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Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer

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par Ives SANGOUING LOUKSON
Université de Yaoundé I - Master2 0000
  

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UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET FACULTY OF ARTS, LETTERS AND

SCIENCES HUMAINES SOCIAL SCIENCES

DÉPARTEMENT DE LITTERATURE DEPARTMENT OF LITTERATURE

ET CIVILISATIONS AFRICAINES ANDAFRICAN CIVILISATIONS

ECRITURE ROMANESQUE POST-APARTHEID

CHEZ J .M. COETZEE ET NADINE GORDIMER

Mémoire présenté en vue de l'obtention du Diplôme de Master ès Littérature et civilisations africaines

Par

Ives Sangouing Loukson

Maître ès Lettres

Sous la direction de

Cécile Dolisane Ebosse

Chargée de Cours

Septembre 2010

DÉDICACE

À toi

ma mère,

Chrescence Ayissi,

je dédie cette recherche.

Depuis ton extinction, une perplexité tragique m'obsède. De la vacuité que ton départ précoce laisse à jamais peser sur moi ou de mon faible pour les livres, faible attrapé pour avoir cru que, pour ton bonheur, il fallait affronter leur profusion, qui est désormais mon égérie ?

REMERCIEMENTS

Un travail de recherche s'effectue rarement sans aides et appuis amicaux. Le présent mémoire ne fait pas exception à la règle. « Écriture romanesque post-apartheid chez Coetzee et Gordimer » n'aurait évidemment pas été possible sans l'appui de mon Directeur de recherche, le Docteur Cécile Dolisane Ebosse. Elle a accepté la direction de mon mémoire et j'ai bénéficié de sa sollicitude, de sa disponibilité et de ses conseils bienveillants.

Grâce au Professeur Ambroise Kom, j'ai pu acquérir deux ouvrages théoriques sur la littérature sud-africaine post-apartheid et le roman d'André Brink sur lequel je m'appuie pour éclairer mon corpus initial.

Des Docteurs Innocent Futcha et Hervé Tchumkam, j'ai bénéficié de la disponibilité et des critiques constructives lors de la production de mon projet de recherche. Je suis également redevable aux enseignants du département de littérature et civilisations africaines pour leur contribution à ma formation.

Mon ami Sylvère m'a aidé avec la saisie de mon texte. À Yollande, Michèle, Yves et Maxime, je dois la relecture avant impression.

Je dois aussi beaucoup à mes frères, soeurs et parents Olivier, Georges, Benjamin, Charly, Christiane, Philomène, Francine, Raïssa, Louk et Messi pour leurs encouragements. Je n'oublie pas Helen, ma bien aimée, pour le soutien matériel, moral et affectif qu'elle ne s'est jamais lassée de me procurer.

Que chacun, en ce qui le concerne, trouve dans ces lignes l'expression d'une gratitude incommensurable.

RÉSUMÉ

Quels impacts le démantèlement officiel de l'apartheid a-t-il eu dans la manière d'écrire des deux prix Nobel de littérature sud-africains ? Tel est le fil conducteur de la présente recherche axée sur Get a life et Elizabeth Costello. Pour y apporter des réponses, je me suis inspiré de quelques éléments théoriques des cultural studies : le populaire, le libéralisme et l'oeuvre de fiction comme objet politique. L'analyse proprement littéraire m'a amené à emprunter à la narratologie et au structuralisme leur démarche d'approche du roman. Il apparaît que l'écriture romanesque post-apartheid de Gordimer et de Coetzee reste davantage constante avec l'idéologie insérée dans leurs romans pendant l'apartheid. Elle ne rompt pas véritablement avec l'idéologie du groupe dominant. D'où la popularité problématique dans le domaine de la littérature sud-africaine de Coetzee et Gordimer.

ABSTRACT

Which changes has the official dismantling of apartheid brought in the novel writing of the two South African Nobel Prize winners? Focussing on Gordimer's Get a life and Coetzee's Elizabeth Costello, this study tries to reflect that main question. Theoretically, some elements of the cultural studies such as the popular, the liberalism and the fiction as a political work, help me develop my work. Narratology and structuralism help me for the literary study of the narratives, which constitute the core of my reflexion. From my study it appears that the post-apartheid novel as written by Coetzee and Gordimer has the same ideological orientation as their writing during the apartheid era. They write from the dominant perspective and dominant group. This situation challenges as Gordimer's as Coetzee's popularity on the ground of South African literature.

LISTE DES TABLEAUX ET SCHÉMA

Tableau I : Organisation des personnages dans Get a life.......................................46

Tableau II : Organisation des personnages dans Elizabeth Costello..................49

Tableau III : Espace narratif et son double dans Get a life.....................................66

Tableau IV : Espace narratif et son double dans Elizabeth Costello..................69

Schéma I : Itinéraire d'Hanna X ..........................................................101

LISTE DES ABRÉVIATIONS

ANC  African National Congress

Clé Centre de Littérature Evangélique

NEPAD New Partnership for Africa's Development

P. Page

PhD Doctor of Philosophy

Puf Presse universitaire de France

s/d Sous la direction

SIDA Syndrome d'Immuno Déficience Acquise

USA United States of America

VIH Virus de l'Immunodéficience Humaine

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Au regard de l'influence de l'Apartheid sur la manière d'écrire des romanciers sud-africains, Massizi Kunene ne pu s'empêcher d'exprimer son inquiétude de la manière suivante : « The trouble with South African writing about apartheid is that these people write about apartheid and one day it won't exist and they'll have nothing to write about »1(*) .

En effet, du fait de leur volonté quasi unanime de se positionner contre le régime de la consécration de l'injustice et de l'inégalité, ces écrivains avaient fini par produire des ouvrages singuliers du fait de leur nature. Ces derniers, comme le reconnaît Jean Sévry se caractérisent par une transparence par rapport aux réalités sud-africaines2(*). Ce sont, en général, des oeuvres dans lesquelles le divorce d'avec la fiction au sens platonique du terme est quasiment consommé. On assiste presque à une interchangeabilité entre la littérature et la réalité. Jean Sévry le reconnaît à juste titre lorsqu'il pense que :

Jamais le lien qui unit un contexte historique à des productions littéraires n'a été sans doute aussi fort. Si la littérature peut se définir comme un système de représentations de la réalité, il faut ajouter, dans le cas de l'Afrique du Sud, que la fiction finit par constituer un écho pour des réalités socio-économiques très concrètes. Les écritures, souvent, s'en retrouvent écrasées et comme aplaties de réalisme. En ce pays, l'oeuvre d'art est presque toujours marquée par le sceau de l'histoire. Et c'est à partir d'elle que l'on s'explique3(*).

Plus d'une décennie après la fin de l'Apartheid, il n'est pas étonnant de constater dans le cadre de la création romanesque de nouvelles manières de prendre en charge l'actuel contexte sociopolitique sud-africain par les écrivains. Ceci semble notamment être le cas dans Get a life4(*) et Elizabeth Costello5(*), romans respectivement de Nadine Gordimer et de John Maxwell Coetzee, deux écrivains blancs sud-africains. La postériorité de ces deux romans par rapport à l'Apartheid peut induire leur lecteur à les considérer d'emblée comme des romans qui attestent de véritables ruptures avec les particularités du roman sud-africain pendant l'Apartheid. Leur centralité sur l'écologie, l'importance qu'ils accordent à l'Australie et la méta-énonciation sur la littérature dont Elizabeth Costello fait exclusivement6(*) l'objet sont quelques repères suggestifs de l'état des lieux du roman post-apartheid tel qu'il ressort sous la plume de deux prix Nobel sud-africains de littérature7(*).

Jean Sévry et Massizi Kunene auraient été de véritables visionnaires s'ils avaient confronté leur objet d'étude, le roman sud-africain, au contexte de globalisation dont l'Afrique du sud a été et continue d'être, comme ses voisins africains, un point d'ancrage. C'est dans la perspective de dépasser les thèses de Sévry et de Kunene que m'est venue l'idée de la recherche intitulée :

  Écriture romanesque post-apartheid chez John Maxwell Coetzee et Nadine Gordimer.

Je me propose, dans ce sujet, d'étudier les ruptures et les continuités dans l'écriture de l'espace sud-africain chez ces deux écrivains distingués par le Nobel de littérature. Une telle ambition n'est, sans doute, pas sans conséquences pour cerner les configurations esthétiques et idéologico-politique du roman sud-africain en général. Étant donné la représentativité discutable des romans de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer pour le roman sud-africain dans son ensemble, prétendre cerner les particularités du roman sud-africain dans sa diversité à partir de leurs romans semble, de prime abord, être une imposture.

En effet, alors que Gordimer et Coetzee sont distingués par de prestigieux prix étrangers et internationaux tels le Nobel ou le Booker prize8(*), ils sont tous deux, sinon catalogués comme des écrivains racistes par la critique littéraire locale, du moins regardés avec beaucoup de défiance en Afrique du sud. On peut, à titre d'exemple, s'arrêter sur une polémique soulevée, au sujet de Gordimer par Dennis Brutus et A. Woodward ; polémique dont Kathrin Wagner rapporte les termes dans son livre Rereading Nadine Gordimer :

[A. Woodward] concluded his sharp essay in 1961 with the caustic comment that she is a marvellous, vivacious observer, with nothing very subtle to say, and with an ever- growing facility for saying it, while Dennis Brutus complained in a now widely-known remark that she lacks warmth, lacks feeling, but can observe with the detachment, with coldness, of a machine. He laid the blame on the dehumanising impact of apartheid up on white and black alike, and was thus among the first to suggest that Gordimer may be understood best as a writer trapped within the historical situation her vision seeks to transcend9(*).

Quant à J. M. Coetzee, universitaire-romancier de renommée internationale, imprégné de la tradition intellectuelle européenne et passionné de mathématiques, de stylistique et de linguistique10(*), il revient à Jean Sévry d'esquisser un parallèle, le concernant, avec la tiédeur de la critique sud- africaine vis-à-vis de Gordimer :

...peu à peu, se sont mises en place des bienséances universitaires à propos d'un écrivain [Coetzee] qui malgré tout n'aura connu qu'une réception limitée pour l'essentiel à son propre milieu, ce qui ne retire rien à ses qualités esthétiques, mais ce qui méritera un jour quelques réflexions sociologiques11(*).

Il est donc évident que considérer comme représentatifs du roman sud- africain en général, des romans de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer, vigoureusement contestés en Afrique du sud, alors qu'acclamés à l'étranger, pose les problèmes de la réception des oeuvres, du projet romanesque et du marketing éditorial. Seulement, puisque l'une de mes préoccupations est d'étudier les nouvelles orientations formelles, thématiques et idéologiques propres au roman sud-africain post-apartheid, j'ai essayé de m'appuyer sur des romans d'auteurs sud- africains qui ont plutôt bonne presse en dehors du pays. La raison en est que, subsidiairement, je voudrais vérifier si les institutions littéraires étrangères, le Nobel en particulier, au-delà de la portée médiatique, sont souvent neutres dans l'attribution des distinctions respectives. Aussi, convoquerai-je The Other side of silence12(*) d'André Brink et Ways of dying13(*) de Zakes Mda pour parer à une éventuelle admonestation d'hyperbolisation dans ma démarche. En effet, ces deux autres romans sud-africains post-apartheid semblent transposer l'Afrique du Sud d'une façon radicalement contraire à celle de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer.

Mon hypothèse générale est que l'écriture romanesque post-apartheid chez J. M. Coetzee et Nadine Gordimer reproduit une vision du monde déjà perceptible dans leurs romans pendant l'Apartheid. Coetzee et Gordimer dans Get a life et Elizabeth Costello, réarticulent leur indifférence vis-à-vis des infortunes des Non- Blancs en général, des indigents sud- africains en particulier. On peut néanmoins partir de leurs écritures post-apartheid pour prendre la mesure des défis à relever afin d'amoindrir le racisme en Afrique du Sud. De cette hypothèse de départ se dégagent les interrogations suivantes : Comment écrivent Coetzee et Gordimer pendant l'Apartheid ? Quelle est la classe sociale qui oriente la perspective de leur geste romanesque ? Devrait-on parler de rupture ou de continuité lorsqu'on confronte leur fiction pendant l'Apartheid avec leurs romans post-apartheid que sont Get a life et Elizabeth Costello? Quelles sont les insuffisances de la représentativité de Get a life et d'Elizabeth Costello pour le roman sud-africain post-apartheid en général? Comment comprendre, rétrospectivement le dévolu du Nobel sur Coetzee et Gordimer, plutôt que sur Brink ou sur Mda?

Mon travail s'inscrit dans le cadre méthodologique ayant déjà donné lieu à des études réalisées par des critiques tels que Jean Jacques Sewanou Dabla14(*), Abdourahmane Waberi15(*), et Odile Cazenave16(*). Ces critiques se livrent, chacun à sa façon, à une étude des romans africains francophones dans une perspective diachronique. Odile Cazenave écrit par exemple à propos :

...les années 50 et 60 restent de même marquées par une activité littéraire intense. Durant toutes ces années, les expatriés gardent le regard rivé vers l'Afrique, ... Or, les années 80 ont vu apparaître une nouvelle génération d'Africains en France. Contrairement à leurs prédécesseurs, ils offrent un regard de nature et de portée différentes. C'est un regard non plus tourné nécessairement vers l'Afrique, mais plutôt sur soi. Ces écrivains hommes et femmes contribuent à la formation d'une nouvelle littérature. S'éloignant du roman africain canonique de langue française, leur écriture prend des tours plus personnels. Souvent, peu préoccupées par l'Afrique elle-même, leurs oeuvres découvrent un intérêt pour tout ce qui est déplacement, migration et posent à cet égard de nouvelles questions sur les notions de cultures et d'identités postcoloniales...17(*)

Sewanou Dabla emprunte la même démarche qu'Odile Cazenave au sujet de la littérature africaine francophone. Préfaçant le livre de celui-ci, Gérard Da Silva écrit à cet effet : « la littérature d'Afrique noire est en passe de changer de visage et d'atteindre sa véritable plénitude. Le livre de Sewanou Dabla est le premier à établir ce constat, et ce faisant, à prendre date »18(*).

Abdourahmane Waberi déborde, quant à lui, les conclusions auxquelles parviennent Sewanou Dabla et Odile Cazenave pour esquisser quelques défis qui interpellent les générations à venir en commençant par la quatrième génération. Il appelle cette dernière, celle des enfants de la postcolonie ou la génération transcontinentale19(*). A son sujet, Waberi conclut :

Au final, cette quatrième génération apportera quelque chose de neuf et justifiera son existence, si elle transforme l'exil d'ordinaire angoissant, annihilant, douloureux, en un exil fécondant, joyeux, qui n'est plus appréhendé sur le mode nostalgique, souffreteux, en un mot, « doloriste » (René Depestre)20(*) .

Bien que ma recherche s'inscrive dans un paradigme méthodologique similaire à celui de Dabla, Cazenave ou Waberi, elle s'en démarque cependant par quelques aspects. Elle s'appuie tout d'abord sur un corpus anglophone et sud- africain. Avec ce décalage, ma recherche se donne comme tentative d'adaptation du modèle méthodologique de Dabla, Cazenave et Waberi au roman sud-africain anglophone.

Alors que les travaux d'Abdourahmane Waberi, Odile Cazenave ou de Sewanou Dabla ont pour toile de fond explicitement ou implicitement la colonisation en Afrique, ma recherche, elle, s'intéresse à l'Apartheid. On pourra s' apercevoir que colonisation et apartheid sont des versions variées du capitalisme et que l'écriture romanesque de J.M. Coetzee et Nadine Gordimer permet mieux que toute autre forme de leurs écrits de s'en rendre compte. Plus particulièrement, ma recherche permet de voir comment Coetzee et Gordimer, romanciers du groupe dominant, subissent la pression hégémonique caractéristique de leur milieu. Elle complète donc les travaux déjà réalisés à propos de l'Afrique du sud post-apartheid par Rita Barnard21(*) et Njabulo Ndebele22(*), du fait de sa focalisation sur des romans absents du répertoire de ces deux chercheurs sud-africains. Il reste à préciser les outils théoriques et méthodologiques desquels s'inspirera la réflexion.

Dans un article où il procède à une synthèse des thèses de Roland Barthes sur la question « À quoi sert l'écriture » 23(*), Alexandre Gefen conclut qu'il revient au critique littéraire de « préparer par la studium (la préparation culturelle et intellectuelle, l'ordre, la raison) les conditions de possibilités de survenue du sens »24(*). Dans ce travail, la studium-balise emprunte aux cultural studies britanniques quelques éléments théoriques dont l'inaptitude face au texte de fiction sera complétée par quelques dispositifs méthodologiques de la narratologie25(*) et de la description structurale selon l'expression de Michel Foucault26(*).

Encore dénommée théorie culturelle, les cultural studies sont nés autour de l'année 1950 en Grande Bretagne suite aux confrontations prolifiques de la New Left Review et du Centre for contemporary cultural studies27(*) avec le marxisme28(*). L'acharnement des cultural studies à mettre en cause « les grandes insuffisances théoriques et politiques du marxisme »29(*) décline cette théorie comme une critique radicale du capitalisme eurocentriste. La théorie culturelle est une approche profondément préoccupée à débouter l'altérité radicale dans les diverses et multiples apparences qu'elle peut adopter. Achille Mbembe identifie à juste titre l'altérité ou la différence radicale comme principe ayant conduit à la ségrégation, l'animalisation et la bestialisation de l'autre, toutes des logiques qui ont « toujours fini par déboucher sur la guerre »30(*). C'est donc un discours qui prône un avenir collectif plus juste et plus humain. Comme les théories post-coloniales, les cultural studies permettent un décentrement du sujet hégémonique. Néanmoins, « ce qui est [...] remarquable [...] c'est que la prise en considération de la relation entre postcolonialisme et capitalisme mondial soit absente des écrits des intellectuels postcoloniaux »31(*). Voilà qui renforce l'idée des cultural studies comme critique sérieuse du capitalisme occidental.

La réflexion prend appui sur cet enjeu éthique indéniable aux cultural studies sinon pour traiter du capitalisme eurocentriste, du moins, pour aider à mesurer les défis liés à la possible dérivation de son hégémonisme. Le choix des cultural studies se justifie également par leur conception de la culture. En effet, pour la théorie culturelle, la culture ne se conçoit ni comme :

une pratique, ni la simple somme descriptive des us et coutumes des sociétés, comme elle tendait à le devenir dans certains types d'anthropologie. Elle traverse toutes les pratiques sociales et constitue la somme de leurs interrelations...La culture se définit par ces schémas d'organisation, ces formes caractéristiques d'énergie humaine qui peuvent apparaître et se révéler - aussi bien dans des identités et des correspondances inattendues que dans des discontinuités d'un type inattendu - à l'intérieur de ou sous-jacentes à toutes les pratiques sociales32(*).

En d'autres termes, les cultural studies invitent à une pluralité de la culture, au respect des us et coutumes de l'autre ou au relativisme culturel. Ils proposent de considérer la culture comme nécessairement coalescente à toute pratique sociale. Aussi, les cultural studies invitent-ils à devenir des lecteurs politiques parce qu'ils autorisent de « situer les points de vues » 33(*). C'est-à-dire d'interroger, pour identifier quel groupe social, racial, sexuel, politique ou idéologique insuffle à la culture son omniprésence avec pour finalité d'imposer son hégémonie à des groupes minoritaires. Voilà qui, comme le dit Maxime Cervulle  « ouvre la voie à une analyse des relations de pouvoir (au sens de Foucault) qui, au sein d'une culture donnée, voient s'affronter différents codes d'interprétation, différents régimes discursifs ou de vérité »34(*) .

Les cultural studies me semblent d'autant adaptés pour ma réflexion qu'ils définissent l'art, donc le roman, comme un support important de la culture :

Si l'art fait partie de la société, il n'y a pas de tout solide en dehors duquel, ni auquel, par la forme de notre question, nous concédions la priorité. L'art est là, en tant qu'activité, aux côtés de la production, du commerce, de la politique, de la famille. Pour étudier ces relations de façon pertinentes, nous devons les étudier activement et voir dans toutes ces activités des formes particulières et contemporaines de l'énergie humaine.35(*)

Autrement dit, s'inspirer, des cultural studies dans le cadre de la critique littéraire suppose que l'on dépasse le « mouvement superficiel des intrigues ou de l'histoire vécue par des personnages »36(*) dans la diégèse du roman pour décider de la contribution du roman à la relativisation ou à l'amélioration de la condition des hommes visés par l'auteur et par appropriation de tous les hommes. C'est pour cela que les cultural studies constituent un dispositif théorique permettant aux exclus ou à ceux qui se considèrent comme tels, de se rendre compte que rien n'est encore perdu  « que l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer » 37(*). Stuart Hall écrit à juste titre :

La vocation des cultural studies est de permettre de comprendre ce qui se passe, et particulièrement de proposer des outils de pensée, des stratégies de survie et des moyens de résistance à tous ceux qui sont aujourd'hui- en termes économiques, politiques et culturels - exclus de ce que l'on peut appeler l'accès à la culture nationale de la communauté nationale38(*).

Il reste que les cultural studies, tels qu'ils viennent d'être présentés ne proposent pas méthodologiquement comment analyser dans le détail le « système artistique » qu'est le roman. C'est pour pallier cette insuffisance que je convoquerai des travaux réalisés dans le cadre de la narratologie39(*) et de l'étude formelle des récits développées par des théoriciens tels Tzvetan Todorov, Gérard Genette, Gerald Prince, Jean-Yves Tadié, Roland Barthes, Dorrit Cohn et bien d'autres.

Pour étayer mes analyses et vérifier mon hypothèse de départ, mon travail s'organise autour de deux parties éclatées en deux chapitres chacune.

Dans le premier chapitre intitulé Michael K., sa vie, son temps ; A world of strangers : aux sources de la conscience de classe, je rappelle tout d'abord quelques indications biographiques sur J.M. Coetzee et Nadine Gordimer. Ensuite j'analyse Michael K., sa vie, son temps et A world of strangers, romans respectivement de Coetzee et de Gordimer. Il s'agit de dégager les caractéristiques propres de ces romans dans leurs rapports avec la classe sociale à laquelle appartiennent Coetzee et Gordimer. Le second chapitre examine l'écriture de Get a life et d'Elizabeth Costello dans la perspective de mettre en évidence les ruptures et les continuités décelables de ces romans confrontés à Mickaël K, sa vie, son temps et A world of strangers. De cette première partie, il apparaît que J.M. Coetzee et Nadine Gordimer soutiennent implicitement le capitalisme eurocentriste dans sa version sud-africaine.

La deuxième partie conduit quant à elle dans une Afrique du sud où est possible une coexistence dépourvue de l'hégémonie des uns sur les autres. Dans le troisième chapitre, sens de Get a life et d'Elizabeth Costello à la lumière de The other side of silence, ways of dying, je m'arrête sur deux romans post-apartheid respectivement d'André Brink et de Zakes Mda, deux autres romanciers sud-africains. Le but est de multiplier des lieux de démarcation des rapports qu'ils entretiennent tous avec l'Afrique du Sud actuelle, question de fissurer la capacité de Get a life et d'Elizabeth Costello à traduire l'ensemble des préocupations du roman sud-africain post-apartheid. Il permet aussi d'envisager la complémentarité des préocupations de Nadine Gordimer et de J.M. Coetzee en période post-apartheid. Le quatrième et dernier chapitre, intitulé Get a life et Elizabeth Costello : romans porteurs d'idéologies compatibles, tente d'abord de répertorier des points de convergence entre Get a life et Elizabeth Costello. Il les situe enfin par rapport aux discours théorico-politiques fondateurs du processus historique.

PARTIE I :

RUPTURES ET CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE CHEZ COETZEE ET GORDIMER

Analysant Triomf de l'Afrikaner Marlene Van Niekerk40(*), roman post-apartheid s'inspirant des réalités du régime de l'Apartheid, Denise Coussy en dégage une entrée dont je m'inspire pour analyser les romans de Coetzee et Gordimer 

Le récit montre, de façon implacable, que les descendants de ces Blancs qui ont bénéficié de cette aubaine sont devenus de véritables déchets humains. Ils se considèrent eux-mêmes comme des bons à rien, des bons pour la casse qui ne trouve de satisfactions que dans une sexualité incestueuse. Un message insidieux se dégage de ce roman de la déréliction : la déchéance de ces laissés- pour- compte est, de toute évidence, l'héritage maudit que le système afrikaner d'antan leur a légué. Les habitudes d'exclusion et de dénigrement perdurent maintenant au plus bas niveau et la nouvelle Afrique du Sud doit payer les dettes de l'ancienne41(*) .

En d'autres termes, le démantèlement officiel de l'Apartheid n'a pas coïncidé avec le dépassement véritable des structures psychologiques, des préjugés sociaux ou culturels en vigueur pendant l'Apartheid.

Si Triomf, aux yeux de Denise Coussy, soutient la continuité du dénigrement du Non- Blanc par le Blanc au détriment du nouveau contexte officiel, Get a life et Elizabeth Costello semblent plus catégoriques sur cette question. C'est du moins la situation qu'il est question de démontrer dans cette articulation liminaire de mon étude. Pour une meilleure appréciation des orientations tant formelles qu'idéologiques chez Coetzee et Gordimer en contexte post-apartheid, un détour par l'analyse de leurs romans pendant l'Apartheid42(*) n'est pas fortuit. Pour cela, j'ai choisi Michaël K, sa vie, son temps43(*) et A World of strangers44(*). La raison est que ces romans respectivement de Coetzee et Gordimer sont largement centrés sur la personne du Non- Blanc en Afrique du Sud pendant l'Apartheid. Michaël K, sa vie, son temps et A World of Strangers me servent en effet de points d'appui à partir desquels je tente de déterminer la nature des ruptures et des continuités qui se dégagent de Get a life et d'Elizabeth Costello.

CHAPITRE I :

MICHAËL K., SA VIE, SON TEMPS ; A WORLD OF STRANGERS : AUX SOURCES DE LA CONSCIENCE DE CLASSE

Parlant de l'espace en critique littéraire, John Berger écrit :

 Prophecy now involves a geographical rather than historical projection; it is space and not time that hides consequences from us. To prophesy today it is only necessary to know men [and women] as they are throughout the whole world in all their inequality. Any contemporary narrative which ignores the urgency of this dimension is incomplete and acquires the oversimplified character of a fable45(*).

En d'autres termes, la prise en compte de l'espace garantit à la recherche en général, littéraire en particulier, la capacité de formuler des vérités que le temps ne peut infirmer. Par ce fait même, elle permet de souligner la raison d'être de la littérature.

Cependant, c'est d'un espace davantage conceptuel que simplement physique qu'il s'agit. Ses indices sont certes marqués dans le roman, mais il appelle d'autres données du roman dont la combinaison permet au critique de vérifier s'il convient de confiner le romancier au groupe dominant, dominé ou à l'espace interstitiel entre les deux groupes, conformément à l'ambiance politico-économique que le capital impose au monde. Ainsi, étudier l'espace revient non plus simplement à considérer ou à décrire l'espace en ce qu'il serait le cadre physique de l'action des personnages, mais bien s'intéresser à l'espace conceptuel qui, partant du régime de montage du roman, permet de décider de quel bord idéologique, politique ou social est le romancier. Ceci passe par exemple par l'observation de l'obsession, s'il y a lieu, des personnages par rapport à certains espaces précis. Outre ce que Todorov appelle « La grammaire du récit46(*) », c'est ici que le critique échappe aux subtiles clôtures de l'art en général et de la littérature en particulier pour prendre part à ce que Jacques Rancière appelle « le partage du sensible47(*)».

Tandis que sur cette question d'espace Mikhaïl Bakhtine propose le concept de chronotope, Frederic Jameson choisit de parler de « Cognitive mapping ». La raison en est que, la notion de chronotope sous-estimerait la nécessité de s'intéresser à « ce qui reste inexprimé dans chaque acte expressif »48(*) ; ce que Georgio Agamben appelle le geste de l'auteur. Voilà pourquoi Jameson se préoccupe du renforcement de la dimension intellectuelle du critique pour qui le repérage des chronotopes devrait viser à résoudre l'équation de l'appartenance ou non du romancier au groupe dominant.

  Cognitive mapping , écrit-il, « is an attempt to name the system, to offer some kind of representation that might help individuals situate themselves with regard to the vast multinational networks of global capital [...] It might be taken as a code word for class consciousness »49(*).

Pour tout dire, toute recherche littéraire qui n'aide pas à identifier à partir de quel espace et pour quel espace (groupe) les écrivains du corpus retenu, produisent leurs écrits, se condamne à un vain amusement. Aussi procéderai-je, dans le cadre du présent chapitre liminaire à la mise en évidence du rapport entre narré et non-narré. En effet, cette méthode présente l'avantage de réconcilier les trois dimensions de l'espace soulignées plus haut. D'abord parce que la question du narré exige de s'appuyer sur l'espace dans la diégèse des romans retenus. Il s'agit de « revenir au texte, [seul] lieu de construction de l'imaginaire50(*) ».

Ensuite parce que le problème du non-narré, concept emprunté à Gerald Prince51(*), en autorisant d'identifier des éléments (événements, espaces...) que le récit tait ou refuse de prendre en charge, permet de mettre en perspective l'effectivité du « Cognitive mapping » pour parler comme Jameson. Enfin, cette posture méthodologique me permet non seulement d'élaborer la singularité formelle, mais surtout de déterminer la conscience de classe que font valoir les romans d'avant le démantèlement conventionnel de l'Apartheid chez Gordimer et Coetzee.

Partant du principe selon lequel « si on veut étudier une littérature, il faut d'abord étudier son ancrage sociologique et politique, sans quoi on n'est pas rigoureux »52(*), je consacre la première articulation de ce chapitre à l'étude du fonctionnement de l'Apartheid. Il s'agit d'entrevoir quelle marge de manoeuvre Gordimer et Coetzee, eu égard à leurs ascendances, avaient pu avoir pour ne pas prêter le flanc au type de rapport qu'ils entretiennent avec le système de l'Apartheid, tel que leurs romans le suggère. La seconde étape consiste en une recherche biographique sur Gordimer et Coetzee. L'idée c'est de montrer à quel espace idéologique ils appartiennent en Afrique du Sud. La troisième articulation de ce chapitre est consacrée à l'analyse respectivement de Michaël K, sa vie, son temps, et de A world of Strangers. Cette analyse vise à démontrer que ces romans comportent des traces traduisant un sentiment complexe de solidarité de leurs auteurs avec la politique de l'Apartheid en Afrique du Sud.

I-1- Apartheid : Enjeux d'une idéologie en vigueur avant J.M. Coetzee et Nadine Gordimer

Claude Lévi-Strauss a proposé une conceptualisation du structuralisme qui constitue un des paradigmes53(*) sur lesquels s'appuient les cultural studies. D'après Lévi-Strauss, l'étude des formes économiques, sociales, politiques, cultuelles ou littéraires reste superficielle si elle ne permet pas de se rendre compte des relations complexes entre elles. Le chercheur structuraliste doit, de ce fait, se poser la question de savoir quelles formes ou structures sinon précèdent, du moins justifient celles qu'il se propose d'étudier. Commentant cette posture conceptuelle du structuralisme de Lévi-Strauss, Stuart Hall écrit :

Pour penser ou pour analyser la complexité du réel, l'acte de pratiquer la pensée est requis, et il nécessite de faire usage du pouvoir d'abstraction et d'analyse, de formuler des concepts permettant de découper la complexité du réel, afin précisément de révéler et d'éclairer les relations et les structures qui restent invisibles au candide et qui ne peuvent ni se présenter, ni s'authentifier elles-mêmes : dans l'analyse des formes économiques, ni les microscopes, ni les réactifs chimiques ne sont d'aucune aide. Le pouvoir d'abstraction doit les remplacer54(*).

Raymond Williams pour sa part pense que :

 Nous devons supposer que le matériau brut de l'existence se trouve à un pôle et que toutes les disciplines et tous les systèmes humains infiniment complexes, articulés et inarticulés, formalisés dans des institutions ou dispersés de la façon la moins formelle qui soit, qui traitent, transmettent ou déforment ce matériau brut, se trouvent de l'autre55(*).

Autrement dit, s'il convient d'identifier le système de l'Apartheid en Afrique du Sud comme une forme économique pour parler comme Lévi-Strauss ou comme un système humain infiniment complexe articulé et inarticulé dans des institutions comme l'aurait dit Raymond Williams, qu'est-ce qui pourrait constituer le matériau brut de l'existence dont cet Apartheid n'est qu'une déformation, un traitement ou une transmission ? Devant une telle interrogation, il n'est pas facile d'éviter de considérer l'Apartheid comme un modèle culturel organisé ou orchestré par le capitalisme. Cette relation est inévitable si l'on s'en tient aux fondements de la société capitaliste du point de vue du professeur E.P. Thompson :

 La société capitaliste s'est fondée sur des formes d'exploitation qui sont en même temps économiques, morales et culturelles. Prenez la relation productive, essentielle et définissant, [...] tournez-la dans tous les sens, et elle se révélera tantôt sous un certain jour (travail-salaire), tantôt sous un autre (un éthos acquisitif), tantôt encore sous un autre (l'aliénation de facultés intellectuelles qui ne sont pas requises par le travailleur dans son rôle productif)56(*) .

À la vérité, si l'apartheid n'est pas une architecture consciemment élaborée par la société capitaliste, il constitue pour le moins une sorte de ré-articulation des pratiques sociales, économiques, politiques et symboliques dont seule la société capitaliste maîtrise l'alchimie. Dans une description que Nadine Gordimer fait du déploiement de l'Apartheid, il ressort que celui-ci se fonde sur des formes d'exploitation tant morale, culturelle, qu'économique des Noirs par des Blancs :

 Les Noirs remplissent toutes les tâches manuelles dans notre pays, parce qu'aucun Blanc ne veut creuser une route ou charger un camion. Mais pour tous les travaux qu'un Blanc veut faire, il y a des sanctions et des emplois réservés afin d'exclure les Noirs. Dans l'industrie du bâtiment, et dans les usines, les travailleurs non-qualifiés et semi-qualifiés sont africains et ne peuvent, de par la loi, prétendre à un autre emploi. Ils ne peuvent servir les clients au comptoir, dans les boutiques ou être employés aux écritures aux cotés des Blancs. Dans quelque lieu qu'ils travaillent, ils ne peuvent partager les toilettes et les cantines des employés Blancs. Mais ils ont le droit de faire des achats dans les magasins57(*).

C'est donc le capitalisme, comme on le lit sous la plume de Nadine Gordimer, qui a généré l'Apartheid58(*). Cependant, il convient de préciser pour le cas spécifique de l'Afrique du Sud que les premiers pas de la structure capitaliste que Jan Smuts59(*) a désigné Apartheid pour la première fois, remonte à 1652 avec la prise du Cap par une petite escadre hollandaise, sous le commandement de Jan van Riebeck. La population blanche augmente à la fin du 17e siècle avec l'arrivée des Huguenots chassés de France par la révocation de l'édit de Nantes en 1684. En 1815, au traité de Vienne, les Pays-Bas doivent céder le Cap à la Grande-Bretagne. Cette autre mesure prise en occident entraîne la venue massive d'Anglais en Afrique du Sud. L'occupation par les Anglais du Cap provoque le grand trek des fermiers hollandais pour l'intérieur (Nord) du pays60(*).

Bien d'écrits de Nadine Gordimer et de John Coetzee, sinon tous pendant l'Apartheid, ont été considérés par plus d'un chercheur comme intéressés par le démantèlement ou la dénonciation du système inique et ostracisant de l'apartheid. David Coad trouve par exemple qu'il y a dans le roman de Coetzee « une accusation convaincante de tout système politique fondé sur la torture, l'avilissement de l'individu et les rapports difformes entre ceux qui exercent le pouvoir et les opprimés»61(*). Jean Sévry estime pour sa part que les romans de Nadine Gordimer, comparés à ceux de ses compatriotes dont J.M. Coetzee et bien d'autres « dirigent vers une troisième culture, qui se situerait résolument au carrefour des deux autres [blanche et noire]» 62(*).

C'est dire que, par bien de côtés, les romans de ces deux écrivains semblent ne faire aucun doute quant à l'antagonisme de leurs auteurs vis-à-vis de l'Apartheid. Pourtant, étant donné que l'Apartheid est une invention de l'idéologie capitaliste en expansion dans le monde, il est absolument illusoire de prétendre s'opposer fondamentalement à cette dernière. Toute tentative de renverser la société capitaliste est condamnée à l'échec surtout lorsqu'on appartient de par la descendance, au groupe dominant comme le sont J.M. Coetzee et Nadine Gordimer. Georges Lukacs n'en dit pas autre chose l'orsqu'en confrontant la spectacularisation capitaliste avec son impact sur la conduite du travailleur ou de l'écrivain, il écrit que  « plus la rationalisation et la mécanisation du processus de travail augmentent, plus l'activité du travailleur perd son caractère d'activité pour devenir une attitude contemplative »63(*).

Beaucoup moins abstrait que Lukacs, Stuart Hall écrit pour sa part que :

 Les hommes font l'histoire [...] sur la base de conditions qui ne sont pas leur oeuvre ; il en résulte inévitablement un humanisme naïf, avec sa nécessaire conséquence : une pratique politique volontariste et populiste. Le fait que les hommes puissent devenir conscients de leurs conditions, s'organiser pour lutter contre elles et, finalement, les transformer, sans quoi aucune politique active ne peut pas même être pensée et, encore moins, pratiquée, ne doit pas nous autoriser à passer outre le fait que, dans les relations capitalistes les hommes et les femmes sont situés et positionnés dans des relations qui les constituent comme agents. Pessimisme de l'intellect, optimisme de la volonté est davantage un bon point de départ qu'une simple affirmation héroïque64(*) .

