i
DÉDICACE
A mes parents, André et Clautide KEUTIA, pour qui notre
survie n'a pas de prix ; A Odile LEKEUFACK, pour ses encouragements quotidiens
;
A Delors Brayan KENHOUNG, notre fils ;
+ A ma petite soeur NGOUADJI Viviane, très tôt
disparue, pour un repos paisible de ton âme.
ii
REMERCIEMENTS
A tous ceux dont les noms ne figurent pas ici, qu'ils
reçoivent l'expression de notre gratitude.
La rédaction du mémoire est un parcours long et
sinueux. Il nous aurait été très difficile de mener
à bout ce travail sans le soutien d'un certain nombre de personnes.
C'est ici le lieu de leur témoigner notre gratitude.
Nous voulons dans cette perspective exprimer toute notre
reconnaissance au Professeur Laurent ZANG pour avoir accepté de
superviser ce travail.
Nous voulons également exprimer tout notre gratitude au
Docteur Rémy MBIDA MBIDA, notre directeur de mémoire qui a pris
sur lui la lourde responsabilité d'accompagner nos premiers pas dans la
recherche par ses conseils, ses remarques, ses critiques et sa rigueur.
Nous savons gré au corps enseignant et administratif de
l'IRIC qui a contribué à notre formation.
Notre gratitude va également à l'endroit de la
famille DJOMASSI, la famille DEMPOUO et la famille KENFACK pour leurs multiples
soutiens ; que Mme DEMPOUO Joséphine trouve ici l'expression de notre
reconnaissance pour ses appuis multidimensionnels.
Nous témoignons notre reconnaissance à tous les
membres de l'AFAWY et du CEDYBAD pour leur soutien et aides multiples.
Nous voulons témoigner notre reconnaissance à Mr
NEKDEM Jean, à Me NGUEFACK Joseph, à Mr LEKEALEM Joseph, à
Mr DONGFACK Maurice, à Mr TAGOUMO Célestin pour leur soutien
indéfectible.
A Charly Delmas TSAFACK, nous devons toute la reconnaissance
pour les conseils d'un grand ami et d'un ainé académique.
À JANAL LIBOM et à Darus KEUNANG, toute notre reconnaissance pour
le soutien aux moments les plus difficiles.
Nous redisons l'expression de notre gratitude à tous
les membres de notre famille, en particulier à nos grands frères
TSAMO Alain, KENTIA Michel, Hugo SONFACK, KEUTIA Valery et TSAFACK Victor, qui
nous ont toujours accompagné par leur présence, leur soutien et
leur disponibilité.
A nos amis et camarades de promotion dont les encouragements
nous ont donné le courage de braver les obstacles.
iii
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE .1
PREMIÈRE PARTIE : INTÉRÊT NATIONAL
ET INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE : CADRAGE ET ANALYSE CONCEPTUELS
...16 CHAPITRE 1 : DES THÉORIES DE L'INTÉRÊT NATIONAL
À LA DYNAMIQUE
D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE .
19 SECTION I : LES THÉORIES RÉALISTES DE L'INTÉRET
NATIONAL ET
L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE
20 SECTION II : LA THÉORIE CONSTRUCTIVISTE DE L'INTÉRÊT
NATIONAL ET
L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE .
29 CHAPITRE II : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE PROCESSUS
D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE À LA LUMIÈRE DES
THÉORIES GÉNÉRALES DE
L'INTÉGRATION ..37 SECTION I :
L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE PROCESSUS D'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE PENSÉ SOUS LE PRISME DE
L'APPROCHE
INTERNATIONALISTE LIBÉRALE DE
L'INTÉGRATION 37 SECTION II : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE VU SOUS LE PRISME
DES THÉORIES DE
L'INTERGOUVERNEMENTALISME ...52 DEUXIÈME
PARTIE : L'AMBIVALENCE DE LA NOTION D'INTÉRÊT NATIONAL
A L'ÉPREUVE DE L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE 60 CHAPITRE 3 : L'INTÉRÊT NATIONAL
ÉGOÏSTE : UN FREIN A L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE 62 SECTION I : LES
MANIFESTATIONS DE L'INTÉRÊT NATIONAL ÉGOÏSTE
DANS
LE PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE
AFRICAINE .63 SECTION II : L'IMPACT DE L'INTÉRET NATIONAL
ÉGOÏSTE SUR LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE : ÉTUDE DE CAS .70 CHAPITRE 4 : L'INTÉRÊT
NATIONAL ALTRUISTE : UN FACTEUR DE
DYNAMISATION DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE
EN AFRIQUE 81 SECTION I : LES MANIFESTATIONS DE L'INTÉRÊT
NATIONAL ALTRUISTE
DANS LE PROCESSUS D'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE 83 SECTION II : L'IMPACT DE L'INTÉRET
NATIONAL ALTRUISTE SUR
L'INTÉGRATION AFRICAINE : ÉTUDE DE CAS
.89
CONCLUSION GÉNÉRALE ..106
iv
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS
ANC: African National Congress
APEC: Asian Pacific Economic Co-operation
APRM: African Peer Review Mechanism ASAS:
Association of Southern African States
ASECNA: Agence pour la Sécurité de
la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar
BDEAC: Banque de Développement de
l'Afrique Centrale
BEAC: Banque des États de l'Afrique
Centrale
CAD: Comité d'Aide au
Développement
CD: Compact Disk
CEA: Commission des Nations Unies pour
l'Afrique
CEA: Communauté Économique
Africaine
CECA: Communauté Européenne du
Charbon et l'Acier
CEDEAO: Communauté Économique des
États de l'Afrique de l'Ouest
CEE: Communauté Économique
Européenne
CEEAC: Communauté Économique des
États de l'Afrique Centrale
CEMAC: Communauté Économique et
Monétaire d'Afrique Centrale
CEN-SAD: Communauté des États
sahélo-sahariens
CER: Communauté Économique
Régionale
v
COMESA: Common Market of East and South
Africa
CPI-UA: Conseil Phytosanitaire
Interafricain
EAC: East African Community
FMA: Fond Monétaire Africain
IOR: Indian Ocean Rim
IRIC: Institut des Relations Internationales
du Cameroun
MAEP: Mécanisme Africain
d'Évaluation entre les Pairs
MAP: Millennium Partnership for African
Recovery Program
NEPAD: Nouveau Partenariat Pour le
Développement de l'Afrique
NIA: Nouvelle Initiative Africaine
OCDE: Organisation de Coopération et
de Développement
ONU: Organisation des Nations Unies
UDEAC: Union Douanière et
Économique d'Afrique Centrale
OPDS: Organe Politique de Défense et
de Sécurité
OUA: Organisation de l'Unité
Africaine
PAS: Programme d'Ajustement Structurel
PDDAA: Programme Détaillé pour
le Développement de l'Agriculture africaine
PETU: Pôles d'Excellence Technologique
Universitaire
PFUA: Programme Frontière de l'Union
Africaine
vi
RASD : République Arabe Sahraouie
Démocratique
RCA: République Centrafricaine
RDC: République Démocratique du
Congo
RSA: République Sud africaine
SACU: Southern Africa Customs Union
SADC: South African Development Community
SDN: Société des Nations
UA: Union Africaine
UE: Union Européenne
UEMOA: Union Économique et
Monétaire Ouest Africain
UMA: Union du Maghreb Arabe
UNESCO: Organisation des Nations Unies pour
l'Éducation, la Science et la Culture
vii
RÉSUMÉ
Le thème de notre recherche intitulé «
L'intérêt national dans le processus d'intégration
régionale en Afrique » résulte de deux constats : la lenteur
du processus d'intégration régionale en Afrique et de la
prééminence de l'intérêt national comme principe
d'action de l'État sur la scène internationale, y compris sa
participation au processus d'intégration régionale. Le processus
d'intégration régionale en Afrique a du mal à
prospérer du fait de la perception de l'intérêt national de
la part des États. Cette analyse se propose d'élucider
l'influence de l'intérêt national sur le processus
d'intégration régionale en Afrique. La notion
d'intérêt national est une notion ambivalente qui ne requiert pas
une unanimité quant à sa signification substantielle. Selon les
réalistes et les libéraux, elle est cernée de façon
égoïste. Pour les constructivistes, elle requiert une connotation
altruiste. La participation des États au processus d'intégration
en Afrique permet de constater que l'ambivalence de l'intérêt
national exerce une double influence sur ledit processus: alors que
l'intérêt national égoïste le freine,
l'intérêt national altruiste en est un facteur de dynamisation.
Dans une démarche analytique, explicative et comparative, l'analyse
appelle à l'exaltation de l'intérêt national altruiste pour
booster le processus d'intégration régionale en Afrique; car de
cette perception de l'intérêt national dépendra la
réussite de l'intégration régionale en Afrique.
Mots clés : intégration
régionale, intérêt national, intérêt national
égoïste, intérêt national altruiste
viii
ABSTRACT
The topic of our research entitled «the national interest
in the process of regional integration in Africa» stems from two reports:
the slowness of the process of regional integration's and the national
interest's preeminence like the principle of the State's action on the
international scene, including its participation in the process of regional
integration. The process of regional integration in Africa has difficulties due
to the perception of the national interest. This analysis proposes to explain
the influence of the national interest on the process of regional integration
in Africa. The concept of national interest is of a dual nature, which does not
require unanimity as for its substantial significance. According to the
realists and the liberalists, it is understood in an egoistic way. For the
constructivists, it is of an altruistic connotation. The state's participation
in the process of integration in Africa makes it possible to note that, the
ambivalence of the national interest exerts a double influence on the
aforementioned process: while the egoistic national interest slows it down, the
altruistic national interest is a factor of its dynamization. Through
analytical, explanatory and comparative procedure, the analysis calls for the
exaltation of an altruistic national interest to boost the process of regional
integration in Africa; because, the success of regional integration in Africa
will depend on this perception of the national interest.
Keywords: regional integration, national
interest, egoistic national interest, altruistic national interest
INTRODUCTION GÉNÉRALE
2
I-Présentation du sujet de recherche
L'effervescence intégrationniste ayant
caractérisé la décennie des
indépendances1 suit son cours en Afrique de nos jours. Ce
processus reflète la conviction chez les décideurs africains que
l'intégration est une condition essentielle du succès des efforts
déployés en matière de développement. Aussi, dans
l'exploration des voies et moyens permettant la réalisation des
objectifs de développement et d'intégration, un consensus semble
se dégager autour du nécessaire dépassement des cadres
nationaux des États jugés étroits et économiquement
peu viables au profit de la construction d'une région
économiquement plus efficace.
Sur le plan de la pensée du développement de
l'Afrique, la théorie du développement par l'intégration
régionale s'avère transversale à toutes les écoles
du développement de l'Afrique. En effet, elle se trouve d'abord au
centre de l'école de la construction nationale ou du
développementisme, ensuite, elle est au coeur de l'économie
politique radicale et enfin, elle est le principe de rationalité de
l'école panafricaniste2.
Le processus d'intégration dans lequel est inscrit
l'Afrique depuis les indépendances ne se déroule pas à
l'abri de certaines entraves telles que la réticence, l'attachement des
États aux principes souverainistes, les problèmes financiers,
mais aussi et surtout la défense des intérêts nationaux
égoïstes. La dernière entrave dans cette étude nous
intéresse à plus d'un titre. D'abord, parce que la notion
d'intérêt national est une notion omniprésente en relations
internationales3. Ensuite parce que la notion évolue et
semble de plus en plus être l'une des motivations qui pousse les
États à s'intéresser davantage à
l'intégration régionale. Enfin parce que le concept
d'intérêt national est un concept clé pour notre sujet
intitulé : « L'intérêt national dans le
1 Bruno BEKOLO EBE, « L'intégration
régionale en Afrique : caractéristiques, contraintes et
perspectives », Monde en développement, année
2001/3, N°115-116, pp.81-88.
2 L'école du développementisme repose
sur la modernisation des sociétés traditionnelles comme
préalable de la construction du développement. L'économie
politique radicale fait de la déconnexion du système
international de l'échange inégal la condition du
décollage, de l'autonomie et de la prospérité
économique du continent. L'école panafricaniste fait de l'union
politique et économique du continent la condition de sa survie en tant
qu'entité autonome et libre dans un monde structuré autour des
logiques de puissance et de domination.
3 Marie-Claude SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal
VENNESSON, Dictionnaire des relations internationales : approches, concepts
doctrines, 2e édition, Paris, Dalloz, 2006, p. 298.
3
processus d'intégration régionale en Afrique
»; concept derrière lequel sont camouflées les intentions
des États vis-à-vis du processus d'intégration
régionale4.
II- Délimitation du champ d'analyse du sujet
La délimitation du champ d'analyse du sujet recouvre la
définition des concepts (1) et la délimitation temporelle (2).
1- Définition des concepts
Les concepts « d'intégration régionale
» et « d'intérêt national » apparaîtront de
manière récurrente dans ce travail. L'intégration
régionale sera comprise dans ce cadre comme le « processus par
lequel la régularité et l'intensité des interactions entre
certains États et entre certaines sociétés s'accroissent,
permettant la constitution d'une communauté de sécurité,
d'une interdépendance économique accrue, d'une identité
partagée favorisant, dans une aire géographique
particulière, le développement d'actions collectives
institutionnalisées pouvant aller jusqu'à l'unification
politique5 ». Le terme « intérêt
national » sera entendu ici comme ce qui importe le plus à un
État, ce qui constitue l'enjeu par excellence pour lui, et guide donc
son action politique extérieure6. La notion «
d'intérêt national » est une notion ambivalente. Ainsi, dans
le cadre de ce travail, elle recouvrira d'une part l'approche constructiviste
qui la considère comme un construit social qui trouve son origine dans
l'identité des États. Ici, elle sera définie en termes
altruistes. D'autre part elle recouvrira l'approche réaliste et
perçue en termes égoïstes. Quoiqu'il en soit, le terme
« intérêt national » sera employé ici comme
représentatif de l'ensemble de ses équivalents que sont, entre
autres, l'intérêt vital, l'intérêt de tel ou tel
pays, notre intérêt, l'intérêt supérieur, au
singulier comme au pluriel.
2- Délimitation temporelle
Notre champ d'étude est l'Afrique, un continent inscrit
au processus d'intégration depuis les années 60 avec la
création de l'OUA. Ce choix se base sur la lenteur du processus
4 Derrière la notion d'intérêt
national se cache la perception que chaque pays a du processus
d'intégration régionale; c'est chaque pays qui définit son
intérêt national, c'est chaque pays qui sait si
l'intégration régionale est au service de ses
intérêts ou pas.
5 Marie-Claude SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal
VENNESSON, Op.cit. p.294.
6 Ibid. p.298.
4
d'intégration en Afrique, malgré les efforts
fournis. Notre étude couvre la période des indépendances
à nos jours et intègre les mutations institutionnelles qui ont eu
cours dans l'intégration africaine à savoir de l'OUA à
l'UA en passant par le Plan d'Action de Lagos, la CEA et le NEPAD. Elle
intègrera aussi les activités des CER qui concourent à la
réalisation du marché commun africain.
III- Objet de l'étude
De Hans MORGENTHAU à Alexander WENDT en passant par
Raymond ARON7, la notion d'intérêt national semble
faire l'objet d'un consensus sur la conduite des États sur la
scène internationale. Autrement dit, l'intérêt national est
ce qui importe le plus pour un État dans ses relations avec les autres
acteurs de la scène internationale. Notre travail a pour objet de
démontrer l'influence de l'intérêt national sur le
processus d'intégration régionale en Afrique; processus aux
enjeux politiques, géostratégiques et économiques. Nous
voulons chercher l'influence, en fonction des différentes conceptions,
que l'intérêt national peut avoir sur le processus
d'intégration en Afrique, mais aussi, nous voulons chercher s'il existe
une interaction entre l'intérêt national et l'intégration
régionale notamment en Afrique. Ce faisant, ce travail nous permettra de
montrer dans une vision prospective que l'échec de l'intégration
régionale africaine n'est pas seulement dû aux raisons qui sont
souvent citées à savoir le problème du financement,
l'égoïsme des chefs d'États et de gouvernement, les
velléités souverainistes8, mais qu'il faudra
désormais d'abord rechercher cet échec dans la perception que les
États ont de l'intégration régionale en Afrique.
VI- Intérêt de l'étude
Le principe juridique selon lequel s'il n'y a pas un
intérêt poursuivi, il n'y a pas d'action possible peut s'appliquer
en l'espèce. En effet, ce mémoire présente un
intérêt professionnel, scientifique et académique. Sur le
plan professionnel, nous voulons avoir des connaissances sur
7 Pour MORGENTHAU, en politique
étrangère, il n'y a qu'un seul impératif
catégorique, un seul critère de raisonnement, un seul principe
d'action : l'intérêt national. Pour Alexander WENDT, personne ne
nie que les États agissent sur la base des intérêts
nationaux tels qu'ils les perçoivent. Raymond ARON définit la
politique étrangère comme l'art de gérer le commerce avec
les autres États au mieux de l'intérêt national.
8 OUAMBA DIASSIVY Anderson, « La
souveraineté de l'État et l'intégration
sous-régionale en Afrique centrale : le cas de la CEMAC », Rapport
de stage diplomatique, IRIC, Yaoundé, 2009, p28
9 Paul HERAULT, Penser l'intérêt
européen : du compromis entre intérêts nationaux à
intérêt général européen, Mémoire
de Master recherche en science politique, Paris, IEP Paris, 10 septembre
2009.
5
le processus d'intégration en Afrique afin de demander
à intégrer, après notre Master professionnel en Relations
Internationales, option Intégration Régionale et Management des
Institutions Communautaire, une institution d'intégration
régionale africaine. Notre projet professionnel étant de nous
consacrer aux entraves, mais aussi aux moyens pour faciliter
l'intégration de l'Afrique. Concernant le plan scientifique, notre
travail édifiera le lecteur sur les théories de
l'intérêt national et leur opérationnalisation à
l'intégration régionale africaine. Il nous situe dans la
prospective et invite les États à opter pour une vision altruiste
de l'intérêt national dans l'entreprise de l'intégration
régionale en Afrique; car de cette perception dépend aussi le
succès de cette entreprise. Sur le plan académique, nous
souhaitons continuer en thèse de doctorat à questionner
l'intégration régionale africaine, afin que cette initiative
pensée depuis plus de cinquante ans sorte du champ de la théorie
pour se réaliser effectivement au grand bonheur du continent et des
peuples d'Afrique.
V- Revue de littérature
Il s'agit de faire un tour d'horizon sur les études
portant sur notre sujet. Dans son mémoire de Master recherche en Science
politique intitulé : Penser l'intérêt européen :
du compromis entre intérêts nationaux à
l'intérêt général européen9,
Paul HÉRAULT entreprend une démarche de construction d'un
intérêt général européen à partir des
intérêts nationaux des États membres de l'Union. D'abord,
il passe en revue les théories de l'intérêt national tout
en faisant un rapprochement avec la construction européenne. Ensuite, il
montre comment l'intérêt européen se détache de
l'intérêt national en tant qu'un concept à construire,
à rechercher et qui doit s'affranchir; car l'intérêt
européen n'est pas réductible à la somme des
intérêts nationaux. Enfin, l'auteur présente les acteurs,
les entraves et les facteurs pour la réalisation d'un
intérêt général européen. Cependant, l'auteur
ne montre pas l'influence de l'intérêt national sur le processus
de construction européenne.
Sabine SAURRUGER dans un ouvrage intitulé
théories et concepts de l'intégration européenne,
publié en 2009, examine tous les outils conceptuels et analytiques
permettant de comprendre le processus de construction européenne. Dans
le chapitre 11 de cet ouvrage qui,
6
parle de la sociologie des relations internationales et
l'intégration européenne, l'auteur pense que le fil conducteur
des différentes approches des relations internationales est la crise de
l'État-nation et pense que c'est l'intérêt national qui
guide le comportement de l'État sur la scène internationale. Ce
faisant, il présente les travaux de Martha FINNEMORE sur les
intérêts nationaux dans la société internationale
comme les plus significatifs sur la question. Selon FINNEMORE, les
intérêts des États sont construits par l'interaction avec
les autres. Aussi affirme-t-il : « les intérêts et les
valeurs véhiculés par les acteurs internationaux changent dans
les contextes normatifs10 ». L'auteur parle aussi du
dépassement des intérêts égoïstes dans un
système intégré. Car, l'intérêt national
n'est pas un donnée, il est un construit à travers l'interaction,
et que l'intérêt national défendu au nom de la
souveraineté étatique au niveau européen est
considéré par les approches sociologiques comme une
institution11, c'est-à-dire comme un dogme. L'approche de
l'auteur permet de comprendre les visions de l'intérêt national
qui constituent les dynamiques et ou les oppositions au processus
d'intégration régionale européenne.
En 1973, MORTON Davis publiait un ouvrage intitulé
La théorie des jeux. Cet ouvrage est un guide qui permet aux
joueurs, entendus ici, comme acteurs de la scène internationale de
prendre des décisions, de choisir leur tactique. Ainsi, l'auteur pense
que l'État en optant pour les « jeux à somme nulle
» privilégie ses intérêts au détriment des
autres. Ce qui n'est pas le cas pour les « jeux à n joueurs
», car ici pour gagner plus, l'État doit s'unir aux autres.
L'État possède un potentiel qui nécessite la collaboration
des autres pour se réaliser. Ces théories ont
l'inconvénient d'être très abstraites et de ne pas faire un
rapprochement direct avec le processus d'intégration, bien que
permettant de lire les intentions des États vis-à-vis du dit
processus.
Un séminaire national sur le thème : «
les États-nations face aux défis de l'intégration
régionale en Afrique de l'ouest : le cas du Cap-Vert12
», s'est tenu à Praia, île de Santiago, Cap-Vert, 4, 5
avril 2007. Dans le rapport final, les experts ont démontré que
dans un monde globalisé, à des défis nouveaux et complexes
où les facteurs qui déterminent les avantages
10 Sabine SAURRUGER, Théories et
concepts de l'intégration européenne, Paris, Presses de
Sciences-po, 2009, p.365.
11 Ibid. p.366.
12 Rapport final séminaire national sur les
États-nations face aux défis de l'intégration
régionale en Afrique de l'ouest : le cas du Cap-Vert. 4, 5 avril
2007.
En 2003, certains auteurs africains publièrent un
ouvrage collectif titré : L'intégration régionale en
Afrique centrale, Bilan et perspectives sous la direction de Hakim Ben
7
comparatifs et compétitifs sont par ailleurs fluides et
mobiles, il est important de rechercher l'encrage pour faciliter le processus
d'intégration dans le marché global, dépasser les
égoïsmes nationaux et de faciliter la libre circulation de
l'élite régional pour favoriser la construction de projets
communs régionaux.
Abdou DIOUF dans un article intitulé : « Afrique :
l'intégration régionale face à la mondialisation »
passe en revue les effets de la mondialisation sur les processus
d'intégration en Afrique. Ce faisant, il insiste particulièrement
sur les obstacles au processus d'intégration à savoir : la
bureaucratie institutionnelle, les égoïsmes nationaux, l'exaltation
de la construction préalable à l'État-nation à
l'intégration régionale. L'auteur propose à cet effet, la
logique d'intégration contre les intérêts nationaux et
l'abandon de souveraineté permettant de redynamiser le processus
d'intégration. Toutefois, l'auteur ne fait pas allusion de façon
claire à la fonction protectrice des intérêts nationaux des
États de l'intégration régionale en Afrique.
Dans son rapport de stage diplomatique soutenu à
l'IRIC, Anderson OUAMBA-DIASSIVY met en évidence le rapport entre la
souveraineté des États et l'intégration en zone CEMAC. Il
y ressort que les velléités souverainistes et
égoïstes des États constituent l'entrave majeure au
processus d'intégration. Mais, il convient de remarquer que l'auteur ne
démontre pas comment la souveraineté de l'État peut
être plus protégée au niveau régional que
national.
Dans un rapport intitulé : État de
l'intégration régionale en Afrique II, Rationalisation des
communautés économiques régionales, la Commission
Économique des Nations Unies pour l'Afrique propose des solutions pour
harmoniser les actions des acteurs (gouvernements, les institutions
régionales et sous-régionales, les partenaires au
développement) en vu de parachever le processus d'intégration
régionale en Afrique. Ce faisant, elle rappelle que les raisons qui
encouragent les États à procéder aux adhésions
multiples dans les communautés économiques régionales en
Afrique sont principalement et successivement politiques, stratégiques
et économiques. C'est dire en d'autres termes que les États
adhèrent au processus d'intégration régionale en Afrique
pour tirer les intérêts ci haut énumérés. Ce
rapport a le mérite de montrer que l'intégration consolide les
intérêts nationaux des États membres.
8
HAMMOUDA, Bruno BEKOLO-EBE et Touna MAMA. Dans cet ouvrage,
ils passent en revue le processus d'intégration à travers
plusieurs grilles d'analyse qui ressortent les difficultés
d'intégration régionale en Afrique Centrale, parmi lesquelles on
cite les conflits entre intérêts nationaux et engagements
sous-régionaux et les appréciations divergentes des couts et
avantages de l'intégration. En évoquant les principes sur
lesquels doivent être basés le processus, les auteurs font
allusion au principe phare selon lequel « en cas de conflit
d'intérêts entre l'individu et le groupe, la priorité est
donnée aux intérêts du groupe ». Ce principe
signifie que dans le processus d'intégration régionale,
l'intérêt général du groupe est primordial parce
qu'il concoure a la réalisation et à la consolidation des
intérêts nationaux des membres du groupe.
Dans un article intitulé : « Le
constructivisme dans la théorie des relations internationales
», Audie KLOTZ et Cecelia LYNCH étudient le
constructivisme par rapport aux autres théories des relations
internationales. Les auteurs s'intéressent plus particulièrement
aux origines des intérêts et au rôle des agents de
changement. En insistant sur le caractère historiquement contingent de
la souveraineté comme principe permanent des relations internationales
et des arrangements intersubjectifs, les auteurs pensent que les
intérêts des acteurs sont conditionnés par les cadres
institutionnels et par les autres acteurs. Comme la plus part des
constructivistes, ils affirment que les arrangements intersubjectifs comme les
organisations internationales concourent à la consolidation des
intérêts des membres. A cet effet, ils précisent que
l'interaction entre les États conduit à la construction des
intérêts13. Cependant, les auteurs ne précisent
pas la nature des intérêts qui se dégagent des arrangements
intersubjectifs. S'agit-il des intérêts communs, des
intérêts individuels ou d'un tout?
Dans un ouvrage collectif intitulé : Politique
étrangère. Nouveaux regards, sous la direction de
Frédéric CHARILLON, la politique étrangère est
analysée dans sa dimension théorique et pratique. La contribution
de Dario BATTISTELLA dans cet ouvrage porte sur la notion
d'intérêt national et s'intitule : « L'intérêt
national. Une notion, trois discours ». Dans cet article, l'auteur
clarifie la notion d'intérêt national depuis son origine en
163914, date à la quelle,
13 Alexander WENDT, « Anarchy is what States
make of it », cité par, Audie KLOTZ et Cecelia LYNCH, « Le
constructivisme dans la théorie des relations internationales »,
revue critique internationale n°2-hiver 1999, P56
14 Dario BATTISTELLA, « L'intérêt
national. Une notion, trois discours », in Politique
étrangère, Nouveaux regards, Frédéric
CHARILLON, (dir), Presses de Sciences Po, Paris, 2002, p 141
9
le premier ouvrage dans lequel la politique
étrangère est analysée en termes d'intérêt.
En outre, il la passe au crible des théories réaliste,
libérale et constructiviste.
En effet, selon l'auteur, l'intérêt national chez
les réalistes est défini en termes de puissance et n'est pas
réductible aux intérêts privés. C'est donc un
intérêt défini de façon égoïste. Pour
les libéraux, l'intérêt national est la somme des
intérêts privés des acteurs internes mais qui n'exclut pas
l'existence d'intérêt commun au niveau international. Pour
l'auteur, l'intérêt national des libéraux est un
intérêt qui tient compte de celui des autres comme chez les
constructivistes. D'après ces derniers, l'intérêt national
est un construit social qui trouve son origine dans l'identité d'un
État; c'est-à-dire des représentations que les
États se font eux-mêmes d'autrui et du système
international. Il s'agit donc d'un intérêt défini de
façon altruiste. En définitive, l'auteur précise au regard
des trois discours de l'intérêt national que loin de s'affronter,
ils se complètent plutôt.
Dans son ouvrage intitulé L'Union Africaine face
aux contraintes de l'action collective publié en 2013, Guy MVELLE
démontre que l'action collective de l'UA est mise à mal par les
comportements stratégiques de certains États africains qui
préfèrent leurs intérêts égoïstes au
détriment des positions de l'organisation continentale. L'auteur
précise que la défense des intérêts
égoïstes au sein des organisations internationales n'est pas
l'apanage des pays africains. Cet état de fait est aussi perceptible
dans les entités comme l'ONU et l'Union Européenne. Tout en
démontrant l'impact négatif de ces comportements
stratégiques sur le processus d'intégration, il précise
qu'ils peuvent êtres atténués par des construits d'actions
collectives comme l'amélioration des programmes de coopération
technique et la mise en oeuvre effective du fond d'intégration.
VI-Problématique
L'Union Européenne qui, est un modèle
d'intégration régionale essaye de définir, de construire
un intérêt européen, de protéger
l'intérêt national des pays membres. En Afrique, la notion
d'intérêt national reste ambigüe et ambivalente face au
processus de construction d'intégration régionale. Au regard de
la nécessité d'une intégration totale de l'Afrique, on est
tenté dès lors de se poser la question principale suivante :
quelle est l'influence de l'intérêt national sur le processus
d'intégration régionale en Afrique ? Cette question fait appel
à deux
10
interrogations subsidiaires : existe-t-il une relation entre
la défense de l'intérêt national et la dynamique du
processus d'intégration en Afrique ? Au regard de l'ambivalence de la
notion d'intérêt national, dans quel sens faut-il l'exalter pour
booster le processus d'intégration régionale en Afrique ? Comme
nous pouvons le constater, une telle problématique doit reposer sur les
hypothèses précises.
VII-Hypothèses de travail
Ce sont les réponses provisoires aux questions
fondamentales de l'étude. Celles-ci pourront être
confirmées ou infirmées au terme d'une analyse approfondie des
faits. Les hypothèses de cette analyse se déclinent ainsi qu'il
suit :
H1-La profondeur d'une intégration régionale
dépend de la perception que les États ont dudit processus.
L'intérêt national étant le principe d'action des
États sur la scène internationale, il existe donc une relation
entre celui-ci et l'intégration régionale en Afrique.
H2-Le processus d'intégration en Afrique a du mal
à prospérer, car les États ne définissent leurs
intérêts qu'en termes de puissance et de façon
égoïste. Face aux défis et aux enjeux de
l'intégration en Afrique, ceux-ci ne préservent que leurs
intérêts nationaux égoïstes au détriment de la
construction régionale africaine. Toutefois, l'intérêt
national conçu sous le prisme de l'altruisme favorise la dynamique
d'intégration régionale en Afrique. En effet, les États
participeraient au processus d'intégration pour mieux préserver
leurs intérêts nationaux du fait qu'ils se sentent plus en
sécurité au sein d'un système intégré
africain. Aussi, ils adhérent par calcul d'addition des
intérêts nationaux multiples.
VIII-Choix théoriques et méthodologiques
1-Choix théoriques
Ce sont diverses théories qui seront convoquées
pour analyser cette problématique. Ainsi, les théories
réalistes, constructiviste, fonctionnaliste, néo-fonctionnaliste,
intergouvernementa-liste et des jeux seront au centre de notre travail.
11
Le réalisme est l'approche traditionnelle des relations
internationales. Cette approche privilégie l'État et en fait
l'acteur essentiel, voire exclusif de la scène internationale
caractérisée par l'anarchie. Ainsi, aucune autorité
supérieure aux États n'est en mesure de veiller à leur
droit et à leur protection. Par conséquent, les États ne
peuvent compter que sur eux-mêmes pour protéger leur
intérêt. Pour MORGENTHAU, « le principal poteau
indicateur qui aide le réalisme politique à trouver sa voie
à travers le domaine de la politique internationale est le concept
d'intérêt national défini en terme de
puissance15 ». Ce paradigme nous permettra de comprendre
le comportement des États vis-à-vis de l'intégration
africaine car « Le réalisme n'est pas nécessairement
lié à l'État-nation16 ».
La théorie constructiviste de l'intérêt
national permet d'identifier l'intérêt national à un
construit social qui trouve son origine dans l'identité des
États, c'est-à-dire dans la représentation que les
États se font d'eux-mêmes, d'autrui et du système
international17. Ainsi, l'intérêt national d'un
État est donc moins construit par l'État lui-même qu'il
n'est façonné par les normes et valeurs qui, partagées
internationalement structurent la vie politique internationale lui donnent
signification18. L'intérêt national construit en termes
altruistes, permettant la conduite d'une politique étrangère
satisfaisant en même temps l'intérêt national et des
États amis, permettra de comprendre pourquoi les États
recherchent leurs intérêts nationaux dans un système
intégré ou alors démontrer que l'intérêt
national des États est plus défendu dans un système
intégré que par les États eux-mêmes pris
isolement.
La théorie des jeux; est un ensemble d'outils pour
analyser les situations dans lesquelles ce qu'il est optimal de faire pour un
agent dépend des anticipations qu'il forme sur ce qu'un ou plusieurs
autres agents vont faire. L'objectif de la théorie des jeux est de
modéliser ces situations, de déterminer une stratégie
optimale pour chacun des agents, de prédire l'équilibre du jeu et
de trouver comment aboutir à une situation optimale. Cette
théorie nous permettra de comprendre le comportement des États
dans la recherche des intérêts nationaux car « les hommes
agissent
15 Hans J. MORGENTHAU cité par Marie Claude
SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal VENNESSON, Dictionnaire des relations
internationales : approches, concepts doctrines, 2e
édition, Paris, Dalloz, 2006, p.454.
16 Ibid. p.457.
17 Ibid. p.302.
18 Martha FINNEMORE cité par Sabine
SAURRUGER, Théories et concepts de l'intégration
européenne, Paris, Presses de Sciences-po, 2009, p.365.
