UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I THE
UNIVERSITY OF YAOUNDE I
FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET FACULTY OF
ARTS, LETTERS AND
SCIENCES HUMAINES SOCIAL SCIENCES
DÉPARTEMENT DE LITTERATURE DEPARTMENT OF
LITTERATURE
ET CIVILISATIONS AFRICAINES
ANDAFRICAN CIVILISATIONS
ECRITURE ROMANESQUE
POST-APARTHEID
CHEZ J .M. COETZEE ET NADINE
GORDIMER
Mémoire présenté en vue de
l'obtention du Diplôme de Master ès Littérature et
civilisations africaines
Par
Ives Sangouing Loukson
Maître ès Lettres
Sous la direction de
Cécile Dolisane Ebosse
Chargée de Cours
Septembre 2010
DÉDICACE
À toi
ma mère,
Chrescence Ayissi,
je dédie cette recherche.
Depuis ton extinction, une perplexité tragique
m'obsède. De la vacuité que ton départ précoce
laisse à jamais peser sur moi ou de mon faible pour les livres, faible
attrapé pour avoir cru que, pour ton bonheur, il fallait affronter leur
profusion, qui est désormais mon égérie ?
REMERCIEMENTS
Un travail de recherche s'effectue rarement sans aides et
appuis amicaux. Le présent mémoire ne fait pas exception à
la règle. « Écriture romanesque post-apartheid
chez Coetzee et Gordimer » n'aurait évidemment pas
été possible sans l'appui de mon Directeur de recherche, le
Docteur Cécile Dolisane Ebosse. Elle a accepté la direction de
mon mémoire et j'ai bénéficié de sa sollicitude, de
sa disponibilité et de ses conseils bienveillants.
Grâce au Professeur Ambroise Kom, j'ai pu
acquérir deux ouvrages théoriques sur la littérature
sud-africaine post-apartheid et le roman d'André Brink sur lequel je
m'appuie pour éclairer mon corpus initial.
Des Docteurs Innocent Futcha et Hervé Tchumkam, j'ai
bénéficié de la disponibilité et des critiques
constructives lors de la production de mon projet de recherche. Je suis
également redevable aux enseignants du département de
littérature et civilisations africaines pour leur contribution à
ma formation.
Mon ami Sylvère m'a aidé avec la saisie de mon
texte. À Yollande, Michèle, Yves et Maxime, je dois la relecture
avant impression.
Je dois aussi beaucoup à mes frères, soeurs et
parents Olivier, Georges, Benjamin, Charly, Christiane, Philomène,
Francine, Raïssa, Louk et Messi pour leurs encouragements. Je n'oublie
pas Helen, ma bien aimée, pour le soutien matériel, moral et
affectif qu'elle ne s'est jamais lassée de me procurer.
Que chacun, en ce qui le concerne, trouve dans ces lignes
l'expression d'une gratitude incommensurable.
RÉSUMÉ
Quels impacts le démantèlement officiel de
l'apartheid a-t-il eu dans la manière d'écrire des deux prix
Nobel de littérature sud-africains ? Tel est le fil conducteur de
la présente recherche axée sur Get a life et
Elizabeth Costello. Pour y apporter des réponses, je me suis
inspiré de quelques éléments théoriques des
cultural studies : le populaire, le libéralisme et l'oeuvre de
fiction comme objet politique. L'analyse proprement littéraire m'a
amené à emprunter à la narratologie et au structuralisme
leur démarche d'approche du roman. Il apparaît que
l'écriture romanesque post-apartheid de Gordimer et de Coetzee reste
davantage constante avec l'idéologie insérée dans leurs
romans pendant l'apartheid. Elle ne rompt pas véritablement avec
l'idéologie du groupe dominant. D'où la popularité
problématique dans le domaine de la littérature sud-africaine de
Coetzee et Gordimer.
ABSTRACT
Which changes has the official dismantling of apartheid
brought in the novel writing of the two South African Nobel Prize winners?
Focussing on Gordimer's Get a life and Coetzee's Elizabeth
Costello, this study tries to reflect that main question. Theoretically,
some elements of the cultural studies such as the popular, the liberalism and
the fiction as a political work, help me develop my work. Narratology and
structuralism help me for the literary study of the narratives, which
constitute the core of my reflexion. From my study it appears that the
post-apartheid novel as written by Coetzee and Gordimer has the same
ideological orientation as their writing during the apartheid era. They write
from the dominant perspective and dominant group. This situation challenges as
Gordimer's as Coetzee's popularity on the ground of South African
literature.
LISTE DES TABLEAUX ET
SCHÉMA
Tableau I : Organisation des personnages
dans Get a life.......................................46
Tableau II : Organisation des
personnages dans Elizabeth Costello..................49
Tableau III : Espace narratif et son
double dans Get a life.....................................66
Tableau IV : Espace narratif et son
double dans Elizabeth Costello..................69
Schéma I : Itinéraire
d'Hanna X ..........................................................101
LISTE DES
ABRÉVIATIONS
ANC African National Congress
Clé Centre de Littérature
Evangélique
NEPAD New Partnership for Africa's
Development
P. Page
PhD Doctor of Philosophy
Puf Presse universitaire de France
s/d Sous la direction
SIDA Syndrome d'Immuno Déficience
Acquise
USA United States of America
VIH Virus de l'Immunodéficience
Humaine
INTRODUCTION
GÉNÉRALE
Au regard de l'influence de l'Apartheid sur la
manière d'écrire des romanciers sud-africains, Massizi Kunene ne
pu s'empêcher d'exprimer son inquiétude de la manière
suivante : « The trouble with South African writing about
apartheid is that these people write about apartheid and one day it won't exist
and they'll have nothing to write about »1(*) .
En effet, du fait de leur volonté quasi unanime de
se positionner contre le régime de la consécration de
l'injustice et de l'inégalité, ces écrivains avaient fini
par produire des ouvrages singuliers du fait de leur nature. Ces derniers,
comme le reconnaît Jean Sévry se caractérisent par
une transparence par rapport aux réalités
sud-africaines2(*). Ce
sont, en général, des oeuvres dans lesquelles le divorce d'avec
la fiction au sens platonique du terme est quasiment consommé. On
assiste presque à une interchangeabilité entre la
littérature et la réalité. Jean Sévry le
reconnaît à juste titre lorsqu'il pense que :
Jamais le lien qui unit un contexte historique à
des productions littéraires n'a été sans doute aussi fort.
Si la littérature peut se définir comme un système de
représentations de la réalité, il faut ajouter, dans le
cas de l'Afrique du Sud, que la fiction finit par constituer un écho
pour des réalités socio-économiques très
concrètes. Les écritures, souvent, s'en retrouvent
écrasées et comme aplaties de réalisme. En ce pays,
l'oeuvre d'art est presque toujours marquée par le sceau de l'histoire.
Et c'est à partir d'elle que l'on s'explique3(*).
Plus d'une décennie après la fin de
l'Apartheid, il n'est pas étonnant de constater dans le cadre de la
création romanesque de nouvelles manières de prendre en charge
l'actuel contexte sociopolitique sud-africain par les écrivains. Ceci
semble notamment être le cas dans Get a life4(*) et Elizabeth
Costello5(*), romans
respectivement de Nadine Gordimer et de John Maxwell Coetzee, deux
écrivains blancs sud-africains. La postériorité de ces
deux romans par rapport à l'Apartheid peut induire leur lecteur à
les considérer d'emblée comme des romans qui attestent de
véritables ruptures avec les particularités du roman sud-africain
pendant l'Apartheid. Leur centralité sur l'écologie, l'importance
qu'ils accordent à l'Australie et la méta-énonciation sur
la littérature dont Elizabeth Costello fait
exclusivement6(*) l'objet
sont quelques repères suggestifs de l'état des lieux du roman
post-apartheid tel qu'il ressort sous la plume de deux prix Nobel sud-africains
de littérature7(*).
Jean Sévry et Massizi Kunene auraient été
de véritables visionnaires s'ils avaient confronté leur objet
d'étude, le roman sud-africain, au contexte de globalisation dont
l'Afrique du sud a été et continue d'être, comme ses
voisins africains, un point d'ancrage. C'est dans la perspective de
dépasser les thèses de Sévry et de Kunene que m'est venue
l'idée de la recherche intitulée :
Écriture romanesque post-apartheid chez John
Maxwell Coetzee et Nadine Gordimer.
Je me propose, dans ce sujet, d'étudier les
ruptures et les continuités dans l'écriture de l'espace
sud-africain chez ces deux écrivains distingués par le Nobel de
littérature. Une telle ambition n'est, sans doute, pas sans
conséquences pour cerner les configurations esthétiques et
idéologico-politique du roman sud-africain en général.
Étant donné la représentativité discutable des
romans de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer pour le roman sud-africain dans
son ensemble, prétendre cerner les particularités du roman
sud-africain dans sa diversité à partir de leurs romans semble,
de prime abord, être une imposture.
En effet, alors que Gordimer et Coetzee sont distingués
par de prestigieux prix étrangers et internationaux tels le Nobel ou le
Booker prize8(*), ils sont
tous deux, sinon catalogués comme des écrivains racistes par la
critique littéraire locale, du moins regardés avec beaucoup de
défiance en Afrique du sud. On peut, à titre d'exemple,
s'arrêter sur une polémique soulevée, au sujet de Gordimer
par Dennis Brutus et A. Woodward ; polémique dont Kathrin Wagner
rapporte les termes dans son livre Rereading Nadine Gordimer :
[A. Woodward] concluded his sharp essay in 1961 with the
caustic comment that she is a marvellous, vivacious observer, with nothing very
subtle to say, and with an ever- growing facility for saying it, while Dennis
Brutus complained in a now widely-known remark that she lacks warmth, lacks
feeling, but can observe with the detachment, with coldness, of a machine. He
laid the blame on the dehumanising impact of apartheid up on white and black
alike, and was thus among the first to suggest that Gordimer may be understood
best as a writer trapped within the historical situation her vision seeks to
transcend9(*).
Quant à J. M. Coetzee, universitaire-romancier de
renommée internationale, imprégné de la tradition
intellectuelle européenne et passionné de mathématiques,
de stylistique et de linguistique10(*), il revient à Jean Sévry
d'esquisser un parallèle, le concernant, avec la tiédeur de la
critique sud- africaine vis-à-vis de Gordimer :
...peu à peu, se sont mises en place des
bienséances universitaires à propos d'un écrivain
[Coetzee] qui malgré tout n'aura connu qu'une réception
limitée pour l'essentiel à son propre milieu, ce qui ne retire
rien à ses qualités esthétiques, mais ce qui
méritera un jour quelques réflexions sociologiques11(*).
Il est donc évident que considérer comme
représentatifs du roman sud- africain en général, des
romans de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer, vigoureusement contestés
en Afrique du sud, alors qu'acclamés à l'étranger, pose
les problèmes de la réception des oeuvres, du projet romanesque
et du marketing éditorial. Seulement, puisque l'une de mes
préoccupations est d'étudier les nouvelles orientations
formelles, thématiques et idéologiques propres au roman
sud-africain post-apartheid, j'ai essayé de m'appuyer sur des romans
d'auteurs sud- africains qui ont plutôt bonne presse en dehors du pays.
La raison en est que, subsidiairement, je voudrais vérifier si les
institutions littéraires étrangères, le Nobel en
particulier, au-delà de la portée médiatique, sont souvent
neutres dans l'attribution des distinctions respectives. Aussi, convoquerai-je
The Other side of silence12(*) d'André Brink et Ways of
dying13(*)
de Zakes Mda pour parer à une éventuelle admonestation
d'hyperbolisation dans ma démarche. En effet, ces deux autres romans
sud-africains post-apartheid semblent transposer l'Afrique du Sud d'une
façon radicalement contraire à celle de J.M. Coetzee et de Nadine
Gordimer.
Mon hypothèse générale est que
l'écriture romanesque post-apartheid chez J. M. Coetzee et Nadine
Gordimer reproduit une vision du monde déjà perceptible dans
leurs romans pendant l'Apartheid. Coetzee et Gordimer dans Get a life
et Elizabeth Costello, réarticulent leur
indifférence vis-à-vis des infortunes des Non- Blancs en
général, des indigents sud- africains en particulier. On peut
néanmoins partir de leurs écritures post-apartheid pour prendre
la mesure des défis à relever afin d'amoindrir le racisme en
Afrique du Sud. De cette hypothèse de départ se dégagent
les interrogations suivantes : Comment écrivent Coetzee et Gordimer
pendant l'Apartheid ? Quelle est la classe sociale qui oriente la
perspective de leur geste romanesque ? Devrait-on parler de rupture ou de
continuité lorsqu'on confronte leur fiction pendant l'Apartheid avec
leurs romans post-apartheid que sont Get a life et Elizabeth
Costello? Quelles sont les insuffisances de la
représentativité de Get a life et d'Elizabeth
Costello pour le roman sud-africain post-apartheid en
général? Comment comprendre, rétrospectivement le
dévolu du Nobel sur Coetzee et Gordimer, plutôt que sur Brink ou
sur Mda?
Mon travail s'inscrit dans le cadre méthodologique
ayant déjà donné lieu à des études
réalisées par des critiques tels que Jean Jacques Sewanou
Dabla14(*), Abdourahmane
Waberi15(*), et Odile
Cazenave16(*). Ces
critiques se livrent, chacun à sa façon, à une
étude des romans africains francophones dans une perspective
diachronique. Odile Cazenave écrit par exemple à propos :
...les années 50 et 60 restent de même
marquées par une activité littéraire intense. Durant
toutes ces années, les expatriés gardent le regard rivé
vers l'Afrique, ... Or, les années 80 ont vu apparaître une
nouvelle génération d'Africains en France. Contrairement à
leurs prédécesseurs, ils offrent un regard de nature et de
portée différentes. C'est un regard non plus tourné
nécessairement vers l'Afrique, mais plutôt sur soi. Ces
écrivains hommes et femmes contribuent à la formation d'une
nouvelle littérature. S'éloignant du roman africain canonique de
langue française, leur écriture prend des tours plus personnels.
Souvent, peu préoccupées par l'Afrique elle-même, leurs
oeuvres découvrent un intérêt pour tout ce qui est
déplacement, migration et posent à cet égard de nouvelles
questions sur les notions de cultures et d'identités
postcoloniales...17(*)
Sewanou Dabla emprunte la même démarche
qu'Odile Cazenave au sujet de la littérature africaine francophone.
Préfaçant le livre de celui-ci, Gérard Da Silva
écrit à cet effet : « la littérature
d'Afrique noire est en passe de changer de visage et d'atteindre sa
véritable plénitude. Le livre de Sewanou Dabla est le premier
à établir ce constat, et ce faisant, à prendre
date »18(*).
Abdourahmane Waberi déborde, quant à lui,
les conclusions auxquelles parviennent Sewanou Dabla et Odile Cazenave pour
esquisser quelques défis qui interpellent les générations
à venir en commençant par la quatrième
génération. Il appelle cette dernière, celle des enfants
de la postcolonie ou la génération transcontinentale19(*). A son sujet, Waberi
conclut :
Au final, cette quatrième génération
apportera quelque chose de neuf et justifiera son existence, si elle transforme
l'exil d'ordinaire angoissant, annihilant, douloureux, en un exil
fécondant, joyeux, qui n'est plus appréhendé sur le mode
nostalgique, souffreteux, en un mot, « doloriste »
(René Depestre)20(*) .
Bien que ma recherche s'inscrive dans un paradigme
méthodologique similaire à celui de Dabla, Cazenave ou Waberi,
elle s'en démarque cependant par quelques aspects. Elle s'appuie tout
d'abord sur un corpus anglophone et sud- africain. Avec ce décalage, ma
recherche se donne comme tentative d'adaptation du modèle
méthodologique de Dabla, Cazenave et Waberi au roman sud-africain
anglophone.
Alors que les travaux d'Abdourahmane Waberi, Odile
Cazenave ou de Sewanou Dabla ont pour toile de fond explicitement ou
implicitement la colonisation en Afrique, ma recherche, elle,
s'intéresse à l'Apartheid. On pourra s' apercevoir que
colonisation et apartheid sont des versions variées du capitalisme et
que l'écriture romanesque de J.M. Coetzee et Nadine Gordimer permet
mieux que toute autre forme de leurs écrits de s'en rendre compte. Plus
particulièrement, ma recherche permet de voir comment Coetzee et
Gordimer, romanciers du groupe dominant, subissent la pression
hégémonique caractéristique de leur milieu. Elle
complète donc les travaux déjà réalisés
à propos de l'Afrique du sud post-apartheid par Rita Barnard21(*) et Njabulo Ndebele22(*), du fait de sa focalisation
sur des romans absents du répertoire de ces deux chercheurs
sud-africains. Il reste à préciser les outils théoriques
et méthodologiques desquels s'inspirera la réflexion.
Dans un article où il procède à
une synthèse des thèses de Roland Barthes sur la question
« À quoi sert l'écriture » 23(*), Alexandre Gefen conclut qu'il
revient au critique littéraire de « préparer par la
studium (la préparation culturelle et intellectuelle, l'ordre, la
raison) les conditions de possibilités de survenue du
sens »24(*). Dans ce travail, la studium-balise emprunte aux
cultural studies britanniques quelques éléments théoriques
dont l'inaptitude face au texte de fiction sera complétée par
quelques dispositifs méthodologiques de la narratologie25(*) et de la description
structurale selon l'expression de Michel Foucault26(*).
Encore dénommée théorie culturelle,
les cultural studies sont nés autour de l'année 1950 en Grande
Bretagne suite aux confrontations prolifiques de la New Left Review et
du Centre for contemporary cultural studies27(*) avec le marxisme28(*). L'acharnement des cultural
studies à mettre en cause « les grandes insuffisances
théoriques et politiques du marxisme »29(*) décline cette
théorie comme une critique radicale du capitalisme eurocentriste. La
théorie culturelle est une approche profondément
préoccupée à débouter l'altérité
radicale dans les diverses et multiples apparences qu'elle peut adopter.
Achille Mbembe identifie à juste titre l'altérité ou la
différence radicale comme principe ayant conduit à la
ségrégation, l'animalisation et la bestialisation de l'autre,
toutes des logiques qui ont « toujours fini par déboucher
sur la guerre »30(*). C'est donc un discours qui prône un avenir
collectif plus juste et plus humain. Comme les théories post-coloniales,
les cultural studies permettent un décentrement du sujet
hégémonique. Néanmoins, « ce qui est
[...] remarquable [...] c'est que la prise en considération
de la relation entre postcolonialisme et capitalisme mondial soit absente des
écrits des intellectuels postcoloniaux »31(*). Voilà qui renforce
l'idée des cultural studies comme critique sérieuse du
capitalisme occidental.
La réflexion prend appui sur cet enjeu éthique
indéniable aux cultural studies sinon pour traiter du capitalisme
eurocentriste, du moins, pour aider à mesurer les défis
liés à la possible dérivation de son
hégémonisme. Le choix des cultural studies se justifie
également par leur conception de la culture. En effet, pour la
théorie culturelle, la culture ne se conçoit ni comme :
une pratique, ni la simple somme descriptive des us et
coutumes des sociétés, comme elle tendait à le devenir
dans certains types d'anthropologie. Elle traverse toutes les pratiques
sociales et constitue la somme de leurs interrelations...La culture se
définit par ces schémas d'organisation, ces formes
caractéristiques d'énergie humaine qui peuvent apparaître
et se révéler - aussi bien dans des identités et des
correspondances inattendues que dans des discontinuités d'un type
inattendu - à l'intérieur de ou sous-jacentes à toutes les
pratiques sociales32(*).
En d'autres termes, les cultural studies invitent à
une pluralité de la culture, au respect des us et coutumes de l'autre ou
au relativisme culturel. Ils proposent de considérer la culture comme
nécessairement coalescente à toute pratique sociale. Aussi, les
cultural studies invitent-ils à devenir des lecteurs politiques parce
qu'ils autorisent de « situer les points de
vues » 33(*). C'est-à-dire d'interroger, pour identifier
quel groupe social, racial, sexuel, politique ou idéologique insuffle
à la culture son omniprésence avec pour finalité d'imposer
son hégémonie à des groupes minoritaires. Voilà
qui, comme le dit Maxime Cervulle « ouvre la voie à
une analyse des relations de pouvoir (au sens de Foucault) qui, au sein d'une
culture donnée, voient s'affronter différents codes
d'interprétation, différents régimes discursifs ou de
vérité »34(*) .
Les cultural studies me semblent d'autant adaptés
pour ma réflexion qu'ils définissent l'art, donc le roman, comme
un support important de la culture :
Si l'art fait partie de la société, il n'y a
pas de tout solide en dehors duquel, ni auquel, par la forme de notre
question, nous concédions la priorité. L'art est là, en
tant qu'activité, aux côtés de la production, du commerce,
de la politique, de la famille. Pour étudier ces relations de
façon pertinentes, nous devons les étudier activement et voir
dans toutes ces activités des formes particulières et
contemporaines de l'énergie humaine.35(*)
Autrement dit, s'inspirer, des cultural studies dans le cadre
de la critique littéraire suppose que l'on dépasse le
« mouvement superficiel des intrigues ou de l'histoire
vécue par des personnages »36(*) dans la diégèse du roman pour
décider de la contribution du roman à la relativisation ou
à l'amélioration de la condition des hommes visés par
l'auteur et par appropriation de tous les hommes. C'est pour cela que les
cultural studies constituent un dispositif théorique permettant aux
exclus ou à ceux qui se considèrent comme tels, de se rendre
compte que rien n'est encore perdu « que l'oeuvre de
l'homme vient seulement de commencer » 37(*). Stuart Hall écrit
à juste titre :
La vocation des cultural studies est de permettre de
comprendre ce qui se passe, et particulièrement de proposer des outils
de pensée, des stratégies de survie et des moyens de
résistance à tous ceux qui sont aujourd'hui- en termes
économiques, politiques et culturels - exclus de ce que l'on peut
appeler l'accès à la culture nationale de la communauté
nationale38(*).
Il reste que les cultural studies, tels qu'ils viennent
d'être présentés ne proposent pas méthodologiquement
comment analyser dans le détail le « système
artistique » qu'est le roman. C'est pour pallier cette insuffisance
que je convoquerai des travaux réalisés dans le cadre de la
narratologie39(*) et de
l'étude formelle des récits développées par des
théoriciens tels Tzvetan Todorov, Gérard Genette, Gerald Prince,
Jean-Yves Tadié, Roland Barthes, Dorrit Cohn et bien d'autres.
Pour étayer mes analyses et vérifier
mon hypothèse de départ, mon travail s'organise autour de deux
parties éclatées en deux chapitres chacune.
Dans le premier chapitre intitulé Michael K., sa
vie, son temps ; A world of strangers : aux sources de la
conscience de classe, je rappelle tout d'abord quelques indications
biographiques sur J.M. Coetzee et Nadine Gordimer. Ensuite j'analyse
Michael K., sa vie, son temps et A world of strangers,
romans respectivement de Coetzee et de Gordimer. Il s'agit de dégager
les caractéristiques propres de ces romans dans leurs rapports avec la
classe sociale à laquelle appartiennent Coetzee et Gordimer. Le second
chapitre examine l'écriture de Get a life et d'Elizabeth
Costello dans la perspective de mettre en évidence les ruptures et
les continuités décelables de ces romans confrontés
à Mickaël K, sa vie, son temps et A world of
strangers. De cette première partie, il apparaît que J.M.
Coetzee et Nadine Gordimer soutiennent implicitement le capitalisme
eurocentriste dans sa version sud-africaine.
La deuxième partie conduit quant à elle dans une
Afrique du sud où est possible une coexistence dépourvue de
l'hégémonie des uns sur les autres. Dans le troisième
chapitre, sens de Get a life et d'Elizabeth Costello
à la lumière de The other side of silence, ways of
dying, je m'arrête sur deux romans post-apartheid respectivement
d'André Brink et de Zakes Mda, deux autres romanciers sud-africains. Le
but est de multiplier des lieux de démarcation des rapports qu'ils
entretiennent tous avec l'Afrique du Sud actuelle, question de fissurer la
capacité de Get a life et d'Elizabeth Costello
à traduire l'ensemble des préocupations du roman sud-africain
post-apartheid. Il permet aussi d'envisager la complémentarité
des préocupations de Nadine Gordimer et de J.M. Coetzee en
période post-apartheid. Le quatrième et dernier chapitre,
intitulé Get a life et Elizabeth Costello : romans
porteurs d'idéologies compatibles, tente d'abord de
répertorier des points de convergence entre Get a life et
Elizabeth Costello. Il les situe enfin par rapport aux
discours théorico-politiques fondateurs du processus historique.
PARTIE I :
RUPTURES ET
CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE CHEZ COETZEE ET
GORDIMER
Analysant Triomf de l'Afrikaner Marlene Van
Niekerk40(*),
roman post-apartheid s'inspirant des réalités du
régime de l'Apartheid, Denise Coussy en dégage une entrée
dont je m'inspire pour analyser les romans de Coetzee et Gordimer
Le récit montre, de façon implacable, que
les descendants de ces Blancs qui ont bénéficié de cette
aubaine sont devenus de véritables déchets humains. Ils se
considèrent eux-mêmes comme des bons à rien, des bons pour
la casse qui ne trouve de satisfactions que dans une sexualité
incestueuse. Un message insidieux se dégage de ce roman de la
déréliction : la déchéance de ces
laissés- pour- compte est, de toute évidence, l'héritage
maudit que le système afrikaner d'antan leur a légué. Les
habitudes d'exclusion et de dénigrement perdurent maintenant au plus bas
niveau et la nouvelle Afrique du Sud doit payer les dettes de
l'ancienne41(*) .
En d'autres termes, le démantèlement officiel
de l'Apartheid n'a pas coïncidé avec le dépassement
véritable des structures psychologiques, des préjugés
sociaux ou culturels en vigueur pendant l'Apartheid.
Si Triomf, aux yeux de Denise Coussy, soutient la
continuité du dénigrement du Non- Blanc par le Blanc au
détriment du nouveau contexte officiel, Get a life et
Elizabeth Costello semblent plus catégoriques sur cette
question. C'est du moins la situation qu'il est question de démontrer
dans cette articulation liminaire de mon étude. Pour une meilleure
appréciation des orientations tant formelles qu'idéologiques chez
Coetzee et Gordimer en contexte post-apartheid, un détour par l'analyse
de leurs romans pendant l'Apartheid42(*) n'est pas fortuit. Pour cela, j'ai choisi
Michaël K, sa vie, son temps43(*) et A World of strangers44(*). La raison est que ces
romans respectivement de Coetzee et Gordimer sont largement centrés sur
la personne du Non- Blanc en Afrique du Sud pendant l'Apartheid.
Michaël K, sa vie, son temps et A World of Strangers me
servent en effet de points d'appui à partir desquels je tente de
déterminer la nature des ruptures et des continuités qui se
dégagent de Get a life et d'Elizabeth Costello.
CHAPITRE I :
MICHAËL K., SA VIE, SON
TEMPS ; A WORLD OF STRANGERS : AUX SOURCES DE LA CONSCIENCE DE
CLASSE
Parlant de l'espace en critique littéraire, John
Berger écrit :
Prophecy now involves a geographical rather than
historical projection; it is space and not time that hides consequences from
us. To prophesy today it is only necessary to know men [and women] as they are
throughout the whole world in all their inequality. Any contemporary narrative
which ignores the urgency of this dimension is incomplete and acquires the
oversimplified character of a fable45(*).
En d'autres termes, la prise en compte de l'espace garantit
à la recherche en général, littéraire en
particulier, la capacité de formuler des vérités que le
temps ne peut infirmer. Par ce fait même, elle permet de souligner la
raison d'être de la littérature.
Cependant, c'est d'un espace davantage conceptuel que
simplement physique qu'il s'agit. Ses indices sont certes marqués dans
le roman, mais il appelle d'autres données du roman dont la combinaison
permet au critique de vérifier s'il convient de confiner le romancier au
groupe dominant, dominé ou à l'espace interstitiel entre les deux
groupes, conformément à l'ambiance politico-économique que
le capital impose au monde. Ainsi, étudier l'espace revient non plus
simplement à considérer ou à décrire l'espace en
ce qu'il serait le cadre physique de l'action des personnages, mais bien
s'intéresser à l'espace conceptuel qui, partant du
régime de montage du roman, permet de décider de quel bord
idéologique, politique ou social est le romancier. Ceci passe par
exemple par l'observation de l'obsession, s'il y a lieu, des personnages par
rapport à certains espaces précis. Outre ce que Todorov appelle
« La grammaire du récit46(*) », c'est ici que le critique
échappe aux subtiles clôtures de l'art en général et
de la littérature en particulier pour prendre part à ce que
Jacques Rancière appelle « le partage du
sensible47(*)».
Tandis que sur cette question d'espace Mikhaïl Bakhtine
propose le concept de chronotope, Frederic Jameson choisit de parler de
« Cognitive mapping ». La raison en est que, la
notion de chronotope sous-estimerait la nécessité de
s'intéresser à « ce qui reste
inexprimé dans chaque acte expressif »48(*) ; ce que Georgio
Agamben appelle le geste de l'auteur. Voilà pourquoi Jameson se
préoccupe du renforcement de la dimension intellectuelle du critique
pour qui le repérage des chronotopes devrait viser à
résoudre l'équation de l'appartenance ou non du romancier au
groupe dominant.
Cognitive mapping , écrit-il,
« is an attempt to name the system, to offer some kind of
representation that might help individuals situate themselves with regard to
the vast multinational networks of global capital [...] It might be
taken as a code word for class consciousness »49(*).
Pour tout dire, toute recherche littéraire qui n'aide
pas à identifier à partir de quel espace et pour quel espace
(groupe) les écrivains du corpus retenu, produisent leurs écrits,
se condamne à un vain amusement. Aussi procéderai-je, dans le
cadre du présent chapitre liminaire à la mise en évidence
du rapport entre narré et non-narré. En effet, cette
méthode présente l'avantage de réconcilier les trois
dimensions de l'espace soulignées plus haut. D'abord parce que la
question du narré exige de s'appuyer sur l'espace dans la
diégèse des romans retenus. Il s'agit
de « revenir au texte, [seul] lieu de construction
de l'imaginaire50(*) ».
Ensuite parce que le problème du non-narré,
concept emprunté à Gerald Prince51(*), en autorisant d'identifier des
éléments (événements, espaces...) que le
récit tait ou refuse de prendre en charge, permet de mettre en
perspective l'effectivité du « Cognitive
mapping » pour parler comme Jameson. Enfin, cette posture
méthodologique me permet non seulement d'élaborer la
singularité formelle, mais surtout de déterminer la conscience de
classe que font valoir les romans d'avant le démantèlement
conventionnel de l'Apartheid chez Gordimer et Coetzee.
Partant du principe selon lequel « si on veut
étudier une littérature, il faut d'abord étudier son
ancrage sociologique et politique, sans quoi on n'est pas
rigoureux »52(*), je consacre la première articulation de ce
chapitre à l'étude du fonctionnement de l'Apartheid. Il s'agit
d'entrevoir quelle marge de manoeuvre Gordimer et Coetzee, eu égard
à leurs ascendances, avaient pu avoir pour ne pas prêter le flanc
au type de rapport qu'ils entretiennent avec le système de l'Apartheid,
tel que leurs romans le suggère. La seconde étape consiste en une
recherche biographique sur Gordimer et Coetzee. L'idée c'est de montrer
à quel espace idéologique ils appartiennent en Afrique du Sud. La
troisième articulation de ce chapitre est consacrée à
l'analyse respectivement de Michaël K, sa vie, son temps, et de
A world of Strangers. Cette analyse vise à démontrer que
ces romans comportent des traces traduisant un sentiment complexe de
solidarité de leurs auteurs avec la politique de l'Apartheid en Afrique
du Sud.
I-1- Apartheid : Enjeux
d'une idéologie en vigueur avant J.M. Coetzee et Nadine Gordimer
Claude Lévi-Strauss a proposé une
conceptualisation du structuralisme qui constitue un des paradigmes53(*) sur lesquels s'appuient les
cultural studies. D'après Lévi-Strauss, l'étude des formes
économiques, sociales, politiques, cultuelles ou littéraires
reste superficielle si elle ne permet pas de se rendre compte des relations
complexes entre elles. Le chercheur structuraliste doit, de ce fait, se poser
la question de savoir quelles formes ou structures sinon
précèdent, du moins justifient celles qu'il se propose
d'étudier. Commentant cette posture conceptuelle du structuralisme de
Lévi-Strauss, Stuart Hall écrit :
Pour penser ou pour analyser la complexité du
réel, l'acte de pratiquer la pensée est requis, et il
nécessite de faire usage du pouvoir d'abstraction et d'analyse, de
formuler des concepts permettant de découper la complexité du
réel, afin précisément de révéler et
d'éclairer les relations et les structures qui restent invisibles au
candide et qui ne peuvent ni se présenter, ni s'authentifier
elles-mêmes : dans l'analyse des formes économiques, ni les
microscopes, ni les réactifs chimiques ne sont d'aucune aide. Le pouvoir
d'abstraction doit les remplacer54(*).
Raymond Williams pour sa part pense que :
Nous devons supposer que le matériau brut de
l'existence se trouve à un pôle et que toutes les disciplines et
tous les systèmes humains infiniment complexes, articulés et
inarticulés, formalisés dans des institutions ou dispersés
de la façon la moins formelle qui soit, qui traitent, transmettent ou
déforment ce matériau brut, se trouvent de l'autre55(*).
Autrement dit, s'il convient d'identifier le système de
l'Apartheid en Afrique du Sud comme une forme économique pour parler
comme Lévi-Strauss ou comme un système humain infiniment complexe
articulé et inarticulé dans des institutions comme l'aurait dit
Raymond Williams, qu'est-ce qui pourrait constituer le matériau brut de
l'existence dont cet Apartheid n'est qu'une déformation, un traitement
ou une transmission ? Devant une telle interrogation, il n'est pas facile
d'éviter de considérer l'Apartheid comme un modèle
culturel organisé ou orchestré par le capitalisme.
Cette relation est inévitable si l'on s'en tient aux fondements de la
société capitaliste du point de vue du professeur E.P.
Thompson :
La société capitaliste s'est
fondée sur des formes d'exploitation qui sont en même temps
économiques, morales et culturelles. Prenez la relation productive,
essentielle et définissant, [...] tournez-la dans tous les
sens, et elle se révélera tantôt sous un certain jour
(travail-salaire), tantôt sous un autre (un éthos acquisitif),
tantôt encore sous un autre (l'aliénation de facultés
intellectuelles qui ne sont pas requises par le travailleur dans son rôle
productif)56(*) .
À la vérité, si l'apartheid n'est pas une
architecture consciemment élaborée par la société
capitaliste, il constitue pour le moins une sorte de ré-articulation des
pratiques sociales, économiques, politiques et symboliques dont seule la
société capitaliste maîtrise l'alchimie. Dans une
description que Nadine Gordimer fait du déploiement de l'Apartheid, il
ressort que celui-ci se fonde sur des formes d'exploitation tant morale,
culturelle, qu'économique des Noirs par des Blancs :
Les Noirs remplissent toutes les tâches
manuelles dans notre pays, parce qu'aucun Blanc ne veut creuser une route ou
charger un camion. Mais pour tous les travaux qu'un Blanc veut faire, il y a
des sanctions et des emplois réservés afin d'exclure les Noirs.
Dans l'industrie du bâtiment, et dans les usines, les travailleurs
non-qualifiés et semi-qualifiés sont africains et ne peuvent, de
par la loi, prétendre à un autre emploi. Ils ne peuvent servir
les clients au comptoir, dans les boutiques ou être employés aux
écritures aux cotés des Blancs. Dans quelque lieu qu'ils
travaillent, ils ne peuvent partager les toilettes et les cantines des
employés Blancs. Mais ils ont le droit de faire des achats dans les
magasins57(*).
C'est donc le capitalisme, comme on le lit sous la plume de
Nadine Gordimer, qui a généré l'Apartheid58(*). Cependant, il convient de
préciser pour le cas spécifique de l'Afrique du Sud que les
premiers pas de la structure capitaliste que Jan Smuts59(*) a désigné
Apartheid pour la première fois, remonte à 1652 avec la prise du
Cap par une petite escadre hollandaise, sous le commandement de Jan van
Riebeck. La population blanche augmente à la fin du 17e
siècle avec l'arrivée des Huguenots chassés de France par
la révocation de l'édit de Nantes en 1684. En 1815, au
traité de Vienne, les Pays-Bas doivent céder le Cap à la
Grande-Bretagne. Cette autre mesure prise en occident entraîne la venue
massive d'Anglais en Afrique du Sud. L'occupation par les Anglais du Cap
provoque le grand trek des fermiers hollandais pour l'intérieur (Nord)
du pays60(*).
Bien d'écrits de Nadine Gordimer et de John Coetzee,
sinon tous pendant l'Apartheid, ont été considérés
par plus d'un chercheur comme intéressés par le
démantèlement ou la dénonciation du système inique
et ostracisant de l'apartheid. David Coad trouve par exemple qu'il y a dans le
roman de Coetzee « une accusation convaincante de tout
système politique fondé sur la torture, l'avilissement de
l'individu et les rapports difformes entre ceux qui exercent le pouvoir et les
opprimés»61(*). Jean Sévry estime pour sa part que les romans
de Nadine Gordimer, comparés à ceux de ses compatriotes dont J.M.
Coetzee et bien d'autres « dirigent vers une troisième
culture, qui se situerait résolument au carrefour des deux autres
[blanche et noire]» 62(*).
C'est dire que, par bien de côtés, les romans de
ces deux écrivains semblent ne faire aucun doute quant à
l'antagonisme de leurs auteurs vis-à-vis de l'Apartheid. Pourtant,
étant donné que l'Apartheid est une invention de
l'idéologie capitaliste en expansion dans le monde, il est absolument
illusoire de prétendre s'opposer fondamentalement à cette
dernière. Toute tentative de renverser la société
capitaliste est condamnée à l'échec surtout lorsqu'on
appartient de par la descendance, au groupe dominant comme le sont J.M. Coetzee
et Nadine Gordimer. Georges Lukacs n'en dit pas autre chose l'orsqu'en
confrontant la spectacularisation capitaliste avec son impact sur la conduite
du travailleur ou de l'écrivain, il écrit que
« plus la rationalisation et la mécanisation du processus
de travail augmentent, plus l'activité du travailleur perd son
caractère d'activité pour devenir une attitude
contemplative »63(*).
