UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I
THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I
FACULTÉ DES ARTS, LETTRES
ET DÉPARTEMENT DE LITTÉRATURE
SCIENCES HUMAINES AFRICAINE
FACULTY OF ARTS, LETTERS DEPARTMENT OF AFRICAN
AND HUMAN SCIENCES LITERATURE
REPRÉSENTATION ET MIGRATION DANS
THE PICKUP DE NADINE GORDIMER
Mémoire présenté en vue de
l'obtention du Diplôme
de Maîtrise ès Lettres
Par :
Ives SANGOUING LOUKSON
Licencié ès Lettres
germaniques
Sous la direction de :
M. Innocent FUTCHA
Chargé de cours
Yaoundé, Janvier 2008
DÉDICACE
À ma mère,
Chrescence Ayissi
pour son sens de l'amour.
REMERCIEMENTS
Un travail de recherche s'effectue rarement sans aides et
appuis amicaux. Le présent mémoire ne fait pas exception à
la règle. "Représentation et Migration dans The Pickup
de Nadine Gordimer" n'aurait évidemment pas été possible
sans l'appui de mon Directeur de recherche, M. Innocent Futcha. Il m'en a
proposé le corpus ; il ne s'est pas découragé devant
mes multiples lacunes en études africaines. En un mot, il m'a tenu la
main, comme un père, pour apprendre à son enfant à se
lever, puis à marcher. Je tiens particulièrement à l'en
remercier.
Je suis également redevable aux enseignants du
Département de Littérature Africaine de l'Université de
Yaoundé I. Les Professeurs Nol Alembong, André Ntonfo, Moukoko
Gobina et Ambroise Kom m'ont permis de m'intéresser à la
littérature du monde Noir. Le Professeur Kom a surtout provoqué
en moi un déclic majeur qui explique mon engouement pour cette
littérature.
Je tiens également à exprimer ma reconnaissance
à Bella Chouchou, Nkolo Foé, Jean Jacques Samara, Paul Ndjock,
Mvoutou Angèle, Mgbale Mgbatou Hamadou, Lottin Wekape, Louk Oumarou,
Yves Fetchepi Ervice, François Nyandjo, Sylvain Ngah, Benjamin Tanga,
Olivier Awono Onana, Florence Arétouyap. Tous m'ont aidé
matériellement, moralement ou financièrement dans la
réalisation de ce travail.
Je n'oublie pas Olive Melanga Amba dont la patience et
l'affection ont eu raison de mon découragement à certains
moments.
Que chacun, en ce qui le concerne, trouve dans ces lignes
l'expression de ma profonde gratitude.
LISTE DES
ABRÉVIATIONS
Art. : Article
CD : Compact Disc
C.L.E. : Centre de Littérature
Évangélique
Coll. : Collection
Conf. : Confère
C.R.A.C. : Club de Recherche et
d'Action Culturelle
N° : Numéro
P. (+ chiffre) : Page dans The
Pickup
P.U.F. : Presses Universitaires de
France
Reéd. :
Réédition (ou réédité)
R.F.I. : Radio France
Internationale
S/d : Sous la direction
USA : United States of America (ou
États-Unis)
RÉSUMÉ
Comment l'écrivaine sud-africaine Nadine
Gordimer gère-t-elle l'époque post-apartheid dans ses
écrits ? Telle se présente le fil conducteur de cette
étude limitée à son roman intitulé The
Pickup. L'analyse des structures esthétiques de ce roman le
révèle comme essentiellement centré sur les
phénomènes migratoires. Du traitement que Gordimer fait de la
migration, il ressort que le véritable accusé est la
représentation qui a conduit à la colonisation. Ce sont là
du moins des hypothèses que la présente étude tente de
vérifier sous l'éclairage de la théorie postcoloniale.
ABSTRACT
How does the South African writer
Nadine Gordimer handle the post- apartheid period in her works? That is the
guiding question of this research work limited to Gordimer's novel entitled
The Pickup. The analysis of the aesthetic structures of this novel
reveals it as essentially based on migratory phenomena. From the way Gordimer
tackles the question of migration, it appears that the real accused is
representation which has led to colonisation. Those are the hypothesis that the
present work tries to verify using the post- colonial theory.
INTRODUCTION
GÉNÉRALE
L'institution du régime de l'Apartheid en Afrique du
Sud a naturellement provoqué la naissance d'une opposition ouverte
à ce régime raciste. Que dans cette opposition, des
écrivains sud-africains aient particulièrement été
actifs, n'a rien de surprenant. En effet, la littérature africaine en
général se singularisant par sa sensibilité à
l'injustice et à l'inéquité1(*), celle de l'Afrique du Sud ne pouvait se
déployer dans l'indifférence à l'égard de
l'Apartheid. De nombreux écrivains d'Afrique du Sud avaient
trouvé en l'Apartheid un thème qui nourrissait leurs oeuvres
littéraires.
Ceux-ci furent tellement absorbés par le combat contre
l'Apartheid que Mazisi Kunene ne manqua pas d'exprimer sa crainte quant au
devenir de l'activité littéraire en Afrique du Sud. Kunene
écrit précisément:
The trouble with South African writing about apartheid is
that these people write about apartheid and one day it won't exist and they'll
have nothing to write about.2(*)
Treize années après le
démantèlement du régime qui avait institué
l'horreur en Afrique du Sud, les répercutions sur la pratique
littéraire de ce pays ne se sont pas fait attendre. On assiste
aujourd'hui à l'exploration de thèmes nouveaux chez une auteure
comme Nadine Gordimer. Ce qui se passe dans la littérature sud-africaine
actuelle constitue une illustration de la réflexion de Georges Ngal pour
qui :
Chaque décennie semble nous promettre de nouvelles
formes langagières (littéraires), du moins proclamées
comme telles (...) Les discours littéraires se modifient dans
et avec l'évolution des sociétés et de l'histoire.3(*)
La production littéraire post-apartheid de Nadine
Gordimer comprend des titres comme None to accompany me (1994),
The House Gun (1998), The Pickup (2001)4(*), et Get a life
(2005) 5(*).
Des sources consultées6(*), nous avons pu apprendre que None to accompany
me, à travers l'avocate blanche Vera Stark, personnage central,
montre comment la mutation politique de 19947(*) en Afrique du Sud impose au Sud-africain des
changements au plan du comportement individuel.
The House gun dévoile quant à lui une
Afrique du Sud post-apartheid qui, malgré le gouvernement de la
majorité noire, celui de Nelson Mandela, continue de faire subir aux
Sud-africains les mêmes traitements que l'ancien gouvernement, celui de
Frederick De Klerk. Gordimer s'appuie, pour ce faire, sur le paisible et riche
couple blanc Harald et Claudia Lingard. Ces derniers ne comprennent pas comment
leur fils Duncan a pu devenir l'assassin d'un jeune homme adopté par le
couple. La fréquentation de la justice du pays par le couple lui permet
de constater la responsabilité du gouvernement dans la transformation de
Duncan en un assassin.
Get a life s'affirme pour sa part comme un
prolongement de la réflexion commencée dans The House
gun. En effet, comme l'Afrique du Sud fut autrefois rongée par le
racisme, elle est aujourd'hui fragilisée par les erreurs du gouvernement
dont les conséquences sont comparables à celles du racisme.
Gordimer suggère dans ce roman que la construction d'une nouvelle
identité sud-africaine s'opère à partir du présent
tout en prenant appui sur des valeurs humaines et sur l'écologie.
Voilà pourquoi le personnage central, Paul Bannerman, un
écologiste atteint d'un cancer de la thyroïde,
préfère quitter son épouse et son fils, peu humains, et
accepte plutôt les soins chaleureux de ses vieux parents retraités
dans la maison où il a autrefois grandi. Chez ses parents, Paul
Bannerman passe beaucoup de temps dans le jardin familial à cause de ses
vertus écologiques.
The Pickup, enfin, plonge le lecteur, en même
temps, dans l'Afrique du Sud post-apartheid et dans une contrée arabe
géographiquement localisée dans une zone désertique. Les
personnages centraux Musa et Julie sont des migrants quittant leurs pays
respectifs pour s'établir ailleurs. À la base de leur migration
se trouve une forme de représentation que je me propose d'analyser.
The Pickup de Nadine Gordimer est la preuve que
cette auteure a rompu avec les thèmes littéraires favoris de
l'époque de l'Apartheid qui lui ont pourtant permis de recevoir le
prestigieux prix Nobel de littérature. En 1991, l'académie de
Stockholm l'a honorée parce qu'elle avait passé toute sa vie,
d'après les dires des membres de l'académie, à
décrire avec minutie et obstination toutes les conséquences que
les distinctions raciales ont inspirées à l'être
humain.8(*)
En effet, The Pickup est centré sur la
question de la migration, une question dont l'actualité n'a
d'égale que sa forte récurrence dans les médias. C'est
ainsi qu'Ann Skea écrit de ce roman :
The Pickup is a superb story told by a very skilful
storyteller. It is also a story which explores the changes in the wider world
in surprising but important ways. V. S. Naipaul said in a recent interview that
he believed that «the serious function of writing» (and he was
talking about novels) is to help readers to understand society. The Pickup
seems to me to do this enjoyably, topically and admirably. In a world of rapid
social change, where issues of immigration are daily aired in the media,
Gordimer offers insight into the radically different meaning which
«another country» has for those who can choose to move and those who
must overcome seemingly insurmountable odds in order to be chosen.9(*)
Ce roman a également l'avantage d'aborder la question
de la migration d'une manière spéciale. On y voit d'une part, un
immigré qui quitte son pays à destination des pays qu'il
considère comme riches. Cette dernière forme de migration
correspond à la majorité des migrations actuelles en Afrique au
Sud du Sahara. D'autre part, une jeune femme issue de famille riche, Julie,
quitte les siens et son pays pour un pays pauvre. Cette forme de migration
ouvre une perspective nouvelle quant au regard que les Sud africains posent sur
eux-mêmes et sur les autres.
Sue Kossew de l'Université de New South Wales
d'Australie pense à cet effet que:
It is a novel that has his place in what Gordimer has
called a post-apartheid «literature of transition»; taking as its
subject-matter the issues of displacement, economic exile and migration...
Gordimer is fascinated by the kinds of power shifts that occur when people
become displaced from their comfort zones (a theme she has, of course, already
minutely explored in July's people) and have to adapt to new ways of thinking
and being.10(*)
Du thème central de The Pickup et de
l'originalité dans le traitement de la migration propre à ce
roman, m'est venue l'idée de la présente étude
intitulée : « Représentation et Migration
dans The Pickup de Nadine Gordimer ».
Pour éviter l'équivoque, il convient de
définir les termes constitutifs du sujet ainsi libellé.
La représentation est une image fournie à la
conscience par les sens ou par la mémoire. La représentation est
encore le fait de représenter quelque chose par une image, un signe ou
un symbole.
La représentation est aussi un concept fondamental
dans la théorie postcoloniale. Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen
Tiffin conviennent à ce propos que
post-colonial theory involves discussion about experience
of various kinds : migration, slavery, suppression, resistance,
representation, difference, race, gender, place...11(*)
Dans l'esprit de la théorie postcoloniale, la
représentation peut se définir comme l'usage du pouvoir pour
construire une image de soi-même et des autres, image que l'on tente par
la suite d'imposer aux autres. Vue de cette manière, la
représentation acquiert deux aspects complémentaires :
le pouvoir de se représenter autrui comme "déchet" et la
capacité de l'assigner à cet état de déchet "de son
vivant même"12(*).
Chez des auteurs tels Edward Said13(*), Homi Bhabha14(*), Arjun Appadurai15(*)ou Achille Mbembe16(*), la représentation
désigne non seulement la phase théorique où le "self"
décide de falsifier autrui partant des critères choisis par
lui-même, mais aussi la phase pratique au cours de laquelle ce "self"
s'efforce de rendre visible sa supériorité ou
l'infériorité d'autrui. Achille Mbembe présente dans
De La Postcolonie la colonisation, l'impérialisme et
la lutte des classes comme des phénomènes illustrant la phase
pratique de la représentation17(*). D'après Said, l'Occident ayant
représenté l'Orient comme sous-continent, il aurait fallu que cet
Occident recourt à la colonisation afin qu'effectivement, l'Orient
émerge comme le grand-contraire de l'Occident. Said parle de l'Orient
créé par l'Occident
La migration est le déplacement d'une population
passant d'une région à une autre pour s'y établir. Dans
mon entendement, la migration se rapporte non seulement au déplacement
physique d'une personne, mais aussi à un changement d'identité
comparable au déplacement physique d'un lieu à un autre.
Dans The Pickup, l'aspect identitaire de la migration
est lié à son aspect physique. Dans l'un et l'autre aspect de la
migration, il y a un rapport avec la représentation.
Au concept de migration se rattachent deux autres concepts
avec lesquels il entretient des relations étroites :
l'émigration et l'immigration. Alors que l'immigration désigne
l'établissement temporaire ou définitif dans un pays de personnes
non autochtones, l'émigration quant à elle désigne le fait
de quitter son pays pour aller s'établir dans un autre. La migration est
donc le phénomène qui englobe l'émigration et
l'immigration.
En un mot, la migration est pour moi un concept phare qui me
permet de clarifier les significations de l'émigration et de
l'immigration. De par sa connotation identitaire, la migration me permet aussi
d'envisager son rapport avec la représentation.
Mon sujet de recherche me donne l'occasion d'analyser les
rapports entre la représentation et la migration dans The
Pickup. Cette analyse me permet également d'avoir une perception
nouvelle d'un problème d'actualité, celui de l'émigration
des nécessiteux des pays pauvres vers les pays riches.
Il convient maintenant de se poser la question de savoir si
d'autres chercheurs avant moi se sont intéressés au même
sujet. À ma connaissance, les travaux de recherche sur The
Pickup de Nadine Gordimer, compte tenu des sources que nous avons pu
consulter, se résument aux brefs articles ou à quelques
impressions de lecture. La présente étude sur The
Pickup, sauf erreur de ma part, peut être considérée
comme pionnière sur le thème de la migration.
Néanmoins, le thème sur lequel porte cette
étude m'amène à observer qu'il a déjà fait
l'objet d'une abondante littérature en Afrique. Cheikh Hamidou Kane par
exemple expose dans L'aventure ambiguë l'aliénation de
Samba Diallo comme une conséquence de son émigration vers la
France18(*). Tayeb Salih
emboîte le pas à Hamidou Kane en commettant Season of
migration to the north. Dans ce roman, Salih accuse la dépossession
de soi que cause chez l'Africain, une certaine forme d'immigration en
Occident19(*). Fatou Diome
s'y est aussi penchée. Dans La préférence
nationale20(*) et
dans Le ventre de l'Atlantique21(*), elle s'emploie à dissuader les Africains
candidats à l'émigration clandestine vers l'Occident
d'entreprendre cette aventure.
Dans les travaux de recherche ci-dessus portant sur le
thème de la migration, l'Occident constitue la seule destination des
migrants. Ces travaux semblent négliger la responsabilité de la
représentation que l'Occident se fait de lui-même sur l'obsession
du départ qui sous-tend la plupart des migrations en Afrique au Sud du
Sahara. D'où l'intérêt de mon étude sur la question
de la migration. Elle prend en compte ce sur quoi d'autres avant moi, n'ont pas
assez insisté : l'impact de l'impérialisme sur les
phénomènes migratoires.
Par ailleurs, de mon étude sur la migration dans
The Pickup, on pourra peut être comprendre pourquoi Edward Said
écrit de ce roman qu'il prouve combien Nadine Gordimer se distingue des
autres écrivains. Said écrit précisément :
Gordimer's latest novel maps new territory for her
writing, showing that only the greatest of artists can go where few dare to
tread22(*).
Dans mon travail de recherche, la migration constitue une
sorte de scène théâtrale où se déploient non
seulement la représentation - ses mécanismes, ses manifestations,
ses conséquences - mais aussi la remise en question de cette
représentation. La problématique de mon sujet peut être
décomposée sous forme de questions de recherche comme
suit :
Quelle est la signification de The Pickup :
objet artistique? Quelle est la spécificité de la migration et de
la représentation dans The Pickup ? En quoi la migration
est-elle une conséquence de la représentation ? Quels sont
les enjeux et les défis de la migration dans The
Pickup ?
La réponse aux questions ci-dessus se fonde sur
l'hypothèse selon laquelle Nadine Gordimer se sert de la migration pour
proposer une nouvelle manière de se représenter le
subalterne dans The Pickup. La nouveauté de la
représentation en question réside dans sa rupture avec l'ancienne
représentation qui a conduit à la colonisation. Pour Gordimer
dans The Pickup, le subalterne ne devrait plus être
représenté comme inférieur, mais comme différent,
comme simplement une altérité.
Je me sers de la théorie postcoloniale pour
vérifier mon hypothèse. Je choisis l'approche postcoloniale pour
plusieurs raisons.
D'abord sa pertinence dans le contexte de la recherche en
Afrique. Parce qu'elle exige chez le chercheur la capacité de
réfléchir par lui-même et pour lui-même, l'approche
postcoloniale évite à l'Africain la subordination. Ambroise Kom
montre la pertinence de la théorie postcoloniale lorsqu'il s'interroge
dans La Malédiction francophone en ces termes au sujet de la
recherche :
Notre recherche doit-elle se maintenir sur les sentiers
tracés par/pour les experts coloniaux ou néo-coloniaux,
c'est-à-dire satisfaire essentiellement les besoins de connaissance de
l'Autre et continuer ainsi à répondre à des
préoccupations souvent inavouables ?23(*)
Contrairement aux théories telles le marxisme, le
féminisme, la psychanalyse ou le déconstructivisme qui ont toutes
des théoriciens fondamentaux, l'approche postcoloniale, elle,
intègre parfois toutes les théories ci-dessus au point
d'être perçu comme une
« métathéorie »24(*). C'est d'ailleurs ce qu'en
pense Nicolas Harrison lorsqu'il écrit :
Postcolonial theory is not an identifiable "type» of
theory in the same (limited) sense as deconstruction, Marxism, psychoanalysis
or feminism on all of which it sometimes draws: it does not have fundational
thinkers playing a role comparable to that of Marx or Freud... Like Marxism and
Feminism, though, it has evolved in response to political and historical issues
of vast importance and scope, such as anticolonial militancy, and its deeper
origins and many of its ends lie outside academic study.25(*)
La deuxième raison de mon choix est que l'approche
postcoloniale est une approche pour laquelle rien de ce qui est culturel n'est
neutre. Sa spécificité réside dans son explication de la
culture sur la base de la confrontation d'un groupe dominant ou centre avec un
groupe dominé ou périphérie. La culture à laquelle
s'intéresse la critique postcoloniale est l'ensemble des cultures qui
découlent de la confrontation entre le centre et la
périphérie. Bart Moore-Gilbert définit
précisément la critique postcoloniale en ces termes :
In my view, postcolonial criticism can still be seen as a
more or less distinct set of reading practices, if it is understood as
preoccupied principally with analysis of cultural forms which mediate,
challenge or reflect upon the relations of domination and subordination
(economic, cultural an political) between (and often within) nations, races or
cultures, which characteristically have their roots in the history of modern
European, colonialism and imperialism and which, equally characteristically,
continue to be apparent in the present era of neo-colonialism.26(*)
La critique postcoloniale consiste donc à interroger
des formes culturelles diverses en tenant compte des conséquences de la
confrontation entre le centre et la périphérie. L'objectif
recherché par cette critique est le décentrement. Edward Said
explique la notion de décentrement dans L'Orientalisme. Par
décentrement, écrit Said, il ne s'agit pas :
tant de réduire la différence entre
l'un et l'autre (centre et périphérie)27(*)- Car qui peut nier le
rôle constitutif des différences nationales et culturelles dans
les relations humaines - que de remettre en question la notion que la
différence implique l'hostilité, un bloc réifié et
figé d'essences antagonistes, et une connaissance réciproque sur
cette opposition qui envisage l'autre comme un adversaire. [Le
décentrement]28(*)
est une nouvelle manière de concevoir les séparations et les
conflits qui ont stimulé pendant des générations
l'hostilité, la guerre et le contrôle
impérialiste.29(*)
La critique postcoloniale, on le voit, a une importance
salutaire pour les hommes indépendamment de leur race, sexe, nation,
appartenance tribale ou religieuse, car elle milite pour la pacification des
relations entre les différences.
La dernière raison de mon choix méthodologique
est liée à l'exigence de la critique postcoloniale en ce qui
concerne l'analyse du texte spécifiquement littéraire. La
critique postcoloniale exige que l'on s'intéresse à la fois
à la forme et au fond du texte. Nicholas Harrison pense à cet
effet :
What is most interesting and often most important in
postcolonial studies - at least postcolonial literary studies -remains tied up
in textual and historical detail...30(*)
C'est dire que la critique postcoloniale s'intéresse
à la manière dont le texte est écrit et pourquoi il est
ainsi écrit.
Mon analyse s'appuie principalement sur les travaux des
théoriciens tels Homi Bhabha, Edward Said, Arjun Appadurai et Achille
Mbembe. Ces théoriciens ont, en effet, l'avantage, en étudiant
les rapports de domination et de résistance entre les individus ou les
peuples, d'envisager par la même occasion non seulement les
possibilités de renversement des méfaits de la domination, mais
aussi les possibilités d'harmonisation des nouveaux rapports. Mon
analyse s'inspire également des travaux de Gérard
Genette31(*), Real
Ouellet, Roland Bourneuf32(*) et de Roland Barthes33(*) pour ne citer que les plus représentatifs.
Étant donné que la critique postcoloniale se
singularise par le fait qu'elle intègre divers concepts, diverses
sources d'inspiration, étant donné également qu'elle
s'intéresse à la fois au fond et à la forme du texte
littéraire, il importe de préciser comment je vais me servir des
concepts retenus pour mener à bien mon étude.
Je m'emploierai d'abord à analyser la manière
dont The pickup est écrit. Pour ce faire, je m'appuierai sur
quelques notions étudiées par des théoriciens tels
Gérard Genette, Roland Barthes, Real Ouellet et Roland Bourneuf. Il
s'agira, comme le dit Lydie Moudileno, de revenir au texte, [seul]
lieu de construction de l'imaginaire34(*).
Ensuite, je m'appuierai sur les concepts de migration, de
représentation et de résistance pour analyser le fond de The
pickup. Plus précisément, je m'inspirerai, d'une part, de la
notion de représentation pour la caractériser comme mobile
essentiel des migrations dans The pickup. D'autre part, je m'en
inspirerai pour inventorier les stratégies suggérées dans
The pickup pour résister aux méfaits de la
représentation. De cet inventaire, se dégageront sinon la
portée didactique de The pickup, du moins les défis
culturels qui s'imposent à tous ceux et celles, désireux de
barrer la voie aux phénomènes d'é(im) migration
clandestine dans le monde.
Compte tenu de ma problématique, de mon
hypothèse et de ma méthode de recherche, je divise mon travail en
trois chapitres. Le premier porte sur l'analyse de l'objet artistique que
constitue The Pickup question de mettre en exergue les orientations
idéologiques ou les préoccupations existentielles abordées
dans ce roman. Il s'intitule : Espace, Personnages, Perspective
narrative et Signification dans The Pickup. Le
deuxième chapitre intitulé Migration comme
conséquence de la représentation, montre en quoi il est
question du subalterne dans The pickup et en quoi les migrations de ce
subalterne sont une conséquence de la représentation. Il permet
d'entrevoir les défis multiples liés à la lutte contre
l'impérialisme dans The Pickup. Le troisième chapitre
montre comment la migration est utilisée pour dénoncer la
représentation dans The Pickup. C'est ici qu'on peut
évaluer si oui ou non mon hypothèse de départ se
vérifie. Il s'intitule Migration comme remise en question de la
représentation.
CHAPITRE I
ESPACE, PERSONNAGES,
PERSPECTIVE NARRATIVE ET SIGNIFICATION DANS THE PICKUP
Gérard Genette estime que le récit de fiction
se singularise par la complexité de sa nature. Le récit de
fiction tient, en effet, de la combinaison de plusieurs éléments
distincts. C'est pourquoi il le considère comme
un tissu de relations étroites entre l'acte
narratif, ses protagonistes, ses déterminations spatio-temporelles, son
rapport aux autres situations narratives impliquées dans le même
récit35(*).
Dans cette perspective, il s'avère donc
nécessaire que toute étude portant sur le récit de fiction
s'appuie sur l'acte narratif, les personnages, l'espace et le temps narratifs.
La narratologie36(*)
considère d'ailleurs ces catégories poétiques comme celles
qui garantissent au récit de fiction sa singularité. Le
fonctionnement de ces catégories dans un roman peut sans doute servir de
prétexte à l'auteur pour exposer sa vision du monde. C'est du
moins la conviction qui détermine la conception du récit de
fiction chez Émile Benveniste. Pour Benveniste, en effet, la forme ou la
structure d'une oeuvre littéraire contribue à en suggérer
le contenu. C'est pourquoi il définit le récit de fiction comme
un système organisé par une structure à déceler
et à décrire37(*)
Mikhail Baktine partage le même avis lorsqu'il
définit la finalité de l'investigation esthétique dans une
oeuvre littéraire :
Il incombe, écrit-il, de déterminer
la composition immanente du contenu de la contemplation artistique dans sa
pureté esthétique afin de décider ce que signifie pour lui
le matériau et son organisation dans l'oeuvre matérielle38(*).
Michel Foucault, pour sa part, souligne la pertinence de
l'analyse structurale lorsqu'il affirme :
Nous reconnaissons sa justesse et son
efficacité : lorsqu'il s'agit d'analyser une langue, des
mythologies, des récits populaires, des poèmes, des rêves,
des oeuvres littéraires, des films peut-être, la description
structurale fait apparaître des relations qui sans elle n'auraient pas pu
être isolées ; elle permet de définir les
éléments récurrents, avec leurs formes d'opposition et
leurs critères d'individualisation ; elle permet d'établir
aussi des lois de construction, des règles de transformation. Et
malgré quelques réticences qui ont pu être marquées
au début, nous acceptons maintenant sans difficulté que la
langue, l'inconscient, l'imagination des hommes obéissent à des
lois de structure 39(*).
Un nombre important de théoriciens a
développé des grilles d'étude structurale des oeuvres de
fiction. Je m'en servirai pour analyser l'objet esthétique que The
Pickup constitue dans ce chapitre liminaire. Il ne s'agira pas de faire un
travail exhaustif sur les catégories poétiques du récit,
mais d'identifier des catégories pertinentes au regard de mon sujet de
recherche. Le présent exercice s'inspirera surtout de certains
éléments d'approche développés par Gérard
Genette, George Gusdorf ou Philippe Hamon, pour ne citer que ceux-là.
C'est un travail qui consiste concrètement à démontrer que
The Pickup, du point de vue de l'espace, des personnages et de la
perspective narrative autorise d'analyser ce texte de fiction à partir
des concepts de représentation et de migration.
I.1 L'ESPACE NARRATIF
Selon Jean Yves Tadié, l'espace narratif
désigne le lieu où se distribuent simultanément les
signes, se lient les relations et dans un texte, l'ensemble des signes qui
produisent un effet de représentation40(*).
Tadié pense en effet que l'espace narratif est un
cadre statique qui, du fait de la récurrence ou de la similitude des
faits qui s'y déroulent ou encore du fait de la nature des
évènements qu'il abrite, ou simplement du fait de leur importance
du point de vue des personnages, permet au lecteur de décider de la
signification du roman. George Gusdorf n'affirme pas autre chose lorsqu'il
pense de l'espace narratif qu'il est :
une dimension du monde (...) ; une norme
privilégiée pour la manipulation de la réalité,
privilégiée même à tel point que nous sommes
portés à la substantialiser, à en faire un support des
choses, une manière de contenant, un commun dénonciateur, facteur
d'ordre, de classement, et, enfin de compte, canevas géométrique
universel sur lequel interviennent les phénomènes et se
succèdent les évènements (...) Situer un fait par
ses coordonnées spatiales, donner la mesure exacte de ses dimensions,
c'est déjà beaucoup le comprendre, réduire ce qu'il
pouvait avoir comme insolite41(*).
Quelle est la signification de l'espace dans The
Pickup ? Compte tenu de la difficulté à cerner la
notion d'espace narratif, je m'appuie sur la conception de l'espace
d'après Bourneuf et Ouellet pour apporter une réponse à
cette question. En effet, ces deux théoriciens ont l'avantage de donner
une définition de l'espace narratif qui tient compte de sa double
signification :
si on cherche la fréquence, le rythme, l'ordre et
surtout la raison des changements de lieu dans un roman, on découvre
à quel point ils importent pour assurer au récit à la fois
son unité et son mouvement42(*).
L'espace n'est donc pas seulement un élément
statique, mais aussi dynamique. Il est dynamique en ce sens qu'il livre des
informations importantes sur les personnages. Voilà qui justifie
pourquoi, parlant d'espace ici, j'opte pour l'étude de
l'itinéraire de Musa et de Julie, les deux personnages principaux de
The Pickup.
I.1.1 L'itinéraire
de Musa
Ibrahim Ibn Musa a d'abord été en Allemagne et
en Angleterre avant de se retrouver en Afrique du Sud où il
apparaît au début du roman. C'est à travers une analepse
que le narrateur présente cet état de chose chez Musa :
The uncle's house has everything to the limit of the
material ambitions that are possible to fulfil in this place, if his nephew,
entering, needs to be reminded of this, which is always with him, implacable
warning that prods and pierces him, flays him to rouse the will to carry on
washing dishes in a London restaurant, swabbing the floors of drunken vomit in
a Berlin beer hall, lying under trucks and cars round the block from the El-Ay
café and emerging to take the opportunity (...) to become the
lover of one of those who have everything... (P. 128).
L'Afrique du Sud n'est donc qu'une étape dans
l'itinéraire de Musa. À Londres, il a pratiqué la plonge
dans un restaurant. En Allemagne, il a exercé comme garçon de
ménage dans un bar. En Afrique du Sud où il se trouve dès
les premières pages du roman, il exerce comme mécanicien dans un
garage où il vit en même temps. Comme le pseudonyme Abdu qu'il
porte, ce garage lui sert de refuge contre la vigilance de la police d'Afrique
du Sud. Car il est un immigré clandestin, son visa ayant expiré
depuis longtemps. Musa est néanmoins repéré malgré
son ingéniosité à esquiver la police. Il est alors
menacé de rapatriement dans son pays d'origine :
The document (...) had come to the notice of the
Department of Home Affairs that (his real name) was living at the above address
under the alias (the name the grease-monkey answered to) in contravention of
the termination of his permit of such-and-section of law) and he was therefore
duly informed that he must depart within 14 days or face charges and
deportation to his country of origin (P. 52).
Les pistes que Musa emprunte pour échapper à la
rapatriation débouchent toutes sur un échec. L'avocat
Motsamaï qu'il rencontre grâce à Julie pour le soutenir
condamne plutôt Musa comme on peut le remarquer ici :
There you are. Ah-heh... you were ordered to leave one
year and more than five months ago, you - disappeared - you stayed on in
contravention of the law, you managed to evade the law, you made yourself
guilty of transgression of the Immigration Act, you defied Home Affairs
(P. 78).
Musa atterrit alors dans son pays accompagné de Julie
qui est devenue son épouse légale peu avant leur départ de
l'Afrique du Sud. Dans son pays, Musa n'est jamais tranquille dans son esprit.
Il est toujours à la capitale, loin de son village, à la
recherche de visas pour les pays occidentaux : often he was away all
day. He left early, for the capital (P. 134). À la question de
savoir la finalité de ses répétitives sorties matinales,
Musa répond à Julie : I started right away to
get us out of here (P. 140). Musa sollicite tour à tour la Nouvelle
Zélande, le Canada, l'Australie et les USA.
Sa mère qui refuse sa prochaine émigration
suggère à son frère, l'oncle Yaqub de faire de Musa son
prochain héritier. Musa décline l'offre et préfère
s'exiler aux USA:
No-one in this village, in this place, has anything to do
with why I cannot accept the offer you have honoured me with, uncle Yaqub. I do
not have any interest in the government. It is not going to govern me. I am
going to America (P. 190).
Musa émigre ainsi une quatrième fois pour les
USA, à la fin du roman. Il abandonne sa famille, son épouse et
tout ce qu'on lui propose dans son pays, leur préférant
l'incertitude et des conditions de vie difficiles. Musa y va sachant
très bien les difficultés que les migrants endurent dans les pays
d'immigration, surtout à l'arrivée comme il l'explique à
Julie :
You don't understand what it is like come in a country
like I do. I have done - how many times? Even legal. It's hard, nothing is
nice, at the beginning, Julie. Without proper money to live, you are a stray
dog, a rat finding its hole as the way to get in (P. 227).
Ces connaissances sur l'immigration n'entament aucunement son
obsession à partir. C'est même comme si, elles stimulaient son
désir de partir. Musa est donc un personnage dont les structures
mentales fonctionnent à l'envers.
L'itinéraire de Musa à travers les espaces dans
The Pickup est révélateur de la nature de sa
psychologie. Musa rejette tout ce qui lui appartient par nature. Mais il est
obsédé par ce qui est extérieur à son pays. Musa se
renie et préfère s'identifier à l'Europe ou à ce
qu'il appelle The Christian world ; the West -P. 160). Seulement,
sa métamorphose comme dirait Cheikh Hamidou Kane43(*), ne s'achève pas ou ne
se réalise pas. Toutes les fois qu'il a l'opportunité de se
retrouver en Europe, il est réduit aux tâches ingrates. L'Europe
se ferme à Musa ou l'accepte dans le strict but de l'utiliser à
l'avantage exclusif des Européens. Mais bien que Musa ait
expérimenté cela plus d'une fois, il éprouve toujours
l'opiniâtre désir de recommencer l'aventure.
À cet égard, Musa est représentatif
d'une personne manipulée par autrui. Autrui, comme dirait Philippe
Breton est entré en effraction dans l'esprit de Musa pour y
déposer une opinion ou provoquer un comportement sans qu'il ne sache
qu'il y a eu effraction. Le reniement de soi qui caractérise Musa
rejoint la finalité de la manipulation d'après Breton :
La manipulation, affirme-t-il dépossède
l'homme de lui-même. Elle en fait le jouet d'autrui. Elle brise
insidieusement sa conscience pour en récompenser une autre, qui ne lui
ressemble plus44(*).
On peut ainsi identifier Musa comme un prototype du produit
humain de l'entreprise coloniale. Musa correspond en effet au profil du
« nous » dont parlent R. Confiant et al., lorsqu'ils
écrivent :
l'histoire de la colonisation que nous avons prise pour la
nôtre a aggravé notre déperdition, notre
autodénigrement, favorisé l'extériorité, nourri la
dorade du présent. Dedans cette fausse mémoire nous n'avions pour
mémoire qu'un lot d'obscurité. Un sentiment de chair
discontinue45(*).
Musa est sinon illustratif de la profondeur du
détournement psychologique que l'autre peut imposer à autrui pour
asseoir ou cimenter sa puissance, du moins représentatif des
conséquences de la colonisation sur le colonisé. Par ailleurs, la
représentativité de Musa pour les deux orientations ci-dessus se
légitime lorsqu'on prend en considération la signification que
Gordimer donne à sa fiction : En ce qui me concerne, j'ai dit
que ma fiction sera toujours plus vraie que tout ce que je pourrai dire ou
écrire de factuel 46(*).
C'est dire qu'il y a lieu de lire les migrations
répétées de Musa comme déterminées par un
complexe que la colonisation lui a imposé. Son pays vient d'ailleurs de
se départir de la colonisation comme le reconnaît l'oncle
Yaqub : There are no foreigners from Europe flying flags over our land
any longer (P. 189).
I.1.2 L'itinéraire
de Julie
L'itinéraire de Julie est déterminé par
sa relation avec le groupe social auquel elle appartient en Afrique du Sud. Le
symbole le plus significatif de ce groupe social est le domicile de son
père. C'est un univers hautement bourgeois. Sa localisation dans une
banlieue, retirée du vacarme des villes sud-africaines et la
somptuosité de son décor intérieur constituent les
éléments les plus expressifs de cet univers. L'extrait suivant
donne une idée de ce cadre:
a cool terrace opening from a living room that leads
through archways to other reception rooms of undefined function (to accommodate
parties ?) and the cushioned chaises longues and flower arrangements are
an extension rather than a break from the formal comforts, mirrored bouquets
and paintings in the rooms (P. 40).
Ce cadre imposant ressemble aux somptueuses villas
appartenant aux hommes riches de la société. Ces villas
s'excluent des milieux bruyants et mondains où la promiscuité est
partout présente.
L'univers du père de Julie se singularise aussi par
son rejet systématique des pauvres à l'instar de Musa. Lors d'un
rassemblement auquel elle prend part chez son père, le narrateur
relève le rejet dont Musa est l'objet pour l'univers du père de
Julie au-delà du commentaire qu'il fait de Julie :
Sitting among the gathering Julie is seeing the couple (un
couple blanc invité par le père de Julie) as those - her fathers
kind of people - who may move about the world welcome everywhere, as they
please, while someone (Musa) has to live disguised as a grease-monkey without a
name (P. 49).
Ainsi, cet univers se ferme aux souffrances et misères
de Musa en Afrique du Sud parce qu'il ne l'accepte pas comme un des leurs. Il
stigmatise ainsi Musa. Cet univers est construit sur le même principe
d'exclusion que celui qui sous-tend la culture occidentale
hégémonique qu'Edward Said a étudiée dans
Culture and Imperialism. Said écrit à propos:
culture is a concept that includes a refining and
elevating element, each society's reservoir of the best that has been known and
thought as Matthew Arnold put it in the 1860s. Arnold believed that culture
palliates, if it does not altogether neutralize, ravages of a modern,
aggressive, mercantile, and brutalizing urban existence. You read Dante or
Shakespeare in order to keep up with the best that was thought and known, and
also to see yourself, your people, society, and tradition in their best lights
(...) culture conceived in this way can become a protective enclosure:
check your politics at the door before you enter it47(*)
À la suite de Said, on pourrait dire que la condition
pour que Musa soit accepté dans le groupe du père de Julie est
qu'il s'accepte subalterne. C'est pourquoi ce groupe social est favorable
à la marginalisation ou à l'exploitation de Musa. Dans le garage
où il vit et travaille, Musa est exploité ainsi qu'on peut le
constater :
The garage employs him illegally, «black»,
yes that's the word they use. It's cheap for the owner; he doesn't pay accident
insurance, pension and medical aid (P. 17).
Il convient de préciser que le propriétaire de
ce garage épouse les mêmes idées que le père de
Julie. Ceci est d'autant vrai que comme le père de Julie, il refuse la
relation amoureuse entre Julie et Musa :
For your own good, you're a nice girl, a somebody, I can
see. He's not for you. He's not really even allowed to be in the country. I
give him a job, poor devil (P. 32),
rappelle-t-il à Julie lorsque cette dernière le
rencontre par hasard dans ce garage. Pour marquer son refus de s'identifier
à l'univers de cet homme, Julie le qualifie de one of them (P.
63).
À l'univers de son père, Julie
préfère les dépendances pour domestiques:
she did not live in the suburbs, where she had grown up,
but in a series of backyard cottages adapted from servant's quarters or in
modest apartments of the kind they favoured, or had to being unable to afford
anything better (P. 8).
Lorsqu'elle n'est pas dans son appartement, elle est soit
à El-Ay café soit chez son oncle Archie. El-Ay café est
davantage un symbole qu'un simple microscome :
El-Ay. Whoever owned the café thought the chosen
name offered the inspiration of an imagined life-style to habitués,
matching it with their own, probably he confused Los Angeles with San
Francisco. The name of his café was a statement. A place for the young;
but also one where old survivors of the quarter's past, ageing Hippies and
Leftist Jews, grandfathers and grandmothers of the 1920s immigration who had
not become prosperous bourgeois, could sit over a single coffee. (P. 5)
Vue de cette manière, El-Ay café s'impose comme
une métaphore de la table de la fraternité dont parlait Martin
Luther King:
Je rêve que un jour, sur les rouges collines de
Georgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens
propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table
de la fraternité 48(*).
Ce n'est d'ailleurs pas fortuit si parfois la
dénomination El-Ay café est remplacée par "The Table" dans
The Pickup. Julie aime y aller parce que le credo en vigueur dans ce
microscome convient à sa personnalité. Ce credo est le suivant:
whatever you do, love, whatever happens, hits you, mate, bra, that's all
right with me (P. 23). El-Ay café est donc un lieu où
s'incarnent l'amour et la fraternité entre toutes sortes de personnes.
Cette particularité de El-Ay café se retrouve aussi dans la
clinique de l'oncle Archie. C'est une clinique qui emploie toutes
catégories de femmes comme on peut le constater :
The bejewelled hands of his Indian receptionist note
any change of address of the habituée patient greeted once again. There
is a bustle of several nurses with motherly big backsides, Afrikaner and black,
calling back and forth to one another, who receive for urine tests the wafers
peed upon by the patient in the privacy of a blue-tiled bathroom where a vase
of living flowers always stands on the toilet tank (P. 66).
C'est pour cette raison que Julie préfère son
oncle à son père: If she could have chosen a father, then it
would have been him. It still would be (P. 67). Ne pouvant plus faire face
au radicalisme du Ministère des Affaires Intérieures concernant
le rapatriement de Musa, Julie émigre vers le pays de Musa, abandonnant
définitivement l'Afrique du Sud et donc l'univers de son père.
Dans le pays de Musa, Julie est impressionnée de prime
abord par la solidarité qui se dégage du comportement des
frères et parents de Musa. Chacun contribue volontiers à
l'aménagement du jeune couple en provenance de l'Afrique du Sud, dans le
domicile familial de Musa :
The house - its face, facade - she could be aware of only
peripherally behind the excited assembly, the carrying of the elegant suitcase,
canvas bag and bundles snatched by various hands taking charge (P.
119).
Le domicile familial de Musa est un cadre modeste qui se
distingue par la solidarité qui anime ses habitants. Pour cette raison,
il est comparable à El-Ay café, bien que situé à
des milliers de kilomètres plus loin. Le narrateur traduit la similitude
dans l'esprit qui habite ces deux microcosmes en ces termes :
people sat round small tables on the carpet and
cushions and ate the way Ibrahim had given up, in the company of the Table,
agilely with their fingers (P. 120).
Dès son arrivée dans le pays de Musa, Julie
fait face à l'aggravation des illusions de Musa sur lui-même et
sur son propre pays. Dès les premiers jours, Musa se montre
troublé, perplexe et furieux en même temps. Il a honte de se
révéler à Julie tel qu'il est :
He was angry - with this house, this village, these
his people, to have to tell her other unacceptable things, tell her once and
for all what her ignorant obstinacy of coming with him to this place means,
when she failed, with all her privilege, at getting him accepted in
hers (P. 122).
Tandis que Musa exige qu'ils communiquent exclusivement en
Anglais, we must talk English (P. 152), Julie désire
plutôt apprendre la langue arabe. D'après elle, cette langue lui
permettrait de s'intégrer facilement dans le pays de Musa :
Why sit among this people as a deaf-mute? Always the
foreigner where she ate from the communal dish, a closeness that the Table at
the distant El-Ay café aimed to emulate far from any biological
family (P. 143).
C'est ainsi que Julie se lance dans l'apprentissage de la
langue arabe en se faisant aider par Maryam, la jeune soeur de Musa.
Julie va régulièrement seule au désert
contre le gré de Musa. Elle évite même de lui faire part de
sa fréquentation du désert : He did not know of her
hours with the desert ; she didn't tell him, because he avoided, ignored,
shunned the desert (P. 173) Julie y découvre, à sa grande
surprise une jeune bedoine cherchant un pâturage pour son troupeau de
moutons:
The sands are immobile. She tried to think it was
like gazing out of the window of a plane into space, but then there is always a
wisp of cloud that comes across and creates scale. After a while there was an
objection - objects - which quickly drew into focus, black marks, spots before
the eyes? And as they grew became a woman enveloped in black herding a small
straggle of goats. She came only near enough into vision for a staff she was
wielding to be made out, taking her goats in another direction. In search of
pasture. Here? (P. 167-68).
Une autre fois, c'est la vie qu'elle découvre au
milieu du désert qui l'impressionne. Cette fois là, elle va
visiter la rizière de l'ami du père de Musa accompagnée de
Maryam et du père de Musa :
She was gazing in concentrated distraction on what was
suddenly there before her with its own drawn close limit of horizon and
dazzling density, man-high, what seemed to be meshed slender silky needs,
green, green. A kind of wooden walkway offered itself, dank water glancing
between planks, and she turned away from the others and took it. The
intoxication of green she entered was audible as well as visual, the twittering
susurration of a great company of birds clinging, woven into the green as they
fed; their tremble, balance, sway, passing through it continuously like
rippling breeze, a pitch of song as activity, activity as song, filled her
head. The desert is mute; in the middle of the desert there is this, the
infinite articulacy; pure sound. Where else could that be? (P. 210-11).
Dès lors que Julie découvre qu'il est possible
de pratiquer l'agriculture dans le pays de Musa, elle désire s'acheter
une parcelle de terre afin de cultiver du riz, de la patate, de la tomate, du
haricot ou des oignons (P. 212). Ce désir rencontre la ferme opposition
de Musa : You want to buy a rice concession ! You ! What
for ? (...) Julie, we do not live here ! (P. 215-16).
La tension entre Julie et Musa se radicalise à partir
du moment où Julie décide de s'établir dans le pays de
Musa. À la proposition de partir aux USA que lui fait Musa, Julie
réagit par la négative : I'm not going back there.
I don't belong there, (...) I'm staying here (P. 252-53) Musa
émigre seul pour les USA et Julie reste dans le pays de Musa.
À travers les espaces que Julie fréquente dans
The Pickup, on se fait aisément une idée de sa
personnalité. Julie se pose en s'opposant aux us et coutumes de son
groupe social. Elle s'insurge contre la fermeture de cette classe aux
souffrances et aux peines des pauvres. Cette classe qui participe explicitement
ou implicitement sinon à la subalternéisation du moins aux
malheurs de l'autre. C'est pourquoi elle se sépare de ce groupe social,
se solidarise avec la convivialité et le partage de El-Ay café,
embrasse Musa, l'épouse jusqu'à émigrer avec lui vers son
pays pour s'y établir. Par sa séparation d'avec sa classe sociale
et par son établissement dans le pays de Musa, Julie établit une
corrélation entre son groupe social et la honte de soi dont fait montre
Musa. Julie s'insurge contre la honte de soi chez Musa et contre les us et
coutumes du groupe de son père comme pour souligner le fait que leurs
conduites reposent sur des pathologies de même nature. Tout se passe
comme si Julie reprenait la thèse de Fanon au sujet des complexes entre
le Blanc et le Noir pendant l'époque coloniale. Fanon écrivait
alors que :
le Nègre esclave de son infériorité,
le Blanc esclave de sa supériorité, se comportent tous deux selon
une ligne d'orientation névrotique »49(*).
Dans la perspective de Julie, Musa peut être
considéré comme le Noir et le père de Julie ou tous ses
amis comme le Blanc. Julie comme Fanon refuse les complexes dans les relations
entre les hommes.
L'itinéraire de ces deux personnages montre à
quel point Musa est représentatif du sujet colonisé. Il est un
sujet qui s'est convaincu de ce que l'Europe a raison de faire de lui ce qu'il
est : un subalterne. Julie quant à elle s'affirme comme une
résistante autant à l'assimilation à l'Europe qu'à
l'idée de supériorité de l'Europe dont l'univers de son
père peut tenir lieu de symbole.
L'itinéraire de ces personnages est indissociable de la
migration. Musa quitte son pays quatre fois de suite pour l'Angleterre,
l'Allemagne puis l'Afrique du Sud et enfin pour les USA. Julie quitte d'abord
son milieu en Afrique du Sud puis l'Afrique du sud pour le pays de Musa. Les
raisons qui poussent ces personnages à la migration sont inversement les
mêmes. Musa quitte son pays parce qu'une force a pris possession de lui,
l'a dénaturé au point de le convaincre que son pays est un enfer.
Il convient de souligner que par ses multiples migrations, Musa traduit ses
convictions selon lesquelles l'Europe constitue le Paradis tandis que son pays
constitue la géhenne. Il huile le mécanisme qui produit
physiquement le centre et la périphérie dans la perspective de la
théorie postcoloniale.
Julie quitte son pays parce qu'elle refuse l'aspiration
à inférioriser l'autre qui caractérise son groupe social.
Elle refuse que les groupes humains correspondent à la configuration
dominant/dominé. Le narrateur le reconnaît d'ailleurs lorsqu'il
affirme:
In an anthology of poetry were the lines that
expressed what she was aware of in herself: whoever embraces a woman is Adam.
The woman is Eve. Everything happens for the first time. (...) Praise
be the love wherein there is no possessor and no possessed but both
surrender (P. 28).
Avec sa migration, Julie dévoile la corrélation
entre le groupe dominant et le groupe dominé dont Musa n'est qu'un
symbole. Sa migration traduit sa volonté de détruire ou de
déconstruire la logique de domination qui régit le groupe
dominant et le groupe dominé dans le but de jeter entre ces groupes le
pont de l'amour et de la solidarité. Dans leurs quêtes
respectives, Musa et Julie rencontrent sans doute des obstacles ou
bénéficient des aides de la part d'autres personnages.
I.2 LES
PERSONNAGES
Dans un article intitulé « Analyse
structurale des récits », Roland Barthes souligne
l'importance des personnages dans les récits lorsqu'il fait
observer qu'il n'existe pas un seul récit au monde sans
personnages50(*).
Yves Reuter affirme pour sa part que d'une certaine façon, toute
histoire est histoire des personnages51(*). C'est dans cette optique que Philippe Hamon
définit le personnage comme :
une métaphore de cohérence du texte d'une
part et d'autre part, une résultante, le point modal anthropomorphe
où se recompose, dans la mémoire du lecteur et à la
dernière ligne du texte, une série d'informations
échelonnées52(*).
C'est dire qu'en considérant la manière dont
les personnages sont organisés dans le roman, il est possible de
parvenir à la signification de ce roman. Je m'appuie sur la notion
d'action narrative développée par Bourneuf et Ouellet pour
étudier l'organisation des personnages dans The Pickup. Il
s'agit ainsi d'étudier
le jeu des forces opposées ou convergentes en
présence (...) chaque moment de l'action constitue une
situation conflictuelle où les personnages se poursuivent, s'allient ou
s'affrontent 53(*).
I.2.1 L'organisation des
personnages
Les personnages sont organisés dans The
Pickup à la manière de ceux du Ventre de
l'Atlantique54(*) de
Fatou Diome. La différence avec le roman de Fatou Diome est cependant
que le personnage de Julie n'a point d'équivalent parmi les personnages
du Ventre de l'Atlantique. En effet, il y a chez Gordimer comme chez
Diome avec Madické, des personnages qui s'opposent à la migration
de Musa et ceux qui sont favorables à celle-ci.
Le propriétaire du garage où Musa vit et
travaille en Afrique du Sud considère Musa comme un être
inférieur à exploiter. Pour ce propriétaire de garage, il
est hors de question que Musa soit traité comme une personne qui a
besoin d'affection, de liberté, d'égalité ou de
fraternité en Afrique du Sud. Il suffit que Musa se conforme au
principe selon lequel The only way to get into countries that don't want
you is as a manual labourer or Mafia (P ; 15) pour que sa
migration soit acceptée. C'est pourquoi ce propriétaire de garage
tire profit de l'irrégularité de Musa en Afrique du Sud,
l'asservit et lui refuse la possibilité d'être propriétaire
de quoi que ce soit. C'est du moins ce que Musa affirme à Julie dans
l'extrait suivant :
even this I'm wearing, this dirt, even a shed, a
corner in the street to sleep in, that's his, not mine... Whatever I have is
his (...) you, your father's daughter are his, not mine (P.
63).
Compte tenu de ce que le propriétaire de ce garage
épouse les mêmes idées que le père de Julie, on peut
conclure que c'est le groupe du père de Julie qui s'oppose à la
migration de Musa au plan humain. Mais dans son pays, d'autres personnages
s'opposent aussi à son émigration. C'est par exemple le cas de sa
mère. Celle-ci refuse de le dénoncer bien que, sachant que Musa a
transgressé avec Julie l'interdit d'avoir des rapports sexuels en plein
ramadan :
How would her son be dealt with by the men of the
family (...) But she knew what would happen. Ibrahim would not take
disgrace from anyone here, such edicts were bearings cast loose, their
authority over sons lost in the alien authority of exile, emigration - that she
knew (P. 153).
Parmi les personnages favorables à la migration de
Musa, on compte les jeunes avec qui il passe le plus de temps dans son village.
Ceux-ci le considèrent comme une référence en ce sens
qu'ils estiment que sa migration ou ses émigrations lui confèrent
une certaine omniscience. C'est du moins l'idée qui se dégage des
propos d'un de ces jeunes lorsqu'il déclare :
Any kind of isolation can't stand a chance with what's
happening in the world, ask Ibrahim, technological revolution already here
while we're just talking, talking... ! (P. 177).
Musa apparaît ici comme une référence.
C'est aussi de cette manière que certains voisins et jeunes enfants le
considèrent, au regard de sa prochaine émigration vers les USA.
Pour ces derniers, Musa constitue l'incarnation de la réussite parce
qu'il a pu obtenir le visa pour les USA :
Neighbours come to see off the lucky one bound for
America (...) children ran to him to touch the great adventure, the
achievement that is emigration, not understood but sensed (P. 266)
Julie n'est pas contre la migration de Musa comme Salie avec
Madické dans Le Ventre de l'Atlantique. Elle est davantage
contre le pouvoir qui contraint Musa à mettre en scène ses
migrations répétées. Julie ne s'oppose pas à
proprement parler à la migration de Musa parce qu'elle soutient Musa en
Afrique du Sud. Julie est davantage contre le pouvoir dont Musa n'est qu'une
proie parce qu'elle rejette la fermeture de l'univers de son père aux
pauvres comme elle rejette la honte que Musa fait valoir au sujet de son propre
pays. Dans sa quête identitaire, Julie est aidée par ses amis de
El-Ay café, par son oncle Archie et par Maryam pour ne se limiter
qu'à ceux-là.
Les amis de El-Ay café lui prodiguent des conseils et
lui procurent la joie de vivre qui manque cruellement dans l'univers de son
père. C'est aussi ce que fait l'oncle Archie. Maryam lui permet de
s'intégrer facilement dans le pays de Musa. Elle enseigne à Julie
la langue arabe, l'accompagne dans le désert où Julie
découvre qu'il est possible de pratiquer l'agriculture et
l'élevage dans le pays de Musa.
Julie se heurte à la rigide opposition de son
père, du propriétaire du garage où Musa vit et travaille
en Afrique du Sud. Elle se heurte également à l'opposition de
Musa. L'illustration de l'opposition de Musa à la quête de Julie
est contenue dans la réaction de Musa suite à la décision
de Julie. Julie a en effet décidé d'acheter deux billets d'avion
afin qu'ils retournent dans le pays de Musa :
Who asked you to buy two tickets. You said nothing
to me. Don't you think you must discuss? No, you are used to making all
decisions, you do what you like, no father, no mother, nobody must ever tell
you. And me - What am I, don't speak to me, don't ask me, you cannot leave in
my country, it's not for you, you can't understand what it is to live there,
you can wish you were dead, if you have to live there. Can't you
understand? (P. 95).
Musa tient ici quasiment les mêmes propos que ceux du
propriétaire du garage en Afrique du Sud55(*) ou ceux du père de Julie au sujet du
départ de Julie : What more can I say : you choose to go
to hell in your own way (P. 98).
Au regard de l'opposition à laquelle Julie se heurte
devant Musa, on peut conclure que cette opposition s'explique par la
représentation qu'il a de Julie. Cette représentation
confère à Musa le pouvoir de dissuasion, ou de persuasion que ce
dernier déploie en direction de Julie. La logique de Musa peut ainsi
servir d'illustration à la théorisation que John Beverley fait de
la représentation :
Power is related to representation: which
representations have cognitive authority or can secure hegemony, which do not
have authority or are not hegemonic 56(*)
C'est à ce titre que Musa peut être
considéré comme un personnage symbolique pour l'aventure de la
représentation dans le monde. Fanon parle de l'aventure
spirituelle57(*) pour
désigner la même chose.
I.2.2 La fonction des
personnages
Claude Bremond définit la fonction d'un personnage
non seulement par une action, mais par la mise en relation d'un
personnage-sujet. Selon lui, la structure du récit repose, non
sur une séquence d'actions, mais sur un agencement de
rôles58(*).
C'est dire que les personnages dans les récits sont importants en ce
sens qu'ils ne jouent que des rôles, c'est-à-dire que, comme dans
le théâtre, ils ne sont que des prétextes pour amener le
lecteur à réfléchir sur la réalité.
Pour étudier les fonctions des personnages dans
The Pickup, je m'appuierai sur les analyses de Philippe Hamon qui
distingue trois types de personnages : Les personnages -
référentiels ou personnages historiques qui servent d'ancrage et
assurent ce que Roland Barthes appelle « l'effet du
réel »59(*) ; les personnages - embrayeurs qui apparaissent
comme les porte-parole et les personnages - anaphores ou personnages
prédicateurs, doués de mémoire.
Dans The Pickup, les personnages
référentiels sont ceux évoqués dans le récit
à l'instar de Youssou N'dour, Salif Keita, Brenda Fassie, Hugh Masekela
et Bob Marley. Ces grandes vedettes de la musique internationale constituent
des références pour Julie. Elle les considère comme des
modèles parce qu'ils se sont fait accepter de par le monde sans user de
la violence ou la domination. C'est la raison pour laquelle Julie garde
précieusement les CDs de ces vedettes chez elle tel que le remarque
Musa : You like to drive a second-hand car but you have first-class
equipment for music (P. 20).
Ces personnages sont référentiels parce que
leur évocation dans le récit permet au lecteur d'être
situé par rapport au contexte de référence de The
Pickup. Ce contexte est celui de la fin du XXe siècle et
du XXIe siècle puisque ces vedettes vivent encore pour
certaines. Il est davantage celui des peuples ayant connu la domination
blanche. Il s'agit, pour ne se limiter qu'à la nationalité de ces
vedettes, de la Jamaïque, du Mali, du Sénégal et de
L'Afrique du Sud. Ainsi, The Pickup peut être
considéré comme une contribution à la réflexion sur
les défis qui sont ceux du présent et du futur. Dans cet ordre
d'idée, The Pickup interpelle autant les peuples
impérialistes que ceux autrefois colonisés ou ceux qui sont
dominés par l'impérialisme blanc. C'est à Julie qu'il
revient d'accomplir cette fonction interpellative. C'est pourquoi The
pickup fait des vedettes ci-dessus des modèles chez Julie comme
pour plaider pour la multiplication ou l'accroissement arithmétique de
ces vedettes.
Les personnages embrayeurs sont Julie et Musa. Ces deux
personnages jouent le rôle de porte parole de deux idéologies
contraires. Dans cette perspective, Julie apparaît comme la voix qui
indique les défis du siècle. Elle résiste en amont et en
aval à l'impérialisme. Julie semble dire qu'on freinerait
l'immigration clandestine comme celle de Musa en amenant le groupe dominant
à rejeter le racisme et en convaincant le groupe dominé de se
départir de son complexe d'infériorité. Elle correspond
à cet égard au principe du décentrement cher à la
théorie postcoloniale. C'est pourquoi elle s'ouvre à toutes
catégories de personnes jusqu'à choisir de s'établir dans
le pays de Musa.
Musa est victime d'une forme toute particulière
d'impérialisme. La colonisation qui a pris fin dans son pays a
laissé des séquelles fortement enracinées dans son
imaginaire. À cause de la colonisation, Musa est devenu un être
dont la capacité de résister à la domination du groupe
dominant s'est transformée en désir d'accomplir la volonté
du dominateur.
L'oncle Yaqub est un personnage analepse. Sa mémoire
retrace l'époque de la colonisation blanche dans le pays de Musa comme
nous l'avons vu plus loin.
L'oncle Yaqub prédit l'avenir en ce sens qu'il montre
par sa réussite sociale dans le pays de Musa la voie que les jeunes
devraient emprunter. Sa structure de maintenance automobile devrait servir aux
jeunes d'exemple pour résister à la tentation de
l'émigration vers l'Europe. Pour lui, la clef du succès
réside dans l'entreprise personnelle. Il décrie ainsi le manque
d'entreprise chez les jeunes du pays malgré les avantages ou les
opportunités liés à leur époque :
Government owes them everything. The Lord has given
them what a man needs to live a good life in the faith, their families have
educated them, they can marry and bring up children in security (...)
what more do they want ? (...) The young men already have so much
that we, their parents, never had. And why not? We are glad of it
(...) What else is really worth having out there in the world of false
gods? (P. 189).
L'oncle Yaqub est convaincu que c'est suite à la prise
d'initiative par les jeunes que le pays pourra tourner le dos au
sous-développement. Yaqub plaide pour la prise en charge endogène
des problèmes locaux. C'est cette approche qui atténuera
efficacement l'émigration des jeunes vers l'Europe.
De l'organisation des personnages, on retient que ceux-ci
sont organisés autour des personnages centraux : Julie et Musa.
Leurs fonctions respectives poussent à conclure que la migration et la
représentation constituent des préoccupations essentielles dans
The Pickup. Ceci étant, il reste maintenant à
étudier l'instance narrative de laquelle le lecteur tire toutes les
informations jusqu'ici dégagées.
I.3 LA PERSPECTIVE
NARRATIVE
Françoise Van Rossum-Guyon et Gérard Genette se
sont intéressés à la question de la perspective narrative.
Elle désigne selon Genette, ce mode de régulation de
l'information qui procède du choix (ou non) d'un "point de vue"
restrictif 60(*). Dans le même ordre d'idée, F. Van
Rossum-Guyon affirme que dans un roman, ce qu'on nous raconte, c'est
toujours aussi quelqu'un qui se raconte et qui nous raconte61(*). Dans cet exercice, parler de
la perspective narrative revient à se poser les questions que
soulève Genette, à savoir qui voit et qui
parle?62(*) Il
s'agira, à propos de The Pickup d'étudier la position du
narrateur et son identité dans l'histoire qu'il raconte.
I.3.1 L'identité du
narrateur
Tzvetan Todorov63(*) a déterminé trois focalisations ou
foyers narratifs dans les récits. La première correspond
à la formule du narrateur >personnage. Le narrateur ici en
sait plus que le personnage. La seconde focalisation correspond à la
formule du narrateur = personnage. Dans ce cas de figure, le narrateur
ne dit que ce que sait tel personnage. La dernière focalisation est
symbolisée par la formule narrateur < personnage. Le
narrateur ici, en dit moins que n'en sait le personnage. Ces trois
focalisations permettent d'étudier la personnalité ou
l'identité que le narrateur revendique dans le récit. Je
m'emploierai à étudier l'identité du narrateur compte tenu
des espaces à partir desquels il voit ce qu'il raconte.
Au début du roman, le narrateur voit tout ce qu'il
raconte à partir de l'Afrique du Sud. La page qui introduit le
récit révèle que le narrateur se trouve dans une
rue ; une rue bruyante à cause des klaxons de voitures suite
à l'encombrement que cause la voiture de Julie qui vient de tomber en
panne au milieu de cette rue.
À la station suivante, le narrateur manifeste sa
présence à El-Ay café où Julie va s'informer sur
l'existence ou non d'un garage dans les environs. Ensuite, le narrateur est
dans le garage où Julie rencontre Musa, alias Abdu, puis de nouveau
à El-Ay café. Au fur et à mesure que les jours passent, le
narrateur change de position entre le domicile de Julie où Musa vit peu
après avoir rencontré celle-ci, le garage où il travaille
et El-Ay café. Le narrateur s'invite par la suite tour à tour
dans le domicile du père de Julie, chez l'avocat Motsamai, chez l'oncle
Archie où Julie va régulièrement. Toutefois, El-Ay
café apparaît comme une station dans laquelle la présence
du narrateur est assez fréquente, compte tenu de ce que Julie y est
très souvent. Enfin, le narrateur émigre lui aussi comme le font
Musa et Julie vers le pays de Musa.
Dans ce pays, le narrateur continue de se mouvoir d'un lieu
à l'autre. Il est à l'aéroport où Musa et Julie ont
atterri, puis dans le restaurant où le couple se
désaltère. Il est dans la voiture qui conduit le couple de la
capitale jusqu'au terminus, situé dans le village de Musa, à des
kilomètres du domicile familial de ce dernier. Il est ensuite dans la
voiture de l'oncle Yaqub qui conduit à son tour le couple du terminus
jusqu'au domicile familial de Musa. Enfin, le narrateur s'invite dans tous les
espaces que Julie et Musa (seuls ou ensemble) fréquentent dans ce
village. Il quitte même le village pour assister Musa dans la capitale du
pays où il va pour chercher des visas pour les pays européens.
Grâce à une analepse, le narrateur révèle le
séjour de Musa en Europe. Il a été en Allemagne et en
Angleterre où il est allé avant d'émigrer vers l'Afrique
du Sud ou vers les USA où il se dirige à la fin du roman.
Tout se passe comme si la nécessité d'un
narrateur dans The Pickup dépendait exclusivement de ce que
font ou disent les personnages Musa et Julie. Devant une telle situation, il
est difficile d'éviter la conclusion que le narrateur se veut le
témoin de ce qu'il raconte. Ce narrateur se fait un voyageur ou un
migrant. Il veut ainsi indiquer que The Pickup porte essentiellement
sur des phénomènes migratoires.