12
parfois les uns contre les autres. D'autres fois, ils
coopèrent; la connaissance qu'ils ont les uns les autres varient et
leurs aspirations les conduisent à s'affronter ou à
coopérer19». Partant ainsi de cette théorie,
l'État qui choisira de s'intégrer pour défendre ses
intérêts aura choisi le jeu à n joueurs20 et
l'État qui sera réticent face à l'intégration
choisira le jeu à somme nulle pour promouvoir ses intérêts
au détriment de ceux des autres. La théorie des jeux nous
permettra donc de comprendre les intentions qu'ont les États en
adhérant au processus d'intégration en Afrique.
L'intergouvernementalisme dans ce travail vise à
démontrer le désintérêt qu'ont les États en
Afrique vis-à-vis du processus d'intégration lorsqu'il se
résume à la simple juxtaposition des souverainetés. En
effet, initié dès les années 1960, par Stanley HOFFMANN,
qui sera suivit de Robert KEOHANE, l'intergouvernementalisme considère
que les décisions des organisations internationales résultent
d'un marchandage entre les États rationnels. Stanley HOFFMANN, parle de
mise en commun de la souveraineté au sein des organisations
internationales qui sont des multiplicateurs de puissance. Cette théorie
de l'intégration nous permettra de comprendre si l'intégration
par le politique en Afrique est à même de consolider
l'intérêt national des États.
Le fonctionnalisme et le néofonctionalisme
s'intéressent tous aux raisons et aux procédures qui justifient
les interdépendances entre les États et entre les peuples en lieu
et place d'actions solitaires aux issues incertaines. Ces deux écoles de
pensée expliquent pourquoi les États acceptent de se lier dans le
cadre d'une organisation régionale. Cependant, leur différence se
situe au niveau de la nature du raisonnement. Alors que le fonctionnalisme a un
caractère normatif et tente d'établir les conditions qui
devraient mener à un monde plus pacifique et juste, le néo
fonctionnalisme est plutôt analytique et tente de comprendre les raisons
ainsi que les conséquences d'un processus d'intégration. Issues
des travaux de David MITRANY et d'Ernst HAAS, ces deux théories qui
appellent de tous leurs voeux à commencer le processus
d'intégration par les aspects fonctionnels, nous permettront de montrer
que l'intégration africaine saisie sous ce prisme est susceptible de
consolider l'intérêt national des États membres.
19 Davis MORTON, Théorie des jeux,
Paris, Armand Colin, 1973, p.5.
20 Dans le « jeu à n joueurs », pour
gagner plus, le joueur doit s'unir à d'autres. Si le joueur ne
coopère pas, il n'a aucun espoir d'obtenir plus de gains.
13
2-Méthode
Les techniques sont des moyens de collecte de données
en vue d'effectuer un travail scientifique. Ainsi elles permettent d'atteindre
un objectif défini à l'avance. Elles sont très importantes
pour tout travail de recherche dans la mesure où elles se situent au
niveau des faits et pratiques. Comme l'écrit Madeleine GRAWITZ, «
choisir les techniques étant donné les particularités
et les moyens de chacune, c'est sélectionner à l'avance les
matériaux qu'elles recueilleront21 ». Le choix des
techniques dépend donc de l'objectif poursuivi. C'est le chercheur qui,
pour des raisons de disposition et de disponibilité choisi la
méthode la mieux adaptée à son travail. Le choix est donc
libre et conscient au vue de la multiplicité des méthodes
disponibles. La conscience ici tient au fait qu'après la collecte des
données, il faut bien les analyser afin d'y déceler ce qui n'est
pas à la portée du commun des mortels.
Dans le cadre de ce travail, l'analyse documentaire
constituera notre principale technique de récolte de données.
Elle vise à acquérir les connaissances du domaine dans lequel
s'inscrit notre thématique. Elle a pour objet d'analyser les
interactions qui existent dans les conceptions d'intérêt national
et le processus d'intégration. Ainsi, plusieurs types de documents
seront étudiés. Il s'agira : des ouvrages généraux
et spécifiques sur les relations internationales, sur la notion
d'intérêt national, sur l'intégration régionale; les
articles de revues scientifiques traitant de notre thématique et des
concepts le constituant; des textes officiels des organisations
d'intégration africaine; des sources électroniques.
3- Analyse des données
récoltées
Afin d'atteindre nos objectifs, nous allons adopter les
démarches analytique, explicative, comparative et empirique.
Les démarches analytique et explicative nous
permettront, tout naturellement d'expliquer et analyser les concepts qui
structurent notre thématique afin de faire un rapprochement entre eux
pour permettre la compréhension de l'influence de l'intérêt
national sur le processus d'intégration régionale en Afrique. Ces
démarches permettront de cerner l'influence de la conception
égoïste et/ou altruiste de l'intérêt national sur la
dynamique d'intégration régionale.
La démarche comparative elle, nous permettra de faire
les emprunts comparatifs au modèle européen de
l'intégration. Même si les deux réalités restent
tout de même différentes, le
21 Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences
sociales, 7ème édition, Paris, Dalloz, 1986, p 446
14
modèle européen peut être aujourd'hui
considéré comme avancé et donc susceptible de faire de
temps en temps un objet de référence. Elle nous permettra de
déceler si l'interaction entre l'intérêt national et
l'intégration est productrice des faits. Si oui quelle en sera la
profondeur par rapport à celle de l'Afrique?
La méthode empirique, part de l'observation de la
réalité extérieure vers l'objet pour tirer les
conséquences possibles en vu de la construction d'une théorie.
Elle permettra d'observer la réalité de l'intégration
régionale en Afrique et de déduire la perception que les
États ont de ce processus, d'analyser les comportements des États
en fonction des conceptions de l'intérêt national.
VIII- plan de travail
Ce travail est reparti en deux parties. La première
partie établie une relation entre l'intérêt national et
l'intégration régionale en Afrique, elle cadre et analyse les
concepts et est subdivisée en deux chapitres.
Le chapitre I intitulé « des théories de
l'intérêt national à la dynamique d'intégration
régionale en Afrique » définit les théories de
l'intérêt national et établit une relation entre lesdites
théories et le processus d'intégration en Afrique. Ce chapitre
démontre que la notion d'intérêt national est ambivalente.
Sous le prisme réaliste et libéral la notion
d'intérêt national est essentiellement égoïste; c'est
ainsi que les États notamment africains qui s'engagent dans le processus
d'intégration régionale avec cette vision de
l'intérêt national n'y vont que pour consolider leur
intérêt national égoïste. Pour les constructivistes la
notion d'intérêt national est altruiste et en rapport avec le
processus d'intégration régional, elle est en faveur de la
consolidation des intérêts mutuels des États inscrits dans
ledit processus. En observant l'application des deux conceptions de
l'intérêt national, il ressort que le processus
d'intégration régionale en Afrique est régi
simultanément par celle-ci.
Le chapitre II est intitulé «
l'intérêt national dans le processus d'intégration
régionale en Afrique a la lumière des théories
générales de l'intégration », définit les
théories générales de l'intégration
régionale, les opérationnalise à la réalité
de l'intégration régionale en Afrique. Ce chapitre montre que
l'opérationnalisation des approches de l'institutionnalisme
libéral à la réalité
15
de l'intégration régionale africaine est en
faveur de la consolidation des intérêts fonctionnels communs des
États partis au processus. Aussi, il montre que l'application de
l'approche intergouvernementaliste audit processus participe de la
consolidation de l'intérêt national égoïste des
États membres.
La deuxième partie montre l'influence de l'ambivalence
de la notion d'intérêt national sur le processus
d'intégration régionale en Afrique. Elle s'étend sur les
chapitres III et IV.
Le chapitre III est intitulé «
l'intérêt national égoïste : un frein à
l'intégration régionale en Afrique ». Il démontre les
manifestations de l'intérêt national égoïste dans le
processus d'intégration régionale en Afrique et montre leurs
impacts sur ledit processus. Ce chapitre permet de comprendre comment le
retrait du Maroc de l'OUA et la non application des textes communautaires sur
la libre circulation des personnes par les États est une attitude
égoïste qui freine l'intégration régionale en
Afrique.
Le chapitre IV intitulé « l'intérêt
national altruiste : un facteur de dynamisation de l'intégration
régionale en Afrique » recense les manifestions de
l'intérêt national altruiste à travers une
interprétation des comportements stratégiques des États
dans le processus d'intégration. Ce chapitre démontre que
l'adhésion de la Guinée Équatoriale à l'UDEAC/CEMAC
et l'adhésion de l'Afrique du Sud à la SADC participent de la
recherche de l'intérêt national altruiste de ces derniers. Il y
ressort qu'un tel intérêt national est à la faveur de la
dynamique d'intégration régionale en Afrique.
16
PREMIÈRE PARTIE : INTÉRÊT NATIONAL
ET INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE : CADRAGE ET ANALYSE
CONCEPTUELS
17
Il est indispensable de revisiter la pertinence analytique de
la notion d'intérêt national avant d'analyser l'influence de son
ambivalence sur le processus d'intégration régionale en Afrique
dans la mesure où la référence à celle ci pourrait
prêter à confusion. Comme le montre James ROSENAU22, la
notion d'intérêt national est équivoque dans la mesure
où elle est employée à la fois par les hommes politiques
dans leurs discours et par certains universitaires en théorie des
relations internationales.
Dans la pratique politique, l'intérêt national
est brandi par les responsables politiques lorsqu'ils exposent les raisons de
leurs actions et de leurs décisions de politique étrangère
: « Je le fais parce que c'est dans l'intérêt de la
France23 » a par exemple répondu François
MITTERRAND lorsque des journalistes lui ont reproché l'accueil du
général JARUZELSKI à l'Élysée en
décembre 1985; quant à Jacques CHIRAC, à peine
arrivé à l'Élysée en 1995, il justifie sa
décision de reprendre les essais nucléaires français dans
le Pacifique par les exigences de « la sécurité et des
intérêts supérieurs de la nation24 ».
L'intérêt national est également invoqué par les
conseillers des princes. Régis Debray, membre de l'entourage de
François MITTERRAND au début des années 1980, fait ainsi
un plaidoyer en faveur de l'intérêt national dont il dit qu'il
existe et qu'il est définissable25.
La notion est omniprésente dans le champ universitaire
des relations internationales; car de Hans MORGENTHAU à Alexander WENDT
en passant par Raymond ARON, il n'y a qu' « un seul impératif
catégorique, un seul critère de raisonnement, un seul principe
d'action : l'intérêt national26 », qu'elle
est l' « art de gérer le commerce avec les autres États
au mieux de l'intérêt national27 »,
« personne ne nie que les États agissent sur la base des
intérêts tels qu'ils les
perçoivent28».
22 James ROSENAU, « National Interest »,
in SILL David, International Encyclopedia of the Social Sciences,Vol,
11, New York: Macmillan Company and free press, 1968, cite par Dario
BATTISTELLA, « L'intérêt national. Une notion, trois discours
», in Politique étrangère. Nouveaux regards,
Frédéric CHARILLON, (dir), Presses de Sciences Po, Paris, 2002, p
142.
23 Propos tenus le 9 décembre 1985 sur Europe
1, cités par Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 142.
24 Propos tenus le 13 juin 1995.
25 Régis DEBRAY, La puissance et les
rêves, Paris, Gallimard, 1984, p. 122.
26 Hans MORGENTHAU, Defense of national
interest, New York, Knopf, 1952, P. 242.
27Raymond ARON, Paix et guerres entre les
nations, Paris, Calmant Levy, 1984, P.37.
28 Alexander WENDT, Social Theory of International
Politics, Cambridge University Press, 1999, P.113.
18
Au regard de l'omniprésence de la notion
d'intérêt national, il est nécessaire d'analyser plus
profondément la notion d'intérêt national afin de
distinguer les éléments utiles à notre travail et
abandonner certains préjugés. C'est dans ce but que nous
examinerons les théories de l'intérêt national face
à la dynamique d'intégration en Afrique (Chapitre I).
Aussi, nous analyserons l'intérêt national dans
le processus d'intégration régionale en Afrique à la
lumière des théories générales de
l'intégration (Chapitre II), pour ressortir la nature de
l'intérêt national contenu dans chaque vision. Ainsi, nous
analyserons l'intérêt national en rapport avec les approches
fonctionnaliste et intergouvernementaliste de l'intégration
régionale en Afrique. Ces rapprochements visent à montrer le lien
de dépendance ou la relation qui existe entre l'intérêt
national et l'intégration régionale en Afrique.
19
CHAPITRE 1 : DES THÉORIES DE
L'INTÉRÊT NATIONAL À LA DYNAMIQUE D'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE
Le premier ouvrage dans lequel la politique
étrangère est analysée en termes d'intérêt
date de l'époque de la guerre de trente ans. En effet, en 1639, le Duc
Henri de ROHAN, adversaire de la politique intérieure de Richelieu, mais
partisan de la diplomatie de celui-ci, publie un essai intitulé : «
De l'intérêt des princes et des États de la
Chrétienté », dans lequel il plaide en faveur d'une
politique étrangère menée sur la base de
l'intérêt national. Depuis lors, cette idée a connu un
succès qui est allé croissant; citons pour mémoire
l'aphorisme le plus célèbre du Britannique Lord PALMERSTON :
« L'Angleterre n'a ni amis, ni ennemis; elle n'a que des
intérêts29».
La notion d'intérêt national est devenue
très populaire en relations internationales, elle est
omniprésente dans les discours des praticiens de la politique
étrangère et dans les analyses savantes de la politique
étrangère. Ainsi, tous les hommes politiques pensent et disent
agir pour l'intérêt national. Il en est de même des
diplomates qui se persuadent que : « la diplomatie exprime,
défend et développe l'intérêt
national30». La notion est également
invoquée par tous les gouvernants y compris ceux qui prennent la moindre
décision et les courants de pensée politique. Les
néoconservateurs américains Irving KRISTOL, Robert TUCKER, Owen
HARRIES par exemple, désireux de contribuer à rendre la politique
étrangère américaine plus « efficace et
cohérente31 », ont lancé une revue de
politique internationale appelée The National Interest, parce
que le premier et principal objectif de la politique extérieure
américaine doit être la défense et la promotion de
l'intérêt national des États-Unis32. C'est aussi
en rapport à l'intérêt national que les commentateurs de
l'actualité politique internationale évaluent et jugent la
politique étrangère d'un gouvernement.
29 Dario BATTISTELLA, « L'intérêt
national. Une notion trois discours », in Frédéric
CHARILLON, Politique étrangère. Nouveaux regards, (dir),
Presses de Sciences Po, Paris, 2002, P.141.
30 Alain PLANTEY, De la politique entre les
États. Principe de diplomatie, Paris, Pedone (2è
éd.), 1991, P. 96.
31 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p. 141.
32 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p140.
20
L'ubiquité33de l'expression «
intérêt national » démontre à suffisance que la
notion peut faire l'objet d'une compréhension rationnelle, d'une
définition concrète, d'un usage spécifique et ne saurait
faire l'objet d'aucun doute sur la suprématie de l'intérêt
national comme la balise de la politique extérieure d'un
État34. Il faut cependant noter que le consensus relatif au
recours universel à la notion d'intérêt national n'implique
aucune unanimité quant à sa signification
substantielle35. En effet, en 1952, Arnold WOLFERS constatait que la
popularité dont jouissaient certaines formules politiques telles que
l'intérêt national ou la sécurité nationale dans les
rangs d'hommes d'État, et théoriciens réalistes tendait
plutôt à démontrer qu'elles peuvent ne pas avoir les
mêmes significations, voire qu'elles sont susceptibles de permettre
à qui que ce soit de recouvrir une politique quelconque d'un label
attractif mais trompeur36. De plus en plus, le jugement sceptique
à l'égard de la notion d'intérêt national est
d'actualité et à sa conception réaliste s'est
ajouté la conception libérale qui est stato-centrée comme
la précédente, mais aussi une approche constructiviste.
La notion d'intérêt national est donc
essentiellement variable et évolutive, et sous chaque conception, une
lecture du processus d'intégration régionale est possible; car en
rapprochant sa conception réaliste à l'intégration
régionale notamment africaine (SECTION I), elle diffère du
rapprochement de sa conception constructiviste de cette même
intégration (SECTION II), chaque conception favorisant une perception
particulière de l'intégration régionale en Afrique par les
États.
SECTION I : LES THÉORIES RÉALISTES DE
L'INTÉRET NATIONAL ET L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
L'intérêt national fait l'objet d'une controverse
chez les auteurs réalistes. Nous présenterons cette controverse
entre les réalistes sur ladite notion (PARAGRAPHE. I) avant de
rapprocher cette vision de l'intégration régionale africaine
(PARAGRAPHE. II).
33 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.141.
34 Charles BEARD, The idea of the National
Interest. An Analytical Study in American Foreign Policy, New York,
MacMillan, 1934, PP.22 et 26.
35 Dario BATTISTELLA, ibid. p.142.
36 Arnold WOLFERS, Discord and Collaboration.
Essay on International Politics, Baltimore, The Johns University Press,
1962, cite par Dario BATTISTELLA, Op. Cit. P.142.
21
PARAGRAPHE I - LA CONTROVERSE RÉALISTE DE
L'INTÉRET
NATIONAL
Différents auteurs réalistes ont des approches
différentes sur la notion d'intérêt national. La
controverse réaliste autour de la notion d'intérêt national
oppose ici Hans MORGENTHAU qui, considère l'intérêt
national comme moteur des relations internationales (I) et Raymond ARON,
partisan de la rationalité de la dite notion (II).
I- L'intérêt national comme moteur des
relations internationales
Hans MORGENTHAU peut être considéré comme
l'un des pionniers de la théorie réaliste. Selon lui, la
politique étrangère des États est contrainte par la nature
anarchique du système international, qui détermine le
comportement des agents. Pour lui, l'absence de pouvoir supranational oblige
les États à garantir eux mêmes leur survie en
défendant leurs intérêts. L'intérêt national
occupe dès lors une place importante dans la pensée
réaliste, puisque MORGHENTHAU en fait la clé de
compréhension des relations internationales. Ainsi,
l'intérêt national « défini en termes de
puissance37» guide le comportement des hommes politiques
comme il le dit si bien « we assume that statemen think and act in
terms of interests defined as power38».
D'après les réalistes, la sécurité
d'un État au sens large inclut en plus de sa survie physique,
l'intégrité du territoire, l'indépendance politique,
l'identité culturelle, elle dépend aussi de la position
occupée dans le système international relativement aux autres
États39.Cette position étant elle-même
déterminée par la configuration générale des
puissances, c'est-à-dire par la distribution des capacités
essentiellement militaires dont dispose chaque État. La seule
façon pour un État d'assurer sa sécurité est de
disposer de soi-même de suffisamment de puissance pour dissuader les
autres États de tenter de lui imposer leur volonté. MORGENTHAU
affirme à ce sujet que, le principal poteau indicateur qui aide le
réalisme politique à trouver sa voie à
37Hans J. MORGENTHAU., Politics among
nations, 6e edition, New York, Mac Grawhill, 1993, cite par Marie-Claude
SMOUTS, Dario BATTISTELA, Pascal VENNESSON, Dictionnaire des relations
internationales, Paris, Dalloz, 2006, P.302.
38 Hans J. MORGENTHAU., Politics among nations
The Struggle for power and peace, New York: Alfred A. KNOPF, 1967,
4ème edition. P.5.
39Dario BATTISTELA, op. cit. p.144.
22
travers le paysage de la politique internationale est le
concept d'intérêt défini en termes de puissance.
MORGENTHAU affirme que le monde est « un monde
d'opposition d'intérêt ». Il reconnait la nature humaine
constante, marquée par un immuable désir de domination, le
réalisme repose en fait sur une certaine vision du monde et de l'homme,
profondément influencée par l'échec de l'idéalisme
et les destructions engendrées par l'idéologie nazie. C'est en
réponse à ces errements que MOGHENTHAU tente de concevoir
l'intérêt national de manière pragmatique, non
idéologique et désillusionnée. Il affirme à ce
sujet: « how often have statesmen been motivated by desire to improve
the world ,and ended by making it worse?40». Pour ce
dernier, si la politique qui est censée promouvoir
l'intérêt national varie, l'idée d'intérêt
national est invariable comme il le dit si bien « the idea of interest
is indeed of the essence of politics and is of unaffected by the circontances
of time and place41 ».
MORGENTHAU pense que l'intérêt national constitue
le principe supérieur puisque l'État étant lié
à la nation par un pacte social et politique défini par la loi
fondamentale. L'intérêt de l'État est donc unique et ne
s'oppose pas à l'intérêt supérieur de la nation.
Pour un réaliste, la puissance est un principe supérieur qui ne
saurait être subordonnée à des impératifs
économiques, juridiques ou moraux. Cette autonomie du politique engendre
une autonomie du décideur par rapport à la société.
L'intérêt national est alors davantage l'intérêt de
l'État tel que le définit et l'incarne le souverain que
l'intérêt général ou le bien public42.
Dans la perspective réaliste, la promotion de
l'intérêt national n'est pas qu'une loi théorique issue de
l'observation empirique des relations internationales. L'intérêt
national est une norme, une exigence politique et un critère
d'évaluation de la politique étrangère d'un État.
Il affirme à ce sujet: «Intellectually, the political realism
contains not only a theoretical but a normative
element43». La théorie réaliste se veut
normative comme en témoigne la profusion d'études de cas
réalisées par des auteurs réalistes appliqués
à démontrer que telle politique
40 Ibid. P.6.
41 Ibid. P.8.
42Paul HERAULT, Penser l'intérêt
européen. Du compromis entre intérêts nationaux à
l'intérêt général européen,
mémoire de Master recherche en Science politique, IEP Paris, Paris,
Septembre 2009. P.13.
43 Ibid. P11.
23
étrangère est ou n'est pas conforme à
l'intérêt national44. Cette normativité est
source de nombreuses contradictions et critiques. Elle s'énonce sous la
forme d'une loi : « les hommes d'Etat pensent et agissent en terme
d'intérêt45 », et MORGENTHAU déclare
par la suite : « A foreign policy guided by moral abstractions,
without consideration of the national interest, is bound to
fail46». L'intérêt national des
réalistes est essentiellement conservateur puisqu'il fait de la
soumission aux lois prétendues universelles, une exigence
d'éthique politique47. Il est un intérêt
nécessairement égoïste par rapport aux intérêts
extra-nationaux. Dans la mesure ou les États se trouvent dans un
système de chacun pour soi, synonyme de jeu à somme nulle, la
satisfaction de l'intérêt national d'un État ne saurait
tenir compte ni des intérêts nationaux des autres États, ni
à fortiori d'un quelconque intérêt commun de
l'humanité48 : « L'intérêt national
indique une politique mise en oeuvre en vue de promouvoir les demandes
nationales et non pas celles (...) de l'humanité tout
entière49 ». Aussi, l'intérêt national
transcende forcément les intérêts privés
sub-nationaux. En effet, la satisfaction de l'intérêt national
d'un État est synonyme de maintien de sa sécurité et cette
sécurité est elle même la condition sine qua non de la
possibilité pour les particuliers membres de cet État de
poursuivre leurs propres intérêts privés, la satisfaction
de l'intérêt national ne se fait pas sans tenir compte de ce
dernier: « L'intérêt national n'est pas réductible
aux intérêts privés50 ». De la sorte,
les observateurs de la politique étrangère des États
peuvent la juger conforme ou non à l'intérêt national.
C'est cette définition de l'intérêt national en termes de
puissance que Raymond ARON remet en cause.
II- La remise en cause d'une définition de
l'intérêt national en termes de
puissance
Raymond ARON procède à la remise en cause d'une
définition de l'intérêt national « défini
en termes de puissance » ; car penser la puissance en termes de force
n'a rien de rationnel.51 Pour lui, la puissance ne peut être
qu'un moyen d'action politique et non un but52. La
44 Hans J. MORGENTHAU, Op. Cit. P. 5.
45 Cette formule se trouve dans la plus part des
articles de la revue américaine The National Interest.
46 Hans J. MORGENTHAU, Op. Cit. pp. 33-34.
47 Paul HERAULT, Op. Cit. P.15.
48 Dario BATTISTELLA, op. cit. p144-145.
49 Arnold WOLFERS, Discord and Collaboration.
Essays on International Politics, Baltimore, The Johns Hopkins University
Press, 1962, p.147.
50 Raymond ARON, Op.cit. p.101. 51Ibid.
pp. 99-100.
24
politique étrangère n'est pas guidée par
une nature humaine dominatrice mais par des projets, des visions du monde. Les
fondements théoriques du raisonnement de MORGENTHAU sont ici remis en
cause : l'observation empirique d'exemples historiques ne peut aboutir à
la formulation d'une théorie générale rationnelle. Un
acteur agit en fonction de son horizon idéal, de ses
valeurs53. ARON pense qu'il ne faut pas chercher à
théoriser le comportement des États ou de leurs dirigeants en
réduisant la diversité des objets qu'ils poursuivent à un
seul principe directeur. Il affirme à cet effet : « la
pluralité des objectifs concrets et des objectifs ultimes interdirait
une définition rationnelle de `l'intérêt national',
même si celui-ci ne comportait pas, en lui-même, l'équivoque
qui s'attache à l'intérêt collectif en
économie54 ».
ARON pense que l'intérêt national doit être
pluriel et faire l'objet de recherche. En effet, « il
(intérêt national) rappelle au gouvernants d'un jour que la
sécurité et la grandeur de l'État doivent être les
objectifs de l'homme diplomatique, quelle que soit l'idéologie qu'ils
invoquent 55», il s'interroge toutefois sur la
constance et l'homogénéité de l'intérêt
national parce que la nature et les changements de régimes ou
d'idéologies tendent à influer sur la définition de
l'intérêt national, et que l'homogénéité de
l'intérêt national ne va pas de soi et n'a rien d'évident
dans la mesure où toute entité politique est composée de
groupes ou d'individus ayant chacun des objectifs propres56. Aussi,
s'appuyant sur la philosophie politique de LOCKE, SMITH et KANT, MORAVCSIK fait
des individus ontologiquement antérieurs aux États et agissant
seuls ou agrégés en regroupement de nature privée, les
acteurs fondamentaux de la politique en général et des relations
internationales en particulier. Rationnels, au sens où ils sont capables
d'effectuer dans le champ politique les choix les plus efficaces en termes de
rapport couts/bénéfices, les acteurs sociétaux cherchent,
à travers l'action individuelle ou collective, à promouvoir leurs
intérêts matériels ou spirituels, en vue d'atteindre le
bien être tel qu'ils le définissent. Lorsque la satisfaction de
ces intérêts ne peut se faire à moindre cout par les seuls
acteurs sociétaux, ils en confient la charge à l'État, qui
a été érigé dans ce but par la
société civile, et qui n'est donc pas un acteur autonome par
rapport à la société civile comme chez les
52 Ibid.
53 Paul HÉRAULT, Op. cit. p. 16.
54Raymond ARON, op; cit, p. 101.
55 Ibid. p.101.
56 Raymond ARON, Paix et guerres entre les
nations, Paris, Calman Levy, 1984, cité par Paul HERAULT, Op. Cit.
p. 17.
25
réalistes, mais le simple commis des
intérêts particuliers. Ceci est notamment le cas sur la
scène internationale, où l'État a pour mandat de
promouvoir ceux des intérêts particuliers que les individus ne
peuvent eux-mêmes défendre directement57.
L'intérêt national ici est ce que le
décideur formule comme tel. Les libéraux n'assimilent pas pour
autant cet intérêt national à la somme des
intérêts privés de la société civile, car au
sein d'une société civile, il n'y a aucune harmonie
spontanée entre les intérêts privés. Comme les
différents acteurs sociétaux ne disposent pas de ressources
politiques équivalentes leur permettant d'espérer une
satisfaction égale de leurs intérêts respectifs,
l'État ne représente jamais que celui ou ceux des sous-ensembles,
plus ou moins grands, de la société civile, capables
d'accéder aux autorités politiques et de leur imposer comme leurs
légitimes préférences : la politique gouvernementale est
contrainte par les identités, intérêts et pouvoirs des
individus et groupes qui exercent en permanence des pressions sur les
décideurs pour qu'ils adoptent des politiques conformes à leurs
préférences. Ainsi, la dualité essentielle de la puissance
et du bien communs font de l'intérêt national le but d'une
recherche et non un critère d'action, car il est le fruit des
débats et d'arbitrages entre plusieurs options politiques.
L'intérêt national dans cette optique ne vise plus simplement la
défense de l'État, mais il promeut aussi un projet de
société.
Selon ARON, l'individu est l'acteur fondamental de la
politique qui cherche à satisfaire de façon rationnelle ses
intérêts ; l'État dans cette perspective étant le
mandataire de la société civile, chargé par les acteurs
sociétaux de satisfaire les intérêts privés qu'eux
mêmes ne parviennent pas à satisfaire. Aussi, au niveau des
relations entre les États, l'immanence de l'État par rapport
à la société civile se traduit tantôt par une
définition égoïste de l'intérêt national,
tantôt par une définition non égoïste, selon que les
acteurs sociétaux majoritaires estiment leur intérêt mieux
satisfait par une politique unilatérale ou au contraire
multilatérale58. Dans cette optique, l'intérêt
national d'un État en politique étrangère peut alors
être égoïste par rapport aux intérêts des autres
États ou plus exactement par rapport aux intérêts des
autres sociétés civiles représentées par les
États respectifs. Quoiqu'il en soit, l'intérêt national tel
que cerné par ARON est un intérêt national
égoïste du fait de l'immanence de l'État.
57 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.148.
58 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. P.150.
26
Comme nous le constatons, les théories réalistes
de l'intérêt national exaltent la prééminence de
l'État dans la perception de cet intérêt. Les
réalistes définissent donc de manière égoïste
l'intérêt national. Pour eux, l'intérêt national est
essentiellement conservateur. La controverse ainsi ressortie, il importe de
faire une liaison entre les théories réalistes de
l'intérêt national et l'intégration régionale en
Afrique.
PARAGRAPHE II- L'INTÉRÊT NATIONAL DES
RÉALISTES ET L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
Les réalistes n'abordent pas directement le
débat entre la supranationalité et l'intérêt
national, mais plusieurs de leurs réflexions peuvent être utiles
à cet effet. Il faut noter que « les sociétés
transnationales se manifestent par les échanges commerciaux, les
migrations de personnes, les croyances communes, les organisations qui passent
par-dessus les frontières ; enfin les cérémonies ou
compétitions ouvertes aux membres de toutes ces
unités59 ». C'est dire en d'autres termes que
l'émergence d'entités supranationales créée une
nouvelle sociabilité.
Dans un cadre de réflexion purement réaliste au
sens de H. MORGENTHAU, l'existence d'un acteur supérieur à
l'État est difficilement imaginable, puisque l'anarchie du
système internationale est indépassable. C'est ainsi que le
regard de MORGENTHAU sur les organisations internationales comme l'ONU est
particulièrement intrusif60. Selon ce dernier, les Nations
Unies sont la volonté des États membres, elles ne sont qu'un
instrument au service de leurs intérêts nationaux. À cet
effet, il affirme « the united nations is today an intrument through
which its members try to protect and promote their respective national
interest61 ». Le tout n'étant rien d'autre que la
somme des parties, les théories réalistes ne peuvent concevoir
que les intérêts des États qui structurent l'organisation.
D'après d'autres réalistes, inspirés d'ailleurs par
l'histoire diplomatique classique et en réaction aux illusions de
l'idéalisme wilsonien, l'apparition des grandes organisations
internationales au XXe siècle telles que la Société des
Nations, l'Organisation des Nations Unies et l'Union Européenne ne
change rien sur l'intérêt national comme motivation suprême
de la politique étrangère des États. Les premiers
rôles sur la
59 Paul HÉRAULT, Op. Cit. p. 18.
60 Hans MORGENTHAU, «The Yardstick of National
Interest». Annals of the American Academy of political and Social
Science, November 1954, vol. 296, p. 77.
61 Ibid.
27
scène internationale sont encore joués par les
États et par les intérêts nationaux62.
L'intérêt national reste la seule motivation des États dans
leur agissement sur la scène internationale, car au regard de la
situation des relations internationales, un domaine anarchique, sans
autorité supérieure, où le droit, inexistant cède
la place à la force, celle qui est exercée avant tout par les
grandes puissances. Dans cet état de nature, la guerre est un moyen de
régulation de la vie internationale, des relations entre les
États, lesquels ont, selon la formule de Max WEBER, le «
monopole de la violence physique légitime ». Pour les
réalistes, le meilleur moyen d'obtenir la paix, est de créer une
situation dans laquelle les États n'ont pas d'intérêts.
Dans cette vision pessimiste, l'intérêt est perçu comme le
principal ressort des activités humaines.
Dans le cadre des organisations africaines
d'intégration régionale telle que l'Union Africaine, en faisant
une liaison avec les théories réalistes de l'intérêt
national, il ressort que les États n'adhèrent à ce
processus que pour rechercher leurs intérêts égoïstes,
différents des intérêts des autres États et ceux de
l'organisation ; les États dans ce processus selon la logique
réaliste ne poursuivent que leurs intérêts personnels au
détriment de ceux des autres. On peut affirmer comme Alan MILWARD
parlant de la création de la Communauté
européenne63 que l'intégration régionale en
Afrique ne procède pas d'un idéal, mais de la volonté des
États de sauver leur existence, de s'affirmer et de se restaurer
individuellement. Pour lui, on peut se demander si l'intérêt
national n'a pas été le principal ressort de la construction
européenne. Depuis le Traité de Westphalie jusqu'aux
traités qui ont assuré la réunification de l'Allemagne en
1990, en passant par le congrès de Vienne en 1815, le Traité de
Versailles en 1919, les pays d'Europe ont continuellement cherché leur
intérêts nationaux64.
De la sorte, l'intérêt national est à
l'origine de la construction régionale africaine ; il existe une
interaction, un continuum entre l'intérêt national et
l'intégration régionale, car depuis les indépendances, les
États africains perçoivent l'intégration régionale
comme une voie pour s'affranchir de la colonisation, pour leur
développement, pour réduire les conflits entre eux et pour
assurer surtout leur survie purement personnelle. L'importance de
l'intégration
62 Kenneth N. WALTZ, Theory of International
Politics, Reading, Addison Wesley, 1979. Cite par Robert FRANK, «
Penser historiquement les relations internationales », Annuaire
Française de Relations Internationales, p. 50.
