La lutte contre la violence en milieu universitaire ivoirien( Télécharger le fichier original )par Gélase Amour DECHI Centre de Recherche et d'Actions pour la Paix - Diplôme d'Études Supérieures Spécialisées En Gestion des Conflits et Paix 2006 |
INTRODUCTION« L'homme est un loup pour l'homme »1(*). Cette assertion est contemporaine et met en exergue la violence de l'être humain à l'égard de son prochain. La véracité de cette affirmation se laisse découvrir notamment dans les universités africaines en général, et ivoiriennes en particulier. Un regard rétrospectif permettra de mieux mesurer l'ampleur de cette violence dans les universités ivoiriennes. Après son accession à l'indépendance en 1960, la Côte d'Ivoire est gouvernée d'une main de fer par le président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, à travers un parti unique : le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI). Il adopte le libéralisme économique comme modèle de développement, à travers deux stratégies : l'ouverture de l'économie sur l'extérieur et le désengagement de l'Etat des activités de production et de commercialisation. L'ouverture de l'économie sur l'extérieur s'est exprimée par la volonté des décideurs ivoiriens de confier au secteur privé un rôle important dans le développement économique du pays, contrairement aux autres pays africains qui ont opté, dans leur grande majorité, pour la nationalisation. Quant au désengagement de l'Etat des activités de production et de commercialisation, elle s'analyse en un repli partiel caractérisé par toutes sortes de distorsions, susceptibles de créer de nombreuses rentes au bénéfice de certains groupes socio-économiques. En fait, et comme le précise le professeur Francis AKINDES, le président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY mène une politique volontaire et centralisée d'ouverture sur l'extérieur avec un mécanisme de patronage politique doublé d'un patrimonialisme et une gestion paternaliste de la diversité sociale2(*). Les stratégies sus décrites permettent à la Côte d'Ivoire de connaître, jusqu'en 1978, des moments de prospérité économique qualifiés de « périodes économiquement fastes »3(*). Au cours de cette période, le pays enregistre un niveau de croissance économique de l'ordre de 8% par an4(*). Cette performance économique donne à l'Etat ivoirien les moyens de réaliser d'importants projets socio-économiques. En effet, ayant compris que l'éducation tient une place de choix dans le développement, l'Etat va investir dans l'enseignement supérieur dont l'objectif est « l'acquisition de savoirs, savoir-faire et savoirs être... »5(*). Ainsi, l'enseignement supérieur est entièrement pris en charge par l'Etat : fonctionnement de l'administration, construction des salles de cours et autres amphithéâtres, recrutement des enseignants, équipement des laboratoires et bibliothèques, restauration et hébergement des étudiants, bourses,...De prestigieuses grandes écoles et universités sont construites et permettent d'assurer une formation de qualité, dans des conditions d'étude et de vie décentes pour la jeunesse ivoirienne. Elles offrent un environnement de relative stabilité sociale et politique. Mais, ce moment d'euphorie est interrompu par la crise socio-économique profonde qui survient au début des années 1980. Cette crise contribue à affaiblir le parti unique. Alors, l'Etat ivoirien tend à s'effondrer6(*). L'effritement de l'autorité étatique s'étend à certaines sphères de la vie nationale. Le sort de l'Université étant étroitement dépendant de celui de l'Etat7(*), la déliquescence de celui-ci est fortement perceptible dans celle-là. Elle se traduit par un désengagement de l'Etat vis-à-vis de l'Université. En effet, n'ayant plus les ressources, ni financières ni morales, de faire face aux difficultés de la jeunesse estudiantine, toujours plus nombreuse, l'Etat ivoirien semble s'être subrepticement soustrait à ses obligations vis-à-vis de l'école. Le "vent de la démocratie" qui souffle sur les Etats africains à l'orée des années 1990 n'épargne pas la Côte d'Ivoire et ses Universités. D'ailleurs, se présentant comme un lieu où se cristallise un désir de liberté, de changement inassouvi, les universités jouent un grand rôle dans la démocratisation. En effet, partout en Afrique, les étudiants sont aux