographe comme Jacques Lévy peut écrire que « chaque science sociale est à la fois globale dans son champ et partielle dans son objet. Chaque science sociale s'intéresse à tous les phénomènes, mais selon un «angle» particulier. Du côté de la géographie, cet angle est l'espace, car la géographie est la science de la dimension spatiale des sociétés » (L'espace légitime, 1993).

Edgar Morin dans « le défi de la complexité » mentionne que la complexité se présente comme difficulté, comme incertitude et non pas comme clarté et comme réponse. Le grand problème est de savoir s'il y a une possibilité de répondre au défi de l'incertitude et de la difficulté. Il stipule encore que beaucoup ont longtemps cru et peut-être croient encore que le défaut des sciences humaines et sociales est de ne pas pouvoir se débarrasser de la complexité apparente des phénomènes humains pour s'élever à la dignité des sciences naturelles qui, posaient des lois simples, des principes simples et faisaient régner l'ordre du déterminisme dans leur conception. Or, nous nous pouvons constater aujourd'hui qu'il y a crise de l'explication simple dans les sciences biologiques et physiques ; dès lors, ce qui semblait être les résidus non scientifiques des sciences humaines, le désordre, l'incertitude, la pluralité, la contradiction, la complication, etc., fait aujourd'hui partie d'une problématique générale de la connaissance scientifique.

Selon Morin (1988), la complexité n'est pas seulement un phénomène empirique (hasard, aléa, désordres, complications, enchevêtrements au sein de phénomènes) ; mais elle est aussi un problème conceptuel et logique qui brouille les démarcations et les frontières bien nettes entre les concepts comme « producteur » et « produit », « cause » et « effet », « un » et « multiple ».

Toujours dans « défi de la complexité », Morin (1988) insiste sur le fait que, la complexité arrive comme confusion, comme brouillard, comme incertitude, comme incompressibilité algorithmique, incompréhension logique et irréductibilité. Donc, la complexité est obstacle, la complexité est effectivement défi. Quand on avance dans les avenues de la complexité, on se

rend compte qu'il y a deux noyaux liés, l'un noyau empirique et l'autre noyau logique. Le noyau empirique comporte, d'un côté, les désordres et les aléas, de l'autre côté, les complications, les enchevêtrements, les multiplications proliférantes. Le noyau logique, c'est, d'une part, les contradictions que nous devons nécessairement affronter, d'autre part, les indécidabilités internes à la logique.

Dans le « défi de la complexité », Edgar Morin présente sept avenues de la complexité. La première avenue, c'est celui de l'irréductibilité du désordre ou du hasard. Le désordre et le hasard ont jailli dans l'univers des sciences physiques d'abord avec incursion de la chaleur, qui est agitation/collision/dispersion des molécules ou atomes, puis avec l'irruption des indéterminations micro-physiques, enfin dans l'explosion originaire et la dispersion actuelle du cosmos. Morin ajoute que nous devons constater d'une part que le désordre et le hasard sont présents dans l'univers et ils sont actifs dans son évolution, d'autre part, nous ne pouvons résoudre l'incertitude qu'apportent les notions de hasard et de désordre car le hasard lui-même n'est pas certain d'être hasard. L'incertitude demeure, y compris en ce qui concerne la nature de l'incertitude que nous apporte le hasard. La deuxième avenue de la complexité est la transgression des limites de ce que l'on pourrait appeler l'abstraction universaliste qui éliminait la singularité dans les sciences naturelles, la temporalité et la localité. C'est ainsi que, la biologie actuelle ne conçoit plus du tout l'espèce comme un cadre général dont l'individu est un cas singulier. Elle conçoit l'espèce vivante, comme une singularité qui produit des singularités. La vie elle-même est une organisation singulière parmi les types d'organisation physico-chimique existants. En plus, les découvertes de Hubble sur la dispersion des galaxies et la découverte du rayonnement isotrope venant de tous les horizons de l'univers ont amené la résurrection d'un cosmos singulier qui aurait une histoire singulière où surgirait notre propre histoire singulière. (Morin, 1988). La troisième avenue est celle de la complication. Le problème de la complication a surgi à partir du moment où l'on a vu que les phénomènes biologiques et sociaux présentaient un nombre incalculable d'interactions, d'inter-rétroactions, un fabuleux enchevêtrement qui ne pouvait être computé même par le plus puissant ordinateur, d'où le paradoxe de Niels Bohr disant : « Les interactions qui maintiennent en vie l'organisme d'un chien sont celles qu'il est impossible d'étudier «in vivo». Pour les étudier correctement, il faudrait tuer le chien. ». La quatrième avenue s'est ouverte dès lorsqu'on a commencé à concevoir une mystérieuse relation complémentaire et pourtant logiquement antagoniste entre les notions d'ordre, de désordre et d'organisation. C'est bien là ce principe « order from noise », formulé par Heinz von Foerster en 1959, qui s'opposait au principe classique « order from order » (l'ordre naturel obéissant aux