63 Alan MILWARD, The European rescue of Nation
State, University of California Press, Berkeley, 1995(2e éd) et
Rutledge, London, 2000. Cite par Robert FRANK, « Penser historiquement les
Relations Internationales », Annuaire Française de Relations
Internationales, p. 51.
64 Ibid.
65 CNUCED, Le développement économique
en Afrique. Renforcer l'intégration économique régionale
pour le développement de l'Afrique. New York et Genève, Rapport
2009, p.8.
28
économique régionale pour
accélérer et renforcer le développement économique
et social est reconnue depuis longtemps par les décideurs africains.
L'unité, la coopération et l'intégration de l'Afrique ont
été de tout temps des objectifs pour de nombreux responsables
africains comme George PATMORE, W. E. B. DUBOIS ou Marcus GARVEY, ainsi que
pour des nationalistes africains comme Kwame NKRUMAH qui, dans son livre
Africa Must Unite, préconisait déjà l'unité
africaine. Cet objectif d'intégration est donc profondément
ancré dans l'histoire de l'Afrique, même si, comme dans d'autres
régions, la priorité a été initialement de
s'assurer un poids et une autorité politiques accrus sur la scène
internationale. Mais au fur et à mesure que les défis de la
mondialisation et de l'interdépendance se sont imposés aux pays
de la région, avec le risque d'une marginalisation du continent
africain, cet objectif d'intégration est redevenu prioritaire.
L'Organisation de l'Unité africaine (OUA) a été
établie en 1963 pour intégrer économiquement les pays
d'Afrique, régler les conflits dans les pays africains et entre ces
pays, promouvoir le développement et améliorer le niveau de vie
des populations65. Plusieurs groupements sous-régionaux
africains ont été formés par la suite.
En juin 1991, le Traité d'Abuja, qui prévoit la
création d'une communauté économique africaine à
l'échelle du continent d'ici à 2028, a été
signé. La formation d'arrangements régionaux de
coopération économique permet de jeter les bases de la
communauté économique africaine envisagée. Le
régionalisme en Afrique répond à deux
nécessités. La première était de renforcer
l'unité politique au niveau panafricain. La seconde consistait à
promouvoir la croissance économique et le développement. Le
régionalisme, en particulier pour une intégration des
marchés au niveau régional, est un moyen d'aider les pays
africains à surmonter les problèmes structurels auxquels ils sont
confrontés. Au regard de la théorie réaliste de
l'intérêt national, les Etats africains ne participeraient au
processus d'intégration que pour consolider leur intérêt
égoïste, la volonté réelle de bâtir une
région intégrée étant reléguée au
second rang ; car la confrontation entre les groupes de Casablanca et de
Monrovia, qui s'est soldée par la victoire des modérés de
Monrovia n'est que la manifestation de l'intérêt national des
Etats naissants au détriment de l'unité complète de
l'Afrique, revendiquée par les panafricanistes radicaux.
29
Nous pouvons également faire un rapprochement entre le
projet constructiviste de l'intérêt national et
l'intégration régionale en Afrique.
SECTION II : LA THÉORIE CONSTRUCTIVISTE DE
L'INTÉRÊT NATIONAL ET L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
Nous clarifierons d'une part la théorie constructiviste
de l'intérêt national (PARAGRAPHE I) avant d'établir la
relation avec l'intégration régionale en Afrique (PARAGRAPHE
II).
PARAGRAPHE I- LA THÉORIE CONSTRUCTIVISTE DE
L'INTÉRÊT
NATIONAL
L'analyse de la théorie constructiviste de
l'intérêt national passe par la présentation des
précurseurs et de l'économie de la dite théorie d'une
part(I) et d'autre part par la démonstration du rôle des
identités dans la formation de l'intérêt national des
constructivistes (II).
I- Les précurseurs et l'économie de
l'approche constructiviste de l'intérêt national
Le projet constructiviste a depuis la chute du mur de Berlin
succédé au marxisme comme troisième approche
théorique principale des relations internationales. C'est une approche
qui est d'avantage épistémologique et ontologique que
substantielle66. Par opposition aux réalistes d'après
qui « le monde est ce qu'il est », et qu'il faut se
contenter de l'étudier « tel qu'il est », les
constructivistes pensent eux que le monde « n'est pas » mais se
construit socialement, c'est-à-dire « est » un
processus en devenir, qui change et se transforme en permanence, surtout de
façon pacifique donc au gré des pratiques sociales les plus
diverses67.
Le principal chantre de l'analyse constructiviste de
l'intérêt national est Alexander WENDT, autour de ce dernier, on
retrouve Martha FINNEMORE et Jutta WELDES dont les
66 Alex MCLEOD,»L'approche constructiviste de la
politique étrangère», in Frédéric CHARILLON,
Politique étrangère. Nouveaux regards, (dir), Presses de
Sciences Po, Paris, 2002, P. 67.
67 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.152.
30
travaux peuvent être considérés ici comme
compatibles et complémentaires. En effet, contrairement à la
vision réaliste selon laquelle les États sont contraints de
poursuivre leurs intérêts et d'accroitre leur puissance à
cause de l'anarchie du système international, A.WENDT a
développé l'idée que l'anarchie est avant tout ce qu'en
font les États et que les intérêts nationaux sont alors
conçus comme le produit d'interaction entre États. Ainsi
déclare Jutta WELDES citant WENDT : « wendt's constructivist
argument goes some way towardes reconceptualizing the national interest as the
product of intersubjective processes of meaning creation
68». Il faut noter que la notion «
d'intersubjectivité69 » qui est au Coeur du
projet constructiviste tend à considérer les États comme
des sujets, acteurs homogènes définissant leurs propres
intérêts.
L'intérêt national d'un État est plus
façonné par les normes et valeurs qui structurent la vie
politique internationale. Comme les valeurs elles mêmes évoluent,
l'intérêt national est susceptible d'être
régénéré et transformé avec pour
conséquence l'émergence possible d'un intérêt
national défini de façon altruiste et non pas
égoïste. La culture anarchique lockiènne70 a
été intériorisée par les États depuis la
paix de Westphalie. Dès lors, les États se considèrent
comme des rivaux et non plus comme des ennemis, les États contemporains
reconnaissent la souveraineté d'autrui. Nous assistons ainsi à
une diminution des recours à la force et à une
interdépendance croissante entre les États, ainsi qu'à
l'homogénéisation croissante des régimes
politico-économiques. L'intérêt national devient donc
altruiste car en satisfaisant son intérêt, on satisfait
l'intérêt des États amis.
II- Le rôle des identités dans la formation
de l'intérêt national des constructivistes
Les constructivistes conçoivent l'identité de
l'État de part sa nature intersubjective parce qu'elle est la
résultante de représentation construite par l'État
lui-même et par les autres États. Comme l'identité de
l'État est fonction de l'ensemble des idées, des valeurs, des
croyances que partagent les États au sujet d'eux-mêmes et de leurs
relations, alors les intérêts des États sont moins
construits par eux-mêmes qu'ils ne sont « façonnés
par les normes et valeurs qui,
68 Audie KLOTZ, Cecelia LYNCH, « Le
constructivisme dans la théorie des relations internationales »,
Revue critique internationale n°2-hiver, 1999, P. 53
69 Audie KLOTZ, Cecelia LYNCH, Op. cit. P. 53.
70 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.158.
31
partagées internationalement, structurent la
politique internationale et lui donne signification71 ».
Les intérêts des pays peuvent être de la sorte
transformés par les changements qui se produisent au sein des valeurs
internationales ; les intérêts peuvent donc se
régénérer parce que la culture internationale, les normes,
ainsi que les régimes internationaux changent le comportement des
États. D'après les constructivistes, les intérêts
des États se trouvent leurs racines non pas dans la configuration de
force comme chez les réalistes, ni d'avantage dans les demandes
exprimées par les acteurs sociétaux, comme chez les
libéraux, mais dans l'identité des États,
c'est-à-dire dans la représentation que les États se font
d'eux-mêmes et d'autrui, du système international, et de leur
propre place, ainsi que celle des autres, au sein de ce système
international. Il reste que l'identité d'un État n'est pas de
nature subjective, car si elle est devenue un facteur structurant des
intérêts, c'est qu'elle s'est inscrite dans la durée, dans
la continuité, ce qui n'est pas possible que parce qu'elle est de nature
intersubjective, c'est-à-dire parce qu'elle est la résultante de
représentations élaborées à la fois par
l'État lui-même et par les autres États. Or si
l'identité d'un État est fonction de l'ensemble des idées,
croyances, valeurs et normes que partagent les États à un moment
donné au sujet d'eux-mêmes et de leurs relations, alors les
intérêts des États sont enchâssés dans cette
identité, construits moins par les États eux-mêmes qu'ils
ne sont façonnés par les normes et les valeurs qui,
partagées internationalement, structurent la vie politique
internationale et lui donnent un sens. Ainsi, si les intérêts
nationaux sont co-constitués par les valeurs internationalement
partagées, alors ils sont susceptibles d'être transformés
par les changements qui se produisent au sein de ces valeurs
internationales72. C'est dans cette affirmation de
re-génération des intérêts des États par la
structure sociale internationale que réside le point fort de la
conception constructiviste de l'intérêt national.
D'après les constructivistes, les valeurs qui se
diffusent au sein de la société transnationale, les normes que
partage la société internationale, les règles que codifie
le droit international, modifient le comportement des États. C'est ainsi
que Martha FINNMORE pense que, le fait que des États nombreux et divers
aient successivement et sans intérêt immédiat apparent
été amenés à redéfinir leurs politiques
scientifiques, leur conduite à l'égard des prisonniers de guerre,
leurs stratégies de développement, prouve que des
organisations
71 FINNEMORE Martha, National interest in
international society, Ithack, Corneil University press, 1996. Cité
par Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.154.
72 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.154.
32
internationales intergouvernentales telles que l'UNESCO ou la
Banque Mondiale changent les préférences des États.
Même si les domaines concernés ne touchent pas directement
à l'intérêt national stricto sensu, les
intérêts nationaux sont affectés par la structure
culturelle internationale, au point de ne plus être définis en
termes exclusivement égoïste de nos jours73.
D'après WENDT, les États sont « des
acteurs dont le comportement est motivé par une variété
d'intérêts enracinée dans les identités corporatives
de type, de rôle, et collective74 ». Il entend par
« identité corporative », les traits qui font de
l'État une entité sociale à part entière, distincte
des autres acteurs de la scène internationale. Par «
identité de type », il entend les caractéristiques que
partagent en commun certains États en matière de système
économique, de régime politique, etc. La notion «
d'identité de rôle » renvoie aux
propriétés qui caractérisent un État dans la
perception des autres, et qui font que les États s'attendent à ce
qu'il agisse d'une certaine façon à leur égard, qu'il
adopte un certain rôle sur la scène internationale : un
État peu de ce fait, aux yeux d'un autre, avoir le rôle
d'État ami, rival, ou ennemi, de puissance hégémonique ou
d'État satellite. L'identité collective existe lorsqu'un
État s'identifie à un autre ; c'est le cas des États
membres d'une communauté de sécurité.
Les identités ci-haut mentionnées sont alors
à l'origine des intérêts nationaux que sont la survie
physique, l'autonomie, le bien être, etc. Il convient de préciser
que ces identités ne sont pas définies par l'État
lui-même, mais sont issues de l'interaction sur la scène
internationale75. Les identités ne sont pas définies
par l'État lui-même, mais sont les résultantes de ses
interactions sur la scène internationale. Le rôle que joue un
État sur la scène internationale dépend des attentes
d'autrui à son égard et de ses capacités à se
conformer à ses attentes. L'identité collective, qui renvoie au
fait, pour un État, de s'identifier aux intérêts d'un
autre, au point de les intégrer dans la définition de son propre
intérêt national, présuppose l'interaction
sociale76. L'intersubjectivité des
identités77 est à la base de l'intérêt
national, qui ne saurait être définie en terme égoïste
; car l'anarchie du système international au sein duquel évoluent
les
73 Martha FINNEMORE, National Intersts in
International Society, Ithaca, Cornell University Press, 1996, cité
par Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.155.
74 Alexander WENDT, Social Theory of
International Politics, Cambridge University Press, 1999, p. 233,
cité par Dario BATTISTELLA, Op. Cit. p.155.
75 Ibid. P.156. 76Ibid. P.157.
77 Ibid.
33
États et qui façonne les identités, et
donc les intérêts des États, « n'est jamais ce que
les États en font78 » et n'est pas
nécessairement synonyme d'état de conflit comme l'affirment les
réalistes ; car les États se conçoivent comme amis les uns
des autres, il s'agit d'une anarchie kantienne79. A la suite de
cette présentation de l'intérêt national des
constructivistes, il convient de tenter un rapprochement avec l'organisation
régionale Africaine de l'intégration.
PARAGRAPHE II- L'ANALYSE DE L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE SOUS LE PRISME DE L'INTÉRÊT NATIONAL
DES CONSTRUCTIVISTE
Les constructivistes ne procèdent pas à une
défense de l'intérêt national de manière
caricaturale, souverainiste et passéiste. En effet, même s'ils ne
font pas directement le rapprochement entre l'intérêt national vu
sous leur angle et l'intégration régionale, il convient de
préciser que leur vision appelle à une interdépendance
entre les États dans la recherche des intérêts nationaux
à l'aune de la régionalisation et de la mondialisation. Ainsi
dans le cadre de l'Union Africaine, les frontières nationales doivent
devenir de moins en moins opérantes dans leur fonction de
délimitation et de marquage d'un territoire, d'une identité, d'un
patrimoine. La facilitation et l'accroissement des mouvements de capitaux, de
biens, de services et de personnes rendront de plus en plus difficile voire
parfois illusoire l'identification du caractère proprement national des
intérêts80. Au niveau européen, à titre
comparatif, la mise en oeuvre de cette vision est une effectivité avec
la création du marché commun, de l'union économique et
monétaire, de l'espace Schengen. Une conception d'intérêt
national altruiste appliquée à l'intégration africaine
permettrait aux États de rechercher leurs intérêts
nationaux dans un état d'interdépendance où la
sécurité nationale dépendra par exemple désormais
réellement de la sécurité de l'Union Africaine ; car les
États intègrent un ensemble régional pour acquérir
davantage de sécurité81.
Le rapprochement du projet constructiviste à
l'intégration régionale est semblable à la théorie
réaliste de l'intégration selon laquelle, plusieurs
hypothèses expliquent la formation des
78 Alexander WENDT, «Anarchy is what states
make of it. The social construction of power politics» International
Organization, 46, printemps 1996. Cite par Dario BATTISTELLA, Ibid. P.157.
79 Dario BATTISTELLA, Op. Cit. P.158.
80 Paul HERAULT, Op. Cit. P.41.
81 Sabine SAURUGGER, Op. Cit. p. 57.
34
alliances82. La première est celle de la
nécessité d'un ennemi extérieur-tel l'Union
Soviétique pendant la guerre froide. L'existence d'une puissance
hégémonique pousse les États à se réunir
avec son accord, comme le font les États-Unis dans le contexte de
création de l'Organisation de la coopération économique
européenne83. Il est également possible qu'une
création régionale réussisse contre la volonté d'un
État voisin, comme le montre l'exemple du Conseil de la
coopération dans le Golfe contre l'Iran84. Enfin, les
États faibles peuvent avoir un intérêt à s'associer
à des États plus puissants dans des ensembles régionaux,
afin de se faire entendre internationalement85. En Afrique, dans une
étude menée par la CEA en 2006, la moitié des pays mettent
en avant des raisons politiques et stratégiques comme principale
motivation de l'adhésion aux communautés économiques
régionales86. « Un autre argument veut que la
prolifération de blocs économiques régionaux s'explique
par la volonté de créer des espaces économiques les plus
larges possibles pour coordonner et harmoniser les politiques et
stratégies nationales dans la sous-région et, à terme,
dans l'ensemble de la région. Les pays membres pourraient
bénéficier, individuellement et collectivement, d'une
amélioration du taux de croissance économique. Cet argument
semble avoir incité les petits pays à adhérer à
plusieurs communautés économiques régionales à la
fois pour profiter des avantages perceptibles ou non de chacune d'elles
87». Ainsi, la participation de l'État au processus
d'intégration ou à la formation des alliances permet de
sauvegarder ses intérêts. . S'il existe une véritable
concertation et une véritable écoute mutuelle entre les
États aussi inégaux au niveau régional, c'est parce que
leurs comportements, expliquent les constructivistes, sont directement
influencés par des normes et des valeurs acceptées par tous, et
qui déterminent leurs intérêts88. Dans cette
optique, Martha FINNEMORE affirme : « les États sont
socialisés par les organisations internationales pour
82 Stephen M. WALT, «The origins of
Alliances», Ithaca ( N. Y), Cornell University Press, 1987, cite par
Sabine SAURUGGER, Op. Cit. p. 58.
83Ibid.
84 Ibid.
85 Ibid.
86CEA, « État de
l'intégration régionale en Afrique II, Rationalisation des
communautés économiques régionales »,
Addis-Abeba, 2006, p. 58.
87 Ibid. p. 59.
88 Gérard DUSSOUY, Traité de
relations internationales. Tome II. Les théories de
l'interétatique, Paris : Éditions L'Harmattan, 2008, p.
107.
35
accepter de nouvelles normes, de nouvelles valeurs, et de
nouvelles perceptions de leurs intérêts 89
».
L'application de l'intérêt national des
constructivistes à l'intégration notamment en Afrique permet de
comprendre que, le développement d'une sécurité collective
implique que les intérêts communs soient promus par de
véritables politiques communes. Aussi, l'adoption d'un instrument commun
voire unique concoure à l'émergence d'intérêt
commun90. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certains auteurs
mêmes réalistes comme Alan MILWARD considèrent que
l'intérêt national n'existe pas objectivement, qu'il est construit
et qu'il convient de parler plutôt de « stratégies
nationales » de la part des États qui se lancent dans un
processus d'intégration91.
Dans cette logique, le jeu des fonctions économiques et
la loi des marchés internationaux limitent la marge de manoeuvre des
États. Le poids des mentalités, des stéréotypes et
des imaginaires sociaux peuvent fausser la perception des
réalités ; dans la sphère internationale, tout n'est pas
nécessairement logique ou rationnel, tant est important le poids des
subjectivités collectives. Pour les constructivistes, la
réalité n'est souvent qu'une réalité perçue,
représentée, construite. Les erreurs dans la perception des faits
et gestes du voisin, de l'allié ou de l'ennemi pèsent lourd dans
la décision de politique étrangère92. En
Afrique, les politiques mises en oeuvre dans le cadre du NEPAD seraient
à même de satisfaire les intérêts de tous les
États membres de
L' UA plus qu'une politique économique individuelle
initiée par un seul pays. Les programmes de coopération
techniques de l'Union Africaine vise l'harmonisation des compétences des
États dans plusieurs domaines et partant à satisfaire
l'intérêt national de tous les États.
L'intérêt national des constructivistes, appliqué à
l'intégration régionale en Afrique renvoie à la perception
selon laquelle l'intégration régionale en Afrique est au service
des intérêts des pays qui y participent. Dans cette logique, il
existe un continuum entre l'intérêt national des constructivistes
et l'intégration régionale en Afrique.
89Martha FINNEMORE, National Interests in
International Society, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1996,
p. 3.
90 Paul HERAULT, Op. Cit. p. 24.
91 Alan MILWARD fait allusion ici à
l'intégration européenne, mais on peut faire un parallèle
à l'intégration régionale africaine.
92 Robert FRANK, « Penser historiquement les
relations internationales », p 52, in Pierre RENOUVIN, Jean Baptiste
DUROSELLE, Introduction à l'histoire des relations
internationales, Paris,4ème éd. Armand Colin,
1991.
36
L'ubiquité de la notion d'intérêt national
fait d'elle une notion équivoque et ambivalente. Elle a
évolué de sa vision égocentrique des réalistes pour
recouvrir aussi de nos jours une vision altruiste selon les constructivistes.
Les tentatives de rapprochement des théories de l'intérêt
national à l'intégration régionale en Afrique ont permis
de constater que chaque théorie de l'intérêt national
favorise une perception particulière du processus d'intégration
régionale en Afrique. Aussi, convient-il de mettre en évidence
l'intérêt national dans le processus d'intégration
régionale en Afrique à la lumière des théories
générales de l'intégration pour définitivement
établir la relation entre les deux notions.
37
CHAPITRE II : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE À LA
LUMIÈRE DES THÉORIES GÉNÉRALES DE
L'INTÉGRATION
Les théories de l'intérêt national n'ont
pas directement pensé l'intégration régionale. A
contrario, les théories générales de l'intégration
se sont intéressées à la construction d'un espace
régional en articulation avec la notion d'intérêt national.
C'est ainsi que l'approche de l'internationalisme libéral et l'approche
intergouvernementaliste analysent différemment l'institutionnalisation
de la coopération économique et politique93et partant,
l'intégration régionale. La définition et l'analyse des
approches générales de l'intégration régionale
permettent de constater que ces dernières sont enracinées dans
l'intégration régionale africaine. Elles permettent de constater
aussi que, cette dernière est une intégration
dépolitisée, et qui favorise les intérêts
fonctionnels communs des États africains d'une part (SECTION I) et
d'autre part, elle est à l'origine de la sauvegarde des
intérêts nationaux égoïstes (SECTION II).
SECTION I : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE PENSÉ SOUS LE
PRISME DE L'APPROCHE INTERNATIONALISTE LIBÉRALE DE
L'INTÉGRATION
La définition de l'approche internationaliste
libérale de l'intégration (PARAGRAPHE I) met en évidence
l'enracinement de cette approche dans le processus d'intégration
régionale en Afrique. Aussi, cet enracinement est à l'origine
d'une intégration régionale africaine dépolitisée
et qui, est à la faveur des intérêts fonctionnels communs
(PARAGRAPHE II).
93 Christopher HILL, Michael SMITH, International
Relations and the European Union, New-York, Oxford University Press,2005,
cité par Paul HERAULT, Op. Cit. P.31.
38
PARAGRAPHE I : L'approche internationaliste
libérale de l'intégration régionale
Dans la lignée de ce courant, deux écoles sont
intervenues successivement : le fonctionnalisme (I) et le
néofonctionnalisme (II).
I- Le fonctionnalisme
Dès 1946, David MITRANY, reprenait à son compte
la vision du monde du travailliste britannique Leonard WOOLF qui,
au-delà des États, s'intéressait aux relations entre les
peuples et aux conséquences positives de leur coopération
économique et technique telle qu'elle avait pu s'esquisser pendant la
brève expérience de la Société des Nations, pour
réfléchir à un système qui assurerait une paix
durable 94. Pour que cet objectif soit rempli, il fallait
considérer le fonctionnement d'un tel système non plus du point
de vue de l'intérêt des États, mais de celui des besoins de
leurs populations. C'est en s'attachant à résoudre, grâce
à la coopération internationale, leurs problèmes
quotidiens et en les traitant de manière fonctionnelle95,
c'est-à-dire à différentes échelles, et par le
truchement des pouvoirs publics ou d'acteurs privés, que l'on pourrait,
en favorisant la prospérité générale, limiter les
risques de guerre. En effet, dans la mesure où les peuples prendraient
conscience que l'augmentation de leur bien-être serait le fruit de la
multiplication des réseaux de coopération établis entre
eux, ils accorderaient plus d'intérêt aux organisations
internationales pour se défaire de leurs allégeances
étatiques et pour surmonter leurs clivages territoriaux. Il s'agissait
d'un projet ambitieux qui dépassait l'analyse centrée sur
l'État pour atteindre directement l'Homme96.
Liée à la notion de fonction, le fonctionnalisme
part de l'idée selon laquelle autant une fonction remplit un rôle
dans un ensemble culturel, social ou politique donné, autant une
institution doit être élaborée pour répondre
à des besoins sociaux spécifiques. La multiplicité et la
complexité des besoins de société rend alors
incontournable la mise sur pied de coordination interétatiques dans le
cadre d'organisations internationales à caractères techniques
sans influence politique. Il doit exister une « interdépendance
matérielle » entre les États, car ces derniers se
94 David MITRANY, A Working Peace System,
Londres, Royal Institute of International Affairs, 1946. Cite par Gérard
DUSSOUY, Traité de relations internationales. Tome II. Les
théories de l'interétatique, Paris : Éditions
L'Harmattan, 2008, p 95.
95 Gérard DUSSOUY, Op. Cit. p. 95.
96 Jean Jacques ROCHE, Théories des
relations internationales, Paris, 6ème édition,
Montchrestien, 2006, P.96.
39
présentant comme archaïques et empêchant
toute réflexion constructive et innovatrice97. C'est ainsi
que MITRANY, élabore la première théorie cohérente
de la coopération internationale. Pour lui, une véritable
coopération ne peut être réalisée ni par la
volonté politique, ni par des règles de droit, il faut donc une
coopération internationale pragmatique axée sur les
problèmes concrets et sectoriels qui dans la vie moderne ne peuvent
être résolus par un seul pays98. Sa vision disqualifie
donc le politique notamment en raison de l'expérience ratée de la
SDN au profit d' « un système d'arrangements
fonctionnels99 » ayant pour but d'apporter des solutions
aux problèmes concrets que rencontrent les populations au quotidien; car
« si les gens applaudissent les déclarations de droit, ils n'en
appellent pas moins à la satisfaction de leurs besoins100
». Bien plus, selon la vision de MITRANY, l'État est
désormais archaïque, il est devenu peu adapté et peu
adaptable pour résoudre les problèmes de politique commune, seule
la prolifération d'organisations et d'institutions transnationales
permet de s'intéresser efficacement aux besoins de
l'humanité101. Ces institutions devraient être
nombreuses et spécialisées tout en restant profondément
interdépendantes. Le résultat de ce principe essentiel serait un
réseau d'institutions enchevêtrées différentes selon
les fonctions qui assureraient « la sécurité sociale
» plutôt que « la sécurité
militaire102 ». Cette démarche permettra d'assister
à l'avènement progressif d'une « communauté
mondiale pacifique103 » en lieu et place des vieilles
rivalités.
De ces idées, est née directement ou
indirectement la CECA instituée par le traité de Paris du 18
Avril 1951 en Europe. Cette institution composée de la France, de la
République Fédérale Allemande, de l'Italie des pays du
BENELUX104 comptait unifier l'Europe pendant la guerre froide en
créant les bases d'une démocratie européenne et le
développement actuel de l'UE. Le but officiel était de
créer un marché unique du charbon et de l'acier entre les
États parties. C'est
97 Robert KEOHANE, Joseph NYE, Transnational
Relations and World Politics, Cambridge (Mass), Harvard University Press,
1972; Robert KEOHANE, Joseph NYE, Power and Interdependence, Boston
(Mass.), Little Brown, 1977. Cité par Sabine SAURUGGER,
Théories et concepts de l'intégration européenne,
Paris, Science PO Les Presses, 2009, P. 70.
98 Dario BATTISTELLA, Théories des
relations internationales, , Paris, Presses de Sciences Po,
2ème édition revue et augmenté, 2006, p.367.
99 David MITRANY, «The Fonctional
Approach to International organization», in David MITRANY, A Working
peace System, Chicago, Quadragle, 2e éd. 1966, P.
149-166.
100 David MITRANY, «The Fonctional Approach to
International organization», op.cit.
101 Dario BATTISTELLA, Ibid, P. 367 .368.
102 David MITRANY, A Working peace System, Chicago,
Quadragle, 2ème éd. 1966, P. 15.
103 Ibid. P. 18.
104 Belgique, Pays Bas, Luxembourg.
40
en reprenant cette thèse centrale de MITRANY,
axée sur la recherche d'une technologie sociale reposant sur la libre
coopération des individus dans différents secteurs de la
société, et qui conduirait progressivement mais automatiquement
à l'intégration politique105, qu'Ernst HAAS a
été rendu célèbre par sa théorie
néofonctionnaliste de l'intégration européenne. Bien qu'il
se soit toujours défendu d'avoir un système de valeurs clairement
identifié et qu'il se considérait comme un technicien des
relations internationales106, il a nettement pris parti contre la
souveraineté étatique. Il ne va donc cesser de plaider en faveur
de l'intégration régionale.
II- Le néofonctionnalisme
Le néofonctionnalisme comme son nom l'indique prend
appui sur le fonctionnalisme à partir des travaux de deux auteurs parus
à la fin des années 50 traitant également
d'intégration européenne107. Ces auteurs, qui tout en
reconnaissant la pertinence des analyses de MITRANY, viennent
réhabiliter les autorités politiques là où le
politologue Britannique les avait disqualifié. Dans leur pensée,
on retrouve l'idée commune selon laquelle, le mouvement
d'intégration européenne procéderait d'une dynamique
combinant des déterminants fonctionnels et
sociopolitiques108. Ernst HAAS accorde ainsi une importance
fondamentale à l'action volontariste des institutions centrales,
lesquelles sont à l'origine des différents effets induits de
l'intégration. Autant dire que pour lui, l'intégration
économique procède de l'intégration politique.
LINDBERG quand à lui s'intéresse beaucoup plus
aux conséquences de l'intégration économique pour
l'intégration politique et met un accent particulier sur le
caractère rationnel des comportements des autorités politiques.
Que ce soit les gouvernements, les partis ou les groupes
105 Il s'agit du spill over effect.
106 Gérard DUSSOUY,Op. Cit. p 99.
107 Ces travaux sont ceux de : Ernst HAAS, The Uniting of
Europe : Political, Social, and Economic Forces: 19501957, Stanford
(Calif), Standfort University Press, 1958; Ernst HAAS, The Uniting of
Europe : Political, Social, and Economic Forces: 1950-1957, Stanford
(Calif), Standfort University Press, 1958,(2ème éd.); Ernst
HAAS,The Uniting of Europe : Political, Social, and Economic Forces:
1950-1957, Stanford (Calif), Standfort University Press, 1958, avant
propos de Desmond DINAN, nouvelle introduction de Ernst HAAS 7, Notre Dame,
University of Notre Dame Press, 2004(3èmeéd.). Léon
LINDBERG, The Political Dynamics of European Economic Integration,
Stanford (Calif), Standfort University Press, 1963; Léon LINDBERG et
Stuart SCHEINGOLD, Europe's Would Be Polity. Patterns of change in European
Community, Englewood Cliffs (N.J.), Prentice Hall, 1970.
108 Dario BATTISTELLA, op. cite, p. 376.
41
de pression, tous les acteurs de l'intégration comptent
y tirer profit par la mise en commun de leurs efforts109.
À partir de l'expérience européenne, Haas
avait prétendu faire la démonstration que la politique
institutionnelle de rapprochement des États conduisait automatiquement
à l'affaiblissement des souverainetés110. Son
hypothèse reposait sur l'idée qu'un enchaînement des
variables sociales, l'une entraînant la réalisation de l'autre,
mènerait à la supranationalité de façon
mécanique. C'était sans compter avec les intérêts
nationaux et corporatistes qui n'ont cessé de retarder
l'intégration111. Aussi, c'était, surtout, en
l'absence d'un projet véritablement communautaire, seul susceptible de
dépasser les ethnocentrismes. Pour atteindre le but visé, HAAS
rechercha du côté de la culture des élites acquises
à l'idée de l'intégration, un pôle
d'entraînement pour le reste de la société112.
Celui-ci constitué, il ne doutait pas que le consensus l'emporterait sur
le conflit et il postulait une sorte d'harmonie sociale qu'il ne
démontrait pas. Ainsi, pour les néofonctionnalistes,
l'intégration notamment européenne est un processus
déterminant dans lequel « une action précise,
liée à un objectif donné, créée une
situation dans laquelle l'objectif initiale ne peut être assuré
qu'en mettant en oeuvre des actions supplémentaires, qui sont
successivement des conditions futures et une nécessité pour
d'autres actions 113».
La persistance dudit processus conduit à une logique du
« spill over effect » ou effet d'engrenage qui,
désigne « une situation dans laquelle une action donnée,
en rapport avec un but spécifique, créée une situation
dans laquelle le but initial ne peut être atteint que par de nouvelles
actions, qui à leur tour créent les conditions et les besoins
d'autres actions encore, etc.114». L'engrenage est
à l'origine de la dynamique ascendante de l'intégration
économique vers l'intégration politique115, il est le
moteur de tout processus d'intégration et est la logique
109 Les idées de Léon LINDBERG sont contenues dans
ses ouvrages ci-haut cités.
110 Ernst Haas, Beyond the Nation State : Functionalism
and International Organization, Stanford, Stanford University Press, 1964.
Cite par Gérard DUSSOUY, Traité de relations internationales.
Tome II. Les théories de l'interétatique, Paris :
Éditions L'Harmattan, 2008, p 95.
111 Gérard DUSSOUY, op. cit., p. 99.
112 Sabine SAURUGGER, Théories et concepts de
l'intégration européenne, Paris, Science PO Les Presses,
2009, P.80.
113 Léon LINDBERG, The Political Dynamics of
European Economic Integration, Stanford (Calif), Standfort University
Press, 1963, p.9.
114 Ibid., P. 10.
115 Dario BATTISTELLA, op. Cit., p. 373.
42
expansive de tout processus
d'intégration116. De part et d'autre, le mouvement cumulatif
de l'intégration qu'imagine MITRANY, permet aux
néofonctionnalistes d'analyser l'intégration européenne
à partir de trois Spill over: le Spill over
fonctionnel ; le Spill over politique et le Spill over
entretenu117. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle HAAS l'a
analysé empiriquement dans le contexte de la CECA. Cette analyse peut
aussi être transposée sur le processus d'intégration
régionale en Afrique afin de ressortir L'intérêt national
contenu dans la pensée de l'internationalisme libéral de
l'intégration régionale africaine.
PARAGRAPHE II : L'intérêt national dans
la pensée de l'internationalisme libéral de l'intégration
régionale africaine : un intérêt national
altruiste
La détermination de l'intérêt national
contenue dans la pensée de l'internationalisme libéral de
l'intégration régionale africaine passe par la
démonstration de l'enracinement de la théorie fonctionnaliste
dans l'intégration régionale africaine (I) et par
l'opérationnalisation de la théorie néofonctionnaliste sur
cette dernière (II).
I- L'enracinement de la théorie fonctionnaliste au
sein de l'intégration régionale africaine : une
intégration dépolitisée
Deux aspects fondamentaux permettront d'évaluer cet
enracinement. L'on démontrera que les politiques d'intégration en
Afrique ont pour objectif de résoudre les problèmes sociaux
concrets qui se posent aux peuples (1). Cette résolution de
problèmes se fait dans le cadre d'organisations et d'institutions
transnationales spécialisées et interdépendantes (2),
contribuant ainsi à la construction d'une intégration
dépolitisée (3)
116 Sabine SAURUGGER, op. Cit., p. 79.
117 Le Spill over fonctionnel signifie que la
coopération entretenue dans un secteur d'activité est susceptible
d'induire des effets d'entrainement dans d'autres secteurs. Le Spill over
politique signifie que le processus d'intégration engendre une
interpénétration organisationnelle conduisant les élites
nationales à se rencontrer fréquemment et à
échanger leurs vues. Le Spill over entretenu enfin, signifie
que l'influence des institutions communautaires est assez grande sur les
comportements étatiques.
43
1- Les politiques d'intégration et la
résolution des problèmes concrets des peuples
En tenant compte du fait que l'UA est le cadre le plus global
à partir duquel se déploie l'intégration africaine
actuellement, ce sont principalement les efforts de cette organisation qui
seront examinés afin de voir s'il existe actuellement en Afrique le
souci de résoudre les problèmes sociaux concrets dont a
parlé David MITRANY en imaginant la construction européenne.
Dès le préambule de l'acte constitutif de
l'UA, nous identifions le souci qu'ont les pairs africains
« de relever les défis multiformes auxquels sont
confrontés notre continent et nos peuples à la lumière des
changements sociaux, économiques et politiques qui se produisent dans le
monde 118». Cette idée est suivie de celle de
promouvoir le développement socio- économique de l'Afrique et
dans le corpus de l'acte constitutif, les pairs africains se fixent entre autre
pour objectif « le développement durable au plan
économique , social et culturel , ainsi que l'intégration des
économies africaines , l'accélération du
développement du continent par la promotion de la recherche dans tous
les domaines en particulier en science et en technologie , l'éradication
des maladies évitables et la promotion de la santé sur le
continent119 ».
S'il est difficile pour les peuples d'observer au quotidien la
réalisation de ces différents objectifs, nous pouvons
néanmoins identifier certaines actions déjà
réalisées dans le sens de l'amélioration des conditions de
vie des populations. Ces actions sont réalisées dans le cadre des
programmes de coopération techniques développés au sein de
l'UA. Au nombre de ces programmes, nous pouvons citer celui du
CPI-UA120; celui-ci a pour objectif la protection des
végétaux et met à la disposition des 53 pays africains
membres de l'UA des informations sur la protection des produits
végétaux. Les systèmes d'information sur papier sont entre
autres l'analyse scientifique, la situation phytosanitaire des pays africains,
une collection sur la règlementation et les normes phytosanitaires. Les
informations publiées sur des supports CD couvrent les réunions,
les règlementations phytosanitaires en vigueur dans les États
membres. C'est dans cet ordre d'idée que le CPI-UA a en 2009
organisé des ateliers à Douala (Cameroun)
118 Préambule de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine,
Lomé, juillet 2000.
119 Article 3 de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine,
Lomé, 2000.
120 Conseil Phytosanitaire Interafricain.
44
et à Addis-Abeba (Éthiopie) respectivement sur
la pratique de fumigation et l'harmonisation de la gestion des pesticides dans
les régions de l'Est et du Sud de l'Afrique121.
En dehors de ce cas particulier, la résolution des
problèmes de développement est envisagée en Afrique dans
le cadre du NEPAD, lequel a mis sur pied un certain nombre de priorités
allant dans le sens d'une solution aux besoins concrets que rencontrent les
populations africaines122. Parmi ces priorités, on retrouve
les questions d'agriculture et de sécurité alimentaire ;
changement climatique ; développement humain pour ne citer que
celles-ci.
Sur l'agriculture et la sécurité alimentaire, le
NEPAD entend résoudre le problème des déficits vivriers ;
celui du prix élevé des denrées alimentaires ainsi que la
question des troubles sociaux connexes naissant de problème de
sécurité alimentaire. A cet effet, il dispose d'un Programme
Détaillé du Développement de l'Agriculture Africaine
(PDDAA) qui a été conçu pour faire face aux défis
majeurs de l'agriculture sur le continent. Son objectif est d'assister les pays
africains à atteindre un niveau de croissance par le biais d'un
développement axé sur l'agriculture, éliminer la faim,
réduire la pauvreté et l'insécurité
alimentaire123.
Sur les changements climatiques, il est question de lutter
contre la pollution ; la dégradation de la qualité des sols ; la
désertification et la mauvaise qualité de l'air qui menace les
vies et l'avenir des populations africaines. Le NEPAD dispose à cet
effet d'un Programme Changements Climatiques et environnement dont l'objectif
final est de promouvoir la bonne intendance des écosystèmes de
l'Afrique124 .
En ce qui concerne le développement humain, il est
question de s'intéresser aux questions d'éducation, de science,
de technologie et de soins de santé. Au plan de l'éducation, le
NEPAD promeut l'éducation pour tous en Afrique. Au plan de la
santé, son action consiste à faire des interventions positives en
matière de soins de santé afin d'atteindre les objectifs de
développement du millénaire. En effet, « La santé
et ses défis sont d'une importance critique
121 Guy MVELLE, L'union Africaine face aux contraintes de
l'action collective, Paris, L'Harmattan, 2013, pp. 50&51.
122 Guy MVELLE, « Cours de théories de
l'intégration africaine », Yaoundé, IRIC, inédit,
année académique 20112012.
123 Guy MVELLE, op. cit P.51.
124 UA, Plan d'action pour l'Afrique de l'UA/NEPAD 2010-2015,
Addis-Abeba, UA, 2009, p.81.
45
pour le progrès de l'Afrique. La
capacité de la population à participer à l'activité
économique et à profiter d'une meilleure qualité de vie
est vraiment déterminée par son état de santé. La
communauté internationale a accepté des Objectifs de
Développement du Millénaire (MDG) spécifiques pour la
santé et s'efforce de les réaliser avant 2015. L'atteinte des MDG
en matière de santé - en réduisant la mortalité
infantile, améliorant la santé maternelle et combattant le
VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies - facilitera le
développement social et économique et la croissance en
Afrique125 ».
Enfin dans le domaine des sciences et de la technologie, le
NEPAD travaille à la création et à la consolidation des
réseaux à l'instar du Réseau des Instituts Africains de
Mathématiques ou des Réseaux Africains de
Biosécurité126. Ces objectifs à
caractère socio- économique fixés dans le cadre du NEPAD
ont déjà connu un début de réalisation effective
plus de 10 ans après le lancement de ce programme et participent
à la résolution des problèmes sociaux concrets du
peuple.
En dehors de la résolution des problèmes
concrets qui s'opposent au peuple, David MITRANY parle également
d'organisations internationales fondées sur des principes fonctionnels
et non pas territoriaux.
2) La prolifération d'institutions
transnationales spécialisées
Si la résolution des problèmes sociaux est
désormais l'une des principales préoccupations de
l'intégration africaine, il n'en demeure pas moins que la
deuxième grande exigence du fonctionnalisme techniciste de MITRANY ne
connaît qu'en partie un enracinement sur le continent noir127.
Pour lui, tout doit passer par la création d'organisations
spécialisées et interdépendantes, il s'agit d'envelopper
les divisions politiques d'un tissu d'activités et d'agences
internationales dans lesquelles et grâce auxquelles les
intérêts et les exigences de toutes les nations seraient
progressivement intégrés128. Pourtant, que l'on soit
dans l'intégration du lendemain des indépendances, que dans celle
construite à partir de la fin des années 1990, les
125 Ibid. p.50.
126 Ibid. p.67.
127 Guy MVELLE, « Cours de théorie de
l'intégration africaine », Yaoundé, IRIC, inédit,
année académique 20112012.
128 Alfredo SUAREZ, Intégration régionale.
Évolution d'un concept, Paris, HACHETTE, 2009, p. 66.
46
deux formes de regroupement ont plutôt été
généralistes avec une grande tonalité politique. Sous
l'OUA, les Chefs d'État et de Gouvernement réunis à
Addis-Abeba le 25 mai 1963, s'étaient fixés pour objectif de
coordonner et d'harmoniser leur politique générale dans presque
tous les domaines. Plusieurs domaines étaient ainsi envisagés :
la politique, la diplomatie, l'économie, les transports, les
communications, l'éducation et culture, santé, hygiène et
nutrition, sciences et techniques, défense et
sécurité129.
L'UA, s'inscrivant dans le sentier historique de l'OUA a
repris cette manière de concevoir l'intégration en se fixant
principalement pour objectif de « réaliser une plus grande
unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples
d'Afrique130 ». Dans cet engagement, les domaines
d'intervention sont multiples131. Autant dire que si l'Afrique a
effectivement à coeur la résolution des problèmes socio-
économiques concrets qui se posent à ses peuples, cette
démarche passe prioritairement par les cadres d'actions plus
généralistes en lieu et place d'institutions
spécialisées fonctionnalistes que prône David MITRANY. Mais
sans doute conscient des difficultés qu'il y a à embrasser tous
les problèmes qui se posent à leur peuple, les pairs africains
ont tenté plutôt une spécialisation à
l'intérieur même de la structure généraliste de
l'UA. Cette spécialisation est perceptible au niveau des portefeuilles
de la Commission de l'UA, on y trouve des commissaires chargés de la
paix et de la sécurité ; des affaires politiques ; des
infrastructures et énergie ; les affaires sociales ; ressources humaines
; sciences et technologie ; commerce et industrie ; économie rurale et
agriculture ; affaires économiques132. Nous pouvons
étendre ces exemples sur les institutions financières africaines
en création dont le FMA (Fond Monétaire Africain).
Il faut enfin noter utilement la forme d'intégration
à tonalité économique adoptée par les 8
CER133 reconnues par l'UA. Ces regroupements bien qu'ayant
élargi progressivement leur mission, dans des domaines tels que la paix
et la sécurité, ont été fondamentalement
crées pour promouvoir une intégration économique et le
développement des peuples africains. Malgré ces
129 Article 2 de la charte de l'Organisation de l'Unité
Africaine du 25 mai 1963.
130 Article 3(a) de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine,
Lomé, 2000.
131 Il s'agit de : la défense de la souveraineté
des États ; l'intégration politique et socio-économique ;
la défense des positions communes Africaines ; la promotion de la paix
et de la sécurité ; la promotion des principes de
démocratie... Les domaines d'intérêts communs sont aussi
nombreux que divers : commerce extérieur ; énergie ; industrie et
ressources minérales ; alimentation ; agriculture ; ressources
animales...
132 Toutes ces politiques sont contenues dans le Projet Cadre de
Politique Sociale Africaine de juin 2008.
133 CEEAC, CEDEAO, UMA, CEN-SAD, SADC, EAC, IGAD, CEPGL.
47
tentatives de spécialisation en interne à l'UA.
Nous constatons que toutes ces institutions et organes bien qu'étant
chargés de s'occuper des questions socio-économiques, demeurent
fortement politisés et coordonnés par les autorités
politiques. Or, le diplomate et universitaire Britannique a bien voulu
disqualifier le politique qui est par essence égoïste et
conflictuel pour laisser la place à des autorités supranationales
ayant des compétences transversales sur les questions
d'intérêts communs. Il est conscient de ce que la voie politique
vers l'intégration est trop ambitieuse, il faut nécessairement
passer par l'économique et l'intégration économique
constituera les fondements d'une union politique garante de paix.
3) Une intégration
dépolitisée
La théorie fonctionnaliste ne concerne pas
spécifiquement la construction européenne. MITRANY semble
réticent à l'idée de constructions régionales qui
ne feraient selon lui que déplacer la compétition entre les
États vers les oppositions entre unités régionales ou
continentales plus vastes134. Cependant, les principes et
l'articulation de la théorie fonctionnaliste sont importants pour
comprendre l'intégration régionale africaine. C'est d'ailleurs la
raison pour laquelle l'UA et le NEPAD ont mis sur pied des politiques sociales
pour renforcer l'interdépendance des États africains et pacifier
leurs relations. L'étude de la CECA par exemple réalisée
par Ernst HAAS confirme le projet de Jean MONNET de créer une
entité politique à partir d'une intégration
économique. A cet effet, il affirme : « As compared with
conventional international organizations, the supranational variety clearly
facilitates the restructuring of expectations and attitudes far more readily.
Though not federal in nature, its consequences are plainly federating in
quality merely because it activates socio-economic processes in the
pluralistic-democratic milieu in which it functions, but to which conventional
international organizations have no access. And to this extent the version of
Jean MONNET has been clearly justified by events135».
C'est dans cette logique que la Communauté Économique Africaine a
vu le jour en 1991. Toute fois, le fonctionnalisme initial tend à se
distinguer de l'approche constitutionnelle selon laquelle l'intégration
des États et la convergence des intérêts impliquent une
construction politique globale.
134 David MITRANY, op. cit. p.27.
135 Ernst HAAS, The Uniting of Europe: Political, Social, and
Economic Forces: 1950-195, Stanford (Calif), Standfort University Press,
1958, p.527.
48
Dans une perspective purement fonctionnaliste, l'Afrique devra
renforcer la coopération technique entre ses unités constitutives
par la création d'agences techniques au grand bonheur
d'intérêts communs. L'amélioration du programme
frontière de l'Union Africaine ne vise pas à changer les
frontières des États mais à les rendre insignifiantes
grâce à une coopération fonctionnelle136. Le
processus d'intégration régionale en Afrique devra de plus en
plus s'appuyer sur des intérêts communs pour former une
société transnationale effective137, qui consolide les
intérêts communs de ses membres.
II- L'enracinement de la théorie
néofonctionnaliste au sein de l'intégration régionale
africaine : une intégration au service des intérêts
fonctionnels communs
L'universalisme du néofonctionnalisme au regard de la
réalité africaine passe par la coordination des
activités-économiques par les autorités politiques (1) et
par la possibilité d'engrenage à partir d'un secteur donné
(2). L'intégration régionale africaine vue sous cet angle est au
service des intérêts fonctionnels communs des États (3)
1) La coordination des activités
socio-économiques par les autorités politiques
La combinaison des déterminants fonctionnels et
socio-politiques signifie que la résolution des problèmes
concrets des peuples est indissociable au volontarisme des autorités
politiques. Cette idée a été traduite en Europe par la
mise en commun des productions de base (charbon et acier) et par l'institution
d'une haute autorité dont les décisions liaient tous les
États membres.
En Afrique, que l'on soit dans le cadre de la Commission de
l'UA ou dans celui du NEPAD, nous observons cette prise en compte à la
fois des aspects fonctionnels et socio-politiques dans les priorités
identifiées par ces organes. Autant, la commission de l'UA s'occupe des
questions
136 Guy MVELLE, op. Cit. p. 49.
137 Paul HERAULT, Ibid. p. 32.
49
strictement politiques, autant elle est également
préoccupée par les aspects à caractère
socio-économique138, en démontre la
dénomination de ses portefeuilles.
Pour le NEPAD, le fait d'avoir des missions fondamentalement
socio-économiques, nous renvoie au caractère fonctionnel de ce
programme. Mais à partir du moment où ces activités sont
coordonnées par des autorités politiques, nous sommes en droit de
dire qu'il y a enracinement des thèses néo fonctionnalistes dans
ce programme. Pour les néo fonctionnalistes, la politisation est l'une
des propriétés de l'intégration ; la réalisation
des objectifs sociaux est conditionnée par la volonté
politique139. Au sommet de Lusaka (Zambie) de juillet 2001, il a
ainsi été convenu de la création du comité de mise
en oeuvre des Chefs d'État et de Gouvernement, ce comité est
devenu le comité d'orientation des Chefs d'État et de
Gouvernement, lequel a créé à son tour le comité de
pilotage et le secrétariat du NEPAD, devenu agence du NEPAD.
Autant dire que la coordination des activités du NEPAD
est faite par un organe politique même si le schéma institutionnel
n'est pas encore aussi complet que celui qu'on a connu avec la
CECA140. À ce stade, nous ne pouvons parler que d'un
enracinement embryonnaire de l'idée selon laquelle les activités
socio- économiques sont coordonnées par les autorités
politiques. Mais au-delà du NEPAD, il est aisé d'observer une
omniprésence du politique dans tout le processus d'intégration
initié dans le cadre de l'UA. La seule analyse du processus
décisionnel démontre la forte dépendance et la soumission
des organes de l'UA à la volonté des Chefs d'État et de
Gouvernement, car presque tous les organes et institutions d'intégration
africaine sont sous l'emprise de la Conférence des Chefs d'État
et de gouvernement.
2) La possibilité d'engrenage à
partir d'un secteur donné
Si les néofonctionnalistes étudient les
conditions de l'intégration, ils la considèrent également
comme un processus qui commence par un secteur modeste à partir duquel
s'enclenchera un engrenage. Il s'agit de commencer par un secteur le plus
souvent de nature socio-économique afin d'envisager l'hypothèse
d'une intégration politique plus large. En
138 Le Projet Cadre de Politique Sociale Africaine de juin 2008
le démontre à suffisance.
139 Posado. E. VIEIRA, « Développements
régionaux d'espaces sous -régionaux, transfrontaliers et
transnationaux :
une option pour l'intégration l'Amérique latine
», Pontificia Universidad Javeriana,
http://book.google.fr/book?id=YS5jonUC&Printsec,
2006, p.156.
140 Guy MVELLE, cours sus cité.
50
examinant le cas du NEPAD, nous observons que plus de 10 ans
après son lancement, un début d'effort a été
entrepris pour que les projets socio-économiques entrainent à
moyen terme une intégration plus large en Afrique. Il en est ainsi dans
le domaine de l'éducation et de la formation ; dans celui des sciences ;
celui de la technologie et de l'innovation ou encore celui des biosciences.
Dans le domaine de l'éducation et de la formation par
exemple, le NEPAD a procédé au perfectionnement des ressources
humaines pour les infirmiers et sages-femmes. Dans le cadre de ce projet, un
certain nombre d'étudiants ont pu mener à terme, des programmes
du niveau de maitrise et ont acquis de l'expérience professionnelle sur
le terrain141.
Dans le domaine des biosciences, nous notons la
réalisation des recherches portant sur les remèdes traditionnels
contre le VIH/SIDA ; le SF-2000 est un remède à base de plante
utilisé par un herboriste Zambien sous forme de capsule et qui fait
l'objet d'expérimentations précliniques grâce au NEPAD.
D'autres projets dans le même ordre d'idée portent sur la culture
des champignons et le transfert de la technologie d'aquaculture aux
communautés locales, notamment aux femmes. Ces différents projets
dont la teneur est plus socio-économique que politique sont mis en
oeuvre par le NEPAD dans l'espoir qu'ils pourraient facilement rapprocher les
acteurs africains secteur par secteur pour qu'à terme soit
réalisée l'intégration globale souhaitée en Afrique
: c'est l'idée de Spill over fonctionnel, laquelle postule que
la coopération entretenue dans un secteur d'activité est
susceptible d'entrainer des effets d'entrainement dans d'autres secteurs. C'est
ainsi que, beaucoup d'autres aspects du néo fonctionnalisme restent en
suspens dans l'intégration régionale africaine; c'est le cas du
rapprochement entre les élites nationales; c'est également le cas
de la réalisation du transfert définitif des loyautés du
niveau national au niveau supra national142.
En dépit de cet enracinement limité de la
théorie néofonctionaliste sur l'intégration
régionale africaine, nous pouvons néanmoins affirmer que, cette
dernière est au service de la consolidation des intérêts
fonctionnels des États membres.
141 NEPAD, Newsletter, juin 2013, p.4.
142 Guy MVELLE, cours sus cité.
51
3) Une intégration au service des
intérêts fonctionnels communs
La notion de « spill over » permet au
néofonctionaliste d'expliquer le passage de l'intégration
économique à l'intégration politique. L'idée
étant que toute coopération, en accroissant les
interdépendances, nécessite un renforcement de la
coopération dans de nouveaux domaines et ainsi de suite jusqu'à
la constitution d'une entité politique. HAAS affirme exactement à
cet effet : « Spillovers occur when experience gained by one
integrative step reveals the need for integration in functionally related
areas143». La prolifération d'agences techniques
coordonnées par le politique permet de consolider les
intérêts communs des acteurs en lieu et place des
intérêts égoïstes des États membres. Même
s'il exister à un décalage entre les politiques fonctionnelles
« déterritorialisées » et menées
à l'échelon régional et des «
intérêts qui restent solidement ancrés dans des
territoires, nationaux ou infranationaux. »144,
l'intérêt commun reste supérieur à
l'intérêt égoïste d'une entité isolée.
C'est la raison pour laquelle les agences spécialisées de l'UA
sont coordonnées généralement par le politique qui assure
la prééminence d'un intérêt national favorable
à l'intégration régionale africaine.
Quoiqu'il en soit, l'enracinement de l'approche de
l'internationalisme libérale dans la réalité de
l'intégration régionale africaine est au service de
l'intérêt national altruiste ; car cette approche postule la
suprématie des institutions d'intégration sur les États.
Ces institutions étant au service des États membres contribuent
à l'exaltation d'un tel 'intérêt national. En examinant les
théories d'intégration à tendance libérale, il nous
a été donné de constater au moins partiellement que les
besoins sociaux concrets des peuples étaient des préoccupations
des acteurs de l'intégration africaine. Bien plus, au sein de l'UA. Nous
observons une sorte de spécialisation interne des institutions qui ont
été créées par l'acte constitutif. Le
néofonctionnalisme, quant à lui, est venu permettre
d'appréhender cette intégration à partir de la
coordination qui est faite par les autorités politiques tant au sein du
NEPAD qu'au sein d'une autre institution hors UA comme l'ASECNA.145
Cette idée de coordination des activités les plus diverses par
les autorités politiques est d'ailleurs présente dans les
écrits des auteurs africains de l'intégration. Ainsi : «
les liens économiques effectifs ne peuvent être
créés sans une saine
143 Ernst HASS, Ibid. p. 98.
144 Christian LEQUESNE, L'Union Européenne : du
terrain à la théorie, Cité par Paul HERAULT, Ibid. p.
33.
145 La Conférence des Chefs d'État est l'instance
suprême de coordination des organes et institutions de l'union.
52
direction politique qui leur donne force et raison
d'être146 » Autant les théories
fonctionnalistes et néo fonctionnalistes sont enracinables au moins
partiellement, autant peuvent l'être les théories de l'inter
gouvernementalisme.
SECTION II : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE VU SOUS LE PRISME
DES THÉORIES DE L'INTERGOUVERNEMENTALISME
Pour ressortir la nature de l'intérêt national
contenu dans le processus d'intégration régionale africaine
pensé sous le prisme de l'approche de l'intergouvernementalisme, il
importe au préalable de définir ladite approche (PARAGRAPHE.I)
afin de l'opérationnaliser sur ledit processus (PARAGRAPHE.II)
PARAGRAPHE I : Les théories de
l'intergouvernementalisme
Si le fonctionnalisme et le néo fonctionnalisme sont
deux approches libérales permettant de comprendre et d'expliquer
l'intégration, l'intergouvernementalisme appartient au courant
réaliste, lequel met en avant l'État et son rôle dans le
processus de l'intégration. Il vient donc mettre au goût du jour
l'importance de l'État-nation dans le processus d'intégration, ce
qui introduit une combinaison entre les pouvoirs des États-nations et le
pouvoir des institutions d'intégration.
Initié dès les années 1960 par Stanley
HOFFMANN, qui sera suivi de Robert KEOHANE et bien après dans les
années 1990, d'Andrew MORAVCSIK147, l'inter
gouvernementalisme considère que les décisions des organisations
internationales résultent d'un marchandage entre les États
rationnels. Stanley HOFFMANN, parle de mise en commun de la souveraineté
au sein des organisations internationales qui sont des multiplicateurs de
puissance.
En analysant le cas de la construction
européenne148, Ernst Haas
prévoyait déjà la possibilité d'un retour aux
actions nationales de la part de certains gouvernements qui seront
tentés de combattre, ignorer ou saboter les décisions de
l'autorité fédérale. Cette manière de voir
146Kwame NKRUMAH, L'Afrique doit s'unir,
paris, Payot, 1964, p. 201.
147 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 382.
148 Cette analyse est faite dans la deuxième
édition de The Uniting of Europe de 1968.
53
se rapproche ainsi de la vision des acteurs que se
réclame l'intergouvernementalisme. Ceux-ci viennent
réinterpréter le processus d'arrangement institutionnel de la
communauté européenne en caractérisant cette
dernière comme étant une organisation qui partage la
souveraineté sans la céder ou la partager149. La
communauté européenne va certes plus loin qu'une simple
organisation internationale, qui est soumise au principe de
spécialité et qui ne peut statuer que dans les domaines qui lui
ont été confiés par l'acte constitutif. Mais pour les
intergouvernementalistes, nous sommes en faveur d'une structure plus proche
d'une fédération, laquelle se fonde sur la réalisation des
négociations inter gouvernementales comme condition préalable au
succès de l'intégration. Car la où les
intérêts nationaux vitaux sont en jeu, les États «
préfèrent les certitudes, ou les incertitudes
auto-contrôlées, de l'indépendance nationale, aux
incertitudes non contrôlées d'une fusion qui nulle part encore n'a
fait ses preuves 150 ». Présentée sous
diverses formes, l'intergouvernementalisme se distingue par une approche dite
originelle ou classique (I) d'une part et par une approche dite libérale
d'autre part (II).
I- L'intergouvernementalisme classique de Stanley
HOFFMAN
Si les théories fonctionnalistes et néo
fonctionnalistes soutiennent que les organisations internationales ont vocation
à se substituer progressivement à l'État, notamment sous
l'effet des groupes de pression, l'inter gouvernementalisme classique affirme
que ces organisations institutionnalisent plutôt la
négociation-marchandage entre États; « ce sont les
autorités étatiques, qui restent maîtres du processus
d'intégration151 ». Dans sa forme la plus pure,
cette théorie postule la primauté du politique sur
l'économie152. Contrairement au fonctionnalisme,
l'intergouvernementalisme originel pense que la décision de taire
certaines questions comme des questions techniques est elle-même une
décision politique. L'intégration passe en cela par
l'intégration des unités politiques. Par là même,
cette approche de l'intégration reconnait le rôle que peuvent
jouer les acteurs de la société civile et autres mouvements
transnationaux, mais tout en reconnaissant la marge de manoeuvre de ceux-ci,
elle les considère comme des phénomènes secondaires. Les
actions et les contacts que mènent ces acteurs non gouvernementaux ou
non
149 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 379.
150 Standley HOFFMANN, «Obstinate or Obsolete? The Fate
of the Nation-State and the Case of West Europe»(1966), dans Standley
HOFFMANN, The European Sisyphus. Essays on Europe 1964- 1994, Boulder,
Westview, 1995, p. 71-106. Cité par Dario BATTISTELLA, Op. Cit.
p.379.
151 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 380.
152 Standley HOFFMANN, Op. Cit. pp. 71-106.
54
politiques sont alors des épis phénomènes
en comparaison avec la densité des interactions inter gouvernementales.
Ce qui rompt avec les thèses fonctionnalistes qui postulent la
primauté de l'économie sur le politique ; rompt également
avec le néo fonctionnalisme qui espère voir les autorités
fonctionnelles et les autorités politiques fusionner en une
autorité acquérant une assise territoriale sans laquelle il ne
saurait y avoir d'intégration légitime. Cette maitrise du
processus d'intégration par les souverainetés étatiques
est une idée certes défendue par tous les
intergouvernementalistes, mais ceux de tendance libérale mettent en
avant la satisfaction des revendications des acteurs sociaux et les
comportements stratégiques des États.
II- L'intergouvernementalisme libéral de Andrew
MORAVCSIK
Cette approche reconnait avec l'intergouvernementalisme
originel que le politique reste la clé de l'intégration. Mais
MORAVCSIK refuse de considérer les États comme des boules de
billard ou des boites noires dont les positions seraient rigides153.
Pour lui, les intérêts que défendent les États sur
la scène internationale proviennent bien des marchandages inter
gouvernementaux qui ont lieu entre les autorités étatiques et les
acteurs sociétaux internes154. Ici est postulée la
rationalité de l'acteur étatique, car l'intégration est la
résultante d'un marchandage stratégique entre États et
l'hypothèse libérale de la formation des
préférences nationales au niveau
sociétal155.
L'intégration chez MORAVCSIK dépend ainsi de
deux variables : la pression que les acteurs sociétaux exercent sur
leurs gouvernements, lesquels peuvent mieux satisfaire leurs
intérêts que le niveau régional; et le marchandage entre
autorités étatiques au sein des institutions régionales.
C'est dire d'après ce dernier que, l'intégration est comparable
à un « jeu à deux niveaux 156 ».
153Andrew MORAVCSIK, «Negociating the Single
European Act. National interests and Conventional Statecraft in the European
Community», International Organization, 45 (1), hiver 1991, p.
19- 56.
154 Andrew MORAVCSIK, «Negociating the Single European
Act. National interests and Conventional Statecraft in the European
Community», International Organization, 45 (1), hiver 1991, p.
19- 56. Cite par Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 382.
155 Dario BATTISTELLA, op.cit. p. 383.
156 Robert PUTNAM, «Diplomacy and Domestic policy. The
Logic of Two-Level Game», cite par Dario BATTISTELLA, op.cit. p.384.
55
En étudiant le traité de Rome, le marché
commun, l'intégration monétaire, MORAVCSIK conclut que ces
réalisations ont été possibles grâce au pouvoir
relatif des États membres et à la convergence de leurs
préférences politiques nationales157. MORAVCSIK
présente donc une approche de l'inter gouvernementalisme dite
libérale qui est une sorte de synthèse entre l'approche
néofonctionnaliste qui est une fusion entre unités fonctionnelles
et unités politiques et l'intergouvernementalisme originel dont les
décisions techniques impliquent pour être légitimes, les
décisions politiques. Il (re)politise donc l'intégration
régionale en observant la construction européenne. A partir de ce
qu'il appelle le cadre d'analyse rationaliste de la coopération
internationale, il identifie à chaque fois trois étapes dans un
processus d'intégration : la formation des préférences
nationales, les négociations interétatiques, enfin, les choix des
institutions supranationales158.
Les préférences nationales renvoient aux
objectifs des groupes sociaux qui ont une influence sur l'État :
syndicats, les regroupements catégoriels divers à l'instar des
associations de défense de l'environnement et des minorités de
toutes natures. Les négociations inter étatiques ont pour but non
seulement de répercuter les préférences nationales au
niveau communautaire, mais également de négocier la
redistribution des gains au sein du processus d'intégration. Elles ont
enfin pour but de faciliter l'adoption des mécanismes contraignants et
incitatifs favorisant l'intégration. Le choix des institutions supra
nationales concerne la délégation des pouvoirs faite par
l'État-nation après les négociations. A cet effet, les
États choisissent entre le partage de la souveraineté avec
l'instance communautaire et la cession. L'Afrique, inscrite dans un processus
d'intégration, ne peut se passer de cette approche; c'est pourquoi il
est important de confronter cette approche à la réalité
africaine pour ressortir la nature de l'intérêt national qu'elle
laisse émerger.
PARAGRAPHE II : L'intérêt national dans
la pensée intergouvernementaliste de l'intégration
régionale africaine : un intérêt national
égoïste
La détermination de la nature de l'intérêt
national contenu dans la pensée
intergouvernementaliste de l'intégration régionale
africaine consiste à démontrer son
157 Ibid.
158 Andrew MORAVCSIK, Ibid.
56
enracinement dans cette réalité à travers
le rôle et la place des gouvernements nationaux dans les grandes
négociations politiques en Afrique (I) et à démontrer que
l'intégration régionale africaine est aussi la formulation et la
prise en compte des préférences sociétales (II).
I- Le rôle et place des gouvernements nationaux
dans les grandes négociations politiques en Afrique
La création du NEPAD nous semble être le
résultat de marchandages intergouvernementaux entre États
africains venant faire prévaloir la vision du développement et de
l'intégration africaine. En effet, le NEPAD est issu de trois
initiatives gouvernementales parallèles. La première est le
partenariat du millenium pour le redressement de l'Afrique conduit par l'ancien
Plan OMEGA conçu par le Président du Sénégal
d'alors Abdoulaye WADE. Les deux ont été fusionnées pour
donner naissance à une troisième initiative appelée la
Nouvelle Initiative pour l'Afrique laquelle a abouti au NEPAD en 2001 avec le
concours de 3 autres gouvernements que sont l'Algérie, l'Égypte
et le Nigéria. Toutes les 3 initiatives avaient en commun
d'accélérer le rythme du développement et de
l'intégration de l'Afrique.159 Elles présentaient
certaines similitudes mais comportaient également des différences
reflétant les priorités régionales et les
intérêts de leurs concepteurs. Ce qui nous fait dire que les cinq
gouvernements avaient à coeur la défense de leurs
intérêts et que le processus d'adoption du NEPAD a
été le fait d'autorités étatiques qui n'ont
laissé la place à la communauté de l'UA qu'en
dernière instance. Il a donc fallu faire des compromis entre les
différents initiateurs pour fusionner ces trois propositions en une
seule initiative. A cet effet, le NEPAD est la traduction des tractations
intergouvernementalistes lesquelles ont permis d'aboutir à une
initiative continentale. C'est d'ailleurs ce qui a amené Lennie
GENTLE160 à affirmer que le NEPAD était une voie pour
l'impérialisme Sud -Africain161
159 African Labour Research Network, Le NEPAD face à
ses défis. Alternatives à la mondialisation
néo-libérale , Johannesbourg, NALEDI, 2004, pp.11et 58.
160 Il est chercheur au groupe international de la
documentation et d'information sur le travail, (ILRIG), situé au Cap, en
Afrique du Sud.
161 Lennie GENTLE, « Le NEPAD et l'impérialisme
Sud -Africain », dans le rapport de African Labour Research Network
intitulé : Le NEPAD face à ses défis. Alternatives
à la mondialisation néo-libérale, Johannesbourg, NALEDI,
2004, pp. 53et54.
57
En dehors de l'intégration au sein de l'UA, les
ententes intergouvernementales sont également perceptibles au sein des
CER. C'est le cas au sein de la CEEAC dans le processus actuel de
création des pôles d'excellence technologique universitaire (PETU)
entre les dix membres de la région. En lieu et place d'une dynamique
impulsée par les instances communautaires de la CEEAC, nous voyons
plutôt en première ligne quatre États de la
région162. Parmi ces États, le Cameroun est le
véritable moteur de cette initiative. C'est cet État qui a
accepté d'accueillir et d'organiser en moins de six mois deux
réunions dont les résultats ont été indispensables
au processus de création des PETU en zone CEEAC. C'est également
le Cameroun qui a saisi l'UNESCO pour accomplir dans l'organisation de cette
série de concept et bien plus à l'observation de la
création des PETU, il ressort une prépondérance des
autorités gouvernementales qui doivent répondre au
préalable à une déclaration commune d'engagement avant que
la CEEAC n'adopte une directive en la matière. Ceci nous montre à
quel point les États sont en première ligne dans le processus
d'intégration face à des institutions communautaires plutôt
passives pour ne pas dire sans poids majeur tant que le partage du pouvoir ou
sa cession n'est pas encore décidée par les gouvernements des
États163.
II- La formulation et de la prise en compte des
préférences sociétales
Cet aspect de l'intergouvernementalisme libéral est
difficile à établir en Afrique. S'il est vrai que plusieurs
mesures prises au niveau continental correspondent à la satisfaction des
besoins concrets des peuples, il est néanmoins difficile
d'établir un lien entre les revendications faites au plan interne par
les groupes organisés et l'inscription de ces revendications dans
l'agenda de l'UA. Non seulement il est difficile de dire que le NEPAD est la
résultante des préférences nationales portées au
niveau continental, en plus des priorités retenues, dans le cadre de
l'agenda de sa mise en oeuvre semblent être le fait de l'imagination des
seuls gouvernants.
Qu'il s'agisse des questions de paix et de
sécurité, du développement, des TIC, de l'éducation
et de la santé, il est difficile de dire que ces priorités ont
été établies à partir des revendications
sociétales formées au plan interne et portées au niveau
continental par les
162 Ces États sont : le Cameroun, la RCA, la RDC et le
Tchad.
163 Guy MVELLE, cours sus cité.
58
gouvernants. La question de l'influence de la
société civile sur les pouvoirs africains reste encore un grand
débat.
En revanche dans le domaine politique il est aisé de
dire qu'un certain nombre de normes adoptées au plan continental
répondent aux aspirations formulées par la classe politique de
l'opposition ces dernières années. C'est le cas du Protocole
à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples relatif aux
droits des femmes adopté à Maputo en juillet 2003. Ce protocole
apporte des réponses à une longue tradition de revendications
féministes. Nous pouvons également citer le cas de la Charte
africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance
adoptée en 2007 et entrée en vigueur en 2012 qui, est l'une des
réponses aux différentes revendications à caractère
politique formulées depuis le début des années 90 en
Afrique. Cette prédominance du rôle des États dans la mise
sur pieds des institutions d'intégration est en faveur de
l'intérêt national égoïste; car les États
jouant le rôle de pilier du processus ne peuvent promouvoir que ce type
d'intérêt.
Quoiqu'il en soit, l'intérêt national contenu
dans la vision intergouvernementaliste de l'intégration régionale
est un intérêt national égoïste, car comparativement
à l'Union Européenne, certains analystes observent que
l'État-nation reste l'unité politique en termes
d'allégeance, d'identité et de citoyenneté. C'est
pourquoi, Stanley HOFFMANN pense que l'État-nation reste le
référentiel majeur des citoyens en termes d'allégeance et
de sécurité164. Cette vision laisse entrevoir
l'importance de l'État dans la construction régionale africaine
et cerne cette dernière comme un « régime international
165 » consenti par les États-membres, et non comme un
processus d'intégration conduisant à la formation d'une
entité supranationale. Les régimes ne peuvent se maintenir que si
les États en tirent en termes de promotion de leurs
intérêts égoïstes ; ils n'acceptent la contrainte, les
concessions que dans l'espoir de profiter d'une réciprocité
différée166. Dans une telle vision, la poursuite de
l'intérêt national égoïste reste le principe d'action
de la construction de l'intégration régionale en Afrique.
164 Stanley HOFFMANN, «Reflexions on the Nation-State in
Western Europe Today», Journal of commun market studies,
September 1982, vol21, p.21-38.
165 Ensemble de normes et de comportements, de règlements
et de politiques.
166 Stanley HOFFMANN, art. Suscité, p. 34.
59
L'opérationnalisation des théories
générales de l'intégration à la
réalité de l'intégration régionale en Afrique nous
a permis de constater que l'intégration régionale africaine
cernée sous le prisme de l'approche de l'internationalisme
libéral exalte un intérêt national altruiste. Sous la
vision intergouvernementaliste, l'intégration régionale en
Afrique est au service des intérêts égoïstes des
États.
Nous constatons qu'il existe en définitive un continuum
entre l'intérêt national et l'intégration régionale
en Afrique. En effet, l'intérêt national, quelque soit sa
conception est la principale motivation de l'adhésion des États
aux processus d'intégration. Aussi, la conception de
l'intégration régionale en Afrique en fonction des approches de
l'internationalisme libéral et de l'intergouvernementalisme permet de
déterminer la nature des intérêts qu'exalte cette
intégration. C'est ce que l'opérationnalisation des
théories générales de l'intégration
régionale sur la réalité de l'intégration
régionale africaine nous a permis de constater. De cette analyse, il
ressort que la notion d'intérêt national est ambivalente et ses
conceptions influencent distinctement le processus d'intégration
régionale en Afrique.
60
DEUXIÈME PARTIE :
L'AMBIVALENCE DE LA NOTION D'INTÉRÊT NATIONAL A
L'ÉPREUVE DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
61
Si les auteurs sont unanimes sur la définition de
l'intérêt national comme ce qui importe le plus à un
État, ce qui constitue l'enjeu par excellence pour lui et guide son
action politique167, ils ne s'accordent pas sur la signification
substantielle de cette notion. C'est pour quoi l'intuition d'Arnold WOLFERS,
estimant que la popularité dont jouit la notion d'intérêt
national tend à démontrer qu'elle peut ne pas avoir la même
signification pour tout le monde reste d'actualité. C'est une notion
polysémique par excellence, car après sa conception
réaliste longtemps prédominante, se sont succédées
les conceptions libérale et constructiviste168. C'est une
notion qui est populaire et est présente dans plusieurs domaines y
compris celui de l'intégration régionale.
La notion d'intérêt national est aussi
ambivalente : alors que les réalistes et les libéraux la
définissent de façon égoïste, les constructivistes la
cernent de façon altruiste. A l'épreuve de l'intégration
régionale en Afrique, cette ambivalence exerce une influence
considérable. Les États africains participent aux processus
d'intégration régionale pour satisfaire leur intérêt
national qui, par nature est la principale motivation de ceux-ci sur la
scène internationale. De la nature de ces intérêts
dépend la dynamique ou les freins au processus d'intégration
régionale. Pour mieux cerner les contours de l'influence de
l'ambivalence de l'intérêt national sur le processus
d'intégration régionale, nous démontrerons que
l'intérêt national égoïste est un frein à
l'intégration régionale africaine (CHAPITRE III), alors que
l'intérêt national altruiste lui, constitue un facteur de
dynamisation de cette intégration (CHAPITRE IV).
167 Marie-Claude SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal VENNESSON, Op.
Cit. p. 298.
168 Ibid.
62
CHAPITRE 3 : L'INTÉRÊT NATIONAL
ÉGOÏSTE : UN FREIN A L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
La défense de l'intérêt national est
traditionnellement classée parmi les fonctions régaliennes de
l'État. Elle est la principale motivation de l'État sur la
scène internationale. Selon l'approche réaliste des relations
internationales, l'objectif de la politique extérieure d'un État
est la défense des intérêts de l'État, compris en
« termes de puissance 169». En effet, partant du
principe selon lequel l'État est un acteur rationnel animé par un
instinct de survie, la puissance militaire, démographique et
économique qui lui permet de garantir sa sécurité, fait
figure d'éléments déterminants de son comportement
vis-à-vis des autres États. Il importe de retenir de cette
approche que tous les États sont supposés être
guidés par les mêmes motivations tant que l'organisation du
système international repose sur l'anarchie, c'est-à-dire
l'absence d'autorité supérieure à celle des États.
Il en découle une unité de la défense de
l'intérêt national quels que soient le moment historique et le
lieu de son action, tous ses protagonistes s'inscrivant dans une quête de
puissance. Ainsi les agissements, les comportements stratégiques des
États africains depuis le début du processus d'intégration
régionale en Afrique pourraient s'analyser comme la conséquence
des tentatives répétées des États visant le
renforcement de leurs intérêts nationaux égoïstes.
En fait, l'intérêt national égoïste
qui a pour corollaires la consécration de l'autorité
suprême d'un État sur un territoire et l'exclusion de toute
ingérence d'un autre État sur ses décisions. Cette
conception de l'intérêt national est profondément
enracinée dans le processus d'intégration régionale en
Afrique. Elle a longtemps été considérée comme le
rempart juridique permettant aux États faibles de résister
à la volonté des plus puissants170. Cependant,
l'intérêt national, aussi étroitement associé
à la préservation de la souveraineté au sens classique,
peut difficilement être réconcilié avec la construction
d'espaces d'intégration régionale où s'opèrent des
transferts de souveraineté en faveur d'une instance
supranationale171. Cet intérêt national qui
169 Hans MORGENTHAU, Op. Cit. p. 5.
170 Gianpiero LEONCINI, La formulation et la mise en oeuvre
de la Politique Extérieure Commune de la
Communauté Andine, mémoire de master en
administration publique, ENA, Paris, Mai 2007, p. 10.
171 Ibid.
63
stipule un système de chacun pour soi signifie que sa
satisfaction par un État ne saurait tenir compte des
intérêts nationaux d'autres États172.
A travers les stratégies de certains États
africains (SECTION I) et l'étude de quelques cas pratiques (SECTION II),
nous démontrerons que l'intérêt national
égoïste est un frein au processus d'intégration
régionale en Afrique.
SECTION I : LES MANIFESTATIONS DE
L'INTÉRÊT NATIONAL ÉGOÏSTE DANS LE PROCESSUS
D'INTÉGRATION RÉGIONALE AFRICAINE
L'intérêt national égoïste est
perceptible dans le processus d'intégration régionale en Afrique
à travers l'égoïsme des États membres au processus
(PARAGRAPHE I) et les comportements stratégiques de certains
États africains face à l'action collective entreprise par l'UA
(PARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE I : L'égoïsme des États
africains dans le processus d'intégration régionale
L'intégration régionale dans les pays en
développement est perçue depuis fort longtemps comme un facteur
accélérateur du développement économique. Elle
permet en effet de créer un marché plus vaste et apparaît
comme une solution à l'étroitesse de la taille des marchés
intérieurs qui constituent aux yeux de nombreux spécialistes,
l'un des principaux obstacles à l'industrialisation dans les pays en
développement en général et en Afrique en particulier.
L'intégration régionale est aussi de nos jours
considérée comme un des principaux moyens d'insertion des pays en
développement dans une économie mondialisée. Cependant,
dans la réalité nous observons qu'en Afrique les nombreuses
tentatives de constitution formelle d'un processus d'intégration
régionale font face aux querelles de leadership (I) et aux
velléités souverainistes des États (II).
172 Marie-Claude SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal VENNESSON, Op.
Cit. p. 299.
64
I -Les querelles de leadership
La problématique du leadership dans le processus
d'intégration régionale découle de la contestation du
rôle de moteur de l'intégration d'un État par les autres.
Ce rôle favorise une croissance économique rapide173de
la région ou de la sous région. Le leadership peut être
fondé sur une dimension «historique ». Certains États
n'hésitent pas à tirer de leur statut de membres fondateurs d'une
organisation, la reconnaissance d'un rôle de «dépositaire de
l'ambition originaire», qui leur confèrerait une autorité
politique sur les autres. Mais le leadership historique peut aussi
résulter d'un point de vue plus personnel de la participation du
dirigeant politique d'un État à la création de
l'organisation d'intégration. Le leadership peut également
s'affirmer d'un point de vue «militaire». L'État
concerné se prévaudra alors soit de sa capacité à
régler des conflits dans la zone, soit de son aptitude (non
affirmée mais éprouvée) à
«déstabiliser» potentiellement la zone ou une partie de
celle-ci. L'implication du Tchad dans les conflits de RCA et du Nord Mali,
l'érige en interlocuteur politique de premier ordre de la RCA et du
Mali, avec néanmoins des implications certaines sur sa position au sein
de la CEMAC et de l'UA. Il en est de même de L'Afrique du Sud dans ledit
conflit centrafricain. Le critère démographique a en outre son
importance dans certaines organisations d'intégration. Il revêt
une dimension économique notable, mais peut aussi, dans certains cas,
être un facteur de leadership politique institutionnalisé. Nous
pouvons aussi envisager une hypothèse de leadership «
démocratique », car l'émergence dans l'un des États
de la région d'un pouvoir démocratique peut être un facteur
d'influence au sein des institutions régionales.
Au niveau des Communautés Économiques
Régionales qui constituent des préalables à la
réalisation du marché commun continental, cette quête du
leadership est plus visible. C'est ainsi qu'au niveau de la CEMAC par exemple
le rôle de moteur de l'intégration du Cameroun a été
longtemps contesté par le Gabon, et l'est actuellement par la
Guinée Équatoriale174. Les querelles de leadership
apparaissent même comme une des caractéristiques principales de la
plupart des accords d'intégration régionale en Afrique. Ainsi
à l'image du Cameroun en zone CEMAC, le Kenya est le leader de la
Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC), la Côte d'Ivoire est celui
de
173 Fweley DIANGITUKWA, Géopolitique,
intégration régionale et mondialisation. Plaidoyer pour la
création d'une communauté économique des pays
côtiers de l'Afrique centrale, Paris, l'Harmattan, 2006, p. 61.
174 Anderson OUAMBA-DIASSIVY, Op. Cit. p.31.
65
l'UEMOA et l'Afrique du sud se présente comme le bras
séculier de la Communauté de Développement de l'Afrique
Australe (SADC). A ce sujet, il faut dire que nombre de projets
intégrateurs en Afrique n'aboutissent pas à cause de ce
phénomène. Au lieu de repenser la manière dont la
communauté devra décoller, la réflexion est portée
plutôt sur la manière dont tel ou tel autre État envisage
d'être leader de la sous-région, sur les réclamations du
leadership.
II-Les velléités souverainistes des
États
Les frontières contribuent à ce que chaque
État se perçoive comme un tout, distinct des autres États
et souverain175. L'Afrique n'est pas en marge de cette
réalité. En général, les chefs d'État
africain se considèrent comme des « princes » à
l'intérieur de leurs territoires. Ils sont jaloux de leur
souveraineté, même au prix du sacrifice de l'intégration
régionale. L'État reste en Afrique l'intelligence
personnifiée de la collectivité, il reste omniprésent et
n'est point contourné, encore moins remplacé par des
entités fonctionnelles176. La présidence reste le
seul
lieu de vrai pouvoir177. L'intégration en
Afrique est bâtie sous le primat de l'intergouvernementalisme car une
part importante des traités et des projets est soit le fait de «
grand marchandages» entre États au sens de l'État-
nation Westphalien, soit des administrations nationales qui les
contrôlent178. En effet, l'Afrique est l'une des
régions du monde dans laquelle l'histoire du pouvoir politique est celle
de la confiscation, de la privatisation et de la sacralisation par un individu
ou un groupe d'individus. Cet état de chose est de nature à
renforcer un micro nationalisme latent, avec pour conséquence une
prédominance des intérêts nationaux égoïstes
sur l'esprit communautaire179. Cette prédominance des
intérêts nationaux égoïstes est perceptible au niveau
de l'intégration des marchés. Ici la crainte des États de
perdre des recettes budgétaires du fait de la libéralisation des
échanges et des inquiétudes sur la libre circulation des
personnes sont accentuées. L'exemple du slogan « le Gabon ne
sera pas la vache
175 Philippe MOREAU DEFARGES, Introduction à la
géopolitique, Paris, édition du Seuil, 2005, p. 33.
176 Parlant du cas spécifique de la CEMAC, lire Guy
MVELLE, « La CEMAC à la recherche d'une nature théorique
», Revue africaine d'études politiques et
stratégiques, UY II, FSJP, n°6, 2009, p.73. Cette situation
est vraie pour toute l'Afrique.
177 Jean-Yves CALVES, Tiers monde... un monde dans le
monde, Paris, les éditions ouvrières, 1989, p.92.
178 Guy MVELLE, Op. Cit. p. 69.
179 Yanick Jacquinos JANAL LIBOM, Harmonisation et
rationalisation des Communautés Économiques Régionales
(CER) en Afrique : le cas de l'Afrique Centrale (1991-2010),
mémoire de master en histoire des Relations Internationales, UY I,
FALSH, 2011, p. 128.
66
à lait » prononcé par Léon
MBA lorsqu'il était question de décider de la formule par
laquelle les colonies devaient accéder à
l'indépendance180.
En Afrique Centrale par exemple, les expulsions massives des
ressortissants des autres pays sont récurrentes en Guinée
Équatoriale et au Gabon ces dernières années. Les craintes
de la perte de souveraineté l'emportent sur l'intégration
régionale en Afrique181. C'est ainsi que la Guinée
Équatoriale a évoqué l'envahissement de son territoire par
ses voisins pour boycotter l'entrée en vigueur de la libre circulation
des personnes, biens et services en zone CEMAC prévue pour le
1er janvier 2014. L'Afrique dans cette posture renvoie à un
collectif de princes aux stratégies et aux attentes
spécifiques182. Ils ne souhaitent pas déléguer
la moindre parcelle de leur souveraineté aux entités
régionales183. Dans ce contexte, il est très difficile
de créer « un nouveau centre de pouvoir supplantant les
États membres et reléguant leur nationalisme au rang des
pièces de musée 184». Le postulat selon
lequel « il n'y pas d'État sans
souveraineté185 » est dominant chez les dirigeants
africains, certains ont à coeur l'intangibilité et la
sacralité de la figure de l'État. L'intégration pour eux
ne signifie pas l'union ou la fusion dans un creuset
fédéral186. Cela se vérifie à travers
l'option prise dès 1963 à Addis Abéba avec le compromis
donnant naissance à l'OUA. Dans le processus d'intégration
régionale en Afrique, les velléités souverainistes se
manifestent par la sacralisation de la souveraineté de l'État et
le primat de l'intérêt national sur l'intérêt
régional. Cette manifestation de l'intérêt national
égoïste constitue autant une entrave au processus
d'intégration régionale que les comportements stratégiques
des États africains dans le cadre de l'action collective entreprise par
l'UA.
180 Régis Vanacio LOUMINGOU-SAMIBOU, « Le principe
du respect de l'identité nationale des États membres de la CEMAC
», in Ethnicité, identités et citoyenneté en Afrique
centrale, études et documents de l'APDHAC, cahier africain des droits de
l'Homme, n°6-7, mars 2002, p. 148.
181 CEA /ONU, État de l'intégration en Afrique
II. Rationalisation des communautés économiques
régionales, 2006, p.74.
182 Yves Alexandre CHOUALA, Désordre et ordre dans
l'Afrique Centrale actuelle : démocratisation, conflictualisassions et
transitions géopolitiques régionales, thèse de
Doctorat de 3è cycle en relations internationales, UY II, IRIC, 1999, p.
22.
183 Philippe DECRAENE, Vieille Afrique, jeunes nations,
Paris, PUF, 1982, p.262.
184 Alain DIECKHOFF, Christophe JAFFRELOT, « De
l'État- nation au post nationalisme », in Marie Claude SMOUTS
(éd), Les nouvelles relations internationales, pratiques et
théories, Paris, Presses de la Fondation Nationale de Science
Politique, 1998, p. 70.
185 Olivier BEAUD, La puissance de l'État, Paris,
PUF, 1994, p. 15.
186 Narcisse MOUELLE KOMBI, « L'intégration
régionale en Afrique Centrale : entre interétatisme et
supranationalité », in Hakim BEN HAMMOUDA et al. (dir.),
L'intégration régionale en Afrique centrale, bilan et
perspectives, Paris, Karthala, 2003, p. 211.
67
PARAGRAPHE II : Les stratégies
de certains États africains face à l'action collective entreprise
par l'UA
L'intérêt national égoïste est
perceptible dans le processus d'intégration régionale en Afrique
à travers les stratégies de certains États africains face
à l'action collective. En effet, l'un des facteurs qui explique le
faible poids de l'UA devant les grands enjeux africains et internationaux est
la dispersion des positions de ses membres187. Pourtant, pour les
pères fondateurs, les africains doivent êtres guidés par
« la vision partagée d'une Afrique unie et forte, ainsi que par
la nécessité d'instaurer un partenariat entre les gouvernements
et toutes les composantes de la société civile, en particulier
les femmes, les jeunes et le secteur privé, afin de renforcer la
solidarité et la cohésion entre nos peuples188
». Mais les divisions sont souvent plus visibles que l'unité depuis
la création de l'OUA et les stratégies des États priment
sur les positions de l'organisation continentale engagée officiellement
dans des actions collectives. Les stratégies sont ici
considérés comme les « écarts,
c'est-à-dire des comportements qui ne correspondent pas à
l'idée initiale que l'on peut avoir des motifs des
acteurs189 ». Les conduites des États ne doivent
pas être vues comme la simple résultante, prévisible,
stéréotypée et donc reproductible des déterminants
structurels, financiers ou psychologiques. Elles sont inventées par les
États, dans un contexte, construites en vue de certains buts.
D'après l'analyse de Michel CROSIER et Erhard FRIEDBERG190,
les acteurs sont inscrits dans un système d'action concret où il
existe un ensemble de jeux structurés, où ils sont
interdépendants, mais également où il existe des
intérêts qui peuvent être divergents, voire contradictoires.
Les stratégies des acteurs sont non seulement fonction de leurs
intérêts mais aussi de leurs ressources. Dans ce système,
l'intérêt égoïste est l'unique justification de
l'action des acteurs. Ce type de comportement a été plusieurs
fois observé au sein de l'UA. Mais pour démontrer l'impact
négatif de ces comportements stratégiques des États
africains face à l'action collective de l'UA, nous mettrons en exergue
les comportements observés de la part de certains États aussi
bien lors de la crise postélectorale survenue en Côte d'Ivoire en
novembre 2010 (I) que lors de la Résolution 1973
187 Guy MVELLE, L'union Africaine face aux contraintes de
l'action collective, Paris, L'harmattan, 2013, p. 7
188 Préambule de l'Acte Constitutif de l'Union
Africaine.
189 Erhard FRIEDBERG, Le pouvoir et la règle.
Dynamique de l'action collective, Paris, Le Seuil, 1993, p. 218.
190 Michel CROSIER et Erhard FRIEDBERG, L'acteur et le
système. Les contraintes de l'action collective, Paris, Seuil,
1981.
68
autorisant le recours à la force contre le
régime de Mouammar KADHAFI (II); car ces évènements
marquent les deux dernières grandes crises de l'action collective au
sein de l'UA.
I- La crise ivoirienne de novembre 2010
La crise postélectorale de Côte-d'Ivoire a
été le théâtre de la manifestation des
stratégies des États face à l'action collective entreprise
par l'UA. En effet, lors de cette crise, plusieurs chefs d'État se sont
manifestement écartés de la position adoptée par le panel
des cinq chefs d'État désignés par l'UA191.
L'objectif de ce panel était de soumettre aux protagonistes ivoiriens
une solution contraignante de sortie de crise. Après examen de la
situation, le panel a reconnu Alassane OUATTARA comme seul président
légitime de Côte d'Ivoire. Cette position sera
entérinée par le Conseil de Paix et de Sécurité de
l'Union Africaine le 28 janvier 2011. Pourtant, au moins sept chefs
d'État africains192 étaient favorables au maintien de
Laurent GBAGBO et donc contre une intervention de l'UA en faveur de OUATARA.
L'Afrique du Sud qui, manifestement soutenait le maintien de GBAGBO et
était plutôt en faveur d'une solution diplomatique et non
militaire s'est comportée comme un acteur rationnel qui cherchait «
à faire en sorte que les échanges qui le lient aux autres
acteurs lui soient plus profitables possibles193 ».
Derrière le « double jeu » joué par l'Afrique
du Sud dans le conflit ivoirien, se cachait de multiples intérêts
pour ce pays dans sa relation avec Laurent GBAGBO, notamment la perspective des
contrats dans les domaines du pétrole et de la banque194.
Pretoria s'est écarté de la structure
d'autorité formelle et est entré en coalition avec GBAGBO sur la
base d'intérêts communs, affichant ainsi un comportement
stratégique au service de ses intérêts propres. Ce type de
comportement qui contribue à freiner l'action collective de l'UA et
partant du processus d'intégration régionale en Afrique a
été aussi perceptible lors du vote de la Résolution
1973.
191 Ce panel était constitué des
présidents sud-africain Jacob ZUMA, mauritanien Mohamed OULD ABDEL AZIZ,
tanzanien Jakaya KIKWETE, tchadien Idriss DEBI et burkinabé Blaise
COMPAORE. Il faut tout de même remarquer que Blaise COMPAORE n'a pas pu
effectuer le déplacement d'Abidjan à cause de l'hostilité
manifestée à son égard par les partisans de Laurent
GBAGBO.
192 Il s'agit des chefs d'État de : Angola, Gambie,
Guinée Équatoriale, Ghana, République Démocratique
du Congo, l'Afrique du Sud et l'Ouganda.
193 Stéphane DION, « Erhard FRIEDBERG et l'analyse
stratégique », Revue française de science
politique, 43è année, n°6, 1993, p. 995.
194 Guy MVELLE, Op. Cit. p. 25.
69
II- Le vote de la Résolution 1973
Le vote de la Résolution autorisant le recours à
la force contre le régime de Mouammar KADHAFI a aussi permis de
constater le détachement vis-à-vis de la position officielle de
l'UA et la manifestation de stratégiques, notamment de la part du
Nigeria, de l'Afrique du Sud et du Gabon. En effet, en consultant le rapport du
Conseil de Sécurité sur le vote de ladite Résolution, il
apparait que ces trois pays ont voté en faveur de l'adoption de ladite
résolution. Pourtant, l'UA avait pris position pour un règlement
pacifique du conflit et un dialogue entre les parties en conflit. Le conseil de
paix et de sécurité avait réaffirmé «
fermement que l'UA se tient au côté du peuple libyen, et
encourage toutes les parties prenantes libyennes à se mettre ensemble et
à négocier un processus pacifique qui conduira à la
démocratie195 ». Tout comme la crise ivoirienne,
l'UA avait institué un panel composé des chefs d'État sud
africain, congolais, malien, mauritanien et ougandais pour proposer une
solution à la crise.
La position de l'organisation continentale articulée en
trois points à savoir : le cessez-le feu immédiat, les questions
humanitaires, la transition et les réformes politiques,
économiques et sociales nécessaires, a été
ignorée par les trois pays cités plus haut et le
Sénégal, lesquels ont suivi la ligne de certaines grandes
puissances non africaines comme la France et les États
Unis196. D'après les analystes de la politique
internationale, les dirigeants du Nigeria et d'Afrique du Sud, deux pays
candidats potentiels à un poste de membre permanent du Conseil de
Sécurité, ont voté la Résolution 1973 pour «
plaire » à ceux qui pourraient le moment leur favoriser
l'entrée197. Cette stratégie de Chefs d'État
signifie que les concepts d'intérêt et de pouvoir n'ont rien perdu
de leur pertinence dans les relations internationales et continuent à
dicter la politique des États à l'égard des régimes
de sécurité collective198. Les Président Ali
BONGO ODINGBA et Abdoulaye WADE quant à eux n'ont suivi que la
volonté de la France, initiatrice de la Résolution 1973, pays
avec lequel ces Chefs d'État entretiennent des relations très
étroites dans les domaines de l'aide publique au développement
mais aussi de la protection militaire. A l'analyse, nous constatons que
certains dirigeants africains se comportent comme des homo
oeconomicus, c'est-à-dire des êtres rationnels et
égoïstes qui ajustent leurs comportements
195 Décision du conseil de paix et de
sécurité de l'Union Africaine lors de sa 291ème
réunion tenue, le 26 août 2011 au niveau des chefs d'États
et de gouvernement.
196 Guy MVELLE, Op. Cit. p. 27.
197 Ibid.
198 Ibid. p.28.
199 Ibid. p.3o.
70
aux fins individuelles recherchées199. Cette
recherche de l'intérêt égoïste est de nature à
entraver le processus d'intégration régionale en Afrique comme le
retrait du Maroc de l'OUA et le non respect des textes communautaires sur la
libre circulation des personnes par les États.
SECTION II : L'IMPACT DE L'INTÉRET NATIONAL
ÉGOÏSTE SUR LE PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE : ÉTUDE DE CAS
La recherche de l'intérêt national
égoïste constitue un frein à l'intégration
régionale africaine. Ainsi, le retrait du Maroc de l'Union Africaine
(PARAGRAPHE I) et le non respect des textes sur la libre circulation par les
États membres des CER africaines (PARAGRAPHE II) sont des exemples qui
éclairent notre démonstration sur le sujet.
PARAGRAPHE I : Le retrait du Maroc de l'UA
Le retrait du Maroc de l'OUA est lié à la
recherche effrénée de son intérêt national. Ceci a
quelque peu paralysé le processus d'intégration régionale
en Afrique.
I- La recherche de l'intérêt national
égoïste : mobile du retrait du Maroc de l'OUA
Colonie espagnole depuis la fin du XIXème
siècle, la pacification des régions du Sahara occidental ne fut
effective qu'en 1934. La présence espagnole fut très
discrète, essentiellement sise dans quelques fortins du littoral.
L'Espagne, surtout intéressée par les richesses halieutiques de
la colonie, pratiquait l'indirect rule. A la fin des années 50,
l'Espagne dut faire face aux revendications territoriales de Moctar OULD
DADDAH, le futur président mauritanien qui, à la veille de
l'indépendance, réclamait l'unification de tous les territoires
peuplés par des Maures, ce qui incluait évidemment les
territoires du Rio de Oro et la Saguiet el Hamra. MOHAMED V, le souverain
marocain, revendiquait le rattachement de ces territoires au nom de droits
historiques. En effet, il considérait, tout comme la majorité de
ses sujets et le puissant parti de l'Istiqlal, que
71
le royaume était un « État
démembré » victime de la période coloniale,
divisé en sept zones200 et qu'une indépendance pleine
et entière signifiait le retour de ces entités dans le
makhzen.
Des officines marocaines créèrent alors
l'Armée de Libération du Maroc du Sud, regroupant essentiellement
des combattants sahraouis, qui concentra ses attaques contre les Espagnols
durant les années 1956 et 1957. Cette armée fut mise hors
d'état de nuire par une action franco-espagnole d'envergure, «
l'opération écouvillon » où l'on usa de bombardements
aériens. Un autre mouvement, cette fois- ci indépendantiste,
allait naître en 1967, le Front de Libération du Sahara, qui
allait devenir, en 1973, le Front Populaire de libération du Saguiet el
Hamra et du Rio de Oro, plus connu sous son acronyme Front Polisario.
Le 17 septembre 1974, le Maroc et la Mauritanie saisissent la
Cour Internationale de Justice pour lui poser deux questions201 :
« Le Sahara occidental était-il terra nullius à
l'arrivée des Espagnols ? S'il ne l'était pas, quels
étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc
et l'ensemble mauritanien ? ». Dans sa volonté de contenter
les deux parties, la cour répondit clairement à la
première question en disant que le « Sahara n'était pas
un territoire sans maître, mais donna en revanche une réponse
inutilisable à la seconde puisqu'elle déclara qu'il existait des
liens d'allégeance entre le Sultan du Maroc et les tribus sahariennes,
mais sans aucun lien de souveraineté entre le territoire du Sahara
occidental et le Maroc 202 ».
Alors que parallèlement, les négociations
bipartites et tripartites avec l'Espagne et la Mauritanie s'enlisaient dans des
méfiances réciproques, le roi HASSAN II décida de
précipiter l'issue de la crise en initiant en octobre 1975 une action
éminemment symbolique, la Marche Verte, qui engendra une énorme
mobilisation populaire puisque 350 000 personnes suivirent le roi. L'Espagne,
préoccupée par la fin de règne de Franco et par sa
succession, se retirait en février 1976 sans qu'aucune solution n'ait
été avalisée par toutes les parties et par les
instances
200 Le projet dit du « Grand Maroc » affirmait que
le royaume était divisé entre : 1 - Tanger (zone internationale)
2 - Le Rif, Ifni et la province de Tarfaya (protectorat espagnol) 3 - Entre le
rif, le sud de l'Anti-Atlas, y compris Tindouf et l'Ouest de l'Algérie
(colonie française) 4 - Le Rio de Oro (colonie espagnole) 5 - Le Saguiet
el Hamra (occupation militaire espagnole) 6 - La Mauritanie et une partie du
Mali (colonie française) 7 - Ceuta et Mellila (presides espagnoles)
201 Mohsen-Finan KHADIJA, Sahara Occidental. Les enjeux d'un
conflit régional, Paris, CNRS, 1996, p.41.
202 Ibid.
203 Thérèse BENJELLOUN,
Visages de la diplomatie marocaine depuis 1844, Rabat,
Éditions EDDIF, 1991, p.66.
72
internationales. Le Maroc et la Mauritanie se partagent alors
la colonie espagnole et affrontent le Front Polisario. Face aux revers
infligés par les combattants sahraouis, aguerris, motivés et
lourdement armés par la Libye puis l'Algérie, les marocains
allaient progressivement construire un mur de défense pour
protéger la zone conquise par les très redoutables attaques
sahraouies. La Mauritanie, militairement incapable de répondre aux
menaces sahraouies, entra vite dans un cycle de crises politique et
économique. Une junte militaire aux positions neutralistes, voire plus
favorables au Polisario, déposa le président Moctar OULD DADDAH
en 1978. En effet, durant les premières années du conflit, les
sahraouis avaient concentré leurs attaques sur le maillon faible,
c'est-à-dire, la Mauritanie. Les attaques répétées
contre le train minéralier Zouérat-Nouadhibou avaient lourdement
hypothéqué la première ressource du pays, l'exportation du
fer. Quelques mois après, les nouveaux dirigeants de Nouakchott
déclaraient leur neutralité dans le conflit qui allait
désormais opposer le Polisario à Rabat. Le Maroc se
déployait alors rapidement sur le Tiris el Gharbia, partie du Sahara
occidental laissée vacante par la Mauritanie, et y achevait un mur
isolant les « zones rebelles » des zones « pacifiées
». L'épineux problème du Sahara eut pour conséquence
d'isoler le royaume sur le plan diplomatique. Après que la Mauritanie se
fut retirée du conflit saharien (1978), le Maroc eut à affronter
seul les critiques des pays progressistes. Comme le souligne Khadija
MOHSEN-FINAN, c'est en Afrique Noire que la politique saharienne du Maroc fut
le plus sévèrement jugée dans la mesure où
l'occupation du Sahara occidental allait à l'encontre de deux principes
sacralisés par l'OUA, le droit des peuples à
s'autodéterminer et l'acceptation des frontières
héritées du colonialisme203. En 1981, 26 pays
africains avaient déjà reconnu la RASD.
Le 12 novembre 1984 lors du 20e sommet de l'OUA
à Addis-Abeba, le Maroc et la République arabe sahraouie
démocratique (RASD) ont siégé ensemble pour la
première et dernière fois pendant trois heures. À 17h 50,
la délégation sahraouie, conduite par son président,
Mohamed ABDELAZIZ, fait son entrée dans la salle des séances de
l'Africa Hall et prend place entre ses pairs du Rwanda et de São
Tomé e Príncipe. La délégation marocaine, conduite
par le conseiller du roi HASSAN II, Ahmed Réda GUÉDIRA,
s'installe derrière son pupitre. Après l'ordre du jour, le Maroc
demande la parole. GUÉDIRA donne alors, sur un ton très calme,
lecture d'un message du roi HASSAN II: «Voilà, et je le
déplore, l'heure de nous séparer. En
73
attendant des jours plus sages, nous vous disons adieu et
nous vous souhaitons bonne chance avec votre nouveau
partenaire204 » relate Jeune Afrique qui retrace les
tractations ayant abouti à l'admission de la RASD depuis le sommet de
Tripoli en 1982. Ce nouveau partenaire, c'est la RASD, État
autoproclamé en 1976 par le Front Polisario et qui siège pour la
première fois en tant que membre de l'OUA. Avant de se retirer, GUEDIRA
réaffirme avec ferveur que la présence du drapeau
chérifien sur le sol saharien est « conforme à
l'Histoire et à la loi internationale ». Le ministre
zaïrois des Affaires étrangères lui emboîte le pas,
accusant l'OUA d'accueillir en son sein « un État fantôme
et de violer ainsi la charte de l'Organisation », qui stipule que
seuls des pays indépendants et souverains sont habilités à
y siéger. En fin de journée, au pied du grand escalier de
l'Africa Hall, les 140 membres de la délégation marocaine - dont
une bonne partie est d'ailleurs d'origine sahraouie - quittent le sommet avec
fracas, scandant d'une seule voix: « Le Sahara est marocain et le
restera205 ».
II- Le retrait du Maroc et la paralysie du processus
d'intégration régionale en Afrique
L'Union Africaine est depuis 1984 divisée sur la
question de la reconnaissance de la République sahraouie. Les pays qui
refusent de reconnaître la RASD, parmi lesquels la Tunisie ou la
Guinée, souhaitent le retour du Maroc au sein de l'organisation. Pour
les autres, Rabat paie le prix de ses tergiversations dans ses
négociations avec le Front Polisario, refusant en cela le principe de
l'auto-détermination des peuples au profit d'une autonomie du territoire
sous souveraineté marocaine. En effet, plus de trente pays dans le
monde, dont les Seychelles, le Malawi, le Bénin ou encore le Tchad, sont
revenus sur leur reconnaissance de la RASD. Les relations entre le Maroc et
l'Organisation de l'Unité Africaine ont été
affectées par le problème du Sahara, depuis les années 70.
Cette situation a engendré des tensions dans le voisinage
Maroco-Algérien, qui ont influencé les travaux de l'Organisation,
des années durant. Dans une Afrique idéologiquement
diversifiée, surtout pendant la période de la guerre froide, et
avec l'accentuation du conflit du Sahara, après 1975, les pays africains
ont vite perçu la complexité et l'influence de ce dossier sur les
travaux de l'Organisation de l'Unité Africaine, qui
réglementait
204
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA_2496_p055.xml0/
consulté le 07 novembre 2013 à 23h. 30.
205 Texte intégral consulté en ligne sur le site
http://saharadumaroc.net/spage.asp?rub=14&Txt=97&parent=&parent1=1.
Le 8 novembre 2013 à 10h. 15.
74
alors et ce jusqu'à 1984, le cadre de son
dénouement. Une rétrospective du conflit démontre la
réussite du Polisario à rallier plusieurs pays à sa cause
avec l'appui de la Libye et de l'Algérie aux dépens de la
politique marocaine. Avec l'acceptation de la "République Sahraouie" en
tant que membre à part entière de l'Organisation, le Maroc s'est
retiré en protestation contre cette décision qui, d'après
lui, est contraire aux dispositions de la Charte d'Addis-Abeba, instituant
l'Organisation de l'Unité Africaine en 1963. La position marocaine se
fonde sur l'article 4 de l'organisation qui énonce que «chaque
État africain indépendant et souverain peut devenir membre de
l'organisation». La Charte stipule que la territorialité des
États est une condition sine qua non pour leur adhésion ;
d'autant plus que le Polisario, dont émane la pseudo "République
Sahraouie", n'a jamais été sur la liste des mouvements de
libération africains accrédités d'après les
thèses marocaines.
En réaction à la position de l'Union Africaine
hostile au Maroc, le ministre marocain des Affaires Étrangères a
déclaré : « nous ne sommes ni contre l'Organisation de
l'Unité Africaine dont le Maroc est fondateur, ni contre l'Organisation
de l'Union Africaine, nous sommes avec tous ceux qui oeuvrent pour l'union du
continent africain, et pour l'unification des efforts africains. Sauf que nous
ne pouvons pas appartenir à une organisation qui compte parmi ses
membres une entité ne jouissant ni de la légitimité ni de
la souveraineté ni des éléments constitutifs de
l'État ». Le président du Sénégal Abdou
DIOUF (1980-2000) a défendu le Maroc et l'a soutenu dans sa position en
soulignant que « Le Sénégal ne conçoit pas une
Union Africaine sans le Maroc. ». Dans le même cadre, le
Sénégal et la Gambie ont demandé l'adhésion du
Maroc à l'Union Africaine pendant le Sommet de Lusaka (juillet 2002),
auquel le Maroc n'avait pas assisté. Cependant l'Algérie et
l'Afrique du Sud ont refusé cette requête sous prétexte que
c'est au Maroc d'introduire sa propre demande. Cette position a perduré
pendant le Sommet de Durban en Afrique du Sud, sous le poids du lobbying de la
diplomatie algérienne, lorsqu'elle a introduit « l'Entité
présumée » pour représenter le groupe des
États Nord-Africains206.
La diplomatie algérienne a
persévéré pour établir sa notoriété
au sein de l'Organisation, à travers sa position contre les preuves
juridiques et historiques irréfutables prouvant l'appartenance du Sahara
au Maroc. En même temps, l'Algérie a introduit la prétendue
« Affaire
206Dr Adil MOUSSAOUI cité par le site
Internet
http://saharadumaroc.net/spage.asp?rub=14&Txt=97&parent=&parent1=1.
Consulté le 8 novembre 2013 à 12h. 15.
207 Ibid.
75
du peuple sahraoui » parmi les affaires internationales.
Elle a aussi influencé plusieurs États pour qu'ils reconnaissent
la « République Sahraouie », et ce par la propagande
menée pour le prétendu « droit du peuple sahraoui
à l'autodétermination ». La lutte diplomatique
maroco-algérienne au niveau africain n'a jamais cessé sur le plan
pratique. De plus, l'Algérie a fourni des efforts diplomatiques
considérables, pour rallier à sa cause les pays
modérés en usant de ses importants atouts
énergétiques. D'un autre côté, le Maroc a
adopté une politique sélective en se limitant à certains
aspects particuliers dans les relations avec ces pays, à cause du manque
de ressources. En conséquence, le rôle joué par le Maroc en
Afrique était limité. Ce qui a permis à la diplomatie
algérienne de gagner suffisamment de sympathie en ce qui concerne
l'affaire du Sahara.
Ainsi la grande majorité des pays Africains voyaient
dans l'attention qui leur a été portée par le Maroc, un
moyen de les rallier à sa cause. Ce qui explique que l'Algérie
n'a pas rencontré de difficultés à ternir l'image du Maroc
en ce qui concerne l'affaire du Sahara, son but étant d'élargir
le clivage entre le Maroc et les pays africains. Le dossier du Sahara exerce
une grande influence sur la rivalité régionale
maroco-algérienne, suite à l'enlisement du conflit. Malgré
la proposition du Maroc relative à l'autonomie des provinces du Sud et
la négociation directe avec le Polisario, sous l'égide des
Nations Unies, l'Algérie a maintenu son opposition à l'Initiative
marocaine, préconisant l'autodétermination par le
référendum. Le conflit maroco-algérien autour du Sahara
mobilise la diplomatie algérienne qui, par des manoeuvres et des
subterfuges, tente d'empêcher le Maroc de réintégrer
l'Union Africaine. Cette situation relative à la position de l'Union
Africaine vis-à-vis du conflit du Sahara, justifie une analyse des
perceptions et de l'approche de la diplomatie marocaine concernant le
traitement de ce dossier et les alternatives pour surmonter cette situation de
fait207.
L'absence du Maroc, a privé l'Union Africaine d'un
cadre important de concertation et d'intervention. Cette situation a
profité à l'Algérie via l'axe relié à Abuja
et Pretoria, qui guide l'Union Africaine, pour essayer d'isoler le Maroc des
efforts collectifs entrepris dans le cadre de l'Union. Comme indiqué
précédemment, bien que le Maroc ne soit pas membre de
l'Organisation régionale, il a néanmoins réussi à
se créer des alternatives. Son refus d'adhérer à l'Union
n'a constitué un obstacle ni pour l'adoption d'une politique ouverte, ni
pour le respect de ses engagements basés sur le principe de la
solidarité africaine dans divers domaines : politique, militaire et
économique. Cette réalisation s'est concrétisée
grâce aux efforts déployés pour mettre
76
en valeur l'intérêt et les orientations du Maroc
vis-à-vis de l'Afrique, et convaincre certains pays africains de retirer
leur reconnaissance de la présumée « République
Sahraouie ». Le Maroc profite, par ailleurs, de certains forums et
groupements sous-régionaux africains pour exprimer sa solidarité
et son appartenance africaine. La réactivation de la diplomatie
marocaine, via notamment l'établissement d'alliances politiques contre
l'axe triangulaire hostile au Maroc, représenté par le Nigeria,
l'Afrique du Sud et l'Algérie, et son implication pour la
résolution de certains conflits régionaux, a engendré un
déficit stratégique du Polisario. Ainsi et à titre
d'exemple, le Kenya a retiré récemment sa reconnaissance de la
présumée « République Sahraouie ». Parmi les
États qui maintiennent leur reconnaissance, nous citons : l'Afrique du
Sud, le Nigeria, l'Angola et bien évidement l'Algérie. Ainsi, le
retrait du Maroc de l'OUA peut être interprété comme une
attitude égoïste qui freine le processus d'intégration
régionale en Afrique ; car le Maroc a préféré
sacrifier l'OUA pour revendiquer l'appartenance de la « République
Sahraouie » à son territoire. Il en est de même pour le non
respect des textes sur la libre circulation des personnes par les États
africains.
PARAGRAPHE II : Le non respect des textes sur la libre
circulation des personnes par les États africains
Les diverses CER ont accompli d'importants progrès,
notamment l'adoption du protocole sur la libre circulation des personnes, de la
main-d'oeuvre, des services, ainsi que le droit d'établissement et le
droit de résidence. Cependant, l'application demeure l'une des questions
les plus controversées.
I- État des lieux des textes sur la libre
circulation en Afrique
Achever les étapes du Traité d'Abuja incombe aux
CER. La CEMAC, le COMESA, la CAE, la CEDEAO, la SADC et l'UEMOA ont
avancé, en adoptant des protocoles sur la libre circulation des
personnes, de la main-d'oeuvre, des services, ainsi que le droit
d'établissement et le droit de résidence. Concernant l'Afrique
Centrale, le protocole sur la libre circulation des personnes au sein de la
CEMAC a fait l'objet du Traité du 16 mars 1994 et révisé
le 25 juin 2008. Une loi de 2005 a été votée sur la libre
circulation des personnes dans la région CEMAC, en mars 2010, une
réglementation a fixé les conditions de gestion et de
délivrance du passeport
77
de la CEMAC. Aujourd'hui, quatre208 des six
États de la communauté ont supprimé le visa
d'entrée à leurs ressortissants. Au sommet extraordinaire des
Chefs d'État de la CEMAC tenu à Libreville au Gabon en juin 2013,
les deux autres Chefs d'États (Gabon et Guinée
Équatoriale) ont décidé d'ouvrir leurs frontières
aux citoyens communautaires d'Afrique Centrale à partir du 1er janvier
2014. Les articles 4 et 40 du Traité de 1983 de la CEEAC et le protocole
déclarent que les ressortissants de tout État membre peuvent
librement et à tout moment entrer dans le territoire d'un autre
État membre, se rendre dans cet autre pays membre, s'y établir et
en sortir. Le droit d'établissement donne aux autres ressortissants des
États membres de la CEEAC accès aux activités non
rémunérées et aux activités traditionnelles de
même qu'aux métiers, ainsi que la possibilité de
créer et de gérer une entreprise conformément à la
charte des investissements du pays hôte.
De textes similaires ont été adoptés dans
la CEN-SAD, le COMESA, la CAE et la SADC. Le paragraphe 2 de
l'article premier du traité portant création de la CEN-SAD a
prévu des mesures susceptibles de garantir la libre circulation des
personnes, des biens et des capitaux ; l'intérêt des
ressortissants des États membres ; la liberté de
résidence, la propriété et l'exercice de l'activité
économique ; et le libre exercice du commerce et la libre circulation
des biens, des produits et des services en provenance des pays signataires. En
tant que premier pas vers la mise en place d'un marché commun et en
définitive d'une communauté économique des États de
l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe, le protocole sur l'assouplissement
graduel et l'élimination définitive de l'exigence de visas au
sein du COMESA a été adopté en 1984. En 2001, les
États membres du COMESA ont adopté un protocole sur la libre
circulation des personnes, de la main-d'oeuvre et des services, les droits
d'établissement et de résidence, et décidé de lever
progressivement toutes les restrictions dans un délai convenu. Les
États membres de la CAE ont récemment signé le Protocole
du Marché commun sur la libre circulation des personnes, des biens, de
la main-d'oeuvre, des services et des capitaux. Les articles 7 à 9 du
protocole pour la mise en place d'un marché commun de l'Afrique de
l'Est, qui est entré en vigueur en juillet 2010, stipulent que les
États partenaires garantissent, au sein de leurs territoires, la libre
circulation des personnes qui sont ressortissants du marché commun. La
SADC a adopté en juin 1995 le projet de protocole sur la libre
circulation des personnes dans la
208 Il s'agit du Cameroun, du Tchad, de la RCA et de la
République populaire du Congo.
78
SADC, qui a été remplacé en janvier 1997
et encore par le Protocole de 2005 sur la facilitation de la circulation des
personnes au sein de la SADC. Il vise à faciliter l'entrée, dans
un but licite et sans visa, dans le territoire d'un autre État membre
pour une période maximale de 90 jours par an, pour une visite de bonne
foi et conformément aux lois de l'État membre concerné ;
la résidence permanente et temporaire dans le territoire d'un autre
État partie ; et l'établissement de l'intéressé
lorsqu'on travaille dans le territoire d'un autre État partie. En juin
2007, les États de la SADC ont également adopté le
Protocole de la SADC sur le commerce des services pour six secteurs
essentiels209. Ces États ont conclu divers protocoles et
memoranda d'accord contenant des dispositions visant à
libéraliser les secteurs des services et à harmoniser les
réglementations pour ces secteurs, ainsi que l'éducation et la
santé. Les États membres de la SADC sont convenus en mars 2008 de
mettre en service le visa unique à l'intention des touristes qui
visitent l'Afrique australe, visa qui serait calqué sur le visa Schengen
européen. Les États partenaires de la SADC sont obligés,
conformément à leurs lois nationales, de garantir la protection
des ressortissants des autres États partenaires vivant ou
séjournant dans leurs territoires.
Les États membres de la CEDEAO ont adopté en mai
1979 le Protocole sur la libre circulation des personnes, la résidence
et l'établissement. Ledit Protocole garantit aux ressortissants des
États membres de la CEDEAO, entre autres choses, le droit d'entrer, de
résider et d'établir des activités économiques dans
le territoire des États membres. L'article 2 du Traité de l'UMA
signé en 1989 déclare que les États membres s'efforcent
progressivement de mettre en oeuvre la libre circulation des personnes, des
services, des biens et des capitaux. À l'article 3, le Traité
envisage l'accord au niveau culturel, ce qui laisse entendre la
coopération visant à développer l'éducation
à différents niveaux, à préserver les valeurs
spirituelles et morales inspirées des enseignements
généraux de l'Islam et à sauvegarder l'identité
nationale arabe.
II- Le non respect des textes sur la libre circulation
des personnes comme un blocage du processus d'intégration
Le principe de la libre circulation des personnes prévu
par le traité d'Abuja à la quatrième étape du
processus d'intégration en Afrique n'est pas encore effectif dans
certaines CER. C'est ainsi que l'obligation du visa d'entrée subsiste
encore dans celle-ci. En Afrique Centrale par
209 Le bâtiment et les travaux publics, les communications,
les transports, l'énergie, le tourisme et les finances.
79
exemple l'agenda de l'intégration sous-régionale
au sein de la CEMAC et de la CEEAC intègre la réalisation d'une
intégration complète et par conséquent la libre
circulation des personnes, des biens et des services qui constitue une
condition pour la mise en place d'un marché commun. Que ce soit au sein
de la CEMAC ou de la CEEAC, la libre circulation des personnes n'est pas
effective en Afrique Centrale nonobstant les engagements et les
décisions pris par les chefs d'État. Malgré l'intention
manifestée à travers les textes, dans les faits il semblerait
qu'elle ne soit pas toujours en vigueur210. Le rendez-vous
manqué du 1er Janvier 2014 de la libre circulation en zone
CEMAC du fait des oppositions manifestes de la Guinée Equatoriale et du
Gabon est à cet effet illustratif. En raison des disparités
économiques qui existent dans la région, certains États
manifestent l'inquiétude d'être envahis par les populations des
autres pays. Omar BONGO résumait dans une déclaration les
problèmes que rencontrerait son pays si la libre circulation des
personnes devenait effective : « nous sommes partisans du maintien des
visas et des autorisations de séjours... Si en plus des arrivées
clandestines, nous ouvrons les vannes, nous gabonais, serons
submergés211 ». Au sein de la CEEAC, le constat
fait par les experts de la CEA en 2005 à ce sujet est fort illustratif :
« la Décision n°03/CCEG/VI/90, adoptée à
Kigali le 26 janvier 1990, la plus importante de toutes, n'a pas toujours
abouti, malgré sa réactivation et modification le 17 juin 2002
à Malabo, par les chefs d'État et de Gouvernement : la carte de
la libre circulation pour les frontaliers et le carnet de libre circulation
pour les autres ressortissants ne sont pas encore en circulation ; les couloirs
CEEAC dans les aéroports ne sont pas encore créés dans
tous les pays et là où ils existent, ils ne sont pas encore
opérationnels, et les ressortissants de la communauté ont
toujours besoin de visas pour voyager d'un État membre à un
autre212 ». Jusqu'en 2013, on en est encore à des
projections de l'effectivité de la libre circulation des
personnes213alors que le Traité de la CEMAC la consacrait
déjà ; depuis lors cette mesure est restée très peu
effective dans la sous région214. Dans la CEEAC la libre
circulation des personnes, est très peu encrée et seuls quatre
États appliquent le principe. Dans la CEDEAO, ce principe est un peu
avancé mais demeure entravé par le harcèlement sur les
routes, au grand
210 Yanick JANAL LIBOM, Harmonisation et rationalisation
des communautés économiques régionales (CER) en Afrique :
le cas de l'Afrique centrale (1991-2010), Mémoire de Master en
Histoire, Université de Yaoundé 1, 2011, p.83.
211 Claude N'KODIA, L'intégration économique :
les enjeux pour l'Afrique centrale, Paris, L'Harmattan, 1997.
212 CEA/BSR-AC, Document de la réunion sur
l'harmonisation des CER tenue à Douala, CEA/BSR-AC, 2007.
213 A l'issue du sommet des Chefs de l'État de la CEMAC
tenu à Libreville le 14 juin 2013, la suppression des visas en zone
CEMAC pour tout citoyen sera consacrée d'ici la fin de
l'année.
214 Seuls quatre États de la sous-région appliquent
le principe de la libre circulation.
80
nombre de barrières routières et aux
barrières illégales, ainsi qu'au problème de
l'insécurité sur les routes. Le non respect des textes sur la
libre circulation des personnes dans les CER constitue un blocage pour la
réalisation du marché commun africain et partant de
l'intégration régionale.
A l'analyse, il ressort que l'intérêt national
égoïste est perceptible en Afrique à travers
l'égoïsme des États et les stratégies des
États face à l'action collective de l'Union Africaine. Aussi, le
retrait du Maroc de l'OUA et le non respect des textes sur la libre circulation
des personnes dans les CER nous ont permis de constater que la recherche
effrénée de l'intérêt national égoïste
est un obstacle au processus d'intégration régionale en Afrique.
Par contre, l'intérêt national altruiste qui dépasse la
conception individuelle de l'intérêt national pour intégrer
l'intérêt national de l'autre, constitue un catalyseur pour le
processus d'intégration régionale en Afrique.
81
CHAPITRE 4 : L'INTÉRÊT NATIONAL ALTRUISTE
: UN FACTEUR DE DYNAMISATION DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE
Le dépassement de la souveraineté de
l'État au sens classique215et l'acceptation de sa conception
limitée et « rassemblée216 », ou la
culture du compromis avec les partenaires du même bloc régional
est la condition d'une politique extérieure plus forte pour l'ensemble,
sont des facteurs de dynamisation du processus d'intégration
régionale en Afrique. Dans l'approche réaliste, la question de la
limitation de la souveraineté pour construire un espace
d'intégration régionale est soumise au dilemme de la
coopération internationale. En effet, tant que l'anarchie demeure le
principe d'organisation du système international, les gains relatifs
pèsent plus que les gains absolus aux yeux des États, et la
coopération n'est intéressante pour eux que s'ils sont sûrs
d'en tirer davantage profit que leurs partenaires. L'intégration
régionale, en tant que forme la plus avancée de
coopération internationale, doit par conséquent
bénéficier d'un environnement particulier pour permettre aux
États concernés de contourner ce dilemme. Pour les
réalistes, cela s'apparente essentiellement à la formation d'une
alliance. Ainsi, la construction européenne pendant la Guerre froide
n'aurait été possible que par l'existence de la menace
soviétique, qui a incité les États d'Europe de l'ouest
à s'unir, tout en bénéficiant de l'hégémonie
américaine au sein de l'Alliance atlantique, qui a mitigé la
conflictualité entre eux217. Dans ce cas de figure, la
distribution de la puissance aurait permis à ces États de se
préoccuper davantage de leur prospérité économique
que de leur sécurité, garantie par un acteur extérieur.
Une autre interprétation réaliste de
l'intégration régionale présente ce
phénomène comme un effort visant l'insertion d'une puissance
hégémonique dans un cadre institutionnel favorable au
renforcement de l'interdépendance. L'hégémon voit dans
l'intégration la possibilité d'étendre son influence
politique et économique par des moyens pacifiques (on dit alors qu'il
s'agit d'une
215 Celle-ci fait état d'une séparation
étanche entre les sphères interne et externe de la vie d'une
nation, où la consécration de l'autorité suprême
d'un État sur un territoire (souveraineté interne) a pour
corollaire l'exclusion de toute ingérence d'un autre État sur ses
décisions (souveraineté externe).
216Robert KEOHANE, « Ironies of Sovereignty:
The European Union and the United States », Journal of Common Market
Studies. 2002, vol. 40, p. 748.
217John MEARSHEIMER, « Back to the Future:
Instability in Europe after the Cold War », International
Security. 1990, vol. 15, n°1, p. 47.
82
« puissance bénigne »), tandis que
les États faibles de la région trouvent leur compte à
maîtriser la puissance de leur voisin par l'adoption de normes communes
qui rendent prévisible son comportement218. Ce serait le cas
du sous-système unipolaire existant en Afrique australe,
normalisé par l'intégration de l'Afrique du Sud dans la SADC.
La conception « limitée et rassemblée
» de la souveraineté constitue en effet le corollaire de
l'intérêt national altruiste qui est à la faveur de
l'intégration régionale en Afrique. L'exaltation de cet
intérêt national est fréquente en Afrique. C'est pour quoi,
En 1994, Nelson MANDELA affirmait dans un discours devant l'Assemblée
Générale des Nations Unies que «le défi majeur
qui se pose à nous est de savoir, compte tenu de
l'interdépendance du monde actuel, ce que nous pouvons faire et ce que
nous pourrons faire pour asseoir partout la démocratie, la paix et la
prospérité219 ». Ce discours était la
confirmation de celui du ministre des Affaires étrangères les 8
et 11 août au Cap, sur la présentation de la nouvelle diplomatie
sud-africaine. L'intérêt national sud-africain s'articule ainsi
avec celui du continent africain et peut s'analyser en un intérêt
national construit par la culture internationale220. Ce
positionnement, à la suite du discours de Nelson MANDELA en 1994, a
été souligné par le ministre des Affaires
étrangères, Nkosazana DLAMINI ZUMA en 2004 : « Au cours
des dix dernières années, notre implication dans les affaires
internationales s'est fondée sur la vision selon laquelle la puissance
(force) de notre nation dépend de la force de notre continent
entier221». Une telle construction extensive de
l'intérêt national en articulation avec l'Afrique est au service
de l'intégration régionale.
218Luc SINDJOUN, et Pascal VENNESSON. «
Unipolarité et intégration régionale : l'Afrique du Sud et
la renaissance africaine ». Revue française de science
politique. 2000, vol. 50, no. 6, p. 925.
219 Bulletin d'Afrique du Sud, 23 novembre 1994, cité
par Pierre-Paul DIKA ELOKAN, La politique étrangère de la
nouvelle Afrique du Sud : les défis de la conciliation entre
intérêt national, intérêt continental et
mondialisation, Thèse de doctorat en Droit public soutenue le 25
juin 2007 de l'Université de Reims Champagne-Ardennes, p. 20.
220 D'après les constructivistes,
l'intérêt national d'un pays est un construit social qui trouve
son origine dans l'identité des États, c'est-à-dire de la
représentation qu'ils se font d'eux-mêmes, d'autrui et du
système international. En ce sens, l'intérêt national est
donc moins construit par l'État qu'il n'est façonné par
les normes et valeurs qui, partagées internationalement, structurent la
vie politique internationale et lui donnent signification. Et lorsque ces
valeurs évoluent, l'intérêt national est susceptible
d'être re-généré et transformé avec pour
conséquence l'émergence possible d'un intérêt
national défini de façon altruiste. Voir à cet effet,
Martha FINNEMORE,Op. Cit.
221 « Over the past ten years, our involvement in world
affairs has been premised on the view that the strength of our nation depends
of the entire continent ». Nkosazana DLAMINI ZUMA,
présentation du Budget du ministère des Affaires
étrangères, Le Cap, 3 juin 2004.
83
L'intérêt national altruiste vise la conduite
d'une politique étrangère satisfaisant en même temps
l'intérêt national des États amis222. Ainsi, en
ressortant les manifestations de cette conception de l'intérêt
national dans le processus d'intégration régionale en Afrique
(SECTION
I), et en démontrant l'impact de cette conception sur
l'intégration régionale à travers l'adhésion de
l'Afrique du Sud dans la SADC et l'adhésion de la Guinée
Équatoriale dans l'UDEAC/CEMAC (SECTION II), nous serons convaincus de
ce que cette conception est à la faveur de la dynamique
d'intégration régionale en Afrique.
SECTION I : LES MANIFESTATIONS DE
L'INTÉRÊT NATIONAL ALTRUISTE DANS LE PROCESSUS
D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE
Le processus d'intégration régionale en Afrique
constitue le réceptacle de l'articulation entre l'intérêt
national et l'intérêt continental. Les manifestations de
l'intérêt national altruiste y sont perceptives à travers
le processus de création du NEPAD (PARAGRAPHE I) et l'institution des
programmes de coopération technique au sein de l'UA (PARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE I : Le processus de création du NEPAD
comme une manifestation
de l'intérêt national altruiste
I- Les concepteurs du NEPAD
Adopté en 2001 par les chefs d'État de l'OUA, et
ratifié en 2002 par l'Union Africaine, cette oeuvre continentale a
été soutenue et défendue essentiellement par deux anciens
Présidents aux philosophies différentes. Il s'agit de Thabo
MBEKI, ancien Président Sud-Africain et de l'ancien Chef d'État
sénégalais, Abdoulaye WADE. Mais, des pays comme
l'Algérie, l'Égypte, le Nigeria figurent aussi parmi les
fondateurs du NEPAD223.
D'une part, Thabo MBEKI a défendu l'idée que le
NEPAD doit se donner pour finalité, dans sa structure et son
fonctionnement, de promouvoir la gouvernance politique et économique au
niveau de tout le continent; et même initier de nouvelles relations
internationales entre
222 Marie- Claude SMOUTS, Dario BATTISTELLA, Pascal VENNESSON,
Op. Cit. p. 303.
223 Rapport du Haut Conseil de la Coopération
Internationale de France, Les priorités de la coopération pour
l'Afrique subsaharienne et le nouveau partenariat pour le développement
de l'Afrique (NEPAD), Avril 2002, p. 3.
84
l'Afrique et des partenaires économiques et financiers
étrangers, qui ont pour objectif de participer volontairement et avec
équité au développement réel des États
africains et non de les spolier de leurs richesses naturelles et
ouvragées224. A cette fin, et suivant cette politique
économique, le NEPAD doit être un organon dont l'objectif
implicite est de réaliser le progrès économique, social
par la réduction de la pauvreté endémique, la bonne
gouvernance au niveau de chaque État membre. Ceci sous-entend la
nécessité de réformes politiques pour chacun de ces
États, et l'instauration effective de la démocratie et des enjeux
de multipartisme ; et, inversement, la fin de l'autocratie des Chefs
d'État et le monopole des partis uniques qu'on pourrait qualifier de
Parti-État. Figurent en outre, dans le cadre de ces réformes
institutionnelles, la décentralisation des structures politiques, avec
une exigence visant le fonctionnement éthique d'une bonne gouvernance
locale. A tous les niveaux, le NEPAD doit donc être le pilier de
l'arrêt de la paupérisation des peuples, le moteur de la
croissance économique et de la productivité à tous les
échelons de la vie active225.
D'autre part, la perspective d'Abdoulaye WADE consiste
à conférer au NEPAD des moyens importants pour faciliter l'aide
au développement économique et social à la construction
des infrastructures nationales et interafricaines, comme les routes, par
exemple ; et même une contribution substantielle au développement
de l'agriculture, au progrès de la santé, de l'éducation,
etc.
Ces perspectives opposées dérivent,
elles-mêmes, de deux écoles des pensée de
l'édification de l'Afrique moderne, dans le but de l'ériger au
statut d'une grande puissance économique, politique autonome qui
compterait dans le monde contemporain, de telle sorte que l'idée de la
« panafricanité » ne reste pas un vain mot et que
l'idéologie politique du « panafricanisme » puisse se
réaliser concrètement226. La « renaissance
africaine » initiée par Thabo MBEKI, Abdoulaye WADE, Olesegun
OBASANJO, voire Mouammar KADHAFI (ce dernier visait même à
créer rapidement « les États-Unis d'Afrique »),
s'inspire, dans les grandes lignes, des Pères fondateurs du
Panafricanisme, comme Sylvester WILLIAM, Burghart DUBOIS et Marcus GARVEY
à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale ; et, plus tard, dans les
années
224 Préface de l'ouvrage de Patrice MOUNDOUNGA MOUITY,
Le NEPAD, Histoire, défis et bilan 10 ans après,
Paris, l'Harmattan, 2013.
225 Ibid.
226 Ibid.
85
1960, tels que Hailé SELASSIE, Jomo KENYATTA,
Kwamé NKRUMAH, Nelson MANDELA.
II- L'adoption du NEPAD comme une attitude altruiste des
chefs d'État africain
Le NEPAD est issu de trois initiatives parallèles.
Pendant que l'ancien Président Sud Africain Thabo MBEKI conduisait le
Partenariat du Millénium pour le Programme de Redressement de l'Afrique
ou Millenium Partnership for African Recovery Program (MAP),
révélé au Forum Economique Mondial de Davos en Janvier
2001, le chef de l'État sénégalais Abdoulaye Wade
proposait le plan Omega, présenté au Sommet de la Francophonie au
Cameroun, en Janvier 2001. Le plan de MBEKI était axé sur la
gouvernance politique et économique au niveau continental et au besoin
de redéfinir les relations entre l'Afrique et les partenaires au
développement pendant que son homologue WADE insistait sur
l'augmentation de l'aide au développement, les infrastructures,
l'agriculture, la santé et l'éducation. La fusion des plans MAP
et Omega a donné naissance à la Nouvelle Initiative Africaine
(NIA), devenue, le 23 octobre 2001, le NEPAD. La fusion de ces deux initiatives
en un plan unique donna naissance à « la Nouvelle Initiative
Africaine » (NIA), qui sera plus tard baptisée « Nouveau
Partenariat pour le Développement de l'Afrique » (NEPAD),
traduction de l'appellation anglaise New Partnership for African
Developpment.
Bien que similaires, ces initiatives comportaient aussi des
différences reflétant les priorités régionales et
autres de leurs concepteurs, il fallait des compromis pour fusionner ces trois
propositions en une seule initiative227. Le NEPAD traduit donc ces
compromis dynamiques qui ont permis d'aboutir à une seule
initiative228. Le Sommet des Chefs d'État de Lusaka adopta la
Nouvelle Initiative Africaine et élargit la direction politique à
dix autres Chefs d'État, à raison de deux par
région229. Les pays fondateurs du NEPAD sont l'Afrique du
Sud, l'Algérie, l'Egypte le Nigéria et le Sénégal.
Ces derniers présentent ce partenariat international au
développement comme une « promesse faite par des dirigeants
africains, fondée sur une vision commune ainsi qu'une conviction ferme
et partagée [qui vise à] éradiquer la pauvreté,
placer leurs pays,
227 Ibid.
228 Moustapha KASSE, « Le NEPAD dévoyé ou
l'éclipse d'une grande espérance », disponible en ligne sur
www.mkassé.com.
229 UA, Nouveau Partenariat Pour le Développement de
l'Afrique (NEPAD), octobre 2001, p. 62.
86
individuellement et collectivement, sur la voie d'une
croissance et d'un développement durable tout en participant activement
à l'économie et à la vie politique
mondiale230 ». Pour parvenir à la
réalisation de ces objectifs à l'horizon 2015, le NEPAD propose
une stratégie «inédite» dans trois grands domaines :
l'économie, le social et la politique à travers plusieurs
initiatives visant toutes une bonne gouvernance. Pour distinguer ce programme
des anciennes initiatives, une espèce d'agence de surveillance
inspirée du modèle du mécanisme de contrôle de
l'organisation de coopération et de développement/Comité
d'aide au développement (OCDE/CAD) : le mécanisme africain
d'évaluation par les pairs (MAEP) ou African Peer Review Mechanism
(APRM)231. Ce mécanisme est présenté comme
une alternative à la mauvaise gouvernance et comme une réponse
à la démocratie « bloquée » : un moyen concret
d'exploser les bases de la légitimité gouvernante après
l'insuccès des plans précédents mis en oeuvre
successivement depuis les indépendances autour des approches
développementalistes et dépendantistes des années
1960-1970 et des programmes d'ajustement structurel (PAS) dans les
années 1980.
Avec l'avènement du NEPAD, les États africains
tentent de promouvoir une nouvelle philosophie de Renaissance africaine
et une nouvelle idéologie développementaliste, en mettant en
perspective un nouveau cadre pour le Développement de l'Afrique comme :
garantie d'intégration à la mondialisation ; stratégie et
méthodologie novatrices en matière de financement du
développement ; et mécanisme privilégié de
renforcement de l'intégration régionale. L'Afrique avait pris
conscience de plusieurs enjeux à relever. Le premier défi, c'est
la sécurité. Sans cela il n'y a pas d'État ni de bases
pour construire un État fort et réellement gouverné.
Ensuite, la démocratisation de l'Afrique est un enjeu important,
puisqu'à la suite de la période de décolonisation, entre
1960 et 1990, les pays africains ont fait face à des régimes
autoritaires dévastateurs. C'est ainsi que finalement, la question du
développement est devenue aussi primordiale.
Les Africains ont compris qu'ils devaient aller vers des
processus d'intégration. Malgré que plusieurs projets n'aient pas
réussi dans le passé, il faut poursuivre l'initiative. En effet,
la
230Ibid. p.1.
231 Document de base du Mécanisme Africain
d'Évaluation Entre Pairs (MAEP) adopté lors du
6ème sommet de la comite des Chefs d' État et de
Gouvernement chargé de la mise en oeuvre du NEPAD, Abuja, Nigéria
9 mars 2003.
87
mise en place en 2001 du NEPAD a marqué un tournant
décisif dans l'intégration africaine. En dépit de son
caractère d'abord essentiellement économique, cette
avancée a envoyé un signal politique très fort aux
citoyens africains et au reste du monde : l'Afrique est capable de prendre des
décisions de grande envergure visant à jeter les bases d'un
avenir commun et prospère pour un continent qui a trop souvent souffert
de la corruption des processus, des conflits, des guerres civiles et de
l'instabilité économique et politique. Le compromis autour de
cette initiative est une véritable manifestation de
l'intérêt national altruiste en Afrique ; car les Chefs
d'État qui ont pensé cette initiative recherchaient
l'intérêt national de leur État mais aussi celui de tous
les États africains. C'est pourquoi le compromis autour du NEPAD a connu
un succès aussi remarquable que l'institution des programmes de
coopération technique au sein de l'Union Africaine.
PARAGRAPHE II : L'institution des programmes de
coopération technique comme une manifestation de l'intérêt
national altruiste
L'idée de « programme de coopération
technique » en Afrique trouve sa source dans la convention
interafricaine portant établissement d'un programme de
coopération technique signée à Kampala en Ouganda le
1er août 1975 sous l'égide de l'OUA. Cette convention
part de l'idée fondamentale selon laquelle, « la
coopération des pays africains dans l'utilisation de leurs ressources
humaines est essentielle et contribuera à l'instauration d'une
solidarité plus étroite et au développement
économique de leurs peuples232 ». Cette convention
a entre autres pour objectif de « permettre aux pays africains qui
possèdent suffisamment de cadres qualifiés d'en mettre à
la disposition de ceux des pays africains qui en ont besoin233
». Elle est essentiellement limitée aux ressources humaines.
L'Union Africaine reprenant l'esprit et une partie de la
lettre de cette convention en l'élargissant et en mettant sur pied des
programmes de coopération technique, sortes d'appuis ponctuels qu'elle
apporte aux États pour résoudre des problèmes transversaux
que connaissent les pays africains dans divers domaines234. La
contribution des États à ces programmes de coopération
technique est une manifestation de l'intérêt national altruiste
dans la mesure où ces
232 Préambule de la convention interafricaine portant
établissement d'un programme de coopération technique, 1er
aout 1975, Kampala, Ouganda.
233 Ibid.
234 Guy MVELLE, Op. Cit. p. 48.
88
programmes appellent aux partages de compétences entre
les États dans plusieurs domaines. Au nombre de ces programmes, nous
citons le Programme Frontière de l'Union Africaine235, le
Conseil Phytosanitaire Interafricain236 et le Programme
Détaillé pour le Développement de l'Agriculture
africaine237. De ces programmes, le Programme Frontière de
l'UA connait un début de réalisation. C'est ainsi qu'en janvier
2010 la démarcation des 413 kilomètres de frontière qui
sépare le Mali et le Burkina Faso a été achevée
avec la pose de la 1072e borne symbolique238. Dans la
même lancée, les Comores, le Mozambique et la Tanzanie ont
procédé le 5 décembre 2011 à la signature de quatre
accords sur la délimitation de leurs frontières maritimes
communes; première délimitation des frontières maritimes
dans le cadre du PFUA239. Ces Quatre accords sont : l'accord sur la
délimitation de la frontière maritime entre la République
du Mozambique et l'Union des Comores; l'accord sur la délimitation de la
frontière maritime entre la République Unie de Tanzanie et la
République du Mozambique (qui abroge l'accord conclu le 28
décembre 1988 entre ces deux États) et enfin l'accord entre
l'Union des Comores, la République du Mozambique et la République
Unie de Tanzanie sur le point triple de l'océan Indien240.
Le début de réalisation de ce programme est non
seulement au service des intérêts des États membres mais
aussi contribue à la consolidation du processus d'intégration
régionale en Afrique. Car il laisse entrevoir une manifestation de la
volonté des États de mettre en application les programmes de
coopération technique de l'UA. L'institution des programmes de
coopération technique est une manifestation concrète de
l'intérêt national altruiste dans la mesure où elle connait
l'assentiment des États comme le montrent les programmes cités
ci-haut. Les programmes de coopération technique constituent pour le
processus d'intégration régionale en Afrique des construits
d'intérêt national altruiste.
235 Ce programme fait l'objet d'une déclaration
adoptée par la Conférence des ministres africains chargés
des questions de frontières à Addis-Abeba le 07 juin 2007 a pour
objectif la prévention structurelle des conflits et la promotion de
l'intégration régionale et continentale.
236 Le conseil Phytosanitaire interafricain est une
organisation régionale de protection des végétaux, qui met
à la disposition des pays membres de l'UA des informations sur la
protection des produits végétaux et veille sur la situation
phytosanitaire de l'Afrique.
237 Ce programme a été conçu pour faire face
aux défis majeurs posés à l'agriculture en Afrique.
238 Guy MVELLE, Op. Cit. p.49.
239 Ibid. p. 50.
240 Ibid.
89
SECTION II : L'IMPACT DE L'INTÉRET NATIONAL
ALTRUISTE SUR L'INTÉGRATION AFRICAINE : ÉTUDE DE CAS
La recherche de l'intérêt national sur la
scène régionale peut être catalyseur du processus
d'intégration régionale. Les exemples de l'adhésion de la
Guinée Équatoriale et de l'Afrique du Sud respectivement à
l'UDEAC (PARAGRAPHE I) et à la SADC (PARAGRAPHE II) nous permettent de
mieux comprendre comment un État à la recherche de son
intérêt national peut booster le processus d'intégration
régionale.
PARAGRAPHE I : L'adhésion de la Guinée
Équatoriale à l'UDEAC/ CEMAC : de la recherche de
l'intérêt national à la consolidation de
l'intégration régionale en Afrique centrale
La Guinée Équatoriale fut pendant longtemps
isolée en Afrique Centrale par ses voisins. Dans l'optique de sortir de
l'autarcie dans sa sous-région et de valoriser son intérêt
national, elle a adhéré à l'UDEAC en 1983 (I). La
Guinée Équatoriale à la recherche de son
intérêt national a subsidiairement permis la revalorisation et
l'évolution de l'UDEAC/ CEMAC (II)
I- La recherche de l'intérêt national
comme facteur d'adhésion de la Guinée Équatoriale à
L'UDEAC
L'adhésion de la guinée Équatoriale
à l'UDEAC a été favorisée par un certain nombre de
facteurs liés à la pauvreté de cet État et à
son isolement géographique et linguistique. Ces mobiles combinés
l'ont amené à obtenir des gains de son adhésion à
l'organisme sous-régional
1- Les mobiles de l'adhésion de la Guinée
Équatoriale à l'UDEAC
Depuis la période précoloniale, plusieurs
facteurs amènent les peuples de la Guinée Équatoriale
à coopérer avec ceux du Cameroun et du Gabon241. Mais
avec la prise de pouvoir par
241 Il s'agit des affinités ethniques, du désir
de regroupement des populations des trois pays, des différentes
migrations transfrontalières pendant la période coloniale. Cf.
chapitre 2 Charly Delmas NGUEFACK TSAFACK, La Guinée
Équatoriale et ses voisins francophones de 1960 à 1983 : des
relations conflictuelles à la coopération, Mémoire de
Master en Histoire des relations internationales, Université de Dschang,
Dschang, 2011.
90
Obiang NGUEMA MBASOGO, l'idée de coopération
entre les trois États fut accélérée par la
pauvreté du petit État et l'isolement de ce dernier par ses
voisins.
a) La Guinée Équatoriale, pays pauvre de la
sous-région dans les années 70 et 80
La pauvreté de la Guinée Équatoriale
à la fin des années 70 et au début des années 80
est l'un des facteurs, voire le principal, qui l'oblige à
négocier son entrée dans l'UDEAC. Il s'agissait pour le
régime d'Obiang NGUEMA d'échapper à l'isolement et aux
difficultés économiques en cherchant la survie dans
l'intégration sous-régionale242. Les
difficultés économiques de la Guinée Équatoriale
pendant les années 70 sont dues en grande partie à la rupture des
relations avec l'ex-métropole et l'isolement du petit État par
ses voisins francophones.
La dictature nguémiste avait provoqué le
départ des investisseurs espagnols et internationaux, le rapatriement de
la main d'oeuvre nigériane et l'exil des intellectuels. La baisse de la
production due au départ des nigérians et à l'abandon des
plantations coloniales espagnoles favorisa à partir de 1977 le recul des
échanges commerciaux avec les voisins et l'Espagne. L'Espagne avait
aussi négligé le marché équato-guinéen
à cause de son adhésion à la CEE (actuellement Union
Européenne). La Guinée Équatoriale vivait désormais
dans une dépendance financière de l'Espagne.
Le 12 mai 1969, des accords de paiement et de documentation
furent signés entre l'Espagne et la Guinée Équatoriale.
Ces accords garantissaient la convertibilité de la Peseta
équato-guinéenne sur une parité fixe avec la peseta
espagnole. Ils stipulaient qu'en contrepartie, la Guinée
Équatoriale devait vendre à l'Espagne au moins 50% de son cacao,
6 000 tonnes de café et 215 000 tonnes de bois. Avec ces accords, la
balance commerciale équato-guinéenne restait
déséquilibrée en faveur de l'Espagne243. Sur le
plan financier, la Guinée Équatoriale souffre de
l'inconvertibilité de l'Ekwélé et de
l'élévation des taxes douanières par les voisins
242 Jean KOUFAN, Casimir TCHUDJING, « Un exemple de
blocage du processus d'intégration en Afrique Centrale : la persistance
des facteurs conflictuelles entre la Guinée Équatoriale et ses
voisins francophones depuis 1979 » in Daniel ABWA ., Jean Marie ESSOMBA,
Martin NJEUMA. Charles de la RONCIERE (dir.), Dynamiques
d'intégration régionale en Afrique Centrale, actes du
colloque de Yaoundé, 26-28 Avril 2000 Tl, Yaoundé, PUY, 2001,
p.327.
243 Paul Gérard NSAH-VOUNDY, Le petit État
dans les Relations internationales : la Guinée Équatoriale et ses
voisins, Thèse de doctorat du 3e cycle en Relations
Internationales, IRIC, Yaoundé, 1990, pp. 136 ; 137.
91
francophones. A partir de 1973, la Guinée
Équatoriale exige à l'Espagne le paiement de ses exportations en
Dollars et crée sa propre monnaie en 1975,
l'Ekwélé, abandonnant la parité avec la
peseta espagnole. Mais cette monnaie n'était pas convertible.
Les crises économiques et monétaires
équato-guinéennes obligèrent le pays à se
rapprocher de ses voisins francophones dès le début des
années 80.
b) L'isolement géographique et linguistique de la
Guinée Équatoriale
Avant 1982, la Guinée Équatoriale était
isolée géographiquement et linguistiquement dans la
sous-région Afrique Centrale. Cet isolement ne lui permettait pas de
décoller économiquement ; ses relations étant tendues avec
l'Espagne. Or, avec l'avancée du monde, aucun pays ne peut s'en sortir
s'il vit en autarcie. Les deux voisins francophones jadis ennemis de
l'État hispanophone étaient les premiers qui pouvaient l'aider
à sortir de son isolement géographique. La Guinée
Équatoriale constitue « une enclave244 » en Afrique
Centrale et dans les relations internationales contemporaines, les États
voisins forment régulièrement des communautés
économiques pour assurer leur prospérité. Étant
donc limitrophe du Cameroun et du Gabon, son adhésion à l'UDEAC
était une occasion à saisir. L'une des raisons qui aurait
amené la Guinée Équatoriale à adhérer
à l'UDEAC est l'emprise du voisinage245. Dans un ouvrage
publié en 1985, Obiang NGUEMA reconnaît que « compte tenu
de notre situation géographique qui nous impose un voisinage commun,
nous avons décidé de développer la coopération et
les échanges avec les États de la sous-région, en
dépit des obstacles artificiels ou factices, conscients qu'un
déséquilibre dans la sous-région nous
affecterait246 ». L'autre raison pour laquelle la
Guinée Équatoriale adhère à l'UDEAC est la peur
d'annexion de son territoire par ses deux voisins francophones. Comme le note
NSAH-VOUNDY, « pour échapper à l'annexion, un petit
État peut adhérer à des instituions d'intégration
fonctionnelle car l'appartenance à des instituions communes
atténue les conditions d'antagonisme dans une sous-région ; les
États étant liés par les règles de
coopération en vigueur dans les institutions247
».
244 Ici le terme enclave est utilisé dans un sens
figuré. Il signifie que la Guinée Équatoriale était
isolée entre le Cameroun et le Gabon.
245 Charly Delmas NGUEFACK TSAFACK, La Guinée
Équatoriale et ses voisins francophones..., Op. Cit., p.100.
246 Theodoro Obiang NGUÉMA MBASOGO, Guinea
ecuatorial : un pais joven, Malabo, Ediciones Guinea, 1985, p.321.
247 Paul Gérard NSAH-VOUNDY, Le petit État dans
les relations internationales..., op. cit., p.291.
92
La Guinée Équatoriale était aussi
isolée sur le plan linguistique en Afrique Centrale. Elle est le seul
pays hispanophone de la sous-région. Sa langue et sa culture ne lui
permettent pas de collaborer franchement avec ses voisins francophones. C'est
l'une des raisons pour lesquelles le pays s'est battu pour adhérer
à l'UDEAC et adopter le français comme deuxième langue
officielle. En poursuivant son intérêt national, la Guinée
Équatoriale négocia son intégration à l'UDEAC
qu'elle intègre en 1982 afin d'y adhérer définitivement en
1983.
2- Les gains de la Guinée Équatoriale pour
son adhésion à l'UDEAC
L'adhésion de la Guinée Équatoriale
à l'UDEAC a eu des incidences politiques et économiques. Le pays
jadis excentré, isolé de son environnement immédiat par la
langue officielle, la monnaie, le régime politique, les alliances
extérieures, tire des avantages de son entrée à l'UDEAC.
La Guinée Équatoriale, soucieuse de maîtriser cet
environnement, qui à la veille de son indépendance lui paraissait
hostile créa par son entrée dans l'UDEAC des conditions de
coopération dans la sous-région. Elle mit fin à son
isolement politico-culturel, et traduisit par son adhésion à
l'institution, une rupture avec la politique isolationniste de Macías
NGUEMA. NKOU Anatole, en envisageant en 1976 l'entrée de la
Guinée équatoriale à l'UDEAC affirme que l'adhésion
à l'institution permettait « d'écarter le spectre de
l'isolationnisme qui plane sur lui ; pris comme il l'aurait été
entre deux blocs d'inégales puissances, il est vrai le Nigeria d'un
côté et les pays francophones de l'autre248
».
L'adhésion à l'UDEAC a conféré une
visibilité politique à la Guinée Équatoriale. Elle
lui a permis d'échapper à l' « insignification » car on
pourrait appliquer spécialement à ce pays les
caractéristiques dégagées par Georges NGANGO sur les
États de la région : « non viabilité
économique des espaces, potentialités limitées en
ressources humaines ; pouvoir de négociation limité entre
l'État et les conglomérats étrangers opérant dans
plusieurs nations prises dans leur globalité (...) Le salut
réside, pour échapper à l'isolement et à
l'exploitation, dans l'intégration249 ».
248 Anatole Marie Fabien NKOU, Le Cameroun et ses
voisins, Thèse de doctorat troisième cycle en Relations
internationales, IRIC, Yaoundé, juin 1996, p.118.
249 Georges NGAONGO, « Notes de cours de planification et
de stratégie du développement » cité par CHUNGONG
AYAFOR, The political dimension of regional economic integration in Africa
: the UDEAC case, Thèse de doctorat troisième cycle en
Relations internationales, IRIC, Yaoundé, 1976, p.22.
93
II- L'adhésion de la Guinée
Équatoriale à l'UDEAC/CEMAC et les implications
subséquentes sur l'intégration régionale en Afrique
Centrale
La Guinée Équatoriale en poursuivant son
intérêt national sur la scène régionale a permis la
consolidation et le renforcement du processus d'intégration
régionale. Ce qui a permis à d'autres États
d'accéder à des postes qui auparavant ne leur revenaient pas.
Devenue membre de l'UDEAC, la Guinée Équatoriale était
dépourvue des postes de responsabilité dans la
sous-région. Avec la découverte du pétrole sur son
territoire, elle s'est développée d'une manière
exponentielle et a commencé à revendiquer des postes de
responsabilité au sein des institutions, organes et institutions
spécialisées de la CEMAC. Cette quête de leadership l'a
amenée à revendiquer et obtenir la fin du Consensus de Fort-Lamy.
La fin de ce consensus a permis aux autres États de la CEMAC
d'accéder aux postes de responsabilité.
1) Le Consensus de Fort-Lamy remis en cause par la
Guinée Équatoriale
Adopté en 1975, le consensus de Fort-Lamy (de
l'ancienne appellation de la capitale du Tchad, N'Djamena) est un accord
conventionnel non écrit de l'ordre de la coutume, rompu lors du sommet
de Bangui en 2010. Par cette entente tacite, la répartition des postes
au sein des institutions communautaires disposait que le Cameroun, abritant le
siège de l'institut d'émission monétaire communautaire, ne
pouvait pas aspirer à la direction de la BEAC, laquelle revenait
à un gabonais pour un mandat de sept ans renouvelable. Un ressortissant
congolais devait présider aux destinées de la Banque de
développement des États de l'Afrique centrale (BDEAC) qui vit le
jour cette même année. Le secrétariat exécutif de la
CEMAC (devenu la Commission en 2007) revenait à un camerounais, tandis
que le siège se trouverait à Bangui en RCA. Le poste de
secrétaire général de la BEAC était occupé
par un ressortissant tchadien.
Le consensus de Fort-Lamy rappelle les accords de Bretton
Woods à la suite desquels, selon une règle non écrite,
c'est un Américain qui préside toujours aux destinées de
la Banque mondiale, tandis que le FMI est dirigé par un Européen.
Il rappelle également celui qui prévaut aux Nations Unies et qui
fait que le secrétariat général est dirigé par un
État non membre permanent du Conseil de Sécurité. Lors du
sommet de janvier 2010 en République centrafricaine, les Chefs
d'État des pays membres de la CEMAC ont remis en cause le consensus de
Fort-Lamy. Ce changement du rapport de force est le fruit de l'activité
de la Guinée
94
Équatoriale qui, du fait de son enrichissement, a
travaillé à imprimer sa marque et ses préférences
au sein de la CEMAC250. Ici, on est en présence du postulat
gilpinien de l'enrichissement qui induit le changement
d'hégémonie dans un système donné251.
Les acteurs, pense GILPIN, ont tendance à
considérer que leurs intérêts seront mieux servis par un
nouveau type d'arrangement institutionnel. Car les institutions
reflètent en général les intérêts de l'acteur
le plus puissant d'un système. C'est ce qui explique que les changements
d'ordre économique, technologique... affectent le comportement des
États au sein de certains systèmes internationaux. Nous pouvons
penser que, sur la foi de cette conviction, la Guinée
équatoriale, ayant acquis une puissance économique relative du
fait de ses hydrocarbures, aura eu le souci de modifier un ordre qui lui
était défavorable depuis ses origines. Et ipso facto,
elle a travaillé à instaurer un arrangement institutionnel allant
dans le sens de la préservation de ses intérêts, mais aussi
ceux de la communauté. Ainsi, ce qui se joue au sein de la CEMAC depuis
2006 est la traduction des changements induits par le fait des avancées
économiques de la Guinée Équatoriale. On assiste alors
à un « changement systémique252 »,
c'est-à-dire à une redistribution des rôles au sein du
système CEMAC, causée par l'influence d'un État qui
connaît un certain succès dans la redéfinition de la
configuration du pouvoir dans l'institution communautaire. Aussi la description
de la situation, en obéissant au souci de répondre à
l'interrogation relative au pourquoi de la condescendance et de l'activisme
observés dans le comportement de la Guinée Équatoriale,
permet-elle de lire son enrichissement important comme le déclencheur
fondamental des réformes institutionnelles et l'élément
explicatif de la posture et des positions adoptées par cet État
à certains moments de l'histoire communautaire.
2) La poursuite de l'intérêt national de
la Guinée Équatoriale comme facteur d'assainissement de la
CEMAC
Loin de penser que la mise en oeuvre du programme de
réformes institutionnelles de la CEMAC en 2006 est un prétexte,
nous pouvons considérer à l'observation que la Guinée
Équatoriale, à partir de cette année et à la faveur
de ce programme, s'est illustrée par une « prise
250 Paul Elvic BATCHOM, « La rupture du consensus de
Fort-Lamy et le changement du rapport de force dans l'espace CEMAC »,
Études internationales, volume XLIII, no 2, juin 2012,
pp.147-167.
251 Robert GILPIN, War and Change World Politics,
Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p.41.
252 Robert GILPIN, War and Change World Politics,
Cambridge, Cambridge University Press, 1981, pp.42-43.
253 Kathryn SIKKINK et Martha FINNEMORE, 1998, «
International Norms Dynamics and Political Change », International
Organization, vol. 52, n° 4 : 887-917.
95
de parole » au sens de Michel de CERTEAU.
C'est-à-dire une somme de positions et de postures qui, par rapport
à des questions fondamentales de la sous-région, frise une «
rupture instauratrice » ; une attitude qui, en rompant avec
l'orthodoxie CEMAC, signifie en même temps l'avènement d'une
période nouvelle où la Guinée Équatoriale entend
affirmer son droit au chapitre. Son engagement multiforme à faire de la
sous-région une communauté qui fonctionne s'est traduit par la
commission d'un audit institutionnel des institutions communautaires. Ainsi, en
février 2006, la Guinée équatoriale s'est attaché
les services du cabinet international d'audit Performances Management
Consulting auquel elle aurait versé 2 milliards FCFA d'après un
cadre de l'administration camerounaise fortement impliqué dans le
processus d'intégration régionale ; même si les
autorités guinéennes affirment n'avoir versé que 700
millions FCFA à ce cabinet. Quelle que soit la raison qui nourrit cette
bataille de chiffres, le fait est que, sans concertation avec les autres
États membres et sans leur demander une contribution pour cet audit, la
Guinée a pris l'initiative de le commanditer dans le but de faire
reposer son programme de réformes de la CEMAC sur un diagnostic concret
et crédible.
Le diagnostic qui a conduit à la mise sur pied du
programme de réformes institutionnelles en zone CEMAC
révèle trois domaines majeurs de dysfonctionnement : la
gouvernance au sein des institutions communautaires, une intégration
effective des populations qui passerait notamment par la libre circulation des
biens et des personnes. Et le passeport CEMAC est de ce point de vue une
solution au problème. Enfin, le décollage de la compagnie
communautaire Air CEMAC constitue le troisième aspect. Comme le disent
SIKKINK et FINNEMORE253, tout entrepreneur de norme a besoin d'une
plateforme, c'est-à-dire, d'une instance institutionnelle où l'on
débat légitimement d'une norme. Si nous considérons le
programme de réformes comme la plateforme où la Guinée
Équatoriale fait montre d'entreprise de normes, il convient de
considérer plus abondamment la posture de cet État qui, en
prenant cette initiative, s'affirme comme un acteur sous-régional avec
qui il faut désormais compter, c'est-à-dire, qui sort du silence
longtemps imposé par son statut de « petit pays ».
Ainsi, la gouvernance des institutions CEMAC est devenue l'un
des piliers de la bataille au point que, dès la mise sur pied du
comité de pilotage des réformes institutionnelles, la
Guinée
96
en a pris le contrôle. Par un effet de coalition avec
certains États faibles de la communauté, tels que le Tchad et la
RCA, le président Obiang NGUEMA est devenu le président
dédié au programme de réformes institutionnelles de la
CEMAC. Grâce à ce statut qui autorise à la condescendance,
sa position va gagner en autorité sur certains dossiers, tels que la
circulation des biens et des personnes, le passeport et la compagnie
aérienne communautaire « Air CEMAC », la gouvernance des
institutions, etc. Les prises de position véhémentes et la
pression de la Guinée Équatoriale dans le cadre du pilotage du
comité de réformes institutionnelles vont provoquer une prise de
conscience des problèmes de la CEMAC et montrer sous un jour nouveau les
différents scandales, notamment au bureau extérieur de
Paris254. Cependant, dès avril 2007, le comité de
pilotage publie son premier rapport dans lequel, de façon explicite, le
comité recommande le remplacement du secrétariat exécutif
par une commission, la création de trois directions
générales de la BEAC et de douze directions techniques. À
l'occasion du sommet tenu à N'Djamena, le comité, sous la
houlette de la Guinée équatoriale qui pilote le comité de
réformes de la CEMAC obtient que M. Jean-Félix MAMALEPOT soit
relevé de ses fonctions de gouverneur et remplacé à titre
intérimaire par M. Roger Rigobert ANDELY, de nationalité
congolaise. La Guinée Equatoriale a donc ainsi tapé le pied dans
la fourmilière en proposant la fin du consensus de Fort-Lamy. En effet,
chose inimaginable jusque-là, le président Obiang NGUÉMA
envisageait que la rotation par ordre alphabétique soit imposée
à la tête des institutions communautaires, notamment à la
Commission de la CEMAC pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois et
à la BEAC pour sept ans non renouvelables. Dans une sous-région
dont le Gabon et le Cameroun ont été pendant longtemps les
maillons forts, le premier étant un État pétrolier
important et le second étant considéré comme la locomotive
économique, le ton et la position de la Guinée équatoriale
sur ces sujets et consensus gardés silencieux sont un signe
d'irrévérence par rapport aux autres États255.
Cette analyse nous montre que la recherche de l'intérêt national
de la Guinée Équatoriale a permis à la CEMAC de
connaître des évolutions inattendues et inespérées.
Cela est un exemple de la recherche de l'intérêt national
altruiste, car la Guinée Équatoriale en recherchant son
intérêt national a impulsé le processus
d'intégration
254 Entre 2004 et 2008, il y a eu des détournements
massifs de fonds au bureau extérieur de la BEAC à Paris, avec la
complicité manifeste de certains hauts cadres des services de
Yaoundé. L'interpellation d'Armand Brice NDZAMBA, ex-comptable au BEP,
et de certains membres de sa famille en octobre 2009 a permis de
découvrir la gravité d'une affaire qui va révéler
au public le détournement de plus de 16,5 milliards de francs CFA.
255 Paul Elvic BATCHOM, « La rupture du consensus de
Fort-Lamy..., op.cit, p.158.
97
régionale en zone CEMAC. Cette quête de
leadership a aussi profité aux autres États membres de la CEMAC
qui n'avaient pas voix au chapitre en ce qui concerne certains postes de
responsabilité.
PARAGRAPHE II : L'Afrique du Sud dans la SADC : une
adhésion motivée par l'intérêt national et un
facteur d'impulsion de l'intégration régionale
Depuis la fin du régime de l'Apartheid et
l'arrivée au pouvoir de l'ANC en République d'Afrique du Sud en
1994, le continent africain connaît une transition de puissance.
L'Afrique du Sud joue aujourd'hui un rôle majeur et souvent grandissant
dans de nombreux domaines. Alors que la démocratisation du pays et ses
difficultés internes (pauvreté, criminalité, persistance
de la discrimination raciale, conséquences économiques de la
crise asiatique) ont retenu l'attention des observateurs, la diffusion de sa
puissance, ses actions extérieures et leur impact sur
l'intégration régionale ont été plus
négligées. La présence et l'implication de l'Afrique du
Sud ont pourtant modifié la distribution de la puissance et
transformé les logiques de l'intégration régionale en
Afrique australe et au-delà. L'impact de l'Afrique du Sud sur
l'intégration ne date naturellement pas de l'élection de Nelson
MANDELA à la présidence. La Southern Africa Customs Union (SACU),
constituée en 1910 était avec la zone franc un des rares
régimes d'intégration sectorielle exerçant une
réelle influence en Afrique australe. Mais depuis 1994, le mouvement
s'est accéléré et a pris en réalité une
toute autre ampleur256. L'Afrique du Sud dans la recherche de ses
intérêts (A) a favorisé le développement de
l'intégration régionale en Afrique australe (B).
256 Les banques sud-africaines dominent largement le continent
les fournisseurs de biens de grande consommation en Afrique sont souvent
sud-africains un des cinq plus importants brasseurs au monde par exemple est la
SouthAfrican Breweries Ltd La Southern African Development Co-ordination
Conference SADCC) transformée en août 1992 en Southern African
Development Community SADC) pour objectif de consolider et de préserver
une communauté de paix et de sécurité dans la
région tout en favorisant la coopération sectorielle et
intégration régionale comme illustre le corridor de Maputo La
volonté des dirigeants sud-africains de diversifier économie
régionale et instituer une zone de libre-échange horizon 2004
concerne directement des enjeux couramment considérés comme
transnationaux tels les transports les communications et la
météorologie.
98
I- La volonté de puissance comme motif de
l'adhésion de l'Afrique du Sud à la SADC
La puissance militaire constitue un des aspects importants de
l'intégration régionale sur le plan institutionnel (organe de la
SADC chargé de la politique de la défense et de la
sécurité) sur celui des armements conventionnels (ventes et
achats d'armes) ainsi que pour ce qui concerne la dimension nucléaire
(même si l'Afrique du Sud a officiellement décidé de
démanteler son programme). Ce régionalisme n'est pas à
proprement parler transétatique mais profondément
influencé par la République d'Afrique du Sud. L'emprise du
régionalisme sous différentes formes est liée aux
ressources de l'État sud-africain. La restructuration et la
recomposition régionales proviennent de la puissance exercée par
un État. De plus une stratégie régionale est
officiellement légitimée par les dirigeants du pays notamment par
le président Thabo MBEKI (dont Nelson MANDELA s'était dit en ce
domaine le disciple). Celui-ci a développé la notion de
renaissance africaine qui fournit une idéologie assez lâche mais
efficace permettant d'articuler différentes dimensions du panafricanisme
tel qu'il est conçu par les dirigeants sud-africains. Le thème de
la renaissance africaine identifie et légitime différentes formes
transnationales de la puissance par exemple le rôle des intellectuels et
de la culture. Ce travail de légitimation est à examiner dans le
contexte particulier d'une tradition de culpabilisation de l'Afrique du Sud
assimilée par les États de la région à l'oppression
interne et à l'agression externe. Dès lors les dirigeants
sud-africains, s'ils tiennent compte des déséquilibres de la
puissance hésitent à mobiliser explicitement un répertoire
de légitimité fondé sur la puissance257.
De plus cette intégration régionale est
liée au système international dans son ensemble et aux aspects
régionaux de la politique extérieure des États-Unis.
L'Afrique du Sud apparaît comme un « État-pivot258
». Les relations entre l'Afrique du Sud et l'Union Européenne
permettent de poser la question des relations entre blocs régionaux.
À la fin du XIXe siècle, le banquier Cecil RHODES
(1853-1902), exploitant les mines de diamant du Transvaal rêvait une
Afrique unie sous la domination britannique du Cap au Caire. Ce n'est pas le
moindre paradoxe de la situation actuelle que son rêve semble devenir
réalité sous impulsion de la République
257 Pascal VENNESSON, Luc SINDJOUN, « Unipolarité
et intégration régionale : l'Afrique du Sud et la
«renaissance africaine », Revue française de science
politique, 50e année, n°6, 2000. pp. 915-940.
258 Robert CHASE, Emily HILL and Paul KENNEDY (eds), The
Pivotal States. A New Framework for U.S Policy in the Developing World,
New York, Norton, 1999, pp.1-11.
99
d'Afrique du Sud. Quoi il en soit, la relation entre puissance
et intégration régionale mérite un examen approfondi pour
comprendre quelques-unes des dynamiques essentielles des relations
internationales aujourd'hui.
Le choix par la République Sud-Africaine d'une
diplomatie internationale par le biais du multilatéralisme est
guidé par trois vecteurs. Le premier réside dans la
complexité croissante de l'interaction internationale sur toutes les
sphères de la vie humaine259 et le rôle des
organisations internationales dans la réconciliation et l'harmonisation
des intérêts divergents. Le second est son statut de puissance
moyenne qui aspire à l'instar des autres puissances moyennes, à
un environnement international stabilisé, puisque la
caractéristique d'une puissance moyenne ou émergente, encore plus
pour la République Sud-Africaine, est le rapport entretenu avec les
organisations internationales multilatérales. Aussi, l'exercice de
l'influence au niveau multilatéral apparaît comme le socle selon
Robert COX et Timothy SINCLAIR de la «responsabilité
» et de la « citoyenneté globale
»260. Le troisième vecteur est la volonté du
pays en vertu de ses ambitions internationales de jouer un rôle non
négligeable sur le plan continental et international. Cette perception
du rôle que peut jouer la République Sud-Africaine sur le plan
international a été mise en lumière par des hommes
politiques américains. Ainsi, l'ancien ambassadeur des États-Unis
en Afrique du Sud, Princeton LYMAN parle de « destinée
sud-africaine ». De même, les propos de Warren CHRISTOPHER,
ancien Secrétaire d'État américain sous la première
administration CLINTON, sont sans ambigüité : « Dans le
monde, je vois peu de pays avec un grand potentiel que la Nouvelle Afrique du
Sud pour aborder le 21ème siècle »261. La
prégnance des facteurs politiques et économiques qui ont
caractérisé le début des années 1990, de même
que l'intérêt national sud-africain, ont rendu nécessaire
une redéfinition des relations entre la République Sud-Africaine
et ses voisins. La traduction est la contribution sud-africaine à la
revitalisation politique, sociale et économique
régionale262.
259 La mondialisation, caractérisée par la
montée du terrorisme, l'écart économique entre le Nord et
le Sud, l'immigration en hausse dans les pays développés et les
guerres civiles, sont autant de facteurs qui militent en faveur d'une
restructuration de l'architecture globale.
260 Robert W. COX & Timothy J. SINCLAIR, (eds),
Approaches to World Order, Cambridge University Press Cambridge, 1996.
261 Warren CHRISTOPHER, «The US View of South Africa »,
International Update, 19, 1996.
262 Pierre-Paul DIKA ELOKAN, « La politique
étrangère de la nouvelle Afrique du Sud : les défis de la
conciliation entre intérêt national, intérêt
continental et mondialisation », Thèse de Doctorat en Droit public,
Université de Reims Champagne-Ardennes, 2007, p.299.
100
II- L'adhésion de l'Afrique du Sud à la
SADC : une contribution à la reconstruction de l'architecture
supranationale de l'organisation régionale
La zone australe du continent, espace économique
privilégié de la RSA, laissait le champ libre, en vertu des
ambitions internationales du pays, à un espace de coopération
politique par la voie d'une intégration poussée, à travers
notamment la participation de la RSA à la réactivation,
l'amélioration et la restructuration des institutions de la SADC.
L'entrée de la RSA dans la SADC a eu pour corolaire la recherche de
légitimation géopolitique, historique ou culturelle. De
même, cette institution régionale apparaissait, à la
différence de l'APEC (Asian Pacific Economic Co-operation) et de l'IOR
(Indian Ocean Rim) plus tard qui fonctionnent sur la base d'un
régionalisme « ouvert »263 comme le premier
ensemble régional et l'organisation la plus à même de
permettre l'intégration de la RSA dans une architecture
institutionnalisée.
L'adhésion à la SADC s'est faite dans la
lignée de la SACU (Union douanière d'Afrique australe et dont les
pays sont membres de la SADC)264 qui existe depuis 1910 avec pour
chef de file la RSA. La SADC est la seconde organisation régionale
à avoir été intégrée par le
pays265. Dans le cadre de la reconstruction de l'architecture
régionale, l'optique d'une meilleure efficacité d'action en
était le corollaire. A cette fin, la RSA s'est appuyée sur la
SADC, sur la base des critères politiques, pour institutionnaliser
l'Organe Politique de Défense et de Sécurité (OPDS).
263 Ces deux organisations ont la particularité
d'être interrégionales. L'IOR est une organisation de
coopération sectorielle dont la RSA est membre, avec notamment un fort
développement du commerce, et en ligne de mire une zone de libre
échange. En effet, en vertu du nombre (14) et à la taille (les
pays riverains de l'Océan indien, plus des pays candidats comme la
France, l'Iran, l'Égypte et le Japon), cette organisation (IOR) est
destinée à fonctionner à la carte, sur la base de projets
présentés lors de réunions ministérielles et de
forums internationaux. Ce qui témoigne d'une souplesse institutionnelle
puisque son fonctionnement et l'adhésion de nouveaux membres ne
répond pas à un critère géographique. Il s'agit de
créer un environnement propice aux investissements croisés, et
aux entreprises d'améliorer les moyens de communication et
l'échange régulier entre États.
264 La Southern African Custom Union est en effet une Union
douanière originale et l'une des plus anciennes au monde.
Composée des pays BNLS (Botswana, Namibie, Swaziland et Lesotho), toute
son organisation repose sur le parrainage de l'Afrique du Sud. Elle a pour
fondement, à l'instar de toutes les unions douanières, la libre
circulation des marchandises, un tarif extérieur commun et un produit de
recettes communes. Cet accord douanier est unique puisqu'il protège les
industries de production des pays membres les moins développés.
Il existe un mécanisme de compensation financière de l'Afrique du
Sud. De même, cette union a une monnaie commune qui est le rand
sud-africain. C'est la seule existant sur le continent africain avec le franc
CFA. C'est la Banque centrale sud-africaine, la South African Reserve Bank
qui centralise les devises et garantit la couverture des monnaies, bien
que depuis 1993, la Namibie ait sa propre monnaie, le dollar namibien.
265 Sommet de Gaborone, (Botswana) 29 août 1994.
101
1- La SADC, vecteur de la politique de coopération
de la RSA
Cette politique se combine aux objectifs de la SADC. Elle
implique en effet un haut degré de coopération économique,
une assistance mutuelle, ainsi qu'une planification cohérente, en ce qui
concerne les réalités socio-économiques, environnementales
et politiques266. Dès lors, à l'intérieur de la
région, la SADC sera et demeurera le premier vecteur de la politique et
l'action du pays pour parvenir à un développement
économique régional. La vision de l'État sud-africain se
combine avec celle de la SADC. En effet, l'objectif principal de la SADC, comme
son nom l'indique, est d'arriver à un développement et à
une croissance économique, à la réduction de la
pauvreté, à l'amélioration du niveau de vie des
populations de l'Afrique australe au soutien de ceux qui sont socialement
désavantagés par l'intégration régionale. C'est
pourquoi la réalisation de ces objectifs doit passer par une
intégration régionale poussée, et se fonder sur des
principes démocratiques, un développement équitable et
soutenu267. Aussi, les domaines de coopération adoptés
par les 14 États membres de la SADC, reflètent assez bien la
vision et les objectifs de la politique sud-africaine. Trois grands domaines
forment la charpente de la coopération interétatique de la
région. Le premier se focalise sur une profonde coopération
économique et l'intégration, sur la base d'un équilibre,
l'équité et le bénéfice mutuel, la promotion d'un
accroissement de l'investissement et du commerce, un libre mouvement de
facteurs de production à travers les frontières nationales.
Le second se focalise sur des valeurs économiques,
politiques, sociales communes, à travers l'accroissement des entreprises
et la concurrence, la démocratie et la bonne gouvernance, le respect de
la règle de droit et la garantie des droits de l'Homme, la participation
populaire et la réduction de la pauvreté. Et enfin, le
troisième a trait à la solidarité régionale, la
paix et la sécurité, dans l'objectif de permettre aux populations
de la région de vivre et de travailler ensemble dans la paix et
l'harmonie268. Ainsi, le développement concerté est
à la base des relations entre les pays de la SADC, but somme toute
logique du fait de la rupture avec le passé et au choix de la
dénomination de la nouvelle architecture régionale dans la SADC
qui met en lumière le mot communauté de développement. Ce
développement concerté constitue en fin de
266 South Africa Year book, Foreign relations,
2003/2004, p. 315.
267 Article 5 du traité de la SADC amendé en
2001.
268 Article 5 du traité amendé en 2001 de la SADC
et aussi, pour une présentation de la SADC, Notes et Études
documentaires, n°5170-71, mai-juin 2003, pp.114-120.
102
compte l'expression et le socle du tissage de la nature des
relations avec la RSA. A cet égard, la position et la vision de la RSA
témoignent de la place qu'occupe la RSA dans la SADC, en vertu de sa
volonté d'immersion du pays dans le marché mondial par une
diversification de ses partenaires. Elle se traduit par l'appui sur les organes
déjà existants, leur restructuration afin de les rendre
opérationnelles et les adapter à la mondialisation. L'action de
la RSA, dans la vitalisation et la restructuration de l'architecture de la
SADC, s`est opérée principalement à travers le
comité de révision. En effet, la nécessité de la
transformation de l'organisation sous-régionale pour la rendre en
adéquation avec ses objectifs, doublée de la volonté
sud-africaine de donner un nouveau sens à ses relations avec cette
structure, a mis en orbite un comité de révision composé
outre de cette dernière, du Mozambique, du Zimbabwe, le Malawi et la
Namibie. La légitimité de ce comité résultait de
son origine, c'est-à-dire d'une décision des chefs d'État
et de gouvernement de la SADC, donnant mandat au conseil des ministres «
d'entreprendre un examen critique des opérations des institutions de la
SADC, incluant l'OPDS en vue de faire de la SADC un instrument plus effectif et
efficace dans la construction de la communauté »269.
2- La contribution sud-africaine à
l'institutionnalisation de l'OPDS et à son intégration dans la
SADC
Cette intégration est la conséquence de la
vision sud-africaine et de la volonté des États membres de se
doter d'un organisme chargé de conduire et de gérer des actions
de diplomatie préventive. Elle revêt de ce fait une importance
capitale vers la construction d'une communauté de la
sécurité270. Cet organe, qui a acquis une
légitimité consécutive au protocole finalisant son
lancement271 à l'occasion du sommet de la SADC le 14
août 2001 à Blantyre (Malawi), est l'expression du poids politique
de la RSA et l'aspect politique de la gestion de la paix et de la
sécurité en Afrique australe, de la rationalisation de l'outil de
la SADC et de la politique régionale de la RSA. La mise en valeur de cet
organe, sa place cardinale, tout comme son intégration à la SADC
en 1996, résulte du poids politique de Nelson MANDELA. Elle est en effet
la conséquence d'un processus qui s'est initié en 1996, deux ans
après l'entrée de la RSA
269 SADC Secretariat: «Report on the review of
Operations of SADC Institutions», Gaborone, p. 1.
270 Naison NGOMA, "SADC towards a security community?",
African Security Review, vol.12, n°3, 2003, p.18-28.
271 Protocol on Politics, Defense, and Security, site de laSADC,
http://www.sadc.int . et le site de
l'ISS,
http://www.iss.org.za/AF\RegOrg/unity_to_union/SADC.html.
(En anglais, accédé le 26/04/2004.) Le protocole fut signé
par 13 des 14 pays, l'Angola n'ayant pas signé pour des raisons
administratives.
103
dans la SADC272. La création de l'OPDS est
le point de départ de la mise en place d'une approche globale de la
sécurité en Afrique australe, qui est l'expression de la
volonté de donner une structure institutionnelle à la
construction et au maintien de la paix dans la région. Cette structure
se compose de deux branches, l'une relative aux questions de défense et
de sécurité, et l'autre relative aux questions politiques et
diplomatiques. La volonté sud-africaine d'en faire un organe central
dans la structure opérationnelle de la SADC résultait des
oppositions politiques à l'intérieur de la SADC.
En effet en 1996, elle était présidée par
Robert MUGABE273 désireux d'en faire une institution au
fonctionnement autonome (capable de convoquer des sommets et prendre des
décisions ad hoc) par rapport au secrétariat de la SADC
qui était présidé par Nelson MANDELA274. Cette
rivalité, qui était sous-tendue par des intérêts
politiques et la volonté zimbabwéenne de retrouver l'influence
régionale, a rendu difficile une politique commune de défense et
de sécurité, ponctuée par des oppositions entre groupes de
pays275. Les exemples les plus marquants du fonctionnement
parallèle de l'organisme ont été en 1998, lors de la
seconde guerre en RDC, l'intervention armée du Zimbabwe, de l'Angola et
de la Namibie pour soutenir le régime en place, privilégiant la
solution militaire au détriment de la solution diplomatique
prônée par la RSA. Cette dernière de son côté
est intervenue militairement et de façon calamiteuse en
272 Le traité instituant la SADC en 1992
prévoyait parmi d'autres, la coopération dans les domaines
politiques, diplomatiques, les relations internationales, la paix et la
sécurité. A cet égard, les résolutions et les
recommandations de l'atelier sur la démocratie, la paix et la
sécurité, qui ont eu lieu à Windhoek (Namibie) en juillet
1994, ont mis sur pied une réflexion et la volonté de s'engager
formellement sur la voie de la coordination de la sécurité, la
médiation dans les conflits, voire une coopération militaire.
C'est la réunion à Gaborone (Botswana) des ministres des Affaires
étrangères, de la Défense et de la Sécurité
en janvier 1996 qui mit en orbite cet organe.
273 Ancien leader des pays de la ligne de front, il semble
qu'il ait obtenu cette fonction par soucis de compromis, le Botswana, alors
Président de la S.A.D.C et hôte du siège du
secrétariat de la SADC, voulait empêcher ce dernier de devenir le
nouveau président de la SADC, le lui ont confié en
compensation.
274 Qui fut à l'origine de la présidence
tournante de la S.A.D.C, poste qu'il occupa jusqu'en 1999.Le président
zimbabwéen avait par ailleurs proposé en 1995 la création
de l'association des États d'Afrique australe (ASAS) l'Association of
Southern African States. Cette association devait avoir vocation à
succéder aux pays de la ligne de front. Une réunion avait eu lieu
à Harare le 03 mars 1995 afin d'harmoniser les propositions de l'A.S.A.S
et de la SADC. Comme l'OPDS, L' ASAS devait se composer de deux
sous-comités, l'un sur les affaires politiques, l'autre sur les
questions de défense et sécurité, avec une
présidence tournante de deux ans. Cette association se voyait être
le bras armé de la SADC. Cette question ne fut pas prise en
considération lors du sommet des chefs d'État de la SADC en 1995
à Johannesburg.
275 Lire particulièrement à ce propos, Mark
MALAN, « SADC and Subregional Security. Unde venis et quovadis ? »,
ISS Monograph 19, Halfway House, Institute For Security Studies, 1998;
ainsi que Maxi VAN AARDT, « The Emerging Security Framework in Southertn
Africa. Regime or Community ? », Strategic Review for Southern
Africa, vol.19, n° 1, 1997, p. 1-30.
104
septembre de la même année, au Lesotho aux
cotés du Botswana sous l'égide de la SADC. L'éclatement
des structures de sécurité, doublé de logiques divergentes
a ainsi été un obstacle aux tentatives de solution276.
Néanmoins, la nécessité d'une rationalisation de
l'appareil régional de paix et de sécurité, apparaissait
aux yeux de la RSA indispensable, voire capitale277. Aussi, la
rationalisation de la structure duale, qui était source de dissensions a
été corroborée par l'activation du projet politique.
L'adhésion de l'Afrique du Sud à la SADC a contribué
à la dynamique du processus d'intégration au sein de cette sous
région.
Comme nous le constatons, l'intérêt national
altruiste dans le processus d'intégration régionale a
été perceptible lors du processus d'adoption du NEPAD. Cet
intérêt national est aussi visible dans l'exécution des
programmes de coopération technique de l'UA. Les exemples de
l'adhésion de la Guinée Équatoriale dans l'UDEAC/CEMAC et
de l'adhésion de l'Afrique du Sud dans la SADC nous ont permis de
constater que l'intérêt national altruiste est catalyseur de
l'intégration régionale en Afrique.
En définitive, à la lumière des cas
pratiques ci haut énumérés, l'ambivalence de
l'intérêt national exerce une double influence sur le processus
d'intégration régionale en Afrique. En effet, alors que
l'intérêt national égoïste qui est
caractérisé par l'égoïsme des États et leurs
stratégies est un obstacle audit processus, l'intérêt
national altruiste démontré à travers l'adhésion de
la Guinée Équatoriale à l'UDEAC/CEMAC et l'adhésion
de l'Afrique du Sud à la SADC constitue un facteur de dynamisation. Pour
parachever ledit processus, les États doivent s'inscrire dans la logique
de la recherche de l'intérêt national altruiste.
276 En septembre 1998, lors du sommet de la SADC à
Maurice, la commission tripartite (Mozambique, Namibie et Malawi),
désignée pour faire son rapport sur le futur de cet organisme ne
l'a pas rendu.
277 En août 1999, le sommet des Chefs d'État et
de gouvernements de la SADC de Maputo (Mozambique) décida de
réviser par l'entremise du Conseil des ministres (dont le nombre de
réunions annuelles passa de deux à quatre en 2001), l'organe
chargé de la supervision de toutes les institutions de la SADC, surtout
cet organe, et de faire un rapport dans un délai de six mois sous la
direction de Robert MUGABE.
CONCLUSION GÉNÉRALE
105
106
Notre préoccupation centrale dans cette
réflexion était d'élucider l'influence de
l'intérêt national sur le processus d'intégration
régionale en Afrique. Nous avons eu recours aux approches analytique,
explicative et comparative, qui imposent l'interdisciplinarité et un
examen critique des sources d'information. Ces approches nous ont permis de
rendre compte non seulement de la relation entre l'intérêt
national et l'intégration régionale mais aussi, de l'influence de
l'ambivalence de l'intérêt national sur le processus
d'intégration régionale qui a cours en Afrique depuis les
indépendances.
En effet, l'ubiquité de la notion
d'intérêt national fait d'elle une notion équivoque et
ambivalente. Elle a évolué de sa vision égocentrique des
réalistes et des libéraux pour recouvrir de nos jours une vision
altruiste selon les constructivistes. Tous les courants de pensées sont
unanimes sur la fonction de l'intérêt national comme le principe
d'action de l'État sur la scène internationale, y compris de sa
participation à un processus d'intégration régionale.
C'est pourquoi les tentatives de rapprochement des théories de
l'intérêt national à l'intégration régionale
en Afrique ont permis de constater que chaque théorie de
l'intérêt national favorise une perception particulière du
processus d'intégration régionale en Afrique. Ainsi selon les
réalistes et les libéraux, les États participeraient aux
processus d'intégration régionale en Afrique pour rechercher leur
intérêt national, qui est exclusive de l'intérêt
national d'un autre État. Pour les constructivistes, les États
adhèreraient audit processus pour la recherche des intérêts
communs.
L'opérationnalisation des théories
générales de l'intégration à la
réalité de l'intégration régionale en Afrique nous
a permis de constater que l'intégration régionale africaine
cernée sous le prisme de l'approche de l'internationalisme
libéral exalte un intérêt national altruiste. Cette
conception de l'intégration régionale est au service de la
résolution des problèmes concrets du peuple comme nous avons pu
le démontrer avec les réalisations du NEPAD. Elle est aussi une
intégration dépolitisée du fait de la prolifération
des institutions spécialisées. L'application de l'approche de
l'internationalisme libéral nous a permis de constater que cette vision
favorise la formation des intérêts communs et est au service de
l'intérêt national altruiste. L'opérationnalisation de la
vision intergouvernementaliste à la réalité africaine de
l'intégration régionale nous a permis de constater que
l'importance du rôle et la place des gouvernements nationaux dans les
grandes négociations en Afrique, et la prise en compte des
préférences sociétales sont au service des
intérêts égoïstes des États.
107
A l'analyse, il nous a été donné de
constater qu'il existe un continuum entre l'intérêt national et
l'intégration régionale en Afrique. Autrement dit,
l'intérêt national est le principe d'action et de participation
des Etats au sein des organisations d'intégration en Afrique. En effet,
l'intérêt national, quelque soit sa conception est la principale
motivation de l'adhésion des États aux processus
d'intégration. Aussi, la conception de l'intégration
régionale en Afrique en fonction des approches de l'internationalisme
libéral et de l'intergouvernementalisme permet de déterminer la
nature des intérêts qu'exalte cette intégration.
L'ambivalence de l'intérêt national exerce une
influence considérable sur le processus d'intégration
régionale en Afrique comme nous l'avons constaté à
l'épreuve des faits. L'intérêt national égoïste
au regard de quelques manifestations que nous avons ressorties à savoir
l'égoïsme des États membres et les comportements
stratégiques de certains États face à l'action collective
de l'UA, constitue un obstacle au processus d'intégration
régionale en Afrique. Pour mieux illustrer l'impact de
l'intérêt national égoïste sur ledit processus, les
exemples de l'attitude du Maroc à l'occasion de son retrait de l'OUA et
des États africains qui ne respectent pas les textes communautaires sur
la libre circulation des personnes nous ont été d'un grand
apport. L'intérêt national altruiste quant à lui, constitue
un facteur de dynamisation du processus d'intégration régional en
Afrique. En effet les différentes manifestations d'un tel
intérêt national dans le processus d'intégration
régionale en Afrique ont été perceptibles dans le
passé à travers le processus d'adoption du NEPAD, et le sont
actuellement dans la mise en oeuvre des programmes de coopération
technique de l'UA. Pour démontrer l'importance de l'exaltation de
l'intérêt national altruiste dans le processus
d'intégration régionale en Afrique, nous avons pris le cas de
l'adhésion de la Guinée Équatoriale au processus
d'intégration régionale en Afrique Centrale CEMAC et
l'adhésion de l'Afrique du Sud à la SADC. A l'étude de ces
cas pratiques, il ressort que l'intérêt national altruiste est un
facteur d'impulsion du processus d'intégration régionale.
En définitive, la réussite du processus
d'intégration régionale qui est une alternative pour le
développement de l'Afrique dépend aussi de la perception qu'ont
les États dudit processus. Sans doute les aspérités des
égoïsmes nationaux, des particularismes tenaces, des
velléités
108
hégémoniques et des querelles de leadership
continuent d'entraver ledit processus278, mais les États
doivent renoncer à une instrumentalisation autarcique et introvertie de
leur souveraineté, créer les conditions optimales d'une osmose
entre leurs intérêts individualistes et intérêts
communs. Car « la volonté politique d'un État de
soutenir une organisation est à la mesure de l'utilité qu'elle
représente pour la conduite de sa politique nationale. Et les
États cherchent par leur stratégie de participation aux
organisations, à maximiser le profit qu'ils peuvent en attendre, dans le
domaine normatif, opérationnel ou politique 279».
Comme l'intérêt national égoïste est le principe
d'action des États sur la scène internationale, dans le processus
d'intégration régionale ceux-ci doivent rechercher la
conciliation entre leur intérêt national et l'intérêt
commun. C'est de la recherche de l'intérêt national altruiste que
naîtrons des initiatives qui impulsent ledit processus. De la perception
de l'intérêt national dépend la lenteur ou la dynamique du
processus d'intégration régionale. Pour dynamiser le processus
d'intégration régionale en Afrique, les États doivent
opter dans ledit processus pour la recherche de l'intérêt national
altruiste; car dans un environnement mondial complexe, encore marqué par
l'anarchie, sans autorité internationale, les États rationnels
doivent choisir néanmoins l'intégration. Car, les institutions
d'intégration au sein desquelles les États négocient leurs
intérêts leur permettent d'accroître leurs gains, leur
ouvrent de nouvelles perspectives de développement et de
paix280.
278 Narcisse MOUELLE KOMBI, « Les aspects juridiques
d'une union monétaire : l'exemple de l'Union Monétaire de
l'Afrique Centrale (UMAC), Afrilex n°4 disponible sur
http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr.p.
129.
279 Jonathan-COHEN, « L'État face à la
prolifération des organisations internationales », contribution au
colloque de Strasbourg (mai 1987) de la SFDI sur les organisations
internationales contemporaines : crise, mutations. Développement,
Paris, Pedone, 1988, p.386.
280 Gérard DUSSOUY, Op. Cit. p 106.
109
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119
TABLE DES MATIÈRES
DÉDICACE i
REMERCIEMENTS ii
SOMMAIRE iii
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS iv
RÉSUMÉ vii
ABSTRACT viii
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
I-Présentation du sujet de recherche
2
II- Délimitation du champ d'analyse du sujet
3
1- Définition des concepts 3
2- Délimitation temporelle 3
III- Objet de l'étude 4
VI- Intérêt de l'étude
4
V- Revue de littérature 5
VI-Problématique 9
VII-Hypothèses de travail 10
VIII-Choix théoriques et méthodologiques
10
1-Choix théoriques 10
2-Méthode 13
3- Analyse des données récoltées
13
VIII- plan de travail 14
120
PREMIÈRE PARTIE : INTÉRÊT NATIONAL
ET INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE : CADRAGE ET ANALYSE CONCEPTUELS
16
CHAPITRE 1 : DES THÉORIES DE
L'INTÉRÊT NATIONAL À LA DYNAMIQUE
D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE
19
SECTION I : LES THÉORIES RÉALISTES DE
L'INTÉRET NATIONAL ET
L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE
20
PARAGRAPHE I - LA CONTROVERSE RÉALISTE DE
L'INTÉRET NATIONAL 21
I- L'intérêt national comme moteur des
relations internationales 21
II- La remise en cause d'une définition de
l'intérêt national en termes de puissance 23
PARAGRAPHE II- L'INTÉRÊT NATIONAL DES
RÉALISTES ET L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE 26
SECTION II : LA THÉORIE CONSTRUCTIVISTE DE
L'INTÉRÊT NATIONAL ET
L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE
29
PARAGRAPHE I- LA THÉORIE CONSTRUCTIVISTE DE
L'INTÉRÊT NATIONAL 29
I- Les précurseurs et l'économie de
l'approche constructiviste de l'intérêt national 29
II- Le rôle des identités dans la
formation de l'intérêt national des constructivistes
30
PARAGRAPHE II- L'ANALYSE DE L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE
SOUS LE PRISME DE L'INTÉRÊT NATIONAL DES
CONSTRUCTIVISTE 33
CHAPITRE II : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE À LA
LUMIÈRE DES THÉORIES GÉNÉRALES DE
L'INTÉGRATION 37
SECTION I : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE PENSÉ SOUS LE
PRISME DE L'APPROCHE
INTERNATIONALISTE LIBÉRALE DE
L'INTÉGRATION 37
PARAGRAPHE I : L'approche internationaliste
libérale de l'intégration régionale 38
I- Le fonctionnalisme 38
II- Le néofonctionnalisme 40
121
PARAGRAPHE II : L'intérêt national dans la
pensée de l'internationalisme libéral de
l'intégration régionale africaine : un
intérêt national altruiste 42
I- L'enracinement de la théorie fonctionnaliste au
sein de l'intégration régionale africaine :
une intégration dépolitisée
42
1- Les politiques d'intégration et la
résolution des problèmes concrets des peuples 43
2) La prolifération d'institutions
transnationales spécialisées 45
3) Une intégration dépolitisée
47
II- L'enracinement de la théorie
néofonctionnaliste au sein de l'intégration régionale
africaine : une intégration au service des
intérêts fonctionnels communs 48
1) La coordination des activités
socio-économiques par les autorités politiques 48
2) La possibilité d'engrenage à partir
d'un secteur donné 49
3) Une intégration au service des
intérêts fonctionnels communs 51
SECTION II : L'INTÉRÊT NATIONAL DANS LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE VU SOUS LE PRISME
DES THÉORIES DE
L'INTERGOUVERNEMENTALISME 52
PARAGRAPHE I : Les théories de
l'intergouvernementalisme 52
I- L'intergouvernementalisme classique de Stanley
Hoffman 53
II- L'intergouvernementalisme libéral de
Andrew Moravcsik 54
PARAGRAPHE II : L'intérêt national dans la
pensée intergouvernementaliste de
l'intégration régionale africaine : un
intérêt national égoïste 55
I- Le rôle et place des gouvernements nationaux
dans les grandes négociations politiques en
Afrique 56
II- La formulation et de la prise en compte des
préférences sociétales 57
DEUXIÈME PARTIE : L'AMBIVALENCE DE LA NOTION
D'INTÉRÊT NATIONAL
A L'ÉPREUVE DE L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE 60
SECTION I : LES MANIFESTATIONS DE L'INTÉRÊT
NATIONAL ALTRUISTE
DANS LE PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE
EN AFRIQUE 83
122
CHAPITRE 3 : L'INTÉRÊT NATIONAL
ÉGOÏSTE : UN FREIN A L'INTÉGRATION
RÉGIONALE EN AFRIQUE 62
SECTION I : LES MANIFESTATIONS DE
L'INTÉRÊT NATIONAL ÉGOÏSTE DANS
LE PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE
AFRICAINE 63
PARAGRAPHE I : L'égoïsme des États
africains dans le processus d'intégration régionale
63
I -Les querelles de leadership 64
II-Les velléités souverainistes des
États 65
PARAGRAPHE II : Les stratégies de certains
États africains face à l'action collective
entreprise par l'UA 67
I- La crise ivoirienne de novembre 2010
68
II- Le vote de la Résolution 1973
69
SECTION II : L'IMPACT DE L'INTÉRET NATIONAL
ÉGOÏSTE SUR LE
PROCESSUS D'INTÉGRATION RÉGIONALE EN
AFRIQUE : ÉTUDE DE CAS 70
PARAGRAPHE I : Le retrait du Maroc de l'UA
70
I- La recherche de l'intérêt national
égoïste : mobile du retrait du Maroc de l'OUA 70
II- Le retrait du Maroc et la paralysie du processus
d'intégration régionale en Afrique 73
PARAGRAPHE II : Le non respect des textes sur la libre
circulation des personnes par les
États africains 76
I- État des lieux des textes sur la libre
circulation en Afrique 76
II- Le non respect des textes sur la libre
circulation des personnes comme un blocage du
processus d'intégration 78
CHAPITRE 4 : L'INTÉRÊT NATIONAL ALTRUISTE
: UN FACTEUR DE
DYNAMISATION DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE
EN AFRIQUE 81
123
PARAGRAPHE I : Le processus de création du NEPAD
comme une manifestation de
l'intérêt national altruiste
83
I- Les concepteurs du NEPAD 83
II- L'adoption du NEPAD comme une attitude altruiste
des chefs d'État africain 85
PARAGRAPHE II : L'institution des programmes de
coopération technique comme une
manifestation de l'intérêt national
altruiste 87
SECTION II : L'IMPACT DE L'INTÉRET NATIONAL
ALTRUISTE SUR
L'INTÉGRATION AFRICAINE : ÉTUDE DE CAS
89
PARAGRAPHE I : L'adhésion de la Guinée
Équatoriale à l'UDEAC/ CEMAC : de la recherche de
l'intérêt national à la consolidation de
l'intégration régionale en Afrique
centrale 89
I- La recherche de l'intérêt national comme
facteur d'adhésion de la Guinée Équatoriale à
L'UDEAC 89
1- Les mobiles de l'adhésion de la
Guinée Équatoriale à l'UDEAC 89
a) La Guinée Équatoriale, pays pauvre
de la sous-région dans les années 70 et 80 90
b) L'isolement géographique et linguistique de
la Guinée Équatoriale 91
2- Les gains de la Guinée Équatoriale
pour son adhésion à l'UDEAC 92
II- L'adhésion de la Guinée
Équatoriale à l'UDEAC/CEMAC et les implications
subséquentes sur l'intégration
régionale en Afrique Centrale 93
1) Le Consensus de Fort-Lamy remis en cause par la
Guinée Équatoriale 93
2) La poursuite de l'intérêt national de
la Guinée Équatoriale comme facteur
d'assainissement de la CEMAC 94
PARAGRAPHE II : L'Afrique du Sud dans la SADC : une
adhésion motivée par l'intérêt
national et un facteur d'impulsion de
l'intégration régionale 97
I- La volonté de puissance comme motif de
l'adhésion de l'Afrique du Sud à la SADC 98
II- L'adhésion de l'Afrique du Sud à la
SADC : une contribution à la reconstruction de
l'architecture supranationale de l'organisation
régionale 100
1-
124
La SADC, vecteur de la politique de coopération
de la RSA 101
2- La contribution sud-africaine à
l'institutionnalisation de l'OPDS et à son
intégration
dans la SADC 102
CONCLUSION GÉNÉRALE 105
BIBLIOGRAPHIE 109
TABLE DES MATIÈRES 119
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