Il y a donc lieu de douter d'une profonde et fondamentale opposition de Coetzee et de Gordimer à un système qui est en vigueur en Afrique du Sud bien longtemps avant leur arrivée sur la scène politico-culturelle. Dans certains de ses écrits, Nadine Gordimer souligne d'ailleurs la dépendance de la personnalité et de l'identité de chacun à l'égard des codes culturels propres au contexte où on évolue. « Our subjectivity and identity, affirme-t-elle, are formed in the definitions of desire which encircle us »65(*). Peut-être faut-il préalablement élaborer une fiche biographique de J.M. Coetzee et Nadine Gordimer pour mettre en évidence leur appartenance au groupe dominant.

I-2- Repères biographiques de Coetzee et de Gordimer

J.M. Coetzee66(*) est descendant des Afrikaners qui mirent sur pied le système ségrégationniste de l'Apartheid en Afrique du Sud. Il est né au Cap le 9 février 1940 d'une mère institutrice et d'un père procureur. Ce dernier servit de 1941 à 1945 l'Armée sud-africaine en Afrique du Nord et en Italie aux côtés des Alliés. Bien que ses parents soient Afrikaners, la langue usuelle dans la famille est l'Anglais.

Coetzee reçoit son éducation primaire au Cap et à Worcester. Son éducation secondaire a lieu dans une institution gérée par l'ordre catholique dénommée « Marist Brothers ». À 21 ans, Coetzee rejoint l'Angleterre pour y mener ses études supérieures. Il y étudie la langue anglaise et les mathématiques. Il y obtient sa licence et décroche plus tard une maîtrise portant sur le romancier anglais Ford Madox Ford. Coetzee travaille à Londres de 1962 à 1963 en tant que programmeur pour International Business Machines (IBM), puis pour International Computers à Bracknell. Il quitte l'Angleterre à l'âge de 25 ans à la poursuite d'une carrière universitaire. À nouveau, il poursuit des études d'Anglais à l'université du Texas à Austen aux États-unis, consacrant une partie de son temps à l'anglais ancien et à la grammaire allemande. En 1968, Coetzee termine un doctorat sur les écrits du jeune Beckett, intitulé The English Fiction of Samuel Beckett : An Essay in stylistic Analysis.

De 1968 à 1970, Coetzee est professeur associé à la State University of New York à Buffalo, Texas. Obligé de partir des États-unis au début des années soixante-dix, à cause de sa participation aux manifestations contre la présence des États-unis au Viêt-Nam, Coetzee rentre en Afrique du Sud. Plus d'une vingtaine d'années durant, il est professeur d'anglais à l'Université du Cap. Mais il va fréquemment aux USA où il enseigne tour à tour à Johns Hopkins University, Harvard University, Standford University et à l'université de Chicago. Depuis 2002, moins d'une décennie après la montée des Noirs au pouvoir en Afrique du Sud, Coetzee émigre en Australie67(*) où il continue d'enseigner à l'université d'Adelaide au Sud de l'Australie68(*).

De ces indications biographiques sur Coetzee, il ressort que celui-ci a hérité de ses parents une identité (langue anglaise) autre que la leur. Coetzee a cultivé cet héritage jusqu'à en faire son gagne pain et sa vie.

C'est plutôt dans un récit autobiographique, Scènes de la vie d'un jeune garçon, que Coetzee expose la conscience victorienne que ledit héritage visait à lui inculquer. En effet, dès son jeune âge, Coetzee redoute déjà la honte qu'entraîne l'échec scolaire ou celle qu'entraîne le fait de se faire bastonner en classe par la maîtresse. Le jeune Coetzee redoute tellement la honte qu'il lui préfère la mort :

Ce qu'il ne pourra pas endurer, c'est la honte. Cette honte, il le craint sera si terrible, si insurmontable, qu'il se cramponnera à son pupitre et refusera de bouger quand on l'appellera. Et cela sera une honte encore plus grande qui le mettra à l'écart des autres et qui en plus tournera les autres contre lui. Si jamais on l'appelle pour être battu, ce sera une scène tellement humiliante qu'il n'aura aucun autre moyen de s'en sortir que de se tuer69(*).

Voilà qui explique peut-être pourquoi Coetzee est devenu un prodige des réussites scolaires, universitaires et professionnelles comme on peut le remarquer à travers son curriculum très impressionnant. Il est dès lors difficile d'éviter la conclusion que Coetzee est le produit d'un groupe social pour lequel l'initiative, la bravoure, l'exploit, et le progrès constituent des critères identifiants. Ces critères correspondent comme on peut le constater aux caractéristiques de la bourgeoisie occidentale, laquelle, selon Fanon serait dynamique, pionnière, inventrice et découvreuse de monde70(*).

Si Coetzee se livre volontiers au travail autobiographique, Gordimer, elle, se montre plutôt réservée. Kathrin Wagner est aussi de cet avis lorsqu'elle suggère que :

Gordimer has avoided giving the public much autobiographical information, remaining largely true to the belief expressed in an early statement in 1963 that autobiography can't be written until one is old, can't hurt anyone's feelings, (and) can't be sued for libel, or worse, contradicted71(*).

C'est dire que la recherche biographique sur Nadine Gordimer relève pratiquement de la gageure. Néanmoins, Gordimer est née le 20 novembre 1923 à Springs, près de Johannesburg. Son père est un bijoutier juif et sa mère britannique. Les deux parents de Gordimer appartiennent à la « bourgeoisie aisée et privilégiée sud-africaine »72(*). Pendant sa tendre enfance, sa mère la considère comme trop faible de coeur au point de lui éviter tout contact avec l'ambiance extérieure. C'est la raison pour laquelle Gordimer reçoit son éducation primaire et secondaire dans un couvent. Elle passe plus tard une année à l'université de Witwatersrand à Johannesburg.

Au titre de la production littéraire, Gordimer peut être qualifiée de précoce. Sa première nouvelle intitulée Come again tomorrow est publiée dans la section jeunesse du Johannesburg Magazine dénommé Forum alors qu'elle a 14 ans.

En octobre 2006, le domicile de Gordimer est cambriolé par des forbans. Elle y est victime d'une agression avec des dommages physiques légers73(*).

Comparée à John Coetzee, on remarque que Nadine Gordimer est restée comme prisonnière de Johannesburg malgré les épreuves qu'elle y a subies. Tout se passe avec elle comme si, comme Coetzee s'est révélé très engagé vis-à-vis de la tradition victorienne, Gordimer elle, n'a plus eu à s'y engager ailleurs qu'à domicile à Johannesburg.

Les écrits de Gordimer sont souvent marqués des indices de son appartenance à la classe dirigeante en Afrique du Sud. Dans une interview accordée à Chris Davies, elle indique par exemple à mots couverts son engagement pour un enracinement pacifique de la société capitaliste ou bourgeoise en Afrique du Sud. La finalité ultime c'est de réaliser une société capitaliste sud-africaine authentique :

On ne peut pas, affirme-t-elle, attendre d'un écrivain qu'il reste dans le juste milieu quand ce juste milieu n'existe pas. Un écrivain traite de ce qui dans cette société se trouve autour de lui, ou autour d'elle. C'est un fait, on en a la preuve dans ce que les gens vivent, dans la société sud-africaine, il n'y a pas de juste milieu (...) Je ne peux pas inventer un juste milieu qui n'existe pas, je ne peux parler que de ce qui existe, de l'absence d'un juste milieu (...) Si jamais cela se produit, et si à ce moment là les Africains noirs l'acceptent, alors nous aurons une nouvelle culture, vraiment autochtone et c'est là que je sens mon engagement74(*).

Si avec l'extrait ci-dessus, le doute quant à l'engagement de Gordimer pour des valeurs progressistes de sa classe sociale semble persister du fait de la rhétorique abstraite que Gordimer lui préfère, son roman A world of strangers ressort de façon plus explicite cet engagement75(*). Aussi m'apuierais-je sur Michaël K., sa vie, son temps de J.M. Coetzee pour exposer les différences et les similitudes entre ces romans.

I -3 - A world of strangers et Michael K., sa vie, son temps: romans de la conscience de classe

Deux éléments méthodologiques du montage de A world of strangers et de Michaël K., sa vie, son temps mettent en évidence non seulement la quasi similitude de l'orientation idéologique et esthétique de leurs auteurs, mais surtout leur engagement à perpétuer des valeurs et des normes du groupe dominant dont ils sont respectivement issus. Il s'agit des éléments typiques au bildungsroman et au roman libéral.

I-3-1- A world of strangers, Michaël K., sa vie, son temps: romans de formation

Encore appelé roman de formation, le bildungsroman est un sous-genre romanesque apparu avec le romantisme76(*).Ce modèle de roman utilise, en lieu et place d'une intrigue romanesque, les aléas de la biographie d'un héros, généralement de sa jeunesse à sa maturité. Le bildungsroman montre comment une personnalité se construit, et construit ses valeurs, dans le heurt avec la réalité et avec autrui.

À la question de savoir si A world of strangers et Michaël K., sa vie, son temps adoptent le bildungsroman comme modèle de montage, il est difficile de ne pas répondre par l'affirmative. Michaël K., sa vie, son temps77(*) s'ouvre par exemple sur la naissance du personnage central qu'Anna K., sa mère, choisit d'appeler Michaël K. Le nouveau né, nous apprend-on, naît avec une malformation de la bouche dont il souffrira tout au long de son parcours dans la diégèse :

Ce que la sage-femme remarqua d'abord chez Michaël K. lorsqu'elle l'aida à sortir du ventre de sa mère, ce fut son bec-de-lièvre. La lèvre se retroussait comme un pied d'escargot ; la narine gauche s'ouvrait, béante (...) Mais Anna K. ne se fit jamais à cette bouche qui refusait de se fermer, à la chair rose, vivante (...) Elle frissonnait en pensant à cet être qui s'était développé en elle au fil des mois. L'enfant n'arrivait pas à prendre le sein et pleurait de faim. Elle essaya le biberon ; comme il n'arrivait pas non plus à tirer sur la tétine, elle le nourrit à la petite cuillère, exaspéré quand il toussait, crachait et pleurait. (MK. : 11)

Michaël K. est ensuite inscrit dans une école, puis confié à la protection de l'institution Huis Norenius qui s'occupe des enfants victimes de malheurs et d'infortunes diverses. On leur apprend dans cette institution à « lire, écrire, compter, balayer, récurer, faire les lits et la vaisselle, confectionner des paniers en vannerie, travailler le bois, manier la pelle et la pioche » (MK. :12)

Michaël K. commence à exercer comme jardinier, échelon 3(b) au service des parcs et jardins publics de la municipalité du Cap à l'âge de 15 ans. Trois ans plus tard, il est employé comme gardien de nuit aux toilettes publiques de Greenmarket Square. Apres une agression par des malfrats contre sa personne, il renonce au travail de gardien de nuit et retrouve les parcs et jardins.

À l'âge de 31 ans, Michaël K. apprend que sa mère, gravement malade, a besoin de son soutien. C'est ici qu'il démissionne des parcs et jardins pour se rendre à Sommerset Hospital où il rejoint sa mère avec qui, il va demeurer le restant de ses jours. Cette dernière finit par rendre l'âme suite à la conjugaison de la maladie qui la rongeait avec la lenteur des médecins à prendre soin d'elle.

L'intrigue se poursuit par des cycles de tribulations de Michaël K. respectivement dans le veld, dans les rues de Kimberley, à Brandvlei, à Beaufort West, à Vitenhage, à Stellenbosch, à Price Albert où il enterre les cendres de sa défunte mère, à Worcester, et au Grand Karoo. Ce sont des cadres spatiaux réels en Afrique du Sud auxquels a régulièrement recours le roman.

Un moment important du récit a lieu dans un camp purement fictif, mais qui n'est sans suggérer plus d'un milieu de détention propre au contexte des lois iniques de l'apartheid ou plus globalement de l'Afrique du Sud. C'est le camp de Jakkalsdrif où Michaël K. est mis en détention par des hommes en tenue peu scrupuleux et dévoués à servir le système en place. Obsédé par la liberté78(*) qu'il ne trouve pas à Jakkalsdrif, Michaël s'évade du camp malgré son apparence chétive et maladive comme s'il s'agissait de répéter ses précédentes démissions.

Le récit s'achève par un Michaël K., qui continue de démontrer la prodigalité incommensurable par rapport à la résistance dont est dépositaire le genre humain. Il vient à nouveau de s'enfuir du camp de Jakkalsdrif à destination de Sea Point après avoir défié le médecin militaire, Noël, et Felicity, tous employés au camp qui ont tenté, en vain, de l'intéresser à la nourriture :

Tu es, avoue le médecin militaire, un phasme, Michaël, un de ces insectes semblables à une brindille qui ne se protègent d'un univers de prédateurs que par leur forme bizarre. Tu es un phasme qui a atterri, Dieu sait comment, au milieu d'une vaste plaine déserte, nue, et bétonnée. (MK. : 180)

Le médecin militaire finit par cerner le phénomène Michaël K. comme un modèle. Michaël parti, il commence à réaliser la profondeur du message dont Michaël est l'interprète :

En vérité, j'ai eu ma chance, et je l'ai laissée filer avant même de m'en rendre compte. La nuit où Michaels s'est sauvé, j'aurais dû le suivre. (...) Si j'avais pris Michaels au sérieux, j'aurais été près en permanence. J'aurais gardé un baluchon à portée de la main, avec des vêtements de rechange, un porte-monnaie plein, une boite d'allumettes, un paquet de biscuits et une boite de sardine. Je ne l'aurais jamais laissé sortir de mon champ de vision. (MK. : 194)

Il ressort de l'itinéraire de Michaël K. qu'il est un sujet irréversiblement en quête de lui-même. Il est profondément conscient des potentialités dont il est dépositaire en tant qu'humain pour se réaliser sans aide provenant de ses pairs. Michaël K. a cultivé cet état d'esprit depuis fort longtemps. C'est le cas par exemple lors de son passage à Huis Norenius :

Un des professeurs avait coutume de forcer ses élèves à rester assis les mains sur la tête, les lèvres serrées et les yeux fermés, pendant qu'il passait dans les rangs, sa longue règle à la main. Avec le temps, cette posture cessa de représenter une punition pour K et devint une voie d'accès à la rêverie. (MK. : 87)

Difficile de ne pas remarquer que Michaël K., dans ce roman, adopte une conduite similaire à celle que devrait avoir un guerrier d'après Sun Tse, le théoricien de la guerre :

Quelque critiques que puissent être la situation et les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de rien ; c'est dans les occasions où tout est à craindre qu'il ne faut rien craindre ; c'est lorsqu'on est environné de tous les dangers, qu'il n'en faut redouter aucun ; c'est lorsqu'on est sans aucune ressource, qu'il faut compter sur toutes ; c'est lorsqu'on est surpris, qu'il faut surprendre l'ennemi lui-même79(*).

Michaël K. ne se contente pas seulement de donner des leçons. Il s'emploie aussi à tracer, à préciser le contexte dans lequel ses leçons de résistance devraient prendre forme. Le résistant sud-africain devrait exceller dans l'effacement de ses traces dans la métropole pour se constituer comme sujet autonome, authentique, et dont le point de vue pourra désormais compter mondialement :

Je veux vivre, déclare-t-il, ici pour toujours, ici où ma mère et ma grand-mère ont vécu. C'est aussi simple que ça. Quel dommage que pour vivre en des temps comme ceux-ci, un homme doive être prêt à vivre comme une bête. Un homme qui veut vivre ne peut pas vivre dans une maison où il y a de la lumière aux fenêtres. Il doit vivre dans un trou et se cacher pendant le jour. Pour vivre, il faut qu'il ne laisse aucune trace de sa vie. Voilà où nous en sommes arrivés. (MK. : 121)

Autrement dit, pour qu'il soit authentiquement sujet de l'histoire, le Sud-africain, comme Michaël K., devrait « effacer l'empreinte de ses pas » (MK. : 120), il devrait considérer comme des mentors ces Blancs, à l'instar de Jacobus Coetzee80(*), qui ont choisi de couper les ponts avec la Hollande pour renaître et devenir des Afrikaners. Comme Jacobus a exploré l'intérieur de l'Afrique du Sud, Michaël K., lui, explore les forêts, les velds ou les brousses de son pays. C'est la raison pour laquelle Rita Barnard voit en Michaël K. sa vie, son temps une manifestation caractéristique du roman pastoral sud-arficain :

K's mode of farming, écrit -elle, rewrites, both despite and because of its invisibility, the rules of the game of the South African pastoral. He reserves the idea of plenty through starvation, the idea of self-affirmation through self-erasure, the idea of rural dwelling and settlement through drifting habitation. In this ways he keeps alive the idea of gardening in a time of war81(*).

Étant donné que le roman pastoral consiste le plus souvent en amours contrariés, et le dénouement est en général l'union des couples longtemps séparés par des aventures diverses, on peut conclure que Coetzee suggère dans Michaël K., sa vie, son temps la nécessaire prise en charge des terres ou des forêts en Afrique du Sud par l'Afrikaner. De cette prise en charge dépend sans doute une plus grande cohésion du groupe.

A world of strangers82(*) contient moins d'éléments constitutifs du roman de formation que Michaël K., sa vie son temps. Mais il n'en constitue pas moins un. En effet, Toby Hood, personnage central de A world of strangers est un jeune homme issu de la bourgeoisie anglaise. Il arrive à Johannesburg à seule fin de relayer Arthur Hollward, patron depuis plus de 15 ans de la firme Aden Parrot appartenant à la famille. Toby est affecté par Aden Parrot, dans le pays de l'Apartheid avec pour mission d'inspecter les librairies et de promouvoir la commercialisation du livre. (AS :36)

Dans la jeunesse de Toby en Angleterre, on peut s'arrêter sur une scène qui permet d'établir un parallèle avec la conduite de Michaël dans Michaël K., sa vie, son temps. Toby affectionne en effet non seulement l'épée mais aussi une citation de l'ancien colonel de l'armée que fut son grand-père. Ce dernier s'était servi de ladite épée pour stopper les Boers. Seulement, l'objet de désir du jeune Toby est la cause du chagrin de ses parents. Alors qu'il désire que cet héritage soit mis en exergue dans la salle de séjour familiale, sa mère s'en offusque vivement et lui réplique : «Toby, you don't want to hang that thing up there, really, darling ... Toby, I will not have that thing hanging here or anywhere. Not the sword. Not the citation. Positively not. » (AS : 33)

C'est en se souvenant que les Boers ont été des adversaires réels des Anglais alors décidés de prendre les terres des Afrikaners d'origine hollandaise que l'on comprend que la venue de Toby en Afrique du Sud n'est pas un fait de hasard. Aussi faut-il considérer le chagrin de la mère de Toby face à l'épée du grand-père comme un embrayeur disposé à l'intention du lecteur idéal afin qu'il ou elle y voit la direction que Gordimer aimerait voir l'Afrique du Sud prendre : une Afrique du Sud où les diverses communautés vivraient en harmonie. Cette réflexion est d'autant plus crédible que Gordimer estime que « la poésie est à la fois une cachette et un haut parleur.»83(*)

De la scène avec l'épée, on se rend compte que le jeune Toby présente déjà des dispositions à produire le contraire de ce que ses parents attendent de lui. Ce sens de la désobéissance se développe progressivement chez Toby. Alors que par exemple les siens attendent de lui qu'en allant en Afrique du Sud, il leur rapporte des faits et réalités de la ségrégation raciale, Toby les défie en réagissant de la manière suivante :

I want to live! I want to see people who interest me and amuse me, black, white, or any colour. I want to take care of my own relationships with men and women who come into my life, and let the abstractions of race and politics go hang. I want to live! And to hell with you all! (AS : 36)

Parvenu en Afrique du Sud, le besoin de rompre avec les normes ou valeurs de son groupe social se radicalise. Toby se lie en effet d'amitié avec l'artiste noir Steven Sitole. Toby, se dresse pratiquement contre les normes et les codes du groupe auquel il appartient.

Il fréquente des townships souvent jusqu'à tard dans la nuit. Il introduit des Noirs dans l'appartement réservé aux Blancs bourgeois que la compagnie Aden Parrot loue pour lui. À cause de ce dernier sacrilège, sa bailleresse, Mme Jarvis se trouve dans l'obligation de rappeler Toby à l'ordre :

I wanna tell yoo, Mr Hood, whatever yoo been used to, this is'n a location84(*), yoo can't 'ev natives. If yoo bringing natives, yoo'll 'ev to go... Yoo can't bring kaffirs in my bullding... Sitting there like this is a bloody backyard location, I mean to say, the other tenants is got a right to 've yoo thrown out. Kaffir women coming here, behaving like scum, living with decent people. Wha'd'yoo think, sitting here with kaffirs... (AS : 216)

Malgré ce rappel à l'ordre, Toby continue de passer plus de temps avec le dramaturge Sitole, faisant progressivement des découvertes sur la réalité des townships.

Tout se passe avec Toby comme s'il se découvre la mission d'explorer l'univers du Noir en Afrique du Sud. Son altruisme vis-à-vis de Sitole lui permet d'exposer un des multiples enjeux de sa démarche : le Noir, symbolisé par Sitole, finit par perdre toute méfiance à l'égard du Blanc. Aussi est-il ouvert à ce Noir la voie des confusions fallacieuses au sujet du Blanc. Steven Sitole cesse par exemple de voir dans l'insensibilité de Toby vis-à-vis des femmes noires une conduite raciste alors que la vérité est bien toute autre :

I understood, note Toby, that he (Sitole) meant what he said; it was a cover for some reservation he had about me, some vague resentment at the fact that I had not been attracted by any African woman. He, I knew, did not suspect me of any trace of colour-prejudice; he attributed my lack of response to something far more wounding, because valid in the world outside colour, he believed that African women were simply not my physical concomitants. It was a slight to him; hypothetically, he had shown me some woman he had possessed and I had detracted from his possession by finding her unbeautiful. (AS : 215)

Que ce soit Toby qui fasse ces observations, porte à croire que celui-ci expérimente une conduite qu'il suggère par le même coup à son groupe. En s'écartant des normes et conduites de son groupe, Toby le rejoint plus subtilement dans la mesure où il dérive une domination qui prend en charge non plus le corps physique du noir, mais sa psychologie. Toby reprend à sa manière les thèses sur l'humanisation des peines que Michel Foucault développe partant du détenu Damien dans Surveiller et punir85(*). Toby est d'ailleurs conscient du paradoxe nécessaire sur lequel repose sa démarche: « a man should have to lose himself (...) in order to find himself » (AS : 34), pense-t-il.

Toby est donc décidément engagé à connaître le Noir, non pas tellement pour le sortir du ghetto, mais pour lui faire ignorer que sa place est dans le ghetto. Il s'agit pour Toby de plonger le Noir dans un sommeil profond. Sinon, comment comprendre que quelques jours avant le décès de Sitole, Toby et ses amis Blancs traînent dans la brousse où ils vont faire la chasse de trois esclaves noirs pour leur assurer des petites taches telles que puiser de l'eau, ramasser du bois ou faire les lits ? (AS : 239)

Sam est, aux yeux de Toby, le Noir idéal. Cet homme avec qui Toby passe le plus son temps, après que Sitole soit mort suite à un accident de circulation, envie les valeurs et gadgets en provenance du milieu auquel Toby appartient. Dans l'extrait suivant, Sam se maudit en tant que Noir et entrevoit son bonheur dans les termes que lui prête l'univers de Toby :

Toby, the black skin's not the thing. If you know anybody who wants to know what it's like to be a black man, this is it. No matter how much you manage to do for yourself, it's not enough. If you've got a decent job with decent money it can't do you much good, because it's got to spread so far. You're always a rich man compared with your sister or your brother, or your wife's cousins. You can't ever get out of debt while there's one member of the family who has to pay a fine or get sick and go to hospital. And so it goes on. If I get an increase, what'll it help me? Someone'll have to have it to pay tax or get a set of false teeth. (AS : 255)

La conséquence de la convoitise de Sam vis-à-vis des valeurs du monde de Toby est une espèce de regard pathologiquement horrifié en direction de son identité, de sa personnalité ou de son espace d'origine. Cette claustrophobie raciale explique l'émerveillement de Sam pour des valeurs de l'univers de Toby et le conditionne à refouler son pouvoir de s'engager à bras-le-corps pour une amélioration endogène des conditions de vie de son univers. C'est la raison pour laquelle Sam se métamorphose en conducteur et réparateur de la voiture de Toby, le temps du séjour de ce dernier à Cape Town à la fin du récit. (AS: 264) Toby y va en effet pour poursuivre ses obligations professionnelles.

Comparé à l'intrigue d'Une saison blanche et sèche d'André Brink86(*), où Ben Du Toit, personnage central blanc, meurt au même titre que Jonathan Gubene et Gordon Gubene le père de Jonathan, Toby, dans A world of strangers, poursuit tranquillement sa mission en Afrique du Sud après la mort de Sitole qu'il a pourtant cru devoir soutenir. Voilà qui trace une ligne de démarcation radicale entre l'esthétique de Gordimer et celle de Brink. Ce dernier réussit à réaliser ce que Nick Visser appelle la fiction radicale lorsqu'il développe le concept de roman libéral87(*).

Pour tout dire, au moyen de Toby se construisant dans les heurts avec la réalité et avec autrui, Gordimer traduit sa vision du monde qui ne s'éloigne pas assez de celle de son congénère John Coetzee. Cette vision du monde, Kathrin Wagner l'expose en des termes suivants: « Gordimer's necessary entrapment in both class and historical moment in South Africa makes her unavoidably vulnerable to the unconscious inscriptions of its stereotypes and clichés despite her sharp awareness of such dangers »88(*).

I-3-2- Michaël K., sa vie, son temps ; A world of strangers : romans libéraux

Le petit Larousse illustré définit le libéralisme comme la doctrine des partisans de la libre entreprise, doctrine qui s'oppose au socialisme et au dirigisme. C'est aussi une théorie selon laquelle l'État n'a pas à intervenir dans les relations économiques qui existent entre les individus, classes ou nations. Le roman libéral peut dès lors être perçu comme roman idéologiquement solidaire avec la doctrine libérale. Nick Visser l'un des théoriciens importants du roman libéral, en dégage quelques critères caractéristiques dont je me sers pour analyser les romans de Gordimer et de Coetzee. À propos, Nick Visser écrit:

Liberal narrative is marked by the way it privileges the individual consciousness, focusing on the autonomy and self-realization of the individual character. At the core of liberal narrative is the assumption that the individual, as the origin of meaning and value, come to a knowledge of ½truth½ or ½reality½ through experience and introspection. By way of corollary to its emphasis on consciousness, liberal narrative systematically translates social, political, and economic categories into moral, ethical, and experiential terms. Broader material and social forces are measured in their relation to the conscious subject and take on significance insofar as they give coherence to individual experience. Such methodological individualism is consistent with certain kinds of political commitment89(*).

En d'autres termes, le roman libéral présente un ou des personnages dont le mobile moteur de leur action ou quête est l'expérience personnelle ou plus simplement la conscience individuelle. C'est un roman profondément politique, économique et social qui se donne de prime abord à lire comme un roman moral. Autrement dit, la morale sur laquelle ce type de roman se construit n'est vrai qu'en tant que trope dont le véritable sens encodé est à chercher sinon du côté du politique, du social, du moins du côté de l'économique. Il s'agit d'un roman dans lequel le personnage campe, de par sa conduite, ce que Georges Lukacs appelle la « typification ». C'est la situation où le personnage, conscient de la quantité de savoirs que les générations antérieures ont produits, incarne des possibilités innombrables et s'en sert à seule fin de se réaliser. Ce personnage n'est « neither average, eccentric nor ½ crudely ½ illustrative ; he should be one who reacts with his entire personality to the life of his age, for in him the determining factors of a particular historical phase are to be found... in concentrated form »90(*).

Lorsqu'on sait combien Gordimer a été influencée par les travaux de Lukacs91(*), on comprend l'obstination de Stephen Clingman à lire les personnages de Nadine Gordimer comme illustratifs de la « typification ». Pour Clingman, les personnages de Gordimer devraient être perçus comme :

extreme condensations of more widely dispersed traits and possibilities, a feeling for the socially typical - those ostensibly essential features that represent a whole mood and moment... It is a technique based upon a principle of significance which selects the extreme embodiment and ignores the particular exceptions92(*).

C'est le cas dans A world of strangers, où Toby se lie d'amitié avec Sitole et réussit à court-circuiter sinon l'idée de son appartenance à la haute bourgeoisie, du moins, celle de son souci à assurer à cette bourgeoisie une place au soleil en Afrique du Sud. De ce point de vue, la réaction violente de Mme Jarvis sur laquelle nous nous sommes arrêtés plus haut, se conçoit comme une subtilité chez Gordimer à construire un Toby dont l'ambition est de cacher au lecteur peu avisé ses dispositions racistes. Gordimer ne reconnaît-elle pas elle-même que la poésie serait à la fois une cachette et un haut parleur ?

On peut souligner au passage le geste intellectuel éloquent de Gordimer. En effet, elle bouleverse les comportements tant chez le Blanc que chez le Noir. En réussissant à faire perdre la méfiance du Noir à son égard, Toby irrite, inquiète le Blanc, qui comme Mme Jarvis se satisfait de la fixité de surface dans les rapports entre Blancs et Noirs. Cette observation souligne encore la typification dont Toby est l'incarnation dans A world of strangers.

Les quelques éléments relevés ici nous semblent suffisant pour faire de A world of strangers un roman libéral. Aussi peut-on y voir le lieu d'illustration de la conceptualisation de la fiction chez Nadine Gordimer  qui a souvent soutenu que sa fiction n'a jamais été moins vraie que ses essais.

Michaël K, dans Michaël K., sa vie, son temps semble plus rigoureusement correspondre au personnage idéal du roman libéral. En effet, il n'est pas exagéré de dire de Michaël K., qu'il est un personnage qui refuse toute forme d'aide provenant de qui que ce soit, excepté, de lui-même. Michaël K. est une illustration de ce que les anglo-saxons appellent un self made man. Son escale au camp de Jakkalsdrif constitue un début de preuve.

Alors que ses gardes estiment sa condition au camp meilleure, parce qu'il y est nourri et logé, Michaël K. les défie en préférant au camp la vie de bohème : « Je n'ai pas tout le temps besoin de manger. Quand j'aurai besoin de manger, je travaillerai.» (MK. : 105)

Dans le veld, après son évasion du camp de Jakkalsdrif, Michaël est rattrapé par des hommes en treillis qui, pris de pitié au regard de son apparence, lui proposent à manger. Mais, Michaël K. décline l'offre :

"Mange mon gars !" dit son bienfaiteur. "Prends un peu de forces !" Il prit le sandwich et le mordit. Avant qu'il ait pu mâcher, son estomac fut secoué de nausées sèches. La tête entre les genoux, il cracha la bouchée de pain et de charcuterie et rendit le sandwich au soldat. (MK. : 146)

Pourtant, Michaël mange volontiers des melons qu'il a lui-même produit dans le veld où il a provisoirement trouvé refuge avant que les bienfaiteurs ci-dessus le rattrapent : « puis les melons mûrirent. Il mangea ces deux enfants en deux jours, priant pour qu'ils lui apportent la santé. Il eut l'impression d'aller mieux après les avoir mangés, bien qu'il se sentit faible.» (MK. : 143)

Michaël K. traduit l'état d'esprit du bourgeois qui sait avant tout compter sur lui-même quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve. Cependant, le statut racial de Michaël que le récit tait représente une espèce de clôture constitutive de l'originalité du roman, dont une des implications est d'interdire au lecteur peu avisé, de voir en Michaël K, un personnage symbolisant la bourgeoisie ou le groupe dominant.

Or, pour qui connaît le rêve Afrikaner en Afrique du Sud, il est inimaginable d'associer le personnage Michaël K. avec un autre groupe social sud-africain que celui des Afrikaners. En effet, comme Michaël K « s'autorise à espérer que tout ira bien » (MK. : 137), après qu'il a tenté « d'effacer l'emprunte de ses pas » (MK. : 120), les Afrikaners, eux, ont pensé leur bonheur exclusivement possible en coupant les ponts avec la Hollande. Rita Barnard n'en pense pas autre chose lorsqu'elle écrit :

The protagonist's racial status is, of course, essential to the novel's demystificatory operations. Adopting K's perspective allows Coetzee to reveal the dystopian dimensions of the Afrikaner's dream topography of beloved farms and fences...93(*)

En guise de conclusion, des romans de Gordimer et de Coetzee sur lesquels a porté mon investigation, il ressort un inconditionnel attachement de leurs auteurs aux valeurs, aux normes et aux principes du groupe social auquel ils appartiennent. Ces écrivains proposent parfois des pistes que la bourgeoisie sud-africaine aurait dû emprunter pour s'améliorer.

Dans ce chapitre liminaire, j'ai voulu mettre en évidence l'espace sud-africain imaginé par J.M. Coetzee dans Michaël K, sa vie son temps et Nadine Gordimer dans A world of strangers. Il s'est révélé que pendant l'apartheid, ces deux écrivains sont préoccupés par le sort de l'espace auquel ils appartiennent en Afrique du Sud. Avant cela, je me suis essayé à un travail de « reconstruction de la genèse » de Coetzee et de Gordimer comme l'aurait dit Bourdieu,94(*) question de mettre en perspective les résultats auxquels je suis parvenu à ce niveau de ma recherche.

À présent, j'envisage traiter des ruptures et des continuités telles que je l'ai annoncé dans ma problématique. Il s'agira de voir si, plus d'une décennie après le démantèlement de l'apartheid, les écrits de Gordimer et de Coetzee ont changé de perspective, tant du point de vue esthétique qu'idéologique.

CHAPITRE II : RUPTURES ET CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE POST-APARTHEID DE

COTZEE ET GORDIMER

On a vu, dans le précédent chapitre que l'intrigue de Michaël K, sa vie, son temps et de A World of strangers autorisait de lire ces romans comme profondément centrés sur le sort, le destin ou le devenir de l'espace sud-africain en construction par le Blanc capitaliste et colonisateur. Dans le présent chapitre, il s'agit de s'intéresser à Get a life et à Elizabeth Costello. La finalité c'est d'examiner si la veine ci-dessus a connu des ruptures ou si elle demeure, compte tenu de l'intervalle de temps et des bouleversements historiques dont l'Afrique du Sud a été l'objet. Le propos est d'exposer sous quelles modalités ces ruptures ou continuités s'insèrent dans ces deux récits post-apartheid respectivement de Nadine Gordimer et de J.M. Coetzee.

Méthodologiquement, je ne me limiterai plus simplement à confronter les récits à quelques modèles de montage du roman. Je m'intéresse plutôt à l'écriture de Get a life et d'Elizabeth Costello, à la lumière des travaux réalisés dans le cadre de l'étude scientifique des récits et de la description structurale95(*). Je m'appuie plus particulièrement sur des théoriciens tels Philippe Hamon, Real Ouellet, Roland Bourneuf, Yves Reuter, Gérard Genette, Dorrit Cohn et bien d'autres. L'enjeu de la démarche que j'adopte dans ce chapitre est double : d'abord, obvier à la monotonie méthodologique et terminologique ; ensuite, varier les lieux de manifestation des ruptures ou des continuités déchiffrables dans Get a life et Elizabeth Costello.

Un déblayage sémantique préalable des notions de récit et d'écriture aiderait peut-être à admettre plus facilement leur interchangeabilité dans mon analyse.

L'écriture se rapporte à ce qu'Yves Reuter appelle « la mise en texte ». Cette dernière, précise Reuter 

réalise concrètement la fiction (diégèse) et la narration (ensemble des choix techniques (...) selon lesquels la fiction est mise en scène ou racontée) dans des mots, des phrases, des figures de style... Elle renvoie à la « surface » du texte tel qu'on le lit. Si la fiction et la narration la déterminent, elle possède cependant son autonomie : la même histoire, avec les mêmes choix narratifs, peut être racontée avec des mots et une syntaxe différents96(*).

Voilà qui souligne à demi-mot la dimension stylistique et idiosyncrasique de l'écriture. C'est cette dernière que Roland Barthes met en exergue lorsqu'il fait observer que : Entre la langue et le style, il y a place pour une autre réalité : l'écriture (...) Dans n'importe quelle forme littéraire, il y a le choix général d'un ton, d'un ethos, si l'on veut, et c'est ici précisément que l'écrivain s'individualise clairement, parce que c'est ici qu'il s'engage97(*).

Le récit est plutôt un concept qui prête à équivoque et l'une des difficultés majeures de la narratologie résiderait selon Genette dans son ambiguïté.

Sous ce terme, écrit-Genette, il faut discerner notamment trois notions distinctes (...) : histoire [c'est-à-dire] le signifié ou contenu narratif (même si le contenu se trouve être, en occurrence, d'une faible intensité dramatique ou teneur événementielle), récit [c'est-à-dire] le signifiant, énoncé, discours ou texte narratif lui-même, et narration [c'est-à-dire] l'acte narratif producteur et, par extension, l'ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place98(*).

Au regard de ce discernement, il n'est pas exagéré de dire que, comparé à la théorisation de l'écriture chez Reuter, seule la terminologie est modifiée. Le fond chez les deux se recoupe pourtant rigoureusement. En effet, le récit, dans sa seconde acceptation chez Genette s'affirme comme pendant de l'écriture ou de mise en texte chez Reuter. Le récit est d'abord un choix de mots, de style ou de syntaxe. Il est ensuite leur arrangement technique en texte destiné au lecteur. Voici qui rejoint de façon convaincante la dimension stylistique et idiosyncrasique de l'écriture telle que soulignée plus haut.

Il reste maintenant à indiquer comment, pratiquement, j'entends étudier l'écriture romanesque post-apartheid chez Coetzee et Gordimer dans ce chapitre. D'abord, j'envisage Elizabeth Costello et Get a life comme des « tissu(s) de relations étroites entre l'acte narratif, ses protagonistes, ses déterminants spatio-temporels, son rapport aux autres situations narratives impliquées dans le même récit »99(*). Il s'agit tout d'abord de porter l'intérêt à ce qu'on peut appeler l'énonciativité, c'est-à-dire « le statut sémiotique de l'énonciation »100(*) dans ces romans. Je renonce ensuite à toute idée ou prétention à l'exhaustivité dans l'étude de l'énonciativité pour m'arrêter sur trois composantes du récit que sont : le système des personnages, l'espace narratif et la représentation de la vie intérieure des personnages. La raison en est que ces trois composantes me paraissent suffisantes pour ressortir des données convaincantes en rapport avec les ruptures, ou avec les continuités dans l'écriture de l'espace sud-africain chez Coetzee et Gordimer.