14

lois naturelles) et au principe statistique « order from disorder », (où un ordre statistique, au niveau des populations, naît de phénomènes désordonnés/aléatoires au niveau des individus). Ce principe (order from noise) signifie que des phénomènes ordonnés peuvent naître d'une agitation ou turbulence désordonnée. Ainsi, les travaux de Prigogine ont montré que des structures tourbillonnaires cohérentes pouvaient naître de perturbations qui devraient apparemment se résoudre en turbulences. (Morin, 1988). C'est dans ce sens qu'émerge le problème de la mystérieuse relation entre l'ordre, le désordre et l'organisation. (Morin, 1988). La cinquième avenue de la complexité est celle de l'organisation. Il apparaît ici une difficulté logique ; l'organisation est ce que constitue un système à partir d'éléments différents. Elle constitue donc une unité en même temps qu'une multiplicité. La complexité logique de l'unitos multiplex demande de ne pas dissoudre le multiple dans l'un, ni l'un dans le multiple. Nous avons ici le premier niveau de complexité organisationnelle. Nous avons aussi, au niveau des organisations biologiques et sociales, des complexités auxquelles a fait allusion Mauro Cerruti à propos du polycentrisme. Ces organisations sont complexes parce qu'elles sont à la fois acentriques (c'est-à- dire fonctionnant de façon anarchique par interactions spontanées), polycentriques (qui ont plusieurs centres de contrôle ou organisations) et centriques (qui disposent en même temps d'un centre de décision). (Morin, 1988). La sixième avenue vers la complexité est celle de la crise des concepts clos et clairs (clôture et clarté étant complémentaires), cela signifie la crise de la clarté et de la séparation dans l'explication. Là effectivement, il y a rupture avec la grande idée cartésienne que la clarté et la distinction des idées sont un signe de leur vérité, c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir de vérité qui ne puisse s'exprimer de façon claire et nette. (Morin, 1988). La septième avenue de la complexité est le retour de l'observateur. Dans les sciences sociales, c'est d'une façon illusoire qu'on croyait éliminer l'observateur. Le sociologue n'est pas seulement dans la société ; conformément à la conception hologrammatique, la société est aussi en lui ; il est possédé par la culture qu'il possède. (Morin, 1988).

Selon Morin (1988), la complexité est à l'origine des théories scientifiques, y compris les théories les plus simplificatrices. Tout d'abord, comme l'ont diversement établi Popper, Holton, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, il y a un noyau non scientifique dans toute théorie scientifique. Popper a mis l'accent sur les « présupposés méta-physiques » et Holton a souligné les themata ou thèmes obsessionnels, qui animent l'esprit des grands scientifiques, à commencer par le déterminisme universel qui est à la fois postulat métaphysique et thème obsessionnel.(Morin, 1988). Lakatos a montré qu'il y a dans ce qu'il appelle les programmes de recherche un «

15

noyau dur » indémontrable, et Thomas Kuhn stipule dans la structure des révolutions scientifiques que les théories scientifiques sont organisées à partir de principes qui ne relèvent absolument pas de l'expérience, qui sont les paradigmes. (Morin, 1988).

Toujours dans le « défi de la complexité », Edgar Morin précise que la complexité ne nie pas les acquis de l'unité des lois newtoniennes, l'unification de la masse et de l'énergie, l'unité du code biologique. Mais ces unifications ne suffisent pas pour concevoir l'extraordinaire diversité des phénomènes et le devenir aléatoire du monde. A cet effet, le problème de la complexité est d'aller plus avant dans le monde concret et réel des phénomènes.