Beaucoup moins abstrait que Lukacs, Stuart Hall écrit
pour sa part que :
Les hommes font l'histoire [...] sur la
base de conditions qui ne sont pas leur oeuvre ; il en résulte
inévitablement un humanisme naïf, avec sa nécessaire
conséquence : une pratique politique volontariste et populiste. Le
fait que les hommes puissent devenir conscients de leurs conditions,
s'organiser pour lutter contre elles et, finalement, les transformer, sans quoi
aucune politique active ne peut pas même être pensée et,
encore moins, pratiquée, ne doit pas nous autoriser à passer
outre le fait que, dans les relations capitalistes les hommes et les femmes
sont situés et positionnés dans des relations qui les constituent
comme agents. Pessimisme de l'intellect, optimisme de la volonté est
davantage un bon point de départ qu'une simple affirmation
héroïque64(*) .
Il y a donc lieu de douter d'une profonde et fondamentale
opposition de Coetzee et de Gordimer à un système qui est en
vigueur en Afrique du Sud bien longtemps avant leur arrivée sur la
scène politico-culturelle. Dans certains de ses écrits, Nadine
Gordimer souligne d'ailleurs la dépendance de la personnalité et
de l'identité de chacun à l'égard des codes culturels
propres au contexte où on évolue. « Our
subjectivity and identity, affirme-t-elle, are formed in the
definitions of desire which encircle us »65(*). Peut-être faut-il
préalablement élaborer une fiche biographique de J.M. Coetzee et
Nadine Gordimer pour mettre en évidence leur appartenance au groupe
dominant.
I-2- Repères
biographiques de Coetzee et de Gordimer
J.M. Coetzee66(*) est descendant des Afrikaners qui mirent sur pied le
système ségrégationniste de l'Apartheid en Afrique du Sud.
Il est né au Cap le 9 février 1940 d'une mère institutrice
et d'un père procureur. Ce dernier servit de 1941 à 1945
l'Armée sud-africaine en Afrique du Nord et en Italie aux
côtés des Alliés. Bien que ses parents soient Afrikaners,
la langue usuelle dans la famille est l'Anglais.
Coetzee reçoit son éducation primaire au Cap et
à Worcester. Son éducation secondaire a lieu dans une institution
gérée par l'ordre catholique dénommée
« Marist Brothers ». À 21 ans, Coetzee
rejoint l'Angleterre pour y mener ses études supérieures. Il y
étudie la langue anglaise et les mathématiques. Il y obtient sa
licence et décroche plus tard une maîtrise portant sur le
romancier anglais Ford Madox Ford. Coetzee travaille à Londres de 1962
à 1963 en tant que programmeur pour International Business Machines
(IBM), puis pour International Computers à Bracknell. Il quitte
l'Angleterre à l'âge de 25 ans à la poursuite d'une
carrière universitaire. À nouveau, il poursuit des études
d'Anglais à l'université du Texas à Austen aux
États-unis, consacrant une partie de son temps à l'anglais ancien
et à la grammaire allemande. En 1968, Coetzee termine un doctorat sur
les écrits du jeune Beckett, intitulé The English Fiction of
Samuel Beckett : An Essay in stylistic Analysis.
De 1968 à 1970, Coetzee est professeur associé
à la State University of New York à Buffalo, Texas. Obligé
de partir des États-unis au début des années soixante-dix,
à cause de sa participation aux manifestations contre la présence
des États-unis au Viêt-Nam, Coetzee rentre en Afrique du Sud. Plus
d'une vingtaine d'années durant, il est professeur d'anglais à
l'Université du Cap. Mais il va fréquemment aux USA où il
enseigne tour à tour à Johns Hopkins University, Harvard
University, Standford University et à l'université de Chicago.
Depuis 2002, moins d'une décennie après la montée des
Noirs au pouvoir en Afrique du Sud, Coetzee émigre en Australie67(*) où il continue
d'enseigner à l'université d'Adelaide au Sud de
l'Australie68(*).
De ces indications biographiques sur Coetzee, il ressort que
celui-ci a hérité de ses parents une identité (langue
anglaise) autre que la leur. Coetzee a cultivé cet héritage
jusqu'à en faire son gagne pain et sa vie.
C'est plutôt dans un récit autobiographique,
Scènes de la vie d'un jeune garçon, que Coetzee expose
la conscience victorienne que ledit héritage visait à lui
inculquer. En effet, dès son jeune âge, Coetzee redoute
déjà la honte qu'entraîne l'échec scolaire ou celle
qu'entraîne le fait de se faire bastonner en classe par la
maîtresse. Le jeune Coetzee redoute tellement la honte qu'il lui
préfère la mort :
Ce qu'il ne pourra pas endurer, c'est la honte. Cette
honte, il le craint sera si terrible, si insurmontable, qu'il se cramponnera
à son pupitre et refusera de bouger quand on l'appellera. Et cela sera
une honte encore plus grande qui le mettra à l'écart des autres
et qui en plus tournera les autres contre lui. Si jamais on l'appelle pour
être battu, ce sera une scène tellement humiliante qu'il n'aura
aucun autre moyen de s'en sortir que de se tuer69(*).
Voilà qui explique peut-être pourquoi Coetzee est
devenu un prodige des réussites scolaires, universitaires et
professionnelles comme on peut le remarquer à travers son curriculum
très impressionnant. Il est dès lors difficile d'éviter la
conclusion que Coetzee est le produit d'un groupe social pour lequel
l'initiative, la bravoure, l'exploit, et le progrès constituent des
critères identifiants. Ces critères correspondent comme on peut
le constater aux caractéristiques de la bourgeoisie occidentale,
laquelle, selon Fanon serait dynamique, pionnière, inventrice et
découvreuse de monde70(*).
Si Coetzee se livre volontiers au travail autobiographique,
Gordimer, elle, se montre plutôt réservée. Kathrin Wagner
est aussi de cet avis lorsqu'elle suggère que :
Gordimer has avoided giving the public much
autobiographical information, remaining largely true to the belief expressed in
an early statement in 1963 that autobiography can't be written until one is
old, can't hurt anyone's feelings, (and) can't be sued for libel, or worse,
contradicted71(*).
C'est dire que la recherche biographique sur Nadine Gordimer
relève pratiquement de la gageure. Néanmoins, Gordimer est
née le 20 novembre 1923 à Springs, près de Johannesburg.
Son père est un bijoutier juif et sa mère britannique. Les deux
parents de Gordimer appartiennent à la « bourgeoisie
aisée et privilégiée sud-africaine »72(*). Pendant sa tendre
enfance, sa mère la considère comme trop faible de coeur au point
de lui éviter tout contact avec l'ambiance extérieure. C'est la
raison pour laquelle Gordimer reçoit son éducation primaire et
secondaire dans un couvent. Elle passe plus tard une année à
l'université de Witwatersrand à Johannesburg.
Au titre de la production littéraire, Gordimer peut
être qualifiée de précoce. Sa première nouvelle
intitulée Come again tomorrow est publiée dans la
section jeunesse du Johannesburg Magazine dénommé Forum
alors qu'elle a 14 ans.
En octobre 2006, le domicile de Gordimer est cambriolé
par des forbans. Elle y est victime d'une agression avec des dommages
physiques légers73(*).
Comparée à John Coetzee, on remarque que Nadine
Gordimer est restée comme prisonnière de Johannesburg
malgré les épreuves qu'elle y a subies. Tout se passe avec elle
comme si, comme Coetzee s'est révélé très
engagé vis-à-vis de la tradition victorienne, Gordimer elle, n'a
plus eu à s'y engager ailleurs qu'à domicile à
Johannesburg.
Les écrits de Gordimer sont souvent marqués des
indices de son appartenance à la classe dirigeante en Afrique du Sud.
Dans une interview accordée à Chris Davies, elle indique par
exemple à mots couverts son engagement pour un enracinement pacifique de
la société capitaliste ou bourgeoise en Afrique du Sud. La
finalité ultime c'est de réaliser une société
capitaliste sud-africaine authentique :
On ne peut pas, affirme-t-elle, attendre d'un
écrivain qu'il reste dans le juste milieu quand ce juste milieu n'existe
pas. Un écrivain traite de ce qui dans cette société se
trouve autour de lui, ou autour d'elle. C'est un fait, on en a la preuve dans
ce que les gens vivent, dans la société sud-africaine, il n'y a
pas de juste milieu (...) Je ne peux pas inventer un juste milieu qui
n'existe pas, je ne peux parler que de ce qui existe, de l'absence d'un juste
milieu (...) Si jamais cela se produit, et si à ce moment
là les Africains noirs l'acceptent, alors nous aurons une nouvelle
culture, vraiment autochtone et c'est là que je sens mon
engagement74(*).
Si avec l'extrait ci-dessus, le doute quant à
l'engagement de Gordimer pour des valeurs progressistes de sa classe sociale
semble persister du fait de la rhétorique abstraite que Gordimer lui
préfère, son roman A world of strangers ressort de
façon plus explicite cet engagement75(*). Aussi m'apuierais-je sur Michaël K., sa
vie, son temps de J.M. Coetzee pour exposer les différences et les
similitudes entre ces romans.
I -3 - A world of strangers et
Michael K., sa vie, son temps: romans de la conscience de classe
Deux éléments méthodologiques du montage
de A world of strangers et de Michaël K., sa vie, son
temps mettent en évidence non seulement la quasi similitude de
l'orientation idéologique et esthétique de leurs auteurs, mais
surtout leur engagement à perpétuer des valeurs et des normes du
groupe dominant dont ils sont respectivement issus. Il s'agit des
éléments typiques au bildungsroman et au roman libéral.
I-3-1- A world of strangers,
Michaël K., sa vie, son temps: romans de formation
Encore appelé roman de formation, le bildungsroman est
un sous-genre romanesque apparu avec le romantisme76(*).Ce modèle de roman
utilise, en lieu et place d'une intrigue romanesque, les aléas de la
biographie d'un héros, généralement de sa jeunesse
à sa maturité. Le bildungsroman montre comment une
personnalité se construit, et construit ses valeurs, dans le heurt avec
la réalité et avec autrui.
À la question de savoir si A world of strangers
et Michaël K., sa vie, son temps adoptent le bildungsroman
comme modèle de montage, il est difficile de ne pas répondre par
l'affirmative. Michaël K., sa vie, son temps77(*) s'ouvre par exemple sur
la naissance du personnage central qu'Anna K., sa mère, choisit
d'appeler Michaël K. Le nouveau né, nous apprend-on, naît
avec une malformation de la bouche dont il souffrira tout au long de son
parcours dans la diégèse :
Ce que la sage-femme remarqua d'abord chez Michaël K.
lorsqu'elle l'aida à sortir du ventre de sa mère, ce fut son
bec-de-lièvre. La lèvre se retroussait comme un pied
d'escargot ; la narine gauche s'ouvrait, béante (...) Mais
Anna K. ne se fit jamais à cette bouche qui refusait de se fermer,
à la chair rose, vivante (...) Elle frissonnait en pensant
à cet être qui s'était développé en elle au
fil des mois. L'enfant n'arrivait pas à prendre le sein et pleurait de
faim. Elle essaya le biberon ; comme il n'arrivait pas non plus à
tirer sur la tétine, elle le nourrit à la petite cuillère,
exaspéré quand il toussait, crachait et pleurait.
(MK. : 11)
Michaël K. est ensuite inscrit dans une école,
puis confié à la protection de l'institution Huis Norenius qui
s'occupe des enfants victimes de malheurs et d'infortunes diverses. On leur
apprend dans cette institution à « lire, écrire,
compter, balayer, récurer, faire les lits et la vaisselle, confectionner
des paniers en vannerie, travailler le bois, manier la pelle et la
pioche » (MK. :12)
Michaël K. commence à exercer comme jardinier,
échelon 3(b) au service des parcs et jardins publics de la
municipalité du Cap à l'âge de 15 ans. Trois ans plus tard,
il est employé comme gardien de nuit aux toilettes publiques de
Greenmarket Square. Apres une agression par des malfrats contre sa personne, il
renonce au travail de gardien de nuit et retrouve les parcs et jardins.
À l'âge de 31 ans, Michaël K. apprend que
sa mère, gravement malade, a besoin de son soutien. C'est ici qu'il
démissionne des parcs et jardins pour se rendre à Sommerset
Hospital où il rejoint sa mère avec qui, il va demeurer le
restant de ses jours. Cette dernière finit par rendre l'âme suite
à la conjugaison de la maladie qui la rongeait avec la lenteur des
médecins à prendre soin d'elle.
L'intrigue se poursuit par des cycles de tribulations de
Michaël K. respectivement dans le veld, dans les rues de Kimberley,
à Brandvlei, à Beaufort West, à Vitenhage, à
Stellenbosch, à Price Albert où il enterre les cendres de sa
défunte mère, à Worcester, et au Grand Karoo. Ce sont des
cadres spatiaux réels en Afrique du Sud auxquels a
régulièrement recours le roman.
Un moment important du récit a lieu dans un camp
purement fictif, mais qui n'est sans suggérer plus d'un milieu de
détention propre au contexte des lois iniques de l'apartheid ou plus
globalement de l'Afrique du Sud. C'est le camp de Jakkalsdrif où
Michaël K. est mis en détention par des hommes en tenue peu
scrupuleux et dévoués à servir le système en place.
Obsédé par la liberté78(*) qu'il ne trouve pas à Jakkalsdrif,
Michaël s'évade du camp malgré son apparence chétive
et maladive comme s'il s'agissait de répéter ses
précédentes démissions.
Le récit s'achève par un Michaël K., qui
continue de démontrer la prodigalité incommensurable par rapport
à la résistance dont est dépositaire le genre humain. Il
vient à nouveau de s'enfuir du camp de Jakkalsdrif à destination
de Sea Point après avoir défié le médecin
militaire, Noël, et Felicity, tous employés au camp qui ont
tenté, en vain, de l'intéresser à la nourriture :
Tu es, avoue le médecin militaire, un
phasme, Michaël, un de ces insectes semblables à une brindille qui
ne se protègent d'un univers de prédateurs que par leur forme
bizarre. Tu es un phasme qui a atterri, Dieu sait comment, au milieu d'une
vaste plaine déserte, nue, et bétonnée.
(MK. : 180)
Le médecin militaire finit par cerner le
phénomène Michaël K. comme un modèle. Michaël
parti, il commence à réaliser la profondeur du message dont
Michaël est l'interprète :
En vérité, j'ai eu ma chance, et je l'ai
laissée filer avant même de m'en rendre compte. La nuit où
Michaels s'est sauvé, j'aurais dû le suivre. (...) Si
j'avais pris Michaels au sérieux, j'aurais été près
en permanence. J'aurais gardé un baluchon à portée de la
main, avec des vêtements de rechange, un porte-monnaie plein, une boite
d'allumettes, un paquet de biscuits et une boite de sardine. Je ne l'aurais
jamais laissé sortir de mon champ de vision. (MK. :
194)
Il ressort de l'itinéraire de Michaël K. qu'il est
un sujet irréversiblement en quête de lui-même. Il est
profondément conscient des potentialités dont il est
dépositaire en tant qu'humain pour se réaliser sans aide
provenant de ses pairs. Michaël K. a cultivé cet état
d'esprit depuis fort longtemps. C'est le cas par exemple lors de son passage
à Huis Norenius :
Un des professeurs avait coutume de forcer ses
élèves à rester assis les mains sur la tête, les
lèvres serrées et les yeux fermés, pendant qu'il passait
dans les rangs, sa longue règle à la main. Avec le temps, cette
posture cessa de représenter une punition pour K et devint une voie
d'accès à la rêverie. (MK. : 87)
Difficile de ne pas remarquer que Michaël K., dans ce
roman, adopte une conduite similaire à celle que devrait avoir un
guerrier d'après Sun Tse, le théoricien de la guerre :
Quelque critiques que puissent être la situation et
les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de
rien ; c'est dans les occasions où tout est à craindre qu'il
ne faut rien craindre ; c'est lorsqu'on est environné de tous les
dangers, qu'il n'en faut redouter aucun ; c'est lorsqu'on est sans aucune
ressource, qu'il faut compter sur toutes ; c'est lorsqu'on est surpris,
qu'il faut surprendre l'ennemi lui-même79(*).
Michaël K. ne se contente pas seulement de donner des
leçons. Il s'emploie aussi à tracer, à préciser le
contexte dans lequel ses leçons de résistance devraient prendre
forme. Le résistant sud-africain devrait exceller dans l'effacement de
ses traces dans la métropole pour se constituer comme sujet autonome,
authentique, et dont le point de vue pourra désormais compter
mondialement :
Je veux vivre, déclare-t-il, ici pour toujours, ici
où ma mère et ma grand-mère ont vécu. C'est aussi
simple que ça. Quel dommage que pour vivre en des temps comme ceux-ci,
un homme doive être prêt à vivre comme une bête. Un
homme qui veut vivre ne peut pas vivre dans une maison où il y a de la
lumière aux fenêtres. Il doit vivre dans un trou et se cacher
pendant le jour. Pour vivre, il faut qu'il ne laisse aucune trace de sa vie.
Voilà où nous en sommes arrivés. (MK. :
121)
Autrement dit, pour qu'il soit authentiquement sujet de
l'histoire, le Sud-africain, comme Michaël K., devrait « effacer
l'empreinte de ses pas » (MK. : 120), il devrait
considérer comme des mentors ces Blancs, à l'instar de Jacobus
Coetzee80(*), qui ont
choisi de couper les ponts avec la Hollande pour renaître et devenir des
Afrikaners. Comme Jacobus a exploré l'intérieur de l'Afrique du
Sud, Michaël K., lui, explore les forêts, les velds ou les brousses
de son pays. C'est la raison pour laquelle Rita Barnard voit en
Michaël K. sa vie, son temps une manifestation
caractéristique du roman pastoral sud-arficain :
K's mode of farming, écrit -elle, rewrites, both
despite and because of its invisibility, the rules of the game of the South
African pastoral. He reserves the idea of plenty through starvation, the idea
of self-affirmation through self-erasure, the idea of rural dwelling and
settlement through drifting habitation. In this ways he keeps alive the idea of
gardening in a time of war81(*).
Étant donné que le roman pastoral consiste le
plus souvent en amours contrariés, et le dénouement est en
général l'union des couples longtemps séparés par
des aventures diverses, on peut conclure que Coetzee suggère dans
Michaël K., sa vie, son temps la nécessaire prise en
charge des terres ou des forêts en Afrique du Sud par l'Afrikaner. De
cette prise en charge dépend sans doute une plus grande cohésion
du groupe.
A world of strangers82(*) contient moins d'éléments
constitutifs du roman de formation que Michaël K., sa vie son
temps. Mais il n'en constitue pas moins un. En effet, Toby Hood,
personnage central de A world of strangers est un jeune homme issu de
la bourgeoisie anglaise. Il arrive à Johannesburg à seule fin de
relayer Arthur Hollward, patron depuis plus de 15 ans de la firme Aden Parrot
appartenant à la famille. Toby est affecté par Aden Parrot, dans
le pays de l'Apartheid avec pour mission d'inspecter les librairies et de
promouvoir la commercialisation du livre. (AS :36)
Dans la jeunesse de Toby en Angleterre, on peut
s'arrêter sur une scène qui permet d'établir un
parallèle avec la conduite de Michaël dans Michaël K., sa
vie, son temps. Toby affectionne en effet non seulement
l'épée mais aussi une citation de l'ancien colonel de
l'armée que fut son grand-père. Ce dernier s'était servi
de ladite épée pour stopper les Boers. Seulement, l'objet de
désir du jeune Toby est la cause du chagrin de ses parents. Alors qu'il
désire que cet héritage soit mis en exergue dans la salle de
séjour familiale, sa mère s'en offusque vivement et lui
réplique : «Toby, you don't want to hang that thing up
there, really, darling ... Toby, I will not have that thing hanging here or
anywhere. Not the sword. Not the citation. Positively not. »
(AS : 33)
C'est en se souvenant que les Boers ont été des
adversaires réels des Anglais alors décidés de prendre les
terres des Afrikaners d'origine hollandaise que l'on comprend que la venue de
Toby en Afrique du Sud n'est pas un fait de hasard. Aussi faut-il
considérer le chagrin de la mère de Toby face à
l'épée du grand-père comme un embrayeur disposé
à l'intention du lecteur idéal afin qu'il ou elle y voit la
direction que Gordimer aimerait voir l'Afrique du Sud prendre : une
Afrique du Sud où les diverses communautés vivraient en
harmonie. Cette réflexion est d'autant plus crédible que Gordimer
estime que « la poésie est à la fois une cachette et un
haut parleur.»83(*)
De la scène avec l'épée, on se rend
compte que le jeune Toby présente déjà des dispositions
à produire le contraire de ce que ses parents attendent de lui. Ce sens
de la désobéissance se développe progressivement chez
Toby. Alors que par exemple les siens attendent de lui qu'en allant en Afrique
du Sud, il leur rapporte des faits et réalités de la
ségrégation raciale, Toby les défie en réagissant
de la manière suivante :
I want to live! I want to see people who interest me and
amuse me, black, white, or any colour. I want to take care of my own
relationships with men and women who come into my life, and let the
abstractions of race and politics go hang. I want to live! And to hell with you
all! (AS : 36)
Parvenu en Afrique du Sud, le besoin de rompre avec les
normes ou valeurs de son groupe social se radicalise. Toby se lie en effet
d'amitié avec l'artiste noir Steven Sitole. Toby, se dresse pratiquement
contre les normes et les codes du groupe auquel il appartient.
Il fréquente des townships souvent jusqu'à tard
dans la nuit. Il introduit des Noirs dans l'appartement réservé
aux Blancs bourgeois que la compagnie Aden Parrot loue pour lui. À
cause de ce dernier sacrilège, sa bailleresse, Mme Jarvis se trouve dans
l'obligation de rappeler Toby à l'ordre :
I wanna tell yoo, Mr Hood, whatever yoo been used to, this
is'n a location84(*), yoo
can't 'ev natives. If yoo bringing natives, yoo'll 'ev to go... Yoo can't bring
kaffirs in my bullding... Sitting there like this is a bloody backyard
location, I mean to say, the other tenants is got a right to 've yoo thrown
out. Kaffir women coming here, behaving like scum, living with decent people.
Wha'd'yoo think, sitting here with kaffirs... (AS : 216)
Malgré ce rappel à l'ordre, Toby continue de
passer plus de temps avec le dramaturge Sitole, faisant progressivement des
découvertes sur la réalité des townships.
Tout se passe avec Toby comme s'il se découvre la
mission d'explorer l'univers du Noir en Afrique du Sud. Son altruisme
vis-à-vis de Sitole lui permet d'exposer un des multiples enjeux de sa
démarche : le Noir, symbolisé par Sitole, finit par perdre
toute méfiance à l'égard du Blanc. Aussi est-il ouvert
à ce Noir la voie des confusions fallacieuses au sujet du Blanc. Steven
Sitole cesse par exemple de voir dans l'insensibilité de Toby
vis-à-vis des femmes noires une conduite raciste alors que la
vérité est bien toute autre :
I understood, note Toby, that he (Sitole) meant what he
said; it was a cover for some reservation he had about me, some vague
resentment at the fact that I had not been attracted by any African woman. He,
I knew, did not suspect me of any trace of colour-prejudice; he attributed my
lack of response to something far more wounding, because valid in the world
outside colour, he believed that African women were simply not my physical
concomitants. It was a slight to him; hypothetically, he had shown me some
woman he had possessed and I had detracted from his possession by finding her
unbeautiful. (AS : 215)
Que ce soit Toby qui fasse ces observations, porte à
croire que celui-ci expérimente une conduite qu'il suggère par
le même coup à son groupe. En s'écartant des normes et
conduites de son groupe, Toby le rejoint plus subtilement dans la mesure
où il dérive une domination qui prend en charge non plus le corps
physique du noir, mais sa psychologie. Toby reprend à sa manière
les thèses sur l'humanisation des peines que Michel Foucault
développe partant du détenu Damien dans Surveiller et
punir85(*). Toby est
d'ailleurs conscient du paradoxe nécessaire sur lequel repose sa
démarche: « a man should have to lose himself (...) in
order to find himself » (AS : 34), pense-t-il.
Toby est donc décidément engagé à
connaître le Noir, non pas tellement pour le sortir du ghetto, mais pour
lui faire ignorer que sa place est dans le ghetto. Il s'agit pour Toby de
plonger le Noir dans un sommeil profond. Sinon, comment comprendre que quelques
jours avant le décès de Sitole, Toby et ses amis Blancs
traînent dans la brousse où ils vont faire la chasse de trois
esclaves noirs pour leur assurer des petites taches telles que puiser de l'eau,
ramasser du bois ou faire les lits ? (AS : 239)
Sam est, aux yeux de Toby, le Noir idéal. Cet homme
avec qui Toby passe le plus son temps, après que Sitole soit mort suite
à un accident de circulation, envie les valeurs et gadgets en provenance
du milieu auquel Toby appartient. Dans l'extrait suivant, Sam se maudit en tant
que Noir et entrevoit son bonheur dans les termes que lui prête l'univers
de Toby :
Toby, the black skin's not the thing. If you know anybody
who wants to know what it's like to be a black man, this is it. No matter how
much you manage to do for yourself, it's not enough. If you've got a decent job
with decent money it can't do you much good, because it's got to spread so far.
You're always a rich man compared with your sister or your brother, or your
wife's cousins. You can't ever get out of debt while there's one member of the
family who has to pay a fine or get sick and go to hospital. And so it goes on.
If I get an increase, what'll it help me? Someone'll have to have it to pay tax
or get a set of false teeth. (AS : 255)
La conséquence de la convoitise de Sam
vis-à-vis des valeurs du monde de Toby est une espèce de regard
pathologiquement horrifié en direction de son identité, de sa
personnalité ou de son espace d'origine. Cette claustrophobie raciale
explique l'émerveillement de Sam pour des valeurs de l'univers de Toby
et le conditionne à refouler son pouvoir de s'engager à
bras-le-corps pour une amélioration endogène des conditions de
vie de son univers. C'est la raison pour laquelle Sam se métamorphose en
conducteur et réparateur de la voiture de Toby, le temps du
séjour de ce dernier à Cape Town à la fin du récit.
(AS: 264) Toby y va en effet pour poursuivre ses obligations
professionnelles.
Comparé à l'intrigue d'Une saison blanche
et sèche d'André Brink86(*), où Ben Du Toit, personnage central blanc,
meurt au même titre que Jonathan Gubene et Gordon Gubene le père
de Jonathan, Toby, dans A world of strangers, poursuit tranquillement
sa mission en Afrique du Sud après la mort de Sitole qu'il a pourtant
cru devoir soutenir. Voilà qui trace une ligne de démarcation
radicale entre l'esthétique de Gordimer et celle de Brink. Ce dernier
réussit à réaliser ce que Nick Visser appelle la fiction
radicale lorsqu'il développe le concept de roman libéral87(*).
Pour tout dire, au moyen de Toby se construisant dans les
heurts avec la réalité et avec autrui, Gordimer traduit sa vision
du monde qui ne s'éloigne pas assez de celle de son
congénère John Coetzee. Cette vision du monde, Kathrin Wagner
l'expose en des termes suivants: « Gordimer's necessary
entrapment in both class and historical moment in South Africa makes her
unavoidably vulnerable to the unconscious inscriptions of its stereotypes and
clichés despite her sharp awareness of such dangers »88(*).
I-3-2- Michaël K., sa vie,
son temps ; A world of strangers : romans libéraux
Le petit Larousse illustré définit le
libéralisme comme la doctrine des partisans de la libre entreprise,
doctrine qui s'oppose au socialisme et au dirigisme. C'est aussi une
théorie selon laquelle l'État n'a pas à intervenir dans
les relations économiques qui existent entre les individus, classes ou
nations. Le roman libéral peut dès lors être perçu
comme roman idéologiquement solidaire avec la doctrine libérale.
Nick Visser l'un des théoriciens importants du roman libéral, en
dégage quelques critères caractéristiques dont je me sers
pour analyser les romans de Gordimer et de Coetzee. À propos, Nick
Visser écrit:
Liberal narrative is marked by the way it privileges the
individual consciousness, focusing on the autonomy and self-realization of the
individual character. At the core of liberal narrative is the assumption that
the individual, as the origin of meaning and value, come to a knowledge of
½truth½ or ½reality½ through experience and introspection.
By way of corollary to its emphasis on consciousness, liberal narrative
systematically translates social, political, and economic categories into
moral, ethical, and experiential terms. Broader material and social forces are
measured in their relation to the conscious subject and take on significance
insofar as they give coherence to individual experience. Such methodological
individualism is consistent with certain kinds of political commitment89(*).
En d'autres termes, le roman libéral présente un
ou des personnages dont le mobile moteur de leur action ou quête est
l'expérience personnelle ou plus simplement la conscience individuelle.
C'est un roman profondément politique, économique et social qui
se donne de prime abord à lire comme un roman moral. Autrement dit, la
morale sur laquelle ce type de roman se construit n'est vrai qu'en tant que
trope dont le véritable sens encodé est à chercher sinon
du côté du politique, du social, du moins du côté de
l'économique. Il s'agit d'un roman dans lequel le personnage campe, de
par sa conduite, ce que Georges Lukacs appelle la «
typification ». C'est la situation où le personnage,
conscient de la quantité de savoirs que les générations
antérieures ont produits, incarne des possibilités innombrables
et s'en sert à seule fin de se réaliser. Ce personnage n'est
« neither average, eccentric nor ½ crudely ½
illustrative ; he should be one who reacts with his entire personality to
the life of his age, for in him the determining factors of a particular
historical phase are to be found... in concentrated form »90(*).
Lorsqu'on sait combien Gordimer a été
influencée par les travaux de Lukacs91(*), on comprend l'obstination de Stephen Clingman
à lire les personnages de Nadine Gordimer comme illustratifs de la
« typification ». Pour Clingman, les personnages de Gordimer
devraient être perçus comme :
extreme condensations of more widely dispersed traits and
possibilities, a feeling for the socially typical - those ostensibly essential
features that represent a whole mood and moment... It is a technique based upon
a principle of significance which selects the extreme embodiment and ignores
the particular exceptions92(*).
C'est le cas dans A world of strangers, où
Toby se lie d'amitié avec Sitole et réussit à
court-circuiter sinon l'idée de son appartenance à la haute
bourgeoisie, du moins, celle de son souci à assurer à cette
bourgeoisie une place au soleil en Afrique du Sud. De ce point de vue, la
réaction violente de Mme Jarvis sur laquelle nous nous sommes
arrêtés plus haut, se conçoit comme une subtilité
chez Gordimer à construire un Toby dont l'ambition est de cacher au
lecteur peu avisé ses dispositions racistes. Gordimer ne
reconnaît-elle pas elle-même que la poésie serait à
la fois une cachette et un haut parleur ?
On peut souligner au passage le geste intellectuel
éloquent de Gordimer. En effet, elle bouleverse les comportements tant
chez le Blanc que chez le Noir. En réussissant à faire perdre la
méfiance du Noir à son égard, Toby irrite, inquiète
le Blanc, qui comme Mme Jarvis se satisfait de la fixité de surface dans
les rapports entre Blancs et Noirs. Cette observation souligne encore la
typification dont Toby est l'incarnation dans A world of strangers.
Les quelques éléments relevés ici nous
semblent suffisant pour faire de A world of strangers un roman
libéral. Aussi peut-on y voir le lieu d'illustration de la
conceptualisation de la fiction chez Nadine Gordimer qui a souvent
soutenu que sa fiction n'a jamais été moins vraie que ses
essais.
Michaël K, dans Michaël K., sa vie, son
temps semble plus rigoureusement correspondre au personnage idéal
du roman libéral. En effet, il n'est pas exagéré de dire
de Michaël K., qu'il est un personnage qui refuse toute forme d'aide
provenant de qui que ce soit, excepté, de lui-même. Michaël
K. est une illustration de ce que les anglo-saxons appellent un self made man.
Son escale au camp de Jakkalsdrif constitue un début de preuve.
Alors que ses gardes estiment sa condition au camp meilleure,
parce qu'il y est nourri et logé, Michaël K. les défie en
préférant au camp la vie de bohème : « Je
n'ai pas tout le temps besoin de manger. Quand j'aurai besoin de manger, je
travaillerai.» (MK. : 105)
Dans le veld, après son évasion du camp de
Jakkalsdrif, Michaël est rattrapé par des hommes en treillis qui,
pris de pitié au regard de son apparence, lui proposent à manger.
Mais, Michaël K. décline l'offre :
"Mange mon gars !" dit son bienfaiteur. "Prends un
peu de forces !" Il prit le sandwich et le mordit. Avant qu'il ait pu
mâcher, son estomac fut secoué de nausées sèches. La
tête entre les genoux, il cracha la bouchée de pain et de
charcuterie et rendit le sandwich au soldat. (MK. : 146)
Pourtant, Michaël mange volontiers des melons qu'il a
lui-même produit dans le veld où il a provisoirement trouvé
refuge avant que les bienfaiteurs ci-dessus le rattrapent : «
puis les melons mûrirent. Il mangea ces deux enfants en deux jours,
priant pour qu'ils lui apportent la santé. Il eut l'impression d'aller
mieux après les avoir mangés, bien qu'il se sentit
faible.» (MK. : 143)
Michaël K. traduit l'état d'esprit du bourgeois
qui sait avant tout compter sur lui-même quelles que soient les
conditions dans lesquelles il se trouve. Cependant, le statut racial de
Michaël que le récit tait représente une espèce de
clôture constitutive de l'originalité du roman, dont une des
implications est d'interdire au lecteur peu avisé, de voir en
Michaël K, un personnage symbolisant la bourgeoisie ou le groupe dominant.
Or, pour qui connaît le rêve Afrikaner en Afrique
du Sud, il est inimaginable d'associer le personnage Michaël K. avec un
autre groupe social sud-africain que celui des Afrikaners. En effet, comme
Michaël K « s'autorise à espérer que tout ira
bien » (MK. : 137), après qu'il a tenté
« d'effacer l'emprunte de ses pas » (MK. :
120), les Afrikaners, eux, ont pensé leur bonheur exclusivement possible
en coupant les ponts avec la Hollande. Rita Barnard n'en pense pas autre chose
lorsqu'elle écrit :
The protagonist's racial status is, of course, essential
to the novel's demystificatory operations. Adopting K's perspective allows
Coetzee to reveal the dystopian dimensions of the Afrikaner's dream topography
of beloved farms and fences...93(*)
En guise de conclusion, des romans de Gordimer et de Coetzee
sur lesquels a porté mon investigation, il ressort un inconditionnel
attachement de leurs auteurs aux valeurs, aux normes et aux principes du groupe
social auquel ils appartiennent. Ces écrivains proposent parfois des
pistes que la bourgeoisie sud-africaine aurait dû emprunter pour
s'améliorer.
Dans ce chapitre liminaire, j'ai voulu mettre en
évidence l'espace sud-africain imaginé par J.M. Coetzee dans
Michaël K, sa vie son temps et Nadine Gordimer dans A world
of strangers. Il s'est révélé que pendant
l'apartheid, ces deux écrivains sont préoccupés par le
sort de l'espace auquel ils appartiennent en Afrique du Sud. Avant cela, je me
suis essayé à un travail de « reconstruction de la
genèse » de Coetzee et de Gordimer comme l'aurait dit
Bourdieu,94(*) question de
mettre en perspective les résultats auxquels je suis parvenu à ce
niveau de ma recherche.
À présent, j'envisage traiter des ruptures et
des continuités telles que je l'ai annoncé dans ma
problématique. Il s'agira de voir si, plus d'une décennie
après le démantèlement de l'apartheid, les écrits
de Gordimer et de Coetzee ont changé de perspective, tant du point de
vue esthétique qu'idéologique.
CHAPITRE II : RUPTURES
ET CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE POST-APARTHEID DE
COTZEE ET GORDIMER
On a vu, dans le précédent chapitre que
l'intrigue de Michaël K, sa vie, son temps et de A World of
strangers autorisait de lire ces romans comme profondément
centrés sur le sort, le destin ou le devenir de l'espace sud-africain en
construction par le Blanc capitaliste et colonisateur. Dans le présent
chapitre, il s'agit de s'intéresser à Get a life et
à Elizabeth Costello. La finalité c'est d'examiner si la
veine ci-dessus a connu des ruptures ou si elle demeure, compte tenu de
l'intervalle de temps et des bouleversements historiques dont l'Afrique du Sud
a été l'objet. Le propos est d'exposer sous quelles
modalités ces ruptures ou continuités s'insèrent dans ces
deux récits post-apartheid respectivement de Nadine Gordimer et de J.M.
Coetzee.
Méthodologiquement, je ne me limiterai plus simplement
à confronter les récits à quelques modèles de
montage du roman. Je m'intéresse plutôt à l'écriture
de Get a life et d'Elizabeth Costello, à la
lumière des travaux réalisés dans le cadre de
l'étude scientifique des récits et de la description
structurale95(*). Je
m'appuie plus particulièrement sur des théoriciens tels Philippe
Hamon, Real Ouellet, Roland Bourneuf, Yves Reuter, Gérard Genette,
Dorrit Cohn et bien d'autres. L'enjeu de la démarche que j'adopte dans
ce chapitre est double : d'abord, obvier à la monotonie
méthodologique et terminologique ; ensuite, varier les lieux de
manifestation des ruptures ou des continuités déchiffrables dans
Get a life et Elizabeth Costello.
Un déblayage sémantique préalable des
notions de récit et d'écriture aiderait peut-être à
admettre plus facilement leur interchangeabilité dans mon analyse.
L'écriture se rapporte à ce qu'Yves Reuter
appelle « la mise en texte ». Cette
dernière, précise Reuter
réalise concrètement la fiction
(diégèse) et la narration (ensemble des choix techniques
(...) selon lesquels la fiction est mise en scène ou
racontée) dans des mots, des phrases, des figures de style... Elle
renvoie à la « surface » du texte tel qu'on le
lit. Si la fiction et la narration la déterminent, elle possède
cependant son autonomie : la même histoire, avec les mêmes
choix narratifs, peut être racontée avec des mots et une syntaxe
différents96(*).
Voilà qui souligne à demi-mot la dimension
stylistique et idiosyncrasique de l'écriture. C'est cette
dernière que Roland Barthes met en exergue lorsqu'il fait observer
que : Entre la langue et le style, il y a place pour une autre
réalité : l'écriture (...) Dans n'importe
quelle forme littéraire, il y a le choix général d'un ton,
d'un ethos, si l'on veut, et c'est ici précisément que
l'écrivain s'individualise clairement, parce que c'est ici qu'il
s'engage97(*).
Le récit est plutôt un concept qui prête
à équivoque et l'une des difficultés majeures de la
narratologie résiderait selon Genette dans son ambiguïté.
Sous ce terme, écrit-Genette, il faut
discerner notamment trois notions distinctes (...) : histoire
[c'est-à-dire] le signifié ou contenu narratif (même si le
contenu se trouve être, en occurrence, d'une faible intensité
dramatique ou teneur événementielle), récit
[c'est-à-dire] le signifiant, énoncé, discours ou texte
narratif lui-même, et narration [c'est-à-dire] l'acte narratif
producteur et, par extension, l'ensemble de la situation réelle ou
fictive dans laquelle il prend place98(*).