Il convient d'observer que dans sa mobilité, le
narrateur s'arrange à être inférieur ou égal au
personnage pour parler comme Todorov. C'est comme si le narrateur voulait que
le lecteur considère ses personnages comme des êtres vivants
existant par eux-mêmes et non simplement comme des êtres de
papier64(*) ;
c'est-à-dire des êtres dénaturés par leur jugement
ou leur évaluation dans le récit par le narrateur. Il y a de la
part du narrateur un effort pour se mettre au même plan que ses
personnages. Cet état de chose enlève au roman son
caractère de fiction et renforce l'idée que ce roman peut
être considéré comme un document.
I.3.2 La position du
narrateur
Sur la question : qui parle ? The Pickup
se veut hermétique. En effet, le narrateur et les personnages y ont tous
droit à la parole. Du point de vue des sentiments, le narrateur est
très proche de ses personnages. Les personnages et le narrateur sont sur
ce plan interchangeables. Ceci autorise dans The Pickup que le
narrateur prenne la parole pour parler à son propre compte ou au compte
des personnages. Dans l'extrait qui suit, le narrateur parle par exemple
à son propre compte :
clustered predators round a kill. It's a small car with a
young woman inside it. The battery has failed and taxis, cars, minibuses, vans,
motorcycles butt and challenge one another, reproach and curse her, a traffic
mob mounting its own confusion (P. 3)
Des passages de cette nature sont légion dans The
Pickup. Mais le narrateur parle aussi souvent au compte de Julie, de Musa
ou d'autres personnages. C'est le cas par exemple dans l'extrait
ci-après où le narrateur parle à la place de
Julie :
It was awkward to walk beside him (Musa) through the
streets with people dodging around them, but she did not like to walk ahead of
the garage man as if he were some sort of servant (P. 7)
Ici, le narrateur se substitue à Julie car il rend
compte du sentiment ou du point de vue de Julie : Julie refuse la relation
maître/serviteur entre elle et Musa. Qu'en est-il de Musa?
He named a country she (Julie) had barely
heard of. One of those partitioned by colonial powers on their departure, or
seceded from federations cobbled together to fill vacuums of powerlessness
against the regrouping of those old colonial powers under acronyms that still
brand-name the world for themselves. One of those countries you can't tell
religion apart from politics, their forms of persecution from the persecution
of poverty, as the reason for getting out and going wherever they'll let you
in (P. 12).
Dans cet exemple, le narrateur se place dans la perspective
de Musa pour exprimer comment ce dernier apprécie son propre pays. Il
s'introduit dans la peau de Musa pour raconter.
C'est dire que ce narrateur assume les idées de ses
personnages ou leurs positions sur certains faits. Cette situation n'est pas
sans incidence sur la signification de The Pickup.
Le fait que le narrateur s'introduise dans la peau de ses
personnages pour rendre compte de leurs points de vue sur certains faits, a
pour incidence de multiplier dans The Pickup les manières de
voir. Dans cette perspective, The Pickup devient un site où
foisonnent diverses représentations. Mais le narrateur n'attribue pas ce
statut à The Pickup de façon naïve. Dans sa
manière d'exprimer ses idées, il fait ressortir de façon
manifeste qu'il existe diverses manières de regarder un même
objet, en l'occurrence Julie. Il le souligne d'ailleurs lui-même
lorsqu'il parle de Julie en ces termes :
there has been no description of this Julie, little
indication of what she looks like, unless an individual's actions and words
conjure a face and body. There is anyway, no description that is the
description. Everyone who sees a face sees a different face - her father, Nigel
Ackroyd Summers, his wife Danielle, her mother in California, remembering her,
her contemporaries of The Table, the old unpublished poet; her lover (P.
93).
Au sujet de Julie, chaque personnage y va de ses propres
critères d'appréciation. Par ce commentaire, le narrateur indique
qu'il est aussi question des représentations dans son récit.
De l'étude de la perspective narrative, on note que le
narrateur se déplace d'un pays à un autre pour raconter son
histoire. La mobilité de ce narrateur est révélatrice de
l'importance de la migration dans The Pickup. À travers ses
introductions dans la peau de ses personnages, le narrateur met en
évidence sa proximité avec ceux-ci. En outre, ces introductions
ont pour effet de faire de The Pickup une espèce de
scène où se déploient diverses représentations.
Ce chapitre liminaire repose sur l'hypothèse selon
laquelle la fiction peut servir à l'investigation sur des
phénomènes existentiels réels. Il s'agissait de
considérer l'objet artistique que The Pickup constitue afin de
vérifier qu'il
propose à son lecteur, d'un même mouvement,
le plaisir du récit de fiction, et, tantôt de manière
explicite, tantôt de manière implicite, un discours sur le
monde65(*).
Il fallait pour cela interroger la fiction de Gordimer
question d'exhumer les préoccupations existentielles abordées
dans The Pickup. Nous avons sélectionné quelques
catégories poétiques qui nous ont semblées pertinentes par
rapport à cet objectif. Il s'agit de l'espace, des personnages et de la
perspective narrative. De ce chapitre liminaire, il s'en dégage que
The Pickup s'affirme comme un réservoir d'exemples et lieu
d'illustration 66(*) de deux idéologies adverses articulées
respectivement par Musa et Julie.
Musa expose les prolongements de la colonisation qui a eu
cours dans son pays en suggérant que la migration de son pays vers
l'Europe serait la seule issue pour être heureux. Musa est à cet
égard promoteur de l'idéologie impérialiste contre
laquelle Julie s'insurge. Julie résiste à l'impérialisme
tant à la base qu'au sommet. A la base, elle suggère que la
fermeture de son groupe social à l'autre favorie sinon sa domination du
moins sa marginalisation. Au sommet, elle rejette les complexes
d'infériorité qui fondent ou déterminent la conduite de
Musa. Julie prône une idéologie du décentrement, du
mélange, du partage ou de l'ouverture.
Dans l'adversité des deux idéologies qui se
dégagent de The pickup, la migration joue un rôle
particulier. Elle sert de scène d'exposition à ces deux
idéologies. Compte tenu de cette spécificité de la
migration, il y a lieu d'envisager une réflexion sur le pourquoi de ce
double rôle de la migration dans The pickup. En effet, il
semble que Gordimer procède de cette manière pour démonter
les mécanismes de l'impérialisme et ses conséquences afin
d'en suggérer les défis quant à son éviction
définitive. Voilà qui me pousse à examiner les rapports
entre représentation et migration dans The pickup.
CHAPITRE II
MIGRATION COMME
CONSÉQUENCE
DE LA
REPRÉSENTATION
Dans le chapitre précédent, nous avons
parlé de Musa comme d'une victime de l'impérialisme occidental.
Dans le présent chapitre, il est question de préciser pourquoi
Musa est à considérer comme tel. En clair, je m'emploie ici
à démontrer que les migrations répétées de
Musa vers l'Occident sont la conséquence du catalyseur de
l'impérialisme qui est la représentation. Ainsi peut-on se rendre
compte que par les migrations répétées de Musa, The
Pickup invite à remonter le cours de l'histoire du pays de ce
dernier pour comprendre son passé. Car c'est ce passé qui montre
que Musa n'est qu'une victime de l'impérialisme orchestré par
l'Occident dans son pays. Cet impérialisme a fait de Musa sinon un
subalterne, du moins un personnage convaincu que l'Occident est le cadre
idéal pour son épanouissement. Autrement dit, si le pays de Musa
n'avait pas subi l'impérialisme occidental, Musa n'aurait sans doute pas
honte de son pays au point de vouloir s'en éloigner à tout prix.
C'est du moins une hypothèse que je tente de vérifier ici.
Par rapport à mon hypothèse centrale, ce
chapitre me permet de prouver que The Pickup traite de la question du
subalterne. Je m'appuierai sur des travaux théoriques ayant
été développés au sujet de la représentation
dans le cadre de la théorie postcoloniale pour mener ma
démonstration.
II.1 LA NOTION DE
REPRÉSENTATION
Nombre de théoriciens du postcolonialisme s'accordent
sur le fait que la caractéristique essentielle de la culture occidentale
c'est son hégémonie. Sur ce sujet, Edward Said écrit dans
L'orientalisme :
on peut soutenir que le trait essentiel de la culture
européenne est précisément ce qui l'a rendue
hégémonique en Europe et hors d'Europe : l'idée d'une
identité européenne supérieure à tous les peuples
et à toutes les cultures qui ne sont pas européens67(*)
Gayatri Charkravorty Spivak soutient la même
thèse lorsqu'elle demande à l'Occident d'avoir des égards
à l'endroit de la figure que Ranajit Guha considère comme
représentative de toutes les victimes de l'hégémonie
occidentale : le subalterne68(*). Spivak s'interroge en ces termes : can the
subaltern speak ?69(*).
La représentation que les Européens ont
projeté sur eux-mêmes et sur le reste du monde peut être
considérée comme responsable de l'hégémonie qui
caractérise la culture occidentale. C'est du moins ce qu'il s'agit de
prouver à partir de mon étude de la notion de
représentation. Il sera question d'étudier ses mécanismes
et d'illustrer comment ses conséquences se manifestent dans The
Pickup.
II.1.1 Le
manichéisme
Le Dictionnaire Hachette de la langue
française70(*)
présente le manichéisme comme toute doctrine qui oppose le
principe du bien et le principe du mal. C'est encore toute attitude qui oppose
d'une manière absolue, souvent rigide et simpliste, le bien et le
mal.
À la suite de ce dictionnaire, on peut affirmer que le
manichéisme est une manière de concevoir la répartition
des hommes, des groupes humains ou des cultures. Le manichéisme
répartit les hommes, les groupes humains ou les cultures en deux
catégories : ceux qui relèvent du bien et ceux qui
relèvent du mal. L'aspect du manichéisme qui donne toute son
importance à cette manière de concevoir le monde, se trouve dans
la perception de l'antagonisme qui fonde les doctrines totalitaires. Todorov
pense à cet effet que :
La division de l'humanité en deux parties
mutuellement exclusives est essentielle pour les doctrines totalitaires. Il n'y
a pas de place ici pour les positions neutres ; toute personne
tiède est un adversaire, tout adversaire un ennemi. Réduisant la
différence à l'opposition et cherchant ensuite à
éliminer ceux qui l'incarnent, le totalitarisme nie radicalement
l'altérité 71(*).
En favorisant la répartition de l'humanité
à partir des catégories du bien et du mal, le manichéisme
développe une logique de collision permanente. C'est cette collision
permanente que Salman Rushdie s'est proposé de dénoncer en
satirisant le manichéisme dans son célèbre roman
intitulé Les versets sataniques. C'est du moins l'idée
qui se dégage du sous-titre qu'il a donné à ce
roman : La lutte éternelle du bien et du mal 72(*). Compris de cette
manière, le manichéisme peut donc être
considéré comme responsable des honneurs et des crimes qu'a connu
l'humanité depuis toujours jusqu'à nos jours.
La représentation fonctionne quasiment de la
même manière que le manichéisme. Tandis que le
manichéisme tire sa légitimité de la dualité
bien/mal, la représentation, elle tire la sienne de diverses
séparations : supérieur/inférieur ;
normal/anormal ; centre/périphérie ; fort/faible ;
Nord/Sud. En outre, L'orientalisme et culture and imperialism
d'Edward Said révèlent que la représentation s'articule
généralement dans des discours au sens de Michel Foucault.
C'est-à-dire des objets que l'on dispose dans les registres du
savoir à la manière de bataillons que l'on place de
manière tactique, stratégique sur un champ de
bataille 73(*).
Parce qu'elle prend forme à travers les discours que
les uns tiennent sur eux-mêmes et sur les autres, la
représentation acquiert une nature dynamique. En effet, elle devient une
sorte d'objectif à atteindre. Dans L'Orientalisme, Edward Said
montre en quoi, lorsque Benjamin Disraeli affirme : l'orient est
une carrière 74(*), ce dernier transforme cette dynamique de la
représentation en réalité. Vue sous cet angle, la
représentation devient le catalyseur du pouvoir, de la domination ou de
l'impérialisme. Todorov ne dit pas autre chose lorsqu'il
affirme que le concept est la première arme dans la soumission
d'autrui75(*).
Le discours que l'Occident a tenu sur lui-même et sur
le pays de Musa a rendu possible la domination de ce pays par l'Occident. Ce
discours a permis aux Occidentaux de se convaincre du bien fondé ou de
la nécessité de dominer le pays de Musa. C'est dire que la
représentation légitime la domination du groupe se
considérant comme supérieur sur le groupe considéré
comme inférieur. C'est cette espèce de fardeau de l'homme
blanc76(*) que le
farouche défenseur de l'impérialisme français, Jules
Harmand, expose lorsqu'il soutient que :
It is necessary, then, to accept as a principle and point
of departure the fact that there is a hierarchy of races and civilization, and
that we belong to the superior race and civilization, still recognizing that,
while superiority confers rights, it imposes strict obligations in return. The
basic legitimation of conquest over native peoples is the conviction of our
superiority, not merely our mechanical, economic, and military superiority, but
our moral superiority. Our dignity rests on that quality, and it underlies our
right to direct the rest of humanity. Material power is nothing but a means to
that end77(*).
C'est dire que la représentation peut être
considérée comme un rite symbolique qui garantit dans la
psychologie de son auteur la transformation de la violence ou de la domination
en un devoir naturel, un droit légitime pour le groupe dominant. Les
effets psychologiques de la représentation sur leurs auteurs font de ces
derniers des êtres humains à la fois hégémoniques et
créatifs.
II.1.3
L'hégémonie et la créativité
En légitimant la domination, la représentation
assure la suprématie d'un groupe par rapport à un autre groupe
humain. Autrement dit, la représentation assure
l'hégémonie. Lorsque le philosophe allemand Hegel
écrit :
l'Africain ne pense pas, ne réfléchit pas,
ne raisonne pas, s'il peut s'en dispenser. Il a une mémoire prodigieuse.
Il a de grands talents d'observation et d'imitation, beaucoup de
facilité de parole (...) mais les facultés de
raisonnement et d'invention restent en sommeil. Il saisit les circonstances
actuellement présentes, s'y adapte et y pourvoit ; mais
élaborer un plan sérieusement ou induire avec intelligence, c'est
au-dessus de lui78(*),
il légitime la domination de son groupe sur l'Africain.
En présentant l'Africain comme dépourvu de raisonnement et
d'invention, Hegel indique aussi à son groupe un projet qui
l'interpelle : celui de travailler à ce que l'Africain, tôt
ou tard, corresponde effectivement à ce portrait. Cette description que
Hegel fait de l'Africain suggère l'ambivalence de la
représentation.
La représentation rend ses auteurs
hégémoniques et créatifs. Elle les rend
hégémoniques parce qu'elle légitime ou justifie la
domination de ses auteurs sur les peuples prétendus inférieurs.
La représentation les rend aussi créatifs parce qu'elle les
oblige à inventer des méthodes, des moyens ou des techniques de
domination, voire de les adapter en fonction des réactions
imprévisibles du groupe prétendu inférieur. Dans
L'orientalisme, Edward Said rapporte une scène qui illustre la
créativité que la représentation impose à son
auteur. La scène porte sur l'empereur français Bonaparte lors de
sa conquête de l'Égypte en 1798. Celui-ci, convaincu de la
supériorité des Français sur les Égyptiens a
dû inventer une méthode ponctuelle pour soumettre les
Égyptiens à sa domination. Said rapporte :
quand il devint évident pour Bonaparte que sa force
était insuffisante pour s'imposer d'elle-même aux
Égyptiens, il essaya de faire interpréter le coran en faveur de
la grande armée par les imams, cadis, muftis et ulémas locaux.
Dans ce but, les soixante ulémas qui enseignaient à l'Alzar
furent invités à son quartier général, tous les
honneurs militaires leur furent rendus, puis il leur fut permis d'être
flattés par l'admiration de Bonaparte pour l'islam et Mahomet, par son
évidente vénération pour le coran, qu'il paraissait
connaître familièrement. Cela réussit, et il semble que
toute la population du Caire ne tarda pas à perdre sa méfiance
à l'égard des occupants79(*)
Pour Said, la représentation de l'Orient par
l'Occident a contraint les Occidentaux à la créativité au
point qu'ils ont développé des institutions, des traditions et
des codes et s'en sont servis dans le but de rendre visible cet Orient jusque
là virtuelle dans des discours que ces Occidentaux ont tenu sur
l'Orient :
Que l'orientalisme ait le moindre sens dépend plus
de l'Occident que de l'Orient, et l'on est directement redevable de ce sens
à différentes techniques occidentales de représentation
qui rendent l'Orient visible, clair, et qui font qu'il est
« là » dans le discours qu'on tient à son
sujet. Ces représentations s'appuient pour leurs effets sur des
institutions, des traditions, des conventions, des codes
d'intelligibilité, et non sur un Orient lointain et amorphe80(*).
À cause de la créativité qu'elle impose
à ses auteurs, la représentation favorise la diversification des
techniques de domination. Compte tenu de la caractérisation que nous
avons faite de Musa dans le précédent chapitre, on peut retenir
parmi ces techniques la colonisation et l'université. Elles sont toutes
deux des techniques auxquelles l'Occident a eu recours sinon pour rendre
manifeste la normalité de l'Occident et l'anormalité du pays de
Musa du moins pour imposer à Musa sa vision manichéenne du monde.
En substance, la colonisation et l'université ont servi à
transmettre à Musa le regard qu'il pose respectivement sur l'Occident et
sur son pays.
II.2 LES SOURCES DE LA
REPRÉSENTATION CHEZ MUSA
Dans The Pickup, Musa s'émerveille de
l'Occident. Il l'imagine comme un paradis sur terre: That is where the
world is (P. 227). Mais son pays apparaît dans son imagination comme
un espace maudit, habité par des damnés: There isn't hope in
hell (...) no work, no development, what can you grow in desert,
corrupt government (P. 14). Que Musa soit ainsi convaincu de ce que
l'Occident serait le cadre idéal pour son épanouissement en
comparaison avec son pays est une conséquence des conditionnements
infériorisants que la colonisation a fait subir à son pays et que
l'université continue de perpétuer après la
colonisation.
II.2.1 La
colonisation
Il n'existe pas de différence considérable
entre le colonialisme et l'impérialisme. Edward Said partage le
même avis lorsqu'il parle de ces deux concepts en ces termes :
Imperialism means the practice, the theory, and the
attitudes of a dominating metropolitan center ruling a distant territory;
colonialism which is almost always a consequence of imperialism is the
implanting of settlements on distant territory81(*).
Ainsi, le colonialisme est une idéologie ou une
politique de domination et d'exploitation des colonies par des colonisateurs
ayant effectué le déplacement physique de leurs pays d'origine
vers les colonies. De cette conception du colonialisme, on déduit que la
colonisation est le processus consistant en la mise en oeuvre du colonialisme.
Il va donc de soi que la colonisation ne peut être un processus doux et
simple.
La colonisation affaiblit les personnes qui la subissent. Mais
elle est multiplicatrice de pouvoir ou de puissance pour les hommes qui
l'exécutent. C'est du moins la thèse qui se dégage de
l'argumentation ci-après du penseur français
Leroy-Beaulieu :
Une société colonise, quand, parvenue
elle-même à un haut degré de maturité et de force,
elle procrée, elle protège, elle place dans de bonnes conditions
de développement et elle mène à la virilité une
société nouvelle sortie de ses entrailles (...). La
colonisation est la force d'expansion d'un peuple ; c'est son pouvoir de
reproduction, c'est sa croissance et sa multiplication dans l'espace ;
c'est la sujétion de l'univers ou d'une grande partie de l'univers
à la langue, aux usages, aux idées et aux lois de ce
peuple82(*)
La colonisation dénature les personnes qui la
subissent en ce sens qu'elle fait germer dans leur psychologie ce que Fanon
appelle l'arsenal complexuel83(*). Ainsi, la colonisation fait du colonisé
un être convaincu de son infériorité en rapport au
colonisateur, un être qui se néantise, bref un sujet
manipulé. Au terme du processus colonial, le colonisé s'apparente
mutantis mutandis au détenu ayant subi la méthode du panoptisme
développé par Jeremy Bentham :
l'effet majeur du panoptisme : induire chez le
détenu un état conscient et permanent de visibilité qui
assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit
permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son
action ; que cet appareil architectural soit une machine à
créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de
celui qui l'exerce ; bref que les détenus soient pris dans une
situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs84(*).
En d'autres termes, la colonisation fait du colonisé
un corps docile85(*). C'est-à-dire un personnage utile pour la
réalisation du rêve de puissance du colonisateur. Pour atteindre
cet objectif, la colonisation s'est appuyée sur l'institution scolaire.
Cheikh Hamidou Kane partage ce même avis lorsqu'il parle de la Grande
Royale en ces termes : Derrière les canonnières, le
regard clair de la Grande Royale des Diallobé avait vu l'école
nouvelle86(*).
Mais la colonisation ayant pris fin dans le pays de Musa
comme nous l'apprend l'oncle Yaqub : there are no foreigners from
Europe flying flags over our land any longer (P. 189), le pays de Musa a
hérité de l'université à laquelle elle a eu recours
pour produire des « corps dociles ». Musa ayant
fréquenté cette université post-coloniale, il importe que
l'on s'y attarde.
II.2.2
L'université
Compte tenu du comportement de Musa, on peut conclure que
l'université qu'il a fréquentée avait pour objectif de le
déposséder de lui-même ; de faire de lui un
subalterne. Musa est convaincu de son infériorité
vis-à-vis des Occidentaux. Voilà pourquoi, malgré son
diplôme d'université obtenu dans son pays, il trouve normal de
pratiquer la plonge dans les restaurants et d'être agent d'entretien ou
réparateur de voitures dans ce qu'il considère comme l'Occident.
Eu égard aux métiers qu'il exerce en Europe, eu égard
également à son illégalité en Afrique du Sud, on
peut dire que Musa se satisfait de l'idée selon laquelle : The
only way to get into countries that don't want you is as manual labourer or
Mafia (P. 15).
C'est dire que l'université qu'il a
fréquentée a contribué à lui faire admettre que
l'Occident est un cadre où on a intérêt à partir,
mais pour exercer des métiers ingrats. Julie suggère la
responsabilité de l'institution universitaire du pays de Musa dans le
comportement de ce dernier lorsqu'elle s'interroge de la manière
suivante : How does a graduate in economics become a motor
mechanic ? (P. 16). Cette responsabilité de
l'université du pays de Musa devant la conduite de Musa est
renforcée dans l'extrait ci-après :
She (Julie) brings along books (...)
this time, in the veld, but the writers she favours are generally not those
known to him (Musa) from his courses in English at that university
(P.34).
Cette université n'a donc pas proposé à
Musa un répertoire de livres variés et importants susceptibles de
développer ses capacités de raisonner et de
réfléchir sur le sens de l'existence. Elle préparait ainsi
Musa à devenir ce que Ambroise Kom appelle un nain87(*) au plan scientifique et
intellectuel. C'est une espèce de sujet problématique en ce sens
que ce qu'il a appris à l'université, il ne peut le mettre au
service de sa société. C'est une université dont le propos
est d'accroître le retard intellectuel de la périphérie par
rapport au centre. Au lieu que cette université aide Musa à
s'intéresser au savoir, elle le préparait plutôt à
s'auto détester en n'enrichissant pas son répertoire de livres ou
de supports didactiques susceptibles d'aiguiser sa curiosité. Pourtant,
comme nous l'apprend Bernard Fonlon:
If the university does not teach a student to think, it
has taught him nothing of genuine worth, has failed wide of its mark
(...) The university should open its doors only to those who come in
search of wisdom: that to offer this wisdom, in all dimension the university
should seek to acquire, to develop, and posses, in fullness, the True, the
Good, and the beautiful and the sublime in substantial being, should explore
all departments of knowledge, should exhibit all diversities of Intellectual
Power, should enthrone science, philosophy and taste as in royal court, should
recognise no sovereignty but that of Mind, no Nobility but that of Genius; in
other words, in order to promote these exalted aims, it should make perennial
war against mindlessness, against mediocrity and ineptitude88(*).
C'est dire que cette université perpétue
l'entreprise coloniale. Ses finalités correspondent rigoureusement
à celles de l'école en colonie tel qu'André Djiffack les
présente :
En colonie, l'institution scolaire est cyniquement
détournée de sa vocation traditionnelle. Loin de conduire le
Nègre à la "civilisation", les conditions dérisoires de la
scolarisation produisent un effet pervers : la déshumanisation.
L'école n'est plus qu'une machine à détruire le
colonisé sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel, culturel
etc....89(*)
L'université que Musa a fréquentée a
aussi assuré l'appropriation par Musa de la représentation de
l'Occident sur lui. Voilà pourquoi il estime légitime de fuir son
pays pour l'Occident qu'il considère comme supérieur ou comme
idéal :
The World is their world. They own it. It's run by
computers, telecommunications (...) The West, they own ninety one
percent of these (...) this one? - not enough even to make one figure!
Desert. If you want to be in the world, to get what you call the Christian
world to let you in is the only way. (P. 160)
Vue cette argumentation de Musa, il est difficile
d'éviter la conclusion que l'université que ce dernier a
fréquentée visait les mêmes objectifs que ceux de
l'école coloniale en Afrique. En Afrique, en effet, l'école
coloniale visait, ainsi que le soutient Midiohouan, à amener
les africains à se mépriser, à avoir honte
d'eux-mêmes, à aimer et admirer la France90(*). Dans The
Pickup, Musa qui peut être considéré comme l'Africain
dont parle Midiohouan a honte de lui-même, mais il aime et admire
l'Occident.
En un mot, colonisation et université se sont
prêtées la main pour accroître le déséquilibre
développemental entre l'Occident et le pays de Musa. Ces deux
éléments sont responsables de la misère qui sévit
dans le pays de Musa et inversement du niveau de vie élevé en
Occident. Mais ils sont aussi responsables des migrations
répétées de Musa vers l'Occident, car les
conséquences de ces éléments sur l'aspect physique du pays
de Musa et de l'Occident servent à Musa de support pour justifier son
obsession quasi névrotique à fuir son pays.
II.3- LES MOTIVATIONS DE LA
MIGRATION CHEZ MUSA
L'état des lieux en Occident et dans le pays de Musa
contribuent à légitimer les migrations
répétées en direction de l'Occident que Musa pratique dans
The Pickup. Le déséquilibre développemental
apparent qui se dégage entre son pays et l'Occident stimule l'obsession
de Musa à fuir son pays. Puisque l'université ne lui a pas appris
à réfléchir ou ne lui a pas permis de comprendre le sens
de l'existence, Musa n'est pas conscient de ce que la représentation,
son hégémonie et sa créativité ont contribué
à rendre visible simultanément l'Occident comme un centre
développé et riche et son pays comme une périphérie
sous-développée et pauvre. Ainsi, on peut distinguer, au titre
des mobiles d'où Musa tire la légitimité de ses
migrations, les mobiles exogènes et les mobiles endogènes.
II.3.1- La condition
postcoloniale
Tel qu'il apparaît dans The Pickup, le pays de
Musa épouse les mêmes caractéristiques que celles de la
post-colonie. Par post-colonie, il faut entendre ce qu'Achille Mbembe
appelle :
Des sociétés récemment sorties de
l'expérience que fut la colonisation, celle-ci devant être
considérée comme une relation de violence par excellence. Mais
plus que cela, la post-colonie est une pluralité chaotique, pourvue
d'une cohérence interne, de système de signes bien à
elle, de manières propres de fabriquer des simulacres ou de reconstruire
des stéréotypes, d'un art spécifique de la
démesure, de façons particulières d'exproprier le sujet de
ses identités91(*).
Chaos, injustices et frustrations des populations constituent
pour ainsi dire des caractéristiques essentielles de la post-colonie.
Étant donné que le pays de Musa vient de connaître le
départ des colonisateurs européens ainsi que l'oncle Yaqub
l'affirme There are no foreigner from Europe flying flags over our
land any longer (P. 189), étant donné également
l'état de délabrement des moeurs de ses populations, l'aspect
pitoyable de ses places publiques, il est difficile de ne pas voir en ce pays
une illustration rigoureuse de la post-colonie. Ces caractéristiques
servent de justificatifs à Musa pour mettre en oeuvre ses migrations
répétées vers l'Occident.
II.3.1.1- La pauvreté
Dans le pays de Musa, la pauvreté est
matérielle. L'argent manque par exemple cruellement aux populations.
C'est le cas du père de Musa et de son ami. Ces derniers ne peuvent pas
pratiquer l'agriculture parce qu'ils manquent d'argent :
They're saying it can be possible, they can buy some part
where there is growing now, or look for water (...) Grow rice, onions,
potatoes, tomatoes, beans, many things, they're saying it can be, if they have
the money... If they had the money they can do it, even right now. They will if
they had money. Just the money (...) Always it was just the money, for
everything you wanted and couldn't have. (PP. 211-212)
La pauvreté conduit à l'illettrisme qui se
traduit par le nombre important d'analphabètes que compte le pays de
Musa. Dans un marché que Julie visite, elle est stupéfiée
par le spectacle qui s'offre à elle :
She asked Maryam about a man squatting at work on an
ancient portable typewriter while a woman spoke volubly at him. Many don't know
how to write. They pay for a letter. (P. 126)
Au moins en partie, la domination du pays est entretenue par
le gouvernement en place. C'est un gouvernement qui frustre le jeune
scolarisé. Par son opposition à la liberté d'expression du
jeune scolarisé, ce gouvernement l'empêche de mettre valablement
ses connaissances au service de sa société. En effet, à
cause des frustrations qu'il fait subir au jeune scolarisé, ce dernier
cherche refuge dans l'alcoolisme pour oublier ses soucis. C'est du moins ce que
suggère le passage ci-après :
These other young men have some education
(...) one has a university degree but is a second-grade clerk in a local
government office: he has tried to get out but as he has been refused a
passport at this end of the process because there is record of his having been
a political troublemaker, as a student, dissident against the regime, he hasn't
the first requirement of the many for visa application. For reasons of the same
record there's no hope of him being promoted in the civil service; others in
the group that drifts every night to the oil lamps of one of the bars disguised
as coffee shops have similar stories. (P. 176)
Le gouvernement en question ne fournit pas des efforts
nécessaires pour faire en sorte que les populations prennent conscience
de l'importance du soin de l'environnement. Les populations du pays de Musa
s'accommodent en effet de l'insalubrité. C'est ce que suggère
cette découverte que Julie fait au milieu d'un bazar dans ce
pays :
In this part of the village she saw as a ruin but
was the normal state of lassitude in the extremes of poverty, there was no
demarcation between what was the thoroughfare and the shacks where goats were
tethered and women squatted in their black garb like crows brought down wounded
suddenly he (Musa) had to swerve to avoid a dead sheep lying bloated in a
shroud of flies. Now she was appalled. Ah poor thing! Why doesn't someone bury
it! (P. 132)
La pauvreté et la misère sont donc le lot des
populations du pays de Musa. Cette pauvreté est loin d'être
éradiquée puisque l'organe suprême qui devrait oeuvrer pour
l'éradiquer, est favorable à cette situation. Cet organe est
d'autant plus favorable à la pauvreté en post-colonie qu'il est
lui-même un organe corrompu.
II.3.1.2- La corruption du
gouvernement
Le gouvernement du pays de Musa brille par la corruption de
ses membres. Ces derniers monnayent tous les services, transgressant par ce
fait les lois du pays. Pour accéder par exemple à un poste dans
l'administration, le postulant doit mettre de l'argent en jeu pour corrompre
les autorités : money to pay bribes to the right
people (P. 14). Personne ne maîtrise mieux que Musa comment ce
gouvernement fonctionne ainsi qu'il apprend à Julie :
With money you can buy anything from the government. The
landowners who call themselves a government. Same thing. That is what is here,
in this place of my people. That is one of the first things for you to
understand. What's true, about life in this place. There is no mystery about
our life. Money - and the government will tell you the deal is done, Al-Hamdu
Lillah (P. 215)
C'est dire que l'argent ouvre toutes les portes dans le pays
de Musa. Nul doute que cette corruption est la conséquence de l'absence
dans le pays de Musa de ce que Kom, à la suite de Said, appelle une
grande narration92(*). C'est-à-dire une culture nationale
à partir de laquelle le pays entier définit des objectifs
à atteindre partant des moyens disponibles. Confrontée à
ces réalités, il est évident que Musa ne peut pas
être fier d'appartenir à un tel pays. Pour ce qui le concerne,
Musa n'accepte pas d'être assimilé à ce pays pauvre et
corrompu. Il revendique plutôt une identité qui l'éloigne
de ce pays. C'est du moins l'idée qui ressort de la réaction
ci-après qu'il adopte à l'égard des amis de Julie en
Afrique du Sud :
I can't say that "my country" - because somebody
else made a line and said that is it. In my father's time they gave it to the
rich who run for themselves. So whose country I should say, it's mine? (P.
15)
C'est donc la condition pitoyable de son pays qui motive Musa
à le fuir sans cesse et à lui préférer l'Occident.
Les réalités palpables dans son pays confirment la
représentation que l'université lui a léguée :
son pays est inférieur à l'Occident. Dans cette perspective, Musa
se convainc qu'il est légitime qu'il fuit son pays pour chercher le
bonheur en Occident ; le monde comme il l'appréhende
lui-même : If you want to be in the world, to get what you call
the christian world to let you in is the only way (P. 160)
Si Musa estime qu'il est légitime pour lui
d'émigrer vers l'Occident, c'est sans doute à cause de l'attrait
que cet Occident exerce sur lui, compte tenu de ses caractéristiques en
comparaison avec son propre pays.
II.3.2- Le mythe du centre
Dans la perspective de Musa, la condition pitoyable de la
post-colonie contraste avec les conditions de vie enviables en Afrique du Sud
ou en Occident. Musa s'émerveille de la bourgeoisie propre à
l'Afrique du Sud ou comme dirait les post-colonialistes du centre. La
vérité c'est que Musa est assiégé au plan
psychologique par une multitude de pressions générées non
seulement par la représentation que l'université lui a transmise
mais aussi par des sources d'information propageant le mythe du centre.
II.3.2.1- Les propagateurs du
mythe du centre
Le dictionnaire Hachette de la langue
française définit le mythe comme une représentation
traditionnelle simpliste et souvent fausse, mais largement partagée.
Dans mon entendement, parler du mythe du centre, c'est parler de la fabulation
dont l'Occident fait l'objet dans l'imaginaire du sujet post-colonial. Dans son
imaginaire l'Occident existe en effet, comme un paradis sur terre ; comme
un eldorado. Dans le pays de Musa, il y a des organes qui se chargent de
propager cette fausse idée de l'Occident. Il s'agit par exemple de la
télévision.
Dans le village de Musa, la télévision propage
des images de l'Occident où des marches populaires ne sont pas
réprimées comme dans le pays de Musa. Ces images se gravent dans
les esprits des jeunes au point que ces derniers finissent par
considérer l'Occident comme un modèle. Par voie de
conséquence étant encore dans leur pays de corps, ils sont en
Occident d'esprit. C'est pour cette raison que les revendications qu'ils
continuent de formuler, malgré la répression du gouvernement,
s'appuient toujours sur le modèle occidental :
These young men want change (...) change with
elections that are not rigged or declared void when the government's opposition
wins ; hard bargains with the West made from a position of counter-power,
not foot-kissing, arse-licking servitude (they bring the right vocabulary back
with them from the West, whatever else they were denied) (P. 176)
La presse contribue aussi à propager le mythe de
l'Occident dans le pays de Musa. C'est du moins la thèse qui se
dégage de l'argumentation ci-après que Musa développe en
direction de Julie. Musa vient alors d'obtenir deux visas pour les USA et, un
journal à la main, tente de persuader Julie qui manifeste à Musa
sa désapprobation quant à son émigration hors du pays de
Musa. Suivons plutôt:
This time I have the chance to move out of all that,
finished, for ever, for ever, do what I want to do, live like I want to live.
That is the country for it. There are plenty of chances again now, there; you
don't read the papers, but the unemployment is nothing. Lowest for many years.
Work for every body (P ; 227).
La presse que Musa tient en main dans cet extrait divinise
simplement l'Occident en le présentant comme un univers ne souffrant
d'aucun reproche. Cette presse aiguise pour ainsi dire l'appétit de
l'émigration chez le sujet post-colonial. Ce d'autant plus que ce
qu'elle présente comme abondant en Occident manque cruellement dans le
pays de Musa.
Ces deux organes de l'information ont donc un rôle
suffisamment important pour expliquer l'extraversion de Musa. Compte tenu de la
représentation qu'il a héritée de l'université, on
peut bien considérer ces organes de l'information comme des outils que
le centre met à la disposition de Musa pour que ce dernier ne se
dissuade jamais de l'idée fausse selon laquelle l'Occident est un
univers idéal voire paradisiaque alors que son pays est un enfer. Mais
comme nous l'avons relevé dans le précédent chapitre, Musa
refuse de s'identifier à son pays. Lorsqu'il y est il renonce
catégoriquement à s'y établir. En Afrique du Sud,
où il est au début du roman, il trouve autre chose qui lui permet
de se donner raison de s'y installer.
II.3.2.2- La bourgeoisie
Dans la comparaison que Fanon fait entre la bourgeoisie
nationale des pays autrefois colonisés et la bourgeoisie nationale
occidentale, il fait observer pourquoi on ne peut pas considérer la
bourgeoisie nationale en post-colonie comme une véritable bourgeoisie
nationale. Fanon écrit :
L'aspect dynamique et pionnier, l'aspect inventeur et
découvreur de mondes que l'on trouve chez toute bourgeoisie nationale
est ici lamentablement absent. Au sein de la bourgeoisie nationale des pays
coloniaux, l'esprit jouisseur domine. C'est que sur le plan psychologique, elle
s'identifie à la bourgeoisie occidentale dont elle a sucé tous
les enseignements. Elle suit la bourgeoisie occidentale dans son
côté négatif et décadent sans avoir franchi les
premières étapes d'exploration et d'invention qui sont en tout
état de cause un acquis de cette bourgeoisie occidentale93(*).
Ce qui nous intéresse dans cette comparaison de Fanon,
c'est la caractéristique qu'il fait de la bourgeoisie occidentale ou
pour rester conforme à la théorie post-coloniale, la bourgeoisie
du centre. Car la caractérisation que Fanon fait de la bourgeoisie
occidentale correspond à quelques exceptions près à la
bourgeoisie dont le père de Julie est un membre dans The
Pickup : le père de Julie et ses acolytes sont des
explorateurs, des inventeurs à leur manière. Aux yeux de Musa,
ces derniers sont des êtres dynamiques :
They are people doing well with their life. All the time.
Moving on always. Clever. With what they do, make in the world, not just
talking intelligent. They are alive, they take opportunity, they use the
(...) yes, your father and the other men. They know what they speak
about. What happens. Making business. That's not bad, that is the world.
Progress. (P. 62)
Le type d'activité que les bourgeois mènent en
Afrique du Sud émerveille Musa et le séduit. Partant de son
admiration pour les activités que les bourgeois sud-Africains
mènent, Musa trouve des raisons de relever le défi de
s'identifier à cette bourgeoisie. Voilà qui explique pourquoi
Musa use de toutes sortes de subterfuges pour ajourner sans cesse sa
rapatriation vers son pays d'origine.
On peut conclure que, dans son pays comme en Afrique du Sud,
Musa est condamné au même sort que celui de Zamakwé dans
Trop de soleil tue l'amour. En effet c'est comme si tout
était étouffé par des milliards d'édredons
disposés partout, dans les maisons, dans les rues, dans les
établissements publics94(*). Où qu'il se trouve, l'occasion est
donnée à Musa de vérifier que l'Occident est un univers
paradisiaque et son pays la géhenne. D'où son obsession quasi
névrotique à se perdre dans l'Occident. Musa est obnubilé
par l'Occident au point de pratiquer l'émigration pour
l'émigration pour emprunter cette image à Ambroise Kom95(*). Musa n'hésite
même pas à pratiquer l'immigration clandestine. En Afrique du Sud
qu'il considère comme l'Occident en Afrique, Musa pratique d'ailleurs le
camouflage identitaire suite à l'expiration de son visa :
It had come to the notice of the Department of Home Affair
that (his real name) was living at the above address under the alias (the name
the grease-monkey answered to). (P. 52)
Musa n'est donc rien d'autre qu'un sujet en proie à la
domination de l'Occident sur lui et sur son pays: un subalterne.
L'objectif recherché dans ce chapitre était de
prouver que les migrations de Musa vers l'Occident sont une conséquence
de la représentation. Il nous a fallu pour cette raison spécifier
la notion de représentation dans le but de mettre en évidence ses
mécanismes et son fonctionnement. L'hégémonie et la
créativité propre à la représentation nous ont
permis de mettre en évidence que la représentation de l'Occident
comme paradis et de son pays comme enfer qui détermine les migrations de
Musa est un héritage, un legs du colonialisme ou de
l'impérialisme occidental sur son pays. Compte tenu de ce que Julie
s'insurge contre l'aliénation de Musa, compte tenu également que
le personnage Musa invite à remonter le cours de l'histoire dans son
pays, ce chapitre peut être considéré comme suggestif des
défis liés au projet dont Julie se veut l'artisane dans The
Pickup : évincer l'impérialisme quelque soit sa nature.
Cela dit, il demeure un problème à résoudre : celui
de la représentativité de la société que Julie
quitte en Afrique par rapport à l'Occident. Ce problème sera
traité dans le chapitre suivant.
CHAPITRE III
LA MIGRATION COMME REMISE
EN QUESTION
DE LA
REPRÉSENTATION
Dans le présent chapitre, il s'agit de montrer en quoi
la migration de Julie n'a pas la même signification que celle de Musa
dans The Pickup. En d'autres termes, je tente de prouver que de par sa
migration de l'Afrique du sud vers le pays de Musa, Julie remet en question
l'impérialisme, perceptible à travers le comportement de la
bourgeoisie sud-africaine (à laquelle son père appartient) et
dont Musa est victime. Ce chapitre prouve par ailleurs que The Pickup
convient à l'orientation sociale que Gordimer a souvent consciemment
donnée à sa fiction :
Si ma fiction, écrit-elle, et celle
d'autres écrivains ont servi légitimement la politique à
laquelle je crois, c'est en raison de la transformation par l'imagination
qu'implique la fiction : pour reprendre les termes de l'écrivain
suédois Per Wästberg, " pour aider les gens à
comprendre leur propre nature et à savoir qu'ils ne sont pas sans
pouvoir"96(*).
En s'insurgeant contre son groupe social, Julie l'aide
à comprendre que contrairement à ce que ses membres s'imaginent,
il n'est pas sans reproches, bien au contraire. En s'insurgeant contre
l'aliénation dont Musa est victime, Julie veut aider ce dernier à
découvrir ses propres potentialités. Ce chapitre prouve que
The Pickup propose une nouvelle manière de se
représenter le subalterne.
Je me propose aussi de montrer que la bourgeoisie sud
africaine partage sensiblement les mêmes caractéristiques que
l'Occident impérialiste qui a pratiqué la colonisation dans le
pays de Musa. En effet, le groupe que Julie rejette en Afrique du sud est
interchangeable avec l'Occident impérialiste. C'est du moins une
hypothèse que je tenterai de vérifier dans ce chapitre. Je
préciserai aussi en quoi la conduite de Julie est illustrative de la
remise en question de la représentation. Pour finir, j'évaluerai
les enjeux et les défis de la migration chez Julie en particulier ;
dans The Pickup en général.
III.1- LES FONDEMENTS DE
LA RÉVOLTE DE JULIE EN AFRIQUE DU SUD
La révolte de Julie contre le groupe social de son
père en Afrique du sud s'explique par deux raisons essentielles. C'est
d'abord un groupe bourgeois qui se renferme sur lui-même ; un
groupe qui croit se suffire. Ensuite, c'est un groupe favorable à la
subalternéité de l'autre, de Musa notamment. C'est un groupe qui
ne donne pas au subalterne la possibilité de se considérer avant
tout comme un être humain. Ce groupe l'exploite, l'exclut, le marginalise
ou le maintient dans la subalternéité. La révolte de Julie
se nourrit de l'autarcie de la bourgeoisie sud-africaine et de l'exploitation
du subalterne.