On dit souvent que la science expliquait du visible complexe par de l'invisible simple : mais elle dissolvait totalement alors le visible complexe, et c'est celui-ci aussi que nous affrontons. (Morin, 1988).

Morin (1988) insiste sur le fait que la complexité n'a pas de méthodologie, mais elle peut avoir sa méthode. Ce qu'on appelle méthode est un mémento, un « pense-bête ». La Méthode de la complexité nous demande d'essayer de comprendre la multidimensionnalité, de penser sans jamais clore les concepts, de briser les sphères closes, de penser avec la singularité, de rétablir les articulations entre ce qui est disjoint, avec la localité, avec la temporalité, de ne jamais oublier les totalités intégratrices. C'est la tension vers le savoir total, et en même temps la conscience antagoniste que, comme l'a dit Adorno, « la totalité est la non-vérité ». La totalité est à la fois vérité et la non-vérité, et c'est cela la complexité : la conjonction de concepts qui se combattent entre eux. (Morin, 1988).

Morin ajoute dans le « défi de la complexité » que, l'impératif de la complexité est aussi de penser organisationnellement. C'est de comprendre que l'organisation ne se résout pas à à quelques lois et quelques principes d'ordre ; mais l'organisation nécessite une pensée complexe extrêmement élaborée. Une pensée d'organisation qui ne comprend pas la relation auto-éco-organisatrice, c'est-à-dire la relation intime et profonde avec l'environnement, qui ne comprend pas le principe de récursivité, qui ne comprend pas la relation hologrammatique entre les parties et le tout, une telle pensée est condamnée à la platitude, à la trivialité, c'est-à-dire à l'erreur...

Dire "c'est complexe" c'est avouer la difficulté d'expliquer, de décrire, c'est exprimer sa confusion devant un objet comportant de traits divers, de multiplicité et d'indistinction internes, trop de liens externes. (Morin, 2016).

Les synonymes de complexe sont, selon le dictionnaire "ardu, épineux, difficile, embarrassé, enchevêtré, embrouillé, entortillé, indéchiffrable, entrelacé, inextricable, obscur, pénible". Le mot complexité exprime à la fois la confusion dans la chose désignée et l'embarras du locuteur, son incertitude pour déterminer, définir, éclairer et finalement son impossibilité de le faire. L'usage banal du mot complexité signifie tout au plus " ce n'est pas clair, ce n'est pas simple, tout n'est pas blanc ni noir, il ne faut pas se fier aux apparences, il y a des doutes, nous on ne sait pas bien". Le mot complexité est finalement un mot dont le trop plein en fait un mot vide. Comme il est de plus en plus employé, son vide s'étend de plus en plus. (Morin, 2016).

Les modes simplificateurs de connaissances mutilent les réalités ou les phénomènes dont ils rendent compte. Comprendre qu'il est, à la fois, nécessaire de distinguer (qui n'est pas isoler) les éléments, mais aussi de comprendre tout ce qui les relie en tenant compte des interactions qui composent l'ensemble. La complexité est une connaissance globale qui s'intéresse au rapport entre le tout et les parties (Morin, 1990).

En premier lieu, une connaissance complexe vise à reconnaître ce qui lie ou relie l'objet à son contexte, le processus ou l'organisation où il s'inscrit. Prenant l'exemple de la traduction d'une phrase de langue étrangère, E. Morin (2008) rappelle la nécessité d'effectuer des allers-retours de la phrase au mot et du mot à la phrase. Il reprend souvent la formulation décisive de Pascal : « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s'entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ». (Brechet, 2012). Morin oppose au principe pascalien, le principe antagonique de Descartes dans le `Discours de la méthode', principe d'ailleurs contemporain de celui de Pascal, à savoir la nécessité de séparer toutes choses « de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourra, et qu'il sera requis pour mieux les résoudre (...) », pour poser comme vérités « les idées claires et distinctes ». (Brechet, 2012).