Au regard de ce discernement, il n'est pas
exagéré de dire que, comparé à la
théorisation de l'écriture chez Reuter, seule la terminologie est
modifiée. Le fond chez les deux se recoupe pourtant rigoureusement. En
effet, le récit, dans sa seconde acceptation chez Genette s'affirme
comme pendant de l'écriture ou de mise en texte chez Reuter. Le
récit est d'abord un choix de mots, de style ou de syntaxe. Il est
ensuite leur arrangement technique en texte destiné au lecteur. Voici
qui rejoint de façon convaincante la dimension stylistique et
idiosyncrasique de l'écriture telle que soulignée plus haut.
Il reste maintenant à indiquer comment, pratiquement,
j'entends étudier l'écriture romanesque post-apartheid chez
Coetzee et Gordimer dans ce chapitre. D'abord, j'envisage Elizabeth
Costello et Get a life comme des « tissu(s) de
relations étroites entre l'acte narratif, ses protagonistes, ses
déterminants spatio-temporels, son rapport aux autres situations
narratives impliquées dans le même
récit »99(*). Il s'agit tout d'abord de porter
l'intérêt à ce qu'on peut appeler
l'énonciativité, c'est-à-dire « le
statut sémiotique de l'énonciation »100(*) dans ces romans. Je renonce
ensuite à toute idée ou prétention à
l'exhaustivité dans l'étude de l'énonciativité pour
m'arrêter sur trois composantes du récit que sont : le
système des personnages, l'espace narratif et la représentation
de la vie intérieure des personnages. La raison en est que ces trois
composantes me paraissent suffisantes pour ressortir des données
convaincantes en rapport avec les ruptures, ou avec les continuités dans
l'écriture de l'espace sud-africain chez Coetzee et Gordimer.
II-1- Le système des
personnages dans Elizabeth Costello et Get a life
Dans un article intitulé « Analyse
structurale des récits », Roland Barthes met en relief
l'importance des personnages dans les récits lorsqu'il fait observer
qu' « il n'existe pas un seul récit au monde sans
personnage! »101(*) Yves Reuter souligne, pour sa part la
pertinence de l'analyse des personnages dans les récits lorsqu'il
écrit :
Les personnages ont un rôle essentiel dans
l'organisation des histoires. Ils déterminent les actions, les
subissent, les relient et leur donnent du sens. D'une certaine façon,
toute histoire est histoire des personnages. C'est pourquoi leur analyse est
fondamentale et a mobilisé nombre de chercheurs102(*).
Philippe Hamon103(*) et Vincent Jouve104(*) comptent parmi ceux qui se sont
particulièrement intéressés aux personnages. C'est
d'ailleurs sur quelques unes de leurs contributions sur la question, que je
m'appuie pour étudier le personnage dans Elizabeth Costello
et Get a life.
En effet, ces deux théoriciens proposent une
conceptualisation du personnage qui convient à l'ambition qui motive mon
étude du personnage dans Elizabeth Costello et Get a
life : exposer comment « sous le mouvement
superficiel (...) de l'histoire vécue par des personnages, un
autre mouvement a lieu, celui de l'Histoire avec grand
H »105(*) ; l'histoire de l'Afrique du Sud au prisme de
l'écriture de J.M. Coetzee et Nadine Gordimer.
Pour Philippe Hamon, le personnage se caractérise par
sa double fonction dans le récit :
Une métaphore de cohérence du texte d'une
part et d'autre part, une résultante, le point nodal anthropomorphe
syncrétique où se recompose, dans la mémoire du lecteur,
et à la dernière ligne du texte, une série d'informations
échelonnées tout le long d'une histoire106(*).
Vincent Jouve quant à lui, distingue chez le personnage
le rôle actanciel et le rôle thématique. Aussi fait-il
observer que « si le rôle actanciel assure le
fonctionnement du récit, le rôle thématique lui, permet de
véhiculer du sens et des valeurs »107(*).
Dans mon étude du personnage, je prends en compte
autant le rôle actanciel ou fonctionnel du personnage que son rôle
thématique ou sémiologique. Je m'inspire plus
particulièrement du modèle d'étude des personnages
développé par Philippe Hamon dans Le personnel du Roman,
modèle qui repose sur deux aspects : l'organisation des personnages
et les modalités du personnage.
II-1-1- L'organisation des
personnages dans Elizabeth Costello et Get a life
Philippe Hamon propose un modèle d'étude de
l'organisation des personnages composé de deux catégories :
les personnages principaux et les personnages secondaires. Les premiers sont
des personnages de premier plan. Ils assurent fonctionnellement la
cohérence du récit. Les personnages secondaires se singularisent
quant à eux de plusieurs manières :
ou bien il apparaît fugitivement, entièrement
absorbé par un rôle ponctuel, épisodique et secondaire,
à remplir ( par exemple assister à un enterrement d'un autre
membre de la famille) ; ou bien il est simplement cité dans la
parole d'un personnage ; (...) il est mis à une certaine
« distance » du reste du personnel romanesque, il n'a
aucune fonctionnalité narrative, il n'oriente ni ne fait avancer
l'action, il ne modifie pas la trajectoire du personnage de premier plan qu'il
contribue cependant, par sa seule présence, à mettre en
relief107(*).
Étant donné que je m'appuie sur deux romans
distincts, j'exclue d'emblée l'idée de procéder à
un repérage exhaustif des personnages fussent-ils secondaires ou
principaux. Je m'intéresse cependant à ceux qui, d'une
manière ou d'une autre ont des points de ressemblances ou de divergences
entre eux dans Elizabeth Costello et Get a life.
L'idée c'est de montrer comment de l'organisation des personnages,
il se dégage déjà quelques caractéristiques propres
à chacune des écritures des deux romans. Je me sers de deux
tableaux pour rendre compte de l'organisation des personnages dans chacun des
deux romans :
Tableau I : Organisation des personnages
dans Get a life108(*)
Personnages principaux
|
Personnages secondaires
|
1-Paul Bannerman : Ecologiste
blanc sud-africain, diplômé des universités et institutions
américaines, anglaises avec une expérience professionnelle
reçue dans des déserts, savanes et forêts de l'Afrique
occidentale et de l'Amérique du Sud. Il est le mari de Berenice aussi
appelée Beni. C'est par ailleurs le père de Nickie. Avant et
après son cancer de la thyroïde, il se dévoue à la
lutte pour préserver l'environnement en Afrique du Sud avec ses amis
noirs Derek et Thapelo.
2-Lyndsay : Blanche
sud-africaine âgée de 59 ans. Aussi appelée Lynd, elle est
diplômée en droit public et Avocate des droits civils. Elle est la
mère de Paul Bannerman. Elle décide, rejoignant à sa
manière la lutte de Paul pour l'Afrique du Sud, d'adopter Klara, jeune
fille adolescente contaminée par le VIH, recueillie par un hospice en
Afrique du Sud.
3-Thapelo : Ancien
détenu du régime raciste institué en 1948 en Afrique du
Sud, ancien membre de la faction armée de l'ANC fondée par Nelson
Mandela l'Umkhonto we Sizwe. Employé dans le récit de la
même compagnie qui emploie Paul, Thapelo est l'un des meilleurs et
efficaces compagnons de lutte de Paul Bannerman. Il rend visite à Paul
chaque fois qu'il en a la possibilité pendant la quarantaine de ce
dernier, lui procurant informations, presses ou journaux question que la
quarantaine ne freine point leur lutte commune contre la destruction
environnementale par le gouvernement Sud-Africain.
4-Derek : Avec Thapelo
et Paul ils forment les bushmates. C'est un autre ami et collègue noir
de Paul Bannerman qui est d'un apport important au groupe.
|
1-Adrian : Blanc
sud-africain âgé de 65 ans. Il a longtemps été
Directeur du matériel et des équipements d'agriculture dans le
ministère y affairant en Afrique du Sud. C'est le père de Paul
Bannerman et époux de Lyndsay. Paléontologiste, anthropologiste
et archéologiste à ses heures, il quitte l'Afrique du Sud pour
s'établir en Norvège avec Hilde, une compagne mexicaine de
fortune qui apprendra à Lyndsay le décès d'Adrian à
la fin du récit.
2-Benni : Diplômée
en Management, agent publicitaire dans une firme internationale établie
en Afrique du Sud. Elle est l'épouse de Paul Bannerman. Pendant la
quarantaine de Paul, elle admet que Paul séjourne dans la maison
parentale, celle de Lyndsay et d'Adrian, se contentant, elle, en l'occasion de
lui rendre visite ou de l'appeler par téléphone.
3-Primerose : Servante noire,
femme de ménage d'Adrian et de Lynd. Elle est chargée
d'apprêter le repas à Paul. Elle apprend à Nicholas
(Nickie) quelques bribes de la langue Zouloue et du Setswana.
4-Charlene Damons :
Travailleuse Sociale noire. Elle est employée par le ministre de la
sécurité sociale. C'est grâce à elle que Lynd fait
la connaissance de Klara puisqu'elle accompagne Lynd pour la première
fois dans l'hospice pour enfants abandonnés où Klara a
été recueillie.
5-Stockhausen (compositeur allemand
né à Mödrath en 1928 et considéré comme chef
de l'école sérielle allemande) et
Penderecki (compositeur Polonais, né
à Debica en 1933. L'un des principaux représentants du
mouvement « tachiste » en musique): Adrian est fan de
ces deux artistes européens dont il souhaite imposer le goût
à Paul et à Lynd.
|
Dans ce tableau qui permet de visualiser l'organisation des
personnages dans Get a life, on peut observer la centralité du
roman sur le combat pour l'amélioration des conditions de vie
(écologiques, sociales...) en Afrique du Sud. Les personnages mis
à une certaine distance par rapport aux personnages centraux, lorsqu'ils
ne mettent pas en relief les traits caractéristiques fondamentaux des
personnages centraux, aident à mieux comprendre pourquoi ils sont
secondaires. Le départ physique d'Adrian et plus tard son
décès en Norvège n'est peut-être que
l'achèvement d'un processus commencé depuis longtemps avec son
admiration des classiques occidentaux de la musique. Et qu'il soit le seul
personnage à être frappé de mort symbolique n'est pas sans
informer sur sa fonction de figurant parmi les autres personnages.
Elizabeth Costello, comparé à Get a
life où les noms des personnages qui assurent
« l'effet de réel »109(*) ne sont pas légion,
semble avoir été conçu conformément à
l'observation de Pierre Larousse à propos des noms employés en
littérature.
Les noms, écrit Pierre Larousse,
employés en littérature, sur la scène ou dans le roman,
ont par eux-mêmes une physionomie, au point que la date d'une oeuvre
littéraire est souvent visible dans les noms seuls des personnages
(...) ; les auteurs contemporains, des plus grands aux moindres,
se sont appliqués à donner à leurs personnages de ces noms
qui constituent déjà, par eux-mêmes, une sorte
d'individualité110(*).
Autrement dit, l'organisation des personnages dans
Elizabeth Costello, permet au lecteur de constater de multiples
correspondances entre les noms des personnages de la diégèse et
des personnages ayant effectivement existés. Peut-être faut-il
d'abord rendre compte de comment les personnages y sont organisés avant
de décider de la signification de ces correspondances ou
coïncidences.
Tableau II : Organisation des personnages
dans Elizabeth Costello111(*)
Personnages principaux
|
Personnages secondaires
|
1-Elizabeth Costello :
Ecrivaine australienne très célèbre et
célébrée tant aux USA qu'en Europe. Elle est née en
1928 à Melbourne et est âgée de 66 ans au début du
récit, laissant s'apercevoir que le récit commence en 1994, date
de la tenue des premières élections multiraciales à
l'issue desquelles Nelson Mandela devient le premier Président Noir en
Afrique du Sud. Costello est l'auteur de 9 romans dont le plus
célèbre est le quatrième The house on Eccles
Street (1969). Costello, comparée à l'Europe ou aux USA
où elle va répétitivement, va en Afrique du Sud deux fois
seulement. La première fois lors d'une croisière ex cursive
à bord du SS Northern Lights. Ici elle ne foule pas véritablement
le sol sud-africain (Cape Town) car cette destination est donnée
à titre indicatif par le narrateur. La deuxième fois c'est
à Marianhill où travaille sa soeur aînée Sister
Briget (Blanche). Elle y va pour prendre part à la
cérémonie de remise des diplômes de Docteur es litterae
humaniores à Briget par l'université de Johannesburg. S'inspirant
régulièrement de Franz Kafka, Costello expose une vision
végétarienne et écologique du monde et condamne les
massacres des animaux par les humains, massacres que les derniers justifient
par des besoins biologiques de consommation. Elle parle aussi beaucoup de
littérature dans ses diverses communications de par le monde,
suggérant toujours qu'elle est influencée par des
théoriciens et penseurs occidentaux.
|
1-John Bernard : fils
d'Elizabeth Costello, professeur de physique et d'astronomie à Apelton
College à Massachusetts. Il est aux côtés de sa mère
lors de ses séjours aux USA.
2-Norma : Épouse de
John, diplômée (PhD) en philosophie mais sans emploi.
3-Francis Bacon : À la
fin du récit, Elizabeth Costello lui affirme par courrier son estime et
sa volonté de le servir, ses idéaux avec.
4-Franz Kafka, Machiavel, Swift, Galilée,
Homère, Aristote, St Augustin, Descartes, Immanuel Kant, Platon, St
Thomas, James Joyce, Montaigne, Wolfgang Köhler, Plutarque, Gandhi,
Jeremy, Bentham, Camus, Hitler, Erasme, Martin Luther, Lorenzo Valla,
Shakespeare, Dostoïevski, Marcel Proust et bien d'autres
sont des auteurs, humanistes, religieux, philosophes, penseurs, chercheurs ou
psychologues ayant influencé Elizabeth Costello lors de sa formation ou
de ses recherches en tant qu'écrivaine. L'origine de la grande
majorité de ces penseurs laisse entrevoir la vision du monde occidentale
que la personnalité d'Elizabeth Costello traduit.
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Un fait est remarquable avec les noms des personnages
convoqués dans Elizabeth Costello. La quasi-totalité, en
commençant par le personnage central, de par leur dénomination
fait prévaloir des coïncidences avec la réalité qui
ne s'auraient être négligées pour la compréhension
du roman. C'est dans cette perspective qu'Elizabeth Costello se
révèle être une construction personnelle de Coetzee partant
des personnages réels que furent John Aloysius Costello et Elizabeth II.
Le premier, né en 1891 et mort en 1976 fut un homme
politique irlandais. Il fit par exemple abroger la loi sur les relations
extérieures, rompant les derniers liens avec le Commonwealth. La
deuxième, elle, est née en 1926 et a été reine du
Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande et chef du Commonwealth. Elle est
considérée comme symbole de l'unité monarchique.
Francis Bacon et les penseurs ayant inspiré Elizabeth
Costello sont autant de dénominations suggestives de l'angle sous lequel
Coetzee place d'emblée son roman. Non seulement la nationalité de
Costello lorsqu'on sait qu'elle est une création d'un Sud-Africain, mais
surtout l'origine de ceux qu'elle considère comme ses devanciers ou ses
inspirateurs induisent à constater une extraversion
caractéristique du roman de J.M. Coetzee. Qu'à cela ne tienne, le
moment semble propice pour souligner quelques lieux communs à Get a
life et Elizabeth Costello à l'issue de l'organisation des
personnages.
Get a life et Elizabeth Costello attestent
explicitement de leur postériorité par rapport à
l'époque de l'Apartheid. Le début d'Elizabeth Costello
en 1994, année de la tenue des premières élections
multiraciales en Afrique du Sud, et la situation d'ancien détenu de
Thapelo pour avoir été membre de l'Umkhonto we Sizwe, en sont
quelques repères chronologiques suggestifs de l'époque
post-apartheid dont traitent ces deux romans.
Seulement, comme pendant l'Apartheid, on remarque chez Coetzee
comme chez Gordimer, une incapacité à envisager un personnage
central qui ne soit pas blanc. Sur ce sujet, il n'est pas exagéré
de dire que malgré l'ère post-apartheid en cours en Afrique du
Sud, Coetzee et Gordimer continuent de produire leurs romans comme si la
métamorphose sociale n'avait point eu d'influence sur eux.
Aussi juste ou cohérente que puisse être cette
conclusion, il n'en demeure pas moins qu'elle est susceptible d'être
considérée à juste titre de hâtive et
précoce, au regard de sa position par rapport à l'ensemble de ma
réflexion. Peut-être que l'étude des modalités des
personnages permettrait aisément de se rendre compte néanmoins de
cette particularité commune à Get a life et à
Elizabeth Costello qu'on ne saurait ne pas relever même
précocement.
II-1-2- Les modalités du
personnage dans Elizabeth Costello et Get a life
Philippe Hamon présente l'importance de l'étude
des modalités du personnage en ces termes:
La théorie des modalités est certainement,
dans la recherche narratologique contemporaine, la branche qui a fait le plus
spectaculairement progresser la connaissance que nous pouvons avoir du
fonctionnement des structures narratives, des récits en
général, et qui a affiné considérablement la
description du problème du personnage en particulier112(*).
C'est dire qu'étudier les modalités du
personnage dans Get a life et dans Elizabeth Costello
aiderait à mettre en évidence la contribution de la
catégorie personnage à la construction du sens dans ces deux
romans. Il convient de préciser que dans mon analyse, il s'agit de
rechercher le sens afin de décider si l'écriture post-apartheid
chez Coetzee et Gordimer témoigne des ruptures ou des continuités
autant stylistiques, thématiques, idéologiques,
qu'épistémologiques en rapport avec leur deux romans
précédemment étudiés.
Bien qu'Hamon détermine trois modalités du
personnage dans ses analyses, je me contenterai d'étudier deux de ces
modalités, compte tenue de leur pertinence pour mes
préoccupations. J'évite ainsi l'étude du vouloir des
personnages parce qu'on la rencontre involontairement dans les questions du
savoir et du pouvoir des personnages. Aussi, faut-il signaler qu'étant
donné la « mise à
distance »113(*) que Coetzee et Gordimer font subir aux personnages
secondaires, je m'intéresse exclusivement aux personnages principaux
dans mon étude des modalités.
II-1-2-1- Le savoir des
personnages
Je m'intéresse au savoir des personnages dans
Elizabeth Costello et Get a life afin d'avoir une plus large
connaissance des personnages. Hamon souligne d'ailleurs l'intérêt
du savoir des personnages lorsqu'il écrit :
Le savoir est certainement la modalité qui, dans le
système des personnages, informe le plus ces mêmes
personnages ; modalité polymorphe, polyvalente, elle contribue
d'abord à qualifier le personnage, à définir un type
particulier de compétence préalable à l'action
(...) ; enfin ce savoir peut circuler
préférentiellement du narrateur au lecteur...114(*)
En d'autres termes, l'examen du savoir des personnages
contribue à définir sous quel angle leur lecture est
révélatrice de fêlures davantage décisives quant
à leur contribution à la construction du sens dans les romans.
Dans Elizabeth Costello, on est aussitôt
impressionné par l'importance aussi bien qualitative que quantitative du
savoir du personnage central. Elizabeth Costello se profile plutôt comme
une prodige des humanités. Son savoir ne s'étend pas seulement
aux philosophes occidentaux de renom comme Descartes, Platon, St Augustin,
Aristote, Wittgenstein..., aux hommes politiques célèbres comme
Gandhi, Hitler, Bentham, Machiavel,...mais aussi bien aux hommes de lettres
comme Montaigne, Camus, Dostoïevski, Swift, Amos Totuola et bien
d'autres.
La pluridisciplinarité du savoir de Costello n'est pas
sans conséquence pour le décodage de la symbolique qu'elle
constitue. Elizabeth Costello est simplement une érudite insatiable de
savoir majoritairement produit par des hommes occidentaux. Le point de vue de
Costello, eu égard à son impressionnant savoir, même s'il
ne compte pas pour Emmanuel Egundu, l'autre écrivain nigérian
qu'elle rencontre lors de la croisière à destination de Cape
Town, devrait compter pour le lecteur comme il compte déjà pour
l'Occident115(*).
En effet, que Coetzee campe dans le personnage Elizabeth
Costello une telle impressionnante culture savante, force le lecteur sinon
à l'admirer, du moins à lui faire confiance au point
d'adhérer par principe à ses thèses ou à ses
idéaux par rapport aux thèmes divers qu'elle aborde en trois
années de célébration le long du récit.
Aussi réussit-elle à faire passer ses
convictions pour la Norme. C'est le cas par exemple lorsqu'elle souligne
l'inexistence de la littérature africaine comparée à la
littérature anglaise ou russe. La scène se passe lors de la
croisière à bord du SS Northen Lights à destination de
Cape Town. À cette occasion, elle a rencontré Emmanuel Egundu, un
ami de longue date qu'elle a perdu de vue depuis fort longtemps. Costello
théorise en effet sur la littérature africaine en réaction
à l'exposé de l'écrivain nigérian Egundu :
The English novel is written in the first place by English
people for English people. That is what makes it the English novel. The Russian
novel is written by Russians for Russians. But the African novel is not written
by Africans for Africans. African novelists may write about Africa, about
African experiences, but they seem to me to be glancing over their shoulder all
the time they write, at the foreigners who will read them. Whether they like it
or not, they have accepted the role of interpreter, interpreting Africa to
their readers. Yet how can you explore a World in all its depth if at the same
time you have to explain it to outsiders? (...) It is too much for one
person; it can't be done, not at the deepest level. That it seems to me is the
root of your problem. Having to perform your Africanness at the same time as
you write (EC: 51)
Même si Boniface Mongo-Mboussa voit dans cette
théorisation de Costello un doigt accusateur que Costello pointe sur
l'absence d'une institution littéraire autonome en Afrique116(*), il n'en demeure pas moins
qu'Elizabeth Costello traite ici d'une Afrique qui serait figée, une
Afrique qui serait simplement « là » comme l'aurait
dit Edward Said117(*).
Une Afrique qui ne demande qu'à être interprétée par
l'Africain pour l'autre. De l'autre côté, elle projette une
Angleterre ou une Russie toutes aussi figées. Costello semble
plutôt convaincue que « les Nations n'auraient d'autre
avenir culturel que l'enfermement dans un particulier limitatif ou, à
l'opposé, la dilution dans un universel
généralisant »118(*).
Par cette forme de conceptualisation, Costello, rejette ou
ignore non seulement l'idée d'une Afrique en construction, mais soutient
l'incapacité des écrivains africains à détourner
à l'institution littéraire occidentale sa matière d'oeuvre
afin de la convertir au profit de l'Afrique et de l'humanité tout court.
Ce modèle de survie que Coetzee concédait pourtant à
Michaël K dans Michaël K., sa vie son temps, est
refusé dans Elizabeth Costello aux écrivains africains.
Voilà qui suggère une vision manichéenne en circulation
dans ce roman, mais les informations jusque là exhumées ne
permettent pas encore de dire avec assurance si cette vision est
partagée par le créateur du personnage d'Elizabeth Costello.
Néanmoins, il n'est pas exagéré de dire
de Costello qu'elle est loin d'admettre ce qu'Édouard Glissant
appelle « la poétique de la
relation », poétique selon laquelle toute identité
figée n'est qu'identité de nom, tandis que la véritable
identité s'étend toujours dans un rapport à
l'autre119(*).
En estimant comprendre le problème dont souffrent les
écrivains africains, Costello n'ignore sans doute pas
que « qu'elle soit de forme passive (la
compréhension) ou active (la représentation) la connaissance
permet toujours à celui qui la détient la manipulation de
l'autre ; le maître du discours sera le maître tout
court »120(*). La supériorité que confère le
savoir ou la connaissance est illustrée à travers Costello selon
qu'on la considère du point de vue actanciel ou du point de vue
sémiologique.
Du point de vue actanciel, le fait qu'elle soit maître
tout court se vérifie au-delà de l'admiration ou de la quasi
divinisation dont elle bénéficie dans les universités
américaines (Appelton, Pennsylvanie, Williamstown, Altona...), en
Australie, aux Pays-Bas ou au Mexique. Dans ce dernier pays, il existe
d'ailleurs une revue trimestrielle intitulée Elizabeth Costello
Newsletter (EC : 2). Celle-ci consacre ses publications aux
prouesses et réalisations d'Elizabeth Costello. La célèbre
écrivaine est exclusivement célébrée,
honorée voire magnifiée en Europe, aux USA et en Australie
où elle a plutôt bonne presse. En outre, la multiplication des
scènes où elle est adulée qui contraste fortement avec la
rareté des fois où elle est plutôt critiquée,
contribue à renforcer le statut de maître chez Costello.
Le pouvoir qu'a Costello d'ébranler des sympathies dans
la plupart des lieux où elle se produit dans la diégèse, a
pour conséquence sur le lecteur, d'ébranler aussi les siennes. Ce
dernier n'a quasiment pas autre choix que de sympathiser avec Costello.
Voilà une démarche qui garantit au lecteur de s'interdire
à desceller quelque gravité ou faiblesse que ce soit dans les
thèses ou les convictions de la savante.
J.M. Coetzee d'Elizabeth Costello comme J.M. Coetzee
de Michaël K, sa vie, son temps n'encourage donc pas son lecteur
à être actif, créatif ou critique vis-à-vis de son
personnage central. J.M. Coetzee continue simplement à forcer
l'admiration ou l'émotion du lecteur, réarticulant ainsi le
principe que Rita Barnard soulignait déjà à propos de
Michaël K, à savoir qu'il faut pratiquement
mériter de lire et de comprendre J.M. Coetzee121(*). C'est dire qu'on peut
admettre sans résistance que le personnage d'Elizabeth Costello renferme
par certains côtés quelques traits de la personnalité de
J.M. Coetzee.
Comparé à Elizabeth Costello où
le personnage central se distingue par une pluridisciplinarité
impressionnante de son savoir, ce qui lui confère
notoriété et respectabilité, Get a life expose
plutôt un personnage de premier plan qui se distingue fortement de celui
dans Elizabeth Costello. Paul Bannerman, écologiste
qualifié de son état, n'exhibe pas comme Elizabeth Costello son
savoir. Tout se passe avec lui comme s'il avait pour ambition de se donner
comme le contraire d'Elizabeth Costello. Tandis que Costello est
vénérée, célébrée et respectée
pour son savoir, Paul semble être de ceux qui pensent comme Paul Valery
qu' « il n'est de véritable savoir que celui qui peut
se changer en être et en substance d'être, c'est-à-dire en
acte»122(*) .
En réalité, Paul Bannerman oriente son savoir
vers l'action politique et sociale. Il oppose une énergique
résistance, avec Derek et Thapelo, aux projets gouvernementaux
d'acquisition nucléaire en Afrique du Sud. L'idée c'est
d'épargner à l'Afrique du Sud et aux pays voisins les
conséquences environnementales importantes découlant des
implantations nucléaires (GL : 15). Paul conteste
également la construction d'une autoroute dont la réalisation
raserait de la carte du monde le pondoland. Il qualifie ce site
écologique comme « the centre of endemism, the great
botanic treasure (...), sixteen million tons of heavy minerals and
eight million tons of ilmenite. One of the biggest mineral sand deposits in the
world » (GL: 84).
Plutôt que de détruire ce grand centre
d'espèces végétales et animales singulières, le
gouvernement gagnerait à en faire un site touristique qui lui
générerait autant d'espèces sonnantes et
trébuchantes que l'autoroute, à la différence que
l'écologie n'en souffrirait pas. Voilà pourquoi Paul pense qu'en
prétendant développer le pays, le gouvernement contribue avec de
tels projets, s'ils venaient à se réaliser, plutôt à
l'appauvrir et à le ruiner. « The government must,
insiste-t-il, vuka (se reveiller)123(*) ! Open their eyes. See what's getting by in the
name of development. All over the country (...) development taking
the form of destruction ». (GL : 84-85)
Que, malgré son activisme et la justesse des raisons de
sa lutte, ses idéaux ne rencontrent de sympathie aucune au sein du
gouvernement sud-africain, souligne le paradoxe et le sentiment
d'inachevé dont est porteur le véritable savoir ; savoir que
Gordimer semble avoir pris le parti de déployer au-travers de Paul
Bannerman. D'entrée de jeu, Paul est atteint d'un cancer de la
thyroïde qui le freine sérieusement dans sa lutte politico-sociale
et environnementale. Sans doute que s'il était dépositaire du
même type de savoir qu'Elizabeth Costello, ce cancer l'aurait
évité et n'aurait pas autant souligné sa fragilité
et sa faillibilité. Nadine Gordimer adopte par ce discours sur le savoir
une démarche moins stériotypée que celle de J.M. Coetzee
chez Elizabeth Costello.
La quarantaine terminée, Paul renoue avec les
recherches dans des forêts, brousses et velds, question de mobiliser
davantage de faits et d'éléments pouvant lui servir, ses amis
aussi, de pièces à conviction afin de dissuader le gouvernement
des réalisations qu'il entend mener. Comme si Gordimer était
résolument décidée à soutenir que le
véritable savoir ne conférait pas automatiquement une place au
soleil, elle n'autorise pas d'espérer un succès automatique dans
la démarche de Paul et de son équipe. Car à la fin du
roman, on voit un gouvernement visiblement décidé à mener
à exécution ses projets :
Minister of environmental Affairs, Van Schalkwyk, has set
aside (abandoned? A for real no-no? May be) a decision made a year before this
month of birth to construct the pondoland Wild coast toll road. And the
Minister of Minerals and Energy, she's announced that the pebble-bed nuclear
reactor is halted. Pending further environmental assessment, yes-oh of course.
(GL : 187)
De l'étude du savoir des personnages dans Get a
life et dans Elizabeth Costello, on peut observer que
comparée à J.M. Coetzee, Nadine Gordimer propose avec Get a
life une démarche conceptuelle sur le savoir qui l'engage sur la
voie des écrivains engagés à se soustraire des
fixités, vices ou extravagances du groupe social auquel elle appartient.
Néanmoins, il demeure le fait qu'il ne lui réussit pas toujours
d'envisager comme personnage central un personnage noir124(*).
II-1-2-2- Le pouvoir des
personnages
Le pouvoir est, dans tout système de personnages,
une catégorie sémantique importante qui vient définir la
compétence du personnage, et notamment constituer des sous-classes
d'actants bien différenciés, selon que ces actants sont puissants
ou impuissants, qu'ils ont les moyens ou non d'agir conformément
à leur vouloir, qu'ils disposent ou non d'adjuvants, que leur pouvoir
est inné ou acquis...125(*).
En d'autres termes, se renseigner sur ce que peuvent les
personnages ou sur le rapport entre leur pouvoir et comment ils s'en servent
pour matérialiser ou réaliser leur vouloir, ou encore sur
l'origine de leur pouvoir (inné ou acquis) n'est pas sans
suggérer la particularité du roman qui autorise ces personnages
à agir. C'est du moins ce que je me propose de démontrer en
analysant le pouvoir des personnages dans Get a life et Elizabeth
Costello.
Le pouvoir d'Elizabeth Costello est mis en évidence en
plusieurs endroits du récit. Il est, d'entrée de jeu, par exemple
suggéré par le narrateur en ces termes :
Elizabeth Costello made her name with her fourth novel,
The House on Eccles Street (1969), whose main character is Marion Bloom, wife
of Leopold Bloom, principal character of another novel, Ulysses (1922), by
James Joyce. In the past decade there has grown up around her a small critical
industry; there is even an Elizabeth Costello Society, based in Albuquerque,
New Mexico, which puts out a quarterly Elizabeth Costello Newsletter.
(EC : 1-2)
Autrement dit, Costello est dépositaire d'un pouvoir
intellectuel, universitaire et économique incontestable. C'est un
pouvoir qui, aux yeux du narrateur est quasi
éternel: « Eccles Street is a great novel; it will
live, perhaps, as long as Ulysses; it will certainly be arround long after its
maker is in the grave ». (EC : 11)
Le pouvoir de Costello dérive d'un solide travail
d'accumulation des connaissances comme cela a été souligné
précédemment. Son pouvoir n'est donc pas inné, c'est un
pouvoir qu'elle a consacré ses 66 années à
acquérir.
Un autre lieu où le pouvoir de Costello est mis en
évidence, c'est face à une ancienne connaissance, X, enseignant
retraité de l'université de Queensland. Ce dernier courbe
pratiquement l'échine pour faire accepter à Costello de
participer, avec lui à la croisière d'un genre peu
ordinaire :
Travelling the world, screening old movies, talking about
Bergman and Felini to retired people... You are a prominent figure, a
well-known writer. The cruise line I work for will jump at the opportunity to
take you on. You will be a feather in their cap. Say but the word and I'll
bring it up with my friend the director. (EC : 35)
À la vérité, on remarque que le pouvoir
de Costello n'est presque jamais mis en doute ou inquiété par des
personnages entretenant des rapports plus ou moins directs avec
l'université. C'est un pouvoir qui opère en pliant les autres
personnages à la puissance de son détenteur avec pour
conséquence d'installer Costello dans ce que Giorgio Agamben appelle la
sphère du sacré126(*). Coetzee a sans doute voulu avec le pouvoir de
Costello mettre en abyme dans Elizabeth Costello l'idée de
mathésis que Barthes voit en la littérature127(*), assurant par ce fait
à ce roman sa particularité métafictionnelle.
Le pouvoir de Costello est néanmoins
inquiété lorsqu'elle se retrouve dans une sorte de prison
imaginaire. Ici, l'homme en treillis qui a la charge de veiller sur elle lui
impose de fixer par écrit ce en quoi elle croit fondamentalement.
Costello ne trouve aucune raison de céder:
I am a writer, a trader in fiction (...) I
maintain beliefs only provisionally: fixed beliefs would stand in my way. I
change beliefs as I change my habitation or my clothes, according to my needs.
On these grounds- professional, vocational. I request exemption from a rule of
which I now hear for the first times namely that every petitioner at the gate
should hold to one or more beliefs (EC: 195)
Costello use de son pouvoir d'écrivain
célèbre et refuse catégoriquement de faire la
volonté de son garde imaginaire. Si son talent d'écrivain avait
souvent consisté à dissimuler sa pensée au moyen des mots,
Costello estime devant le garde imaginaire qu'elle n'a plus besoin de parures.
Elle choisit ainsi de s'exprimer franchement et explicitement :
« Excuse my language. I am or have been a professional writer.
Usually I take care to conceal the extravagances of the imagination. But today,
for this occasion, I thought I would conceal nothing, bare all »
(EC : 216).
Des différents lieux d'exposition du pouvoir de
Costello, on remarque que celle-ci est jalouse de son pouvoir et de sa
célébrité et qu'elle est très loin de s'imaginer
impuissante quitte à en mourir. Costello choisit d'ailleurs une mort
symbolique à la fin du récit puisqu'elle choisit de rester dans
cette prison onirique renforçant par ce fait la foi en son pouvoir.
Comparée à Michaël K, Costello se
caractérise par une arrogance et un goût prononcé de
l'exhibitionnisme. J.M. Coetzee a voulu sans doute exhiber subtilement le fait
qu'il ait lui-même choisi de devenir en quelque sorte un Australien. On
peut donc lire l'exhibitionnisme ou le savoir/pouvoir ostentatoir de Costello
comme suggestif d'un soulagement psychologique voire psychique de Coetzee,
soulagement dû à son exil de la nation arc-en-ciel pour
l'Australie.
Il est donc difficile d'éviter la conclusion selon
laquelle J.M. Coetzee livre avec Elizabeth Costello, une vision
raciste du monde. Pour lui en effet, la communion du Blanc avec le Noir est
renvoyée aux calendes grecques. Pour parler comme Ambroise Kom, Coetzee
pense que « l'intégration [entre Blanc et Noir ne
devrait jamais être] à portée de main (...) que le
rapprochement entre les mondes africain et européen est plus utopique
que jamais » 128(*). Coetzee peine donc finalement à
écrire autre espace sud-africain que celui déjà
amorcé dans Michaël K, sa vie, son temps.
L'étude du pouvoir de Paul Bannerman dans Get a
life révèle plutôt une vision moins étanche,
moins escarpée que celle qu'a révélée le pouvoir de
Costello dans Elizabeth Costello. D'entrée de jeu, on peut
observer que le pouvoir de Paul Bannerman tient de la combinaison autant de son
amicale collaboration avec ses acolytes noirs que de sa propre formation
universitaire.
Paul Bannerman, Derek et Thapelo, dans leur profession de
conservateur de la biodiversité et d'environnementaliste, forment un
trio puissant que le narrateur désigne
par « team » (GL : 15)
ou « the bushmates » (GL :
111). A propos de la formation universitaire de Paul Bannerman et de sa
profession, on peut lire :
Paul Bannerman is an ecologist qualified academically at
universities and institutions in the USA, England, and by experience in the
forests, deserts, and savannahs of West Africa and South America. He has a post
with a foundation for conservation and environmental control; in this country
of Africa in which he was born. (GL : 6)
Paul Bannerman ne fait quasiment jamais allusion, comme c'est
le cas pourtant avec Costello, aux auteurs, théoriciens, chercheurs
environnementalistes desquels il s'inspire dans son activité. Paul se
veut plutôt modeste et pragmatique. Cette modestie explique sans doute
pourquoi la collaboration avec Derek et Thapelo est harmonieuse.
Le pouvoir de Paul Bannerman, au regard de son mode
opératoire fait songer à l'idéal de la relation dont parle
Glissant. D'après cet idéal « toute
identité s'étend dans un rapport à l'autre sans toute fois
s'y perdre » 129(*). En effet, Paul ne trouve aucun inconvénient
à collaborer, pour la même lutte, avec un ancien cadre
du « Mkohonto we Sizwe » (GL :
61), le fer de lance de la nation130(*), fondé par Nelson Mandela pendant les beaux
jours de l'Apartheid.
Cette précision apporte un éclairage important
sur le personnage de Paul Bannerman. Ce dernier est en effet en phase avec
l'idéal du mélange, de l'hybridisme ou du rhizome qui n'est sans
rappeler le nouveau contexte politico-culturel du No Man's Land sud-africain
actuel. Paul a fait sienne le crédo de Gibreel Farishta, un des
personnages centraux des Versets sataniques, selon lequel
« pour renaître, il faut d'abord
mourir »131(*).
Il a préalablement évacué son arsenal
complexuel qui l'empêchait de voir en le Noir un être humain tout
court et est devenu un homme neuf pour parler comme Fanon.
Voilà qui confirme le pourvoir de Paul Bannerman comme
étant le résultat de sa collaboration professionnelle et
activiste avec Derek et Thapelo. Leur impuissance a faire plier le gouvernement
en matière de préservation environnementale ainsi qu'on le
constate à la fin du récit, au regard de l'obstination et du
déterminisme du groupe, fait plutôt songer à ce que le
groupe n'ait pas encore dit son dernier mot. Paul Bannerman en est d'ailleurs
convaincu puisque pour lui, « there is never a final
solution, ever. That's the condition on which the work goes on, will go on.