III.1.1- L'autarcie de la
bourgeoisie sud-africaine
Dans The Pickup, le père de Julie refuse tout
contact avec ceux des êtres humains qui n'appartiennent pas à la
bourgeoisie. D'après le banquier Nigel Ackroyd Summers, en effet, pour
bénéficier de sa considération, il faut par exemple
posséder des voitures, des appartements, des biens matériels ou
avoir un poste important dans l'administration ou dans une entreprise. Il faut
avoir pu vaincre la faim et la pauvreté. Voilà pourquoi l'avocat
Hamiton Motsamai compte parmi ceux qui sont les bienvenus chez le banquier
Summers :
Senior counsel was an acting Judge for a period, and could
be permanently His Honour Mr justice Motsamai on the bench of the High court
now if he had not decided for that other, more profitable form of power over
human destiny, financial institutions (PP. 76-77)
Tandis que l'Avocat Motsamai, malgré sa peau noire est
accepté sans difficulté comme membre à part entière
de la bourgeoisie, Musa, malgré son teint brun est stigmatisé.
C'est du moins l'idée qui ressort de l'extrait suivant portant sur le
premier contact de Musa avec le père de Julie :
When her father was introduced to her someone there was
across his face a fleeting moment of incomprehension of the name, quickly
dismissed by good manners and a handshake. What was the immediate register?
Black-or some sort of black (PP. 40-41)
Ainsi que le relève le passage ci-dessus, le bourgeois
Summers agit essentiellement sur la base des stéréotypes, des
clichés ou des préjugés sur l'étranger
répandus dans son groupe social. Ce groupe social stigmatise
l'étranger, range ce dernier dans une catégorie peu enviable.
C'est un groupe qui peint le portrait de l'étranger en projetant sur lui
ses propres faiblesses comme dirait Todorov97(*). Ce groupe se comporte de la sorte vis-à-vis
de l'étranger parce qu'il se représente comme supérieur
à lui.
À partir des travaux d'Albert Memmi sur le racisme, on
peut déduire que la bourgeoisie sud-africaine a peur de
l'étranger. Sa peur de l'étranger fait d'elle un groupe raciste.
Le racisme de ce groupe est évident lorsqu'on compare le comportement du
père de Julie vis-à-vis de Musa avec la démarche raciste
que Memmi expose dans Le racisme en ces termes :
Quoi qu'il en soit, la différence est d'une
certaine manière trouble et négation de l'ordre établi.
Devant l'étrangeté de l'autre, on risque d'hésiter sur
soi-même. Et pour se rassurer, pour se confirmer, il faudra refuser, nier
l'autre ... [Dans la perspective du père de Julie] pour
sauvegarder notre supériorité, gardons-nous de la pollution par
les étrangers98(*)
Rien donc de surprenant si le bourgeois Summers panique
devant Musa avec qui Julie débarque dans sa villa. Il est troublé
par l'étrangeté de Musa et recherche le confort personnel
à travers la stigmatisation de ce dernier. Tout compte fait, le
bourgeois refuse simplement d'intégrer le subalterne dans son groupe
social. M. Summers refuse pour cette raison l'amour entre Julie et Musa.
Musa est rejeté parce qu'il est
considéré comme une personne ne méritant pas l'amour de
Julie. Le propriétaire du garage où Musa travaille en Afrique du
sud et qui partage les mêmes idées que M. Summers explique
clairement en quoi Musa ne mérite pas l'amour de Julie :
Don't get me wrong, explique-t-il, for your own
good, you're a nice girl, a somebody, I can see. He's not for you. He's not
really even allowed to be in the country. I give him a job, poor devil, I mean.
God knows who it can happen to, and it's the other kind, the real blacks who
get what's going nowdays. (P. 32)
Comme le souligne le passage ci-dessus, c'est en partie
à cause des préjugés propres aux bourgeois sud-africains
que Musa est considéré comme ne méritant pas l'amour de
Julie. Ces préjugés poussent le père de Julie à
considérer cette dernière comme une démente lorsqu'elle
lui apprend son futur départ de l'Afrique du sud pour le pays de Musa.
Pour M. Summers, que Julie choisisse de quitter l'Afrique du sud pour le pays
de Musa relève du suicide :
You lack consideration for what you do, indirectly, to
your family (...) you're nearly thirty. And now you come here without
any warning and simply tell us you are leaving in a week's time for one of the
worst, poorest and most backward of Third world countries, following a man
who's been living here illegally, getting yourself deported yes- from your own
country, thrown out along with him, someone no-one knows anything at all about,
someone from God knows what kind of background. Who is he where he comes from?
What does he do there? What kind of family does he belong to? (...)
what more can I say. You choose to go to hell in your own way
(PP.97-98)
La bourgeoisie sud-africaine refuse donc tout contact avec
toute personne considérée comme ne satisfaisant pas les attentes
des bourgeois. Cette bourgeoisie a une représentation méliorative
et narcissique d'elle-même qui favorise l'exploitation du subalterne.
III.1.2- L'exploitation du
subalterne
La bourgeoisie se considère comme un groupe
exceptionnel ou extraordinaire dans le monde. Cela légitime à ses
yeux l'exploitation de l'autre qui n'est pas bourgeois. Ce repli identitaire
propre à la bourgeoisie sud-africaine a pour conséquence de
légitimer ou de nourrir le racisme. Albert Memmi définit le
racisme comme :
La valorisation généralisée et
définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au
profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de
légitimer une agression (...) le racisme est l'utilisation
profitable d'une différence99(*)
Dans The Pickup, le subalterne est utilisé et
exploité respectivement par le père de Julie et le
propriétaire du garage où Musa vit et travaille en Afrique du
sud. Le père de Julie approuve indirectement l'exploitation de Musa en
se représentant son propre groupe social comme un groupe parfait et pur
qui n'a rien à partager avec le subalterne. Cette idéalisation de
la bourgeoisie sud-africaine a pour conséquence le confinement du pays
d'origine de Musa dans une espèce d'enfer hostile à la vie
humaine : one of the worst, poorest and most backward of third
world countries (P. 98) dit-il sur ce sujet. D'après Summers,
le pays de Musa est un pays hors de l'histoire comme dit Hegel. C'est un pays
infernal semblable à celui dans lequel Marlow mène son lecteur
dans Le coeur des ténèbres de Joseph
Conrad100(*).
C'est au propriétaire du garage où
Musa vit et travaille en Afrique du sud qu'il revient de mettre en pratique
l'exploitation du subalterne. En effet, ce propriétaire de garage saisit
l'opportunité de la présence de Musa en Afrique du sud pour
réaliser ses rêves de puissance économique. I give
him (Musa) a job (P. 32) apprend-il à Julie qui
l'accoste dans le garage où travaille Musa. Non seulement il lui a
donné du travail en Afrique du sud, mais il lui a aussi donné
a shed, a corner in the street to sleep in (P. 63.)
Contrairement à ce qu'affirme ce propriétaire
de garage, il n'aide pas vraiment Musa par charité. Il le maintient dans
la subalternéité. Ce propriétaire profite simplement de la
clandestinité de Musa afin de réaliser des
bénéfices énormes puisque Musa travaille "au noir" :
The garage employs him illegally - "black", yes that's the
word they use. It's cheap for the owner; he doesn't pay accident insurance,
pension, medical aid. (P. 17)
Le propriétaire du garage fait ici de Musa un objet
qui lui permet d'engranger les bénéfices. Il pratique sur Musa ce
que Gaston Kelman appelle le racisme angélique.
C'est-à-dire :
Un racisme fait de paternalisme, d'apitoiement sur le sort
de ces pauvres gens (...) mais de même que le chemin de l'enfer
est pavé de bonnes intentions, sous le prétexte de racheter la
vilenie passée, l'on enfonce encore le Noir par une complaisance
coupable et infantilisante de dame patronnesse101(*)
Julie rejette tous ces us et coutumes de la bourgeoisie
sud-africaine, leur préférant l'ouverture véritable au
subalterne. Ainsi, elle se lie d'amitié avec Musa, l'épouse
jusqu'à migrer dans le pays de ce dernier. Mais dans le pays de Musa,
Julie s'insurge aussi contre Musa comme pour lui faire comprendre qu'il n'a pas
raison de jouer au subalterne.
Il est difficile de ne pas voir dans les
caractéristiques de la bourgeoisie sud-africaine dans The
Pickup une espèce de caricature de la société
occidentale impérialiste. La fermeture de cette bourgeoisie au reste du
monde a pour conséquence de faire d'elle une société
close qui se sclérose dans les formes déterminées
interdisant toute évolution, toute marche, tout progrès, toute
découverte102(*)comme le dirait Frantz Fanon. Chez Fanon, cette
société n'est rien d'autre que l'Europe dont nous assistons
aujourd'hui à une stase.103(*)
Dans son étude des relations entre la bourgeoisie et
le racisme, Albert Memmi débouche sur une conclusion qui peut servir
à soutenir l'idée que la bourgeoisie sud-africaine peut
être considérée comme représentative de l'Occident
dans The Pickup. Memmi écrit à ce propos :
Tout bourgeois est suspect à priori des
caractéristiques que nous avons notées dans toute démarche
raciste. Du maître des forges au petit propriétaire du XIXe
siècle, relayés par le grand et le petit entrepreneur de nos
jours, tous sont avides et cruels104(*)
En enfermant Musa dans la subalternéité, la
bourgeoisie sud-africaine exerce une violence cruelle sur lui. Elle nie son
appartenance à la race humaine. C'est dire que la bourgeoisie
sud-africaine est interchangeable avec l'Occident dont nous avons
souligné l'hégémonie dans le précédent
chapitre. Musa suggère d'ailleurs cette situation à travers la
considération dont il fait montre lorsqu'il parle de l'Afrique du
sud : where you (Julie) come from - the whole Africa has only two
percent, and it's your country has the most of that. (P. 60) C'est donc un
pays développé et riche renfermant quasiment les mêmes
caractéristiques physiques et économiques que l'Occident.
Étant donné que Julie quitte le centre pour la
périphérie dans The Pickup, il y a lieu de voir en sa
migration un acte révolutionnaire, ce d'autant plus que Julie va vers la
périphérie non pas pour assouvir un quelconque besoin d'exotisme,
mais pour oeuvrer au développement de cette périphérie. On
peut donc lire l'itinéraire de Julie dans The Pickup comme un
symbole de la résistance à l'oppression favorisée par la
représentation que se fait le centre de lui-même et de la
périphérie.
III.2- MIGRATION ET
RÉSISTANCE
Le fait que Julie s'insurge tour à tour contre la
bourgeoisie sud-africaine et l'aliénation de Musa permet de
caractériser sa migration comme symbole de la résistance. Stephen
Slemon définit la résistance comme un acte ou un processus
consistant à soustraire quelqu'un ou un groupe de personnes de
l'oppression de l'autre :
Resistance, écrit-il, is an act, or a set
of acts, that are designed to rid a people of its oppressors, an it so
thoroughly infuses the experience of living under oppression that it becomes an
almost autonomous aesthetic principle105(*)
Pour Homi Bhabha, resistance is an effect of the
contradictory representation of its ambivalent strategies of power106(*). Autrement dit, la
résistance se déploie essentiellement contre la
représentation dans ses divers aspects. C'est dire que la
résistance a un effet bénéfique sur l'humanité. Car
elle génère la compréhension réciproque entre les
hommes. Barbara Harlow écrit à ce propos :
The struggle is one which engages the tradition past as
well as the present circumstances of western hegemony in order to determine
future coordinates of social and political formations and strategic
alliances107(*)
Edward Said reprend à sa manière la même
idée. Pour lui la résistance loin d'être une simple
réaction à l'impérialisme, est une conception alternative
de l'histoire humaine108(*).
La résistance est donc toute manière de lutter
pour le bonheur des hommes pris aux pièges de l'impérialisme.
Dans The Pickup, Julie se singularise par son rejet
de l'impérialisme. Elle rejette le comportement de son groupe social qui
favorise la marginalisation de l'autre et rejette le comportement de Musa,
comportement déterminé par les complexes
d'infériorité hérités de son passé. Julie
résiste donc autant à la représentation du centre
qu'à celle de la périphérie.
III.2.1- Résistance
à la représentation du centre
Julie s'oppose à ce que le groupe qu'elle rejette en
Afrique du sud (le centre) continue de se représenter comme un groupe
exceptionnel qui aurait raison de se renfermer sur lui-même. Elle
souhaite plutôt que celui-ci apprenne à se remettre en question
afin de comprendre l'absurdité que représente le fait de nier
l'humanité de l'autre ; l'altérité. Julie essaye de
faire comprendre à son groupe que les cultures ne doivent pas s'exclure
mutuellement. Elles doivent plutôt s'enrichir grâce à une
négociation permanente. C'est pour cette raison que plutôt que de
se conformer aux codes culturels du groupe auquel elle appartient, Julie les
transgresse sans cesse pour s'ouvrir aux pauvres :
The young woman was down in a thoroughfare, a bazar of all
that the city had not been allowed to be by the laws and traditions of her
parent's generation. Breaking up in bars and cafés the inhibitions of
the past has always been the work of the young, haphazard and selectively
tolerant (P. 5)
Julie s'en prend au regard que la bourgeoisie pose sur le
subalterne Musa. Elle se lie à lui pour cette raison en Afrique du sud
malgré la situation illégale de ce dernier. Elle s'éprend
de lui, l'héberge gratuitement sans l'exploiter et entreprend des
démarches dans le but de faire obtenir à Musa la
nationalité sud-africaine, en vain.
Invitée par son père dans la villa de ce
dernier, elle affiche une mine de mépris devant lui : Julie
comes upon it as always : sinking into a familiar dismay (P. 40).
Julie refuse de se confondre au groupe de son père. Alors que Musa
s'interroge sans cesse why don't you take me to know your parents (P.
37), Julie lui répond péremptoirement my life is my life, not
theirs (...) I didn't want to subject you to them (P. 38). Julie
a même honte de ses parents: she was ashamed of her parents (P.
38).
Elle estime que ceux-ci ne vivent pas. D'après elle,
leur liberté est emprisonnée par des codes culturels rigoureux
dont la vigueur étouffe ou occulte l'expression. Leur liberté est
fixée dans la normalité de leur groupe. Cette situation favorise
l'arrogance du bourgeois qui l'amène à croire qu'il a le droit de
stigmatiser ou d'exploiter le subalterne. Julie exprime son questionnement de
l'identité bourgeoise en s'interrogeant de la manière
suivante : where to locate the self ? (P. 47)
Tout se passe comme si Julie reprenait la thèse de
Fanon d'après laquelle il ne faut pas essayer de fixer l'homme,
puisque son destin est d'être lâché109(*). Elle quitte pour cette
raison son cadre de vie opulent, imposant et spacieux pour partager avec les
exclus et les pauvres leur cadre de vie :
She was on her way to where she would habitually meet
(...) friends and friends of friends (...) The L.A
café (...) The name of this café was a statement. A
place for the young; but also one where old survivors of the quarter's past,
ageing Hippies and leftist Jews, grandfathers and grandmothers of the 1920s
immigration who had not become prosperous bourgeois, could sit over a single
coffee. Crazed peasants wandered from the rural areas gabbed and begged in the
gutters outside» (P.5)
Julie dénonce donc dans le groupe qu'elle quitte en
Afrique du Sud quasiment les mêmes problèmes que John Maxwell
Coetzee dans la société :
l'insignifiante peur de l'altérité, des
innombrables formes de violence concentrationnaire, des modes de destitution
systématique de l'individu, de la réduction de l'autre au
silence 110(*).
Julie prône un idéal d'amour, de partage et de
solidarité avec l'altérité. C'est plutôt cet
idéal de Julie qui scandalise autant son père que le
propriétaire de garage où Musa travaille et vit en Afrique du
Sud. Car ils se satisfont de l'idée d'une prétendue
normalité de leur classe sociale par rapport aux autres. Mais
l'idéal que Julie prône ne se réduit pas seulement à
son rapport avec le centre.
III.2.2 Résistance
à la représentation de la périphérie
Parvenue dans le pays de Musa, Julie se fraye un chemin qui
va conduire à sa séparation d'avec Musa. Musa ira aux USA et
Julie choisira de rester dans la périphérie. Julie refuse que
Musa ou la périphérie au sens large continue de ressembler au
portrait que le centre a fait de lui ou d'elle. Pour cela, elle identifie
quelques secteurs d'activités où la périphérie a
intérêt à s'investir pour rectifier le tir :
l'éducation et l'agriculture.
Dans le pays de Musa, Julie s'investit abondamment dans
l'éducation des populations. Dans le domicile familial de Musa, elle
commence par enseigner l'Anglais à Maryam et aux voisins :
Julie was teaching English not only to Maryam and the
quiet young neighbourhood girls and awkward boys who sidle into lean-to
whispering and making place for one another cross-legged on the floor (P ;
142).
Il convient d'observer que l'Anglais que Julie enseigne ici
ne peut être considéré comme vecteur de
l'impérialisme linguistique. Car Julie prône l'ouverture et
l'amour entre les cultures. Dans la perspective de Julie, la maîtrise de
la langue anglaise par la périphérie, permettrait à cette
dernière de se rapprocher du centre puisque la langue peut permettre de
démystifier celui-ci. C'est du moins ce dont Julie est convaincue
lorsqu'elle estime important d'apprendre la langue arabe ; langue de
communication dans le pays de Musa. Elle s'interroge à travers le
narrateur à ce propos:
What on earth qualified her to teach! On the other hand,
what else did she have? What use were her supposed skills, here; who needed
promotion hype? She was like one who has to settle for underbelly of a car. The
books in the elegant suitcase were bedside bibles constantly turned to, by now,
read and re-read; she agreed - but in exchange for leasons in their language.
Why sit among his people as a deaf-mute?» (P. 143).
Julie assigne donc à l'Anglais qu'elle enseigne
dans le pays de Musa une fonction purement utilitariste pour le projet dont
elle est porteuse dans The Pickup. Elle n'enseigne d'ailleurs pas
seulement l'Anglais à Maryam et aux voisins. Elle enseigne aussi la
langue anglaise à l'employeur de Maryam et dans une école du pays
de Musa : Julie has classes in English at Maryam's employer's house
and at a school (P. 150).
Remarquant que la société de Musa ne favorise
pas la scolarisation des jeunes filles, Julie entreprend de convaincre le
principal de l'école où elle enseigne d'admettre aussi des jeunes
filles. Le narrateur écrit à ce propos:
She had been drawn in to coach English to older boys who
hoped to go to high school in the capital some day; she had been able to
persuade - flatter - the local school principal to let girls join the classes
although it was more than unlikely their families would allow them to leave
home» (P. 195).
Julie consacre presque toute sa vie à
l'éducation dans le pays de Musa. C'est comme si Julie a compris que le
déficit éducationnel en périphérie justifie en
partie sa condition pitoyable. Julie semble avoir compris qu'en post-colonie,
plutôt que de continuer à satisfaire les besoins de puissance du
groupe dominant, l'éducation devrait viser le développement de la
périphérie. C'est comme si Julie souhaite que l'éducation
en périphérie joue le rôle que lui attribue le philosophe
camerounais :
l'éducation est le lieu par excellence où
une communauté humaine prend conscience d'elle-même. C'est
là qu'elle se définit, qu'elle déclare ses valeurs et ses
fins, sa conception d'elle-même, de l'homme et de son
accomplissement111(*).
Julie se consacre sans doute à l'éducation en
périphérie parce qu'elle est convaincue du rôle
décisif que l'éducation joue dans les modifications importantes
de la société. Comme nous l'apprend John Dewey :
Par la loi et ses punitions, par l'agitation et la
discussion sociale, la société peut s'organiser et se former
d'une manière plus ou moins fortuite au petit bonheur par la chance.
Mais par l'éducation, la société peut formuler ses propres
fins, peut organiser ses propres moyens et ressources et se façonner
ainsi la direction où elle désire aller112(*)
C'est certainement grâce à ce type
d'éducation que la périphérie cessera de correspondre au
portrait que le centre dresse de lui. Ce d'autant que cette éducation
favorise le réveil de conscience de la périphérie. Mais
Julie s'attache aussi à la pratique de l'agriculture.
Lorsque Julie découvre qu'il est possible de pratiquer
l'agriculture dans le pays désertique de Musa, elle se met à
rêver du riz, des oignons, de la patate, des tomates ou du haricot
qu'elle peut cultiver (P. 212). Julie apprend alors à Musa son intention
de s'acheter un lopin de terre pour pratiquer l'agriculture. Musa qui ne cesse
de se représenter Julie comme the right kind of foreign. One who
belonged to an internationally acceptable category of origin (P. 140),
réagit face à l'intention de Julie en ces termes: You want to
buy a rice concession! You: What for? (P. 215).
Dans le pays de Musa, Julie fait toujours le contraire de ce
que Musa espère qu'elle fera. Elle va au désert
régulièrement contre le gré de Musa. La
vérité est que Julie a compris que le désert au milieu
duquel s'étend le pays de Musa sert de support à la
représentation que Musa a de son pays. C'est cette représentation
qui pousse Musa à diaboliser le désert. Pourtant, Julie
découvre les potentialités du désert qui ne sont
simplement pas mises en valeur dans le pays de Musa :
The desert. No seasons of bloom and decay. Just the
endless turn of night and day. Out of time: and she is gazing not over it,
taken into it, for it has no measure of space, features that mark distance from
here to there. In a film of haze there is no horizon, the pallor of sand,
pink-traced, lilac-luminous with its own colour of faint light, has no
demarcation from land to air. Sky-haze is indistinguishable from sand-haze. All
drifts together, and there is no onlooker; the desert is eternity (P.
172).
Julie ajoute: The desert is always; it doesn't die it
doesn't change, it exists (P. 229).
C'est dire que, comme l'Afrique du Sud a
aménagé le veld pour les excursions ou pour le tourisme113(*), le pays de Musa peut aussi
faire du désert un site touristique pouvant générer les
bénéfices énormes au pays de Musa.
La résistance à la représentation que
Musa a de son pays est aussi manifeste dans la décision de
s'établir dans la périphérie que Julie prend à la
fin du roman. Malgré l'attrait que représente les USA aux
yeux de Musa ;
There are big centers in communications technology, it's a
nice climate, warm, like you have at your home, not hell hot as this
place-never cold-chicago is could, isn't it. California-wonderful. Everyone
wishes to live there (P. 138),
Julie reste imperturbable dans sa decision: I'm not going
back there. I don't belong there (...) I'm staying here (PP.
252-253)
Julie refuse donc de partir avec Musa vers les USA et
préfère s'installer dans la périphérie. C'est une
preuve que pour elle, la périphérie est un lieu où l'on
peut bien vivre sans mourir de faim ni de maladie. Seule la
représentation que le subalterne a de lui-même constitue un
problème. En s'établissant donc dans le milieu de vie du
subalterne, Julie pense y contribuer à son développement.
Le modèle de prise en charge de la
périphérie que Julie enseigne dans The Pickup propose au
centre un moyen efficace de lutter contre la pauvreté dans le monde. Ce
mode éviterait au centre le genre d'accusation et de dénonciation
dont Aminata Traoré se veut la porte parole en Afrique :
Ces gens-là prétendent lutter contre la
pauvreté en menant les mêmes politiques qui nous ont conduits
là où nous sommes. Ils feraient mieux de parler de lutte contre
les pauvres !114(*)
Mais Julie s'adresse aussi à la
périphérie. Elle veut empêcher la périphérie
de continuer à renvoyer au centre l'image que le centre se fait de lui.
C'est-à-dire qu'elle continue passivement d'enfourcher comme dirait
Ambroise Kom les trompettes de la Francophonie, du Commonwealth et
d'autres structures du type impérial du même acabit115(*). Julie propose à
la périphérie de se mettre résolument au travail afin de
sortir des sentiers tracés par le complexe de supériorité
du centre. L'investissement de Julie dans l'éducation et l'agriculture
suggère le rôle important que ces secteurs auront à jouer
dans ce travail qui s'impose à la périphérie.
Pour Julie, la périphérie devrait donc
être responsable de son propre développement. C'est de cette
manière qu'elle ne pourra plus correspondre au portrait que le centre
lui a réservé c'est-à-dire un cadre où tout le
monde est pauvre, où la paupérisation est sans cesse croissante,
mais paradoxalement un cadre de haute consommation des produits de l'industrie
du centre.
Quant au centre, il devrait s'atteler à éviter
que son développement matériel conduise à l'arrogance, au
chauvinisme ou au narcissisme de ses populations. Dans la perspective de Julie,
le centre devrait se poser la question ci-dessous que Fanon se pose à
lui-même : Ma liberté ne m'est-elle donc pas
donnée pour édifier le monde du Toi ?116(*) Le centre devrait pour
ainsi dire adopter des comportements nouveaux qui sont favorables au
décollage véritable de la périphérie.
L'idéal que Julie recherche dans The Pickup correspond à
l'idéal du décentrement proposé par la théorie
postcoloniale. C'est du moins l'idée qu'on peut soutenir si l'on s'en
tient à ce que pensent Martine Delvaux et Pascal Caron du
postcolonialisme :
Le postcolonialisme cherche à provoquer un
décentrement de l'eurocentrisme en reprenant la marginalisation du
« colonisé » et en lui rendant la part de pouvoir
oppositionnel qui lui revient117(*)
La migration de Julie ne lui permet pas seulement de faire
l'inventaire des égarements ou des insuffisances du centre, mais aussi
ceux de la périphérie. Dès lors, nous pouvons nous pencher
sur les enjeux et les défis de la migration de Julie en particulier et
dans The Pickup en général.
III.3 LES ENJEUX ET LES
DÉFIS DE LA MIGRATION DANS THE PICKUP
Tandis que Musa migre sans cesse de la
périphérie vers le centre, Julie migre du centre vers la
périphérie. Ces migrations dans The Pickup peuvent
être interprétées de diverses manières. Parce que la
migration de Julie contraste rigoureusement avec celle de Musa, elle peut
être interprétée chez Julie comme promouvant le
décentrement. Mais que Musa et Julie voyagent d'un coin à l'autre
du monde peut être suggestif de l'intérêt que Gordimer
accorde au cosmopolitisme.
III.3.1 Le
décentrement
Commentant le roman de Saul Bellow intitulé
L'hiver du dragon, Salman Rushdie relève un passage qui illustre
à souhait l'idée de décentrement dont Julie se veut la
promotrice dans The Pickup. Rushdie écrit
précisément :
Il y a une très belle image dans le dernier roman
de Saul Bellow, l'Hiver du dragon. Le personnage principal, le doyen, corde,
entend un chien qui aboie sauvagement quelque part. Il imagine que l'aboiement
est la révolte du chien contre la limite de son expérience de
chien. « Pour l'amour de Dieu, dit le chien, ouvrez un peu plus
l'univers ! » Et parce que Bellow ne parle pas vraiment de
chiens, ou pas seulement de chiens, j'ai le sentiment que la fureur et le
désir du chien sont aussi les miens, les nôtres, ceux de tout le
monde. « Pour l'amour de Dieu, ouvrez un peu plus
l'univers ! 118(*)
Julie promeut l'ouverture dans le monde. Que ce soit en
Afrique du Sud ou dans le pays de Musa, elle ne se détourne pas de cet
objectif. En Afrique du Sud, lorsqu'elle introduit Musa dans la
communauté multiraciale de El-Ay café, l'idée d'ouverture
que Julie promeut apparaît clairement au-delà de la description
que le narrateur fait des amis de Julie :
The friends have no delicacy about asking who you are,
where you come from that's just the reverse side of bourgeois xenophobia.
(...) They have his story out of him in time at all, they interject, play
upon it with examples they know of, advice they have to offer, interest that is
innocently generous or unwelcome, depends which way the man might take it - but
at once, he's not a «garage man" he's a friend, one of them, their horizon
is broadening all the time (P. 14)
Le groupe avec lequel Julie se solidarise en Afrique du Sud
est donc un groupe qui admet inconditionnellement l'autre, quelque soit la
couleur de sa peau, sa classe sociale ou sa classe d'âge. Ce groupe fait
sien un principe cher à Georges Ngal : rien d'humain ne m'est
étranger119(*). C'est un groupe qui refuse de bafouer les
Droits de l'homme et respecte la vie humaine. Ce groupe cultive pour ainsi dire
la paix, l'amitié et l'amour entre les hommes. Julie ne s'éloigne
pas non plus de ces principes dans le pays de Musa.
Plutôt que de s'enivrer des opportunités (selon
Musa) que la couleur de sa peau lui offrent dans le monde, Julie choisit de se
faire accepter pacifiquement dans la communauté de Musa. À
l'arrivée, elle comprend qu'il est décisif pour elle d'apprendre
la langue arabe pour atteindre cet objectif. I have to learn the
language (P. 121) se décide-t-elle. L'importance de la religion
musulmane dans le pays de Musa la pousse à vouloir y voir plus clair:
She wrote to her mother; why shouldn't she be asked to
order through one of those wonderful Internet book warenhouses in California a
translation of the Koran, hardback? (P. 143).
Son souci pour qu'elle soit pacifiquement acceptée
dans la communauté de Musa s'illustre également au-delà de
la décision d'observer le jeûne du Ramadan que Julie prend :
of course I'll fast (P. 153).
Tout se passe comme si pour Julie, plutôt que de
l'appauvrir, l'autre l'enrichit. Elle apprend, en plus de l'Anglais et du
christianisme, sa langue et sa religion d'origine, l'Arabe et l'islam. Julie a
compris que l'on déclare indirectement la guerre contre l'autre
lorsqu'on refuse de respecter les croyances et la culture de ce dernier. Julie
fait valoir son identité comme une réalité en
perpétuel recommencement. Comme dirait Fanon, Julie, dans le monde
où elle s'achemine, se crée
interminablement120(*).
Loin donc d'elle l'idée d'une quelconque
identité figée à la manière de celle du groupe
qu'elle quitte en Afrique du Sud et de celle de Musa. L'identité que
Julie suggère autorise que les hommes puissent se déplacer
pacifiquement d'un coin à l'autre du monde sans que racisme et rejet
s'en suivent.
III.3.2 Le
cosmopolitisme
Nadine Gordimer semble idéaliser dans son roman le
cosmopolitisme. D'après le Dictionnaire Hachette de la langue
française est cosmopolite toute personne qui se déclare
citoyen du monde, toute personne qui refuse de se laisser enfermer dans le
cadre étroit de l'appartenance à une nation. Que Gordimer
construise son récit à partir de diverses nations n'est donc pas
fortuit à ce titre. L'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Angleterre, la
Nouvelle Zélande, l'Australie, le Canada, la Jamaïque, le
Sénégal, le Mali, les USA et le pays de Musa sont tous des pays
réduits aux cadres à partir desquels Gordimer tisse son
intrigue.
Pour Gordimer, tous ces pays ont une chose en commun :
ils sont tous habités par des êtres humains soumis aux mêmes
lois naturelles. En se servant de ces pays pour construire son roman, Gordimer
semble vouloir comme dirait Fanon, multiplier entre eux des connexions,
diversifier entre eux des réseaux et ainsi rehumaniser les
messages121(*).
Dans cette perspective, le personnage Julie fonctionne comme une espèce
d'allégorie de l'idéal que Gordimer poursuit au moyen de The
Pickup. Car Julie cherche à appartenir au monde. Elle
s'évertue pour cela à s'ouvrir d'abord à Musa en Afrique
du Sud, ensuite à la communauté de Musa dans The Pickup.
Julie apparaît à cet égard comme une illustration de la
thèse que Edward Said défend dans Culture and
imperialism. En effet, Julie semble avoir compris qu'il est absurde
à l'ère post-coloniale de croire que son identité ou sa
culture serait meilleure ou pure par rapport à celle des autres. Ce
d'autant que l'impérialisme a consolidé la mixture ou le
mélange des cultures dans un cadre global :
No one today is purely one thing. Labels like Indian, or
woman, or Muslim, or American are not more than starting-points, which followed
into actual experience for only a moment are quickly left behind. Imperialism
consolidated the mixture of cultures and identities on a global scale122(*).
Mais les migrations répétées de Musa
apparaissent comme un défi pour les implications de la migration chez
Julie dans The Pickup. Les migrations répétées de
Musa tendent à brouiller l'importance que Gordimer attache à la
migration dans son roman. Voilà qui m'amène à
évaluer les défis de la migration dans The Pickup.
III.3.3 Les défis
de la migration dans The Pickup
Gordimer semble reconnaître qu'il ne sera pas facile
d'évincer l'impérialisme dans le monde. Voilà pourquoi
elle se sert de la migration en situation de menace dans The Pickup
comme prétexte pour proposer ce qu'on peut faire pour lutter contre
l'impérialisme. Dans The Pickup, cette forme de migration est
en effet menacée par la migration comme illustration de la victoire de
l'impérialisme dans le monde.
Ce traitement que Gordimer réserve à la
migration se justifie sans doute par l'exigence de liberté qu'implique
l'art ou pour le cas spécifique de The Pickup, la
littérature. Tourgueniev que Gordimer cite souvent écrit à
ce propos :
Sans liberté, au sens le plus large du terme,
c'est-à-dire par rapport à soi-même... et par rapport
à son peuple et à son histoire aussi, le véritable artiste
est impensable ; sans la présence de cet air, il est impossible de
respirer123(*)
Gordimer a sans doute voulu rester libre devant la
réalité qu'elle s'est proposée d'exposer dans The
Pickup. Elle a refusé de taire ou d'exagérer un ou l'autre
aspect de cette réalité. Évaluant la particularité
de l'art de Gordimer, Salman Rushdie conclut d'ailleurs que c'est cette
capacité qu'elle a de transposer la réalité sans
sentimentalisme qui fait d'elle une véritable artiste : son
art, écrit-il, réside dans le refus de toute
exagération, toute hyperbole124(*).
Tout compte fait, la migration, dans The Pickup
s'impose comme ce en quoi Gordimer entrevoit le bonheur des hommes dans le
monde. Selon elle, c'est la migration qui permettra de réduire les
laideurs de l'ère post-coloniale. Au nombre de ces laideurs, Gordimer
relève la migration clandestine qu'elle considère alors comme
le miroir du dysfonctionnement de notre [ère]125(*). C'est par exemple en
quittant les bureaux climatisés de New York comme Julie, la bourgeoisie
sud-africaine dans The Pickup, pour s'ouvrir à la
périphérie que les experts de Brettonwoods pourront
réduire, sinon stopper les migrations clandestines des populations de la
périphérie vers le centre.
Gordimer croit donc à la migration légale parce
qu'elle a compris comme Edward Said ou Arjun Appadurai que
l'impérialisme et le colonialisme ont accéléré
l'érosion des frontières entre les cultures, les
sociétés ou les nations. Il est en effet absurde aujourd'hui de
vouloir vivre ou de vivre dans l'isolement ou le repli identitaire puisque le
colonialisme et l'impérialisme ont généré ce que
Homi Bhabha appelle the unhomely condition of the modern world126(*). Arjun Appadurai
qualifie ce monde de monde « post-national ». Toujours
d'après lui, ce monde a plusieurs implications :
la première est temporelle et historique. Elle
suggère que nous sommes engagés dans un processus menant à
un ordre mondial où l'État-nation est devenu obsolète et
où d'autres formations d'allégeance et d'identité ont pris
place. La seconde est l'idée que les formes qui émergent sont de
puissantes alternatives pour l'organisation du trafic international de
ressources, d'images et d'idées. Les formes contestant activement
l'État- nation ou constituant des alternatives de paix pour des
loyautés politiques à grande échelle. La troisième
implication est la possibilité que les nations continuent d'exister,
tandis que l'érosion permanente des capacités de l'État-
nation à monopoliser la loyauté encourage la diffusion de formes
nationales ayant largement divorcé des états
territoriaux127(*)
La périphérie et le centre seront-ils à
mesure de comprendre et d'appliquer ces exigences qu'impose l'ère
post-coloniale pour qu'enfin règne la paix dans le monde ? Sur
cette question, Gordimer semble pessimiste en ce qui concerne le centre. C'est
du moins la thèse qui se dégage du sort que Gordimer
réserve au groupe que Julie quitte en Afrique du Sud. Car ce groupe
n'est pas prêt à renoncer à son mode de vie fait de
racisme, d'ostracisme et de narcissisme. Quant à la
périphérie, Gordimer semble y fonder tous ses espoirs. Tout se
passe comme si parlant de la périphérie, Gordimer disait
que :
le Tiers-monde est aujourd'hui en face de l'Europe comme
une masse colosale dont le projet doit être d'essayer de résoudre
les problèmes auxquels cette Europe n'a pas su apporter de
solutions128(*)
Voilà pourquoi Gordimer termine son récit par
une note d'espoir que Julie exprime en direction de Musa. Alors que Musa
disparaît dans le taxi venu le chercher pour l'aéroport, Julie, en
aparté avec Khadija songe : He'll come back (P. 268).
Ainsi, la périphérie devrait revenir au point zéro par un
effort de réflexion afin de comprendre que sa condition est en partie la
conséquence de l'impérialisme sur elle. C'est à cette
condition qu'elle pourra cesser d'être considérée comme ce
qu'Alain Mévégué appelle le maillon faible de la
planète129(*).
De la mémoire de son histoire douloureuse et triste qu'elle aura
elle-même forgée et qu'elle préservera, la
périphérie pourra alors contribuer à des tâches
qui augmentent la totalité de l'homme. 130(*)
CONCLUSION
GÉNÉRALE
Bon nombres de critiques littéraires s'accordent sur
le fait que la critique littéraire vise à déterminer
comment les écrivains appréhendent les forces existentielles
à travers leur objet d'art. À propos de la critique africaine,
Romuald Fonkoua pense à cet effet que :
Si elle doit éclairer la compréhension d'une
oeuvre, la critique littéraire ne saurait se confondre à
l'opinion de son auteur. Elle pourrait au mieux refléter les vues de
l'auteur saisies par le critique131(*)
Dans une perspective plus vaste, Nadine Gordimer pense pour
sa part que :
Toutes les études littéraires tendent vers
un même but : dégager une logique (et qu'est-ce qu'une
logique sinon le principe caché dans l'énigme) ; rendre
définitive par une méthode appropriée
l'appréhension par l'écrivain des forces existentielles132(*)
C'est dire que la critique littéraire peut être
considérée comme un exercice qui assure à celui ou celle
qui la pratique, sa métamorphose en une espèce d'écrivain.
Gordimer poursuit dans cet ordre d'idée :
Décomposer un texte est d'une certaine façon
une contradiction, car c'est en fait le recomposer à partir de ses
morceaux, comme l'avoue Roland Barthes... Ainsi le critique littéraire
finit-il par devenir lui aussi une espèce de conteur133(*)
La critique littéraire consiste donc à
interroger la forme du texte littéraire question de cerner les
préoccupations existentielles qui y circulent. Peut-être n'ai-je
pas atteint cet objectif dans cet exercice d'initiation à la recherche.
Peut-être, par contre faut-il rappeler d'abord l'hypothèse qui a
sous-tendue le présent travail et comment je l'ai organisé avant
toute évaluation.
Je me suis proposé dans cet exercice de
vérifier que dans The Pickup, Nadine Gordimer se sert de la
migration pour proposer une nouvelle manière de se représenter le
subalterne.
Compte tenu de sa spécificité, j'ai opté
pour la théorie postcoloniale dans le but de mener à bien ma
démonstration. Elle intègre en même temps l'analyse des
structures esthétiques du roman que l'analyse de son fond.
J'ai ainsi commencé par analyser la forme de The
Pickup question de mettre en exergue les préoccupations
existentielles abordées dans ce roman. Pour emprunter cette expression
à Mikhail Bakhtine, il s'est agit de montrer comment :
La forme, entière réalisée dans un
certain matériau, devient (...) néanmoins la forme du
contenu, se relate axiologiquement à lui, ou, en d'autres termes,
comment la forme compositionnelle, c'est-à-dire l'organisation du
matériau réalise (...) l'unification et l'organisation
des valeurs cognitives et éthiques134(*)
De l'analyse de la structure de The Pickup, il s'est
dégagé que la migration et la représentation constituaient
des préoccupations cardinales dans ce roman. En outre il s'est
révélé que la migration n'y avait pas qu'une seule
perspective par rapport à la représentation. J'ai alors
pensé important d'examiner les rapports entre la représentation
et la migration.
En s'appuyant sur les mécanismes de la
représentation, catalyseur de l'impérialisme, le deuxième
chapitre avait à coeur de mettre en évidence la
subalternéité de Musa. Il a aussi été question de
démontrer que ses migrations répétées vers
l'Occident sont une conséquence de la représentation que lui a
imposé l'Occident. Il s'en dégage que Gordimer présente
ces migrations de cette manière sinon pour indiquer la profondeur des
conséquences de l'impérialisme, du moins pour suggérer les
défis qui s'imposent à toute personne ou à tout groupe mus
par le désir de combattre l'impérialisme.
Le dernier chapitre quant à lui visait à
déterminer en quoi la migration de Julie n'a pas la même
signification que celles de Musa. Ce chapitre est d'un apport
considérable pour la vérification de mon hypothèse de
départ. Il s'affirme par ailleurs comme une galerie des comportements
pratiques qui ne demandent qu'à être imités par le commun
des mortels pour qu'effectivement l'humanité avance d'un
cran135(*) comme
aurait dit Fanon. Nul doute que si les hommes adoptaient les comportements de
Julie, la cohabitation entre eux serait plus pacifique et plus
bénéfique. Si les comportements de Julie venaient à
être adoptés par les hommes, il n'existerait plus jamais entre eux
des subalternes d'une part, des maîtres d'autre part.
Cela dit, avons-nous réalisé ici un exercice de
critique littéraire ? Il ne nous appartient sans doute pas de
répondre à cette question dans ce type d'exercice. Ce d'autant
que nous risquons de faire de la prestidigitation en s'y essayant. Nous nous
bornerons plutôt à souligner l'intérêt de la
présente étude.
En peignant la bourgeoisie sud-africaine comme une caricature
de l'Occident impérialiste, tel que nous l'avons relevé au cours
de cette étude, Gordimer a le mérite de renvoyer à son
peuple une image de lui-même à partir de laquelle, il peut
constater que le démantèlement de l'apartheid de 1994 n'a pas
profondément transformé l'Afrique du Sud. Bien au contraire, il a
peut être rendu plus subtile l'exercice de l'impérialisme dans la
« nation arc-en-ciel ». Autrement dit, d'après
Gordimer, le peuple sud-africain n'a presque pas évolué
vis-à-vis du racisme. C'est un fait incontestable que The
Pickup a le mérite de relever. Voilà qui remet à
l'ordre du jour le problème de l'équation Vérité =
Réconliation que Jean-Blaise Samou a déjà posé dans
son étude intitulée La problématique de la
vérité chez Jilian Slovo : Approche post-coloniale
de Red Dust.
C'est dire qu'une étude sur les oeuvres post-apartheid
des auteures Nadine Gordimer et Jilian Slovo permettrait de systématiser
l'homologie de la vision du monde chez ces sud-africaines. Toutes deux semblent
convaincues de l'échec de plus en plus avoué du peuple
sud-africain vis-à-vis de l'idéal de fraternité raciale et
culturelle qui a pourtant galvanisé des années durant le combat
contre l'Apartheid.
Par ailleurs, la présente étude a le
mérite de proposer une méthode efficace pour lutter contre la
migration (immigration, émigration) clandestine ; cette
espèce de virus qui semble avoir choisi l'Afrique comme cellule à
fragiliser et à désintégrer. La méthode en question
consiste à faire front aux méfaits de la représentation
sous toutes leurs formes. Cette méthode interpelle ainsi tant le centre
que la périphérie qui tous deux ont une responsabilité
indéniable devant ce fléau de notre ère.
