UNITED NATIONS FELLOWSHIP PROGRAMME 2008 ON
DISARMAMENT AND INTERNATIONAL SECURITY
THEME!
REFLEXIONS SUR LA « CONVENTION DE LA
CEDEAO SUR LES ARMES LEGERES ET DE PETIT CALIBRE, LEURS MUNITIONS ET AUTRES
MATERIELS CONNEXES ».
Présenté par :
Agossou Kokouda BOCCO
Secrétaire des Affaires
Etrangères,
TOGO
INTRODUCTION
« Force est de constater que, depuis plusieurs
décennies, les petites armes ont paradoxalement ( ...) fait
beaucoup plus de victimes -civils et militaires- que les armes dites de
destruction massive... », déclarait Charles Josselin le 24
septembre 1999 devant le Conseil de sécurité des Nations
Unies1(*). Ce constat
rejoint les nombreux rapports de Kofi Annan puis, aujourd'hui, celui du
Secrétaire général actuel de l'Organisation des Nations
Unies (ONU), Ban-Ki Moon : « La plupart des conflits
aujourd'hui sont menées essentiellement avec des armes
légères et de petit calibre »2(*). On dénombrerait environ
639 millions d'armes légères en circulation dans le monde, dont 7
millions en Afrique de l'Ouest et 77.000 armes légères
détenues par les groupes armés ouest-africains.
En Afrique de l'Ouest, les victimes d'armes
légères et de petit calibre (ALPC) s'élèveraient,
depuis 1990, à plus 3.000.000 avec les nombreux conflits qui jalonnent
la sous-région. Ces armes ont engendré partout la mort et la
désolation, sapé les efforts de développement,
anéanti la société et compromis l'avenir de milliers de
jeunes3(*).
L'expression « armes
légères », selon le groupe d'experts mis en place par
l'ONU en 1997, s'applique aux fusils d'assaut, mitrailleuses, grenades à
main et autres armes militaires conçues pour être utilisées
par un combattant. Cette définition couvre également les armes
à feu commerciales telles que les armes à poing et les fusils de
chasse.
Quant aux « armes de petit calibre »,
elles se rapportent aux armes portatives conçues pour être
utilisées par plusieurs personnes travaillant en équipe :
mitrailleuses lourdes, lance-grenades montés, canons aériens
portatifs, canons antichars portatifs, lance-missiles antichars portatifs et
mortiers4(*).
Bon marché, faciles à dissimulier pour nombre
d'entre elles, à entretenir et à utiliser, les ALPC sont
produites par environ 1249 sociétés réparties dans plus 90
pays dans le monde5(*). Leur
prolifération est facilitée tant par une production industrielle
qu'artisanale.
La prolifération des ALPC s'entend de leur accumulation
excessive par les Etats alors que la circulation illicite est souvent le fait
d'acteurs non-gouvernementaux.
Comme nous le mentionnions plus haut, les victimes
occasionnées par lesdites armes se comptent par millions surtout en
Afrique subsaharienne. C'est forte du fléau que représentent les
ALPC pour la société que la Communauté économique
des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a entrepris des actions successives
en vue d'essayer de réglementer leur accessibilté et contenir
leur circulation illicite.
Les actions de la CEDEAO ont été
inaugurées sérieusement par la « Déclaration
de moratoire sur l'importation, l'exportation et la fabrication des armes
légères en Afrique de l'Ouest » signée
à Abuja le 31 octobre 1998. Pour le succès de
ce Moratoire, le Secrétaire exécutif a été
instruit, en collaboration avec le système des Nations unies, de
convoquer une réunion des Ministres des Affaires
étrangères et d'experts en vue de mettre en oeuvre le cadre
opérationnel pour les mesures associatives dans le contexte du Programme
de Coordination et d'Assistance pour la Sécurité et le
Développement (PCASED). Le 10 décembre 1999, la Conférence
des chefs d'Etat et de gouvernement adopta à Lomé un Code de
conduite pour la mise en oeuvre du Moratoire. Au cours de ce même Sommet,
la Conférence a pris la décision A/DEC/12/99 portant mise en
place des Commissions nationales de lutte contre la prolifération et la
ciculation illicite des armes légères.
Parce que le Moratoire n'avait pas de caractère
contraignant et convaincus qu'il n'était conçu que comme une
mesure transitoire, les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris la
décision de renforcer l'arsenal juridique existant en adoptant, à
Abuja le 14 juin 2006, la « Convention sur les armes
légères et de petit calibre, leurs munitons et autres
matériels connexes ».
Cette Convention est le premier et le seul instrument
juridiquement contraignant existant à ce jour dans le cadre de la lutte
contre la prolifération des armes légères et de petit
calibre.
Mais représente -t-elle vraiment un outil
efficace ? Si oui, pourrait-elle servir d'exemple à toute l'Afrique
et, partant, aux Nations unies qui peinent encore à adopter une
convention en la matière ?
C'est donc pour essayer de répondre à ces
préoccupations que nous avons choisi de réfléchir sur
cette Convention de la CEDEAO.
Pour ce faire, seule une analyse (I) nous permettra
d'apprécier la portée de cet instrument, qui n'est pas moins une
grande première, qu'il faut soutenir (II).
I- UNE CONVENTION DEVENUE NECESSAIRE
La « Convention de la CEDEAO sur les armes
légères et de petit calibre, leurs munitions et autres
matériels connexes » était née des cendres
du Moratoire de 1998. Cette initiative audacieuse (B) se fondait, dans une
large mesure, sur les carences connues auparavant (A).
A- UN MORATOIRE AFFAIBLI
Avant même que la communauté internationale ne
définisse des règles en matière de lutte contre la
prolifération des armes légères et de petit calibre (ALPC)
par l'adoption du Programme d'action des Nations unies de 2001, les Etats de la
CEDEAO avaient déjà pris l'initiative de s'aligner sur un
document régional6(*)
. Mais ce document porté au pinacle, en ce qu'il était une grande
première, sera peu à peu comme voué aux gémonies.
Cela pourrait s'expliquer par plusieurs raisons dont seules certaines seront
retenues dans le cadre de cette étude.
Il faudrait retenir, avant toute chose, que le Moratoire avait
une durée limitée et devrait servir de base à
l'élaboration d'un cadre permanent qui en aurait préservé
les grandes lignes. Les engagements de 1998 ont été
renouvelés en 2001 pour trois nouvelles années ; pendant ce
temps, deux études d'évaluation montrant les difficultés
du document ont été menées en 2000 et 2002. Les analystes
étaient unanimes pour reconnaître les limites du Moratoire qui
n'était qu'un engagement de nature politique. De plus, le texte
n'était pas détaillé, ce qui rendait sa mise en oeuvre
difficile sur le terrain. Même si son Code de conduite adopté le
10 décembre1999 prévoit pour la première fois plusieurs
aspects de la lutte contre les armes légères, il s'est
avéré rapidement inefficace sur le terrain7(*). Ainsi a t-on pu dire que
l'impact du Moratoire sur la prolifération des ALPC
s'est révélé « plus évolutionniste
que révolutionnaire ». Les Commissions nationales
établies n'avaient pas su toujours remplir leurs fonctions avec
détermination et efficacité non plus8(*). Par ailleurs, les Etats
rechignent à fournir les informations nécessaires concernant
l'application du document.
Sur un plan plus pratique, la plus grande difficulté
demeurait l'absence d'une harmonisation des législations nationales sur
la question des ALPC9(*).
Au total, le Moratoire, qui n'a pas été
néanmoins un échec complet, devrait faire face à de
nombreux défis ; tant les conflits se faisaient encore
légion dans la sous région. Il fallait adopter un instrument
juridiquement contraignant.
B- UNE CONVENTION OPPORTUNE
Le paragraphe 18 du préambule de la Convention indique
sans ambages que les chefs d'Etat et de gouvernement sont
« déterminés (...) à consolider les acquis du
Moratoire (...) et de son Code de conduite et à prendre en compte leurs
faiblesses en vue de les améliorer ». La base en est donc
l'expérience acquise de par les instruments préexistants en
matière de lutte contre la prolifération des ALPC.
La Convention s'articule autour d'un préambule et de 7
chapitres qui comptent au total 32 articles. Le préambule fait, entre
autres, référence aux textes et à certains principes
fondamentaux tels que le droit à la légitime défense, la
non-ingérence dans les affaires intérieures, la prohibition de
l'usage ou de la menace de l'usage de la force dans les relations entre
Etats.
Le chapitre I définit les principaux concepts et en
précise les objectifs. Le chapitre II s'intéresse aux transferts
des ALPC, à l'instar de l'exemption. Quant au chapitre III, il
précise les règles entourant la fabrication d'armes
légères et de petit calibre. Le chapitre IV fait
référence à la transparence et à l'échange
d'information. Les mécanismes opérationnels sont traités
par le chapitre V. Les arrangements institutionnels et de mise en oeuvre sont
du domaine du chapitre VI. Enfin, le chapitre VII parle des dispositions
générales et finales.
Cet unique instrument juridiquement contraignant en
matière d'ALPC connaît plusieurs avancées. Ainsi par
exemple, les munitions -exclues de tous les instruments existant à
l'échelle globale- sont prises en compte par la Convention qui les
considère comme armes. Il en est de même des autres
matériels connexes qui, comme les composantes et les pièces
détachées importantes, devraient être suivis. Une autre
nouveauté concerne les transferts qui sont, pour la première
fois, inclus et font l'objet d'une définition dans un instrument
international. L'apparition des acteurs non étatiques est aussi une
avancée non négligeable et importante car leur prise en
considération dans la région subsaharienne est un aspect novateur
très important que les Etats n'ont pas encore réussi à
définir au plan international10(*). D'un autre côté, et tirant les
leçons du passé, les Etats ont posé le principe du
contrôle strict de la fabrication locale des ALPC plutôt que de
l'interdire ; on retrouve également des innovations au niveau du
marquage des ALPC. La possibilité de sanctions nous paraît aussi
essentielle à mentionner11(*).
Toutes ces considérations devraient amener à
soutenir la présente Convention.
II- UNE CONVENTION DIGNE DE SOUTIEN
La Convention de la CEDEAO sur « les armes
légères et de petit calibre, leurs munitions et autres
matériels connexes » a été
élaborée, il est vrai, avec l'aide de l'Union européenne
notamment. Mais la Convention mérite davantage pour son entrée en
vigueur et son application (A) ; ce faisant, elle pourra servir d'exemple
en la matière (B).
A- UNE CONVENTION A RATIFIER
Aux termes de l'article 32-2 de la Convention, celle-ci
entrera en vigueur « à la date du dépôt du
neuvième instrument de ratification ». Dans une sous
région meurtrie par les conflits de tous genres aux conséquences
dévastatrices, faut-il le rappeler, cet instrument doit être mis
en branle rapidement. A ce jour, une seule ratification manque pour que la
Convention entre en vigueur ; ceci se ferait sûrement d'ici la fin
de l'année 2008.
La société civile a présenté un
référentiel très pointu ayant contribué à la
conclusion de cette Convention ; elle continue de jouer un grand
rôle de promotion pour amener les Etats parties à la ratifier
incessamment12(*).
Parallèlement aux efforts de ratification, la
Commission de la CEDEAO travaille à la préparation des
différents mécanismes devant permettre la mise en oeuvre de la
Convention dès son entrée en vigueur. C'est dans ce cadre que les
experts gouvernementaux, sous les auspices du Centre régional des
Nations unies pour la Paix et le Désarmement en Afrique (UNREC), ont
examiné et adopté à Lomé (TOGO), du 16 au 18 juin
2008, le Plan d'action pour la mise en oeuvre et le formulaire standard de
demande d'exemption à la Convention.
Comme on le voit, le processus est avancé et les Etats
devraient faire preuve de bonne volonté en remplissant de bonne foi les
obligations auxquelles ils ont librement souscrit. La Communauté
internationale aussi devrait continuer de soutenir, mieux, d'affiner son apport
pour que l'instrument inédit ait « force de
loi » et fasse émulation.
B- UNE CONVENTION A IMITER
A l'heure où les Nations unies peinent encore à
s'entendre sur un texte juridiquement contraignant susceptible de contenir la
prolifération des ALPC, et même dans le domaine du commerce des
armes, la Convention de la CEDEAO est à notre sens un bel exemple
à suivre par toute la communauté internationale. Au cours de
cette 63ème session de l'Assemblée
générale, les Organisations non gouvernementales s'activent dans
les couloirs afin d `amener tous les Etats à oeuvrer de concert
pour aboutir à un texte juridiquement contraignant à l'instar de
celui de la CEDEAO.
La Convention a le mérite de s'appesantir sur les
principes fondamentaux qui devraient gouverner le domaine des ALPC. C'est
pourquoi, l'initiative en cours actuellement en Afrique centrale en vue de
mettre au point un semblable instrument est à encourager. Il n'en
demeure pas moins que les Etats membres de la Communauté
économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) devraient travailler
plus dur pour qu'une telle initiative aboutisse. A la vérité, ces
Etats ne sont pas au même diapason que leurs homologues de la CEDEAO en
matière de lutte contre la prolifération des ALPC. Le Protocole
de Nairobi sur « la prévention, le contrôle et la
réduction des armes légères et de petit calibre dans la
région des grands lacs et la corne de l'Afrique » a connu
moins d'engouement que le Moratoire de la CEDEAO. Néanmoins, il faut
espérer que la CEEAC adopte incessamment un texte tout aussi de la
même portée que celui de la CEDEAO.