Le constat que reprend souvent Edgar Morin de la pensée complexe est celui que les modes simplificateurs de connaissance tronquent plus qu'ils n'expriment les phénomènes ou les réalités dont ils rendent compte, produisent plus d'aveuglement que d'élucidation d'une complexité qu'ils refusent d'envisager (Morin, 1990, avant-propos de `Introduction à la pensée complexe'). (Brechet, 2012)

17

Selon Brechet (2012), la première approche de la complexité se nourrit de cette évolution des idées et s'associe à la reconnaissance des systèmes dynamiques caractérisés par un grand nombre d'interactions et de rétroactions à l'intérieur desquelles se déroulent des phénomènes très difficiles à comprendre. Naît ainsi la complexité que E. Morin qualifie de restreinte (ou désorganisée à la suite de W. Weaver), qui admet les phénomènes d'émergence entre nécessité et hasard (J. Monod) mais sans remettre en question une posture scientifique d'ensemble toujours à la recherche de lois, plus qu'elle n'interroge ses fondements paradigmatiques et épistémologiques.

L'opposition du complexe au simple ne renvoie pas à l'élimination mais plutôt à une intégration en créant des liens (reliances) entre différents éléments. Ceci conduit, en conséquence, à une clarté et une précision dans une connaissance multidimensionnelle (Morin, 1990).

La complexité repose sur trois principes (Morin, 1990) :

? Le principe dialogique : relation à la fois complémentaire et antagoniste entre deux notions. Il nous permet de maintenir la dualité au sein de l'unité. Il associe deux termes, à la fois, complémentaires et antagonistes. (Relier tout en sachant distinguer).

La dialogie (parfois dite dialectique contemporaine), est le moment où dans la dialectique on accepte d'avoir à penser ensemble deux contraires sans les mélanger, en problématisant on fait que la contradiction devient supportable.

? Le principe hologrammatique : une partie est dans le tout, le tout est dans la partie. Ce qui fait la particularité d'un hologramme, c'est que la presque totalité de l'information d'une image se trouve dans chaque point de l'hologramme lui-même. On ne peut le concevoir comme chaque point indépendamment du tout, car sans eux (ces points) le tout n'apparaitrait pas.

? Le principe de causalité en boucle ou récursion : c'est un processus où les produits et les effets sont en même temps causes et producteurs. C'est une sorte de spirale qui dépasse le principe de causalité linéaire.

? Le principe dialogique

Ce principe, nous permet de maintenir la dualité au sein de l'unité et associe deux termes à la fois complémentaires et antagonistes. Il est important de situer la dialogie par rapport à la dialectique classique : dans le sens commun, la dialectique, c'est la dualité, le dualisme, une

18

dichotomie. C'est aussi l'art de raisonner avec méthode. Elle se situe dans une logique de contrôle.

Ce principe peut s'expliquer par :

? Premièrement thèse -antithèse : on identifie A et le non A pour mettre en évidence une contradiction, des contraires par exemple : la vie - la mort, le blanc - le noir, le ying et le yang. Les contraires sont entendus comme étant opposés, l'affirmation de l'un implique la négation de l'autre.

? Deuxièmement synthèse : Arriver à une synthèse pousse à croire que l'on peut arriver à surpasser la contraction. Mais en fait c'est un mélange de A et non A, un juste milieu qui peut être décidé et renouvelé à chaque itération du problème. Cette position intermédiaire, donne une sorte de pacification du problème mais n'en résout pas. On essaye par le mélange, de rendre homogènes les contraires, par nature hétérogènes, en faisant une « eau tiède » (mélange de froid et chaud).

La dialogie (dit parfois dialectique contemporaine), est le moment dans la dialectique où on accepte d'avoir à penser de façon combinée deux contraires sans les mélanger, en problématisant on fait que la contradiction devient supportable. On va au-delà de la contradiction entre A et non A, alors on pense la chose et son contraire en même temps et séparément, il n'y a pas d'oscillation entre A - non A, ou entre non A - A, mais une articulation, un va et vient permanent entre les deux incluant et A et non-A en cherchant une nouvelle possibilité (le troisième, le tiers).

Il est impossible de choisir entre l'un (A) ou l'autre (non A) : car l'un ne peut se penser sans l'autre. « Le principe dialogique nous permet de maintenir la dualité au sein de l'unité. Il associe deux termes à la fois complémentaires et antagonistes ». Ce principe permet de penser les processus organisateurs et, créateurs dans le monde complexe de la vie et de l'histoire humaine. Edgar Morin reprend Héraclite « vivre de mort, mourir de vie ». Mourir est une continuité dans la rupture qu'elle occasionne car mourir c'est donner de la vie, c'est d'ailleurs une constante biologique. La vie et la mort de toute chose sont permanents et sont faits d'ordre et de désordre, de conflits paradigmatiques, de paradoxes. « En quelque sorte, vivre c'est sans cesse mourir et se rajeunir. Autrement dit, on vit de la mort de ses cellules, comme une société vit de la mort de ses individus, ce qui lui permet de rajeunir ». L'un et l'autre sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité.

19

? Le principe hologrammatique

La particularité d'un hologramme, c'est que la totalité de l'information d'une image se trouve dans chaque point de l'hologramme. On ne peut pas le concevoir indépendamment comme chaque point du tout, car sans eux le tout n'apparaitrait pas. Edgar Morin reprend Pascal : « Je ne peux pas concevoir le tout sans concevoir les parties et je ne peux pas concevoir les parties sans concevoir le tout ». Ceci est valable à la fois dans le monde biologique : « chaque cellule de notre organisme contient la totalité de l'information génétique de cet organisme », et aussi dans le monde social : l'individu est une partie de la société, mais la société est présente dans chaque individu en tant que tout, à travers son langage, sa culture, ses normes, le monde.

Dans « le défi de la complexité », Edgar Morin souligne qu'on peut lier le principe hologrammatique au principe d'organisation récursive. L'organisation récursive est l'organisation dont les produits et effets sont nécessaires à sa propre causation et production. C'est très exactement le problème de l'auto-production et de l'auto-organisation. Ainsi, une société est produite par les interactions entre individus, mais ces interactions produisent un tout organisateur lequel rétroagit sur les individus pour les co-produire en tant qu'individus humains, ce qu'ils ne seraient pas s'ils ne disposaient pas de l'éducation, du langage et de la culture. C'est ainsi que le processus social est une boucle productive ininterrompue où en quelque sorte les produits sont nécessaires à la production de ce qui les produit. Les notions de cause et d'effet étaient déjà devenues complexes avec l'apparition de la notion de boucle rétroactive de Norbert Wiener (où l'effet revient de façon causale sur la cause qui le produit) ; les notions de produit et de producteur deviennent des notions encore plus complexes qui se renvoient l'une à l'autre. (Morin, 1988).

? Le principe de causalité en boucle ou récursion

Ce principe est un processus où les produits et les effets sont en même temps causes et producteurs. C'est une sorte de spirale qui dépasse le principe de causalité linéaire. Mais encore plus, ici les produits sont nécessaires pour la production du processus lui-même, la dynamique du vivant est une dynamique auto productive et auto organisationnelle, l'effet se répercute sur la cause, et la cause est suivie d'effet, l'effet à une influence sur ce qui l'a causé, c'est une boucle récursive et auto génératrice. Cela permet la compréhension que tout ce qu'on est, ce qu'on a fait, été, sera, se trouve inscrit dans le processus de vie et de mort, de mort et de vie, « que le commencement suppose la fin, à peu près comme la fin suppose le commencement, et que chaque partie suppose chacune des suivantes, à peu près comme

20

celles-ci la supposent à leur tour » (Schopenhauer, 1956,). La récursivité n'est pas la rétroactivité, dans le sens où dans la récursivité la boucle doit être bouclée. « La société est produite par les interactions entre individus, mais la société, une fois produite, rétroagit sur les individus et les produit ».

Par rapport à notre problématique, la complexité intervient pour nous aider à appréhender la question en tenant compte du fait qu'il peut exister de relations entre les facteurs qui peuvent nous aider à comprendre la situation. Celles-ci peuvent être complémentaires tout comme en contradiction d'où il faudrait savoir les distinguer. Elle permet aussi de savoir qu'il peut y avoir des facteurs à la fois causes et effets. Elle nous permet tout en signalant que, ce qui tape à l'oeil au final comme résultat (cas du niveau faible de la prospérité) peut être l'émanation des multiples problèmes tout comme il peut être une partie du problème dans le problème lui-même. Mais aussi, elle permet de prendre la réalité telle qu'elle est, sans la découper, avec toutes ses composantes au risque de ne pas la comprendre pleinement ou d'omettre d'autres sens qui l'entourent.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius