INTRODUCTION
Roland Barthes définit l'ethos comme « les traits
de caractère que l'orateur doit montrer à l'auditoire (peu
importe sa sincérité) pour faire bonne impression : ce sont ses
airs » (Amossy 1999 : 10). Effectivement, il s'agit d'un rapport visuel et
cognitif entre celui qui parle et ceux qui écoutent. Le locuteur a pour
objectif de capter l'attention de son auditoire et de maintenir son
intérêt du début à la fin de son discours. Pour ce
faire, l'énonciateur doit présenter son sujet d'une
manière cohérente et intéressante, et non pas monotone. Il
doit éviter les excès car ils sont mal vus et non pas
acceptés par le grand public. Donc l'orateur se trouve dans la position
de quelqu'un qui possède une arme magique - l'art de convaincre
grâce à son discours, et selon la manière dont il
s'exprime, les gestes et le ton qu'il utilise, se fait évaluer par son
auditoire. Pour le locuteur, la scène politique est comme une
arène où le meilleur « gladiateur » est celui qui
possède un pouvoir discursif hors du commun. Gagner la confiance de
l'auditoire signifie avoir le respect incontestable et la reconnaissance des
gens. Les qualités personnelles de l'orateur deviennent importantes
à partir du moment où il sait comment s'en servir pour mettre en
évidence sa supériorité sur ses opposants. Nous devons
préciser que le statut professionnel dans le domaine politique,
c'est-à-dire le poste que l'homme politique occupe, a un rôle
fondamental au niveau de ses relations avec les citoyens. Prenons comme exemple
Manuel Valls - notre sujet d'étude. Actuellement il occupe le poste de
Premier ministre, autrement dit c'est le deuxième homme le plus puissant
de France après le chef de l'État. Ruth Amossy s'exprime sur ce
sujet en disant que « le pouvoir des mots dérive de
l'adéquation entre la fonction sociale du locuteur et son discours : un
discours
1
2
ne peut avoir d'autorité s'il n'est prononcé par
la personne légitimée à le prononcer dans une situation
légitime, donc devant les récepteurs légitimes »
(Amossy 1999 : 128). Ainsi le discours du Chef du gouvernement possède
plus du poids et de valeur que celui d'un député de
l'Assemblée nationale. Nous pouvons affirmer que cette constatation est
logique car Manuel Valls est celui qui donne des ordres et qui est
autorisé à effectuer des réformes en faveur de
l'État.
La première grande partie de notre
démonstration, c'est-à-dire les chapitres 1 et 2, traite la
question de l'ethos sous un angle rhétorique. Elle est composée
de quatre sous-parties traitant les questions de discours, ethos,
phénomène politique et identité verbale.
Premièrement nous proposons nos réflexions sur la notion de
discours dans l'espace politique. Nous soulignons la différence entre
discours oral et discours écrit, les avantages et les
inconvénients pour le locuteur qui tient un discours devant son
auditoire. Par exemple à l'oral, il a la possibilité de se
corriger au moment où il prend conscience d'avoir commis une erreur.
Nous abordons également le point concernant le discours en tant que
moyen de persuasion et d'action.
Deuxièmement, notre attention porte sur l'ethos comme
image de soi. Ici, nous distinguons deux types d'ethos : préalable et
discursif. Il est question de données préexistantes au discours -
ce que l'auditoire sait déjà du locuteur et celles
apportées par l'acte de langage lui-même. Nous parlons aussi d'une
double identité du sujet parlant - sociale et discursive.
Puis, nous nous focalisons sur les ethos d'identification au
sens de traits identitaires strictement personnels. Dans les discours de Manuel
Valls, trois types d'ethos d'identification ont un rôle essentiel et
exercent une fonction majeure dans la construction d'une image discursive
globale : ethos de
« puissance », ethos de « caractère
» et ethos de « chef ». Tous les trois décrivent une
grande partie de l'identité discursive de notre sujet d'étude.
Et enfin, nous nous interrogeons sur les ethos de
crédibilité et leur place dans les discours de Manuel Valls.
Trois ethos caractérisent son identité discursive : ethos de
sérieux, ethos de vertu et ethos de compétence. La
crédibilité doit être capable de répondre à
trois conditions pour prouver que le locuteur possède le pouvoir de
faire et se montrer crédible : condition de
sincérité, de performance et
d'efficacité.
Dans la deuxième grande partie de notre travail de
recherche, incluant les chapitres 3 et 4, nous traitons la question de l'ethos
en nous appuyant sur des théories et éléments proprement
linguistiques. Notre troisième chapitre est entièrement
consacré à la subjectivité dans les discours de Manuel
Valls. D'abord nous démontrons la présence de différents
types de déictiques tels que : pronoms personnels, démonstratifs,
désinences verbales, adverbes et locutions adverbiales. Cette analyse a
pour objectif de mettre en lumière la dominance ou le suremploi de
certains éléments par rapport à d'autres. Par exemple nous
pourrions supposer que les pronoms personnels « je » et « nous
» seraient davantage utilisés par le sujet parlant. Tout simplement
parce que dans la plupart des cas « je » représente le Premier
ministre et « nous » représente le Chef du gouvernement et ses
ministres/la majorité.
Dans ce chapitre nous nous intéressons également
aux subjectivèmes et leur influence dans les discours de notre sujet
d'étude. Et plus précisément nous nous focalisons sur des
substantifs, adjectifs affectifs, adjectifs évaluatifs axiologiques et
adjectifs évaluatifs non axiologiques, verbes occasionnellement
subjectifs et verbes intrinsèquement subjectifs, adverbes subjectifs.
D'un point de vue linguistique cette étude nous permettra de
3
constater à quel point le locuteur se sert de termes
subjectifs, donc ceux qui appartiennent au sujet parlant, afin de transmettre
son message à l'auditoire. Le côté émotif de ses
propos pourrait s'avérer un avantage dans le but d'attirer l'attention
du public.
Dans le quatrième chapitre, nous essayons d'examiner
les types de phrase utilisés dans les discours du Premier ministre,
ainsi que l'argumentation et ses connecteurs argumentatifs. Il est question de
trois types de phrases : déclaratif, exclamatif et impératif.
Notre mission sera de mettre en exergue l'emploi et la fréquence de ces
phrases afin de démontrer leur importance. En ce qui concerne
l'argumentation, nous aurions pour tâche d'analyser les connecteurs
argumentatifs exprimant : la cause, la conséquence,
le but, l'opposition et l'hypothèse. Cette
analyse nous donnera la possibilité de découvrir minutieusement
les arguments dont le sujet d'énonciation se sert lors de ses
allocutions.
Cette étude a pour objectif de répondre à
plusieurs questions afin de nous aider à découvrir le vrai visage
de Manuel Valls. Les questions sont les suivantes : Est-ce que Manuel Valls est
vraiment autoritaire et allons-nous ressentir dans ses discours cette position
sévère qu'il adopte lors de ses interventions et débats
politiques ? Pour Manuel Valls être Premier ministre est-il vraiment un
privilège et même une mission à accomplir ? Est-ce que
notre sujet d'étude est prêt à tout pour protéger
son peuple et son pays ? Allons-nous découvrir la puissance d'un «
je » affirmatif ? Le tempérament colérique de Manuel Valls
a-t-il une position centrale dans la construction de son ethos ? Se sert-il
d'arguments vraisemblables afin de défendre sa position lors d'une
discussion ? Sait-il comment manipuler la foule dans l'intention de tirer des
bénéfices ?
4
5
Emploie-t-il souvent des propos affectifs pour toucher
davantage le public auquel il s'adresse ? Paraît-il crédible aux
yeux de ses électeurs et aux yeux des députés de la
majorité ? Suffit-il d'être un bon orateur pour faire une
carrière remarquable dans le domaine de la politique ? Arrive-t-il
à résister aux attaques permanentes des députés de
l'opposition ? Téméraire et têtu ou plutôt positif et
ambitieux concernant les réformes qu'il mène ?
CHAPITRE 1 : L'art oratoire
1.1 La notion de discours dans l'espace politique
Pour essayer de traiter efficacement la question de la notion
de discours dans l'espace politique, d'abord nous devons nous interroger ce
qu'est l'oral afin d'établir une définition reflétant ses
particularités. Marion Sandré nous affirme clairement que «
l'oral présente un système d'échange très complet :
la parole est entendue (nous pouvons percevoir les indices paraverbaux, i.e. la
voix, l'inflexion, l'accent, l'intonation, les accentuations, les pauses, le
débit de parole...), nous pouvons parfois voir le locuteur et saisir
ainsi tous les indices non verbaux, tant gestuels que comportementaux, enfin,
nous partageons souvent avec lui la même situation - ou du moins nous
connaissons la situation dans laquelle il parle. Nous pouvons donc comprendre
les différentes références à l'environnement
contextuel » (Sandré 2013 : 15). A l'oral, lors d'une discussion ou
débat politique, les interlocuteurs prennent une position et ont
l'occasion de présenter des arguments pour convaincre la partie adverse.
Les participants ont le statut de citoyen de la France et en tant que tels ils
ont tout à fait le droit de débattre et défendre leur
point de vue - l'un des principes de la démocratie. Celui qui s'exprime
avec aisance, qui défend vigoureusement ses convictions et qui montre
son optimisme pour l'avenir, se gagne les sympathies du public. A l'oral le
locuteur a la possibilité de se corriger, de reprendre sa pensée,
de s'excuser s'il est hors sujet ou de demander des précisions s'il n'a
pas bien saisi la question. D'une part ces avantages facilitent la tâche
de celui qui a la parole, d'autre part il se sent obligé d'être
concentré et attentif pour pouvoir répondre ou répliquer
à des critiques ou des injustices. Communiquer signifie converser,
discuter, débattre, échanger des idées,
6
7
exprimer des motivations etc. A l'oral il n'y pas de signes de
ponctuation, donc la personne qui parle se sert de pauses et de son intonation
pour « marquer » la fin d'une phrase ou bien « indiquer »
qu'il s'agit d'une question. L'intonation de la voix peut exprimer divers types
de phrases : déclarative, exclamative, interrogative, impérative
mais également de différentes émotions : la peur, la joie,
l'angoisse etc. Le fait de répéter un terme ou une locution
signifie que le locuteur aimerait accentuer l'importance de ce que vient de
prononcer : « La laïcité, oui la laïcité...
»1. La répétition est une forme de
subjectivité, utilisée par les hommes politiques principalement
pour affirmer une prise de position dans la société.
Généralement les hommes politiques votent pour ou contre une
nouvelle loi ou des réformes mais il existe des cas où ils
s'abstiennent. En d'autres termes, ils ne s'engagent pas d'annoncer
publiquement leur choix ou bien ils préfèrent rester neutres.
N'oublions pas qu'à l'oral le locuteur dispose
davantage de possibilités quant à sa manière de dire les
choses et d'aborder des sujets cruciaux. Il choisit comment parler - lentement,
normalement et clairement ou vite. Nous devons signaler que si le locuteur se
sent gêné ou s'il n'est pas en confiance, nous lisons ses
hésitations sur son visage. Il est difficile de masquer ses
émotions, nous pouvons les maîtriser à un certain niveau
mais non pas entièrement.
Michel Pougeoise nous dit que « le mot discours
vient du latin discurere, « courir çà et là
». Il n'a donc aucun rapport avec le langage. Mais, à partir de
discursus, « action de parcourir en tous sens », le terme signifie
« entretien » par métaphore avec le fait d'emprunter les
chemins hasardeux de la conversation. Le discours est un terme
polysémique et les diverses interprétations qui lui ont
été données au cours de l'histoire et dans des domaines
aussi variés que la philosophie, la grammaire, la rhétorique,
la
1 Séance spéciale d'hommage aux victimes
des attentats, Assemblée nationale - 13 janvier 2015, Allocution de M.
Valls
8
linguistique, etc., créent souvent des
ambiguïtés regrettables. » (Pougeoise 2004 : 103). Dans
l'espace politique le discours possède diverses fonctions. Par le biais
de leurs propos, les hommes politiques s'adressent au public ayant pour
objectif d'expliquer, informer, argumenter ou décrire le sujet en
question. Selon ses propres critères et selon ce qu'il voit et entend,
l'auditoire se forme une opinion globale concernant celui qui parle. Une
opinion subjective, certes, mais elle est basée sur ce que lui montre et
dit le locuteur. « En effet, comme l'argumentation vise à obtenir
l'adhésion de ceux auxquels elle s'adresse, elle est, tout
entière, relative à l'auditoire qu'elle cherche à
l'influencer » (Perelman et Olbrechts-Tyteca 2008 : 24). Le discours de
l'orateur reflète sa compréhension du monde, sa philosophie de
vie mais également comment il définit et conçoit la
politique en tant que domaine de pouvoir et d'obligations vis-à-vis du
peuple.
Il est certain que les discours des hommes politiques
provoquent des réactions et des commentaires dans la
société. Les citoyens peuvent se permettre de les juger et
critiquer, si nécessaire, car la place de chaque député
à l'Assemblée nationale est obtenue grâce aux
élections, donc la voix du peuple. L'objectif principal du locuteur est
d'influencer l'auditoire auquel il s'adresse en lui proposant des arguments,
des idées et des solutions à ses problèmes. « On
parle toujours en cherchant à faire partager à un interlocuteur
des opinions ou des représentations relatives à un thème
donné, en cherchant à provoquer ou à accroître
l'adhésion d'un auditeur ou d'un auditoire plus vaste aux thèses
que l'on présente à son assentiment » (Adam et Heidmann 2005
: 164). Pour ce faire, les partis politiques organisent des meetings publics,
des campagnes électorales, des congrès... Lors de ces
manifestations, les hommes politiques ont la possibilité d'exposer
publiquement les missions et les tâches qu'ils ont déjà
effectuées mais aussi de faire connaître au grand public quels
sont leurs projets à venir. A titre d'exemple, un meeting public est une
relation de
9
séduction avec la salle et le discours capte
l'attention de l'auditoire du début à la fin. Un discours qui
parvient à impressionner l'auditoire, est un texte bien structuré
et argumenté, compréhensible par tout le monde, traitant le
problème à sa racine et étant à la hauteur des
attentes. Nous pouvons considérer le discours comme un moyen de
convaincre les auditeurs, de les amener à admettre les propos de
l'orateur, mais aussi de manipuler la foule. L'attitude et les paroles de
l'orateur changent selon la situation et le destinataire. Autrement dit, le
locuteur construit son discours suivant les exigences et les priorités
de son auditoire. Dominique Maingueneau signale que « toute
énonciation, même produite sans la présence d'un
destinataire ou en présence d'un destinataire qui semble passif, est
prise dans une interactivité constitutive. Toute énonciation
suppose la présence d'une autre instance d'énonciation par
rapport à laquelle on construit son propre discours » (Maingueneau
2014 : 20). Donc le locuteur ne prend pas seulement la parole pour dire quelque
chose, mais pour chercher un certain effet, un résultat à la
suite de son énoncé. Le continu de son discours vise à
satisfaire les espérances des auditeurs. Ces derniers souhaitent que
l'énonciateur leur propose des alternatives et des projets assurant une
meilleure vie et un meilleur avenir.
Selon D. Maingueneau, « le discours se définit par
la présence d'un sujet. Autrement dit, le discours n'est discours que
s'il est rapporté à un sujet, un JE, qui à la fois se pose
comme source des repérages personnels, temporels, spatiaux
(JE-ICI-MAINTENANT) et indique quelle attitude il adopte à
l'égard de ce qu'il dit » (Maingueneau 2014 : 21). Pour pouvoir
illustrer la définition de D. Maingueneau, nous prenons comme exemple
une partie du début du premier discours officiel de Manuel Valls en
qualité de Premier ministre.
10
Exemple 1 « Et c'est conscient de la
responsabilité que m'a confiée le Chef de l'Etat que je me
présente devant vous, pour ouvrir une nouvelle étape du
quinquennat. Je veux rendre, ici, hommage à Jean-Marc Ayrault. Il a agi
avec droiture, sens de l'Etat, pendant vingt-deux mois. J'ai été
fier d'être son ministre de l'Intérieur, comme socialiste, comme
républicain et comme patriote ».
Cet exemple nous montre qu'il s'agit d'une
mini-présentation de JE, de celui qui parle. Depuis peu nommé
Premier ministre de France, Manuel Valls tient ce discours le 08 avril 2014
à l'Assemblée nationale. Il est question d'un JE qui
possède un sens de l'initiative et de la responsabilité. Un JE
qui réalise l'importance et le sérieux des fonctions qui lui sont
attribuées, et qui assume pleinement son nouveau poste - Chef du
gouvernement. Un JE qui aimerait tourner la page et mettre le début
d'une nouvelle étape dans l'histoire politique de la France. Un JE qui a
la volonté d'exprimer sa reconnaissance envers son
prédécesseur - l'ex- Premier ministre, et d'affirmer que ce
dernier a accompli ses missions et engagements en faveur de l'Etat. Un JE qui
tient à préciser où se trouve au moment de la
prononciation de sa déclaration, mais également la période
exacte du poste occupé par Jean-Marc Ayrault. Le locuteur exprime son
plaisir et son honneur d'avoir eu la possibilité d'appartenir au
gouvernement de l'ex-Premier ministre. Nous constatons l'opposition entre
maintenant et avant, le présent et le passé, Premier ministre et
ministre de l'Intérieur, un JE actuel et un JE du passé
récent. Ce dernier JE se revendique devant son destinataire comme
socialiste, républicain et patriote. Socialiste parce qu'il a choisi de
défendre les intérêts et l'idéologie de ce parti
politique de gauche, républicain parce qu'il est attaché aux
principes de la république, patriote parce qu'il aime sa patrie et le
prouve par ses actes.
Le discours politique est une arme efficace et
stratégique pour ceux qui savent comment s'en servir. Grâce
à ses discours, l'homme politique peut gagner la confiance du public,
augmenter sa popularité mais aussi le nombre des adhérents du
parti qu'il représente. L'auditoire reste satisfait et applaudit celui
qui déclare explicitement son ambition et sa volonté de
réformes au nom du peuple. Celui-ci est particulièrement sensible
quant aux propos visant son avenir et ses préoccupations. Par ailleurs
le discours s'avère une arme à double tranchant car l'auditoire
peut à tout moment se retourner contre l'orateur. Donc ce dernier doit
bien choisir les paroles et les arguments dont il s'en sert puisque la limite
entre adhérents et opposants est très étroite. Nous
pouvons affirmer que la notion de discours a un rôle fondamental dans
l'espace politique.
1.2 L'ethos comme image de soi
1.2.1 Ethos préalable et ethos discursif
La question de l'ethos vient de l'Antiquité et Aristote
nous propose une répartition entre les trois axes de l'art oratoire : le
logos d'un côté qui représente ce qui dans le langage a
trait à convaincre, l'ethos et le pathos de l'autre représentant
le côté émotif et permettant d'émouvoir. Le pathos
est tourné vers l'auditoire tandis que l'ethos est tourné vers
l'orateur. L'ethos aide l'orateur apparaître digne, se montrer
crédible en faisant preuve de pondération, de
sincérité et d'amabilité. De nos jours deux domaines
traitent la question d'ethos et ses particularités, respectivement la
sociologie et le domaine des études de discours. A travers la
manière dont le locuteur s'exprime, le destinataire se construit une
image de lui, respectivement positive ou négative. L'ethos
s'avère un élément fondamental dans la construction de
l'image de soi, et il s'associe
11
12
principalement au discours. L'ethos désigne la position
et le statut du locuteur dans la société en s'appuyant sur ses
capacités oratoires, son comportement et ses convictions. Dans le
discours politique, par exemple, le candidat d'un parti peut parler à
ses électeurs en homme du peuple, en homme d'expérience, en
technocrate etc. Dominique Maingueneau relie l'ethos à la notion de ton,
qui relaie celle de voix dans la mesure où elle renvoie aussi bien
à l'écrit qu'au parlé. Le ton s'appuie à son tour
sur une double figure de l'énonciateur, celle d'un caractère et
d'une corporalité.
Dans son livre Le discours politique, Patrick
Charaudeau nous fait réfléchir sur deux questions cruciales
concernant la notion d'ethos : 1) l'ethos en tant que construction de l'image
de soi s'attache-t-il à la personne réelle qui parle (le
locuteur) ou à la personne en tant qu'elle parle (l'énonciateur)
? 2) Est-ce qu'il s'agit uniquement d'une image de soi individuelle ou
également d'une image collective ? Dominique Maingueneau affirme que
l'ethos est attaché à l'exercice de la parole, au rôle qui
correspond à son discours, et non à l'individu « réel
», appréhendé indépendamment de sa prestation
oratoire. Par ailleurs P. Charaudeau signale que pour traiter l'ethos il faut
prendre en considération deux aspects : le locuteur est un être de
discours construit mais également un être social empirique. Il
faut savoir que l'ethos n'est jamais que l'image dont l'affuble
l'interlocuteur, à partir de ce qu'il dit. L'ethos représente un
ensemble de regards : regard de l'autre sur celui qui parle, regard de celui
qui parle sur la façon dont il pense que l'autre le voit. Autrement dit
l'interlocuteur ou l'auditoire pour construire l'image du sujet parlant,
s'appuient à la fois sur des données préexistantes au
discours - ce qu'ils savent déjà du locuteur et sur celles
apportées par l'acte de langage lui-même. Nous pouvons affirmer
que le sujet parlant possède une double identité. D'abord son
identité sociale de locuteur qui lui permet de s'exprimer et qui fonde
sa légitimité d'être communicant. Il obtient un statut et
un rôle par le biais de la situation de communication. Mais
13
aussi le sujet se construit une figure de sujet qui
énonce, une identité discursive d'énonciateur qui tient
aux rôles qu'il s'attribue dans son acte d'énonciation. Donc le
sens que véhiculent nos paroles dépend à la fois de ce que
nous sommes et de ce que nous disons. Le constat est que l'identité
discursive et l'identité sociale sont réunies et fonctionnent
ensemble dans l'ethos. Cela ne veut pas dire que le sujet parlant ignore la
possibilité de jouer entre son identité discursive et son
identité sociale se trouvant cachée derrière. Il faut
souligner le fait qu'une grande partie de l'ethos n'est pas consciente donc le
locuteur peut construire un ethos qu'il n'a pas voulu. C'est-à-dire que
le sujet parlant peut avoir des regrets concernant les propos qu'il a
prononcés et le comportement qu'il a eu lors de son discours.
1.2.2 Double identité
Manuel Valls, notre sujet d'étude, possède une
double identité - sociale et discursive. En sachant qu'ethos signifie
traits de caractère, moeurs et habitudes, nous nous sommes posé
la question qui est Manuel Valls en réalité ? Il est un homme
politique, membre du parti socialiste, ex-ministre de l'Intérieur et
actuel Premier ministre. Nous sommes allés plus loin dans nos recherches
pour pouvoir analyser ce personnage public. Il est d'origine espagnole, obtient
la nationalité française à 19 ans, cependant s'engage au
parti socialiste à 17 ans. Donc il s'agit d'un jeune homme ambitieux qui
a souhaité avoir une position dans la société. Il a choisi
la voie de la politique pour avoir la possibilité de devenir un jour une
personne considérable. Ce qui nous surprend, c'est sa volonté et
sa soif de gloire. Sa passion et son idée fixe de monter dans
l'échelle sociale sont remarquables. D'abord chargé de
communication, il devient ensuite membre du bureau national et du conseil
national. Ce poste lui permet de mettre en valeur ses qualités à
tel point qu'il gagne les élections municipales
14
et devient maire d'Evry. Nous pouvons considérer que
c'est un succès politique car il a gagné la confiance de la
majorité des habitants d'Evry. Mais il ne compte pas s'arrêter
là parce que les postes supérieurs attirent son attention. Ainsi
en 2012, il est nommé ministre de l'Intérieur - poste prestigieux
étant à la hauteur de ses exigences. Il fait preuve de
responsabilité et de diplomatie dans ses actions et sa montée en
grade ne tarde pas à se réaliser- il devient Chef du
gouvernement. Le déroulement de la carrière de cet homme
politique fascine ses électeurs. Après avoir
présenté les grands événements de son chemin
professionnel, nous nous sommes interrogés sur les traits personnels de
son caractère grâce auxquels il a réalisé des «
exploits » politiques.
Pour R. Amossy, « au moment de prendre la parole,
l'orateur se fait une idée de son auditoire et de la façon dont
cet auditoire le perçoit. Il en évalue l'impact sur son propos
actuel et travaille à confirmer son image, à la retravailler ou
à la transformer pour produire une impression conforme aux exigences de
son projet argumentatif. D. Maingueneau, cité par R. Amossy, affirme que
dans le discours politique les énonciateurs dits
médiatisés sont associés à un ethos que chaque
énonciation peut confirmer ou infirmer » (Amossy 1999 : 134).
Prenons comme exemple un extrait de la déclaration de Manuel Valls et
essayons d'analyser le sens et le message de ses propos.
Exemple 2 « Je pense à la
réforme pénale, dont le but, je le rappelle, est de lutter contre
la récidive. Je pense à la famille, sujet sur lequel nous devons
continuer à légiférer dans le seul intérêt de
l'enfant. Je pense à la politique d'immigration et d'asile : deux
projets de loi vous seront bientôt soumis. Je pense aussi à la fin
de vie pour laquelle un consensus peut être trouvé dans le
15
prolongement de la loi Leonetti. Il faut croire en
nous-mêmes et en notre jeunesse »2.
Nous constatons que le « Je » discursif est
utilisé à quatre reprises pour exprimer et mettre en
lumière les convictions du locuteur. Ce dernier se sert du verbe «
penser » pour déclarer à son auditoire (destinataire)
l'importance des sujets qu'il aborde suivant un ordre cohérent.
L'énonciateur se montre sensible aux points relatifs à la
réforme pénale, la famille, la politique d'immigration et d'asile
et à la fin de vie. Il annonce à son auditoire qu'il s'agit d'un
but précis, d'un rappel donc il met l'accent sur le sujet en question en
suggérant qu'il faut être attentif et concentré pour ne pas
commettre la même faute une nouvelle fois. Le sujet d'énonciation
propose ses conseils, tenant compte du poste qu'il occupe au sein de l'Etat,
mais également des exigences et des attentes de l'auditoire. Il montre
qu'il n'a pas peur de l'action, bien au contraire, selon lui « lutter
» et « défendre » sont les clefs d'un résultat
positif. Quelqu'un qui évoque le terme « réforme »,
c'est quelqu'un qui aimerait effectuer des changements considérables
visant une meilleure vie. Le sujet parlant exprime son respect envers le culte
de famille. A travers son discours, il fait comprendre que l'une des
priorités du gouvernement est d'assurer un bon avenir aux enfants.
Ceux-ci sont considérés comme la génération qui va
mettre les choses en ordre. Défendre les intérêts de
l'enfant signifie travailler au nom d'une société qui aimerait se
développer et pour ce faire, investir dans la jeunesse s'avère
une bonne méthode politique. Le locuteur aborde ensuite un sujet
problématique pour le pays et notamment les effets et les
conséquences de l'immigration incontrôlée. Il prend la
responsabilité de proposer aux Français deux projets de loi
traitant la question et analysant ses particularités. Le sujet parlant
se rend bien compte de la gravité de ce problème demandant un
haut niveau d'attention de la part du service concerné. En
prononçant cette phrase,
2 Déclaration de politique
générale du Premier ministre M. Manuel Valls, à
l'Assemblée nationale le 8 avril 2014
16
le locuteur fait comprendre à son auditoire qu'il est
au courant du nombre très élevé d'immigrés en
France, et que les Français souffrent à cause de cette
disproportion. Après avoir évoqué la question de l'enfance
et de la jeunesse, le sujet parlant aborde celle de la fin de vie parce qu'il
est nécessaire de connaître les droits du patient. Notre exemple
se termine par une phrase positive, cette fois-ci nous constatons la
présence du pronom personnel « nous » qui désigne les
Français et le sujet parlant. Celui-ci s'exprime de la part de ses
compatriotes en affirmant que seulement le peuple qui croit en ses propres
capacités et en sa jeunesse, se sent fort et confiant. « Ce que
l'orateur prétend être, il le donne à entendre et à
voir : il ne dit pas qu'il est simple ou honnête, il le montre à
sa manière de s'exprimer. L'ethos est ainsi attaché à
l'exercice de la parole, au rôle qui correspond à son discours, et
non à l'individu « réel », indépendamment de sa
prestation oratoire : c'est donc le sujet d'énonciation en tant qu'il
est en train d'énoncer qui est ici en jeu » (Maingueneau 1993 : 138
; cité par Eggs 1999 : 33). Et notamment dans notre exemple, le sujet
d'énonciation aborde quatre questions d'actualité pour
déclarer à l'auditoire qu'il n'est pas indifférent envers
les préoccupations du peuple. Cet ethos discursif montre l'image d'une
personne optimiste qui travaille en faveur de ses compatriotes et qui propose
des solutions à leurs difficultés.
En ayant pris connaissance de l'art oratoire et ses
particularités, dans notre deuxième chapitre nous proposons une
analyse détaillée à l'égard de l'ethos et
l'identité verbale. Il est question de plusieurs types d'ethos se
caractérisant par des traits personnels et individuels. Donc le locuteur
ou encore notre sujet d'étude est confronté à des
situations où il doit mettre en jeu ses talents d'orateur afin de
prouver qu'il maîtrise les secrets de l'art oratoire, tels que le
charisme, les regards, le sourire, les gestes, le contenu etc. Nous nous
focalisons surtout sur le contenu de ses interventions orales.
17
CHAPITRE 2 : Ethos et identité verbale
2.1 Les ethos d'identification
Selon P. Charaudeau, l'ethos politique est le résultat
d'une alchimie complexe faite de traits de caractères personnels, de
corporalité, de comportements, de déclarations verbales, y
compris les attentes des citoyens. Dans le discours politique, les figures
d'ethos sont à la fois tournées vers soi-même, vers le
citoyen et vers les valeurs de référence. Les images des ethos
d'identification sont liées à l'affect social,
c'est-à-dire que le citoyen fond son identité dans celle de
l'homme politique. Nous devons préciser que ces images sont
destinées à intriguer et émotionner la majorité du
grand public. Par exemple les hommes politiques jouent sur des images
d'eux-mêmes renvoyant tantôt à la vie politique (en tant que
personnage), tantôt à la vie privée (en tant que personne),
les images de l'une confortant celles de l'autre. La théorie de P.
Charaudeau nous fait comprendre qu'il existe bel et bien des images davantage
orientées vers le soi-même, car elles définissent les
hommes politiques en tant que personne : l'ethos de « puissance » et
l'ethos de « caractère ». D'autres sont davantage
orientées vers le citoyen car sont basées sur la relation entre
soi et l'autre : l'ethos de « chef ». Notre démonstration
tient compte de trois ethos, qui se manifestent à travers diverses
figures, exerçant une fonction majeure dans les discours de Manuel
Valls. Par le biais de ses propos, ce dernier nous fait découvrir un
ensemble de traits humains et en les analysant attentivement, nous parvenons
à identifier cette personne de la scène politique.
18
2.1.1 L'ethos de « puissance »
L'ethos de « puissance » est vu comme une
énergie physique qui anime et propulse le corps dans l'action. Il nous
renvoie l'image d'une force naturelle, force tellurique contre laquelle nous ne
pouvons pas grand-chose. Nous devons clarifier que le pouvoir appartient
à un groupe tandis que la puissance est strictement relative à
l'individu. Autrement dit, actuellement le parti socialiste est au pouvoir mais
paradoxalement la figure forte ayant pu gagner la confiance et la sympathie des
électeurs s'appelle Manuel Valls et non pas François Hollande- le
chef de l'Etat. Selon un sondage Opinion Way pour Le Figaro
et LCI, apparu en juin 2015, 42% des sympathisants socialistes
préfèrent Manuel Valls comme candidat pour l'élection
présidentielle en 2017, contre 27% pour François Hollande. Ces
résultats confirment que l'ethos de puissance peut s'exprimer à
travers une figure de virilité sexuelle, pas toujours explicitement
déclarée. Cet ethos se caractérise par la
réalisation des exploits physiques personnels, l'organisation des
meetings avec des mises en scène glorifiant la force, l'image de
quelqu'un de fort en gueule par la voix et le verbe. Parfois la personne est
prête à exercer une violence verbale (insultes, menaces)
vis-à-vis des adversaires politiques.
Exemple 3 « Nous allons entretenir,
je l'espère, comme un feu ardent, cet état d'esprit et nous
appuyer sur la force de son message d'unité. Et en revendiquant
fièrement ce que nous sommes. En le faisant, en nous rappelant sans
cesse de nos héros, ceux qui sont tombés, ces 17, la semaine
dernière »3.
3 Séance spéciale d'hommage aux victimes
des attentats, Assemblée nationale - 13 janvier 2015
Nous avons choisi cet extrait parce qu'il a pour objectif de
mettre l'accent sur les propos positifs et encourageants du locuteur. Le pronom
personnel « nous » contient en soi le « je » d'un pouvoir
discursif. Autrement dit, tous les Français se trouvent dans une
situation complexe, mais le locuteur garde son sang-froid et annonce
publiquement son optimisme et sa détermination en répondant
présent à ces provocations terroristes. La comparaison «
comme un feu ardent » ne peut que confirmer la volonté du locuteur
d'affronter l'adversaire sans trembler ni hésiter. Le sujet parlant
stimule le changement de comportement de son peuple en affirmant que la force
et la puissance naissent grâce à l'unité de la nation.
Accepter et faire évoluer un état d'esprit de vainqueur, c'est le
message sublime que le locuteur transmet à ses compatriotes par le biais
de ses propos. Il signale à son peuple que la confiance en soi
désigne également l'identité, l'histoire et les traditions
du pays. Dans ce combat, les Français s'engagent à
démontrer au monde entier qui ils sont, quelles sont leurs causes et
pourquoi les autres doivent les respecter. L'objectif du locuteur est que ces
17 victimes, nommées héros, restent gravées pour toujours
dans la conscience de chacun. Le sujet parlant se rend compte que notamment
suite à des moments délicats, des pertes et des échecs, le
peuple change et devient plus fort et puissant.
2.1.2 L'ethos de « caractère »
L'ethos de « caractère » se définit
par la force de l'esprit, comme quand on dit à quelqu'un qu' « il a
du caractère ». Cet ethos peut apparaître à travers
diverses figures. La vitupération qui blâme, critique et s'indigne
en s'exprimant par « coups de gueule ». Il faut noter qu'ici, le coup
de gueule est maîtrisé, il témoigne d'une indignation
personnelle et provient d'un jugement de l'esprit qui a
19
20
besoin d'être exprimé avec force. Nous trouvons
cette figure chez certains hommes politiques de forte personnalité. Nous
constatons que pour pousser des coups de gueule - calculés - qui aient
un effet politique, il faut se trouver dans une position qui les justifie. P.
Charaudeau nous dit que ceux-ci sont toujours réactifs, sont des
réponses quasi immédiates aux déclarations,
décisions ou comportements de quelqu'un d'autre, la plupart du temps
adversaire. Cela peut être des membres de l'opposition face au
gouvernement, des ministres face aux déclarations de leurs opposants
(partis de l'opposition, syndicats, presse) etc. L'importance des opposants
justifie les répliques car il ne faut pas s'abaisser à riposter
vis-à-vis de ceux qui sont d'un rang inférieur.
Exemple 4 « Si en deux minutes il
fallait résumer l'outrance, la démagogie et le vrai visage de
l'extrême droite, vous venez de le démontrer parfaitement. [...]
Je ne veux pas que le 22 mars mon pays se réveille avec la gueule de
bois, [...] face à vous, face à vos candidats, ils sont des
dizaines à tenir des propos antisémites, racistes, homophobes,
sexistes [...] face à cela, madame, je mènerais une campagne,
toujours ! Il faut dire la vérité aux Français, vous les
trompez, vous trompez les petites gens, ceux qui souffrent ! [...] Il est temps
que dans ce pays il y a un débat, on déchire le voile, la
mascarade qui est la vôtre ! [...] Alors, madame, jusqu'au bout je
mènerai une campagne pour vous stigmatiser et pour vous dire que vous
n'êtes ni la République, ni la France !
»4.
Suite à l'intervention provocatrice de Marion
Maréchal Le Pen qui s'est permis de prononcer des propos tels que :
« Gardez donc votre mépris crétin pour votre propre
parti qui en moins de trois ans a oscillé entre phobie
4 Réponse à la question posée par
Mme Marion Maréchal-Le Pen, députée (FN), à
l'Assemblée nationale le 10 mars 2015
21
administrative, comptes en Suisse et prise illégale
d'intérêt », notre sujet d'étude, Manuel Valls,
s'est exprimé avec force en défendant les valeurs de son parti
politique et en mettant en évidence le vrai visage de son adversaire. Et
notamment il se sert d'ironie pour définir ce parti de l'opposition en
affirmant que l'extrême droite s'appuie sur l'excès pour pouvoir
flatter une assemblée de personnes afin de gagner leur adhésion
ou augmenter sa popularité. L'orateur porte son regard vers l'avenir et
signale que son pays peut avoir une mauvaise surprise venant du camp adverse.
Et pour que son message puisse être entendu et compris, l'orateur
n'hésite pas à donner des qualifications à l'égard
des propos des candidats de l'opposition. Pour lui, ceux-ci représentent
un vrai danger pour le pays, car ces gens ne savent pas où
s'arrêter quant à leurs attaques verbales adressées au
gouvernement. Le sujet parlant annonce clairement son désaccord
concernant l'arrivée de l'opposition au pouvoir, puisque d'après
lui c'est la pire chose que puisse arriver à la France. Donc il prend la
responsabilité de mener une campagne jusqu'au bout et d'expliquer aux
électeurs qu'ils doivent être particulièrement raisonnables
lors des élections. Effectivement, il s'agit d'un jeu de masques et
l'émetteur dénonce ce comportement malhonnête et indigne
d'un parti politique. Dissimuler la vérité et tromper les gens
afin de tirer profit à titre personnel, cette attitude est l'origine des
coups de gueule de l'énonciateur. Ce dernier déclare publiquement
que le moment est venu et qu'il ne faut plus jeter de la poudre aux yeux des
gens. Il propose que tout le monde mette les cartes sur table afin de donner
lieu à un vrai débat ayant comme sujet l'avenir et la
prospérité de la France. Le locuteur condamne avec force les
propos et les actions des représentants de l'extrême droite. Et
face à cela, il répond présent en rappelant à ses
adversaires que leur parti politique n'est pas la France.
22
La provocation et la
polémique sont des traits caractéristiques de cet
ethos. La provocation est faite de déclarations qui ont pour but
exclusif de faire réagir quelqu'un. Pour qu'une provocation soit
efficace, il faut qu'elle paraisse sincère et qu'elle reflète la
pensée du locuteur. La polémique apparaît surtout dans les
débats, car les débatteurs, étant des adversaires, se
trouvent en situation réactive les uns par rapport aux autres, chacun
contredisant les arguments de son adversaire. Cette contradiction porte surtout
sur la mise en accusation de la personne elle-même, quant à sa
moralité, son caractère ou son comportement. Il faut faire
attention à une telle stratégie car la polémique peut se
retourner contre son auteur.
Exemple 5 « Monsieur le
député, avec un peu de recul et d'expérience, il y a
quelque chose que je me suis dit ces derniers temps, notamment en vous
écoutant : je sais que je ne parlerai jamais ainsi de mon propre pays.
Jamais ! »5.
Il s'agit d'une réponse provocatrice de la part du
locuteur qui se permet de juger et même d'accuser le député
d'avoir mal parlé à propos de son pays. Le sujet parlant a pris
de la distance et du temps pour pouvoir bien qualifier et analyser les propos
du député. Cette provocation semble réelle, le locuteur
est plutôt sincère en prononçant cet énoncé,
parce qu'il s'exprime en se basant sur son expérience professionnelle.
Et si nous allons plus loin dans nos raisonnements, nous constatons la
présence d'une légère nuance de sarcasme.
C'est-à-dire que le locuteur a attentivement écouté les
discours récents du député et il est resté à
la fois impressionné et choqué par une « chose ». La
question que le
5 Réponse à la question posée par
M. Philippe Gosselin, député (UMP) de la Manche, à
l'Assemblée nationale le 7 octobre 2014
23
locuteur se pose, c'est : « Comment est-il possible
d'avoir le statut de député de France et d'utiliser un
vocabulaire qui n'est pas digne d'une personne publique ? ». Le sujet
parlant se montre ferme concernant la manière dont un homme politique
doit respecter lors d'un discours visant la France. Le bilan est que le
locuteur met son propre pays sur un piédestal, tandis que son opposant
fait preuve d'irrévérence.
L'ethos de « caractère » se manifeste
également par la figure de courage et
la figure de l'orgueil. La figure de courage
laisse entendre au citoyen que l'homme politique qui en est doté
saura affronter l'adversité sans faiblir, et sans céder à
la démagogie. La démocratie souhaite que les dirigeants
répondent aux exigences et aux aspirations du peuple en oubliant ou
négligeant leur ambition personnelle. Cependant nous savons qu'il n'est
de meilleur chef que celui qui est animé par l'ambition de
réaliser un grand projet. Donc la figure de l'orgueil est
nécessaire à l'homme politique parce qu'elle garantirait son
désir de défendre les valeurs et l'intégralité
identitaire de son peuple, jusqu'au sacrifice. Le côté
négatif de cette figure est qu'elle conduit celui qui en est pourvu
à se comporter de façon impitoyable, voire cruelle.
Exemple 6 « Et je comprends les
impatiences, les doutes, les colères. Ils sont légitimes quand le
chômage atteint des niveaux aussi élevés, et depuis si
longtemps. Mais face à cela, quelle attitude faut-il adopter ? La
fébrilité ? Le virage ? Le zigzag ? Le renoncement ? Non !
Gouverner, c'est résister. Gouverner, c'est tenir. Gouverner, c'est
réformer. Gouverner, c'est dire la vérité. Gouverner,
c'est aller chercher la confiance surtout quand c'est difficile...
»6.
6 Déclaration de politique
générale du Premier ministre, M. Manuel Valls, à
l'Assemblée nationale le 16 septembre 2014
24
Le locuteur prononce ces propos dans un moment difficile que
la France et son peuple traversent. Le sujet parlant exprime sa bienveillance
en se mettant d'accord avec l'opinion commune. Il se met à la place des
citoyens et comprend l'origine de leurs réactions négatives, et
notamment le manque de résultats. L'orateur assume complètement
ses responsabilités et a le courage d'affirmer que le gouvernement ne
doit pas adopter une attitude de vaincu. Bien au contraire, il doit essayer de
revaloriser les aspirations du peuple, redonner confiance et recréer du
lien social. L'émetteur, en tant que Chef du gouvernement, annonce
courageusement à haute voix sa réponse. Il déclare
publiquement que les difficultés existent pour être
surmontées et que les réformes sont faites pour être
appliquées. Donc le locuteur a la motivation et l'ambition de changer
les choses en faveur du peuple. Surtout quand c'est difficile, les dirigeants
de la France doivent faire preuve de diligence et d'affronter les défis
du long terme.
La figure de fierté - l'ethos
de caractère fort se caractérise par une attitude de
revendication de l'action accomplie, en faisant preuve de fermeté
énergique (qui n'est ni l'énervement, ni l'agressivité) et
même de dureté inébranlable, toutes choses qui seraient le
propre des grands hommes politiques.
Exemple 7« Questionner,
débattre, porter la contradiction, tout cela est légitime. Le
dialogue c'est la démocratie. Et moi, je veux dire à la
majorité que ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui nous
distingue. C'est une gauche moderne, qui a le courage de gouverner, le courage
de réformer. Soyons en fiers ! Et je veux dire, aussi, à
l'opposition que je considère l'écoute et le respect comme des
principes fondamentaux pour l'accomplissement de notre mission
»7.
7 Déclaration de politique
générale du Premier ministre, M. Manuel Valls, à
l'Assemblée
25
En tant que Chef du gouvernement, le locuteur exprime son
point de vue à l'égard de la démocratie et ses principes.
Le sujet parlant déclare que le débat et le dialogue social font
partie de ce régime politique dans lequel le peuple a le pouvoir.
Premièrement, l'orateur s'adresse aux socialistes pour leur rappeler que
l'idéal commun a plus de valeur et d'importance que les
préférences individuelles de chacun d'eux. Autrement dit, les
valeurs de la république et le drapeau tricolore unissent cette
assemblée des personnes ayant comme mission la réussite et
l'avenir de la France. Le locuteur se sent fier d'annoncer que son parti
politique n'a pas peur de prendre des risques, essayer de changer les choses et
affronter les difficultés quotidiennes. Le sujet parlant fait ce constat
pour revendiquer que les gouvernants ont le sens des responsabilités, et
être au service des autres, fait partie de leurs priorités.
Deuxièmement, l'orateur s'adresse à l'opposition pour
énoncer ses attentes concernant l'attitude et le comportement des
membres du camp adverse. Il existe un minimum de considération et
politesse qui doit être respecté par tous les
députés, peu importe leurs convictions politiques, afin que la
mission du gouvernement soit accomplie.
2.1.3 L'ethos de « chef »
L'ethos de « chef » se manifeste à travers
diverses figures, de guide, de souverain, de
commandeur. Au centre de la figure du chef-souverain est
placée la souveraineté. Celle-ci est ce qui fonde la
légitimité de l'homme politique. Il s'agit ici de voir comment
l'homme politique peut se construire un ethos qui lui fait prendre une position
de garant des valeurs et va jusqu'à le faire se confondre avec ces
valeurs. Il peut le faire de différentes façons. D'une part,
en
nationale le 16 septembre 2014
26
annonçant ses propres valeurs, de façon à
s'incarner dans celles-ci : parler de la démocratie, de la
souveraineté du peuple, de l'identité nationale du peuple, de ce
que doivent être les grands axes d'un projet politique, en
célébrant le peuple, le pays, le régime institutionnel.
D'autre part l'homme politique s'engage à se tenir à distance et
ne pas répondre à des provocations de la part de ses adversaires.
Il ne doit pas s'abaisser au niveau des inférieurs, ne pas prendre des
risques inutiles, et s'élever au-dessus de tout ce qui pourrait
apparaître comme des conflits stériles.
Exemple 8 « Je sollicite votre
confiance afin de poursuivre notre politique économique. Je sollicite
votre confiance car la politique de mon gouvernement est guidée par les
valeurs de la République, des valeurs chères à la gauche -
la Nation, le principe d'égalité et de justice - qui s'adressent
à tous les Français »8.
Le locuteur exprime son souhait et sa volonté en
précisant qu'il aimerait que son auditoire ne soit pas sceptique
à l'égard de la situation politique et économique dans le
pays. En sa qualité de Chef du gouvernement, il sent la
nécessité de parler ouvertement afin de gagner l'empathie du
public pour mieux gérer ses responsabilités professionnelles. Le
sujet parlant se revendique défenseur des valeurs républicaines
en assurant que celles-ci tiennent à coeur son gouvernement. En
l'occurrence, il s'agit d'une confirmation concernant la
légitimité et l'équité de l'homme politique. Ce
dernier éblouit l'auditoire par son discours car il se
révèle altruiste et mené par un sentiment national et
patriotique s'exprimant sous forme d'actes politiques. Pour le locuteur, les
principes et la devise de la France représentent un critère
élevé et il doit être à
8 Ibid. 16 septembre 2014
27
la hauteur des exigences du peuple. Le sujet parlant occupe
une position clé et il a la possibilité de faire progresser le
pays en luttant contre les inégalités et les points faibles
dévalorisant l'image de la République.
La figure de commandeur s'associe
à l'image du chef de guerre, de celui qui peut être amené
à déclarer des guerres à ses frontières, faire des
déclarations guerrières contre des ennemis proches ou lointains.
Le commandeur doit avoir une vision claire de ce qui fait la différence
entre le bien et le mal, et en conséquence, se disant
éclairé par une force surnaturelle, il indique la voie qu'il faut
suivre pour combattre les forces du mal.
Exemple 9 « Il faut toujours dire
les choses clairement : oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le
djihadisme et l'islamisme radical. La France n'est pas en guerre contre une
religion. La France n'est pas en guerre contre l'islam et les Musulmans. La
France protégera, et le président de la République l'a
également rappelé ce matin, la France protégera, comme
elle l'a toujours fait, tous ses concitoyens, ceux qui croient comme ceux qui
ne croient pas. Avec détermination, avec sang-froid, la
République va apporter la plus forte des réponses au terrorisme,
la fermeté implacable dans le respect de ce que nous sommes, un Etat de
droit »9.
Dans cette situation atroce pour le pays et ses citoyens, le
locuteur déclare explicitement et bravement que la France est en guerre.
Il tient à préciser qui est l'adversaire que le pays doit
affronter et signale que le peuple français ne doit pas confondre un
mouvement islamiste avec toute une religion. Le sujet parlant affirme
publiquement sa position en effectuant une distinction entre le
9 op. cit. 13 janvier 2015
28
bien et le mal. A deux reprises il utilise le verbe «
protéger » pour rassurer le peuple que le gouvernement fera le
nécessaire afin de garantir la sécurité de tout le monde.
En outre, le locuteur souligne que la République est prête
à répondre à cette provocation, à cette attaque
personnelle visant la liberté d'expression et les droits de l'homme. Il
est question de garder l'honneur et la dignité de la France car ses
citoyens méritent d'être respectés par les autres. Donc le
sujet d'énonciation n'épargne d'énergie et de forces dans
ce combat où son pays était gravement blessé dans le coeur
et notamment l'ennemi a rudement attaqué ses valeurs et ses principes.
Le locuteur nous indique qu'il arrive à maîtriser ses
émotions dans cette situation délicate et qu'il compte sur les
forces de l'ordre pour guerroyer contre les forces du mal.
2.2 Les ethos de crédibilité
Selon P. Charaudeau, la crédibilité n'est pas
une qualité attachée à l'identité sociale du sujet
mais le résultat d'une construction opérée par le sujet
parlant de son identité discursive de telle sorte que les autres soient
conduits à le juger digne de crédit. L'homme politique doit
tenter de trouver la solution à la question : comment faire pour gagner
la confiance ? Et pour cela doit fabriquer de lui-même une image qui
correspond à cette qualité. En nous appuyant sur trois conditions
essentielles, nous avons la possibilité de juger la
crédibilité du sujet parlant. D'abord il faut vérifier si
ce qu'il dit correspond toujours à ce qu'il pense (condition de
sincérité ou de transparence), puis s'il a les moyens de mettre
en application ce qu'il annonce ou promet (condition de performance), et enfin
si ce qu'il annonce et met en application est suivi d'effet (condition
d'efficacité). Il faut préciser que ces types de condition
varient selon l'enjeu de
chaque situation de communication. A titre d'exemple, dans le
discours publicitaire, le sujet annonceur n'a point besoin de se montrer
crédible. Son objectif est de déclencher chez le consommateur
potentiel un désir de croire, celui-ci n'a pas besoin que la promesse se
réalise, il suffit qu'elle le fasse rêver. Nous pouvons
définir la crédibilité comme une capacité mettant
en évidence notre pouvoir de faire et se montrer crédible, il
s'agit de prouver que nous possédons ce pouvoir.
Suite à cette définition établie, nous
nous apercevons que dans le discours politique, la crédibilité
est fondamentale puisque l'enjeu consiste à tenter de persuader un
certain public que nous avons un certain pouvoir. Cependant, cette
crédibilité est assez complexe car il existe trois
critères, portant sur la vérification et le jugement, auxquels
elle doit être capable de répondre : condition de
sincérité qui oblige à dire la vérité ;
condition de performance qui oblige à mettre en oeuvre ce que le sujet
parlant promet ; condition d'efficacité qui doit prouver que le sujet a
les moyens d'appliquer ce qu'il promet et que les résultats sont
positifs. Pour répondre à ces conditions, l'homme politique se
sent obligé de se construire des ethos de sérieux, de vertu et de
compétence.
2.2.1 L'ethos de « sérieux »
Pour P. Charaudeau, l'ethos de « sérieux »
dépend évidemment des représentations que, dans chaque
groupe social, nous avons de ce qui est considéré comme
sérieux ou non. Il se construit à l'aide de divers indices et
notamment des indices corporels et mimiques. Par exemple une certaine raideur
dans la tenue du corps, une expression rarement souriante du visage. Le sujet
de notre démonstration - Manuel Valls, sourit rarement, il s'agit de
quelqu'un qui voudrait s'imposer, nous pouvons même affirmer qu'il est
29
30
autoritaire. Lors de ses allocutions il prend toujours les
sujets au sérieux sans non plus sur-estimer leur importance. Il garde sa
tête haute, regarde tout droit et laisse une impression d'homme politique
qui aimerait être écouté et respecté par son
auditoire. Cet ethos se caractérise par des indices comportementaux
révélant de sang-froid face à l'adversité ; en
faisant preuve d'une grande énergie et capacité de travail, par
une omniprésence sur tous les fronts de la vie politique et sociale. Cet
ethos exige de ne pas se trouver dans des activités frivoles (choisir
bien les programmes de télévision), ne pas avoir l'air de
plaisanter constamment à propos de tout et de rien, ni prendre un ton
désinvolte dans les interviews, les rencontres de couloir, les
apartés extra-institutionnels. Des indices verbaux : un ton ferme et
mesuré, pas trop d'effets oratoires, d' « effets de manche »
qui souvent discréditent même s'ils suscitent l'admiration ; un
choix de mots simples, appropriés, et de constructions de phrases
simples ; un débit d'élocution empreint de
sérénité.
Exemple 10« La question s'adressant
très clairement à moi, je vais y répondre bien volontiers.
Je l'ai déjà dit, l'unité nationale ne doit pas
empêcher le débat et il est normal que vous me posiez toutes les
questions nécessaires pour que nous cherchions des solutions, avec
modestie toutefois car nous sommes face à des défis
considérables. C'est tout simplement ce que j'ai voulu dire
»10.
Nous constatons que le sujet parlant se sert d'un vocabulaire
simple et adapté à tous les publics. Dans cet exemple nous
retrouvons les trois critères faisant preuve d'une parfaite formulation
de réponse : brièveté, clarté et précision,
auxquels s'ajoute la simplicité. Le locuteur tient des propos
volontairement et en
10 Question au gouvernement posée par M.
Laurent Wauquiez, député (UMP) de Haute-Loire, à
l'Assemblée nationale le 21 janvier 2015
31
trois phrases il arrive à exprimer son point de vue
quant à la question posée par le député Laurent
Wauquiez.
P. Charaudeau précise que cet ethos se construit
également à l'aide de déclarations faites sur
soi-même, sur l'esprit qui anime l'homme politique. Il y a cependant une
limite à cette image de sérieux pour qu'elle ne soit pas
perçue de façon négative. La limite est celle de
l'austérité. Il ne faut pas que la personne sérieuse passe
pour une personne trop austère, car elle risquerait de perdre son
capital de sympathie auprès des électeurs. Il ne faut pas non
plus que le sérieux soit interprété comme une marque de
distance, ce qui donnerait l'image contre-productive pour un homme politique -
d'une personne hautaine, froide ou prétentieuse, restant avec des yeux
fermés face aux difficultés qu'éprouvent les citoyens dans
leur vie quotidienne. Il convient également que les propos tenus lors de
diverses déclarations ne contiennent pas de promesses ou des engagements
jugés difficilement réalisables.
Exemple 11« Le peuple
Français, une fois encore, a été à la hauteur de
son histoire. Mais, c'est aussi, pour nous tous sur ces bancs, vous l'avez dit,
un message de très grande responsabilité. Etre à la
hauteur de la situation est une exigence immense. Nous devons aux
Français d'être vigilants quant aux mots que nous employons et
à l'image que nous donnons»11.
Cet exemple met en évidence que le locuteur
déclare son engagement envers le peuple et qu'il n'est pas
indifférent vis-à-vis de l'opinion commune. Le sujet parlant
soigne son image et sa réputation, il ne peut se permettre d'avoir un
comportement ridicule. Donc il garde un air sérieux en sachant qu'il
existe une distance hiérarchique entre lui et les citoyens, et d'autre
part, par le biais de ses
11 op. cit. 13 janvier 2015
32
propos, il tente de leur faire comprendre que leurs
problèmes deviennent automatiquement ses problèmes.
2.2.2 L'ethos de « vertu »
L'ethos de « vertu » est utile et nécessaire
à l'homme politique parce que ce dernier, élu par le peuple, doit
donner un bon exemple à ses compatriotes. L'homme politique
possédant cet ethos prouve sa sincérité et sa
fidélité mais également dégage une image
d'honnêteté personnelle.
Exemple 12 « Je vous dois cette
vérité, et nous devons cette vérité aux
Français. Pour y faire face, partout sur le territoire, des militaires,
des gendarmes, des policiers sont mobilisés.»12
Le locuteur est conscient de l'importance de la situation.
Quelques jours après les attentats à Paris, les citoyens sont
toujours inquiets. Donc le sujet parlant fait preuve d'honnêteté
en révélant la vérité qui consiste dans le choix de
mesures adéquates et efficaces. En l'occurrence, cette
vérité est une forme de soulagement qui n'a pas de prix. En
sachant qu'il doit être un modèle pour son peuple, le locuteur
rassure ses compatriotes et leur annonce qu'ils peuvent se sentir
protégés car les forces de l'ordre assurent leur
sécurité. La fidélité à ses engagements se
définit par la réalisation de ses propres idées, la preuve
qu'il agit au nom de valeurs qui sont au fondement de son projet politique. Et
notamment ces valeurs ne sont ni discutables, ni négociables ; elles
sont une
12 Ibid.
33
source d'inspiration pour l'accomplissement de ses actes.
C'est laisser percevoir une certaine force de conviction. A ces images
vertueuses de fidélité et de courage du sujet politique s'ajoute
l'honnêteté personnelle. Selon P. Charaudeau, cette image -
à l'encontre de celle de l'esprit de ruse - renvoie à la droiture
et à la sincérité, elle est valable dans la vie publique
et privée. Autrement dit, il est question d'être transparent et de
dire ce que l'on pense. Cette honnêteté peut également
s'exprimer vis-à-vis des adversaires en termes de loyauté : celui
qui combat son opposant, en étant capable de reconnaître la
validité du jugement de l'autre, voire ses propres torts.
Exemple 13 « Mais quel
mépris, quelle manière de faire de la politique. Quelle
manière et quel type de langage vous utilisez. La manière dont
vous parlez. Jamais je n'oserai parler d'un responsable de l'opposition de
cette manière. Jamais ! »13.
Notre exemple nous propose une situation où le locuteur
(le Chef du gouvernement) défend un de ses ministres et estime qu'il est
inacceptable de s'adresser d'une telle manière au ministre en question.
Le sujet parlant est direct et dit ce qu'il pense ; il considère qu'il
est nécessaire d'avoir une dose de respect entre les membres de
différents partis politiques. Etre honnête et prendre toujours une
position concernant un débat ou une dispute, est une arme à
double tranchant car la partie adverse, et les opposants en
général, n'aiment pas entendre la vérité parce
qu'elle fait mal. Nous remarquons que celui qui possède cet ethos est
quelqu'un qui est prêt à tout au nom de ses
13 La réponse de Manuel Valls après les
propos de Christian Jacob sur Stéphane Le Foll, Assemblée
nationale - 22 juillet 2015
principes et qu'il préfère mourir que les
négliger. Cet ethos s'associe également à l'honneur du
locuteur et son besoin d'être loyal avec ses allocutaires.
Nous pouvons dire que l'ethos de « vertu »
s'accompagne d'une marque de respect vis-à-vis du citoyen : l'homme
politique se doit d'être transparent, franc et direct. L'objectif
principal du politicien est d'être compris par le grand public et non
seulement par une catégorie de spécialistes ou des gens
compétents dans un certain domaine. Autrement dit, il doit se servir de
propos simples et efficaces pour exprimer ses convictions.
2.2.3 L'ethos de « compétence »
L'ethos de « compétence » exige de quelqu'un
qu'il possède à la fois savoir et savoir-faire : il doit
connaître parfaitement le domaine particulier dans lequel il exerce son
activité, mais il doit également prouver qu'il a les moyens, le
pouvoir et l'expérience nécessaires pour réaliser
concrètement ses objectifs en obtenant des résultats positifs.
Donc les hommes politiques doivent révéler leurs
compétences quant à la vie politique et démontrer que
leurs méthodes sont efficaces. Il arrive parfois que ce soit l'homme
politique lui-même qui par ses déclarations mette en
évidence les caractéristiques de son parcours pour évoquer
cet ethos de compétence. Cela peut être un héritage, des
études, des fonctions exercées, son expérience de
l'âge ou celle acquise tout au long de sa carrière
professionnelle.
Exemple 14 « Je le dis modestement,
avec mon expérience, non pas de Premier ministre ou de ministre de
l'Intérieur, mais d'élu de la banlieue parisienne, de maire
d'Évry pendant onze ans : les mots que j'ai utilisés hier, en
34
35
parlant de processus de ségrégation, de
ghettoïsation, d'apartheid territorial, social, ethnique, pour un certain
nombre de quartiers, je les ai toujours employés car, comme d'autres,
ici, sur tous les bancs, j'ai vécu directement les situations qu'ils
désignent »14.
Au cours des années, le locuteur a prouvé ses
qualités et ainsi il a évolué progressivement dans sa
carrière professionnelle et politique. Le fait d'être maire
d'Évry pendant onze ans signifie que le sujet parlant possède des
compétences nécessaires pour réaliser des projets et
effectuer des changements dont le but est d'apporter des améliorations
et des résultats favorables. Ces deux mandats signifient
également que les électeurs sont plutôt satisfaits de ses
actes et décisions politiques à la tête de leur ville.
Ministre de l'Intérieur et Premier ministre sont deux postes demandant
plus de responsabilités et d'engagements envers, cette fois-ci, tout le
peuple français. Le locuteur lui-même met en lumière ses
connaissances acquises par la pratique, ainsi son niveau d'estime de soi est
élevé.
Les ethos de crédibilité sont un moyen pour
l'homme politique de montrer son vrai visage et de prouver qu'il se sent
capable d'obtenir un poste élevé demandant un grand nombre de
responsabilités et d'engagements vis-à-vis du peuple.
Dans le chapitre suivant, par le biais de ses propos nous
essayons de révéler le côté affectif du locuteur.
Pour ce faire, nous vous proposons une analyse de différents types de
déictiques et de subjectivèmes afin de mettre en évidence
des éléments particulièrement subjectifs.
14 op. cit. 21 janvier 2015
36
CHAPITRE 3. De la subjectivité dans le langage
3.1 Les déictiques
Catherine Kerbrat-Orecchioni nous propose une
définition pour mieux assimiler la fonction des déictiques : ce
sont les unités linguistiques dont le fonctionnement
sémantico-référentiel implique une prise en
considération de certains des éléments constitutifs de la
situation de communication :
- le rôle que tiennent dans le procès
d'énonciation les actants de l'énoncé
- la situation spatio-temporelle du locuteur, et
éventuellement de l'allocutaire (Orecchioni 2006 : 41).
Il s'avère nécessaire de préciser que le
référent d'une unité déictique est variable et ce
dernier varie selon la situation, contrairement au sens qui reste constant d'un
emploi à l'autre. Toute unité linguistique voit son
référent varier d'une énonciation à l'autre. Il
existe une différence fondamentale entre unités déictiques
et unités non déictiques. Ces dernières ont un denotatum
(classe d'objets que l'item est virtuellement susceptible de dénoter)
relativement stable. En revanche si les unités déictiques
reçoivent bien en discours un référent spécifique,
ne possèdent pas, en langue, de denotatum spécifiable.
C'est-à-dire que pour la plupart des unités lexicales, la
synonymie peut être définie soit en termes d'identité de
contenu sémantique, soit en termes d'identité d'extension. Cela
veut dire que deux mots ayant même sens possèdent en principe la
même classe de dénotés virtuels (le même denotatum)
et inversement. Sauf que pour les déictiques il ne s'agit pas de la
même règle, et il faut bien avoir en tête que
37
2 mots déictiques peuvent avoir la même extension
sans être pour autant synonymes. (Orecchioni 2006 : 42).
3.1.1 Les pronoms personnels
D'après C. Kerbrat-Orecchioni les pronoms personnels
sont les plus évidents, et les mieux connus, des déictiques. Nous
pouvons parler d'un contenu référentiel précis si le
récepteur tient compte de la situation de communication de telle
façon qu'elle soit :
- nécessaire et suffisante dans le cas de « je
» et de « tu » : ce sont de purs déictiques ;
- nécessaire mais non suffisante dans le cas de «
il(s) » et « elle(s) », qui sont à la fois
déictiques ( nous pouvons les nommer « indicateurs » car ils
indiquent notamment que la fonction de l'individu qu'ils dénotent se
différencie de celle d'un locuteur et d'un allocutaire) et
représentants (ils exigent un antécédent linguistique).
Le « nous » ne correspond jamais, sauf dans des
situations très marginales comme la récitation ou la
rédaction collectives, à un « je » pluriel. Son contenu
peut être défini ainsi : nous = je + tu et/ou il.
Nous pouvons distinguer 3 cas :
nous = je + non - je => Premier cas : je + tu
(singulier ou pluriel) : « nous inclusif » ; Deuxième cas
: je + il(s) : « nous exclusif » ; Troisième cas :
je + tu + il(s). Le « nous » inclusif est purement
déictique. En revanche, lorsqu'il comporte un élément de
troisième personne, le pronom doit être accompagné d'un
syntagme nominal fonctionnant comme un antécédent de
l'élément « il » inclus dans le « nous ».
vous = tu + tu et/ou il => Nous pouvons
distinguer 2 cas : 1) vous = tu + non - je => tu pluriel : déictique
pur ; 2) tu + il(s) = déictique + contextuel
Ce tableau met en lumière la différence entre
les pronoms personnels mais également celle entre locuteur - non
locuteur / allocutaire - non allocutaire. Nous constatons que le pronom
personnel « je » représente le locuteur, tandis que tous les
autres pronoms personnels représentent le non locuteur. Ce dernier est
divisé en 2 sous-catégories, incluant aussi le pronom personnel
« nous » mis à part. Première sous-catégorie -
c'est la personne qui fait partie du débat, de la discussion ou tout
simplement de la conversation. Donc logiquement nous trouvons ici les pronoms
personnels « tu » et « vous ». Pour l'instant nous avons
celui qui parle, celui avec qui il parle et il nous manque celui ou ceux/celles
qui écoute(nt) donc l'auditoire. Ce dernier est composé d'un
pronom à la 3ème personne du singulier ou du pluriel. Le pronom
personnel « vous », en tant que formule d'appel et de politesse,
représente l'allocutaire et le non allocutaire.
C. Kerbrat-Orecchioni déclare que comme les autres
formes verbales les pronoms personnels réfèrent à des
objets extralinguistiques et non à leur propre énonciation. Les
déictiques réfèrent à des objets dont la nature
38
39
particulière ne se détermine qu'à
l'intérieur de l'instance particulière de discours qui les
contient.
Exemple 15 « Je
salue bien sûr tous les députés qui ont
contribué aux travaux en commission. Avec la ministre du travail, Myriam
El Khomri, dont je veux saluer une fois de plus l'engagement
et l'opiniâtreté, nous nous sommes battus pour
convaincre. Je sais que la très grande majorité
du groupe socialiste est convaincue, grâce notamment au travail
formidable du rapporteur, Christophe Sirugue. Cette recherche permanente de
compromis a toujours été l'attitude du Gouvernement. C'est
pourquoi le texte sur lequel il engage sa
responsabilité intègre 469 amendements, pour une très
large majorité issus de ce travail collectif. »15
Dans cet exemple nous repérons la présence de
trois pronoms personnels : je, il et
nous. Le « je » représente le locuteur, en
l'occurence le Premier ministre et le Chef du gouvernement, donc Manuel Valls.
Ce dernier s'exprime au sujet du projet de loi Travail et de l'application de
l'article 49.3 de la Constitution. Il s'agit d'un « je » affirmatif
qui d'abord tient à saluer l'action et le choix des
députés en question, et puis il salue de nouveau la ministre du
travail. Le premier « je » est suivi du verbe saluer, et
dans ce cas en utilisant ce verbe le locuteur adresse ses compliments aux
hommes politiques concernés. Donc il s'agit d'une marque de respect et
de reconnaissance. Le deuxième « je » est suivi d'un verbe
modal, vouloir, et ici nous pouvons même parler d'un « je
« affectif car le fait de vouloir saluer une nouvelle fois la ministre du
travail nous amène à penser que
15Engagement de la responsabilité du
gouvernement, en application de l'article 49.3 de la Constitution, sur le vote
du projet de loi "Travail : nouvelles libertés et protections pour les
entreprises et les actifs", à l'Assemblée nationale le 10 mai
2016
40
les propos du locuteur sont émotifs. Le
troisième « je » est suivi du verbe savoir et
celui-ci permet à l'orateur d'énoncer qu'il est au courant de la
situation liée à la majorité. Le pronom personnel «
nous » est composé de « je + tu », donc c'est un «
nous inclusif ». Le pronom est suivi du verbe se battre, cela
veut dire que le Premier ministre et la ministre du travail ont mené un
long combat coude à coude afin de convaincre les députés
ayant une vision sceptique quant au projet de loi Travail. Le pronom personnel
« il » remplace le nom Gouvernement. Suivi du verbe
engager, ce pronom confirme publiquement que l'engagement et la
mission du Gouvernement privilégient le dialogue social, donc faire des
compromis au nom de l'objectif final.
3.1.2 Les démonstratifs
Ils sont, selon les cas, référentiels au
contexte (représentants) ou référentiels à la
situation de communication (déictiques). En emploi déictique, il
convient de distinguer 2 cas. Le premier cas est lié aux
démonstratifs constitués à l'aide des particules
-ci/-là : leur répartition est de nature déictique
puisqu'elle se fait selon l'axe proximité/éloignement du
dénoté par rapport au locuteur. Le deuxième cas est
lié aux démonstratifs simples et complexes. Les
démonstratifs simples sont accompagnés d'un geste ou d'un regard
désignant l'objet dont on parle. Les démonstratifs complexes
engagent aussi une ostension : ce sont donc, à double titre, des
déictiques. (Orecchioni 2006 : 50)
Premièrement nous vous proposons l'analyse de deux
exemples faisant partie du premier cas des déictiques
démonstratifs.
41
Exemple 16 « La première
garantie, c'est que ces nouvelles souplesses accordées aux entreprises
ne pourront être déclenchées que par des accords. Et pour
renforcer la légitimité de ceux-ci, la loi
consacre le principe majoritaire. C'est d'ailleurs une vieille idée de
la CGT, monsieur Chassaigne. »16
Dans cet exemple, l'énonciateur s'adresse à
monsieur Chassaigne en déclarant que par le biais du dialogue social les
deux parties auront la possibilité de se mettre d'accord en trouvant un
consensus. Donc le mot principal et important dans ces propos, prononcés
par le Premier ministre, est « accords ». Et notamment dans la phrase
suivante ce substantif est remplacé par un démonstratif
déictique « ceux-ci ». Ce démonstratif est
constitué à l'aide de la particule -ci. « La
particule adverbiale ci est une forme réduite de ici
qui marque la proximité de quelque chose dans l'espace ou dans le
temps par rapport à la personne qui parle. » En utilisant cette
particule le locuteur veut renforcer le démonstratif donc attirer
l'attention sur le rôle du substantif remplacé.
Exemple 17 « Ceux qui soutiennent
des candidats qui proposent la suppression de dizaines de milliers de
fonctionnaires sont ceux-là mêmes qui ici, dans
l'hémicycle, demandent plus de policiers, plus de gendarmes, alors que
vous avez supprimé 13 000 postes quand vous étiez au pouvoir
(...) »17
16Discussion et vote de la motion de censure
déposée, en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de
l'Assemblée, à l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
17Discussion et vote de la motion de censure
déposée, en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de
l'Assemblée, à l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
Dans cet exemple le sujet d'énonciation évoque
la question concernant la suppression de postes. En tenant ces propos le
locuteur veut mettre en lumière l'incohérence et
l'absurdité dans les actions des députés en question. Ces
derniers sont remplacés par le démonstratif « ceux-là
». « La particule adverbiale là s'oppose à
ci, là marque donc l'éloignement de quelque
chose dans l'espace ou dans le temps par rapport à la personne qui
parle. » Nous remarquons que « ceux-là » sont des
députés se trouvant dans l'hémicycle car l'orateur emploie
le pronom personnel « vous » dans le but de s'adresser à eux.
Donc nous nous interrogeons pourquoi le sujet parlant n'utilise pas le
déterminant « les » à la place du démonstratif
« ceux-là » ? Nous vous proposons une réponse qui nos
semble adéquate : le locuteur préfère utiliser ce
démonstratif afin qu'il puisse accentuer davantage la présence
des députés concernés. Autrement dit ce
démonstratif contient en lui-même un degré supérieur
d'intensité.
Deuxièmement nous traitons un exemple contenant des
démonstratifs simples, donc il s'agit du deuxième cas.
Exemple 18 « Alliance des
contraires, oui. Il y a de tout dans ce qui motive les signataires et
ceux qui bientôt voteront cette motion de censure. Il y
a ceux qui veulent, ils l'ont montré dans les
amendements qu'ils ont déposés, s'affranchir des syndicats,
partout et tout le temps, ceux qui trouvent que cette
loi instaure trop de nouveaux droits pour les salariés, et
ceux qui, au contraire, considèrent qu'elle remet en
cause des acquis sociaux. Je ne mélange pas ces positions.
»18
18Discussion et vote de la motion de censure
déposée, en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de
l'Assemblée, à
42
43
Dans cet exemple nous remarquons la présence de deux
démonstratifs : « cette » et « ceux », l'un au
singulier et l'autre au pluriel. Nous constatons que le démonstratif
« ceux » est employé à quatre reprises. Le premier
« ceux » représente tous les députés qui
s'opposent à l'application de l'article 49, alinéa 3, et donc au
Gouvernement. Et parmi eux les députés se divisent en trois
catégories, donc il est question de trois positions différentes.
D'abord les députés qui, par le biais de leurs propositions
concernant le projet de loi Travail, veulent se débarrasser des
organisations syndicales parce qu'ils considèrent que celles-ci
représentent une contrainte. Ensuite les députés qui
estiment que cette loi n'est pas conforme à leurs valeurs car elle
privilégie tant les salariés. Et enfin les députés
qui trouvent que cette loi Travail aurait une mauvaise influence sur les droits
des salariés et en particulier les clauses de leurs contrats. Le
démonstratif « cette » est utilisé par le locuteur
parce que ce dernier veut montrer que la discussion porte
particulièrement sur l'application de l'article 49, alinéa 3 et
la motion de censure.
3.1.3 La localisation temporelle
C. Kerbrat-Orecchioni énonce qu'exprimer le temps
demande une localisation d'un événement sur l'axe de la
durée, par rapport à un moment T pris comme
référence. Selon le cas, ce T peut correspondre à :
- une date particulière prise comme
référence du fait de son importance historique
- moment inscrit dans le contexte verbal : il est question
alors de référence contextuelle
l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
44
- moment de l'instance énonciative :
référence déictique
La localisation temporelle s'effectue grâce au double
jeu des formes temporelles de la conjugaison verbale, et des adverbes et
locutions adverbiales. De ces deux procédés, le premier exploite
le système de repérage déictique, cependant que les
adverbes temporels se répartissent à peu près
également entre la classe des déictiques et celle des
relationnels.
3.1.3.1 Les désinences verbales
C. Kerbrat-Orecchioni (2006 : 52) affirme que le choix d'une
forme de passé/présent/futur est de nature déictique : l a
référence est « nynégocentrique ». « La
subjectivation nynégocentrique, telle que la définissent J.
Damourette et E. Pichon, est une « libération du sémantisme
» du coverbe par rapport à son sujet grammatical qui a pour effet
de rendre la signification de l'auxiliaire qui résulte de cette «
libération » consubstantielle au moi-ici-maintenant
énonciatif. » (Mellet et Vuillaume, 2003 : 244). Ceux que nous
appelons souvent les « temps absolus » sont en réalité
des temps déictiques. A l'intérieur de chacune des sphères
de présent/passé/futur, le choix se fait selon différents
axes aspectuels qui sont à verser au compte de ce que plus largement
nous appelons la subjectivité langagière, car ils mettent en jeu
la façon dont le locuteur envisage le procès. Celui-ci peut
être dilaté ou ponctualisé, considéré dans
son déroulement ou dans son achèvement, « enfoui dans le
passé » ou au contraire relié à l'activité
présente. Il faut donc noter que le report en style indirect constitue
en français le seul cas d'emploi des temps où nous ayons
incontestablement affaire à de la référence contextuelle,
et non déictique.
45
Exemple 19 « Et j'appelle à
ne pas souffler sur les braises. Car refuser de condamner cette violence, c'est
mettre en cause la République. Je veux saluer ici, une
nouvelle fois, l'engagement de nos forces de sécurité, policiers
et gendarmes, dont certains oublient l'esprit de sacrifice et la
responsabilité qui pèse actuellement sur elles. Gouverner,
mesdames et messieurs les députés, ce n'est pas craindre le
débat. »19
L'exemple que nous avons choisi répond au schéma
moi-ici-maintenant, car le sujet parlant est relié à
l'activité présente. Le locuteur se sert des verbes
conjugués au présent de l'indicatif et d'infinitifs pour exprimer
sa position concernant la situation actuelle. Il essaie d'ouvrir les yeux de
certains députés pour qu'ils voient la réalité
telle qu'elle est et pour qu'ils puissent avoir une vision impartiale de la
République et ses valeurs. L'orateur tient à saluer de nouveau le
professionnalisme, le dévouement et la loyauté des forces de
l'ordre. L'adverbe « ici » indique où se trouve le sujet
d'énonciation au moment où il tient ce discours. Donc il
décide d'affirmer publiquement, à l'Assemblée nationale,
qu'au lieu de mettre de l'huile sur le feu, les députés doivent
plutôt exprimer leur reconnaissance envers l'ensemble des institutions
dont le travail est de veiller à l'ordre public et au respect de la
loi.
3.1.3.2 Adverbes et locutions adverbiales
Les adverbes et locutions adverbiales qui spécifient la
localisation temporelle du procès présentent un double jeu de
formes, déictiques et contextuelles.
19Discussion et vote de la motion de censure
déposée, en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de
l'Assemblée, à l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
|
Déictiques
|
Relatifs au contexte
|
Simultanéité
|
en ce moment ; maintenant
|
à ce moment-là ; alors
|
Antériorité
|
hier ; l'autre jour ;
la semaine passée (dernière) ; il y a quelques
heures ; récemment
|
la veille ;
la semaine précédente ; quelques heures plus
tôt ; peu avant
|
Postériorité
|
demain ;
l'année prochaine ; dans deux jours ; dorénavant
;
bientôt ; prochainement
|
le lendemain ; l'année suivante ; deux jours plus tard ;
peu après ;
dès lors
|
Neutres
|
aujourd'hui ;
lundi = le lundi le plus proche, antérieur ou
postérieur ;
ce matin, cet été ; tout à l'heure
|
un autre jour
|
C. Kerbrat-Orecchioni déclare que les expressions
qualifiées de « neutres » sont indifférentes à
l'opposition simultanéité / antériorité /
postériorité. Nous pouvons les rencontrer principalement en
emploi déictique, car dans ce cas la forme verbale fournit
aisément l'information complémentaire. (Orecchioni 2006 : 53). Il
faut noter que certain nombre de ces expressions sont constituées
à l'aide des démonstratifs. Il est question de la forme simple
qui entre dans la
46
47
composition des locutions déictiques, et la forme
particulière en -là dans celle des locutions relationnelles.
Exemple 20 « C'est ce que je lui
demande de faire une nouvelle fois. Le pays a besoin de son action, de ses
valeurs, de ses résultats ; plus que jamais, il a besoin qu'elle se
confonde avec la nation et la République. Dans le moment
présent, elle représente le chemin nécessaire.
Face à ceux qui n'ont pas compris comment le monde avait
évolué et à ceux qui nous proposent la violence, il y a un
chemin : c'est celui que je vous propose. »20
Dans cet exemple nous avons repéré la locution
adverbiale « dans le moment présent ». Celle-ci fait partie
des adverbes représentant la simultanéité et donc le
présent. Cet extrait est sorti du contexte donc il faut noter que le
locuteur parle de la gauche. L'orateur annonce que le pays ressent la
nécessité d'action, de dynamisme et de rigueur et selon lui la
gauche est capable de lui proposer ce dont il a besoin à l'heure
actuelle. L'énonciateur déclare qu'en ce moment la gauche
s'avère le seul chemin pouvant sortir le pays de cette situation
délicate afin de lui rendre l'espoir, le courage et la joie de vivre. Le
locuteur est convaincu que ce chemin est le bon et ainsi il sollicite la
confiance des députés dans l'intention de faire un grand pas vers
un avenir radieux.
20Discussion et vote de la motion de censure
déposée, en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de
l'Assemblée, à l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
Exemple 21 « Notre pays a
été frappé, mais c'est toute l'Europe qui vit sous la
menace. L'intervention, hier, des forces de l'ordre belges et
la traque en cours, liées directement aux attentats de Paris, nous le
rappellent. »21
Ce qui nous intéresse particulièrement dans cet
exemple est l'adverbe « hier ». Celui-ci caractérise la
deuxième sphère donc l'antériorité. Ce court
extrait nous propose comme information que les terroristes se sont
attaqués à la France et ses valeurs, un pays ayant une place
essentielle au sein de l'Union européenne. Le locuteur souligne le fait
que le « Vieux Continent » se sent en danger parce que le
péril n'est pas complètement neutralisé.
L'énonciateur se sert des faits réels pour nous expliquer que
l'opération militaire belge a été menée dans
l'intention de chasser l'ennemi de leur sol, et ces actions sont
étroitement liées aux attaques terroristes auxquelles la capitale
française a dû faire face. L'adverbe « hier » nous
informe que les événements dont le sujet d'énonciation
nous fait part, se sont produits dernièrement donc nous sommes dans le
cas d'adverbes déictiques- antériorité-passé
récent.
Exemple 22 « Monsieur Jacob, soyez
plus modeste et plus respectueux des Français qui voteront dans
un an. Censurer est une chose ; caricaturer, c'est la facilité
des faibles. Proposer, réformer, messieurs les présidents Vigier
et Jacob, en est une autre. Et au fond, pendant que vous hurlez, ce
débat que nous avons, aujourd'hui, anticipe le grand débat
nécessaire, attendu, démocratique, que nous allons
bientôt avoir devant les Français.
»22
21Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
22Discussion et vote de la motion de censure
déposée, en application de l'article 49, alinéa 3, de la
Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de
l'Assemblée, à
48
49
Dans cet exemple deux adverbes/locutions adverbiales attirent
notre attention : « dans un an » et « bientôt ». Ils
font partie de la sphère nommée « postériorité
», autrement dit ces adverbes sont utilisés lorsque le sujet
parlant se projète dans l'avenir. Dans la première phrase le
locuteur s'adresse à M. Jacob en lui rappelant que l'élection
présidentielle aura lieu les 23 avril et 7 mai 2017. Et en partant de ce
constat, l'énonciateur signale que le destin du futur président
de la République est entre les mains des électeurs.
C'est-à-dire que le peuple aura le dernier mot et choisira son favori.
Par le biais de ces propos nous pouvons constater que l'orateur essaie
d'être raisonnable quant aux mots qu'il emploie. Ce dernier est bien
conscient qu'ils seront jugés, lui et son gouvernement, à la fin
du quinquennat. Le deuxième adverbe est moins précis que le
premier. Nous pouvons néanmoins supposer que le sujet
d'énonciation parle des jours ou les semaines qui viennent. Il s'agit
d'un futur proche donc cette discussion vive et musclée d'aujourd'hui
est le début d'un débat ayant lieu dans peu de temps.
Exemple 23 « Mais, mesdames et
messieurs les députés, aujourd'hui, au fond,
deux formes de contestation, nous l'avons vu tout à
l'heure, une sorte d'alliance des contraires et du conservatisme, se
rejoignent. »23
Dans cet exemple nous avons souligné deux adverbes :
« aujourd'hui » et « tout à l'heure ». Le premier
adverbe caractérise la simultanéité. Le sujet parlant
s'adresse aux députés en affirmant qu'à l'heure actuelle
deux formes de
l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
23Engagement de la responsabilité du
gouvernement, en application de l'article 49.3 de la Constitution, sur le vote
du projet de loi "Travail : nouvelles libertés et protections pour les
entreprises et les actifs", à l'Assemblée nationale le 10 mai
2016
50
contestation se rejoignent. La première phrase commence
par la conjonction « mais » qui permet d'indiquer une
différence par rapport à la situation ancienne. Le
deuxième adverbe pourrait signifier selon le contexte « dans un
instant » ou « il y a peu ». Dans notre exemple cette locution
adverbiale est précédée par le verbe « voir »
conjugué au passé composé. Cela veut dire qu'il est
question d'un adverbe qui représente la sphère nommée
antériorité.
En suivant la théorie de C. Kerbrat-Orecchioni, nous
pouvons finalement affirmer que le système de repérage
déictique n'est pas le seul auquel puissent recourir les langues
naturelles, mais sans doute le plus important, car ce repérage a la
particularité de s'effectuer non par rapport à d'autres
unités internes au discours, mais par rapport à quelque chose qui
lui est extérieur et hétérogène : les
données concrètes de la situation de communication. Permettant au
locuteur de se constituer en sujet (identique à lui-même d'un acte
de parole à l'autre, puisque toujours désignable par le
même signifiant « je »), et de structurer l'environnement
spatio-temporel, les déictiques peuvent être
considérés non seulement comme des unités de langue et de
discours mais également comme un élément rendant possible
l'activité discursive.
Benveniste, cité par C. Kerbrat Orecchioni (2006 : 63),
déclare que : « C'est dans l'instance de discours où «
je » désigne le locuteur que celui-ci s'énonce comme
sujet. Il est donc vrai à la lettre que le fondement de la
subjectivité est dans l'exercice de la langue. Si l'on veut bien y
réfléchir, on verra qu'il n'y a pas d'autre témoignage
objectif de l'identité du sujet que celui qu'il donne ainsi
lui-même sur lui-même. »
51
3.2 Les subjectivèmes
C. Kerbrat-Orecchioni déclare que toute unité
lexicale est subjective, puisque les mots de la langue ne sont jamais que des
symboles substitutifs et interprétatifs des choses. Premièrement
tous les mots de la langue fonctionnent comme des « praxèmes
», cela veut dire qu'ils connotent à des degrés divers les
différentes « praxis » caractéristiques de la
société qui les manipule. Deuxièmement ils charrient
toutes sortes de jugements interprétatifs « subjectifs »
inscrits dans l'inconscient linguistique de la communauté. Dans son
article Signifiance du praxème nominal, paru en 1998 et
publié dans la revue L'information grammaticale, Paul Siblot
définit le praxème comme outil linguistique de
catégorisation et de nomination. Le praxème concerne en principe
toutes les parties du discours dites des « mots pleins » : nom,
verbe, adjectif, adverbe. Quant au terme de « praxis », dans son
article Praxis, production de sens/d'identité, récit,
Jacques Bres classe les praxis en 3 catégories : praxis
manipulative-transformatrice qui assure la production des moyens de subsistance
par l'appropriation du réel ; praxis socio-culturel qui règle
cette appropriation ; praxis linguistique qui transforme le réel en
réalité saisie par le langage, la maille en logosphère.
« C'est dans et par le langage que l'homme se constitue
comme sujet; parce que le langage seul fonde en réalité,
dans sa réalité qui est celle de l'être, le concept
d'ego. La subjectivité est la capacité du
locuteur à se poser comme « sujet ». Elle se définit,
non par le sentiment que chacun éprouve d'être lui-même,
mais comme l'unité psychique qui transcende la totalité des
expériences vécues qu'elle assemble, et qui assure la permanence
de la conscience. Or nous tenons que cette subjectivité n'est
que l'émergence dans l'être d'une propriété
fondamentale du langage. Est « ego » qui dit « ego
». Nous trouvons
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là le fondement de la subjectivité, qui
se détermine par le statut linguistique de la personne ».
(Benveniste 1966 : 258-266).
Benveniste met l'accent sur l'ego et la place centrale du
sujet dans le discours. Donc nous pouvons considérer qu'il est question
d'une subjectivité égocentrique. Et nous ne pourrions pas nier le
fait que notre sujet d'étude entretient son image de responsable
politique, et par le bais de ses discours il montre sa détermination et
sa volonté d'utiliser tous les moyens pour réformer le pays. En
ce qui concerne la loi Travail par exemple, certains disaient qu'il s'agit
plutôt d'une guerre d'ego entre Philippe Martinez et Manuel Valls. Tout
au long des années et en tant que responsable politique, ce dernier
s'est forgé un moi fort et dominant. Dès que l'occasion se
présente il n'oublie jamais de remettre les députés de
l'opposition à leurs places. Donc la théorie de Benveniste
s'appuie entièrement sur la personnalité du sujet parlant et sa
manière d'être. En l'occurence notre locuteur fait preuve d'une
forte personnalité affirmative et d'un sens des responsabilités.
Son niveau d'exigence envers lui-même et envers son peuple le met sous
tension permanente.
A l'opposé de Benveniste, C. Kerbrat-Orecchioni
souligne l'importance du côté sentimental du locuteur lors de son
discours. Dans ce cas-là, il s'agit d'une subjectivité
émotionnelle. Et si nous allons dans ce sens, nous constatons que sous
l'effet de l'émotion l'orateur pourrait sans doute tenir des propos
subjectifs reflétant sa conception de la vie. Suite à des
nombreux attentats ayant lieu dans toute la France, notre sujet d'étude
a déclaré que les Français devraient changer leurs
raisonnements à l'égard des terroristes mais également
leurs attentes vis-à-vis de la sécurité. En sachant qu'il
s'agit d'une guerre intérieure de longue haleine, toute forme de
manifestation sans la présence des forces de l'ordre pourrait
s'avérer une cible d'une attaque terroriste. Par ailleurs il ne faut
surtout pas oublier que la démocratie en tant que régime
politique tolère des
actions comme : être en grève et manifester. Donc
neutraliser les terroristes ne voudrait pas dire en soi que le gouvernement
devrait limiter la liberté du peuple.
C. Kerbrat-Orecchioni nous propose une exploration des
unités signifiantes dont le signifié comporte le trait subjectif,
et dont la définition sémantique exige la mention de leur
utilisateur. Pour ce faire il est préférable de séparer
les différentes parties du discours.
3.2.1 Les substantifs
Il s'avère que la plupart des substantifs affectifs et
évaluatifs sont dérivés de verbes ou d'adjectifs. Un
certain nombre d'unités intrinsèquement substantives peuvent nous
être utiles concernant le problème de termes péjoratifs
(dévalorisants) / mélioratifs (valorisants) appelés
axiologiques. (Orecchioni 2006 : 83). Et en suivant la théorie
de C. Kerbrat-Orecchioni, nous prenons comme exemple: 1) « C'est un
député » : le terme énonce une
propriété objective du dénoté ; 2) « C'est un
adversaire » : ces substantifs cumulent deux types d'informations
d'ailleurs indissociables :
· une description du dénoté ;
· un jugement évaluatif, d'appréciation ou
de dépréciation, porté sur ce dénoté par le
sujet d'énonciation.
Ces termes, dans la mesure où ils font intervenir une
évaluation de x, laquelle est solidaire des systèmes
d'appréciation du locuteur ; dans la mesure où leur usage, x
restant invariant, pourra varier d'une énonciation à l'autre ;
dans la
53
54
mesure où ils sont à éliminer d'un
discours à prétention d'objectivité, dans lequel le
locuteur refuse de prendre position par rapport au dénoté
évoqué, peuvent être considérés comme
comportant d'un trait sémantique (subjectif). Le signifié et le
dénoté étant au contraire étroitement solidaires
l'un de l'autre, nous pouvons constater que le signifié n'est que
l'image linguistique abstraite du dénoté, et les sèmes qui
le constituent, l'mage des propriétés pertinentes du
dénoté. Entre le signifié et le dénoté, il
existe une solidarité générale des systèmes de
(dé)valorisation, compensée par une tendance partielle à
l'autonomie. Nous pouvons affirmer que les axiologiques sont
prédestinés à se voir ironiquement - l'ironie consiste
à exprimer sous les dehors de la valorisation un jugement de
dévalorisation, et que les indices de l'inversion sémantique qui
la caractérise ne sont pas toujours aisément
repérables.
En nous appuyant sur la théorie de C.
Kerbrat-Orecchioni, nous constatons que les axiologiques, flatteurs ou
injurieux, font donc figure de détonateurs illocutoires à effets
immédiats et parfois violents. C'est pourquoi ils ne sont maniés
qu'avec d'infinies précautions. A la différence d'autres types
d'unités subjectives (déictiques, verbes modalisateurs), les
axiologiques sont implicitement énonciatifs. Nous pouvons estimer que
les axiologiques mériteraient, dans un modèle prétendant
quantifier le taux de subjectivité à l'oeuvre dans un
énoncé donné, d'être affublés d'un indice
variable (car la charge axiologique varie d'une unité à l'autre
et d'une occurrence à l'autre) mais généralement fort. Il
est question d'opérateurs de subjectivité particulièrement
voyants et efficaces, qui permettent au locuteur de se situer clairement par
rapport aux contenus assertés, et qu'il convient à ce titre
d'éviter dans certains types de discours. Il est prouvé qu'en
dehors du cas des discours à prétentions d'objectivité, la
plupart des énoncés produits en langue naturelle se
caractérisent par la présence plus ou moins massive des
axiologiques, et les
55
comportements langagiers, par le souci constant de dresser
entre le bien et le mal une barrière terminologique.
Exemple 24 « Des débats qui,
en fin de compte, ont répondu à cette question : qu'est-ce pour
nous, dans notre héritage, dans notre tradition, une nation ? La
réponse, ce n'est pas seulement le droit du sang ou du sol ; c'est
d'abord une exigence permanente qui vaut pour chacun d'entre nous.
Être français, appartenir à la communauté nationale,
ce n'est pas seulement partager une langue même si c'est beaucoup ou un
territoire : c'est avoir une histoire et un destin communs ; c'est partager
un même amour de la patrie ; c'est un serment sans cesse
renouvelé au pacte républicain, aux valeurs qui le fondent
Liberté, Égalité, Fraternité, qui doivent bien
sûr s'incarner dans les faits et dans les politiques publiques
»24
Le sujet parlant pose une question rhétorique à
laquelle propose une réponse argumentée. Il s'agit d'un jugement
évaluatif de sa part, et en l'occurence d'une appréciation car il
se sert de termes mélioratifs. Suite à des débats au sein
de l'Assemblée nationale, le locuteur résume l'essentiel en
définissant le mot « nation ». Nous avons d'abord
souligné le substantif exigence car l'orateur affirme que
chacun des ses compatriotes doit être exigent envers sa propre nation.
Cela veut dire que l'exigence commence par le respect vis-à-vis des
valeurs et des symboles de la République et se termine par la
volonté d'aider autrui. Donc ce substantif est subjectif parce que le
locuteur exprime son point de vue personnel concernant la nation.
Deuxièmement nous avons souligné le substantif amour
parce qu'il est question d'une subjectivité émotionnelle. Et
ce
24Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
56
ne peut être le contraire car le sujet parlant exprime
un sentiment de fierté en parlant de sa patrie. Nous remarquons une
volonté de se dévouer et de se sacrifier pour défendre la
patrie. Ce substantif caractérise un attachement passionné
à la nation. Et enfin nous avons relevé le substantif serment
parce que celui-ci exprime un sentiment de devoir vis-à-vis de la
nation. C'est une promesse de fidélité ayant un caractère
sacré et indéfectible. Autrement dit c'est un engagement à
vie étant en pleine harmonie et cohésion avec les valeurs de la
République.
3.2.2 Les adjectifs subjectifs
C. Kerbrat-Orecchioni classe les adjectifs en deux grandes
catégories : objectifs et subjectifs. Ces derniers sont divisés
en deux sous-catégories : affectifs et évaluatifs. Ceux-ci se
divisent en deux : non axiologiques et axiologiques.
3.2.2.1 Les adjectifs affectifs
« Ces adjectifs énoncent, en même temps
qu'une propriété de l'objet qu'ils déterminent, une
réaction émotionnelle du sujet parlant en face de cet objet. Dans
la mesure où ils impliquent un engagement affectif de
l'énonciateur, où ils manifestent sa présence au sein de
l'énoncé, ils sont énonciatifs. » (Orecchioni 2006 :
95).
Les adjectifs affectifs sont sévèrement
proscrits de certains types de discours qui prétendent à
l'objectivité. La valeur affective peut être inhérente
à l'adjectif, ou au contraire solidaire d'un signifiant prosodique,
typographique, ou syntaxique ; c'est ainsi que l'antéposition d'un
adjectif le charge souvent
57
d'affectivité. Il faut noter qu'il existe certaines
affinités entre les valeurs affective et axiologique, entre les
mécanismes psychologiques de participation émotionnelle et de
(dé)valorisation. Dans certains cas nous remarquons la présence
de termes axiologico-affectifs ; il s'agit de termes qui sont
considérés à la fois comme affectifs et axiologiques
(« admirable », « méprisable », etc.).
Exemple 25 « Le texte qui vous est
soumis aujourd'hui, ce n'est plus celui du Gouvernement, ce n'est pas celui du
groupe majoritaire de l'Assemblée nationale, ce n'est pas la victoire
d'un camp sur un autre ; ce texte est le fruit d'un consensus responsable,
méticuleux et exigeant. Et c'est le résultat en tout
cas pour ce qui concerne l'Assemblée nationale d'un pas que chaque camp
a su faire vers l'autre ! Vous le savez, ce consensus a été
difficile, parfois douloureux, dans ma propre famille politique,
comme dans les groupes d'opposition ».25
Dans cet exemple nous remarquons la présence de deux
gradations au niveau des adjectifs affectifs. Leur nuance d'importance
s'effectue par degrés et progressivement. La première gradation
contient trois adjectifs : responsable, méticuleux et exigeant. La
deuxième existe grâce à la présence de deux
adjectifs : difficile et douloureux. Dans les deux cas il s'agit d'une
gradation ascendante (ou gradation positive) parce que les adjectifs
utilisés sont de plus en plus forts. Ce consensus entre la
majorité et l'opposition est qualifié d'abord de responsable,
c'est-à-dire qu'il a la charge de répondre aux attentes des
Français. Mais aussi c'est un accord profondément sérieux
car les deux parties ont effectué des compromis au nom de l'objectif
final. Le deuxième adjectif
25Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
révèle le comportement que les deux camps ont
adopté selon les circonstances. En d'autres termes, ils ont
traité avec soin et égard les questions cruciales afin d'aboutir
à un accord. L'adjectif exigeant incarne en soi un degré
supérieur de sérieux et de précision. Ceci veut dire que
ce consensus impose ses règles et oblige les deux parties de les
respecter pleinement ; la classe politique doit être exemplaire. Les
responsables politiques doivent être stricts et veiller sur la bonne
implication de cette loi constitutionnelle. Ce consensus est également
qualifié de difficile, donc la majorité et l'opposition ont
dû avoir des contradictions et des divergences considérables au
niveau de leur conception politique. L'adjectif douloureux
démontre que les deux parties ont fait preuve d'abnégation
dans le but d'adopter ce projet de loi constitutionnelle.
3.2.2.2 Les évaluatifs non axiologiques
« Cette classe comprend tous les adjectifs qui, sans
énoncer de jugement de valeur, ni d'engagement affectif du locuteur (du
moins au regard de leur stricte définition lexicale : en contexte, ils
peuvent bien entendu se colorer affectivement ou axiologiquement), impliquent
une évaluation qualitative ou quantitative de l'objet
dénoté par le substantif qu'ils déterminent, et dont
l'utilisation se fonde à ce titre sur une double norme : 1) interne
à l'objet support de la qualité ; 2) spécifique du
locuteur - et c'est dans cette mesure qu'ils peuvent être
considérés comme subjectifs. » (Orecchioni 2006 :
97). Donc si nous comptons utiliser un adjectif évaluatif, il faut
savoir que cet usage correspond à l'idée que le locuteur se fait
de la norme d'évaluation pour une catégorie d'objets
donnée. En d'autres termes en présence d'adjectifs
évaluatifs non axiologiques, il s'agit toujours d'une comparaison, et en
particulier d'une hiérarchie au niveau de la conception du locuteur. A
titre d'exemple : « L'actuel
58
59
Premier ministre de France est plus compétent que son
prédécesseur, et peut-être moins compétent que son
successeur». L'objet qui définit la norme d'évaluation est
en général plus familier à l'énonciateur que
l'objet à évoluer, c'est-à-dire tenir compte de sa
compétence culturelle, ainsi que de l'univers de discours auquel se
réfère la séquence évaluative.
Exemple 26 « J'ai déjà
eu l'occasion de le dire ici, après le 13 novembre, dans les
quarante-huit heures qui ont suivi, nous ne savions pas comment les choses
allaient se passer dans notre pays. Personne ne le savait. C'était la
deuxième attaque que nous subissions, et elle était bien plus
violente que celle que nous avions subie en janvier. Il y avait un choc,
un choc terrible. Nous étions à quelques semaines des
élections régionales. Nous sentions bien que la réaction
ne pouvait pas être la même que celle que nous avions eue,
collectivement, au mois de janvier, après les attentats contre Charlie
Hebdo, contre cette policière municipale de Montrouge ou contre l'Hyper
Cacher de la porte de Vincennes ».26
Cet exemple nous permet de constater qu'il s'agit, en effet,
d'une comparaison entre la première et la deuxième attaque
terroriste que la France a subie. La deuxième attaque est
qualifiée de plus violente, donc le degré de
subjectivité est supérieur et il s'agit d'une évaluation
de la part du locuteur. Cet adjectif nous fait comprendre et surtout imaginer
le grand nombre de dégâts et de conséquences majeures
à la suite de cet attentat. Cela veut dire que lors de la
deuxième attaque les terroristes étaient plus agressifs et
brutaux dans leurs actions. Menés par un sentiment de fureur ils
voulaient, sans pitié, s'attaquer à
26Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
60
des gens innocents. Nous avons également souligner
l'adjectif terrible. Celui-ci décrit comment les citoyens ont
vécu cette attaque sanglante ; pourrait-elle être comparée
à un traumatisme émotionnel et psychologique ? Cet attentat
affreux a causé la mort de beaucoup de personnes et a provoqué un
deuil national. Et enfin nous avons relevé l'adjectif la même
utilisée dans une phrase négative afin de qualifier la
réaction des Français. Cet adjectif explique le fait qu'aucun
peuple ne pourrait s'habituer facilement à des attentats monstrueux,
à des terroristes impitoyables et à des scènes de guerre.
Par le biais de cet adjectif nous constatons que les citoyens ont réagi
différemment à l'égard de ces deux actes de barbarie.
3.2.2.3 Les évaluatifs axiologiques
C. Kerbrat-Orecchioni nous dit qu'à la
différence des évaluatifs non axiologiques, les évaluatifs
axiologiques portent sur l'objet dénoté par le substantif qu'ils
déterminent un jugement de valeur, positif ou négatif. Et donc
ils possèdent un double degré de subjectivité :
1) dans la mesure où leur usage varie avec la nature
particulière du sujet d'énonciation dont ils reflètent la
compétence idéologique ;
2) dans la mesure où ils manifestent une prise de
position en faveur, ou à l'encontre, de l'objet dénoté.
« Il s'avère que les adjectifs évaluatifs
sont tous subjectifs dans la mesure où ils reflètent certaines
particularités de la compétence culturelle et idéologique
du sujet parlant, mais ils sont à des degrés variables : d'abord
parce que les axiologiques sont dans leur ensemble plus fortement
marqués subjectivement
61
que les autres ; ensuite parce que certaines disparités
de fonctionnement existent au sein même des deux classes. »
(Orecchioni 2006 : 106).
Exemple 27 « Oui, le régime
de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment
utilisé sous la Vème République doit figurer dans notre
Constitution. Inscrire l'état d'urgence dans la norme
suprême permettra également d'encadrer davantage son
application, de la subordonner au droit et à la proportionnalité.
En gravant dans le marbre le caractère exceptionnel de
l'état d'urgence - c'est la définition même de
l'État de droit - nous garantissons que ses conditions de
déclenchement et de contrôle ne pourront être
allégées, demain, sans l'accord d'une majorité
qualifiée au Parlement ».27
Dans cet exemple nous avons d'abord souligné l'adjectif
exceptionnelles. Ce dernier porte un jugement de valeur positif et
détermine les détails et les particularités du
régime en question. Par le choix d'adjectif le locuteur confirme qu'il
s'agit d'un régime hors du commun ayant des circonstances positives et
uniques pour le pays. L'orateur manifeste sa prise de position en faveur de ce
projet de loi. Deuxièmement nous avons relevé l'adjectif
suprême qui possède un degré supérieur de
subjectivité par rapport au premier. Il s'agit également d'un
jugement de valeur positif et cet adjectif détermine le substantif
« norme ». Il est intéressant de préciser que cet
adjectif se caractérise par le degré le plus élevé
en valeur, le plus haut placé. Donc cette norme nommée «
suprême » peut être qualifiée de divine et sublime.
Nous avons de nouveau souligné l'adjectif exceptionnel
déterminant cette fois-ci le substantif « caractère
».
27Audition du Premier ministre et du ministre de la
justice devant la commission des lois du Sénat au sujet du projet de loi
constitutionnelle sur la protection de la Nation, au Sénat le 8 mars
2016
62
L'énonciateur propose une évaluation concernant
l'état d'urgence et en particulier ses avantages irréprochables :
efficacité et stabilité.
3.2.3 Les verbes subjectifs
Selon C. Kerbrat-Orecchioni, l'analyse des verbes subjectifs
distingue trois catégories. Dans la première catégorie
nous nous demandons qui porte le jugement évaluatif, cela peut
être le locuteur et l'actant du procès. Dans le premier cas il
s'agit des verbes subjectifs proprement dits, du type « revendiquer
», « exiger ». Dans le deuxième cas l'actant du
procès ou encore l'agent peut coïncider avec le sujet
d'énonciation et dans cette mesure, les verbes du type «
désirer » doivent être intégrer dans la classe des
verbes subjectifs. Dans la deuxième catégorie nous nous
interrogeons sur quoi porte l'évaluation. Cela peut être le
procès lui-même et donc les verbes de ce type sont tous
intrinsèquement subjectifs. L'évaluation porte parfois sur
l'objet du procès, qui peut être une chose ou un individu mais
également un fait, exprimé par une proposition
enchâssée. Dans la troisième catégorie nous nous
questionnons sur la nature du jugement évaluatif et il se formule
principalement en termes de : fort/faible - donc c'est le domaine de
l'axiologie ; exact/inexact/probable - donc c'est le problème de la
modalisation.
3.2.3.1 Les verbes occasionnellement subjectifs
Ce sont tous les verbes impliquant une évaluation : de
l'objet du procès, par l'agent du procès, en termes de
fort/faible, ou de exact/inexact. Ces verbes sont
63
appelés parfois : verbes de modalités exprimant
l'attitude d'un sujet vis-à-vis d'une représentation virtuelle,
verbes évaluatifs d'attitude propositionnelle - ils énoncent une
certaine disposition d'un agent vis-à-vis d'un objet. (Orecchioni 2006 :
114).
Exemple 28 « Face à cela, au
djihadisme, à l'islamisme radical, à cette contestation totale de
ce qui fait notre humanité, la France ne doit à aucun moment
baisser la garde. Faiblir serait faillir. Notre
responsabilité à tous est donc immense. Nous sommes entrés
dans une nouvelle époque. Nous avons changé de monde
».28
Le sujet d'énonciation déclare que l'ennemi est
toujours présent et que les Français doivent rester attentifs et
prudents. Tout d'abord nous avons souligné le verbe baisser.
Celui-ci fait partie de l'expression « baisser la garde ». Ce
verbe est employé dans une phrase négative afin que l'orateur
puisse affirmer que la France ne doit pas arrêter d'être vigilante.
Le moindre manque d'attention pourrait coûter cher et causer des
dégâts irréparables. En tenant ces propos le locuteur
exprime son attitude vis-à-vis de la situation de crise, sans
précédent, que le pays traverse. Ensuite nous avons relevé
les verbes faiblir et faillir. Le deuxième serait la
conséquence et le résultat du premier. Donc en utilisant le verbe
faiblir le sujet parlant s'adresse à ses compatriotes dans le
but de leur rappeler qu'ils ne doivent pas perdre de leur force, de leur
vigueur et de leur intensité. Au jour d'aujourd'hui rester forts est la
seule solution possible. Le verbe faillir contient en soi le risque et
l'erreur. Ainsi être sur le point de commettre une erreur peut
entraîner des effets désastreux donc s'avérer fatal pour la
France et son peuple.
28Audition du Premier ministre et du ministre de la
justice devant la commission des lois du Sénat au sujet du projet de loi
constitutionnelle sur la protection de la Nation, au Sénat le 8 mars
2016
64
3.2.3.2 Les verbes intrinsèquement
subjectifs
Ces verbes impliquent une évaluation ayant toujours
pour source le sujet d'énonciation. L'évaluation porte d'abord
sur le procès dénoté et celui-ci peut être
considéré comme un élément de la classe
générale des termes péjoratifs. Tout comme les substantifs
et les adjectifs, les verbes ne se marquent nettement péjoratifs que
lorsque la connotation axiologique s'inscrit dans un support signifiant
spécialisé et/ou lorsque existe dans le lexique une série
de parasynonymes qui ne s'opposent que sur cet axe.
Exemple 29 « L'ennemi, ce sont ceux
qui pillent, violent, tuent, réduisent en esclavage ; ceux qui,
là-bas, commettent des attentats et en planifient d'autres sur notre
sol. L'ennemi, ce sont aussi ces individus embrigadés, ces cellules plus
ou moins autonomes, plus ou moins organisées, qui peuvent agir ici, en
France, au coeur de notre société ».29
Nous avons relevé trois verbes impliquant une
évaluation et se caractérisant par une subjectivité
émotionnelle. Ces verbes font partie du champ lexical de la guerre. Le
verbe piller nous fait comprendre que l'ennemi, se trouvant sur le sol
français, veut détruire le pays et provoquer d'importants
dégâts. Donc nous pouvons affirmer qu'il s'agit d'une destruction
intérieure. Celle-ci est la pire des destructions car elle ruine le pays
à petit feu. Elle ne prévient pas et parfois, nous ne nous en
rendons pas compte que quand c'est trop tard. Le verbe violer
caractérise les actions de cet ennemi dit inhumain. Ce verbe nous
fait ouvrir les
29Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
65
yeux pour mieux comprendre que la France doit affronter un
adversaire féroce. Ce dernier est prêt à mourir dans
l'intention d'accomplir sa mission. Le verbe tuer possède un
degré supérieur par rapport aux deux autres. Provoquer la mort
des gens innocents est considéré comme un acte de barbarie, mais
à vrai dire ce sont des fanatiques qui servent leur cause, qui ne
connaissent aucune limite, et qui pensent que rien ne pourrait les
arrêter. Donc ce verbe exprime d'une certaine manière l'objectif
principal des militaires lors d'une guerre : éliminer l'adversaire.
3.2.4 Les adverbes subjectifs
La classe des adverbes offre des exemples de tous les types
d'unités subjectives précédemment recensés (termes
affectifs et évaluatifs, axiologiques ou non), les modalisateurs s'y
trouvent représentés de façon particulièrement
massive.
Les modalités d'énoncé s'opposent aux celles
d'énonciation. - Modalité d'énonciation se rapporte au
sujet parlant. (M1)
- Modalité d'énoncé se rapporte au sujet
de l'énoncé, éventuellement confondu avec le sujet de
l'énonciation. (M2)
Les modalisateurs qui impliquent un « jugement de
vérité » (« vraisemblablement », «
certainement ») s'opposent à ceux qui impliquent un « jugement
de réalité » (« réellement », «
vraiment »).
Les adverbes du type M1 (« probablement », «
sans doute », « sûrement ») s'opposent aux adverbes du
type M2 (« personnellement », « franchement », «
sincèrement »). (Orecchioni 2006 : 133).
66
Exemple 30 « Aujourd'hui, j'exprime,
nous exprimons clairement une fronde contre la division. Ne faisons pas,
mesdames et messieurs les députés, comme si notre pays
n'était pas dans une économie ouverte, comme si le monde du
travail et de l'entreprise n'avait pas profondément
changé, comme si notre jeunesse ne nous envoyait pas des messages
d'alerte ».30
Dans cet exemple nous avons souligné deux adverbes
subjectifs : clairement et profondément. Le premier
révèle l'attitude du locuteur en tant que « je » mais
aussi celle du gouvernement et de la majorité en tant que « nous
». Il est question d'une agitation, d'une lutte contre la division. Et
l'adverbe clairement démontre que le gouvernement annonce
explicitement sa position. L'énonciateur doit la vérité
aux Français et ne pourrait pas se permettre de masquer la situation et
de dissimuler les faits réels. L'adverbe profondément
exprime ce que ressent l'orateur quant à la situation actuelle au
moment qu'il tienne ces propos. Selon lui le monde du travail et de
l'entreprise a pleinement changé, donc il est question d'une
transformation totale qui a marqué les esprits. Ce changement absolu
n'est pas passé inaperçu et le locuteur sent une
nécessité d'en parler.
Dans le chapitre suivant nous avons pour objectif de nous
focaliser sur plusieurs types de phrases et de connecteurs argumentatifs. Les
résultats de cette étude nous aideront à compléter
notre analyse afin de déterminer précisément les
spécificités de l'ethos du Premier ministre Manuel Valls.
30Engagement de la responsabilité du
gouvernement, en application de l'article 49.3 de la Constitution, sur le vote
du projet de loi "Travail : nouvelles libertés et protections pour les
entreprises et les actifs", à l'Assemblée nationale le 10 mai
2016
67
CHAPITRE 4. Procédés langagiers
4.1 Les types de phrase
Dans ce chapitre nous avons choisi d'examiner attentivement
des procédés langagiers de l'ethos. Quand nous disons «
procédés langagiers », il faut bien avoir en tête
qu'il s'agit de types de phrase et de connecteurs argumentatifs. Dans le
chapitre 4, notre objectif est d'utiliser strictement les mêmes exemples
que ceux du chapitre 2 afin de mettre en lumière les atouts
linguistiques des ethos d'identification et de crédibilité. Donc
nous allons voir comment par exemple le discours de l'ethos de chef est
structuré en sachant que son but ultime est, en premier lieu, d'attirer
l'attention et si possible influencer ou même convaincre son auditoire.
Nous allons découvrir également si le chef du gouvernement se
sert plutôt de phrases exclamatives et impératives pour mettre en
valeur l'autorité de cet ethos. Idem pour les ethos de puissance et de
caractère - nous comptons les regarder de près et croiser les
résultats obtenus. En ce qui concerne les ethos de
crédibilité, peut-il avoir des surprises au niveau du choix des
phrases ayant pour but d'exprimer des idées, convictions et
compétences. Nous pouvons supposer par exemple que pour construire un
ethos de « sérieux », le locuteur utilise plutôt des
phrases déclaratives et impératives. Il prend au sérieux
tout ce qu'il affirme et ne peut pas se permettre de se ridiculiser devant son
public. Quant aux ethos de « vertu » et de « compétence
», nous imaginons un mélange de types de phrase sans avoir une
différence fondamentale entre eux au niveau du taux d'utilisation. Bien
entendu, ce ne sont que des hypothèses, donc il reste à
découvrir le rôle des types de phrase dans la construction des
ethos d'identification et de crédibilité.
68
Dans son précis de grammaire, D. Maingueneau annonce
que les phrases ne sont pas seulement des organisations syntaxiques ; elles
sont aussi mises en relation de deux partenaires à travers
l'activité énonciative, et l'énonciateur y marque son
attitude à l'égard de son propre énoncé. Si nous
entendons par « phrase » toute séquence verbale douée
de sens et syntaxiquement complète, nous sommes amenés à
distinguer entre phrase verbale et phrase non verbale, selon que la phrase
s'organise ou non autour d'un verbe. Selon D. Maingueneau (Maingueneau 2015 :
85), les phrases verbales présentent des structures très
variées qui correspondent à des actes de langage fondamentaux et
sont identifiables par une intonation spécifique. Il est
intéressant de constater qu'il ne reconnaît que 3 types de phrase
: le type déclaratif (ou assertif), le type interrogatif et le type
impératif (ou injonctif). Le premier type permet d'affirmer quelque
chose de vrai ou de faux sur le monde ; c'est le type non marqué, celui
par rapport auquel se définissent les deux autres. Il correspond le plus
souvent à l'ordre GN-GV et son intonation canonique est montante puis
descendante. Il domine largement à l'écrit. Le deuxième
type permet de questionner quelqu'un, qui est ainsi placé dans
l'alternative répondre/ne pas répondre. Son intonation est en
général montante. Mais toute structure interrogative n'est pas
une question. Le troisième type est lié à l'injonction ;
il s'exprime par une intonation descendante. Sa structure est celle d'un verbe
à l'impératif, sans sujet exprimé et à la 2e
personne ou la 1re du pluriel. En définissant les phrases exclamatives,
D. Maingueneau considère qu'il s'agit d'un effet de sens qui s'ajoute
aux trois types de phrase, et non pas d'un quatrième type de phrase.
Selon lui, les phrases exclamatives permettent à l'énonciateur
d'exprimer une réaction affective forte, le plus souvent en marquant le
haut degré. Elles possèdent une intonation spécifique, qui
met en valeur le constituant sur lequel porte l'exclamation.
69
Par rapport à D. Maingueneau qui nous parle des actes
de langage, R. Eluerd dans sa grammaire descriptive de la langue
française (Eluerd 2008 :183), utilise le terme de modalités
d'énonciation. Ces dernières expriment l'attitude de
l'énonciateur à l'égard de son interlocuteur. Suivant
cette logique, donc, nous pouvons distinguer quatre types morphosyntaxiques et
sémantiques de phrase : déclaratif, interrogatif,
impératif et exclamatif. Toute phrase présente obligatoirement
l'une de ces modalités et une seule. R. Eluerd fait la comparaison entre
interrogation totale et interrogation partielle. Selon lui, l'interrogation
totale, ou appelée encore interrogation globale par M. Grevisse et A.
Goosse, porte sur la phrase dans son ensemble. L'interlocuteur est
sollicité pour achever l'assertion. Sa réponse doit exprimer un
oui ou un non. L'interrogation partielle porte sur un des
termes de la phrase. Une réponse réduite à oui ou
non est impossible. L'interrogation peut être insistante,
c'est-à-dire renforcée par le ton ou par un mot d'appui. R.
Eluerd nous dit que la phrase impérative est employée quand un
je attends, ordonne, souhaite que quelqu'un fasse ou ne fasse pas
quelque chose. C'est donc une modalité spécifique de
l'énonciation discours dans la forme de l'oral réel ou fictif.
L'injonction peut être insistante, c'est-à-dire renforcée
par une interjection. R. Eluerd nous propose une définition identique
à celle de D. Maingueneau concernant la phrase déclarative et la
phrase exclamative. Les deux grammairiens belges, M. Grevisse et A. Goosse,
considèrent également que dans la langue française il y a
quatre types de phrase. Nous devons tout de même préciser que la
phrase impérative se termine par un point d'exclamation quand le
locuteur prononce des propos avec une force particulière ; il s'agit
d'une demande ou d'un ordre. La phrase exclamative se caractérise par
son affectivité et l'énonciateur exprime librement ses sentiments
à haute voix. (Grevisse et Goosse 2009 : 77).
4.1.1 La phrase déclarative
Exemple 3/p.18 « Nous allons
entretenir, je l'espère, comme un feu ardent, cet état d'esprit
et nous appuyer sur la force de son message d'unité. Et en revendiquant
fièrement ce que nous sommes. En le faisant, en nous rappelant sans
cesse de nos héros, ceux qui sont tombés, ces 17, la semaine
dernière ».
Comme nous avons déjà pu constater, cet exemple
caractérise l'ethos de « puissance ». Nous avons trois phrases
déclaratives séparées par le même signe de
ponctuation. Dans la première phrase, qui est relativement longue, le
locuteur déclare publiquement son optimisme, sa volonté et son
espérance à l'égard de l'état d'esprit de son
peuple. Il affirme à haute voix que ce dernier se trouve sur la bonne
voie et doit garder cet enthousiasme et ce sentiment d'unité notamment
autour des valeurs de la République. Nous devons préciser qu'en
prononçant cette phrase, le locuteur fait référence
à la manifestation de 11 janvier 2015. L'énonciateur fait une
comparaison afin d'encourager ses compatriotes et de leur rappeler
qu'uniquement tous ensemble sont capables de changer la situation en leur
faveur, car l'unité fait la force. Le locuteur se sert d'une phrase
déclarative pour faire passer son message, en espérant que
celui-ci sera compris dans sa totalité. La deuxième phrase est
plutôt courte. Le sujet parlant annonce et rappelle en même temps
à son auditoire qu'il ne doit pas oublier ses origines, son histoire et
son identité. En s'appuyant sur la force du passé et en
particulier sur des dates remarquables et éternelles, le peuple
résiste aux difficultés actuelles et montre aux
générations à venir comment doivent-elles procéder
et quels moyens doivent-elles utiliser pour faire face à des situations
extrêmement délicates. En prononçant cette phrase
assertive, le locuteur s'adresse à son peuple pour affirmer
qu'être fier signifie avoir de la
70
dignité dans son caractère et que les autres lui
doivent le respect. La troisième phrase est plutôt longue et
l'énonciateur rend hommage aux victimes des attentats contre Charlie
Hebdo et l'Hyper Cacher, en déclarant que l'histoire de la France vient
de connaître ses nouveaux héros. Ces derniers ont fait preuve de
courage, de patriotisme, de sang-froid, de fidélité, et le peuple
doit faire en sorte que leur exploit ne soit pas rapidement oublié. Le
locuteur qualifie ces victimes en utilisant le mot « héros »,
car elles représentent un modèle de comportement rarement vu, et
ces héros méritent d'avoir le respect de toute la
société. Etre fidèle à la République et ses
valeurs signifie prendre des risques, se mettre en danger si nécessaire,
défendre sa patrie et ses compatriotes, défendre
l'intérêt général et être prêt à
se sacrifier entièrement au nom de la France et ses biens
précieux. Nous pouvons constater que le locuteur prononce ces trois
phrases déclaratives afin d'informer et en même temps rassurer son
auditoire (le peuple français) qu'il s'agit d'une situation
délicate mais l'unité nationale et l'esprit collectif entre les
citoyens de tout un pays, donneront des résultats positifs à
l'égard de cette guerre contre l'ennemi, donc le terrorisme et notamment
l'islamisme radical.
Exemple 11/p.31 « Le peuple
Français, une fois encore, a été à la hauteur de
son histoire. Mais, c'est aussi, pour nous tous sur ces bancs, vous l'avez dit,
un message de très grande responsabilité. Etre à la
hauteur de la situation est une exigence immense. Nous devons aux
Français d'être vigilants quant aux mots que nous employons et
à l'image que nous donnons.»
Cet exemple caractérise l'ethos de «
sérieux » et il est composé de quatre phrases
déclaratives. En lisant la première phrase, nous comprenons qu'il
s'agit d'un jugement positif de la part du chef du gouvernement, porté
sur le comportement de ses compatriotes. Le locuteur déclare clairement
que le
71
peuple français a réagi correctement face aux
attentats ayant eu lieu à Paris. Les Français ont répondu
présents et ont montré explicitement au monde entier que le droit
à la parole est sacré et fait partie des valeurs de la
République. Ceux qui s'attaquent à ce droit prioritairement
démocratique, s'attaquent à la liberté des gens et
notamment leur besoin d'exprimer leur point de vue. L'orateur affirme que le
peuple français a vigoureusement défendu ses principes et ses
idées de liberté, égalité et fraternité. Le
sujet parlant s'adresse également à tous les
députés et déclare qu'ils doivent être un bon
exemple pour le peuple. Il prend les choses au sérieux et arrive
à estimer réellement la gravité de la situation. L'orateur
annonce que les députés et surtout les hommes de pouvoir (les
ministres) doivent être capables de répondre aux exigences et aux
attentes du peuple. Ils doivent assumer pleinement leurs responsabilités
et agir adéquatement dans des situations complexes, comme celle dont
l'orateur évoque publiquement. Cette situation délicate demande
des efforts collectifs, de la part du peuple français mais
également de la part du gouvernement. L'orateur appelle à
l'unité nationale, car c'est uniquement tous ensemble qu'ils pourront
faire face au péril mortel. Le sujet parlant déclare que le chef
de l'Etat et le gouvernement ont la lourde tâche de prendre des
décisions et des mesures exceptionnelles (exemple : l'état
d'urgence) afin de défendre la liberté de leurs compatriotes.
C'est une immense responsabilité car ces décisions concernent des
millions de gens. Mais aussi parce que si le peuple français reste
déçu, les responsables politiques devront affronter un vent de
critiques et d'attaques personnelles. Par ailleurs les défis existent
pour être surmontés et le gouvernement a l'occasion de prouver ses
compétences. Le locuteur affirme que les députés doivent
être particulièrement attentifs lors de leurs allocutions ou tout
simplement activités publiques, car l'image qu'ils dégagent est
censée répondre aux attentes du peuple français. En
d'autres termes, les hommes politiques ont pour mission d'être
exemplaires et de bien soigner leur image professionnelle et publique. Cela est
également valable en
72
73
ce qui concerne le vocabulaire dont ils se servent parce que
leur statut social ne leur permet pas d'utiliser n'importe quel propos dans
n'importe quelle situation. Donc la popularité et le pouvoir politique
exigent des sacrifices et des privations personnelles.
Exemple 12/p.32 « Je vous dois cette
vérité, et nous devons cette vérité aux
Français. Pour y faire face, partout sur le territoire, des militaires,
des gendarmes, des policiers sont mobilisés. »
Cet exemple illustre l'ethos de « vertu » et il est
composé de deux phrases assertives. Le locuteur se montre honnête
et déclare que le peuple français mérite de savoir la
vérité. Etre sincère et ne pas avoir peur de dire la
vérité, signifie que le locuteur préfère la
transparence et la loyauté. Mais de quelle vérité
s'agit-il exactement ? Nous devons rappeler que cet extrait fait partie de
l'allocution de Manuel Valls dans laquelle il rend hommage aux victimes des
attentats, mais aussi il déclare publiquement que la France est en
guerre. Donc il est question de cette vérité, dite et
assumée pleinement par le chef du gouvernement. Ce dernier
considère que ses compatriotes ont le droit de savoir qui sont leurs
ennemis et surtout pourquoi ils s'attaquent à un pays laïque, et
notamment à la liberté de culte, de conscience et d'opinion.
Ainsi les députés, élus par le peuple français,
doivent la vérité à ce dernier car grâce au vote des
électeurs, ils ont obtenu le pouvoir. Le locuteur déclare
également quelles mesures sont prises afin de garantir la
sécurité des citoyens. Donc en prononçant ces deux phrases
déclaratives, l'orateur énonce la vérité attendue
par les Français, et en même temps rassure ces derniers en
affirmant que des décisions étaient prises en faveur du
peuple.
74
Exemple 14/p.34 « Je le dis
modestement, avec mon expérience, non pas de Premier ministre ou de
ministre de l'Intérieur, mais d'élu de la banlieue parisienne, de
maire d'Évry pendant onze ans : les mots que j'ai utilisés hier,
en parlant de processus de ségrégation, de ghettoïsation,
d'apartheid territorial, social, ethnique, pour un certain nombre de quartiers,
je les ai toujours employés car, comme d'autres, ici, sur tous les
bancs, j'ai vécu directement les situations qu'ils désignent.
»
Cet exemple décrit l'ethos de « compétence
» et il est composé d'une longue phrase assertive. En
prononçant cette phrase, le locuteur déclare et rappelle en
même temps qu'il a occupé deux postes en tant que responsable
politique avant d'être nommé Premier ministre. C'est-à-dire
qu'il a de l'expérience dans le domaine de la politique et qu'il peut se
permettre de donner des leçons ou des conseils quant à
différents types de situations. L'orateur a connu de près le
terrain et est capable de proposer des idées, projets et même des
solutions aux problèmes et aux préoccupations des habitants. Nous
pouvons remarquer que son expérience est justifiée, car il
explique brièvement son parcours et fait comprendre qu'il a du
vécu. Le sujet parlant se sert d'une longue phrase déclarative
pour illustrer la réalité telle qu'elle est en tenant des propos
fiables et cohérents. Il emploie des paroles précises afin de
nommer les choses et de mettre en évidence la vraie signification des
termes en question. La compétence est une capacité reconnue dans
un domaine, et ici en l'occurence il s'agit d'un locuteur qui parle de ses
connaissances acquises par le biais de la pratique.
4.1.2 La phrase exclamative
Exemple 4/p.20 «Si en deux minutes
il fallait résumer l'outrance, la démagogie et le vrai visage de
l'extrême droite, vous venez de le démontrer parfaitement. [...]
Je ne veux pas que le 22 mars mon pays se réveille avec la gueule de
bois, [...] face à vous, face à vos candidats, ils sont des
dizaines à tenir des propos antisémites, racistes, homophobes,
sexistes [...] face à cela, madame, je mènerais une campagne,
toujours ! Il faut dire la vérité aux Français, vous les
trompez, vous trompez les petites gens, ceux qui souffrent ! [...] Il est temps
que dans ce pays il y a un débat, on déchire le voile, la
mascarade qui est la vôtre ! [...] Alors, madame, jusqu'au bout je
mènerai une campagne pour vous stigmatiser et pour vous dire que vous
n'êtes ni la République, ni la France ! ».
Nous pouvons constater que dans cet exemple la présence
de points d'exclamation est bien évidente. Cet exemple détermine
l'ethos de « caractère » et le locuteur prononce ces phrases
avec une force particulière. D'abord il annonce publiquement que
l'extrême droite utilise des moyens interdits afin d'augmenter le nombre
de ses membres et sympathisants. Autrement dit, ce parti politique trompe les
gens et profite de leur désespérance à l'égard de
la situation politique dans le pays. Il est question d'un vote de colère
et cette colère pousse les électeurs vers l'extrême. Et
notamment ce sentiment fort les rend aveugles et ils n'arrivent pas à
voir le vrai visage de l'extrême droite. L'énonciateur exprime sa
volonté et déclare son souhait concernant l'avenir de la France,
et en même temps il annonce son inquiétude quant à la
progression de ce parti politique. Le locuteur n'aimerait pas voir son pays
dans un état de choc si jamais l'extrême droite s'approprie le
pouvoir. Donc il déclare à haute voix son antipathie à
l'égard des propos insupportables venant de la part des
75
candidats de l'extrême droite. Ces candidats se
permettent de prononcer des paroles vulgaires et grossières qui sont en
total désaccord avec les valeurs de la République. Le sujet
parlant annonce que la seule façon d'arrêter l'extrême
droite, c'est de mener une campagne électorale. Cela lui permettra sans
doute de stopper le développement de son adversaire, ce parti politique
qui aimerait mettre en oeuvre ses idées antirépublicaines et
antidémocratiques pour déstabiliser le pays et son
fonctionnement. Le locuteur annonce qu'il tient à dire la
vérité, telle qu'elle est, à ses compatriotes car ils
méritent de la savoir, et de plus cela fait partie de leurs droits
républicains. L'extrême droite profite de l'ignorance et de
l'incompétence des petites gens pour leur montrer une fausse
réalité et un avenir lointain et instable vers lequel ce parti
politique aimerait les amener. Ceux qui souffrent se trouvent dans une
situation complexe et ils croient vraiment que l'extrême droite mettra
fin à leurs préoccupations. La politique peut être
comparée à un jeu de masques où le beau parleur arrive
à faire croire les gens à tout ce qu'il énonce concernant
des questions cruciales. Le locuteur reproche ouvertement à ce parti
politique les actes de ses dirigeants et candidats, qu'il juge indignes et
hautement provocateurs. L'énonciateur adresse une invitation directe
à l'extrême droite et annonce le début d'un vrai
débat- projet contre projet. Le locuteur souhaite que ce parti politique
joue enfin cartes sur table et dévoile devant les électeurs ses
idées et convictions. Ce scénario a duré assez longtemps
et il est nécessaire que les dirigeants de l'extrême droite soient
honnêtes avec leurs électeurs et sympathisants lors de leurs
discours et campagnes électorales. Parce que ceux et celles qui
dissimulent la vérité préfèrent
l'intérêt personnel devant l'intérêt
général, c'est-à-dire celui du peuple. Le sujet parlant
prononce la dernière phrase avec beaucoup de force et d'émotion
en déclarant qu'il condamne fermement l'attitude et le comportement des
représentants de l'extrême droite. C'est pourquoi il poursuivra
jusqu'au bout ses efforts afin d'empêcher ce parti politique d'avoir le
contrôle sur certaines régions de la France. Dans cet
76
77
exemple qui illustre l'ethos de « caractère
», nous pouvons remarquer que le locuteur utilise des phrases exclamatives
pour affirmer clairement sa position contre l'extrême droite, ce parti
politique qui trompe ses électeurs et les pousse jusqu'à
l'excès.
4.1.3 La phrase impérative
Exemple 8/p.26 « Je sollicite votre
confiance afin de poursuivre notre politique économique. Je sollicite
votre confiance car la politique de mon gouvernement est guidée par les
valeurs de la République, des valeurs chères à la gauche -
la Nation, le principe d'égalité et de justice - qui s'adressent
à tous les Français. »
Cet exemple est composé de deux phrases performatives
(impératives) et caractérise l'ethos de « chef ». Le
locuteur a l'intention de poursuivre la politique économique
menée par le gouvernement, et pour ce faire il demande un vote de
confiance. Donc les députés décident d'accorder ou non
leur confiance au gouvernement en place. Nous pouvons affirmer qu'il s'agit
d'une demande de la part de l'énonciateur adressée à tous
les députés. L'orateur croit vraiment que la politique
économique du gouvernement est la bonne et il faut continuer à
l'appliquer et la développer pour que les résultats viennent.
Bien sûr que cette action demande la patience et la compréhension
des Français, car les réformes et les changements politiques ne
s'effectuent pas du jour au lendemain. Cela est beaucoup plus compliqué
parce que le chef du gouvernement doit d'abord faire peser les risques
existentiels, c'est-à-dire le pour et le contre avant d'entreprendre
quoi que ce soit en faveur de l'intérêt commun. En d'autres
termes, l'orateur doit être particulièrement concentré et
attentif lors de la prise des décisions ayant un rôle fondamental
pour l'avenir du
78
peuple. Le locuteur affirme clairement que la politique du
gouvernement est guidée par des valeurs républicaines, et
notamment la liberté, l'égalité, la fraternité et
la laïcité. La possibilité de croire ou ne pas croire, la
possibilité de vivre en communauté avec des gens venant de
différents coins du monde, la possibilité de s'ouvrir à
une autre ou même plusieurs cultures, la possibilité
d'échanger avec des inconnus et faire connaissance avec des gens
sympathiques et aimables. L'énonciateur déclare que le principe
d'égalité entre hommes et femmes est fort important pour le
développement de la société et ses principes. L'histoire
moderne reconnaît l'égalité entre les deux sexes, donc les
femmes ont tout à fait le droit d'accéder aux postes
gouvernementaux. Contrairement au régime politique du début du
20e siècle où les femmes n'avaient pas le droit de voter.
L'orateur déclare également que le principe de justice concerne
chaque résident qui se trouve sur le territoire français. En
prononçant ces deux phrases impératives, le locuteur s'adresse
à tous ses compatriotes pour leur énoncer que les valeurs de son
parti politique et de son gouvernement sont exactement les mêmes que
celles de la Nation.
Suite aux exemples que nous avons analysés, nous
pouvons constater que le locuteur se sert prioritairement de phrases
déclaratives et exclamatives pour exprimer ses idées et
convictions ; mais également donner des renseignements et
déclarer des décisions prises par le Président de la
République et le gouvernement. Nous remarquons l'absence de phrases
interrogatives.
79
4.2 L'argumentation dans la politique
4.2.1 Définir l'argumentation
« Peut-on analyser le discours politique sans tenir
compte de l'argumentation ? Chez Aristote, le discours
délibératif, destiné à réguler la vie de la
Cité, est au centre du dispositif rhétorique. Fondé sur
l'exhortation et la dissuasion, il vise l'avenir en termes d'avantages et
d'inconvénients. C'est en des termes similaires qu'on définit
aujourd'hui la communication politique qui, en régime
démocratique, tente de faire adhérer les destinataires aux choix
politiques qui leur sont proposés. » (Gerstlé, cité
par Amossy et Koren, 2010 : 13-21). Cela veut dire que depuis l'ère
d'Aristote jusqu'à présent, la position et le rôle de
l'argumentation dans la politique n'ont pas subi de changements remarquables.
Par le biais de l'argumentation les représentants du peuple proposent
à ce-dernier des idées, des projets, des lois et si
nécessaire des référendums. Et suivant cette logique, nous
parvenons à la conclusion que l'argumentation renforce l'allocution
politique de celui qui entraîne l'adhésion de l'auditoire par son
éloquence. Perelman et Olbrechts-Tyteca nous disent que « [...] une
argumentation efficace est celle qui réussit à accroître
cette intensité d'adhésion de façon à
déclencher chez les auditeurs l'action envisagée (action positive
ou abstention), qui se manifestera au moment opportun. » (Perelman et
Olbrechts-Tyteca, 2008 : 59).
Pierre Oléron définit l'argumentation comme ceci
: démarche par laquelle une personne - ou un groupe - entreprend
d'amener un auditoire à adopter une position par le recours à des
présentations ou assertions - arguments - qui visent à en montrer
la validité ou le bien-fondé. (Oléron 1983 : 4). Il existe
trois
80
caractéristiques de l'argumentation ayant pour objectif
de déterminer ses fonctions primaires. D'abord l'argumentation fait
intervenir plusieurs personnes : celles qui la produisent, celles qui la
reçoivent, éventuellement un public ou des témoins. «
Toute argumentation se développe en fonction de l'auditoire auquel elle
s'adresse et auquel l'orateur est obligé de s'adapter. » (Adam et
Heidmann, 2005 : 174). Il est question d'un phénomène social.
Ensuite il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'un exercice
spéculatif, comme le seraient par exemple la description d'un objet ou
bien la narration d'un événement. C'est une démarche pour
laquelle une des personnes vise à exercer une influence sur l'autre. Et
enfin, l'argumentation fait intervenir des éléments de preuve en
faveur de la thèse défendue, qui n'est pas imposée par la
force. C'est une procédure qui comporte des éléments
rationnels ; elle a ainsi des rapports avec le raisonnement et la logique.
Nous avons déjà pu constater que notre sujet
d'étude tient à dire la vérité aux Français
quoi qu'il en coûte. Il se revendique Chef du gouvernement et Premier
ministre de mission, et il aimerait poursuivre son engagement jusqu'au dernier
jour du quinquennat. Selon la théorie de Perelman et Olbrechts-Tyteca,
notre locuteur devrait se servir d'une argumentation dite persuasive lors d'un
meeting de son parti politique, en l'occurence le Parti socialiste, et d'une
argumentation nommée convaincante le jour où il s'adresse
à tous les Français. « Nous nous proposons d'appeler
persuasive une argumentation qui ne prétend valoir que pour un auditoire
particulier et d'appeler convaincante celle qui est censée obtenir
l'adhésion de tout être de raison. » (Perelman et
Olbrechts-Tyteca, 2008 : 36). Et comme toute activité intellectuelle,
l'argumentation est théoriquement subordonnée à la
vérité, qu'elle est censée respecter et - bien plus -
contribuer à établir. (Oléron 1983 : 12). Pierre
Oléron déclare que même dans les sociétés
modernes, l'argumentation n'est pas une démarche parfaitement libre qui
peut être engagée à tout moment, par n'importe quelle
personne, sur n'importe quel sujet. Comme toutes les
modalités d'expression de la pensée, elle ne peut intervenir que
s'il est préalablement accepté qu'un débat soit ouvert et
si celui qui se propose de défendre ou justifier une position se voit
d'abord accorder le droit de prendre la parole. En France par exemple, il y a
des séances de questions au Gouvernement et le temps consacré
à chaque question, réponse du ministre comprise, est de 4
minutes. 15 questions par séance sont adressées au Gouvernement
et la parité entre la majorité et l'opposition est
réalisée sur 2 séances, à raison de 15 pour la
majorité et 15 pour l'opposition. Les députés non inscrits
peuvent poser une question tous les deux mois.
Avec l'argumentation sont transmis des éléments
visant à créer (ou renforcer) des convictions, dispositions
à agir, attitudes. Ces éléments peuvent comporter des
informations mais celles-ci sont subordonnées à l'intention de
convaincre et non simplement d'enrichir les connaissances du récepteur.
(Oléron 1983 : 23).
Nous pouvons distinguer de grandes catégories en
fonction desquelles l'argumentation peut être adaptée, car chaque
public cible est spécifié. Par exemple dans la
Rhétorique, Aristote présente une typologie
correspondant à des groupes se différenciant par l'âge
(jeunes et vieux) et le statut social (noblesse, richesse etc). Il indique pour
chacun des éléments de leur psychologie qui devrait permettre
à l'orateur de tenir un discours approprié et efficace.
L'argumentation se déroule sur le plan de la parole
(orale ou écrite). Le langage en est donc la matière et
l'instrument et nous comprenons mal les mécanismes de l'argumentation si
nous ne nous représentons pas les modalités de son intervention.
Autrement dit pour mieux saisir les propos d'un homme politique, il
81
82
faut bien connaître le langage politique avec tous ses
particularités. Qui plus est, la politique est un domaine dans lequel
chaque terme a du poids et il nécessite que nous soyons attentifs afin
d'éviter le risque de quiproquos possibles. Il ne faut pas oublier que
l'une des fonctions principales du langage est la possibilité de faire
d'un ennemi un ami rien qu'en se servant de bonnes paroles. Donc argumenter
signifie également proposer à notre interlocuteur ce dont il a
besoin au moment de la causerie. Les arguments peuvent être
comparés à des embellissements ayant pour objectif de
décorer nos paroles afin de les rendre plus puissantes et touchantes. Le
langage n'est pas cependant un simple décalque et il comporte des
éléments propres qui contribuent à agir sur l'auditeur et
à l'amener à une certaine conviction.
Quand il est question de l'argumentation, il est
nécessaire de distinguer trois catégories : la transmission d'une
conviction, la délibération et la justification. Pierre
Oléron affirme que dans le premier cas le terme est fixé : celui
qui argumente est convaincu, il cherche seulement à faire partager sa
conviction. Dans le second, au contraire, c'est après l'argumentation
que sera déterminé ce qu'il convient de faire. De ce point de vue
la justification reste proche du premier cas puisque ce qu'il s'agit de
justifier est donné ; c'est le contexte psychologique qui peut permettre
de la distinguer. Nous pouvons constater que le fait de justifier ou se
justifier correspond à une attitude de défense. C'est logique car
celui qui se justifie, se sent provoqué par les propos de son/ses
interlocuteur/s et se sert de contre-arguments pour démontrer qu'il a
raison. P. Oléron souligne que la justification est souvent
présentée comme un type original d'argumentation. La place
donnée à la justification peut trouver sa raison dans
l'importance qu'elle occupe dans la vie pratique mais également dans la
législation. Celle-ci exige que les décisions administratives
soient clairement argumentées. Et selon cette théorie, la
justification ne devrait pas être séparée de son antonyme :
l'attaque ou la critique. La justification et la critique font
partie de l'argumentation et visent à faire partager la
conviction de l'apologiste ou du critique ou à orienter la
décision. (Oléron 1983 : 109).
L'argumentation met en jeu, d'une manière
générale, une pluralité d'arguments. Au contraire de la
démonstration qui est normalement unique, un argument paraît
rarement assez fort pour entraîner la conviction. En invoquant plusieurs,
le locuteur attend une sorte d'addition des effets qui augmentera les chances
de provoquer celle-ci. Par ailleurs l'esprit critique soupçonne
facilement que la multiplication d'arguments dissimule l'incapacité d'en
produire un petit nombre, voire un seul qui soit vraiment convaincant.
P. Oléron déclare que les arguments sont de
force inégale. La force des arguments est prise en compte lorsqu'il
s'agit de déterminer leur ordre de présentation. La question que
l'on se pose est la suivante : faut-il commencer par les arguments les plus
forts ou, au contraire, terminer par eux ? La première démarche
paraît justifiée concernant la disposition favorable de
l'auditoire et son objectif, et de le rendre accueillant aux arguments qui
suivent. En revanche la présentation d'arguments plus faibles à
la suite risque d'atténuer l'effet des premiers, oubliés au
profit de ceux qui ont peu de valeur démonstrative. L'ordre inverse
paraît favoriser une marche progressive, les premiers arguments
préparent à accueillir d'une manière positive ceux qui
doivent entraîner la conviction. La deuxième question que nous
pourrions nous poser : mais des arguments faibles présentés
d'abord ne risquent-ils pas d'indisposer l'auditoire ou au moins de lasser son
attention ? D'où la tendance à préconiser un ordre mixte
où les arguments les plus forts sont placés au début ou
à la fin, les plus faibles au milieu - ordre dit homérique.
La cohérence est considérée comme une
condition nécessaire de l'argumentation. Elle constitue une sorte
d'argument indirect supplémentaire. Si
83
84
les arguments sont bien organisés et se tiennent, ils
témoignent en faveur de la solidité de la thèse.
D'où l'effort de l'émetteur pour assurer cette cohérence
et la souligner. Inversement quand il s'agit de démolir la thèse
adverse, une bonne stratégie est de tenter de montrer
l'incohérence des divers arguments. Il n'est guère
d'argumentation qui ne porte sur des matières prêtant à
désaccord ou à controverse. Ainsi celui qui argumente ne se
trouve-t-il pas simplement en face de la matière à traiter et de
l'auditoire cible, mais en plus devant un adversaire réel ou potentiel
défendant une position différente ou opposée. L'auditoire
peut être considéré comme attaché au départ
à une position qu'il est nécessaire de combattre, afin de
l'amener à celle que l'on s'attache à soutenir. « L'emploi
des arguments négatifs dépend de la force de l'adversaire. S'il
occupe une position dominante ou égale on l'attaquera parce qu'il
convient de l'affaiblir. Si ce n'est pas le cas, le silence ou au moins la
discrétion paraissent appropriés. » (Oléron 1983 :
117).
4.2.2 Les connecteurs argumentatifs
Ruth Amossy annonce que le dit et le non-dit s'inscrivent dans
des énoncés qui ne peuvent se développer dans
l'argumentation qu'à l'aide d'instruments de liaison : ce sont les
connecteurs. Ceux-ci ont été abondamment étudiés
par Ducrot et les pragmaticiens situés dans sa mouvance. Les connecteurs
touchent directement à l'analyse argumentative en ce qu'ils ajoutent
à leur fonction de liaison une fonction de mise en relation
argumentative. Les unités ainsi articulées sont de types divers,
et on a souvent souligné leur
hétérogénéité. Le connecteur peut
opérer entre deux énoncés, entre deux lexèmes,
entre de l'implicite et de l'explicite, entre énonciation et
énoncé. (Amossy 2014 : 197).
Bernard Meyer déclare que l'argumentation est
liée à la notion de liberté : liberté de penser,
d'exprimer sa pensée, de contredire la pensée d'autrui. Celui qui
aimerait convaincre est bien celui qui cherche à imposer son avis
à son interlocuteur ou son auditoire. Si nous partons dans ce sens,
argumenter rejoint les fonctions du verbe manipuler. Sur la
scène politique le locuteur se permet de manipuler la foule afin de
pouvoir passer ses idées et convictions. Dans son argumentation il se
sert de mots-clés pour mettre en lumière l'importance de ses
propos. « Si l'énoncé du sujet est quelque peu long, il est
possible que des mots de liaison soient utilisés. Ils sont en
général importants car ils indiquent un rapport essentiel entre
deux termes ; il peut s'agir de la cause, de la conséquence, de
l'opposition, du but et de l'hypothèse. Dans tous les cas, ils
permettent de saisir un élément clé de
l'énoncé. » (Meyer 2011 : 44). Les tournures sont un
élément fondamental dans la construction de l'argumentation. Donc
nous allons nous intéresser aux principales tournures figurant dans les
discours de notre sujet d'étude. Mais d'abord nous allons vous proposer
un petit rappel concernant ces connecteurs.
4.2.2.1 Les connecteurs exprimant la
cause => en effet, parce que, du fait que, puisque, étant
donnée que, dès lors que, d'autant que, sous prétexte que,
ce n'est pas parce que, ce n'est pas que, non que... mais (parce que), à
cause de, en raison de, au nom de, à la suite de, sous l'effet de,
à force de, grâce à, faute de, résulter de,
être dû à, dépendre de, découler de, provenir
de, ressortir à...
Exemple 31 « Le projet de loi
poursuit dans cette voie en clarifiant les motifs de licenciement
économique, non pas pour faciliter les licenciements, comme le disent
certains d'ailleurs, qui peut le croire ? mais pour donner plus de
visibilité et donc favoriser les embauches en CDI. Encourager l'embauche
en CDI, c'est
85
86
aussi mieux encadrer le recours aux CDD de très
courte durée. Plus de 80 % des embauches sont des contrats à
durée déterminée et la moitié dure moins d'une
semaine. Cela n'existait pas il y a quinze ans. Il faut donc combattre cette
précarité nouvelle et c'est l'enjeu de la négociation sur
l'assurance chômage. Les cinq organisations syndicales sont
déterminées à ce que la future convention soit à la
hauteur des enjeux et je suis confiant dans la capacité des partenaires
sociaux, de tous les partenaires sociaux à assumer leurs
responsabilités et à construire un système de modulation
qui mette un terme à cette dérive. »31
Le locuteur déclare que le projet de loi continue sa
trajectoire vers la finalisation en vue de mettre en lumière les raisons
de licenciement économique. Il est question de préciser la nature
de ce projet car il y a des citoyens qui pensent que cela va déclencher
beaucoup de problèmes entre employés et employeurs. Selon
certains ces derniers auront plus d'autorité et d'autonomie au niveau de
leurs fonctions et droits. Certains croient que le nombre de contrats de
travail suspendus va largement augmenter car les employeurs pourraient-ils se
permettre de licencier des salariés d'une manière abusive et donc
ne répondant pas à la Constitution. Certains citoyens
interprètent ce projet de loi à leur façon, selon leur
conception et donc ont peur de faire confiance au gouvernement car il s'agira
de leur avenir et l'avenir de leurs enfants. L'orateur argumente la position du
gouvernement en déclarant que l'objectif principal de ce projet de loi
est la baisse du taux de chômage mais également mettre en avant
les embauches en CDI. Plus de CDI est égal à plus d'emplois et
respectivement moins de chômeurs de masse. Le contrat de travail à
durée indéterminée garantie dans la plupart des cas une
belle carrière avec une opportunité forte
31Discussion et vote de la motion de censure
déposée, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres
de l'Assemblée, à l'Assemblée nationale le 12 mai 2016
87
de gravir les échelons de la hiérarchie. Ce
modèle réformiste proposé par le gouvernement
tâchera de réduire les problèmes à l'égard du
chômage. L'orateur affirme qu'en stimulant l'embauche en CDI,
l'indemnité de fin de contrat CDD de très courte durée
pourrait être plus aisément encadrée et
contrôlée. Cela veut dire que l'évolution du CDI pourrait
faciliter la procédure de rémunération des salariés
en CDD. L'orateur nous propose des arguments en s'appuyant sur une statistique
démontrant la dominance écrasante des embauches en CDD sur le
marché du travail. Il est intéressant de constater que la
durée de la moitié de ces embauches est inférieure
à 7 jours. Le locuteur établit un parallèle entre la
situation d'aujourd'hui et celle d'il y a 15 ans, en affirmant qu'avant ce
phénomène n'existait pas. Cet argument devrait donner de l'espoir
à tous ceux qui se revendiquent sceptiques car la réforme
gouvernementale pourrait mettre fin à ce phénomène
néfaste et dégradant. Et notamment pour combattre cette
précarité qui préoccupe de plus en plus de citoyens en ces
temps de crise financière, le sujet parlant souligne l'importance de la
négociation sur l'assurance chômage. Celle-ci est définie
comme « un régime d'indemnisation pour les salariés
involontairement privés d'emploi. Elle fonction selon une logique
d'assurance et un principe de solidarité entre les salariés.
» Pour proclamer la fin de cette situation anormale, l'orateur compte sur
l'entraide et la compétence des partenaires sociaux afin de
réaliser ce travail collectif.
4.2.2.2 Les connecteurs exprimant la
conséquence => donc, par conséquent, en
conséquence, c'est pourquoi, dès lors, ainsi, aussi, de (telle)
sorte que, de (telle) façon que, de manière que, si bien que, au
point que, si... que, tant... que, tellement... que, assez... pour que, trop...
pour que, au point de...
88
Exemple 32 « L'ennemi, ce sont aussi
ces individus embrigadés, ces cellules plus ou moins autonomes, plus ou
moins organisées, qui peuvent agir ici, en France, au coeur de notre
société. Ce sont ces ressortissants français,
radicalisés, imbibés de propagande, prêts à prendre
les armes pour frapper d'autres Français, prêts à retourner
les armes contre leur propre pays. À ce jour le ministre de
l'intérieur cite régulièrement ces chiffres, plus de 2 000
Français ou individus résidant en France ont été
recensés pour leur implication dans les filières djihadistes
syro-irakiennes. Depuis le début de l'insurrection en Syrie, plus d'un
millier d'entre eux ont rejoint cette zone de combat. Plus de 600 s'y trouvent
toujours, dont environ un tiers de femmes ainsi que de nombreux mineurs, et 167
y ont trouvé la mort. La justice et les services de police agissent sans
relâche : depuis le début de l'année, Bernard Cazeneuve a
rappelé ce chiffre en conseil des ministres, 74 personnes ont
été interpellées au titre de leur implication dans la
mouvance djihadiste ; 28 d'entre elles ont été placées en
détention provisoire. »32
L'orateur rappèle que la France doit faire face
également à des gens se laissant être manipulés
mentalement par des filières djihadistes. Ces individus
représentent une menace principale et réelle pour le pays car ils
se sont installés sur le sol français. Qui plus est, il s'agit de
groupes terroristes organisés ayant pour but de faire adhérer
d'autres membres afin d'augmenter leur force et leur puissance. Nous pouvons
comparer cette organisation terroriste à un virus mortel placé au
centre de la République française. Et leur plus grand avantage
réside dans le fait qu'ils peuvent attaquer à tout moment,
n'importe où dans le pays et n'importe quand. Cela veut dire que la
France doit être constamment aux aguets afin de pouvoir neutraliser les
terroristes et
32Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
empêcher de nouveaux attentats. Il convient de
préciser ici que la France mène une guerre impitoyable de longue
haleine. Le suspect pourrait sortir de nulle part et causer la mort de
plusieurs dizaines de citoyens. Face à cela, les services de
renseignement doivent doubler leurs efforts car le peuple français
souhaite mettre fin le plus vite possible à cette tragédie : dire
adieu à ses enfants et avoir des jours de deuil national, cela ne fait
pas partie des valeurs de la République. Le sujet parlant annonce que
parmi les terroristes il y a des Français, donc des traîtres
littéralement dit, qui sont passés dans le camp adverse sans
avoir des regrets. Cette menace venant de l'intérieur est
provoquée par le fait que ces individus radicalisés sont
prêts à tout au nom de leurs croyances. C'est-à-dire qu'ils
sont armés jusqu'aux dents et n'attendent que le prochain ordre de leurs
commandants. Ils sont devenus fanatiques à tel point qu'il ne les
dérange pas de tuer leurs compatriotes, d'assassiner des enfants et de
provoquer la mort des gens innocents. Ils se retournent contre leur propre
pays, donc le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs
n'est pas respecté. L'orateur affirme qu'au jour même de son
intervention, plus de 2000 individus auraient l'intention de rejoindre le
groupe djihadiste. En d'autres termes ils voulaient s'investir pleinement au
nom de la lutte armée (djihad). Cette information prouve que les
services de renseignement font des efforts et qu'il y a un certain
résultat, mais celui-ci est insuffisant pour répondre aux
attentes et aux exigences des Français. Ce chiffre élevé
parle de lui-même et les responsables politiques ne doivent pas
sous-estimer son importance. Le locuteur argumente ses propos en tenant compte
de chiffres précis concernant la guerre menée contre le
gouvernement syrien. Cette guerre ne pourrait pas se dérouler sans avoir
des conséquences majeures et l'orateur a fait le point. Ce dernier
souligne le fait que plus de 600 Français ou ressortissants
français radicalisés se trouvent toujours en Syrie et font partie
de cette guerre dévorante. Nous pouvons remarquer que des femmes et des
mineurs ont négligé complètement leur vie normale dans le
but
89
90
de se consacrer à la guerre. Le sujet parlant exprime
sa reconnaissance envers la justice et la police, et met en évidence
leur bilan actuel concernant des suspects possibles ayant pu envisager des
futurs attentats.
4.2.2.3 Les connecteurs exprimant le
but => pour que, afin que, à seule fin que, de peur que, de
crainte que, pour, afin de, en vue de, dans l'intention de, de peur de, de
crainte de...
Exemple 33 « Moi, je ne
présente pas, au nom du Gouvernement, une loi de révision
constitutionnelle qui contiendrait des moyens variables en fonction de la
religion de tel ou tel. Cette loi, je la défends pour protéger
tous les Français, parce que ceux qui ont été
attaqués, ceux qui ont été tués à Paris le
13 novembre étaient de toutes les confessions. Ils pratiquaient toutes
les religions, ils appartenaient à toutes les générations
et ils étaient de toutes les couleurs ! (...) Depuis le début, je
cherche le rassemblement ! Depuis que j'ai soumis cette proposition au
Président de la République, comme la Constitution m'y invitait,
ma mission est de mettre en oeuvre ce qu'il a décidé en son
âme et conscience et qu'il a annoncé le 16 novembre dernier, deux
jours après les attentats. »33
Le locuteur en qualité de Premier ministre et Chef du
gouvernement, tient à informer Messieurs et Mesdames les
sénateurs/trices qu'il s'engage à présenter et
défendre un projet de loi constitutionnelle étant en faveur des
Français. Le sujet parlant justifie ses choix et ses actes en
déclarant que cette loi de révision
33Discussion du projet de loi constitutionnelle,
adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation, au
Sénat le 16 mars 2016
concerne tous les citoyens. Il souligne le fait que la loi
s'applique selon le cas personnel de l'individu, et non pas selon sa confession
religieuse. En tenant ses propos, l'orateur propose une réponse
concrète afin d'éviter tout genre de polémiques ou bien de
quiproquos. Et de plus son objectif n'est pas de diviser les Français en
favorisant certains et en excluant d'autres. Il est nommé Premier
ministre et en tant que tel ne se permettrait jamais de jouer sur la religion
et les croyances de son peuple. Le sujet parlant affirme clairement, et ici
nous retrouvons un argument exprimant le but, que l'adoption de cette loi
augmentera d'une certaine manière le niveau de sécurité de
tous les Français. Selon lui ces derniers seront mieux
protégés et l'éventuelle possibilité d'un nouvel
attentat terroriste sera réduite au maximum. Cette loi vise à
affronter l'adversaire, le faire fuir mais surtout défendre la
liberté des citoyens et les valeurs républicaines. N'oublions pas
que le Premier ministre est aussi responsable de la défense nationale,
même si, souvent, les grandes orientations sont fixées par le
président de la République. Dans ses propos l'orateur fait
référence au massacre du vendredi 13 novembre dernier et à
cette date maudite pour toute la France. Par le biais de ce douloureux rappel
il nous fait remarquer que parmi les victimes il y avait des chrétiens
tout comme des musulmans et juifs. Le locuteur a l'intention de nous faire
assimiler que les trois principales religions en France ont été
gravement blessées et que avant tout nous sommes tous des êtres
humains. En tant que représentant du peuple, c'est le message principal
qu'il lui fait passer sous forme de discussion concernant un projet de loi
constitutionnelle. Le sujet parlant insiste sur le fait qu'au jour de
l'attentat du 13 novembre, les gens se sont rendus au Bataclan dans l'intention
de s'amuser tous ensemble et de passer une merveilleuse soirée. Donc les
préjugés au niveau de la confession religieuse, l'âge ou
encore la couleur de la peau sont remplacés par une ambiance amicale et
détendue jusqu'au moment de l'attaque complètement inattendue. Le
locuteur annonce clairement que depuis qu'il occupe cette fonction, il poursuit
la voie du
91
92
rassemblement. (Ici une nouvelle fois nous retrouvons un
argument exprimant le but). Il s'est engagé à rassembler tous les
Français, malgré les différences qui pourront exister,
jusqu'au dernier jour de son mandat politique. L'orateur démontre sa
cohérence vis-à-vis du Président de la République,
et assume pleinement sa charge confiée par ce dernier.
4.2.2.4 Les connecteurs exprimant
l'opposition => néanmoins, cependant, toutefois,
certes, sans doute, pourtant, en revanche, inversement, au contraire, tandis
que, alors que, quand, là où, si, bien que, quoique, encore que,
quand bien même., que(le)(s) que soi(en)t, quelque(s)... que, si...
que...
Exemple 34 « Et puis il y a ceux
pour qui la décentralisation du dialogue social, la confiance
donnée aux acteurs de terrain ne sont pas un progrès et qui
privilégient une vision centralisatrice dépassée, et ce
alors même que, depuis trente ans, les sujets ouverts à la
négociation, pour lesquels un accord d'entreprise peut adapter les
principes contenus dans la loi, sont de plus en plus nombreux. Il y a, c'est
vrai, une vraie opposition sur la philosophie même du texte : nous
l'assumons, avec la ministre du travail, avec fierté, dans
l'intérêt même des Français. Poursuivre le
débat parlementaire fait courir le risque de revenir sur l'ambition du
projet de loi, de renoncer à sa cohérence, d'abandonner le
compromis que nous avons construit et d'offrir le spectacle désolant de
la division et des postures politiciennes. »34
34Engagement de la responsabilité du
gouvernement, en application de l'article 49.3 de la Constitution, sur le vote
du projet de loi "Travail : nouvelles libertés et protections pour les
entreprises et les actifs", à l'Assemblée nationale le 10 mai
2016
Le sujet parlant annonce qu'il y a des gens s'opposant au
dialogue social mené au niveau local. Dans la plupart des cas il s'agira
de militants et membres d'un parti politique qui s'occupent de la transmission
d'informations et de donner des renseignements concernant des réformes,
lois etc. Ces représentants du parti politique sont bien actifs et
contribuent à la réalisation de différents projets. Ce
sont toujours eux qui s'investissent pleinement sur le terrain politique. Ils
ont la possibilité de discuter et parfois débattre avec des
citoyens afin de les convaincre et faire adhérer à leur parti
politique. Face à face, les yeux dans les yeux, le dialogue social sur
le terrain propose l'opportunité à des citoyens sceptiques et
insatisfaits d'exprimer leur conception et de souligner les défauts du
gouvernement actuel. A titre d'exemple l'activité de
porte-à-porte permet de toucher les citoyens, grâce à un
contact direct. En d'autres termes c'est un dialogue entre le peuple et le
gouvernement s'effectuant par le biais d'intermédiaires. Le locuteur
affirme que les gens qui se revendiquent contre la décentralisation du
dialogue social portent une vision conservatrice de la société et
ne veulent pas accepter les nouvelles méthodes et tendances politiques.
Ils n'admettent pas comme vrai l'évolution du dialogue social. Le sujet
parlant veut incarner le mouvement, c'est-à-dire la réforme face
à toutes formes de conservatisme. Nous pouvons saisir d'ailleurs un
léger étonnement et une faible nuance d'agacement dans ses
propos, il prend son temps de rappeler que depuis trente ans le nombre de
sujets ouverts à la négociation a bel et bien augmenté.
Cela veut dire que par le biais de compromis collectifs, le gouvernement et les
parties adverses pourront établir un consensus. Cette démarche
est possible parce que le gouvernement reste à l'écoute et
accepte des propositions argumentées et réalistes. Par exemple
selon le sujet parlant la loi Travail contient des principes accommodés
à différents contrats d'entreprise. Donc ces principes permettent
la réalisation des accords entre employeur et employé. L'orateur
confirme la présence massive des opposants à la loi Travail et en
même temps montre sa motivation et sa détermination. Il annonce
qu'il
93
reste aux côtés de la ministre du travail et tous
les deux sont fiers de résister jusqu'au bout à tous les
critiques, reproches et frustrations venant de la part des opposants. Le
locuteur considère que l'adoption de cette nouvelle loi est au profit
des Français et son reflet sera récemment remarqué sur le
marché du travail. Le sujet parlant estime que la poursuite du
débat parlementaire concernant la loi Travail provoquera des
conséquences négatives, mais si il veut réformer le pays,
doit être préparé à peser le risque et s'attendre
à des réactions malveillantes et irrationnelles. Il s'agit d'un
projet de loi assez ambitieux pouvant provoquer une division dans le pays et au
sein de l'Assemblée nationale. Et lors de ce débat national les
députés de l'opposition auront l'occasion d'adopter une posture
politicienne répondant à leur position et leur conception de
faire de la politique.
4.2.2.5 Les connecteurs exprimant
l'hypothèse => si, à supposer que, en
admettant que, à condition que, au cas où, en cas de, à
condition de, avec, sans...
En traitant précisément et avec
délicatesse les discours de notre locuteur, nous avons constaté
que l'hypothèse en tant que telle et même des questions
hypothétiques sont absentes. L'orateur est concentré
complètement sur le moment présent, sur son engagement et sa
mission. Il accepte la réalité, assume pleinement son bilan
actuel et garde son optimisme car il croit à l'avenir, et notamment
l'avenir de son pays et ses compatriotes. Son objectif ultime est de rassembler
le peuple autour de valeurs, principes et symboles de la République
française. La réalité est parfois dure mais en
qualité de Premier ministre, notre sujet d'étude fait en sorte
que les tâches venant de la part du Président soient accomplies et
que les projets de loi soient défendus jusqu'au
94
95
bout. Selon notre sujet parlant réformer est
l'équivalent de changer positivement le pays dans l'intention
d'améliorer la qualité de vie. Il s'avère logique le
manque d'hypothèses dans ses propos car il reste fidèle à
ses principes et convictions, reste un homme politique cohérent
démontrant son talent par le biais de l'action et du dynamisme. Manuel
Valls, qui incarne un personnage plutôt sévère, affirme que
la politique n'est pas de spectacle mais quelque chose de profondément
sérieux et dans les moments difficiles que le pays traverse, il ne peut
pas se permettre de jouer sur des hypothèses.
CONCLUSION
Grâce à cette étude nous avons pu
découvrir plusieurs aspects et éléments concernant la
personnalité de Manuel Valls. En nous appuyant sur des discours
politiques, nous avons révélé ses traits de
caractère, sa manière de s'exprimer et d'argumenter, sa vision de
faire de la politique mais également sa conception de la vie.
Par le biais de ses discours Manuel Valls laisse comprendre
qu'il prend toujours les choses au sérieux, sa détermination et
sa motivation l'exigent d'être à la hauteur de la situation et de
répondre présent dans les moments de crise. Il ne se prive pas de
rappeler de temps à autre que c'est lui le Chef du gouvernement et que
les autres lui doivent de respect. Il est un responsable politique plutôt
autoritaire qui ne supporte pas la contradiction. Il convient de bien prendre
garde lors d'un débat avec lui. Les discours de notre sujet
d'étude nous mènent à la conclusion que pour lui
être Premier ministre de France est un grand honneur et énorme
privilège. Il affirme lui-même qu'il s'agit d'une mission, en
l'occurence à durée déterminée, et pendant cette
période il s'engage à répondre aux attentes de ses
compatriotes et à être à leur écoute. Par ses actes
et ses décisions prises Manuel Valls prouve qu'il est prêt
à tout afin de garantir la sécurité de son peuple. Dans
les moments les plus délicats il a su garder son sang-froid et son
attitude de vainqueur car son peuple avait besoin d'un soutien moral. Ce
responsable politique a annoncé que cette guerre de longue haleine sera
gagnée par la France. Cela veut dire qu'il ne met pas en doute la
grandeur et la force de son pays mais également de son peuple. En
analysant ces discours, nous découvrons un « je » affirmatif
et puissant. Le locuteur veut imposer son point de vue et ses principes en
se
96
référant aux valeurs de la République.
Par exemple Manuel Valls déclare que la laïcité, en tant que
valeur républicaine, désigne la capacité d'accepter autrui
tel qu'il est peu importe sa religion, son origine et sa couleur de peau.
Nous constatons que le tempérament colérique de
Manuel Valls est bien présent dans la construction de son ethos.
Jouissant d'une énorme confiance en lui, il réagit parfois
violemment aux critiques ou aux attaques que lui sont adressées. Notre
sujet d'étude peut être comparé à un volcan explosif
qui pourrait exploser si lors d'un vif échange la tension dépasse
les limites. Dans la plupart des cas Manuel Valls se sent provoqué par
les propos venant de la part de l'opposition, et généralement de
l'extrême droite. Notre sujet d'étude se sert d'arguments de
poids, crédibles pour les uns et fallacieux pour les autres, pour
exprimer et défendre avec ardeur sa position. Il sait que dans le
domaine de la politique les mots et les arguments sont capables d'ouvrir chaque
porte. Savoir manipuler la foule peut être considérée comme
une qualité car l'éloquence est un art. Donc nous pouvons
affirmer que Manuel Valls attire l'attention de l'auditoire à sa
façon, c'est strictement personnel car chaque politicien établie
une stratégie politique lors de ses interventions publiques. Parfois
Manuel Valls emploie des propos affectifs mais tout dépend de la
situation et surtout du public auquel il s'adresse. Par exemple s'il veut
réduire la distance entre lui et les auditeurs, il doit utiliser des
propos touchants afin d'attirer leur empathie. Notre sujet d'étude est
un homme politique qui montre explicitement ses émotions et ses
convictions. Il tient à dire la vérité aux
Français, parce qu'il estime que c'est l'un de ses devoirs et
engagements. Nous pouvons énoncer qu'il paraît plutôt
crédible aux yeux des députés de la majorité.
Manuel Valls essaie d'être transparent et correct avec ses ministres. En
ce qui concerne ses électeurs, il demande d'être jugé
à la fin du quinquennat.
Manuel Valls a eu la possibilité de développer
son potentiel dans le domaine de la politique et de réaliser ses
idées et ses objectifs. Selon nous il ne suffit pas
97
98
d'être un bon orateur pour faire une carrière
brillante dans ce domaine. Il s'agit d'un ensemble de qualités tels que
: être convaincant, charismatique et pertinent, avoir du courage, ne
jamais renoncer à ses buts ultimes et rester optimiste jusqu'au bout. En
tant que Chef du gouvernement, Manuel Valls fait l'objet d'attaques permanentes
de la part des députés de l'opposition. Il est possible qu'il
sente la pression sur ses épaules mais aucun de ses propos ne
révèle un tel signe. Bien au contraire, il se montre confiant et
assume pleinement ses engagements. Manuel Valls mène des réformes
au nom de son pays et ses compatriotes. Il considère que ces changements
vont apporter des améliorations à l'égard du mode de vie
des Français et vont réduire leurs préoccupations. Il se
montre parfois téméraire et têtu parce que son slogan
« Réformer à tout prix » provoque des
mécontentements et des colères. Manuel Valls lui-même
affirme qu'il compte faire des réformes jusqu'au bout. Nous pouvons
interpréter ses paroles autrement. Peut-être que cette
manière de faire de la politique est alimentée par son ambition
et son positivisme. Peut-être que derrière ces changements se
cache une meilleure vie pour tout le monde. La France est-elle prête
à ces réformes globales ?
Il existe une réponse simple : le changement vient
quand un pays a besoin de se débarrasser de l'ancien modèle.
99
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discours, Paris, Armand Colin
Kerbrat-Orecchioni C. (2006) L'énonciation,
Paris, Armand Colin
Maingueneau, D. (2014) Discours et analyse du discours,
Paris, Colin Maingueneau, D. (2013) Analyser les textes de
communication, Paris, Colin Maingueneau, D. (2001) Pragmatique pour le
discours littéraire, Paris, Nathan
101
Maingueneau, D. (2009) Les termes clés de l'analyse du
discours, Seuil, Collection « Points »
Maingueneau D. (2015) Précis de grammaire pour les
concours 5e édition, Paris, Armand Colin
Mellet S. et Vuillaume M. (2003) Modes de repérages
temporels, Amsterdam - New York, Rodopi
Meyer B. (2011) Maîtriser l'argumentation 2e
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L'argumentation, Paris, Presses Universitaires de France
Perelman C. et Olbrechts-Tyteca L. (2008) Traité de
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Bruxelles
Pougeoise, M. (2004) Dictionnaire de rhétorique,
Paris, Armand Colin/Sejer
Siblot P. (1988) Signifiance du praxème nominal.
L'information Grammaticale, N. 77, p. 24-27.
Sandré, M. (2013) Analyser les discours oraux,
Paris, Armand Colin Sarfati, G-E (2005) Eléments d'analyse du
discours, Paris, Colin
102
TABLE DES MATIÈRES
Introduction 1
CHAPITRE 1 : L'art oratoire 6
1.1 La notion de discours dans l'espace politique 6
1.1.1 Discours oral 8
1.1.2 Discours écrit 9
1.1.3 Moyen de persuasion et d'action 10
1.2 L'ethos comme image de soi 11
1.2.1 Ethos préalable et ethos discursif 11
1.2.3 Double identité 13
CHAPITRE 2 : Ethos et identité verbale
17
2.1 Les ethos d'identification 17
2.1.1 L'ethos de « puissance » 18
2.1.2 L'ethos de « caractère » 19
2.1.2.1 La provocation et la polémique 22
2.1.2.2 Le courage et l'orgueil 23
2.1.2.3 La fierté 24
2.1.3 L'ethos de « chef » 25
2.1.3.1 La figure de « commandeur » 27
2.2 Les ethos de « crédibilité » 28
103
2.2.1 L'ethos de « sérieux » 29
2.2.2 L'ethos de « vertu » 32
2.2.3 L'ethos de « compétence » 34
CHAPITRE 3. De la subjectivité dans le langage
36
3.1 Les déictiques 36
3.1.1 Les pronoms personnels 37
3.1.2 Les démonstratifs 40
3.1.3 La localisation temporelle 43
3.1.3.1 Les désinences verbales 44
3.1.3.2 Adverbes et locutions adverbiales 45
3.2 Les subjectivèmes 51
3.2.1 Les substantifs 53
3.2.2 Les adjectifs subjectifs 56
3.2.2.1 Les adjectifs affectifs 56
3.2.2.2 Les évaluatifs non axiologiques 58
3.2.2.3 Les évaluatifs axiologiques 60
3.2.3 Les verbes subjectifs 62
3.2.3.1 Les verbes occasionnellement subjectifs 62
3.2.3.2 Les verbes intrinsèquement subjectifs 64
3.2.4 Les adverbes subjectifs 65
CHAPITRE 4. Procédés langagiers
67
4.1 Les types de phrase 67
104
4.1.1 La phrase déclarative 70
4.1.2 La phrase exclamative 75
4.1.3 La phrase impérative 77
4.2 L'argumentation dans la politique 79
4.2.1 Définir l'argumentation 79
4.2.2 Les connecteurs argumentatifs 84
4.2.2.1 Les connecteurs exprimant la cause 85
4.2.2.2 Les connecteurs exprimant la conséquence 87
4.2.2.3 Les connecteurs exprimant le but 90
4.2.2.4 Les connecteurs exprimant l'opposition 92
4.2.2.5 Les connecteurs exprimant l'hypothèse 94
Conclusion : 96
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