Phambili. » (GL : 169)
En un mot, l'étude du pouvoir de Paul Bannerman a
permis d'exposer le type de vision du monde qui l'habite ou dont il est
dépositaire. C'est une vision suggestive de l'ambiance sous le signe
duquel Nelson Mandela plaçait le concept de Nation arc-en-ciel qu'il
forgea.
The time, déclarait-il à la face du
monde le 10 Mai 1994, for the healing of the wounds has come. The moment to
bright the chasms that divide us has come. The time to build is upon us
(...) we shall build the society in which all South Africans, both
Blacks and Whites will be able to walk tall, without any fear in their hearts,
assured of their inalienable right to human dignity a rainbow nation at peace
with itself and the world (...) We know it well that none of us acting
alone can achieve success. We must therefore act together as a united people,
for national reconciliation, for national building, for the birth of a new
world132(*).
Comparée à Gordimer de A World of
Stangers, celle de Get a life se rapproche artistiquement,
épistémologiquement, politiquement ou idéologiquement du
André Brink d'Une saison blanche et sèche.
Gordimer transpose en effet avec Get a life la nécessité
de préserver sinon l'acquis de la transition amorcée en 1994, du
moins de poursuivre le combat qui rappelle que l'ennemi a changé de nom.
Il s'appelle désormais menace nucléaire, SIDA, pollution ou
destruction environnementale et la liste est loin d'être exhaustive.
Nous avons étudié le personnage dans Get a
life et Elizabeth Costello sur la base de ses marques dans le
récit, c'est-à-dire « noms propres,
prénoms, surnoms, pseudonymes, périphrases descriptives diverses,
titres, portraits, leitmotives, pronoms personnels »133(*). Édouard Glissant,
comme pour souligner l'insuffisance dans la conceptualisation du personnage,
suggère de regarder le roman comme une sorte de totalité. Il voit
là la condition pour envisager sans réticence
aucune « même le paysage comme un
personnage »134(*). Aussi me semble-t-il indiqué,
d'étudier maintenant l'espace narratif dans Get a life et
Elizabeth Costello.
II-2- L'Espace narratif dans
Get a life et Elizabeth Costello
Jean Yves Tadié présente l'espace narratif
comme « le lieu où se distribuent
simultanément les signes, se lient les relations et dans un texte,
l'ensemble des signes qui produisent un effet de représentation
» 135(*).
En d'autres termes, l'espace narratif est une sorte de
contenant qui abrite des événements ou des personnages. C'est un
contenant enclencheur, chez le lecteur, de représentation. Georges
Gusdorf n'en dit pas autre chose lorsqu'il présente l'espace narratif
comme étant :
Une dimension du monde (...) ; une norme
privilégiée pour la manipulation de la réalité,
privilégiée même à tel point que nous sommes
portés à la substantialiser, à en faire un support des
choses, une manière de contenant, un commun dénonciateur, facteur
d'ordre, de classement, et, enfin de compte, Canevas géométrique
universel sur lequel interviennent les phénomènes et se
succèdent les évènements (...) Situer un fait par
ses coordonnées spatiales, donner la mesure exacte de ses dimensions,
c'est déjà beaucoup le comprendre, réduire ce qu'il
pouvait avoir comme insolite136(*).
En quoi l'espace narratif dans Elizabeth Costello et
Get a life permet-il de beaucoup comprendre ces deux romans ?
Compte tenu de la polysémie soulevée tant par Yves Tadié
que par Gusdorf à propos de la notion d'espace narratif,
polysémie que pointait déjà à sa manière
Édouard Glissant, je m'appuie sur la conceptualisation d'Yves Reuter
pour apporter quelques éléments de réponse à la
question ci-dessus.
Yves Reuter a en effet l'avantage de proposer une
méthode d'analyse de l'espace qui me semble pertinente et convenable
pour répertorier davantage de points de ruptures et de
continuités dans l'écriture post-apartheid de Nadine Gordimer et
J.M. Coetzee confrontée à leur écriture pendant
l'Apartheid. Pour Yves Reuter, l'analyse de l'espace mis en scène par le
roman peut s'appréhender selon deux grandes
entrées : « ses relations avec
l'espace « réel » et ses fonctions à
l'intérieur du texte » 137(*). Aussi procéderai-je d'abord à un
repérage critique des espaces ou des indicateurs spatiaux des
récits qui résonnent en écho sur des espaces réels.
Ensuite j'étudierai les rapports que les personnages entretiennent avec
quelque espaces importants dans la diégèse d'Elizabeth
Costello et de Get a life.
II-2-1- L'espace narratif et
son double
Outre les lieux diégétiques qui
résonnent en écho sur la réalité, je m'appuie
également sur des descriptions, des termes particuliers ou
d'éléments d'intertextualité qui produisent ce que Roland
Barthes appelle « effet de
réel »138(*) pour mettre en exergue le double lisible de
l'espace fictif autant d'Elizabeth Costello que de Get a
life. Pour ce faire, la méthode par tableau me semble
indiquée. C'est la raison pour laquelle j'expose distinctement les
rapports que l'espace diégétique entretient avec l'espace
réel d'abord dans Get a life puis dans Elizabeth
Costello.
Tableau III : Espace narratif et son
double dans Get a life
Indices spatiaux diégétiques avec
résonance sur l'espace réel
|
Référents spatiaux
réels
|
1-Paul Bannerman, né dans un pays
africain et y travaille (P.6)
2-Zulu : l'une des langues noires que
Paul a apprise et qu'il parle avec Primerose (P.22)
3-Van Schalkwyk : Ministre des affaires
environnementales dans le roman et opposant physique à la
démarche de Paul Bannerman, Derek et Thapelo (P.186)
4-No-Man's-Land (P.30) : le narrateur
confond le jardin familial où Paul prend du plaisir à se
retrouver pendant la quarantaine à un No-man's land.
5-L'Afrique du Sud (P.35) : Pays
d'origine d'Emma, la soeur cadette de Paul qui vit maritalement en
Amérique du Sud avec un Brésilien. Emma soutient Paul Bannerman
pendant sa maladie. Elle lui écrit en effet une lettre de soutien moral
(P.36)
6-Mkhonto we Sizwe (P.60) : groupe de
combat auquel a appartenu Thapelo à l'âge de 17 ans.
7-Highveld (P.104) : Le Mexique en hiver
est comparé par Lyndsay au Veld, ceci dénote l'appartenance de
Lyndsay à un pays dont le relief géographique est
constitué de Velds.
8-Eskom (P.114) : organe gouvernemental
chargé de fournir l'électricité au pays de Paul. Cet
organe a acquis une licence pour l'exploitation nucléaire contre
laquelle s'insurgent Paul et ses amis.
9-Setswana (P.125) : langue de Primerose
et de Thapelo
10-SIDA : Dans l'hospice où
Lyndsay fait la connaissance de Klara qu'elle adopte (P.147), il ya beaucoup
d'enfants comme Klara, souffrant du SIDA.
11-Wola ! Cho ! Jabula !
Phambili ! Vuka ! Yona ke Yona (P.181) : termes
prononcés par le narrateur (P.181), par des personnages (P.169 et 187)
et traduits par l'auteur en fin de volume (P.189). Ces termes soulignent
l'appartenance linguistique de Thapelo.
|
1-Afrique : un des 5 continents compris
en majeure partie entre les tropiques
2-Zulu : Langue africaine parlée
en Afrique du Sud. C'est aussi un vocable contenu dans la désignation de
l'un des 9 États sud-africains, Kwazulu- Natal avec pour capitale
Durban.
3-Marthinus Van Shalkwyk est un Afrikaner qui
remplace Frederik De Klerk à la tête du Nasionale Party en
août 1997 (Voir G. Lory, L'Afrique du Sud, op.cit, P.109)
4-No man's Land : terre d'aucun homme.
Les USA et dans une moindre mesure l'Afrique du Sud sont des noman's land.
5-Afrique du Sud : Pays de l'Afrique
Australe avec une superficie de 1.219.090 km2. Sa capitale est
Prétoria.
6-Umkhonto we sizwe : Branche
armée de l'ANC fondée par Nelson Mandela.
7-Veld : Nom donné par les Boers
au plateau dénudés de l'Afrique du Sud, au nord du grand Karoo.
En Afrique du Sud on distingue le Highveld du Lowveld, séparés
par le Drakensberg du Transvaal
8-Eskom : Société
Sud-Africaine d'électricité
9-Setswana : L'une des 11 langues
officielles en Afrique du Sud à côté de l'Afrikaans,
l'Anglais, l'isi Ndebele, l'isi Xhosa, l'isi Zulu, le Sesotho sa leboa, le si
Swati, le Tshivenda et le Xitonga.
10-L'Afrique du Sud est considéré aujourd'hui
comme le pays au monde le plus contaminé par le virus du
SIDA, le VIH
11-Ce sont finalement des termes tirés de la langue
Setswana d'Afrique du Sud.
|
Le tableau ci-dessus permet de remarquer, sinon une
très forte proximité réfférencielle avec l'Afrique
du Sud, du moins une centralité de Get a life sur l'Afrique du
Sud. Il n'est même pas exagéré de dire au regard de ce
tableau que Get a life n'est rien d'autre qu'une transposition
explicite de l'Afrique du Sud post apartheid dans la perspective de son auteur.
La centralité du roman sur l'Afrique du Sud est également
soulignée lorsque les personnages Lyndsay et Adrian quittent pour la
première fois, éphémèrement et pour la seconde
fois, définitivement, l'Afrique du Sud pour se rendre en Norvège.
Ces deux personnages y restent sentimentalement et affectivement liés.
Voilà qui autorise de lire l'adoption de Klara par
Lyndsay comme une invitation adressée au Sud Africain afin qu'il prenne
résolument à bras le corps la question du SIDA. C'est là,
sans doute, à côté de la lutte écologique au centre
de laquelle se trouve Paul Bannerman, l'autre condition pour que l'Afrique du
Sud continue d'exister ou d'être dans le
monde : « to be in the world »
(GL : 57).
Tableau IV : Espace narratif et son double
dans Elizabeth Costello
Indices spatiaux diégétiques avec
résonnance sur l'espace réel
|
Référents spatiaux
réels
|
1-Australie /Melbourne (P.1) : Pays
et ville de naissance et de résidence d'Elizabeth Costello. Costello se
souvient aussi s'y être retrouvée dans un débit de boisson
avec Robert Duncan et Philippe Whale, d'anciens amis (P.183-192)
2-Pennsylvanie/Altona Collège
(P.2-34) : Ville et université américaine où Costello
est invitée à recevoir une distinction littéraire
honorifique
3-Stockholm (P.58) : Ville de provenance
du fax dans lequel Costello est invitée à prendre part à
une croisière à destination de Cape Town. Au cours de cette
croisière à bord du SS Northern Lights, Costello entretien des
personnes âgées (des nobles) sur le roman en Afrique contre forte
rémunération. Costello aurait donc quitté l'Australie,
pour se rendre à Stockholm, de Stockholm à Cape Town et enfin de
Cape Town en Australie.
4-Massachusetts (P.2, P.59, P.115) :
John Bernard, fils de Costello, enseigne dans une université du
Massachusetts. Deux années après son passage à
Pennsylvanie, Costello est de nouveau invitée par le département
de lettres de Appleton College dans le Massachusetts afin d'y délivrer
un séminaire de trois jours à l'intention des étudiants de
lettres de cette institution (P.60). elle structure ses interventions autour de
deux thèmes : les philosophes et les animaux et les poètes
et les animaux. Il ressort de ces interventions un engagement énergique
de Costello pour la préservation des espèces animales
existantes.
5-Zululand (P.116-155) : lieu de
résidence de Sister Bridget, encore appelée Blanche, soeur
aînée de Costello qui s'est dévouée à
l'encadrement des enfants vivant avec le SIDA. Bridget invite Costello au
Zululand à l'occasion de la cérémonie de remise du titre
de Docteur es litterae humaniores à la première pour avoir
publié Living for Hope. Au cours de cette
cérémonie, Costello prononce un discours fort timidement
accueilli à l'université de Marianhill.
6-Amsterdam (P.156) : Costello y est
invitée pour participer à une conférence portant sur le
Mal. L'invitation fait suite aux impressionnants séminaires tenus
à Massachusetts il y a un an. A Amsterdam où l'auditoire
espère qu'elle précise ses thèses sur la cruauté
des hommes à l'égard des animaux, comparant cette cruauté
à celle d'Hitler sur les Juifs, elle voile davantage sa
pensée.
|
1-L'Australie est une grande île
d'Océanie. État fédéral constitué de 6
États. Sa capitale est Canberra. Coetzee y vit depuis 2002.
2-La Pennsylvanie est un des
États-unis d'Amérique avec pour capitale Harrisburg. Altoona est
une ville de cet Etat.
3-Stockholm est la capitale de Suède.
Cape Town ou le Cap est la capitale de la province du Western Cape en Afrique
du Sud. Ville par ailleurs de naissance de Coetzee.
4- Massachusetts : Un des
États-unis d'Amérique avec pour Capitale Boston.
5-Zululand : C'est l'une des neuf
provinces que compte l'Afrique du Sud. Mais la dénomination de Zululand
n'existe plus depuis 1994, date à laquelle elle fut remplacée par
le Kwa Zulu-Natal avec pour capitale Durban.
6-Amsterdam : C'est la capitale des
Pays-Bas.
|
Le tableau ci-dessus permet de constater que l'histoire prise
en charge dans Elizabeth Costello se déroule pendant trois
années. Au cours de ces trois années, la célèbre
écrivaine a eu seulement moins d'un mois pour se retrouver en Afrique en
général, en Afrique du Sud en particulier. En plus, ses deux
voyages éclairs pour l'Afrique font prendre un coup plus ou moins
manifeste à sa renommée. En d'autres termes le regard de
l'Afrique sur Costello contraste fortement avec celui de l'Occident sur elle.
Ceci traduit sans doute que le racisme a encore de beaux jours devant lui dans
le monde. Et, sur cette question, s'il y a bien quelqu'un à accuser de
racisme c'est le Noir, l'Africain. Une des démarches pour sortir de la
menace de ce racisme serait alors l'exil volontaire, l'émigration
à destination des pays occidentaux. C'est du moins la conclusion que
l'on peut tirer de l'étude de l'espace et de son double dans
Elizabeth Costello.
Comparé à Get a life, on note une
extraversion caractérisée d'Elizabeth Costello par
rapport à l'Afrique du Sud. Il n'est pas de trop de voir en
Elizabeth Costello le roman dans lequel Coetzee tranche explicitement
avec son habituelle focalisation sur l'Afrique du Sud. L'idée de rupture
d'avec la centralité sur l'Afrique du Sud est d'ailleurs aussi
suggérée par le fait que Coetzee puise visiblement des
éléments pour sa technologie artistique dans le passé de
l'Occident en général, l'Europe en particulier. À titre
d'illustration, on constate dès le titre du roman qu'il est une
construction de Coetzee sur la base des noms de personnalités
historiques ayant réellement existé en Occident139(*).
En plus, les théoriciens dont Costello peut, à
juste titre, être considérée comme le produit sont en
majorité ceux de l'époque classique, de la renaissance, de
l'antiquité ou de l'époque moderne en Occident. C'est
peut-être ces quelques particularités de Costello qui expliquent
qu'elle ait plutôt le vent en poupe en Europe et aux USA, puisqu'elle est
intellectuellement héritière en quelque sorte des savants
exclusivement occidentaux.
En tout état de cause, au moins deux orientations sont
possibles pour expliquer l'extraversion de Costello dans Elizabeth
Costello. On peut d'abord y voir une célébration consciente,
ou pas, de l'auteur d'Elizabeth Costello pour son exploit d'avoir
déménagé de l'Afrique du Sud où il fut jusque
là régulièrement suspecté de racisme par la
critique noire en général, pour s'établir en Australie.
C'est à partir de ce pays anglophone de l'Océanie que J.M.
Coetzee pense désormais revendiquer son appartenance à
l'Occident, voire au groupe dominant.
On peut également y voir une façon habile (comme
c'était déjà mutatis mutandis le cas dans Michaël
K, sa vie, son temps) d'enfermer définitivement le Noir dans un
black-out total, renforçant sans le vouloir l'idée de racisme
dont il a souvent été suspecté à l'endroit du Noir.
Car comment expliquer autrement qu'au moment où c'est désormais
le Non-Blanc qui préside aux destinées de la Nation arc-en-ciel,
J.M. Coetzee ne projette de cette situation réelle et mesurable que le
spectre d'un non-événement, jusqu'à choisir lui-même
de quitter le pays ?
On le voit, Coetzee expose avec Elizabeth Costello
une vision où la collaboration entre les diverses races n'est même
pas ponctuellement, encore moins durablement imaginable ; elle est
simplement impossible. Cette vision contraste fortement avec la vision que
Gordimer expose à ce sujet dans Get a life. L'espace
fonctionnel aiderait certainement à préciser des points de
démarcation entre Coetzee et Gordimer.
II-2-2- Espace narratif et
signification
Envisager l'espace narratif comme porteur de signification
demande d'entrée de jeu de préciser de quelle signification il
est question. A propos, je m'appuie sur la conception de l'espace narratif
d'après Bourneuf et Ouellet pour clarifier ce que j'entends par
signification. Ces deux théoriciens ont l'avantage d'avoir fourni une
définition de l'espace narratif qui intègre sa double
signification que je partage dans cette partie de mon analyse. Pour Bourneuf
et Ouellet en effet, « Si on cherche la fréquence, le
rythme, l'ordre et surtout la raison des changements de lieu dans un roman, on
découvre à quel point ils importent pour assurer au récit
à la fois son unité et son mouvement » 140(*).
En d'autres termes, examiner la signification de l'espace
narratif dans Elizabeth Costello et dans Get a life suppose
de dégager autant l'importance ou non des espaces narratifs ou
diégétiques pour les personnages que le sens déductible
des rapports des personnages à l'espace pour le lecteur.
Dans Elizabeth Costello, l'Occident en
général, l'Europe en particulier représente beaucoup sinon
tout pour le personnage central. Costello y est par exemple psychologiquement,
intellectuellement, épistémologiquement voire culturellement
attachée. Les auteurs dont elle a subi l'influence sont sinon
exclusivement, du moins majoritairement occidentaux comme on l'a vu.
L'Australie où elle est née et où elle réside n'est
mentionnée que comme pays d'origine dont elle ne bénéficie
que du séjour et de la nationalité. Il est, sur cette question,
par exemple curieux de constater que presqu'aucun théoricien ou auteur
australien n'ait influencé Costello intellectuellement. C'est dire que
son appartenance à l'Australie n'est vraie qu'aux dires du narrateur,
toute la vérité étant peut-être à chercher
ailleurs.
Il n'est pas facile d'éviter de dégager, de ce
qui précède, un des mérites d'Elizabeth Costello.
En effet, on se rend compte, au sujet de la nationalité d'Elizabeth
Costello, qu'elle aide à rappeler que posséder une
nationalité ne garantit pas automatiquement ou nécessairement une
intégration aisée dans le pays dont on a acquis la
nationalité. Aussi ne faudrait-il plus se laisser tromper par les
discours officiels qui font sérieusement croire que la
nationalité devrait, puisqu'elle pourrait, se fixer simplement sur
quelques pièces que ce soient, fussent-elles un visa, un passeport, une
carte de séjour ou une pièce d'identité. Même si en
France, Nicolas Sarkozy estime aujourd'hui fixer la nationalité
française au non port de la burqa.
La question de nationalité, c'est le mérite
qu'Elizabeth Costello a de relever, est une réalité
beaucoup plus complexe que l'on ne se l'imagine. Le cas de Costello fait
plutôt penser à ce que Walter Benjamin
appelle « l'exploitation du producteur au nom d'un principe,
la « créativité »141(*). Car rien ne prouve
pratiquement qu'elle est écrivaine Australienne. Coetzee semble donc
irréversiblement embarqué dans le train
de « l'aventure spirituelle de
l'Occident »142(*) avec ce que cela signifie en termes de racisme,
d'ostracisme et d'aridité comme l'aurait dit Fanon.
Il appert donc que l'éventualité d'en revenir
est loin d'être amorcée. Sans doute que J.M. Coetzee refuse
même d'envisager la perspective contraire au racisme et à
l'austracisme. Tant Costello traduit la matérialisation de la
prophétie du garde qui s'émerveillait des talents de fugitif chez
Michaël K, dans le camp de Jakkalsdrif : « Demain, il
aura peut-être un autre nom. Une autre carte, un autre nom pour la
police, pour les embrouiller » 143(*). C'est dire qu'entre Michaël K. et Elizabeth
Costello, seuls le nom et peut-être le sexe et la nationalité ont
changé. L'orientation épistémologique, idéologique
voire psychologique est restée intacte.
Au contraire d'Elizabeth Costello qui traduit une
constance dans les préoccupations esthétiques,
idéologiques voire épistémologiques chez J.M. Coetzee
pendant et après l'Apartheid, Get a life s'affirme plutôt
comme rigoureuse illustration de la caractérisation que Lars Engle fait
valoir au titre des romans de Gordimer en général. Lars Engle
qualifie à juste titre les ouvrages de Nadine Gordimer comme fortement
saturés de « utopian potential of epistemological
disruption », potentiel ayant pour conséquence de
projeter son lecteur dans un avenir neuf tout en exigeant de comportements
nouveaux144(*).
Un fait est remarquable dans Get a life. C'est la
représentativité de l'Afrique du Sud pour les personnages.
À titre d'illustration, le personnage central évolue du
début à la fin du récit, exclusivement en Afrique du Sud.
Comme pour justifier l'origine de la légitimité des actions en
faveur de l'écologie qu'il mène d'un bout à l'autre du
récit, le narrateur nous renseigne que Paul Bannerman a fait des
études aux USA, en Angleterre et a passé des années de
stage pratique en Afrique de l'ouest et en Amérique du Sud (P.6)
Peut-être faut-il commencer par considérer Paul
Bannerman comme une métonymie suggestive en quelque sorte de quelques
aspects biographiques de Nadine Gordimer pour mieux comprendre le sens du roman
dont-il est le personnage central. Comment comprendre d'ailleurs autrement la
coïncidence entre l'enfermement physique de Paul Bannerman en Afrique du
Sud dans la diégèse de Get a life avec celui de Gordimer
elle-même en Afrique du Sud ? Comme nous l'avons
révélé au précédent chapitre, Gordimer n'a
quasiment jamais quitté sa terre d'adoption malgré ce qu'elle a
déjà enduré à Johannesburg comme
difficultés.
La centralité de Get a life sur l'Afrique du
Sud est aussi exprimée lors de la quarantaine de Paul Bannerman chez ses
parents Adrian et Lyndsay. Toutes les soeurs de Paul Bannerman :
Jacqueline (GL : 34), Susan et Emma (GL : 35), se
mobilisent respectivement de l'Afrique du Sud, de l'Autriche et du
Brésil pour apporter du soutien matériel ou moral au malade Paul.
Cette situation souligne non seulement l'importance de l'Afrique du Sud dans
l'ensemble du roman, mais surtout de Paul Bannerman qui refuse
littéralement de se séparer de l'Afrique du Sud le long de
l'intrigue. Que les actions de Paul avant, pendant mais surtout après le
cancer se passent essentiellement dans des brousses
sud-africaines, « the wilderness », comme le
dit le narrateur (GL : 179) est à ce propos significatif.
Il s'agit avec ses amis Derek et Thapelo, « the
bushmates » (GL : 111) de convaincre le
Sud-Africain de la nécessité ou des enjeux de la lutte
écologique qu'ils mènent. C'est pourquoi la bande à Paul
se solidarise avec toutes les autres agences écologiques existant
comme « the Greens, Save the Earth, Earthlife, International
Rivers Network, Campaigners of all titles and acronyms » (
GL : 89), afin de mettre plus de chance de réussir de leur
côté. Contre le gouvernement qui est sur le point d'autoriser une
compagnie Australienne à extraire des minerais d'ilménite du
sous-sol du pondoland, il oppose les paradoxes stratégiques de ce
gouvernement, paradoxes aux conséquences sérieuses sur
l'économie sud-africaine, au profit de la préservation
environnementale et des recettes dérivées du tourisme :
So now it's the Australians in on the act. Haai!
Pondoland, it's recognized all over the world, the centre of endemism, the
great botanical treasure, n'swebu, man! The government wants to put a national
toll hightway through it, tear it up, and now they're going to let an Aussie
Company into mine the dunes, destroy the coastline too. This Transworld Company
says it's identified reserves there, sixteen million tons of heavy minerals and
eight million tons of ilmenite. One of the biggest mineral sand deposits in the
world. Yesus! This what we mean by attracting foreign investment? Mining on the
beaches, same time the Minister of Tourism says the Germans, the Japanese and
what-what flying in are big in our economic future (P.84)
Nadine Gordimer ne se sert pas seulement de Paul pour
transposer l'Afrique du Sud. La mère de Paul, grâce à son
passage dans un hospice du pays, conduite à cet effet par Charlene
Damons, une amie de circonstance, permet aussi à Nadine Gordimer de
souligner un autre aspect de la société sud-africaine, attestant
par ce fait même que l'Afrique du Sud ne baigne pas sous d'heureux
auspices. Ledit hospice se présente comme étant un centre de
récupération ou d'hébergement d'enfants abandonnés
par des parents peu responsables et d'enfants souffrant du SIDA. C'est
notamment le cas, comme nous l'avons déjà souligné, avec
Klara que Lyndsay choisit d'adopter. (GL : 147)
Rien donc d'étonnant que le narrateur invite le lecteur
à voir Lyndsay le long du récit comme une doublure ou une
réplique de Paul. Elle est
son « Doppelgänger » (GL :
88) pour employer cette formulation germanique au narrateur de Get a
life.
Il est difficile de ne pas conclure par l'observation
suivante. Alors que Costello dans Elizabeth Costello sous-estime le
combat de Sister Briget en relation aux enfants infectés par le VIH au
Zululand (GL : 116), Lyndsay dans Get a life choisit
plutôt la voie de Sister Briget en adoptant Klara, invitant ainsi
l'Afrique du Sud à intégrer le SIDA dans la gestion
institutionnelle du pays. C'est la même invite que Paul dresse en
direction du gouvernement sud-africain au sujet de la lutte
écologique.
C'est dire combien la ligne de démarcation dans les
préoccupations idéologiques, sociales et esthétiques entre
J.M. Coetzee et Nadine Gordimer en période post-apartheid est
évidente. L'analyse de ce que Dorrit Cohn appelle la transparence
intérieure des personnages permettrait sans doute de renforcer cette
évidence.
II-3- La transparence
intérieure des personnages
La transparence intérieure est un concept
méthodologique d'étude des oeuvres littéraires dont les
jalons ont été posés pour la première fois par
Käte Hamburger dans Die Logik der Dichtung145(*). C'est véritablement
Dorrit Cohn qui rend le concept opérationnel dans son livre
intitulé Transparent Minds146(*). Comme approche méthodologique de lecture du
roman, la transparence intérieure se préoccupe d'étudier
l'extériorisation ou la verbalisation de la vie intérieure des
personnages sinon par eux-mêmes, par le narrateur, du moins par un autre
personnage du même récit. La pertinence d'une telle
démarche, justifie Dorrit Cohn, réside dans le fait
que « le récit de fiction est le seul genre
littéraire et le seul type de récit dans lequel il est possible
de décrire le secret des pensées, des sentiments, des perceptions
d'une personne autre que le locuteur »147(*).
C'est dire que l'observation du déploiement de la vie
intérieure des personnages dans le roman conduit nécessairement
à « la relation de dépendance mutuelle qui
associe le réalisme dans le récit et la mimésis de la vie
intérieure »148(*). En d'autres termes, la vie intérieure des
personnages qui ne sont que des créations du romancier constituent une
sorte d' « autre voie »149(*) dont parle Laurence
Sterne à propos de Tristam Shandy, voie qui
permet « de traverser du regard le crâne ou
le coeur de tous les humains [Le romancier y compris]150(*) qu'on rencontre, et d'en
discerner les pensées secrètes »151(*).
Étant donné que Get a life et
Elizabeth Costello sont des récits à la troisième
personne, j'exclue d'emblée de mon analyse le modèle
d'étude de la vie intérieure des personnages pour les
récits à la première personne. Je me limite au paradigme
que Dorrit Cohn développe à l'intention des récits de la
troisième personne. Ce paradigme est bâti sur un tryptique
constitué du psycho-récit ou discours du narrateur sur la vie
intérieure d'un personnage ; du monologue rapporté ou le
discours mental d'un personnage et du monologue narrativisé ; le
discours mental d'un personnage pris en charge par le discours du
narrateur152(*).
J'adapte néanmoins ce paradigme à la particularité de mon
corpus qui, dans ses deux composantes, n'a pas l'avantage de répertorier
à suffisance et de façon distincte le troisième
élément du tryptique dorritien. Je me limite donc au
psycho-récit et au monologue rapporté.
II-3-1- Le
Psycho-récit
Le discours que le narrateur tient sur la vie intérieur
du personnage central dans Get a life et dans Elizabeth
Costello à propos de l'Afrique en général,
l'Afrique du Sud en particulier, mérite l'attention. En effet, ce
discours rend compte de ce que le narrateur permet de savoir sur les
pensées et sentiments du personnage central par rapport non seulement
à lui-même mais aussi par rapport à l'Afrique en
général, Afrique du Sud en particulier.
On sait par exemple dans Elizabeth Costello que
Costello a toujours écarté l'éventualité de mettre
les pieds quelque jour que ce soit à Marianhill en Afrique du Sud. Elle
y va cependant à son corps défendant simplement pour honorer
à l'invitation de sa soeur ainée Sister Briget. Le narrateur sait
comment Costello se représente l'Afrique du Sud en
général, Marianhill en particulier. C'est du moins ce qu'on peut
constater dans l'extrait suivant:
it is for that degree, for the ceremony of its conferral,
that she herself, Elizabeth, Blanche's younger sister, has come to a land she
does not know and has never particularly wanted to know, to this ugly city (she
flew in only hours ago, saw it spread out below her with its acres of scarred
earth, its vast sterile mine dumps). (EC : 117)
Par rapport à l'Afrique du Sud, Costello entretient, on
le voit, un sentiment complexuel, ce d'autant qu'avant d'y avoir mis les pieds,
elle déteste déjà le pays. Tout se passe comme si
l'Afrique du Sud, eu égard à ce qu'elle est telle que Sister
Briget permet de s'en rendre compte, représentait une sérieuse
menace ou un danger pour Costello. Cette disposition prélogique chez
Costello biaise sa psychologie au point qu'il lui devient impossible de
s'accorder avec sa soeur Blanche. Le désaccord de principe entre
Costello et Briget est perceptible dans un moment où Costello se met
à penser à sa Soeur après l'avoir quittée à
Mirianhill. Le narrateur, sachant une fois de plus la pensée de Costello
rapporte à propos :
Blanche, dear Blanche, she thinks, why is there this bar
between us? Why can we not speak to each other straight and bare, as people
ought who are on the brink of passing? Mother gone; old Mr. Phillips burned to
a powder and scattered to the winds; of the world we grew up in, just you and I
left. Sister of my youth, do not die in a foreign field and leave me without an
answer! (EC : 155)
Elizabeth Costello refuse littéralement d'admettre
l'importance du travail de Sister Briget en Afrique du Sud. Voici qui expose
chez elle un sentiment fait de manichéisme. Car elle se perçoit,
elle et son univers comme normal, beau, pur peut-être et inversement elle
se représente l'Afrique du Sud comme anormal, laid (ugly),
voire impur. L'Afrique du Sud et les personnes qui y vivent, sa soeur inclue,
méritent donc d'être ignorées s'il faut rester dans la
logique de Costello. Cette logique n'est pas sans rappeler une des tares dont
le discours occidental sur l'autre continue d'avoir du mal à se
départir comme l'a révélé Edward Said dans
L'orientalisme et que Todorov résume en ces termes :
L'histoire du discours sur l'autre est accablante. De tout
temps les hommes ont cru qu'ils étaient mieux que leurs voisins ;
seules ont changé les tares qu'ils imputaient à ceux-ci. Cette
dépréciation a deux aspects complémentaires : d'une
part, on considère son propre cadre de référence comme
étant unique, ou tout au moins normal ; de l'autre, on constate que
les autres, par rapport à ce cadre, nous sont inférieurs. On
peint donc le portrait de l'autre en projetant sur lui nos propres
faiblesses ; il nous est à la fois semblable et inférieur.
Ce qu'on lui a refusé avant tout, c'est d'être
différent : ni inférieur ni (même)
supérieur, mais autre, justement153(*).
La vie intérieure de Costello, au regard de ce qui
précède, la présente comme une personne handicapée
dans le sens où elle croit que le Mal est tapi en Afrique en
général, en Afrique du Sud en particulier. Elle n'est donc pas
une fois de plus assez différente de Michaël K.
Si dans Elizabeth Costello, le narrateur sait souvent
les sentiments du personnage, dans Get a life, le narrateur se veut un
peu plus discret sur son rapport aux sentiments des personnages. Qu'à
cela ne tienne, on parvient quand même à constater dans quelques
unes des déclarations du narrateur des traits de caractère
suggestifs de la vie intérieure du personnage. C'est le cas par exemple
dans le passage suivant: « Paul Bannerman (...) has
a post with a foundation for conservation and environmental control, in this
country of Africa in which he was born » (GL :
6)
Sachant que Paul a précédemment
étudié aux USA, en Europe, en Afrique Occidentale et en
Amérique du Sud, qu'il travaille plutôt en Afrique du Sud
où il est né n'est pas sans trahir le sentiment patriotique qui
l'habite. Ce sentiment est d'autant perceptible que Paul se dévoue avec
acharnement à éviter au gouvernement sud-africain et à
Eskom de s'engager dans des entreprises aux conséquences catastrophiques
pour l'environnement sud-africain, mondial voire pour l'humanité dans sa
globalité.
Voilà qui souligne un autre contraste entre
l'idéal de Coetzee et celui de Gordimer à propos du sort de
l'humanité en période post-apartheid. Tandis que Gordimer propose
une certaine diversité, Coetzee, lui, rêve d'unicité voire
de nivellement ou de monolithisme.
II-3-2- Le monologue
rapporté
Le discours mental du personnage permet certainement de
discerner le regard que portent Coetzee et Gordimer sur eux-mêmes et
peut-être sur l'Afrique du Sud à travers Elizabeth
Costello et Get a life.
Il convient d'observer d'entrée de jeu
qu'arithmétiquement, Elizabeth Costello comporte plus de
discours mentaux que Get a life si l'on s'en tient exclusivement aux
personnages centraux. Le huitième chapitre « At the
gate » et la postface d'Elizabeth Costello à
titre d'illustration tiennent lieu de monologue rapporté. En outre,
Costello se livre régulièrement aux discours mentaux dans les
sept autres chapitres bien qu'à des proportions négligeables du
point de vue du volume.
Cette prodigalité de monologues rapportés dont
fait cas Elizabeth Costello est d'une rareté flagrante dans
Get a life. Pourtant, Get a life a la particularité
d'entremêler linéairement les discours mentaux des personnages
avec le discours du narrateur. C'est le cas par exemple dans l'extrait
ci-après :
The family outing is over. Monday the four-wheel drive
back to the Wilderness with Derek, Thapelo, according to the week's plan of
research to which there is never a final solution, ever. That's the condition
on which the work goes on, will go on. Phambili. (GL :
169)
C'est encore le cas dans l'extrait ci-dessous, où le
narrateur parle des sentiments de Paul comme s'il s'agissait des siens. Paul
vient en effet de prendre congé de sa maman, au retour de celle-ci du
Mexique où Adrian a préféré
rester : « He has left home, twice. He has his own life
to live: that convenient cop-out of other intimate responsibilities. The
generation can't help each other in the existential affront ».
(GL : 134)
Ces deux exemples qui sont certes loin de rendre compte de
façon exhaustive l'entremêlement des discours mentaux des
personnages avec l'acte narratif dans Get a life, permettent
néanmoins de prendre la mesure du tempérament qui anime Paul
Bannerman. C'est un personnage convaincu de la nécessité de
convertir son savoir en actions bénéfiques pour l'Afrique du Sud
et pour l'humanité. À cet effet, Paul sait pouvoir compter sur
soi. Il sait, comme s'il était imprégné du Mythe de
Sisyphe de la mythologie grecque, que le combat pour la vie est de tout
temps.
Au contraire de Paul Bannerman qui s'engage dans l'espace
pratique de la lutte environnementale, sociale voire politique en Afrique du
Sud, Costello, elle, s'efforce tant bien que mal à couvrir
d'amnésie l'Afrique du Sud. Elle masque sa condescendance
vis-à-vis de l'Africain au moyen des subtilités de l'abstraction,
de la parabole, bref des figures de style que lui ont conféré sa
solide assimilation de la culture occidentale trahissant par ce fait même
sa psychopathie qui est d'ailleurs mise en exergue au chapitre huit où
elle communique avec des personnages vrais dans son seul imaginaire
(EC : 193-225). À ces personnages imaginaires elle
explique par exemple pourquoi elle ne peut pas faire des serments en ces
termes :
«Do you see many people like me, people in my
situation?» She continues urgently, out of control now, hearing herself
out of control, disliking herself for it. In my situation: What does that mean?
What is her situation? The situation of someone who does not know her own
mind»? (EC : 224)
C'est être impertinent que d'esperer des serments chez
une psychopate comme semble l'être Elizabeth Costello ici.
Peut-être que cette apparence psychopathique explique le sentiment
d'échec qui hante Costello parce que ses écrits n'auraient pas
réussi à tourner ses lecteurs dans la direction qu'elle a voulu
leur imposer. Comment comprendre d'ailleurs autrement la malédiction
qu'elle formule en direction de la littérature à la fin du
récit : « A curse on
literature ! » (EC : 225)
Seulement, le talent d'écrivain cacheur de sens, que
l'on connaît chez Elizabeth Costello et qui est souvent reconnu chez J.M.
Coetzee, commande de ne pas précipitemment conclure de la psychopathie
d'Elizabeth Costello. Si on pouvait d'ailleurs provisoirement concéder
à la correspondance personnage-auteur, ce qui est parfois souvent
vrai154(*), on
comprendrait aussitôt pourquoi Costello est à considérer
comme un symbole dont le dépouillage révèle assez
d'informations suggestives de la vie intérieure de J. M. Coetzee.
Au demeurant, il est difficile de ne pas conclure à
propos de la transparence intérieure avec Dorrit Cohn. Car on l'a vu
avec Get a life et Elizabeth costello « le
récit de fiction atteint son « air de
réalité » le plus achevé dans la
représentation d'un être solidaire en proie à des
pensées que cet être ne communiquera jamais à
personne » 155(*).
Dans ce chapitre, il s'agissait d'analyser l'écriture
post-apartheid de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer telle qu'elle se donne
à lire dans Elizabeth Costello et Get a life.