II-1- Le système des personnages dans Elizabeth Costello et Get a life

Dans un article intitulé « Analyse structurale des récits », Roland Barthes met en relief l'importance des personnages dans les récits lorsqu'il fait observer qu' « il n'existe pas un seul récit au monde sans personnage! »101(*)  Yves Reuter souligne, pour sa part la pertinence de l'analyse des personnages dans les récits lorsqu'il écrit :

Les personnages ont un rôle essentiel dans l'organisation des histoires. Ils déterminent les actions, les subissent, les relient et leur donnent du sens. D'une certaine façon, toute histoire est histoire des personnages. C'est pourquoi leur analyse est fondamentale et a mobilisé nombre de chercheurs102(*).

Philippe Hamon103(*) et Vincent Jouve104(*) comptent parmi ceux qui se sont particulièrement intéressés aux personnages. C'est d'ailleurs sur quelques unes de leurs contributions sur la question, que je m'appuie pour étudier le personnage dans Elizabeth Costello et Get a life.

En effet, ces deux théoriciens proposent une conceptualisation du personnage qui convient à l'ambition qui motive mon étude du personnage dans Elizabeth Costello et Get a life : exposer comment « sous le mouvement superficiel (...) de l'histoire vécue par des personnages, un autre mouvement a lieu, celui de l'Histoire avec grand H »105(*) ; l'histoire de l'Afrique du Sud au prisme de l'écriture de J.M. Coetzee et Nadine Gordimer.

Pour Philippe Hamon, le personnage se caractérise par sa double fonction dans le récit :

Une métaphore de cohérence du texte d'une part et d'autre part, une résultante, le point nodal anthropomorphe syncrétique où se recompose, dans la mémoire du lecteur, et à la dernière ligne du texte, une série d'informations échelonnées tout le long d'une histoire106(*).

Vincent Jouve quant à lui, distingue chez le personnage le rôle actanciel et le rôle thématique. Aussi fait-il observer que « si le rôle actanciel assure le fonctionnement du récit, le rôle thématique lui, permet de véhiculer du sens et des valeurs »107(*).

Dans mon étude du personnage, je prends en compte autant le rôle actanciel ou fonctionnel du personnage que son rôle thématique ou sémiologique. Je m'inspire plus particulièrement du modèle d'étude des personnages développé par Philippe Hamon dans Le personnel du Roman, modèle qui repose sur deux aspects : l'organisation des personnages et les modalités du personnage.

II-1-1- L'organisation des personnages dans Elizabeth Costello et Get a life 

Philippe Hamon propose un modèle d'étude de l'organisation des personnages composé de deux catégories : les personnages principaux et les personnages secondaires. Les premiers sont des personnages de premier plan. Ils assurent fonctionnellement la cohérence du récit. Les personnages secondaires se singularisent quant à eux de plusieurs manières :

ou bien il apparaît fugitivement, entièrement absorbé par un rôle ponctuel, épisodique et secondaire, à remplir ( par exemple assister à un enterrement d'un autre membre de la famille) ; ou bien il est simplement cité dans la parole d'un personnage ; (...) il est mis à une certaine « distance » du reste du personnel romanesque, il n'a aucune fonctionnalité narrative, il n'oriente ni ne fait avancer l'action, il ne modifie pas la trajectoire du personnage de premier plan qu'il contribue cependant, par sa seule présence, à mettre en relief107(*).

Étant donné que je m'appuie sur deux romans distincts, j'exclue d'emblée l'idée de procéder à un repérage exhaustif des personnages fussent-ils secondaires ou principaux. Je m'intéresse cependant à ceux qui, d'une manière ou d'une autre ont des points de ressemblances ou de divergences entre eux dans Elizabeth Costello et Get a life. L'idée c'est de montrer comment de l'organisation des personnages, il se dégage déjà quelques caractéristiques propres à chacune des écritures des deux romans. Je me sers de deux tableaux pour rendre compte de l'organisation des personnages dans chacun des deux romans :

Tableau I : Organisation des personnages dans Get a life108(*)  

Personnages principaux

Personnages secondaires

1-Paul Bannerman : Ecologiste blanc sud-africain, diplômé des universités et institutions américaines, anglaises avec une expérience professionnelle reçue dans des déserts, savanes et forêts de l'Afrique occidentale et de l'Amérique du Sud. Il est le mari de Berenice aussi appelée Beni. C'est par ailleurs le père de Nickie. Avant et après son cancer de la thyroïde, il se dévoue à la lutte pour préserver l'environnement en Afrique du Sud avec ses amis noirs Derek et Thapelo.

2-Lyndsay : Blanche sud-africaine âgée de 59 ans. Aussi appelée Lynd, elle est diplômée en droit public et Avocate des droits civils. Elle est la mère de Paul Bannerman. Elle décide, rejoignant à sa manière la lutte de Paul pour l'Afrique du Sud, d'adopter Klara, jeune fille adolescente contaminée par le VIH, recueillie par un hospice en Afrique du Sud.

3-Thapelo : Ancien détenu du régime raciste institué en 1948 en Afrique du Sud, ancien membre de la faction armée de l'ANC fondée par Nelson Mandela l'Umkhonto we Sizwe. Employé dans le récit de la même compagnie qui emploie Paul, Thapelo est l'un des meilleurs et efficaces compagnons de lutte de Paul Bannerman. Il rend visite à Paul chaque fois qu'il en a la possibilité pendant la quarantaine de ce dernier, lui procurant informations, presses ou journaux question que la quarantaine ne freine point leur lutte commune contre la destruction environnementale par le gouvernement Sud-Africain.

4-Derek : Avec Thapelo et Paul ils forment les bushmates. C'est un autre ami et collègue noir de Paul Bannerman qui est d'un apport important au groupe.

1-Adrian : Blanc sud-africain âgé de 65 ans. Il a longtemps été Directeur du matériel et des équipements d'agriculture dans le ministère y affairant en Afrique du Sud. C'est le père de Paul Bannerman et époux de Lyndsay. Paléontologiste, anthropologiste et archéologiste à ses heures, il quitte l'Afrique du Sud pour s'établir en Norvège avec Hilde, une compagne mexicaine de fortune qui apprendra à Lyndsay le décès d'Adrian à la fin du récit.

2-Benni : Diplômée en Management, agent publicitaire dans une firme internationale établie en Afrique du Sud. Elle est l'épouse de Paul Bannerman. Pendant la quarantaine de Paul, elle admet que Paul séjourne dans la maison parentale, celle de Lyndsay et d'Adrian, se contentant, elle, en l'occasion de lui rendre visite ou de l'appeler par téléphone.

3-Primerose : Servante noire, femme de ménage d'Adrian et de Lynd. Elle est chargée d'apprêter le repas à Paul. Elle apprend à Nicholas (Nickie) quelques bribes de la langue Zouloue et du Setswana.

4-Charlene Damons : Travailleuse Sociale noire. Elle est employée par le ministre de la sécurité sociale. C'est grâce à elle que Lynd fait la connaissance de Klara puisqu'elle accompagne Lynd pour la première fois dans l'hospice pour enfants abandonnés où Klara a été recueillie.

5-Stockhausen (compositeur allemand né à Mödrath en 1928 et considéré comme chef de l'école sérielle allemande) et Penderecki (compositeur Polonais, né à Debica en 1933. L'un des principaux représentants du mouvement « tachiste » en musique): Adrian est fan de ces deux artistes européens dont il souhaite imposer le goût à Paul et à Lynd.

Dans ce tableau qui permet de visualiser l'organisation des personnages dans Get a life, on peut observer la centralité du roman sur le combat pour l'amélioration des conditions de vie (écologiques, sociales...) en Afrique du Sud. Les personnages mis à une certaine distance par rapport aux personnages centraux, lorsqu'ils ne mettent pas en relief les traits caractéristiques fondamentaux des personnages centraux, aident à mieux comprendre pourquoi ils sont secondaires. Le départ physique d'Adrian et plus tard son décès en Norvège n'est peut-être que l'achèvement d'un processus commencé depuis longtemps avec son admiration des classiques occidentaux de la musique. Et qu'il soit le seul personnage à être frappé de mort symbolique n'est pas sans informer sur sa fonction de figurant parmi les autres personnages.

Elizabeth Costello, comparé à Get a life où les noms des personnages qui assurent « l'effet de réel »109(*) ne sont pas légion, semble avoir été conçu conformément à l'observation de Pierre Larousse à propos des noms employés en littérature.

Les noms, écrit Pierre Larousse, employés en littérature, sur la scène ou dans le roman, ont par eux-mêmes une physionomie, au point que la date d'une oeuvre littéraire est souvent visible dans les noms seuls des personnages (...) ; les auteurs contemporains, des plus grands aux moindres, se sont appliqués à donner à leurs personnages de ces noms qui constituent déjà, par eux-mêmes, une sorte d'individualité110(*).

Autrement dit, l'organisation des personnages dans Elizabeth Costello, permet au lecteur de constater de multiples correspondances entre les noms des personnages de la diégèse et des personnages ayant effectivement existés. Peut-être faut-il d'abord rendre compte de comment les personnages y sont organisés avant de décider de la signification de ces correspondances ou coïncidences.

Tableau II : Organisation des personnages dans Elizabeth Costello111(*)

Personnages principaux

Personnages secondaires

1-Elizabeth Costello : Ecrivaine australienne très célèbre et célébrée tant aux USA qu'en Europe. Elle est née en 1928 à Melbourne et est âgée de 66 ans au début du récit, laissant s'apercevoir que le récit commence en 1994, date de la tenue des premières élections multiraciales à l'issue desquelles Nelson Mandela devient le premier Président Noir en Afrique du Sud. Costello est l'auteur de 9 romans dont le plus célèbre est le quatrième The house on Eccles Street (1969). Costello, comparée à l'Europe ou aux USA où elle va répétitivement, va en Afrique du Sud deux fois seulement. La première fois lors d'une croisière ex cursive à bord du SS Northern Lights. Ici elle ne foule pas véritablement le sol sud-africain (Cape Town) car cette destination est donnée à titre indicatif par le narrateur. La deuxième fois c'est à Marianhill où travaille sa soeur aînée Sister Briget (Blanche). Elle y va pour prendre part à la cérémonie de remise des diplômes de Docteur es litterae humaniores à Briget par l'université de Johannesburg. S'inspirant régulièrement de Franz Kafka, Costello expose une vision végétarienne et écologique du monde et condamne les massacres des animaux par les humains, massacres que les derniers justifient par des besoins biologiques de consommation. Elle parle aussi beaucoup de littérature dans ses diverses communications de par le monde, suggérant toujours qu'elle est influencée par des théoriciens et penseurs occidentaux.

1-John Bernard : fils d'Elizabeth Costello, professeur de physique et d'astronomie à Apelton College à Massachusetts. Il est aux côtés de sa mère lors de ses séjours aux USA.

2-Norma : Épouse de John, diplômée (PhD) en philosophie mais sans emploi.

3-Francis Bacon : À la fin du récit, Elizabeth Costello lui affirme par courrier son estime et sa volonté de le servir, ses idéaux avec.

4-Franz Kafka, Machiavel, Swift, Galilée, Homère, Aristote, St Augustin, Descartes, Immanuel Kant, Platon, St Thomas, James Joyce, Montaigne, Wolfgang Köhler, Plutarque, Gandhi, Jeremy, Bentham, Camus, Hitler, Erasme, Martin Luther, Lorenzo Valla, Shakespeare, Dostoïevski, Marcel Proust et bien d'autres sont des auteurs, humanistes, religieux, philosophes, penseurs, chercheurs ou psychologues ayant influencé Elizabeth Costello lors de sa formation ou de ses recherches en tant qu'écrivaine. L'origine de la grande majorité de ces penseurs laisse entrevoir la vision du monde occidentale que la personnalité d'Elizabeth Costello traduit.

Un fait est remarquable avec les noms des personnages convoqués dans Elizabeth Costello. La quasi-totalité, en commençant par le personnage central, de par leur dénomination fait prévaloir des coïncidences avec la réalité qui ne s'auraient être négligées pour la compréhension du roman. C'est dans cette perspective qu'Elizabeth Costello se révèle être une construction personnelle de Coetzee partant des personnages réels que furent John Aloysius Costello et Elizabeth II.

Le premier, né en 1891 et mort en 1976 fut un homme politique irlandais. Il fit par exemple abroger la loi sur les relations extérieures, rompant les derniers liens avec le Commonwealth. La deuxième, elle, est née en 1926 et a été reine du Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande et chef du Commonwealth. Elle est considérée comme symbole de l'unité monarchique.

Francis Bacon et les penseurs ayant inspiré Elizabeth Costello sont autant de dénominations suggestives de l'angle sous lequel Coetzee place d'emblée son roman. Non seulement la nationalité de Costello lorsqu'on sait qu'elle est une création d'un Sud-Africain, mais surtout l'origine de ceux qu'elle considère comme ses devanciers ou ses inspirateurs induisent à constater une extraversion caractéristique du roman de J.M. Coetzee. Qu'à cela ne tienne, le moment semble propice pour souligner quelques lieux communs à Get a life et Elizabeth Costello à l'issue de l'organisation des personnages.

Get a life et Elizabeth Costello attestent explicitement de leur postériorité par rapport à l'époque de l'Apartheid. Le début d'Elizabeth Costello en 1994, année de la tenue des premières élections multiraciales en Afrique du Sud, et la situation d'ancien détenu de Thapelo pour avoir été membre de l'Umkhonto we Sizwe, en sont quelques repères chronologiques suggestifs de l'époque post-apartheid dont traitent ces deux romans.

Seulement, comme pendant l'Apartheid, on remarque chez Coetzee comme chez Gordimer, une incapacité à envisager un personnage central qui ne soit pas blanc. Sur ce sujet, il n'est pas exagéré de dire que malgré l'ère post-apartheid en cours en Afrique du Sud, Coetzee et Gordimer continuent de produire leurs romans comme si la métamorphose sociale n'avait point eu d'influence sur eux.

Aussi juste ou cohérente que puisse être cette conclusion, il n'en demeure pas moins qu'elle est susceptible d'être considérée à juste titre de hâtive et précoce, au regard de sa position par rapport à l'ensemble de ma réflexion. Peut-être que l'étude des modalités des personnages permettrait aisément de se rendre compte néanmoins de cette particularité commune à Get a life et à Elizabeth Costello qu'on ne saurait ne pas relever même précocement.

II-1-2- Les modalités du personnage dans Elizabeth Costello et Get a life

Philippe Hamon présente l'importance de l'étude des modalités du personnage en ces termes:

La théorie des modalités est certainement, dans la recherche narratologique contemporaine, la branche qui a fait le plus spectaculairement progresser la connaissance que nous pouvons avoir du fonctionnement des structures narratives, des récits en général, et qui a affiné considérablement la description du problème du personnage en particulier112(*).

C'est dire qu'étudier les modalités du personnage dans Get a life et dans Elizabeth Costello aiderait à mettre en évidence la contribution de la catégorie personnage à la construction du sens dans ces deux romans. Il convient de préciser que dans mon analyse, il s'agit de rechercher le sens afin de décider si l'écriture post-apartheid chez Coetzee et Gordimer témoigne des ruptures ou des continuités autant stylistiques, thématiques, idéologiques, qu'épistémologiques en rapport avec leur deux romans précédemment étudiés.

Bien qu'Hamon détermine trois modalités du personnage dans ses analyses, je me contenterai d'étudier deux de ces modalités, compte tenue de leur pertinence pour mes préoccupations. J'évite ainsi l'étude du vouloir des personnages parce qu'on la rencontre involontairement dans les questions du savoir et du pouvoir des personnages. Aussi, faut-il signaler qu'étant donné la « mise à distance »113(*) que Coetzee et Gordimer font subir aux personnages secondaires, je m'intéresse exclusivement aux personnages principaux dans mon étude des modalités.

II-1-2-1- Le savoir des personnages

Je m'intéresse au savoir des personnages dans Elizabeth Costello et Get a life afin d'avoir une plus large connaissance des personnages. Hamon souligne d'ailleurs l'intérêt du savoir des personnages lorsqu'il écrit :

Le savoir est certainement la modalité qui, dans le système des personnages, informe le plus ces mêmes personnages ; modalité polymorphe, polyvalente, elle contribue d'abord à qualifier le personnage, à définir un type particulier de compétence préalable à l'action (...) ; enfin ce savoir peut circuler préférentiellement du narrateur au lecteur...114(*)

En d'autres termes, l'examen du savoir des personnages contribue à définir sous quel angle leur lecture est révélatrice de fêlures davantage décisives quant à leur contribution à la construction du sens dans les romans.

Dans Elizabeth Costello, on est aussitôt impressionné par l'importance aussi bien qualitative que quantitative du savoir du personnage central. Elizabeth Costello se profile plutôt comme une prodige des humanités. Son savoir ne s'étend pas seulement aux philosophes occidentaux de renom comme Descartes, Platon, St Augustin, Aristote, Wittgenstein..., aux hommes politiques célèbres comme Gandhi, Hitler, Bentham, Machiavel,...mais aussi bien aux hommes de lettres comme Montaigne, Camus, Dostoïevski, Swift, Amos Totuola et bien d'autres.

La pluridisciplinarité du savoir de Costello n'est pas sans conséquence pour le décodage de la symbolique qu'elle constitue. Elizabeth Costello est simplement une érudite insatiable de savoir majoritairement produit par des hommes occidentaux. Le point de vue de Costello, eu égard à son impressionnant savoir, même s'il ne compte pas pour Emmanuel Egundu, l'autre écrivain nigérian qu'elle rencontre lors de la croisière à destination de Cape Town, devrait compter pour le lecteur comme il compte déjà pour l'Occident115(*).

En effet, que Coetzee campe dans le personnage Elizabeth Costello une telle impressionnante culture savante, force le lecteur sinon à l'admirer, du moins à lui faire confiance au point d'adhérer par principe à ses thèses ou à ses idéaux par rapport aux thèmes divers qu'elle aborde en trois années de célébration le long du récit.

Aussi réussit-elle à faire passer ses convictions pour la Norme. C'est le cas par exemple lorsqu'elle souligne l'inexistence de la littérature africaine comparée à la littérature anglaise ou russe. La scène se passe lors de la croisière à bord du SS Northen Lights à destination de Cape Town. À cette occasion, elle a rencontré Emmanuel Egundu, un ami de longue date qu'elle a perdu de vue depuis fort longtemps. Costello théorise en effet sur la littérature africaine en réaction à l'exposé de l'écrivain nigérian Egundu :

The English novel is written in the first place by English people for English people. That is what makes it the English novel. The Russian novel is written by Russians for Russians. But the African novel is not written by Africans for Africans. African novelists may write about Africa, about African experiences, but they seem to me to be glancing over their shoulder all the time they write, at the foreigners who will read them. Whether they like it or not, they have accepted the role of interpreter, interpreting Africa to their readers. Yet how can you explore a World in all its depth if at the same time you have to explain it to outsiders? (...) It is too much for one person; it can't be done, not at the deepest level. That it seems to me is the root of your problem. Having to perform your Africanness at the same time as you write (EC: 51)

Même si Boniface Mongo-Mboussa voit dans cette théorisation de Costello un doigt accusateur que Costello pointe sur l'absence d'une institution littéraire autonome en Afrique116(*), il n'en demeure pas moins qu'Elizabeth Costello traite ici d'une Afrique qui serait figée, une Afrique qui serait simplement « là » comme l'aurait dit Edward Said117(*). Une Afrique qui ne demande qu'à être interprétée par l'Africain pour l'autre. De l'autre côté, elle projette une Angleterre ou une Russie toutes aussi figées. Costello semble plutôt convaincue que « les Nations n'auraient d'autre avenir culturel que l'enfermement dans un particulier limitatif ou, à l'opposé, la dilution dans un universel généralisant »118(*).

Par cette forme de conceptualisation, Costello, rejette ou ignore non seulement l'idée d'une Afrique en construction, mais soutient l'incapacité des écrivains africains à détourner à l'institution littéraire occidentale sa matière d'oeuvre afin de la convertir au profit de l'Afrique et de l'humanité tout court. Ce modèle de survie que Coetzee concédait pourtant à Michaël K dans Michaël K., sa vie son temps, est refusé dans Elizabeth Costello aux écrivains africains. Voilà qui suggère une vision manichéenne en circulation dans ce roman, mais les informations jusque là exhumées ne permettent pas encore de dire avec assurance si cette vision est partagée par le créateur du personnage d'Elizabeth Costello.

Néanmoins, il n'est pas exagéré de dire de Costello qu'elle est loin d'admettre ce qu'Édouard Glissant appelle « la poétique de la relation », poétique selon laquelle toute identité figée n'est qu'identité de nom, tandis que la véritable identité s'étend toujours dans un rapport à l'autre119(*).

En estimant comprendre le problème dont souffrent les écrivains africains, Costello n'ignore sans doute pas que « qu'elle soit de forme passive (la compréhension) ou active (la représentation) la connaissance permet toujours à celui qui la détient la manipulation de l'autre ; le maître du discours sera le maître tout court »120(*). La supériorité que confère le savoir ou la connaissance est illustrée à travers Costello selon qu'on la considère du point de vue actanciel ou du point de vue sémiologique.

Du point de vue actanciel, le fait qu'elle soit maître tout court se vérifie au-delà de l'admiration ou de la quasi divinisation dont elle bénéficie dans les universités américaines (Appelton, Pennsylvanie, Williamstown, Altona...), en Australie, aux Pays-Bas ou au Mexique. Dans ce dernier pays, il existe d'ailleurs une revue trimestrielle intitulée Elizabeth Costello Newsletter (EC : 2). Celle-ci consacre ses publications aux prouesses et réalisations d'Elizabeth Costello. La célèbre écrivaine est exclusivement célébrée, honorée voire magnifiée en Europe, aux USA et en Australie où elle a plutôt bonne presse. En outre, la multiplication des scènes où elle est adulée qui contraste fortement avec la rareté des fois où elle est plutôt critiquée, contribue à renforcer le statut de maître chez Costello.

Le pouvoir qu'a Costello d'ébranler des sympathies dans la plupart des lieux où elle se produit dans la diégèse, a pour conséquence sur le lecteur, d'ébranler aussi les siennes. Ce dernier n'a quasiment pas autre choix que de sympathiser avec Costello. Voilà une démarche qui garantit au lecteur de s'interdire à desceller quelque gravité ou faiblesse que ce soit dans les thèses ou les convictions de la savante.

J.M. Coetzee d'Elizabeth Costello comme J.M. Coetzee de Michaël K, sa vie, son temps n'encourage donc pas son lecteur à être actif, créatif ou critique vis-à-vis de son personnage central. J.M. Coetzee continue simplement à forcer l'admiration ou l'émotion du lecteur, réarticulant ainsi le principe que Rita Barnard soulignait déjà à propos de Michaël K, à savoir qu'il faut pratiquement mériter de lire et de comprendre J.M. Coetzee121(*). C'est dire qu'on peut admettre sans résistance que le personnage d'Elizabeth Costello renferme par certains côtés quelques traits de la personnalité de J.M. Coetzee.

Comparé à Elizabeth Costello où le personnage central se distingue par une pluridisciplinarité impressionnante de son savoir, ce qui lui confère notoriété et respectabilité, Get a life expose plutôt un personnage de premier plan qui se distingue fortement de celui dans Elizabeth Costello. Paul Bannerman, écologiste qualifié de son état, n'exhibe pas comme Elizabeth Costello son savoir. Tout se passe avec lui comme s'il avait pour ambition de se donner comme le contraire d'Elizabeth Costello. Tandis que Costello est vénérée, célébrée et respectée pour son savoir, Paul semble être de ceux qui pensent comme Paul Valery qu' « il n'est de véritable savoir que celui qui peut se changer en être et en substance d'être, c'est-à-dire en acte»122(*) .

En réalité, Paul Bannerman oriente son savoir vers l'action politique et sociale. Il oppose une énergique résistance, avec Derek et Thapelo, aux projets gouvernementaux d'acquisition nucléaire en Afrique du Sud. L'idée c'est d'épargner à l'Afrique du Sud et aux pays voisins les conséquences environnementales importantes découlant des implantations nucléaires (GL : 15). Paul conteste également la construction d'une autoroute dont la réalisation raserait de la carte du monde le pondoland. Il qualifie ce site écologique comme « the centre of endemism, the great botanic treasure (...), sixteen million tons of heavy minerals and eight million tons of ilmenite. One of the biggest mineral sand deposits in the world » (GL: 84).

Plutôt que de détruire ce grand centre d'espèces végétales et animales singulières, le gouvernement gagnerait à en faire un site touristique qui lui générerait autant d'espèces sonnantes et trébuchantes que l'autoroute, à la différence que l'écologie n'en souffrirait pas. Voilà pourquoi Paul pense qu'en prétendant développer le pays, le gouvernement contribue avec de tels projets, s'ils venaient à se réaliser, plutôt à l'appauvrir et à le ruiner. « The government must, insiste-t-il, vuka (se reveiller)123(*) ! Open their eyes. See what's getting by in the name of development. All over the country (...) development taking the form of destruction ». (GL : 84-85)

Que, malgré son activisme et la justesse des raisons de sa lutte, ses idéaux ne rencontrent de sympathie aucune au sein du gouvernement sud-africain, souligne le paradoxe et le sentiment d'inachevé dont est porteur le véritable savoir ; savoir que Gordimer semble avoir pris le parti de déployer au-travers de Paul Bannerman. D'entrée de jeu, Paul est atteint d'un cancer de la thyroïde qui le freine sérieusement dans sa lutte politico-sociale et environnementale. Sans doute que s'il était dépositaire du même type de savoir qu'Elizabeth Costello, ce cancer l'aurait évité et n'aurait pas autant souligné sa fragilité et sa faillibilité. Nadine Gordimer adopte par ce discours sur le savoir une démarche moins stériotypée que celle de J.M. Coetzee chez Elizabeth Costello.

La quarantaine terminée, Paul renoue avec les recherches dans des forêts, brousses et velds, question de mobiliser davantage de faits et d'éléments pouvant lui servir, ses amis aussi, de pièces à conviction afin de dissuader le gouvernement des réalisations qu'il entend mener. Comme si Gordimer était résolument décidée à soutenir que le véritable savoir ne conférait pas automatiquement une place au soleil, elle n'autorise pas d'espérer un succès automatique dans la démarche de Paul et de son équipe. Car à la fin du roman, on voit un gouvernement visiblement décidé à mener à exécution ses projets :

Minister of environmental Affairs, Van Schalkwyk, has set aside (abandoned? A for real no-no? May be) a decision made a year before this month of birth to construct the pondoland Wild coast toll road. And the Minister of Minerals and Energy, she's announced that the pebble-bed nuclear reactor is halted. Pending further environmental assessment, yes-oh of course. (GL : 187)

De l'étude du savoir des personnages dans Get a life et dans Elizabeth Costello, on peut observer que comparée à J.M. Coetzee, Nadine Gordimer propose avec Get a life une démarche conceptuelle sur le savoir qui l'engage sur la voie des écrivains engagés à se soustraire des fixités, vices ou extravagances du groupe social auquel elle appartient. Néanmoins, il demeure le fait qu'il ne lui réussit pas toujours d'envisager comme personnage central un personnage noir124(*).

II-1-2-2- Le pouvoir des personnages

Le pouvoir est, dans tout système de personnages, une catégorie sémantique importante qui vient définir la compétence du personnage, et notamment constituer des sous-classes d'actants bien différenciés, selon que ces actants sont puissants ou impuissants, qu'ils ont les moyens ou non d'agir conformément à leur vouloir, qu'ils disposent ou non d'adjuvants, que leur pouvoir est inné ou acquis...125(*).

En d'autres termes, se renseigner sur ce que peuvent les personnages ou sur le rapport entre leur pouvoir et comment ils s'en servent pour matérialiser ou réaliser leur vouloir, ou encore sur l'origine de leur pouvoir (inné ou acquis) n'est pas sans suggérer la particularité du roman qui autorise ces personnages à agir. C'est du moins ce que je me propose de démontrer en analysant le pouvoir des personnages dans Get a life et Elizabeth Costello.

Le pouvoir d'Elizabeth Costello est mis en évidence en plusieurs endroits du récit. Il est, d'entrée de jeu, par exemple suggéré par le narrateur en ces termes :

Elizabeth Costello made her name with her fourth novel, The House on Eccles Street (1969), whose main character is Marion Bloom, wife of Leopold Bloom, principal character of another novel, Ulysses (1922), by James Joyce. In the past decade there has grown up around her a small critical industry; there is even an Elizabeth Costello Society, based in Albuquerque, New Mexico, which puts out a quarterly Elizabeth Costello Newsletter. (EC : 1-2)

Autrement dit, Costello est dépositaire d'un pouvoir intellectuel, universitaire et économique incontestable. C'est un pouvoir qui, aux yeux du narrateur est quasi éternel: « Eccles Street is a great novel; it will live, perhaps, as long as Ulysses; it will certainly be arround long after its maker is in the grave ». (EC : 11)

Le pouvoir de Costello dérive d'un solide travail d'accumulation des connaissances comme cela a été souligné précédemment. Son pouvoir n'est donc pas inné, c'est un pouvoir qu'elle a consacré ses 66 années à acquérir.

Un autre lieu où le pouvoir de Costello est mis en évidence, c'est face à une ancienne connaissance, X, enseignant retraité de l'université de Queensland. Ce dernier courbe pratiquement l'échine pour faire accepter à Costello de participer, avec lui à la croisière d'un genre peu ordinaire :

Travelling the world, screening old movies, talking about Bergman and Felini to retired people... You are a prominent figure, a well-known writer. The cruise line I work for will jump at the opportunity to take you on. You will be a feather in their cap. Say but the word and I'll bring it up with my friend the director. (EC : 35)

À la vérité, on remarque que le pouvoir de Costello n'est presque jamais mis en doute ou inquiété par des personnages entretenant des rapports plus ou moins directs avec l'université. C'est un pouvoir qui opère en pliant les autres personnages à la puissance de son détenteur avec pour conséquence d'installer Costello dans ce que Giorgio Agamben appelle la sphère du sacré126(*). Coetzee a sans doute voulu avec le pouvoir de Costello mettre en abyme dans Elizabeth Costello l'idée de mathésis que Barthes voit en la littérature127(*), assurant par ce fait à ce roman sa particularité métafictionnelle.

Le pouvoir de Costello est néanmoins inquiété lorsqu'elle se retrouve dans une sorte de prison imaginaire. Ici, l'homme en treillis qui a la charge de veiller sur elle lui impose de fixer par écrit ce en quoi elle croit fondamentalement. Costello ne trouve aucune raison de céder:

I am a writer, a trader in fiction (...) I maintain beliefs only provisionally: fixed beliefs would stand in my way. I change beliefs as I change my habitation or my clothes, according to my needs. On these grounds- professional, vocational. I request exemption from a rule of which I now hear for the first times namely that every petitioner at the gate should hold to one or more beliefs (EC: 195)

Costello use de son pouvoir d'écrivain célèbre et refuse catégoriquement de faire la volonté de son garde imaginaire. Si son talent d'écrivain avait souvent consisté à dissimuler sa pensée au moyen des mots, Costello estime devant le garde imaginaire qu'elle n'a plus besoin de parures. Elle choisit ainsi de s'exprimer franchement et explicitement : « Excuse my language. I am or have been a professional writer. Usually I take care to conceal the extravagances of the imagination. But today, for this occasion, I thought I would conceal nothing, bare all » (EC : 216).

Des différents lieux d'exposition du pouvoir de Costello, on remarque que celle-ci est jalouse de son pouvoir et de sa célébrité et qu'elle est très loin de s'imaginer impuissante quitte à en mourir. Costello choisit d'ailleurs une mort symbolique à la fin du récit puisqu'elle choisit de rester dans cette prison onirique renforçant par ce fait la foi en son pouvoir.

Comparée à Michaël K, Costello se caractérise par une arrogance et un goût prononcé de l'exhibitionnisme. J.M. Coetzee a voulu sans doute exhiber subtilement le fait qu'il ait lui-même choisi de devenir en quelque sorte un Australien. On peut donc lire l'exhibitionnisme ou le savoir/pouvoir ostentatoir de Costello comme suggestif d'un soulagement psychologique voire psychique de Coetzee, soulagement dû à son exil de la nation arc-en-ciel pour l'Australie.

Il est donc difficile d'éviter la conclusion selon laquelle J.M. Coetzee livre avec Elizabeth Costello, une vision raciste du monde. Pour lui en effet, la communion du Blanc avec le Noir est renvoyée aux calendes grecques. Pour parler comme Ambroise Kom, Coetzee pense que « l'intégration [entre Blanc et Noir ne devrait jamais être] à portée de main (...) que le rapprochement entre les mondes africain et européen est plus utopique que jamais » 128(*). Coetzee peine donc finalement à écrire autre espace sud-africain que celui déjà amorcé dans Michaël K, sa vie, son temps.

L'étude du pouvoir de Paul Bannerman dans Get a life révèle plutôt une vision moins étanche, moins escarpée que celle qu'a révélée le pouvoir de Costello dans Elizabeth Costello. D'entrée de jeu, on peut observer que le pouvoir de Paul Bannerman tient de la combinaison autant de son amicale collaboration avec ses acolytes noirs que de sa propre formation universitaire.

Paul Bannerman, Derek et Thapelo, dans leur profession de conservateur de la biodiversité et d'environnementaliste, forment un trio puissant que le narrateur désigne par « team » (GL : 15) ou « the bushmates » (GL : 111). A propos de la formation universitaire de Paul Bannerman et de sa profession, on peut lire :

Paul Bannerman is an ecologist qualified academically at universities and institutions in the USA, England, and by experience in the forests, deserts, and savannahs of West Africa and South America. He has a post with a foundation for conservation and environmental control; in this country of Africa in which he was born. (GL : 6)

Paul Bannerman ne fait quasiment jamais allusion, comme c'est le cas pourtant avec Costello, aux auteurs, théoriciens, chercheurs environnementalistes desquels il s'inspire dans son activité. Paul se veut plutôt modeste et pragmatique. Cette modestie explique sans doute pourquoi la collaboration avec Derek et Thapelo est harmonieuse.

Le pouvoir de Paul Bannerman, au regard de son mode opératoire fait songer à l'idéal de la relation dont parle Glissant. D'après cet idéal « toute identité s'étend dans un rapport à l'autre sans toute fois s'y perdre » 129(*). En effet, Paul ne trouve aucun inconvénient à collaborer, pour la même lutte, avec un ancien cadre du « Mkohonto we Sizwe » (GL : 61), le fer de lance de la nation130(*), fondé par Nelson Mandela pendant les beaux jours de l'Apartheid.

Cette précision apporte un éclairage important sur le personnage de Paul Bannerman. Ce dernier est en effet en phase avec l'idéal du mélange, de l'hybridisme ou du rhizome qui n'est sans rappeler le nouveau contexte politico-culturel du No Man's Land sud-africain actuel. Paul a fait sienne le crédo de Gibreel Farishta, un des personnages centraux des Versets sataniques, selon lequel « pour renaître, il faut d'abord mourir »131(*).

Il a préalablement évacué son arsenal complexuel qui l'empêchait de voir en le Noir un être humain tout court et est devenu un homme neuf pour parler comme Fanon.

Voilà qui confirme le pourvoir de Paul Bannerman comme étant le résultat de sa collaboration professionnelle et activiste avec Derek et Thapelo. Leur impuissance a faire plier le gouvernement en matière de préservation environnementale ainsi qu'on le constate à la fin du récit, au regard de l'obstination et du déterminisme du groupe, fait plutôt songer à ce que le groupe n'ait pas encore dit son dernier mot. Paul Bannerman en est d'ailleurs convaincu puisque pour lui, « there is never a final solution, ever. That's the condition on which the work goes on, will go on. Phambili. » (GL : 169)

En un mot, l'étude du pouvoir de Paul Bannerman a permis d'exposer le type de vision du monde qui l'habite ou dont il est dépositaire. C'est une vision suggestive de l'ambiance sous le signe duquel Nelson Mandela plaçait le concept de Nation arc-en-ciel qu'il forgea.

The time, déclarait-il à la face du monde le 10 Mai 1994, for the healing of the wounds has come. The moment to bright the chasms that divide us has come. The time to build is upon us (...) we shall build the society in which all South Africans, both Blacks and Whites will be able to walk tall, without any fear in their hearts, assured of their inalienable right to human dignity a rainbow nation at peace with itself and the world (...) We know it well that none of us acting alone can achieve success. We must therefore act together as a united people, for national reconciliation, for national building, for the birth of a new world132(*).

Comparée à Gordimer de A World of Stangers, celle de Get a life se rapproche artistiquement, épistémologiquement, politiquement ou idéologiquement du André Brink d'Une saison blanche et sèche. Gordimer transpose en effet avec Get a life la nécessité de préserver sinon l'acquis de la transition amorcée en 1994, du moins de poursuivre le combat qui rappelle que l'ennemi a changé de nom. Il s'appelle désormais menace nucléaire, SIDA, pollution ou destruction environnementale et la liste est loin d'être exhaustive.

Nous avons étudié le personnage dans Get a life et Elizabeth Costello sur la base de ses marques dans le récit, c'est-à-dire « noms propres, prénoms, surnoms, pseudonymes, périphrases descriptives diverses, titres, portraits, leitmotives, pronoms personnels »133(*). Édouard Glissant, comme pour souligner l'insuffisance dans la conceptualisation du personnage, suggère de regarder le roman comme une sorte de totalité. Il voit là la condition pour envisager sans réticence aucune « même le paysage comme un personnage »134(*). Aussi me semble-t-il indiqué, d'étudier maintenant l'espace narratif dans Get a life et Elizabeth Costello.