avant-postes de la contestation démocratique. L'aspiration à la liberté d'expression et au bien-être économique et social génère le retour de la Côte d'Ivoire au multipartisme8(*) et l'émergence sur les campus des associations syndicales, portes paroles des partis politiques dans le milieu universitaire. La lutte pour la maîtrise du milieu universitaire par les partis politiques engendre la violence. Pour les organisations syndicales d'étudiants, la violence devient une méthode d'action privilégiée au détriment du dialogue, de la non violence et de la tolérance, valeurs cardinales de la culture de la paix et de la gestion des conflits. Le changement de régime qui intervient au moyen d'un coup d'état, en décembre 1999, avait au départ suscité beaucoup d'espoir chez les populations et partant, au sein des étudiants, avec une stabilité relative sur les campus. Mais, le phénomène d'instrumentalisation des organisations syndicales par les partis politiques, avec l'impunité de certaines organisations syndicales, ainsi que l'émiettement de l'autorité de l'Etat dans le milieu universitaire, conduisent à l'exacerbation de la violence sur les campus. L'Université, lieu par excellence de la conquête du savoir dans toutes ses dimensions, lieu où l'on laisse libre court aux idées, aux théories et autres utopies génératrices de nouveautés intellectuelles, offre dès lors de tristes spectacles. Les stylos sont remplacés par des armes. Les groupes d'études sont, quant à eux, remplacés par des bandes d'étudiants ou non, ayant des missions négatives. Ainsi, de façon récurrente, les universités de Côte d'Ivoire sont le théâtre de violences. Ces violences s'exportent aussi hors des campus universitaires. Elles s'expriment en termes de violations constantes des droits de l'Homme, régulièrement dénoncées par la Ligue Ivoirienne des Droits de l'Homme (LIDHO) et par d'autres organisations de défense des droits de l'Homme : manifestations violentes, destructions de biens publics et privés, atteintes aux libertés d'expressions, d'associations, de circulation, séquestration de personnes, coups et blessures volontaires, racket, viol, meurtre... Mais en réalité, que renferme le concept de violence? Il est important d'en dégager le contenu car, si, selon le mot de Stéphane MALLARME, la mission du poète est de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu »9(*), cette mission peut aussi être assignée au gestionnaire de conflits et vaut aussi pour le mot «Université » et l'expression « milieu universitaire ». La violence désigne une action brutale, physique ou morale envers quelqu'un. Elle consiste à agir sur quelqu'un ou à le forcer, contre sa volonté, en utilisant la force physique ou psychique. L'usage de force se fait en frappant ou en intimidant, en infligeant des blessures physiques ou morales. Pour progresser dans la connaissance de la notion de violence, il est utile de la distinguer d'autres notions qui lui sont proches telles l'agression et la force. La violence ne doit pas être identifiée à l'agression qui, étymologiquement, signifie que l'on va vers autrui, avec une attitude plus ou moins exigeante ou menaçante, mais non nécessairement violente. Elle doit aussi être distinguée de la force, la violence étant l'usage illégitime de la force. La notion de violence est bien liée à celle de force. La force n'est pas la violence, mais elle peut le devenir et la violence n'est d'ailleurs pas nécessairement matérielle ou physique. Elle peut n'être que morale ou psychologique tout en étant durement ressentie. Ainsi, selon DEBARBIEUX, la violence est la désorganisation brutale ou continue d'un système personnel, collectif ou social se traduisant par une perte d'intégrité qui peut être physique, psychique ou matérielle. Elle est dépendante des valeurs, des codes sociaux et des fragilités personnelles des victimes10(*). Cette violence trouve en Côte d'Ivoire l'Université comme l'un des lieux privilégié de manifestation. L'Université a une double dimension. Sur le plan interne, elle est la communauté d'enseignants, de gestionnaires ou d'administrateurs et d'étudiants occupant un espace régi par des règles de fonctionnement. Sur le plan externe, l'Université est partie intégrante de la société. En ce sens, elle a une fonction de transmission de savoir dans le système national