L'idée c'était de dégager des points suffisamment
suggestifs des ruptures et des continuités qui s'insèrent dans
leur écriture romanesque post-apartheid, comparée à leur
écriture pendant l'Apartheid. On a pu observer chez J.M. Coetzee qu'en
dehors de légères ruptures dans la forme, le même fond que
celui de Michaël K., sa vie, son temps se réarticule dans
Elizabeth Costello. J.M. Coetzee continue en effet d'avoir du mal, au
moins en ce qui concerne Elizabeth Costello, à entrevoir sinon
une parfaite synergie entre Blancs et Noirs, du moins une ambiance de
diversité qui autoriserait chacun à échanger librement
avec l'autre. Il est, à l'image de son personnage central par rapport
à l'Occident, comme apprivoisé par l'espace sud-africain auquel
son éducation ou sa formation intellectuelle le prédisposait
à appartenir. C'est cet espace que J.M. Coetzee croit devoir promouvoir
voire en améliorer les conditions d'existence ; un espace qui est
différent de l'Occident en ce qu'il s'étend sur le continent
africain.
Nadine Gordimer de Get a life semble, pour sa part,
avoir remarquablement franchi la frontière raciale que J.M. Coetzee et
Nadine Gordimer de A world of Strangers estimaient infranchissables.
Par rapport à J.M.Coetzee d'Elizabeth Costello, on note aussi
chez elle une forte focalisation sur l'Afrique du Sud. Une Afrique du Sud
où, Blancs et Noirs ne s'évitent plus, mais celle où ils
sont désormais dévoués à la préservation de
l'acquis sociologico-politique de 1994, la lutte écologique et la
question du SIDA.
Qu'à cela ne tienne, il demeure que, comme J.M.
Coetzee, Nadine Gordimer en période post-apartheid hésite
toujours à camper le Noir dans son personnage central. Un défi
qu'André Brink relevait déjà pendant l'Apartheid non
seulement avec Une saison blanche et sèche, mais surtout avec
Au plus noir de la Nuit.
Comme s'il voulait résolument s'engager dans la voie
contraire à Nadine Gordimer et à J.M. Coetzee, André
Brink, même en période post-apartheid s'arrange à donner
à son roman un air de mea-culpa de la race blanche vis-à-vis des
injustices qu'elle a pratiquées ou qu'elle a contribuées à
répandre en direction des Noirs en général, des femmes en
particulier. C'est le cas notamment dans son roman intitulé The
other Side of Silence. Cet aveu qui n'est sans rappeler en quelque sorte
le regard que Breyten Breytenbach portait sur l'Apartheid156(*) échappe, si l'on s'en
tient à Elizabeth Costello et Get a life, aux
préoccupations post-apartheid de ses compatriotes blancs que sont J.M.
Coetzee et Nadine Gordimer.
Sur ce point, André Brink rejoint mutatis mutandis son
autre compatriote noir Zakes Mda qui, comme le premier à propos de la
race blanche, procède dans Ways of Dying à une critique,
agrémentée d'humour, des grossièretés et des
défauts identifiables dans les cultures noires d'Afrique du Sud.
André Brink et Zakes Mda suggèrent que le mal se trouve autant
chez le Blanc que chez le Noir. Ils proposent le décentrement de ces
deux catégories pour une cohabitation plus juste et rationnelle à
venir.
Le rapprochement ci-dessus entre André Brink et Zakes
Mda m'autorise à considérer The other Side of Silence et
Ways of Dying sinon comme antithèse de Get a life
et d'Elizabeth Costello, du moins comme romans qui fragilisent la
capacité de Get a life et d'Elizabeth Costello
à rendre compte de l'état des lieux du roman sud-africain
pendant l'ère post-apartheid.
PARTIE II :
ENJEUX DE L'ÉCRITURE
ROMANESQUE
POST-APARTHEID DE COETZEE
ET GORDIMER
L'analyse de Get a life et d'Elizabeth Costello
sous l'éclairage de quelques éléments de la mise en
texte empruntés à Philippe Hamon, Yves Reuter, Dorrit Cohn, pour
ne citer que les plus représentatifs, nous a amené à
constater que J.M. Coetzee et Nadine Gordimer, en période post-apartheid
transposent chacun à sa manière l'espace cognitif sud-africain,
qu'ils désirent solidement implanter en Afrique du Sud. Tandis que
Nadine Gordimer expose une vision plus ou moins conforme à la
configuration sociologico-politique de l'Afrique du Sud contemporaine, J.M.
Coetzee choisit quant à lui, de traduire son pessimisme face à
cette nouvelle configuration dans la nouvelle Azanie.
L'étude des enjeux de l'écriture romanesque
post-apartheid de J.M Coetzee et Nadine Gordimer qu'il est maintenant question
d'amorcer, vise la vérification et le dépassement de mon
hypothèse de départ ; à savoir que l'écriture
romanesque post-apartheid de J.M Coetzee et de Nadine Gordimer restitue mal la
véritable diversité culturelle en Afrique du Sud. Elle
s'accommode ainsi mal avec celle d'André Brink ou de Zakes Mda, deux
autres écrivains sud-africains.
De la confrontation que je fais entre Get a life et
Elizabeth Costello, d'une part, de Ways of Dying de Mda et
The other Side of Silence d'André Brink d'autre part, il
ressort qu'au contraire de l'apparent antagonisme dans la démarche
esthétique post-apartheid de J.M Coetzee et Nadine Gordimer, ces deux
écrivains blancs sud-africains soutiennent des idéologies sinon
identiques du moins conciliables. En effet, J.M Coetzee et Nadine Gordimer
sont différemment favorables à la sujétion du Noir
à un Blanc engagé dans l'aventure spirituelle du capitalisme dans
le monde, pour emprunter cette image à Frantz Fanon157(*).
L'enjeu de ma confrontation entre quatre écrivains
sud-africains, objet du premier chapitre de la deuxième partie de ma
réflexion est, pour reprendre les termes de Stuart Hall à propos
de la vocation des cultural studies,
de permettre de comprendre ce qui se passe, et
particulièrement de proposer des outils de pensée, des
stratégies de survie et des moyens de résistance à tous
ceux qui sont aujourd'hui, en termes économiques, politiques et
culturels, exclus de ce que l'on peut appeler l'accès à la
culture nationale de la communauté nationale158(*) .
En d'autres termes, il s'agit de mettre en évidence la
manière dont l'écriture post-apartheid de Brink ou de Mda aide
à localiser celle des deux prix Nobel sud-africains de
littérature. Ce travail nous permettra d'examiner si J. M. Coetzee et
Nadine Gordimer sont exclus de la culture nationale de leur pays et servent
plutôt comme des agents d'une culture libérale
excentrée.
En guise de dépassement de mon hypothèse, je
m'interrogerai rétrospectivement sur la neutralité, la
légitimité de l'institution Nobel ; son autonomie
vis-à-vis de la tradition libérale. En d'autres termes, il
s'agira de voir si le Nobel ne correspondrait pas à une institution au
service de l'aliénation de l'écrivain, aliénation qui
procède de ce que Walter Benjamin, traitant de l'impossible
créativité chez Charles Baudelaire
appelle « l'exploitation du producteur au nom d'un principe,
la « créativité », principe selon lequel
le poète est supposé avoir accouché par lui-même de
son oeuvre tiré de son pure esprit »159(*).
La vérité n'est-elle pas peut-être
qu'à défaut de créativité véritable, ce que
Nick Visser appelle « radical
narrative »160(*), le Nobel jette son dévolu, au moins en ce
qui concerne l'Afrique du Sud, plutôt sur des écrivains talentueux
en matière de diversification des modes d'articulation d'une vision du
monde qui accorde peu d'importance à la diversité
véritable, la poétique de la relation pour parler comme
Édouard Glissant ? C'est du moins une hypothèse que je
m'atèle à examiner dans la deuxième articulation de la
présente partie de ma réflexion.
CHAPITRE III:
SIGNIFICATION DE GET A LIFE
ET
D'ELIZABETH COSTELLO
À LA LUMIÈRE DE THE OTHER SIDE OF SILENCE ET WAYS OF DYING
Lorsqu'Émile Benveniste fait
observer « qu'il y a en fait beaucoup de manières de
considérer (...) une oeuvre et qu'il n'y a pas qu'une
manière de comprendre un auteur »161(*), il suggère comme
critère de compétence chez le critique sa capacité
à convoquer diverses approches d'analyse de l'écriture, à
condition qu'elles soient pertinentes pour le texte à étudier.
Aussi, m'appuierai-je, pour analyser The other side of silence et
Ways of Dying, sur la conception de l'écriture d'après
Gérard Genette dans Figures II :
Ce qui, écrit-il, définit pour nous
l'écrivain, par opposition au scripteur ordinaire, celui que Barthes a
nommé l'écrivan, c'est que l'écriture n'est pas pour lui
un moyen d'expression, un véhicule, un instrument, mais le lieu
même de sa pensée. Comme on l'a déjà dit bien
souvent, l'écrivain est celui qui ne sait et ne peut penser que dans le
silence et le secret de l'écriture, celui qui sait et éprouve
à chaque instant que lorsqu'il écrit, ce n'est pas lui qui pense
son langage, mais son langage qui le pense, et pense hors de lui162(*).
En d'autres termes l'écriture est le cadre
d'inscription de la pensée de l'écrivain, la pensée de
l'écrivain s'y insère de façon consciente ou inconsciente.
Peu importe le mode d'insertion du sens, l'essentiel est que ce sens ou cette
pensée y transparaisse. Jaap Lintvelt et Marcel Proust n'en disent
d'ailleurs pas autre chose lorsqu'ils affirment que « le moi
de l'écrivain ne se montre que dans ses
livres »163(*).
Pour analyser The Other side of silence et Ways
of Dying de façon à ne pas négliger autant l'aspect
conscient qu'inconscient de l'insertion du sens dans ces romans, je m'inspire
des deux modalités de sens selon Émile Benveniste que sont la
sémiologie et la sémantique164(*). Il s'agit, comme l'aurait dit Nadine Gordimer de
rendre définitive par une méthode appropriée
l'appréhension par Zakes Mda et André Brink des forces
existentielles165(*) de
la période post-apartheid, question non seulement d'éclairer
Get a life et Elizabeth Costello, mais surtout de mettre en
évidence la compatibilité des préoccupations
idéologiques et politiques de Get a life avec celles
d'Elizabeth Costello. Pour cela, j'étudierai
séparément The other side of silence et Ways of
Dying. Le but est de démontrer pourquoi ces deux romans autorisent
de les envisager comme romans de deux écrivains sud-africains à
la redécouverte de l'ordinaire pour emprunter ce concept à
Njabulo Ndebele166(*).
En d'autres termes, il s'agit de démontrer en quoi Get a life
et Elizabeth Costello sont en conflit avec le roman d'André
Brink et de Zakes Mda. Alors que pour l'étude de The other side of
silence l'examen du langage indirect semble pertinent, le vouloir du
personnage et la perspective narrative paraissent plutôt
appropriés dans le cas de Ways of Dying.
III-1- Le langage indirect dans
The other side of silence
Chez Gérard Genette, le langage indirect est un outil
de lecture du roman qui confirme ou démontre la justesse de la
thèse d'Henri Mitterrand. Ce dernier en effet, s'inspirant à son
tour d'Erich Auerbach167(*) fait savoir que :
sous le mouvement superficiel des intrigues, de l'histoire
avec petit h, l'histoire vécue par des personnages, un autre mouvement a
lieu, celui de l'histoire avec un grand H, un mouvement presque insensible,
mais universel et incessant, de sorte que la substructure politique,
économique et sociale apparaît à la fois comme stable et
chargée d'intolérables tensions168(*).
Genette justifie la raison d'être du langage indirect
tout en soulignant l'importance dans l'analyse littéraire par
l'incapacité de toute autre forme de langage à restituer
parfaitement la vérité. « Si le langage
premier, écrit-il, était véridique, le langage
second n'aurait pas lieu d'être. C'est le conflit du langage et de la
vérité qui produit (...) le langage indirect ; et
le langage indirect, par excellence, c'est l'écriture, c'est l'oeuvre
»169(*).
En d'autres termes, c'est le langage indirect qui assure au
roman son réalisme au sens de Bertold Brecht170(*). S'intéresser au
langage indirect dans le roman, c'est tenter de déterminer la
vérité insérée dans ce roman dans une perspective
paradoxale, c'est-à-dire en sachant que la vérité
y « a pour condition (...) pour lieu, le
mensonge : habitant l'oeuvre, (...) non en tant qu'elle s'y
montre, mais en tant qu'elle s'y cache »171(*).
Voilà qui nous situe de nouveau dans des orientations
méthodologiques similaires à celles explorées dans le
chapitre précédent où il s'est agi, de
démontrer que les catégories théoriques retenues
étaient « des agents de transmission de
l'information » 172(*) comme l'aurait dit Philippe Hamon. Aussi,
importe-t-il de préciser que pour des raisons de convenance, je m'appuie
plus particulièrement sur le concept de non-narré
développé par Gerald Prince dans Narrative as theme,
pour examiner le langage indirect d'André Brink dans The other side
of silence. Le non-narré, « the
disnarrated » est une appellation plus pratique du langage
indirect. Il a l'avantage, comme l'écrit Gérald Prince de guider
le lecteur « by constituting a model that allows texts
better to define themselves, to specify and emphasize the meanings they wish to
communicate and to designate the values they develop and aspire
to »173(*).
Par non-narré proprement dit, il faut entendre tous les
événements qui n'ont pas lieu bien qu'ils auraient pu se
produire, mais auxquels le récit fait hypothétiquement,
négativement voire indirectement allusion174(*). Le détour par le
non-narré est pertinent pour l'analyse de The other side of
silence d'André Brink parce qu'il me permet d'examiner les traces
de l'Afrique du Sud dans ce roman qui, de prime abord, semble entretenir un
rapport de solidarité avec Elizabeth Costello de John Coetzee.
Seulement, contrairement à Elizabeth Costello où
l'Afrique du Sud est explicitement prise en charge par le récit, dans
The other side of silence, ce pays à la particularité de
sembler être exclu de l'objectif d'André Brink alors qu'au fond il
représente, sinon la raison d'être du roman, du moins une
préoccupation majeure de The other side of silence. L'examen
des traces de l'Afrique du Sud dans The other side of silence175(*) me permettra de
démontrer pourquoi et en quoi André Brink dans ce roman traite
plus que jamais d'une Afrique du Sud où il souhaite continuer de vivre
au contraire de J.M.Coetzee qui s'est exilé en Australie.
III-1-1- Les Traces de
l'Afrique du Sud
Personnage de premier plan dans The other of silence,
Hanna X est une jeune femme âgée entre 20 et 25 ans. Elle est une
Allemande originaire de la ville de Bremen en Allemagne
fédérale176(*). À l'âge scolaire, Hanna X se
découvre la vocation d'entreprendre des pérégrinations aux
destinations inverses à celles de son enseignante de Géographie
Fräulein Brauenschweig. Pour Hanna X, en effet, Fräulein
Brauenschweig représente un modèle, une personne bien qui sait la
comprendre contrairement à la majorité de ses encadreurs.
Brauenschweig a d'ailleurs influencé Hanna X au point de provoquer le
déclic de la curiosité chez son élève.
S'émerveillant de ce que son professeur Fräulein Brauenschweig ait
assez voyagé dans l'Allemagne et l'Europe de l'est (OS :
62) l'enthousiasme d'Hanna X pour les découvertes s'aiguise et lui fait
penser :
When I grow up I want to travel too (...) I'll go
right round the world. I want to see everything (...) all these places
with the singing names (...) Cordoba. Carcassonne. Tromso. Novgorod.
The Great Wall of China. The Bosporus. Tasmania. Saskatchewan. Arequipa.
Thierra Del Fuego. Sierra Leone. Yaoundé. Okahandja. Omaruru. I want to
go where the birds go in winter. To the warm places of the earth. The far side
of the wind. Where there is sun, and strange animals, and cannibals, and
dragons, and palm trees. (OS : 62)
Suite à de répétitives tracasseries dans
l'orphelinat qui l'avait recueillie, Hanna X ne manque pas de saisir
l'opportunité de la déportation dans la Frauenstein, une
institution chargée de gérer des femmes considérées
ennuyeuses en Allemagne. Cette institution est basée dans une colonie
allemande ; le sud-ouest africain encore appelée la Namibie. En
Allemagne, les tracas d'Hanna X s'expliquent par la conjugaison de la
cruauté et de l'avidité sexuelle autant des animateurs de
l'orphelinat, the Little children of Jesus, à l'instar de Pasteur Ulrich
qui a tenté par plusieurs reprises de la violer, que des employeurs de
fortune que lui trouvent spontanément le même orphelinat.
À la question de savoir si Hanna X est
réellement certaine de comprendre les enjeux de son choix d'aller en
Afrique, elle répond à la responsable en chef de
l'orphelinat : « It is not Germany I want to get away
from. Frau Sprandel. It is Africa I want to go to »
(OS: 134)
Hanna X est aussitôt embarquée dans une aventure
au cours de laquelle les motivations sécrètes de sa
décision seront en conflit perpétuel avec la stigmatisation dont
souffre toute femme en déportation ou déportée par le
gouvernement allemand chargé des colonies pour le sud-ouest-Africain. En
effet, pour le gouvernement allemand chargé des colonies, les femmes
blanches en déportation ou déportées par bateau puis par
train à destination de la Namibie, puis dans le cas d'Hanna X pour la
Frauenstein, y vont toutes soit « for the support or
delectation of its (Allemagne) menfolk » (OS:
11), soit pour permettre aux agents coloniaux allemands d'assouvir leurs
besoins biologiques de procréation ou pour leur permettre de satisfaire
ce qu'André Brink appelle « an uncomplicated
fuck » (OS: 5)
La raison de cette chosification absolue des femmes blanches
ou de leur réduction arbitraire à la sexualité est que,
l'Allemagne étant en plein dans la colonisation, les femmes
indésirables, répudiées ou en chômage là-bas,
se rendraient au moins utiles à l'Allemagne dans le
Sud-Ouest-Africain :
Not all the women were flotsam from the fatherland washed
up in search of employment or matrimony. But they had in common the fact that
they were all rejects of society, whether through widowhood, indigence, moral
turpitude or disability of one kind or another, and that no one else could or
would be burdened with the care of them. (OS :
12)
Il est difficile de ne pas observer à ce niveau comment
André Brink se sert d'Hanna X pour mettre une sorte d'épine dans
la botte de l'homme blanc en général, allemand en particulier.
André Brink relativise en effet la vision globalisante ou
généralisante du gouvernement allemand dans sa fiction au sujet
des femmes pour qui, toute femme n'est utile qu'à cause de son sexe.
André Brink fragilise cette vision en la restituant dans ses faiblesses
et ses absurdités que seule Hanna X permet de percevoir. C'est là
peut-être une des raisons de l'exhumation d'Hanna X de ses cendres comme
le fait le narrateur. Car il ne faut pas l'oublier, le narrateur a
inventé Hanna X après avoir constaté le mutisme dont elle
fut l'objet en Allemagne, lorsqu'un siècle après la vie
réelle d'Hanna X, il y est allé pour investiguer sur ce
personnage important pour lui/elle :
When nearly a century later I went to Bremen myself in a
last-ditch attempt to return to sources, it only too predictably brought me up
against the blank of the War. Almost nothing had survived that destruction: no
records, no registers, no letters; and it was too late for the memories of
survivors. I had no date of birth, no names of parents, to go by (...)
Here was, has been, no Hanna X. or, perhaps, too many. Total zerstört
(...) For reasons too dark to unravel, that moment when Hanna X's life
breaks into story comes (...) in the lugubrious building of
Frauenstein... (OS : 6-8)
En effet, Hanna X est d'un bord radicalement contraire
à celui du patriarcat que le gouvernement soutient. Elle rappelle au
patriarcat que la femme ne se résume pas simplement au sexe, elle a
droit de disposer d'elle-même, de rêver de son avenir ou de
l'avenir de la Nation comme le récit de Jeanne D'arc177(*), qui suscite
l'émulation d'Hanna X, le révèle à suffisance. La
femme a, c'est encore ce qu'Hanna X aide à comprendre, droit
d'être considérée comme citoyenne au sens de D. F.
Thompson178(*).
Aussi intéressante que soit l'importance d'Hanna X aux
yeux du narrateur de The other side of silence, elle ne dit point en
quoi ce roman traite de l'Afrique du Sud, et surtout d'une façon
contraire à J.M. Coetzee dans Elizabeth Costello. Dans The
other side of silence, deux éléments textuels orientent
subtilement le lecteur vers la conclusion que le roman est véritablement
centré sur l'Afrique du Sud. Il s'agit de la nationalité d'Hanna
X et surtout de la localisation spatiale de l'institution à partir de
laquelle l'essentiel de l'histoire a lieu dans le roman : la
Frauenstein.
La nationalité du personnage central fait songer
à un fait historique réel en rapport avec la Namibie, pays voisin
de l'Afrique du Sud. En effet, l'Allemagne a réellement colonisé
la Namibie. Quelques faits de cette colonisation sont d'ailleurs
romancés par l'écrivain allemand Uwe Timm dans son roman
intitulé Morenga179(*) qu'André Brink semble n'avoir pas
ignoré lors de la rédaction de The other side of
silence. Or, la Namibie reste un lieu de transit à destination de
la Frauenstein pour les déportées au nombre desquelles Hanna
X.
Par ailleurs, l'Allemagne a été effectivement
présente en Afrique du Sud à travers des contingents de migrants
qui « entre 1848 et 1858 s'installent en Afrique du Sud, du
côté d'East London »180(*) ainsi que l'écrit
Georges Lory dans son ouvrage intitulé L'Afrique du Sud. Ces
migrants ont fait suite, après la compagnie commandée par Jan Van
Riebeck, aux Hugenots, suivis à leur tour par des contingents anglais
qui perçurent tous l'Afrique du Sud comme une terre d'accueil181(*).
Confrontés à The other side of silence,
on peut dire de ces faits historiques qu'André Brink s'efforce à
les restituer artistiquement au moyen de l'itinéraire d'Hanna X et de
ses désirs. Dans le roman en effet, la Namibie, mais surtout sa capitale
Windhoek sert d'escale à la déportation d'Hanna X. Le
désir d'aller en milieu tropical ou en Afrique chez Hanna X n'est pas
sans rappeler l'intension qui justifia la migration d'Allemands vers l'Afrique
du Sud.
Voilà qui n'autorise pas déjà, comme
c'était le cas avec Elizabeth Costello de J. M. Coetzee, de
déduire d'une quelconque excentricité chez André Brink par
rapport à l'Afrique du Sud. En effet, on le voit, au contraire de J. M.
Coetzee, en période post-apartheid, André Brink se
révèle plus que jamais préoccupé par le
passé et le présent de son pays. Brink pense d'ailleurs non pas
devoir condamner ou ignorer ces passé et présent, mais les
assumer. C'est du moins une thèse dont il est question d'examiner le
mode d'insertion dans The other side of silence partant de la
particularité de la Frauenstein dans ce roman.
La Frauenstein occupe une place centrale dans le roman
d'André Brink. Quasiment plus de la moitié de l'ensemble des
événements relatés dans ce roman ont par exemple pour
toile de fond la Frauenstein. En outre, c'est à partir de cette
institution qu'Hanna X prend la résolution irréversible de briser
les chaînes de la dépendance qui l'empêchaient d'affronter
le patriarcat et de défendre son autonomie. Même si, à la
fin du roman on voit Hanna X à Windhoek où elle se venge de
Hauptmann Böhlke, il reste que la Frauenstein sert de fondation solide
à l'émancipation d'Hanna X. Hauptmann Böhlke est en effet ce
cruel homme d'arme qui, après avoir violé Hanna X, introduisit
son sexe en érection dans la bouche d'Hanna X (OS : 146)
en faisant savoir à sa victime que : « When I
fuck a woman (...) She stays fucked »
(OS : 145)
La localisation géographique de la Frauenstein permet
aussi d'envisager cette institution comme une espèce de masque dont se
sert André Brink pour suggérer la centralité de son roman
sur l'Afrique du Sud. Pour se faire une idée de la localisation de la
Frauenstein, il importe de convoquer le narrateur
intra-diégétique de The Other Side of Silence :
Frauenstein exists, (...) not on the Rhine or in
Bavaria but in the African desert (...) Upon the arrival of a female
shipment in the bay of Swakopmund, after a journey of thirty days along the
west coast of Africa (...) Then followed the four-day train journey to
Windhoek, a seething and brawling sleepless rage in which women were tried out
and passed on and exchanged or reclaimed among battling suitors (...)
the ultimately rejected, found unworthy by even the most disreputable of men
were candidates for Frauenstein (...) in to the interminable silence
of the desert. (OS : 11-12)
En d'autres termes, pour atteindre la Frauenstein en
provenance de l'Allemagne, on traverse Windhoek, la capitale de la Namibie
à destination du désert qui sert de macrocosme sur lequel est
érigé la Frauenstein dans la diégèse de The
other side of silence.
Dans la réalité, le désert qui
s'étend après Windhoek est localisé au sud de la Namibie
et il s'appelle le désert du Kalahari. C'est un espace naturel
charnière entre la Namibie, le Botswana et l'Afrique du Sud.
Comparée à la Namibie et le Botswana, l'Afrique du Sud a la
particularité de bénéficier de l'espace moyen de
couverture par le désert du Kalahari. Le Botswana est le pays voisin de
l'Afrique du Sud le plus couvert et la Namibie le voisin le moins couvert par
le désert.
Il est difficile de ne pas voir la transparence de l'Afrique
du Sud au moins géographiquement dans le volume textuel qui est produit
dans The other side of silence à partir de la Frauenstein, la
Namibie et les autres espaces entourés par le désert qui abritent
les événements. En effet, le roman est divisé en deux
parties. Toute la première partie est relatée du point de vue de
la Frauenstein avec une multiplication importante de flash-back ayant pour fin
de fixer le lecteur sur comment Hanna X est humiliée, chosifiée
et réduite au silence avant son arrivée à la Frauenstein.
La deuxième partie est racontée certes à partir du
désert, mais hors de la Frauenstein. Il y est question de
l'itinéraire de « l'armée de
vas-nus-pieds »182(*), les combattants pour la liberté,
armée fondée par Hanna X à destination de Windhoek. Les
escales de ce bataillon d'Hanna X sont respectivement « The
Rheinish mission » (OS : 173) où l'ancien
esclave Kahapa se venge de son ancien Maître et bourreau Albert Grubert
et « The fort » commandé par le capitaine Weiss
(OS : 234), fort que la bande à Hanna X prend d'assaut
avant d'éliminer ses 24 soldats (OS : 235). Le roman
s'achève à Windhoek (Namibie) où Hanna X humilie
publiquement son ancien bourreau Hauptmann Böhlke après avoir
renoncé à éliminer ce partisan du patriarcat ainsi que
nous l'apprend le narrateur :
No. No, she will not kill him. It is no longer necessary.
It not worth it. Killing him cannot undo the world that has made him possible.
She need not stoop to that. It is too simple. And there has been blood enough.
All she needs is to make sure the world will take note...
(OS : 306).
Alors que les deux escales du bataillon d'Hanna X
après la Frauenstein peuvent avoir eu lieu sinon en Afrique du Sud, du
moins au Mozambique, celui de la Frauenstein, au regard autant de l'importance
de cette station dans tout le récit que de la nationalité
d'André Brink, a certainement lieu en Afrique du Sud. Ce d'autant que
Brink choisit de ne pas voiler l'escale de la Namibie en restituant la
dénomination de la capitale de ce pays telle qu'elle : Windhoek. Le
moins qu'on puisse dire c'est que The other side of silence est
focalisé sur le Sud du continent africain traversé par le
désert du Kalahari. Peut-être vaut-il mieux de s'essayer à
la schématisation de l'itinéraire diégétique
d'Hanna X dans ses rapports avec la réalité afin de mettre
aisément en évidence comment cet itinéraire recoupe la
réalité de manière à permettre d'envisager la
virtualité de l'Afrique du Sud au-delà de cette institution aux
contours déterminants pour l'ensemble du roman : La Frauenstein.
Schéma 1 : Itinéraire d'Hanna
X sur la base de la carte géographique du sud du continent
africain
LÉGENDE
Itinéraire d'Hanna X
Afrique du Sud
Désert du KALAHARI
Localisation certaine de la Frauenstein Localisation
possible de la Rheinish
Mission
N Kaokoveld, lieu de naissance de Kahapa
Europe
Bremen
Allemagne
Bay of Swarkopmund
Windhoek
Namibie
Botswana
Lesotho
Swaziland
Pretoria
Bloemfontein
Le Cap
Madagascar
+
N
Le récit fait savoir que le Kaokoveld où est
né Kahapa se localise plus au nord de la Rheinish mission, premier lieu
d'escale de l'armée d'Hanna X en parturition avec son départ
volontaire de la Frauenstein, suivie à cet effet par la jeune Katja
(OS : 203). Cette information conforte la place de la Frauenstein
au sud de la Rheinish mission telle qu'elle apparaît dans le
schéma ci-dessus, rendant évidente la localisation de la
Frauenstein en Afrique du Sud. Il apparaît ainsi avec Philippe Hamon
que « ce n'est jamais, en effet,
le « réel » que l'on atteint dans un texte,
mais une rationalisation, une textualisation du réel, une reconstruction
a postériori encodée dans et par le
texte »183(*).
Maintenant qu'il est clair que The other side of
silence est centré sur l'Afrique du Sud, il convient d'examiner les
figures du discours que Brink propose sur ce pays dans son roman. Le
détour par cet examen aiderait sinon à préciser en quoi
les idéaux d'André Brink s'écartent de ceux de J. M.
Coetzee en période post-apartheid, du moins à multiplier des
lieux de démarcation entre ces deux écrivains blancs
sud-africains.
III-1-2- Les figures du
discours de Brink sur l'Afrique du Sud
Olivier Reboul définit la figure
comme « un procédé de style permettant de
s'exprimer d'une façon à la fois libre et
codifiée »184(*). Fontanier pense pour sa part que :
Les figures du discours sont les traits, les formes ou les
tours plus ou moins remarquables et d'un effet plus ou moins heureux, par
lesquels le discours, dans l'expression des idées, des pensées ou
des sentiments, s'éloigne plus ou moins de ce qui en eût
été l'expression simple et commune185(*).
Ces conceptions des figures de Reboul et de Fontanier, bien
qu'importantes en ce qu'elles suggèrent l'aspect
stylistico-rhétorique des discours en général, semblent
cependant inopérante pour l'examen du fond ou du sens des discours.
C'est la raison pour laquelle les figures dont il s'agit ici se rapportent
à la configuration ou au portrait dans le contexte de la peinture.
Autrement dit, examiner les figures du discours d'André Brink sur
l'Afrique du Sud dans The other side of silence revient à
déterminer quelques entrées ou thèmes dont la conjugaison
permettrait de reconstituer la pensée ou les sentiments d'André
Brink vis-à-vis de son pays. Au nombre de ces figures, je me limiterai
à la quête de la liberté, au féminisme et à
la diversité.
III-1-2-1- La quête de la
liberté
En divers points, The other side of silence s'affirme
comme roman de la quête de la liberté. L'un de ces aspects est le
fait que ce roman est le cadre de la résurrection symbolique d'Hanna X
comme cela a été élucidé
précédemment.
En ressuscitant Hanna X de son oubli, le narrateur et,
partant, l'auteur choisissent d'évoluer sur une voie où ils se
considèrent comme des pionniers, ce d'autant qu'Hanna X est simplement
donnée pour morte par le discours officiel tenu par le gouvernement
allemand dans la diégèse. Par cette approche esthétique,
Brink défie l'ensemble de la société potentiellement
capable de tenir ou qui tient des discours semblables à celui sur Hanna
X dans le roman.
Le discours officiel sur Hanna X est un discours
exhibitionniste à la manière du discours que Njabulo Ndebele
combat dans son essai intitulé Rediscovery of the Ordinary. Un
discours préoccupé à écarter ou à ignorer
toute personne ayant pu faire la tête ou ayant pu résister d'une
façon ou d'une autre au pouvoir phallocratique en place. Puisque Hanna X
a réussi à éliminer Colonel von Blixen, un puissant membre
du pouvoir colonial en place, elle mérite d'être
considérée comme anti-modèle dans le discours officiel
(OS : 6). D'où l'amnésie dans laquelle elle a
été réduite jusqu'au moment où Brink, au moyen de
son narrateur décide de l'exhumer de ses décombres.
André Brink est également
préoccupé par la liberté de la femme. Il ne s'agit plus
que la femme continue à subir passivement des mutilations diverses. Il
s'agit qu'elle apprenne à dire non ou à opposer une
résistance farouche à son infantilisation ou à son
invisibilisation par l'homme. C'est à Katja qu'Hanna X explique les
enjeux de la démarche dont elle n'est que la porte voix d'André
Brink :
Why do you keep on talking about revenge, Katja? It is not
just revenge. That too of course (...) But it's so much more. You must
believe me. You've seen for yourself, in Frauenstein, and even here in this
place, how many have been maimed. Not necessarily in the same way, not always
so visible, but all of us harmed. Scarred. And for as long as we bear it in
silence it will go on. There comes a time when one has got to say No. someone
has to stop it. And the world must know about it, they must learn what has been
done to us, they must know our names. (OS : 200)
Bien que ces propos puissent aussi parfaitement s'appliquer
aux ex-colonisés qui font partie de l'armée d'Hanna X, il ne fait
aucun doute qu'ils sont ceux d'une femme décidée à se
prendre en charge et à se rendre visible à partir des
critères qu'elle s'est choisie de façon autonome. Rien donc
d'étonnant que The other side of silence se perçoive
comme roman féministe.
III-1-2-2- Le
féminisme
Il est difficile de ne pas remarquer qu'avec The other
side of silence, André Brink se dévoue résolument
à la cause féminine. On note par exemple au titre des
énoncés d'escorte que le roman est dédié à
Eva, visiblement, l'épouse d'André Brink :
To Eva who over the years has provided friendship,
comfort, care, support, advice, help, insight, a place to rest, a view on the
lake, a car to the Rigi, asparagns in many forms, breakfast at dawn, lunch on
the terrace , items of clothing, and abundant love186(*).
En dédiant son roman à Eva, André Brink
place d'entrée de jeu ce roman sous le signe du refus de toutes sortes
d'injustices que la société patriarcale fait subir aux femmes.
André Brink s'oppose en effet aux personnages comme Pastor Ulrich, von
Blixen, Hauptmann Böhlke ou toute l'administration coloniale, qui pensent
à tort qu'Hanna X, comme beaucoup d'autres
femmes « are the other not because they lack penises but
because they lack power »187(*) ainsi que l'aurait dit Simone De Beauvoir. Eva, sous
la plume d'André Brink est tout, sauf impuissante. C'est pourquoi Brink
pense qu'elle mérite d'être remerciée. Tandis qu'autant
l'administration coloniale que les institutions religieuses, tel que c'est le
cas avec The little children of Jesus, se représentent les
femmes comme des objets dont l'homme devrait jouir à son gré au
point de les transporter comme de simple marchandises « for
the support or delectation of its menfolk » (OS :
11), André Brink rend plutôt hommage à Eva pour sa
sollicitude autant morale, matérielle que psychologique à son
égard.
André Brink propose, partant de l'hommage rendu
à Eva, une société autre que celle existante et qui soit
expurgée de solipsisme. Il s'agit d'une société où
l'homme et la femme devraient se reconnaître complémentaires et
combattre tous deux les préjugés nourris par le masochisme,
même si Jean Paul Sartre voit en ce masochisme la conséquence
essentielle de l'amour entre homme et femme188(*). André Brink rejoint par cela les
théoriciens du féminisme existentialiste pour
qui « woman, like man, is a subject rather than an object;
she is no more Being-in-Itself than man is. She, like man, is Being-for-Itself,
and it is high time for man to recognize this fact »189(*).
Pour suggérer la nécessité chez l'homme
de prendre conscience de l'émancipation féminine, André
Brink s'appuie sur Hanna X, personnage central du roman, engagée
irréversiblement dans la voie de sa visibilité. Hanna X est
d'autant engagée qu'elle ne pense pas à se limiter seulement
à l'environnement de la Frauenstein, au contraire, son combat est
à la dimension de l'humanité ainsi qu'elle l'explique à sa
compagne Katja :
Look at this desert, with its stones and its little bushes
and its silence. It does not need me; it will be here long after I have gone.
But I don't want it to forget about me. I was here. You are here. I want this
place to know about us. That is why we're going to Windhoek, don't you
understand? And we must take with us all the others who have suffered and who
have also forgotten the need to say No (...) so you see, it is not
just one man we are looking for (...) our hunt is on now. To find
everybody who has joined forces with that man. Everybody who has made him
possible. (OS : 200)
Le type de féminisme que Hanna X déploie n'a pas
une évolution constante. Au départ, Hanna X promeut le
féminisme radical. Pour ce modèle, la libération de la
femme passerait exclusivement par élimination de l'homme partisan du
patriarcat190(*). C'est
le cas dans The other side of silence lorsque Hanna X assassine le
Colonel von Blixen au moyen d'un gourdin. Ce dernier a, en effet, essayé
d'arracher à la jeune Katja sa virginité pendant leur
séjour à la Frauenstein (OS : 36). C'est encore le
cas lorsqu'Hanna X aide Kahapa à venir au bout d'Albert Grubert en
logeant dans la tête de ce dernier une balle fatale (OS :
157). Albert Grubert avait, en effet, violé l'épouse de Kahapa,
son esclave, lors de sa détention arbitraire.
L'orientation féministe d'Hanna X se distancie
progressivement du féminisme radical avec le concours de Katja. Lorsque
Hanna X ordonne à Katja d'éliminer le sergent Werner
(OS : 246), Katja choisit cette occasion pour faire l'amour avec
sa proie avant de l'exécuter. « The first part was
for me, the second for you » (OS : 258)
explique-t-elle à Hanna X qui ne comprend pas pourquoi Katja a
passé plus de temps que prévu pour mettre à
exécution son forfait.
Par cette philosophie qui frise le délire, Katja aide
Hanna X à relativiser son radicalisme du départ. Hanna X comprend
aussi que même si l'homme a été l'oppresseur de la femme,
lutter pour la libération de la femme est absurde si cette
libération suppose l'élimination de l'homme avec lequel elle est
naturellement programmée à vivre. Peut-être que la femme
gagnerait à s'investir dans la dérivation ou la remise en
question des acquis culturels qui prédisposent l'homme à la
chosifier ou à l'humilier. Ainsi parviendrait-elle sans doute à
stopper ce que Bourdieu appelle la domination masculine191(*). Cela passe par un
requestionnement tous azimuts de la société dans ses acquis et
ses codes culturels.
