Université Libre de
Bruxelles Faculté des Sciences sociales et
politiques Solvay Brussels School of Economics and Management
Département de Science politique
L'accès de l'Extrême-Gauche aux
médias en période électorale
Question du Mémoire : Existe-t-il une stratégie
de marginalisation de l'Extrême-Gauche francophone belge dans les
médias francophones belges ?
Mémoire présenté par Gilles
SIMON en vue de l'obtention du titre de Master en
Science politique de l'ULB Orientation Vie politique.
Directeur : Anne MORELLI
Assesseur : François HEINDERYCKX
A ma mère,
disparue la veille du lancement de ce Mémoire.
Remerciements
Merci à ma directrice, Anne MORELLI. Pour
avoir accepté mon suivi, pour sa disponibilité, pour ses conseils
de lecture, pour son écoute et pour ses encouragements.
Merci à mon assesseur, François
HEINDERYCKX. Pour sa disponibilité et pour ses conseils d'entretiens.
Merci à Laura. Pour sa sollicitude, pour
sa patience, pour le partage de son expérience et pour son aide
technique.
Merci à Zara.
Merci à mon père.
Merci à Tom GRIMONPREZ. Pour ses coups de
crayon et pour ses impressions.
Merci à la quinzaine de personnes ayant
pris le temps et le risque d'être interviewées.
Merci aux différents relecteurs. Pour
leur dévouement, pour avoir su ouvrir l'oeil et le bon et pour m'avoir
aidé à arrondir les angles. Par ordre alphabétique :
Manuela CARDOSO AMORIM, Ludivine BIARENT, Abdellah BOUDAMI, Isaac
NZOTUNGICIMPAYE, Insaf OUASSAL et Laurent VAN DRIESSCHE.
Merci à Thomas GERGELY, Michael TOLLEY et
Vicky VANDECAVEY.
Table des matières
INTRODUCTION 1
I. PREAMBULE 2
1.1. Du choix du sujet 2
1.1.1. De la liberté d'expression 2
1.1.2. De l'exercice de nos droits 3
1.2. Définitions et premiers écueils
3
1.2.1. Accès 3
1.2.2. Média 4
1.2.3. L'Extrême gauche, essai de définition 4
1.2.4. Quelle période électorale ? 5
1.2.5. Stratégie 5
1.2.6. Marginal 5
1.3. De la thèse du complot 6
1.4. Méthodologie et limites de ce mémoire
8
1.4.1. Devoir de concision 8
1.4.2. Ce qui fut mis de côté 8
1.4.3. Des données inédites 9
II. UN EMBARGO MEDIATIQUE 12
2.1. De l'utilité de ce chapitre 12
2.2. De la Loi de la majorité 13
2.2.1. De la déresponsabilisation journalistique 14
2.2.2. De l'opportunité de la Loi de la majorité
16
2.3. Les chiffres 19
2.3.1. « Je me souviens d'une interview en 1983 » 19
2.3.2. Une sur-représentation 20
2.3.3. Une sous-représentation 22
2.3.3.1. Radio/Télé, même combat ?
23
2.3.4. Une représentation oui, mais ... 24
2.3.5. Démocratie 2.0 26
2.4. Des débats « vraiment faux >>
29
2.4.1. La crise du capitalisme 30
2.4.2. Des invités ... permanents 32
2.4.3. Ces faits qui font diversion 34
2.4.3.1. Rubrique des chiens écrasés 35
2.4.3.2. La crise communautaire 38
III. UN BIAIS QUALITATIF 40
3.1. De l'opportunité d'un tel biais
40
3.2. Des débats « faussement vrais >>
42
3.3. Le poids des mots 44
3.3.1. L'Extrême - Gauche, ces gens tournés vers le
passé 44
3.3.1.1. « Economiquement dépassé »
44
3.3.1.2. T.I.N.A 46
3.3.1.3. Une Cité unie 47
3.3.1.4. Les clowns de service 48
3.3.2. L'Extrême - Gauche, ces gens dangereux 50
3.3.2.1. Analogie avec l'Extrême - Droite 50
3.3.2.2. L'Extrême - Gauche, ces populistes 52
3.3.2.3. Des travailleurs sous influence 52
3.3.2.4. L'Extrême - Gauche et la violence 53
IV. LE << POURQUOI >> DU << COMMENT
>> 57
4.1. Quand les médias critiquent la critique des
médias 57
4.1.1. De la prégnance d'une telle critique 58
4.1.2. De l'opportunité d'une critique de la critique
59
4.2. Possession et information 60
4.2.1. Des entreprises comme les autres 60
4.2.2. Les annonceurs : un rôle ? 61
4.2.3. La concentration : un impact ? 62
4.2.4. La possession : pour quoi faire ? 65
4.2.4.1. En faire des exemples 66
4.2.4.2. L'inutile censure 66
4.2.5. Le service public : bastion du pluralisme ? 69
4.2.5.1. Un conseil d'administration politisé
69
4.2.5.2. Une majorité absolue pour le PS 70
4.2.5.3. Le MR, parti le plus invité 71
4.2.5.4. Jouir de ses biens 72
4.2.5.5. Une prime de départ 74
4.3. Des << liens forts >> 76
4.3.1. « Autour d'un bureau feutré » 76
4.3.1.1. Des membres triés sur le volet 77
4.3.1.2. Des conférenciers de renom 78
4.3.1.3. Quelles conséquences ? 78
4.3.2. Le poids des années 80
4.4. << The right man at the right place >>
81
4.4.1. Promotion de l'orthodoxie 82
4.4.1.1. Le haut du panier 83
4.4.1.2. Inconnus au bataillon 84
4.4.2. Rétrogradation de l'hétérodoxie 86
4.4.3. Précarisation pour pré carré 89
4.4.3.1. Une armée de reserve 89
4.4.3.2. « Tu es quelqu'un qui réfléchit
» 90
V. CONCLUSION 93
Table des illustrations
Tableau 1 - P. 21 Tableau 2
- P. 22 Tableau 3 - P. 23 Tableau 4
- P. 26 Tableau 5 - P. 27 Tableau 6
- P. 27 Tableau 7 - P. 32 Tableau 8
- P. 33 Tableau 9 - P. 34 Tableau 10
- P. 70 Tableau 11 - P. 71
|
Figure 1 - P. 15 Figure 2 -
P. 20 Figure 3- P. 29 Figure 4 - P. 31
Figure 5 - P. 46 Figure 6 - P.48
Figure 7 - P. 56 Figure 8 - P. 68
Figure 9 - P. 74 Figure 10 - P. 77
|
« A défaut de pouvoir annuler la montée et
la
propagation d'aspirations démocratiques
incompatibles avec la reproduction des rapports de
domination séculairement établis, il importe pour
les
dominants d'endiguer ces aspirations, de dévoyer ces
projets, de détourner ces revendications par des
leurres, de les déplacer par des faux-semblants
acceptables, en jouant savamment sur les apparences
pour entretenir la croyance au respect de la
volontémajoritaire censée s'exprimer par le
suffrage
universel »
Alain ACCARDO 1
INTRODUCTION
Afin de voir s'il existe une stratégie de
marginalisation de l'Extrême-Gauche francophone belge dans les
médias francophones belges, nous épouserons un raisonnement
principalement en deux temps.
Schématiquement, nous verrons tout d'abord si
marginalisation il y a. Si on est en mesure de parler d'une marginalisation de
l'Extrême-Gauche en particulier.
Pour cela, il s'agira d'observer deux choses.
Premièrement, qu'il y a une exposition médiatique de
l'Extrême-Gauche inférieure à sa
représentativité électorale. Deuxièmement, que
l'Extrême-Gauche fait l'objet d'un biais qualitatif, quand exposition il
y a.
Ensuite, nous analyserons si la marginalisation mise en
évidence rentre, ou non, dans le cadre d'une quelconque
stratégie, ou bien si elle n'est que la résultante du
fonctionnement d'un système.
Ce faisant, nous tenterons de voir en fait si les théories
de l'Américain Noam CHOMSKY et des Français Pierre BOURDIEU et
Serge HALIMI s'appliquent à la Belgique francophone.
I. PRÉAMBULE
1.1. Du choix du sujet
1.1.1. De la liberté d'expression
Se trouver en présence d'un Mémoire qui cherche
à voir si, oui ou non, l'Extrême-Gauche est sciemment
marginalisée médiatiquement, a des chances de soulever,
d'emblée, des interrogations dans le chef du lecteur.
Ainsi, ce dernier pourra légitimement se demander s'il
y a choix du coeur de la part du mémorant. Se demander s'il est en
possession d'un travail ayant opté, méthodologiquement parlant,
pour la démarche vérificationniste d'un DEUTSCH 1.
Or, il ne s'agit nullement ici de partager ou de rejeter les
points de vue économiques et sociétaux de l'Extrême-Gauche.
Il s'agit, ni plus ni moins, de liberté d'expression. De l'Article 11 de
la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Ainsi, lorsqu'on reprochait à Noam CHOMSKY d'avoir
<< défendu » le négationniste Robert FAURISSON, il
répliquait que : << La liberté de parole vaut pour toutes
les opinions. Goebbels y croyait seulement s'il était d'accord. Staline
aussi. Si vous y croyez vraiment, vous autorisez l'expression d'opinions
odieuses. Sinon, vous êtes contre ». Et le linguiste
émérite rajoutait que : << Je sais que tout inquisiteur
dira Vous défendez ses idées. Non. Son droit de les
exprimer. Cette distinction est capitale et comprise, sauf des fascistes,
depuis 200 ans » 2.
Mais surtout, si les idées d'un Faurisson sont sans doute
effectivement << odieuses », il y a un souci dès le moment
où on décide de minorer et de biaiser ses interventions
médiatiques.
Car alors, où placer par la suite la limite entre les
propos acceptables et ceux inacceptables ? Selon quels critères
objectifs ? D'après quel Index ? Qui se charge de délimiter les
zones ?
1 Voir MARQUES PEREIRA B., Méthodologie de
la Science politique. Préparation au mémoire, cours
académique, Faculté des Sciences sociales, politiques et
économiques, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles,
année académique 2007-2008.
2 ACHBAR M. & WINTONICK P., Manufacturing
consent. Noam Chomsky and the media, Necessary Illusions & The
National Film Board of Canada, Montréal/Ottawa, 1992, 167 minutes.
1.1.2. De l'exercice de nos droits
Ce qui nous a également porté vers ce sujet,
c'est en outre le fait que le plein exercice de nos droits civiques - au
premier rang desquels le droit de vote - requiert une information correcte.
Plus fondamentalement encore, la démocratie est un concept qui ne se
déploie qu'en pleine lumière. Comme le dit Alain ACCARDO,
<< Une information pluraliste [est] indispensable à toute vie
démocratique » 3.
Et il convient dès lors, de l'avis de
José-Manuel NOBRE-CORREIA, de << s'interroger sur les
modèles sociétaux et les discours idéologiques
véhiculés par des programmations audiovisuelles et des contenus
rédactionnels chaque jour plus unidimensionnels », tout du moins
<< si l'on veut préserver le modèle de démocratie
qui est le nôtre » 4.
Voilà pourquoi, au-delà de toute conviction
idéologique intime, le choix de ce sujet de fin d'études s'est
assez rapidement imposé à nous.
1.2. Définitions et premiers écueils
Notre intitulé et notre question comportent un certain
nombre de termes qui, bien qu'élémentaires, nécessitent
néanmoins d'être posés avant d'entamer quelque
développement que ce soit.
1.2.1. Accès
<< Arrivée à, entrée dans »
5, le fait de pouvoir être présent quelque part.
3 BALBASTRE G., << Précarité et
fabrication de l'information » in ACCARDO A., Journalistes
précaires, journalistes au quotidien, Op. Cit., page
515.
4 NOBRE-CORREIA J.-M., << Les médias et
l'exclusion » in Relire l'exclusion, Editions de
l'Université de Bruxelles, Collection << La pensée et les
hommes », Bruxelles, 1997, page 72.
5 BLUM C., Le Nouveau Littré,
édition 2005, Garnier, Paris, 2004, page 29.
Les définitions de << média », de
<< stratégie » et de << marginal » proviennent du
même dictionnaire.
1.2.2. Média
<< Moyen de communication et de diffusion de
l'information >>. Traditionnellement : << La presse écrite,
la télévision, la radio >>...auxquelles nous rajoutons
Internet, qui fut assez bien mobilisé par les médias
traditionnels lors de la campagne électorale de juin 2009, avec des
émissions exclusives au Web pour la RTBF et pour RTL-TVI.