II-2- L'Espace narratif dans Get a life et Elizabeth Costello

Jean Yves Tadié présente l'espace narratif comme « le lieu où se distribuent simultanément les signes, se lient les relations et dans un texte, l'ensemble des signes qui produisent un effet de représentation » 135(*).

En d'autres termes, l'espace narratif est une sorte de contenant qui abrite des événements ou des personnages. C'est un contenant enclencheur, chez le lecteur, de représentation. Georges Gusdorf n'en dit pas autre chose lorsqu'il présente l'espace narratif comme étant :

Une dimension du monde (...) ; une norme privilégiée pour la manipulation de la réalité, privilégiée même à tel point que nous sommes portés à la substantialiser, à en faire un support des choses, une manière de contenant, un commun dénonciateur, facteur d'ordre, de classement, et, enfin de compte, Canevas géométrique universel sur lequel interviennent les phénomènes et se succèdent les évènements (...) Situer un fait par ses coordonnées spatiales, donner la mesure exacte de ses dimensions, c'est déjà beaucoup le comprendre, réduire ce qu'il pouvait avoir comme insolite136(*).

En quoi l'espace narratif dans Elizabeth Costello et Get a life permet-il de beaucoup comprendre ces deux romans ? Compte tenu de la polysémie soulevée tant par Yves Tadié que par Gusdorf à propos de la notion d'espace narratif, polysémie que pointait déjà à sa manière Édouard Glissant, je m'appuie sur la conceptualisation d'Yves Reuter pour apporter quelques éléments de réponse à la question ci-dessus.

Yves Reuter a en effet l'avantage de proposer une méthode d'analyse de l'espace qui me semble pertinente et convenable pour répertorier davantage de points de ruptures et de continuités dans l'écriture post-apartheid de Nadine Gordimer et J.M. Coetzee confrontée à leur écriture pendant l'Apartheid. Pour Yves Reuter, l'analyse de l'espace mis en scène par le roman peut s'appréhender selon deux grandes entrées : « ses relations avec l'espace « réel » et ses fonctions à l'intérieur du texte » 137(*). Aussi procéderai-je d'abord à un repérage critique des espaces ou des indicateurs spatiaux des récits qui résonnent en écho sur des espaces réels. Ensuite j'étudierai les rapports que les personnages entretiennent avec quelque espaces importants dans la diégèse d'Elizabeth Costello et de Get a life.

II-2-1- L'espace narratif et son double

Outre les lieux diégétiques qui résonnent en écho sur la réalité, je m'appuie également sur des descriptions, des termes particuliers ou d'éléments d'intertextualité qui produisent ce que Roland Barthes appelle « effet de réel »138(*) pour mettre en exergue le double lisible de l'espace fictif autant d'Elizabeth Costello que de Get a life. Pour ce faire, la méthode par tableau me semble indiquée. C'est la raison pour laquelle j'expose distinctement les rapports que l'espace diégétique entretient avec l'espace réel d'abord dans Get a life puis dans Elizabeth Costello.

Tableau III : Espace narratif et son double dans Get a life

Indices spatiaux diégétiques avec résonance sur l'espace réel

Référents spatiaux réels

1-Paul Bannerman, né dans un pays africain et y travaille (P.6)

2-Zulu : l'une des langues noires que Paul a apprise et qu'il parle avec Primerose (P.22)

3-Van Schalkwyk : Ministre des affaires environnementales dans le roman et opposant physique à la démarche de Paul Bannerman, Derek et Thapelo (P.186)

4-No-Man's-Land (P.30) : le narrateur confond le jardin familial où Paul prend du plaisir à se retrouver pendant la quarantaine à un No-man's land.

5-L'Afrique du Sud (P.35) : Pays d'origine d'Emma, la soeur cadette de Paul qui vit maritalement en Amérique du Sud avec un Brésilien. Emma soutient Paul Bannerman pendant sa maladie. Elle lui écrit en effet une lettre de soutien moral (P.36)

6-Mkhonto we Sizwe (P.60) : groupe de combat auquel a appartenu Thapelo à l'âge de 17 ans.

7-Highveld (P.104) : Le Mexique en hiver est comparé par Lyndsay au Veld, ceci dénote l'appartenance de Lyndsay à un pays dont le relief géographique est constitué de Velds.

8-Eskom (P.114) : organe gouvernemental chargé de fournir l'électricité au pays de Paul. Cet organe a acquis une licence pour l'exploitation nucléaire contre laquelle s'insurgent Paul et ses amis.

9-Setswana (P.125) : langue de Primerose et de Thapelo

10-SIDA : Dans l'hospice où Lyndsay fait la connaissance de Klara qu'elle adopte (P.147), il ya beaucoup d'enfants comme Klara, souffrant du SIDA.

11-Wola ! Cho ! Jabula ! Phambili ! Vuka ! Yona ke Yona (P.181) : termes prononcés par le narrateur (P.181), par des personnages (P.169 et 187) et traduits par l'auteur en fin de volume (P.189). Ces termes soulignent l'appartenance linguistique de Thapelo.

1-Afrique : un des 5 continents compris en majeure partie entre les tropiques

2-Zulu : Langue africaine parlée en Afrique du Sud. C'est aussi un vocable contenu dans la désignation de l'un des 9 États sud-africains, Kwazulu- Natal avec pour capitale Durban.

3-Marthinus Van Shalkwyk est un Afrikaner qui remplace Frederik De Klerk à la tête du Nasionale Party en août 1997 (Voir G. Lory, L'Afrique du Sud, op.cit, P.109)

4-No man's Land : terre d'aucun homme. Les USA et dans une moindre mesure l'Afrique du Sud sont des noman's land.

5-Afrique du Sud : Pays de l'Afrique Australe avec une superficie de 1.219.090 km2. Sa capitale est Prétoria.

6-Umkhonto we sizwe : Branche armée de l'ANC fondée par Nelson Mandela.

7-Veld : Nom donné par les Boers au plateau dénudés de l'Afrique du Sud, au nord du grand Karoo. En Afrique du Sud on distingue le Highveld du Lowveld, séparés par le Drakensberg du Transvaal

8-Eskom : Société Sud-Africaine d'électricité

9-Setswana : L'une des 11 langues officielles en Afrique du Sud à côté de l'Afrikaans, l'Anglais, l'isi Ndebele, l'isi Xhosa, l'isi Zulu, le Sesotho sa leboa, le si Swati, le Tshivenda et le Xitonga.

10-L'Afrique du Sud est considéré aujourd'hui comme le pays au monde le plus contaminé par le virus du SIDA, le VIH

11-Ce sont finalement des termes tirés de la langue Setswana d'Afrique du Sud.

Le tableau ci-dessus permet de remarquer, sinon une très forte proximité réfférencielle avec l'Afrique du Sud, du moins une centralité de Get a life sur l'Afrique du Sud. Il n'est même pas exagéré de dire au regard de ce tableau que Get a life n'est rien d'autre qu'une transposition explicite de l'Afrique du Sud post apartheid dans la perspective de son auteur. La centralité du roman sur l'Afrique du Sud est également soulignée lorsque les personnages Lyndsay et Adrian quittent pour la première fois, éphémèrement et pour la seconde fois, définitivement, l'Afrique du Sud pour se rendre en Norvège. Ces deux personnages y restent sentimentalement et affectivement liés.

Voilà qui autorise de lire l'adoption de Klara par Lyndsay comme une invitation adressée au Sud Africain afin qu'il prenne résolument à bras le corps la question du SIDA. C'est là, sans doute, à côté de la lutte écologique au centre de laquelle se trouve Paul Bannerman, l'autre condition pour que l'Afrique du Sud continue d'exister ou d'être dans le monde : « to be in the world » (GL : 57).

Tableau IV : Espace narratif et son double dans Elizabeth Costello

Indices spatiaux diégétiques avec résonnance sur l'espace réel

Référents spatiaux réels

1-Australie /Melbourne (P.1) : Pays et ville de naissance et de résidence d'Elizabeth Costello. Costello se souvient aussi s'y être retrouvée dans un débit de boisson avec Robert Duncan et Philippe Whale, d'anciens amis (P.183-192)

2-Pennsylvanie/Altona Collège (P.2-34) : Ville et université américaine où Costello est invitée à recevoir une distinction littéraire honorifique

3-Stockholm (P.58) : Ville de provenance du fax dans lequel Costello est invitée à prendre part à une croisière à destination de Cape Town. Au cours de cette croisière à bord du SS Northern Lights, Costello entretien des personnes âgées (des nobles) sur le roman en Afrique contre forte rémunération. Costello aurait donc quitté l'Australie, pour se rendre à Stockholm, de Stockholm à Cape Town et enfin de Cape Town en Australie.

4-Massachusetts (P.2, P.59, P.115) : John Bernard, fils de Costello, enseigne dans une université du Massachusetts. Deux années après son passage à Pennsylvanie, Costello est de nouveau invitée par le département de lettres de Appleton College dans le Massachusetts afin d'y délivrer un séminaire de trois jours à l'intention des étudiants de lettres de cette institution (P.60). elle structure ses interventions autour de deux thèmes : les philosophes et les animaux et les poètes et les animaux. Il ressort de ces interventions un engagement énergique de Costello pour la préservation des espèces animales existantes.

5-Zululand (P.116-155) : lieu de résidence de Sister Bridget, encore appelée Blanche, soeur aînée de Costello qui s'est dévouée à l'encadrement des enfants vivant avec le SIDA. Bridget invite Costello au Zululand à l'occasion de la cérémonie de remise du titre de Docteur es litterae humaniores à la première pour avoir publié Living for Hope. Au cours de cette cérémonie, Costello prononce un discours fort timidement accueilli à l'université de Marianhill.

6-Amsterdam (P.156) : Costello y est invitée pour participer à une conférence portant sur le Mal. L'invitation fait suite aux impressionnants séminaires tenus à Massachusetts il y a un an. A Amsterdam où l'auditoire espère qu'elle précise ses thèses sur la cruauté des hommes à l'égard des animaux, comparant cette cruauté à celle d'Hitler sur les Juifs, elle voile davantage sa pensée.

1-L'Australie est une grande île d'Océanie. État fédéral constitué de 6 États. Sa capitale est Canberra. Coetzee y vit depuis 2002.

2-La Pennsylvanie est un des États-unis d'Amérique avec pour capitale Harrisburg. Altoona est une ville de cet Etat.

3-Stockholm est la capitale de Suède. Cape Town ou le Cap est la capitale de la province du Western Cape en Afrique du Sud. Ville par ailleurs de naissance de Coetzee.

4- Massachusetts : Un des États-unis d'Amérique avec pour Capitale Boston.

5-Zululand : C'est l'une des neuf provinces que compte l'Afrique du Sud. Mais la dénomination de Zululand n'existe plus depuis 1994, date à laquelle elle fut remplacée par le Kwa Zulu-Natal avec pour capitale Durban.

6-Amsterdam : C'est la capitale des Pays-Bas.

Le tableau ci-dessus permet de constater que l'histoire prise en charge dans Elizabeth Costello se déroule pendant trois années. Au cours de ces trois années, la célèbre écrivaine a eu seulement moins d'un mois pour se retrouver en Afrique en général, en Afrique du Sud en particulier. En plus, ses deux voyages éclairs pour l'Afrique font prendre un coup plus ou moins manifeste à sa renommée. En d'autres termes le regard de l'Afrique sur Costello contraste fortement avec celui de l'Occident sur elle. Ceci traduit sans doute que le racisme a encore de beaux jours devant lui dans le monde. Et, sur cette question, s'il y a bien quelqu'un à accuser de racisme c'est le Noir, l'Africain. Une des démarches pour sortir de la menace de ce racisme serait alors l'exil volontaire, l'émigration à destination des pays occidentaux. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer de l'étude de l'espace et de son double dans Elizabeth Costello.

Comparé à Get a life, on note une extraversion caractérisée d'Elizabeth Costello par rapport à l'Afrique du Sud. Il n'est pas de trop de voir en Elizabeth Costello le roman dans lequel Coetzee tranche explicitement avec son habituelle focalisation sur l'Afrique du Sud. L'idée de rupture d'avec la centralité sur l'Afrique du Sud est d'ailleurs aussi suggérée par le fait que Coetzee puise visiblement des éléments pour sa technologie artistique dans le passé de l'Occident en général, l'Europe en particulier. À titre d'illustration, on constate dès le titre du roman qu'il est une construction de Coetzee sur la base des noms de personnalités historiques ayant réellement existé en Occident139(*).

En plus, les théoriciens dont Costello peut, à juste titre, être considérée comme le produit sont en majorité ceux de l'époque classique, de la renaissance, de l'antiquité ou de l'époque moderne en Occident. C'est peut-être ces quelques particularités de Costello qui expliquent qu'elle ait plutôt le vent en poupe en Europe et aux USA, puisqu'elle est intellectuellement héritière en quelque sorte des savants exclusivement occidentaux.

En tout état de cause, au moins deux orientations sont possibles pour expliquer l'extraversion de Costello dans Elizabeth Costello. On peut d'abord y voir une célébration consciente, ou pas, de l'auteur d'Elizabeth Costello pour son exploit d'avoir déménagé de l'Afrique du Sud où il fut jusque là régulièrement suspecté de racisme par la critique noire en général, pour s'établir en Australie. C'est à partir de ce pays anglophone de l'Océanie que J.M. Coetzee pense désormais revendiquer son appartenance à l'Occident, voire au groupe dominant.

On peut également y voir une façon habile (comme c'était déjà mutatis mutandis le cas dans Michaël K, sa vie, son temps) d'enfermer définitivement le Noir dans un black-out total, renforçant sans le vouloir l'idée de racisme dont il a souvent été suspecté à l'endroit du Noir. Car comment expliquer autrement qu'au moment où c'est désormais le Non-Blanc qui préside aux destinées de la Nation arc-en-ciel, J.M. Coetzee ne projette de cette situation réelle et mesurable que le spectre d'un non-événement, jusqu'à choisir lui-même de quitter le pays ?

On le voit, Coetzee expose avec Elizabeth Costello une vision où la collaboration entre les diverses races n'est même pas ponctuellement, encore moins durablement imaginable ; elle est simplement impossible. Cette vision contraste fortement avec la vision que Gordimer expose à ce sujet dans Get a life. L'espace fonctionnel aiderait certainement à préciser des points de démarcation entre Coetzee et Gordimer.

II-2-2- Espace narratif et signification

Envisager l'espace narratif comme porteur de signification demande d'entrée de jeu de préciser de quelle signification il est question. A propos, je m'appuie sur la conception de l'espace narratif d'après Bourneuf et Ouellet pour clarifier ce que j'entends par signification. Ces deux théoriciens ont l'avantage d'avoir fourni une définition de l'espace narratif qui intègre sa double signification que je partage dans cette partie de mon analyse. Pour Bourneuf et Ouellet en effet, « Si on cherche la fréquence, le rythme, l'ordre et surtout la raison des changements de lieu dans un roman, on découvre à quel point ils importent pour assurer au récit à la fois son unité et son mouvement » 140(*).

En d'autres termes, examiner la signification de l'espace narratif dans Elizabeth Costello et dans Get a life suppose de dégager autant l'importance ou non des espaces narratifs ou diégétiques pour les personnages que le sens déductible des rapports des personnages à l'espace pour le lecteur.

Dans Elizabeth Costello, l'Occident en général, l'Europe en particulier représente beaucoup sinon tout pour le personnage central. Costello y est par exemple psychologiquement, intellectuellement, épistémologiquement voire culturellement attachée. Les auteurs dont elle a subi l'influence sont sinon exclusivement, du moins majoritairement occidentaux comme on l'a vu. L'Australie où elle est née et où elle réside n'est mentionnée que comme pays d'origine dont elle ne bénéficie que du séjour et de la nationalité. Il est, sur cette question, par exemple curieux de constater que presqu'aucun théoricien ou auteur australien n'ait influencé Costello intellectuellement. C'est dire que son appartenance à l'Australie n'est vraie qu'aux dires du narrateur, toute la vérité étant peut-être à chercher ailleurs.

Il n'est pas facile d'éviter de dégager, de ce qui précède, un des mérites d'Elizabeth Costello. En effet, on se rend compte, au sujet de la nationalité d'Elizabeth Costello, qu'elle aide à rappeler que posséder une nationalité ne garantit pas automatiquement ou nécessairement une intégration aisée dans le pays dont on a acquis la nationalité. Aussi ne faudrait-il plus se laisser tromper par les discours officiels qui font sérieusement croire que la nationalité devrait, puisqu'elle pourrait, se fixer simplement sur quelques pièces que ce soient, fussent-elles un visa, un passeport, une carte de séjour ou une pièce d'identité. Même si en France, Nicolas Sarkozy estime aujourd'hui fixer la nationalité française au non port de la burqa.

La question de nationalité, c'est le mérite qu'Elizabeth Costello a de relever, est une réalité beaucoup plus complexe que l'on ne se l'imagine. Le cas de Costello fait plutôt penser à ce que Walter Benjamin appelle « l'exploitation du producteur au nom d'un principe, la « créativité »141(*). Car rien ne prouve pratiquement qu'elle est écrivaine Australienne. Coetzee semble donc irréversiblement embarqué dans le train de « l'aventure spirituelle de l'Occident »142(*) avec ce que cela signifie en termes de racisme, d'ostracisme et d'aridité comme l'aurait dit Fanon.

Il appert donc que l'éventualité d'en revenir est loin d'être amorcée. Sans doute que J.M. Coetzee refuse même d'envisager la perspective contraire au racisme et à l'austracisme. Tant Costello traduit la matérialisation de la prophétie du garde qui s'émerveillait des talents de fugitif chez Michaël K, dans le camp de Jakkalsdrif : « Demain, il aura peut-être un autre nom. Une autre carte, un autre nom pour la police, pour les embrouiller » 143(*). C'est dire qu'entre Michaël K. et Elizabeth Costello, seuls le nom et peut-être le sexe et la nationalité ont changé. L'orientation épistémologique, idéologique voire psychologique est restée intacte.

Au contraire d'Elizabeth Costello qui traduit une constance dans les préoccupations esthétiques, idéologiques voire épistémologiques chez J.M. Coetzee pendant et après l'Apartheid, Get a life s'affirme plutôt comme rigoureuse illustration de la caractérisation que Lars Engle fait valoir au titre des romans de Gordimer en général. Lars Engle qualifie à juste titre les ouvrages de Nadine Gordimer comme fortement saturés de « utopian potential of epistemological disruption », potentiel ayant pour conséquence de projeter son lecteur dans un avenir neuf tout en exigeant de comportements nouveaux144(*).

Un fait est remarquable dans Get a life. C'est la représentativité de l'Afrique du Sud pour les personnages. À titre d'illustration, le personnage central évolue du début à la fin du récit, exclusivement en Afrique du Sud. Comme pour justifier l'origine de la légitimité des actions en faveur de l'écologie qu'il mène d'un bout à l'autre du récit, le narrateur nous renseigne que Paul Bannerman a fait des études aux USA, en Angleterre et a passé des années de stage pratique en Afrique de l'ouest et en Amérique du Sud (P.6)

Peut-être faut-il commencer par considérer Paul Bannerman comme une métonymie suggestive en quelque sorte de quelques aspects biographiques de Nadine Gordimer pour mieux comprendre le sens du roman dont-il est le personnage central. Comment comprendre d'ailleurs autrement la coïncidence entre l'enfermement physique de Paul Bannerman en Afrique du Sud dans la diégèse de Get a life avec celui de Gordimer elle-même en Afrique du Sud ? Comme nous l'avons révélé au précédent chapitre, Gordimer n'a quasiment jamais quitté sa terre d'adoption malgré ce qu'elle a déjà enduré à Johannesburg comme difficultés.

La centralité de Get a life sur l'Afrique du Sud est aussi exprimée lors de la quarantaine de Paul Bannerman chez ses parents Adrian et Lyndsay. Toutes les soeurs de Paul Bannerman : Jacqueline (GL : 34), Susan et Emma (GL : 35), se mobilisent respectivement de l'Afrique du Sud, de l'Autriche et du Brésil pour apporter du soutien matériel ou moral au malade Paul. Cette situation souligne non seulement l'importance de l'Afrique du Sud dans l'ensemble du roman, mais surtout de Paul Bannerman qui refuse littéralement de se séparer de l'Afrique du Sud le long de l'intrigue. Que les actions de Paul avant, pendant mais surtout après le cancer se passent essentiellement dans des brousses sud-africaines, « the wilderness », comme le dit le narrateur (GL : 179) est à ce propos significatif. Il s'agit avec ses amis Derek et Thapelo, « the bushmates » (GL : 111) de convaincre le Sud-Africain de la nécessité ou des enjeux de la lutte écologique qu'ils mènent. C'est pourquoi la bande à Paul se solidarise avec toutes les autres agences écologiques existant comme « the Greens, Save the Earth, Earthlife, International Rivers Network, Campaigners of all titles and acronyms » ( GL : 89), afin de mettre plus de chance de réussir de leur côté. Contre le gouvernement qui est sur le point d'autoriser une compagnie Australienne à extraire des minerais d'ilménite du sous-sol du pondoland, il oppose les paradoxes stratégiques de ce gouvernement, paradoxes aux conséquences sérieuses sur l'économie sud-africaine, au profit de la préservation environnementale et des recettes dérivées du tourisme :

So now it's the Australians in on the act. Haai! Pondoland, it's recognized all over the world, the centre of endemism, the great botanical treasure, n'swebu, man! The government wants to put a national toll hightway through it, tear it up, and now they're going to let an Aussie Company into mine the dunes, destroy the coastline too. This Transworld Company says it's identified reserves there, sixteen million tons of heavy minerals and eight million tons of ilmenite. One of the biggest mineral sand deposits in the world. Yesus! This what we mean by attracting foreign investment? Mining on the beaches, same time the Minister of Tourism says the Germans, the Japanese and what-what flying in are big in our economic future (P.84)

Nadine Gordimer ne se sert pas seulement de Paul pour transposer l'Afrique du Sud. La mère de Paul, grâce à son passage dans un hospice du pays, conduite à cet effet par Charlene Damons, une amie de circonstance, permet aussi à Nadine Gordimer de souligner un autre aspect de la société sud-africaine, attestant par ce fait même que l'Afrique du Sud ne baigne pas sous d'heureux auspices. Ledit hospice se présente comme étant un centre de récupération ou d'hébergement d'enfants abandonnés par des parents peu responsables et d'enfants souffrant du SIDA. C'est notamment le cas, comme nous l'avons déjà souligné, avec Klara que Lyndsay choisit d'adopter. (GL : 147)

Rien donc d'étonnant que le narrateur invite le lecteur à voir Lyndsay le long du récit comme une doublure ou une réplique de Paul. Elle est son « Doppelgänger » (GL : 88) pour employer cette formulation germanique au narrateur de Get a life.

Il est difficile de ne pas conclure par l'observation suivante. Alors que Costello dans Elizabeth Costello sous-estime le combat de Sister Briget en relation aux enfants infectés par le VIH au Zululand (GL : 116), Lyndsay dans Get a life choisit plutôt la voie de Sister Briget en adoptant Klara, invitant ainsi l'Afrique du Sud à intégrer le SIDA dans la gestion institutionnelle du pays. C'est la même invite que Paul dresse en direction du gouvernement sud-africain au sujet de la lutte écologique.

C'est dire combien la ligne de démarcation dans les préoccupations idéologiques, sociales et esthétiques entre J.M. Coetzee et Nadine Gordimer en période post-apartheid est évidente. L'analyse de ce que Dorrit Cohn appelle la transparence intérieure des personnages permettrait sans doute de renforcer cette évidence.

II-3- La transparence intérieure des personnages

La transparence intérieure est un concept méthodologique d'étude des oeuvres littéraires dont les jalons ont été posés pour la première fois par Käte Hamburger dans Die Logik der Dichtung145(*). C'est véritablement Dorrit Cohn qui rend le concept opérationnel dans son livre intitulé Transparent Minds146(*). Comme approche méthodologique de lecture du roman, la transparence intérieure se préoccupe d'étudier l'extériorisation ou la verbalisation de la vie intérieure des personnages sinon par eux-mêmes, par le narrateur, du moins par un autre personnage du même récit. La pertinence d'une telle démarche, justifie Dorrit Cohn, réside dans le fait que « le récit de fiction est le seul genre littéraire et le seul type de récit dans lequel il est possible de décrire le secret des pensées, des sentiments, des perceptions d'une personne autre que le locuteur »147(*).

C'est dire que l'observation du déploiement de la vie intérieure des personnages dans le roman conduit nécessairement à « la relation de dépendance mutuelle qui associe le réalisme dans le récit et la mimésis de la vie intérieure »148(*). En d'autres termes, la vie intérieure des personnages qui ne sont que des créations du romancier constituent une sorte d' « autre voie »149(*)  dont parle Laurence Sterne à propos de Tristam Shandy, voie qui permet « de traverser du regard le crâne ou le coeur de tous les humains [Le romancier y compris]150(*) qu'on rencontre, et d'en discerner les pensées secrètes »151(*).

Étant donné que Get a life et Elizabeth Costello sont des récits à la troisième personne, j'exclue d'emblée de mon analyse le modèle d'étude de la vie intérieure des personnages pour les récits à la première personne. Je me limite au paradigme que Dorrit Cohn développe à l'intention des récits de la troisième personne. Ce paradigme est bâti sur un tryptique constitué du psycho-récit ou discours du narrateur sur la vie intérieure d'un personnage ; du monologue rapporté ou le discours mental d'un personnage et du monologue narrativisé ; le discours mental d'un personnage pris en charge par le discours du narrateur152(*). J'adapte néanmoins ce paradigme à la particularité de mon corpus qui, dans ses deux composantes, n'a pas l'avantage de répertorier à suffisance et de façon distincte le troisième élément du tryptique dorritien. Je me limite donc au psycho-récit et au monologue rapporté.

II-3-1- Le Psycho-récit

Le discours que le narrateur tient sur la vie intérieur du personnage central dans Get a life et dans Elizabeth Costello à propos de l'Afrique en général, l'Afrique du Sud en particulier, mérite l'attention. En effet, ce discours rend compte de ce que le narrateur permet de savoir sur les pensées et sentiments du personnage central par rapport non seulement à lui-même mais aussi par rapport à l'Afrique en général, Afrique du Sud en particulier.

On sait par exemple dans Elizabeth Costello que Costello a toujours écarté l'éventualité de mettre les pieds quelque jour que ce soit à Marianhill en Afrique du Sud. Elle y va cependant à son corps défendant simplement pour honorer à l'invitation de sa soeur ainée Sister Briget. Le narrateur sait comment Costello se représente l'Afrique du Sud en général, Marianhill en particulier. C'est du moins ce qu'on peut constater dans l'extrait suivant: 

it is for that degree, for the ceremony of its conferral, that she herself, Elizabeth, Blanche's younger sister, has come to a land she does not know and has never particularly wanted to know, to this ugly city (she flew in only hours ago, saw it spread out below her with its acres of scarred earth, its vast sterile mine dumps). (EC : 117)

Par rapport à l'Afrique du Sud, Costello entretient, on le voit, un sentiment complexuel, ce d'autant qu'avant d'y avoir mis les pieds, elle déteste déjà le pays. Tout se passe comme si l'Afrique du Sud, eu égard à ce qu'elle est telle que Sister Briget permet de s'en rendre compte, représentait une sérieuse menace ou un danger pour Costello. Cette disposition prélogique chez Costello biaise sa psychologie au point qu'il lui devient impossible de s'accorder avec sa soeur Blanche. Le désaccord de principe entre Costello et Briget est perceptible dans un moment où Costello se met à penser à sa Soeur après l'avoir quittée à Mirianhill. Le narrateur, sachant une fois de plus la pensée de Costello rapporte à propos :

Blanche, dear Blanche, she thinks, why is there this bar between us? Why can we not speak to each other straight and bare, as people ought who are on the brink of passing? Mother gone; old Mr. Phillips burned to a powder and scattered to the winds; of the world we grew up in, just you and I left. Sister of my youth, do not die in a foreign field and leave me without an answer! (EC : 155)

Elizabeth Costello refuse littéralement d'admettre l'importance du travail de Sister Briget en Afrique du Sud. Voici qui expose chez elle un sentiment fait de manichéisme. Car elle se perçoit, elle et son univers comme normal, beau, pur peut-être et inversement elle se représente l'Afrique du Sud comme anormal, laid (ugly), voire impur. L'Afrique du Sud et les personnes qui y vivent, sa soeur inclue, méritent donc d'être ignorées s'il faut rester dans la logique de Costello. Cette logique n'est pas sans rappeler une des tares dont le discours occidental sur l'autre continue d'avoir du mal à se départir comme l'a révélé Edward Said dans L'orientalisme et que Todorov résume en ces termes :

L'histoire du discours sur l'autre est accablante. De tout temps les hommes ont cru qu'ils étaient mieux que leurs voisins ; seules ont changé les tares qu'ils imputaient à ceux-ci. Cette dépréciation a deux aspects complémentaires : d'une part, on considère son propre cadre de référence comme étant unique, ou tout au moins normal ; de l'autre, on constate que les autres, par rapport à ce cadre, nous sont inférieurs. On peint donc le portrait de l'autre en projetant sur lui nos propres faiblesses ; il nous est à la fois semblable et inférieur. Ce qu'on lui a refusé avant tout, c'est d'être différent : ni inférieur ni (même) supérieur, mais autre, justement153(*).

La vie intérieure de Costello, au regard de ce qui précède, la présente comme une personne handicapée dans le sens où elle croit que le Mal est tapi en Afrique en général, en Afrique du Sud en particulier. Elle n'est donc pas une fois de plus assez différente de Michaël K.

Si dans Elizabeth Costello, le narrateur sait souvent les sentiments du personnage, dans Get a life, le narrateur se veut un peu plus discret sur son rapport aux sentiments des personnages. Qu'à cela ne tienne, on parvient quand même à constater dans quelques unes des déclarations du narrateur des traits de caractère suggestifs de la vie intérieure du personnage. C'est le cas par exemple dans le passage suivant: « Paul Bannerman (...) has a post with a foundation for conservation and environmental control, in this country of Africa in which he was born » (GL : 6)

Sachant que Paul a précédemment étudié aux USA, en Europe, en Afrique Occidentale et en Amérique du Sud, qu'il travaille plutôt en Afrique du Sud où il est né n'est pas sans trahir le sentiment patriotique qui l'habite. Ce sentiment est d'autant perceptible que Paul se dévoue avec acharnement à éviter au gouvernement sud-africain et à Eskom de s'engager dans des entreprises aux conséquences catastrophiques pour l'environnement sud-africain, mondial voire pour l'humanité dans sa globalité.

Voilà qui souligne un autre contraste entre l'idéal de Coetzee et celui de Gordimer à propos du sort de l'humanité en période post-apartheid. Tandis que Gordimer propose une certaine diversité, Coetzee, lui, rêve d'unicité voire de nivellement ou de monolithisme.

II-3-2- Le monologue rapporté

Le discours mental du personnage permet certainement de discerner le regard que portent Coetzee et Gordimer sur eux-mêmes et peut-être sur l'Afrique du Sud à travers Elizabeth Costello et Get a life.

Il convient d'observer d'entrée de jeu qu'arithmétiquement, Elizabeth Costello comporte plus de discours mentaux que Get a life si l'on s'en tient exclusivement aux personnages centraux. Le huitième chapitre « At the gate » et la postface d'Elizabeth Costello à titre d'illustration tiennent lieu de monologue rapporté. En outre, Costello se livre régulièrement aux discours mentaux dans les sept autres chapitres bien qu'à des proportions négligeables du point de vue du volume.

Cette prodigalité de monologues rapportés dont fait cas Elizabeth Costello est d'une rareté flagrante dans Get a life. Pourtant, Get a life a la particularité d'entremêler linéairement les discours mentaux des personnages avec le discours du narrateur. C'est le cas par exemple dans l'extrait ci-après :

The family outing is over. Monday the four-wheel drive back to the Wilderness with Derek, Thapelo, according to the week's plan of research to which there is never a final solution, ever. That's the condition on which the work goes on, will go on. Phambili. (GL : 169)

C'est encore le cas dans l'extrait ci-dessous, où le narrateur parle des sentiments de Paul comme s'il s'agissait des siens. Paul vient en effet de prendre congé de sa maman, au retour de celle-ci du Mexique où Adrian a préféré rester : « He has left home, twice. He has his own life to live: that convenient cop-out of other intimate responsibilities. The generation can't help each other in the existential affront ». (GL : 134)

Ces deux exemples qui sont certes loin de rendre compte de façon exhaustive l'entremêlement des discours mentaux des personnages avec l'acte narratif dans Get a life, permettent néanmoins de prendre la mesure du tempérament qui anime Paul Bannerman. C'est un personnage convaincu de la nécessité de convertir son savoir en actions bénéfiques pour l'Afrique du Sud et pour l'humanité. À cet effet, Paul sait pouvoir compter sur soi. Il sait, comme s'il était imprégné du Mythe de Sisyphe de la mythologie grecque, que le combat pour la vie est de tout temps.

Au contraire de Paul Bannerman qui s'engage dans l'espace pratique de la lutte environnementale, sociale voire politique en Afrique du Sud, Costello, elle, s'efforce tant bien que mal à couvrir d'amnésie l'Afrique du Sud. Elle masque sa condescendance vis-à-vis de l'Africain au moyen des subtilités de l'abstraction, de la parabole, bref des figures de style que lui ont conféré sa solide assimilation de la culture occidentale trahissant par ce fait même sa psychopathie qui est d'ailleurs mise en exergue au chapitre huit où elle communique avec des personnages vrais dans son seul imaginaire (EC : 193-225). À ces personnages imaginaires elle explique par exemple pourquoi elle ne peut pas faire des serments en ces termes :

«Do you see many people like me, people in my situation?» She continues urgently, out of control now, hearing herself out of control, disliking herself for it. In my situation: What does that mean? What is her situation? The situation of someone who does not know her own mind»? (EC : 224)

C'est être impertinent que d'esperer des serments chez une psychopate comme semble l'être Elizabeth Costello ici. Peut-être que cette apparence psychopathique explique le sentiment d'échec qui hante Costello parce que ses écrits n'auraient pas réussi à tourner ses lecteurs dans la direction qu'elle a voulu leur imposer. Comment comprendre d'ailleurs autrement la malédiction qu'elle formule en direction de la littérature à la fin du récit : « A curse on literature ! » (EC : 225)

Seulement, le talent d'écrivain cacheur de sens, que l'on connaît chez Elizabeth Costello et qui est souvent reconnu chez J.M. Coetzee, commande de ne pas précipitemment conclure de la psychopathie d'Elizabeth Costello. Si on pouvait d'ailleurs provisoirement concéder à la correspondance personnage-auteur, ce qui est parfois souvent vrai154(*), on comprendrait aussitôt pourquoi Costello est à considérer comme un symbole dont le dépouillage révèle assez d'informations suggestives de la vie intérieure de J. M. Coetzee.

Au demeurant, il est difficile de ne pas conclure à propos de la transparence intérieure avec Dorrit Cohn. Car on l'a vu avec Get a life et Elizabeth costello « le récit de fiction atteint son « air de réalité » le plus achevé dans la représentation d'un être solidaire en proie à des pensées que cet être ne communiquera jamais à personne » 155(*).

Dans ce chapitre, il s'agissait d'analyser l'écriture post-apartheid de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer telle qu'elle se donne à lire dans Elizabeth Costello et Get a life. L'idée c'était de dégager des points suffisamment suggestifs des ruptures et des continuités qui s'insèrent dans leur écriture romanesque post-apartheid, comparée à leur écriture pendant l'Apartheid. On a pu observer chez J.M. Coetzee qu'en dehors de légères ruptures dans la forme, le même fond que celui de Michaël K., sa vie, son temps se réarticule dans Elizabeth Costello. J.M. Coetzee continue en effet d'avoir du mal, au moins en ce qui concerne Elizabeth Costello, à entrevoir sinon une parfaite synergie entre Blancs et Noirs, du moins une ambiance de diversité qui autoriserait chacun à échanger librement avec l'autre. Il est, à l'image de son personnage central par rapport à l'Occident, comme apprivoisé par l'espace sud-africain auquel son éducation ou sa formation intellectuelle le prédisposait à appartenir. C'est cet espace que J.M. Coetzee croit devoir promouvoir voire en améliorer les conditions d'existence ; un espace qui est différent de l'Occident en ce qu'il s'étend sur le continent africain.

Nadine Gordimer de Get a life semble, pour sa part, avoir remarquablement franchi la frontière raciale que J.M. Coetzee et Nadine Gordimer de A world of Strangers estimaient infranchissables. Par rapport à J.M.Coetzee d'Elizabeth Costello, on note aussi chez elle une forte focalisation sur l'Afrique du Sud. Une Afrique du Sud où, Blancs et Noirs ne s'évitent plus, mais celle où ils sont désormais dévoués à la préservation de l'acquis sociologico-politique de 1994, la lutte écologique et la question du SIDA.

Qu'à cela ne tienne, il demeure que, comme J.M. Coetzee, Nadine Gordimer en période post-apartheid hésite toujours à camper le Noir dans son personnage central. Un défi qu'André Brink relevait déjà pendant l'Apartheid non seulement avec Une saison blanche et sèche, mais surtout avec Au plus noir de la Nuit.

Comme s'il voulait résolument s'engager dans la voie contraire à Nadine Gordimer et à J.M. Coetzee, André Brink, même en période post-apartheid s'arrange à donner à son roman un air de mea-culpa de la race blanche vis-à-vis des injustices qu'elle a pratiquées ou qu'elle a contribuées à répandre en direction des Noirs en général, des femmes en particulier. C'est le cas notamment dans son roman intitulé The other Side of Silence. Cet aveu qui n'est sans rappeler en quelque sorte le regard que Breyten Breytenbach portait sur l'Apartheid156(*) échappe, si l'on s'en tient à Elizabeth Costello et Get a life, aux préoccupations post-apartheid de ses compatriotes blancs que sont J.M. Coetzee et Nadine Gordimer.