Cette démarche exige chez la femme une vigilance
constante et une connaissance solide du passé qui a permis la
réalisation de la civilisation pâtriarcale. Hanna X progresse donc
du féminisme radical au féminisme déconstructiviste pour
lequel « women should stay vigilant »192(*).
Elles devraient rester vigilantes afin d'éviter de
produire une culture fondamentale identique ou plus perverse, mais sexuellement
différente, que celle du patriarcat qu'elles entendent combattre. C'est
là un défi qu'il revient aux femmes de réaliser.
André Brink ne fait pas croire à un défi facile à
réaliser puisque Hanna X, au regard du nombre d'hommes tombés
sous sa main, n'y parvient quasiment pas. Néanmoins, les enjeux de paix
sociale, de justice et d'amour consécutifs à une telle
démarche féministe sont perceptibles et devraient plutôt
motiver à s'y essayer ainsi que Hanna X le fait en laissant la vie sauve
à son ancien violeur à la fin du roman.
III-1-2-3- La
diversité
La diversité apparaît dans The other side of
silence comme une préoccupation assez élaborée. Elle
se rapporte en effet autant à la race, aux genres, à
l'idéologie qu'à la culture. La diversité est raciale et
sexuée parce que Hanna X ne se borne pas seulement, dans la quête
de sa visibilité, à elle seule. Elle contribue sinon à
galvaniser, du moins à faire germer autant chez d'autres femmes
opprimées que chez des esclaves noirs la conscience de soi. Par cette
démarche, Hanna X emprunte une orientation contraire à celle qui
a contribué et continue d'ailleurs à créer l'occident et
l'orient pour reprendre l'expression d'Edward Said193(*). Elle exclut dans sa
démarche ce qu'Abdul Jan Mohamed appelle « The
fetishishizing strategy »194(*) qui procède par le déploiement
d' « une prodigieuse machinerie destinée à
exclure »195(*) des catégories de personnes de la quête
de soi. Hanna X entend plutôt inclure autant de personnes que possible
qui subissent diverses formes d'oppression.
En réalité, Hanna X n'a jamais lutté
pour commander l'armée dont elle est simplement devenue la cheftaine. On
peut dire qu'elle devient leader par contagion. Elle contamine en effet les
autres membres qui la font jouer le rôle de pivot du groupe.
La première à être contaminée par
le désir de résistance au masochisme ou au racisme est Katja.
Ladite contamination a lieu après l'immolation du Colonel von Blixen.
Alors qu'Hanna X se résout à s'évader de la Frauenstein,
Katja lui fait savoir qu'elle ne peut supporter de rester toute seule dans cet
univers carcéral hostile : « You're not going
without me. You can't leave me here... I cannot stay in this place. After what
has happened... Please. I need you. I won't let you go »
(OS: 154) C'est de cette manière que Katja lie son destin avec
celui d'Hanna X.
Au regard de l'adolescence de Katja, elle peut être
représentative des enfants ou des adolescents qui ne sont pas toujours
épargnés des injustices ou des violences perpétuées
sur leurs personnes par leurs aînés.
Le deuxième type de personne à se joindre au
combat d'Hanna X est le noir Kahapa. Né dans le kaokoveld
(OS : 203), Kahapa a été engagé par le Baas
Albert Gruber comme esclave. Ne supportant pas que Albert Gruber lui prenne son
épouse, Kahapa affronte son Maître dans un duel à l'issu
duquel il est cruellement mutilé et abandonné aux vautours dans
le désert. C'est dans cet état qu'Hanna X et Katja font sa
rencontre, quelques heures de marche après leur évasion de la
Frauenstein :
Yes, it is a man. Or was once. Before he was tied down, on
his back, over an anthill, outstretched arms and legs fastened to stakes driven
into the ground. The front of his body, from neck to knees, is black with dried
blood through which a criss-cross pattern of stripes can be discerned. His sex
has been mutilated, the testicles cut off. A cloud of flies rises in an angry
buzz as they approach. (OS : 157)
Aussitôt, Katja et Hanna X aident Kahapa à
recouvrer sa santé. Après cela, il se venge de son bourreau
duquel Hanna X l'aide à venir à bout. Suite à cette double
sollicitude d'Hanna X à son égard, Kahapa prend la
décision de faire équipe avec Hanna
X : « You do this for me... Two times you save my
life... Now we go find your man ». (OS : 170)
Comme on le voit, Hanna X n'aide finalement que les
opprimés à s'émanciper et à lutter pour leur cause
dans la vie. Aussi, la diversité qui se reflète d'une telle
démarche est centrifuge et rebelle à toute sorte de
compartimentation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, le groupe qui
naît autour d'Hanna X s'étend continuellement jusqu'à
intégrer davantage de Noirs, de Noires (OS : 206, 205,
229...) et la blanche Gisela (OS : 216).
Le modèle de diversité que Brink soutient dans
The other side of silence s'accommode mal avec celui que Nadine
Gordimer propose dans Get a life au moyen de la relation entre les
amis de la nature que sont Paul Bannerman, Derek et Thapelo. Tandis que chez
Gordimer, la diversité dévoile une méthode subtilement
disposée par les dominants et qui consiste à exclure les
dominés tout en faisant croire aux derniers qu'ils sont égaux aux
premiers, chez Brink, la diversité repose, à la base sur la
quête de liberté assumée.
Autrement dit, ce n'est pas parce que Blancs et Noirs
cohabitent, collaborent ou jouent les rôles professionnels quasiment
semblables comme le sont Paul Bannerman, Derek et Thapelo dans Get a
life, qu'il y a nécessairement diversité. À
l'inverse, ce n'est pas parce que les Noirs sont noirs que tous sont porteurs
de la même identité. Si oui, Kahapa et Himba ne
mépriseraient pas Lucas et David, deux esclaves noirs soumis qui
acceptent bon enfant le statut de subalterne que le maître leur
réserve. Kahapa et Himba exposent leur dédain vis-à-vis de
David et Lucas de la manière suivante : « They don't
even have their Nama names any more... they're Lukas and David now. That's
white names. They go over to the other side » (OS:
228)
C'est dire que Kahapa et Himba n'ignorent pas que «
la culture dominante mène une lutte continue et
nécessairement inégale pour désorganiser et
réorganiser la culture [des idiots culturels196(*)], pour réduire et
confiner ses définitions et ses formes à une large palette de
formes dominantes»197(*). En méprisant ces deux autres Noirs comme
eux, Kahapa et Himba refusent l'identité de la sujétion et de la
dépendance vis-à-vis de la culture dominante. Ils affirment
plutôt leur appartenance à la culture de ceux que Stuart Hall
appelle les « idiots culturels » en faisant
allusion au regard que les capitalistes jettent sur le populaire,
c'est-à-dire, l'ensemble des opprimés. Kahapa et Himba,
précédés par Hanna X tentent par leurs choix de
construire « a new civilisation »198(*) tout en sachant que cette
civilisation nouvelle ne saurait réellement prendre son
envol « without the payment of disciplined and rigorous
attention to detail »199(*). « Not all white are the
same » (OS: 191), rappelle pertinemment Katja à
Kahapa pour attirer son attention sur l'importance du détail,
confirmant par le même coup la conformité des
préoccupations éthiques d'André Brink avec celles de
Njabulo Ndebele200(*).
En tout état de cause, l'intrigue, mieux, le sens de
The other side of silence se déclenche à partir de la
Frauenstein dont l'interchangeabilité avec l'Afrique du Sud a
déjà été mise en évidence. C'est sans doute
une manière pour Brink de montrer l'importance du travail à
abattre en Afrique du Sud si l'on veut stopper les injustices diverses dont la
recrudescence malgré la venue de la Nation Arc-en-ciel est
désormais un secret de polichinelle. Pour André Brink en effet,
l'Afrique du Sud reste fortement hostile aux femmes et aux Noirs malgré
la prise en main des affaires par les Noirs en général, l'ANC en
particulier.
Seulement, que Hanna X s'engage à lutter pour
l'environnement socio-politico-culturel dans The other side of silence
traduit l'espoir que Brink porte pour l'éclosion d'une nouvelle et
véritable Nation Arc-en-ciel en Afrique du Sud. C'est pourquoi
l'écriture romanesque d'André Brink est différente de
celle de J.M. Coetzee qui a perdu l'envie de continuer de vivre en Afrique du
Sud, voire d'assumer sa sud-africanité. Au contraire d'André
Brink, J. M. Coetzee redoute, comme on l'a vu, la nouvelle configuration
politique sud-africaine et refuse de la regarder en face dans le but de
l'améliorer. André Brink vise pourtant des idéaux qui se
rapprochent de ceux de Zake Mda. C'est à ce titre qu'il convient de se
pencher maintenant sur Ways of Dying qui permettrait plus que The
other side of silence d'éclairer Get a life de Nadine
Gordimer.
III-2- Perspective narrative et
vouloir du personnage dans Ways of Dying
L'analyse de l'écriture romanesque interpelle le
critique dans divers lieux de la création esthétique. C'est la
raison pour laquelle je m'intéresse dans cette partie de ma
réflexion à la perspective narrative et au vouloir du
personnage central de Ways of dying. L'étude de ces deux
autres catégories constitutives de l'écriture romanesque me
semblent pertinente pour dégager l'Histoire (avec grand H) qui a
lieu sous le mouvement superficiel de l'histoire , celle vécue par
les personnages , comme le dit Henri Mitterand201(*) . Cette analyse permet
sinon de mettre en évidence la conjonction des préoccupations
esthético- politiques de Mda et d'André Brink , du moins
d'apporter un éclaircissement déterminant sur le sens de
Get a life de Nadine Gordimer. C'est tout au moins parce que
l'éclaircissement en question scelle les coïncidences
esthétique, politique et idéologique entre Get a life
de Nadine Gordimer et Elizabeth Costello de John Coetzee que
la perspective narrative et le vouloir de Toloki méritent d'être
étudiés ensemble.
III-2-1-Le vouloir de
Toloki
Philippe Hamon estime que le vouloir du personnage est une
modalité essentielle dans l'analyse du roman. Il écrit à
cet effet :
Dans l'univers anthropomorphe du roman qui organise la
confusion personne-personnage, le vouloir instaure le personnage comme
actant-sujet et déclenche le processus narratif. Il transforme n'importe
quel acteur, à n'importe quel moment du récit, en un sujet
virtuel doté d'un programme local ou global et en relation
déjà finalisée avec un objet auquel il attribue une
valeur soit positive (il désire l'objet) ,soit négative (il
désire l'éviter). Cet objet peut lui-même , être soit
un objet concret(vouloir une maison ,vouloir un enfant...) ,soit un
état ( vouloir être heureux...) , soit une modalité
(vouloir le pouvoir , désirer un savoir) etc. et ce vouloir-faire peut
être inné ou acquis202(*).
Autrement dit, le vouloir du personnage s'appréhende
à partir de deux principaux axes : l'axe du processus narratif
linéaire et l'axe sémiologique le long duquel la pensée de
l'auteur sur la société « s'y montre en tant
qu'elle s'y cache »203(*). Aussi commencerai-je par exposer l'essentiel des
faits narrés dans Ways of Dying204(*) pour terminer par l'examen de la
pensée de Zakes Mda telle qu'elle se dégage du vouloir de
Toloki.
Toloki est un jeune sud- africain noir qui, suite à une
carence affective de la part de son père Jwara, décide de quitter
le village où il est né pour s'installer, à 18 ans, dans
l'un des multiples townships qui continuent de peupler les villes
sud-africaines. L'école primaire ne lui ayant pas apporté
grand-chose sinon le développement de ses talents de chanteur
(WD : 43), Toloki, au regard des multiples décès au
sein de la communauté noire en Afrique du Sud, se métamorphose en
ce qu'il appelle « a professional Mourner »
(WD: 133), un pleureur professionnel. Il entend ainsi gagner sa vie
et échapper à la mendicité en ville. Avant d'exercer comme
pleureur professionnel, Toloki a connu, l'espace d'un éclair, un temps
de prospérité, en tant que commerçant ambulant de
denrées alimentaires. C'est suite au cambriollage de sa carriole de
viande cuite et surtout de son humiliante aventure avec le menuisier
Nefolvhodwe que Toloki n'a pas d'autre choix que de devenir un pleureur
professionnel. Issu du même village que Toloki, et ancien ami du
père de Toloki, Nefolvhodwe a connu une ascension sociale fulgurante
avec son établissement en ville. Le secret de cette ascension sociale
réside dans des cercueils très courus que Nefolvhodwe sait seul
confectionner :
In the city, Nefolvhodwe soon established himself as the
best coffin maker. Like everyone else, when he first arrived, he lived in one
of the squatter camps. Unlike the village, death was plentyful in the city.
Every day there was a line of people wanting to buy his coffins. Then he moved
to a township house. Although there was always a long waiting list for township
houses, he was able to get one immediately because he had plenty of money to
bribe the officials. The township house soon become too small for his needs,
and for his expanding frame. He bought a house in one of the very up-market
suburbs. People of his complexion were not allowed to buy houses in the suburbs
in those days. He used a white man, whom he had employed as his marketing
manager, to buy the house on his behalf (WD: 125)
Dépourvu de son chariot de commerce, Toloki demande
à être soutenu par Nefolovhodwe. Ce dernier suggère
à Toloki de garder les cimetières afin de lui reporter les
auteurs des déterrements illicites de ses cercueils, lesquels
déterrements affectent ses gains journaliers. Lors d'un de ces
gardiennages, Toloki est sauvagement battu par les trafiquants véreux de
cercueil qu'il ne parviendra jamais à identifier (WD: 132).
Toloki prend dès lors sa liberté en main, et s'écarte de
la vie de Nefolovhodwe pour exercer dorénavant
comme « professional mourner ».
Chez Noria, une jeune femme noire et soeur de même
village que Toloki avec laquelle ce dernier a grandi, Toloki retrouve sa propre
réplique. C'est ainsi qu'à sa demande, Toloki
déménage de son squatter pour partager le domicile de fortune de
Noria dans un Township.
Dans l'intrigue de Ways of Dying, Zakes Mda expose
deux postures de société en conflit : celle dont
Nefolovhodwe est le principal représentant et celle que Toloki cherche
activement à forger. Le vouloir de Toloki se pose en s'opposant
absolument au type de société dont Nefolovhodwe n'est qu'un
porte-voix. Le monde de Nefolovhodwe fait penser à la classe des Noirs
sud-africains qui ont connu une ascension sociale soudaine avec la fin
officielle de l'Apartheid. Peu nombreux au sein de la majorité des Noirs
en Afrique du Sud, c'est une minorité qui, comme Nefolovhodwe, s'est
contentée de s'enrichir au point de finir par ignorer les
problèmes réels que sont le logement, la nutrition, l'emploi,
l'urbanisation auxquels la majorité des Noirs et, partant, toute
l'Afrique du Sud fait face. Nefolovhodwe s'est tellement
dépersonnalisé à l'avantage de la culture
dominante « au point d'adopter son costume, sa cuisine,
souvent sa religion et parfois même ses tics » comme
l'aurait écrit Amadou Hampâté Bâ205(*). Il s'offusque par exemple
de ce que Toloki lui demande en personne l'emploi, plutôt que de passer
par ses chargés de ressources humaines :
You come and disturb my peace here at home when I am
relaxing with my fleas just because you want employement? Don't you know where
my office is in the city? Do you think I have time to deal with mundane matters
such as people seeking employment? What do you think I employ personnel
managers for? (WD: 129)
Cette réaction de Nefolovhodwe confirme son
interchangeabilité avec la classe des évolués dont Kom
Ambroise précise le sens en ces termes :
Dans la plupart des cas, l'on a affaire à des
individus ayant subi une dépersonnalisation achevée. A la longue,
ils ont intériorisé les besoins du maître et vont
poursuivre les mêmes objectifs que ce dernier. Leur africanité se
réduit pour ainsi dire à la couleur de la peau et à
quelques souvenirs d'enfance. Autrement dit, ce sont des étrangers tant
ils ont à coeur les intérêts de l'Autre206(*).
Mais dans le cas de Nofolovhodwe, cette copie conforme du
colonisateur207(*)
brille particulièrement par un sadisme plus actif vis-à-vis du
Noir et par l'accumulation exubérante des gadgets provenant de l'univers
du maître. Il possède par exemple, à lui seul, une douzaine
de « german, british and american luxury cars »
(WD: 128). Inutile de rappeler aussi combien Nelofovhodwe se montre
insensible et cruel vis-à-vis de Toloki.
Toloki refuse de se laisser impressionner par la fortune de
Nelofovhodwe qu'il estime suspecte parce que,
constate-t-il « Nelofovhodwe had attained all his wealth
through death » (WD: 133). Il se résout
d'ailleurs à restituer à celui qu'il considère comme
anti-modèle, la totalité des dépenses
concédées pour sa nutrition : « Toloki
promised himself that one day he was going to refund every cent's worth of food
he had eaten at the despicable man's house » (WD:
132)
Ce que Toloki veut, c'est finalement l'éclosion chez
le Noir d'une personnalité authentique parce qu'autonome. Il refuse la
compromission à la mentalité d'exclusion du Blanc capitaliste.
Toloki rêve qu'émergent des individus noirs qui, comme lui,
refusent autant la dilution dans le groupe dominant, que l'enfermement dans des
valeurs traditionnelles immuables. D'où l'observation que fait Rita
Barnard: « Mda's Toloki is nothing if not crossings and
transitions: his name is an isiXhosa version of the Afrikaans word tolk
(«translator»), and he is described by other «characters as
looking», like something that has come to fetch us to the next
world »208(*).
C'est dire que Toloki refuse les absolus et privilégie
les solutions intermédiaires comme l'aurait dit Njabulo Ndebele dans
Rediscovery of the ordinary209(*). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il accepte
de se lier à Noria. Comme Toloki, cette dernière redoute
l'aumône venant des hommes : « I do not take
things from men » (WD: 71) fait-elle savoir à
Toloki qui s'étonne de ce que Noria décline la forte offre
pécuniaire que lui propose Bhut Shaddy, un autre Noir de la même
posture que Nelofovhodwe.
À la manière de Caliban dans une
Tempête d'Aimé Césaire ou de Tituba dans Moi,
Tituba Sorcière Noire de Salem de Maryse Condé, Toloki veut
participer à son épanouissement de façon autonome. Toloki
a horreur de la dépendance vis-à-vis autant de la nouvelle classe
de dirigeants noirs symbolisée par Nelofovhodwe que du capitaliste blanc
qui a, comme l'aurait dit Edward Said, créé le bourgeois ou le
bureaucrate noirs dont le mode opératoire est défini par
Nelofovhodwe.
Zakes Mda a donc l'avantage d'attirer l'attention sur une
catégorie de nouveaux dirigeants noirs dont la légitimité
réside dans une collaboration complexe avec l'ancien système. Les
valeurs de ces dirigeants et riches soudains sont la corruption,
l'exécution ou le sabotage des potentiels concurrents noirs,
l'accumulation des gadgets de la civilisation occidentale capitaliste et la
liste est loin d'être exhaustive.
Ways of Dying trouve par ailleurs son pendant dans
The other side of silence d'André Brink lorsqu'on prend en
compte l'Afrique du Sud dans sa diversité raciale. En effet, alors que
Zakes Mda s'attaque explicitement à la race noire, André Brink,
lui porte un regard ouvertement caustique sur la race blanche. André
Brink et Zakes Mda suggèrent par ces postures que Blanc comme Noir,
chacun a des défauts. Aussi l'abandon des absolus et la recherche des
postures intermédiaires s'imposent-elles comme conditions sine qua non
pour l'amélioration des conditions de vie en Afrique du Sud.
L'autre point de convergeance entre Zakes Mda et André
Brink est le féminisme. Mda, comme Brink, pense devoir miser sur la
femme pour une meilleure survie en Afrique du Sud. C'est à Toloki que
Mda laisse traduire l'espoir qu'il place en la femme :
The women are never still. They are always doing something
with their hands. They are cooking. They are sewing. They are outside scolding
the children. They are at the tap drawing water. They are washing clothes. They
are sweeping the floor in their shacks, and the ground outside. They are
closing holes in the shacks with cardboard and plastic. They are loudly joking
with their neighbors while they hang washing on the line. Or they are fighting
with the neighbors about children who have beaten up their own children. They
are preparing to go to the taxi rank to catch taxis to the city, where they
will work in the kitchens of their madams. They are always on the move
(...) you know what I think, Noria? From what I have seen today, I believe
the salvation of the settlements lies in the hands of women. (WD:
175-176)
Eu égard à l'espace de vie des femmes à
qui Mda rend ainsi hommage, il est difficile de confondre ces femmes à
Elizabeth Costello dans Elizabeth Costello ou aux épouses de
Derek, de Thapelo et de Paul Bannerman dans Get a life. Par contre
leur milieu de vie les rapproche d'Hanna X avec la superficielle
différence que la dernière évolue dans un milieu
proprement carcéral alors que les premières évoluent dans
des townships sud-africains, autres milieux carcéraux
euphémiques. Voilà qui justifie en quoi Brink et Mda sont
complémentaires et méritent d'être considérés
comme écrivains sud-africains à la posture idéologique
différente de celle de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer en
période post-apartheid.
En attirant d'ailleurs l'attention sur une classe de
bourgeois noirs en émergence dans la nouvelle Afrique du Sud, Ways
of Dying offre l'opportunité de revenir sur le sens de la relation
entre Paul Bannerman, Thapelo et Derek dans Get a life de Nadine
Gordimer. En effet, le portrait qui est fait des épouses de Derek et de
Thapelo explique au moins en partie pourquoi Thapelo et Derek sont
difficilement des sujets au même titre que Paul Bannerman :
Derek has four children and Thapelo three on their legs
and a baby in a padded carry-cot decked with dangling toys. Derek's wife
manages to look like the sexually challenging teenager she must have been, with
nipples poking at a T-shirt but the set of years is in the angle of the
cigarette in her mouth. Thapelo's is a beauty, a school teacher who could be
one of the models in Brenice's Campaigns to promote luxury cars or cosmetics.
The tossing blond hair of Derek's woman, placing her as a sister rather than
mother to her twelve-year-old daughter casting about her blond veil in the same
way, is completed in contemporary fashionableness by the braided and beaded
headed heads of Thapelo's woman and six-year-old daughter
(GL : 111)
En trahissant la complicité des épouses de
Derek et Thapelo avec la culture occidentale, ce portrait suggère par le
même coup la subalternité de Thapelo et de Derek vis-à-vis
de Paul Bannerman qu'ils appellent
d'ailleurs « chief » (GL: 94). La
déculturation / inculturation de Derek et de Thapelo est d'autant plus
consommée que leurs enfants ne se nourrissent que de Pizzas et ne
fréquentent que « the private
schools » (GL: 112), autrefois réservées
aux enfants blancs exclusivement. Autrement dit, le démantèlement
de l'Apartheid que Gordimer célèbre, n'a pas, sous la plume de
Zakes Mda, coïncidé avec la parturition d'une société
plus juste en Afrique du Sud.
Homi Bhabha n'a donc pas tort de faire remarquer que
l'au-delà, ou pour le cas de l'Afrique du Sud, la période
post-apartheid, ne signifie pas nécessairement rupture ou
libération de la tyrannie du passé. Il peut aussi toujours
signifier mise sur pied de nouvelles techniques d'exclusions plus efficaces que
les précédentes :
The « beyond » is neither a new
horizon, nor a leaving behind of the past (...) In the fin de
siècle, we find ourselves in the moment of transit where space and time
cross to produce complex figures of difference and identity... For there is
(...) in the « beyond »: an explanatory,
restless movement caught so well in the French rendition of the
words « au-delà ». (...) What is theoretically
innovative, and politically crutial, is the need to think beyond narrative of
originary and initial subjectivities and to focus on those moment or processes
that are produced in the articulation of cultural differences210(*).
Le détour par le vouloir de Toloki a finalement permis
de jeter une lumière d'un éclat déterminant pour la
compréhension de Get a life. Il en découle la
complémentarité des écrits de J. M. Coetzee et de Nadine
Gordimer malgré de réels écarts de perspective en
période post-apartheid. A ce duo sud-africain, Lars Engle aurait
ajouté le dramaturge Athol Fugard211(*).
III-2-2- Perspective narrative
et signification dans Ways of Dying
La perspective narrative désigne selon Gérard
Genette « ce mode de régulation de l'information qui
procède du choix (ou non) d'un « point de vue »
restrictif »212(*). Françoise Van Rossum-Guyon affirme pour sa
part que « dans un roman, ce qu'on nous raconte, c'est
toujours aussi quelqu'un qui se raconte et qui nous
raconte »213(*).
Ces conceptions de la perspective narrative prouvent qu'il
s'agit d'un concept diversement apprécié. Pour une exploitation
optimale du concept, il importe de l'opérationnaliser. Aussi
m'appuierai-je sur les questions que soulève Gérard Genette
à savoir « qui voit et qui
parle »214(*) pour mon analyse de Ways of Dying. Il
s'agira d'étudier l'identité du narrateur afin de dissiper la
confusion qui prévaut de prime abord entre le narrateur de Ways of
Dying et celui d'Elizabeth Costello.
Dans Ways of Dying, la présence du narrateur
se manifeste par l'emploi du style direct et indirect. À titre
d'illustration du style indirect, on peut s'arrêter sur l'extrait
suivant :
Toloki decides that he will rush to the home of the
deceased, wash his hands and disappear from the scene. He will have nothing to
do with people who have treated him with so much disrespect. Hungry as he is,
he will not partake of their food either. If he did not have so much reverence
for funeral rituals, he would go home right away, without even washing his
hands. People give way as he works his way to the head of the procession, which
is already outside the gates of the cemetery (WD: 10)
Au lieu que ce soit Toloki qui informe directement le lecteur
sur ses intentions ou ses projets secrets, le lecteur les apprend par le
truchement d'un narrateur qui rapporte après coup, ce que Toloki fait ou
a l'intention de faire. Cette situation narrative illustre ce que Gérard
Genette symbolise par la formule « narrateur =
personnage ». Le narrateur en sait, en effet, autant que Toloki.
Ce type de foyer narratif, pour emprunter cette autre formule à
Gérard Genette, a pour effet de provoquer dans la conscience du lecteur
l'association du narrateur au personnage. Le lecteur est, en effet,
tenté d'ignorer la présence et donc l'importance du narrateur
pour se contenter exclusivement du personnage. Comme s'il refusait au lecteur
de sous-estimer son narrateur, Zakes Mda fait régulièrement
intervenir le narrateur dans le style direct. D'entrée de jeu, on peut
par exemple lire:
There are many ways of dying! The Nurse shouts at us. Pain
is in his voice, and rage has mapped his face. We listen in silence. «This
our brother's way is a way that has left us without words in our months. This
little brother was our own child, and his death is more painful because it is
of our own creation. It is not the first time that we bury little children. We
bury them every day. But they are killed by the enemy... those we are fighting
against. This little brother was killed by those who are fighting to free
us»! We mumble... (WD : 7)
Le narrateur est donc un ensemble de personnes identifiables
par le pronom personnel « nous ». En plaçant cet
ensemble de personnes au même niveau de connaissance de l'histoire de
Toloki que lui-même, le romancier fait valoir Ways of Dying
comme roman pour la cause non seulement de Toloki, mais aussi de tous les
Sud-africains du même statut social que Toloki.
Si « les choses sont dites populaires
parce que des masses de gens les écoutent, les achètent, les
lisent, les consomment et semblent en tirer un grand
plaisir »215(*), Ways of Dying se prête
également au roman populaire. La raison en est que des masses de gens
(nous) semblent tirer un grand plaisir à suivre les faits et gestes de
Toloki dans la diégèse de Ways of Dying. Elles se
branchent, se connectent toutes aux péripéties de Toloki tout en
projetant celui-ci comme paradigme humain et idéologique à imiter
ou à valoriser. Voilà qui souligne un point de démarcation
entre le Nous-narrateur chez Zakes Mda et le Nous-narrateur chez J. M.
Coetzee. En effet, alors que le Nous-narrateur d'Elizabeth Costello
est connecté à la bourgeoise et très
célèbre Elizabeth Costello tel que cela a été
évoqué dans le précédent chapitre, le
Nous-narrateur de Ways of Dying accorde son attention aux
misérables des Townships sud-africains que Toloki représente. Le
nombre et la qualité des personnes contenues dans le Nous-narrateur
d'Elizabeth Costello sont trahis par les bruits de leurs moyens
financiers. Il s'agit en effet de personnes capables par exemple de s'acheter
des billets d'avion, condition sine qua non pour rapporter les faits et gestes
de leur modèle autant depuis l'espace que dans les voyages
internationaux d'Elizabeth Costello dans le roman de J. M. Coetzee. C'est dire
combien les préoccupations de Mda et de Coetzee s'esquivent, confirmant
l'impossibilité de la représentativité d'Elizabeth
Costello pour le roman Sud-africain post-apartheid.
Ce chapitre visait à exposer la vision du monde de
deux autres écrivains sud-africains qui s'inscrivent dans une direction
différente voire contraire à celle soutenue par Coetzee et
Gordimer en période post-apartheid. Le détour par The
Other Side of Silence et Ways of dying a également permis
de préciser le sens de Get a life et d'Elizabeth
Costello. Les idéologies dont sont porteuses ces textes fictifs
respectivement de Nadine Gordimer et de J. M. Coetzee, c'est du moins ce qu'on
a pu voir, sont complémentaires. J. M. Coetzee et Nadine Gordimer
proposent deux modèles idéologiques visiblement contraires, mais
conciliables.
CHAPITRE IV :
GET A LIFE ET ELIZABETH
COSTELLO : ROMANS PORTEURS D'IDÉOLOGIES COMPATIBLES
Dans le chapitre précédent, on a vu que Get
a life et Elizabeth Costello ont des points de convergence
idéologique et thématique. Il s'agit dans le présent et
dernier chapitre d'élaborer tout d'abord cette compatibilité. Je
confronterai ensuite les idéologies insérées dans ces deux
romans aux discours théorico-politiques qui informent le processus
historique global :
Si même les descriptions les plus soutenues, les
plus raffinées que nous offre la littérature font aussi partie du
processus général qui crée les conventions et les
institutions, et par lequel les significations reconnues par la
communauté sont partagées et rendues actives, alors ce processus
ne peut pas être séparé, distingué ou isolé
des autres pratiques du processus historique216(*).
C'est dire qu'il est nécessaire de considérer la
littérature comme une réalité symbolique qui entretient
des rapports divers avec la politique, l'économie ou le social. Aussi
m'appesantirai-je sur les concepts de bourgeoisie et de racisme comme des
cadres de déploiement de l'imagination de J. M. Coetzee et de Nadine
Gordimer dans Elizabeth Costello et Get a life. Étant
donné de légers aménagements au plan formel entre les
romans de Coetzee et de Gordimer pendant et après l'Apartheid, je
m'essaierai, pour finir, à une conceptualisation des distinctions
honorifiques de l'institution Nobel de littérature dans le cas
spécifique de l'Afrique du Sud. Le but est de dépasser mon
hypothèse générale pour ouvrir ma réflexion sinon
au populaire du moins à la popularité que le Nobel impulse
à certains écrivains plutôt qu'à d'autres.
IV-1- La bourgeoisie comme
paradigme chez Coetzee et Gordimer
En mettant en parallèle Michaël K, sa vie, son
temps, A world of strangers ; Elizabeth Costello et
Get a life, il se dégage comme une impossibilité chez
J.M.Coetzee et Nadine Gordimer d'imaginer en dehors d'une classe sociale :
la bourgeoisie. L'univers bourgeois se reflète en divers points de ces
romans, mettant en évidence la compatibilité thématique et
idéologique de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer avec la
bourgeoisie.
La bourgeoisie est un concept originellement occidental. Elle
est donc hégémonique. Ce concept a connu une évolution
sémantique impressionnante suite aux divers contacts de l'Occident avec
le reste du monde. En général, les bourgeois sont des gens
matériellement épanouis qui ont la tendance à exhiber
ostentatoirement leur bien-être. Seulement, le bourgeois originel se
distingue des autres, par son dynamisme, ses ambitions et sa capacité
à prendre les risques dans la réalisation de ses projets. C'est
ici que s'affirme la différence entre la bourgeoisie occidentale et la
bourgeoisie tropicale que Frantz Fanon précise en ces termes :
L'aspect dynamique et pionnier, l'aspect inventeur et
découvreur des mondes que l'on trouve chez toute bourgeoisie nationale
est ici lamentablement absent. Au sein de la bourgeoisie nationale des pays
coloniaux, l'esprit jouisseur domine. C'est que sur le plan psychologique, elle
suit la bourgeoisie occidentale dans un côté négatif et
décadent sans avoir franchi les premières étapes
d'exploration et d'invention qui sont en tout état de cause un acquis de
cette bourgeoisie occidentale217(*).
Autrement dit, le bourgeois tropical ou colonial s'identifie
avec le bourgeois occidental au strict plan de la consommation des biens
culturels, économiques ou symboliques provenant de l'univers du second.
Bourgeois tropical ou occidental, Albert Memmi fait observer pour sa part
que : « Tout bourgeois est suspect a priori des
caractères que nous avons notées dans toutes démarche
raciste. Du maître des forges au petit propriétaire du XIX
siècle, relayés par le grand et le petit entrepreneur de nos
jours, tous sont avides et cruels »218(*).
Dans Get a life, l'appartenance du personnage de
premier plan, Paul Bannerman, à la bourgeoisie s'expose lorsqu'il est
présenté comme atteint de cancer de la thyroïde. Tous les
moyens matériels à la disposition de sa famille sont en effet
déployés pour que Paul Bannerman recouvre sa santé. Pour
alléger par exemple sa quarantaine chez ses parents Adrian et Lyndsay,
Berenice, son épouse, se charge de lui apporter « his
laptop, some cassettes, his Adidas, the book on the behaviour of
relocated elephants he was in the middle of reading when back to
hospital » (GL: 4)
Un autre aspect qui trahit l'appartenance de Paul à la
bourgeoisie c'est le pouvoir de mobilité dont disposent ses parents.
Adrian et Lyndsay décident, à titre d'illustration, de passer
leurs congés de Noël au Mexique. Là-bas ils
séjournent dans la « Mexico city
hôtel » (GL: 104), un hôtel visiblement
hupé du Mexique.
Le dévouement de Paul Bannerman au respect de
l'environnement dévoile son dynamisme et confirme son appartenance
à la bourgeoisie occidentale. Paul Bannerman est obsédé
par le combat qu'il croit nécessaire de mener pour la
préservation de la biodiversité. Paul Bannerman s'abandonne
à son combat au point de sacrifier symboliquement son affection pour son
épouse Berenice. « When he was in a wilderness, her
city place did not exist for him » (GL: 15), fait
remarquer le narrateur. Cette détermination de Paul Bannerman cadre avec
la volonté de découvrir ou simplement la volonté de
puissance qui oriente la démarche du bourgeois occidental. C'est
certainement la raison pour laquelle, Paul Bannerman se veut un éternel
insatisfait dans la mesure où il doute même de ce que d'autres
voient comme preuve de succès. Pour lui, en effet,
« Success sometimes may be defined as a disaster put on
hold » (GL: 99). Paul Bannerman invite ainsi ses amis
Derek et Thapelo à être toujours sur leurs gardes quand bien
même le gouvernement leur promet de se plier à leur opposition au
projet de construction d'une autoroute devant traverser par la côte du
Pondoland :
The center of endemism, the great botanical treasure (...)
it's identified reserved there, sixteen millions tons of heavy minerals and
eight million tons of ilmenite. One of the biggest mineral sand deposit in the
world. (GL : 84)
Bannerman étant un bourgeois, donc avide et cruel, on
peut comprendre que la biodiversité ne l'intéresse pas autant que
le sous-sol extrêmement riche et les mines d'Afrique du Sud. D'ailleurs
peut-être que sa collaboration avec Derek et Thapelo vise à
écarter ces derniers au moyen des projets alléchants et
séduisants de la religion écologique que Paul Bannerman
prêche afin que ce dernier puisse seul prendre en charge les
potentialités économiques toujours impressionnantes du sous-sol
sud-africain.
Elizabeth Costello bénéficie des mêmes
attributs dans Elizabeth Costello que Paul Bannerman dans Get a
life. La célèbre auteure de The House on Eccles
Street est considérée et distinguée en Occident,
preuve de sa consécration par des milieux universitaires huppés
des USA et d'Europe. Comme on l'a vu dans le chapitre deux, Costello est tour
à tour invitée par des universités de Williamstown,
Pennsylvanie, Altona, Appleton aux USA et en Europe par l'université
d'Amsterdam afin de partager avec un public assoiffé de son savoir sur
l'écologie et les Humanités.
Plus encore, au cas où Costello ne serait pas à
même de se procurer des billets d'avion pour satisfaire les
sollicitations diverses dont elle est l'objet, le groupe qui la consacre comme
écrivaine modèle, les lui fournit à souhait. C'est du
moins l'idée qui ressort du commentaire ci-après de son fils John
Bernard lors du premier séjour de Costello en Pennsylvanie :
« It is the only way they have... They admire you, they want to
honour you. It's the best way they can think of doing that. Giving you money.
Broadcasting your name, using the one to do the other »
(EC: 3)
Quoi que la notoriété de Costello reste
ignorée en Afrique du Sud (EC : 114), elle fait au moins
fortune en Occident. Cette situation s'explique sans doute par le fait que
l'ensemble du savoir de Costello repose sur la culture occidentale bien
qu'étant elle-même australienne blanche.
À se représenter la mécanique ou les
conditionnements culturels et psychologiques qui ont rendu possible la
métamorphose de l'Australienne à l'Occidentale qu'est devenue
Costello, on se rend compte qu'ils se caractérisent par la
détermination et le sens du sacrifice qui rentrent en ligne de compte
pour définir le bourgeois occidental. Costello s'est, en effet,
donnée assez de mal, pour pouvoir assimiler des savoirs en provenance de
l'Occident au point d'en devenir un modèle. Costello a d'ailleurs
tellement été conditionnée par l'Occident qu'elle est
elle-même devenue hégémonique au moins sur le plan
intellectuel. Elle n'hésite pas par exemple à blasphémer
lorsque ses intérêts le lui commandent, ainsi que le lui reproche
le poète Abraham Stern :
Dear Mrs Costello, Excuse me for not attending last
night's dinner. I have read your books and know you are a serious person, so I
do you the credit of taking what you said in your lecture seriously... You
took over for your own purposes the familiar comparison between the murdered
Jews, of Europe and slaughtered cattle. The Jews died like cattle, therefore
cattle die like Jews, you say. That is a trick with words which I will not
accept. You misunderstand the nature of likenesses; I would even say you
misunderstand willfully, to the point of blasphemy (GL: 94)
Que le poète Abraham Stern formule cette critique
à l'égard de Costello par écrit traduit le sérieux
des penchants hégémoniques de Costello.
