Représentation et migration dans The Pickup de Nadine Gordimer( Télécharger le fichier original )par Ives SANGOUING LOUKSON Université de Yaoundé I - Maitrise 2008 |
CHAPITRE IIILA MIGRATION COMME REMISE EN QUESTION Dans le présent chapitre, il s'agit de montrer en quoi la migration de Julie n'a pas la même signification que celle de Musa dans The Pickup. En d'autres termes, je tente de prouver que de par sa migration de l'Afrique du sud vers le pays de Musa, Julie remet en question l'impérialisme, perceptible à travers le comportement de la bourgeoisie sud-africaine (à laquelle son père appartient) et dont Musa est victime. Ce chapitre prouve par ailleurs que The Pickup convient à l'orientation sociale que Gordimer a souvent consciemment donnée à sa fiction : Si ma fiction, écrit-elle, et celle d'autres écrivains ont servi légitimement la politique à laquelle je crois, c'est en raison de la transformation par l'imagination qu'implique la fiction : pour reprendre les termes de l'écrivain suédois Per Wästberg, " pour aider les gens à comprendre leur propre nature et à savoir qu'ils ne sont pas sans pouvoir"96(*). En s'insurgeant contre son groupe social, Julie l'aide à comprendre que contrairement à ce que ses membres s'imaginent, il n'est pas sans reproches, bien au contraire. En s'insurgeant contre l'aliénation dont Musa est victime, Julie veut aider ce dernier à découvrir ses propres potentialités. Ce chapitre prouve que The Pickup propose une nouvelle manière de se représenter le subalterne. Je me propose aussi de montrer que la bourgeoisie sud africaine partage sensiblement les mêmes caractéristiques que l'Occident impérialiste qui a pratiqué la colonisation dans le pays de Musa. En effet, le groupe que Julie rejette en Afrique du sud est interchangeable avec l'Occident impérialiste. C'est du moins une hypothèse que je tenterai de vérifier dans ce chapitre. Je préciserai aussi en quoi la conduite de Julie est illustrative de la remise en question de la représentation. Pour finir, j'évaluerai les enjeux et les défis de la migration chez Julie en particulier ; dans The Pickup en général. III.1- LES FONDEMENTS DE LA RÉVOLTE DE JULIE EN AFRIQUE DU SUD La révolte de Julie contre le groupe social de son père en Afrique du sud s'explique par deux raisons essentielles. C'est d'abord un groupe bourgeois qui se renferme sur lui-même ; un groupe qui croit se suffire. Ensuite, c'est un groupe favorable à la subalternéité de l'autre, de Musa notamment. C'est un groupe qui ne donne pas au subalterne la possibilité de se considérer avant tout comme un être humain. Ce groupe l'exploite, l'exclut, le marginalise ou le maintient dans la subalternéité. La révolte de Julie se nourrit de l'autarcie de la bourgeoisie sud-africaine et de l'exploitation du subalterne. III.1.1- L'autarcie de la bourgeoisie sud-africaineDans The Pickup, le père de Julie refuse tout contact avec ceux des êtres humains qui n'appartiennent pas à la bourgeoisie. D'après le banquier Nigel Ackroyd Summers, en effet, pour bénéficier de sa considération, il faut par exemple posséder des voitures, des appartements, des biens matériels ou avoir un poste important dans l'administration ou dans une entreprise. Il faut avoir pu vaincre la faim et la pauvreté. Voilà pourquoi l'avocat Hamiton Motsamai compte parmi ceux qui sont les bienvenus chez le banquier Summers : Senior counsel was an acting Judge for a period, and could be permanently His Honour Mr justice Motsamai on the bench of the High court now if he had not decided for that other, more profitable form of power over human destiny, financial institutions (PP. 76-77) Tandis que l'Avocat Motsamai, malgré sa peau noire est accepté sans difficulté comme membre à part entière de la bourgeoisie, Musa, malgré son teint brun est stigmatisé. C'est du moins l'idée qui ressort de l'extrait suivant portant sur le premier contact de Musa avec le père de Julie : When her father was introduced to her someone there was across his face a fleeting moment of incomprehension of the name, quickly dismissed by good manners and a handshake. What was the immediate register? Black-or some sort of black (PP. 40-41) Ainsi que le relève le passage ci-dessus, le bourgeois Summers agit essentiellement sur la base des stéréotypes, des clichés ou des préjugés sur l'étranger répandus dans son groupe social. Ce groupe social stigmatise l'étranger, range ce dernier dans une catégorie peu enviable. C'est un groupe qui peint le portrait de l'étranger en projetant sur lui ses propres faiblesses comme dirait Todorov97(*). Ce groupe se comporte de la sorte vis-à-vis de l'étranger parce qu'il se représente comme supérieur à lui. À partir des travaux d'Albert Memmi sur le racisme, on peut déduire que la bourgeoisie sud-africaine a peur de l'étranger. Sa peur de l'étranger fait d'elle un groupe raciste. Le racisme de ce groupe est évident lorsqu'on compare le comportement du père de Julie vis-à-vis de Musa avec la démarche raciste que Memmi expose dans Le racisme en ces termes : Quoi qu'il en soit, la différence est d'une certaine manière trouble et négation de l'ordre établi. Devant l'étrangeté de l'autre, on risque d'hésiter sur soi-même. Et pour se rassurer, pour se confirmer, il faudra refuser, nier l'autre ... [Dans la perspective du père de Julie] pour sauvegarder notre supériorité, gardons-nous de la pollution par les étrangers98(*) Rien donc de surprenant si le bourgeois Summers panique devant Musa avec qui Julie débarque dans sa villa. Il est troublé par l'étrangeté de Musa et recherche le confort personnel à travers la stigmatisation de ce dernier. Tout compte fait, le bourgeois refuse simplement d'intégrer le subalterne dans son groupe social. M. Summers refuse pour cette raison l'amour entre Julie et Musa. Musa est rejeté parce qu'il est considéré comme une personne ne méritant pas l'amour de Julie. Le propriétaire du garage où Musa travaille en Afrique du sud et qui partage les mêmes idées que M. Summers explique clairement en quoi Musa ne mérite pas l'amour de Julie : Don't get me wrong, explique-t-il, for your own good, you're a nice girl, a somebody, I can see. He's not for you. He's not really even allowed to be in the country. I give him a job, poor devil, I mean. God knows who it can happen to, and it's the other kind, the real blacks who get what's going nowdays. (P. 32) Comme le souligne le passage ci-dessus, c'est en partie à cause des préjugés propres aux bourgeois sud-africains que Musa est considéré comme ne méritant pas l'amour de Julie. Ces préjugés poussent le père de Julie à considérer cette dernière comme une démente lorsqu'elle lui apprend son futur départ de l'Afrique du sud pour le pays de Musa. Pour M. Summers, que Julie choisisse de quitter l'Afrique du sud pour le pays de Musa relève du suicide : You lack consideration for what you do, indirectly, to your family (...) you're nearly thirty. And now you come here without any warning and simply tell us you are leaving in a week's time for one of the worst, poorest and most backward of Third world countries, following a man who's been living here illegally, getting yourself deported yes- from your own country, thrown out along with him, someone no-one knows anything at all about, someone from God knows what kind of background. Who is he where he comes from? What does he do there? What kind of family does he belong to? (...) what more can I say. You choose to go to hell in your own way (PP.97-98) La bourgeoisie sud-africaine refuse donc tout contact avec toute personne considérée comme ne satisfaisant pas les attentes des bourgeois. Cette bourgeoisie a une représentation méliorative et narcissique d'elle-même qui favorise l'exploitation du subalterne. * 96 Nadine Gordimer, Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000, P. 24. * 97 T. Todorov, Préface à L'Orientalisme, op.cit., P. 8 * 98 Albert Memmi, Le racisme, Paris, Gallimard, 1994, PP. 13-31. |
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