Sur ce point, André Brink rejoint mutatis mutandis son autre compatriote noir Zakes Mda qui, comme le premier à propos de la race blanche, procède dans Ways of Dying à une critique, agrémentée d'humour, des grossièretés et des défauts identifiables dans les cultures noires d'Afrique du Sud. André Brink et Zakes Mda suggèrent que le mal se trouve autant chez le Blanc que chez le Noir. Ils proposent le décentrement de ces deux catégories pour une cohabitation plus juste et rationnelle à venir.

Le rapprochement ci-dessus entre André Brink et Zakes Mda m'autorise à considérer The other Side of Silence et Ways of Dying sinon comme antithèse de Get a life et d'Elizabeth Costello, du moins comme romans qui fragilisent la capacité de Get a life et d'Elizabeth Costello à rendre compte de l'état des lieux du roman sud-africain pendant l'ère post-apartheid.

PARTIE II :

ENJEUX DE L'ÉCRITURE ROMANESQUE

POST-APARTHEID DE COETZEE ET GORDIMER

L'analyse de Get a life et d'Elizabeth Costello sous l'éclairage de quelques éléments de la mise en texte empruntés à Philippe Hamon, Yves Reuter, Dorrit Cohn, pour ne citer que les plus représentatifs, nous a amené à constater que J.M. Coetzee et Nadine Gordimer, en période post-apartheid transposent chacun à sa manière l'espace cognitif sud-africain, qu'ils désirent solidement implanter en Afrique du Sud. Tandis que Nadine Gordimer expose une vision plus ou moins conforme à la configuration sociologico-politique de l'Afrique du Sud contemporaine, J.M. Coetzee choisit quant à lui, de traduire son pessimisme face à cette nouvelle configuration dans la nouvelle Azanie.

L'étude des enjeux de l'écriture romanesque post-apartheid de J.M Coetzee et Nadine Gordimer qu'il est maintenant question d'amorcer, vise la vérification et le dépassement de mon hypothèse de départ ; à savoir que l'écriture romanesque post-apartheid de J.M Coetzee et de Nadine Gordimer restitue mal la véritable diversité culturelle en Afrique du Sud. Elle s'accommode ainsi mal avec celle d'André Brink ou de Zakes Mda, deux autres écrivains sud-africains.

De la confrontation que je fais entre Get a life et Elizabeth Costello, d'une part, de Ways of Dying de Mda et The other Side of Silence d'André Brink d'autre part, il ressort qu'au contraire de l'apparent antagonisme dans la démarche esthétique post-apartheid de J.M Coetzee et Nadine Gordimer, ces deux écrivains blancs sud-africains soutiennent des idéologies sinon identiques du moins conciliables. En effet, J.M Coetzee et Nadine Gordimer sont différemment favorables à la sujétion du Noir à un Blanc engagé dans l'aventure spirituelle du capitalisme dans le monde, pour emprunter cette image à Frantz Fanon157(*).

L'enjeu de ma confrontation entre quatre écrivains sud-africains, objet du premier chapitre de la deuxième partie de ma réflexion est, pour reprendre les termes de Stuart Hall à propos de la vocation des cultural studies, 

de permettre de comprendre ce qui se passe, et particulièrement de proposer des outils de pensée, des stratégies de survie et des moyens de résistance à tous ceux qui sont aujourd'hui, en termes économiques, politiques et culturels, exclus de ce que l'on peut appeler l'accès à la culture nationale de la communauté nationale158(*) .

En d'autres termes, il s'agit de mettre en évidence la manière dont l'écriture post-apartheid de Brink ou de Mda aide à localiser celle des deux prix Nobel sud-africains de littérature. Ce travail nous permettra d'examiner si J. M. Coetzee et Nadine Gordimer sont exclus de la culture nationale de leur pays et servent plutôt comme des agents d'une culture libérale excentrée.

En guise de dépassement de mon hypothèse, je m'interrogerai rétrospectivement sur la neutralité, la légitimité de l'institution Nobel ; son autonomie vis-à-vis de la tradition libérale. En d'autres termes, il s'agira de voir si le Nobel ne correspondrait pas à une institution au service de l'aliénation de l'écrivain, aliénation qui procède de ce que Walter Benjamin, traitant de l'impossible créativité chez Charles Baudelaire appelle « l'exploitation du producteur au nom d'un principe, la « créativité », principe selon lequel le poète est supposé avoir accouché par lui-même de son oeuvre tiré de son pure esprit »159(*).

La vérité n'est-elle pas peut-être qu'à défaut de créativité véritable, ce que Nick Visser appelle « radical narrative »160(*), le Nobel jette son dévolu, au moins en ce qui concerne l'Afrique du Sud, plutôt sur des écrivains talentueux en matière de diversification des modes d'articulation d'une vision du monde qui accorde peu d'importance à la diversité véritable, la poétique de la relation pour parler comme Édouard Glissant ? C'est du moins une hypothèse que je m'atèle à examiner dans la deuxième articulation de la présente partie de ma réflexion.

CHAPITRE III:

SIGNIFICATION DE GET A LIFE ET

D'ELIZABETH COSTELLO À LA LUMIÈRE DE THE OTHER SIDE OF SILENCE ET WAYS OF DYING

Lorsqu'Émile Benveniste fait observer « qu'il y a en fait beaucoup de manières de considérer (...) une oeuvre et qu'il n'y a pas qu'une manière de comprendre un auteur »161(*), il suggère comme critère de compétence chez le critique sa capacité à convoquer diverses approches d'analyse de l'écriture, à condition qu'elles soient pertinentes pour le texte à étudier. Aussi, m'appuierai-je, pour analyser The other side of silence et Ways of Dying, sur la conception de l'écriture d'après Gérard Genette dans Figures II :

Ce qui, écrit-il, définit pour nous l'écrivain, par opposition au scripteur ordinaire, celui que Barthes a nommé l'écrivan, c'est que l'écriture n'est pas pour lui un moyen d'expression, un véhicule, un instrument, mais le lieu même de sa pensée. Comme on l'a déjà dit bien souvent, l'écrivain est celui qui ne sait et ne peut penser que dans le silence et le secret de l'écriture, celui qui sait et éprouve à chaque instant que lorsqu'il écrit, ce n'est pas lui qui pense son langage, mais son langage qui le pense, et pense hors de lui162(*).

En d'autres termes l'écriture est le cadre d'inscription de la pensée de l'écrivain, la pensée de l'écrivain s'y insère de façon consciente ou inconsciente. Peu importe le mode d'insertion du sens, l'essentiel est que ce sens ou cette pensée y transparaisse. Jaap Lintvelt et Marcel Proust n'en disent d'ailleurs pas autre chose lorsqu'ils affirment que « le moi de l'écrivain ne se montre que dans ses livres »163(*).

Pour analyser The Other side of silence et Ways of Dying de façon à ne pas négliger autant l'aspect conscient qu'inconscient de l'insertion du sens dans ces romans, je m'inspire des deux modalités de sens selon Émile Benveniste que sont la sémiologie et la sémantique164(*). Il s'agit, comme l'aurait dit Nadine Gordimer de rendre définitive par une méthode appropriée l'appréhension par Zakes Mda et André Brink des forces existentielles165(*) de la période post-apartheid, question non seulement d'éclairer Get a life et Elizabeth Costello, mais surtout de mettre en évidence la compatibilité des préoccupations idéologiques et politiques de Get a life avec celles d'Elizabeth Costello. Pour cela, j'étudierai séparément The other side of silence et Ways of Dying. Le but est de démontrer pourquoi ces deux romans autorisent de les envisager comme romans de deux écrivains sud-africains à la redécouverte de l'ordinaire pour emprunter ce concept à Njabulo Ndebele166(*). En d'autres termes, il s'agit de démontrer en quoi Get a life et Elizabeth Costello sont en conflit avec le roman d'André Brink et de Zakes Mda. Alors que pour l'étude de The other side of silence l'examen du langage indirect semble pertinent, le vouloir du personnage et la perspective narrative paraissent plutôt appropriés dans le cas de Ways of Dying.

III-1- Le langage indirect dans The other side of silence

Chez Gérard Genette, le langage indirect est un outil de lecture du roman qui confirme ou démontre la justesse de la thèse d'Henri Mitterrand. Ce dernier en effet, s'inspirant à son tour d'Erich Auerbach167(*) fait savoir que :

sous le mouvement superficiel des intrigues, de l'histoire avec petit h, l'histoire vécue par des personnages, un autre mouvement a lieu, celui de l'histoire avec un grand H, un mouvement presque insensible, mais universel et incessant, de sorte que la substructure politique, économique et sociale apparaît à la fois comme stable et chargée d'intolérables tensions168(*).

Genette justifie la raison d'être du langage indirect tout en soulignant l'importance dans l'analyse littéraire par l'incapacité de toute autre forme de langage à restituer parfaitement la vérité. « Si le langage premier, écrit-il, était véridique, le langage second n'aurait pas lieu d'être. C'est le conflit du langage et de la vérité qui produit (...) le langage indirect ; et le langage indirect, par excellence, c'est l'écriture, c'est l'oeuvre »169(*).

En d'autres termes, c'est le langage indirect qui assure au roman son réalisme au sens de Bertold Brecht170(*). S'intéresser au langage indirect dans le roman, c'est tenter de déterminer la vérité insérée dans ce roman dans une perspective paradoxale, c'est-à-dire en sachant que la vérité y « a pour condition (...) pour lieu, le mensonge : habitant l'oeuvre, (...) non en tant qu'elle s'y montre, mais en tant qu'elle s'y cache »171(*).

Voilà qui nous situe de nouveau dans des orientations méthodologiques similaires à celles explorées dans le chapitre précédent où il s'est agi, de démontrer que les catégories théoriques retenues étaient « des agents de transmission de l'information » 172(*) comme l'aurait dit Philippe Hamon. Aussi, importe-t-il de préciser que pour des raisons de convenance, je m'appuie plus particulièrement sur le concept de non-narré développé par Gerald Prince dans Narrative as theme, pour examiner le langage indirect d'André Brink dans The other side of silence. Le non-narré, « the disnarrated » est une appellation plus pratique du langage indirect. Il a l'avantage, comme l'écrit Gérald Prince de guider le lecteur « by constituting a model that allows texts better to define themselves, to specify and emphasize the meanings they wish to communicate and to designate the values they develop and aspire to »173(*).

Par non-narré proprement dit, il faut entendre tous les événements qui n'ont pas lieu bien qu'ils auraient pu se produire, mais auxquels le récit fait hypothétiquement, négativement voire indirectement allusion174(*). Le détour par le non-narré est pertinent pour l'analyse de The other side of silence d'André Brink parce qu'il me permet d'examiner les traces de l'Afrique du Sud dans ce roman qui, de prime abord, semble entretenir un rapport de solidarité avec Elizabeth Costello de John Coetzee. Seulement, contrairement à Elizabeth Costello où l'Afrique du Sud est explicitement prise en charge par le récit, dans The other side of silence, ce pays à la particularité de sembler être exclu de l'objectif d'André Brink alors qu'au fond il représente, sinon la raison d'être du roman, du moins une préoccupation majeure de The other side of silence. L'examen des traces de l'Afrique du Sud dans The other side of silence175(*) me permettra de démontrer pourquoi et en quoi André Brink dans ce roman traite plus que jamais d'une Afrique du Sud où il souhaite continuer de vivre au contraire de J.M.Coetzee qui s'est exilé en Australie.

III-1-1- Les Traces de l'Afrique du Sud

Personnage de premier plan dans The other of silence, Hanna X est une jeune femme âgée entre 20 et 25 ans. Elle est une Allemande originaire de la ville de Bremen en Allemagne fédérale176(*). À l'âge scolaire, Hanna X se découvre la vocation d'entreprendre des pérégrinations aux destinations inverses à celles de son enseignante de Géographie Fräulein Brauenschweig. Pour Hanna X, en effet, Fräulein Brauenschweig représente un modèle, une personne bien qui sait la comprendre contrairement à la majorité de ses encadreurs. Brauenschweig a d'ailleurs influencé Hanna X au point de provoquer le déclic de la curiosité chez son élève. S'émerveillant de ce que son professeur Fräulein Brauenschweig ait assez voyagé dans l'Allemagne et l'Europe de l'est (OS : 62) l'enthousiasme d'Hanna X pour les découvertes s'aiguise et lui fait penser :

When I grow up I want to travel too (...) I'll go right round the world. I want to see everything (...) all these places with the singing names (...) Cordoba. Carcassonne. Tromso. Novgorod. The Great Wall of China. The Bosporus. Tasmania. Saskatchewan. Arequipa. Thierra Del Fuego. Sierra Leone. Yaoundé. Okahandja. Omaruru. I want to go where the birds go in winter. To the warm places of the earth. The far side of the wind. Where there is sun, and strange animals, and cannibals, and dragons, and palm trees. (OS : 62)

Suite à de répétitives tracasseries dans l'orphelinat qui l'avait recueillie, Hanna X ne manque pas de saisir l'opportunité de la déportation dans la Frauenstein, une institution chargée de gérer des femmes considérées ennuyeuses en Allemagne. Cette institution est basée dans une colonie allemande ; le sud-ouest africain encore appelée la Namibie. En Allemagne, les tracas d'Hanna X s'expliquent par la conjugaison de la cruauté et de l'avidité sexuelle autant des animateurs de l'orphelinat, the Little children of Jesus, à l'instar de Pasteur Ulrich qui a tenté par plusieurs reprises de la violer, que des employeurs de fortune que lui trouvent spontanément le même orphelinat.

À la question de savoir si Hanna X est réellement certaine de comprendre les enjeux de son choix d'aller en Afrique, elle répond à la responsable en chef de l'orphelinat : « It is not Germany I want to get away from. Frau Sprandel. It is Africa I want to go to » (OS: 134)

Hanna X est aussitôt embarquée dans une aventure au cours de laquelle les motivations sécrètes de sa décision seront en conflit perpétuel avec la stigmatisation dont souffre toute femme en déportation ou déportée par le gouvernement allemand chargé des colonies pour le sud-ouest-Africain. En effet, pour le gouvernement allemand chargé des colonies, les femmes blanches en déportation ou déportées par bateau puis par train à destination de la Namibie, puis dans le cas d'Hanna X pour la Frauenstein, y vont toutes soit « for the support or delectation of its (Allemagne) menfolk » (OS: 11), soit pour permettre aux agents coloniaux allemands d'assouvir leurs besoins biologiques de procréation ou pour leur permettre de satisfaire ce qu'André Brink appelle « an uncomplicated fuck » (OS: 5)

La raison de cette chosification absolue des femmes blanches ou de leur réduction arbitraire à la sexualité est que, l'Allemagne étant en plein dans la colonisation, les femmes indésirables, répudiées ou en chômage là-bas, se rendraient au moins utiles à l'Allemagne dans le Sud-Ouest-Africain :

Not all the women were flotsam from the fatherland washed up in search of employment or matrimony. But they had in common the fact that they were all rejects of society, whether through widowhood, indigence, moral turpitude or disability of one kind or another, and that no one else could or would be burdened with the care of them. (OS : 12)

Il est difficile de ne pas observer à ce niveau comment André Brink se sert d'Hanna X pour mettre une sorte d'épine dans la botte de l'homme blanc en général, allemand en particulier. André Brink relativise en effet la vision globalisante ou généralisante du gouvernement allemand dans sa fiction au sujet des femmes pour qui, toute femme n'est utile qu'à cause de son sexe. André Brink fragilise cette vision en la restituant dans ses faiblesses et ses absurdités que seule Hanna X permet de percevoir. C'est là peut-être une des raisons de l'exhumation d'Hanna X de ses cendres comme le fait le narrateur. Car il ne faut pas l'oublier, le narrateur a inventé Hanna X après avoir constaté le mutisme dont elle fut l'objet en Allemagne, lorsqu'un siècle après la vie réelle d'Hanna X, il y est allé pour investiguer sur ce personnage important pour lui/elle :

When nearly a century later I went to Bremen myself in a last-ditch attempt to return to sources, it only too predictably brought me up against the blank of the War. Almost nothing had survived that destruction: no records, no registers, no letters; and it was too late for the memories of survivors. I had no date of birth, no names of parents, to go by (...) Here was, has been, no Hanna X. or, perhaps, too many. Total zerstört (...) For reasons too dark to unravel, that moment when Hanna X's life breaks into story comes (...) in the lugubrious building of Frauenstein... (OS : 6-8)

En effet, Hanna X est d'un bord radicalement contraire à celui du patriarcat que le gouvernement soutient. Elle rappelle au patriarcat que la femme ne se résume pas simplement au sexe, elle a droit de disposer d'elle-même, de rêver de son avenir ou de l'avenir de la Nation comme le récit de Jeanne D'arc177(*), qui suscite l'émulation d'Hanna X, le révèle à suffisance. La femme a, c'est encore ce qu'Hanna X aide à comprendre, droit d'être considérée comme citoyenne au sens de D. F. Thompson178(*).

Aussi intéressante que soit l'importance d'Hanna X aux yeux du narrateur de The other side of silence, elle ne dit point en quoi ce roman traite de l'Afrique du Sud, et surtout d'une façon contraire à J.M. Coetzee dans Elizabeth Costello. Dans The other side of silence, deux éléments textuels orientent subtilement le lecteur vers la conclusion que le roman est véritablement centré sur l'Afrique du Sud. Il s'agit de la nationalité d'Hanna X et surtout de la localisation spatiale de l'institution à partir de laquelle l'essentiel de l'histoire a lieu dans le roman : la Frauenstein.

La nationalité du personnage central fait songer à un fait historique réel en rapport avec la Namibie, pays voisin de l'Afrique du Sud. En effet, l'Allemagne a réellement colonisé la Namibie. Quelques faits de cette colonisation sont d'ailleurs romancés par l'écrivain allemand Uwe Timm dans son roman intitulé Morenga179(*) qu'André Brink semble n'avoir pas ignoré lors de la rédaction de The other side of silence. Or, la Namibie reste un lieu de transit à destination de la Frauenstein pour les déportées au nombre desquelles Hanna X.

Par ailleurs, l'Allemagne a été effectivement présente en Afrique du Sud à travers des contingents de migrants qui « entre 1848 et 1858 s'installent en Afrique du Sud, du côté d'East London »180(*) ainsi que l'écrit Georges Lory dans son ouvrage intitulé L'Afrique du Sud. Ces migrants ont fait suite, après la compagnie commandée par Jan Van Riebeck, aux Hugenots, suivis à leur tour par des contingents anglais qui perçurent tous l'Afrique du Sud comme une terre d'accueil181(*).

Confrontés à The other side of silence, on peut dire de ces faits historiques qu'André Brink s'efforce à les restituer artistiquement au moyen de l'itinéraire d'Hanna X et de ses désirs. Dans le roman en effet, la Namibie, mais surtout sa capitale Windhoek sert d'escale à la déportation d'Hanna X. Le désir d'aller en milieu tropical ou en Afrique chez Hanna X n'est pas sans rappeler l'intension qui justifia la migration d'Allemands vers l'Afrique du Sud.

Voilà qui n'autorise pas déjà, comme c'était le cas avec Elizabeth Costello de J. M. Coetzee, de déduire d'une quelconque excentricité chez André Brink par rapport à l'Afrique du Sud. En effet, on le voit, au contraire de J. M. Coetzee, en période post-apartheid, André Brink se révèle plus que jamais préoccupé par le passé et le présent de son pays. Brink pense d'ailleurs non pas devoir condamner ou ignorer ces passé et présent, mais les assumer. C'est du moins une thèse dont il est question d'examiner le mode d'insertion dans The other side of silence partant de la particularité de la Frauenstein dans ce roman.

La Frauenstein occupe une place centrale dans le roman d'André Brink. Quasiment plus de la moitié de l'ensemble des événements relatés dans ce roman ont par exemple pour toile de fond la Frauenstein. En outre, c'est à partir de cette institution qu'Hanna X prend la résolution irréversible de briser les chaînes de la dépendance qui l'empêchaient d'affronter le patriarcat et de défendre son autonomie. Même si, à la fin du roman on voit Hanna X à Windhoek où elle se venge de Hauptmann Böhlke, il reste que la Frauenstein sert de fondation solide à l'émancipation d'Hanna X. Hauptmann Böhlke est en effet ce cruel homme d'arme qui, après avoir violé Hanna X, introduisit son sexe en érection dans la bouche d'Hanna X (OS : 146) en faisant savoir à sa victime que : « When I fuck a woman (...) She stays fucked » (OS : 145)

La localisation géographique de la Frauenstein permet aussi d'envisager cette institution comme une espèce de masque dont se sert André Brink pour suggérer la centralité de son roman sur l'Afrique du Sud. Pour se faire une idée de la localisation de la Frauenstein, il importe de convoquer le narrateur intra-diégétique de The Other Side of Silence :

Frauenstein exists, (...) not on the Rhine or in Bavaria but in the African desert (...) Upon the arrival of a female shipment in the bay of Swakopmund, after a journey of thirty days along the west coast of Africa (...) Then followed the four-day train journey to Windhoek, a seething and brawling sleepless rage in which women were tried out and passed on and exchanged or reclaimed among battling suitors (...) the ultimately rejected, found unworthy by even the most disreputable of men were candidates for Frauenstein (...) in to the interminable silence of the desert. (OS : 11-12)

En d'autres termes, pour atteindre la Frauenstein en provenance de l'Allemagne, on traverse Windhoek, la capitale de la Namibie à destination du désert qui sert de macrocosme sur lequel est érigé la Frauenstein dans la diégèse de The other side of silence.

Dans la réalité, le désert qui s'étend après Windhoek est localisé au sud de la Namibie et il s'appelle le désert du Kalahari. C'est un espace naturel charnière entre la Namibie, le Botswana et l'Afrique du Sud. Comparée à la Namibie et le Botswana, l'Afrique du Sud a la particularité de bénéficier de l'espace moyen de couverture par le désert du Kalahari. Le Botswana est le pays voisin de l'Afrique du Sud le plus couvert et la Namibie le voisin le moins couvert par le désert.

Il est difficile de ne pas voir la transparence de l'Afrique du Sud au moins géographiquement dans le volume textuel qui est produit dans The other side of silence à partir de la Frauenstein, la Namibie et les autres espaces entourés par le désert qui abritent les événements. En effet, le roman est divisé en deux parties. Toute la première partie est relatée du point de vue de la Frauenstein avec une multiplication importante de flash-back ayant pour fin de fixer le lecteur sur comment Hanna X est humiliée, chosifiée et réduite au silence avant son arrivée à la Frauenstein. La deuxième partie est racontée certes à partir du désert, mais hors de la Frauenstein. Il y est question de l'itinéraire de « l'armée de vas-nus-pieds »182(*), les combattants pour la liberté, armée fondée par Hanna X à destination de Windhoek. Les escales de ce bataillon d'Hanna X sont respectivement « The Rheinish mission » (OS : 173) où l'ancien esclave Kahapa se venge de son ancien Maître et bourreau Albert Grubert et « The fort » commandé par le capitaine Weiss (OS : 234), fort que la bande à Hanna X prend d'assaut avant d'éliminer ses 24 soldats (OS : 235). Le roman s'achève à Windhoek (Namibie) où Hanna X humilie publiquement son ancien bourreau Hauptmann Böhlke après avoir renoncé à éliminer ce partisan du patriarcat ainsi que nous l'apprend le narrateur :

No. No, she will not kill him. It is no longer necessary. It not worth it. Killing him cannot undo the world that has made him possible. She need not stoop to that. It is too simple. And there has been blood enough. All she needs is to make sure the world will take note... (OS : 306).

Alors que les deux escales du bataillon d'Hanna X après la Frauenstein peuvent avoir eu lieu sinon en Afrique du Sud, du moins au Mozambique, celui de la Frauenstein, au regard autant de l'importance de cette station dans tout le récit que de la nationalité d'André Brink, a certainement lieu en Afrique du Sud. Ce d'autant que Brink choisit de ne pas voiler l'escale de la Namibie en restituant la dénomination de la capitale de ce pays telle qu'elle : Windhoek. Le moins qu'on puisse dire c'est que The other side of silence est focalisé sur le Sud du continent africain traversé par le désert du Kalahari. Peut-être vaut-il mieux de s'essayer à la schématisation de l'itinéraire diégétique d'Hanna X dans ses rapports avec la réalité afin de mettre aisément en évidence comment cet itinéraire recoupe la réalité de manière à permettre d'envisager la virtualité de l'Afrique du Sud au-delà de cette institution aux contours déterminants pour l'ensemble du roman : La Frauenstein.

Schéma 1 : Itinéraire d'Hanna X sur la base de la carte géographique du sud du continent africain

LÉGENDE

Itinéraire d'Hanna X

Afrique du Sud

Désert du KALAHARI

Localisation certaine de la Frauenstein Localisation possible de la Rheinish

Mission

N Kaokoveld, lieu de naissance de Kahapa

Europe

Bremen

Allemagne

Bay of Swarkopmund

Windhoek

Namibie

Botswana

Lesotho

Swaziland

Pretoria

Bloemfontein

Le Cap

Madagascar

+

N

Le récit fait savoir que le Kaokoveld où est né Kahapa se localise plus au nord de la Rheinish mission, premier lieu d'escale de l'armée d'Hanna X en parturition avec son départ volontaire de la Frauenstein, suivie à cet effet par la jeune Katja (OS : 203). Cette information conforte la place de la Frauenstein au sud de la Rheinish mission telle qu'elle apparaît dans le schéma ci-dessus, rendant évidente la localisation de la Frauenstein en Afrique du Sud. Il apparaît ainsi avec Philippe Hamon que « ce n'est jamais, en effet, le « réel » que l'on atteint dans un texte, mais une rationalisation, une textualisation du réel, une reconstruction a postériori encodée dans et par le texte »183(*).

Maintenant qu'il est clair que The other side of silence est centré sur l'Afrique du Sud, il convient d'examiner les figures du discours que Brink propose sur ce pays dans son roman. Le détour par cet examen aiderait sinon à préciser en quoi les idéaux d'André Brink s'écartent de ceux de J. M. Coetzee en période post-apartheid, du moins à multiplier des lieux de démarcation entre ces deux écrivains blancs sud-africains.

III-1-2- Les figures du discours de Brink sur l'Afrique du Sud

Olivier Reboul définit la figure comme « un procédé de style permettant de s'exprimer d'une façon à la fois libre et codifiée »184(*). Fontanier pense pour sa part que :

Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d'un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l'expression des idées, des pensées ou des sentiments, s'éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l'expression simple et commune185(*).

Ces conceptions des figures de Reboul et de Fontanier, bien qu'importantes en ce qu'elles suggèrent l'aspect stylistico-rhétorique des discours en général, semblent cependant inopérante pour l'examen du fond ou du sens des discours. C'est la raison pour laquelle les figures dont il s'agit ici se rapportent à la configuration ou au portrait dans le contexte de la peinture. Autrement dit, examiner les figures du discours d'André Brink sur l'Afrique du Sud dans The other side of silence revient à déterminer quelques entrées ou thèmes dont la conjugaison permettrait de reconstituer la pensée ou les sentiments d'André Brink vis-à-vis de son pays. Au nombre de ces figures, je me limiterai à la quête de la liberté, au féminisme et à la diversité.

III-1-2-1- La quête de la liberté

En divers points, The other side of silence s'affirme comme roman de la quête de la liberté. L'un de ces aspects est le fait que ce roman est le cadre de la résurrection symbolique d'Hanna X comme cela a été élucidé précédemment.

En ressuscitant Hanna X de son oubli, le narrateur et, partant, l'auteur choisissent d'évoluer sur une voie où ils se considèrent comme des pionniers, ce d'autant qu'Hanna X est simplement donnée pour morte par le discours officiel tenu par le gouvernement allemand dans la diégèse. Par cette approche esthétique, Brink défie l'ensemble de la société potentiellement capable de tenir ou qui tient des discours semblables à celui sur Hanna X dans le roman.

Le discours officiel sur Hanna X est un discours exhibitionniste à la manière du discours que Njabulo Ndebele combat dans son essai intitulé Rediscovery of the Ordinary. Un discours préoccupé à écarter ou à ignorer toute personne ayant pu faire la tête ou ayant pu résister d'une façon ou d'une autre au pouvoir phallocratique en place. Puisque Hanna X a réussi à éliminer Colonel von Blixen, un puissant membre du pouvoir colonial en place, elle mérite d'être considérée comme anti-modèle dans le discours officiel (OS : 6). D'où l'amnésie dans laquelle elle a été réduite jusqu'au moment où Brink, au moyen de son narrateur décide de l'exhumer de ses décombres.

André Brink est également préoccupé par la liberté de la femme. Il ne s'agit plus que la femme continue à subir passivement des mutilations diverses. Il s'agit qu'elle apprenne à dire non ou à opposer une résistance farouche à son infantilisation ou à son invisibilisation par l'homme. C'est à Katja qu'Hanna X explique les enjeux de la démarche dont elle n'est que la porte voix d'André Brink :

Why do you keep on talking about revenge, Katja? It is not just revenge. That too of course (...) But it's so much more. You must believe me. You've seen for yourself, in Frauenstein, and even here in this place, how many have been maimed. Not necessarily in the same way, not always so visible, but all of us harmed. Scarred. And for as long as we bear it in silence it will go on. There comes a time when one has got to say No. someone has to stop it. And the world must know about it, they must learn what has been done to us, they must know our names. (OS : 200)

Bien que ces propos puissent aussi parfaitement s'appliquer aux ex-colonisés qui font partie de l'armée d'Hanna X, il ne fait aucun doute qu'ils sont ceux d'une femme décidée à se prendre en charge et à se rendre visible à partir des critères qu'elle s'est choisie de façon autonome. Rien donc d'étonnant que The other side of silence se perçoive comme roman féministe.

III-1-2-2- Le féminisme

Il est difficile de ne pas remarquer qu'avec The other side of silence, André Brink se dévoue résolument à la cause féminine. On note par exemple au titre des énoncés d'escorte que le roman est dédié à Eva, visiblement, l'épouse d'André Brink :

To Eva who over the years has provided friendship, comfort, care, support, advice, help, insight, a place to rest, a view on the lake, a car to the Rigi, asparagns in many forms, breakfast at dawn, lunch on the terrace , items of clothing, and abundant love186(*).

En dédiant son roman à Eva, André Brink place d'entrée de jeu ce roman sous le signe du refus de toutes sortes d'injustices que la société patriarcale fait subir aux femmes. André Brink s'oppose en effet aux personnages comme Pastor Ulrich, von Blixen, Hauptmann Böhlke ou toute l'administration coloniale, qui pensent à tort qu'Hanna X, comme beaucoup d'autres femmes « are the other not because they lack penises but because they lack power »187(*) ainsi que l'aurait dit Simone De Beauvoir. Eva, sous la plume d'André Brink est tout, sauf impuissante. C'est pourquoi Brink pense qu'elle mérite d'être remerciée. Tandis qu'autant l'administration coloniale que les institutions religieuses, tel que c'est le cas avec The little children of Jesus, se représentent les femmes comme des objets dont l'homme devrait jouir à son gré au point de les transporter comme de simple marchandises « for the support or delectation of its menfolk » (OS : 11), André Brink rend plutôt hommage à Eva pour sa sollicitude autant morale, matérielle que psychologique à son égard.

André Brink propose, partant de l'hommage rendu à Eva, une société autre que celle existante et qui soit expurgée de solipsisme. Il s'agit d'une société où l'homme et la femme devraient se reconnaître complémentaires et combattre tous deux les préjugés nourris par le masochisme, même si Jean Paul Sartre voit en ce masochisme la conséquence essentielle de l'amour entre homme et femme188(*). André Brink rejoint par cela les théoriciens du féminisme existentialiste pour qui « woman, like man, is a subject rather than an object; she is no more Being-in-Itself than man is. She, like man, is Being-for-Itself, and it is high time for man to recognize this fact »189(*).

Pour suggérer la nécessité chez l'homme de prendre conscience de l'émancipation féminine, André Brink s'appuie sur Hanna X, personnage central du roman, engagée irréversiblement dans la voie de sa visibilité. Hanna X est d'autant engagée qu'elle ne pense pas à se limiter seulement à l'environnement de la Frauenstein, au contraire, son combat est à la dimension de l'humanité ainsi qu'elle l'explique à sa compagne Katja :

Look at this desert, with its stones and its little bushes and its silence. It does not need me; it will be here long after I have gone. But I don't want it to forget about me. I was here. You are here. I want this place to know about us. That is why we're going to Windhoek, don't you understand? And we must take with us all the others who have suffered and who have also forgotten the need to say No (...) so you see, it is not just one man we are looking for (...) our hunt is on now. To find everybody who has joined forces with that man. Everybody who has made him possible. (OS : 200)

Le type de féminisme que Hanna X déploie n'a pas une évolution constante. Au départ, Hanna X promeut le féminisme radical. Pour ce modèle, la libération de la femme passerait exclusivement par élimination de l'homme partisan du patriarcat190(*). C'est le cas dans The other side of silence lorsque Hanna X assassine le Colonel von Blixen au moyen d'un gourdin. Ce dernier a, en effet, essayé d'arracher à la jeune Katja sa virginité pendant leur séjour à la Frauenstein (OS : 36). C'est encore le cas lorsqu'Hanna X aide Kahapa à venir au bout d'Albert Grubert en logeant dans la tête de ce dernier une balle fatale (OS : 157). Albert Grubert avait, en effet, violé l'épouse de Kahapa, son esclave, lors de sa détention arbitraire.

L'orientation féministe d'Hanna X se distancie progressivement du féminisme radical avec le concours de Katja. Lorsque Hanna X ordonne à Katja d'éliminer le sergent Werner (OS : 246), Katja choisit cette occasion pour faire l'amour avec sa proie avant de l'exécuter. « The first part was for me, the second for you » (OS : 258) explique-t-elle à Hanna X qui ne comprend pas pourquoi Katja a passé plus de temps que prévu pour mettre à exécution son forfait.

Par cette philosophie qui frise le délire, Katja aide Hanna X à relativiser son radicalisme du départ. Hanna X comprend aussi que même si l'homme a été l'oppresseur de la femme, lutter pour la libération de la femme est absurde si cette libération suppose l'élimination de l'homme avec lequel elle est naturellement programmée à vivre. Peut-être que la femme gagnerait à s'investir dans la dérivation ou la remise en question des acquis culturels qui prédisposent l'homme à la chosifier ou à l'humilier. Ainsi parviendrait-elle sans doute à stopper ce que Bourdieu appelle la domination masculine191(*). Cela passe par un requestionnement tous azimuts de la société dans ses acquis et ses codes culturels.

Cette démarche exige chez la femme une vigilance constante et une connaissance solide du passé qui a permis la réalisation de la civilisation pâtriarcale. Hanna X progresse donc du féminisme radical au féminisme déconstructiviste pour lequel « women should stay vigilant »192(*).

Elles devraient rester vigilantes afin d'éviter de produire une culture fondamentale identique ou plus perverse, mais sexuellement différente, que celle du patriarcat qu'elles entendent combattre. C'est là un défi qu'il revient aux femmes de réaliser. André Brink ne fait pas croire à un défi facile à réaliser puisque Hanna X, au regard du nombre d'hommes tombés sous sa main, n'y parvient quasiment pas. Néanmoins, les enjeux de paix sociale, de justice et d'amour consécutifs à une telle démarche féministe sont perceptibles et devraient plutôt motiver à s'y essayer ainsi que Hanna X le fait en laissant la vie sauve à son ancien violeur à la fin du roman.

III-1-2-3- La diversité

La diversité apparaît dans The other side of silence comme une préoccupation assez élaborée. Elle se rapporte en effet autant à la race, aux genres, à l'idéologie qu'à la culture. La diversité est raciale et sexuée parce que Hanna X ne se borne pas seulement, dans la quête de sa visibilité, à elle seule. Elle contribue sinon à galvaniser, du moins à faire germer autant chez d'autres femmes opprimées que chez des esclaves noirs la conscience de soi. Par cette démarche, Hanna X emprunte une orientation contraire à celle qui a contribué et continue d'ailleurs à créer l'occident et l'orient pour reprendre l'expression d'Edward Said193(*). Elle exclut dans sa démarche ce qu'Abdul Jan Mohamed appelle « The fetishishizing strategy »194(*) qui procède par le déploiement d' « une prodigieuse machinerie destinée à exclure »195(*) des catégories de personnes de la quête de soi. Hanna X entend plutôt inclure autant de personnes que possible qui subissent diverses formes d'oppression.

En réalité, Hanna X n'a jamais lutté pour commander l'armée dont elle est simplement devenue la cheftaine. On peut dire qu'elle devient leader par contagion. Elle contamine en effet les autres membres qui la font jouer le rôle de pivot du groupe.

La première à être contaminée par le désir de résistance au masochisme ou au racisme est Katja. Ladite contamination a lieu après l'immolation du Colonel von Blixen. Alors qu'Hanna X se résout à s'évader de la Frauenstein, Katja lui fait savoir qu'elle ne peut supporter de rester toute seule dans cet univers carcéral hostile : « You're not going without me. You can't leave me here... I cannot stay in this place. After what has happened... Please. I need you. I won't let you go » (OS: 154) C'est de cette manière que Katja lie son destin avec celui d'Hanna X.

Au regard de l'adolescence de Katja, elle peut être représentative des enfants ou des adolescents qui ne sont pas toujours épargnés des injustices ou des violences perpétuées sur leurs personnes par leurs aînés.

Le deuxième type de personne à se joindre au combat d'Hanna X est le noir Kahapa. Né dans le kaokoveld (OS : 203), Kahapa a été engagé par le Baas Albert Gruber comme esclave. Ne supportant pas que Albert Gruber lui prenne son épouse, Kahapa affronte son Maître dans un duel à l'issu duquel il est cruellement mutilé et abandonné aux vautours dans le désert. C'est dans cet état qu'Hanna X et Katja font sa rencontre, quelques heures de marche après leur évasion de la Frauenstein :

Yes, it is a man. Or was once. Before he was tied down, on his back, over an anthill, outstretched arms and legs fastened to stakes driven into the ground. The front of his body, from neck to knees, is black with dried blood through which a criss-cross pattern of stripes can be discerned. His sex has been mutilated, the testicles cut off. A cloud of flies rises in an angry buzz as they approach. (OS : 157)

Aussitôt, Katja et Hanna X aident Kahapa à recouvrer sa santé. Après cela, il se venge de son bourreau duquel Hanna X l'aide à venir à bout. Suite à cette double sollicitude d'Hanna X à son égard, Kahapa prend la décision de faire équipe avec Hanna X : « You do this for me... Two times you save my life... Now we go find your man ». (OS : 170)

Comme on le voit, Hanna X n'aide finalement que les opprimés à s'émanciper et à lutter pour leur cause dans la vie. Aussi, la diversité qui se reflète d'une telle démarche est centrifuge et rebelle à toute sorte de compartimentation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, le groupe qui naît autour d'Hanna X s'étend continuellement jusqu'à intégrer davantage de Noirs, de Noires (OS : 206, 205, 229...) et la blanche Gisela (OS : 216).

Le modèle de diversité que Brink soutient dans The other side of silence s'accommode mal avec celui que Nadine Gordimer propose dans Get a life au moyen de la relation entre les amis de la nature que sont Paul Bannerman, Derek et Thapelo. Tandis que chez Gordimer, la diversité dévoile une méthode subtilement disposée par les dominants et qui consiste à exclure les dominés tout en faisant croire aux derniers qu'ils sont égaux aux premiers, chez Brink, la diversité repose, à la base sur la quête de liberté assumée.

Autrement dit, ce n'est pas parce que Blancs et Noirs cohabitent, collaborent ou jouent les rôles professionnels quasiment semblables comme le sont Paul Bannerman, Derek et Thapelo dans Get a life, qu'il y a nécessairement diversité. À l'inverse, ce n'est pas parce que les Noirs sont noirs que tous sont porteurs de la même identité. Si oui, Kahapa et Himba ne mépriseraient pas Lucas et David, deux esclaves noirs soumis qui acceptent bon enfant le statut de subalterne que le maître leur réserve. Kahapa et Himba exposent leur dédain vis-à-vis de David et Lucas de la manière suivante : « They don't even have their Nama names any more... they're Lukas and David now. That's white names. They go over to the other side » (OS: 228)

C'est dire que Kahapa et Himba n'ignorent pas que « la culture dominante mène une lutte continue et nécessairement inégale pour désorganiser et réorganiser la culture [des idiots culturels196(*)], pour réduire et confiner ses définitions et ses formes à une large palette de formes dominantes»197(*). En méprisant ces deux autres Noirs comme eux, Kahapa et Himba refusent l'identité de la sujétion et de la dépendance vis-à-vis de la culture dominante. Ils affirment plutôt leur appartenance à la culture de ceux que Stuart Hall appelle les « idiots culturels » en faisant allusion au regard que les capitalistes jettent sur le populaire, c'est-à-dire, l'ensemble des opprimés. Kahapa et Himba, précédés par Hanna X tentent par leurs choix de construire « a new civilisation »198(*) tout en sachant que cette civilisation nouvelle ne saurait réellement prendre son envol « without the payment of disciplined and rigorous attention to detail »199(*). « Not all white are the same » (OS: 191), rappelle pertinemment Katja à Kahapa pour attirer son attention sur l'importance du détail, confirmant par le même coup la conformité des préoccupations éthiques d'André Brink avec celles de Njabulo Ndebele200(*).

En tout état de cause, l'intrigue, mieux, le sens de The other side of silence se déclenche à partir de la Frauenstein dont l'interchangeabilité avec l'Afrique du Sud a déjà été mise en évidence. C'est sans doute une manière pour Brink de montrer l'importance du travail à abattre en Afrique du Sud si l'on veut stopper les injustices diverses dont la recrudescence malgré la venue de la Nation Arc-en-ciel est désormais un secret de polichinelle. Pour André Brink en effet, l'Afrique du Sud reste fortement hostile aux femmes et aux Noirs malgré la prise en main des affaires par les Noirs en général, l'ANC en particulier.

Seulement, que Hanna X s'engage à lutter pour l'environnement socio-politico-culturel dans The other side of silence traduit l'espoir que Brink porte pour l'éclosion d'une nouvelle et véritable Nation Arc-en-ciel en Afrique du Sud. C'est pourquoi l'écriture romanesque d'André Brink est différente de celle de J.M. Coetzee qui a perdu l'envie de continuer de vivre en Afrique du Sud, voire d'assumer sa sud-africanité. Au contraire d'André Brink, J. M. Coetzee redoute, comme on l'a vu, la nouvelle configuration politique sud-africaine et refuse de la regarder en face dans le but de l'améliorer. André Brink vise pourtant des idéaux qui se rapprochent de ceux de Zake Mda. C'est à ce titre qu'il convient de se pencher maintenant sur Ways of Dying qui permettrait plus que The other side of silence d'éclairer Get a life de Nadine Gordimer.

III-2- Perspective narrative et vouloir du personnage dans Ways of Dying

L'analyse de l'écriture romanesque interpelle le critique dans divers lieux de la création esthétique. C'est la raison pour laquelle je m'intéresse dans cette partie de ma réflexion à la perspective narrative et au vouloir du personnage central de Ways of dying. L'étude de ces deux autres catégories constitutives de l'écriture romanesque me semblent pertinente pour dégager l'Histoire (avec grand H) qui a lieu sous le mouvement superficiel de l'histoire , celle vécue par les personnages , comme le dit Henri Mitterand201(*) . Cette analyse permet sinon de mettre en évidence la conjonction des préoccupations esthético- politiques de Mda et d'André Brink , du moins d'apporter un éclaircissement déterminant sur le sens de Get a life de Nadine Gordimer. C'est tout au moins parce que l'éclaircissement en question scelle les coïncidences esthétique, politique et idéologique entre Get a life de Nadine Gordimer et Elizabeth Costello de John Coetzee que la perspective narrative et le vouloir de Toloki méritent d'être étudiés ensemble.

III-2-1-Le vouloir de Toloki

Philippe Hamon estime que le vouloir du personnage est une modalité essentielle dans l'analyse du roman. Il écrit à cet effet :

Dans l'univers anthropomorphe du roman qui organise la confusion personne-personnage, le vouloir instaure le personnage comme actant-sujet et déclenche le processus narratif. Il transforme n'importe quel acteur, à n'importe quel moment du récit, en un sujet virtuel doté d'un programme local ou global et en relation déjà finalisée avec un objet auquel il attribue une valeur soit positive (il désire l'objet) ,soit négative (il désire l'éviter). Cet objet peut lui-même , être soit un objet concret(vouloir une maison ,vouloir un enfant...) ,soit un état ( vouloir être heureux...) , soit une modalité (vouloir le pouvoir , désirer un savoir) etc. et ce vouloir-faire peut être inné ou acquis202(*).

Autrement dit, le vouloir du personnage s'appréhende à partir de deux principaux axes : l'axe du processus narratif linéaire et l'axe sémiologique le long duquel la pensée de l'auteur sur la société  « s'y montre en tant qu'elle s'y cache »203(*). Aussi commencerai-je par exposer l'essentiel des faits narrés dans Ways of Dying204(*) pour terminer par l'examen de la pensée de Zakes Mda telle qu'elle se dégage du vouloir de Toloki.

Toloki est un jeune sud- africain noir qui, suite à une carence affective de la part de son père Jwara, décide de quitter le village où il est né pour s'installer, à 18 ans, dans l'un des multiples townships qui continuent de peupler les villes sud-africaines. L'école primaire ne lui ayant pas apporté grand-chose sinon le développement de ses talents de chanteur (WD : 43), Toloki, au regard des multiples décès au sein de la communauté noire en Afrique du Sud, se métamorphose en ce qu'il appelle « a professional Mourner » (WD: 133), un pleureur professionnel. Il entend ainsi gagner sa vie et échapper à la mendicité en ville. Avant d'exercer comme pleureur professionnel, Toloki a connu, l'espace d'un éclair, un temps de prospérité, en tant que commerçant ambulant de denrées alimentaires. C'est suite au cambriollage de sa carriole de viande cuite et surtout de son humiliante aventure avec le menuisier Nefolvhodwe que Toloki n'a pas d'autre choix que de devenir un pleureur professionnel. Issu du même village que Toloki, et ancien ami du père de Toloki, Nefolvhodwe a connu une ascension sociale fulgurante avec son établissement en ville. Le secret de cette ascension sociale réside dans des cercueils très courus que Nefolvhodwe sait seul confectionner :

In the city, Nefolvhodwe soon established himself as the best coffin maker. Like everyone else, when he first arrived, he lived in one of the squatter camps. Unlike the village, death was plentyful in the city. Every day there was a line of people wanting to buy his coffins. Then he moved to a township house. Although there was always a long waiting list for township houses, he was able to get one immediately because he had plenty of money to bribe the officials. The township house soon become too small for his needs, and for his expanding frame. He bought a house in one of the very up-market suburbs. People of his complexion were not allowed to buy houses in the suburbs in those days. He used a white man, whom he had employed as his marketing manager, to buy the house on his behalf (WD: 125)

Dépourvu de son chariot de commerce, Toloki demande à être soutenu par Nefolovhodwe. Ce dernier suggère à Toloki de garder les cimetières afin de lui reporter les auteurs des déterrements illicites de ses cercueils, lesquels déterrements affectent ses gains journaliers. Lors d'un de ces gardiennages, Toloki est sauvagement battu par les trafiquants véreux de cercueil qu'il ne parviendra jamais à identifier (WD: 132). Toloki prend dès lors sa liberté en main, et s'écarte de la vie de Nefolovhodwe pour exercer dorénavant comme « professional mourner ».

Chez Noria, une jeune femme noire et soeur de même village que Toloki avec laquelle ce dernier a grandi, Toloki retrouve sa propre réplique. C'est ainsi qu'à sa demande, Toloki déménage de son squatter pour partager le domicile de fortune de Noria dans un Township.

Dans l'intrigue de Ways of Dying, Zakes Mda expose deux postures de société en conflit : celle dont Nefolovhodwe est le principal représentant et celle que Toloki cherche activement à forger. Le vouloir de Toloki se pose en s'opposant absolument au type de société dont Nefolovhodwe n'est qu'un porte-voix. Le monde de Nefolovhodwe fait penser à la classe des Noirs sud-africains qui ont connu une ascension sociale soudaine avec la fin officielle de l'Apartheid. Peu nombreux au sein de la majorité des Noirs en Afrique du Sud, c'est une minorité qui, comme Nefolovhodwe, s'est contentée de s'enrichir au point de finir par ignorer les problèmes réels que sont le logement, la nutrition, l'emploi, l'urbanisation auxquels la majorité des Noirs et, partant, toute l'Afrique du Sud fait face. Nefolovhodwe s'est tellement dépersonnalisé à l'avantage de la culture dominante « au point d'adopter son costume, sa cuisine, souvent sa religion et parfois même ses tics » comme l'aurait écrit Amadou Hampâté Bâ205(*). Il s'offusque par exemple de ce que Toloki lui demande en personne l'emploi, plutôt que de passer par ses chargés de ressources humaines :

You come and disturb my peace here at home when I am relaxing with my fleas just because you want employement? Don't you know where my office is in the city? Do you think I have time to deal with mundane matters such as people seeking employment? What do you think I employ personnel managers for? (WD: 129)

Cette réaction de Nefolovhodwe confirme son interchangeabilité avec la classe des évolués dont Kom Ambroise précise le sens en ces termes :

Dans la plupart des cas, l'on a affaire à des individus ayant subi une dépersonnalisation achevée. A la longue, ils ont intériorisé les besoins du maître et vont poursuivre les mêmes objectifs que ce dernier. Leur africanité se réduit pour ainsi dire à la couleur de la peau et à quelques souvenirs d'enfance. Autrement dit, ce sont des étrangers tant ils ont à coeur les intérêts de l'Autre206(*).

Mais dans le cas de Nofolovhodwe, cette copie conforme du colonisateur207(*) brille particulièrement par un sadisme plus actif vis-à-vis du Noir et par l'accumulation exubérante des gadgets provenant de l'univers du maître. Il possède par exemple, à lui seul, une douzaine de « german, british and american luxury cars » (WD: 128). Inutile de rappeler aussi combien Nelofovhodwe se montre insensible et cruel vis-à-vis de Toloki.

Toloki refuse de se laisser impressionner par la fortune de Nelofovhodwe qu'il estime suspecte parce que, constate-t-il « Nelofovhodwe had attained all his wealth through death » (WD: 133). Il se résout d'ailleurs à restituer à celui qu'il considère comme anti-modèle, la totalité des dépenses concédées pour sa nutrition : « Toloki promised himself that one day he was going to refund every cent's worth of food he had eaten at the despicable man's house » (WD: 132)

Ce que Toloki veut, c'est finalement l'éclosion chez le Noir d'une personnalité authentique parce qu'autonome. Il refuse la compromission à la mentalité d'exclusion du Blanc capitaliste. Toloki rêve qu'émergent des individus noirs qui, comme lui, refusent autant la dilution dans le groupe dominant, que l'enfermement dans des valeurs traditionnelles immuables. D'où l'observation que fait Rita Barnard: « Mda's Toloki is nothing if not crossings and transitions: his name is an isiXhosa version of the Afrikaans word tolk («translator»), and he is described by other «characters as looking», like something that has come to fetch us to the next world »208(*).

C'est dire que Toloki refuse les absolus et privilégie les solutions intermédiaires comme l'aurait dit Njabulo Ndebele dans Rediscovery of the ordinary209(*). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il accepte de se lier à Noria. Comme Toloki, cette dernière redoute l'aumône venant des hommes : « I do not take things from men » (WD: 71) fait-elle savoir à Toloki qui s'étonne de ce que Noria décline la forte offre pécuniaire que lui propose Bhut Shaddy, un autre Noir de la même posture que Nelofovhodwe.

À la manière de Caliban dans une Tempête d'Aimé Césaire ou de Tituba dans Moi, Tituba Sorcière Noire de Salem de Maryse Condé, Toloki veut participer à son épanouissement de façon autonome. Toloki a horreur de la dépendance vis-à-vis autant de la nouvelle classe de dirigeants noirs symbolisée par Nelofovhodwe que du capitaliste blanc qui a, comme l'aurait dit Edward Said, créé le bourgeois ou le bureaucrate noirs dont le mode opératoire est défini par Nelofovhodwe.

Zakes Mda a donc l'avantage d'attirer l'attention sur une catégorie de nouveaux dirigeants noirs dont la légitimité réside dans une collaboration complexe avec l'ancien système. Les valeurs de ces dirigeants et riches soudains sont la corruption, l'exécution ou le sabotage des potentiels concurrents noirs, l'accumulation des gadgets de la civilisation occidentale capitaliste et la liste est loin d'être exhaustive.

Ways of Dying trouve par ailleurs son pendant dans The other side of silence d'André Brink lorsqu'on prend en compte l'Afrique du Sud dans sa diversité raciale. En effet, alors que Zakes Mda s'attaque explicitement à la race noire, André Brink, lui porte un regard ouvertement caustique sur la race blanche. André Brink et Zakes Mda suggèrent par ces postures que Blanc comme Noir, chacun a des défauts. Aussi l'abandon des absolus et la recherche des postures intermédiaires s'imposent-elles comme conditions sine qua non pour l'amélioration des conditions de vie en Afrique du Sud.

L'autre point de convergeance entre Zakes Mda et André Brink est le féminisme. Mda, comme Brink, pense devoir miser sur la femme pour une meilleure survie en Afrique du Sud. C'est à Toloki que Mda laisse traduire l'espoir qu'il place en la femme :

The women are never still. They are always doing something with their hands. They are cooking. They are sewing. They are outside scolding the children. They are at the tap drawing water. They are washing clothes. They are sweeping the floor in their shacks, and the ground outside. They are closing holes in the shacks with cardboard and plastic. They are loudly joking with their neighbors while they hang washing on the line. Or they are fighting with the neighbors about children who have beaten up their own children. They are preparing to go to the taxi rank to catch taxis to the city, where they will work in the kitchens of their madams. They are always on the move (...) you know what I think, Noria? From what I have seen today, I believe the salvation of the settlements lies in the hands of women. (WD: 175-176)

Eu égard à l'espace de vie des femmes à qui Mda rend ainsi hommage, il est difficile de confondre ces femmes à Elizabeth Costello dans Elizabeth Costello ou aux épouses de Derek, de Thapelo et de Paul Bannerman dans Get a life. Par contre leur milieu de vie les rapproche d'Hanna X avec la superficielle différence que la dernière évolue dans un milieu proprement carcéral alors que les premières évoluent dans des townships sud-africains, autres milieux carcéraux euphémiques. Voilà qui justifie en quoi Brink et Mda sont complémentaires et méritent d'être considérés comme écrivains sud-africains à la posture idéologique différente de celle de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer en période post-apartheid.

En attirant d'ailleurs l'attention sur une classe de bourgeois noirs en émergence dans la nouvelle Afrique du Sud, Ways of Dying offre l'opportunité de revenir sur le sens de la relation entre Paul Bannerman, Thapelo et Derek dans Get a life de Nadine Gordimer. En effet, le portrait qui est fait des épouses de Derek et de Thapelo explique au moins en partie pourquoi Thapelo et Derek sont difficilement des sujets au même titre que Paul Bannerman :

Derek has four children and Thapelo three on their legs and a baby in a padded carry-cot decked with dangling toys. Derek's wife manages to look like the sexually challenging teenager she must have been, with nipples poking at a T-shirt but the set of years is in the angle of the cigarette in her mouth. Thapelo's is a beauty, a school teacher who could be one of the models in Brenice's Campaigns to promote luxury cars or cosmetics. The tossing blond hair of Derek's woman, placing her as a sister rather than mother to her twelve-year-old daughter casting about her blond veil in the same way, is completed in contemporary fashionableness by the braided and beaded headed heads of Thapelo's woman and six-year-old daughter (GL : 111)

En trahissant la complicité des épouses de Derek et Thapelo avec la culture occidentale, ce portrait suggère par le même coup la subalternité de Thapelo et de Derek vis-à-vis de Paul Bannerman qu'ils appellent d'ailleurs « chief » (GL: 94). La déculturation / inculturation de Derek et de Thapelo est d'autant plus consommée que leurs enfants ne se nourrissent que de Pizzas et ne fréquentent que « the private schools » (GL: 112), autrefois réservées aux enfants blancs exclusivement. Autrement dit, le démantèlement de l'Apartheid que Gordimer célèbre, n'a pas, sous la plume de Zakes Mda, coïncidé avec la parturition d'une société plus juste en Afrique du Sud.

Homi Bhabha n'a donc pas tort de faire remarquer que l'au-delà, ou pour le cas de l'Afrique du Sud, la période post-apartheid, ne signifie pas nécessairement rupture ou libération de la tyrannie du passé. Il peut aussi toujours signifier mise sur pied de nouvelles techniques d'exclusions plus efficaces que les précédentes :

The « beyond » is neither a new horizon, nor a leaving behind of the past (...) In the fin de siècle, we find ourselves in the moment of transit where space and time cross to produce complex figures of difference and identity... For there is (...) in the « beyond »: an explanatory, restless movement caught so well in the French rendition of the words « au-delà ». (...) What is theoretically innovative, and politically crutial, is the need to think beyond narrative of originary and initial subjectivities and to focus on those moment or processes that are produced in the articulation of cultural differences210(*).

Le détour par le vouloir de Toloki a finalement permis de jeter une lumière d'un éclat déterminant pour la compréhension de Get a life. Il en découle la complémentarité des écrits de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer malgré de réels écarts de perspective en période post-apartheid. A ce duo sud-africain, Lars Engle aurait ajouté le dramaturge Athol Fugard211(*).

III-2-2- Perspective narrative et signification dans Ways of Dying

La perspective narrative désigne selon Gérard Genette « ce mode de régulation de l'information qui procède du choix (ou non) d'un « point de vue » restrictif »212(*). Françoise Van Rossum-Guyon affirme pour sa part que « dans un roman, ce qu'on nous raconte, c'est toujours aussi quelqu'un qui se raconte et qui nous raconte »213(*).

Ces conceptions de la perspective narrative prouvent qu'il s'agit d'un concept diversement apprécié. Pour une exploitation optimale du concept, il importe de l'opérationnaliser. Aussi m'appuierai-je sur les questions que soulève Gérard Genette à savoir « qui voit et qui parle »214(*) pour mon analyse de Ways of Dying. Il s'agira d'étudier l'identité du narrateur afin de dissiper la confusion qui prévaut de prime abord entre le narrateur de Ways of Dying et celui d'Elizabeth Costello.

Dans Ways of Dying, la présence du narrateur se manifeste par l'emploi du style direct et indirect. À titre d'illustration du style indirect, on peut s'arrêter sur l'extrait suivant :

Toloki decides that he will rush to the home of the deceased, wash his hands and disappear from the scene. He will have nothing to do with people who have treated him with so much disrespect. Hungry as he is, he will not partake of their food either. If he did not have so much reverence for funeral rituals, he would go home right away, without even washing his hands. People give way as he works his way to the head of the procession, which is already outside the gates of the cemetery (WD: 10)

Au lieu que ce soit Toloki qui informe directement le lecteur sur ses intentions ou ses projets secrets, le lecteur les apprend par le truchement d'un narrateur qui rapporte après coup, ce que Toloki fait ou a l'intention de faire. Cette situation narrative illustre ce que Gérard Genette symbolise par la formule « narrateur = personnage ». Le narrateur en sait, en effet, autant que Toloki. Ce type de foyer narratif, pour emprunter cette autre formule à Gérard Genette, a pour effet de provoquer dans la conscience du lecteur l'association du narrateur au personnage. Le lecteur est, en effet, tenté d'ignorer la présence et donc l'importance du narrateur pour se contenter exclusivement du personnage. Comme s'il refusait au lecteur de sous-estimer son narrateur, Zakes Mda fait régulièrement intervenir le narrateur dans le style direct. D'entrée de jeu, on peut par exemple lire:

There are many ways of dying! The Nurse shouts at us. Pain is in his voice, and rage has mapped his face. We listen in silence. «This our brother's way is a way that has left us without words in our months. This little brother was our own child, and his death is more painful because it is of our own creation. It is not the first time that we bury little children. We bury them every day. But they are killed by the enemy... those we are fighting against. This little brother was killed by those who are fighting to free us»! We mumble... (WD : 7)

Le narrateur est donc un ensemble de personnes identifiables par le pronom personnel « nous ». En plaçant cet ensemble de personnes au même niveau de connaissance de l'histoire de Toloki que lui-même, le romancier fait valoir Ways of Dying comme roman pour la cause non seulement de Toloki, mais aussi de tous les Sud-africains du même statut social que Toloki.

Si « les choses sont dites populaires parce que des masses de gens les écoutent, les achètent, les lisent, les consomment et semblent en tirer un grand plaisir »215(*), Ways of Dying se prête également au roman populaire. La raison en est que des masses de gens (nous) semblent tirer un grand plaisir à suivre les faits et gestes de Toloki dans la diégèse de Ways of Dying. Elles se branchent, se connectent toutes aux péripéties de Toloki tout en projetant celui-ci comme paradigme humain et idéologique à imiter ou à valoriser. Voilà qui souligne un point de démarcation entre le Nous-narrateur chez Zakes Mda et le Nous-narrateur chez J. M. Coetzee. En effet, alors que le Nous-narrateur d'Elizabeth Costello est connecté à la bourgeoise et très célèbre Elizabeth Costello tel que cela a été évoqué dans le précédent chapitre, le Nous-narrateur de Ways of Dying accorde son attention aux misérables des Townships sud-africains que Toloki représente. Le nombre et la qualité des personnes contenues dans le Nous-narrateur d'Elizabeth Costello sont trahis par les bruits de leurs moyens financiers. Il s'agit en effet de personnes capables par exemple de s'acheter des billets d'avion, condition sine qua non pour rapporter les faits et gestes de leur modèle autant depuis l'espace que dans les voyages internationaux d'Elizabeth Costello dans le roman de J. M. Coetzee. C'est dire combien les préoccupations de Mda et de Coetzee s'esquivent, confirmant l'impossibilité de la représentativité d'Elizabeth Costello pour le roman Sud-africain post-apartheid.

Ce chapitre visait à exposer la vision du monde de deux autres écrivains sud-africains qui s'inscrivent dans une direction différente voire contraire à celle soutenue par Coetzee et Gordimer en période post-apartheid. Le détour par The Other Side of Silence et Ways of dying a également permis de préciser le sens de Get a life et d'Elizabeth Costello. Les idéologies dont sont porteuses ces textes fictifs respectivement de Nadine Gordimer et de J. M. Coetzee, c'est du moins ce qu'on a pu voir, sont complémentaires. J. M. Coetzee et Nadine Gordimer proposent deux modèles idéologiques visiblement contraires, mais conciliables.

CHAPITRE IV :

GET A LIFE ET ELIZABETH COSTELLO : ROMANS PORTEURS D'IDÉOLOGIES COMPATIBLES

Dans le chapitre précédent, on a vu que Get a life et Elizabeth Costello ont des points de convergence idéologique et thématique. Il s'agit dans le présent et dernier chapitre d'élaborer tout d'abord cette compatibilité. Je confronterai ensuite les idéologies insérées dans ces deux romans aux discours théorico-politiques qui informent le processus historique global :

Si même les descriptions les plus soutenues, les plus raffinées que nous offre la littérature font aussi partie du processus général qui crée les conventions et les institutions, et par lequel les significations reconnues par la communauté sont partagées et rendues actives, alors ce processus ne peut pas être séparé, distingué ou isolé des autres pratiques du processus historique216(*).

C'est dire qu'il est nécessaire de considérer la littérature comme une réalité symbolique qui entretient des rapports divers avec la politique, l'économie ou le social. Aussi m'appesantirai-je sur les concepts de bourgeoisie et de racisme comme des cadres de déploiement de l'imagination de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer dans Elizabeth Costello et Get a life. Étant donné de légers aménagements au plan formel entre les romans de Coetzee et de Gordimer pendant et après l'Apartheid, je m'essaierai, pour finir, à une conceptualisation des distinctions honorifiques de l'institution Nobel de littérature dans le cas spécifique de l'Afrique du Sud. Le but est de dépasser mon hypothèse générale pour ouvrir ma réflexion sinon au populaire du moins à la popularité que le Nobel impulse à certains écrivains plutôt qu'à d'autres.

IV-1- La bourgeoisie comme paradigme chez Coetzee et Gordimer

En mettant en parallèle Michaël K, sa vie, son temps, A world of strangers ; Elizabeth Costello et Get a life, il se dégage comme une impossibilité chez J.M.Coetzee et Nadine Gordimer d'imaginer en dehors d'une classe sociale : la bourgeoisie. L'univers bourgeois se reflète en divers points de ces romans, mettant en évidence la compatibilité thématique et idéologique de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer avec la bourgeoisie.

La bourgeoisie est un concept originellement occidental. Elle est donc hégémonique. Ce concept a connu une évolution sémantique impressionnante suite aux divers contacts de l'Occident avec le reste du monde. En général, les bourgeois sont des gens matériellement épanouis qui ont la tendance à exhiber ostentatoirement leur bien-être. Seulement, le bourgeois originel se distingue des autres, par son dynamisme, ses ambitions et sa capacité à prendre les risques dans la réalisation de ses projets. C'est ici que s'affirme la différence entre la bourgeoisie occidentale et la bourgeoisie tropicale que Frantz Fanon précise en ces termes :

L'aspect dynamique et pionnier, l'aspect inventeur et découvreur des mondes que l'on trouve chez toute bourgeoisie nationale est ici lamentablement absent. Au sein de la bourgeoisie nationale des pays coloniaux, l'esprit jouisseur domine. C'est que sur le plan psychologique, elle suit la bourgeoisie occidentale dans un côté négatif et décadent sans avoir franchi les premières étapes d'exploration et d'invention qui sont en tout état de cause un acquis de cette bourgeoisie occidentale217(*).

Autrement dit, le bourgeois tropical ou colonial s'identifie avec le bourgeois occidental au strict plan de la consommation des biens culturels, économiques ou symboliques provenant de l'univers du second. Bourgeois tropical ou occidental, Albert Memmi fait observer pour sa part que : « Tout bourgeois est suspect a priori des caractères que nous avons notées dans toutes démarche raciste. Du maître des forges au petit propriétaire du XIX siècle, relayés par le grand et le petit entrepreneur de nos jours, tous sont avides et cruels »218(*).

Dans Get a life, l'appartenance du personnage de premier plan, Paul Bannerman, à la bourgeoisie s'expose lorsqu'il est présenté comme atteint de cancer de la thyroïde. Tous les moyens matériels à la disposition de sa famille sont en effet déployés pour que Paul Bannerman recouvre sa santé. Pour alléger par exemple sa quarantaine chez ses parents Adrian et Lyndsay, Berenice, son épouse, se charge de lui apporter « his laptop, some cassettes, his Adidas, the book on the behaviour of relocated elephants he was in the middle of reading when back to hospital » (GL: 4)

Un autre aspect qui trahit l'appartenance de Paul à la bourgeoisie c'est le pouvoir de mobilité dont disposent ses parents. Adrian et Lyndsay décident, à titre d'illustration, de passer leurs congés de Noël au Mexique. Là-bas ils séjournent dans la « Mexico city hôtel » (GL: 104), un hôtel visiblement hupé du Mexique.

Le dévouement de Paul Bannerman au respect de l'environnement dévoile son dynamisme et confirme son appartenance à la bourgeoisie occidentale. Paul Bannerman est obsédé par le combat qu'il croit nécessaire de mener pour la préservation de la biodiversité. Paul Bannerman s'abandonne à son combat au point de sacrifier symboliquement son affection pour son épouse Berenice. « When he was in a wilderness, her city place did not exist for him » (GL: 15), fait remarquer le narrateur. Cette détermination de Paul Bannerman cadre avec la volonté de découvrir ou simplement la volonté de puissance qui oriente la démarche du bourgeois occidental. C'est certainement la raison pour laquelle, Paul Bannerman se veut un éternel insatisfait dans la mesure où il doute même de ce que d'autres voient comme preuve de succès. Pour lui, en effet, « Success sometimes may be defined as a disaster put on hold » (GL: 99). Paul Bannerman invite ainsi ses amis Derek et Thapelo à être toujours sur leurs gardes quand bien même le gouvernement leur promet de se plier à leur opposition au projet de construction d'une autoroute devant traverser par la côte du Pondoland :

The center of endemism, the great botanical treasure (...) it's identified reserved there, sixteen millions tons of heavy minerals and eight million tons of ilmenite. One of the biggest mineral sand deposit in the world. (GL : 84)

Bannerman étant un bourgeois, donc avide et cruel, on peut comprendre que la biodiversité ne l'intéresse pas autant que le sous-sol extrêmement riche et les mines d'Afrique du Sud. D'ailleurs peut-être que sa collaboration avec Derek et Thapelo vise à écarter ces derniers au moyen des projets alléchants et séduisants de la religion écologique que Paul Bannerman prêche afin que ce dernier puisse seul prendre en charge les potentialités économiques toujours impressionnantes du sous-sol sud-africain.

Elizabeth Costello bénéficie des mêmes attributs dans Elizabeth Costello que Paul Bannerman dans Get a life. La célèbre auteure de The House on Eccles Street est considérée et distinguée en Occident, preuve de sa consécration par des milieux universitaires huppés des USA et d'Europe. Comme on l'a vu dans le chapitre deux, Costello est tour à tour invitée par des universités de Williamstown, Pennsylvanie, Altona, Appleton aux USA et en Europe par l'université d'Amsterdam afin de partager avec un public assoiffé de son savoir sur l'écologie et les Humanités.

Plus encore, au cas où Costello ne serait pas à même de se procurer des billets d'avion pour satisfaire les sollicitations diverses dont elle est l'objet, le groupe qui la consacre comme écrivaine modèle, les lui fournit à souhait. C'est du moins l'idée qui ressort du commentaire ci-après de son fils John Bernard lors du premier séjour de Costello en Pennsylvanie : « It is the only way they have... They admire you, they want to honour you. It's the best way they can think of doing that. Giving you money. Broadcasting your name, using the one to do the other » (EC: 3)

Quoi que la notoriété de Costello reste ignorée en Afrique du Sud (EC : 114), elle fait au moins fortune en Occident. Cette situation s'explique sans doute par le fait que l'ensemble du savoir de Costello repose sur la culture occidentale bien qu'étant elle-même australienne blanche.

À se représenter la mécanique ou les conditionnements culturels et psychologiques qui ont rendu possible la métamorphose de l'Australienne à l'Occidentale qu'est devenue Costello, on se rend compte qu'ils se caractérisent par la détermination et le sens du sacrifice qui rentrent en ligne de compte pour définir le bourgeois occidental. Costello s'est, en effet, donnée assez de mal, pour pouvoir assimiler des savoirs en provenance de l'Occident au point d'en devenir un modèle. Costello a d'ailleurs tellement été conditionnée par l'Occident qu'elle est elle-même devenue hégémonique au moins sur le plan intellectuel. Elle n'hésite pas par exemple à blasphémer lorsque ses intérêts le lui commandent, ainsi que le lui reproche le poète Abraham Stern :

Dear Mrs Costello, Excuse me for not attending last night's dinner. I have read your books and know you are a serious person, so I do you the credit of taking what you said in your lecture seriously... You took over for your own purposes the familiar comparison between the murdered Jews, of Europe and slaughtered cattle. The Jews died like cattle, therefore cattle die like Jews, you say. That is a trick with words which I will not accept. You misunderstand the nature of likenesses; I would even say you misunderstand willfully, to the point of blasphemy (GL: 94)

Que le poète Abraham Stern formule cette critique à l'égard de Costello par écrit traduit le sérieux des penchants hégémoniques de Costello.

En un mot, Elizabeth Costello et Paul Bannerman symbolisent la bourgeoisie occidentale. Qu'ils soient des personnages de premier plan autorise à les envisager comme des interprètes symboliques de la pensée de Nadine Gordimer et de J. M. Coetzee en contexte post-apartheid.

IV-2- Contexte post-apatheid : espace de l'exacerbation et de la complexification du racisme

Pour Albert Memmi, le racisme désigne : « la valorisation généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression... Le racisme est l'utilisation profitable d'une différence »219(*).

En d'autres termes, la question du racisme ne se réduit pas simplement à la couleur de la peau. Elle s'applique, de façon plus vaste à la différence ; laquelle différence peut être aussi bien sexuelle, économique, religieuse que raciale et la liste est loin d'être exhaustive.

De Get a life et d'Elizabeth Costello se dégagent deux modèles de racisme qui transparaissent des rapports qui prévalent entre Paul Bannerman et ses deux collaborateurs noirs et du contraste dans la réception de l'écrivaine Elizabeth Costello entre l'Occident et l'Afrique du Sud. Chez J.M. Coetzee, on peut parler du rejet systématique du Noir alors que chez Nadine Gordimer le concept adéquat semble être celui de la dépersonnalisation du Noir.

IV-2-1- Le rejet du Noir

Dans Elizabeth Costello, le rejet du Noir se révèle aussi bien dans la relation conflictuelle entre Costello et sa soeur Blanche que dans les raisons de leur conflit. Avec sa soeur aînée encore appelée Sister Bridget, Costello n'a jamais été véritablement en accord. C'est du moins ce que confirme Costello lorsqu'elle fait observer que : « Sister Bridget has many Sisters. I am a sister in blood. The others are truer sisters, sisters in spirit. » (EC: 126)

La raison de ce désaccord est que Blanche s'est engagée pour s'occuper des Noirs souffrant du SIDA après avoir renoncé à ses compétences d'universitaire de lettres classiques:

Sister Bridget... has moved for good, it seems, to Africa, following a vocation. Trained as a classical scholar, retrained as a medical missionary, she has rised to be administrator of a hospital of no mean size in rural Zululand. Since Aids swept over the region, she has concentrated the energies of the Hospital of the Blessed Mary on the Hill, Marianhill, more and more, on the plight of children born infected. (EC : 116)

Au plan intellectuel, la raison du conflit entre Elizabeth Costello et Bridget réside dans la conception de chacune sur les missions de l'université dans le monde. Alors que pour Bridget, l'université devrait justifier sa raison d'être par la recherche de meilleures conditions de vie pour tous dans le monde, ce qu'elle appelle les humanités, Elizabeth Costello pour sa part soutient une démarche qui fait valoir l'université comme source d'enrichissement matériel et financier. Bridget déplore la force d'expansion de la conception de l'université dans le monde qu'a sa soeur comme nous l'exprime le narrateur en ces termes :

The humanities the core of the University. She (Bridget) may be an outsider. But if she were asked to name the core of the University today, its core discipline, she would say it was moneymaking. That is how it looks from Melbourne, Victoria; and she would not be surprised if the same were the case in Johannesburg, South Africa. (EC : 125)

C'est finalement la divergence fondamentale de leurs idéologies qui explique la discordance entre Costello et Bridget. C'est pourquoi, contrairement à Costello, Bridget fait montre de respect de la différence et des valeurs de l'autre : le Noir. Bridget intègre par exemple des guérisseurs traditionnels dans le minable hôpital sud-africain dont elle a la charge. Elle vise par cette méthode intégrative l'échange des compétences pour s'occuper des divers et nombreux patients :

In the wards, mingling with the staff are women in native dress. Costello takes them to be mothers or grandmothers until Blanche explains: They are healers, she says, traditional healers. Then she remembers: This is what Marianhill is famous for, this is Blanche's great innovation, to open the hospital to the people, to have native doctors work beside doctors of Western medicine. (EC : 134)

En clair, Bridget vise le relativisme culturel, le multiculturalisme et le respect de la différence. Elle suggère l'acceptation des guérisseuses traditionnelles comme une réalité sud-africaine. Ce sont là des approches qui offusquent sa soeur Elizabeth Costello. Cette dernière supporte mal de voir sa soeur ainsi cohabiter ou collaborer avec les Noirs, « the natives ». Elle souffre régulièrement du mal du pays étant donné qu'elle est venue dans ce pays arc-en-ciel, ce « ugly city » (EC: 117) qui est Marianhill. « Withdrawal, nous apprend le narrateur, that is what she is suffering from » (EC: 143). Elle s'y sent comme en exil ou en prison et souhaite retourner le plus tôt en Australie ou en Occident: « I want to be back in my old surroundings, in a life I am familiar with » (EC: 143).

En plus clair, dans la psychologie de Costello se déploie la démarche raciste qu'Albert Memmi expose en ces termes :

Quoi qu'il en soit, la différence est d'une certaine manière trouble et négation de l'ordre établi. Devant l'étrangeté de l'autre, on risque d'hésiter sur soi-même. Et pour se rassurer, pour se confirmer, il faudra refuser, nier l'autre... Pour sauvegarder notre supériorité, gardons-nous de la pollution par les étrangers220(*).

Par sa démarche consistant à rejeter le Noir, il est difficile de ne pas voir en Costello une espèce de palimpseste symbolique réarticulant la thèse négationniste de l'Afrique soutenue au 19e siècle par le philosophe allemand Hegel et qui justifia la colonisation et l'exploitation à grande échelle de l'Africain :

L'Africain ne pense pas, ne réfléchit pas, s'il peut s'en dispenser. Il a une mémoire prodigieuse. Il a de grands talents d'observation et d'imitation, beaucoup de facilité de parole... mais les facultés de raisonnement et d'invention restent en sommeil. Il saisit les circonstances actuellement présentes, s'y adapte et y pourvoit ; mais élaborer un plan sérieusement ou induire avec intelligence, c'est au-dessus de lui221(*).

Costello redoute donc la pollution par les Africains noirs et surtout ceux infectés par le SIDA. Elle pense devoir épargner sa soeur aînée de la contamination avec des Noirs superstitieux chez qui les facultés de raisonnement restent en sommeil comme l'aurait dit Hegel :

Blanche, écrit Costello, dear Blanche, why is there this bar between us? Why can we not speak to each other straight and bare, as people ought who are on the brink of passing? Mother gone; old Mr. Phillips burned to a powder and scattered to the winds; of the world we grew up in, just you and I left sister of my youth, do not die in a foreign field and leave me without an answer! (EC : 155)

Cette lettre sert de moyen supplémentaire à Costello pour convaincre sa soeur de quitter l'Afrique et retourner en Australie, mieux, prendre ses distances avec les Noirs potentiellement dangereux.

C'est dire que la raison secrète du voyage de Costello pour le Zululand, est qu'elle espère y persuader Blanche de promouvoir, comme elle, la culture occidentale en général, australienne blanche en particulier. Cette intention cachée est perceptible dans la condescendance de Costello vis-à-vis de Blanche que la première trouve mal en point, « scrawny as a hen » (EC: 118). Dans la perspective de Costello, l'apparence maigrichonne de Blanche se justifie par les conditions de vie difficiles découlant de sa pollution avec les Noirs.

En tout état de cause, Costello mobilise son talent et toutes ses énergies, sinon pour retarder interminablement, du moins pour esquiver le contact avec les Noirs. On peut même l'accuser de phobie du Noir puisqu'elle rejette systématiquement et ouvertement autant le Noir que ses codes culturels.

La fuite de nombreux sud-africains Blancs, vers l'Australie depuis 1994, parmi lesquels J. M. Coetzee lui-même, semble confirmer, en ce qui concerne le projet idéologique de Costello le fait que la fiction a toujours voix au chapitre de la réalité. À n'en pas douter, le problème du racisme reste tout entier dans la Nation arc-en-ciel. Ce mode d'expression de la pensée libérale demande une prise en charge plus sérieuse qui passerait par la maîtrise des enjeux et des défis de l'aventure du capitalisme dans le monde. Avec Get a life, le problème du racisme est posé différemment et de manière plus subtile.

IV-2-2- La dépersonnalisation du Noir

Dans Get a life, l'activisme de Derek et de Thapelo pour la cause écologique ainsi que la hiérarchisation actancielle entre eux et Paul Bannerman, dissimulent la dépersonnalisation du Noir à l'avantage du groupe dominant.

Aussi sérieuse que soit la question écologique, il n'en demeure pas moins qu'elle n'est pas pertinente au même degré selon qu'on appartient au groupe dominant ou au groupe dominé. En effet, les priorités divergentes de chacun interdisent que la question écologique bénéficie de la même considération de part et d'autre.

Tel n'est malheureusement pas le cas avec Derek et Thapelo dans Get a life. Ces deux Noirs sont plutôt des subalternes vis-à-vis de Paul Bannerman bien qu'ils font équipe. Paul Bannerman est du moins conscient de son autorité dans le « team » (GL : 15) des « bushmates » (GL: 111) qu'il anime. C'est l'idée qui apparaît lorsque le narrateur rapporte la vie intérieure de ce dernier en ces termes : « Doubt had come to him in the garden where he had begun to apprehend life as a boy. Biodiversity; chief, say to yourself: professional jargon stuff. But it's within that term your place is, chief [...] » (GL: 94).

Au détour d'une conversation téléphonique avec le malade Paul Bannerman, Thapelo met en relief son inféodation à l'autorité du chef :

So you Laz-zy, how's it? Chief, haai! We never hear from you! So much happening. I'm back into the pebble-bed scene, now, it's dynamite, my man, I can tell you. But what are the doctors doing, keeping you locked away like this, do you feel okay? When're you coming back? [...] Say. You hear the latest. The Institution of Nuclear Engeneers say's the new reactor at Koeberg gonna be «walk away safe». «Walk away safe». I thought you'd like to take that walk, Bra. But if the Minister gives Government go-ahead, we'll have him in court against this «favorable environmental impact assessment evaluation» his boys have come up with. Man, I've got plenty to tell you, what's going on; we're getting more support groups joining protest every day. Big names. Amazing. I promise you [...] so when can I come to your place,I don't know where you are. (GL: 59).

En effet, remarquant l'effacement momentané de Paul Bannerman de la scène publique, Thapelo se donne pour devoir de rendre des comptes au supérieur conformément à un code qui les lie. C'est dire combien Thapelo est absorbé par le combat écologique et partant par le système identitaire du groupe dominant.

Il en va de même autant de la conviction qui le galvanise dans la collaboration avec Paul que des craintes propres au groupe dominant et qui le poussent également à opposer une énergique contestation au projet d'acquisition d'un réacteur nucléaire par l'Afrique du Sud : « The direst of all threats in the world's collective fear-beyond terrorism, suicide bombing, introduction of deadly viruses, fatal chemical substances in innocent packaging, Mad Cow disease-is still « nuclear capability » (GL : 39)

C'est à cause de cette peur que, Thapelo, convaincu d'avoir sur la main un élément concordant avec la nécessité de s'opposer au gouvernement sud-africain qui est sur le point d'acquérir le réacteur nucléaire, se rend à l'improviste chez Paul: « Thapelo drops in over a weekend on the pretext, just to check up on you [...] but really to analyze Gaddafi's sudden decision to announce and renounce Libya's possession of nuclear capacity ». (GL: 100)

Thapelo croit donc avoir un exemple dans le monde que son groupe devrait réaliser en Afrique du Sud, ce d'autant plus que « South Africa is a Signatory to the nuclear non-proliferation treaty ». (GL: 100)

Derek, comme Thapelo partage aussi les espoirs et les craintes du groupe dominant. Cette situation est confirmée par sa solidarité avec Paul Bannerman et Thapelo. Les trois collaborateurs sont le plus souvent ensemble lors des recherches préalables à leurs actions. Ils sont d'ailleurs tous qualifiés de chercheurs indépendants, « The independent researchers (the Pauls and Thapelos and Dereks) ». (GL: 25)

En clair, Thapelo et Derek n'ont plus du Noir que la couleur de leur peau. Ils sont en quelque sorte des « espèces de clients de l'ordre colonial »222(*), ce que V.S. Naipaul appelle des « mimic men » 223(*).

Confrontées à Paul Bannerman, chef du groupe et symbole du groupe dominant dans Get a life, les conduites de Thapelo et Derek confirment l'existence de ce que Michel Foucault appelle le biopouvoir et que Hubert Dreyfus et Paul Rabinow définissent « comme la manière dont fonctionnent nos pratiques actuelles pour mettre en place un ordre dans lequel l'homme occidental pourra jouir d'une bonne santé, vivre dans la sécurité et être productif » 224(*) .

Cette dépersonnalisation de l'Africain que Mongo Béti dénonçait vigoureusement dans Mission terminée225(*)se réaffirme comme méthode d'exclusion pacifique ou humanisée comme l'aurait préféré Michel Foucault226(*) sous la plume de Nadine Gordimer en période post-apartheid.

Difficile de ne pas remarquer que Get a life et Elizabeth Costello soutiennent des idéologies complémentaires. On peut même affirmer que J. M. Coetzee et Nadine Gordimer n'ont fait que renforcer la pensée qui traverse leurs écrits pendant l'Apartheid que nous avons étudié plus loin. Dans cette perspective, ces deux écrivains sud-africains ont quand même le mérite d'indiquer quelques faiblesses de la culture qui « se sclérose dans les formes déterminées interdisant toute évolution, toute marche, tout progrès, toute découverte »227(*). Pour parler comme Pierre Bourdieu c'est une culture dont « les agents peuvent paraître en quelque sorte absents de leur pratique alors qu'ils accomplissent la nécessité de la structure dans le mouvement spontané de leur existence »228(*). Walter Benjamin parle quant à lui de « l'exploitation du producteur au nom du principe de la créativité, principe selon lequel le poète est supposé avoir accouché par lui-même de son oeuvre, tirée de son pur esprit »229(*).

Que J. M. Coetzee et Nadine Gordimer aient été distingués par l'institution Nobel de littérature, malgré leur exploitation par le principe de la créativité pour emprunter cette construction à Walter Benjamin, suscite quelques interrogations qu'il n'est pas superflu d'examiner. En effet, la célébrité de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer découlant de leur distinction, ces écrivains figurent, à n'en pas douter, parmi les écrivains d'Afrique du Sud les plus connus et donc populaires. Or comment s'inspirer d'éléments méthodologiques des cultural studies comme c'est le cas dans ma réflexion et ne pas traiter de la question du populaire, inévitable dans le cas de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer ?

IV-3- La popularité de Gordimer et de Coetzee en question

Ayant été distingués par le Nobel de littérature, l'une des plus puissantes institutions littéraires du monde pour l'ensemble de leurs ouvrages, Coetzee et Gordimer ont atteint une reconnaissance internationale importante en tant que producteurs et promoteurs de symboles culturels. Toutefois, leur consécration par une institution puissante basée à l'extérieur de l'Afrique du Sud dissimule mal son caractère problématique. En effet, la signification d'un symbole culturel et partant de son producteur étant donnée «  en partie par le champ social dans lequel il est incorporé et en partie par les pratiques avec lesquelles il s'articule et entre en résonnance »230(*), il y a lieu de questionner la crédibilité de la consécration par le Nobel de Coetzee et de Gordimer. Deux modèles de raisonnement peuvent justifier la mise en cause de leur consécration par l'institution Nobel de littérature.

Le premier est celui selon lequel le Nobel, au moins en ce qui concerne l'Afrique du Sud n'a jusqu'ici jeté son dévolu que sur des écrivains « absents de leur pratique alors qu'ils accomplissent la nécessité de la structure » hégémonique caractéristique du groupe dominant ou capitaliste comme on l'a vu avec le sociologue Bourdieu. Sinon comment expliquer qu'au lieu de Zakes Mda, André Brink, Alan Paton, Alex la Guma, Peter Abrahams ou Bessi Head pour ne se limiter qu'à ces exemples, Nadine Gordimer et J. M. Coetzee aient seulement retenu l'attention des experts du Nobel ?

L'autre modèle est que la popularisation de J. M. Coetzee et de Nadine Gordimer par le Nobel de littérature dans le cas de l'Afrique du Sud procède de la désorganisation et de la manipulation de la vie quotidienne, stratégies de domination dont sont passées maîtres les industries culturelles capitalistes ainsi que le reconnaît Stuart Hall :

les industries culturelles ont [...] le pouvoir de réélaborer et de façonner ce qu'elles représentent et, à force de répétition et de sélection d'imposer et d'implanter des définitions de nous-mêmes qui correspondent plus facilement aux descriptions de la culture dominante ou hégémonique. C'est ce que signifie la concentration du pouvoir culturel - la capacité d'un petit nombre à fabriquer la culture231(*).

En d'autres termes, en distingant J. M. Coetzee et Nadine Gordimer, l'institution Nobel de littérature contribue à fabriquer une culture populiste et assigne à cette culture l'objectif d'arroser, de bâillonner voire de dévaloriser la culture des gens ordinaires ; celle que des masses de gens écoutent, achètent, lisent, consomment et semblent en retirer un grand plaisir comme l'aurait dit Stuart Hall.

C'est dire que, les deux modèles ci-dessus mènent nécessairement à la question de la neutralité des institutions littéraires étrangères ou excentrées en général, des prix littéraires en particulier. Toutes des questions dont Mongo Béti232(*) et, dans une moindre mesure, Bernard Mouralis233(*) ont fait leur cheval de bataille dans le contexte de l'Afrique francophone.

À coup sûr, l'Afrique a autant besoin d'institutions littéraires authentiques et autonomes pour faire vivre sa littérature qu'elle n'a pas intérêt à sous-estimer l'extraversion de la distinction de certains de ses écrivains. Les enjeux sont sans doute plus décisifs dans le deuxième cas. Sinon, comment s'identifierait-elle efficacement si elle ne prend pas le soin de localiser l'autre. « If you can't locate the other, how are you to locate yourself? »234(*) s'interroge à juste titre Minh-Ha. En clair, voilà le défi ultime pour une véritable renaissance africaine.

CONCLUSION GÉNÉRALE

L'étude de l'écriture romanesque post-apartheid chez J. M. Coetzee et Nadine Gordimer se donnait pour objectif de vérifier l'hypothèse que Get a life et Elizabeth Costello réarticulent l'indifférence de leurs auteurs vis-à-vis des infortunes des Non-blancs en général, des indigents sud-africains en particulier. L'ambition implicite était de voir si l'on ne pouvait pas néanmoins partir de cet hermétisme de deux prix Nobel de littérature face aux indigents, pour mesurer les défis à relever pour en finir avec le racisme en Afrique du Sud. C'est ainsi un travail qui s'inscrit dans le cadre des études-bilans et surtout prospectives des possibles pour court-circuiter le racisme dans une Afrique du Sud où il est plus que jamais d'actualité bien que sous un nouveau jour.

Le culturalisme au centre des cultural studies a permis de situer J.M. Coetzee et Nadine Gordimer dans le groupe dominant. La localisation de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer dans le groupe dominant a déjà constitué l'objet de plusieurs recherches dont la plus récente que nous ayons pu consulter reste celle de Rita Barnard intitulée Apartheid and beyond. South African writers and the politics of place. Pour un examen efficace de l'écriture romanesque des textes constitutifs de mon corpus, la narratologie de Gérard Genette et de bien d'autres théoriciens a souvent été convoquée.

Par sa focalisation sur des romans d'écrivains sud-africains appartenant au groupe dominant, la démarche empruntée et l'ambition visée suggèrent que la critique littéraire ne saurait se confondre à l'opinion de J.M. Coetzee et de Nadine Gordimer. Le contraire a malheureusement eu tendance à s'imposer dans la critique littéraire en Afrique ainsi que le redoute fort opportunément Romuald Blaise Fonkoua. « Le danger qui guette, écrit-il, la critique africaine c'est qu'elle soit considérée comme le double de l'écrivain, le relais de son discours auprès d'un public »235(*).

C'est dire qu'Écriture post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer est une illustration de l'autonomie du critique littéraire par rapport aux écrivains. Nadine Gordimer soutient d'ailleurs la nécessité de cette autonomie bénéfique pour un plus large partage de la littérature. Elle fait en effet observer que  « décomposer un texte est d'une certaine façon une contradiction, car c'est en fait le recomposer à partir de ses morceaux, comme l'avoue Roland Barthes [...] Ainsi le critique littéraire finit-il par devenir lui aussi une espèce de conteur »236(*).

Ma recherche s'est détournée de la perspective de Jean Sévry et de Masizi Kunene. Ces deux chercheurs ont eu le tort de n'avoir pas envisagé le racisme en rapport avec le capitalisme occidental hégémonique. Le monde étant dangereux à vivre non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire, comme l'aurait dit Albert Einstein237(*), il a fallu se risquer au défi. C'est pour cette raison qu'il ne s'est pas agi de regarder et de laisser seuls Jean Sévry et Masizi Kunene « comprendre et faire comprendre, aimer et faire aimer »238(*) la littérature sud-africaine. Il s'est plutôt agi de s'essayer à la critique littéraire avec pour toile de fond une Afrique du Sud où « imperialism consolided the mixture of cultures and identities on a global scale »239(*). Ce contexte post-apartheid a rendu la question de la race (couleur de la peau) autant désuette qu'ardue. Dans un tel contexte, le discours écologique au centre de Get a life et d'Elizabeth Costello constitue un mérite chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer qu'il serait injuste de ne pas reconnaître. En réalité, Noir ou Blanc, riche ou indigent, homme ou femme, adulte ou enfant chacun aujourd'hui, en Afrique du Sud comme partout dans le monde, a le devoir de s'accommoder au discours écologique. La vie de tous et de chacun en dépend d'une façon ou d'une autre.

Par ailleurs, la recherche soutient que la meilleure démarche, si l'on veut réellement combattre le racisme en Afrique du Sud, consiste à le concevoir comme une version du capitalisme eurocentriste et hégémonique. Car le racisme dans l'Afrique du Sud d'aujourd'hui défie toute configuration sur la base de la couleur de la peau. Il se déploie plutôt en des termes matérialistes ; ce qu'on pourrait appeler la discrimination qui laisse porte ouverte à l'exclusion sociale. Le racisme se traduit par exemple au-delà du hiatus entre une minorité noire qui a part au pouvoir d'achat à l'instar de Nefolovhodwe et une majorité abandonnée à elle-même comme le sont les amis d'Hanna X, Toloki et Noria dans les romans d'André Brink et de Zakes Mda. L'Afrique postcoloniale en général gagnerait sans doute si elle adopte une démarche critique similaire dans son combat du colonialisme. Sinon, toute l'énergie qu'elle dépense jusqu'ici à travers des organismes tels l'Union Africaine ou le NEPAD ne pourrait s'apparenter qu'à de pures spéculations.

En vérité, le racisme, le colonialisme, l'impérialisme et aujourd'hui le modernisme sont des versions aménagées conjoncturellement par le capitalisme mondial, encore appelé libéralisme. Ces idéologies s'adaptent avec le capitalisme selon des trajectoires variées, mais qui présentent de profondes convergences. Achille Mbembe parle d'une « concaténation et [d'] un enchevêtrement de configurations »240(*).

Que l'écriture romanesque post-apartheid de J.M.Coetzee et de Nadine Gordimer s'ouvre exclusivement à la classe bourgeoise, suggère que la domination en Afrique du sud et dans le monde en général est plus que jamais une question du présent. Dans le cas de l'Afrique du Sud, la domination blanche connue sous le nom de l'Apartheid s'est métamorphosée avec le passage de ce pays à l'ère post-apartheid, complexifiant davantage les choses. Contexte de l'Apartheid et contexte post-apartheid, « il s'agit du même théâtre, des mêmes jeux mimétiques, avec des acteurs et des spectateurs différents certes, mais avec les mêmes convulsions et la même injure » 241(*).

La partie que j'ai consacrée à cette métamorphose à travers la question de la dépersonnalisation du Noir, évoque les mécanismes mis sur pied pour biaiser le Noir et lui imposer des conduites semblables à celles de l'ancien colon Blanc en Afrique du sud. C'est un contexte qui dissout, recrée des barrières raciales et culturelles plus subtiles, multiplie à grande échelle et diversifie des agents de l'aventure spirituelle de l'Occident ; des esclaves des temps modernes pour emprunter cette formule à Albert Memmi242(*).

Le traitement réservé au Noir devenu maître de céans en Afrique du Sud, de même qu'il permet d'envisager les Noirs aux commandes comme des héritiers de l'Ancien maître, aide aussi à se rendre compte qu'il vaut mieux ne pas justifier toute violence chez le Noir par des contacts de l'Afrique avec l'Occident. La violence du frère à l'égard du frère mérite également d'être prise en compte dans le contexte actuel de l'Afrique du Sud. Il y va de la réalisation d'un projet commun, à savoir, l'Homme dans toute sa diversité c'est-à-dire sa richesse culturelle. Il s'agit alors de promouvoir un humanisme de la différence, celui qui passe non plus par la diabolisation du prochain, mais par une éthique du prochain. The other side of silence d'André Brink et Ways of dying de Zakes Mda ont eu l'avantage d'ouvrir ce débat et d'autoriser l'espoir d'une Afrique du Sud adaptée à son présent. Ceci suppose :

La seule bataille ; celle pour la réussite d'un projet global de société de la transformation de celle-ci sur tous les fronts. Appuyée sur une deuxième articulation : un type d'homme nouveau, désaliéné, qui fonderait de nouveaux rapports sociaux, une nouvelle culture. Ceci suppose un nouveau projet de société243(*).

Il s'agit là des défis à relever pour la restitution de l'Afrique du sud à ses véritables enfants que le Nobel ou le Booker Prize continuent d'ignorer. Ma recherche pourrait ainsi servir de point de départ pour une réflexion en Afrique du Sud post-apartheid, en Afrique post-coloniale en général sur la neutralité des prix littéraires étrangers. Dans cette optique, elle pourrait se décliner comme une espèce de plaidoyer pour l'institution littéraire authentiquement africaine, endogène et autonome. Dans une telle réflexion, on pourrait s'inspirer de l'extension et de la variation des catégories d'analyse formelle du roman que ma recherche fait valoir dans le traitement de mon corpus. Ainsi, s'apercevrait-on de la densité sémantique et sémiologique de la notion d'écriture romanesque que je ne prétends d'ailleurs pas avoir épuisée.

Au demeurant, une analyse systématique et complète des divers aspects du féminisme dans The other side of silence d'André Brink et de l'humour dans Ways of dying de Zakes Mda aurait sans doute permis de mesurer l'épaisseur thématique, idéologique et esthétique des romans d'auteurs sud-africains ne bénéficiant pas d'autant de renommée internationale que Nadine Gordimer et J.M. Coetzee. Telle est en effet une insuffisance de la présente réflexion, dont une tentative de prise en charge pourrait constituer des bases d'une réflexion future sur l'impopularité de l'écrivain sud-africain.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Mda, Zanemvula Kizito G., Ways of Dying, Oxford, Oxford University Press, 1995.

II- AUTRES ÉCRITS DE GORDIMER

II.1 Romans

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Occasion for Loving, London, Gollancz, 1963.

The Late bourgeois World, New York, Viking, 1966.

A Guest of Honour, London, Cape, 1971.

The Conservationist, London, Cape, 1974.

Burger's Daughter, London, Cape, 1979.

July's People, New York, Viking, 1981.

A Sport of Nature, London, Cape, 1987.

My Son's Story, London, Bloomsbury, 1990.

None to Accompany Me, London, Bloomsbury, 1994.

The House Gun, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1998.

The Pickup, London, Bloomsbury, 2001.

II.2. Nouvelles

Face to Face, Johannesburg, Silver Leaf Books, 1949.

The Soft Voice of the Serpent and Other Stories, New York, Simon and Schuster, 1952.

Six Feet of the Country fifteen Short Stories, New York, Simon and Schuster, 1958.

Friday's Footprint, London, Gollancz, 1960.

Not for Publication: Fifteen Stories, London, Gollancz, 1965.

Livingstone's Companions, London, Jonathan Cape, 1972.

Selected Stories, London, Cape, 1975.

Some Monday for Sure, London, Heinemann Educational, 1976.

A Soldier's Embrace, London, Cape, 1980.

Something Out There, London, Cape, 1984.

Reflections of South Africa, Herning, Systeme, 1986.

Crimes of Conscience: Selected Short Stories, London, Heinemann, 1991.

Jump and Other Stories, London, Bloomsbury, 1991.

Why Haven't You Written: Selected Stories 1950-1972, New York, Viking, 1993.

Harald, Claudia, and Their Son Duncan, London, Bloomsbury, 1996.

Loot and Other Stories, London, Bloomsbury, 2003.

Beethoven Was One-Sixteenth Black and Other Stories, New York, Farrar, Straus, Giroux, 2007.

II.3- Essais

The Black Interpreters: Notes on African Writing, Johannesburg, Spro-Cas/Ravan, 1973.

The Essential Gesture: Writing, Politics and Places / edited and introduced by Stephen Clingman, London, Cape, 1988.

Writing and Being, Cambridge, Mass., Harvard Univ. Press, 1995.

Living in Hope and History. Notes from Our Century, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1999.

III. AUTRES ÉCRITS DE COETZEE

III.1- Romans

Duskland, Johannesburg, Ravan Press, 1974.

In the Heart of the Country, London, Secker & Warburg, 1977.

Waiting for the Barbarians, London, Secker & Warburg, 1980.

Foe, London, Secker & Warburg, 1986.

Age of Iron, London, Secker & Warburg, 1990.

The Master of Petersburg, London, Secker & Warburg, 1994.

Boyhood : Scenes from Provincial Life, London, Secker & Warburg, 1997.

Disgrace, London, Secker & Warburg, 1999.

Youth, London, Secker & Warburg, 2002.

Slow Man, Secker & Warburg, 2005.

Summertime: Scenes from a Provincial Life, London, Harvill Secker, 2009.

III.2- Essais

White Writing: on the Culture of Letters in South Africa., New Haven, Yale Univ. Press, 1988.

Doubling the Point: Essays and Interviews, Cambridge, Mass, Harvard Univ. Press, 1992.

Giving Offense: Essays on Censorship, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1996.

What is Realism?, Bennington, Vt., Bennington College, 1997.

The live of Animals /edited and introduced by Amy Gutmann, Princeton Univ. Press, 1999.

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Stranger Shores: Essays, 1986-1999, London, Secker & Warburg, 2001.

Lecture and Speech of Acceptance, upon the Award of the Nobel Prize, Delivered in Stockholm in December 2003, New York, Penguin Books, 2004.

Diary of a Bad Year, London, Harvil, l2007.

IV- Écrits sur Gordimer

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V- Écrits sur Coetzee

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VI- OUVRAGES CRITIQUES SUR LA QUESTION DE L'APARTHEID

Barnard, Rita, Apartheid and beyond, South African writers and the politics of place, Oxford, Oxford University Press, 2007.

Gordimer, Nadine, Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000.

Lory, Georges, L'Afrique du Sud, Paris, Karthala, 1998.

Ndebele, Njabulo, Rediscovery of the ordinary, Essays on South African literature and culture, University of Kwazulu-Natal Press, 1991, 2006.

Sévry, Jean, Afrique du Sud, ségrégation et littérature Anthologie critique, Paris, L'Harmattan, 1989.

VII- OUVRAGES GÉNÉRAUX ET THÉORIQUES

VII.1- OUVRAGES GÉNÉRAUX

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VII.2- OUVRAGES THÉORIQUES

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Van Rossum-Guyon, Françoise, Critique du roman, Paris, Gallimard, 1970.

VIII- ROMANS ET OUVRAGES DE FICTION SUR LA LITTÉRATURE AFRICAINE ET DIVERS

Beti, Mongo, Mission terminée, Paris, Buchet-Chastel, 1957.

Brink, André, Au plus noir de la nuit, Paris, Stock, 1978.

Brink, André, Etats d'urgence, Paris, Stock, 1990.

Brink, André, Une saison blanche et sèche, Paris, Stock, 1980.

Césaire, Aimé, Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1939.

Césaire, Aimé, Une Tempête, Paris, Seuil, 1969.

Condé, Maryse, Moi, Tituba sorcière noire de Salem, Paris, Mercure, 1986.

Hampâté Bâ, Amadou, Amkoullel, l'enfant peul, Paris, Actes Sud, 1991.

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Coad, David, « John Maxwell Coetzee », in Notre Librairie N°123, 1995.

Dirlik, Arif, « The postcolonial aura: third world criticism in the age of global capitalism », in Critical Inquiry, 1994.

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Wauthier, Claude, «Trois siècles d'histoire », in Notre Librairie n°122, 1995.

X- MÉMOIRES CONSULTÉS

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Fetchepi, Yves Ervice, Mythes et réalité dans le ventre de l'Atlantique de Fatou Diome, Mémoire de Maîtrise, Littérature négro-africaine, Université de Yaoundé I, Direction : Innocent Futcha, 2006.

Mba, Lise, Textualisation et sens dans Keitala de Fatou Diome, Mémoire de Maîtrise, Littérature négro-africaine, Université de Yaoundé I, Direction : Ambroise Kom, 2007.

Ngabeu, Ariane Jeannette, Histoire et mémoire dans la mémoire amputée de Werewere Liking, mémoire de DEA, Littérature négro-africaine, Université de Yaoundé I, Direction : Ambroise Kom, 2006.

Ngan, Jean Pierre, La problématique du christianisme dans la croix du coeur de Charly-Gabriel Mbock, Mémoire de DIPES II, Lettres Modernes Françaises, Ecole Normale Supérieure de Yaoundé, Direction : Cécile Dolisane Ebosse, 2008.

Samou, Jean Blaise, Problématique de la vérité chez Gillian Slovo. Approche postcoloniale de Red dust, Mémoire de Maîtrise, Littérature négro-africaine, Université de Yaoundé I, Direction : Innocent Futcha, 2004.

Sangouing, Ives Loukson, Représentation et migration dans The pickup de Nadine Gordimer, Mémoire de Maîtrise, Littérature négro-africaine, Université de Yaoundé I, Direction : Innocent Futcha, 2008.

Tchumkam, Hervé, Exil et identité. Regards croisés sur calomnies de Linda Le et Mirages à 3 d'Albert Bensoussam, Mémoire de Maîtrise, Littérature générale et comparée, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3, Direction : Daniel-Henri Pageaux/Alfred Tumba Shango Lokoho, 2003.

XI- WEBOGRAPHIE

http://nobelprize.org/nobel_ prizes/literature/laureates/2003/coetzee-bibl-html

http://www.kirjasto.sci.fr/gordimer.htm.

Microsoft ® Etudes 2008 [DVD]

http.//www.fr(celebre/biographie/nadine-gordimer-1539.php

www.sas.upenn.edu/african studies/articles gen/inauguralspeech 17984. html.

http: //en.wikipedia. org/wiki/Nadine-Gordimer

http: //etudesafricaines.revues.org/index22.html.

http: //nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1991/gordimer-bibl-html

TABLE DES MATIÈRES

DÉDICACE i

REMERCIEMENTS ii

RÉSUMÉ iii

ABSTRACT iii

LISTE DES TABLEAUX ET SCHÉMA iv

LISTE DES ABRÉVIATIONS v

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

PARTIE I : RUPTURES ET CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE CHEZ COETZEE ET GORDIMER 11

CHAPITRE I : MICHAËL K., SA VIE, SON TEMPS ; A WORLD OF STRANGERS : AUX SOURCES DE LA CONSCIENCE DE CLASSE 16

I-1- Apartheid : Enjeux d'une idéologie en vigueur avant J.M. Coetzee et Nadine Gordimer 19

I-2- Repères biographiques de Coetzee et de Gordimer 23

I-3- A world of strangers et Michael K., sa vie, son temps: romans de la conscience de classe 27

I-3-1- A world of strangers, Michaël K., sa vie, son temps: romans de formation 27

I-3-2- Michaël K., sa vie, son temps ; A world of strangers : romans libéraux 36

CHAPITRE II : RUPTURES ET CONTINUITÉS DANS L'ÉCRITURE ROMANESQUE POST-APARTHEID DE COTZEE ET GORDIMER 41

II-1- Le système des personnages dans Elizabeth Costello et Get a life 43

II-1-1- L'organisation des personnages dans Elizabeth Costello et Get a life 45

II-1-2- Les modalités du personnage dans Elizabeth Costello et Get a life 52

II-1-2-1- Le savoir des personnages 53

II-1-2-2- Le pouvoir des personnages 59

II-2- L'Espace narratif dans Get a life et Elizabeth Costello 65

II-2-1- L'espace narratif et son double 66

II-2-2- Espace narratif et signification 73

II-3- La transparence intérieure des personnages 78

II-3-1- Le Psycho-récit 79

II-3-2- Le monologue rapporté 82

PARTIE II : ENJEUX DE L'ÉCRITURE ROMANESQUE POST-APARTHEID DE COETZEE ET GORDIMER 85

CHAPITRE III: SIGNIFICATION DE GET A LIFE ET D'ELIZABETH COSTELLO À LA LUMIÈRE DE THE OTHER SIDE OF SILENCE ET WAYS OF DYING 90

III-1- Le langage indirect dans The other side of silence 92

III-1-1- Les Traces de l'Afrique du Sud 94

III-1-2- Les figures du discours de Brink sur l'Afrique du Sud 102

III-1-2-1- La quête de la liberté 103

III-1-2-2- Le féminisme 104

III-1-2-3- La diversité 107

III-2- Perspective narrative et vouloir du personnage dans Ways of Dying 112

III-2-1-Le vouloir de Toloki 112

III-2-2- Perspective narrative et signification dans Ways of Dying 119

CHAPITRE IV : GET A LIFE ET ELIZABETH COSTELLO : ROMANS PORTEURS D'IDÉOLOGIES COMPATIBLES 123

IV-1- La bourgeoisie comme paradigme chez Coetzee et Gordimer 124

IV-2- Contexte post-apatheid : espace de l'exacerbation et de la complexification du racisme 128

IV-2-1- Le rejet du Noir 128

IV-2-2- La dépersonnalisation du Noir 132

IV-3- La popularité de Gordimer et de Coetzee en question 135

CONCLUSION GÉNÉRALE 101

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 114

TABLE DES MATIÈRES 157

* 1 Massizi Kunene, cité par Jean Sévry in Nouvelles du Sud, Littérature d'Afrique du Sud, Éditions Nouvelles du sud, 1993, p. 38.

* 2 Jean Sévry, Afrique du Sud, ségrégation et littérature, Paris, l'Harmattan, 1989.

* 3 Jean Sévry, op.cit. p. 9

* 4 Nadine Gordimer, Get a life, London, Bloomsbury, 2005.

* 5 John Maxwell Coetzee, Elizabeth Costello, London, Secker & Warburg, 2003.

* 6 Il importe d'émettre la réserve ici selon laquelle l'exclusivité d'Elizabeth Costello n'est valable que comparée à Get a Life. Car en leur temps, États d'urgence et Au plus noir de la nuit d'André Brink étaient déjà métafictionnels. Voir André Brink, États d'urgence, Paris, Stock, 1990, et Au plus noir de la nuit, Paris, Stock, 1978.

* 7 J.M. Coetzee en 2003 et Nadine Gordimer en 1991.

* 8 J.M. Coetzee a été doublement distingué par cette institution britannique. En 1983 pour Michael K., sa vie, son temps, et en 1999 pour Disgrâce. Gordimer a été distinguée en 1974 pour The conservationist.

* 9 Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, Bloomington Indianapolis, India University Press, 1994, p. 3.

* 10 David Coad, «  John Maxwell Coetzee », Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2, N°123, Juillet- septembre1995, p. 9.

* 11 Jean Sévry, « Head, Dominic- J.M. Coetzee », Cambridge, Cambridge University Press, 1997, in Cahiers d'études africaines, 157/2000, http:// etudesafricaines.revues.org/index22.html. p. 1.

* 12 André Brink, The other side of silence, London, Secker & Warburg, 2002.

* 13 Zakes Mda, Ways of dying, Oxford University press, 1995.

* 14 J.J Sewanou Dabla, Nouvelles écritures africaines. Romancier de la seconde génération, Paris, L'Harmattan, 1986.

* 15 Abdourahmane Waberi, « Les enfants de la postcolonie. Esquisse d'une nouvelle génération d'écrivains francophones d'Afrique noire », art. in Notre librairie n°135, septembre-décembre 1998.

* 16 Odile Cazenave, Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers à Paris, Paris, L'Harmattan, 2003.

* 17 Odile Cazenave, op.cit. pp.7-8

* 18 J.J. Sewanou Dabla, op.cit, p.7.

* 19 Abdourahmane Ali Waberi, op. cit, P.11

* 20 Abdourahmane Ali Waberi, op., cit, p. 15

* 21 Rita Barnard, Apartheid and Beyond: South African writers and the politics of place, Oxford University Press, 2006.

* 22 Njabulo Ndebele, Rediscovery of the ordinary: Essays and South African literature and culture, University of Kwazulu Natal Press, 2006.

* 23 Roland Barthes, «  Dix raisons d'écrire », in Il corriere della sera, 29 Mai 1969, repris dans OEuvres Complètes, éditées par E. Marty, tome II, éd. Du Seuil, 1994, p. 541.

* 24 Alexandre Gefen, «  La puissance du langage inutile », Le Magazine littéraire, N°482 janvier 2009, P.73.

* 25 Partie de la linguistique et de la critique littéraire qui s'attache au récit, à son fonctionnement, à ses modalités, etc. Les deux grandes questions traditionnelles de la narratologie sont celles de la structure du récit (intrigue, temporalité...) et celle de l'instance narrative. Mais le narratologue travaille aussi sur des composantes secondaires comme la question du personnage, le rôle des informations non narratives, etc. Il s'agit dans tous les cas de mettre en évidence des invariants et de proposer des classifications sur une base formelle. La narratologie contemporaine est essentiellement, redevable au formalisme russe des années 1920 (Vladimir Propp, par exemple) et au structuralisme français des années 1960-1970 (Lévi-Strauss, Greimas, Genette), Gilles Philippe, « Narratologie », Lexique des termes littéraires, Paris, Gallimard, 2001.

* 26 Voir, L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 262.

* 27 Les principaux animateurs de ces revue et centre sont Edward P. Thompson, Stuart Hall, Raymond Williams et Richard Hoggart, tous trois des Britanniques.

* 28 Stuart Hall, Identités et cultures, politiques des cultural studies, traduction de Christophe Jaquet, Paris, éditions Amsterdam, 2007, pp. 20-21.

* 29 Stuart Hall les présente comme étant « toutes ces choses dont Marx ne parlait pas, ou qu'il semblait ne pas comprendre, et qui furent l'objet privilégié des cultural studies: la culture, l'idéologie, le langage, le symbolique ». Voir à ce propos, Stuart Hall, Identités et cultures. Politique des cultural studies, Paris, Ed. Amsterdam, 2007, p.21.

* 30 Achille Mbembe, « La République et l'impensé de la « race », in Pascal Blanchard, Nicholas Bancel et Sandrine Lemaire (s/d), La Fracture coloniale. La société française au prisme de l'héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005, p. 145.

* 31 Arif Dirlik, « The postcolonial aura: third world criticism in the age of global capitalism », in Critical Inquiry, hiver 1994, cité par Stuart Hall, Identités et cultures, op. cit., pp. 286-287.

* 32 S. Hall, op. cit., p. 38.

* 33 Maxime Cervulle, Préface à, Stuart Hall, Identités et cultures, politique des Cultural studies, Paris, Ed.Amsterdam, 2007, p.13

* 34 Maxime Cervulle, ibidem.

* 35 Raymond Williams, The long revolution, Canada, Broadview Press, 2001, p.55 cité par S. Hall, ibidem, p. 37.

* 36 Henri Mitterand, Le Discours du roman, Paris, Puf, 1980, p. 7.

* 37 Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 197, p. 140.

* 38 Stuart Hall, Identités et cultures, politiques des cultural studies, traduction de Christophe Jaquet, Paris, éditions Amsterdam, 2007, p. 38.

* 39 La narratologie est encore un concept forgé par Todorov pour désigner un projet scientifique de l'étude du récit (Grammaire du Décaméron, la Haye, 1969, p. 10). Cette science a bénéficié de l'essor du structuralisme des années 60. Bernard Valette, pour sa part, pense que la narratologie est une sorte de poétique restreinte limitée au fait romanesque (Le Roman, initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992, p. 10). Pour Mieke Bal La narratologie est la science qui cherche à formuler la théorie des relations entre texte narratif, récit et histoire. Elle ne s'occupera ni du texte narratif, ni de l'histoire pris isolement. (Narratologie, Utrecht, 1983, p. 5)

* 40 Marlene Van Niekerk, Triomf, Lausane (Suisse) / la Tour d'Aigues, éditions d'En bas/ éditions de l'aube, 2002. Ce roman fait référence à un épisode tristement célèbre de l'histoire de l'Afrique du Sud. Il s'agit de la destruction, dans les années 1950, du quartier noir de Sophiatown et de son remplacement par un quartier chique réservé aux Blancs que l'on dénomma Triomf.

* 41 Denise Coussy, «  Histoire et roman dans la nouvelle Afrique du Sud », in Notre librairie N°161, Mars- Mai 2006, p. 74.

* 42 Il convient de noter que le découpage chronologique officiel et rigoureux qui établit que l'Apartheid en Afrique du Sud serait rentré en vigueur en 1948 pour s'achever en 1994 avec la tenue des premières élections multiraciales est relativisé par bon nombre de chercheurs. Jean Sévry souligne par exemple que les débuts de la politique ségrégationniste remontent au 17ème siècle avec l'arrivée des Blancs d'origine hollandaise en Afrique du Sud. Voir Jean Sévry, Afrique du Sud, ségrégation et littérature, Paris, L'Harmattan, 1989. Les premières failles font surface en 1976 avec les massacres de Soweto pour s'amplifier en 1990 avec la libération le 11 février du leader charismatique Nelson Mandela. Voir Georges Lory, l'Afrique du Sud, Paris, Karthala, 1998, PP75-84. Rita Barnard pour sa part, moins optimiste perçoit la virtualité des débuts de la fin de l'Apartheid dans les écrits d'écrivains contemporains sud-africains comme Zakes Mda, Njabulo Ndebele, Mamphela Ramphele, MiriamTlali et bien d'autres. Autrement dit, le système de l'Apartheid a encore bien de jours devant lui en Afrique du Sud. Voir Rita Barnard, Apartheid and Beyond, South African Writers and the politics of place, Oxford, Oxford University presss, 2007. Ces observations expliquent en amont pourquoi je retiens deux romans de Coetzee et de Gordimer séparés de 25 ans d'intervalle et pourquoi en aval je fais intervenir Ways of Dying de Zakes Mda publié pour la première fois en 1991, comme roman de la période post-apartheid.

* 43 J.M. Coetzee, Michael K. sa vie, son temps, Paris, Seuil, 1985.

* 44 Nadine Gordimer, A World of Strangers, London, Penguin Book, 1958.

* 45 John Berger, cité par Rita Barnard, Apartheid and beyond, South African writers and the politics of place, Oxford, Oxford University press, 2007, p. 18.

* 46 Voir T. Todorov, « La grammaire du récit », in Langage n°12, Paris, Larousse, 1968.

* 47 Jacques Rancière, Le partage du sensible, esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000 et Malaise dans l'esthétique, Paris, Galilée, 2004.

* 48 Georgio Agamben, Profanations, trad. De Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2006, p. 84.

* 49 Frederic Jameson, Cité par Rita Barnard, op.cit, p. 46

* 50 Lydie Moudileno, «  Postcolonialisme, inventaire et débat », in Africultures, N°28, Mai 2000, P.9.

* 51 Gerald Prince parle de « disnarrated » précisément. Sur ce sujet, voir Narrative as theme, London, University of Nebraska Press, 1992, pp. 28-38.

* 52 J.M. Moura (entretien avec), « La critique post-coloniale, étude des spécificités », in Africultures, N°28, op. cit., p. 18

* 53 Stuart Hall identifie deux paradigmes dont la combinaison sert de base théorique aux Cultural studies : le structuralisme et le culturalisme. Voir à ce propos, Stuart Hall, « Deux paradigmes » in Identités et cultures, op. cit., pp. 33-56.

* 54 Stuart Hall, op. cit. p. 49

* 55 Raymond Williams, New Left Review, N°9, 1961, p. 33.

* 56 E.P. Thompson, « peculiarities of the English », in Socialist Register, London 1965, P.356, cité par Stuart Hall, op.cit., 42.

* 57 Nadine Gordimer, « 1959 : Qu'est-ce que l'Apartheid »? In Vivre dans l'espoir et dans l'histoire, Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000, p. 103.

* 58 A côté de l'Apartheid, on peut ajouter sans risque de se tromper l'esclavage des Noirs, la colonisation et la modernisation. Ces notions sont, comme l'aurait dit Edward Said des créations de la société capitaliste triomphante. C'est aussi le point de vue de Frederic Jameson lorsqu'il souligne l'importance théorique du concept du tiers-monde: « I don't (...) see, écrit-il, any comparable expression that articulates as this one does, the fundamental breaks between the capitalist first world, the socialist bloc of the second world, and a range of other countries which have suffered the experience of colonialism and imperialism ». Jameson conclut son propos en reconnaissant que « capital (...) is sometimes euphemistically termed (...) modernization ». Voir à ce sujet, Frederic Jameson, «  Third-World Literature in the Era of Multinational Capitalism », in New Political Science N°15, Columbia University, 1986, pp. 65-87.

* 59 Jan Smuts (1870-1950) a été artisan de l'intervention aux côtés des alliés au cours des deux guerres mondiales. C'est la première autorité Afrikaner en Afrique du Sud à prononcer le mot Apartheid dans un discours officiel en 1917. Il reviendra à Hendrik Verwoed (1901-1966) encore surnommé l'architecte de l'Apartheid et à Peter Willem Botha de parfaire et de systématiser l'architecture. Voir à cet effet, Georges Lory, L'Afrique du Sud, Paris, Karthala, 1998 et Le discours prononcé par l'ancien Président d'Afrique du Sud P. W. Botha devant son cabinet, discours imprimé par David G. Mahlu pour le Sunday Times du 18 août 1985.

* 60 Voir Claude Wauthier, « Trois siècles d'histoire », in « Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 1, N°123, Avril-Juin 1995, pp. 10-11.

* 61 David Coad, « John Maxwell Coetzee », in « Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2, N°123, Juillet-Septembre 1995, p. 22.

* 62 Jean Sévry, « Les romanciers Sud-africains et l'histoire de leur pays », in « Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2 », op.cit., p. 14.

* 63 Georges Lukacs, Histoire et conscience de classe, cité par Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992, p. 33.

* 64 Stuart Hall, op.cit. p. 49.

* 65 Nadine Gordimer, citée par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. 85.

* 66 Jean Michael Coetzee pour les francophones, John Maxwell Coetzee pour les anglophones.

* 67 En guise de rappel, l'Australie est le pays d'origine d'Elizabeth Costello, personnage central d'Elizabeth Costello, op. cit.

* 68 Pour l'essentiel de ces indications biographiques, voir Tore Frängsmyr, The Nobel prizes 2003, Nobel Foundation, Strockholm, 2004 in http : nobelprize.org/nobel_prize/Literature/Laureates/2003/Coetzee_bio.html et David Coad, « John Maxwell Coetzee » in Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud 2 N° 123, op.cit., 19.

* 69 J.M. Coetzee, Scènes de la vie d'un garçon, trad. de Catherine Glenn-Lauga, Paris, Seuil, 1999, p. 13.

* 70 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, p. 194.

* 71 Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. 85.

* 72 Le jugement est de Denise Coussy, « Une Africaine blanche, entretien avec Nadine Gordimer », in Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud1 No.122, Avril-Juin 1995, p. 74.

* 73 Les informations proviennent respectivement de http://www.kirjasto.sci.fi/Gordimer.htm et « Gordimer, Nadine » Microsoft ® Etudes 2008 (DVD), Microsoft Corporation, 2007.

* 74 Voir Jean Sévry ,. Afrique du Sud, ségrégation et littérature, anthologie critique, op. cit., pp. 266-267

* 75 Il convient de préciser que chez Gordimer, la fiction est plus vraie que tout autre type de texte : I really do want to write novels(...) I have written a few stories that satisfy me but I've not written a novel that comes anywhere near doing so. Nadine Gordimer, A writer in South Africa, 1965:25, cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. vii.

* 76 Mouvement esthétique et littéraire qui se développe à travers l'Europe à partir des dernières années du XVIIIe siècle. Le romantisme est une dynamique, en rapport direct avec la dynamique historique et la conscience nouvelle qu'on en prend. Chez le héros romantique, le devenir l'emporte sur l'être, même si ce devenir est incertain, le présent instable, et l'époque décevante. Sur le plan esthétique, le romantisme conduit à relativiser les règles et décloisonner les genres. La conscience historique entraîne à rechercher la «couleur » propre à chaque siècle et contribue à faire émerger la notion de modernité qui est la «couleur» du présent. Enfin, le romantisme fait confiance à l'imagination, la première et la plus rare des facultés selon Alfred de Vigny (1832). L'imaginaire littéraire, nourri de la vision des siècles passés, de l'Orient, des littératures étrangères, des traditions populaires, s'ouvre au rêve, à des formes renouvelées du mythe, au délire (Nerval) et prépare à l'exploration de l'inconscient. Voir Yves Vadé, «romantisme» in Michel Jarrety (s/d)., Lexique des termes littéraires, Paris, Gallimard, 2001, pp. 384-387.

* 77 Désormais les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle MK suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

* 78 « il mangeait le pain de la liberté », s'impressionne un de ses gardes au camp de Jakkalsdrif. Voir Michael K., sa vie, son temps, op. cit., p. 176.

* 79 Sun Tse, L'art de la guerre, cité par Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Paris, Gallimard, 1988, p. 11.

* 80 Jacobus Coetzee est un ancêtre de John Coetzee qui a participé à l'exploration de l'intérieur du continent africain. Voir David Coad «John Maxwell Coetzee» in Notre librairie, Littérature d'Afrique du sud2, op. cit., p. 20.

* 81 Rita Barnard, Apartheid and beyond... op. cit., p. 32.

* 82 Désormais les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle AS suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

* 83 Nadine Gordimer, citée dans http://www.evene.fr/celebre/biographie/nadine-gordimer-1539.php

* 84 Il convient de souligner que « location » est un concept qui traduit l'imaginaire ostraciste des colons blancs en Afrique du Sud. Dans cette logique de ravalement du Noir à la sauvagerie, ou à un simple objet dont on s'en sert pour réaliser son rêve de puissance, location a succédé à la notion de homeland et a précédé la notion de township. Voir à ce propos Sipho Sepamla (entretien avec), «Au-delà de l'amertume» in Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud1, op.cit., p. 122.

* 85 Voir Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 14.

* 86 André Brink, Une saison blanche et sèche, Paris, Stock, 1980.

* 87 Voir Nick Visser, « The novel as liberal narrative: The possibilities of radical fictions », in Works and Days, 1985, cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op.cit. p. 2.

* 88 Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op. cit., p. 70.

* 89 Nick Visser, « the novel as liberal narrative: the possibilities of radical fiction », cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op.cit., p. 21.

* 90 Georg Lukacs, The meaning of contemporary realism (1955), 1963, pp.122-123, cité par Kathrin Wagner, op. cit., p. 68.

* 91 Voir Kathrin Wagner, op.cit., p. 246.

* 92 Stephen Clingman, The novels of Nadine Gordimer, 1986, pp.52-97, cité par Kathrin Wagner, op. cit., p. 68.

* 93 Rita Barnard, Apartheid and beyond..., op. cit., p. 30.

* 94 « Il n'est sans doute pas d'instrument de rupture plus puissant, écrit Bourdieu, que la reconstitution de la genèse : en faisant ressurgir les conflits et les confrontations des premiers commencements et, du même coup, les possibles écartés, elle réactualise la possibilité qu'il en ait été (et qu'il en soit) autrement et, à travers cette utopie pratique, remet en question le possible qui, entre tous les autres, s'est trouvé réalisé ». Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, sur la théorie de l'action, Paris, Seuil, 1994, p. 107.

* 95 Le terme est de Michel Foucault. Il désigne par là une des étapes de l'analyse structuraliste des récits populaires, des poèmes, des rêves, des oeuvres littéraires etc.... Voir Michel Foucault, L'Archéologie du Savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 262.

* 96 Yves Reuter, Introduction à l'Analyse du Roman, Paris, Dunod, 1996, p. 38.

* 97 Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1972, p. 14.

* 98 Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 72.

* 99 Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 227.

* 100 Joseph Courtes, Analyse sémiotique du discours, de l'énoncé à l'énonciation, Paris, Hachette Supérieur, 1991, p. 245.

* 101 Roland Barthes, « Introduction à l'analyse structurale des récits » in Communications 8, Paris, Seuil, 1981, p. 22.

* 102 Yves Reuter, Introduction à l'analyse du roman, op. cit., p. 51.

* 103 Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », in R. Barthes et alï. Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977.

* 104 Vincent Jouve, L'Effet personnage dans le roman, Paris, Puf., 1992.

* 105 Henri Mitterrand, Le Discours du Roman, Paris, Puf, 1980, p.7.

* 106 Philippe Hamon, Le personnel du Roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d'Emile Zola, Genève, Droz, 1983, p.185.

101 Vincent Jouve, Poétique du Roman (2ème édition), Paris, Armand Colin, 2001, p. 39.

* 107 Philippe Hamon, Le personnel du Roman, op.cit., pp. .55-56.

* 108 Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle GL suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

* 109 Roland Barthes signifie par ce concept la particularité qu'a le récit de prendre en charge le réel par truchement des descriptions, d'une certaine catégorie de noms ou de référents temporels, pourvu que le lecteur soit attentif et cultivé. Voir Roland Barthes, « L'effet de réel », in Gérard Genette, Tzvetan Todorov (s/d), Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, pp. 81-89.

* 110 Pierre Larousse, cité par P. Hamon, Le personnel du roman, op. cit., p.109.

* 111 Désormais les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle EC suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

* 112 P. Hamon, Le personnel du roman, op. cit., p. 235.

* 113 P. Hamon, Le personnel du roman, op.cit., p. 56.

* 114 P. Hamon, Le personnel du roman, op.cit., p. 274.

* 115 Il convient de faire observer que si on venait à remplacer Costello par Coetzee (cette interchangeabilité est d'ailleurs possible, tant les deux auteurs ont de points de ressemblances), on remarquerait une coïncidence notoire entre le sort de Costello autant en Afrique (Egundu) qu'en Occident (USA, Pays-Bas...) et celui que la critique a réservé à John Coetzee comme cela a été souligné à l'introduction, célébré en Occident mais suspecté par les Noirs sud-africains.

* 116 Boniface Mongo-Mboussa, « Littérature en miroir : création, critique et intertextualité » in Notre Librairie, La critique Littéraire N°160, décembre 2005-février 2006, P.56.

* 117 Edward Said, L'orientalisme, L'orient crée par l'occident, Paris, Seuil, 1981, p .56.

* 118 Edouard Glissant, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990, p.117.

* 119 Édouard Glissant, Poétique de la relation, op. cit., p.117.

* 120 Tzvetan Todorov, Préface à l'orientalisme d'Edward Said, op. cit., p. 8.

* 121 Rita Barnard, Apartheid and Beyond... op. cit., p. 25.

* 122 Paul Valery, cité par P. Hamon, Le Personnel du Roman, op.cit., p. 275.

* 123 Notre traduction partant du glossaire fourni en fin de volume, p. 189.

* 124 Il convient de signaler que Gordimer s'y essaye déjà dans The pickup. Cependant, Abdu est un arabe métis plutôt qu'un véritable Noir. Voir Nadine Gordimer, The pickup, New York, Farrar, Strauss and Giroux, 2001.

* 125 P. Hamon, Le personnel du roman, op.cit., p. 260

* 126 Giorgio Agamben, Profanations, Paris, Payot & Rivages, 2006

* 127 Voir Alexandre Gefen, « La puissance du langage inutile » in Le Magazine littéraire, N°482, Janvier 2009, p. 72.

* 128 A. Kom, « littérature africaine, l'avènement du polar » in Notre Librairie N°136, Nouveaux paysages littéraires, Janvier-Avril, 1999, p. 21.

* 129 Edouard Glissant, Poétique de la relation, op.cit., p. 23

* 130 L'Umkhonto we Sizwe est la branche armée de l'ANC et qui se traduit en Français par Fer de lance de la Nation. Voir George Lory, L'Afrique du Sud op.cit., p. 71.

* 131 Salman Rushdie, Les Versets Sataniques, Paris, Plon, 1999, p. 13.

* 132 N. Mandela, Discours de Prestation de Serment, Pretoria, 10 Mai 1994. Voir à propos www.sas.upenn.edu/african studies/articles gen/inaugural speech 17984.html.

* 133 P. Hamon, Le Personnel du Roman, op.cit., p. 107.

* 134 Edouard Glissant (entretien avec), « Une autre manière de lire le monde » in Notre Librairie N° 161, Mars-Mai 2006, p. 113.

* 135 Jean Yves Tadié, Poétique du récit, Paris, Puf, 1978, p. 47.

* 136 Georges Gusdorf, Mythe et Métaphysique, Paris, Flammarion, 1953, p. 48.

* 137 Yves Reuter, Introduction à l'analyse du Roman, op.cit., p. 55.

* 138 Roland Barthes, « l'effet de réel » in Gérard Genette et Tzvetan Tiodorov (s/d), Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, p. 89.

* 139 Costello (John Aloysius) : homme politique Irlandais (1891-1976) qui fit abroger la loi sur les relations extérieures et rompit les derniers liens de l'Irlande avec le Commonwealth. Au sujet d'Elizabeth, nous avons répertorié 13 entrées dans Le Petit Larousse Illustré (1976). Nous avons voulu nous arrêter sur Elizabeth Ière (1533-1603) : Reine d'Angleterre et d'Irlande, fille d'Henri VIII et d'Anne Boley. Souveraine énergique et autoritaire, elle rétablit l'anglicanisme, fit périr sur l'échafaud Marie Stuart... Elle protégea les lettres, les arts, le commerce, et favorisa la colonisation de la Virginie. La raison est que Costello écrit à Francis Bacon à la fin du volume, ce roi a existé au même siècle qu'Elizabeth Ière.

* 140 Roland Bourneuf, Real Ouellet, L'univers du roman, Paris, Puf, 1989, p. 105.

* 141 Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Ein Lyriker im Zeitalter des Hochkapitalismus, Francfort-Sur-leMain, Suhrkamp, 1969, P.76, cité Par E. Said, L'orientalisme, op.cit., p.26.

* 142 Franz Fanon, Les Damnés de la terre, op.cit., p.30

* 143 J. M. Coetzee, Michaël K, sa vie, son temps, op.cit., p. 211.

* 144 Lars Engle, « The Novel without the Police », in Pretexts 3 (1991): 116-117, cité par Rita Barnard, Apartheid and Beyond... op. cit., p. 95.

* 145 Käte Hamburger, Die Logik der Dichtung, Ernst Klett Verlag, Stuttgart, 1957.

* 146 Dorrit Cohn, Transparent Minds, Pricetown University Press, Guildford, Surrey, 1978, traduction d'Alain Borry, La Transparence intérieure, Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, Paris, Seuil, 1981.

* 147 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure..., op.cit., p.20.

* 148 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure..., op.cit., p.20.

* 149 Tristam Shandy est le personnage central du récit de Laurence Sterne, The Life and Opinions of Tristam Shandy, Gentleman (1759-1767) publié en 1967. Ce dernier entreprend de tracer le portrait de son oncle Toby en répétant le reproche du dieu grec Momus à Vulcan, un autre dieu qui, dans la forme qu'il aurait donnée à l'homme n'aurait pas ouvert, à la place du coeur, une fenêtre dans la statue d'argile ; une fenêtre qui aurait permis de faire apparaître clairement les sentiments et les pensées dont le coeur est le siège. Conscient de l'échec d'une telle entreprise, Tristam conclut par la nécessité, puisque l'exercice consistant à percer le mystère de la vie intérieure mérite l'attention, malgré les résistances qu'il recèle, d'opter pour une autre approche : « Nos esprits ne vivent pas à travers nos corps mais y vivent enveloppés dans l'ombre opaque de la chair et du sang. Si nous voulons donc apercevoir les nuances, il nous faut prendre une autre voie ». Voir à ce sujet Laurence Sterne, Tristam Shandy (P1759-1763), I, XXXIII : Coll. « 10/18 », I, P.100-101 (trad. Charles Mauron), citée par Dorrit Cohn, La Transparence intérieure... P.15.

* 150 Je souligne

* 151 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure, op.cit., (P.16)

* 152 Dorrit Cohn, La transparence intérieure... op.cit., pp. 28-29.

* 153 T. Todorov, Préface à Edward Said, L'orientalisme, op.cit., p. 8.

* 154 Voir par exemple Philippe Lejeune, « Le pacte auto biographique », cité par Gilles Philippe dans Lexique des Termes littéraires, op.cit., p. 47.

* 155 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure, op.cit., p. 19.

* 156 Breyten Breytenbach se représentait l'Apartheid comme « la loi du bâtard ». « Nous sommes un peuple de bâtard avec une langue bâtarde », ajoutait-il dans A season in paradise, 1980, P.154 Cité par Jean Sévry, Afrique du Sud, ségrégation et... op.cit., p. 220.

* 157 Fanon parle notamment de l'aventure Spirituelle de l'Europe pour signaler les moyens dévastateurs sur lesquels repose la construction de l'Europe, voir Franz Fanon, les Damnés de la terre, op.cit., p. 371.

* 158 Stuart Hall, Identités et cultures, politique des cultural studies, op. cit., p. 69.

* 159 Walter Benjamin, Charles Baudelaire: A lyric Poet in the Era of High Capitalism, Londres, New Left Books, 1973, P. 71, cité par Edward Said, L'Orientalisme... op.cit., p. 26.

* 160 Nick Visser, cité par Kathrin Wagner, Rereading Nadine Gordimer, op.cit., p. 21.

* 161 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale II, Paris, Gallimard, 1974, p. 39.

* 162 Gérard Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 22

* 163 Jaap Lintvelt et Marcel Proust, Contre sainte- Beuve, cité par J.M. Adam, Le texte narratif. Traité d'analyse textuelle des récits, Paris, Fernand Nathan, 1985, p. 174.

* 164 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale II, op. cit., p. 21.

* 165 C'est ainsi que Nadine Gordimer définit la finalité de toutes les études littéraires. Voir à cet effet, Nadine Gordimer, Vivre dans l'espoir et dans l'histoire, Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000, p. 158.

* 166 La redécouverte de l'ordinaire est un concept forgé par Njabulo S. Ndebele dans son ouvrage intitulé Rediscovery of the Ordinary, Essays on South African literature and culture. Ce concept souligne la rupture esthétique d'avec des modèles que l'Apartheid avait imposés aux artistes sud-africains. Ces modèles furent entre autre l'exhibitionnisme, le manichéisme, les absolus et rien d'intermédiaire. Redécouvrir l'ordinaire consiste autant à dénoncer les absolus ou les généralisations absurdes que l'Apartheid a contribuées à institutionnaliser dans la littérature sud-africaine ou dans la société tout court qu'à explorer ou traiter des thèmes intermédiaires entre les races, les classes, les sexes ou les rôles sociaux. Entre autres thèmes intermédiaires on compte l'humour, la mort, l'amour, la relativité de la vérité ou la véritable diversité. Voir à ce sujet l'interview que Njabulo Debele a accordé à Denise Coussy dans Notre Librairie, Littérature d'Afrique du Sud1, N°122 Avril-juin 1995, pp. 62-67.

* 167 Erich Auerbach, Mimesis. La Représentation de la réalité dans la littérature occidentale. (Trad. Française), Paris, Gallimard, 1968, pp.478 et ss.

* 168 Henri Mitterrand, Le discours du roman, Paris, Puf, 1980, p. 7.

* 169 Gérard Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 294.

* 170 Pour Brecht, un roman est dit réaliste lorsqu'il dévoile la causalité complexe des rapports sociaux, B. Brecht, Sur le réalisme, cité par Philippe Hamon, « Un discours contraint », in Gérard Genette. Tzvetan Todorov (s/d), Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, p. 159.

* 171 Gérard Genette, Figures II, op.cit., p. 192.

* 172 Philippe Hamon, Le Personnel du roman, op.cit., p. 106.

* 173 Gerard Prince, Narrative as theme, London, University of Nebraska press, 1992, p. 38.

* 174 Voir Gérald Prince, Narrative as Theme, op.cit., p. 30.

* 175 Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle OS suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

* 176 L'Allemagne fédérale est constituée de 16 états fédérés appelés des Länder. Bremen est la capitale de l'Etat de Bremen. Le Land de Bremen a la particularité de représenter le Land le plus petit en superficie comparé aux 15 autres Länder. Cette particularité n'est certainement pas fortuite dans The other of silence. Voir, Peter Hintereder (s/d), Allemagne. Faits et réalités, Berlin, Francfort sur-le-Main, Societäts-Verlag, décembre 2007, PP.17-25. Peut-être que Brink a voulu suggérer que son roman n'a pas pour objet majeur l'Allemagne. Peut-être aussi que la petitesse en superficie de Bremen est un embrayeur que Brink déploie pour signaler d'entrée de jeu le peu d'importance des origines d'Hanna X pour son roman, Brink invite sans doute à s'intéresser davantage aux actes ou à l'identité qu'Hanna X construit le long du récit. Si tel est le cas, de prime abord, Brink souligne déjà des points de démarcation entre Hanna X et Elizabeth Costello de Coetzee. La deuxième est Australienne blanche tandis que la première est Allemande blanche. Alors que Costello appartient à la classe bourgeoise, Hanna X, elle appartient à la classe des va-nu-pieds, des femmes considérées comme sans importance pour les Allemands d'Allemagne si oui pour les Allemands des colonies allemandes en Afrique.

* 177 Dites la pucelle d'Orléans, héroïne française (1412-1431). Elle appartenait à une famille de paysans. Très pieuse, elle entendit des voix qui l'engageaient à délivrer la France, ravagée par l'invasion anglaise. Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs ne voulut pas d'abord déférer à son désir, d'être conduite auprès de Charles VIII ; il n'y consentit qu'à l'époque du siège d'Orléans (1429). Jeanne vit le roi de France à chinon, réussit à la convaincre de sa mission, fut mise à la tête d'une petite troupe armée, obligea les Anglais à lever le siège d'Orléans, les vainquit à Patay et fit sacrer Charles VIII à Reims (17 Juillet), mais elle échoua devant Paris. A Compiègne, elle tomba aux mains des Bourguignons (23 mai 1430). Jean de Luxembourg la vendit aux Anglais. Ceux l'ayant déclarée sorcière, la firent juger par un tribunal ecclésiastique présidé par l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon. Elle s'y défendit avec autant d'habileté que de simplicité et de courage. Déclarée hérétique et relapse, elle fut brûlée vive le 30 mai 1450 à Rouen. En 1450, un procès aboutit à une réhabilitation solennelle, qui fut proclamée en 1456. Jeanne a été béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Fête religieuse le 30 mai ; fête nationale en France le dimanche qui suit le 8 mai.

* 178 Pour D.F Thompson, la citoyenneté signifie l'autonomie, la participation et l'influence de l'individu vis-à-vis de la société. Voir à ce propos D.F. Thompson, The Democratic Citizen : Social Science and Democratic Theory in the twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1970, cité par Philip Wexler, « Citizenship in the Semiotic Society », in Bryan S. Turner (s/d), Theories of Modernity and Post modernity, London, Thousand Oaks,. New Delhi, Sage Publications, 1990, p.165.

* 179 Uwe Timm, Morenga, Berlin, Rowohlt, 1907.

* 180 Georges Lory, L'Afrique du Sud, Paris, Karthala, 1998, p. 33.

* 181 Voir, Claude Wauthier, « Trois siècles d'histoire », in Notre Librairie. Littérature d'Afrique du Sud 1, Avril-Juin 1995, p. 10.

* 182 Nicolas Michel, « Hanna la Haine », in Jeune Afrique l'intelligent n°2213 du 8 au 14 juin 2003, p. 111.

* 183 Philippe Hamon, « Un discours contraint », in Gérard Genette et Tzvetan Todorov, Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, p.129.

* 184 Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, P.U.F., 2001, p.121.

* 185 Fontanier, cité par Michèle Aquien in Michel Janety (s/d), Lexique des termes littéraires, op.cit., p.186.

* 186 André Brink, The other side of silence, page de dédicace.

* 187 Simone De Beauvoir, The Second Sex, citée par Rosemarie Tong, Feminist Thought. A comprehensive introduction, Bulder and San Francisco, Westview Press, 1989, p. 203

* 188 Cité par Rosemanie Tong, op.cit., p. 200.

* 189 Rosemanie Tong, Feminist Thought, op.cit., p. 210.

* 190 Voir Kate Millet, Sexual Politics, citée par Rosemarie Tong, op. cit., p. 95

* 191 Pierre Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.

* 192 Gayatry Spivak, citée par Sophia Phoca, « Feminism and Gender », in Sarah Gamble, The Routledge Companion to feminism and Post feminism, London and New York, 2001, p. 58.

* 193 Voir Edward Said, L'Orientalisme, op.cit.

* 194 Abdul jan Mohamed, The Economy of manichean Allegory, in B. Ashcoft et ali, The Post- Colonial Studies Reader, New York, London, Routledge, 1995, p. 21.

* 195 Michel Foucault, L'ordre du discours, leçon inaugurale au collège de France, prononcé le 02/01/1970, Paris, Gallimard, 1971, p. 22.

* 196 Je souligne en m'appuyant sur la terminologie de Stuart Hall parce qu'elle traduit au mieux la classe sociale à laquelle Kahapa et Himba appartiennent si l'on procède conformément à la démarche capitaliste, colonialiste ou hégémonique.

* 197 Stuart Hall, Identités et cultures, Politiques des cultural studies, op.cit. P.73

* 198 Njabulo Ndebele, Rediscovery of the ordinary... op.cit., p. 53

* 199 Njabulo Ndebele, Rediscovery of the ordinary... op.cit., p. 53

* 200 Redécouvrir l'ordinaire ici signifie aussi redécouvrir le détail dans le général, reconnaître que le système de l'Apartheid réduisait les Noirs à une masse alors que les Noirs sont différents les uns les autres. Il y en a qui sont soumis ou qui ont confié leur avenir à leur ravisseur comme l'aurait dit Ambroise Kom dans La Malédiction francophone et il y en a qui comme Kahapa choisissent la liberté et l'autonomie. Voir à ce sujet L'interview de Njabulo Ndebele accordé à Denise Coussy dans Notre Librairie-Littérature d'Afrique du Sud 1, op.cit., p. 67.

* 201 Voir Henri Mitterand, Le discours du roman, op. cit.

* 202 Philippe Hamon, Le personnel du roman, op.cit., pp. 236-237.

* 203 Gérard Genette, Figures II, op.cit., p. 292.

* 204 Désormais, les références à cet ouvrages seront indiquées par le sigle WD suivi de la page et placées entre parenthèses dans le corps du texte.

* 205 Amadou Hampaté Bâ, Amkoullel, l'enfant peul, Paris, Actes Sud, 1991, p. 499.

* 206 Ambroise Kom, La malédiction Francophone, Défis culturels et condition postcoloniale en Afrique, Münster-Hamburg-London et Yaoundé, LiT Verlag et Clé, 2000, p. 81.

* 207 La construction est de Kom, op.cit., p. 88

* 208 Rita Bernard, Apartheid and beyond, South African Writers and the Politics of Place, op. cit., p. 154.

* 209 Njabulo Ndebele, Rediscovery of the ordinary, op. cit., pp. 31-53.

* 210 Homi Bhabha, The Location of culture, London, Routledge, 1998, réédition, 2001, p. 1.

* 211 Rita Banard écrit à ce propos: «In his assay The Novel without the Police, Lars Engle categorizes the work of J.M. Coetzee, Nadine Gordimer, and Athol Fugard according to Raymond Williams's familiar triard of the dominant, emergent, and residual forces discernible in any given cultural formation including that of academic literary criticism», Apartheid and Beyond, op. cit., p. 95.

* 212 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 203

* 213 F.V. Rossum-Guyon, critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 114.

* 214 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 203.

* 215 Stuart Hall, Identités et Cultures, op.cit., p. 71

* 216Stuart Hall, Identités et cultures, op.cit., p. 37.

* 217 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, p. 194

* 218 Albert Memmi, Le racisme, description, définitions, traitement, Paris, Gallimard, 1994, p.122

* 219 Albert Memmi, Le racisme, op. cit., p. 14

* 220 Albert Memmi, Le racisme, op.cit., pp. 13-31.

* 221 Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, cité par Fabien Eboussi Boulaga, Lignes de résistance, Yaoundé, Editions Clé, 1999, p. 63.

* 222 Ambroise Kom, La malédiction francophone, Défis culturels et condition postcoloniale en Afrique, Yaoundé, Münster, Hamburg, London, Clé, LIT, 2000, p. 9

* 223 V.S. Naipaul, The Mimic Men, London, Andre Deutsch, 1967

* 224 Hubert L. Dreyfus & Paul Rabinow, « Qu'est-ce que la maturité ? Habermas, Foucault et les lumières », in David Couzen Hoy, Michel Foucault, Lectures Critiques, Trad. De Jacques Colson, Bruxelles, De Boek Wesmael, 1989, p. 135.

* 225 Mongo Béti, Mission terminée, Paris, Buchet-Chastel, 1957.

* 226 Michel Foucault, Surveiller et Punir, Naissance de la Prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 14.

* 227 Frantz Fanon, Peau noire Masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p.184.

* 228 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques sur la théorie de l'action, paris, Seuil, 1994, p. 173.

* 229 Cité par Edward Said, L'orientalisme, l'Orient crée par l'Occident, op.cit., p. 26.

* 230 Stuart Hall, Identités et Cultures..., op.cit., p.75.

* 231 Stuart Hall, Identités et Cultures... op. cit., pp. 72-73.

* 232 Mongo Béti, La France contre l'Afrique, Paris, La Découverte, 1993 ainsi que Ambroise Kom (s/d) Mongo Beti parle, Bayreuth, Bayreuth african studies series, n°54, 2002. Voir également « Affaire Calixte Beyala, Mongo Béti dénonce et accuse... », Galaxie, N° 204, 26 Mars 1997

* 233 Bernard Mouralis, Littérature et développement, Paris, Silex, 1984

* 234 Trinh T. Minh-Ha, « No Master Territories », Bill Ashcroft et Ali, The Postcolonial Studies reader, London & New York, Routledge, 1995, P.217

* 235 Romuald Blaise Fonkoua, « Naissance d'une critique littéraire en Afrique noire », in Notre Librairie n° 160 décembre 2005-février 2006, p. 11.

* 236 Nadine Gordimer, Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000, p. 158.

* 237 Albert Einstein, cité par Lilian Thuram, Mes étoiles noires. De Lucy à Barack Obama, Paris, Éditions Philippe Rey, 2010, p. 280.

* 238 C'est de cette manière que Pierre Brunel présente la finalité de la critique littéraire, finalité que je partage. Voir à ce propos Pierre Brunnel, La critique littéraire,Paris, Puf, Coll. "Que sais-je ?", 2001, p.100.

* 239 Edward Said, Culture and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, p. 336.

* 240 Achille Mbembe, « Essai sur le politique en tant que forme de la dépense », in Cahiers d'Etudes Africaines », tome XLIV (1-2), 2004, p. 183.

* 241 Achille Mbembe traite précisément de la colonie et de la postcolonie. Voir Achille Mbembe, « La République et l'impensé de la race », in Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, (s/d), La fracture coloniale. La société française au prisme de l'héritage colonial, Paris, La découverte, 2005, p 146.

* 242 Albert Memmi, L'homme dominé, Paris, Gallimard, 1968, p.140.

* 243 Georges Ngal, L'errance, Yaoundé, Clé, 1979, p.80.






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld