O. INTRODUCTION
0. 1. ETAT DE LA QUESTION
Lorsqu'on entame une analyse, il d'abord
nécessaire de passer en revue la littérature existante autour de
la question que l'on veut étudier. C'est pour cette raison que Michel
Giacobbi et Jean- Pierre Roux nous recommandent de procéder à la
lecture des recherches préalables en vue de voir, à travers le
regard des autres, la question que nous voulons
analyser.1
Par conséquent, il a fallu passer en revue la
littérature antérieure déjà consacrée
à l'étude des rapports Religion-Politique pour d'abord
en comprendre la portée, le problème analysé, circonscrire
le contenu et, enfin identifier les performances et les limites. Tout ceci nous
permet d'imprimer à notre réflexion des marques plus
objectives et d'éviter de traiter des problèmes
déjà résolus.
Dans cet élan de fouille,
Alfred de Soras2 aborde le développement des
grands principes directeurs sur lesquels, dans les perspectives et les
prospectives de l'Eglise catholique, doivent s'établir les rapports
pouvoir ecclésial et pouvoir politique. Il démontre ensuite que
les prises de position du catholicisme sur les rapports pouvoir
ecclésial et pouvoir politique n'étaient pas seulement
liées au rôle qui incombe au pouvoir ecclésial à
l'égard du pouvoir politique, mais étaient aussi
réciproquement des estimations sur les attitudes qui incombent au
pouvoir politique à l'égard du pouvoir ecclésial. L'auteur
a enfin tracé quelques grandes vues d'ensemble qui devraient permettre
aux jeunes Eglises catholiques d'Afrique noire et aux jeunes Etats
indépendants d'Afrique d'établir des relations cordiales et
bienfaisantes.
L'auteur semble tomber sous la séduction des
dogmes catholiques dont il essaie ; et c'est ce qui corrompt son analyse ; de
faire l'apologie au lieu de se placer du coté critique en vue de nous
fournir une meilleure élucidation de la dynamique cléricale en
Afrique noire.
Achille Mbembe3 fait une critique politique
du christianisme africain post-colonial dans ses rapports avec le pouvoir,
l'Etat et les sociétés indigènes. Dans cette critique, il
met en relief certains conflits par rapport auxquels le vecteur chrétien
a eu à se situer dans le passé et qu'il affronte aujourd'hui dans
ses
1 J.- P. ROUX, Initiation
à la sociologie. Les grands thèmes, la méthode, les grands
sociologues, Paris, Hatier,
1990, p.17.
2 A. SORAS (de), Relations de l'Eglise et de l'Etat
dans les pays d'Afrique francophone. Vues et prospectives,
Paris, Manes, 1963, pp. 167-169.
3A. MBEMBE, Afrique indociles, christianisme, pouvoir
et Etat en Afrique post-colonial, Paris, Karthala, 1988, p.9.
prétentions à dominer symboliquement les
régimes ancestraux ou ceux résultant du travail culturel de
l'indigène. L'auteur a donc privilégié les données
historiques et anthropologiques situées en « amont » ou en
« aval » de la pénétration du monde africain par le
vecteur chrétien en négligeant d'en associer d'une politologie
relative à la pratique et aux manifestations.
Julien Penoukou4 a quant à lui
rassemblé un texte qui, selon lui, n'avait ni ambition, ni
prétention mais une simple expression momentanée d'un cheminement
intérieur suscité et sans cesse entretenu par les tourments et
les espoirs d'un peuple africain pris entre un monde en mal d'espérance
d'une Eglise d'Afrique en quête d'identité et de maturité
culturelle et spirituelle.
L'auteur a juste précisé les
véritables enjeux de la mission de l'Eglise dans le devenir de l'homme
et des peuples Africains mais passe sous silence, les tendances
hégémoniques de l'Eglise qui asphyxie la différenciation
structurelle et la spécialisation fonctionnelle de l'Etat ; ce qui
vraisemblablement rappelle le paradigme géopolitique de Stein ROKKAN
dans ses études des conditions d'émergence de l'Etat nation,
lequel paradigme démontre les corrélations négatives entre
l'élan culturel de l'Eglise catholique et l'avènement de l'Etat
comparé aux corrélations positives en faveur de l'Eglise
protestante.
Par ailleurs, François Maspero5
analyse les mouvements politicoreligieux ; les syncrétismes,
messianismes, néo-traditionalismes du Congo précolonial et
colonial. Il s'interroge sur la portée de la signification des
mouvements politico-religieux dans les sociétés africaines
après la période coloniale tout en se référant
à leur rôle de nationalistes qui les sous-tend dans la
période coloniale et qui leur a permis de s'adapter et renforcer
l'unité des sociétés africaines post-coloniales. L'auteur
s'est surtout intéressé à deux mouvements
religio-idéologiques Congolais à savoir le Kitawala et le
Kimbanguisme. Il trouve cependant que ces deux pratiques sociales sont
profondément différentes et leur production ne porte pas sur le
même type de contradictions. L'un jaillit d'une première rupture
au sein de la société colonisée : d'où le type du
procès idéologique spécifique au Kimbanguisme ; l'autre
émerge de contradictions plus fondamentales liées à la
domination du mode de production capitaliste : c'est pourquoi le Kitawala
conserva sa vigueur contestatrice dans la société
postcoloniale.
Dans son analyse sur les groupes d'intérêt
et le processus décisionnel au Sud-Kivu, cas spécifique de
l'Eglise catholique, Mugisho Akilimali6 a voulu
4E. Julien PENOUKOU, Eglise d'Afrique, proposition par
l'avenir, Paris, Dalloz, 1963, p.5.
5 F. MASPERO, La construction du monde : Religion,
Représentations et idéologie, Paris, Place Paul
Painlevé, 1974, p. 1974, p.106.
6 M. AKILI MALI, Les groupes d'intérêt et
le processus décisionnel au Sud-Kivu. Cas de l'Eglise catholique,
U.O.B, Mémoire, S.P.A, 2002-2003, pp. 68-70.
étudier les intérêts que l'Eglise
catholique défend pour elle-même et pour ses membres et comment
elle arrive à faire face au pouvoir politique, une façon de
jauger son efficacité à contraindre les gouvernants. Il a
cherché à savoir en plus, les liens de causalité du haut
degré d'antagonisme que l'observation a repéré au SudKivu
entre l'Eglise et les gouvernants. Il conclut que l'Eglise catholique du
SudKivu défendait ses intérêts économiques car,
possédant des unités de production, de biens meubles et
immeubles, des matériels roulant qu'elle doit protéger contre
tout prédateur ou contre l'imposition forfaitaire, mais aussi des
intérêts symboliques.
Cependant, l'auteur semble ignorer de situer le
degré d'antagonisme dans le temps partant du fait qu'il n'y a eu
antagonisme que sous la deuxième République et
dernièrement pendant le régime du RCD. Il oublie ensuite,
qu'aujourd'hui il est difficile de parler d'antagonisme compte tenu de
l'immixtion flagrante du religieux et du politique. Il a enfin,
négligé d'évoquer dans son travail le
rétrécissement fonctionnel du politique sur le social dont
l'Eglise en assume aujourd'hui la charge au détriment de
l'Etat.
Au regard de ces travaux, nous pouvons déjà
imprimer à notre réflexion ses particularités que nous
ramenons à trois :
Tout d'abord, nous allons dépasser le
débat théologique irrigué par les passions et toutes
sortes de fables partisanes pour affronter le problème réel des
ambitions hégémoniques de l'église catholique
particulièrement sur les logiques existentielles, identitaires,
organisationnelles et fonctionnelles de l'Etat congolais en crise.
Ensuite, nous allons mettre à nu le contenu
réel de la disposition constitutionnelle qui consacre au plan formel la
laïcité de l'Etat. Il s'agit bien de l'article premier qui,
curieusement au plan sociologique, semble tomber dans une contradiction patente
avec la réalité dans la mesure où l'Eglise en question et
l'Etat dont elle s'engraisse participent au bloc historique qui perpétue
le couple sociologique domination-soumission entre gouvernants et
gouvernés congolais.
Enfin, nous voulons comprendre à travers le
prisme de la sociologie historique du politique, les facteurs historiques de
l'imbrication du politique et du religieux en vue d'en retracer les tendances,
les crises et les récurrences enracinées depuis le temps colonial
et perpétuées par l'Etat et la théologie importés
et qui, somme toute ont marqué d'un sceau ambigu la gouvernance et le
développement politique de l'Etat, plus particulièrement en ce
qui concerne la sécularisation de celui-ci.
0. 2. OBJET, INTERET, CHOIX ET DELIMITATION DU
SUJET
Notre objectif dans le cadre de cette étude
consiste à déceler la nature des rapports qui existent sous forme
manifeste ou latente, entre le politique et le religieux c'est-à-dire
l'imbrication du système religieux et du système politique dans
son aspect le plus pratique et dans le cadre des fonctionnements de leurs
domaines respectifs. Il sera également question de montrer le jeu que
joue l'Eglise d'une part, dans la conquête et la sauvegarde de ses
intérêts ainsi que dans la manifestation de l'ordre politique en
RDC et d'autre part, l'enjeu religieux que manipulent les acteurs politiques
dans leurs modes de conquête et de légitimation du pouvoir, chose
qui rend confus le processus de la laïcité et ne rassure du tout la
prétention laïque de l'Etat.
Les raisons de notre choix sont, tout d'abord de
réaliser une partie de nos ambitions de politiste
intéressé aux systèmes sociaux, ensuite de nous allier
à l'école de la sociologie historique du politique par laquelle
l'on voulait s'interroger sur les raisons historiques et culturelles consacrant
aujourd'hui la problématique de la laïcité de l'Etat en RDC
; enfin de vouloir tenter la dissociation du sociologiquement réel et de
l'eschatologiquement imaginaire en matière de rapports entre l'Eglise et
l'Etat.
Nos investigations portent sur toute l'étendue
de la République Démocratique du Congo partant de la
période coloniale où l'Eglise était au service de l'Etat
(composante de l'administration coloniale) à nos jours en insistant sur
les soubresauts historiques de la deuxième République (rapports
ambivalents entre l'Eglise et l'Etat) et de la longue transition
parsemée des pratiques participatives violentes incarnées par
l'AFDL, le RCD, le MLC et d'autres microstratèges comme les bandes
armées et les milices résistantes ; le tout ayant abouti à
la tenue des élections de 2006. A travers ces récurrences
historiques, l'Eglise a particulièrement pendant les guerres,
joué un rôle pionnier dans la résistance au sein de la
société civile. Ainsi, l'Eglise a donc empêché la
progression dans la rébellion sous le RCD.
0. 3. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
A l'aube de l'Etat occidental ; le complexe romain qui
guide les empereurs germaniques se heurte par ailleurs aux visées
politiques de l'Eglise. La papauté aspire elle aussi au pouvoir
suprême, à la fois spirituel et temporel. Cependant, par une sorte
d'ironie de l'histoire les stratégies complexes qu'elle conçoit
dans ce but vont se retourner contre elle, en suscitant une
désacralisation de sa puissance politique qu'elle se souciait
précisément d'éviter. A beaucoup
8 Encyclopedia, Op. cit, p. 1004.
9 B. BADIE, « La pensée politique vers la fin
du XVIème Siècle : héritages antique et
médiéval »
in Pascal ORY (dir), Nouvelle histoire des
idées politiques, Paris, Hachette, 1987, pp.17-25.
d'égards, l'émergence de l'Etat occidental
apparaît comme un effet pervers des obstacles que l'Eglise
médiévale prétendait dresser contre
lui7.
Revenons au débat sur l'Etat laïc
né avec la séparation du domaine temporel et du domaine spirituel
inauguré en 19O5 en France et qui s'est répandu comme du feu sur
une traînée de poudre à travers le monde politique à
l'exception de l'espace musulman, à tel point qu'aujourd'hui, le
principe de la laïcité s'inscrive progressivement dans les
constitutions des Etats.
Le concept moderne de la laïcité
émerge quant à lui lorsque les Etats décident de
tolérer d'autres religions que leur(s) religion(s) d'Etat. Mais la
liberté de culte change de nature : tous les cultes y sont égaux
et subordonnés aux règles de l'Etat. Si une règle de
l'Eglise entre en contradiction avec une règle de l'Etat, les adeptes de
cette religion se trouveront persécutés. La laïcité
est donc parfaitement compatible avec une liberté de culte restreinte
(indépendamment de tout jugement sur la légitimité d'une
telle restriction, qui frapperait par exemple un culte pratiquant les
sacrifices humaines)8.
L'époque contemporaine est marquée, dans
biens des coins du monde, et dans le domaine politique, par l'idée et la
pratique de l'Etat laïcisé. Les philosophes des lumières ont
bénéficié d'un héritage considérable : la
création d'un espace politique prétendant peu à peu
à la laïcité ; un débat précurseur opposant
les tenants d'une vision holistique et les premiers partisans d'une lecture et
d'une conception individualistes des rapports sociaux.
Les historiens sont unanimes que le
phénomène prend sa source dans les crises qui ont secoué
la fin du Moyen-Âge : loin d'être une période obscure de
l'histoire, les temps médiévaux ont été
incontestablement ceux de la progressive invention de la
laïcité9. Cette doctrine de la laïcité de
l'Etat s'est, historiquement, développée dans une large mesure en
face de l'Eglise catholique, à cause de sa centralisation, de la rigueur
de ses dogmes, de la morale, de sa discipline. Au surplus, chez certains
réformés, on trouve souvent une volonté consciente et
doctrinalement fondée de docilité envers l'Etat.
Une des préoccupantes questions qui se posent
à présent a trait aux rapports entre pouvoir temporel et pouvoir
politique, entre Eglise et Etat. Cette question n'est artificielle ni
arbitraire ; elle se situe au coeur de l'activité scientifique et
mérite une affinité intellectuelle perspicace. Elle tourmente le
politiste et l'incite à la réflexion.
7 Alphonse MAINDO, Cours
de systèmes politiques comparés, L1 SPô / UOB,
inédit, 2008-2009, P.38.
Les Eglises et les institutions politiques, toutes
ayant à poursuivre au sein d'une même société la
même fin celui de rendre aux individus le bien être social, la
séparation entre les missions de l'Eglises et de l'Etat a introduit les
domaines spécifiques de chacun. L'église ayant pour fin, le salut
de l'âme et l'Etat vise à assurer aux individus pour lesquels il
existe, les conditions humainement et socialement approuvées envie de
leur développement intégral.
La forme de réaction que l'on peut aujourd'hui,
légitimement, appeler laïcité de l'Etat est, dans une large
mesure un phénomène spécifiquement occidental, et
même français ; du moins est-ce sans doute en France que la
laïcité a pris naissance et a été
élaborée de la manière la plus systématique,
qu'elle trouve aussi aujourd'hui son expression la plus homogène compte
tenu des dispositions positives de ses diverses législations. Et c'est
la loi de 1905 qui en est restée la plus déterminante. Elle
marque la fin d'une longue époque historique au cours de laquelle
l'Église catholique aura en permanence été tentée
par la volonté de régir la vie des individus et d'être la
garante de la légitimité du pouvoir. Les autres confessions
protestante et juive, l'islam ne comptant guère plus qu'en 1801, ne
participeront que très peu aux débats et aux controverses. Elles
se couleront d'ailleurs sans difficultés et immédiatement dans le
cadre de la loi de 1905 qui, aujourd'hui est l'un des piliers essentiels de la
laïcité dans plusieurs pays du monde et particulièrement
ceux d'Afrique francophone10.
Avec la laïcité, il s'est affirmé
la nécessité de ne pas être soumis aux interdictions
morales identiques et l'abandon de la religion dite d'Etat. A dire vrai, les
jeunes Etats d'Afrique francophone ont accédé à
l'indépendance sans idéologies ou modèles propres et sans
institutions inspirés des réalités Africaines, autant dire
que le principe constitutionnel de la laïcité inscrit dans leurs
constitutions est davantage importé et largement inspiré de
contexte occidental, particulièrement de la France.
Le concept laïcité, en tant que
séparation du pouvoir religieux et du pouvoir séculier est
ancien, on pouvait déjà le voir dans l'antiquité
gréco-romaine. De plus, au Vème siècle, le pape
Gélase 1er avait énoncé la doctrine des deux
glaives visant à séparer le pouvoir temporel et l'autorité
spirituelle au sein de l'Eglise11. A l'Eglise le glaive spirituel,
à la cité le glaive temporel, selon l'expression utilisée
par saint Bernard, six siècle plus tard. Il n'en ressort pas seulement
l'élément clé des théories modernes que constitue
cette vision différenciée et déjà
séculière de l'ordre politique. D'autres aspects se
dégagent à mesure que cette vision se stabilise.
Consciente de l'autonomie qu'elle concède au
prince de le doter d'un sur-pouvoir, l'Eglise proclame très tôt,
conformément à une tradition médiévale,
10 M. BARNIER, La laïcité, Paris,
Harmattan, 1995, pp 37-38.
11 Site Wikipédia, l'encyclopédie
libre.
que le domaine politique n'est pas l'apanage du
prince, mais celle de la communauté humaine tout entière. Il
suffisait donc comme le souligne Bertrand Badie12, de rappeler les
conditions dans lesquelles le religieux s'est distingué du politique, en
se reproduisant durant plus de trois siècles hors de l'espace
spécifique dont les acteurs n'ont jamais cessé, depuis toujours,
de protéger et d'institutionnaliser l'autonomie, voire
l'indépendance acquise.
C'est jusqu'à la fin du
XVIIIème siècle environ, que tous les Etats ont
été confessionnels. C'est le christianisme qui a introduit la
distinction du spirituel et du temporel « Rendez à César ce
qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu »
dit JésusChrist (Matth., XX, 21). Cette distinction a une raison
doctrinale à savoir, la distinction du spirituel et du politique ainsi
affirmée ; une raison pratique aussi : le christianisme se
développe en pays juif d'abord, païen ensuite et il est souvent
persécuté13. Mais, comme le souligne Léon de
saint Moulin et Roger Gaise N'gazi14, si les sociétés
anciennes et les sociétés primitives étaient
caractérisées par une concentration et une confusion des pouvoirs
spirituel et temporel, le christianisme s'est appuyé sur cette parole du
Christ pour introduire le principe de la distinction des domaines spirituel et
temporel. Cette distinction s'est affirmée et précisée
progressivement pour servir aujourd'hui de standard aux rapports entre Eglise
et Etat.
S'il est une constante qui caractérise l'Eglise
catholique de la RDC, c'est certainement son attrait, jamais démenti,
pour le politique. En ce sens, elle s'inscrit parfaitement dans la tradition
catholique qui, remontant au pape Léon XIII et prône l'engagement
du chrétien en tant que citoyen dans les affaires du monde, tradition
confirmée par Vatican II, qui l'incite « à assumer ce qui
est moralement bon dans les systèmes sociaux et politiques, et à
recourir à la persuasion pour promouvoir les valeurs
évangéliques dans la société ». Cette invite
est plus que jamais d'actualité aujourd'hui en Afrique en
général et singulièrement en RDC. En effet, la chute de
l'autoritarisme mobutien et l'affadissement des utopies
séculières, entre autres facteurs, frayent la voie de
l'affirmation d'une politisation du religieux dont le discours apparaît
comme le mieux à même d'articuler la quête de sens de
société d'autant plus en mal de repères que les fruits de
la démocratie à savoir les libertés publiques, la bonne
gouvernance, le constitutionnalisme et l'Etat de droit tant entendus, tardent
à venir.
Dans cette perspective, l'Eglise catholique
s'engouffre dans ce vide idéologique, armé d'une vision
holistique du monde dans lequel le spirituel et le temporel tendent à se
confondre. Telle est en tout cas l'impression que donnent parfois les appels en
faveur de l'engagement des religieux en politique « pour réaliser
le plan de Dieu sur terre ».
12 B. BADIE, Op. cit,
p. 17.
13 Encyclopedia Universalis,
V6, Interferences LISZT, p.1006.
14 L. de St MOULIN et R. G.
N'GANZI, Eglise et Société : le discours socio-politique de
l'Eglise catholique du Congo (1956-1998), Kinshasa, FCK, 1998,
p.72.
Devant la défaillance de l'Etat, en RDC,
l'Eglise congolaise s'est vue garder certains attributs relevant du domaine
temporel notamment ses interventions multiples dans les services sociaux qui en
principe, relèvent des fonctions essentielles de l'Etat providence. Cela
est d'abord expliqué pour l'Eglise catholique, par ce qu'elle
considère comme étant sa doctrine socio-politique. Avec
ça, l'influence de l'Eglise est certaine et pèse de tout son
poids dans la conduite des affaires publiques pourtant domaine
réservé à l'Etat. A ce point, l'on observe est semble
s'affirmer le rétrécissement de l'espace public, les
privées et particulièrement les Eglises intervenant
majoritairement dans la prise en charge sociopolitique des citoyens, avec comme
conséquence, la prééminence de la philosophie religieuse
ou tout simplement des dogmes sur les principes devant assurer la bonne
conduite des affaires publiques compte tenu du rôle joué par
l'Eglise. D'où l'influence certaine de la croyance au-delà de
l'engagement durable des citoyens traduisant un indicateur certain de la
participation politique.
L'Etat post-colonial, a intégré dans ses
successives constitutions à commencer par celle de 1964, le principe
fondamental de la laïcité pour réfuter toute imbrication du
religieux dans le politique.
Il faut noter ici, qu'au lendemain de
l'indépendance, Lumumba avait préconisé d'instaurer un
Etat laïc. Mais ses déclarations ad hoc ont vite subi d'oppositions
de l'Eglise catholique qui les qualifia de culture d'emprunt. On s'abstient de
ne pas reconnaître le fait que l'Eglise constitue un groupe de pression
ou d'intérêts très puissant pouvant faire chanceler le
pouvoir politique sur ses propres fondations. Ce qui explique, du moins en
partie, le conflit d'intérêts manifeste ou latent qui a toujours
prévalu entre elle et le pouvoir politique. Mais souvent elle se
comporte en alliée ambiguë et inconditionnelle du pouvoir
politique. Elle constitue donc un agent ou une instance indispensable de
socialisation.
Par ailleurs, Georges Balandier15
démontre que dans les Sociétés modernes
laïcisées, l'imbrication du sacré et du politique demeure
apparente, le pouvoir n'y est jamais vidé de son contenu religieux qui
reste présent, réduit et discret.
Pourtant, l'Etat congolais qui devrait être
fidèle à sa mission propre d'assurer aux personnes les conditions
temporelles de leur développement total, possèderait dans son
domaine une autorité qui lui appartient en propre.
L'Eglise derrière sa doctrine socio-politique
pèse sur ce qui est politique et dont les animateurs tentent de se
substituer aux acteurs politiques, ils se font également des animateurs
institutionnels, des partenaires incontournables afin de protéger ou
encore de conquérir les intérêts de l'Eglise ou personnels
; c'est-à-dire ils cherchent à gagner un espace
privilégié qui leur donne un certain monopole sur
15 G. BALANDIER,
Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967, p. 118.
la chose publique. Cependant, il sied de
révéler ici que les acteurs institutionnels au cours de
l'histoire politique de la RDC, ont toujours espionné à amadouer
l'Eglise et l'utiliser comme instrument de conquête du pouvoir et de sa
légitimation. C'est pourquoi l'on constatera, en RDC comme ailleurs, la
pratique politique et les discours politiques ne sont jamais vidés de
leur contenu religieux pour corroborer l'affirmation de Georges Balandier
suscitée. Des nombreuses largesses sont octroyées par des
candidats favoris à la veille des élections aux hommes religieux
mais aussi chaque fois que les circonstances les permettent, l'on cite ainsi
les subventions et financements accordés à l'Eglise en lieu et
place des institutions publiques traduisant la prééminence de
celle-ci en lieu et place des services publics devant en l'occurrence en
bénéficier.
A la veille des élections, l'on a pu observer
le soutien voilé de l'Eglise au camp présidentiel du PPRD et
alliés par des pratiques qui du reste, n'avaient vraiment rien à
voir avec le processus démocratique amorcé au pays. Une
médiation théologique sera mise en circulation par le
clergé en faveur du président de la République et le
secrétaire général du PPRD labellisés
respectivement en Père (Dieu le père) et fils
(Jésus-Christ). Il s'agissait de persuader les masses du choix
couplé du Président et du secrétaire général
du PPRD et candidat député national car selon cette dramaturgie
de type religieux, il était incommode de choisir le père sans son
fils. Ce serait donc un reniement de la sainte trinité, mystifiés
par des rites divers perpétrant ainsi la dramaturgie politico-religieuse
en leur faveur qui s'est soldée ensuite, par leur légitimation au
pouvoir après les élections. En revanche, à l'égard
d'autres candidats potentiels en dehors du PPRD et alliés, l'Eglise se
montrera répugnante et pessimiste scandalisant ainsi la vision
rationnelle du peuple et empêchant de ce fait l'émergence d'une
culture politique de participation réelle.
Avec le multipartisme en RDC, on a assisté
à la naissance des partis dont les noms sont inspirés des valeurs
religieuses (partis chrétiens...). Mais ici l'enjeux majeur est de
partir du fait que le peuple auprès duquel l'on sollicite les mandat
politique, garde un bon souvenir de l'Eglise qu'il considère comme
institution salvatrice devant la défaillance de l'Etat. A ce titre, le
référentiel dogmatique ou spirituel prédomine et vient en
première place. Autant les politiques faiblissent, autant l'Eglise prend
la relève en RDC. Ceci pose pause un problème sérieux de
construction d'une identité politique différente de
l'identité religieuse.
Il n'appartient pas aux politistes d'affirmer que
c'est parce que les intérêts commun de l'Eglise et la foi sont
menacés par la connexion au politique que l'Eglise se vêtit du
costume politique ou parce que un régime efficace doit se fonder sur des
croyances religieuses que les politiques s'inféodent à l'Eglise.
Une telle vision relève de la philosophie morale qui obscurcit l'analyse
en la nourrissant des jugements de valeur théologique que nous
replaçons au compte de la subjectivité.
En RDC, les Eglises et particulièrement
l'Eglise romane disposent d'un patrimoine important, des moyens
matériels et financiers ; des écoles, des entreprises et d'autres
unités de production faisant à ce qu'elles sont aujourd'hui
pourvoyeuses d'emplois au risque de rivaliser sensiblement avec l'Etat. Ce qui
démontre le rétrécissement du rôle et de l'espace
publics sur le plan fonctionnel. D'où, il y aurait en RDC ce que
Voltaire appelle « un Etat dans un Etat ».
Au demeurant, l'Etat réputé garant de
l'ordre public et cylindre principal de la régulation sociale doit se
vouloir efficace, mais suite aux défaillances fonctionnelles dont il
l'auteur, les repères de la légitimité sont en berne ;
cédant la primauté au référentiel religieux. Cette
récupération revêt deux caractéristiques
contradictoires à nos yeux : tout en suppléant aux carences de
l'Etat, l'Eglise l'enfonce en même temps dans l'abîme de la
faillite.
Par ailleurs, l'évolution socio-historique
congolais démontre combien l'Eglise est non seulement un acteur puissant
qui manipule les gouvernés afin de soutenir et/ou de s'opposer
aveuglement au régime politique mais également voire surtout,
elle empêche certainement l'édification d'une culture politique,
d'une identité politique distincte de l'identité religieuse,
accordant une place de choix aux croyances.
Partant du postulat que l'Etat congolais est
formellement laïc mais s'avoue confessionnellement engagé dans la
pratique suite à ses nombreuses connexions au religieux, il y a lieu de
poser les questions suivantes :
· quels sont les facteurs de l'osmose entre les
affaires publiques et religieuses en RDC ?
· Quel est l'impact de cette imbrication sur la
gouvernance et sur le développement politique en RDC ?
En guise d'hypothèses et conformément aux
exigences épistémologiques, nous estimons que :
Les facteurs de l'osmose du religieux et du politique
en RDC seraient d'abord historique à la suite de l'héritage
colonial de la solidarité organique entre l'Etat congolais et l'Eglise ;
ensuite politique dans la mesure où l'Etat et l'Eglise se sont
mutuellement influencés après l'indépendance; enfin
stratégique étant entendu que l'Eglise reste connectée
à l'Etat et influente en politique pour la sauvegarde de ses
intérêts et l'Etat lui-même se sert de l'Eglise comme
partenaire dans la recherche de la légitimité et du consensus
social.
culture politique en RDC, l'on pourrait d'abord
remarquer l'interférence de l'Eglise dans le choix et la conduite des
politiques publiques et dans l'entretien d'une culture non
sécularisée fondée sur les croyances dans un
mélange d'intégrisme, de conservatisme et de fondamentalisme
spirituellement entretenus au nom de l'eschatologie.
0. 4. METHODOLOGIE DE RECHERCHE
.
La recherche scientifique recommande toujours, le
choix d'une approche méthodologique devant guider l'analyse des
données, leur interprétation ainsi que la systématisation
qui en découle16.
Pour expliquer le phénomène
étudié dans ce travail et compte tenu de son objet, nous avons
recouru à la sociologie historique du politique de Yves
Deloye17.
Sous réserve d'être une panacée,
cette méthode nous permet comme l'observe Yves Deloye, d'envisager,
certes, une histoire sociale du politique et, partant, de dégager les
dynamismes qui donnent sens et cohérence à la vie politique, mais
aussi une histoire politique du social apte à identifier l'empreinte
profonde du politique sur le social à travers les
récurrences18.
Comme il s'agit d'étudier les rapports entre
l'Eglises et l'Etat en RDC dans son évolution historique, la sociologie
historique du politique nous a permis de prendre la mesure du temps et de sa
pesanteur, de rendre compte des processus politiques de ce rapport
situés dans des contextes et des configurations de durée et de
forme inégales. D'où la méthode revêt deux exigences
essentielles :
__ La contextualisation : dans le cadre de cette
étude, il s'est agit d'analyser la forme de la laïcité et
les rapports existant entre le politique et le religieux dans le contexte
proprement congolais, et par là se détacher des
réalités qui semblent servir des standards universels. En
d'autres termes, les rapports actuels entre l'Etat et l'Eglise tirent leur
fondement dans le contexte culturellement et socialement congolais.
__ L'historicisation : pour notre domaine de
recherche, il a été question d'étudier les processus qui
ont conduit à l'émergence des situations actuelles des rapports
de deux structures sociales. Ici l'histoire politique du Congo nous a servi
d'instrument d'analyse du politique dans son
hétérogénéité en identifiant les formes
variées des interférences du religieux et du politique.
Convaincus avec Stein Rokkan19 qu'on ne peut expliquer les variables
masquées dans la structuration des politiques de masse en Europe de
l'Ouest sans retourner loin dans
16 M. GRAWITZ,
Méthodes de recherche en sciences sociales, Paris, Dalloz, 1976,
p.22.
17 Yves DELOYE, Sociologie
historique du politique, Paris, La Découverte, 2003, p.
9.
18 Idem, p.12.
19 S. ROKKAN, cité par
Y. DELOYE, Op. cit, p. 47.
l'histoire, sans analyser les différences dans les
conditions initiales et les premiers processus de construction des Etats et de
combinaison des ressources.
En d'autres termes, l'édification de l'Etat
nécessite non seulement l'interaction des différents acteurs mais
aussi s'inscrit dans une dynamique sociohistorique circonscrivant la
différenciation fonctionnelle et relevant les défaillances,
lesquelles peuvent faciliter dans la recherche des intérêts
particularistes l'imbrication, l'osmose , l'interférence dans le cas
sous analyse, du religieux dans le politique. D'où la
nécessité de circonscrire le fait dans le processus historique
partant des enjeux, de la structuration ou tout simplement de la configuration
dynamique des acteurs.
Cette méthode a été sous -tendue par
trois techniques, à savoir :
1. L'analyse documentaire qui nous a permis
d'exploiter des ouvrages, revues et autres documents écrits traitant
d'une manière ou d'une autre notre thème d'étude et qui
nous ont fourni assez d'informations ou des données qui ont
contribué à l'élaboration de ce travail.
2. L'entretien qui est une communication orale ayant
pour but de transmettre des informations de l'enquêté à
l'enquêteur. Cet entretien nous a permis d'entrer en contact avec
certains personnages aussi bien religieux que politiques. les données
recueillies auprès des enquêtés ont enrichi les
informations tirées des ouvrages et nous ont fourni d'autres pistes
indispensables et fiables pour notre recherche.
3. L'observation nos systématisée :
« elle accumule, sinon volontairement du moins de façon plus ou
moins marginale, les observations qui peuvent cependant susciter une
orientation, une idée de recherche. C'est une attitude
générale, qui consiste à se tenir prêt à
saisir les faits significatifs pouvant apparaître dans les champs
d'observation ». Cette technique nous a permet d'observer par nous
même, certains comportements des acteurs politiques et des acteurs
religieux dans leurs rapports contraignant la laïcité de l'Etat et
la rationalité politique en RDC.
0. 5. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Hormis l'introduction et la conclusion, ce travail
comprend trois chapitres. Le premier est un débat théorique sur
les rapports entre la religion et la politique. Il présente une
élucidation conceptuelle qui fixe nos lecteurs sur le sens des mots qui
reviennent en leitmotiv, les modèles explicatifs ou cadre
théorique, les controverses sur la laïcité et enfin, la
doctrine socio-politique de l'Eglise catholique prise de manière
particulière dans le cadre de cette recherche. Le deuxième
chapitre s'est attelé à circonscrire l'imbrication du religieux
et du politique en RDC. Ici, il est question de montrer les situations et les
faits attestant
cette imbrication pendant la période coloniale,
après l'indépendance, pendant la première
République, sous la deuxième République, ainsi que de la
transition à la troisième République et fait ressortir
l'impact de celle-ci sur la gouvernance. Enfin, le troisième chapitre
dégage les contraintes (obstacles) liés à
l'effectivité de laïcisation de l'Etat ainsi que les
problèmes de l'édification de la culture politique
dépouillée de toute croyance.
Chapitre Ier : DÉBAT SUR LES RAPPORTS
ENTRE LA RELIGION ET LA POLITIQUE : APPROCHE THÉORIQUE
Section 1ère : Tentative de
définition des concepts 1. Laïcité
La laïcité consignée dans la
constitution désigne la séparation nette du politique et du
religieux et le respect des libertés des croyances et des consciences.
Le principe de séparation des pouvoirs politique et administratif de
l'Etat du pouvoir religieux et de la non intervention de l'un ou de l'autre
dans les domaines respectifs doit en être une application. Toutefois,
l'Etat peut et doit intervenir dans la régulation du religieux afin de
ne pas porter atteinte aux droits civiques garantis aux citoyens.
Une définition liminaire de la
laïcité, au sens où on l'entend ici, ne peut être que
très imprécise. Toute Eglise, dès qu'elle a un minimum de
structures, de hiérarchie, des qu'elle propose, au delà du culte
proprement dit, un humanisme à ses fidèles, exerce une influence
sur ceux-ci, et cherche à accroître leur nombre.
Déjà par là, peu ou prou, elle entre en concurrence avec
l'Etat ; parfois, elle tente de le dominer ; moyen plus facile qu'efficace en
profondeur d'étendre son influence, et l'on voit sévir le
cléricalisme aboutissant à la théocratie. Comment l'Etat
va-t-il se comporter ? Acceptera-t-il d'être subordonné à
une Eglise ? Ou bien essaiera-t-il de dominer les Eglises, pour les mettre au
service de sa politique ? Va-t-il les combattre ? Leur laissera-t-il la
liberté, sauf à conserver sa propre indépendance ? L'enjeu
est d'importance : souveraineté de l'Etat, responsable du destin
national par sa législation et sa politique ; libertés des
citoyens, croyants ou non croyants, en face de l'Etat et en face des Eglises ;
concorde entre citoyens divisés de croyances, et donc unité
nationale20.
Le refus par l'Etat de toute sujétion envers
les Eglises équivaut, au sens le plus large, à la
laïcité. Les Eglises se montrent plus ou moins entreprenantes
envers l'Etat. Celui-ci est plus ou moins jaloux de son indépendance,
plus ou moins libéral. Dans les démocraties, notamment, la masse
des citoyens est plus ou moins réformiste ou, au contraire,
indépendante en face des Eglises et de l'Etat. Selon les pays et les
époques, en conséquences, cette réaction
d'indépendance de l'Etat en face des Eglises, celle qu'il adopte
effectivement ou celle qu'on lui demande d'adopter, revêt des colorations
différentes.
La loi votée le 9 décembre 1905 en
France, paraîtra au Journal officiel le 11 décembre et «
concerne la séparation des Églises et de l'État ».
Elle a mis fin au régime précédent du Concordat
signé en 1801 entre Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, et
le pape Pie VII et la même loi affirme la non confessionnalité de
l'Etat : l'Etat ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne,aucun culte.
Pour
20 Encyclopedia
universalis,
Combes, la séparation c'est << le terme
naturel et logique du progrès à accomplir vers une
société laïque débarrassée de toute
sujétion cléricale ». Les modalités d'application de
cette convention diplomatique, définies par des Articles organiques,
seront élargies en 1802 aux protestants et aux juifs, l'islam ne
comptant guère encore21.
Dans le contexte de l'époque, la loi de 1905 a
représenté l'aboutissement d'un processus de laïcisation qui
s'était considérablement accéléré
après la proclamation de la Troisième République quelque
vingt-cinq ans plus tôt, le 4 septembre 1870, et la victoire
électorale des ré publicains quelques années
après.
En réalité, ce processus est plus
ancien. On le fait, selon les auteurs, remonter à l'édit de
Nantes, ou tout au moins à la Révolution française.
Celle-ci avait en effet déjà proclamé la séparation
des Églises et de l'État. Le budget du culte, qui concernait la
seule religion catholique, avait été supprimé en septembre
1794. Le décret du 21 février 1795 (3 ventôse an III)
affirmait que la République (la Première) ne salariait aucun
culte et n'en reconnaissait aucun ministre. Ces termes seront repris dans le
décret du 29 septembre 1795 (7 vendémiaire an IV) qui inspirera
directement les rédacteurs de la loi de 190522. Durant sa
brève existence, la Commune de Paris décrétait elle aussi,
le 3 avril 1871, que << l'Église est séparée de
l'État » et que le budget des << cultes était
supprimé ».
Cette doctrine de la laïcité de l'Etat
s'est, historiquement, développée dans une large mesure en face
de l'Eglise catholique, à cause de sa centralisation, de la rigueur de
ses dogmes, de la morale, de sa discipline. Au surplus, chez certains
réformés, on trouve souvent une volonté consciente et
doctrinalement fondée de docilité envers l'Etat. On s'attachera
donc plus particulièrement à la laïcité de l'Etat
comme réaction en face des affirmations et de l'attitude concrète
de l'Eglise catholique. On n'ignore cependant pas la laïcisation de la
Turquie par Kemmel Atatürk, qui voulait désolidariser l'Etat de
l'Islam, ni la laïcité des Etatsunis d'Amérique du Nord,
où les dominations protestantes et les leurs adeptes sont nombreux. Pour
les dispositions positives des diverses législations.
