CONCLUSION
FRANCE ET RWANDA,
DE LA TRADITION À LA POLITIQUE,
UN ECHEC MÉDIATIQUE
Si la prudence est désormais de mise dans toute analyse
sur le Rwanda, l'Afrique garde toujours une place à part dans la plupart
des journaux français. Une étude du traitement médiatique
des événements au Congo ou au Nigeria permettrait de mettre en
lumière des analyses encore basées sur les concepts d'ethnies et,
parfois, de religion, plutôt que sur la politique.
La conclusion est également valable pour la
scène politique. Si Nicolas Sarkozy semble adopter une politique
africaine davantage basée sur l'économie, celle-ci semble encore
se teinter de néo-colonialisme. Nombre d'experts estiment ainsi que la
perte d'influence française en Afrique résulte d'une mauvaise
politique de coopération. En effet, la France n'applique toujours pas de
politique de co-développement, comme tentent de le faire des pays tel
que la Chine. Comme en témoigne le récent sommet de Nice, et la
présence de nombre de dictateurs africains, la politique
française en Afrique est encore douteuse et pourrait rimer avec
clientélisme et famille, même si nous n'en sommes plus aux
« grandes heures » de la Françafrique et du
« pré carré africain » de De Gaulle.
Mais, si l'Afrique tient une place à part dans les
milieux politiques et médiatiques français, c'est d'abord parce
que persévèrent des préjugés raciaux et, au mieux,
des traditions d'origine coloniale. Cela a permis la continuité des
analyses basées sur les caractères ethnistes erronés. Le
peu de temps et de place accordé, au sein des journaux français,
au continent africain a favorisé les explications appuyées sur
ces poncifs d'un autre temps, sans autre forme d'analyse.
Par ce mécanisme, la presse française a permis
l'entretien d'un flou grâce auquel un génocide de 800 000
personnes a pu devenir de simples, tragiques certes, affrontements tribaux. Au
delà de cette interprétation ethniste, que tous les journaux,
à de rares exceptions, reprennent, les enjeux politiques et les liens
qui unissaient France et Rwanda ont également joué.
Il est aujourd'hui possible d'analyser l'implication
française au Rwanda, en dehors de quelques zones d'ombre bien
entretenues, comme l'attentat du 6 avril 1994 ou encore le rôle exact des
services secrets. Il est donc également possible d'observer le
mécanisme de désinformation mise en place par ce même
pouvoir politique français organisé autour de la cellule
africaine de l'Elysée principalement - lors de la période de
cohabitation, l'opposition ente l'Elysée et Matignon a été
facilement visible, néanmoins, il semble que l'Elysée ait
gardé la main -.
Cette manoeuvre de désinformation a été
des plus observables en ce qui concerne le quotidien Le Monde, dont les liens
avec les services secrets ont intoxiqué la ligne éditoriale bien
au delà des autres rédactions. C'est à dire bien au
delà de simples reprises de poncifs ethnistes et bien au delà en
terme de temps. Le Monde a publié des informations fausses et
tirées directement des « services de renseignements
français » alors même qu'il pouvait disposer, comme
l'ont fait d'autres journalistes, d'autres rédactions, de documents
attestant de l'implication de l'armée française au Rwanda.
Le Monde, par ce mécanisme, est le symbole de la
désinformation orchestrée par la cellule africaine de
l'Elysée. Le quotidien de référence français a
été le fer de lance médiatique de la manoeuvre
d'intoxication de l'exécutif français. Il était donc
l'élément incontournable pour toute étude portant sur les
médias français et le génocide rwandais car il
résume à lui seul toutes les dérives observables. Y
avait-il ou non un élément intentionnel dans les
« erreurs » de la rédaction ? Chacun pourra se
faire une opinion. Une dernière fois, il ne s'agit pas de juger
mais bien de décrire des mécanismes qui ont mené à
la faillite presque totale d'un système médiatique entier.
Compte tenu de la faible place accordée à
l'Afrique dans les journaux et, par conséquent dans
l'intérêt du lecteur, le journalisme se doit de faire preuve de
prudence, d'intelligence et de professionnalisme pour traiter les questions
africaines. Les interprétations ethnistes, religieuses, voire
coloniales, bien qu'elles aient l'avantage de faciliter une
compréhension pour un lecteur non aguerri, n'ont pas leur place dans une
analyse de l'Afrique moderne, dans laquelle les enjeux politiques sont
réels.
Le journalisme doit se souvenir que son rôle est
également celui d'éducateur de la société. Si
l'Afrique a aujourd'hui encore l'image d'un continent en retard
économiquement, mais surtout intellectuellement et politiquement, il en
est en partie responsable. Si l'opinion a été prête
à accepter un génocide en Afrique alors que le mot d'ordre en
Europe était « Plus jamais ça », le
journalisme en est en partie responsable. Cette étude est là pour
le rappeler.
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