Conclusion
Les hypothèses que nous avions établies au
départ ne sont que partiellement validées. Les discours et
pratiques se fondant sur la période hanséatique ne s'appuient que
sur une patrimonialisation incomplète. Les discours des acteurs
utilisant la ressource hanséatique ne servent pas uniquement à
soutenir un projet de régionalisation mais s'inscrivent dans des
desseins plus larges (rempart contre la mondialisation, rattachement à
l'Europe) ce qui peut les rendre aux yeux de certains peu réalistes.
Cette référence à la Hanse n'est pas partagée par
tous et peut même, contre toute attente, donner lieu à des «
conflits d'acteurs ». Chaque acteur a sa vision de la Hanse, ce qui n'est
pas nouveau puisque les historiens, eux-mêmes, ne se sont pas
accordés sur l'espace que recouvrait l'organisation. Celle-ci
possédait un pouvoir central faible et n'a pas connu de
législation ou de liste officielle de ses membres qui entraient et
sortaient de l'organisation relativement rapidement, parfois plusieurs fois
(comme Brème). De plus, les villes de la Hanse étaient
connectées à l'ensemble de l'Europe du Nord, et donc à
l'Italie et à l'Europe dans son ensemble. Ainsi l'idée même
que l'Europe se fait de la Baltique (le SDEC livre des cartes des programmes de
coopération), excluant une bonne partie de la Russie et se limitant aux
régions les plus littorales, n'est pas la même que celle que les
acteurs des réseaux de la « Nouvelle Hanse » se font de la
Baltique hanséatique qu'ils étendent jusqu'au Pays Bas,
jusqu'à la France ou la Belgique. Ceux-ci prennent en compte la liste
des villes qui ont été à un moment de leur histoire un
comptoir hanséatique. Les acteurs s'opposant à une quelconque
référence à la Hanse se font de cette organisation une
toute autre idée (se limitant aux ports de la Baltique). Les
représentations spatiales de la Hanse sont donc des
éléments essentiels permettant de comprendre la position des
acteurs dans l'utilisation du concept de Hanse. Ainsi les pratiques spatiales
mettent en avant un réseau qui manque de cohérence car pris entre
des logiques diverses et parfois contradictoires (les logiques de l'Union
Européenne et les logiques historiques, plus locales par exemple). Cet
enchevêtrement de logiques fait du réseau baltique un
réseau qui ne peut aboutir mais ce n'est pas l'unique argument appuyant
une régionalisation incomplète....
Une question centrale empêche de parler de
régionalisation sur les pourtours de la Baltique : la question de
l'appropriation. Bien sûr le poète lituanien Tomas Venclova disait
: « Pour l'Occident, le passé chaque jour davantage se perd
dans le passé. Personne ne considère que les intrigues
menées par les Plantagenêts ou par Louis XIV peuvent servir de
leçons à la société. Personne ne croit vraiment
à l'utilité des modèles anciens quand il s'agit de trouver
le bon chemin dans le labyrinthe de la vie contemporaine. Il en est tout
autrement en Europe centrale et à l'Est. Là-bas, le passé
est
234 Entretien du 20/02/08 : Zaiga Krisjane, maître de
conférences à la faculté de Géographie de
Lettonie,
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vivant, actuel, s'insinue quotidiennement dans les
journaux (...) influe sur le comportement des gens (...)
»235. Mais à propos de la Hanse, il manque une
conscience régionale. Sami Mioso l'a bien vu : « la lacune
majeure dans la région de la mer Baltique est le manque de conscience
régionale de ses habitants et l'absence d'idée de région.
Il n'apparaît pas un phénomène comme une identité
baltique »236. Il est vrai que les historiens critiquent
le concept même de « civilisation hanséatique »
(Blanc-Noël, 2002) : les pays ont gardé des cultures très
diverses jusqu'à aujourd'hui. Si l'on reprend le sondage qu'avait
réalisé Mikelis Aschamanis à Riga (Aschmanis, 2007), on
constate que parmi la population peu de personnes savaient ce qu'était
la Hanse et l'auteur a du réaliser un deuxième sondage parmi les
étudiants en sciences humaines afin d'obtenir des réponses plus
précises. Certes, 43.9% d'entre eux avaient une vision positive de la
Hanse mais 56.1% avaient une vision neutre ou étaient
indifférents. 32.9% des interrogés avaient déclaré
que l'on ne pourrait plus construire quelque chose de semblable à la
Hanse aujourd'hui. A Gdansk, le phénomène est le même si
l'on en croit les chiffres de Peter Oliver Loew qui rapporte le résultat
d'un sondage sur la mémoire de l'histoire locale réalisé
en 1996. Les habitants devaient classer les événements et
personnages les plus importants pour eux : 91% ont répondu le combat de
Solidarité et la personnalité de Lech Walesa, 26% les
débordements de la Seconde Guerre mondiale, 19% l'annexion de Gdansk
à la Pologne sous Kazimierz Jagellon, 14% la ville libre d'entre deux
guerres. Suivaient les grèves de décembre 1970, le voyage de St
Adalbert en 997 puis la Hanse qui récoltait moins de 10% (Loew, 2003).
Il est certain qu'à Brème, la Hanse est mieux connue même
s'il n'existe pas de sondage véritablement. Mais pour combien de temps
encore ? Car c'est l'usage de la Hanse qui maintient la Hanse en vie. Or
faut-il souhaiter d'une référence historique qui brouille la
compréhension du présent plus qu'elle ne la facilite ? L'absence
d'assise populaire, transforme pour l'instant la « Nouvelle Hanse »
en une régionalisation qui ne peut aboutir.
235 Cité par SERRY, A., (2006), Op.Cit, pp.62
236 SCHYMIK C., HENZE, V., HILLE, J., (dir.) (2006),
Opt.Cit., pp.83-97 : «The major insufficiency in the Baltic Sea
region is the lack of regional consciousness of its inhabitants and the
shapelessness of the idea of the region. There does not appear a phenomenon
such as a Baltic identity».
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