4.2.1 Définir l'argumentation
« Peut-on analyser le discours politique sans tenir
compte de l'argumentation ? Chez Aristote, le discours
délibératif, destiné à réguler la vie de la
Cité, est au centre du dispositif rhétorique. Fondé sur
l'exhortation et la dissuasion, il vise l'avenir en termes d'avantages et
d'inconvénients. C'est en des termes similaires qu'on définit
aujourd'hui la communication politique qui, en régime
démocratique, tente de faire adhérer les destinataires aux choix
politiques qui leur sont proposés. » (Gerstlé, cité
par Amossy et Koren, 2010 : 13-21). Cela veut dire que depuis l'ère
d'Aristote jusqu'à présent, la position et le rôle de
l'argumentation dans la politique n'ont pas subi de changements remarquables.
Par le biais de l'argumentation les représentants du peuple proposent
à ce-dernier des idées, des projets, des lois et si
nécessaire des référendums. Et suivant cette logique, nous
parvenons à la conclusion que l'argumentation renforce l'allocution
politique de celui qui entraîne l'adhésion de l'auditoire par son
éloquence. Perelman et Olbrechts-Tyteca nous disent que « [...] une
argumentation efficace est celle qui réussit à accroître
cette intensité d'adhésion de façon à
déclencher chez les auditeurs l'action envisagée (action positive
ou abstention), qui se manifestera au moment opportun. » (Perelman et
Olbrechts-Tyteca, 2008 : 59).
Pierre Oléron définit l'argumentation comme ceci
: démarche par laquelle une personne - ou un groupe - entreprend
d'amener un auditoire à adopter une position par le recours à des
présentations ou assertions - arguments - qui visent à en montrer
la validité ou le bien-fondé. (Oléron 1983 : 4). Il existe
trois
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caractéristiques de l'argumentation ayant pour objectif
de déterminer ses fonctions primaires. D'abord l'argumentation fait
intervenir plusieurs personnes : celles qui la produisent, celles qui la
reçoivent, éventuellement un public ou des témoins. «
Toute argumentation se développe en fonction de l'auditoire auquel elle
s'adresse et auquel l'orateur est obligé de s'adapter. » (Adam et
Heidmann, 2005 : 174). Il est question d'un phénomène social.
Ensuite il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'un exercice
spéculatif, comme le seraient par exemple la description d'un objet ou
bien la narration d'un événement. C'est une démarche pour
laquelle une des personnes vise à exercer une influence sur l'autre. Et
enfin, l'argumentation fait intervenir des éléments de preuve en
faveur de la thèse défendue, qui n'est pas imposée par la
force. C'est une procédure qui comporte des éléments
rationnels ; elle a ainsi des rapports avec le raisonnement et la logique.
Nous avons déjà pu constater que notre sujet
d'étude tient à dire la vérité aux Français
quoi qu'il en coûte. Il se revendique Chef du gouvernement et Premier
ministre de mission, et il aimerait poursuivre son engagement jusqu'au dernier
jour du quinquennat. Selon la théorie de Perelman et Olbrechts-Tyteca,
notre locuteur devrait se servir d'une argumentation dite persuasive lors d'un
meeting de son parti politique, en l'occurence le Parti socialiste, et d'une
argumentation nommée convaincante le jour où il s'adresse
à tous les Français. « Nous nous proposons d'appeler
persuasive une argumentation qui ne prétend valoir que pour un auditoire
particulier et d'appeler convaincante celle qui est censée obtenir
l'adhésion de tout être de raison. » (Perelman et
Olbrechts-Tyteca, 2008 : 36). Et comme toute activité intellectuelle,
l'argumentation est théoriquement subordonnée à la
vérité, qu'elle est censée respecter et - bien plus -
contribuer à établir. (Oléron 1983 : 12). Pierre
Oléron déclare que même dans les sociétés
modernes, l'argumentation n'est pas une démarche parfaitement libre qui
peut être engagée à tout moment, par n'importe quelle
personne, sur n'importe quel sujet. Comme toutes les
modalités d'expression de la pensée, elle ne peut intervenir que
s'il est préalablement accepté qu'un débat soit ouvert et
si celui qui se propose de défendre ou justifier une position se voit
d'abord accorder le droit de prendre la parole. En France par exemple, il y a
des séances de questions au Gouvernement et le temps consacré
à chaque question, réponse du ministre comprise, est de 4
minutes. 15 questions par séance sont adressées au Gouvernement
et la parité entre la majorité et l'opposition est
réalisée sur 2 séances, à raison de 15 pour la
majorité et 15 pour l'opposition. Les députés non inscrits
peuvent poser une question tous les deux mois.
Avec l'argumentation sont transmis des éléments
visant à créer (ou renforcer) des convictions, dispositions
à agir, attitudes. Ces éléments peuvent comporter des
informations mais celles-ci sont subordonnées à l'intention de
convaincre et non simplement d'enrichir les connaissances du récepteur.
(Oléron 1983 : 23).
Nous pouvons distinguer de grandes catégories en
fonction desquelles l'argumentation peut être adaptée, car chaque
public cible est spécifié. Par exemple dans la
Rhétorique, Aristote présente une typologie
correspondant à des groupes se différenciant par l'âge
(jeunes et vieux) et le statut social (noblesse, richesse etc). Il indique pour
chacun des éléments de leur psychologie qui devrait permettre
à l'orateur de tenir un discours approprié et efficace.