Le doute n'est pas à l'ordre du jour, tant le processus
de conclusion d'une convention est suffisamment avancé.
CONCLUSION
La Convention de la CEDEAO sur « les armes
légères et de petit calibre, leurs munitions et autres
matériels connexes », à supposer établi qu'elle
ne soit pas une panacée, demeure un instrument qui a le mérite de
poser les grands principes en matière de lutte contre la
prolifération des armes légères et de petit calibre.
Quoiqu'il en soit, cette Convention contribue à la construction d'un
nouvel espace de contrôle au niveau global, régi par ces
mêmes principes que la société civile internationale
voudrait voir reconnus et adoptés dans le cadre d'un traité sur
le commerce des armes.
Comme nous le disions plus haut, cet instrument est un message
politique fort et un exemple concret dont la communauté internationale
pourrait certainement s'inspirer pour poursuivre sa lutte contre la
prolifération de cette catégorie particulière mais la plus
meurtrière d'armement conventionnel13(*).
Il reste que les Etats membres de la CEDEAO doivent faire
preuve de volonté politique car il ne servirait d'élaborer des
textes exemplaires qui orneraient tout simplement le musée de l'arsenal
juridique.
De même, les carences connues autrefois lors de
l'exécution du Moratoire devraient être redressées. L'on
devrait, par exemple, mettre en place les Commissions nationales de lutte
contre la prolifération des armes légères et de petit
calibre là où elles n'existent et les doter des capacités
idoines afin qu'elles mènent à bien leur mission. Le
Secrétariat exécutif devrait être également pourvu
en moyens, vu l'important rôle à lui assigné par la
Convention14(*).
Au reste, l'on pourrait espérer que les Etats
s'activent, pour une bonne application de cet instrument historique, avec une
aussi grande ardeur que celle qui les animés lors de la signature.
Gageons que ce texte actuellement encensé et
auréolé ne connaîtra pas la damnation.
* 1 Charles Josselin
était alors Ministre délégué à la
Coopération et à la Francophonie de la République
française.
* 2 Voir document S/2008/258 du
17 avril 2008 relatif au Rapport du Secrétaire général sur
les armes légères.
* 3 Les conflits armés
coûteraient environ 18 milliards de dollars US par an à l'Afrique
selon une déclaration du délégué du Mali à
la première Commision de l'AG de l'ONU le 29 octobre 2007. Voir
www.un:org/News/fr-press/docs/2007/AGDSI3354/doc/htm
consulté le 11 octobre 2008.
* 4 Ces définitions ont
été retenues par l'Assemblée générale de
l'ONU qui a ainsi adopté le rapport d'un groupe d'experts
gouvernementaux en 1997.
* 5Voir Chabi Dramane
Bouko, Mémoire présenté à l'Université
d'Agbomé-Calavi, consulté sur
www.memoireonline.com/02/06/115/m_circulation-armes-legeres-petit-calibre0.htm
le 1er septembre 2008.
* 6 Voir Claudio Gramizzi,
« Les Etats membres de la CEDEAO adoptent une convention sur les
armes légères », publié sur
www.grip.org consulté le 26
août 2008.
* 7 Ilhan Berkol, « La
convention de la CEDEAO sur les armes légères etde petit calibre-
Analyse et recommendations pour un plan d'action » in « Les
rapports du Groupe de Recherche et d'Informations sur la Paix et la
Sécurité (GRIP) » 2007/2, p.4. Voir aussi, par exemple,
le rapport intitulé «Evaluation study on the ECOWAS Moratorium on
importation, exportation, and manufacture of small arms in West Africa»
soumis à la CEDEAO le 21 octobre 2002.
* 8 Voir Adededji Ebo,
« Le contrôle des armes légères en Afrique de
l'Ouest », Série Afrique de l'Ouest N°1 (version
française), octobre 2003, p.19.
* 9 Idem, p.20.
* 10 Ilhan Berkol
précité, p.5.
* 11 Idem.Lire tout le document
pour une étude détaillée de la Convention.
* 12 Voir
www.ouestaf.com consulté le
26 août 2008.
* 13 Voir
www.grip.org consulté le 26
août 2008.
* 14 On pourra lire avec grand
intérêt Ilhan Berkol précité dans ses
recommandations, pp.11 et 12.
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