En un mot, Elizabeth Costello et Paul Bannerman symbolisent
la bourgeoisie occidentale. Qu'ils soient des personnages de premier plan
autorise à les envisager comme des interprètes symboliques de la
pensée de Nadine Gordimer et de J. M. Coetzee en contexte
post-apartheid.
IV-2- Contexte
post-apatheid : espace de l'exacerbation et de la complexification du
racisme
Pour Albert Memmi, le racisme désigne :
« la valorisation généralisée et
définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au
profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de
légitimer une agression... Le racisme est l'utilisation profitable
d'une différence »219(*).
En d'autres termes, la question du racisme ne se
réduit pas simplement à la couleur de la peau. Elle s'applique,
de façon plus vaste à la différence ; laquelle
différence peut être aussi bien sexuelle, économique,
religieuse que raciale et la liste est loin d'être exhaustive.
De Get a life et d'Elizabeth Costello se
dégagent deux modèles de racisme qui transparaissent des rapports
qui prévalent entre Paul Bannerman et ses deux collaborateurs noirs et
du contraste dans la réception de l'écrivaine Elizabeth Costello
entre l'Occident et l'Afrique du Sud. Chez J.M. Coetzee, on peut parler du
rejet systématique du Noir alors que chez Nadine Gordimer le concept
adéquat semble être celui de la dépersonnalisation du
Noir.
IV-2-1- Le rejet du Noir
Dans Elizabeth Costello, le rejet du Noir se
révèle aussi bien dans la relation conflictuelle entre Costello
et sa soeur Blanche que dans les raisons de leur conflit. Avec sa soeur
aînée encore appelée Sister Bridget, Costello n'a jamais
été véritablement en accord. C'est du moins ce que
confirme Costello lorsqu'elle fait observer
que : « Sister Bridget has many Sisters. I am a sister
in blood. The others are truer sisters, sisters in spirit. »
(EC: 126)
La raison de ce désaccord est que Blanche s'est
engagée pour s'occuper des Noirs souffrant du SIDA après avoir
renoncé à ses compétences d'universitaire de lettres
classiques:
Sister Bridget... has moved for good, it seems, to Africa,
following a vocation. Trained as a classical scholar, retrained as a medical
missionary, she has rised to be administrator of a hospital of no mean size in
rural Zululand. Since Aids swept over the region, she has concentrated the
energies of the Hospital of the Blessed Mary on the Hill, Marianhill, more and
more, on the plight of children born infected. (EC : 116)
Au plan intellectuel, la raison du conflit entre Elizabeth
Costello et Bridget réside dans la conception de chacune sur les
missions de l'université dans le monde. Alors que pour Bridget,
l'université devrait justifier sa raison d'être par la recherche
de meilleures conditions de vie pour tous dans le monde, ce qu'elle appelle les
humanités, Elizabeth Costello pour sa part soutient une démarche
qui fait valoir l'université comme source d'enrichissement
matériel et financier. Bridget déplore la force d'expansion de la
conception de l'université dans le monde qu'a sa soeur comme nous
l'exprime le narrateur en ces termes :
The humanities the core of the University. She (Bridget)
may be an outsider. But if she were asked to name the core of the University
today, its core discipline, she would say it was moneymaking. That is how it
looks from Melbourne, Victoria; and she would not be surprised if the same were
the case in Johannesburg, South Africa. (EC : 125)
C'est finalement la divergence fondamentale de leurs
idéologies qui explique la discordance entre Costello et Bridget. C'est
pourquoi, contrairement à Costello, Bridget fait montre de respect de la
différence et des valeurs de l'autre : le Noir. Bridget
intègre par exemple des guérisseurs traditionnels dans le minable
hôpital sud-africain dont elle a la charge. Elle vise par cette
méthode intégrative l'échange des compétences pour
s'occuper des divers et nombreux patients :
In the wards, mingling with the staff are women in native
dress. Costello takes them to be mothers or grandmothers until Blanche
explains: They are healers, she says, traditional healers. Then she remembers:
This is what Marianhill is famous for, this is Blanche's great innovation, to
open the hospital to the people, to have native doctors work beside doctors of
Western medicine. (EC : 134)
En clair, Bridget vise le relativisme culturel, le
multiculturalisme et le respect de la différence. Elle suggère
l'acceptation des guérisseuses traditionnelles comme une
réalité sud-africaine. Ce sont là des approches qui
offusquent sa soeur Elizabeth Costello. Cette dernière supporte mal de
voir sa soeur ainsi cohabiter ou collaborer avec les Noirs, « the
natives ». Elle souffre régulièrement du mal du
pays étant donné qu'elle est venue dans ce pays arc-en-ciel, ce
« ugly city » (EC: 117) qui est
Marianhill. « Withdrawal, nous apprend le narrateur, that is
what she is suffering from » (EC: 143). Elle s'y sent
comme en exil ou en prison et souhaite retourner le plus tôt en Australie
ou en Occident: « I want to be back in my old surroundings, in a
life I am familiar with » (EC: 143).
En plus clair, dans la psychologie de Costello se
déploie la démarche raciste qu'Albert Memmi expose en ces
termes :
Quoi qu'il en soit, la différence est d'une
certaine manière trouble et négation de l'ordre établi.
Devant l'étrangeté de l'autre, on risque d'hésiter sur
soi-même. Et pour se rassurer, pour se confirmer, il faudra refuser, nier
l'autre... Pour sauvegarder notre supériorité, gardons-nous de
la pollution par les étrangers220(*).
Par sa démarche consistant à rejeter le Noir,
il est difficile de ne pas voir en Costello une espèce de palimpseste
symbolique réarticulant la thèse négationniste de
l'Afrique soutenue au 19e siècle par le philosophe allemand
Hegel et qui justifia la colonisation et l'exploitation à grande
échelle de l'Africain :
L'Africain ne pense pas, ne réfléchit pas,
s'il peut s'en dispenser. Il a une mémoire prodigieuse. Il a de grands
talents d'observation et d'imitation, beaucoup de facilité de parole...
mais les facultés de raisonnement et d'invention restent en sommeil. Il
saisit les circonstances actuellement présentes, s'y adapte et y
pourvoit ; mais élaborer un plan sérieusement ou induire
avec intelligence, c'est au-dessus de lui221(*).
Costello redoute donc la pollution par les Africains noirs et
surtout ceux infectés par le SIDA. Elle pense devoir épargner sa
soeur aînée de la contamination avec des Noirs superstitieux chez
qui les facultés de raisonnement restent en sommeil comme l'aurait dit
Hegel :
Blanche, écrit Costello, dear Blanche, why
is there this bar between us? Why can we not speak to each other straight and
bare, as people ought who are on the brink of passing? Mother gone; old Mr.
Phillips burned to a powder and scattered to the winds; of the world we grew up
in, just you and I left sister of my youth, do not die in a foreign field and
leave me without an answer! (EC : 155)
Cette lettre sert de moyen supplémentaire à
Costello pour convaincre sa soeur de quitter l'Afrique et retourner en
Australie, mieux, prendre ses distances avec les Noirs potentiellement
dangereux.
C'est dire que la raison secrète du voyage de Costello
pour le Zululand, est qu'elle espère y persuader Blanche de promouvoir,
comme elle, la culture occidentale en général, australienne
blanche en particulier. Cette intention cachée est perceptible dans la
condescendance de Costello vis-à-vis de Blanche que la première
trouve mal en point, « scrawny as a hen »
(EC: 118). Dans la perspective de Costello, l'apparence maigrichonne
de Blanche se justifie par les conditions de vie difficiles découlant de
sa pollution avec les Noirs.
En tout état de cause, Costello mobilise son talent et
toutes ses énergies, sinon pour retarder interminablement, du moins pour
esquiver le contact avec les Noirs. On peut même l'accuser de phobie du
Noir puisqu'elle rejette systématiquement et ouvertement autant le Noir
que ses codes culturels.
La fuite de nombreux sud-africains Blancs, vers l'Australie
depuis 1994, parmi lesquels J. M. Coetzee lui-même, semble confirmer, en
ce qui concerne le projet idéologique de Costello le fait que la fiction
a toujours voix au chapitre de la réalité. À n'en pas
douter, le problème du racisme reste tout entier dans la Nation
arc-en-ciel. Ce mode d'expression de la pensée libérale demande
une prise en charge plus sérieuse qui passerait par la maîtrise
des enjeux et des défis de l'aventure du capitalisme dans le monde. Avec
Get a life, le problème du racisme est posé
différemment et de manière plus subtile.
IV-2-2- La
dépersonnalisation du Noir
Dans Get a life, l'activisme de Derek et de Thapelo
pour la cause écologique ainsi que la hiérarchisation actancielle
entre eux et Paul Bannerman, dissimulent la dépersonnalisation du Noir
à l'avantage du groupe dominant.
Aussi sérieuse que soit la question écologique,
il n'en demeure pas moins qu'elle n'est pas pertinente au même
degré selon qu'on appartient au groupe dominant ou au groupe
dominé. En effet, les priorités divergentes de chacun interdisent
que la question écologique bénéficie de la même
considération de part et d'autre.
Tel n'est malheureusement pas le cas avec Derek et Thapelo
dans Get a life. Ces deux Noirs sont plutôt des subalternes
vis-à-vis de Paul Bannerman bien qu'ils font équipe. Paul
Bannerman est du moins conscient de son autorité dans le
« team » (GL : 15) des
« bushmates » (GL: 111) qu'il anime.
C'est l'idée qui apparaît lorsque le narrateur rapporte la vie
intérieure de ce dernier en ces termes : « Doubt had
come to him in the garden where he had begun to apprehend life as a boy.
Biodiversity; chief, say to yourself: professional jargon stuff. But it's
within that term your place is, chief [...] » (GL:
94).
Au détour d'une conversation
téléphonique avec le malade Paul Bannerman, Thapelo met en relief
son inféodation à l'autorité du chef :
So you Laz-zy, how's it? Chief, haai! We never hear from
you! So much happening. I'm back into the pebble-bed scene, now, it's dynamite,
my man, I can tell you. But what are the doctors doing, keeping you locked away
like this, do you feel okay? When're you coming back? [...] Say. You hear the
latest. The Institution of Nuclear Engeneers say's the new reactor at Koeberg
gonna be «walk away safe». «Walk away safe». I thought
you'd like to take that walk, Bra. But if the Minister gives Government
go-ahead, we'll have him in court against this «favorable environmental
impact assessment evaluation» his boys have come up with. Man, I've got
plenty to tell you, what's going on; we're getting more support groups joining
protest every day. Big names. Amazing. I promise you [...] so when can I come
to your place,I don't know where you are. (GL: 59).
En effet, remarquant l'effacement momentané de Paul
Bannerman de la scène publique, Thapelo se donne pour devoir de rendre
des comptes au supérieur conformément à un code qui les
lie. C'est dire combien Thapelo est absorbé par le combat
écologique et partant par le système identitaire du groupe
dominant.
Il en va de même autant de la conviction qui le
galvanise dans la collaboration avec Paul que des craintes propres au groupe
dominant et qui le poussent également à opposer une
énergique contestation au projet d'acquisition d'un réacteur
nucléaire par l'Afrique du Sud : « The direst of all
threats in the world's collective fear-beyond terrorism, suicide bombing,
introduction of deadly viruses, fatal chemical substances in innocent
packaging, Mad Cow disease-is still « nuclear
capability » (GL : 39)
C'est à cause de cette peur que, Thapelo, convaincu
d'avoir sur la main un élément concordant avec la
nécessité de s'opposer au gouvernement sud-africain qui est sur
le point d'acquérir le réacteur nucléaire, se rend
à l'improviste chez Paul: « Thapelo drops in over a
weekend on the pretext, just to check up on you [...] but really to analyze
Gaddafi's sudden decision to announce and renounce Libya's possession of
nuclear capacity ». (GL: 100)
Thapelo croit donc avoir un exemple dans le monde que son
groupe devrait réaliser en Afrique du Sud, ce d'autant plus que
« South Africa is a Signatory to the nuclear non-proliferation
treaty ». (GL: 100)
Derek, comme Thapelo partage aussi les espoirs et les
craintes du groupe dominant. Cette situation est confirmée par sa
solidarité avec Paul Bannerman et Thapelo. Les trois collaborateurs sont
le plus souvent ensemble lors des recherches préalables à leurs
actions. Ils sont d'ailleurs tous qualifiés de chercheurs
indépendants, « The independent researchers (the Pauls and
Thapelos and Dereks) ». (GL: 25)
En clair, Thapelo et Derek n'ont plus du Noir que la couleur
de leur peau. Ils sont en quelque sorte des « espèces de
clients de l'ordre colonial »222(*), ce que V.S. Naipaul appelle des
« mimic men » 223(*).
Confrontées à Paul Bannerman, chef du groupe et
symbole du groupe dominant dans Get a life, les conduites de Thapelo
et Derek confirment l'existence de ce que Michel Foucault appelle le biopouvoir
et que Hubert Dreyfus et Paul Rabinow définissent « comme
la manière dont fonctionnent nos pratiques actuelles pour mettre en
place un ordre dans lequel l'homme occidental pourra jouir d'une bonne
santé, vivre dans la sécurité et être productif
» 224(*) .
Cette dépersonnalisation de l'Africain que Mongo
Béti dénonçait vigoureusement dans Mission
terminée225(*)se réaffirme comme méthode d'exclusion
pacifique ou humanisée comme l'aurait préféré
Michel Foucault226(*)
sous la plume de Nadine Gordimer en période post-apartheid.
Difficile de ne pas remarquer que Get a life et
Elizabeth Costello soutiennent des idéologies
complémentaires. On peut même affirmer que J. M. Coetzee et Nadine
Gordimer n'ont fait que renforcer la pensée qui traverse leurs
écrits pendant l'Apartheid que nous avons étudié plus
loin. Dans cette perspective, ces deux écrivains sud-africains ont quand
même le mérite d'indiquer quelques faiblesses de la culture qui
« se sclérose dans les formes déterminées
interdisant toute évolution, toute marche, tout progrès, toute
découverte »227(*). Pour parler comme Pierre Bourdieu c'est une culture
dont « les agents peuvent paraître en quelque sorte
absents de leur pratique alors qu'ils accomplissent la nécessité
de la structure dans le mouvement spontané de leur
existence »228(*). Walter Benjamin parle quant à lui de
« l'exploitation du producteur au nom du principe de la
créativité, principe selon lequel le poète est
supposé avoir accouché par lui-même de son oeuvre,
tirée de son pur esprit »229(*).
Que J. M. Coetzee et Nadine Gordimer aient été
distingués par l'institution Nobel de littérature, malgré
leur exploitation par le principe de la créativité pour emprunter
cette construction à Walter Benjamin, suscite quelques interrogations
qu'il n'est pas superflu d'examiner. En effet, la
célébrité de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer
découlant de leur distinction, ces écrivains figurent, à
n'en pas douter, parmi les écrivains d'Afrique du Sud les plus connus et
donc populaires. Or comment s'inspirer d'éléments
méthodologiques des cultural studies comme c'est le cas dans ma
réflexion et ne pas traiter de la question du populaire,
inévitable dans le cas de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer ?
IV-3- La popularité de
Gordimer et de Coetzee en question
Ayant été distingués par le Nobel de
littérature, l'une des plus puissantes institutions littéraires
du monde pour l'ensemble de leurs ouvrages, Coetzee et Gordimer ont atteint une
reconnaissance internationale importante en tant que producteurs et promoteurs
de symboles culturels. Toutefois, leur consécration par une institution
puissante basée à l'extérieur de l'Afrique du Sud
dissimule mal son caractère problématique. En effet, la
signification d'un symbole culturel et partant de son producteur étant
donnée « en partie par le champ social dans lequel il est
incorporé et en partie par les pratiques avec lesquelles il s'articule
et entre en résonnance »230(*), il y a lieu de questionner
la crédibilité de la consécration par le Nobel de Coetzee
et de Gordimer. Deux modèles de raisonnement peuvent justifier la mise
en cause de leur consécration par l'institution Nobel de
littérature.
Le premier est celui selon lequel le Nobel, au moins en ce
qui concerne l'Afrique du Sud n'a jusqu'ici jeté son dévolu que
sur des écrivains « absents de leur pratique alors qu'ils
accomplissent la nécessité de la
structure » hégémonique
caractéristique du groupe dominant ou capitaliste comme on l'a vu avec
le sociologue Bourdieu. Sinon comment expliquer qu'au lieu de Zakes Mda,
André Brink, Alan Paton, Alex la Guma, Peter Abrahams ou Bessi Head pour
ne se limiter qu'à ces exemples, Nadine Gordimer et J. M. Coetzee aient
seulement retenu l'attention des experts du Nobel ?
L'autre modèle est que la popularisation de J. M.
Coetzee et de Nadine Gordimer par le Nobel de littérature dans le cas de
l'Afrique du Sud procède de la désorganisation et de la
manipulation de la vie quotidienne, stratégies de domination dont sont
passées maîtres les industries culturelles capitalistes ainsi que
le reconnaît Stuart Hall :
les industries culturelles ont [...] le pouvoir
de réélaborer et de façonner ce qu'elles
représentent et, à force de répétition et de
sélection d'imposer et d'implanter des définitions de
nous-mêmes qui correspondent plus facilement aux descriptions de la
culture dominante ou hégémonique. C'est ce que signifie la
concentration du pouvoir culturel - la capacité d'un petit nombre
à fabriquer la culture231(*).
En d'autres termes, en distingant J. M. Coetzee et Nadine
Gordimer, l'institution Nobel de littérature contribue à
fabriquer une culture populiste et assigne à cette culture l'objectif
d'arroser, de bâillonner voire de dévaloriser la culture des gens
ordinaires ; celle que des masses de gens écoutent,
achètent, lisent, consomment et semblent en retirer un grand plaisir
comme l'aurait dit Stuart Hall.
C'est dire que, les deux modèles ci-dessus
mènent nécessairement à la question de la
neutralité des institutions littéraires étrangères
ou excentrées en général, des prix littéraires en
particulier. Toutes des questions dont Mongo Béti232(*) et, dans une moindre mesure,
Bernard Mouralis233(*)
ont fait leur cheval de bataille dans le contexte de l'Afrique francophone.
À coup sûr, l'Afrique a autant besoin
d'institutions littéraires authentiques et autonomes pour faire vivre sa
littérature qu'elle n'a pas intérêt à sous-estimer
l'extraversion de la distinction de certains de ses écrivains. Les
enjeux sont sans doute plus décisifs dans le deuxième cas. Sinon,
comment s'identifierait-elle efficacement si elle ne prend pas le soin de
localiser l'autre. « If you can't locate the other, how are you
to locate yourself? »234(*) s'interroge à juste titre Minh-Ha. En clair,
voilà le défi ultime pour une véritable renaissance
africaine.
CONCLUSION
GÉNÉRALE
L'étude de l'écriture romanesque post-apartheid
chez J. M. Coetzee et Nadine Gordimer se donnait pour objectif de
vérifier l'hypothèse que Get a life et Elizabeth
Costello réarticulent l'indifférence de leurs auteurs
vis-à-vis des infortunes des Non-blancs en général, des
indigents sud-africains en particulier. L'ambition implicite était de
voir si l'on ne pouvait pas néanmoins partir de cet hermétisme de
deux prix Nobel de littérature face aux indigents, pour mesurer les
défis à relever pour en finir avec le racisme en Afrique du Sud.
C'est ainsi un travail qui s'inscrit dans le cadre des études-bilans et
surtout prospectives des possibles pour court-circuiter le racisme dans une
Afrique du Sud où il est plus que jamais d'actualité bien que
sous un nouveau jour.
Le culturalisme au centre des cultural studies a permis de
situer J.M. Coetzee et Nadine Gordimer dans le groupe dominant. La localisation
de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer dans le groupe dominant a
déjà constitué l'objet de plusieurs recherches dont la
plus récente que nous ayons pu consulter reste celle de Rita Barnard
intitulée Apartheid and beyond. South African writers and the
politics of place. Pour un examen efficace de l'écriture romanesque
des textes constitutifs de mon corpus, la narratologie de Gérard Genette
et de bien d'autres théoriciens a souvent été
convoquée.
Par sa focalisation sur des romans d'écrivains
sud-africains appartenant au groupe dominant, la démarche
empruntée et l'ambition visée suggèrent que la critique
littéraire ne saurait se confondre à l'opinion de J.M. Coetzee et
de Nadine Gordimer. Le contraire a malheureusement eu tendance à
s'imposer dans la critique littéraire en Afrique ainsi que le redoute
fort opportunément Romuald Blaise Fonkoua. « Le danger qui
guette, écrit-il, la critique africaine c'est qu'elle soit
considérée comme le double de l'écrivain, le relais de son
discours auprès d'un public »235(*).
C'est dire qu'Écriture post-apartheid chez J.M.
Coetzee et Nadine Gordimer est une illustration de l'autonomie du
critique littéraire par rapport aux écrivains. Nadine Gordimer
soutient d'ailleurs la nécessité de cette autonomie
bénéfique pour un plus large partage de la littérature.
Elle fait en effet observer que « décomposer un
texte est d'une certaine façon une contradiction, car c'est en fait le
recomposer à partir de ses morceaux, comme l'avoue Roland Barthes
[...] Ainsi le critique littéraire finit-il par devenir lui aussi
une espèce de conteur »236(*).
Ma recherche s'est détournée de la perspective
de Jean Sévry et de Masizi Kunene. Ces deux chercheurs ont eu le tort de
n'avoir pas envisagé le racisme en rapport avec le capitalisme
occidental hégémonique. Le monde étant dangereux à
vivre non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de
ceux qui regardent et laissent faire, comme l'aurait dit Albert
Einstein237(*), il a
fallu se risquer au défi. C'est pour cette raison qu'il ne s'est pas agi
de regarder et de laisser seuls Jean Sévry et Masizi Kunene
« comprendre et faire comprendre, aimer et faire
aimer »238(*) la littérature sud-africaine. Il s'est
plutôt agi de s'essayer à la critique littéraire avec pour
toile de fond une Afrique du Sud où « imperialism
consolided the mixture of cultures and identities on a global
scale »239(*). Ce contexte post-apartheid a rendu la question de
la race (couleur de la peau) autant désuette qu'ardue. Dans un tel
contexte, le discours écologique au centre de Get a life et
d'Elizabeth Costello constitue un mérite chez J.M. Coetzee et
Nadine Gordimer qu'il serait injuste de ne pas reconnaître. En
réalité, Noir ou Blanc, riche ou indigent, homme ou femme, adulte
ou enfant chacun aujourd'hui, en Afrique du Sud comme partout dans le monde, a
le devoir de s'accommoder au discours écologique. La vie de tous et de
chacun en dépend d'une façon ou d'une autre.
Par ailleurs, la recherche soutient que la meilleure
démarche, si l'on veut réellement combattre le racisme en Afrique
du Sud, consiste à le concevoir comme une version du capitalisme
eurocentriste et hégémonique. Car le racisme dans l'Afrique du
Sud d'aujourd'hui défie toute configuration sur la base de la couleur de
la peau. Il se déploie plutôt en des termes
matérialistes ; ce qu'on pourrait appeler la discrimination qui
laisse porte ouverte à l'exclusion sociale. Le racisme se traduit par
exemple au-delà du hiatus entre une minorité noire qui a part au
pouvoir d'achat à l'instar de Nefolovhodwe et une majorité
abandonnée à elle-même comme le sont les amis d'Hanna X,
Toloki et Noria dans les romans d'André Brink et de Zakes Mda. L'Afrique
postcoloniale en général gagnerait sans doute si elle adopte une
démarche critique similaire dans son combat du colonialisme. Sinon,
toute l'énergie qu'elle dépense jusqu'ici à travers des
organismes tels l'Union Africaine ou le NEPAD ne pourrait s'apparenter
qu'à de pures spéculations.
En vérité, le racisme, le colonialisme,
l'impérialisme et aujourd'hui le modernisme sont des versions
aménagées conjoncturellement par le capitalisme mondial, encore
appelé libéralisme. Ces idéologies s'adaptent avec le
capitalisme selon des trajectoires variées, mais qui présentent
de profondes convergences. Achille Mbembe parle d'une
« concaténation et [d'] un enchevêtrement
de configurations »240(*).
Que l'écriture romanesque post-apartheid de J.M.Coetzee
et de Nadine Gordimer s'ouvre exclusivement à la classe bourgeoise,
suggère que la domination en Afrique du sud et dans le monde en
général est plus que jamais une question du présent. Dans
le cas de l'Afrique du Sud, la domination blanche connue sous le nom de
l'Apartheid s'est métamorphosée avec le passage de ce pays
à l'ère post-apartheid, complexifiant davantage les choses.
Contexte de l'Apartheid et contexte post-apartheid, « il s'agit
du même théâtre, des mêmes jeux mimétiques,
avec des acteurs et des spectateurs différents certes, mais avec les
mêmes convulsions et la même injure » 241(*).
La partie que j'ai consacrée à cette
métamorphose à travers la question de la
dépersonnalisation du Noir, évoque les mécanismes mis sur
pied pour biaiser le Noir et lui imposer des conduites semblables à
celles de l'ancien colon Blanc en Afrique du sud. C'est un contexte qui
dissout, recrée des barrières raciales et culturelles plus
subtiles, multiplie à grande échelle et diversifie des agents de
l'aventure spirituelle de l'Occident ; des esclaves des temps modernes
pour emprunter cette formule à Albert Memmi242(*).
Le traitement réservé au Noir devenu
maître de céans en Afrique du Sud, de même qu'il permet
d'envisager les Noirs aux commandes comme des héritiers de l'Ancien
maître, aide aussi à se rendre compte qu'il vaut mieux ne pas
justifier toute violence chez le Noir par des contacts de l'Afrique avec
l'Occident. La violence du frère à l'égard du frère
mérite également d'être prise en compte dans le contexte
actuel de l'Afrique du Sud. Il y va de la réalisation d'un projet
commun, à savoir, l'Homme dans toute sa diversité
c'est-à-dire sa richesse culturelle. Il s'agit alors de promouvoir un
humanisme de la différence, celui qui passe non plus par la
diabolisation du prochain, mais par une éthique du prochain. The
other side of silence d'André Brink et Ways of dying de
Zakes Mda ont eu l'avantage d'ouvrir ce débat et d'autoriser l'espoir
d'une Afrique du Sud adaptée à son présent. Ceci
suppose :
La seule bataille ; celle pour la réussite
d'un projet global de société de la transformation de celle-ci
sur tous les fronts. Appuyée sur une deuxième articulation :
un type d'homme nouveau, désaliéné, qui fonderait de
nouveaux rapports sociaux, une nouvelle culture. Ceci suppose un nouveau projet
de société243(*).
Il s'agit là des défis à relever pour la
restitution de l'Afrique du sud à ses véritables enfants que le
Nobel ou le Booker Prize continuent d'ignorer. Ma recherche pourrait ainsi
servir de point de départ pour une réflexion en Afrique du Sud
post-apartheid, en Afrique post-coloniale en général sur la
neutralité des prix littéraires étrangers. Dans cette
optique, elle pourrait se décliner comme une espèce de plaidoyer
pour l'institution littéraire authentiquement africaine, endogène
et autonome. Dans une telle réflexion, on pourrait s'inspirer de
l'extension et de la variation des catégories d'analyse formelle du
roman que ma recherche fait valoir dans le traitement de mon corpus. Ainsi,
s'apercevrait-on de la densité sémantique et sémiologique
de la notion d'écriture romanesque que je ne prétends d'ailleurs
pas avoir épuisée.
Au demeurant, une analyse systématique et
complète des divers aspects du féminisme dans The other side
of silence d'André Brink et de l'humour dans
Ways of dying de Zakes Mda aurait sans doute permis de mesurer
l'épaisseur thématique, idéologique et esthétique
des romans d'auteurs sud-africains ne bénéficiant pas d'autant de
renommée internationale que Nadine Gordimer et J.M. Coetzee. Telle est
en effet une insuffisance de la présente réflexion, dont une
tentative de prise en charge pourrait constituer des bases d'une
réflexion future sur l'impopularité de l'écrivain
sud-africain.
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Dolisane Ebosse, 2008.
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prizes/literature/laureates/2003/coetzee-bibl-html
http://www.kirjasto.sci.fr/gordimer.htm.
Microsoft ® Etudes 2008 [DVD]
http.//www.fr(celebre/biographie/nadine-gordimer-1539.php
www.sas.upenn.edu/african
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http: //en.wikipedia. org/wiki/Nadine-Gordimer
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http:
//nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1991/gordimer-bibl-html
TABLE DES
MATIÈRES
DÉDICACE
i
REMERCIEMENTS
ii
RÉSUMÉ
iii
ABSTRACT
iii
LISTE DES TABLEAUX ET SCHÉMA
iv
LISTE DES ABRÉVIATIONS
v
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
PARTIE I :
RUPTURES ET CONTINUITÉS DANS
L'ÉCRITURE ROMANESQUE CHEZ COETZEE ET GORDIMER 11
CHAPITRE I :
MICHAËL K., SA VIE, SON
TEMPS ; A WORLD OF STRANGERS : AUX SOURCES DE LA
CONSCIENCE DE CLASSE
16
I-1- Apartheid : Enjeux d'une idéologie
en vigueur avant J.M. Coetzee et Nadine Gordimer
19
I-2- Repères biographiques de Coetzee et de
Gordimer
23
I-3- A world of strangers et Michael
K., sa vie, son temps: romans de la conscience de classe
27
I-3-1- A world of strangers, Michaël K.,
sa vie, son temps: romans de formation
27
I-3-2- Michaël K., sa vie, son
temps ; A world of strangers : romans
libéraux
36
CHAPITRE II : RUPTURES ET
CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE POST-APARTHEID
DE
COTZEE ET GORDIMER
41
II-1- Le système des personnages dans
Elizabeth Costello et Get a life
43
II-1-1- L'organisation des personnages dans
Elizabeth Costello et Get a life
45
II-1-2- Les modalités du personnage dans
Elizabeth Costello et Get a life
52
II-1-2-1- Le savoir des personnages
53
II-1-2-2- Le pouvoir des personnages
59
II-2- L'Espace narratif dans Get a life et
Elizabeth Costello
65
II-2-1- L'espace narratif et son double
66
II-2-2- Espace narratif et signification
73
II-3- La transparence intérieure des
personnages
78
II-3-1- Le Psycho-récit
79
II-3-2- Le monologue rapporté
82
PARTIE II :
ENJEUX DE L'ÉCRITURE
ROMANESQUE
POST-APARTHEID DE COETZEE ET GORDIMER
85
CHAPITRE III:
SIGNIFICATION DE GET A LIFE
ET
D'ELIZABETH COSTELLO À LA
LUMIÈRE DE THE OTHER SIDE OF SILENCE ET WAYS OF
DYING
90
III-1- Le langage indirect dans The other side
of silence
92
III-1-1- Les Traces de l'Afrique du Sud
94
III-1-2- Les figures du discours de Brink sur
l'Afrique du Sud
102
III-1-2-1- La quête de la liberté
103
III-1-2-2- Le féminisme
104
III-1-2-3- La diversité
107
III-2- Perspective narrative et vouloir du
personnage dans Ways of Dying
112
III-2-1-Le vouloir de Toloki
112
III-2-2- Perspective narrative et signification
dans Ways of Dying
119
CHAPITRE IV :
GET A LIFE ET ELIZABETH
COSTELLO : ROMANS PORTEURS D'IDÉOLOGIES COMPATIBLES
123
IV-1- La bourgeoisie comme paradigme chez Coetzee
et Gordimer
124
IV-2- Contexte post-apatheid : espace de
l'exacerbation et de la complexification du racisme
128
IV-2-1- Le rejet du Noir
128
IV-2-2- La dépersonnalisation du Noir
132
IV-3- La popularité de Gordimer et de
Coetzee en question
135
CONCLUSION GÉNÉRALE
101
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
114
TABLE DES MATIÈRES
157
* 1 Massizi Kunene,
cité par Jean Sévry in Nouvelles du Sud, Littérature
d'Afrique du Sud, Éditions Nouvelles du sud, 1993, p. 38.
* 2 Jean Sévry,
Afrique du Sud, ségrégation et littérature,
Paris, l'Harmattan, 1989.
* 3 Jean Sévry,
op.cit. p. 9
* 4 Nadine Gordimer, Get
a life, London, Bloomsbury, 2005.
* 5 John Maxwell Coetzee,
Elizabeth Costello, London, Secker & Warburg, 2003.
* 6 Il importe
d'émettre la réserve ici selon laquelle l'exclusivité
d'Elizabeth Costello n'est valable que comparée à
Get a Life. Car en leur temps, États d'urgence et Au
plus noir de la nuit d'André Brink étaient
déjà métafictionnels. Voir André Brink,
États d'urgence, Paris, Stock, 1990, et Au plus
noir de la nuit, Paris, Stock, 1978.
* 7 J.M. Coetzee en 2003 et
Nadine Gordimer en 1991.
* 8 J.M. Coetzee a
été doublement distingué par cette institution
britannique. En 1983 pour Michael K., sa vie, son temps, et en 1999
pour Disgrâce. Gordimer a été distinguée en
1974 pour The conservationist.
* 9 Kathrin Wagner,
Rereading Nadine Gordimer, Bloomington Indianapolis, India University
Press, 1994, p. 3.
* 10 David Coad,
« John Maxwell Coetzee », Notre Librairie,
Littérature d'Afrique du Sud 2, N°123, Juillet- septembre1995,
p. 9.
* 11 Jean
Sévry, « Head, Dominic- J.M. Coetzee »,
Cambridge, Cambridge University Press, 1997, in Cahiers d'études
africaines, 157/2000, http:// etudesafricaines.revues.org/index22.html. p.
1.
* 12 André Brink,
The other side of silence, London, Secker & Warburg, 2002.
* 13 Zakes Mda, Ways of
dying, Oxford University press, 1995.
* 14 J.J Sewanou Dabla,
Nouvelles écritures africaines. Romancier de la seconde
génération, Paris, L'Harmattan, 1986.
* 15 Abdourahmane Waberi,
« Les enfants de la postcolonie. Esquisse d'une nouvelle
génération d'écrivains francophones d'Afrique
noire », art. in Notre librairie n°135,
septembre-décembre 1998.
* 16 Odile Cazenave,
Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers
à Paris, Paris, L'Harmattan, 2003.
* 17 Odile Cazenave, op.cit.
pp.7-8
* 18 J.J. Sewanou Dabla,
op.cit, p.7.
* 19 Abdourahmane Ali
Waberi, op. cit, P.11
* 20 Abdourahmane Ali
Waberi, op., cit, p. 15
* 21 Rita Barnard,
Apartheid and Beyond: South African writers and the politics of place,
Oxford University Press, 2006.
* 22 Njabulo Ndebele,
Rediscovery of the ordinary: Essays and South African literature and
culture, University of Kwazulu Natal Press, 2006.
* 23 Roland
Barthes, « Dix raisons d'écrire », in Il
corriere della sera, 29 Mai 1969, repris dans OEuvres
Complètes, éditées par E. Marty, tome II, éd.
Du Seuil, 1994, p. 541.
* 24 Alexandre Gefen,
« La puissance du langage inutile », Le Magazine
littéraire, N°482 janvier 2009, P.73.
* 25 Partie de la
linguistique et de la critique littéraire qui s'attache au récit,
à son fonctionnement, à ses modalités, etc. Les deux
grandes questions traditionnelles de la narratologie sont celles de la
structure du récit (intrigue, temporalité...) et celle de
l'instance narrative. Mais le narratologue travaille aussi sur des composantes
secondaires comme la question du personnage, le rôle des informations non
narratives, etc. Il s'agit dans tous les cas de mettre en évidence des
invariants et de proposer des classifications sur une base formelle. La
narratologie contemporaine est essentiellement, redevable au formalisme russe
des années 1920 (Vladimir Propp, par exemple) et au structuralisme
français des années 1960-1970 (Lévi-Strauss, Greimas,
Genette), Gilles Philippe, « Narratologie », Lexique
des termes littéraires, Paris, Gallimard, 2001.
* 26 Voir,
L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 262.
* 27 Les principaux
animateurs de ces revue et centre sont Edward P. Thompson, Stuart Hall,
Raymond Williams et Richard Hoggart, tous trois des Britanniques.
* 28 Stuart Hall,
Identités et cultures, politiques des cultural studies,
traduction de Christophe Jaquet, Paris, éditions Amsterdam, 2007,
pp. 20-21.
* 29 Stuart Hall les
présente comme étant « toutes ces choses dont Marx ne
parlait pas, ou qu'il semblait ne pas comprendre, et qui furent l'objet
privilégié des cultural studies: la culture, l'idéologie,
le langage, le symbolique ». Voir à ce propos, Stuart
Hall, Identités et cultures. Politique des cultural studies,
Paris, Ed. Amsterdam, 2007, p.21.
* 30 Achille Mbembe,
« La République et l'impensé de la
« race », in Pascal Blanchard, Nicholas Bancel et Sandrine
Lemaire (s/d), La Fracture coloniale. La société
française au prisme de l'héritage colonial, Paris, La
Découverte, 2005, p. 145.
* 31 Arif Dirlik,
« The postcolonial aura: third world criticism in the age of global
capitalism », in Critical Inquiry, hiver 1994, cité par
Stuart Hall, Identités et cultures, op. cit., pp. 286-287.
* 32 S. Hall, op. cit., p.
38.
* 33 Maxime Cervulle,
Préface à, Stuart Hall, Identités et cultures,
politique des Cultural studies, Paris, Ed.Amsterdam, 2007, p.13
* 34 Maxime Cervulle,
ibidem.
* 35 Raymond Williams,
The long revolution, Canada, Broadview Press, 2001, p.55 cité
par S. Hall, ibidem, p. 37.
* 36 Henri Mitterand, Le
Discours du roman, Paris, Puf, 1980, p. 7.
* 37 Aimé
Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Paris,
Présence africaine, 197, p. 140.
* 38 Stuart Hall,
Identités et cultures, politiques des cultural studies,
traduction de Christophe Jaquet, Paris, éditions Amsterdam, 2007,
p. 38.
* 39 La narratologie est
encore un concept forgé par Todorov pour désigner un projet
scientifique de l'étude du récit (Grammaire du
Décaméron, la Haye, 1969, p. 10). Cette science a
bénéficié de l'essor du structuralisme des années
60. Bernard Valette, pour sa part, pense que la narratologie est une sorte
de poétique restreinte limitée au fait romanesque (Le
Roman, initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse
littéraire, Paris, Nathan, 1992, p. 10). Pour Mieke Bal La
narratologie est la science qui cherche à formuler la théorie des
relations entre texte narratif, récit et histoire. Elle ne s'occupera ni
du texte narratif, ni de l'histoire pris isolement. (Narratologie,
Utrecht, 1983, p. 5)
* 40 Marlene Van Niekerk,
Triomf, Lausane (Suisse) / la Tour d'Aigues, éditions
d'En bas/ éditions de l'aube, 2002. Ce roman fait
référence à un épisode tristement
célèbre de l'histoire de l'Afrique du Sud. Il s'agit de la
destruction, dans les années 1950, du quartier noir de Sophiatown et de
son remplacement par un quartier chique réservé aux Blancs que
l'on dénomma Triomf.