En d'autres termes, aujourd'hui la loi de 1905 est un
des piliers essentiels de la laïcité dans plusieurs Pays du monde
et particulièrement, elle a servi de copie aux pays d'Afrique
francophone notamment la RDC après leur accession à
l'indépendance. À l'époque, elle était d'abord
conçue comme un outil pour contenir le pouvoir de l'Église
catholique en France. En ce sens, elle marque la fin d'une longue époque
historique au cours de laquelle l'Église catholique aura en permanence
été tentée par la volonté de régir la vie
des individus et d'être la garante de la légitimité du
pouvoir. Les autres confessions, protestantes et juive, l'islam ne comptant
guère plus qu'en 1801, ne participeront que très peu
aux
21 Encyclopedia universalis,
op. cit, p. 1003. 22Site : Wikipédia :
encyclopédie libre, site Web.
débats et aux controverses. Elles se conformeront
et s'adapteront d'ailleurs sans difficultés et de manière
immédiate à la loi.
Adoptée après une période
d'affrontements souvent violents, où l'anticléricalisme occupait
une place à la mesure des résistances très fortes de
l'Église catholique, la loi finalement votée sera pourtant une
loi d'apaisement, << juste et sage >> selon le mot de Jean
Jaurès. C'est un premier paradoxe, résultat des changements
très rapides intervenus dans les mois qui ont
précédé le vote de la loi. Entre le << petit
père Combes >> qui, en tant que président du Conseil
prendra les décisions dont la rupture des relations diplomatiques avec
le Vatican qui rendront la séparation inéluctable et des hommes
comme Aristide Briand, rapporteur de la loi, ou Jaures, qui en sera un partisan
résolu, il y a plus que des nuances dans la conception des relations
avec les confessions. Fallait-il contrôler étroitement les
Églises, dans la logique du Concordat de Napoléon mais aussi de
la longue histoire souvent tourmentée entre le pouvoir et
l'Église dans notre pays ? Ou séparer, ce qui signifiait bien
sûr mettre fin de façon radicale et définitive au pouvoir
des Églises dans la sphère publique, mais aussi, en contrepartie,
garantir la liberté religieuse et des droits pour les cultes, sauf
à vouloir << un texte braqué sur l'Église comme un
revolver >>, comme le disait Aristide Briand pour le refuser
?
L'ordre même des articles de la loi indique
clairement de quel côté la balance a finalement penché, la
première disposition votée stipulant que << La
République assure la liberté de conscience ; elle garantit le
libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées
ci-après dans l'intérêt de l'ordre public >>. Ce
n'est qu'ensuite que la loi disposera que << La République ne
reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte
>>.
Le pilier essentiel de la laïcité des
institutions des Etats c'est la loi de 1905. Cette dernière
n'élucide pas le mot, ni même une périphrase du mot, dans
le texte de la loi. Celle-ci se contente en effet, après les articles de
principes qui viennent d'être rappelés, de légiférer
sur la dévolution des biens des Églises, le versement des
pensions, sur les édifices religieux, sur les << associations
formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à
l'exercice public d'un culte >> - associations qui seront au centre des
conflits à venir entre l'Église catholique et l'État - et
sur la << police des cultes >>. Il faut préciser qu'il
faudra attendre 1945 pour que la République française devienne
elle-même laïque, sans d'ailleurs que pour autant les textes
proprement juridiques retiennent une définition précise du mot ou
précise tout simplement son contour sémantique . Tout se passe
comme si, avec la loi de 1905 et à partir de son adoption, il y avait
séparation de deux sociétés (civile et la religieuse). Ou,
pour l'exprimer dans un autre registre, séparation d'une sphère
publique, où prévaut ce qui concerne la collectivité dans
son ensemble, et la sphère privée, où l'individu est libre
de choisir telle ou telle option philosophique ou religieuse. L'État se
garde d'exercer un quelconque pouvoir religieux. Les Églises renoncent
à exercer un pouvoir politique. Et ceci même si la
réalité est infiniment plus complexe.
S'il n'y a pas de définition juridique du mot
laïcité, il y aussi des nuances aux conséquences
significatives, selon le choix de l'origine même du mot que l'on
privilégie. « L'origine étymologique du mot
laïcité est très instructive », selon Henri Pena-Ruiz,
qui le rattache directement au terme grec laos, qui désigne
l'unité d'une population, considérée comme un tout
indivisible23 . Cela renvoie à un horizon un peu mythique, la
Grèce antique, et donc à des sources dans lesquelles la
philosophie a toujours abondamment puisé. Ces sources sont largement
utilisées en particulier dans les réflexions sur la
démocratie, en oubliant parfois que, tout comme le laos, elle ne
concernait qu'une partie de la population.
La conception française est, dans son principe,
la plus radicale des conceptions de la laïcité (comparativement),
quoiqu'elle ne soit pas totale. La justification de ce principe est que, pour
que l'Etat respecte toutes les croyances de manière égale, il ne
doit en reconnaître aucune. Selon principe, la croyance religieuse
relève de l'intimité de l'individu. De ce fait, l'Etat
n'intervient dans la religion du citoyen, pas plus que la religion n'intervient
dans le fonctionnement de l'Etat.
La laïcité pose comme fondement la
neutralité religieuse de l'Etat. L'Etat n'intervient pas dans le
fonctionnement de la religion, sauf si la religion est persécutée
(article 1 de la loi de 1905 : « l'Etat garantie l'exercice des cultes
»). Elle implique aussi un enseignement public, d'où la formation
religieuse (, dans le sens « enseignement de la foi ») est absente.
Pour autant que l'enseignement des religions n'est pas incompatible avec la
laïcité, tant qu'il ne s'agit que de décrire des us et
coutumes, et si l'on présente chaque religion d'un point de vue
extérieur (historique et géographique).
Etymologiquement, le mot « laïc » est
issu du latin : laicus, de même sens, lui-même issu du grec
laïkos, qui signifie « qui appartient au peuple » par opposition
aux organisions religieuses. Le mot fut repris par la langue religieuse, pour
différencier les Lévites, voués au service du temple, du
reste du temple juif. Le terme laïc fut ainsi également
utilisé au sein de la religion catholique pour designer toute personne
qui n'est ni clerc, ni religieux (ce qui ne l'empêche pas de se voir
confier certaines responsabilités au sein de l'Eglise, ni d'être
croyant)24
Le concept laïcité, en tant que
séparation du pouvoir religieux et du pouvoir séculier est
ancien, on pouvait déjà le voir dans l'antiquité
gréco-romaine. De même, au 5ème siècle,
le Pape Gélase 1er avait énoncé la doctrine des
deux glaives visant à séparer le pouvoir temporel et
l'autorité spirituelle au sein de l'Eglise25.
Le concept moderne de laïcité, lui
émerge lorsque les Etats décident de tolérer d'autres
religions que leur(s) religion(s) d'Etat. Mais la liberté de
culte
change de nature : tous les cultes y sont
égaux, et subordonnés aux règles de l'Etat. Si une
règle de l'Eglise entre en contradiction avec une règle de
l'Etat, les adeptes de cette religion se trouveront persécutés.
La laïcité est donc parfaitement compatible avec une liberté
de culte restreinte (indépendamment de tout jugement sur la
légitimité d'une telle restriction qui frapperait par exemple un
culte pratiquant les sacrifices humains...).
Les positions soutenues par les autres auteurs plus
nuancés, ou plus attentifs à la complexité historique et
politique de la question relative à la laïcité. Claude
Durand-Prinborgne rappelle lui aussi que << étymologiquement, le
mot laïque vient du terme grec laos qui désigne l'unité
d'une population »26 mais, il précise aussitôt
<< qu'il sera plus tard employé pour désigner les
fidèles ». Et que << son emploi postérieur, qui nous
intéresse, le fait dériver d'un adjectif signifiant non
religieux, non clerc ».
La plupart des dictionnaires généraux ou
étymologiques confirment cette vue historique des origines du mot
laïque. Pour le Larousse universel en deux volumes de 1923, qui lui
consacre trois lignes, le mot vient du latin laicus et signifie << qui
n'est ni ecclésiastique, ni religieux ». Pour le Robert de 1972, la
seule étymologie indiquée est encore le << latin
ecclésiastique laicus ». Le premier sens indiqué est celui
déjà cité : << qui ne fait pas partie du
clergé ». Le deuxième renvoie à l'État ou
à l'enseignement laïque : << qui est indépendant de
toute confession religieuse ».
Le dictionnaire étymologique de la langue
française27 [4] d'Oscar Bloch et Von Wartburg rattache lui
aussi laïque au latin ecclésiastique laicus, qui viendrait
lui-même du << grec ecclésiastique laïkos, proprement
du peuple - laos, opposé à klêrikos » Si l'adjectif
remonte au XIIIe siècle tout en restant rare jusqu'au
XVIe, ses dérivés sont beaucoup plus récents :
1870 pour laïciser et laïcisation, 1871 pour laïcité
(dans le Littré). Le dictionnaire étymologique et historique de
Larousse28 dit à peu près la même
chose.
Ce qui fait souvent dire que le moindre paradoxe n'est
pas le fait que la lutte contre l'emprise religieuse sur la vie publique s'est
faite avec des mots directement empruntés au langage
religieux.
Ce petit détour par les mots montre que le
choix de l'étymologie ne contribue pas seulement à
éclairer le débat laïc, il en fait partie. On n'aura pas en
effet tout à fait la même conception de la laïcité
selon qu'on la détache de l'histoire en la rattachant à un
concept très ancien avec lequel la filiation est pour le moins
détournée ou qu'on la considère comme un moment, ici et
maintenant, d'un processus qui se poursuit.
26 Claude Durand-Prinborgne,
La laïcité, Paris,
éd. Dalloz, 2004.
27 Oscar Bloch, W. Von
Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue
française, Paris, PUF, 1960.
28 A. DAUZAT et alii,
Nouveau dictionnaire étymologique et historique, Paris,
éd. Larousse, 1971.
On notera qu'il n'a été question
jusqu'ici que de laïcité en relation avec les religions. En fait,
au cours de cette période, le sens du mot se précisera pour
indiquer l'indépendance de l'État par rapport aux religions, puis
sa neutralité en matière religieuse. Très vite, et
notamment dans le champ scolaire, la laïcité prendra une acception
plus large pour désigner, par exemple, la neutralité des
enceintes scolaires à l'égard de toute influence
étrangère à la mission éducative de l'école
; du refus « des curés et des patrons » formulé par
divers courants politiques à la dénonciation de « tous les
cléricalismes », on en viendra à considérer comme
contraires à la laïcité le financement public des
établissements d'enseignement privés - la loi Estier de 1919,
autorise le financement public sans limite des établissements
d'enseignement technique qu'ils soient privés ou publics - l'influence
du patronat sur l'enseignement professionnel et, aujourd'hui, celle du Medef
sur l'enseignement en général, l'introduction de la
publicité dans les établissements scolaires, voire l'existence
même non seulement de l'enseignement privé, d'ailleurs très
majoritairement confessionnel, mais aussi celui de l'apprentissage ou des
formations professionnelles en alternance .
Le sens à retenir dans ce travail est
d'appréhender la laïcité de l'Etat comme la
séparation du domaine religieux de celui de politique à
défaut desquels il y a blocage à la modernité
politique.
2. Religion
L'étude du fait religieux et des pratiques
religieuses est contemporaine de la naissance de la sociologie. Les auteurs
comme Alexis de Tocqueville, Karl Marx, Emile Durkheim, et Max Weber en ont
mené des études significatives et accordent la place importante
à la religion dans leurs analyses. Cependant, les définitions
sociologiques de la religion sont nombreuses et correspondent à des
orientations théoriques diverses. Les anthropologues ont
contribué à l'étude des phénomènes
religieux, en particulier à travers une réflexion sur les mythes
et les rites. L'analyse des pratiques religieuses, l'étude des rapports
entre religions et comportements (économiques et politiques en
particulier) permet de souligner l'importance de la religion. Pour certains
sociologues du politique, l'influence du religieux est en déclin et nos
sociétés seraient marquées par un mouvement de la
sécularisation. Pour d'autres, au contraire, on assiste à un
« retour du religieux »29 nonobstant les dispositions
constitutionnelles qui prévoient la laïcité de
l'Etat.
Du point de vue sociologique, deux approches sont
possibles pour définir la religion. La première proche de la
philosophie et de la théologie, considère que la religion est
inhérente à la condition humaine. La seconde consiste à
rechercher l'origine du fait religieux dans la réalité
sociale.
29 A. BEITONE et alii,
Sciences sociales, Paris, Dalloz, 3ème éd.,
2002, p. 268.
Dans la première approche, la religion apporte
des réponses à un besoin psychologique lié à
l'angoisse devant la mort, au mystère de l'origine et de
l'immensité de l'univers, à la quête du sens de l'existence
humaine.
Otto30 refuse d'opposer la rationalité
et la religion. Cette essence se trouve dans l'expérience religieuse et
le sentiment religieux.
La seconde approche a été en particulier
développée par Marx31. Ce dernier considère que
la religion est à la fois l'expression de l'aliénation des
individus et un discours de légitimation de l'ordre établi :
<< la détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la
détresse réelle et, pour l'autre, la protestation contre la
détresse réelle. La religion est le soupir de la créature
opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit des
conditions sociales dont l'esprit est exclu. Elle est l'opium du
peuple.».
Sans partager les analyses de Marx,
Durkheim32 recherche lui aussi dans la société
l'origine du fait religieux. Pour lui << la force religieuse n'est que le
sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais
projeté hors des consciences qui l'éprouvent, et
objectivé. ». On peut donc dire dans cette perspective que Dieu
c'est la société. Le sentiment religieux se fixe sur un objet qui
devient ainsi sacré. La distinction entre le sacré et le profane
et l'attention aux pratiques et aux institutions, conduisent Durkheim à
proposer la définition suivante : << une religion est un
système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des
choses sacrées c'est-à-dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale,
appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent. ».
Au regard de ces deux approches de la religion
évoquée ci- haut, Bastide33 adopte une position
intermédiaire : il souligne que la religion dépend pour une
grande part du milieu social, mais qu'elle n'est pas un <<
épiphénomène » : << si la religion tend ainsi
à se détacher de tout substrat social pour vivre une vie
autonome, c'est que la religion, plus qu'un système d'institutions est
un système de croyances et des sentiments. ».
Le fait de faire reposer la définition de la
religion sur l'opposition du sacré et du profane apparaît
problématique aujourd'hui à certains sociologues du politique. Le
terme << sacré » a pris une extension considérable,
désignant ce qui est particulièrement respectable, ce qui
relève de l'absolu. On dit ainsi que la vie est sacrée ; comme le
sont les droits de l'enfant ou la liberté de conscience par
exemple.
30 R. Otto cité par
Alain BEITONE et Alii, Op. cit., p. 269.
31 K. MARX, cité par
A. BEITONE et Alii, Op. cit. p. 260.
32 Idem, p. 263.
33 R. BASTIDE, Le fait
religieux, Paris, Fayard, 1993, p. 270.
La spécificité du regard sociologique
sur la religion est clairement formulée par Marcel Mauss34 :
<< il n'y a pas, en fait une chose, une essence appelée Religion :
il n'y a que des phénomènes religieux plus ou moins
agrégés en des systèmes qu'on appelle des religions et qui
ont une existence historique définie, dans des groupes d'hommes et dans
des temps déterminés ».
A la suite de Willaime35 on peut distinguer
les définitions fonctionnelles et les définitions substantives de
la religion. Il donne un exemple de définition fonctionnelle. Pour lui,
la religion est << un système de symboles, qui agit de
manière à susciter chez les hommes des motivations et des
dispositions puissantes, profondes, durables, en formulant des conceptions
d'ordre général sur l'existence et en donnant à ces
conceptions une telle apparence de réalité que ces motivations et
ces dispositions semblent ne s'appuyer que sur le réel ». La
religion est donc définie par les fonctions sociales qu'elle remplit et
non par son contenu.
Rivière36 propose pour sa part une
définition substantive lorsqu'il considère la religion comme
<< un ensemble de croyances et de symboles (et des valeurs qui en
dérivent directement) lié à une distinction entre une
réalité empirique et supra-empirique, transcendante ; les
affaires de l'empirique étant subordonné à la
signification du non empirique ». Dans ce cas, c'est le contenu même
des croyances, en particulier la référence à une
transcendance (un au-delà, des principes supérieurs, un dieu
personnel omniscient...) qui définit la religion.
Willaime souligne en plus, la nécessité
de dépasser l'opposition entre la définition fonctionnelle et
substantive et de prendre en compte la dimension charismatique qui joue un
rôle fondateur dans les religions. Il propose la définition selon
laquelle la religion est << une communication symbolique
régulière par rites et croyances se rapportant à un
charisme fondateur et générant une filiation ». La filiation
évoquée par Willaime est celle qui relie les
générations successives de croyants par la transmission des
normes, des valeurs, ders rites...
3. Politique
Le concept politique n'est pas toujours aisé
à définir pour autant qu'il revêt un caractère
dynamique, complexe et multidimensionnel. Veyne37 dit à ce
sujet que << la politique est une notion sans contenu fixe, tout peut
devenir politique ».
En effet, << issu de mot grec polis, la
cité, politeia, le gouvernement, le terme politique signifie dès
son apparition << les affaires publiques », les
34 M. MAUSS cité par
G. SIMMEL, La religion, Paris, Circé, 1998, p. 253.
35 J.-P. WILLAIME,
Sociologie des religions, Paris, Que sais-je ?, PUF, 1995, p.
108.
36 C. RIVIERE,
Socio-anthropologie des religions, Paris, Armand Colin, Coll. Cursus,
1997, p. 16.
37 VEYNE, cité par
J.-F. BAYART et Alii, Le politique par le bas en Afrique noire :
Contribution à une
problématique de la démocratie,
Paris, Karthala, 1992, p. 7.
collectivités, c'est-à-dire le
problème qui concerne l'ensemble de la communauté (politica : les
affaires de la cité).
Pendant l'antiquité grecque, la cité
représentait le cadre maximal, la plus vaste étendue souhaitable,
le pays, devant être à la portée de tous. Tout ce qui
dépasse ce cadre devient étranger et barbare. De nos jours, la
politique bien qu'elle recouvre un univers plus vaste, demeure l'ensemble des
relations du pouvoir d'influence, de gouvernement, de légitimité,
de hiérarchie et d'organisation dans une
société.
L'auteur distingue parmi les enjeux, ceux qui sont
politiques et ceux qui ne le sont pas. Pour y arriver, il part de la
distinction de ce qui est laissé au libre arbitre de l'individu,
c'est-à-dire le privé qui ne bénéficie nullement
pas de la couverture du gouvernement. Par contre, le public apparaît sous
ses yeux comme étant tout problème individuel faisant l'objet de
l'intervention gouvernementale. C'est ce qui est politique.
Certains auteurs définissent la politique comme
l'art de gouverner un Etat, ils soulignent qu'elle est l'activité la
plus haute qui englobe les autres, car elle est d'ordre général
et vise l'organisation de la vie sociale. C'est dans cette perspective que
Jean-Pierre Cott et Jean-Pierre Mounier38 soulignent qu'on peut
regrouper les tentatives de définition du politique autour de deux
notions : Etat et Pouvoir. Pour eux « personne ne conteste aujourd'hui la
prééminence de l'Etat comme cadre de l'action politique
».
La vie politique tant interne qu'internationale est
dominée par la concentration de tous les pouvoirs au niveau
organisationnel de l'Etat. En évoquant la notion de pouvoir, ces deux
auteurs parlent de la majorité des auteurs contemporains qui
ramènent la politique à la notion du pouvoir. Harold Lasswell et
Robert Dahl aux USA, Georges Burdeau, Maurice Duverger, Raymond Aron, en France
s'accordent pour considérer comme l'exercice du pouvoir.
Au demeurant, mettant en évidence la notion du
pouvoir, Georges Burdeau39 stipule que «tout fait, tout acte ou
toute situation ont dans le groupe humain un caractère politique dans la
mesure où ils traduisent l'existence des relations d'autorité et
d'obéissance établie en vue d'une fin commune », « le
» politique serait du point de vue statique, la structure que des telles
relations imposent à la société ; « la »
politique traduirait plutôt l'aspect dynamique de tous les
phénomènes impliqués par l'activité qui vise
à conquérir le pouvoir, ou son exercice.
38 J-P., COTT et J-P.,
MOUNIER, Pour une sociologie politique, T1, Paris, Seuil, 1974, p.
14.
39 G. BURDEAU, cité
par A. BIROU, Vocabulaire politique des sciences sociales, Paris,
Ouvrières, 1966, p.257
Quant à julien Freund40, pour
définir succinctement possible la politique, on peut s'appuyer sur le
respect des corrélations entre les divers présupposés du
commandement et de l'obéissance, du privé et du public, de
l'ennemi et de l'ami. La meilleure manière nous semble cependant celle
qui la caractérise par l'enrichissement des dialectiques que ces
présupposés commandent. Elle est alors sur le droit de
sécurité extérieure et la concorde antérieure d'une
entité politique particulière en garantissant l'ordre au milieu
des luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions
et des intérêts.
Pour sa part, Maurice Duverger41
définit la politique comme les deux faces du dieu Janus <<
à la fois l'instrument de domination de certaines classes et de certains
hommes et un moyen d'assurer un minimum d'ordre social et d'intégration
collective.
Des auteurs comme Jean Leca et Madeleine
Grawitz42 considèrent la politique en tant qu'objectifs qui
accompagnent (la politique-the political ; la politique-politics ; les
politiques-policy ; la politique ou la société : politiquepolity)
ne peuvent être définis. Les différentes théories
les conçoivent et les construisent car il n'existe, en la
matière, d'objet scientifique communément accepté auquel
les théories devraient << s'appliquer ». Ces auteurs
précisent que la définition accordée au concept <<
politique » n'en est pas une puisqu'elle n'est pas liée à
aucun enjeux précis mais elle permet de le désigner avec un
minimum de précision, ce que le théoricien veut dire c'est ce qui
lui servira des matériaux pour ses définitions.
Ils citent à cet effet, Harry Eckstein qui
distingue deux approches du concept << politique ».
La première considère la politique comme
toute relation impliquant un pouvoir légitime, le règlement des
conflits, la régulation des conduites à l'échelon d'une
collectivité englobante quelque soit sa localisation sociale ; la
seconde considère la politique comme la fonction et les activités
d'institutions et appareils différenciés et spécifiques
qui constituent le << domaine public ».
4. Eglise et Etat
Selon l'encyclopédie universelle43,
on entend ici par Eglise toute communauté d'adeptes d'une même
religion, sans exclure, comme on le fait parfois, les religions non
chrétiennes, ou les religions dépourvues plus ou moins
complètement de structure hiérarchisée, avec la
distinction des simples fidèles et des ministres du culte (comme il en
est par exemple dans l'Islam). Les adeptes
40 J. FREUND, Qu'est-ce
que la politique, Paris, Seuil, 1965, p. 177.
41 M. DUVERGER,
Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p.
119.
42 J. LECA et M. GRAWITZ,
Traité de science politique, Vol.1, Paris, PUF, 1985, pp.
55-56.
43 Encyclopedia universalis,
V.6, Op. cit., p.1005.
d'une même religion ont en commun un corps de
croyances, pratiquent le même culte, suivent la même discipline
(formulée le cas échéant par les mêmes
autorités hiérarchiques), etc., et c'est en tout cela qu'ils
constituent une Eglise.
Et par Etat, on entend l'organisme qui constitue la
structure juridique, institutionnelle et politique de la communauté
nationale : le pouvoir, par conséquent, et la législation qui
émane de lui.
Chaque Eglise a une conception propre de ses rapports
avec les Etats sur le territoire desquels elle a des fidèles. Mais ce
sont les Etats, maîtres du temporel, qui, en fin de compte règlent
leurs rapports avec les Eglises soit, dans une très large mesure ce
qu'ils veulent, et non ce que celles-ci voudraient qu'ils soient. On s'en
tiendra donc ici à la perspective étatique, sans s'interdire de
faire allusion, le cas échéant, au point de vue des diverses
Eglises.
Eglises et Etats se rencontrent nécessairement,
et en divers domaines44 ; la cloison entre le temporel, dont l'Etat
a la charge, et le spirituel, qui est de la compétence des Eglises, ne
peut pas être étanche, même si l'Etat ne prétend pas
connaître du spirituel ni les Eglises du temporel.
Sur le plan juridique d'abord, les Eglises ne peuvent
guère faire l'économie d'un statut de droit étatique ; il
faut pour leurs biens une assiette juridique religieux spéciale qui n'a
rien à voir de celui de l'Etat. Cependant, leurs activités
intéressent l'ordre public, dont l'Etat porte la
responsabilité.
Certaines Eglises, l'Eglise catholique notamment, ont
leur législation propre régissant les domaines comme le mariage,
dont s'occupe également l'Etat. Mais, beaucoup plus, s'affrontent
parfois des conceptions du destin de l'homme qui sont à la base des
dogmes, des morales des Eglises, d'une part, des législations, des
structures, des politiques des Etats, d'autre part. L'enjeu est grave :
indépendance de l'Etat part rapport aux « forces religieuses »
; efficience de son action en vue des fins qu'il s'assigne, de l'ordre public
qu'il veux faire prévaloir ; cohésion de la communauté
nationale, dont il est responsable, malgré le pluralisme religieux et
les germes de cloisonnements qu'il porte en lui.
Liberté de conscience pour les citoyens,
liberté pour ce qui pensent de la même façon de se grouper,
sans subir des mesures discriminatoires, sans devoir rendre des comptes
à quiconque et d'abord à César (prince). Où
s'arrête, en tout cela, la mission de l'Etat ? Comment délimiter
le domaine qui est le sien ? C'est l'analyse consacrée par la
laïcité de l'Etat dans la quête de la paix
sociale.
A ce niveau, la rencontre, l'affrontement ne sont plus
simplement du domaine du droit.
44 Encyclopedia universalis,
V.6, Op. cit., p. 1005.
Rencontre politique : il faut prévenir ou
apaiser les conflits ; on négocie. S'agissant de l'Eglise catholique, et
le Saint-Siège étant la personne morale souveraine de doit
international public, des échanges de représentants
diplomatiques, des traités que l'on appelle concordats sont l'un des
modes , non le seul, de ces négociations politiques.
Rencontre, ou affrontement parfois, sur le plan
sociologique enfin : influences, pressions de toutes sortes, des Eglises sur
l'Etat et réciproquement, pressions directes ou par personnes
interposées. Les moyens et les occasions ne manquent pas.
Il ne saurait être question ici d'une
étude d'ensemble des relations, entre les Eglises et les Etats sous les
multiples et complexes aspects qui viennent d'être dits. Dans la
perspective institutionnelle à laquelle on se tiendra, les solutions des
problèmes qu'on a évoqués sont largement commandées
par ces options fondamentales. En premier lieu, l'Etat prend parti pour une
religion déterminée ou, au contraire il s'abstient de le faire,
il reste << en deçà » de l'option religieuse. On se
trouve ainsi, en présence de deux types d'Etats : d'un coté les
Etats confessionnels, de l'autre les Etats non confessionnels ou <<
laïques ».
La seconde option interfère avec la
première : l'Etat confessionnel peut accepter, plus ou moins docilement,
les impératifs de la religion qu'il professe, les faire passer dans sa
politique, sa législation et en constituer une religion d'Etat ; il peut
aussi entendre rester maître de sa législation, de sa politique,
laissant d'autre part l'Eglise libre dans le cadre des exigences de l'ordre
public qu'il définit souverainement ; il peut enfin, à l'autre
extrême , vouloir contrôler, dominer plus ou moins
profondément cette Eglise, afin qu'elle serve sa politique ou du moins
n'y mette pas entrave.
C'est d'une part la démocratie ou le
cléricalisme, d'autre part le libéralisme, enfin le gallicanisme.
L'Etat non confessionnel ne saurait évidemment, par définition,
être institutionnellement théocratique ou clérical,
puisqu'il ne donne investiture officielle à aucune Eglise ; mais il
peut, tout comme l'Etat confessionnel, opter, soit pour le libéralisme,
soit pour le gallicanisme45.
5. L'Espace public
L'espace public représente dans les
sociétés humaines, en particulier urbaines, l'ensemble des
espaces de passage et de rassemblement qui sont à l'usage de tous, soit
qu'ils n'appartiennent à personne (en droit par ex.), soit qu'ils
relèvent du domaine public ou, exceptionnellement, du domaine
privé.
La définition générale ci-dessus
implique un Etat de droit qui garantisse droits et libertés des citoyens
dans le domaine public, dont la liberté de circulation ;
45 Encyclopedia universalis,
V.6, op. cit., p. 1006.
elle n'exclut pas de développer dans cet
article ou des articles parallèles les concepts qui
précèdent l'espace public
républicain ou qui en dérivent dans les
métropoles contemporaines ou s'y substituent dans les régimes
autoritaires, etc.
La définition générale implique
aussi que soient définis le domaine public, les autorités qui le
gèrent et les réglementations ou restrictions qui encadrent le
statut ouvert et anonyme de l'espace public. Par exemple, les fleuves et
rivières, bois et forets, parcs et squares, rues et places
Enfin, l'espace public constitue l'espace de vie
collective de ses riverains (habitants, commerçants, artisans, ..) et
les formes locales de la vie collective le marquent de manière
multiforme : l'aménagement, l'ambiance, la couleur et les
décorations de la rue, les marchés, les activités
économiques (vendeurs ambulants, étals, ...) ou collectives
(terrasses, jeux, processions, carnavals, etc.) préservent plus ou moins
le statut social et l'anonymat de chacun, avec dans les villes une très
grande variétés de situations (des ghettos homogènes aux
zones les plus diversifiées).
En philosophie ce concept a été
utilisé en premier lieu par Kant et a été défini
plus précisément par Hannah Arendt, en particulier dans
Condition de l'homme moderne (1958) et
dans La Crise de la culture (1961).
L'usage de ce concept philosophique a toutefois
rapidement été supplanté par le grand engouement qu'a
connu son acception dans les sciences humaines et sociales.
L'espace public est une notion très
utilisée en sciences sociales depuis la thèse de Jürgen
Habermas intitulée L'espace public : archéologie de la
publicité comme dimension constitutive de la société
bourgeoise (1963).
Dans cet ouvrage, Habermas décrit << le
processus au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage
de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par
l'autorité et la transforme en une sphère où la critique
s'exerce contre le pouvoir de l'État. » Le processus en question
est à dater au XVIIIe siècle en Angleterre (quelque
trente années plus tard en France), siècle de
développement de l'urbanisation et de l'émergence de la notion
d'espace privé dans la bourgeoisie des villes. L'auteur montre comment
les réunions de salon et les cafés ont contribué à
la multiplication des discussions et des débats politiques, lesquels
jouissent d'une publicité par l'intermédiaire des médias
de l'époque (relations épistolaires, presse
naissante).
La notion de << publicité » (au sens
de la large diffusion des informations et des sujets de débats via les
médias) est un élément phare de la théorie
d'Habermas : celle-ci doit être comprise comme dimension constitutive de
l'espace public et comme principe de contrôle du pouvoir
politique.
Pour cet auteur, après son essor au
XVIIIe siècle, l'espace public << gouverné par
la raison >> sera en déclin, puisque la publicité critique
laissera peu à peu la place à une publicité << de
démonstration et de manipulation >>, au service
d'intérêts privés. C'est d'ailleurs aujourd'hui tout
l'enjeu de la démocratie délibérative ou participative,
qui doit composer avec la nécessité d'un débat uniquement
commandé par l'usage public de la raison, et non des
intérêts particuliers. Habermas a été croisé
cri en ce qui concerne critiquement évolution de l'espace public par
l'historienne française Arlette Farge dans Dire et mal
dire (1992) où elle montre que l'espace public n'est pas
seulement constitué par une bourgeoisie ou des élites sociales
cultivées mais aussi par la grande masse de la population. Celle-ci
forge par elle-même les notions de liberté d'opinion et de
souveraineté populaire. Pour Farge, le peuple tente de se forger une
identité en s'émancipant par la discussion politique. Roger
Chartier a également utilisé l'approche d'Habermas dans Les
origines culturelles de la révolution française
(1990).
Aujourd'hui l'espace public est au centre de
nombreuses problématiques, notamment dans le champ des sciences de la
communication. On citera notamment l'analyse de Bernard Miege (La
société conquise par la communication) qui
distingue, dans un retour historique sur les modèles d'espace public,
quatre grands modèles de communication qui organisent un espace public
élargi et fragmenté : la presse d'opinion (milieu du
XVIIIe siècle), la presse commerciale (à partir du
milieu du XIXe siècle), les médias audiovisuels de
masse (depuis le milieu du XXe siècle) et les relations
publiques généralisées (depuis les années
1970)46.
Section IIème : Modèles
explicatifs A. L'analyse institutionnelle
La théorie institutionnelle invoquée
dans le cadre de cette étude révèle selon Maurice Hauriou
que l'Etat est l'institution des institutions en tant qu'il est l'institution
suprême ou terminale. Aucune institution n'ayant vis-à-vis de lui
une puissance égale d'intégration.
La politologie considérant, comme on vient de le
voir, l'institution étatique dans sa totalité ne se limite
cependant pas à elle.
Elle la prend comme point de départ et comme
référence théorique pour l'étude des
phénomènes qui se rattachent à l'Etat en tant que
pré-étatiques, para-étatiques, infra-étatiques et
supra-étatiques47. A cet égard, la politologie
écarte l'erreur méthodologique de la sociologie,
commençant l'étude des phénomènes
politiques
46 Site : Wikipédia
: encyclopédie libre, site web.
47M. PRELOT, La science
politique, Paris, PUF, 1963, p.95.
par celle des manifestations d'autorité, encore
mal différenciés, sur lesquelles nos connaissances ont un
caractère souvent conjoncturel.
Si notre respect est dû aux efforts
considérables déployés par les auteurs des travaux
effectués dans ce domaine, nous ne pouvons pas nous empêcher de
nous en inspirer. Il faut donc, pour aboutir à des résultats
féconds, partir des éléments de connaissance
assurée que fournit ces doctrines.
Cette théorie nous est pertinente de par ses
quatre niveaux d'analyse sus évoqués en tant que
phénomènes déterminant les dynamismes institutionnels,
dont notamment :
> Les phénomènes
pré-étatiques : c'est-à-dire les phénomènes
qui relèvent d'époques ou de lieux où l'Etat n'existe pas
encore. Ils font partie de la politique, en tant qu'ils touchent aux
commencements de l'Etat.
> Les phénomènes
infra-étatiques : ils procèdent, en vertu d'une extension
analogue, de la connaissance politique. On peut définir ceux-ci comme
les institutions et les relations intéressant des collectivités
auxquelles on reconnaît le caractère politique, mais auxquelles on
dédie le caractère d'Etat. C'est notamment le cas des Etats dits
mi-souverains, ou de certaines situations « coloniales ».
> Les phénomènes
inter-étatiques, supra-étatiques, trans-étatiques : ceuxci
non moins logiquement postulent la même intégration que les
précédents. Mais, alors même que les
phénomènes politiques intéressant les hommes d'aujourd'hui
dépasseraient l'Etat, en devenant universels ou régionaux (au
sens donné à ce terme par le droit international), le passage
à des institutions internationales, transnationales ou supra-nationales
n'impliquerait pas la disparition de l'Etat48.
Delos49 constate qu'il y a aujourd'hui
beaucoup moins de différence entre l'organisation étatique et les
phénomènes supra et inter-étatiques qui ne continuent
qu'entre l'ordre féodal et l'ordre étatique. Ainsi, loin de
constituer une objection à l'identification du politique et de
l'étatisation, les phénomènes de l'au-delà de
l'Etat en sont une confirmation, puisqu'ils demeurent eux-mêmes
fondés sur l'Etat.
> Les phénomènes
para-étatiques : sont ceux qui intéressent l'essentiel de cette
étude ; ils peuvent quant à eux être qualifiés de
« remplacement ». Il est des époques dont révèle
Marcel Prelot50, sans Etat, mais où, à la
différence des temps primitifs, une organisation sociale puissante
remplace l'Etat, assurant les fonctions qui, avec le retour de l'Etat,
deviendront le domaine de l'Etat. C'est le cas des organisations
confessionnelles en RDC qui, ont réussi à tirer profit de la
faillite de l'Etat en se « substituant » en lui pour assurer
certaines missions revenant à l'Etat.
48 F. L'HUILLIER cité
par Marcel PRELOT, Op. Cit., p. 98.
49 R. P. Délos
cité par Marcel PRELOT, Op. cit., p. 99.
50 M. PRELOT,
Op.cit., p.96.
Le cas du domaine de l'enseignement assuré
majoritairement par les Eglises en est donc l'exemple-type. D'où la
problématique de laïciser l'Espace public en milieu
éducatif. Relevons aussi le domaine sanitaire, le rôle
privilégié que joue les églises dans le cadre de
développement sanitaire par la mise en place des structures et
organisations ad hoc de développement.
Voici l'un des éléments féodaux
des régimes congolais qui se sont succédés à
l'instar de ce que fait observer Prelot51 : << La
féodalité constitue l'un des plus achevés de ces ordres de
remplacement ». C'est une organisation d'un type spécial qui
apparaît chaque fois que l'Etat, s'affaiblissant et n'étant plus
capable de remplir ses devoirs, finit par perdre conscience de son rôle.
C'est ce que Timbal52 appelle dans ce cadre la <<
relève de l'Etat » qui selon lui, est en particulier le fait de
deux sociétés elles-mêmes réputées parfaites
comme l'Etat : la famille et l'Eglise. Dans le contexte de la RDC, c'est
parfaitement le fait des Eglises qui, depuis l'ancien régime, en plus de
leurs missions, celles d'assurer à leurs adeptes les conditions
spirituelles, elles s'intéressent plus aux activités temporelles
et notamment économiques, politiques et sociales qui leurs ont permis de
devenir vite des véritables machines économiques et politiques
à l'instar de l'Etat entrepreneur et social. Ces
phénomènes ne sont pas sans danger pour l'Etat compte tenu de
l'implication certaine des Eglises dépassant l'intervention de l'Etat au
point que l'on peut affirmer qu'il s'agit d'un << domaine
réservé ».
La théorie institutionnelle en est une propice
pour cette étude en ce sens qu'elle s'intéresse à la
suprématie institutionnelle de l'Etat dans ses rapports avec les
institutions périphériques et notamment les Eglises qui
apparaissent sous nos yeux, dans certaines circonstances comme des substituts
fonctionnels de l'Etat dégradé qu'est la RDC, voulant
surenchérir le point de vue de Lucien Nizard53 selon lequel,
<< l'objection souvent faite à la conception de la politologie,
science de l'Etat, d'être dépassée par
l'institutionnalisation de la vie politique, est déjà
réfutée par l'événement qui, sous nos yeux,
multiplie les nouveaux Etats ».
B. L'Analyse de la sociologie historique du politique
Cette analyse a été mise défendue
par les politistes parmi lesquels, JeanFrançois Bayart, Achille Mbembe,
Tony Toulabor, Yves Deloye, Bertrand Badie, Pierre Rosanvallon pour examiner
l'impact historique sur le politique.
L'objet de cette théorie est, parce que se veut
attentive à la diversité des espaces, aux évolutions
décalées, parfois discordantes, aux temporalités
multiples, aux discontinuités comme aux persistances, aux effets
émergents, la sociologie historique de l'Etat entend éviter toute
pensée qui tend à hypostasier l'existence du
51 Idem.
52 P.-C. TIMBAL, Histoire
des institutions et des faits sociaux, Paris, Dalloz, 2002, p.
10.
53 L. NIZARD, << Les
nouveaux Etats : aboutissements et commencements politiques », in
Politique, juillet- septembre 1961, p. 194.
politique avec un grand P et à y
reconnaître une substance permanente (le pouvoir, la domination, ...).
Elle entend au contraire ériger en objet d'analyse les frontières
fluctuantes et l'autonomie toujours contestée de l'espace
politique54.
Il ne s'agit pas ici comme le montre Pierre
Rosanvallon55, de considérer le politique comme lieu d'action
de la société sur elle-même, moins encore de
découper en rondelles une histoire politique autonome du social mais de
penser l'articulation complexe et dynamique du politique et du social, du
global et du local. Il s'agit pour Karl Polanyi56, non seulement les
moments et les espaces du << desencastrement » du politique par
rapport au social (au sens large : religieux, économique, ...) mais
aussi les périodes et les secteurs où le social (religieux,
économique, ...) se réapproprie le politique.
Bertrand Badie et Pierre Birnbaum57
contribuent à systématiser les acquis de la sociologie historique
de l'Etat. Leur sociologie de l'Etat reste l'une des meilleures introductions
à cette question. Les deux auteurs estiment nécessaire <<
de distinguer les systèmes politiques qui connaissent à la fois
un centre et un Etat (la France) de ceux qui possèdent un Etat sans
centre (Italie), ou un centre sans véritable Etat (Grande Bretagne,
Etats-unis), ou encore ni centre ni Etat complet (Suisse).
* Dans les deux premiers cas (ceux des
sociétés à << Etats forts »), l'emprise de
l'Etat sur la société est particulièrement forte : l'Etat
entend dominer et organiser la société civile en se dotant d'une
importante bureaucratie qui consacre la différenciation entre la
sphère étatique et les autres sphères de l'activité
sociale notamment la religion.
* Dans les deux derniers cas (ceux des
sociétés à << Etat faible »), la
société civile réussit largement à s'autogouverner,
ce qui la dispense de se doter d'un Etat fort. Dans ce modèle, le
degré d'étatisation de la société dépend des
conditions initiales de formation de l'Etat : plus les structures
traditionnelles principalement féodales, résistent au processus
de modernisation politique, plus le centre politique se renforce et se dote
d'un Etat fort, seul capable de surmonter les résistances
périphériques en l'occurrence religieuses, sociales ou
territoriales.
Il en ressort que pour le cas de l'Etat congolais,
l'emprise des Eglises dans le cadre de la société civile est
évidente sur le politique mais aussi ses interventions et
réalisations sur le plan social sont susceptibles de concurrencer celles
de l'Etat rétrécissant ainsi sa présence, le rôle de
celui-ci ou, tout simplement l'espace public posant ainsi avec acuité la
problématique de la laïcisation de l'Etat dans la manifestation
publique quotidienne. D'où la présence ou la manifestation
certaine de
54 Y. DELOYE, Sociologie
historique du politique, Paris, La Découverte, 2003, p.
13.
55 P. ROSANVALLON cité
par Yves DELOYE, Idem, p. 34.
56 K. POLANYI, <<
Repérage du politique. Regard disciplinaire et approche du terrain
», cité par Norbert ELIAS, Espaces Temps,
3ème Trimestre, 2001. p.47.
57 B. BADIE et P. BIRNBAUM,
cités par Yves DELOYE, Op. cit, p. 4748.
l'Eglise que de l'Etat fragilisant
l'édification de l'identité politique au détriment de
l'identité religieuse dominée par les croyances, la foi occupant
ainsi la place prépondérante.
Section IIIème : Les controverses sur les
rapports religion et politique
L'analyse des relations des pouvoirs Ecclésial
et Temporel dans le temps et dans l'espace, nous révèle à
suffisance qu'elles étaient dominées par des hostilités
dues aux point de vue divergeant de certains auteurs qui s'y
intéressent.
Si, grâce aux certains analystes, ces
hostilités sont à la base des la séparation des deux
domaines c'est-à-dire du politique et du religieux, grâce aux
anthropologues, elles n'ont pas du tout disparues car ces faits devenus
universels, le politique ne s'est jamais vidé de son contenu religieux
et par ailleurs le religieux ne s'est jamais dépouillée du
politique et, les passions sont vraiment avérées.
En cherchant d'expliquer le pourquoi de ces
interférences ou à servir des modèles des rapports des
deux domaines et surtout en tentant de dénoncer l'impact de
l'imbrication des deux domaines, diverses théories ont été
forgées respectivement par certains théologiens, et les
rationalistes.
1. Les thèses théologiques
Sur le plan théorique, Alfred de
Soras58 nous propose les théories explicatives des rapports
entre les pouvoirs temporel et ecclésiastique.
1.1. Quelques théories sur les rapports entre
l'Eglise et l'Etat A. Le pouvoir direct
L'idée essentielle de cette théorie
théologique du pouvoir direct a été la suivante : «
le Christ réussissait en sa personne tout pouvoir au ciel et sur la
terre or le pape est le vicaire du christ, c'est-à-dire son tenant lieu.
Il est donc le chef suprême à la fois dans l'ordre spirituel et
dans l'ordre temporel. Mais ceux qui président immédiatement
à l'ordre temporel, les princes (gouvernants) ne sont en droit que ses
délégués, ses lieutenants responsables devant lui. Au pape
donc revient d'instituer les princes, de les juger et au besoin en cas de
faute, de les destituer et de les déposer
»59.
58 Alfred de SORAS, Op.
cit, p. 30.
59 Idem.
Les grands tenants de cette théorie dans
l'Europe médiévale a été le théologien
Gilles de Rome, (fin du XIIe siècle), auteur d'un
traité intitulé : De ecclesiastica
protesta. C'est à ce traité de théologie
semble-t-il que Boniface VIII a emprunté certaines expressions de sa
bulle Un am sanctam (1302) laquelle définit
par ailleurs la préséance incontestable du spirituel sur le
temporel.
Les partisans de cette théorie auraient voulu
rattacher tous les royaumes chrétiens d'Europe au Saint siège par
une sorte de lien féodal analogue à celui qui rattachait les
princes féodaux au Prince, le suzerain à l'empereur.
Toute fois, cette théorie n'est plus imposable
aujourd'hui, même en Europe. Dans l'Eglise catholique, elle
apparaît aussi périmée que le droit féodal
médiéval qui peut-être en a suggéré
l'imagination.
La raison en est claire : cette théorie
méconnaît la franchise institutionnelle du pouvoir civil et sa
souveraineté. Du même coup, elle limite et nie même
pratiquement la distinction des deux pouvoirs. Elle tend à assujettir la
conduite de l'homme d'Etat aux ordres politiques du clerc (homme
d'Eglise).
D'autres théories ont été
forgées par les théologiens islamistes au XXe
siècle comme Hassan al-Banna (1906-1948), Sayyid Qutb (1906-1966),
AlMawdudi (1903-1979). Cette mouvance importante est le plus souvent
évoquée sous le terme : islamisme.
Banna fonde au Caire l'association des frères
musulmans et théorise son activité sur la base d'une conviction
fondamentale : « l'islam est un système global de vie, qui ne
laisse donc rien en dehors de son influence. Les frères musulmans sont
donc une organisation politique, l'association des frères musulmans est
indissolublement politique et religieuse, elle est par conséquent bien
plus qu'un parti politique : Orants la nuit, chevaliers le jour ! L'islam est
religion et Etat, coran et glaive, culte et commandement, parti et
citoyenneté »60.
Le moyen Age est pour la culture contemporaine, du
rapport entre religion et politique, un temps à la fois
d'établissement et intermédiaire.
Temps d'établissement, il l'est pour le
christianisme avec les deux grandes références de la
pensée théologique que sont Augustin et Thomas d'Aquin.
Aujourd'hui encore ils représentent deux conceptions différentes
du rapport entre christianisme et politique. Il l'est également pour
l'islam puisque ses principaux penseurs, en philosophie ou en politique, sont
médiévaux.
Temps intermédiaire, il l'est du fait depuis qu'on
parle des Temps modernes pour désigner l'humanisme qui, à partir
du XVIe siècle, veut rompre
60 J. ROLLET, Religion et
Politique. Le christianisme, l'islam, la démocratie, Paris, Grasset,
2001, p. 193.
avec l'organisation politique et philosophique de la
chrétienté. Il faut noter dès à présent que
cette histoire vaut pour l'histoire du christianisme en
Occident61.
a) Saint Augustin et l'augustinisme
politique
A la question de savoir le rapport entre l'histoire
humaine, en l'occurrence celle de l'empire romain et l'histoire du royaume de
Dieu qui doit primer ? La nécessité de la réponse va
apparaître d'autant plus fortement que le 24 août 410, Rome est
mise à sac par les troupes d'Alaric, roi wisigoth. Des intellectuels
déclarent alors que le christianisme est responsable de la chute de
l'Empire parce qu'on ne peut gouverner selon des principes qui affaiblissent
l'autorité politique.
En guise de réponse, Saint Augustin
répondra longuement dans la Cité de Dieu, tout au long des 22
livres qui composent cet ouvrage. L'idée de base en est que << le
pouvoir temporel est au service du pouvoir spirituel. Le pape est dans ce cas
le chef suprême de la chrétienté médiévale
». Augustin inspirera donc le courant qu'on va appeler <<
augustinisme politique » et appartient désormais à
l'histoire des doctrines politiques
médiévales62.
L'expression Cité de Dieu a, chez Augustin, un
sens purement eschatologique : elle désigne la cité
céleste et non l'Eglise présente en ce monde. <<
L'antithèse en est donc la cité terrestre. Tout homme est membre
d'une cité ou d'une autre, mais seule la cité céleste sera
éternelle. » Tels sont les propos de l'auteur.
La faiblesse de l'augustinisme réside dans son
mépris à l'égard de l'ordre temporel. La conception des
rapports Eglise-Etat chez augustin et dans l'augustinisme politique permet
d'étayer cette affirmation.
b) Jean Chrysostome et sa problématique de
répartition des tâches
Comme Augustin, Jean Chrysostome développe une
problématique qu'il nomme de répartition des tâches. Pour
lui, à l'Etat les intérêts matériels et la sanction
physique, à l'Eglise les intérêts spirituels et les
sanctions de même ordre, mais dans le cadre d'une juridiction
s'étendant à l'univers. Les deux instances représentent un
ordre mais celui de l'Eglise est supérieur. L'auteur continue en disant
que l'Etat à intérêt à l'action de l'Eglise ; elle
est la grande institutrice qui enseigne les devoirs sociaux en même temps
que les devoirs individuels. L'Eglise à l'action de l'Etat : l'auteur
finit par se rallier à l'idée que le bras séculier doit
agir contre l'hérésie, les lois impériales venant alors au
secours de la vraie foi63.
61 Idem, p. 63.
62 Ibidem, p.
64-65.
63 J. ROLLET, Op. cit,
p. 67-68.
On comprend dès lors que l'auteur aborde la
conception matérialiste des rapports Eglise-Etat en ce sens qu'il fait
la part des choses des intérêts de chacun des ces glaives sur les
individus dans une même société ainsi que leur rapport
d'intérêts.
c) La formule d'auctoritas et de potestas du pape
Gélase Ier
Le pape Gélase Ier voulant
établir la répartition des rôles entre l'empereur et le
pape, énonce en matière temporelle, la soumission de l'Eglise au
prince ; en matière spirituelle, soumission du prince à
l'évêque. D'où, il distingue les notions d'auctoritas
appliquée aux papes et de protestas appliquée au roi ou à
l'empereur ; à l'Eglise le glaive spirituel, à la cité
humaine le glaive temporel, selon l'expression employée par saint
Bernard, six ans plus tard dans son traité De
consideratione. Une théorie qui va permettre à
l'Eglise d'avoir la primauté sans exercer directement le pouvoir
temporel. La théorie des deux glaives symbolise les deux pouvoirs mais
encore tous deux appartiennent à l'Eglise, mais le glaive
matériel ne doit pas être directement exercé par elle. Le
glaive spirituel et le glaive matériel appartiennent donc l'un et
l'autre à l'Eglise : mais celui-ci doit être tiré pour
l'Eglise et celui-la par l'Eglise64.
Grégoire le Grand (pape de 590 à 604) a
établit que les rois doivent être chrétiens et ramener
à l'unité les schismatiques, le devoir religieux des sujets
étant d'obéir passivement au prince65.
La politique devient alors un département de
la morale, un instrument servant à la réalisation des fins
surnaturelles. La communauté chrétienne devient sous la tutelle
du prince mais seulement parce que la magistrature religieuse est promise par
ces théologiens et considérer comme celle qui fonde la puissance
impériale et qui fait que l'Etat tend à s'absorber dans ses
fonctions sacrées.
Pour sa part, Grégoire VII considère que
le pape a le droit de lier et de délier toutes choses sur la terre et
que les rois n'y échappent pas. Il rédige donc en 1075 les livres
qu'il nomme les Dictatus Papae dans lesquels il
écrit entre autres, qu'il lui est permis de déposer les
empereurs.
d) Saint Thomas d'Aquin et la naissance de
l'Anthropocentrisme chrétien
Bertrand BADIE fait observer que nul doute que notre
modernité politique a été en grande partie conçue
à la rencontre de la théologie chrétienne et de la
philosophie du stagyrite, et qu'à ce titre elle doit beaucoup à
saint Thomas d'Aquin dans son oeuvre somme théologique,
oeuvre de synthèse monumentale dont l'Eglise fit
très vite sa doctrine, mais qui inspirera manifestement les princes et
les légistes, confronté tout au long du XIIIe
siècle à l'enjeu de la construction
étatique66.
64 J. ROLLET, Op.cit.,
p. 68.
65 Idem, p. 70.
66 Bertrand BADIE, Op.
cit, p. 19.
Saint Thomas reprend le postulat aristotélicien
de l'homme naturellement porté au jeu social, en l'insérant dans
la construction dualiste chrétienne : l'homme est ainsi en même
temps un membre de la cité temporelle, de
l'humanitas, et membre de la cité spirituelle,
de la christianitas. La première appartient
à l'ordre du délégué, des causes secondes, et
renvoie ainsi à une construction naturelle accessible à
l'entendement humain grâce à la raison. Celles-ci permet de
découvrir les règles de la juste cité, et donc
d'élaborer un droit naturel qui s'impose au prince, mais dont le respect
permet à celui-ci d'obliger les sujets et d'obtenir l'obéissance
civile. La christianitas renvoie, au contraire,
à la cité mystique et sur-naturelle ; elle repose sur la
révélation et on y accède par la foi et non plus par la
raison67.
L'oeuvre est considérable : elle marque
l'insertion de la raison et du droit naturel dans l'histoire des idées
politiques. Sur le plan strictement politique, elle dessine le cadre d'une
cité qui dispose de sa propre légitimité, de nature
proprement séculière : le théologien admet qu'il est
légitime d'obéir à un prince, même païen,
dès lors qu'il est juste et qu'il agit conformément à la
raison. Ces conclusions qui font en même temps la préhistoire de
l'Etat de droit et de l'Etat laïque se retrouvent chez d'autres auteurs
qui marquent la fin du Moyen Age, notamment Jean de Paris.
Nous sentons par là, la différence entre
Augustin et Thomas dans leur traitement du politique dans la mesure où
ce dernier redonne au politique sa conscience et lui reconnaît un
rôle essentiel dans l'édification de la
société.
D'autres auteurs en l'occurrence, Marsile de Padoue,
Guillaume D'Ockham, Pierre d'Ally et Martin Luther King apparaissent comme des
propagateurs de l'autonomie du politique, mais ils le sont encore sur la base
de toute-puissance de Dieu, source de tout pouvoir. Marsile de Padoue, comme
Guillaume d'Ockham, refuse d'assimiler la société politique
à l'Eglise, mais sa position va aboutir à soumettre cette
dernière à l'Etat68.
B. La théorie du pouvoir indirect
Cette théorie a été forgée
par Bellarmin cardinal jésuite. L'auteur voulait écarter la
théorie de pouvoir direct. Il voulait réduire les
prétentions abusives auxquelles avaient donné lieu, la
théorie du pouvoir direct chez l'homme d'Eglise de son temps. Bellarmin
ne prétendait pas du reste, inventer une théorie nouvelle, il se
réclamait une tradition de théologiens et des canonistes qui
s'étaient apposés à Gilles de Rome avec sa
théorie.
Quoi qu'il en soit, il est le premier à avoir
systématisé la théorie du pouvoir indirect. Cette
théorie commence par reconnaître la distinction radicale entre le
pouvoir ecclésial et le pouvoir temporel.
67 Bertrand BADIE, Op.
cit., p. 20.
68 J. ROLLET, op. cit,
p. 70.
Les détenteurs du pouvoir temporel ne tiennent
à aucun titre leur autorité civile d'une délégation
du pape. En cela, il s'oppose a GILLES de Rome : « le pape affirmait-il ne
jouit d'aucun haut domaine, d'aucune super-souveraineté politique sur
les princes mais en certains cas exceptionnels, le pape peut
légitimement intervenir dans le domaine du pouvoir temporel
c'est-à-dire politique si les intérêts de la religion
catholique dont il a la garde, le commandent »69.
Ce pouvoir et ce droit d'intervention papale dans le
domaine temporel et politique entrent en jeu en particulier, soutenait
BELLARMIN, lors que la conduite des princes est manifestement contraire
à la morale politique. En raison du pêché commis par les
princes en des tels cas (ratione paccati), le pape est sommé à
déposer, à destituer les princes coupables.
Selon l'auteur, si un chef d'Etat persécute les
catholiques ou tombe dans l'erreur, le pape devra le destituer et le
déposer, il sera même en droit de désigner son successeur.
De même encore, il devra, en certains cas, abroger une loi civile
injuste. De même, il devra appeler à son tribunal un cas de guerre
injuste et porter une condamnation suivie de sanctions
temporelles70.
Prenant l'exemple historique d'Alexandre VI qui par la
bull intervaetera (1493) avait partagé le
monde entre deux pouvoirs politiques, celui du roi d'Espagne et celui du roi du
Portugal suivant une ligne de démarcation définie par lui,
l'auteur approuvait cette intervention papale pour fixer une frontière
politique entre les deux Etats rivaux. Et il justifiait cette mesure politique
par le fait que papauté se devait d'assurer des conditions opportunes
à l'évangélisation des terres nouvellement
découvertes par les conquêtes espagnoles et
portugaises.
L'auteur déclare légitimes les
interventions du genre, car selon lui, elles ne constituent que l'exercice d'un
pouvoir simplement indirect sur le politique. En effet, elles se font
uniquement en raison d'une fausse morale ou en vue d'une fin spirituelle et non
pas d'un pouvoir juridictionnel et civil direct du pape sur les
princes.
En somme, ces interventions dites exceptionnelles sont
justifiables en raison de la solidarité ontologique qui lie l'action
temporelle des chefs d'Etats et l'action spirituelle de l'Eglise et du
peuple71.
Il y a lieu de souligner que cette théorie qui
avait été soutenue par d'aucuns de théologiens semble
aujourd'hui abandonnée par des théologiens contemporains mais
inspire encore à présent des relations Eglise-Etat dans leur
manière d'agir. C'est notamment le cas la RDC sous l'ancien
régime c'est-à-dire sous la deuxième république
dans ces premières années, caractérisé par des
hostilités entre l'Eglise
69 A. de SORAS, op.
cit, p. 13.
70 Idem, p. 35.
71 Ibidem.
catholique et le régime en place, ce dernier
émergeant dans l'autoritarisme sous toutes ses formes en tentant
également de remettre en cause l'influence de l'Eglise sur le politique
et ses intérêts, a connu des oppositions radicales de
celle-là qui cherchait à le renverser. L'intervention de
l'église fut certaine dans l'engagement au changement du
régime.
C. La théorie du pouvoir directif
Pour Soras, cette théorie admettait sans doute
l'idée capitale incluse dans le principe de la solidarité
fondamentale du pouvoir ecclésial et du pouvoir politique. Elle
reconnaît que l'Eglise ne peut se désintéresser des
jugements de valeurs qui animent et orientent les décisions
concrètes que prennent les gouvernants dans les situations d'existence
où l'histoire les engage. Elle professait alors que l'Eglise catholique
possède en matière politique un pouvoir purement spirituel qui
n'a aucun caractère de juridiction proprement dite sur les âmes,
fût-ce des âmes de baptisés. Cela étant, l'Eglise
catholique a la charge d'éclairer uniquement par des conseils
historico-prudentiels la conscience des gouvernants et surtout les gouvernants
catholiques72.
Cette théorie souligne que le pouvoir
ecclésiastique ne peut se désintéresser de l'action du
pouvoir politique et d'autre part elle affirme de façon claire que le
pouvoir ecclésiastique ayant à respecter la franchise
institutionnelle du pouvoir civil, ne pourra en conséquence intervenir
dans les affaires temporelles que par la médiation des consciences des
gouvernants et des gouvernés qu'elle aura éclairé,
guidé et au besoin, redressé par des interventions spirituelles.
C'est ce qu'a souligné M. GLEZ en ces termes : << le souverain
pontife peut-il normalement et de droit divin aller jusqu'à
déposer un prince ou transférer une couronne ? Il ne semble
pas..., car son droit, en ce qui concerne le temporel, ne peut se
réclamer d'un haut domaine qui s'exercerait du dehors sur les choses
mais d'une primauté du spirituel qui n'agit souverainement sur la
cité qu'en opérant par le dedans sur les consciences des ses fils
auxquels elle signifie le non licet »73.
Cette théorie soutient que la direction
spirituelle du pouvoir ecclésiastique à l'égard des
consciences des hommes d'Etat n'adoptera jamais que la forme de conseils. C'est
ainsi par exemple que GOSSELIN écrivait : << l'Eglise et le pape
peuvent seulement diriger la conduite des princes et des peuples par des sages
avis »74. Or, les évêques se reconnaissent le
pouvoir de déclarer et de codifier canoniquement les devoirs
impératifs pour la conscience morale tant des gouvernants que des
gouvernés.
72 A. de SORAS, op.
cit, p. 28.
73 M. GLEZ, cité par
Alfred de SORAS, op. cit, p. 39.
74 GOSSELIN cité par
Alfred de SORAS, op. cit, p. 47.
De plus, elle peut, en cas de faute soit de ces
princes, soit de ces sujets appuyer cette promulgation de la loi morale par des
sanctions spirituelles appropriées (excommunication,...) que la
juridiction canonique a instituée.
La manière dont s'exprimaient souvent les
auteurs de cette théorie semblait insinuer qu'épisodiques et
qu'elles étaient surtout d'ordre négatif.
Ces directives se bornaient à déclarer,
en tel ou tel, cas que le peuple ne doit pas obéir à tel ou tel
décret que le prince ne doit pas promulguer telle ou telle loi..., or
l'action spirituelle de l'Eglise catholique ne se réduit pas à un
rôle épisodique de freinage.
En fait, les lumières du christianisme doivent
tendre à inspirer positivement et de façon continue toute la vie
politique75.
Cette analyse des théories du catholicisme
Européen sur le rapport de l'Eglise et de l'Etat ne serait sans doute
pas suffisante, si nous ne disions ici quelques mots sur les systèmes
concrets qui ont mis en oeuvre au XIXe siècle pour
matérialiser l'emprise du pouvoir ecclésial sur le pouvoir
temporel à l'époque.
D. Le système des partis catholiques
La papauté encourageait les catholiques
à fonder et à animer parmi les partis existant, un parti
catholique sur le quel de manière moins directe, elle aurait la haute
main. Ce fut le cas du parti catholique Belge (parti conservateur catholique en
1897) opposé au parti socialiste.
En Italie, on parlait de Mouvement d'action
catholique. Mais en France au XIXe siècle, la papauté s'est
montrée de moins en moins favorable à une telle solution quand un
député français sous le nom de Jacques PIOU voulut sous la
IIIe République imiter ce qui s'était passé quelques
années plus tôt en Belgique et en Italie. La raison de ce refus
est parfaitement claire, un parti politique suppose solidairement et
indissolublement un ensemble de jugements et de valeurs fondamentaux qui lui
fournissent son assise idéologique et qui lui servent d'idées
directrices sur les situations historiques et locales auxquelles le parti
entend faire face, un choix concret de méthodes et de moyens pour
incarner son idéologie dans les situations historiques et locales
données76.
Cela étant, rien ne prouve que les jugements de
valeurs composant l'idéologie d'un parti même quand ce parti
arbore dans son drapeau l'étiquette de « parti catholique »
coïncident en tout et pour tout avec les jugements de valeurs authentiques
dont le pouvoir ecclésial et le dépôt et la
garde.
75 A. de SORAS, op.
cit, p. 52.
76 Idem, p. 61.
E. Les systèmes concordataires
Pour établir, entre la puissance
ecclésiale et la puissance civile, des rapports convenables pour l'une
ou l'autre, il est nécessaire et, en un certain sens, suffisant que soit
passé entre les deux puissances, un traité bilatéral, une
sorte de contrat, un concordat. Les clauses de ce contrat ont pour but de
définir les relations entre les deux pouvoirs, leurs obligations
respectives et leurs droits réciproques en matière de <<
gestion mixtes »77.
Le problème qui se pose est celui de
définir ou encore de déterminer les << questions mixtes
» car en général, si l'on considère les clauses des
concordats passés, il semble que ces << questions mixtes »
soient en nombre bien défini et limité. Mais l'Eglise fait moral
et spirituel et, toute la vie politique en droit et en fait est une vie mixte
dont le corps ecclésial organisé ne saurait se
désintéresser.
Et c'est sur cette base que s'est fondé l'action
catholique du laïcat : mettre toute l'évangile dans toute la vie
temporelle, dans toute la vie politique78.
On voit donc que le concordat, en partant,
implicitement au moins, de l'idée que les << questions mixtes
» sont en en nombre restreint partent du même coup d'une idée
qui n'est pas exacte en rigueur. Le domaine de la solidarité du corps
ecclésial organisé et du corps politique organisé est
beaucoup plus étendu que les systèmes concordataires ne le
pensent expressément. La notation précédente est si
évidente qu'en fait tous les systèmes concordataires ont
prévu l'établissement de rapports diplomatiques entre le saint
siège et les gouvernements. Ils ont prévu la présence d'un
représentant du Saint siège accrédité au
près du gouvernement et la présence d'un représentant du
gouvernement accrédité auprès du Saint
siège.
Les nonces et les internonces dont les fonctions sont
précisées par le droit canon et les diplomates
accrédités auprès du Saint siège dont les fonctions
sont précisées par des textes juridiques particuliers à
chaque Etat ont entre autres, pour raison d'être l'existence de <<
question mixtes »79.
Signalons aussi que l'interférence vitale entre
l'action religieuse du corps ecclésial organisé et l'action
politique du corps politique organisé est quelque chose de si complexe
et de si mouvant à tous échelons des structures et des services
soit ecclésiaux soit étatiques, que ce serait une gageuse de
prétendre régler cette interférence vitale, complexe,
mouvante par les seules voies diplomatiques établies à la
tête seulement entre les deux pouvoirs suprêmes de l'Eglise et de
l'Etat.
77 Ibidem.
78 A. de SORAS, Op.
cit., p. 78.
79 Ibidem.
2. La thèse rationaliste
Selon les auteurs de cette thèse, la religion
catholique, comme les autres religions, est dans son fond, une mystification
irrationnelle.
Ils professent en tout cas que fondée ou non
toute foi religieuse quelle qu'elle soit, n'est qu'une affaire toute
intérieure, privée, individuelle. Tout au plus, on peut
tolérer qu'elle se manifeste dans le for clos des Eglises et des
sacristies. Mais c'est un abus de sa part de prétendre s'exprimer sur le
terrain de la vie politique et sociale dans la
cité80.
En effet, pensent-ils, le pouvoir ecclésial n'a
aucun droit d'exiger du pouvoir politique une reconnaissance qui entraîne
de soi la légitimité d'une action catholique
extérieure.
Tout débordement du religieux hors du culte
privé, hors des Eglises, hors des sacristies est un abus. La
laïcité bien comprise du pouvoir politique lui interdit de
méconnaître le bien fondé de ces retentissements du
religieux sur-le-champ du politique.
La neutralité des pouvoirs politiques modernes
exige d'eux autre chose que la tolérance indistincte de confusions
plurielles et la liberté des consciences religieuses. Elle exige
l'interdiction de toute tentative destinée à permettre l'invasion
et l'insertion du message religieux, dont les croyants se réclament,
dans la vie publique dont relèvent les citoyens notamment, la
prétention des catholiques de faire passer tout l'évangile auquel
ils croient dans toute la vie publique qu'ils partagent avec les autres
citoyens dans l'Etat est une prétention qu'un Etat moderne ne saurait
admettre81.
Si en RDC, il s'avère que le pouvoir
ecclésial suscite ou ambitionne une telle prétention, le pouvoir
politique doit fermement s'y investir et s'opposer au pouvoir ecclésial
qui, sur son terrain juridico-politique commet des abus de droit. Cette
thèse rationaliste semble être l'opposée radicale des
thèses précitées qui plus ou moins voudraient
confessionnaliser l'Espace politique et le subordonner à la tutelle de
l'Eglise. Cette théorie rationaliste est donc le vecteur de la
rationalisation de l'Etat et parlant, correspond à la
laïcité ainsi qu'au processus simultané de la
laïcisation de l'Espace public et des moeurs, gage et moteur de la
démocratie moderne.
L'autre aspect du rationalisme politique nous est
proposé par les rationalistes de lumières qui, analysant la
capacité naturelle de l'homme, le considèrent comme disposant de
la faculté de juger qui lui permet de saisir la totalité de
l'existence humaine et de comprendre la nature. Selon eux, c'est
l'expérience de
80 A. de SORAS, Op.
cit., p. 78.
81 Idem, p. 80.
la raison qui lui donne accès à la
connaissance vraie pourvu que qu'on lui remette sa liberté de conscience
déjà bousculée par le dogme et la foi
chrétienne.
A. Voltaire82 de dire que <<la parole
délivrée par les hommes d'Eglise en dehors de leur domaine
spirituel, est responsable de l'obscurantisme qui, depuis le moyen- âge,
maintient les esprits en servitude et l'Eglise elle-même tient ses
fidèles dans l'ignorance en les empêchant de penser par
eux-mêmes. En érigeant une mythologie sur la rédemption
céleste, elle n'a d'autres visées que de contrôler leur
existence terrestre (politique) ».
Ce point de vue philosophique nous
révèle essentiellement le cas de la RDC, où les individus
éprouvent des difficultés de raisonner ou d'agir en fonction de
la raison dont ils sont naturellement dotés car, étant
déjà imprégnés des valeurs spirituelles. Cela a
été notamment observé pendant la période
électorale de juillet 2006.
En effet, les individus s'exprimaient pour un candidat
selon le choix leur indiqué par leurs pasteurs. Ce comportement
était fréquent surtout, dans les milieux
périphériques des grandes villes ou encore dans des milieux
ruraux. Ceci prouve à suffisance combien les individus
développent une culture politique paroissiale par le fait qu'ils
préfèrent faire allégeance à leur appartenance
religieuse. Ainsi devenu un marché du religieux et de la foi, la RDC
risque de s'engloutir avec le retour en force de l'irrationnel dans cette
société en crise profonde d'identité
nationale.
La pensée des lumières peut se
définir par la laïcisation des valeurs et par la promotion de
l'individu. Qu'on insiste sur son rationalisme ou sur son pragmatisme, elle met
en avant les pouvoirs de l'être humain, rendu autonome par la force de sa
raison ou par la richesse de son expérience. Le fondement de la vie
morale demeurait longtemps religieux : toute existence ici était tendue
vers un salut dans l'au-delà, toute réalité terrestre
était dévalué au profit de la vérité
éternelle. De même, la finalité de la vie collective
résidait dans l'intérêt supérieur et dans la gloire
du prince : le sujet ne prenait sens que par rapport à son roi
(monarchie) ce dernier qui était lui-même chef de
l'Eglise.
Par ailleurs, les marxistes eux aussi dénoncent
le caractère assoupissant de la religion en considérant cette
dernière comme étant << l'opium du
peuple » c'est-àdire qu'ils entendent par là
qu'elle permet souvent d'endormir le peuple dans son ignorance afin de mieux
permettre son exploitation ; qu'elle justifie et berce la douleur des
opprimés, les rend résignés et humbles par des promesses
d'un au-delà enchanteur ; c'est-à-dire en un mot qu'elle
anesthésie et paralyse le peuple, l'éloignant ainsi de toute
action révolutionnaire salutaire83.
82 VOLTAIRE cité par
Oliver NAY, Histoire des idées politiques, Paris, Almand Colin,
2004, p. 77.
83 S. LABIN, Tiers Monde
entre l'Est et l'Ouest. Vivre en dollars, voter en troubles, Paris,
Collection Ordre du jour, La table ronde, 1964, p. 168.
A ce sujet, ils partagent l'expérience
d'Antonio GRAMSCI dans son Cahier de prison où
il développe sa théorie de l'hégémonie
par laquelle, il démontre pourquoi la révolution
prolétarienne ne pouvait pas avoir lieu en Italie. Pour lui,
l'échec de la révolution est provoqué par les
intellectuels organiques que le pouvoir recrute pour répandre dans la
société des valeurs, des croyances et des représentations
qui légitiment les acquis de la domination. Ces intellectuels ainsi que
les classes ouvrières qu'ils enivrent des convictions
hégémoniques participent au bloc historique aux cotés de
la bourgeoisie avec la bénédiction de l'Eglise catholique qui
enseigne les valeurs de soumission inaptes à contribuer à
l'affermissement de la conscience de classe. Il y a donc là une fonction
intégrative de l'idéologie.
L'attitude des marxistes à l'égard de la
religion, explique Lénine, n'est pas dictée par des
considérations tactiques comme le désir de ne pas <<
effaroucher » les croyants, mais, par le fait qu'ils sont des
matérialistes dialecticiens.
D'autre part, continue-t-il, la religion n'est pas le
résultat de l'ignorance pure et simple des masses comme l'affirment les
progressistes radicaux et les matérialistes bourgeois, mais, << le
reflet fantaisiste dans des cerveaux des hommes, des puissances
extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel
les puissances terrestres prennent des formes supra-terrestres.
»84
Section IVème : La doctrine socio-politique de
l'Eglise romane
L'Eglise catholique n'a pas arrêté son
influence dans les affaires de l'Etat, c'est la raison pour laquelle de nos
jours, elle continue à insinuer une doctrine sociopolitique
considérée comme justifiant sous forme légale, son
influence sur les affaires temporelles, c'est-à-dire sa manière
de percevoir la cité, ses problèmes sociaux et sa
gouvernance.
Jean XXIIIe, dans << mater et magistrat »,
nous montre que la doctrine sociale de l'Eglise catholique a sans doute une
valeur permanente85. Et Rigobert Minani renchérit en disant
que son principe essentiel est que l'homme est le fondement, la cause et la fin
de toutes les institutions sociales, l'homme en tant qu'être social par
nature est un ordre de réalités qui transcendent la
nature86.
En parlant de ce principe fondamental qui proclame et
garantit la dignité sacrée de la personne humaine, l'Eglise
catholique a mis au point un enseignement social destiné aux gouvernants
qui indique comment organiser les relations humaines selon de normes
universelles, conformes à la nature des choses, adapté aux
diverses conditions de la société.
84 S. LABIN, Op.cit.,
p. 169.
85 Rigobert MINANI,
Existe-t-il une doctrine socio-politique de l'Eglise ?, CEPAS, Kinshasa,
2000, p.54.
86 Rigobert MINANI, Op.
cit., p. 54.
1. L'Eglise et le monde
Pour Paul VI, les initiatives locales et individuelles
ne suffisent plus. La situation présente du monde exige une action
d'ensemble à partir de la claire vision de tous les aspects
économiques, sociaux, culturels et spirituels. Experte en
humanité, l'Eglise, sans prétendre aucunement s'immiscer dans la
politique des Etats, « ne vise qu'un seul but : continuer, sous
l'impulsion de l'Esprit consolateur, l'oeuvre même du Christ venu dans le
monde pour rendre témoignage à la vérité, pour
sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi
»87
Le pape s'adresse donc à tous les hommes de
l'Eglise, aux chrétiens. Il explique pourquoi il parle aux
évêques, aux prêtres, aux religieux et aux
laïcs.
Aujourd'hui quand on veut commencer à
développer une région, on demande d'abord des conseils à
certaines personnes. Ces personnes peuvent donner des conseils parce qu'ils en
ont l'expérience. On appelle ces personnes des experts. Il y a des
experts en construction, des experts en économie, des experts en
agriculture...
Le pape dit que l'Eglise aussi peut donner des
conseils à tout le monde parce que l'Eglise est un expert en
humanité. C'est-à-dire expert en hommes. Elle connaît bien
les hommes parce que Dieu lui-même lui a appris à les
connaître88.
La complexité de ces déclarations
papales réside dans le fait que cette dernière proclame l'Eglise
en tant que experte et de ce fait, conseillère des animateurs politiques
en développement socio-humanitaire et par ricochet en politique. Peu
importe la véracité de cette affirmation, il sied de noter ici
que ce rôle de conseiller relève de la fonction politique que se
veut l'Eglise. Or, par ailleurs le pape signale encore que l'Eglise n'avait
aucune prétention de s'immiscer dans les affaires de l'Etat. Ces deux
déclarations contradictoires nous révèlent la
volonté de l'Eglise de ne pas lâcher les affaires du monde dont
elle veut occuper le rôle de premier rang. Ceci disons-le est de nature
à semer la confusion au niveau des instances politiques où les
politiques se trouvent entourés des hommes d'Eglise en tant que
conseillers c'est-à-dire qui guident l'action politique des gouvernants
assortie par là de l'irrationalité politique, la foi se trouvant
au centre de toute préoccupation politique.
2. L'Eglise et développement des
peuples
Pour Paul VI, le développement des peuples,
tout particulièrement de ceux qui s'efforcent d'échapper à
la faim, à la misère, aux maladies endémiques, à
l'ignorance ; qui cherchent une participation plus large aux fruits de la
civilisation, une mise en valeur plus active de leurs qualités humaines
; qui s'orientent avec décision vers leurs plein épanouissement,
est d'abord le devoir de l'Eglise et
87 Lettre du Pape Paul VI in
Paul ZOUNGRANA, Le Développement des peuples, Paris, Saint-Paul,
1968, p. 26.