Dans le même ordre d'idée, en relevant les
fondements de la migration clandestine, cette étude appréhende ce
phénomène comme véritable baromètre pour
l'évaluation de la complexification de notre condition post-coloniale.
C'est en effet un contexte où l'impérialisme étend ses
tentacules dans tous les espaces de la vie quotidienne et bouscule de s'y
établir définitivement sans que plus personne ne s'en rende
compte.
En portant un doigt accusateur sur l'institution
universitaire ou scolaire en postcolonie, la présente étude a le
mérite de montrer que si nous ne veillons pas à ce que nos
intérêts y prédominent, celle-ci peut produire des effets
pires que ceux des camps de concentration de l'époque Nazie. Dans cette
perspective, l'institution scolaire devient une espèce d'artillerie
lourde pour assujettir. Antonio Gramsci parle de domination by
consent136(*) .
Cette étude a donc le mérite de souligner l'urgence en
périphérie d'adapter l'institution scolaire aux
intérêts de celle-ci. C'est à cette condition que
l'école cessera d'être responsable de l'obsession de
l'émigration clandestine chez le jeune qui en sort tel que nous l'avons
vu avec Musa.
Parce qu'elle suggère que la lutte contre
l'émigration clandestine serait efficace si elle commence par l'adoption
de comportements nouveaux autant par le centre que par la
périphérie, la présente étude peut aussi servir de
support théorique à des projets ou à des organismes de
lutte contre les migrations clandestines dans le monde.
Enfin, en idéalisant la migration identitaire, ou
l'ouverture à d'autres cultures, Gordimer oeuvre avec The
Pickup à la pacification des relations interculturelles. Les
nations, les religions, les tribus ou les États peuvent s'en inspirer
pour comprendre que la pluralité des sources et des expressions fait
éclater les frontières comme aurait dit Abdourahman
Waberi137(*). Autrement
dit, notre ère nous impose des comportements plus humains qui tiennent
compte de l'autre non plus comme un esclave, encore moins comme un
maître, mais comme une altérité de laquelle on peut
apprendre mais aussi à qui on peut apprendre. Les enjeux de paix et
d'humanisme liés à cette démarche ne sont plus à
démontrer.
RÉFÉRENCES
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http://books.guardian.co.UK/reviews/generalfiction/0,,1641142,00.htm/
TABLE DES
MATIERES
DÉDICACE
i
REMERCIEMENTS
ii
LISTE DES ABRÉVIATIONS
iii
RÉSUMÉ
iv
ABSTRACT
iv
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
CHAPITRE I
ESPACE, PERSONNAGES, PERSPECTIVE NARRATIVE
ET SIGNIFICATION DANS THE PICKUP 14
I.1 L'ESPACE NARRATIF
16
I.1.1 L'itinéraire de Musa
17
I.1.2 L'itinéraire de Julie
21
I.2 LES PERSONNAGES
28
I.2.1 L'organisation des personnages
29
I.2.2 La fonction des personnages
32
I.3 LA PERSPECTIVE NARRATIVE
35
I.3.1 L'identité du narrateur
35
I.3.2 La position du narrateur
37
CHAPITRE II
MIGRATION COMME CONSÉQUENCE
DE LA REPRÉSENTATION
41
II.1 LA NOTION DE REPRÉSENTATION
42
II.1.1 Le manichéisme
43
II.1.3 L'hégémonie et la
créativité
46
II.2 LES SOURCES DE LA REPRÉSENTATION CHEZ
MUSA
48
II.2.1 La colonisation
48
II.2.2 L'université
50
II.3- LES MOTIVATIONS DE LA MIGRATION CHEZ MUSA
52
II.3.1- La condition postcoloniale
53
II.3.1.1- La pauvreté
54
II.3.1.2- La corruption du gouvernement
55
II.3.2- Le mythe du centre
56
II.3.2.1- Les propagateurs du mythe du centre
57
II.3.2.2- La bourgeoisie
58
CHAPITRE III
LA MIGRATION COMME REMISE EN
QUESTION
DE LA REPRÉSENTATION
61
III.1- LES FONDEMENTS DE LA RÉVOLTE DE JULIE
EN AFRIQUE DU SUD
63
III.1.1- L'autarcie de la bourgeoisie
sud-africaine
63
III.1.2- L'exploitation du subalterne
65
III.2- MIGRATION ET RÉSISTANCE
68
III.2.1- Résistance à la
représentation du centre
70
III.2.2 Résistance à la
représentation de la périphérie
72
III.3 LES ENJEUX ET LES DÉFIS DE LA
MIGRATION DANS THE PICKUP
77
III.3.1 Le décentrement
77
III.3.2 Le cosmopolitisme
79
III.3.3 Les défis de la migration dans
The Pickup
80
CONCLUSION GÉNÉRALE
64
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES 90
TABLE DES MATIERES
100
* 1 La spécificité
du texte littéraire africain ainsi résumée est aussi
soutenue par l'écrivain ivoirien Amadou Koné. Voir à ce
propos A. Koné, "Le Rôle de l'écrivain dans l'Afrique
contemporaine : un témoignage", in Nouvelles du Sud.
Littératures Africaines, Rue Barbes, Silex, 1987.
* 2 M. Kunene, cité
par J. Sévry in Nouvelles du sud. Littérature d'Afrique du
Sud, Éditions Nouvelles du sud, 1993, p. 38.
* 3 G. Ngal,
Création et rupture en Littérature africaine, Paris,
L'Harmattan, 1994, p. 13-14.
* 4 Nadine Gordimer, The
Pickup, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2001.
* 5 Pour les dates de
parution, connecter htt://www.kirjasto.sci.fi/gordimer.htm et
http://nobelprize.org/literatur/laureates/1991/gordimer-bis.html
* 6 Il s'agit de :
http://www.readinggroupguides.com/guides_H/house_gun1.asp
et
http://books.guardian.co.UK/reviews/generalfiction/o,,1641142,00.htm/
* 7 Date de la tenue des
premières élections multiraciales qui culminait avec le
démantèlement du régime de l'apartheid en Afrique du
sud.
* 8 Voir Notre Librairie.
Littérature d'Afrique du Sud. 1. N° 122, Avril-Juin 1995, p.
75.
* 9 Ann Skea, httl:
//www.eclectica.org/v6n1/skea-gordimer-html.
* 10 Sue Kossew, http :
//64.233.183.104/search ? q=cache : c1zznv8mmKgJ :ehlt...
* 11 Bill Ashcroft et al.,
The Post-colonial Studies Reader, New York, Routledge, 1995, p. 2.
* 12 Jacques Hassoun,
L'Obscur objet de la Haine, Paris, Aubier, 1997, p. 27.
* 13 Edward Said,
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Impérialism, New York, Vintage Books, 1993
* 14 Homi Bhabha, The
Location of culture, London and New York, Routledge, 1994.
* 15 Arjun Appadurai,
Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la
globalisation, Paris, Payot, 2001.
* 16 Achille Mbembe, De la
postcolonie. Essai sur l'imaginaire politique dans l'Afrique
contemporaine, Paris, Karthala, 2000.
* 17 Achile Mbembe, De la
postcolonie..., op. cit., p. XX.
* 18 Cheikh Hamidou Kane,
L'aventure ambiguë, Paris, Juliard, coll. 10/18, 1961.
* 19 Tayeb Salih, Season of
migration to the north, USA, Heinemann, 1970.
* 20 Fatou Diome, La
préférence nationale, Paris, Présence africaine,
2001.
* 21 Fatou Diome, Le ventre
de l'Atlantique, Paris, éd. Anne carrière, 2003.
* 22 Edward Said, extrait du
texte paru sur la quatrième des couvertures de The pickup, voir
à ce propos Nadine Gordimer, The pickup, op. cit.,
« Praise for Nadine Gordimer and The Pickup ».
* 23 Ambroise Kom, La
malédiction Francophone. Défis culturels et condition
post-coloniale en Afrique, Yaoundé, CLE, 2000, p. 6.
* 24 Voir J.B. Samou,
Problématique de la vérité chez Gillian Slovo :
Approche postcoloniale de Red dust, Mémoire de Maîtrise,
Yaoundé, 2004 (inédit) p. 10.
* 25 Nicholas Harrison,
Postcolonial criticism, History, Theory and the Work of fiction, USA,
polity Press, 2003, p. 9.
* 26 Bart Moore-Gilbert,
Postcolonial Theory, contexts, practices, politics, New York, Verso,
1997, p. 9.
* 27 Je souligne
* 28 Je souligne
* 29 E. Said,
L'Orientalisme. L'orient crée par L'occident, Paris, Seuil,
1980, p. 380
* 30 Nicholas Harrison,
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* 31 Gérard Genette,
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* 32 Real Ouellet et Roland
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* 33 Roland Barthes,
« Analyse structurale des récits » in
Gérard Genette et Tzvetan Todorov (s/d), Poétique du
récit, Paris, Le Seuil, 1977.
* 34 Lydie Moudileno, in
Africultures N°28, P. 9., cité par Yves Ervice Fetchepi,
Mythe et Réalités sur l'immigration des Africains en Occident
dans le Ventre de l'Atlantique de Fatou Diome, Mémoire de
Maîtrise, Yaoundé, 2006, P. 12.
* 35 G. Genette, Figures
III, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 227.
* 36 La narratologie est un
concept forgé par Tzvetan Todorov pour désigner un projet
scientifique de l'étude du récit, voir Grammaire du
Décaméron. La Haye, 1969, p. 10. Cette science a
bénéficié de l'essor du structuralisme des années
soixante. Bernard Valette pense pour sa part que « la narratologie
est une sorte de « poétique restreinte »
limitée au fait romanesque », in Le roman. Initiation aux
méthodes et aux techniques modernes d'analyse littéraire,
Paris, Nathan, 1992, p. 10.
* 37 Emile Benveniste,
Problèmes de linguistique générale, Paris,
Gallimard, 1966, réed. 1990, p. 92.
* 38 Mikhail Baktine,
Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978,
réed., 2001, p. 62.
* 39 Michel Foucault,
L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 262.
* 40 J. Y. Tadié,
Poétique du récit, Paris, P.U.F., 1978, p. 47.
* 41 G. Gusdorf, Mythe et
Métaphysique, Paris, Flammarion, 1953, p. 48.
* 42 Roland Bourneuf,
Réal Ouellet, L'univers du roman, Paris, P.U.F., 1989, p.
103.
* 43 Cheikh Hamidou Kane,
L'Aventure ambiguë, Paris, Julliard, Coll. 10/18, 1961, P.
125.
* 44 Philippe Breton, La
Parole manipulée, Canada, Éditions du Boréal, 1997,
p. 196.
* 45 Raphael Confiant et al.,
Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989, p.
37
* 46 Nadine Gordimer,
L'Écriture et l'existence, Paris XIIIe,
Bibliothèque 10/18, 1996, p. 159.
* 47 Edward Said, Culture
and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, p. xiii et xiv.
* 48 Martin Luther King, Je
fais un rêve, Paris, Éditions Bayard, 1987, p. 67.
* 49 Frantz Fanon, Peau
noire masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1962, p. 50.
* 50 Roland Barthes,
« Analyse structurale des récits » art. in
Gérard Genette, Tzvetan Todorov (s/d), Poétique du
récit, Paris, Le Seuil, 1977, P. 33.
* 51 Yves Reuter,
Introduction à l'analyse du roman, Paris, Bordas, 1991, P.
50.
* 52 Philippe Hamon, Le
Personnel du roman, Genève, Droz, 1983, P. 185.
* 53 R. Bourneuf et R. Ouellet,
L'univers du roman, Paris, P.U.F., 1989, p. 162.
* 54 Fatou Diome, Le Ventre
de l'Atlantique, Paris, Éditions Anne Carrière, 2003.
* 55 Voir supra. P. 22.
* 56 John Beverley,
Subaltern and Representation, Durham and London, Duke University
press, 1999, p. 1.
* 57 Frantz Fanon, Les
Damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, réed., 1991, p.
371.
* 58 Claude Bremond,
Logique du récit, Paris, Seuil, 1973, P ; 133.
* 59 R. Barthes,
« Introduction à l'analyse structurale des
récits », Communications N° 8, 1966.
* 60 G. Genette, Figures
III, op. cit., p. 203.
* 61 F. v. Rossum-Guyon,
Critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 114.
* 62 G. Genette, Figures
III, op. cit., p. 203.
* 63 T. Todorov,
« Les catégories du récit
littéraire », art., cité par G. Genette, Figures
III, op. cit., p. 206.
* 64 P. Valery, Tel
quel, cité par P. Hamon, « Pour un statut
sémiologique du personnage » in G. Genette et T. Todorov
(s/d), Poétique du récit, Paris, Le Seuil, Coll.
"Essais", 1977, P. 115.
* 65 Henri Mitterrand, Le
discours du roman, Paris, P.U.F., 1980 p. 5.
* 66 Gérard Genette,
Figures III, op.cit., p. 68.
* 67 Edward Said,
L'orientalisme, l'Orient crée par l'occident, op. cit., P.
19.
* 68 D'après Guha,
« subaltern is a name for the general attribute of subordination
(...) whether this is expressed in terms of class, caste, age, gender and
office or in any other way ». Voir Ranajit Guha, cité par John
Beverley, Subalternity and Representation, Durham and London, Duke
University, 1999, P. 26.
* 69 Gayatri Charkravorty
Spivak, « can the subaktern speak? », article cité
par Bill Ashcraft et al., The Post-colonial studies reader, New York
and London, Routledge, 1995, P. 25.
* 70 Dictionnaire Hachette
de la langue française, Evreux, Hachette, 1984.
* 71 Tzvetan Todorov,
Mémoire du Mal, tentation du Bien. Enquête sur le
siècle, Paris, Robert Laffont, 2000, PP. 43-44.
* 72 Salman Rushdie, Les
versets sataniques, traduction de A. Nasier, Paris, Plon, 1999.
* 73 Edward Said,
« Foucault et l'image du pouvoir », article paru dans David
Couzenhoy, Michel Foucault, lectures critiques, Bruxelles, De
Boeck-wesmael, 1989, P. 169.
* 74 Voir à ce propos
Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P.17.
* 75 Tzvetan Todorov,
Préface à L'orientalisme, op. cit., P. 9.
* 76 Rudyard Kipling,
cité par Hannah Arendt, L'impérialisme, traduction de
Martine Leiris, Paris, Fayard, 1982, P. 149.
* 77 Jules Harmand, cité
par Edward Said, Culture and imperialism, New York, Vintage Books,
1994, P. 17.
* 78 Hegel, Leçons
sur la philosophie de l'histoire, cité par Fabien Eboussi Boulaga,
Lignes de résistance, Yaoundé, éditions CLE,
1999, P. 63.
* 79 Edward Said,
L'orientalisme, op. cit., P. 101.
* 80 Edward Said,
L'orientalisme, op. cit., P. 35.
* 81 Edward Said, Culture
and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, P. 9.
* 82 Leroy-Beaulieu,
cité par Edward Said, L'Orientalisme, op. cit., P. 251.
* 83 Frantz Fanon, Peau
noire et masques blancs, Éditions du Seuil, 1952, P. 26.
* 84 Michel Foucault,
Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975,
P. 235.
* 85 Idem.
* 86 Cheikh Hamidou Kane,
L'Aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961, P. 60.
* 87 Ambroise Kom,
« Le drame de l'élite camerounaise » interview paru
dans Mutations N° 1159, Yaoundé, Mai 2004.
* 88 Bernard Fonlon,
cité par Ambroise Kom, Éducation et démocratie en
Afrique. Le temps des illusions, Paris & Yaoundé, l'Harmattan
& Éditions du CRAC, 1996, PP. 111-112.
* 89 André Djiffack,
Mongo Beti. La quête de la liberté, Paris, l'Harmattan,
2000, P. 175.
* 90 Midiohouan, 1986, P. 46,
cité par André Djiffack, Mongo Beti. La quête de la
liberté, Paris, l'Harmattan, 2000, P. 176.
* 91 Achille Mbembe, De
la post-colonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique
contemporaine, Paris, Karthala, 2000, PP. 139-140.
* 92 Voir à ce
propos, Ambroise Kom, « Le drame de l'élite
camerounaise », interview parue dans Mutations N°115,
vendredi 28 mai 2004, P. 6 et 11.
* 93 Frantz Fanon, Les
Damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, P. 194.
* 94 Mongo Beti, Trop de
soleil tue l'amour, Paris, Editions Julliard, 1999, P. 12.
* 95 Ambroise Kom parle
précisément de « docteur en doctorat » pour
traduire le caractère problématique des diplômés que
l'université post-coloniale produit chaque année, voir A. Kom,
Education de démocratie en Afrique. Le temps des illusions,
Yaoundé & Paris, Les Editions du CRAC, L'harmattan, 1896. En parlant
d'émigration pour l'émigration, je voudrai traduire l'absence des
raisons pour lesquelles Musa fuit son pays. Car il refuse par exemple
d'être propriétaire d'un garage dans son pays pour se convertir en
employé exploité dans un garage en Afrique du sud
* 96 Nadine Gordimer, Vivre
dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris,
Plon, 2000, P. 24.
* 97 T. Todorov, Préface
à L'Orientalisme, op.cit., P. 8
* 98 Albert Memmi, Le
racisme, Paris, Gallimard, 1994, PP. 13-31.
* 99 Albert Memmi, Le
racisme, Paris, Gallimard, 1994, P. 14.
* 100 Joseph Conrad, Le
coeur des ténèbres, traduction de Cathérine
Pappo-Musard, Librairie Générale française, 1988.
* 101 Gaston Kelman, Je
suis noir et n'aime pas le manioc, Paris, Max Milo, 2003, PP ;
21-22.
* 102 Frantz Fanon, Peau
noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, P. 184.
* 103 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, Paris, Gallimard, 19991, P. 374.
* 104 Albert Memmi, Le
racisme, Paris, Gallimard, 1994, P. 122.
* 105 Stephen Slemon,
cité par Bill Ashcroft et al., The post-colonial studies
Reader, New York & London, Routledge, 1989, P. 107.
* 106 Homi Bhabha, cité
par Bill Ashcroft et al., The post-colonial studies Reader, op.cit.,
P. 173.
* 107 Barbara Harlow,
Resistance literature, New York, Methuen, 1987, P. 29.
* 108 Edward Said, Culture
et Impérialisme, Paris, Fayard, 2000, P. 308.
* 109 Frantz Fanon, Peau
noire masques blancs, Paris, Seuil, 1652, P. 189.
* 110 Dominique Lanni, "L'Exil
et le royaume : les formes de l'engagement dans l'oeuvre de J.M. Cotzee",
art. paru dans Africultures N°59, Paris, l'Harmattan, 2004, P.
97.
* 111 Fabien Eboussi Boulaga,
Lignes de résistance, Yaoundé, CLE, 1999, P. 28.
* 112 John Dewey,
Démocratie et Éducation, Paris, Armand Colin, 1990, P.
18.
* 113 Le veld est une steppe
herbacée du Nord-Est de l'Afrique du Sud. Dans The Pickup,
cette steppe a été aménagée pour les excursions ou
pour le tourisme. Julie y mène d'ailleurs Musa en excursion, (P. 34)
* 114 Aminata Traoré,
Le viol de l'imaginaire, Paris, Arthème Fayard & Actes Sud,
2002, P. 52.
* 115 Ambroise Kom,
« Le Drame de l'élite camerounaise » interview paru
dans Mutations N°1159, Yaoundé, 2004, P. 11.
* 116 Frantz Fanon, Peau
noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, P. 190.
* 117 Martine Delvaux, Pascal
Caron, in Paul Aron et al., Le dictionnaire du
littéraire,Paris, P.U.F., 2002, P. 462.
* 118 Salman Rushdie,
Patries imaginaires, traduit de l'anglais par Aline Chatelin, Paris,
10/18, Christian Bourgois éditeur, 1993, P. 32.
* 119 Georges Ngal,
cité par J.E. Bien, Hybridité et écriture chez Ngal et
Liking, mémoire inédit, Yaoundé, 2002, P. 78.
* 120 Frantz Fanon, Peau
noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, P. 188.
* 121 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1991, P. 374.
* 122 Edward Said,Culture
and Imperialism, op. cit. P. 336.
* 123 Tourgueniev, cité
par Salman Rushdie, Patries imaginaires, op. cit. P. 214.
* 124 Salman Rushdie,
Patries imaginaires, op. cit., P. 206.
* 125 Voir Ambroise Kom,
« Le drame de l'élite camerounaise », interview paru
dans Mutations N) 1159 du 28 mai 2004, P. 11.
* 126 Homi Bhabha, The
location of culture, London & New York, Routledge, 1994, P. 11.
* 127 Arjun Appadurai,
Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la
globalisation, Paris, Payot, 2001, P. 234.
* 128 Frantz Fanon, Les
Damnés de la terre, op. cit., P. 374.
* 129 Journaliste animateur
à la RFI et concepteur principal de l'émission "Plein-Sud" Alain
Mévégué y emploie cette expression comme un
crédo : « "Plein-Sud", espace de la radio mondiale
où l'Afrique n'est pas le maillon faible de la
planète ».
* 130 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, op. cit., P. 373.
* 131 Romuald Fonkoua,
« Naissance d'une critique littéraire en Afrique
noire » art. Paru dans Notre Librairie N° 160, la critique
littéraire, Paris, 2006, P. 11.
* 132 Nadine, Gordimer,
Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle,
Paris, Plon, 2000, P. 158.
* 133 Nadine Gordimer,
ibidem.
* 134 Mikhail Bakhtine, op.
cit., P. 69.
* 135 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, op. cit., p. 375-376
* 136 Antonio Gramsci,
cité par Bill Ashcroft et al, The postcolonial studies reader,
op. cit. p. 425.
* 137 Abdourahman Waberi,
« Écrivains d'Afrique du sud : penser l'Apartheid dix ans
après... » article paru dans Notre librairie
N°157, Littérature et Développement, Paris, 2005, P.
123.
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