plus vaste de la société qui lui confie la charge à la fois pédagogique et éthique d'une intégration sociale. Quant au milieu universitaire, il désigne les salles de cours, les résidences, le campus de manière générale et les voisinages de ces espaces. Il renvoie aussi à des notions moins spatiales ayant trait à la mentalité des étudiants qui influe nécessairement sur leur manière d'agir, de réagir et de se comporter. La violence en milieu universitaire, véritable gangrène sociale, a atteint son paroxysme, de sorte qu'elle ne saurait laisser personne indifférent. Trop souvent, plutôt que de se pencher sérieusement sur la question, cette situation suscite des réactions en termes de dénonciations de ses effets. D'ailleurs, elle a toujours été au centre de grands débats, de grandes promesses et également de quelques propositions de reformes. L'ampleur de ce phénomène mérite que l'on y prête une attention soutenue. Il apparaît donc impérieux de rechercher et de trouver des solutions à ce mal qui ronge et détruit les universités, la jeunesse et partant, compromet l'avenir du pays. C'est justement dans cette voie que s'oriente notre réflexion. Nous ambitionnons, en effet, de participer à la réduction de la violence à l'Université. L'objectif est de contribuer à mettre cette institution à l'abri des tumultes quotidiens, à l'exemple des temples des prêtres de l'Egypte pharaonique, ce qui leur permit d'être à la pointe du savoir en faisant des sciences, une des richesses et l'une des caractéristiques majeures de cette brillante civilisation. Pour y parvenir, l'étude présente sera guidée par les préoccupations suivantes: comment résoudre le problème de la violence dans les universités ivoiriennes ? Autrement dit, quelles solutions pourraient aider à réduire la violence en milieu universitaire? Les solutions à envisager doivent être en mesure de remédier aux causes profondes et aux manifestations de cette situation de violence. Ce qui implique un diagnostic préalable de cette violence pour la découvrir dans son entièreté. En effet, de l'identification des sources du malaise dépendent des solutions idoines et efficaces pour le juguler. D'ailleurs, Thomas HOBBES ne dit-il pas: « c'est en partant des choses à partir desquelles chaque chose est constituée que l'on connaît le mieux cette chose »11(*). ? Toutes ces préoccupations seront examinées grâce à la méthode analytique. Cette méthode permettra de mettre en lumière l'origine et les manifestations de la violence en milieu universitaire (Partie I) et de proposer des solutions en vue de la juguler (Partie II). * 1 L'expression apparaît la première fois chez PLAUTE et a été reprise par BACON au début du 17e siècle avant de réapparaître chez HOBBES. * 2 AKINDES (Francis), Les racines de la crise militaro-politique, Dakar, CODESRIA, 2004, pp.8-19. * 3 Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), Cohésion sociale et reconstruction nationale, Rapport national sur le développement humain en Côte d'Ivoire 2004, p.67. * 4 Idem, p.66. * 5 Voir l'article 2 de la loi N° 95-696 du 7 septembre 1995 relative à l'Enseignement. * 6 Si l'Etat s'effondre, c'est qu'il n'est plus en mesure de remplir ses fonctions régaliennes (celles d'autorité souveraine, d'institution et de garant de la sécurité d'un territoire et de sa population. (Voir ZARTMAN (William), « Introduction », IN : ZARTMAN (William) (dir.), L'effondrement de l'Etat, désintégration et restauration du pouvoir légitime, Manille, Nouveaux Horizons, 1997. p.6.) * 7 Les Universités sont des Etablissements Publics Nationaux. A ce titre, elles tirent leurs ressources essentiellement des subventions de l'Etat. * 8 L'article 7 de la constitution ivoirienne de 1960 reconnaissait le multipartisme. Mais en pratique, le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire monopolisait la vie politique, l'opposition politique n'étant pas tolérée. * 9 MALLARME, Le tombeau d'Edgar POE, N.R.F Poésie, Paris, Gallimard, 1992, p.60. * 10 Voir Http/www.chez.com/b105/lectures/debardieux 1. Htm : DEBARDIEUX (Eric), La violence en milieu scolaire : " Etat des lieux ". * 11 Cité par TERREL (Jean), Les théories du pacte social. Droit naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau, Paris, Seuil, 2001, p.106. |
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