L'argumentation se déroule sur le plan de la parole
(orale ou écrite). Le langage en est donc la matière et
l'instrument et nous comprenons mal les mécanismes de l'argumentation si
nous ne nous représentons pas les modalités de son intervention.
Autrement dit pour mieux saisir les propos d'un homme politique, il
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faut bien connaître le langage politique avec tous ses
particularités. Qui plus est, la politique est un domaine dans lequel
chaque terme a du poids et il nécessite que nous soyons attentifs afin
d'éviter le risque de quiproquos possibles. Il ne faut pas oublier que
l'une des fonctions principales du langage est la possibilité de faire
d'un ennemi un ami rien qu'en se servant de bonnes paroles. Donc argumenter
signifie également proposer à notre interlocuteur ce dont il a
besoin au moment de la causerie. Les arguments peuvent être
comparés à des embellissements ayant pour objectif de
décorer nos paroles afin de les rendre plus puissantes et touchantes. Le
langage n'est pas cependant un simple décalque et il comporte des
éléments propres qui contribuent à agir sur l'auditeur et
à l'amener à une certaine conviction.
Quand il est question de l'argumentation, il est
nécessaire de distinguer trois catégories : la transmission d'une
conviction, la délibération et la justification. Pierre
Oléron affirme que dans le premier cas le terme est fixé : celui
qui argumente est convaincu, il cherche seulement à faire partager sa
conviction. Dans le second, au contraire, c'est après l'argumentation
que sera déterminé ce qu'il convient de faire. De ce point de vue
la justification reste proche du premier cas puisque ce qu'il s'agit de
justifier est donné ; c'est le contexte psychologique qui peut permettre
de la distinguer. Nous pouvons constater que le fait de justifier ou se
justifier correspond à une attitude de défense. C'est logique car
celui qui se justifie, se sent provoqué par les propos de son/ses
interlocuteur/s et se sert de contre-arguments pour démontrer qu'il a
raison. P. Oléron souligne que la justification est souvent
présentée comme un type original d'argumentation. La place
donnée à la justification peut trouver sa raison dans
l'importance qu'elle occupe dans la vie pratique mais également dans la
législation. Celle-ci exige que les décisions administratives
soient clairement argumentées. Et selon cette théorie, la
justification ne devrait pas être séparée de son antonyme :
l'attaque ou la critique. La justification et la critique font
partie de l'argumentation et visent à faire partager la
conviction de l'apologiste ou du critique ou à orienter la
décision. (Oléron 1983 : 109).
L'argumentation met en jeu, d'une manière
générale, une pluralité d'arguments. Au contraire de la
démonstration qui est normalement unique, un argument paraît
rarement assez fort pour entraîner la conviction. En invoquant plusieurs,
le locuteur attend une sorte d'addition des effets qui augmentera les chances
de provoquer celle-ci. Par ailleurs l'esprit critique soupçonne
facilement que la multiplication d'arguments dissimule l'incapacité d'en
produire un petit nombre, voire un seul qui soit vraiment convaincant.
P. Oléron déclare que les arguments sont de
force inégale. La force des arguments est prise en compte lorsqu'il
s'agit de déterminer leur ordre de présentation. La question que
l'on se pose est la suivante : faut-il commencer par les arguments les plus
forts ou, au contraire, terminer par eux ? La première démarche
paraît justifiée concernant la disposition favorable de
l'auditoire et son objectif, et de le rendre accueillant aux arguments qui
suivent. En revanche la présentation d'arguments plus faibles à
la suite risque d'atténuer l'effet des premiers, oubliés au
profit de ceux qui ont peu de valeur démonstrative. L'ordre inverse
paraît favoriser une marche progressive, les premiers arguments
préparent à accueillir d'une manière positive ceux qui
doivent entraîner la conviction. La deuxième question que nous
pourrions nous poser : mais des arguments faibles présentés
d'abord ne risquent-ils pas d'indisposer l'auditoire ou au moins de lasser son
attention ? D'où la tendance à préconiser un ordre mixte
où les arguments les plus forts sont placés au début ou
à la fin, les plus faibles au milieu - ordre dit homérique.
La cohérence est considérée comme une
condition nécessaire de l'argumentation. Elle constitue une sorte
d'argument indirect supplémentaire. Si
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les arguments sont bien organisés et se tiennent, ils
témoignent en faveur de la solidité de la thèse.
D'où l'effort de l'émetteur pour assurer cette cohérence
et la souligner. Inversement quand il s'agit de démolir la thèse
adverse, une bonne stratégie est de tenter de montrer
l'incohérence des divers arguments. Il n'est guère
d'argumentation qui ne porte sur des matières prêtant à
désaccord ou à controverse. Ainsi celui qui argumente ne se
trouve-t-il pas simplement en face de la matière à traiter et de
l'auditoire cible, mais en plus devant un adversaire réel ou potentiel
défendant une position différente ou opposée. L'auditoire
peut être considéré comme attaché au départ
à une position qu'il est nécessaire de combattre, afin de
l'amener à celle que l'on s'attache à soutenir. « L'emploi
des arguments négatifs dépend de la force de l'adversaire. S'il
occupe une position dominante ou égale on l'attaquera parce qu'il
convient de l'affaiblir. Si ce n'est pas le cas, le silence ou au moins la
discrétion paraissent appropriés. » (Oléron 1983 :
117).
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