88 Idem, p. 32.
considéré avec attention par lui. Au
lendemain du deuxième Concile oecuménique du Vatican, une prise
de conscience renouvelée des exigences du message
évangélique lui fait un devoir de se mettre au service des hommes
pour les aider à se saisir toutes les dimensions de ce grave
problème et pour les convaincre de l'urgence d'une action solidaire en
ce tournant décisif de l'histoire de
l'humanité89.
Ici, il faut avouer l'effort de l'Eglise dans le
travail de socialisation morale et de conscientisation des acteurs sociaux en
matière de développement des peuples parce que à l'issu de
son enseignement, le développement ne se réduit pas à la
simple croissance économique. Pour être authentique, il doit
être intégral, c'est-àdire la promotion de
l'homme.
<< Fidèle à son enseignement et
l'exemple de son divin fondateur qui donnait l'annonce de la Bonne Nouvelle aux
pauvres comme signe de sa mission >>90, l'Eglise n'a jamais
négligé de promouvoir l'élévation humaine des
peuples auxquels elle apportait le bien être socio-spirituel. Elle a
construit en RDC, des hospices et des hôpitaux, des écoles et des
universités. Enseignement aux indigènes le moyen de tirer
meilleur parti de leurs ressources naturelles, ils les ont souvent
protégés de la cupidité des étrangers.
Précisons que la majorité
d'intellectuels congolais aujourd'hui sont passé par les écoles
et universités confessionnelles et ces dernières sont toujours
considérées comme étant seules capables d'octroyer une
formation de qualité au peuple suite à la défaillance du
secteur public. Voilà encore un aspect tenant à la
problématique de laïciser l'espace politique congolais dès
lors que la plupart des gens gardent encore les souvenirs de reconnaissance
envers l'Eglise se trouvant ainsi fidèles à la foi
chrétienne.
Voila l'analyse qui nous amène à
appréhender une autre approche du fait que l'Eglise en s'appropriant le
social par des oeuvres diverses, a affaibli l'Etat, ce dernier lui devient
préposé. D'où la prééminence de l'Eglise sur
l'Etat au cours de l'histoire. Ainsi, les allégeances sont mieux faites
à l'Eglise qu'à l'Etat qui a perdu sa crédibilité
et sa confiance à l'égard du peuple.
En ce qui concerne la doctrine socio-politique de
l'Eglise catholique, un père missionnaire d'Afrique interrogé
nous donne l'essence du principe : << Rendez à César ce qui
est à César et à Dieu ce qui est à Dieu >>
:
Selon lui, Chacun de nous a besoin de savoir où
il va, quel est le sens de sa vie, comment rejoindre celui qui l'a
créé et en qui il trouvera la plénitude de la vie et de la
joie. Jésus-Christ est venu pour nous apprendre tout cela, et l'Eglise
est là pour nous redire ses paroles et nous faire entrer dans <<
la communion de Dieu >>. il renchérit que, plus humblement, chacun
de nous est un vivant. Chaque jour, il lui
89 Paul VI, Le
développement des peuples. << Populorum progressio >>,
Centurion, Paris, 1967, p. 55.
90 Paul VI, Lettre
encyclique, op. cit., p. 65.
faut trouver de quoi manger. Il a besoin de
s'habiller, de se soigner, de trouver un abri. Chaque peuple, pour sa part,
doit éduquer sa jeunesse, s'organiser, se défendre.
L'humanité entière, elle, aspire à vivre en harmonie. Elle
rêve la liberté, la justice et la paix. Mais là, inutile de
consulter l'Evangile pour y trouver des recettes. Il n'est pas un code civil,
ni un manuel de politique. Ce que les affaires de ce monde, Dieu les a
laissées entre les mains des hommes. << Le ciel c'est le ciel du
Seigneur, mais la terre, il l'a donnée aux fils d'Adam. Quant à
Jésus, il refuse de traiter les hommes comme des enfants. Qu'ils soient
adultes et prennent leurs responsabilités !
>>91.
Apres cette explication, nous avons posé deux
questions au même missionnaire :
- << Chacun son rôle, bien entendu mais
dans le cas où la société civile remplit sa fonction et la
politique établie par les hommes reste juste et efficace, l'Eglise,
selon ses moyens, peut-elle apporter son appui à la
société ? Est-ce un devoir pour elle-même lorsque les
choses tournent bien ?
- << l'Eglise, à la mesure de ses moyens,
peut-elle prendre la place des institutions défaillantes dans une
situation où les hommes politiques deviennent inapte à
réaliser le bien commun et mettent en péril le présent et
l'avenir ? Est-ce un devoir pour elle de le faire ? >>
Voici les réponses du missionnaire à ces
deux questions :
- << il faut vous rappeler que l'Eglise
catholique dispose d'une doctrine socio-politique qui est son manuel social en
vue d'aider les gouvernants politiques à bien accomplir le bien
être humanitaire. C'est-à-dire pour répondre à votre
question, l'Eglise doit toujours intervenir à titre caritatif pour
réduire l'écart qu'il y a entre les riches et les pauvres. Parce
que même dans un pays développé, il est toujours les riches
et les pauvres. Et l'Eglise doit assurer le développement humanitaire
intégral de tout homme et de tout l'homme. Nous vous rappelons pour
d'amples précisions à cette question de lire
populorum progressio, la lettre de l'encyclique Paul
VI >>92.
- << vous tenez que devant la crise
institutionnelle vers l'année 1961, l'organisation politique du pays
(RDC) tombe en ruine et l'Etat s'est affaibli de manière dramatique, la
conscience professionnelle, le courage au travail, le souci du bien commun ont
disparu. Les fonctionnaires ont cherché à s'enrichir, les lois
n'étaient plus respectées, chacun se débrouille, et quant
chacun se débrouille, vous le savez, ce sont toujours les pauvres qui
souffrent. Ceux qui n'ont pas d'argent pour acheter les juges et qui n'ont pas
d'amis parmi les puissants pour les défendre. Ne sachant plus à
qui s'adresser, le Général Mobutu a demandé aux
évêques de devenir officiellement les << défenseurs
des pauvres >> et à défaut de cette autorisation, l'Eglise
fidèle à sa doctrine sociale, ne pouvait pas laisser le peuple de
Dieu dans cet état de pauvreté. C'est pourquoi le peuple avait
compté et compte encore sur l'Eglise
91 Entretien du 25 juillet
avec le Père Bernard AWAZI : Missionnaire d'Afrique et directeur du
CERDAF.
92 Idem.
pour réorganiser la société aux
plans social et humanitaire. Nous avons donc pris l'exemple historique que,
dès le 4e siècle, l'Eglise commence à prendre
la place des institutions civiles avec le mouvement barbare en occident et au
5e siècle, le << flot des barbares » se
répand sur l'Europe occidentale. L'administration est
désorganisée et l'armée elle-même a disparu. Les
seuls hommes capables de prendre en main la situation sont les
évêques. Car eux, du moins n'ont pas abandonné leur
troupeau. Ils organisent la défense des villes. Tout cela relève
de la doctrine sociopolitique de l'Eglise catholique. » 93.
3. Les fondements de la doctrine socio-politique de
l'Eglise
Pour l'Eglise catholique, sa doctrine socio-politique
tire son fondement dans les trois aspects suivants : évangélique,
juridique et philosophique.
a) Le fondement évangélique
D'après l'Eglise catholique, même Christ
fut lui-même confronté à des questions politiques. Et c'est
de lui qu'est venu cette célèbre phrase << Rendez à
César ce qui est à César et à Dieu ». Cette
distinction entre le politique et le religieux était très
fondamentale, car les princes se prennent comme les dieux, ils
exerçaient les fonctions politique et religieuse
simultanément.
b) Le fondement juridique : Laïcité de
l'Etat et liberté de Religion
Plusieurs pays se déclarent laïcs, les
préambules des constitutions et les dispositions constitutionnelles
elles-mêmes affirment la séparation de l'Etat et des Eglises et en
outre que l'Etat reconnaît et respecte toutes les croyances.
Dans la plupart de textes constitutionnels, nous
retrouvons la formule suivante : << la République,... est
laïque. Elle assure à tous l'égalité devant la loi
sans distinction d'origine, de race, de sexe ou de religion
»94.
A titre illustratif, nous retenons la constitution
ivoirienne du 03 novembre 1960. L'art. 2 et 6, telle que modifiée par la
loi n° 60-356 du << pouvoir 1963, au Sénégal, la
constitution du 07 mars 1963 modifiée par la loi du 20 juin 1967 portant
révision constitutionnelle, et en RDC, l'art. 10 de la constitution
révolutionnaire notée par référendum en juin 1967
préconise un Etat laïc et dès lors les constitutions qui
vont suivre jusqu'à celle de la 3ème République
vont connaître aux articles premiers ce principe de la
laïcité de l'Etat même si sa matérialisation reste
encore quelque peu illusoire.
93 Entretien du 25 juillet,
Op. cit.
94 M. Ahanhanzo
Glélé, op. cit., p. 43.
c) Le fondement phiosophique
L'Eglise fait remarquer que le souci de sauvegarde des
droits fondamentaux du citoyen a toujours animé les autorités
ecclésiales c'est ce que soutenait le pape PAUL VI dans sa lettre
apostolique << octogesina advenien » publiée pour le
80e anniversaire de l'évangélique << Rerum
novearum » lorsque il déclare que : << il n'appartient ni
à l'Etat, ni aux partis politiques de chercher à imposer une
idéologie par des moyens qui aboutiraient à la dictature des
Esprits. Le Vatican II renchérit en disant que << la
vérité ne s'impose que par la force de la vérité
elle-même, qui pénètre l'Esprit avec autant de douleur que
de puissance95.
4. Les grands principes directeurs selon les encycliques
sur les rapports entre le pouvoir ecclésial et le pouvoir
politique
Dans la présente section, nous allons analyser
les principes directeurs96 sur lesquels, dans les perspectives de la
doctrine catholique, doivent s'établir les rapports du pouvoir
ecclésial et du pouvoir politique.
a) Le principe de la distinction fondamentale entre le
pouvoir ecclésial et le pouvoir politique
Selon ce principe, il ne doit pas y avoir confusion
entre le pouvoir ecclésial et le pouvoir politique. Selon l'Eglise
catholique, cette vue est capitale dans le Christianisme car s'enracine dans le
mot du Christ : Rendez à César ce qui est à César
et à Dieu ce qui est à Dieu ».
b) Le principe de la solidarité fondamentale du
pouvoir ecclésial et du pouvoir politique
Ce principe peut être formulé de la
manière suivante : << Quoi que distincts, les deux pouvoirs ne
peuvent et ne doivent pas s'ignorer ».
La solidarité de ces deux pouvoirs tient à
deux niveaux :
En premier lieu elle tient au caractère
spécifique de l'action du pouvoir politique. En effet, toute
décision prise par un pouvoir politique en vue d'assurer le bien commun
dont il a la charge, postule de la part des gouvernants trois
préoccupations : d'abord la préoccupation d'analyser correctement
les situations auxquelles il doit faire face, ensuite la préoccupation
de faire l'inventaire des moyens juridiques, institutionnels,
législatifs, techniques,...dont il dispose. Enfin, la
préoccupation de discerner les valeurs, qu'a à travers les moyens
employés, il devra poursuivre au sein des situations objectivement
repérées. Si l'homme d'Etat a compétence, par
l'intermédiaire du travail de ses services techniques, il appartient
à l'aider à bien
95 Vatican II cité par
R. MINANI, op. cit., p. 57.
96 Alfred de SORAS, op.
cit., p. 33.
discerner les valeurs d'existence mises en cause par la
conjoncture et aussi par les décisions prises.
En d'autres termes, selon ce principe, si l'on tient
compte de l'urgence pour l'homme d'Etat d'avoir la préoccupation des
valeurs, il faut dire que son action ne saurait être ce qu'elle doit
être si elle n'est pas inspirée par un certain sens des valeurs
d'existence à poursuivre. Or, pour l'Eglise romane le pouvoir
ecclésial est par vocation dépositaire et dispensateur du sens de
valeurs authentiques.
c) Le principe de la souveraineté du pouvoir
politique sur son terrain spécifique d'action
Dans l'exercice de ses fonctions propres, le pouvoir
politique est souverain. Cela revient à dire que le pouvoir
ecclésial ne dispose d'aucune juridiction civile proprement dite sur le
pouvoir politique, d'aucun haut domaine temporel et politique sur le pouvoir
civil.
d) Le principe de la souveraineté du pouvoir
ecclésial sur son terrain spécifique d'action
Dans l'exercice de ses fonctions sacrées, le
pouvoir ecclésial est souverain. En d'autres termes, le pouvoir
politique, en tant que tel n'a aucune compétence pour donner à
l'Eglise des ordres dans les domaines de l'évangélisation des
âmes, de la liturgie, de la discipline des sacrements, de l'action
catholique.
En parcourant la littérature sur la doctrine
socio-politique de l'Eglise catholique, on relève d'emblée que
cette doctrine prétend stigmatiser le champ social dont l'Eglise ne doit
pas passer outre ses interventions c'est-à-dire l'intention de l'Eglise
de ne vouloir laisser à l'Etat, la charge des domaines socio-politiques
dont ce dernier a la responsabilité depuis qu'il a largement
débordé sa vocation traditionnelle de maintien de l'ordre (police
et l'armée) pour étendre son action sur l'école, la
santé, l'économie, le social, etc., étant donné que
l'Eglise et l'Etat partagent un même d'action à savoir la
société.
Cependant, on s'aperçoit que cette doctrine
socio-politique de l'Eglise catholique apparaît comme un prétexte
laissant croire à l'amour de l'Eglise vis-à-vis des ses adeptes.
Ainsi elle se dit « Eglise défenseur des pauvres ». En
réalité, au-delà de ce qui est déclaré
(l'intention déclarée), cette doctrine est conçue pour
justifier l'engagement politique de l'Eglise et la conduite des affaires d'ici
bas (du monde). C'est « l'intention non déclarée ». Ce
qui fait que, dans la pratique, l'Eglise par les prélats étendent
leur intervention en dehors des missions pour lesquelles l'Eglise existe et sur
base desquelles, elle aurait dû fonder sa doctrine. Ceci traduit en fait,
la volonté des religieux de ne jamais lâcher la politique car
animés par les ambitions matérialistes et
symboliques.
Il y a donc lieu de dire que l'Eglise est une
mécanique à la fois idéologique et politique qui ne dit
pas son nom mais dont les actions témoignent de sa duplicitéet du
non dit de ses prétentions à surclasser, du moins à
contrôler la dynamique
étatique au point de l'annihiler et dans une
large mesure de se substituer à lui ; donc de majorer sur la part de
Dieu des portions importantes du patrimoine de César. Ce qui constitue
en filigrane une violation de principe de séparation.
Chapitre IIème : DE L'IMBRICATION DU RELIGIEUX ET
DU
POLITIQUE EN RDC : Une Approche
évolutive
Section Ière : La situation pendant la
colonisation
A l'époque coloniale, les relations de l'Eglise
à l'Etat étaient confuses. L'Eglise catholique qui apparaît
vis-à-vis du pouvoir colonial comme une Eglise au service de ce dernier,
était aussi considérée comme une religion d'Etat. Ainsi,
il sied de faire une réflexion sur cet aspect des choses en montrant
comment l'Eglise catholique était marquée par la colonisation
avant de faire un regard sur son attitude face au pouvoir politique depuis
l'accession du pays à l'indépendance.
I.1. Une Eglise au service de la colonisation
Si l'on essaie de faire la configuration globale de
l'Eglise catholique en RDC, on s'aperçoit qu'elle s'inscrit selon
Isidore Ndaywel97, dans son histoire, sa théologie et surtout
ses relations avec l'Etat. Cette Eglise est largement tributaire de la
colonisation belge qui a marqué le pays.
Elle s'inscrit dans son histoire dans la mesure
où, l'on part de la date de l'accord signé le 26 mai 1906 entre
le Saint siège et Léopold II portant l'introduction du
catholicisme au Congo. Mais en réalité les premiers contacts
s'établirent dès le XVè siècle avec
l'arrivée des portugais. Il faut préciser ici que notre propos
porte sur le catholicisme romain officiel qui a accompagné la
colonisation et qui s'est poursuivi sans discontinuité depuis lors
jusqu'à ce jour.
En effet, lorsqu'en 1908 le roi Léopold II
légua à la Belgique « l'Etat indépendant du Congo
>> pour en faire une colonie, le « Congo belge >>, il fit
baser son action colonisatrice sur trois piliers. Le premier était
l'Eglise catholique, dite Eglise nationale, chargée de « pacifier
>> les coeurs des indigènes par la conversion au christianisme ;
le deuxième fut le commercial et les sociétés coloniales
chargées de rentabiliser la colonisation par l'exploitation des
richesses du pays ; le troisième était l'administration et son
armée, la force publique, chargées d'installer le pouvoir
colonial en lieu et place des pouvoirs traditionnels des chefs
indigènes.
Cependant, l'opération de rentabilisation de la
colonie par le deuxième pilier de cette tripartite va vite
dégénérer en abus dans l'exploitation des richesses
locales. A cet effet, l'indigène qui n'aura pas livré la
quantité d'ivoire ou de caoutchouc imposée aura la main
captée ; ce fut le scandale dit du « caoutchouc rouge >> que
les missionnaires protestants d'origine britannique et
américaine
97 I. NDAYWEL cité par
W. OYOTAMBWE, Eglise catholique et pouvoir politique au Congo-Zaïre. La
quête
démocratique, Paris, Harmattan, 1997, p.
17.
<< dénoncèrent avec
véhémence, alors que l'Eglise catholique se murait dans
un silence prudent que lui imposait son rôle du premier pilier de
l'aventure coloniale >>98.
Il en sera de même lorsque, pour la construction
des routes et surtout, des chemins de fer, plusieurs milliers des
colonisés perdirent la vie à cause de la dureté des
travaux ; l'Eglise se taira pour préserver ses relations avec le pouvoir
établi.
Dès lors les relations entre l'Eglise et l'Etat
vont suivre le principe du << do ut des
>> qui résume les enjeux de leur étroite
collaboration.
L'Etat colonial confia, moyennant subsides, aux
Eglises et principalement à l'Eglise catholique, toutes les oeuvres
sociales : l'enseignement et la santé notamment. L'Eglise catholique va
s'arroger un quasi-monopole notamment sur la formation scolaire, tandis que les
protestants, peu subventionnés, et les musulmans, ouvertement combattus,
se contenteront d'une portion congrue. A cette époque, les missionnaires
avaient le statut d'agents administratifs, allant jusqu'au pouvoir
judiciaire.
A la demande explicite ou implicite de l'Eglise
catholique, l'Etat va également se mettre à la rescousse du
catholicisme dans sa lutte contre les autres confessions
religieuses99. L'insistance sur l'aspect politique vient du fait que
le prélat savait très bien sur quelle corde il fallait tirer pour
toucher la sensibilité du pouvoir colonial et le pousser à agir
dans un sens précis. Cette attitude belliqueuse des catholiques
prévaudra également à l'égard des autres mouvements
religieux, et en particulier contre les messianismes indigènes dont le
Kimbanguisme et le Kitawala, tous deux sévèrement
réprimés par l'autorité coloniale. Mais il faut dire que
Léopold II avait manifesté la même méfiance à
l'égard des missions catholiques non belges (notamment les pères
blancs) ; dès 1906, un concordat négocié avec le Vatican
mettait en avant le principe qui resta en vigueur jusqu'en 1960 : <<
l'effort missionnaire devrait être principalement belge
>>100 .
Si l'on ne peut réduire purement et simplement
le projet missionnaire à l'entreprise coloniale, il est certain que,
fondamentalement, les deux mouvements se sont appuyés l'un sur l'autre.
Les missions avaient besoin de l'ordre colonial pour mener à bien leur
action. Inversement, l'administration coloniale pouvait se reposer sur les
missions dans l'exercice de certaines tâches qu'elle n'avait pas les
moyens ou le désir de prendre à son compte. En échange,
des retombées, positives pour elles, de la colonisation, les missions se
devaient de respecter cet ordre colonial.
En retour, l'Eglise catholique s'acquittait de la mission
lui impartie par le colon. Somme toute, autant la colonisation a profité
de la mission pour exploiter les
98 L. TERRAS., (dir.),
Petit atlas des Eglises africaines. Pour comprendre l'enjeu du christianisme
en Afrique, Paris, Golias, 1994, p. 176.
99 L. TERRAS, Op.
cit., p177.
100 C. YOUNG, Introduction à la politique
congolaise, C.R.I.S.P., Bruxelles, 1994, p. 14.
indigènes, autant la mission a profité
à la colonisation pour s'implanter. Alors que les buts de la
colonisation étaient néfastes pour l'homme noir
considéré comme « inférieur », des missionnaires
s'y étaient compromis jusqu'à la légitimer. On retiendra
ici qu'en accompagnant la colonisation, l'Eglise catholique a utilisé
ses méthodes de destruction des cultures autochtones et s'est ainsi, en
quelque sorte, piégée.
Il ressort de ce qui précède que les
rapports entre l'Etat colonial et l'Eglise catholique sont de nature à
ignorer catégoriquement le principe de la séparation des deux
structures sociales et de la non immixtion dans les domaines respectifs ; dans
la mesure où le pouvoir colonial avait la prétention à
institutionnaliser l'Eglise catholique comme une religion d'Etat et ne
reconnaître donc l'existence juridique des autres confessions
religieuses.
Par ailleurs, l'intervention de l'Eglise dans presque
tous les services sociaux de l'Etat vient contrebalancer dans une certaine
mesure le rôle fonctionnel de l'Etat qui est celui de garantir les
conditions sociales de son peuple.
Ici, il suffit de reconnaître le fait que le
pouvoir colonial n'était pas au service du peuple congolais comme il
l'était au peuple belge. C'est dans ce contexte que l'Eglise s'est
montrée puissante dans ce domaine. Cependant, les gènes de cette
mentalité coloniale dans les rapports Religion-Etat produisent encore
d'effets jusqu'à atteindre leur paroxysme aujourd'hui en RDC. C'est
autant dire que les rapports actuels entre l'Eglise et l'Etat congolais
dépendent des conditions initiales de la construction de l'Etat. En
effet, la construction de l'Etat en RDC s'est appuyée sur base de
l'influence de l'Eglise catholique qui, ayant réussi un espace
privilégié auprès du politique et du social notamment dans
divers domaines : enseignement, éducation, santé,
etc.,
I. 2. L'Eglise et l'accession à
l'indépendance
En analysant les rapports des religions
chrétiennes aux pouvoirs politiques d'Afrique noire, Achille
Mbembe101 a démontré la capacité des
sociétés africaines à mettre en échec la
prétention à l'hégémonie des religions
monothéistes, en premier lieu le christianisme, et la complexité
des relations instaurées en Afrique entre les Eglises et les pouvoirs
politiques postcoloniaux.
Il sied à ce propos, d'examiner le parcours qui
aura conduit le catholicisme à transgresser un tant soit peu le
sacro-saint principe de sa « neutralité » pour se positionner
le cas échéant dans le politique ou, plus
précisément, d'étudier les rapports qui se sont
intéressés entre l'Eglise et le pouvoir politique postcolonial de
la RDC.
101 A. MBEMBE, op. cit., p. 152.
Le 30 juin 1960, le Congo belge accède à
l'indépendance par la force des choses. Mais, quelques années
avant cette décolonisation, les prêtres autochtones avaient
pressenti l'urgence d'une réflexion sur l'Eglise d'après la
colonisation. Cependant, la force est de constater qu'après la
colonisation rien n'a changé quant à ses rapports à
l'Etat.
Aussi l'accession à l'indépendance
va-t-elle révéler une différence des stratégies
entre le pouvoir politique et la hiérarchie ecclésiastique. En
effet, pendant que l'autorité coloniale abandonne dans un
désordre total l'administration et l'armée à des cadres
locaux non préparés à assumer convenablement ces lourdes
tâches, l'Eglise, elle, a non seulement formé du personnel
ecclésiastique autochtone mais en plus, les missionnaires vont demeurer
sur place pour poursuivre l'oeuvre entreprise. Les troubles politiques qui ont
marqué cette période vont accentuer l'importance de l'Eglise
catholique. Celle-ci a en effet su tirer profit de son étroite
collaboration avec l'Etat colonial pour se tailler une position
extrêmement importante sur l'ensemble du pays, de telle sorte que dans
les premières années de l'indépendance son influence et la
force de ses institutions tranchaient net avec la déficience des
structures étatiques et administratives. Aux yeux des autorités
civiles, elle était devenue le partenaire le plus visible, mais
également, peut-être, le plus redoutable. L'oeuvre missionnaire a
donc porté des fruits et établi une véritable puissance
catholique sans pour autant faire du catholicisme une religion
d'Etat102.
Toutefois, c'est surtout dans le domaine de
l'éducation que le catholicisme aura accentué son influence et
son prestige sur l'ensemble de la communauté nationale. A la veille de
l'indépendance, la population globale scolarisée était de
1 773 340 élèves ; sur celles-ci, les catholiques à eux
seuls comptaient 1 359 118 élèves. En 1961, les écoles
secondaires catholiques contaient 25 660 élèves sur un effectif
de global de 49 152. En plus de l'éducation l'Eglise disposait et
dispose encore aujourd'hui d'un grand nombre institutions
socio-médicales et caritatives : 241 hôpitaux, 563 dispensaires,
293 maternités, 103 léproseries, 73 asiles pour vieillards et 176
orphelinats. De même, elle contrôlait des associations syndicales
comme l'Union des travailleurs congolais (UTC) et l'Association des cadres et
dirigeants catholiques des entreprises au Congo (CADICEC) et, grâce
à son infrastructure scolaire, elle exerçait une grande influence
sur la jeunesse par le biais des associations et des mouvements des jeunes.
L'Eglise possédait également plusieurs associations pour adultes
et disposait, enfin, d'une puissance d'opinion singulière : deux
journaux importants dont un quotidien, courrier
d'Afrique, et un hebdomadaire, Afrique
chrétienne. Mais là encore c'est surtout la
dimension éducative qui va faire le jeu de l'Eglise. Dans un pays qui ne
possédait qu'un seul universitaire lors de l'accession à
l'indépendance, les principaux cadres seront issus des écoles
catholiques. Les anciens séminaristes, en particulier, se retrouveront
à des postes clés à tous les échelons de la vie
publique ; c'est dire aussi combien les
102 W. OYOTAMBWE, op. cit. p. 22-23.
prêtres et les évêques
indigènes occuperont une place de choix dans l'ère qui
s'inaugure103.
Section IIème : La situation
après l'indépendance : le Temps de la réorganisation
politique.
II.1. L'Eglise face à la tentative de
laïcisation de l'espace politique après
l'indépendance
La période subséquente à
l'indépendance sera entachée des troubles en tous sens et des
guerres civiles qui ont émaillé les rivalités entre les
acteurs politiques.
Le point de départ de cette tragédie fut
la crise institutionnelle, c'est-à-dire des querelles au sommet de
l'Etat entre le président et le premier ministre. Cette crise
amènera l'armée congolaise à intervenir dans le champ
politique et va se dénouer au détriment du Premier ministre,
pourtant détenteur d'une légitimité sortie des urnes, et
aboutir à son tragique assassinat le 17 janvier
1961104.
Ici, faut-il se poser la question de savoir comment
l'Eglise a-t-elle réagi face à ces premières
difficultés politiques d'après la colonisation ? Pour
répondre à cette question, on se basera sur la
personnalité de Mgr Malula, figure alors prédominante du
catholicisme congolais et de hiérarchie indigène, qui peut servir
de fil conducteur pour lire l'histoire de cette période
confuse.
D'abord, Malula affichait une aversion presque
naturelle et caractérielle pour Lumumba dont il n'appréciait pas
le comportement et certains écarts de langage.
Selon Mgr. Jean Jacot105, il y avait «
une incompatibilité totale entre Malula et Lumumba. Bien avant
l'indépendance Malula ne cachait pas sa méfiance à
l'égard de Lumumba et ce, pour toutes les raisons : politiques, sociales
et aussi personnelles».
Dans son discours-programme de 1960, le Premier
ministre avait préconisé un Etat laïque et a donné
son interprétation de la laïcité de l'Etat en des termes
fort précis : « Le gouvernement s'engage à assurer aux
habitants de la République les garanties de libertés humaines, en
tout premier lieu la liberté de religion. Le gouvernement
empêchera par tous les moyens à une religion, quelle qu'elle soit,
de s'imposer directement ou indirectement, notamment par la voie de
l'enseignement ». A cet effet, il proclame la séparation absolue
entre l'Etat et les Eglises. Ainsi
103 Idem, p. 24.
104 J. C. WILLAME, Patrice Lumumba, la crise
congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990, p. 376.
105 Idem, p. 378.
continue-t-il en déclarant : << La
République du Congo sera un Etat laïque, démocratiquement
gouverné par le peuple pour le peuple >>106.
Ce discours-programme traduit la volonté du
Premier ministre de fonder le nouvel ordre politique sur les valeurs
républicaines et par ricochet, les valeurs laïques. Lumumba visait
donc clairement la laïcisation de l'espace politique. Cependant, cette
vision rationnelle a vite rencontré d'énormes oppositions de
l'Eglise romaine au Congo. La hiérarchie de cette dernière pris
très mal ces propos et y réagira tout aussi
fortement.
Du laïcisme, Mgr Malula dira alors que
<<ce déchet de la civilisation occidentale,
importé au Congo par les ennemis de Dieu, n'est nullement de nature
à nous ennoblir >>107.
Le décor était ainsi planté :
Lumumba sera qualifié pêle-mêle d'ennemi de Dieu,
communiste, athée, anti-clérical, et tutti
quanti. Le 1er juillet 1960, Malula exprimera plus
franchement l'opposition de l'Eglise face au premier ministre en adressant un
message réparateur dans lequel il pris à contre-pied ce que
Lumumba avait déclaré la veille, lors de cérémonies
du 30 juin.
Quinze jours plus tard, Malula intervient encore dans
la politique congolaise en s'en prenant catégoriquement aux <<
excès de langage >> du ministre de l'Information, Anicet
Kashamura, à la radio congolaise108 en affirmant que la
hiérarchie catholique engage aussi une campagne anti-lumumbiste de
grande envergure, tant par sa presse que par des séances des
prières.
Un journal de l'opposition catholique
(représentée par Masoko, Ileo, Bolikango, etc.) va même
répandre à l'intérieur du pays l'image d'un Lumumba
<< communiste >> telle qu'elle fut fabriquée par des
services de sécurité belges ; pourtant, à en croire
Jean-Claude Willame109, rien dans l'histoire politique de cette
époque n'atteste d'une quelconque conversion de Lumumba au
communisme.
Malgré ce contexte pourtant hostile, Lumumba
continua d'affirmer : << Des évêques abandonnent leur
mission d'évangélisation pour s'ingérer dans les affaires
de l'Etat (...) Nous ne voulons pas qu'on fasse au Congo ce qu'on fait en
Belgique, la dictature de l'Eglise sur le gouvernement >>110.
Aussi le rôle joué par l'Eglise dans
l'éviction de Lumumba reste flou, d'un flou qui n'a d'égal que le
rôle joué par la puissance coloniale qui, la première,
avait fait de Lumumba un sujet non fréquentable. On peut tout au moins
penser, vu le contexte de l'époque, que la hiérarchie catholique
aura éprouvé un sentiment de
106 J. CHOME, L'ascension de Mobutu. Du sergent
Joseph-Désiré au général Sese Seko, Paris,
Maspero, 1974, p.76.
107 J. CHOME, Op. cit., pp. 75-76.
108 J. C. WILLAME, op. cit., p. 376.
109 Idem, p. 252-253.
110 J. VAN LIERDE, La pensée politique de
Patrice Lumumba, Paris, Présence Africaine, 1963, p.
290.
« soulagement » après
l'élimination de Lumumba, avant que la suite des
événements ne vienne modifier les discours et les attitudes des
uns et des autres à l'égard de l'action premier
ministre.
II.2. La résistance des missions catholiques
pendant la période de crise institutionnelle
Les multiples troubles qui ont eu lieu durant cette
période ont occasionné le départ précipité
des missionnaires protestants ainsi que des cadres belges des différents
secteurs ; les missionnaires catholiques, eux, choisissent de demeurer sur
place malgré les menaces et les risques. Certains d'entre eux payeront
de leur vie ce zèle, surtout pendant la révolution muleliste qui
décidait de venger la mort de Lumumba. La perception qu'une partie de
l'opinion avait de l'implication du clergé catholique dans le limogeage
de Lumumba avait créé une certaine animosité de la part
des rebelles envers les clercs catholiques111.
Tout compte fait, le choix qu'avaient fait les
missionnaires catholiques de rester en place se révéla payant
pour le maintien et la sauvegarde des institutions catholiques en ces temps
périlleux.
Au plan moral, cette présence serait
perçue par les fidèles comme un témoignage de
fidélité et de total dévouement. Mais l'on dirait que
c'est aux vues des intérêts politiques et matériels et leur
sauvegarde que l'Eglise catholique a pu résisté. Cette
dernière en a trop gagné car c'est à partir de là
qu'elle a réaménagé et réadapté sa confiance
déterminante vis-à-vis du peuple congolais en plus des services
de base : l'enseignement, la santé, etc.. Sans oublier l'action de la
Caritas dans la distribution des vivres et d'autres biens d'équipement
en ce temps de misère et de pénurie consécutives à
l'anarchie.
En d'autres termes, la faillite des institutions
étatiques mettait en exergue l'organisation des structures religieuses
auxquelles tous vont recourir constamment. Depuis lors les différents
gouvernements qui se succéderont vont-ils ménager les
intérêts de l'Eglise et solliciter fréquemment l'appui de
sa hiérarchie dans différents domaines. En retour, les
autorités gouvernementales accorderont à maintes occasions, des
largesses innombrables à l'Eglise : dons divers, titres fonciers,
dotations multiples, subventions. À l'occasion de la crise
institutionnelle de la première république, l'Eglise catholique
s'est taillée un espace déterminant dans la politique de la RDC.
Ainsi tout scénario tendant à concevoir un espace politique
laïcisé devient, en quelque sorte utopique compte tenu du
positionnement stratégique de celle-ci.
Cependant, cette bonne santé de l'Eglise romaine,
devenue en quelque sorte un Etat dans un Etat, ne manquera pas
d'éveiller craintes et suspicions.
111 W. OYOTAMBWE, op. cit, p. 30.
Certains parmi les autorités civiles comme
beaucoup parmi l'élite nationale verront dans la puissance catholique
à la fois un subtil relais de la puissance et de l'influence belge au
Congo indépendant.
Section IIIème : Situation sous la
deuxième République
La deuxième République a
été marquée dans son premier volet par une forte
composition des prélats aux politiques avant de sombrer dans divers
accrochages pour en finir ensuite, par la recomposition mutuelle entre les deux
parties.
A ce titre, la question de la laïcité de
l'Etat semble n'intéresser personne et par là, bannie du
débat national aux vues des intérêts que l'une ou l'autre
des parties tirerait de cette situation de confusion institutionnelle (de
l'Eglise et l'Etat). Il sied de passer en revue les éléments
marquant cette imbrication.
III. 1. Du Temps du coup d'Etat militaire et sa
légitimation par l'Eglise catholique
Le 24 novembre 1965, un coup d'Etat militaire place au
pouvoir le lieutenant-général Joseph Mobutu, un croyant fervent
catholique apparemment respectueux de l'Eglise, mais aussi le bras militaire
dont les adversaires locaux et étrangers de Lumumba se seront servis
pour écarter et éliminer l'ancien premier ministre112.
Mobutu suspend la jeune démocratie qui s'installait après les
troubles qui ont émaillé la période des crises politiques,
et congédie les acteurs politiques.
L'Eglise accueillit favorablement et témoigne son
soutien à un régime issu de coup d'Etat militaire en ces termes
:
« C'est Dieu qui distribue l'autorité.
Monsieur le Président, l'Eglise reconnaît votre autorité,
car l'autorité vient de Dieu. Nous appliquerons fidèlement les
lois que vous voudrez bien établir. Vous pouvez compter sur nous dans
votre oeuvre de restauration de la paix à laquelle tous aspirent si
ardemment... »113.
Dès lors, l'Eglise et le nouveau régime
entretiendront d'altruistes rapports, surtout avec l'entente entre le
Président et l'archevêque de Kinshasa à la personne de
Malula qui deviendra plus tard, cardinal avec le concours du premier. Le
prélat avait cru alors qu'il était possible au regard des
intérêts de l'Eglise, de collaborer étroitement (de mener
ensemble les affaires de l'Etat) avec le nouveau régime et lancera
même l'idée de l'insertion objective de l'Eglise dans le projet
nationaliste du nouveau régime.
112 J. CHOME, op. cit., pp. 82-85 et pp.
100-106.
113 Le courrier d'Afrique du 26 Novembre
1965.
A cette époque également, la puissance
de l'Eglise catholique vis-à-vis de l'Etat va s'affirmer encore une fois
en matière d'enseignement par le fait qu'elle réussi à
gérer seul , plus de la moitié d'écoles soit 67,4%
dépassant très largement les réseaux protestants et
officiels réunis. Tandis que l'Université catholique Lovanium de
Kinshasa totalisait 2. 083 étudiants. Face à l'endémique
désorganisation du ministère de l'éducation, c'est le
Bureau de l'Enseignement Catholique (BEC) qui assurait l'organisation des
études sur l'ensemble du territoire national, tous réseaux
confondus. En matière sociale, l'action catholique s'orienta vers
l'oeuvre caritative et l'action pour le développement, principalement
dans les milieux ruraux, au sein des nombreux diocèses. C'est tout
naturellement aussi que le gros des cadres de la deuxième
République naissante sera formé par l'enseignement
catholique114.
En 1967, le nouveau régime, qui a suspendu tous
les partis, crée son propre le Mouvement Populaire de la
révolution (MPR), dont la doctrine et les principes directeurs sont
exposés dans le Manifeste de la N'Sele. Les artisans de ce manifeste,
dont l'inspiration tout au service de l'homme et du bien commun est
évangélique, sont des prêtres, des catholiques, dont la
plus part avaient milité dans les rangs de l'Action catholique, ils
menaient la barque nationale sans désavouer leurs convictions, et
paraissaient décidés à servir avec
désintéressement. L'épiscopat sembla apprécier dans
ce régime une manifestation exemplaire du laïcat prenant ses
responsabilités d'hommes et de chrétiens dans la nation
zaïroise. Par la suite, les prêtres catholiques se
présenteront aux élections sur la liste du MPR. Mais en
dépit de toutes ces connivences, les relations entre le régime et
la hiérarchie catholique vont vite se
détériorer115.
Dans l'ensemble, on comprend que si Mobutu avait
réussi dans son plan autoritariste, c'est parce qu'il était bien
soutenu par l'Eglise catholique qui occasionnait le clientélisme et le
culte du chef rendant ainsi légitime un désordre établi.
L'Eglise catholique qui était déjà majoritaire au Congo ne
pouvait que dans ce contexte, assoupir les revendications démocratiques
légitimes en gardant le peuple congolais dans l'ignorance.
Antonio GRAMSCI dûment cité à ce
sujet, l'avait prouvé dans son expérience. Selon lui, l'Eglise
catholique universelle est capable grâce à son
hégémonie, de soutenir le régime de son choix et de
démobiliser la société civile dans l'élan du
changement, et d'assoupir d'éventuelles contestations populaires face
aux abus du pouvoir politique en place. L'Eglise appartient donc à la
catégorie sociologique 'appareils idéologiques de l'Etat dont la
vocation stratégique consiste à inoculer au peuple les fables de
la soumission qui prédisposent l'homme à tendre la
deuxième joue après que la première ait été
frappée.
114 W. OYOTAMBWE, op. cit., p. 34.
115 Idem.
III. 2. Les premiers accrochages
Un régime pourtant légitimé et
consolidé par l'Eglise catholique, n'a pas manqué au fil du
temps, à afficher de plus en plus un visage autoritaire et imposer un
monolithisme sociopolitique qui ne tardera pas à inquiéter la
hiérarchie catholique qui se trouvait déjà
confrontée à diverses pressions et menace du
Chef-Président. Les violations des droits de l'homme et les
exécutions sommaires se multiplient : la pendaison publique des «
quatre conjurés de la pentecôte » le 02 juin 1966 à
Kinshasa, etc. face à cette situation qui a déstabilisé la
hiérarchie catholique se sentant dorénavant menacée, les
autorités ecclésiastiques seront encore les premiers à
dénoncer les dérives et le laxisme du nouveau
pouvoir116.
Depuis lors les rapports entre le pouvoir et l'Eglise
vont se détériorer graduellement ; d'une part, l'Eglise entend
rappeler le pouvoir politique à respecter ses engagements, tandis que le
pouvoir de son côté n'entend recevoir des leçons de
l'Eglise et dénonce l'ingérence de l'Eglise dans les affaires de
l'Etat et ainsi s'affiche résolu à réprimer toute critique
de l'Eglise visant son action.
III. 3. Le Temps de l'idéologisation
autoritariste
Le 12 novembre 1969, le gouvernement décide que
le Manifeste de la N'sele soit enseigné obligatoirement dans toutes les
écoles de la République à tous les niveaux de
l'enseignement. Cette décision d'idéologisation du système
éducatif national va heurter les responsables catholiques dont on a
déjà vu le rôle et l'importance dans le secteur
éducatif117.
A quel titre en effet, devait-on enseigner à
tous les écoliers et à tous les étudiants le projet
politique d'un parti politique ? Les responsables catholiques
protestèrent donc aussitôt contre le projet ; à la place le
BEC esquissa un projet de cours de civisme, afin de prouver la volonté
et la disponibilité à coopérer du côté
catholique.
Mais, alors que cette première question
était encore pendante, le gouvernement prit une autre mesure non moins
déplaisante pour la hiérarchie ecclésiastique. Le 30
juillet 1969, suite à une manifestation estudiantine par ailleurs
réprimée dans le sang, environ 50 étudiants ont
été tués à l'occasion d'une marche pacifique. A la
même époque, le Bureau politique du MPR prononça la
dissolution de toutes les associations de jeunes aussi bien dans l'Eglise que
dans les écoles et universités catholiques au profit d'une autre
dénommée : la Jeunesse du Mouvement Populaire de la
Révolution (JMPR). Par là, il contraignait l'Eglise catholique
à accepter la disparition de ses nombreuses associations de
jeunes.
116 W. OYOTAMBWE, op. cit., p. 35.
117 Idem., p. 36.
La hiérarchie catholique essaya de négocier
à plusieurs reprises avec le Président Mobutu, en vain.
L'affrontement devenait de plus en plus
inéluctable118.
A l'issu de l'installation des comités JMPR
dans les maisons de formation religieuse et sacerdotale, il va se remarquer des
dissensions au sein de l'Episcopat catholique. En effet, en application des
décisions de juin et juillet 1969 qui instituaient l'enseignement de
l'idéologie du MPR dans des écoles et qui établissaient la
JMPR comme unique cadre des activités de la jeunesse, le gouvernement
décida l'installation, avant le 1er avril 1972, des
comités de la JMPR au sein des grands séminaires et des maisons
de formation religieuse sous peine des poursuites judiciaires.
L'Episcopat zaïrois dans son ensemble s'opposa
à cette tentative d'embrigadement des futurs prêtres et religieux.
Le 08 mars, Mgr Lesombo, évêque d'Inongo et alors président
de la CEZ (conférence épiscopale du Zaïre), décida de
fermer les séminaires plutôt que de procéder à cette
idéologisation des futurs prêtres. Cependant, certains
prêtres se voudront réservés ou prudents sur la question.
Ainsi, Mgr Bakole, archevêque de Katanga, accepta d'installer les fameux
comités JMPR dans deux grands séminaires de sa province
ecclésiastique de Kananga. Affaibli par ce genre de trahisons,
l'Episcopat finira par accepter, après des pourparlers avec le
gouvernement, l'installation des comités JMPR en échange du
respect de la finalité religieuse de ces
établissements119. Plus tard, le pouvoir décida de
dissoudre l'Assemblée épiscopale jugée « subversive
» et les évêques furent interdits de se déplacer en
dehors de leur leurs diocèses respectifs.118
On peut déceler à ce sujet, la
soumission de l'Eglise au régime autoritaire qui venait de
s'ériger au Congo. Cette soumission de l'Eglise à l'Etat
autoritaire postcolonial s'enracine en partie dans les relations ambiguës
qui ont caractérisé les relations des missions avec le pouvoir
colonial.
Nous venons de voir à ce titre, comment le
Président Mobutu avait tenté de dominer l'Eglise et
contrôler son action interne. Mais là encore, il s'agit d'un
manquement au principe de laïcité en ce sens que le pouvoir de
Mobutu pensait et réussissait d'étendre par imposition,
l'idéologie du MPR au sein de l'Eglise, cette dernière devenant
ainsi politisée.
On peut à ce titre, imaginer quelques
hypothèses. En premier lieu, on peut penser que le pouvoir voulait
s'assurer de la main mise sur le système éducatif d'une part pour
réduire l'influence du catholicisme dans le secteur public qui
n'était pas toujours vue d'un bon oeil, mais aussi pour briser dans
l'oeuf un foyer de résistance virtuelle qui risquait de faire ombrage
à sa volonté d'hégémonie sans partage.
Peutêtre aussi une explication d'ordre psychologique : Mobutu pouvait
craindre aussi
118 L. NZUZI, « Zaïre : quatre années de
« transition », Bilan provisoire », in L'Afrique politique
1995. Le meilleur, le pire et l'incertain, Paris, Karthala, 1995, p.
256.
119 W. OYOTAMBWE, op. cit., p. 48.
que le moment venu l'Eglise fasse à son
détriment ce qu'elle a pu faire contre Lumumba et dont il a
été témoin ou acteur direct selon les cas. En face de lui,
l'Eglise tenait à maintenir ses acquis en tous genres dont
l'enseignement représentait le maillon principal, mue en plus par un
soucis d'humanisme et des valeurs chrétiennes dont les principes ne
pouvaient en aucun cas coïncider avec les méthodes du nouveau
pouvoir.
En second lieu, on peut imaginer la volonté du
nouveau régime de contrôler tout seul l'ensemble du processus
national de socialisation.
Ainsi, se référant au rôle
joué par l'Eglise au temps de la << trinité coloniale
>>, le pouvoir mobutiste qui se voudrait l'héritier et le
successeur de l'ordre colonial espérait de l'Eglise catholique un apport
similaire et lui exigea une sorte de réforme ecclésiastique qui
l'insère dans une nouvelle ère socio-idéologique. Chose
inacceptable car du point de vue symbolique cela aurait signifié que
l'Etat fonde et institue les Eglises qui est un fait du gallicanisme (ce
dernier concept entendu comme le fait du régime politique à
exercer un contrôle sur les Eglises).
Ce qu'il importe de révéler à ce
sujet, est que le gallicanisme ci-haut défini n'est naturellement
irréductible au régime autoritaire de la deuxième
République où César refuse de reconnaître son
incompétence en matière spirituelle.
Cet alliage des causes multiformes et
d'intérêts divergents va conduire au bras de fer fatal qui se
produira plus tard.
En 1971, le gouvernement décide de
laïciser les deux Universités tenues par les Eglises, à
savoir l'Université catholique Lovanium de Kinshasa et
l'Université Libre du Congo, située à Kisangani et
administrée alors par les Eglises protestantes. La fusion de ces deux
universités avec l'Université d'Etat de Lubumbashi donna
naissance à une nouvelle structure, l'Université Nationale du
Zaïre (Congo à l'origine), l'Unaza dont la direction sera encore
confiée à l'ancien recteur de Lovanium, Mgr Tharcisse Tshibangu,
qui devint le recteur de ce corpus universitaire120.
III. 4. L'attitude des Eglises face au « recours
à l'authenticité »
Le 04 octobre 1971, le général Mobutu
lance le mouvement de << l'authenticité >>, une
révolution culturelle qui visait la libération économique
et politique des africains par un processus de désaliénation
mentale. Par ce courant, il s'agissait de redonner à l'homme noir sa
fierté, sa dignité d'être négro-africain, que le
colonisateur lui a fait perdre. Pour Mobutu, le retour (et plus tard le
recours) à l'authenticité signifiait << l'affirmation du
peuple zaïrois tout court, là où il est, tel qu'il est, avec
ses structures mentales et sociales propres >>121.
120 W. OYOTAMBWE, Op. cit.,, p. 104.
121 Discours du président de la République
du Zaïre, le général Mobutu, à la 28è
Assemblée de l'ONU, le 4 octobre 1973.
De ce fait, le pouvoir s'investit dans une vaste
entreprise de propagande et de quête de l'identité africaine, dont
la première phase consistera dans la réhabilitation et la
restauration de ce que l'ordre colonial aurait détruit ou
détrôné. Ainsi, la République Démocratique du
Congo fut baptisée « République du Zaïre », les
grandes villes, les vues et avenues vont également porter des noms
« authentiques » afin d'effacer à tout jamais le souvenir et
les traces du colonialisme. Un nouvel élan populaire et nationaliste,
par certains moments xénophobe, naîtra de cette campagne
menée tambour battant à renfort de vaste propagande et des
folkloriques séances d'animation populaire.
Par la suite, en critiquant la campagne de
l'authenticité, un journal belge posa la question de l'usage des
prénoms chrétiens de tradition occidentale dans la logique de
cette exaltation du passé culturel africain. Les autorités
politiques perçurent cette observation comme un défi et y
rétorquèrent avec emportement ; Mobutu lui-même se
défit de ses prénoms de Joseph Désiré et les
remplaça par un post-nom : Sese Seko Kuku Ngbendu Wazabanga.
Aussitôt, une loi fut promulguée portant interdiction du port des
noms à consonance étrangère avec interdiction aux
prêtres de baptiser en employant des prénoms chrétiens. Il
semble que le changement ou le bannissement de ces prénoms occidentaux
étaient déjà à l'étude et que les
autorités politiques tergiversaient à les interdire juste par
peur de heurter davantage la sensibilité des responsables catholiques.
Le commentaire de la presse belge ne sera que la goutte d'eau qui fera
déborder le vase122.
Durant ce déferlement de la campagne de
l'authenticité, l'hebdomadaire catholique Afrique
chrétienne fit à son tour un autre commentaire qui
ne plaira guère au pouvoir.
« Allons-nous exhumer de la nuit du passé une
philosophie africaine originale qui n'a pu être, si du moins elle a un
jour existé, que l'expression d'une vie sociale à jamais
périmées ? (...) Il ne s'agit plus aujourd'hui de nous procurer
l'éphémère satisfaction de réclamer à grands
cris qu'on reconnaisse notre droit d'être nousmêmes et de nous
amuser à saccager notre passé de colonisés. (...) Il faut
passer aux actes et imposer par des réalisations de tous ordres notre
dignité d'hommes africains. La question n'est pas de brandir des slogans
sur notre originalité nos valeurs ...Mais bien de mettre en oeuvre, aux
yeux du monde, cette originalité et ces valeurs
»123.
Le journal ne croyait pas si bien dire, au regard de
l'évolution ultérieure de l'authenticité. Malgré la
justesse et la pertinence d'un tel propos, le pouvoir préféra y
lire une désinvolture supplémentaire de l'Eglise et d'un homme en
particulier, le cardinal Malula. L'hebdomadaire catholique fut saisi et
frappé d'interdiction ; dans
122 cf. CRISP, cité par KABONGO-MBAYA, Op.
cit., p. 301.
123 Idem, p. 303.
son sillage, toute la presse religieuse, sans distinction
de confession, sera prohibée. La tension entre le régime et les
autorités religieuses avait atteint son comble.
Tout au long de ce processus d'absolutisation du
pouvoir, le cardinal Malula se révéla de plus en plus critique
à l'égard du régime. Aussi, au plus fort de la crise entre
l'Eglise et l'Etat, ce qui va créer un conflit entre Mobutu et Malula.
Ce dernier sera la cible des autorités politiques. Sa lettre pastorale
sur les noms chrétiens n'avait pas plu au pouvoir et, en plus on lui
imputait la paternité de l'article critique paru dans
Afrique chrétienne contre l'idéologie
de l'authenticité. En représailles, le cardinal subira quelques
brutalités avant d'être dépossédé de sa
résidence qui deviendra le quartier général de la JMPR ;
il s'exila ensuite au Vatican, le temps que les diplomates du
Saint-siège négocient avec le général pour
dénouer la crise.
Dans l'entre temps, une campagne radiodiffusée
battit son plein contre l' « évêque diabolique », le
« caméléon », la campagne de l'authenticité
s'étant du coup transformée en un déchaînement
passionnel contre le patron de l'Eglise catholique. Mobutu jura qu'aussi
longtemps qu'il sera chef de l'Etat du Zaïre, Malula ne pourra plus
exercer son épiscopat dans son pays. Au cours d'un meeting, Le
Chef-Président s'en pris personnellement à Malula et
proféra à son encontre des propos fort désobligeants ; il
affirma entre autres que Malula n'avait aucune qualité d'homme de Dieu,
qu'il disputait des places d'honneur aux manifestations publiques ; il laissera
insinuer même que c'est grâce à lui, Mobutu, que Malula
avait été élevé à la dignité
cardinalice. Puis, il essaya d'apaiser les fidèles catholiques et
l'opinion internationale en affirmant que ce conflit était strictement
une affaire personnelle entre lui Mobutu et Malula, et que cela n'engageait ni
l'Etat ni l'Eglise catholique. Enfin, il tendra la main aux
évêques modérés et comptera sur le soutien,
même discret, de ceux dont les rapports avec Malula n'étaient
point harmonieux124.
Après le rappel de Malula auprès du
Saint-siège et les négociations en vue de son retour au
Zaïre, le climat va se détendre entre l'Eglise et l'Etat. C'est le
temps où les deux institutions vont se reconnaître une cause
commune dans la quête de l'identité culturelle. Au synode romain
de 1974, le cardinal tiendra un langage visiblement proche des
idéologies mobutistes ; il se voudra même compréhensif
vis-à-vis de l'authenticité et souligna, en des termes clairs et
vigoureux, la nécessité d'africanisation du
christianisme.
C'est sur base de ce rapprochement que nous pensons
que le mouvement d'africanisation du christianisme dans l'Eglise catholique
résulta de l'authenticité mobutiste en plus que certains
théologiens congolais ont entrepris de mettre en exergue
l'interpénétration ou la complémentarité entre
l'idéologie de l'authenticité et la théologie africaine et
la pertinence de la première pour la dernière. Toujours à
ce sujet, Gbabendu Engunduka et Efolo Ngobaasu écrivent : «
l'Eglise congolaise de
124 P. B. KABANGO-MBAYA, Op. cit., p.
40.
MALULA et consorts en a été
bouleversée et à dû, ensuite, passé du christianisme
colonial au christianisme de l'authenticité >>, non pas
authentique125.
III. 5. La mystification du pouvoir face à la
volonté de laïcisation de l'Etat
Une modification de la constitution en 1974 institue
le mobutisme, défini comme << l'ensemble des actes et dires du
président Mobutu >>, comme doctrine nationale. Fait nouveau : le
préambule de ladite constitution proclame explicitement la
laïcité de l'Etat et évoque pêle-mêle Dieu, les
Ancêtres, l'Afrique et le Monde.
En décembre de la même année, le
gouvernement promulgue une série de mesures qui ont
mécontenté profondément la hiérarchie catholique.
La fête de Noël est supprimée du calendrier national ; en
outre toutes les écoles détenues par les Eglises (83,5 % des
effectifs globaux de l'enseignement national) sont étatisées, en
corollaire, les cours de religion ne pourront plus être enseignés
dans les établissements publics étatisés, tout comme les
crucifix et autres icônes religieuses seront retirés de tous les
édifices publics (écoles et hôpitaux). Les facultés
de théologie protestante et catholique seront proscrites au sein de
l'UNAZA.
A cet effort conjugué par le pouvoir
autoritaire de laïciser l'espace public et la reprise de conscience de la
nécessité de reprendre les fonctions régaliennes de l'Etat
longtemps tenues par les Eglises notamment l'enseignement et la santé,
va s'en suivre la conséquence qui fut le mouvement qui tendait à
imposer le mobutisme comme religion d'Etat, Mobutu étant
désormais le << Messie >>de la nouvelle religion
authentiquement Zaïroise.
Le 04 décembre 1974, Monsieur Engulu, ministre
des Affaires politiques, déclare : << Dans toute religion et de
tout temps il y a des prophètes. Pourquoi n'y en aurait-il plus
aujourd'hui ? Dieu a envoyé un grand prophète : c'est notre guide
prestigieux Mobutu Sese Seko. (...) Ce prophète est notre
libérateur, notre Messie. (...) Jésus est prophète des
juifs, il est mort. Le Christ ne vit plus. Lui, il se dit Dieu. Mobutu n'est
pas Dieu, il ne se dit pas Dieu, il mourra aussi. Mais il conduit son peuple
vers une vie meilleure. Comment ne pas honorer, vénérer celui qui
fonde la nouvelle Eglise du Zaïre ? Notre Eglise est le Mouvement
Populaire de la Révolution. Notre chef est Mobutu. Nous le respectons
comme on respecte le pape. Notre loi est l'authenticité. (...) Notre
Evangile, c'est le mobutisme, le Manifeste de la N'Sele... Que vient faire le
crucifix dans nos édifices publics ? Il doit être remplacé
par l'image de notre Messie. Et les militants auront à coeur de placer
à ses côtés sa Mère glorieuse : Mama Yemo (...) La
sainte Vierge était aussi honorée comme mère du
prophète Jésus >>126.
125 A. NGBABENDU ENGUNDUKA et E. EFOLO NGOBAASU,
Volonté de changement au Zaïre, vol.1,
<< De la consultation populaire vers la
conférence nationale, Paris,L'Harmattan,1991,p.30.
126 ENGULU, cité par W. OYOTAMBWE, Op.
cit., p. 73.
Face à cette situation, l'épiscopat
catholique se battra pour reconquérir ses positions en particulier dans
le domaine de l'enseignement et la santé.
III.6. Les conflits d'intérêts et la
légitimation idéologique par des confessions
religieuses
Certains pensent que durant toute cette période
de lutte entre Mobutu et les Eglises, on aurait pu espérer une
solidarité inconditionnelle des différents Eglises, du moins
chrétiennes, pour conjurer la dictature naissante.
Mais nous nous estimons qu'en vertu du principe de
séparation des pouvoirs religieux et politique ainsi que celui de non
immixtion dans les affaires respectives, cela serait une fois de plus permettre
aux Eglises de s'ingérer dans les affaires politiques. En tout cas, les
pesanteurs de l'histoire et la divergence d'intérêts des toutes
les confessions, empêcha un déploiement d'une telle
solidarité, d'autant plus que rien n'établit
irréfutablement que ces conflits d'intérêts aient eu pour
principal enjeu réel la dictature ou, inversement, la
démocratisation du régime. Aussi à intérêts
divergents réactions divergentes.
W. Oyotambwe stipule que les Eglises protestante et
Kimbanguiste, pour ne citer que les plus importantes, semblèrent se
régaler de cette atmosphère autoritariste et en
profitèrent pour conquérir quelques faveurs de la part du pouvoir
politique. Sans broncher, elles manifesteront leur soutien au projet
politicoidéologique du Chef-Président.
a) L'Eglise du Christ au Zaïre (Congo)
Lors des premières campagnes de
l'authenticité et des premiers affrontements avec la hiérarchie
catholique par le cardinal Malula interposé, en février 1972, la
hiérarchie nationale des Eglises protestantes réunies au sein de
l'Eglise du Christ au Zaïre (E.C.Z) apportera un soutien sans failles au
chef du MPR : « nous soussigné, membres du Comité
exécutif national de l'Eglise du Christ au Zaïre, réunis en
session extraordinaire à Kinshasa, (...), déclarons
solennellement notre fidélité et soutien au
Président-Fondateur du parti national, le MPR, Chef du Gouvernement et
Général de Corps d'Armée, le citoyen Mobutu Sese Seko.
Nous appuyons avec soulagement la lutte combien noble pour
l'authenticité. (...) C'est ici où s'affirment la grandeur, la
profondeur et l'originalité de la politique du deuxième
régime. Nous saluons avec fierté la politique sociale du Nouveau
Régime visant l'amélioration des conditions humaines, gage de la
paix durable et du bonheur
social >>127.
127 E.C.Z, « L'Eglise et l'authenticité
Zaïroise >>, cité par P.B. KABONGO-MBAYA, op. cit.,
p.310.
Plus tard, à l'occasion du douzième
anniversaire de l'indépendance nationale, ça sera le tour du
pasteur (et plus tard Mgr) Bokeleale de déclarer encore plus
solennellement et sans ambages l'allégeance de l'E.C.Z au
général Mobutu qu'il affublera de tous les attributs
messianiques, avant de le magnifier et de l'élever au rang de
Noé, Abraham, Joseph, Moise, David, Jésus-Christ, Martin Luther
King et Jean XXIII. Le président de l'E.C.Z enchaînera donc en
disant : << Dieu a besoin de l'homme pour résoudre les
problèmes dans le monde (...) Après cinq ans, comme nos musiciens
le chantent, le Seigneur nous a donné un homme. C'était le
général Mobutu Sese Seko, avec une mission claire et nette :
apporter la paix au Zaïre et sauver notre pays
>>128.
Ces déclarations des représentants de
l'E.C.Z rendaient ainsi au régime un hommage du genre que le
Chef-Président affectionnait pour consolider le culte de la
personnalité que ses thuriféraires laïcs déploient
déjà avec un zèle inégale ; du moment que
l'éloge venait d'une personnalité religieuse, le culte prenait du
relief et le chef de l'Etat ne restera pas indifférent à ce
supplément de taille.
b) Le Kimbanguisme
Du coté de l'Eglise Kimbanguiste, ce fut aussi
un soutien de tout instant à la nouvelle << religion authentique
>>. A l'instar des protestants, les Kimbanguistes vont se rapprocher du
pouvoir pour consolider le statut de troisième Eglise nationale que
celui-ci venait de leur conférer. Il est significatif que tout au
début de la campagne de l'authenticité, le président de la
République se soit rendu en pèlerinage à Nkamba,
accompagné de son épouse, et qu'il ait assisté au culte
kimbanguiste à Matete pour célébrer le vingtième
anniversaire de la mort de Simon Kimbangu129. Ainsi, lorsque le
pouvoir interdit le port des prénoms chrétiens, Diangenda (le
chef spirituel de l'E.J.C.-S.K.) diffusa une circulaire ordonnant aux pasteurs
kimbanguistes de baptiser seulement avec les noms << authentiques
>> tout en demandant aux kimbanguistes << de se
pénétrer de la philosophie de l'authenticité et de se
soumettre à l'éducation permanente du parti pour mieux comprendre
la portée exacte des enseignements du Manifeste de la N'Sele
>>128.
Ce soutien du Kimbanguisme ne pouvait jamais faire
défaut au Président de la République ; même quand le
culte de la personne du guide atteignit son paroxysme et que
l'anticléricalisme du régime se renforçait, le chef
spirituel Diangenda demandera à tous les kimbanguistes de rester
toujours derrière le guide pour le triomphe de la Révolution
nationale.
Ici, il faut comprendre le fait que le kimbanguisme
est naturellement un mouvement à doctrine politico-religieuse
nationaliste et local et qu'il ne pouvait que dans ce contexte, adhérer
à une idéologie politique de l'authenticité.
128 E.C.Z, Op. cit., p. 312.
129 S. ASCH, L'Eglise du prophète Kimbangu. De
ses origines à son rôle actuel au Zaïre, Paris, Karthala,
1983, p.71.
Les Eglises protestantes et kimbanguiste ayant
adhéré au projet politique, celle qui tergiversait à
suivre l'exemple devait être une Eglise au service de l'extérieur.
Le président de la République le dira en termes ci-dessous :
« Je dis que ce pays et le parti n'ont rien à voir avec
l'extérieur, c'est-à-dire avec toutes les institutions
extérieures à notre République ; que ces institutions
soient politiques, économiques ou spirituelles. Nous ne pouvons plus
accepter la domination politique, économique ou spirituelle
imposée de l'extérieur... Avant l'indépendance on citait
les trois pouvoirs : l'Administration, les sociétés
(industrielles) et l'Eglise. Les deux premiers ont cédé la place,
il n'y a pas des raisons qu'il n'en soit pas de même pour l'Eglise...
Jamais je n'ai eu de problèmes avec les protestants, ni avec les
kimbanguistes, parce qu'ils ne reçoivent pas de mots d'ordre de
l'étranger. Mais les évêques zaïrois en
reçoivent (...) Ce sont des agents au service de l'étranger
>>130.
Il ressort clairement de ce qui précède
que le plan de Mobutu était non seulement de vouloir étendre son
idéologie de l'authenticité aux Eglises mais aussi et surtout il
voulait se tailler le monopole sur ces dernières, qu'il institue, qu'il
domine, qu'il contrôle et dont il se sert pour consolider son pouvoir au
nom de l'authenticité. Chose naturellement antithétique avec la
laïcité de l'Etat. C'est ce que nous avons appelé le
régime gallicanisme mobutien plus haut.
On peut remarquer une autre intentionnalité non
déclarée c'est-à-dire un souhait inavoué du
régime mobutiste, était donc de pouvoir compter sur un partenaire
ou un allié, et c'est cette volonté qui justifie sa satisfaction
vis-à-vis des protestants et des kimbanguistes. L'allusion faite
à l'« extérieur >> dans l'attitude des
catholiques résultait de la dépendance du catholicisme congolais
vis-à-vis de l'Occident qui rend cette Eglise facilement
réceptive des décisions dictées de l'extérieur.
L'Eglise catholique s'apercevant que ses intérêts pourraient
être menacés et défavorisés par cette vision de la
politique, s'érigea ici en quelque sorte en contrepoids face au
totalitarisme du régime mobutiste, mais cette opposition ne durera pas
longtemps, le régime ayant déployé tous les moyens
possibles pour la mâter ou, tout au moins, la
récupérer.
c) Le mariage entre l'Eglise catholique et le
MPR
La décennie 80, alors que l'Eglise catholique
montrait face au régime, un comportement de réticence, verra se
consolider une réelle collaboration entre L'Eglise et le régime
du président Mobutu, couronnant ainsi un rapprochement amorcé
depuis la fin de la précédente décennie. Mais pendant que
le pouvoir décidait la dissolution de l'Assemblée
épiscopale, Mgr. Kesenge de Molegbe, prononcera un discours dont voici
l'extrait : « (...) comme le Christ est venu sauver le monde, ainsi Mobutu
est venu sauver le Zaïre (...) >>131.
130 P.B. KABONGO-MBAYA, Op. cit., p.
307.
131 R. LUNNEAU et alii , Chemins de la christologie
africaine, Paris, Karthala, 1988, p. 58.
En 1982, le MPR cesse d'être un simple parti
unique pour s'ériger en PartiEtat et, en tant que tel, << unique
source de pouvoir et de légitimité politique au Zaïre >.
Paradoxalement, la position de l'Eglise va se conforter progressivement sur
l'échiquier du pouvoir mobutiste et, même dans le partage de ce
pouvoir, l'influence de l'Episcopat deviendra de plus en plus grande et
manifeste. On le consultera par exemple au moment des formations de
gouvernement ou d'interminables remaniements ministériels. Certaines
personnalités laïques devront une ascension fulgurante en politique
comme dans d'autres domaines à la faveur d'un soutien
ecclésiastique.
Certains congrégations religieuses, dont les
jésuites et les scheutistes, etc., s'illustreront dans les
stratégies de promotion de leurs protégés (anciens
élèves, cadres) en les plaçant à des postes de
premier choix sur le marché d'emploi. Ainsi, assistera-t-on à une
profusion d'associations d'anciens élèves de tels ou tels
pères : les anciens des pères scheutistes (ADAPES), les
élèves des frères maristes ou lazaristes, etc.,
deviendront des véritables foyers d'ascension sociale, d'emplois ou de
facilités diverses132.
Pendant ce temps, le tissu économique s'effrite
à un rythme effréné, tandis que les violations des droits
de l'homme en tous sens étaient devenues monnaie courante. Les Eglises
chrétiennes confondues, vont se taire et s'aligner par hypocrisie
derrière le discours du verset biblique << A César ce qui
est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu>. Signe de temps, c'est au début de cette
décennie 80 que naît une vive contestation du régime
à l'intérieur même de son organe dirigeant sans que les
hiérarchies religieuses appuient officiellement les revendications de ce
mouvement.
Il faut préciser ici que les réunions
épiscopales ne reprendront qu'à l'événement de la
zaïrianisation, concept par lequel, l'on entend le décret qui
voulait à ce que la gestion des entreprises agricoles, commerciales et
de transports appartenant aux étrangers deviennent la
propriété des citoyens zaïrois. Cela parce que les
évêques zaïrois ont laissé faire et ont
déclaré leur fidélité à l'Etat et au
régime en place.
Cependant, En 1978, à l'issu de l'échec
de la politique économique nationale (zaïrianisation,
radicalisation), le président de la République arrête une
série de mesures pour redresser l'économie. Parmi ces mesures, il
décrète la nouvelle politique de
stabilisation, surnommée la
rétrocession. Les entreprises zaïrianisées sont
rendues à leurs propriétaires étrangers à condition
que 40% des capitaux reviennent à des nationaux (...). La dette
extérieure grandissante provoque une dévaluation de fait
d'environ 50%. Lors de la mise en vigueur de ces mesures fin 1976, il
était déjà question de rétrocéder les
écoles aux Eglises.
132 R. LUNNEAU, Op. cit., pp. 59-60.
La gestion des écoles va effectivement
être rétrocédée aux Eglises, du moins celles dites
nationales (catholique, protestante et kimbanguiste) ; après plusieurs
mois de négociations, un accord est signé à cet effet au
début de l'année 1977. Selon les termes de cet accord, les
réseaux scolaires radicalisés depuis trois ans sont
rétrocédés aux trois Eglises, mais la gestion de ces
écoles se fera dans le cadre de l'Education nationale,
c'est-à-dire que l'Etat en reste le pouvoir organisateur. Ce nouveau
cadre de collaboration convaincra les Eglises à reprendre lesdites
écoles, ce qui leur permettra, mutatis mutandis, de retrouver leur
influence dans la conduite des affaires publiques et parmi les
jeunes.
Il faut préciser que cet accord intervient dans
un contexte sociopolitique marqué par l'aggravation de la crise
économique, la grogne sociale, la multiplication des sectes
politico-religieuses, la réapparition des partis politiques d'opposition
en exil et les mécontentements de la population suite à certaines
attitudes des membres du parti.
Au demeurant, chaque fois qu'il y avait
soulèvement pour revendiquer le changement contre le régime de
Mobutu qui excellait déjà dans une corruption
généralisée, les évêques congolais s'y
opposaient à ce qu'ils qualifiaient << l'agression barbare du
pays>>. C'est le cas de la première guerre de Shaba où les
évêques congolais se rallieront à la thèse
officielle pour condamner l'agression des ex-gendarmes katangais,
appuyée selon eux, par des puissances étrangères.
Simultanément, l'E.C.Z. et l'E.J.C.S.K. rappellent leur <<
indéfectible attachement au << Guide de la Révolution
zaïroise authentique >> et désapprouvent << l'agression
barbare >> du pays.
Le régime de Mobutu ne survivra que grâce
à ce soutien des Eglises qui mobilisaient toute la population à
s'opposer à ce mouvement qui revendiquait le changement institutionnel,
mais aussi grâce au soutien des 1. 500 soldats marocains
dépêchés à sa rescousse sur le front pour
épauler les forces armées zaïroises débordées
par l'avancée de l'ennemi133. La collaboration entre l'Etat
et les trois Eglises va ainsi se consolider.
De juin 1976 à juillet 1980, lors de la
célébration du centenaire de la deuxième
évangélisation du Congo-Zaïre par l'Eglise catholique, le
cardinal Malula après avoir été agressé chez lui
par la force secrète du président de la République pour
avoir publié un document dénonçant le mal
zaïrois, craignit pour sa vie durant plusieurs mois,
jusqu'à l'intervention du pape Jean Paul II qui reçut tour
à tour au Vatican le président Mobutu et le cardinal Malula en
1979, probablement pour dissiper les craintes du cardinal en assurant au
président un certain soutien.
Cette année du centenaire, proclamée
année de << solidarité et du partage >> par l'Eglise
catholique sera donc dominée par un modus vivendi
concrétisé par l'acceptation de l'invitation faite au pape de se
rendre au Zaïre et par la nomination
133 C. BRAECKMAN, Le dinosaure : le Zaïre de
Mobutu, Paris, Fayard, 1992, p. 83
du cardinal Malula à la présidence du
conseil d'administration des OEuvres de Maman Mobutu134.
Toutefois, ici aussi, la trêve dans le
sempiternel conflit Mobutu-Eglise sera de courte durée, puisque
l'Episcopat zaïrois publie un nouveau document dénonçant `le
mal zaïrois', tandis que le cardinal Malula pour sa part adresse aux
chrétiens une lettre pastorale sur le même sujet à
l'occasion de l'anniversaire de son épiscopat. Mais, cette fois, la
crise qui en résultera sera vite décrispée à cause
de la préparation de la visite du Souverain pontife au
Zaïre135.
III.7. Le Temps des dénonciations
Les dénonciations par l'Eglise catholique
avaient justement commencé depuis la publication du document
intitulé : << le mal zaïrois »
par le cardinal Malula avant la visite du pape au Zaïre.
Durant son séjour sur le sol zaïrois, le
pape s'est exprimé sur plusieurs thèmes : besoin d'aide
internationale pour que l'Afrique recouvre une indépendance
réelle, nécessité du développement agricole au
Zaïre afin de satisfaire la demande alimentaire locale, devoir de l'Eglise
africaine de combattre l'injustice et la corruption, l'africanisation du
christianisme,...136
Comprenons de ce qui précède comment le
pape à son passage au Congo a confirmé l'opportunité suite
à l'observation de la défaillance de l'Etat providence, de
récupérer le social par l'Eglise catholique congolais se fondant
ainsi sur sa doctrine socio-politique susmentionnée. Mais, on le verra
plus tard, cette doctrine cache la réelle ambition de l'Eglise de
s'approprier les affaires du monde qui pourtant relèvent de la politique
en vertu du principe : << A Dieu ce qui est à Dieu et à
César ce qui est à César » d'origine
biblique
Un an après la visite du pape, la joute
Eglise-Etat connaîtra quelques escarmouches. En effet, le 23 juin 1981,
Mgr Kaseba, évêque de Kalemie, a rendu public un autre message du
Comité permanent des évêques du Zaïre qui reprenait
ses critiques sur les racines profondes du mal zaïrois. Les
évêques y dénoncent << l'exploitation
éhontée, le pillage organisé au profit de
l'étranger et de ses relais, pendant que le gros du peuple croupit dans
la misère ». Ils évoquent aussi la crise économique
caractérisée par les prix débridés, les salaires
bloqués, les pénuries diverses ; ils stigmatisent en outre les
dérives politiques : les enlèvements, les arrestations
arbitraires et les tortures. A l'endroit des occidentaux qui soutenaient
ouvertement le régime mobutiste, les prélats rappellent que
<< les peuples font eux-
134 Idem, p. 84.
135 Ibidem, p. 88.
136 W. OYOTAMBWE, Op. cit., p. 60.
mêmes leur propre histoire et que c'est au peuple
congolais de faire la sienne >>, puisqu'en aucun cas « ses amis
étrangers ne sauraient se substituer à lui
>>137.
Cette dénonciation pourrait apparaître
sous les yeux de tout analyste critique comme une manière pour l'Eglise
profitant de la défaillance des institutions étatiques, de faire
leur contre campagne en les imputant de tous les maux du pays et ainsi faire sa
campagne en éveillant les consciences de leur état
d'exploité. Ainsi donc, la stratégie de l'Eglise était de
vouloir récupérer la confiance du peuple congolais et lui
témoigner sa solidarité dans la conduite des affaires. Nous le
disons car, nous referant au contexte de l'époque, après cette
dénonciation, c'est l'Eglise qui a su mobilisé autour de lui les
plus des soutiens populaires grâce aux services caritatifs et sociaux de
base et pour cela elle réussi à conquérir un espace
privilégié en politique. Par conséquent,
l'allégeance est plus faite à l'Eglise qu'à
l'Etat.
Suite à cette situation où l'Etat se
trouve affaibli, Mobutu trouve tardivement la nécessité
d'appliquer stricto sensu, la séparation des deux domaines : religieux
et politique. Sa réaction ne se fit entendre ; dans un discours
prononcé lors de la tenue de la troisième session du MPR
où il exigea impérativement que le clergé cesse de
s'occuper de politique, accusant par la même occasion les
clercs
d' « ingérence dans les affaires de l'Etat
>>. A cette même occasion, le parti pour réaffirmer sa
puissance, décida que les membres de la JMPR seront désormais
présents dans toutes les paroisses pour s'assurer que les
homélies et les prédications ne versent pas dans les
problèmes qui relèvent du temporel» ; une association membre
de la JMPR en particulier dénonce que les paroisses du pays sont
transformées en véritables tribunes politiques ; (...) une
sévère mise en garde vient à point nommé car la
religion a ses prêtres et la politique les siens.
Dans la foulée, les évêques
réactionnaires vont subir des nouvelles intimidations. Dès cet
instant, la pléthore des services de sécurité du
régime va s'ingénier à infiltrer toutes les
réunions épiscopales ainsi que toutes autres sortes de
rassemblement ecclésiastique, dans le but de repérer les «
réactionnaires >> et les subversifs, jusqu'au coeur des
institutions de l'Eglise. Exploitant à son compte les dissensions
déjà perceptibles au sein de la hiérarchie et du
clergé dans son ensemble, le pouvoir atteindra facilement son but :
l'Eglise va compter dans ses propres rangs ceux des agents d'information au
service du pouvoir. Le malaise se réinstalle alors. Néanmoins, la
diplomatie vaticane, semble-t-il, va peser de son poids pour apaiser les
tensions ainsi avivées ; mais cette fois-ci apparemment, c'est
plutôt l'Eglise qu'elle va contraindre à ne point se mêler
de la politique, au silence et à la résignation, de sorte que
petit à petit celle-ci va se résoudre à la soumission au
Chef de l'Etat138.
Sommes toutes, les relations entre l'Eglise et l'Etat
zaïrois étaient tantôt conflictuelles, tantôt de
collaboration mais quel que soit le contexte, étaient des
137 S.ASCH, Op. cit., p. 89.
138 S. ASCH, Op. cit., p. 106.
rapports de force au regard des intérêts
de chacun. Cela étant, la question de laïcité de l'Etat avec
ses principes directeurs notamment la non immixtion dans les affaires
respectives, ne disait, que ce soit aux responsables de l'Eglise ou aux
politiques, absolument rien et le contraire était vrai à chaque
rapport. L'Eglise semblait donné surtout l'image d'une institution
corrompue jusqu'à son plus haut degré, à savoir un pape
accordant une promotion à un dignitaire ecclésiastique à
la demande d'un pouvoir despotique.
III. 8. Les cadeaux du président de la
République aux évêques
Le silence de la hiérarchie catholique vaudra
à celle-ci toutes les largesses du guide de la Révolution
zaïroise << authentique >>. En particulier, les
évêques vont se familiariser avec le charme des véhicules
de luxe offerts par `le Président Fondateur du MPR et Président
de la République'. Une véritable tradition en naîtra,car
les évêques rivalisant en cela avec les <<dinosaures
>> (entendez les barons) du régime. A chaque sacre d'un nouvel
évêque, <<le président de la République
saisissait l'occasion pour offrir au nouveau prélat une voiture <<
Mercedes >> ou un fonds important pour la construction de sa
résidence >>139.
Beaucoup d'observateurs de la vie socio-politique
congolaise (zaïroise) seront frappés par cette
réalité et la dénonceront fréquemment, mais la soif
d'avoir et la recherche de prestige étaient plus fortes pour les
prélats au point que cela ne parut pas les émouvoir
singulièrement.
Reprenant une observation faite en 1980 par M.G.
Schartzberg, JeanFrançois Bayart dit que : << la Mercedes est
d'ailleurs devenue le véhicule épiscopal par excellence,
attribuant ainsi aux princes de l'Eglise une place de choix dans la
nomenklatura de l'Etat postcolonial : dans les
années 1970, l'évêque catholique de Lisala, au Zaire,
partageait ce privilège avec deux notables seulement, le commissaire de
l'administration territoriale et un riche marchand
>>140.
L'auteur ajoute que l'évêque de Lisala
n'était pas le seul à savourer le charme de la << Mercedes
>>. Le cardinal Malula et Mgr Nkongolo, parmi les plus
célèbres, en ont reçu de Mobutu à l'occasion de
leurs jubilés d'épiscopat. Cet engouement pour la Mercedes
pourrait s'expliquer par un autre fait de société qui n'excuse
pas pour autant la corruption ni l'excessive inclination au lucre des
prélats.
De même, Mobutu n'offre pas que des Mercedes ;
pour les gens de la campagne, il sait qu'une Land Rover, une Toyota Land
Cruiser..., sont mieux adaptées à l'état désastreux
des routes. Mais il n'y aura pas que cela. Des enveloppes accompagneront
également chaque circonstance. Les évêques, et à
leur suite l'ensemble du clergé zaïrois, aiment bien fêter
les anniversaires marquants de leur
139 P.B. KABONGO-MBAYA, Op. cit., p.
138.
140 J.-F. BAYART (dir), << Les Eglises
chrétiennes et la politique du ventre >>, in Religion et
modernité politique en
Afrique noire. Dieu pour tous et chacun pour soi,
Paris, Karthala, 1993, p. 153.
vie épiscopale ou sacerdotale, tandis que les
religieux et surtout les religieuses ne laisseraient passer pour rien au monde
le loisir de marquer d'une empreinte spéciale le jour de leurs
professions religieuses (premiers voeux, voeux perpétuels, etc.). Chez
les uns et les autres, des jubilés par des festivités grandioses
en net contraste avec la grande misère qui a élu domicile dans le
pays. Mobutu saisira chaque occasion pour offrir un << don personnel du
Président Fondateur », dont l'importance varie selon le rang des
bénéficiaires ou des relations particulières avec le
président ou des membres de son entourage.
Selon Emmanuel Dungia141, les <<
escarcelles des évêques se remplissent lors des passages du Guide
dans leur province ou à l'occasion de leurs séjours dans la
capitale. (...) La part du lion est toute% réservée dans cette
pluie de semences destinées à dompter le clergé, à
un Monseigneur nommé Kesenge (...) Pour son sacre, ce prélat
avait droit à 60 véhicules Mercedes de fort tonnage et deux
grosses limousines toutes options, avec téléphone pour
communiquer avec le Maréchal, plus un chèque de deux millions de
dollars ». Les congrégations des soeurs dans lesquelles le
Maréchal puise de temps en temps des alliées sexuelles ne sont
pas oubliées.
Nous pouvons voir par là, les pratiques du
pouvoir qui réussit à acheter les religieux par des largesses et
autres manoeuvres du Chef-Président qui l'ont aidé à
consolider son pouvoir autoritaire et de ce fait, assoupir l'opposition. Ces
pratiques ont pour conséquences, entre autres, le clientélisme
excessif et l'étouffement de la prise de conscience par le peuple de sa
situation dramatiquement détériorée sous l'oeil complice
des prélats dont les bouches exhalent l'odeur des ognons.
Section IVème : De la Transition
démocratique à la troisième République
Les transitions démocratiques ont mis en
évidence, un peu partout en Afrique subsaharienne, la visibilité
retrouvée des Eglises chrétiennes. Selon les cas, elles ont
été soit conviées à assurer un rôle de
médiation entre le pouvoir et leurs oppositions, en assurant parfois la
direction des institutions transitoires.
Au début des années quatre vingt-dix, la
RDC a été le théâtre des changements politiques
intenses inaugurés par le discours présidentiels du 24 avril qui
annonçait l'avènement des pratiques démocratiques
(multipartisme, régime des libertés, transition
démocratique, élaboration d'une nouvelle constitution,
préparation des élections, marginalisation tendancielle du MPR
Parti-Etat).
Dans la suite des événements, une
conférence nationale souveraine incluant toutes les
représentations sociales sera tenue tout en subissant les
contre-
141 E. DUNGIA, Mobutu et l'argent du Zaire.
Révelations d'un diplomate, ex-agent des Services secrets, Paris,
L'Harmattan, 1992, pp. 71-72.
coups des manipulations présidentielles qui feront
d'elle une assemblée incapable d'imposer ses
résolutions.
Tous ces indicateurs de changement s'inscrivent dans
ce qu'il convient d'appeler « processus de démocratisation ».
L'une des particularités de ce changement politique réside dans
le fait que, il a été négocié sans succès,
par les hauts dirigeants du clergé catholique. Après plusieurs
années de soutien mutuel, cette paroxystique et spectaculaire irruption
de l'Eglise catholique dans le champ politique a eu comme conséquence,
la participation du clergé à un mouvement profond de remise en
cause du caractère régalien et dispensateur du social de
l'Etat.
Pour preuve, nous pouvons épingler quelques faits
:
- le clergé participait au conseil de
sécurité du Sud Kivu avant la guerre (1996). Ceci fait de
l'Eglise un partenaire sécuritaire de l'Etat et non seulement une
institution sociale qui doit être protégée par
lui.
- Le clergé exerce une énorme
capacité d'influence sur les masses qu'elle peut mobiliser à tout
moment pour ou contre les pouvoirs publics. Les mobilisations protestataires de
la résistance de 1998 à 2001 à Bukavu nous le
prouvent.
- Le clergé bénéficie des
privilèges et immunités tacites allant de l'inviolabilité
des locaux à des exonérations fiscales sans oublier des avantages
protocolaires dans les manifestations publiques ou les réunions des
personnalités influentes tant en province qu'au plan
national.
- Le clergé bénéficie d'une plus
grande liberté d'expression et d'opinions qui exposerait d'autres
catégories sociales à des poursuites judiciaires. En d'autres
termes, il est presque impossible d'arrêter et de poursuivre en justice
un clergé sur les questions politiques. Le cas de l'abbé
Jean-Bosco Bahalaokwibale ou de l'archevêque Kataliko en
témoigne.
IV.1. L'Eglise et l'Etat entre 1990 et 1996
Le 24 avril 1990, dans son discours inaugurant la
période dite de transition, le président reconnut l'échec
de son régime et annonça de nouvelles orientations
répondant cette fois là, aux aspirations du peuple :
l'introduction du multipartisme, l'abolition de l'institutionnalisation du MPR
et la mise sur pied d'une commission chargée d'élaborer une
nouvelle constitution pour la troisième République.
Ces déclarations suscitèrent une
explosion de joie et de grandes espérances. Curieusement de violentes
manifestations s'en suivirent, l'assemblée plénière de
l'épiscopat se réunit et confirma dans un message intitulé
: « libérer de toute peur au service de la nation » qui
dénonçait en outre, la limitation de fait de la
démocratisation à la seule ville de
Kinshasa et plaidait aussi pour une conférence nationale pour la
recherche d'un consensus national non seulement entre les hommes politiques,
mais aussi de toutes les couches de la population.
L'Eglise jouera un rôle de premier rang dans
l'organisation des travaux de la conférence nationale souveraine. La
présidence de celle-ci sera même confiée à un
prélat à la personne de Mosengwo, archevêque de Kisangani
mais les autorités politiques de l'époque tenteront à
maintes reprises de remettre en cause la composition de l'équipe
dirigeante de la conférence nationale en rappelant la
laïcité de l'Etat congolais et la non immixtion de l'Eglise dans
les affaires de l'Etat. Cette immixtion présentait à leurs yeux
un danger quant à l'avenir de l'Etat avec le retour en force du
religieux dans le politique. Le déroulement des travaux ne sera donc pas
facile car il connaîtra des interruptions mais quelque soit la pression,
l'Eglise finira par diriger les assises de la conférence.
Après la conférence nationale
souveraine, le comité permanent des évêques publia un
nouveau message intitulé : « un effort supplémentaire pour
sauver la nation » dans lequel, il revendiquait l'application des
résolutions issues de la conférence nationale. La situation de
blocage de la vie socio-économique et politique persista,
l'assemblée plénière publia à son tour un message
« Tenez bon dans la foi » accompagné d'un mémorandum
adressé personnellement au chef de l'Etat. Ces textes étaient
pour le clergé, la définition des conditions requises pour des
véritables élections démocratiques.
En 1994, le comité permanent des
évêques du Congo, au terme d'une session tenue à Goma,
publia le message : pour une nation mieux préparée à ses
responsabilités. Il y réaffirmait son attachement aux acquis de
la conférence nationale souveraine et assurait à Monsengwo leur
soutien dans les efforts qu'il avait déployé pour mettre fin aux
institutions autoritaires. Il appelait surtout les chrétiens à
s'organiser pour la formation de la population à la démocratie
notamment par des sessions sur les élections. Cette attitude suscita des
réactions du pouvoir politique suffisamment grave car les
autorités politiques se décidèrent d'agresser
systématiquement les membres du clergé catholique.
Si l'on essaie d'en faire une analyse approfondie
quant à leur résultante, on s'aperçoit que les assises de
la conférence nationale dirigées par ce prélat catholique
étaient vouées à l'échec en dépit de
diverses interpellations du pouvoir. Les causes de cet échec seraient
dues au fait que le prélat président de la dite conférence
y était entré avec un code religieux au lieu d'un code politique
usuel car les fonctions qu'il venait d'embrasser étaient aussi
politiques.
C'est ce que démontre Nicklas
Luhmann142 quant il analyse les systèmes sociaux. L'auteur en
distinguant dans un système social global, des sous
systèmes
142 Cité par MISIMBI MUGANZA, Syllabus
d'analyse du système social : structures et pouvoirs, UOB, L2
Sociologie, 2007-2008.
sociaux. Il en évoque plusieurs dont nous
retenons trois à savoir, le système politique, le système
religieux et le système médiatique. Pour lui, chaque
système a un code qu'il appelle code binaire
pour son fonctionnement et lorsque l'on utilise un même code
pour deux ou tous les trois systèmes, on est en face d'une affaire
où tout est bloqué. C'est ce qui a justifié l'échec
de l'Eglise catholique dans le processus de démocratisation de la RDC
sous la formule de la conférence nationale souveraine.
IV. 2. L'Eglise et le régime issu de l'AFDL de 1996
a 1998
En septembre, les premiers accrochages furent
signalés à l'Est du pays entre les forces armées
zaïroises de l'époque et les Banyamulenge. Des journaux
accusèrent l'évêque d'Uvira de servir de lieu de transit
pour les armes qui leur avaient été acheminées du Burundi.
On saura plus tard que la création de l'alliance des forces
démocratiques pour la libération du Congo avait été
signée à Lemera. Le 29 octobre les troupes de cette alliance,
soutenues par les élément Rwandais entrèrent à
partir de la ville de Bukavu et assassinèrent un évêque du
nom de Muzihirwa, dès lors la rébellion rencontrèrent
l'opposition de l'Eglise. Rappelons que dès le début de la guerre
conduite par Laurent Désiré Kabila, l'Eglise par l'entremise de
son pasteur de Bukavu, l'Archevêque Munzihirwa dénonçait
sans complaisance les violences et les exactions exercées par les
rebelles autour de son archidiocèse et appelait l'armée
régulière, la population à la vigilance et à la
résistance. (On verra plus tard infra le discours du pasteur à ce
sujet).
On verra également à travers le discours
du pasteur Munzihirwa que l'Eglise se montra incrédule par rapport aux
infiltrations signalées, aux exactions et aux assassinats dans la ville
de Bukavu.
<< (...) Sans doute, nous entendons
par ci par là des coups de fusils. Sachons que ce ne sont pas des coups
de fusils de nos ennemis mais de nos militaires qui, je crois, sont en train de
s'exercer à tirer et à manifester parmi nous leur présence
(...) »143.
Ici l'Eglise semblait soutenir le régime de Mobutu
à qui elle témoigna son soutien par des prières pour le
retour de l'ordre et de la paix.
Paradoxalement, après la prise du pouvoir par
Mzee Laurent Désiré Kabila, les évêques congolais
publient un message sous le titre << lève- toi et marche »
comme pour reconnaître le nouveau régime sans ménager
l'ancien et en communiant aux espoirs de la population de voir enfin se
réaliser un Etat de droit longtemps attendu.
Ils exprimaient néanmoins leur regret que le
changement réalisé ait été obtenu par la violence
et leurs inquiétudes devant le rejet par le nouveau régime du
projet de société élaboré par la légendaire
conférence nationale.
143 Message du Pasteur Munzihirwa à la population
de Bukavu à l'entrée d'AFDL
IV.3. Attitude de l'Eglise face à l'occupation
rwandaise couverte localement par le R.C.D
Le 02 août 1998, une nouvelle guerre
éclata à partir de l'Est précisément dans la
province du Sud-Kivu, elle est conduite par presque les mêmes personnes
qui accompagnaient l'AFDL lesquelles ont réalisé que leurs
intérêts politiques étaient insatisfaits.
Il faut préciser ici que les rapports de
l'Eglise à la rébellion du RCD étaient conflictuels.
L'Eglise exerçait une contre-politique à l'émergence et la
progression du RCD. Pour rappel, l'Eglise a contribué à
l'animation de la résistance et à la déqualification
publique des thèses politiques du RCD et du Rwanda. L'homélie de
la Noël 1999 par l'archevêque Kataliko en constitue une preuve. Nous
y reviendrons plus bas.
Les persécutions subies par le clergé
accréditent également cette thèse. Ce qui a fait que ce
dernier ait du mal à s'adapter et par conséquent, le RCD
s'imposait par la violence en l'occurrence contre tous ceux qui étaient
hostiles au mouvement par quelque moyen que ce soit, y compris les
prêtres, pasteurs et autres religieux de l'Eglise catholique. L'Eglise de
l'Est du pays témoignait fidélité et soutien au
gouvernement central. Cette opposition de l'Eglise catholique au RCD n'avait
pas seulement pour cause la défense de l'intégrité
territoriale face à l'agression étrangère, mais
peut-être aussi voir le fait que ses intérêts
matériels et symboliques étaient menacés voir en
péril. On cite par exemple, la taxation de ses véhicules pourtant
toujours exonérés de l'imposition.
IV.4. L'Eglise catholique et les accords de
paix
Le comité permanent des évêques de
la République Démocratique du Congo manifestait de
l'intérêt aux accords de paix en partie parce que le contexte de
guerre aménuisait les intérêts matériels et
symboliques habituels de l'Eglise mais également parce que sa doctrine
sociale et politique lui interdisait de rester muet et inactive face à
une situation devenue mélodramatique en défaveur des populations
qui subissaient des persécutions inouïes (massacres, viols,
tortures, emprisonnements,...).
C'est ainsi qu'en mars 2003, dans son message : «
J'ai vu la misère de mon peuple, Trop c'est trop
», le comité permanent des évêques a
montré que la tenue du dialogue inter-congolais était une
nécessité incontournable et une urgence, il exprimait aussi par
la même occasion son regret de voir que les finalités des accords
déjà signés et surtout celles de l'accord partiel conclu
à SUN-CITY n'ont pas été atteintes et que cet accord
partiel n'a fait qu'accroître la crise, et que la misère de la
population avait atteint un degré insupportable, mais le manque
de
volonté politique et de patriotisme
consistaient à caractériser la classe politique congolaise comme
l'indique cet extrait tiré de ce message : << les
atermoiements et les tergiversations qui entourent l'application de l'accord
global et inclusif, prouvent suffisamment le manque de volonté politique
et de patriotisme des partis en cause dans la crise congolaise
>>.
C'est ce qui explique leur prise de position en ce
terme : << la multiplication des obstacles sur le chemin de
la paix en RDC a atteint les limites du tolérable. Considérant
les responsabilités qui sont les nôtres dans cette
société, nous faisons une mise en garde aux belligérants
et à la classe politique, le peuple ne supportera plus longtemps leurs
tergiversations. Si la crise perdure encore, l'Eglise catholique utilisera des
moyens appropriés pour hâter le retour de la paix
>>144.
Tout en s'appropriant le peuple, l'Eglise annonce par
ce message, la reprise des responsabilités politiques au cas où
les politiques sont incapables de trouver des solutions à la crise dont
le peuple est victime.
Mais ici, la question qui nous vient est de savoir par
quels moyens va-t-elle s'y prendre pendant qu'elle n'a ni l'armée, ni la
bureaucratie, encore moins la police ; ces dernières fonctions
étant traditionnellement celles essentielles de l'Etat et elles
constituent donc, son appareil répressif selon le langage de Louis
Althusser. Cette déclaration traduit une certaine remise en cause du
monopole de la contrainte physique légitime. Or, nous savons que
l'Eglise au sens de Antonio Gramsci constitue l'un des appareils
idéologiques de l'Etat et à ce titre, elle est capable par
persuasion, d'amener le peuple à soutenir un régime ou encore
à s'opposer à un autre qui n'est pas de son choix. Qu'en
serait-il alors, si elle récupérait des fonctions de l'Etat et se
tournait contre l'Etat lui-même et son autorité ? Nous nous
imaginons le scénario sans pour autant croire à une
société sans Etat mais tout au moins à une <<
confessionnalisation >> de l'Etat congolais où l'Eglise prend la
relève des institutions étatiques laïques
défaillantes ; l'Eglise apparaît sous cette forme comme une source
alternative sinon concurrentielle du pouvoir politique ou de dissuasion, chose
traduisant l'effondrement de celui-ci ou du moins sa
fragilité.
IV. 5. L'Eglise et le Gouvernement de
Transition
A l'entrée du gouvernement 1+4 en RDC, l'Eglise
n'a pas gardé silence face à la formule adoptée par les
belligérants qu'elle ne partageait pas du tout. C'est alors que le
comité permanent des évêques congolais déclarent :
« de part et d'autre, une poignée des gens à la
culture politique douteuse prennent tout un peuple en otage. Ils signent des
accords, mais ne s'engagent pas à les respecter et refusent de les
appliquer (...) les hommes politiques de notre pays ne font pas preuve de
patriotisme. Préoccupés par des intérêts
égoïstes, ils font de la politique un gagne pain, qui n'a rien
à voir avec la recherche du bien-être de la population et le
souci
144 Message du comité permanent des
évêques de la RDC aux fidèles catholiques et aux hommes de
bonne volonté << j'ai vu la misère de mon peuple, trop
c'est trop >> du 15 mars 2003.
de la démocratie. Les spectacles désolants
qu'ils ont livrés à SUN-CITY, les divisions internes, la course
au positionnement et les querelles de préséance qui
caractérisent leurs moeurs politiques en sont une preuve (...) les
appétits effrénés pour le pouvoir ont conduit à
l'adoption du fameux schéma « 1+4 » qui contient les germes de
conflit au sommet de l'Etat »145.
Cependant, par rapport à la position de
l'Eglise vis-à-vis du schéma 1+4, d'après nos
observations, il y a eu des divergences d'opinions au sein même du
clergé catholique. Celui-ci s'est vu scindé en deux blocs.
D'où les divergences d'opinions de l'Est à l 'Ouest au sein du
clergé catholique.
En effet, l'Eglise de l'Ouest se voulait pessimiste au
processus conduisant selon ses meneurs, à la démocratie et
semblait vouloir réinitialiser la fameuse formule de Monsengwo issu de
la conférence nationale souveraine considérée selon lui,
comme la seule voix efficace pour la recherche de la paix et de la
démocratie en RDC. L'Eglise de l'Ouest reproche à la formule 1+4
de n'avoir été signée que par les ex-seigneurs de guerre
et de n'avoir pas associé l'Eglise aux pourparlers de SUN-CITY pourtant
qu'elle est le reflet des opinions populaires.
En revanche, l'Eglise de l'Est ne cachait jamais son
soutien à ce qu'elle a appelé « processus de la
recherche de la démocratie » mené selon elle,
par Joseph Kabila même si il n'a pas emprunté le schéma de
la conférence nationale souveraine.
Force était de constater le caractère
discriminatoire de l'Eglise de l'Est. En effet, cette Eglise témoignait
par des nombreuses pratiques, discours et déclarations leur soutien, aux
moyens des ses médians et autres, particulièrement au
président de la République Joseph Kabila Kabange dont elle
mystifiait la personnalité et généralement à sa
famille politique PPRD. Le président sera sacré
« David», « artisan de la
paix », « l'enfant de Dieu », «
le seul des 5 qui n'a pas touché le sang », etc.
propos qui irons jusqu'à la période électorale et qui
influença avec succès son électorat.
De ce qui précède, il y a lieu de dire
que c'est l'Eglise qui a battu campagne pour les comptes du président de
la République et de sa famille politique actuellement au pouvoir.
D'où les prémisses de la non édification d'une culture
politique particulière non teinté des croyances étant
donné que l'église sert de terrain ou base
privilégiée pour la mobilisation politique et pourquoi pas dans
l'option ou la détermination du choix populaire. Aussi la
présence manifeste des autorités politiques aux manifestations
religieuses réaffirme le soutien indéfectible ou tout simplement
la communion de voeux et des objectifs ; ces manifestations offrant aux
politiciens de couloir d'expression.
On le comprendra à l'issu de ce chapitre que,
chaque fois qu'il y a un régime ou une autorité investie par
quelque moyen que se soit, et qui ne partage
145 Message du comité permanent des
évêques, Op. cit.
l'idéologie de l'Eglise ou encore qui s'y
oppose, il rencontre indubitablement d'oppositions de cette dernière,
cela est encore plus patent lorsqu'elle s'aperçoit que ce régime
menace ses intérêts socio-politiques et même
symbolico-économiques ou tout simplement lorsqu'il n'y concourt pas. Il
en est de même lorsqu'il n'est pas de cette obédience religieuse.
Il est donc vite combattu et confronté à d'autres
forces.
En revanche, lorsque le régime ou
l'autorité investie est le sien c'est-à-dire dont
l'idéologie rencontre la vision de l'Eglise catholique, cette
dernière développe avec lui, un climat d'appui, de
clientélisme, de promiscuité renforçant une confusion
fonctionnelle existante, soit encore que ses membres apparaissent
vis-à-vis des acteurs politiques, en conseillers, soit encore qu'ils
prennent l'ascenseur aux postes publics afin de bien canaliser les
intérêts symbolico-économiques, protéger les acquis
de l'Eglise ; mais faut-il dire que c'est l'intérêt
matériel personnel, le goût de l'argent ou d'une promotion sociale
qui reste la motivation de ces professionnelles de la foi.
L'élévation de l'abbé Jean Bosco Bahalaokwibale à
la dignité de porte parole de la délégation
gouvernementale aux négociations de Nairobi avec le CNDP en ce
début 2009 ne peut plus alors étonner. C'est ce que J.-F., Bayart
et A. Mbembe appellent « la gouvernementalité du ventre
»146. C'est également le cas de l'abbé Malu-malu
aujourd'hui président de la commission électorale nationale
indépendante ainsi que de Mgr Monsengwo ancien président de la
CNS.
Il ressort de ce qui précède qu'en
dépit du contexte, la logique de l'Eglise transcende ou en tout cas,
ambitionne de transcender celle du système politique congolais compte
tenu des pertes fonctionnelles de ce dernier, une façon de sacraliser la
croyance dans la sphère politique au détriment de la
participation ; de la conviction idéologique et de l'adhésion aux
projets de société.
En ce qui concerne l'impact de cette situation sur la
gouvernance, il sied de souligner avec Jean Leca et même Jean Padioleau
que depuis les années 1970 le paradigme de la gouvernance par les
instances étatiques elles mêmes a été
déqualifié, les politiques publiques initiées n'ont pas
produit les résultats attendus, les acteurs d'en-haut et ceux d'en bas (
acteurs de terrain ) sont tombés dans une contradiction en partie parce
que les acteurs sociaux à la base n'ont pas été
associés à la détermination des choix et des politiques de
développement de leur milieu ; il n'y a pas eu par conséquent
problématisation des enjeux à la base. D'où, il fallait
trouver une formule de rechange qui vise à faire participer la
population à la problématisation des enjeux et à la
détermination des politiques et des stratégies. C'est donc
l'émergence de la gouvernance participative dans laquelle les instances
étatiques et les acteurs sociaux interviennent pour améliorer
l'action et dans laquelle aucune partie ne peut imposer ni dicter sa
volonté aux autres.147
Dans la mesure où l'Eglise en tant que partenaire
de l'Etat obéit à des logiques rationnelles de renforcement des
capacités gouvernantes pour l'intérêt des
146 J.-F., BAYART et Alii, Op. cit., p.
69.
147 J. LECA,
gouvernés, et se comporte en tant que tel dans
le processus d'élaboration des politiques publiques aux cotés des
sphères politique et administrative en plus d'autres clercs de la
société civile et des ténors du monde du capital, sans
pour autant vouloir soumettre l'Etat à son contrôle, il y a lieu
de considérer qu'il existe dans pareil cas ce que nous appelons
gouvernance participative positive étant entendu que le peuple y trouve
son compte et échappe à la marginalisation culturelle et
économique. Dans le cas contraire, nous pensons qu'il y a
gouvernance participative
négative ou mal gouvernance
concertée entre l'Etat et l'Eglise soucieuse de
protéger des intérêts sectoriels portant le masques des
intérêts collectifs des congolais qui à ce jour pourtant
supportent dans la grogne les injustices socioéconomiques
intolérables dans la civilisation moderne.
Chapitre IIIème : ANALYSE DES RAPPORTS DE LA
RELIGION
A LA POLITIQUE EN RDC
Section Ière : Etude factorielle de
l'influence de la religion en politique en RDC I.1. Les facteurs
historiques
1. L'héritage du gallicanisme
Jésus-Christ, le premier, fonde une Eglise
distincte de l'organisation étatique et instaure le principe de la
distinction des domaines spirituel et temporel : « Rendez à
César ce qui est à César et à Dieu ce qui est
à Dieu » (Matthieu XXII, 21). Mais César refuse de
reconnaître son incompétence en matière spirituelle, les
chrétiens vivent pendant trois siècles dans
l'illégalité et sont à plusieurs reprises
persécutés, vient l'empereur Constantin, qui leur reconnaît
la liberté du culte (édit de Milan, 313), puis Théodose
qui déclare le christianisme seule religion de l'Empire (380). Plus tard
Charlemagne essaie de tenir l'Eglise en son pouvoir148.
Au moyen Age, on assiste à l'effritement de
l'Etat. L'Eglise apparaît alors comme la seule force de cohésion ;
puissante est son emprise sur le temporel mais le prince se ressaisit ;
l'affrontement des deux autorités spirituelle et temporelle, est
dès lors inévitable ; il est parfois même violent. On
connaît la célèbre querelle des investitures qui oppose
Grégoire VII à l'empereur germanique Henri IV et se prolonge avec
leurs successeurs (1075-1122), épisode aigu de la lutte du sacerdoce et
de l'Empire.
Nombreux sont, au cours de l'histoire, les conflits
entre le roi et le pape notamment en France et pour commencer entre Philippe le
Bal et Boniface VIII. Les rois de Frances trouvent en Europe, dans cette lutte
séculière, des complices directs ou indirects, chef des penseurs
chrétiens, un Guillaume d'Ockham (1349) ou un Marsile de Padoue (1342),
en particulier. Mais la construction doctrinale, juridique et politique, fut
l'oeuvre patiente des « légistes » du roi.
Au XIVe Siècle, ils commencent à parler
des « libertés de l'Eglise gallicane » dont, en 1438, la
pragmatique sanction des Bourges appliquera les principes. Au XVIe
Siècle, ces légistes sont du Moulin, Guy Coquille, Pierre Pithou
qui donnent en 1593 la charte du gallicanisme. En 1631, Pierre et Jacques Dupuy
compilent leur traité des droits et libertés de l'Eglise
gallicane. Il s'agit de permettre au roi de percevoir des impôts sur les
biens de l'Eglise, de contourner la compétence des juridictions
ecclésiastiques, de nommer les évêques, etc. ; en un mot
d'avoir l'Eglise à sa disposition149.
148 Encyclopédie, Op. cit. p.
1003.
149 Ibidem.
Pour cela, quelques principes juridiques sont mis en
avant par les légistes : la puissance temporelle est distincte et
indépendante de la puissance spirituelle.
Le pape ne peut légiférer pour l'Eglise
gallicane que de consentement et avec la confirmation du roi.
Le gallicanisme politique trouve souvent appui dans le
gallicanisme ecclésiastique désireux d'affranchir l'Eglise,
notamment en France, de la tutelle ultramontaine.
Comme on peut le constater, le gallicanisme a
fortement inspiré les rapports de l'Eglise à l'Etat et, pour
utiliser l'expression chère à Philippe Bernard, l'Etat et
l'Eglise ressemblent à << deux enfants >> qui se disputent
un même héritage au sein de la même
famille150.
L'auteur confirme par ailleurs que la même
logique a entraîné l'action coloniale dans laquelle l'Eglise et
l'Etat ont développé la violence de la civilisation
occidentale.
Cette << violence de la civilisation occidentale
>> est articulée dans un triangle à trois
côtés inégaux mais complémentaires151
:
· La violence physique par laquelle
l'administration coloniale a conquis l'Afrique en assujettissant les
populations à leur mode de vie, de pensée, à un
contrôle par le broussard. Il s'agissait de réprimer dans le sang
toute révolte ou tentative de résistance et d'insoumission ; et
par la chicotte toute contravention au régime des travaux forcés
dont le plus atroce était la récolte du caoutchouc rouge au Congo
de Léopold II.
· La violence symbolique à travers
laquelle les cultures autochtones, les pratiques magico-religieuses ainsi que
la médicine autochtone ont été disqualifiées et
réduites dans un ensemble qualifié par Alfred North de violence
ex-fonctionnelle de la tradition africaine par l'ordre colonial.
· La violence du capital qui a permis au
colonisateur de créer des débouchés pour l'industrie
métropolitaine.
A chaque violence correspondait ce que Talcott
Parsons appelle medium dans son
structuro-fonctionnalisme, c'est-à-dire, un code symbolique
distinctif152. Ainsi la violence physique était
symbolisée par le fusil, la matraque, la potence. Quant à la
violence symbolique, elle était représentée par la bible,
l'Eglise, les missionnaires, la bénédiction. Enfin, les totems de
la violence du capital étaient l'argent, les concessions
minières, les plantations du café, de thé, de
caoutchouc.
150 P. BERNARD, L'Utopie, Paris, Maspero, 1984,
p. 49.
151 Idem, p. 113-119.
152 Cité par J. HERMAN,Le langage de la
sociologie, Paris , PUF, 2000, p. 203.
Ce triangle inégal et complémentaire a
donc permis le renforcement des relations entre l'Etat et l'Eglise dans leurs
rapports d'interdépendance.
Selon Benoît Verhaegen cité par Marc
Amadou Kane153, la trilogie coloniale était inégale
car c'est la force physique qui était privilégiée pour
assujettir l'autochtone au Congo. La violence symbolique incarnée par le
missionnaire visait la séduction et l'aliénation de l'autochtone
à l'épiphanie de la civilisation occidentale. Le capital visait
le renforcement de la séduction en tant que vecteur de l'influence
à travers le mécanisme du don pour créer les relations du
Magister au Minister pour reprendre l'expression de Marcel Mauss cité
par Philippe Braud.154
2. L'Encadrement religieux de la colonie belge du
Congo
Elikia Mbokolo155 dénonce la
complicité coloniale dans la modernisation de l'Afrique au plan
socio-économique et institutionnel mais doublée par la
marginalisation et l'aliénation bénies par l'évangile. Il
démontre combien sans l'Eglise, l'oeuvre coloniale serait vouée
à plus d'échecs qu'elle n'en a eu.
Marc Amadou Kane156 ajoute à ce
propos que la configuration géopolitique des missions et des postes de
police et d'administration révèle que le colonisateur avait
besoin de l'Eglise pour légitimer son action en échange de la
sécurité et le confort économique que cette
dernière attendait de lui.
En effet, il suffit par exemple de constater la
position géographique des postes coloniaux et des missions dans la ville
de Bukavu, notamment dans les communes de Kadutu et de Bagira. Dans la commune
de Kadutu, la paroisse SaintFrançois Xavier et le bâtiment
administratif de la commune occupent une position analogue et rapprochée
à celle que l'on trouve dans la commune de Bagira.
I. 2. Les facteurs culturels
La thèse à développer ici est
que les acquis de la religion ont encadré la formation scolaire, la
préparation des cadres et la revendication de l'indépendance.
Selon Elikia Mbokolo, toutes les écoles créées par l'ordre
colonial étaient confessionnelles. Ce sont les missionnaires qui ont
piloté l'éducation scolaire au Congo-Belge jusqu'à
l'institutionnalisation de l'enseignement laïc concurrent, par le
gouverneur le Général Buisseret en 1948. Effectivement, et
à titre illustratif, les grandes écoles de Bukavu ont une
tradition missionnaire. Le cas du collège Alfajiri, du collège
Saint-Paul, du Lycée Wima nous le prouve suffisamment.
153 M. AMADOU KANE, La montée de l'Occident.
Essai sur la civilisation occidentale moderne, Paris, Flammarion, 1999, p.
71.
154 Infra paginal à revoir
155 E. MBOKOLO, Mouvements messianiques et
résistance, Paris, CEDEX, 1990, p. 86.
156 M. AMADOU KANE, Op. cit., pp.
147-148.
en plus, tous les leaders de l'indépendance et
les hommes politiques post-coloniaux ont été formés dans
ces écoles. La plupart étant les anciens séminaristes.
Patrice Lumumba lui-même en est un cas d'illustration.
Par ailleurs, l'Abbé Malula
considéré par la société civile comme le
précurseur de la conscience civique des politiciens congolais est un
prêtre catholique157.
De tout ceci découle l'impression que la
logique du combat politique contre la colonisation, la conception des affaires
publiques, de l'autorité et du développement de la RDC a
été façonnée à l'aide des matériaux
missionnaires.
par la suite des événements, la
première opposition au régime autoritaire de Mobutu a
été inaugurée par l'Eglise catholique à la
tête de laquelle Malula était cardinal. Jusque donc en 1981,
année de l'apostasie des << 13 parlementaires >> dont
Etienne Tshisekedi, Faustin Birindwa et Ngunz A Karl I Bond ..., l'Eglise
était à la pointe du combat contre le régime dont les
ressource symboliques ainsi que les fonctions remplies par celle-ci
inquiétaient tout observateur perspicace.
En vue d'approfondir ce point de vue, Mgr Guery
Mama158 indique que ne pouvait entrer au gouvernement issu de
l'indépendance que la personnalité qui avait la faveur de
l'Eglise. Effectivement à la tête du Congo, il y avait Joseph
Kasavubu comme président. Il avait été élevé
chez les missionnaires dans une province influencée par le Kimbanguisme.
Le président Mobutu qui lui succède était également
un fervent catholique, formé dans les écoles missionnaires. Le
chef de fil de l'opposition et même ses compagnons Faustin Birindwa et
Ngunz A Karl I Bond étaient de la même obédience
culturelle.
La société civile de Bukavu
placée à la pointe des revendications civiques depuis 1990
jusqu'à ce jour en passant par la résistance de 1996 à
2003 est dominée par l'ordre catholique.
Par ailleurs, ce n'est pas par hasard que Mgr
Monsengwo Pansinya avait été placé à la tête
de la CNS. Eric D'Artagnat159 pense que ce choix était
dicté par deux impératifs contradictoires à savoir
:
· La crédibilité et
l'impartialité de l' << homme de Dieu >> pour conduire une
oeuvre entourée d'incertitude, de soupçon, de complicité
et de risques de corruption. C'était la conviction de la
société civile et des opposants au régime.
· La qualification historique de l'Eglise en
entraînant le prélat dans une spirale conflictuelle dont la
société ne pouvait pas se retirer et lui faire porter la
responsabilité du chaos. C'était l'option de la classe au pouvoir
pour fragiliser les prétentions innocentes de l'Eglise.
157 TSHIMANGA WA TSHIMANGA, Histoire politique du
Zaïre, Bukavu, CERUKI, 1989, p. 46.
158 Cité par C. AMADOU KANE, Op. cit., p.
218.
159 Idem, p.37.
Enfin pour terminer cet aspect culturel de la
question, rappelons que l'actuel président de la République,
Joseph Kabila, a contracté son mariage religieux chez les catholiques et
cela à la veille de son élection. Ce geste stratégique
visait, on dirait, la sympathie du public catholique féminin à la
cause du candidat président.
Tout ceci prouve à suffisance que les
société civile et politique placent confiance en l'Eglise et la
considère comme la seule instance ne pouvant pas trahir ou faillir
devant les intérêts populaires, d'où la reconnaissance
manifeste de l'Eglise comme acteur privilégié et oeuvrant pour le
peuple, remplissant ainsi l'intérêt général. Ceci
n'est q'une affirmation des contraintes non seulement symboliques mais aussi
matérielles qui pèsent sur la consolidation de la
laïcité de l'Etat.
Section IIème : De la laïcisation de
l'espace public
II. 1. Indicateurs de l'osmose du religieux et du
politique
D'après Julien FREUND, la démagogie se
présente sous sa forme la plus élaborée dans un discours
qui récupère la religion ou la dénigre selon les
circonstances.
Cette affirmation qui reflète le gallicanisme
peut être justifiée dans les indicateurs suivants :
1) Inféodation de l'autorité politique
à celle de l'Eglise
Par inféodation nous comprenons la soumission
et la prédisposition des autorités politiques à rendre
hommage à l'autorité morale de l'Eglise. Le cas du gouverneur de
Goma Julien Paluku qui, en date du 28 août 2008 est allé rendre
hommage à L'évêque de Beni ; visite qui s'inscrit selon
lui, dans le cadre de lui présenter ses civilités et de lui
témoigner la fidèle collaboration entre l'institution
diocésaine que ce dernier anime et le gouvernement provincial du
Nord-Kivu en est l'exemple-type.
Ceci traduit donc les cas suivants :
a) Invitations des autorités
ecclésiastiques aux manifestations publiques
A toutes les manifestations publiques de grande
envergure, l'Eglise est invitée.
Au niveau central, les manifestations
commémoratives de la journée de l'indépendance ne manquent
pas d'embrigader le cardinal, l'archevêque de Kinshasa.
Ce qui est curieux, affirme Amadou, est que l'Eglise
décline souvent les invitations et ne se fait pas
représenter.
Le contraire existe également. L'Eglise invite
les pouvoirs publics à ses manifestations mais fait curieux, ces
derniers sont toujours signalés présents physiquement ou se font
représentés.
De ceci découle que l'Eglise est plus autonome
que l'Etat chacun vis-à-vis de l'autre. L'Eglise décline souvent
des invitations mais l'Etat y répond toujours. Ce qui revient à
dire que le dernier a plus besoin de l'autre.
b) les visites de courtoisie
D'après un évêque anonyme, depuis
1987, l'archevêché de Kinshasa a déjà
été 12 fois visité par les présidents de la
République (Mobutu, Kabila I et Kabila II), 18 fois par les premiers
ministres, des centaines de fois par les ministres, les gouverneurs, les
bourgmestres, les généraux de l'armée et de la
police160. Ces visites ont lieu dans toutes les circonstances, qu'il
y ait tension sociale ou non sous l'étiquette de « visite de
courtoisie >> mais qui, en réalité se transforment en
séance de travail qui dure des heures jusqu'à fatiguer les gardes
de corps portés dehors161.
Au terme de nos entretiens avec un anonyme commis au
protocole d'Etat pré la province du Sud-Kivu, les autorités
cléricales visitent rarement le gouvernorat. Il a affirmé que
c'est vers les années 1990-1996 que l'archevêque était
convié chaque Jeudi de la semaine à la réunion du conseil
de sécurité du Sud-Kivu. Depuis lors jusqu'aujourd'hui,
l'archevêque n'a jamais foulé le sol du
gouvernorat162.
Comme on peut le constater encore une fois, il y a un
déséquilibre compétitif entre l'Eglise et l'Etat. Les
autorités publiques visitent très souvent les autorités de
l'Eglise plus proches de l'opinion et dotées d'un pouvoir de
séduction important en leurs qualités de « clercs
>>163. Il en est de même pour le pape. Le cas le plus
récent est effectivement le séjour au mois de Novembre 2008, du
président de la République au Vatican dans le cadre d'aller
rendre vénération au pape Benoît XVI. Il faut signaler que
ça fait trois fois depuis la prise de la magistrature par Joseph Kabila
qu'il effectue ce genre de visite au pape depuis Jean-Paul II.
Les autorités de l'Eglise en tant que pontifes
ou clercs se couvrent par conséquent d'arrogance et de complexe de
Romero, c'est-à-dire des prédispositions à être
rejoint sur l'hôtel, un moment de la sainte scène, par les
autorités publiques, justement comme Mgr Romero avait été
assassiné à l'hôtel d'une balle dans la poitrine en
Amérique latine164.
160 Entretien du 06 Septembre 2008.
161 Ibidem.
162 Entretien du 21 Septembre 2008.
163 Cité par P. BRAUD, Sociologie
politique, Paris, LGDJ, 2006, p. 354.
164 I. KALET, Les martyrs de l'Eglise, Bogota,
1997, p. 340.
2. Substitution fonctionnelle de l'Eglise à
l'Etat
En RDC, l'Eglise est devenue, progressivement avec
les pertes fonctionnelles de l'Etat dans la réalisation des tâches
socio-économiques, un organisme de substitution qui renforce les
capacités de la société civile contre l'Etat mais pour
prendre en charge certains problèmes vitaux de la société
devant lesquels l'Etat a perdu de l'énergie.
En dehors du cadre monopolisateur de la violence
physique légitime (Armée, Police, Cours et Tribunaux, Prison,
lois,...), l'Etat a déjà été défiguré
par l'Eglise sur plan socio-économique. D'où, le
rétrécissement de l'espace du rôle et de l'espace public
sur le plan social, économique mais aussi symbolique.
a) Le secteur d'emploi
Si l'on essaie de faire un bilan sur l'intervention
de l'Eglise dans le domaine notamment de l'emploi, on s'aperçoit
d'après nos investigations, qu'actuellement l'Eglise prend en charge 74.
360 emplois dans biens des secteurs au Sud-Kivu165.
Cette configuration actuelle de la situation de l'emploi
au Sud-Kivu couvert par l'église catholique se répartit de la
manière suivante :
· Associations socio-humanitaires : 10.032
postes,
· Personnel paroissial : 15. 340
postes,
· Enseignement primaire, secondaire et
professionnel : 17.321 postes,
· Enseignement U.C.B et ISPF : 743
postes
· Services socio-économique (BDOM,
Hôpitaux et dispensaires, Centre Olame, Plantations, Elevage, ...) :
22.500 postes,
· Services socio-culturels (bibliothèques,
centres culturels, ...) : 1.078 postes
· Charroie automobiles (chauffeurs,
mécaniciens) : 4. 846 postes.
· Autres services : plus ou moins 2500
postes.
Au terme de ce calcul, nous constatons effectivement
que l'Eglise est aussi pourvoyeuse d'emplois rémunérés
régulièrement, pourtant chez l'Etat, tel n'est toujours pas le
cas. Ce qui dispense ce dernier de se doter d'un Etat fort-social étant
donné que l'emprise de la société civile est forte et
grande, et, par conséquent, l'Etat s'affaiblit. Ce qui témoigne
ensuite pour l'opinion ; soumission, fidélité, allégeance,
confiance et conscience, plus en faveurs des institutions cléricales et
moins en faveurs des institutions publiques.
165 Entretien au BDD/Bukavu, le 02 octobre
2008.
b) le secteur socio-éducatif et
sanitaire
La tradition élitiste reconnaît à
l'Etat la plénitude de fournir à ses citoyens une
éducation qualitativement et quantitativement contrôlée
à l'effet de développement intégral. Dans ce cadre, il
s'agit en réalité de logique de l'administration du
développement, précisément au chapitre de la programmation
socio-éducative qui ne doit pas être abusive mais
rationnelle166.
Concernant l'enseignement au Congo, rien ne sert
à rappeler qu'après la grève générale de
1992-1993, c'est l'Eglise qui a initie le nouveau système de financement
du secteur par la fameuse « prime » payée par les parents et
fixée arbitrairement par les responsables d'écoles . Depuis lors,
l'Etat qui avait déjà trahi ses capacités fonctionnelles
n'a plus pris en charge le secteur éducatif. Ce dernier est par
conséquent resté à la merci de la société
civile ; particulièrement au plan financier et matériel.
D'ailleurs, le dernier gouvernement du Premier Ministre Kengo wa Dondo avant
1996 avait fini par réclamer un quota sur la prime payée par les
parents à ce jour, les écoles versent ce quota à l'Etat.
C'est en réalité une interversion de la pratique dans la mesure
où au lieu de subventionner les écoles, l'Etat les
ponctionne167.
Au plan quantitatif, soulignons avec le coordonnateur
des écoles catholiques que les 3/4 des écoles primaires et
secondaires sont confessionnelles. Donc, l'Eglise est à 3/4
impliquée dans la sauvegarde et l'autorégulation du
système éducatif congolais après la faillite et les
grandes vacances de l'Etat.
Au plan de la santé, l'Eglise détient un
quasi monopole sur le système sanitaire particulièrement au
Sud-Kivu. A ce titre, elle cogère (par l'entremise de son institution
dénommée Bureau Diocésain des OEuvres Médicales)
sous contrat de concession plusieurs hôpitaux et centres de santé
notamment, l'hôpital général provincial de
référence de Bukavu, le laboratoire Dr Lurhuma, hôpital
Fomulac/ Katana, etc. L'on cite également, les institutions sanitaires
qu'elle crée qui font d'elle une véritable entreprise de
référence en la matière.
Il ressort de ceci que l'Eglise ayant réussi
à conquérir le social, l'Etat s'est affaibli et en
s'affaiblissant, a perdu son équilibre de domination qui lui permettait
de résister face à l'emprise de la société civile
devenue trop accablant sur lui. Or, pour que l'Etat se ressaisisse, il lui faut
préalablement maîtriser le social c'est-à-dire s'en
approprier ou tout au moins le libéraliser tout en restant le seul
maître qui lui définit la politique
général.
Sommes toutes, l'Etat ne retournera tant qu'il ne se
dépouille en les dominant, des forces sociales qui l'entourent y compris
les Eglises.
166 P. GONAUD, L'Administration du
développement, Yales University Press, Paris 2000, p.
308.
167 MASHAKO NVURUNTSEKE, L'humour en
démocratie. Où va la RDC depuis 1990, Kinshasa, 2006, p.
4950.
II.2. L'influence religieuse en politique 1) Au plan de
la dramaturgie politique
La production du discours politique inclue les
variantes religieuses dans la mesure où la théâtralisation
du pouvoir procède de la << divinisation de la formation d'un
mandat céleste >> ou de ce que Achille Mbembe appelle <<
Médiation théocratique >>168. A ce niveau, il
s'agit de mesurer le degré de recours aux thèmes à
caractère religieux dans la production des discours
politiques.
Ainsi, au terme de la recension par nous faite des
discours produits par le Président Mobutu de 1967 à 1990, nous
avons repéré 601 discours169.
Voici leurs fréquences quant à la
thématique religieuse :
- 60% contiennent le mot << Dieu
>>
- 21% recèlent le mot << sacré
>>,
- 78% recèlent le mot << ancêtre
>>,
- 16% n'oublient pas l'expression << Dieu tout
puissant >>,
Après Mobutu, les partis politiques et les
opérateurs politiques continuent de faire allusion au thème
touchant la Religion et Dieu, sa puissance, sa bienveillance, sa protection, sa
bénédiction, son appui au peuple congolais.
Pour illustrer cela, constatons que sur 264 partis
aujourd'hui en compétition politique et qui se sont disputés
l'électorat de 2006, 33 sont d'inspiration religieuse dont 31 à
connotation chrétienne et 2 à connotation islamique. Le
dénombrement ci-dessous en rend compte :
1. ACDC : Alliance Congolaise des Démocrates
Chrétiens ;
2. ACDC : Alliance des Nationalistes Croyants Congolais
;
3. CCD : Convention Chrétienne pour la
Démocratie ;
4. CD : Chrétiens Démocrates ;
5. CID : Congrès Islamique pour le
Développement ;
6. DC : Démocratie chrétienne
;
7. DCF-COFEDEC : Démocratie chrétienne
Fédéraliste- Convention des
fédéralistes pour la Démocratie
Chrétienne ;
8. DCF/N : Démocratie Chrétienne
Fédéraliste/Nyamwisi ;
9. FORENAC : forum des Chrétiens pou la
Reconstruction Nationale ;
10. LDC : Ligue des Démocrates Chrétiens
;
11. MCC : Mouvement Chrétien Congolais
;
168 Achille MBEMBE et alii, Le politique par le bas.
Contribution à une problématique de la
démocratie, Paris, Karthala, 1991, p.
67.
169 D. MALOT et I. KALONDJI, Recueil des discours du
Président Mobutu (1967-1990), Bruxelles, 1991, pp.23-98.
12. MDC : Mouvement Démocrate Congolais
;
13. PAPRA HORODE : Parti de la Protection d'Allah et son
Prophète
Mohamed Roi Souverain des Hommes ;
14. PCR : Parti Chrétien pour la
République ;
15. PCSA : Parti Chrétien pour la
Solidarité Africaine ;
16. PDJCC : Parti Démocrate des Jeunes
Chrétiens au Congo ;
17. PDSC : Parti Démocrate et Social
Chrétien ;
18. PLDC : Parti Libéral Démocrate
Chrétien ;
19. RCDP : Rassemblement des chrétiens
Démocrates pour le Progrès ;
20. RCPC : Rassemblement des Chrétiens pour le
Congo ;
21. RCR : Rassemblement des Chrétiens
Républicains ;
22. RDC : Rassemblement des Démocrates
Chrétiens ;
23. UCLO : Union Chrétienne pour la
Libération des Opprimés ;
24. UCR : Union des Chrétiens Républicains
;
25. UCRJ : Union Chrétienne pour le Renouveau
;
26. UDC : Union des Démocrates Chrétiens
;
27. UDHC : Union des Démocrates et Humanistes
Chrétiens ;
28. UDSC : Union des Démocrates et Sociaux
Chrétiens ;
29. ULDC : Union des Libéraux et
Démocrates Chrétiens ;
30. UNADEF : Union Nationale des Démocrates
Chrétiens ;
31. UNDC : Union pour la Nouvelle Démocratie
Chrétienne ;
32. UPDC : Union des Patriotes Démocrates
Chrétiens ;
33. URD : Union des Républicains
Chrétiens.
Source : Archives de la Radio Maendeleo. Voir
liste actualisée au 03 mars
2006 des partis politiques autorisés à
fonctionner en RDC par le Ministère de l'Intérieur,
Décentralisation et Sécurité.
En suite, avons-nous constaté que tous les 24
discours déjà prononcés par l'actuel chef de l'Etat
intègre cette thématique. Plusieurs d'eux finissent toujours par
la formule empruntée à la religion « ...Que Dieu
bénisse la RDC » ou encore « ...Que Dieu vous bénisse
».
A l'extrême des moments dramatiques de la ville
de Bukavu par exemple, les archevêques Munzihirwa et Kataliko ont recouru
à la médiation théologique, une façon de
contextualiser les écritures de l'ancien testament en rapport à
l'exode des israélites comparé à l'occupation rwandaise de
1996 à 2002.
Même les ténors du RCD de 1998 à
2002, précisément le commandant Jean-Pierre Ondekane
insérait toujours dans ses harangues des versets bibliques pour
dissimuler le crime et légitimer le sang qui coulait à flot pour
la défense des intérêts
sectoriels des étrangers et des nationaux face
au gouvernement central, il en est de même pour le Général
Laurent Nkunda dans sa campagne de déstabilisation de l'est du pays au
motif de protéger les minorités tutsies. Cet homme faisait violer
les femmes et gaspiller des vies humaines au nom d'un combat identitaire dans
lequel les saintes écritures étaient contextualisées dans
un style lyrique et médiumnique.
Finalement, nous pouvons constater que Dieu a toujours
été invoqué dans les discours politiques sur les moments
de joie et de peine repérés dans la trajectoire historique du
politiquement possible en RDC ; en dépit de la non-rentabilité du
peuple congolais qualifié par Regis Debray de « crucifiés de
naissance »170 qui accouchent à cheval sur une tombe
selon Samuel Beckett171.
2) Au plan compétitif
L'Eglise a joué un grand rôle dans la
structuration de la compétition politique homogène,
hétérogène, individuelle, collective, directe et indirecte
en RDC.
a) Avant les élections de 2006
Nous avons déjà mentionné comment
l'Eglise a été à la pointe des mouvements pour
l'indépendance, de l'opposition au régime de Mobutu, à la
résistance à l'occupation d'une partie du territoire par les
étrangers voisins de l'Est (Rwanda, Burundi et Ouganda).
Ces périodes ci-haut
énumérées correspondent aux phases de compétition
hétérogène, c'est-à-dire qui mettent sur
scène des opérateurs qui font chacun recours à ses propres
règles de combat politique. Les uns recourent à la violence (coup
d'Etat, rebellions, ...), les autres privilégient le dialogue et le
recours à des mécanismes institutionnels). Dans toutes ces
périodes, nous avons assisté à la montée sur
scènes des prélats et de leurs entrelacs et chenaux de la
société civile :
- Le cardinal Malula était politiquement
engagé de 1955 à 1989,
- Le cardinal Etsou était aux côtés
de l'opposition depuis 1990,
- Mgr. Monsengwo a piloté la plus grande
entreprise de l'opposition à savoir
la CNS.
Les grands acteurs de la compétition politique
congolaise avant 2006 étaient des catholiques :
- Patrice Emery LUMUMBA - MOBUTU
170 Cité par Jean ZIEGLER, Les nouveaux
maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard,
2002, p. 346.
171 Idem, p. 349.
- TSHISEKEDI
- BIRINDWA Faustin
- NGUNZ A KARL I BOND - KIBASA MALIBA Frederic - KENGO
WA DONDO Léon - Etc.
b) La phase électorale
Pendant le processus électoral (2003-2006),
l'Eglise prend position pour les acteurs politiques ; mais l'on note une
contradiction entre l'Eglise de l'Est et de l'Ouest sacrifiant la soumission
hiérarchique (le cardinal Etsou à Kinshasa et à l'Est
(Province orientale), Mgr. Monsengwo adoptent une attitude favorable à
l'opposition).
A l'Est, plus particulièrement dans l'ancien
Kivu (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema) et Katanga, l'Eglise ferme ses
écoles et ses structures à toute tentative de campagne
électorale après avoir pourtant procédé à
une campagne électorale socioéducative au profit des candidats du
PPRD.
Pour illustrer cela, rappelons qu'à la
première venue à Bukavu du Chef de l'Etat depuis
l'avènement du gouvernement de Transition, le président de la
République Joseph Kabila Kabange à peine arrivé à
Bukavu, est allé s'incliner sur les tombes des archevêques
défunts, Munzihirwa, Kataliko et Mbogha où après,
l'évêque auxiliaire et administrateur diocésain de Bukavu,
le pasteur François Xavier MAROYI, en lui souhaitant la bienvenue, a
exprimé à la population ce qui suit :
« En faisant ce geste, je voulais vous exposer le destin
de celui qui incarne aujourd'hui l'espoir de la renaissance du pays ainsi que
l'avenir de la Nation »172.
Ces propos d'un chef religieux intervenus à la
veille des élections nous apparaît paradoxaux et nous
révèlent la prise de position de l'Eglise en faveur du
Président de la République en exercice et en même temps
candidat aux élections présidentielles. Nous y entrerons en
détail dans les pages qui vont suivre.
Propos paradoxaux dans la mesure où ils font
penser aux dispositions de la doctrine socio-politique de l'Eglise catholique
dans sa version congolaise qui stipulent ce qui suit :
« L'Eglise du Congo ne peut cependant
s'ingérer en aucune manière dans le gouvernement de la
cité terrestre (...). Le clergé ne doit donc exercer aucune
fonction publique et doit éviter à tout prix de donner
l'impression qu'il prend parti pour l'une ou l'autre faction politique
»173.
172 Mgr. MROYI cité par V. KAMERHE, Op.
cit., p. 3.
173 Actes de l'Assemblée plénière de
1967, p. 112.
Ce paradoxe se situe également au fait que
certains membres de l'Eglise catholique congolaise ont retrouvé leur
compte dans la médiation des acteurs en compétitions politiques
en se présentant comme animateurs des institutions concernées.
C'est le cas de l'abbé Apollinaire Malu-malu aujourd'hui
Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante
jadis appelée Commission Electorale Indépendante (CEI), c'est
aussi le cas du prélat Monsengwo qui fut président de la
Conférence Nationale Souveraine en 1990-1991.
Retournons au sujet du discours de l'Evêque de
Bukavu qui a symboliquement procédé par la remise d'une branche
d'olivier au chef de l'Etat en terme de bénédiction en lui disant
:
« Puisse ce geste constituer à nos yeux, aux
yeux de tous les vivants et les morts engagés pour la noble cause de
protéger l'unité et l'intégrité de notre territoire
national, un pacte de haute fidélité à l'amour du Congo
qui entre, grâce à votre clairvoyance, dans sa phase
décisive pour figurer parmi les Etats de droit. Voilà pourquoi
nous remettons entre vos main ce frais rameau d'olivier que la colombe ramena
à Noé pour signifier la fin du déluge et le début
d'une alliance établie entre Dieu et toute chair qui est sur la terre
». Il continue : vos fils et filles de cette Province...vous souhaitent
l'intelligence de Joseph, la force de David, la sagesse de Salomon et l'amour
du Christ pour la reconstruction d'un Congo nouveau
»174.
Voilà un comportement qui n'a rien à
voir avec la laïcité de l'Etat évoqué à
l'article 1er de la constitution de la IIIème
République. Le président est sensé faire respecter les
lois du pays en servant lui-même d'exemples. Mais on le comprend bien et
nous l'avons dit, c'est un problème d'enjeux et d'intérêts.
Donc autant les politiques mobilisent des rituels qui naturellement
émanent du fait religieux pour s'affirmer à la seine du pouvoir,
autant les acteurs religieux s'engagent en politique et la laïcité
de l'Etat reste alors illusoire.
Puisque nous parlons de la laïcité de
l'Etat, mentionnons à ce sujet les propos clientélistes
émis par le secrétaire général du PPRD, Vital
Kamerhe : << j'ai toujours cru moi-même en la puissance de Dieu
dans toutes ses entreprises. Et j'ai découvert en Joseph Kabila un homme
profondément religieux. Respectueux de la liberté de religion, et
conscient de la laïcité de notre Etat », et il ajoute <<
Joseph n'hésite pas à envoyer ses collaborateurs à
assister aux cérémonies religieuses de toute les confessions
religieuses dans les circonstances officielles ». Dans chacun des ses
discours, le chef de l'Etat termine toujours par une parole messianique :
<< que Dieu bénisse la République Démocratique du
Congo ».
Selon Vital Kamerhe, toutes les réunions du
comité des stratégies autour du Chef de l'Etat
commençaient toujours par une prière prononcée par le
Pasteur Mulunda175.
174 Discours de l'évêque de Bukavu in Vital
KAMERHE, Pourquoi j'ai choisi Kabila, Kinshasa, RDC,
Février 2006, p.9-10.
Au demeurant, pendant la période transitoire en
République Démocratique du Congo précisément dans
son deuxième volet, nous avons observé une situation d'un
pluralisme politique en RDC qui a donné au peuple congolais une lueur
d'espoir : les partis naissent avec des idéologies et des programmes
respectifs. Ce qui a laissé croire à l'avènement d'une
éventuelle démocratie naissante.
Chose étonnante, l'apparence de l'Eglise
qu'elle soit de l'Est ou de l'Ouest ne revêtait aucun caractère
neutre vis-à-vis des partis politiques compétitifs à la
légitimité du pouvoir. La question que tout politiste curieux
pourrait se demander ici consiste à savoir : comment une Eglise qui,
pourtant longtemps engagée dans la quête de la démocratie
en RDC a vite trempé dans cette besogne tendant à remettre le
processus en question par des pratiques assoupissant et contrariant l'amorce du
développement politique ?
Au Sud-Kivu par exemple, nous avons remarqué
une étroite collaboration entre l'Eglise catholique et le PPRD dont le
Président de la République est le Chairman. Le cas de
l'occupation un bon jour, de la maison chrétienne appelé «
Nyumba ya ba Christu » de la paroisse de Bagira pour abriter la
réunion du PPRD nous révèle l'exemple le plus frappant
quant au manque de la neutralité de l'Eglise catholique. En plus, il est
des discours et déclarations des prêtres à l'occasion des
messes en faveur des membres de cette famille politique ou des ses candidats
potentiels. C'est le cas pendant la période de la campagne
électorale, lors d'une messe à Bagira à l'homélie,
le curé176 après avoir exposé tendanciellement
les raisons de voter en ces termes :
« Vous peuple de Dieu, voilà le moment
longtemps clamé par notre Eglise nous arrivé oil chacun de nous
trouvera son compte, son arrivée n'a pas été le fait du
hasard mais c'est le fruit d'un fructueux lobbying (...). C'est le moment oil
le peuple de Dieu va se choisir ses propres dirigeants pour se sortir de sa
fatigue de misère (...) Mais Dieu nous a envoyé Joseph qui est
venu sauver le peuple de Dieu, qui a recherché et rétabli la paix
longtemps prise en otage par ses ennemis, nous voulons nous confié
à lui parce que : il est nôtre, l'élu de Dieu, il n'a pas
cherché la paix par le sang, il est main propre. C'est mon choix tout
d'abord parce qu'il craint l'éternel, pour la garantie de l'espoir de
notre cher beau pays, pour le bien-être de tout le peuple congolais, pour
la paix sociale, pour un Congo uni, fort et prospère »
déclare devant ses adeptes :
« Voter utile, c'est voter celui que Dieu nous a
envoyé, le fils de Dieu » et il pose la question
: « Est-ce parmi nous ici, il est celui qui ne le
connaît pas ? » Et comme pour tenter de mesurer son
électorat, le curé demande que celui qui le connaît mette
son doit en l'air. Et la plupart l'ont fait. Le prêtre appelle une femme
et lui demande de dire son nom à haute voix, ainsi dit ainsi fait et le
nom qui sort c'est « Joseph KABILA le numéro sept
».
176 Le curé dont les propos sont recueillis lors
d'une messe dominicale à la paroisse de Bagira le 25 juin
2006.
Voilà les événements drastiques
qui constituent un obstacle à la démocratie et donc à la
participation sincère des gouvernés à la vie politique du
pays. Cela est encore plus paroxystique dans les milieux ruraux où la
présence de l'Etat n'est du tout ressentie par la population autochtone,
la culture politique de participation y est quasi inexistante,
l'allégeance y est faite mieux en faveur de l'Eglise, ce que l'on
appelle dans le jargon politologique « le repli
identitaire ». Ici les autorités et institutions
religieuses ont plus d'influence, plus de respect que les autorités et
les institutions publiques. Et par conséquent, il était
évident que les religieux indiquent les choix de leurs adeptes presque
dépourvus de la couverture ou de l'encadrement publique.
Par ailleurs, pendant et après les
élections voire même avant, les favoris ou les notables du camp
présidentiel (PPRD) procèdent à l'octroie des largesses de
marque aux prélats, prêtres et autres religieux aux occasions et
circonstances bien choisies. C'est le cas en 2005, d'une Jeep de marque
TERRANO octroyé par le Président de la
République au prélat de Bukavu, le prélat François
Xavier Maroyi. Ce don il le bénéficie dans le contexte de la
campagne électorale. C'est ensuite les cas des innombrables dons du
Secrétaire national du PPRD accordés à l'Eglise et/ou
à ses subdivisions. Selon une source anonyme, des maisons auraient
été payées aux curés des paroisses.
Il faut également voir des financements et
fonds de diverses catégories, tirés du trésor public. Ici
on cite notamment le fonds à concurrence de 1. 000. 000 de dollars (un
million de dollars) libéré par la présidence de la
République pour financer les travaux de construction des infrastructures
qui abriteront l'Université Catholique de Bukavu (UCB). Il sied de
signaler ici que ce financement intervient à la vielle des
élections et donc, dans le contexte de la campagne électorale. Le
drame ici est que ce financement du secteur privé, intervient pendant
que le secteur public demeure toujours en état de carence
d'infrastructures de dotation publique. C'est le cas de l'Université
Officielle de Bukavu qui jusqu'aujourd'hui patauge encore dans le loyer et le
logement problématiquement éprouvé. Et pourtant,
l'intérêt public devrait toujours être au centre des
préoccupations prioritaires des animateurs politiques.
Cependant, nous ne pouvons pas ne pas
reconnaître le fait que le secteur privé concours dans une
certaine mesure, à l'intérêt collectif alors que c'est
l'intérêt privé qui reste toujours au centre des
préoccupations de son propriétaire. Par exemple, les subventions
investies dans le domaine de la santé, de l'éducation concourent
à l'intérêt général.
De plus, la majorité des députés
élus en 2006 au niveau central comme au niveau provincial sont des
catholiques. Le tableau suivant en rend compte : où est le
tableau
C'est normal que les catholiques soient nombreux sur
la liste par rapport au poids démographiques de cette religion.
Cependant, il ne faut pas oublier qu'il n'y avait pas que les catholiques
à la candidature. Les élections ont donc traduit le clivage
socio-religieux présent dans la société et il n'est pas
exagéré de dire que l'Eglise catholique a structuré le
vote si nous nous référons à Lénine qui disait de
son vivant que dans la démocratie, le peuple vote mais c'est celui qui
compte les voix qui choisit. A ce propos, rappelons que la majorité des
écoles primaires et secondaires sont catholiques. Ceci suppose donc que
la majorité des centres et bureaux de vote aient été
placés dans les écoles catholiques. Par ailleurs, les chefs de
centres et de bureaux de vote étaient les chefs d'école et les
enseignants catholiques.
Il y avait donc d'avance une probabilité pour
l'Eglise de choisir parmi les candidats celui qui convenait le mieux aux
intérêts cléricaux. Comptez tenu des propos d'avance
favorable au camp présidentiel que l'Eglise diffusait sournoisement dans
les chenaux sociaux, il est possible de vaticiner qu'elle ait mis en
circulation des consignes précises à l'endroit des centres et
bureaux de vote contrôlés par les chefs d'écoles et les
enseignants catholiques en ce qui concerne la péréquation
stratégique des résultats électoraux au plan quantitatif
en faveur du choix du Président et des
députés.
Nous avons recueilli beaucoup de témoignages
couplés à nos propres observations qu'à travers les
écoles confessionnelles, des séances d'alphabétisation
politique en faveur du Président de la République (le père
à l'image de Dieu) et du député Kamerhe (le fils à
l'image de Jésus-Christ) avaient eu lieu dans une théologie
remarquable. Le prénom de Joseph avait été assimilé
à la personnalité légendaire du fils de Jacob vendu comme
esclave par ses frères mais élevé premier ministre en
Egypte par Pharaon. Dans ces séances, il s'agissait d'apprendre à
la masse des femmes illettrées, peu instruites et aveuglées par
l'autorité morale du prêtre, l'orthographe des noms « Kabila
>> et « Kamerhe >> ainsi que leurs numéros d'ordre sur
les listes électorales à savoir le 7 pour Kabila et le 91 pour
« son fils >>177.
Sommes toutes, il faut dire que l'Eglise catholique a
non seulement réussi à conquérir un espace
privilégié dans les affaires publiques mais aussi, on constatera
combien certains partis politiques ont réussi à s'attirer la
sympathie de l'Eglise et à captiver le public catholique. Il suffit de
citer le député provincial du Sud-Kivu Déogratias
Buhambahamba qui fréquentait la paroisse catholique de Kadutu avant
comme après sa campagne électorale aux législatives
provinciales de 2006 au compte du Camp de la Patrie. C'est le cas de
collaboration entre le PPRD qui, on dirait oeuvre en partenariat implicite avec
l'Eglise catholique. Ce climat de collaboration intéressée s'est
soldé par des signes de reconnaissance que nous venions d'étaler
en faveur aussi bien du parti que de l'Eglise.
177 Synthèse des entretiens avec les partis de
l'opposition au PPRD au sein ou en dehors de l'AMP, à savoir, le CVP, le
PCBG, le PALU, la DCF-COFEDEC, le MIRE, le CRID, le Camp de la Patrie, le MLC,
le RCD. Entretiens réalisés du 07 au 15 novembre
2008.
3) Au plan de la sécularisation
culturelle
Pour rappel, la culture politique est un ensemble de
valeurs, de perceptions des scripts, d'aptitudes, des comportements,
d'orientations et de représentations que les aînés
inculquent à leurs cadets sociaux en vue de susciter en eux des
sentiments d'allégeance identitaire à une même
communauté politique et de soumission à l'autorité
physique légitime178.
Cette culture politique conceptualisée dans la
tradition développementaliste américaine recèle trois
dimensions d'après Gabriel Almond et Bingham Powell179
:
- La dimension cognitive instituée de la trame
des connaissances que l'individu a sur les institutions politiques,
l'autorité, les problèmes généraux du
politique.
- La dimension affective déterminée par
les sympathies et les haines, les soutiens et les rejets, les passions et les
émotions qui lient l'individu aux autorités et à la
communauté.
- La dimension évolutive qui intègre
l'appréciation subjective que chaque individu se fait de la nature,
de la forme et de l'efficacité du système politique.
En vue de mieux appréhender l'aspect
politiquement culturel du facteur religieux dans la configuration politique,
notion chère à Norbert ELIAS180, il sied de mentionner
que la sécularisation culturelle suppose que l'individu développe
plus les dimensions cognitives que celles affectives et évolutives de la
culture politique, il devient plus critique et plus rationnelle, mesure
sincèrement la dilatation des politiques publiques d'avec les
conjonctures, les contraintes et les opportunités, se dégage du
carcan des discours autoglorificateurs et messianiques. C'est donc une culture
politique de participation sincère.
A propos de l'Eglise catholique, disons que c'est une
mécanique aux ambitions totalisantes de par son apostolisme et son
universalisme. Elle vise à contrôler les âmes, les esprits
et les comportements. En d'autres mots, il s'agit de ce que Harold
Lasswell181 appelle « père rédempteur » ou
le grand maître qui se penche à l'oreille du petit garçon
pour non pas l'informer mais lui allouer des faits. S'il n'y a pas
l'information mais allocation, Jean Lacouture182 dit à juste
raison qu' « un peuple qui ne se sent concerné qu'en tant que
témoin ou observateur ne peut jamais progresser ou se transformer
».
Les pratiques et les liturgies de l'Eglise font d'elle
un maître qui procède à l'enfantement du monde en
entretenant l'obscurantisme, le collectivisme spirituel et culturel, un mode de
vision et de pensée conforme à son hégémonie. Par
conséquent,
178 P. BRAUD, op. cit., p. 221.
179 Cités par R.-G. SCHWARTZENBERG, Sociologie
politique, 5e éd., Paris, Montchrestien, 1998, p.
361.
180 Idem. p. 352.
181 Ibidem, p. 353.
182 Cité par R.-G., SCHWARTZENBERG, op.
cit., p. 357.
le peuple n'a plus la conscience politique qui lui
permettrait d'avoir une vision rationnelle du politique mais plutôt il
développe une culture politique d'emprunt des croyances religieuses. Par
exemple, il n'est aisé ici de voir un paysan s'exprimer politiquement en
se passant de ce que lui reproche sa foi et cela faute d'une culture politique
de participation sincère, les gens raisonnent en fonction de leur foi.
La foi prime donc sur la raison dans la pratique.
Signalons à ces propos que depuis la
dégradation de toutes les capacités de l'Etat congolais, il a
été remarqué un développement de
l'interventionnisme religieux où la religion devient un supplétif
aux pertes fonctionnelles de l'Etat dans divers domaines tant social
qu'économique. De son côté, le peuple a été
entraîné dans une allégeance conjoncturelle à
l'autorité morale de l'Eglise disqualifiant l'autorité de l'Etat
et il ne serait pas exagéré de conjecturer une situation
cérémoniale dans la quelle le prêtre serait plus
écouté que le bourgmestre.
Il suffit de reconnaître ici que l'Eglise n'a
pas besoin de la force mais de l'influence pour entraîner les masses. En
même temps que moins les dirigeants répondent aux attentes de la
population, moins ils sont obéis et plus il y a inféodation
morale des hommes aux clergés.
Pour rappel, l'Eglise a contribué à la
systématisation de ce que Bertrand Badie et Guy Hermet183
appellent << réduits autoritaires » en vue de favoriser des
élections sans choix et une attitude politique conforme à ses
intérêts dans le cadre des expressions politiques
surveillées.
En effet, l'Eglise a conduit la main des
électeurs sur le bulletin de vote, favorisé une sorte de vote
collectif et communautaire, une véritable solidarité
électorale mécanique ; nous pourrions dire un << vote
catholique ». Les individus moralement contrôlés par l'Eglise
ont voté non pas selon eux-mêmes mais plutôt selon le
groupe, la communauté, la foi, etc. c'est donc ce que nous appelons
<< colonisation du choix ». Ceci nous rappelle le reproche de
SENGHOR aux français : « Dieu pardonne aux
français. Ils nous indiquent la ligne droite mais empruntent des chemins
obliques »184.
Pour appliquer ce reproche à l'Eglise
congolaise, nous constatons effectivement que celle-ci a toujours
été à la pointe des revendications civiques, à la
préparation morale des cadres de la gouvernance ainsi qu'à la
résistance face aux guerres. C'est justement cela la ligne droite
qu'indique l'Eglise.
183 B. BABIE et G. HERMET, Politique
comparée, Paris, Dalloz, 2001, p. 412.
184 KOSSI FUATE, L'or noir, Paris, PUF, 1987, p.
94.
A titre d'exemple, référons-nous aux 10
commandements de la non violence active inspirée par
l'Eglise.
1. Avant un respect absolu de la personne. Ne jamais
tuer ni blesser, en paroles ou en actes,
2. S'attaquer au mal et non à la personne qui le
fait,
3. Se garder de la haine, prier pour les ennemis et les
pardonner,
4. Agir avec fermeté permanente dans la
solidarité,
5. Ne jamais se taire ni courber la tête devant
l'injustice,
7. Refuser de s'habituer au mal,
8. Chercher, dire et servir la vérité dans
l'amour en toute circonstance,
9. Désobéir aux ordres de n'importe quelle
autorité visant à détruire et humilier le
peuple,
10. S'enraciner dans la prière pour
s'imprégner des attitudes de Jésus-Christ.
Ensuite, rappelons les appels pathétiques des Mgr
Munzihirwa et Kataliko à la résistance et à la bonne
gouvernance.
En effet, Mgr. Munzihirwa avait dit quelques heures avant
son assassinat par les forces de l'AFDL le 29 octobre 1996 :
« Je suis avec vous. Continuez à encourager
nos frères à ne pas perdre le sens de leur vie. C'est l'amour de
Dieu et de nos frères ; à ne pas se décourager, à
savoir que Dieu est toujours avec nous. Sans doute, nous entendons par ci par
là des coups de fusils. Sachons que ce ne sont pas des coups de fusils
de nos ennemis mais de nos militaires qui, je crois, sont en train de s'exercer
à tirer et à manifester parmi nous leur présence.
Restez chez vous. Il vaut mieux mourir chez soi que sur la
route qui est incertaine. Dans nos maisons, prenez soin de garder le calme et
de prendre des précautions au cas oil il tomberait des obus. Je demande
aux chefs militaires de tout faire pour reprendre leurs troupes qui sont venues
ici pour nous protéger et non de nous désorganiser. Et vous mes
frères, ne suivez pas ces chefs militaires qui ont commencé
à déménager et à fuir pour créer parmi nous
la panique. Nous, restons fermes chez nous et soutenons par nos prières
et par tous nos moyens les bons combattants qui sont au front. Ceux-là
mériteront les honneurs de la nation. On n'est soldat que pour cela.
Nous demandons aussi à nos militaires, surtout à ceux qui
commencent à avoir peur et à fuir, de se reprendre pour
défendre nos frontières dans la justice
»185 .
L'opinion croit par conséquent que la mort de
Munzihirwa serait liée à ses prises de position en
politique.
Son successeur Kataliko avait ajouté que
:
185 Archives sonores, Radio maendeleo.
« Des pouvoirs étrangers, avec la
collaboration de certains de nos frères congolais, organisent des
guerres avec les ressources de notre pays. Ces ressources qui devaient
être utilisées pour notre développement, pour
l'éducation de nos enfants, pour guérir nos malades, bref, pour
que nous puissions vivre d'une façon plus humaine, servent à nous
tuer. Plus encore, notre pays et nous-mêmes, sommes devenus objet
d'exploitation (...).
Aujourd'hui (...) nous sommes appelés à
recouvrir notre dignité d'hommes libres »
186
.
Cet éveil des consciences nous
révèle le développement de la résistance qui
s'était observée face à l'agression du Congo par les
Rwanda et l'Ouganda couverte localement par la rébellion du
RCD.
Dans la pratique, les gestionnaires en majorité
catholiques n'ont produit que le chaos et l'incertitude, de la mal-gouvernance.
Les prélats eux-mêmes se compromettent en acceptant des dons en
nature.
Par ailleurs, l'Eglise est exonérée des
impôts et taxes pourtant elle est dotée du charroi automobile le
plus important du Sud-Kivu (3000 véhicules) et investit sans vergogne
dans le secteur économique (PME, Magasins, Pharmacies, Agriculture,
élevage,...).
C'est justement cela qui relève des voies
obliques qu'elle emprunte tout en indiquant la ligne droite à ses
fidèles.
En somme, l'Eglise enseigne et cultive les sentiments
de soumission ou de résistance selon ses intérêts
:
Lorsque le RCD en 2000 an avait mis en circulation des
nouvelles plaques minéralogiques, l'Eglise s'était
insurgée non pas parce qu'elle partageait le drame du peuple mais
plutôt parce qu'elle disposait d'un important charroi automobile
coûteux de ce point de vue. Une plaque minéralogique coûtait
100$ us. Ce qui suppose que l'Eglise devrait payer 300.000 dollars pour ses
3000 véhicules.
Par contre, lorsque le chef de l'Etat finance la
construction de l'UCB et les prélats trouvent leurs comptes financiers
et économiques dans l'affaire électorale, ces derniers
soutiennent les candidats du camp présidentiel et alignent au MSR,
uniquement des candidats catholiques187 or, le MSR est un
conglomérat des ressortissants sociaux et culturels des plates-formes de
la société civile dominée par des catholiques et
obligés de créer un parti politique pour trouver
l'opportunité de s'aligner sur une liste et non individuellement selon
les termes de la loi électorale.
Ceci veut dire en somme que, toutes les fois que
l'Eglise trouve son compte c'est-à-dire d'intérêts
économiques et matériels par rapport au régime
en
186 KATALIKO, Consolez, consolez mon peuple, Message Noel
1999, à la population de Bukavu.
187 Entretien, op. cit.
place, elle mobilise des soutiens autour de lui,
même aveuglement. En revanche, s'il est de régime qui oeuvre en
l'encontre des intérêts de l'Eglise ou encore lorsque cette
dernière s'aperçoit que ses intérêts sont
menacés par la politique en place, elle mobilise des contestations
autour d'elle. N'est-ce une manière de l'Eglise d'assujettir la
politique à la religion ? Rien n'est moins sûr.
Section III. De l'Etat moralement encadré par la
religion à l'Etat subsidiaire III.1. L'encadrement moral de la dynamique
étatique
D'après Pierre Ronsavallon, le retour du
religieux peut être expliqué comme l'expression d'une
insatisfaction des individus par rapport à la mise en ordre
socio-politique acquis. En d'autres termes, les individus ornent leur
allégeance multiple à plusieurs constellations à
côté de l'Etat. Il s'agit par exemple de la communauté et
de la religion.
En tant que signe de malaise de l'Etat, cette
contestation religieuse entraîne l'énonciation religieuse de la
diplomatie. Le fait transcende par conséquent l'aspect identitaire pour
devenir un vecteur d'expression dans l'ordre des relations internationales
producteur d'un ordre mondial déterritorialisé et
émancipé des référents claniques associés
à l'Etat188.
a) l'Eglise et l'ordre interne en RDC
L'Eglise joue un rôle important dans l'effort de
mise en ordre des domaines vitaux de la vie de la
société.
En effet, l'Eglise se montre attachée à
la famille en tant que segment social. Elle défend l'importance de la
famille pour l'individu et la société, la valeur du mariage,
l'amour de la formation d'une communauté des personnes, le devoir des
parents d'éduquer les enfants ainsi que la dignité et les droits
humains en général.
Par ailleurs, l'Eglise prône le devoir de
cultiver et de conserver la terre, le devoir pour l'homme de travailler pour
transformer la société et accroître le capital
valant
En effet pour l'Eglise, le travail est un droit et une
nécessité. Par conséquent, l'Etat et la
société civile se doivent de promouvoir le droit au travail et de
lutter contre le travail des enfants. Les travailleurs ont droit à la
dignité et à des droits juridiquement reconnus et socialement
éprouvés. Ils ont droit à une juste
rémunération en plus de la grève. L'Eglise prône en
plus de solidarité des travailleurs par le canal des syndicats
pluralistes189.
188 << L'Etat en question » in Sciences
humaines, n° 22, Novembre 1992, p. 24-25.
189 Conseil pontifical << Justice et Paix »,
Compadium de la doctrine sociale de l'Eglise, Liberia, Editrice Vaticana,
Vatica, 2008, p. 115-137.
Les institutions économiques doivent être
au service de l'homme sur le marché libre. L'action de l'Etat est la
régulation de l'économie d'un cadre de l'Etat Keynésien
guidé par la nécessaire intervention comme l'usage des
dépenses publiques comme stimulant de la croissance et du plein emploi.
Par ailleurs, l'Eglise insiste pour l'implication effective de l'Etat dans les
opportunités de la mondialisation en dépit des risques pour
consolider le développement intégral et solidaire entre les
Nations du monde.
En ce qui concerne la configuration de la
communauté politique, l'Eglise approuve l'amitié civile pour
promouvoir et protéger les droits de l'homme. L'autorité passe
pour une forme morale chargée de la promotion de droit à
l'objection de conscience et le droit à la résistance. En plus,
l'Etat doit infliger des peines justes à qui le mérite. Dans
cette communauté politique, l'Etat doit promouvoir les valeurs
fondamentales et les institutions de la démocratie en plus des
éléments moraux de la présentation politique, des
instruments de participation politique et de l'information. Cette
communauté politique considérée est au service de la
société civile à travers l'application de principe de
subsidiarité :
<< De nombreuses expériences de
volontariat constituent un autre exemple de grande valeur, qui incite à
voir la société civile comme un lieu où la recomposition
d'une éthique publique centrée sur la solidarité, sur la
collaboration concrète et sur le dialogue fraternel est toujours
possible »190
b) L'Eglise et les politiques
extérieures
Ce point de notre réflexion nous fait penser
à la situation déplorable que la RDC et le Rwanda traversent au
plan de leur sécurité mutuelle depuis l'arrivée massive
des réfugiés rwandais sur le sol congolais de l'est en 1994
assortie de l'intervention militaire rwandaise contre les camps de
réfugiés et le régime Mobutu qui tolérait des
activités politico-militaires attentatoires à la
sécurité du nouveau gouvernement rwandais dans les camps de
réfugiés.
Cette intervention militaire qui a
entraîné la rébellion de l'AFDL et plus tard du RCD et du
CNDP a sensiblement détérioré le contexte
sécuritaire de la région des grands lacs et interpellé par
conséquent l'Eglise catholique. C'est pourquoi nous devons consacrer une
réflexion à cette dimension internationalement pertinente de la
dynamique cléricale en matière de
récomposition-décomposition étatique congolaise de 1994
à 2008.
Dans ce contexte, l'Eglise considère la
communauté internationale comme l'unité de la famille humaine
irriguée par la vocation universelle du christianisme. Les Etats doivent
fonder leur survie collective sur des valeurs liées à
190 Conseil pontifical << justice et paix »,
Op.cit., p.220.
l'harmonie entre ordre juridique et ordre moral mais sans
sous-estimer le poids international du Saint-Siège.
Les Etats se doivent de collaborer pour garantir le
droit au développement, lutter contre la pauvreté et
réduire la dette extérieure. En d'autres termes, l'Eglise
prône notamment deux conduites pour quelques Etats y compris la RDC et le
Rwanda qui depuis 1994 connaissent une situation compromettante au plan
sécuritaire et diplomatique :
· Le fédéralisme
coopératif
Inspiré par Jean-Louis Quermonne et Maurice
Croisat, le fédéralisme coopératif est un mode de
gouvernement qui repose non seulement sur l'autonomie des communauté
fédérées et leur participation aux institutions et
instances fédérales mais surtout sur la coopération entre
gouvernements pour atteindre des buts communs par des ententes, des programmes
et des financements conjoints191.
Fonctionnant à base du principe de
subsidiarité pour gérer les compétences exclusives d'une
part et partagées d'autres part, la coordination est volontaire des
politiques fédérales.
Ce modèle coopératif du
fédéralisme pousse l'Eglise à considérer la
communauté internationale comme un modèle fédéral
virtuel ou les Etats participent à la dynamique collective : << la
solution du problème du développement requiert la
coopération entre les différentes communautés politiques
(...) la doctrine sociale encourage des formes de coopération capables
de favoriser l'accès au marché international de la part des pays
marqués par la pauvreté et le sous-développement (...)
l'esprit de la coopération internationale requiert qu'au dessus de la
logique étroite du marché , il y ait la conscience d'un devoir de
solidarité de justice sociale et de charité universelle
»192.
· L'intergouvernementalisme
Initié par Stanley Hoffmann et
complété par Robert Keohane, l'intergouvernementalisme
s'intéresse aux mécanismes par lesquels les Etats sont conduits
à s'associer pour répondre plus efficacement à des besoins
communs. La coopération interétatique par le biais des
organisations internationales est envisagée comme un
procédé rationnel destiné à optimiser l'emploi des
moyens mis en commun par les Etats membres. C'est ce que Stanley Hoffmann
appelle << mise en commun de la souveraineté » pour
créer un << multiplicateur de la puissance » en vue de
répondre aux attentes des populations193.
191 J, - J., ROCHE, Théories des relations
internationales, Puis, 2006, P.99. 192Conseil pontifical
<< Justice et Paix, Op.cit, p.235-236
193 Cité par J,-J., ROCHE, Op.cit,
p.99-101
A ce sujet, l'Eglise insiste beaucoup sur
l'intergouvernementalisme dans la lutte contre la pauvreté dans le
monde, la problématique de l'endettement des pays pauvres et la paix
internationale.
En ce qui concerne la lutte commune contre la
pauvreté, l'Eglise estime qu'au début du nouveau
millénaire, la pauvreté de milliards d'hommes et de femmes est la
question qui, plus que toute autre, interpelle la conscience humaine et
chrétienne. La lutte contre la pauvreté trouve une forte
motivation dans l'option ou amour préférentiel de l'Eglise pour
les pauvres en fonction des principes de la destination universelle des biens,
la solidarité et la subsidiarité194.
Quant à l'endettement des pays pauvres dont la
RDC, l'Eglise reconnaît que dans les questions liées à
l'endettement de nombreux pays pauvres, il faut avoir présent à
l'esprit le droit au développement. A l'origine de cette crise se
trouvent des causes complexes et des différentes sortes, tant au niveau
international : fluctuation des changes, spéculations
financières, néocolonialisme économique. A
l'intérieur des différents pays endettés il y a
curieusement corruption, mégestion du trésor public, utilisation
non conforme des prêts reçus. Les plus grandes souffrances qui se
rattachent à des questions structurelles mais aussi à des
comportements personnels, frappent les populations des pays endettés et
pauvres qui n'ont aucune responsabilité. La communauté
internationale ne doit pas négliger une telle institution. Tout en
affirmant que la dette contractée doit être remboursée, il
faut trouver des voies pour ne pas compromettre le droit des peuples à
leur substance et à leur progrès.
Enfin en matière de promotion de la paix,
l'Eglise reconnaît la légitime défense comme droit des
Etats menacés mais insiste sur l'obligation de protéger les
innocents, de condamner le terrorisme et de répéter les
engagements en matière de désarmement. Le magistère
condamne la barbarie de la guerre et demande qu'elle soit
considérée avec une approche nouvelle. La guerre est un massacre
inutile, une aventure sans retour qui compromet le présent et sacrifie
l'avenir. La guerre c'est la faillite de tout humanisme authentique, c'est une
défaite de l'humanité.
« Les Etats ne disposent pas toujours des
instruments adéquats pour pourvoir efficacement à leur
défense ; d'où la nécessité et l'importance des
organisations internationales et régionales dans le cadre
intergouvernementaliste.
En ce qui concerne la connexion
épistémologique ce cet aspect internationalement pertinent de la
dynamique cléricale au substrat sociologique congolais,
commençons par souligner que l'Eglise catholique a été
à la pointe de la résistance populaire à l'agression
étrangère de 1996 à 2002. Elle a considéré,
à juste raison, qu'une guerre d'agression menée par le Rwanda, le
Burundi et l'Ouganda était intrinsèquement immorale. Dans le cas
tragique où elle éclate, les responsables d'un Etat
agressé ont le droit et le devoir d'organiser leur défense en
utilisant
194 Conseil pontifical, Op.cit, p. 237
notamment la force des armes. La charte des
Nations-unies élaborée à la suite de la tragédie de
la deuxième guerre mondiale dans le but de préserver les
générations futures du fléau de la guerre, se base sur
l'interdiction généralisée du recours à la force
pour résoudre les différends entre les Etats, à
l'exception de deux cas : la légitime défense et les mesures
prises par le conseil de sécurité dans le cadre de ses
responsabilités pour maintenir la paix. Quoi qu'il en soit, l'exercice
du droit à se défendre doit respecter les limites traditionnelles
de la nécessité et de la
proportionnalité195.
Aux yeux de l'Eglise, la résistance était
tout à fait légitime et rentrait dans le cadre du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes et à
s'autodéterminer.
En légitimant la résistance armée
et non armée, l'Eglise a contribué à la restitution du
patrimoine historico-symbolique de l'Etat congolais menacé par des
avidités étrangères sans nom. Il est donc possible de dire
que dans certaines circonstances de péril national, l'Eglise sauve
l'Etat des risques de dissolution dans la souveraineté d'un autre Etat
en l'occurrence le Rwanda.
III. 2. La sécularisation culturelle à
l'épreuve de la foi catholique
Stein Rokkan a montré que l'Eglise catholique dans
son élan hégémonique, apostolique et universel a
retardé l'avènement de l'Etat-nation.196
Max Weber a ajouté à cette
prétention que l'ascétisme puritain favorisait l'accumulation du
capital pour dire que l'éthique protestante était favorable
à l'esprit du capitalisme et par conséquent du marché, du
libéralisme et de la puissance.
L'implication non avouée mais réelle de
l'Eglise dans les affaires de la cité a fini par disqualifier la
neutralité de cette dernière et à la présenter
comme une victime expiatoire et absolutoire de la politique.
Pour rendre compte de cette prétention du reste
fondée, il suffit d'examiner l'obscurantisme que développe
l'Eglise notamment en barrant la route à la sécularisation
culturelle et en prônant une communauté d'esprits, de
pensée et d'action guidée par la foi.
L'Eglise favorise la production fondée sur le
messianisme, l'autoprolifération et les référents
bibliques guidés par la foi. Elle développe ce que nous avons
appelé avec Achille Mbembe, « médiation théologique
» ou la tendance des clergés à contextualiser les saintes
écritures particulièrement en période de crise pour
assimiler cette dernière à la traversée du désert
de l'Egypte à Canaan par les israélites mais aussi en
période de point nodal où le peuple doit prendre une
option,
195 J.- Paul II, Le sage pour la journée
mondiale de la paix 2004, 6 : AAS 96 (2004) 117.
196 S. ROKKAN, cité par D., CHAGNOLLAUD,
Science politique. Eléments de sociologie politique,
3e édition,
Paris, Dalloz, 2000, p.43.
une possibilité objective formatrice de
l'histoire et à l'occasion de laquelle des messies sont crées
à l'image de Jésus ou de Noé venus délivrer les
peuples exposés au péril197.
L'Eglise encourage les passions et les émotions
pour occulter les éléments rationnels. Elle s'efforce de
totaliser les âmes et les esprits et de soumettre à son
contrôle l'ensemble de la dramaturgie politique.
En mêlant théologie et politique, elle tente
d'expliquer la phénoménologie du monde par l'abstraction
spirituelle.
Le fait de dire aux fidèles en majorité
non instruites et guidés par l'instinct du ventre que tel candidat, tel
leader, tel officiel est l'envoyé de Dieu et prédestiné
à gouverner le destin national est une véritable diatribe
à la démocratie et à la sécularisation culturelle
des individus.
De ceci découle que les individus sujets et non
citoyens ont voté comme le dénonce le paradigme de Columbia : par
déterminisme social. La possibilité n'étant pas offerte
d'opérer un choix rationnel suivant le modèle consumériste
ou stratégique.
Bref, la culture politique est encadrée par
l'Eglise qui lui insuffle des ingrédients subjectifs à même
d'empoisonner et de vouer à l'échec le développement
politique.
En empêchant au public de cultiver une opinion
libérée et guidée par la raison, l'Eglise prône au
contraire une raison guidée par la foi. Le retour de la main de Dieu
dans le jeu démocratique est une négation flagrante de la
souveraineté populaire et de la citoyenneté. C'est de
l'obscurantisme délibérément entretenu par
l'Eglise.
197 A. MBEMBE et alii, Op. cit., p.
67.
CONCLUSION
A la fin de notre tentative intersubjective
d'élucidation des rapports de l'Eglise catholique aux affaires publiques
congolaises, il sied d'en rappeler les axes épistémologique,
méthodologique, théorique et technique.
En effet, cette recherche qui a porté sur la
problématique de la laïcisation de l'Etat en RDC est une
étude appliquée aux rapports Eglise catholique - Etat Congolais
et a consisté à déceler la nature manifeste ou latente des
affinités sélectives entre le politique et le religieux ainsi
qu'à qualifier scientifiquement l'imbrication stratégique de ces
deux systèmes dans l'élan historique de
l'indifférenciation, de négation et de
complémentarité parcellaire.
La laïcité de l'Etat suppose la
séparation du domaine religieux de celui de politique à
défaut duquel il y a blocage à la modernité politique. Il
s'est avéré qu'au cours de leur histoire, l'Eglise catholique et
l'Etat congolais ont développé des relations où l'on a pu
observer tantôt l'interférence de l'Eglise dans le choix et la
conduite des politiques publiques, phénomène qui tire ses racines
dans l'Etat colonial et qui se répercute encore à nos jours,
tantôt l'hégémonie avortée de l'Etat congolais sur
l'Eglise.
Nous avons exactement découvert à la
faveur des données de terrain que les facteurs de l'osmose du religieux
et du politique en RDC sont d'abord historique à travers deux temps
à savoir le colonial et le post-colonial marqués par la
solidarité organique entre l'Etat congolais et l'Eglise ; ensuite
politique dans la mesure où l'Etat et l'Eglise ont
développé des visions contradictoires de la bonne gouvernance et
se sont mutuellement influencés ; enfin stratégique étant
entendu que l'Eglise reste affiliée à l'Etat et à la
politique pour la sauvegarde de ses intérêts et l'Etat
luimême se sert de l'Eglise comme instrument de la
gouvernementalité dans la quête de la légitimité et
du consensus social.
Nous avons en plus remarque, avec force illustration
dans le corps de ce travail ,l'interférence de l'Eglise dans le choix et
la conduite des politiques publiques et dans l'entretien d'une culture non
sécularisée guidée plus par la foi que par la raison, ce
qui est naturellement une entrave à la modernité politique en RDC
compte tenu de l'intégrisme, du conservatisme et du fondamentalisme
spirituellement entretenus au nom des valeurs spirituelles largement
inspirées par la cosmogonie juive incarnée depuis la nuit des
temps dans la bible.
De plus, nous avons conclu, à la faveur des
données recueillies et traitées, que l'imbrication du religieux
et du politique est fonction des variables historiquement têtues. Dans
cette perspective analytique, l'imbrication du religieux et du politique
remonte au contexte colonial où les domaines de l'Etat et de l'Eglise
étaient confus et complémentaires étant entendu que les
missions étaient
au service de la colonie avec la vocation
stratégique de subjuguer le colonisé tant au plan moral qu'au
plan physique.
L'héritage colonial de l'alliance
politique-religion a retenti plus fort lors de la bénédiction par
l'Eglise du coup d'Etat de 1965 :
`' C'est Dieu qui distribue l'autorité. Monsieur le
Président, l'Eglise reconnaît votre autorité, car
l'autorité vient de Dieu. Nous appliquerons fidèlement les lois
que vous voudrez bien établir. Vous pouvez compter sur nous dans votre
oeuvre de restauration de la paix à laquelle tous aspirent si
ardemment... ".198
Nous avons trouvé par ailleurs que la logique
du combat politique contre la colonisation, la conception des affaires
publiques, de l'autorité et du développement de la RDC a
été façonnée à l'aide des matériaux
moraux pertinemment missionnaires.
Nous avons remarqué par ailleurs que les
politiques investissent dans leurs relations avec l'Eglise en ce sens qu'ils
ont découvert en cette dernière un partenaire fiable dans la
conquête du pouvoir et de sa légitimation en fonction des
capacités fabricatrices des représentations qui enivrent
l'opinion par invocation tendancielle de l'évangile
stratégiquement inoculée aux vertus de canaille.
Il a été également
constaté que la faillite des institutions étatiques a mis en
exergue l'organisation des structures religieuses auxquelles tous vont recourir
constamment. Depuis lors les différents gouvernements qui se
succéderont vont-ils ménager les intérêts de
l'Eglise et solliciter fréquemment l'appui de sa hiérarchie en
maints domaines. En retour, les autorités gouvernementales accorderont
à maintes occasions, des largesses innombrables à l'Eglise : dons
divers, titres fonciers, dotations multiples. C'est donc à l'occasion de
la crise institutionnelle de la première république que l'Eglise
catholique s'est taillée des bretelles dans la peau fragile de la
société congolaise au nom de Dieu.
En RDC, l'Eglise est devenue, progressivement avec les
pertes fonctionnelles de l'Etat, un organisme de substitution qui renforce les
capacités de la société civile contre l'Etat mais pour
prendre en charge certains problèmes vitaux de la société
devant lesquels l'Etat a perdu de l'énergie.
Nous constatons à ce sujet que l'Eglise est
devenue pourvoyeuse d'emplois régulièrement
rémunérés pourtant chez l'Etat, tel n'est pas toujours le
cas. Ce qui dispense ce dernier de se doter d'un Etat fort-social étant
donné que l'emprise de la société civile est forte et
grande, et, par conséquent, l'Etat s'affaiblit. Ce qui témoigne
ensuite pour l'opinion ; soumission, fidélité, allégeance,
confiance et conscience, plus en faveur des institutions cléricales et
moins en faveurs des institutions publiques.
198 Assemblée plénière Episcopale,
Op. cit.
En dehors du cadre monopolisateur de la violence
physique légitime (Armée, Police, Cours et Tribunaux, Prison,
lois,...), l'Etat a déjà été défiguré
par l'Eglise au plan socio-économique.
L'implication non avouée mais réelle de
l'Eglise dans les affaires de la cité a fini par disqualifier la
neutralité de cette dernière et à la présenter
comme une victime expiatoire et absolutoire de la politique.
Par ailleurs, Stein Rokkan a montré que
l'Eglise catholique dans son élan hégémonique, apostolique
et universel a contribué au retardement de l'avènement de
l'Etat-nation.199
Max Weber a également avoué que
l'ascétisme puritain favorisait l'accumulation du capital pour dire que
l'éthique protestante était favorable à l'esprit du
capitalisme et par conséquent du marché et du
libéralisme.
Disons également que l'Eglise est une
mécanique totalisante de par son apostolisme et son universalisme. Elle
vise à contrôler les âmes, les esprits et les comportements.
En d'autres mots, il s'agit de ce que Harold Lasswell200 appelle
« père rédempteur >> ou le grand maître qui se
penche à l'oreille du petit garçon pour non pas l'informer mais
lui allouer des faits. Il n'y a pas information mais allocation. Ce qui fait
dire à Jean Lacouture201 qu' « un peuple qui ne se sent
concerné qu'en tant que témoin ou observateur ne peut jamais
progresser ou se transformer >> car les pratiques et les liturgies de
l'Eglise catholique congolaise font d'elle un maître qui procède
à l'enfantement du monde en entretenant l'obscurantisme, le
collectivisme spirituel et culturel, un mode de vision et de pensée
conforme à son hégémonie. Par conséquent, le peuple
n'a plus la conscience politique qui lui permettrait d'avoir une vision
rationnelle du politique mais plutôt développe une culture
politique d'emprunt irriguée par des croyances religieuses
importées et décalées par rapport à la scène
centrale de la culture.
Pour rappel, l'Eglise a conduit la main des
électeurs sur le bulletin de vote, favorisé une sorte de vote
collectif, communautaire. On aurait dit un vote catholique. Les individus
contrôlés moralement ont voté non pas selon eux-mêmes
mais plutôt selon le groupe, la communauté, etc. c'est donc ce que
nous avons appelé colonisation du choix ou expression politique
spirituellement surveillée qui empêche la participation
sincère et dénivelle sans freins la sécularisation
culturelle.
Pour rendre compte de cette prétention du reste
fondée, il suffit d'examiner l'obscurantisme que développe
l'Eglise notamment en prônant une communauté
199 S. ROKKAN, cité par D., CHAGNOLLAUD, Op.
cit., 3e édition, Paris, Dalloz, 2000, p.43.
200 Ibidem, p. 353.
201 Cité par R.-G., SCHWARTZENBERG, op.
cit., p. 357.
d'esprits, de pensée et d'action guidée par
la foi. A ce niveau, nous confirmons nos hypothèses.
Toutefois au plan de la prospective, nous
considérons non sans raison qu'en vue d'une requalification des rapports
stratégiques de l'Etat à l'Eglise, deux pistes méritent
d'être canonisées à des fins multiplicatrices de la
laïcité. Il s'agit de l'émergence d'un Etat subsidiaire et
de l'affranchissement des opinions par l'Eglise.
En ce qui concerne l'Etat subsidiaire congolais, Il
s'agit comme le voudrait Chantal Million Delsol202 d'un Etat minimum
fondé sur le principe de subsidiarité qui donne à la
société civile plus d'autonomie et permet à chaque
sphère d'activités de déployer au maximum ses
capacités. L'Etat ne peut intervenir que pour suppléer aux
déficits là où c'est nécessaire. Ceci suppose la
construction d'un modèle fédéral de gestion de
l'Etat.
A ce niveau, Nous postulons neuf mutations
structurelles pour que le retrait de l'Etat au profit des forces
conjoncturelles et structurelles de la société civile soit
créateur d'effets induits positifs et bénéfiques à
la communauté politique congolaise :
-le déplacement de la compétition
intra-étatique vers le domaine de la compétition commerciale ou
économique ;
-la convergence des modèles idéologiques de
l'Etat et de la religion sur le modèle anglo-saxon comme le voudrait
Stein Rokkan ou Max Weber ;
-le déclin des politiques sociales anti-cycliques
inspirées des projets de société sans fondements
rationnels qualitatif et quantitatif ;
-le partage de la compétence concernant la
gestion du marché selon le poids respectifs de chaque partenaire
(l'Eglise est devenue un entrepreneur et un rival dans le secteur immobilier)
;
-la réduction de l'autonomie fiscale du pouvoir
centrale et des exemptions fiscales accordées à l'Eglise pour
favoriser les entités fédérées ;
-le réaménagement de la protection sociale
abandonnée par l'Etat et maladroitement tenue par l'Eglise et le reste
de la Société civile ;
-la collaboration en matière de recherche et
d'innovation ;-le réaménagement des quotas des organismes
privés dans le financement de l'aide publique pour les politiques de
développement ;
-l'émergence des acteurs non étatiques pour
concurrencer l'Etat dans la taxation des activités privées et
dans la protection.
Quant à l'élan d'affranchissement des
opinions par l'Eglise, cette dernière se devait de renoncer au
paternalisme pédagogique et à l'aliénation
délibérée des masses. Pédagogue suprême, le
clergé procède à l'enfantement des visions politiques.
Entre l'Eglise et les individus, il n'y a pas échange mais allocation.
Il n'y a pas information qui suppose un double mouvement mais projection. La
lumière vient de l'évangile. Pour rappel, « Un peuple qui ne
se sent
202 C.-M., DELSOL, l'Etat subsidiaire, Paris, PUF,
1992, p. 65.
concerné qu'en tant qu'auditeur, disciple ou
témoin ne peut se transformer ». Comme toute pédagogie
paternaliste qui maintient l'enseigné dans l'enfance, cette
pédagogie n'est guère apte à émanciper une
société aliénée par le christianisme version
catholicisme. La culture de sujétion s'implante avec racines solides. Le
peuple ne devrait pas réfléchir, voir, agir, projeter son avenir
à travers le prêtre mais dans un espace libéré de
toute emprise irrationnelle cultivée par l'Eglise soucieuse de
contrôler les âmes, les esprits et le social. De son
côté, l'Eglise doit, si elle est réellement partisan de la
démocratie, libérer les consciences et opinions du peuple
longtemps tenues en otage par des affabulations eschatologiques. C'est la
condition sine qua none pour l'édification d'une culture politique
sécularisée et vidée de toute croyance religieuse
imposante.
113 BIBLIOGRAPHIE
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61. ZOUNGRANA, P., Le Développement des
peuples, Paris, Saint-Paul, 1968.
2) ENCYCLOPEDIES, REVUES, DISCOURS, COURS ET
MEMOIRES
1) Encyclopedia universalis, V9, Iterferences
LISZT.
2) Encyclopedia Universalis, V6, Interferences
LISZT.
3) TERRAS, L., (dir.), Petit atlas des Eglises
africaines. Pour comprendre l'enjeu du christianisme en Afrique, Paris,
Golias, 1994.
4) BLOCH, O., et Von WARTBURG,
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française, Paris, PUF, 1960.
5) Revue : L'Afrique politique 1995. Le meilleur, le
pire et l'incertain, Paris, Karthala, 1995.
6) J.- Paul II, Le sage pour la journée
mondiale de la paix 2004, 6 : AAS 96, (2004)
7) Acte de l'Assemblée plénière de
l'Episcopat du Congo, 1067.
8) Discours du président de la République
du Zaïre, le général Mobutu, à la 28è
Assemblée de l'ONU, le 4 octobre 1973.
9) Message du comité permanent des
évêques de la RDC aux fidèles catholiques et aux hommes de
bonne volonté « j'ai vu la misère de mon peuple, trop c'est
trop » du 15 mars 2003.
11) MISIMBI MUGANZA, Syllabus du cours d'analyse du
système social : structures et pouvoirs, UOB, L2 Sociologie,
Inédit, 2007-2008.
12) MAINDO MONGA, A., Cours des systèmes
politiques comparés, UOB, Inédit, 2008-2009.
13) AKILI MALI, M., Les groupes
d'intérêt et le processus décisionnel au Sud-Kivu. Cas de
l'Eglise catholique, U.O.B, Mémoire, Inédit, S.P.A,
2002-2003, pp. 68-70.
3) Site Internet : Wikipédia :
encyclopédie libre, site Web.
TABLE DES MATIÈRES
DÉDICACE I
REMERCIEMENT II
0.INTRODUCTION
|
1
|
0.1. ETAT DE LA QUESTION
|
1
|
0.2. 0BJET, INTERET, CHOIX ET DELIMITATION DU SUJET
|
5
|
0.3. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
|
5
|
0.4. MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
|
11
|
0.5. SUBDIVISION DU TRAVAIL
|
.12
|
Chapitre 1er : DÉBAT SUR LES RAPPORTS ENTRE LA
RELIGION ET LA
POLITIQUE : Une approche théorique 14
Section Ième : Tentative de
définition des concepts 14
1. Laïcité 14
2. Religion ..19
3. Politique .21
4. Eglise et Etat 23
5. Espace public .25
Section IIème : Modèles
explicatifs .27
A. L'analyse institutionnelle .27
B. L'analyse de la sociologie historique du politique
29
Section IIIème : Les controverses sur
les rapports entre la Religion et la Politique .31
1. Les thèses théologiques 31
1.1. Quelques théories sur les rapports entre
l'Eglise et l'Etat 31
A. La théorie du pouvoir direct 31
B. La théorie du pouvoir indirect 33
C. La théorie du pouvoir directif 37
D. Le système des partis catholiques
38
E. Les systèmes concordataires 39
2. La thèse rationaliste .40
Section IVème : La doctrine
socio-politique de l'Eglise romane 42
1. L'Eglise et le monde 42
2. L'Eglise et le développement des peuples
43
3. Les fondements de la doctrine socio-politique de
l'Eglise ..46
a) Le fondement évangélique 46
b) Le fondement juridique : laïcité de
l'Etat et liberté des religions 46
c) Le fondement philosophique 47
4. Les grands principes directeurs selon les encycliques
sur les rapports entre le pouvoir ecclésial et le pouvoir politique
47
a) Le principe de la distinction fondamentale entre le
pouvoir ecclésial et le
pouvoir politique 47
b) Le principe de la solidarité fondamentale
entre le pouvoir ecclésial et le
pouvoir politique 47
c) Le principe de la souveraineté du pouvoir
politique sur son terrain spécifique
d'action 48
d) Le principe de la souveraineté du pouvoir
ecclésial sur son terrain spécifique d'action 48
Chapitre IIème : DE L'IMBRICATION DU RELIGIEUX
ET DU POLITIQUE
EN RDC : Une approche évolutive 50
Section Ière : La situation pendant la
colonisation 50
I.1. Une Eglise marquée par la colonisation
50
I.2. L'Eglise et l'accession à
l'indépendance 52
Section IIème : La situation
après l'indépendance : le temps de la
réorganisation
|
|
Politique
|
.54
|
II.1. L'Eglise face à la tentative de
laïcisation de l'espace politique après l'indépendance
|
54
|
II.2. La résistance des missions catholiques
pendant la période de crise
|
|
|
Institutionnelle
|
56
|
Section IIIème : La situation sous la
deuxième république
|
.57
|
III.1. Du Temps du coup d'Etat militaire et sa
légitimation par l'Eglise catholique
|
57
|
III.2. Les premières accrochages
|
59
|
III.3. Le Temps de l'idéologisation autoritariste
|
59
|
III.4. L'attitude des Eglises face au « recours
à l'authenticité »
|
61
|
III.5. La mystification du pouvoir face à la
volonté de laïcisation de l'Etat
|
.64
|
III.6. Les conflits d'intérêts et la
légitimation idéologiques par des confessions
|
|
Religieuses
|
65
|
a) L'Eglise du Christ au Zaïre (Congo)
|
65
|
b) Le Kimbanguisme
|
66
|
c) Le mariage entre l'Eglise et le MPR
|
67
|
III.7. Le temps des dénonciations
|
.70
|
III.8. Les cadeaux du présidents de la
République aux évêques
|
72
|
Section IVème : De la Transition
démocratique à la troisième République
|
73
|
IV.1. L'Eglise et l'Etat entre 1990 et 1996
|
74
|
IV.2. L'Eglise et le régime issu du AFDL de 1996
à 1998
|
76
|
IV.3. Attitude de l'Eglise à l'occupation
rwandaise encadrée
localement par le RCD
|
77
|
IV.4. L'Eglise catholique et les accords de paix
|
78
|
IV.5. L'Eglise et le gouvernement de Transition
|
78
|
Chapitre IIIème : ANALYSE DES RAPPORTS
DE LA RELIGION A LA
|
|
POLITIQUE E RDC
|
82
|
Section Ière : Etude factorielle de
l'influence de la Religion à la Politique
|
|
en RDC
|
.82
|
I.1. Les facteurs historiques
|
82
|
1. L'héritage du gallicanisme
|
82
|
2. L'encadrement religieux de la colonie belge du Congo
|
.84
|
|
I.2. Les facteurs culturels
|
84
|
Section IIème : De la laïcisation
de l'Espace public
|
86
|
II.1. Indicateurs de l'osmose du religieux et du
politique
|
86
|
1. Inféodation de l'autorité politique
à celle de l'Eglise
|
86
|
a) invitation des autorités ecclésiales
aux manifestations publiques 86
b) Les visites de courtoisie 88
2. Substitution fonctionnelle de l'Eglise à l'Etat
88
a) Le secteur de l'emploi 88
b) Le secteur socio-éducatif et sanitaire
89
II.2. L'influence religieuse en politique 90
1. Au plan de la dramaturgie politique .90
2. Au plan compétitif 92
a) Avant les élections de 2006 92
b) La phase électorale 93
3.Au plan de la sécularisation culturelle
98
Section IIIème : De l'Etat moralement
encadré par la Religion à l'Etat subsidiaire 102
III.1. L'encadrement moral et la dynamique
étatique 102
a) L'Eglise et l'ordre interne en RDC 102
b) L'Eglise et les politiques extérieures
103
· Le fédéralisme coopératif
104
· L'intergouvernementalisme 104
III.2. La sécularisation culturelle à
l'épreuve de la foi catholique 106
CONCLUSION 108
BIBLIOGRAPHIE 113
TABLE DES MATIÈRES 118
|