* 41 Denise
Coussy, « Histoire et roman dans la nouvelle Afrique du
Sud », in Notre librairie N°161, Mars- Mai 2006, p.
74.
* 42 Il convient de noter
que le découpage chronologique officiel et rigoureux qui établit
que l'Apartheid en Afrique du Sud serait rentré en vigueur en 1948 pour
s'achever en 1994 avec la tenue des premières élections
multiraciales est relativisé par bon nombre de chercheurs. Jean
Sévry souligne par exemple que les débuts de la politique
ségrégationniste remontent au 17ème siècle avec
l'arrivée des Blancs d'origine hollandaise en Afrique du Sud. Voir Jean
Sévry, Afrique du Sud, ségrégation et
littérature, Paris, L'Harmattan, 1989. Les premières failles
font surface en 1976 avec les massacres de Soweto pour s'amplifier en 1990
avec la libération le 11 février du leader charismatique Nelson
Mandela. Voir Georges Lory, l'Afrique du Sud, Paris, Karthala, 1998,
PP75-84. Rita Barnard pour sa part, moins optimiste perçoit la
virtualité des débuts de la fin de l'Apartheid dans les
écrits d'écrivains contemporains sud-africains comme Zakes Mda,
Njabulo Ndebele, Mamphela Ramphele, MiriamTlali et bien d'autres. Autrement
dit, le système de l'Apartheid a encore bien de jours devant lui en
Afrique du Sud. Voir Rita Barnard, Apartheid and Beyond, South African
Writers and the politics of place, Oxford, Oxford University presss, 2007.
Ces observations expliquent en amont pourquoi je retiens deux romans de Coetzee
et de Gordimer séparés de 25 ans d'intervalle et pourquoi en aval
je fais intervenir Ways of Dying de Zakes Mda publié pour la
première fois en 1991, comme roman de la période post-apartheid.
* 43 J.M. Coetzee,
Michael K. sa vie, son temps, Paris, Seuil, 1985.
* 44 Nadine Gordimer, A
World of Strangers, London, Penguin Book, 1958.
* 45 John Berger,
cité par Rita Barnard, Apartheid and beyond, South African writers
and the politics of place, Oxford, Oxford University press, 2007, p.
18.
* 46 Voir T. Todorov,
« La grammaire du récit », in
Langage n°12, Paris, Larousse, 1968.
* 47 Jacques
Rancière, Le partage du sensible, esthétique et
politique, Paris, La Fabrique, 2000 et Malaise dans
l'esthétique, Paris, Galilée, 2004.
* 48 Georgio Agamben,
Profanations, trad. De Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2006,
p. 84.
* 49 Frederic Jameson,
Cité par Rita Barnard, op.cit, p. 46
* 50 Lydie Moudileno,
« Postcolonialisme, inventaire et débat », in
Africultures, N°28, Mai 2000, P.9.
* 51 Gerald Prince parle de
« disnarrated » précisément. Sur ce sujet,
voir Narrative as theme, London, University of Nebraska Press, 1992,
pp. 28-38.
* 52 J.M. Moura (entretien
avec), « La critique post-coloniale, étude des
spécificités », in Africultures, N°28,
op. cit., p. 18
* 53 Stuart Hall identifie
deux paradigmes dont la combinaison sert de base théorique aux Cultural
studies : le structuralisme et le culturalisme. Voir à ce propos,
Stuart Hall, « Deux paradigmes » in
Identités et cultures, op. cit., pp. 33-56.
* 54 Stuart Hall, op. cit.
p. 49
* 55 Raymond Williams,
New Left Review, N°9, 1961, p. 33.
* 56 E.P. Thompson,
« peculiarities of the English », in Socialist
Register, London 1965, P.356, cité par Stuart Hall, op.cit.,
42.
* 57 Nadine Gordimer,
« 1959 : Qu'est-ce que l'Apartheid »? In Vivre
dans l'espoir et dans l'histoire, Notes sur notre siècle, Paris,
Plon, 2000, p. 103.
* 58 A côté de
l'Apartheid, on peut ajouter sans risque de se tromper l'esclavage des Noirs,
la colonisation et la modernisation. Ces notions sont, comme l'aurait dit
Edward Said des créations de la société capitaliste
triomphante. C'est aussi le point de vue de Frederic Jameson lorsqu'il
souligne l'importance théorique du concept du
tiers-monde: « I don't (...) see,
écrit-il, any comparable expression that articulates
as this one does, the fundamental breaks between the capitalist first world,
the socialist bloc of the second world, and a range of other countries which
have suffered the experience of colonialism and imperialism ».
Jameson conclut son propos en reconnaissant que « capital
(...) is sometimes euphemistically termed (...)
modernization ». Voir à ce sujet, Frederic
Jameson, « Third-World Literature in the Era of Multinational
Capitalism », in New Political
Science N°15, Columbia University, 1986, pp. 65-87.
* 59 Jan Smuts (1870-1950) a
été artisan de l'intervention aux côtés des
alliés au cours des deux guerres mondiales. C'est la première
autorité Afrikaner en Afrique du Sud à prononcer le mot Apartheid
dans un discours officiel en 1917. Il reviendra à Hendrik Verwoed
(1901-1966) encore surnommé l'architecte de l'Apartheid et à
Peter Willem Botha de parfaire et de systématiser l'architecture. Voir
à cet effet, Georges Lory, L'Afrique du Sud, Paris, Karthala,
1998 et Le discours prononcé par l'ancien Président d'Afrique du
Sud P. W. Botha devant son cabinet, discours imprimé par David G. Mahlu
pour le Sunday Times du 18 août 1985.
* 60 Voir Claude Wauthier,
« Trois siècles d'histoire »,
in « Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud
1, N°123, Avril-Juin 1995, pp. 10-11.
* 61 David Coad,
« John Maxwell Coetzee », in « Notre
Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2, N°123,
Juillet-Septembre 1995, p. 22.
* 62 Jean Sévry,
« Les romanciers Sud-africains et l'histoire de leur
pays », in « Notre Librairie, Littérature
d'Afrique du Sud 2 », op.cit., p. 14.
* 63 Georges Lukacs,
Histoire et conscience de classe, cité par Guy Debord, La
société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992, p. 33.
* 64 Stuart Hall, op.cit. p.
49.
* 65 Nadine Gordimer,
citée par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit.,
p. 85.
* 66 Jean Michael Coetzee
pour les francophones, John Maxwell Coetzee pour les anglophones.
* 67 En guise de rappel,
l'Australie est le pays d'origine d'Elizabeth Costello, personnage central
d'Elizabeth Costello, op. cit.
* 68 Pour l'essentiel de ces
indications biographiques, voir Tore Frängsmyr, The Nobel prizes 2003,
Nobel Foundation, Strockholm, 2004 in http :
nobelprize.org/nobel_prize/Literature/Laureates/2003/Coetzee_bio.html et
David Coad, « John Maxwell Coetzee » in Notre
Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2 N° 123, op.cit.,
19.
* 69 J.M. Coetzee,
Scènes de la vie d'un garçon, trad. de Catherine
Glenn-Lauga, Paris, Seuil, 1999, p. 13.
* 70 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, p. 194.
* 71 Kathrin Wagner,
Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. 85.
* 72 Le jugement est de
Denise Coussy, « Une Africaine blanche, entretien avec Nadine
Gordimer », in Notre Librairie, Littérature d'Afrique du
Sud1 No.122, Avril-Juin 1995, p. 74.
* 73 Les informations
proviennent respectivement de http://www.kirjasto.sci.fi/Gordimer.htm et
« Gordimer, Nadine » Microsoft ® Etudes 2008 (DVD),
Microsoft Corporation, 2007.
* 74 Voir Jean Sévry
,. Afrique du Sud, ségrégation et littérature,
anthologie critique, op. cit., pp. 266-267
* 75 Il convient de
préciser que chez Gordimer, la fiction est plus vraie que tout autre
type de texte : I really do want to write novels(...) I have written a few
stories that satisfy me but I've not written a novel that comes anywhere near
doing so. Nadine Gordimer, A writer in South Africa, 1965:25,
cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit.,
p. vii.
* 76 Mouvement
esthétique et littéraire qui se développe à travers
l'Europe à partir des dernières années du XVIIIe
siècle. Le romantisme est une dynamique, en rapport direct avec la
dynamique historique et la conscience nouvelle qu'on en prend. Chez le
héros romantique, le devenir l'emporte sur l'être, même si
ce devenir est incertain, le présent instable, et l'époque
décevante. Sur le plan esthétique, le romantisme conduit à
relativiser les règles et décloisonner les genres. La conscience
historique entraîne à rechercher la «couleur » propre
à chaque siècle et contribue à faire émerger la
notion de modernité qui est la «couleur» du présent.
Enfin, le romantisme fait confiance à l'imagination, la première
et la plus rare des facultés selon Alfred de Vigny (1832). L'imaginaire
littéraire, nourri de la vision des siècles passés, de
l'Orient, des littératures étrangères, des traditions
populaires, s'ouvre au rêve, à des formes renouvelées du
mythe, au délire (Nerval) et prépare à l'exploration de
l'inconscient. Voir Yves Vadé, «romantisme» in Michel Jarrety
(s/d)., Lexique des termes littéraires, Paris, Gallimard, 2001,
pp. 384-387.
* 77 Désormais les
références à cet ouvrage seront indiquées par le
sigle MK suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le
corps du texte.
* 78 « il mangeait le
pain de la liberté », s'impressionne un de ses gardes au camp de
Jakkalsdrif. Voir Michael K., sa vie, son temps, op. cit., p. 176.
* 79 Sun Tse, L'art de
la guerre, cité par Guy Debord, Commentaires sur la
société du spectacle, Paris, Gallimard, 1988, p. 11.
* 80 Jacobus Coetzee est un
ancêtre de John Coetzee qui a participé à l'exploration de
l'intérieur du continent africain. Voir David Coad «John Maxwell
Coetzee» in Notre librairie, Littérature d'Afrique du
sud2, op. cit., p. 20.
* 81 Rita Barnard,
Apartheid and beyond... op. cit., p. 32.
* 82 Désormais les
références à cet ouvrage seront indiquées par le
sigle AS suivi de la page et placées entre parenthèses dans le
corps du texte.
* 83 Nadine Gordimer,
citée dans
http://www.evene.fr/celebre/biographie/nadine-gordimer-1539.php
* 84 Il convient de
souligner que « location » est un concept qui traduit
l'imaginaire ostraciste des colons blancs en Afrique du Sud. Dans cette logique
de ravalement du Noir à la sauvagerie, ou à un simple objet dont
on s'en sert pour réaliser son rêve de puissance, location a
succédé à la notion de homeland et a
précédé la notion de township. Voir à ce propos
Sipho Sepamla (entretien avec), «Au-delà de l'amertume» in
Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud1, op.cit., p.
122.
* 85 Voir Michel
Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris,
Gallimard, 1975, p. 14.
* 86 André Brink,
Une saison blanche et sèche, Paris, Stock, 1980.
* 87 Voir Nick Visser,
« The novel as liberal narrative: The possibilities of radical fictions
», in Works and Days, 1985, cité par Kathrin Wagner,
Rereading Nadine Gordimer, op.cit. p. 2.
* 88 Kathrin Wagner,
Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. 70.
* 89 Nick Visser, « the
novel as liberal narrative: the possibilities of radical fiction »,
cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op.cit., p.
21.
* 90 Georg Lukacs, The
meaning of contemporary realism (1955), 1963, pp.122-123, cité par
Kathrin Wagner, op. cit., p. 68.
* 91 Voir Kathrin Wagner,
op.cit., p. 246.
* 92 Stephen Clingman,
The novels of Nadine Gordimer, 1986, pp.52-97, cité par Kathrin
Wagner, op. cit., p. 68.
* 93 Rita Barnard,
Apartheid and beyond..., op. cit., p. 30.
* 94 « Il n'est
sans doute pas d'instrument de rupture plus puissant, écrit Bourdieu,
que la reconstitution de la genèse : en faisant ressurgir les
conflits et les confrontations des premiers commencements et, du même
coup, les possibles écartés, elle réactualise la
possibilité qu'il en ait été (et qu'il en soit) autrement
et, à travers cette utopie pratique, remet en question le possible qui,
entre tous les autres, s'est trouvé réalisé ».
Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, sur la théorie de l'action,
Paris, Seuil, 1994, p. 107.
* 95 Le terme est de Michel
Foucault. Il désigne par là une des étapes de l'analyse
structuraliste des récits populaires, des poèmes, des
rêves, des oeuvres littéraires etc.... Voir Michel Foucault,
L'Archéologie du Savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 262.
* 96 Yves Reuter,
Introduction à l'Analyse du Roman, Paris, Dunod, 1996, p.
38.
* 97 Roland Barthes, Le
degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1972, p.
14.
* 98 Gérard Genette,
Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 72.
* 99 Gérard Genette,
Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 227.
* 100 Joseph Courtes,
Analyse sémiotique du discours, de l'énoncé à
l'énonciation, Paris, Hachette Supérieur, 1991, p. 245.
* 101 Roland
Barthes, « Introduction à l'analyse structurale des
récits » in Communications 8, Paris, Seuil, 1981, p.
22.
* 102 Yves Reuter,
Introduction à l'analyse du roman, op. cit., p. 51.
* 103 Philippe
Hamon, « Pour un statut sémiologique du
personnage », in R. Barthes et alï. Poétique du
récit, Paris, Seuil, 1977.
* 104 Vincent Jouve,
L'Effet personnage dans le roman, Paris, Puf., 1992.
* 105 Henri Mitterrand,
Le Discours du Roman, Paris, Puf, 1980, p.7.
* 106 Philippe Hamon,
Le personnel du Roman. Le système des personnages dans les
Rougon-Macquart d'Emile Zola, Genève, Droz, 1983, p.185.
101 Vincent Jouve, Poétique du Roman
(2ème édition), Paris, Armand Colin,
2001, p. 39.
* 107 Philippe Hamon,
Le personnel du Roman, op.cit., pp. .55-56.
* 108 Désormais, les
références à cet ouvrage seront indiquées par le
sigle GL suivi de la page et placées entre parenthèses dans le
corps du texte.
* 109 Roland Barthes
signifie par ce concept la particularité qu'a le récit de prendre
en charge le réel par truchement des descriptions, d'une certaine
catégorie de noms ou de référents temporels, pourvu que le
lecteur soit attentif et cultivé. Voir Roland Barthes,
« L'effet de réel », in Gérard Genette,
Tzvetan Todorov (s/d), Littérature et réalité,
Paris, Seuil, 1982, pp. 81-89.
* 110 Pierre Larousse,
cité par P. Hamon, Le personnel du roman, op. cit., p.109.
* 111 Désormais les
références à cet ouvrage seront indiquées par le
sigle EC suivi de la page et placées entre parenthèses dans le
corps du texte.
* 112 P. Hamon, Le
personnel du roman, op. cit., p. 235.
* 113 P. Hamon, Le
personnel du roman, op.cit., p. 56.
* 114 P. Hamon, Le
personnel du roman, op.cit., p. 274.
* 115 Il convient de faire
observer que si on venait à remplacer Costello par Coetzee (cette
interchangeabilité est d'ailleurs possible, tant les deux auteurs ont de
points de ressemblances), on remarquerait une coïncidence notoire entre le
sort de Costello autant en Afrique (Egundu) qu'en Occident (USA, Pays-Bas...)
et celui que la critique a réservé à John Coetzee comme
cela a été souligné à l'introduction,
célébré en Occident mais suspecté par les Noirs
sud-africains.
* 116 Boniface
Mongo-Mboussa, « Littérature en miroir :
création, critique et intertextualité » in Notre
Librairie, La critique Littéraire N°160, décembre
2005-février 2006, P.56.
* 117 Edward Said,
L'orientalisme, L'orient crée par l'occident, Paris, Seuil,
1981, p .56.
* 118 Edouard Glissant,
Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990, p.117.
* 119 Édouard
Glissant, Poétique de la relation, op. cit., p.117.
* 120 Tzvetan Todorov,
Préface à l'orientalisme d'Edward Said, op. cit., p.
8.
* 121 Rita Barnard,
Apartheid and Beyond... op. cit., p. 25.
* 122 Paul Valery,
cité par P. Hamon, Le Personnel du Roman, op.cit., p. 275.
* 123 Notre traduction
partant du glossaire fourni en fin de volume, p. 189.
* 124 Il convient de
signaler que Gordimer s'y essaye déjà dans The pickup.
Cependant, Abdu est un arabe métis plutôt qu'un véritable
Noir. Voir Nadine Gordimer, The pickup, New York, Farrar, Strauss and
Giroux, 2001.
* 125 P. Hamon, Le
personnel du roman, op.cit., p. 260
* 126 Giorgio Agamben,
Profanations, Paris, Payot & Rivages, 2006
* 127 Voir Alexandre
Gefen, « La puissance du langage inutile » in Le
Magazine littéraire, N°482, Janvier 2009, p. 72.
* 128 A.
Kom, « littérature africaine, l'avènement du
polar » in Notre Librairie N°136, Nouveaux paysages
littéraires, Janvier-Avril, 1999, p. 21.
* 129 Edouard Glissant,
Poétique de la relation, op.cit., p. 23
* 130 L'Umkhonto we Sizwe
est la branche armée de l'ANC et qui se traduit en Français par
Fer de lance de la Nation. Voir George Lory, L'Afrique du Sud op.cit.,
p. 71.
* 131 Salman Rushdie,
Les Versets Sataniques, Paris, Plon, 1999, p. 13.
* 132 N. Mandela, Discours
de Prestation de Serment, Pretoria, 10 Mai 1994. Voir à propos
www.sas.upenn.edu/african
studies/articles gen/inaugural speech 17984.html.
* 133 P. Hamon, Le
Personnel du Roman, op.cit., p. 107.
* 134 Edouard Glissant
(entretien avec), « Une autre manière de lire le
monde » in Notre Librairie N° 161, Mars-Mai 2006, p.
113.
* 135 Jean Yves
Tadié, Poétique du récit, Paris, Puf, 1978, p.
47.
* 136 Georges Gusdorf,
Mythe et Métaphysique, Paris, Flammarion, 1953, p. 48.
* 137 Yves Reuter,
Introduction à l'analyse du Roman, op.cit., p. 55.
* 138 Roland
Barthes, « l'effet de réel » in Gérard
Genette et Tzvetan Tiodorov (s/d), Littérature et
réalité, Paris, Seuil, 1982, p. 89.
* 139 Costello (John
Aloysius) : homme politique Irlandais (1891-1976) qui fit abroger la loi
sur les relations extérieures et rompit les derniers liens de l'Irlande
avec le Commonwealth. Au sujet d'Elizabeth, nous avons répertorié
13 entrées dans Le Petit Larousse Illustré (1976). Nous
avons voulu nous arrêter sur Elizabeth Ière
(1533-1603) : Reine d'Angleterre et d'Irlande, fille d'Henri VIII et
d'Anne Boley. Souveraine énergique et autoritaire, elle rétablit
l'anglicanisme, fit périr sur l'échafaud Marie Stuart... Elle
protégea les lettres, les arts, le commerce, et favorisa la colonisation
de la Virginie. La raison est que Costello écrit à Francis Bacon
à la fin du volume, ce roi a existé au même siècle
qu'Elizabeth Ière.
* 140 Roland Bourneuf, Real
Ouellet, L'univers du roman, Paris, Puf, 1989, p. 105.
* 141 Walter Benjamin,
Charles Baudelaire. Ein Lyriker im Zeitalter des Hochkapitalismus,
Francfort-Sur-leMain, Suhrkamp, 1969, P.76, cité Par E. Said,
L'orientalisme, op.cit., p.26.
* 142 Franz Fanon, Les
Damnés de la terre, op.cit., p.30
* 143 J. M. Coetzee,
Michaël K, sa vie, son temps, op.cit., p. 211.
* 144 Lars
Engle, « The Novel without the Police », in
Pretexts 3 (1991): 116-117, cité par Rita Barnard,
Apartheid and Beyond... op. cit., p. 95.
* 145 Käte Hamburger,
Die Logik der Dichtung, Ernst Klett Verlag, Stuttgart, 1957.
* 146 Dorrit Cohn,
Transparent Minds, Pricetown University Press, Guildford, Surrey,
1978, traduction d'Alain Borry, La Transparence intérieure, Modes de
représentation de la vie psychique dans le roman, Paris, Seuil,
1981.
* 147 Dorrit Cohn, La
Transparence intérieure..., op.cit., p.20.
* 148 Dorrit Cohn, La
Transparence intérieure..., op.cit., p.20.
* 149 Tristam Shandy est le
personnage central du récit de Laurence Sterne, The Life
and Opinions of Tristam Shandy, Gentleman (1759-1767) publié en
1967. Ce dernier entreprend de tracer le portrait de son oncle Toby en
répétant le reproche du dieu grec Momus à Vulcan, un autre
dieu qui, dans la forme qu'il aurait donnée à l'homme n'aurait
pas ouvert, à la place du coeur, une fenêtre dans la statue
d'argile ; une fenêtre qui aurait permis de faire apparaître
clairement les sentiments et les pensées dont le coeur est le
siège. Conscient de l'échec d'une telle entreprise, Tristam
conclut par la nécessité, puisque l'exercice consistant à
percer le mystère de la vie intérieure mérite l'attention,
malgré les résistances qu'il recèle, d'opter pour une
autre approche : « Nos esprits ne vivent pas à
travers nos corps mais y vivent enveloppés dans l'ombre opaque de la
chair et du sang. Si nous voulons donc apercevoir les nuances, il nous faut
prendre une autre voie ». Voir à ce sujet Laurence Sterne,
Tristam Shandy (P1759-1763), I, XXXIII :
Coll. « 10/18 », I, P.100-101 (trad. Charles Mauron),
citée par Dorrit Cohn, La Transparence intérieure...
P.15.
* 150 Je souligne
* 151 Dorrit Cohn, La
Transparence intérieure, op.cit., (P.16)
* 152 Dorrit Cohn, La
transparence intérieure... op.cit., pp. 28-29.
* 153 T. Todorov,
Préface à Edward Said, L'orientalisme, op.cit., p. 8.
* 154 Voir par exemple
Philippe Lejeune, « Le pacte auto biographique »,
cité par Gilles Philippe dans Lexique des Termes
littéraires, op.cit., p. 47.
* 155 Dorrit Cohn, La
Transparence intérieure, op.cit., p. 19.
* 156 Breyten Breytenbach
se représentait l'Apartheid comme « la loi du
bâtard ». « Nous sommes un peuple de
bâtard avec une langue bâtarde », ajoutait-il dans A
season in paradise, 1980, P.154 Cité par Jean Sévry,
Afrique du Sud, ségrégation et... op.cit., p. 220.
* 157 Fanon parle notamment
de l'aventure Spirituelle de l'Europe pour signaler les moyens
dévastateurs sur lesquels repose la construction de l'Europe, voir Franz
Fanon, les Damnés de la terre, op.cit., p. 371.
* 158 Stuart Hall,
Identités et cultures, politique des cultural studies, op.
cit., p. 69.
* 159 Walter Benjamin,
Charles Baudelaire: A lyric Poet in the Era of High Capitalism,
Londres, New Left Books, 1973, P. 71, cité par Edward Said,
L'Orientalisme... op.cit., p. 26.
* 160 Nick Visser,
cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op.cit., p.
21.
* 161 Emile Benveniste,
Problèmes de linguistique générale II, Paris,
Gallimard, 1974, p. 39.
* 162 Gérard
Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 22
* 163 Jaap Lintvelt et
Marcel Proust, Contre sainte- Beuve, cité par J.M. Adam, Le
texte narratif. Traité d'analyse textuelle des récits,
Paris, Fernand Nathan, 1985, p. 174.
* 164 Emile Benveniste,
Problèmes de linguistique générale II, op. cit.,
p. 21.
* 165 C'est ainsi que
Nadine Gordimer définit la finalité de toutes les études
littéraires. Voir à cet effet, Nadine Gordimer, Vivre dans
l'espoir et dans l'histoire, Notes sur notre siècle, Paris, Plon,
2000, p. 158.
* 166 La
redécouverte de l'ordinaire est un concept forgé par Njabulo S.
Ndebele dans son ouvrage intitulé Rediscovery of the Ordinary,
Essays on South African literature and culture. Ce concept souligne la
rupture esthétique d'avec des modèles que l'Apartheid avait
imposés aux artistes sud-africains. Ces modèles furent entre
autre l'exhibitionnisme, le manichéisme, les absolus et rien
d'intermédiaire. Redécouvrir l'ordinaire consiste autant à
dénoncer les absolus ou les généralisations absurdes que
l'Apartheid a contribuées à institutionnaliser dans la
littérature sud-africaine ou dans la société tout court
qu'à explorer ou traiter des thèmes intermédiaires entre
les races, les classes, les sexes ou les rôles sociaux. Entre autres
thèmes intermédiaires on compte l'humour, la mort, l'amour, la
relativité de la vérité ou la véritable
diversité. Voir à ce sujet l'interview que Njabulo Debele a
accordé à Denise Coussy dans Notre Librairie,
Littérature d'Afrique du Sud1, N°122 Avril-juin 1995, pp.
62-67.
* 167 Erich Auerbach,
Mimesis. La Représentation de la réalité dans la
littérature occidentale. (Trad. Française), Paris,
Gallimard, 1968, pp.478 et ss.
* 168 Henri Mitterrand,
Le discours du roman, Paris, Puf, 1980, p. 7.
* 169 Gérard
Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 294.
* 170 Pour Brecht, un roman
est dit réaliste lorsqu'il dévoile la causalité complexe
des rapports sociaux, B. Brecht, Sur le réalisme, cité
par Philippe Hamon, « Un discours contraint », in
Gérard Genette. Tzvetan Todorov (s/d), Littérature et
réalité, Paris, Seuil, 1982, p. 159.
* 171 Gérard
Genette, Figures II, op.cit., p. 192.
* 172 Philippe Hamon,
Le Personnel du roman, op.cit., p. 106.
* 173 Gerard Prince,
Narrative as theme, London, University of Nebraska press, 1992, p.
38.
* 174 Voir Gérald
Prince, Narrative as Theme, op.cit., p. 30.
* 175 Désormais, les
références à cet ouvrage seront indiquées par le
sigle OS suivi de la page et placées entre parenthèses dans le
corps du texte.
* 176 L'Allemagne
fédérale est constituée de 16 états
fédérés appelés des Länder. Bremen est la
capitale de l'Etat de Bremen. Le Land de Bremen a la particularité de
représenter le Land le plus petit en superficie comparé aux 15
autres Länder. Cette particularité n'est certainement pas fortuite
dans The other of silence. Voir, Peter Hintereder (s/d),
Allemagne. Faits et réalités, Berlin, Francfort
sur-le-Main, Societäts-Verlag, décembre 2007, PP.17-25.
Peut-être que Brink a voulu suggérer que son roman n'a pas pour
objet majeur l'Allemagne. Peut-être aussi que la petitesse en superficie
de Bremen est un embrayeur que Brink déploie pour signaler
d'entrée de jeu le peu d'importance des origines d'Hanna X pour son
roman, Brink invite sans doute à s'intéresser davantage aux actes
ou à l'identité qu'Hanna X construit le long du récit. Si
tel est le cas, de prime abord, Brink souligne déjà des points de
démarcation entre Hanna X et Elizabeth Costello de Coetzee. La
deuxième est Australienne blanche tandis que la première est
Allemande blanche. Alors que Costello appartient à la classe bourgeoise,
Hanna X, elle appartient à la classe des va-nu-pieds, des femmes
considérées comme sans importance pour les Allemands d'Allemagne
si oui pour les Allemands des colonies allemandes en Afrique.
* 177 Dites la pucelle
d'Orléans, héroïne française (1412-1431). Elle
appartenait à une famille de paysans. Très pieuse, elle entendit
des voix qui l'engageaient à délivrer la France, ravagée
par l'invasion anglaise. Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs ne
voulut pas d'abord déférer à son désir,
d'être conduite auprès de Charles VIII ; il n'y consentit
qu'à l'époque du siège d'Orléans (1429). Jeanne vit
le roi de France à chinon, réussit à la convaincre de sa
mission, fut mise à la tête d'une petite troupe armée,
obligea les Anglais à lever le siège d'Orléans, les
vainquit à Patay et fit sacrer Charles VIII à Reims (17 Juillet),
mais elle échoua devant Paris. A Compiègne, elle tomba aux mains
des Bourguignons (23 mai 1430). Jean de Luxembourg la vendit aux Anglais. Ceux
l'ayant déclarée sorcière, la firent juger par un tribunal
ecclésiastique présidé par l'évêque de
Beauvais, Pierre Cauchon. Elle s'y défendit avec autant
d'habileté que de simplicité et de courage.
Déclarée hérétique et relapse, elle fut
brûlée vive le 30 mai 1450 à Rouen. En 1450, un
procès aboutit à une réhabilitation solennelle, qui fut
proclamée en 1456. Jeanne a été béatifiée en
1909 et canonisée en 1920. Fête religieuse le 30 mai ;
fête nationale en France le dimanche qui suit le 8 mai.
* 178 Pour D.F Thompson, la
citoyenneté signifie l'autonomie, la participation et l'influence de
l'individu vis-à-vis de la société. Voir à ce
propos D.F. Thompson, The Democratic Citizen : Social Science and
Democratic Theory in the twentieth Century, Cambridge, Cambridge
University Press, 1970, cité par Philip Wexler, « Citizenship
in the Semiotic Society », in Bryan S. Turner (s/d), Theories of
Modernity and Post modernity, London, Thousand Oaks,. New Delhi, Sage
Publications, 1990, p.165.
* 179 Uwe Timm,
Morenga, Berlin, Rowohlt, 1907.
* 180 Georges Lory,
L'Afrique du Sud, Paris, Karthala, 1998, p. 33.
* 181 Voir, Claude
Wauthier, « Trois siècles d'histoire », in
Notre Librairie. Littérature d'Afrique du Sud 1,
Avril-Juin 1995, p. 10.
* 182 Nicolas Michel,
« Hanna la Haine », in Jeune Afrique l'intelligent
n°2213 du 8 au 14 juin 2003, p. 111.
* 183 Philippe
Hamon, « Un discours contraint », in Gérard
Genette et Tzvetan Todorov, Littérature et
réalité, Paris, Seuil, 1982, p.129.
* 184 Olivier Reboul,
Introduction à la rhétorique, Paris, P.U.F., 2001,
p.121.
* 185 Fontanier,
cité par Michèle Aquien in Michel Janety (s/d), Lexique des
termes littéraires, op.cit., p.186.
* 186 André Brink,
The other side of silence, page de dédicace.
* 187 Simone De Beauvoir,
The Second Sex, citée par Rosemarie Tong, Feminist Thought.
A comprehensive introduction, Bulder and San Francisco, Westview Press,
1989, p. 203
* 188 Cité par
Rosemanie Tong, op.cit., p. 200.
* 189 Rosemanie Tong,
Feminist Thought, op.cit., p. 210.
* 190 Voir Kate Millet,
Sexual Politics, citée par Rosemarie Tong, op. cit., p. 95
* 191 Pierre Bourdieu,
La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
* 192 Gayatry Spivak,
citée par Sophia Phoca, « Feminism and
Gender », in Sarah Gamble, The Routledge Companion to feminism
and Post feminism, London and New York, 2001, p. 58.
* 193 Voir Edward Said,
L'Orientalisme, op.cit.
* 194 Abdul jan Mohamed,
The Economy of manichean Allegory, in B. Ashcoft et ali, The Post-
Colonial Studies Reader, New York, London, Routledge, 1995, p. 21.
* 195 Michel Foucault,
L'ordre du discours, leçon inaugurale au collège de
France, prononcé le 02/01/1970, Paris, Gallimard, 1971, p. 22.
* 196 Je souligne en
m'appuyant sur la terminologie de Stuart Hall parce qu'elle traduit au mieux la
classe sociale à laquelle Kahapa et Himba appartiennent si l'on
procède conformément à la démarche capitaliste,
colonialiste ou hégémonique.
* 197 Stuart Hall,
Identités et cultures, Politiques des cultural studies, op.cit.
P.73
* 198 Njabulo Ndebele,
Rediscovery of the ordinary... op.cit., p. 53
* 199 Njabulo Ndebele,
Rediscovery of the ordinary... op.cit., p. 53
* 200 Redécouvrir
l'ordinaire ici signifie aussi redécouvrir le détail dans le
général, reconnaître que le système de l'Apartheid
réduisait les Noirs à une masse alors que les Noirs sont
différents les uns les autres. Il y en a qui sont soumis ou qui ont
confié leur avenir à leur ravisseur comme l'aurait dit Ambroise
Kom dans La Malédiction francophone et il y en a qui comme
Kahapa choisissent la liberté et l'autonomie. Voir à ce sujet
L'interview de Njabulo Ndebele accordé à Denise Coussy dans
Notre Librairie-Littérature d'Afrique du Sud 1, op.cit., p.
67.
* 201 Voir Henri Mitterand,
Le discours du roman, op. cit.
* 202 Philippe Hamon,
Le personnel du roman, op.cit., pp. 236-237.
* 203 Gérard
Genette, Figures II, op.cit., p. 292.
* 204 Désormais, les
références à cet ouvrages seront indiquées par le
sigle WD suivi de la page et placées entre parenthèses dans le
corps du texte.
* 205 Amadou Hampaté
Bâ, Amkoullel, l'enfant peul, Paris, Actes Sud, 1991, p. 499.
* 206 Ambroise Kom, La
malédiction Francophone, Défis culturels et condition
postcoloniale en Afrique, Münster-Hamburg-London et Yaoundé,
LiT Verlag et Clé, 2000, p. 81.
* 207 La construction est
de Kom, op.cit., p. 88
* 208 Rita Bernard,
Apartheid and beyond, South African Writers and the Politics of Place,
op. cit., p. 154.
* 209 Njabulo Ndebele,
Rediscovery of the ordinary, op. cit., pp. 31-53.
* 210 Homi Bhabha, The
Location of culture, London, Routledge, 1998, réédition,
2001, p. 1.
* 211 Rita Banard
écrit à ce propos: «In his assay The Novel without
the Police, Lars Engle categorizes the work of J.M. Coetzee, Nadine
Gordimer, and Athol Fugard according to Raymond Williams's familiar triard of
the dominant, emergent, and residual forces discernible in any given cultural
formation including that of academic literary criticism», Apartheid
and Beyond, op. cit., p. 95.
* 212 Gérard
Genette, Figures III, op.cit., p. 203
* 213 F.V. Rossum-Guyon,
critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 114.
* 214 Gérard
Genette, Figures III, op.cit., p. 203.
* 215 Stuart Hall,
Identités et Cultures, op.cit., p. 71
* 216Stuart Hall,
Identités et cultures, op.cit., p. 37.
* 217 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, p. 194
* 218 Albert Memmi, Le
racisme, description, définitions, traitement, Paris, Gallimard,
1994, p.122
* 219 Albert Memmi, Le
racisme, op. cit., p. 14
* 220 Albert Memmi, Le
racisme, op.cit., pp. 13-31.
* 221 Hegel,
Leçons sur la philosophie de l'histoire, cité par Fabien
Eboussi Boulaga, Lignes de résistance, Yaoundé, Editions
Clé, 1999, p. 63.
* 222 Ambroise Kom, La
malédiction francophone, Défis culturels et condition
postcoloniale en Afrique, Yaoundé, Münster, Hamburg, London,
Clé, LIT, 2000, p. 9
* 223 V.S. Naipaul, The
Mimic Men, London, Andre Deutsch, 1967
* 224 Hubert L. Dreyfus
& Paul Rabinow, « Qu'est-ce que la maturité ?
Habermas, Foucault et les lumières », in David Couzen Hoy,
Michel Foucault, Lectures Critiques, Trad. De Jacques Colson,
Bruxelles, De Boek Wesmael, 1989, p. 135.
* 225 Mongo Béti,
Mission terminée, Paris, Buchet-Chastel, 1957.
* 226 Michel Foucault,
Surveiller et Punir, Naissance de la Prison, Paris, Gallimard, 1975,
p. 14.
* 227 Frantz Fanon,
Peau noire Masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p.184.
* 228 Pierre Bourdieu,
Raisons pratiques sur la théorie de l'action, paris, Seuil,
1994, p. 173.
* 229 Cité par
Edward Said, L'orientalisme, l'Orient crée par l'Occident,
op.cit., p. 26.
* 230 Stuart Hall,
Identités et Cultures..., op.cit., p.75.
* 231 Stuart Hall,
Identités et Cultures... op. cit., pp. 72-73.
* 232 Mongo Béti,
La France contre l'Afrique, Paris, La Découverte, 1993 ainsi
que Ambroise Kom (s/d) Mongo Beti parle, Bayreuth, Bayreuth african
studies series, n°54, 2002. Voir également « Affaire
Calixte Beyala, Mongo Béti dénonce et accuse... »,
Galaxie, N° 204, 26 Mars 1997
* 233 Bernard Mouralis,
Littérature et développement, Paris, Silex, 1984
* 234 Trinh T. Minh-Ha,
« No Master Territories », Bill Ashcroft et Ali, The
Postcolonial Studies reader, London & New York, Routledge, 1995,
P.217
* 235 Romuald Blaise
Fonkoua, « Naissance d'une critique littéraire en Afrique
noire », in Notre Librairie n° 160 décembre
2005-février 2006, p. 11.
* 236 Nadine Gordimer,
Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle,
Paris, Plon, 2000, p. 158.
* 237 Albert Einstein,
cité par Lilian Thuram, Mes étoiles noires. De Lucy à
Barack Obama, Paris, Éditions Philippe Rey, 2010, p. 280.
* 238 C'est de cette
manière que Pierre Brunel présente la finalité de la
critique littéraire, finalité que je partage. Voir à ce
propos Pierre Brunnel, La critique littéraire,Paris, Puf, Coll.
"Que sais-je ?", 2001, p.100.
* 239 Edward Said,
Culture and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, p. 336.
* 240 Achille Mbembe,
« Essai sur le politique en tant que forme de la
dépense », in Cahiers d'Etudes
Africaines », tome XLIV (1-2), 2004, p. 183.
* 241 Achille Mbembe traite
précisément de la colonie et de la postcolonie. Voir Achille
Mbembe, « La République et l'impensé de la
race », in Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire,
(s/d), La fracture coloniale. La société française au
prisme de l'héritage colonial, Paris, La découverte, 2005, p
146.
* 242 Albert Memmi,
L'homme dominé, Paris, Gallimard, 1968, p.140.
* 243 Georges Ngal,
L'errance, Yaoundé, Clé, 1979, p.80.
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