1.2.3. L'Extrême-Gauche, essai de
définition
La Gauche, aujourd'hui et en Belgique francophone, c'est le
Parti Socialiste et Ecolo. Du moins, c'est l'idée communément
admise, comme nous aurons l'occasion de le voir. Par extension,
l'Extrême-Gauche serait ce qui se trouve à la gauche de ces deux
partis. Dans l'hémicycle parlementaire quand il y a lieu, et dans le
programme : Environnement, situation des travailleurs immigrés, mais
aussi anti-sexisme, anti-militarisme, ... 6.
Des thématiques relativement courantes (car
empruntées aux partis classiques, ou récupérées par
ces derniers), mais envisagées sous un angle plus global. C'est ainsi
que les sans-papiers ou la baisse du pouvoir d'achat sont vus, par
l'Extrême-Gauche, comme des conséquences inhérentes au
système de production capitaliste.
Ceci étant dit, deux remarques :
Sous notre plume, l'emploi du terme <<
Extrême-Gauche >> relève du confort de langage. En effet,
dans ce mémoire, ledit terme aura à être compris comme
générique, mettant dans un même sac des courants aux
analyses, méthodes et objectifs parfois fort
hétérogènes.
En outre, encore une fois il serait plus judicieux de parler
non pas de << Gauche de la Gauche >> mais de << Gauche de
Gauche >> (<< de >> dans le sens << authentiquement
>>), selon l'expression consacrée par Pierre BOURDIEU.
6 Pour bien souligner toute la difficulté
d'une telle définition, relevons qu'en Amérique du Nord par
exemple, le parti Québec Solidaire a un << programme clairement
écologiste, féministe et altermondialiste mais s'affirme aussi
souverainiste >>, l'explication étant que le << lien entre
nationalisme et Extrême-Gauche est puissant au Québec alors qu'en
Belgique le nationalisme est l'apanage de la droite >> (Source :
GOTOVITCH J. & MORELLI A., << Prospérité et
contestation >> in GOTOVITCH J. & MORELLI A., Contester dans un
pays prospère. L'Extrême-Gauche en Belgique et au Canada,
P.I.E. Peter Lang, Collection << Etudes canadiennes >>, Bruxelles,
2007, pages 12-13).
1.2.4. Quelle période électorale ?
Il n'est pas aisé non plus de définir ce qu'est
au juste une << période électorale ». Prend-on ainsi
en considération l'acceptation légale (selon laquelle, en France
par exemple, la campagne pour le premier tour de l'élection
présidentielle débute seulement deux semaines avant le dimanche
du scrutin) ? Ou bien prend-on en compte la réalité du terrain,
celle d'une campagne officieuse mais permanente ?
A cette interrogation, nous répondons que, afin de
couvrir une période beaucoup plus longue, et donc d'avoir des
échantillons plus fournis et représentatifs, nous
étudierons à la fois la campagne proprement dite (à savoir
les Régionales et Européennes 2009), et les mois
précédant ladite campagne.
1.2.5. Stratégie
<< Art de manoeuvrer habilement, de combiner des
opérations pour atteindre un objectif ». Autrement dit, quelque
chose qu'on dira à la fois conscient et organisé.
1.2.6. Marginal
<< Qui est de moindre importance », le terme <<
moindre » pouvant être pris dans un sens quantitatif ou bien
qualitatif.
Les termes de notre intitulé et de notre question
maintenant posés, et avant d'aborder les limites du mémoire et la
méthodologie empruntée, il s'agit de se pencher sur les critiques
communément formulées à l'encontre d'une telle approche
des médias.
1.3. De la thèse du complot
<< C'est la vieille théorie de la Cabale qui veut
que, quelque part, autour d'un bureau feutré, une bande de capitalistes
tire les ficelles. Ce bureau n'existe pas, je regrette. Les intellectuels se
sentent un peu comme le clergé, il leur faut des pécheurs »
7, soupirait ainsi l'écrivain Tom WOLFE, quand on
l'interrogeait sur les théories de son compatriote Noam CHOMSKY.
A ouvrir un dictionnaire, on notera que le complot se
définit comme << Une résolution concertée
secrètement et pour un but le plus souvent coupable » 8.
Selon Mathias REYMOND et Grégory RZEPSKI, << La
thèse du complot médiatique et sa dénonciation
inspirée par n'importe quel propos » serait << l'oeuvre des
fabricants en gros (et des petits détaillants) de boucliers de vent
contre toute critique des médias » 9. Une façon
de disqualifier l'opposant sans croiser le fer.
Ainsi, il faudrait ne << surtout pas imputer à
des intérêts identifiables et à des puissances
identifiées le moindre effet sur les médias ». D'ailleurs,
<< Il se trouvera toujours un véritable journaliste amoureux des
nuances, ou un prétendu sociologue épris de complexité,
pour déclarer que la démarche est abstraite ou, pour faire plus
savant, systémique » 10.
Encore dit autrement, on << substituera de la confusion
prétendument érudite à une simplicité trop propre
à enflammer les coeurs et les esprits » 11.
...Alors que Noam CHOMSKY veut tout simplement signifier que,
si on fait << une analyse du système économique, et que
[on] vous signale que General Motors veut maximiser ses profits, ce n'est pas
une conspiration mais une analyse institutionnelle ». Et << c'est la
même chose avec les médias » 12. Il s'agit
simplement d'attribuer << une rationalité minimale aux pouvoirs en
place » 13.
7 HALIMI S. & RINDEL A., << La conspiration.
Quand les journalistes (et leurs favoris) falsifient l'analyse critique des
médias » in BRICMONT J. & FRANCK J., Chomsky, L'Herne,
Paris, 2007, page 235.
8 BLUM C., Op. Cit., page 267.
9 REYMOND M. & RZEPSKI G., Tous les
médias sont-ils de Droite ? Du journalisme par temps d'élection
présidentielle, Syllepse, Collection << Acrimed »,
Paris, 2008, page 78.
10 Ibid., pages 78-79.
11 HALIMI S., << L'art et la manière
d'ignorer la question des médias » in PINTO E., Pour une
analyse critique des médias. Le débat public en danger,
Editions du Croquant, Collection << Champ social »,
Bellecombe-en-Bauges, 2007, page 198.
12 ACHBAR M. & WINTONICK P., Op. Cit.
13 CHOMSKY N. in MITCHEL P. & SCHOEFFEL J.,
Understanding power. The indispensable Chomsky, The New York Press,
New York, 2002, page 390.
Alain ACCARDO dit, dans le même ordre d'idées,
que << Il n'est pas nécessaire que les horloges conspirent pour
donner pratiquement la même heure en même temps >> 14.
D'après de tels auteurs, on serait en présence
d'un << système de traitement et de régulation
décentralisé et [par conséquent] non conspirationniste
>> 15. Non << concerté >>, pour reprendre
notre définition.
En outre, comme nous l'illustrerons en ayant à
plusieurs reprises recours à la documentation mise à disposition
par les organisations critiquées elles-mêmes, tout cela n'a rien
de << secret >> non plus.
Mais comme Noam CHOMSKY ne manque pas de le noter : <<
Contre la calomnie, il n'y a pas de défense. Si on vous traite de nazi
16, que répondre ? Que c'est faux ? Si on vous traite de
raciste, vous êtes perdu >> 17.
On notera aussi au passage la géométrie variable
avec laquelle se tiennent ces procès en sorcellerie. Ainsi, quelqu'un
qui remet en cause l'ordre établi sans pour autant recourir à la
théorie du complot se verra affublé d'une pléthore de
termes décrédibilisants.
Mais prenons Edward BERNAYS. Il ne remettait pas en cause
l'ordre établi. Au contraire, il voulait, par la propagande en temps de
paix que sont les Relations publiques, << créer de l'ordre
à partir du chaos >>. Et il se montrait, en outre, nostalgique de
l'époque << avant que les gens n'acquièrent une conscience
sociale >>.
Le neveu de Sigmund FREUD pouvait, grâce à ce
conservatisme sans doute, parler en toute impunité de <<
concentration du gouvernement invisible entre les mains de quelques
individus... >>
18
14 ACCARDO A., << Un journalisme de classes
moyennes >> in DURAND P., Médias et censure, figures de
l'orthodoxie, Editions de l'Université de Liège, 2004, pages
46-47.
15 HALIMI S. & RINDEL A., Op. Cit., page
236.
16 Lire à ce sujet << Michel Polacco,
directeur de France Info, dialogue avec ses auditeurs
>>, un échange de courriels publié le 3 mars 2006 par
l'observatoire Acrimed, Article 2290. On y apprend que les auditeurs
réclamant le respect du pluralisme idéologique sont des <<
vichyssois >>.
Plus largement, il semble y avoir pluralisme et pluralisme.
Plus exactement, il existerait différents pluralismes auxquels les
médias n'accorderaient pas le même écho, voire
crédit. Ainsi donc, les requêtes pour davantage de pluralisme
quant à l'axe Gauche-Droite seront bien souvent mises au pilori, tandis
que le pluralisme culturel sera un prolixe sujet de préoccupation. Comme
quand l'émission du service public InterMédias consacre
son numéro du 5 décembre 2008 à << La
diversité à la télé >>, avec en
invités Rachid AHRAB, Hakima DAHRMOUCH et Hadja LAHBIB. Avançons
que la diversité à la télé, ce n'est pas qu'une
question de prépondérance de << l'homme blanc >>, de
quotas de gays, de gros, de grands, ...
17 ACHBAR M. & WINTONICK P., Op. Cit.
18 BERNAYS E., Propaganda. Comment manipuler
l'opinion en démocratie, La Découverte, Collection <<
Zones >>, Paris, 2007, pages 24, 53 et 141. << Propaganda >>
fut initialement publié en 1928.
Plus près de nous, on songera aussi aux émissions
spéciales sur les Loges maçonniques, à la sortie de
l'adaptation cinématographique de << Anges
1.4. Méthodologie et limites de ce
mémoire
1.4.1. Devoir de concision
25.000 mots, voilà l'espace alloué à la
vérification de notre hypothèse. C'est peu. C'est en tout cas
moins que pour les précédentes générations
d'étudiants. Et bien qu'il faille sans nul doute chercher l'explication
ailleurs, on ne peut s'empêcher de songer à cette phrase que Noam
CHOMSKY eut un jour, à propos de la contrainte de temps : << Il
faut dire son truc entre deux pubs. En moins de 600 mots. La beauté de
la concision c'est de limiter le propos à des lieux communs >>
19.
1.4.2. Ce qui fut mis de côté
Confronté à cet écueil que
représente pour les pensées non orthodoxes (comme celles
critiquant les médias 20) le devoir de concision, nous nous
sommes vus dans l'obligation, à regret, de faire l'impasse sur nombre
d'éléments qui auraient mérités, en d'autres
circonstances, développement.
Ainsi, nous ne débattrons pas de l'opportunité
d'utiliser les médias. Nous partirons du postulat qu'il faut que
l'Extrême-Gauche le fasse. Y passe.
En outre, nous n'évoquerons que les médias
dominants, et non pas les médias alternatifs, parfois appelés de
<< troisième type >>, que sont entre autres les radios dites
<< d'expression >>.
Dans le même ordre d'idées, nous ne parlerons pas
davantage du << journalisme citoyen >>, qu'on retrouve sous les
traits de blogs, par exemple.
et Démons >> de Dan BROWN, etc.
19 ACHBAR M. & WINTONICK P., Op. Cit.
A noter que le devoir de concision ne s'applique pas avec la
même rigueur en fonction de la teneur des propos. Ainsi, si Daniel
SCHNEIDERMANN souhaitait que Arrêt sur images << reste une
émission contradictoire >> et que, <<
démocratiquement, personne >> ne reste << en dehors du champ
de la contradiction >> (ce qui le faisait refuser de consacrer un
numéro entier à Pierre BOURDIEU), l'animateur ne manquait
pourtant pas de recevoir de temps à autre un invité unique, tel
Jean-Marie MESSIER, alors patron de la multinationale Vivendi
Universal, et ce pour commenter non pas le chiffre d'affaires mais des
clichés de Paris-Match où l'homme d'affaires...mange un
sandwich, ou porte des chaussettes avec un trou (Source : CARLES P.,
<< Enfin pris ? >>, Arrapèdes & C-P Productions,
Montpellier, 2002, 90 minutes).
20 Selon Pierre CARLES, elles le demeurent car
<< Il faut se méfier du business de la critique des médias,
très à la mode, anecdotique ou opportuniste >>, avec une
<< indignation à géométrie variable >>
(Source : MOUNIR R., << Pierre Carles : La critique des
médias est aussi un business >> in Le Courrier, 22
février 2008,
http://www.lecourrier.ch,
consulté le 28 juillet 2009).
Roland BARTHES parlerait sans doute, au sujet de ces
émissions du type Arrêt sur images, de vaccine permettant
<< d'éviter une remise en cause globale du système en
confessant ses dysfonctionnements occasionnels >> (Source : GEUENS
G., << Médias, économie et société. Questions
de méthode >> in DURAND P., Médias et censure. Figures
de l'orthodoxie, Op. Cit., page 72).
Nous n'aborderons pas non plus le traitement des grèves et
des mouvements sociaux par les médias, alors qu'il y aurait, là
aussi, beaucoup de choses à dire.
...Tout comme on aurait pu dépenser beaucoup d'encre
à propos de la politisation de la Commission Nationale Permanente du
Pacte Culturel.
Nous ne nous attarderons pas plus sur le monde de
l'édition (qui, il est vrai, ne se confond pas avec la définition
de << média >> que nous avons retenue), alors qu'il aurait
été intéressant d'examiner les raisons ayant poussé
à la création, en 1996, des éditions Raisons d'agir
21.
Nous en profitons pour enjoindre le lecteur de garder en
mémoire deux choses :
Tout d'abord, encore une fois, que ce travail est le fruit de
choix souvent déchirants. Ensuite, que << Structurer,
rationaliser, organiser et verbaliser le malaise diffus qui entoure la gestion
de l'information >> n'est PAS chose des plus évidentes 22.
Ceci étant dit, nous avons cherché, le mieux
possible, par l'archivage, à << ruiner un des supports invisibles
de la pratique journalistique, l'amnésie >>, cette amnésie
<< qui n'est pas moins grande chez les journalistes que chez leurs
lecteurs >> 23. Voyons comment nous avons mené cette
ruine...
1.4.2. Des données inédites
Au niveau de la méthodologie maintenant, quelques mots sur
la construction de nos données. Ces données créées
pour l'occasion sont de deux types.
Dans un premier temps, nous avons mesuré, pour notre Titre
II, dans quelle mesure l'Extrême-Gauche et le reste du paysage politique
belge ont accès aux médias.
21 On se rappellera aussi des difficultés
d'Eric HOBSBAWM à publier L'âge des extrêmes en
France, ou bien de << l'affaire >> Perry ANDERSON, avec son livre
La pensée tiède.
22 HEINDERYCKX F., La malinformation. Plaidoyer
pour une refondation de l'information, Labor, Collection << Quartier
libre >>, Bruxelles, 2003, page 6.
23 BOURDIEU P. in HALIMI S., Les nouveaux chiens
de garde. Nouvelle édition actualisée et augmentée,
Raisons d'agir, Paris, 2005, page 9.
Nous avons alors archivé, tout au long de la saison
2008-2009, la liste des invités aux émissions télé
de débat du dimanche midi. Mais aussi, à partir de janvier 2009,
ceux de Matin Première. Et une fois la campagne officiellement
lancée, c'est-à-dire au mois d'avril 2009, nous nous sommes en
plus intéressés à deux émissions Web, une de
RTL-TVI et une autre de la RTBF.
Télévision, radio et Internet...mais quid de la
presse écrite ? Il est en fait plus compliqué de procéder
à des mesures quantitatives avec des coupures de presse. Mais ce qu'il y
a surtout, c'est que l'impact d'une émission de télévision
est considérable par rapport à l'impact d'un article de journal.
Et que, place oblige, s'il nous faut privilégier un type de
média, c'est bien l'audiovisuel.
Mais les journaux n'ont pas du tout été
négligés pour autant : plusieurs représentants de ce type
de média ont été interviewés (à savoir un de
La Dernière Heure/Les Sports, un du Soir, un de La
Libre Belgique et une du Vif/L'Express), tandis que nombre
d'articles ont été mobilisés.
Dans un second temps, nous avons donc choisi un certain nombre de
personnes à interviewer. Et nous avons voulu, en choisissant, respecter
plusieurs équilibres, à savoir :
Donner la parole à la presse écrite, à la
télévision et à la radio. Mais aussi, en superposition,
donner la parole au service public et au privé. Mais encore : donner la
parole à de « simples » journalistes (politiques,
évidemment), mais aussi à des directeurs d'information et des
rédacteurs en chef. Et enfin : donner la parole à des
journalistes au firmament ainsi qu'à des journalistes ayant
rencontré quelques difficultés eu égard à leurs
convictions idéologiques.
Evidemment, nous fûmes confrontés à plusieurs
portes closes, ce qui ne nous permit pas d'obtenir une
représentativité parfaite.
A l'occasion, nous ferons référence dans ce
mémoire aux personnes ayant refusé de nous rencontrer.
Voilà pour les médias, mais cette série
d'interviews fut aussi l'occasion de tendre notre micro à plusieurs
représentants de l'Extrême-Gauche, afin qu'ils nous fassent part
de leur vécu. Et là,
nous avons porté notre choix sur les deux plus gros
partis en présence (à savoir le Parti du Travail de Belgique et
le Parti Communiste), ainsi que sur le cartel LCR-PSL, un cartel ayant
reçu le soutien d'Olivier BESANCENOT.
Nous aurions pu réaliser davantage d'interviews que la
quinzaine effectuée, mais les contraintes du mémoire, en ce qui
concerne le nombre de mots, ne le permirent malheureusement pas.
Au niveau de la tenue des entretiens, ils étaient
semi-directifs. Nous ne lisions pas les questions, elles ne venaient pas
forcément dans le même ordre, certaines n'étaient en
définitive pas posées, tandis que d'autres étaient
improvisées face aux réponses fournies. Plus que des interviews,
il s'agissait donc en réalité d'entretiens, voire de
discussions.
Ensuite, face aux retranscriptions, nous avons dû
opérer une importante sélection, pour ne retenir que les phrases
que nous jugions les plus à mêmes d'illustrer notre corpus
théorique, nos mesures quantitatives, etc.
Ces balises vitales soigneusement posées, nous pouvons
désormais entrer dans le vif du sujet. Et conformément à
notre table des matières, nous allons maintenant tenter de constater,
d'abord la sous-représentation médiatique, et ensuite le biais
qualitatif dont est l'objet la Gauche dite « archaïque ».
II. UN EMBARGO MÉDIATIQUE
2.1. De l'utilité de ce chapitre
Cela peut paraître de prime abord superflu, a fortiori
dans le cadre étroit d'un mémoire, que de consacrer un chapitre
entier à la sous-représentation médiatique dont est
victime l'ExtrêmeGauche.
On pourrait en effet se dire qu'il n'y a pas besoin de
tableaux pour savoir que l'ExtrêmeGauche de notre plat pays ne se fait
pas recevoir par des Pascal VREBOS (animateur des débats du dimanche
midi sur RTL TVI) ou des Johanne MONTAY (désormais rédactrice en
chef Politique et social de la RTBF). Il suffit d'allumer sa
télévision pour s'en rendre compte.
Et certains diront que cela est justifié. Car il s'agit
là d'extrémistes, de nostalgiques du goulag, etc. Ou, plus
souvent, on entendra dire que ces partis ne sont pas suffisamment
représentatifs de la population.
Mais peu importe au fond la justification, tout le monde
semble concéder le fait que les représentants de notre
Extrême-Gauche ne sont pour ainsi dire pas reçus sur les plateaux,
ni dans les colonnes de la presse. Cependant, chiffrer tout cela nous semblait
nécessaire à plusieurs points de vue.
Tout d'abord, pour montrer que l'ampleur du
phénomène est, nous le verrons, sous-estimée.
Ensuite, à reprendre Serge HALIMI : << Tout
ça, on le sait déjà est la plaidoirie habituelle de qui,
ne souhaitant pas diffuser un savoir, prétexte qu'il est répandu
». Mais que << Il n'existe qu'une seule politique possible,
que la France qui tombe ait besoin de réformes, que
le peuple soit trop populiste, les patrons
écrasés par les charges, et le monde devenu de plus en
plus complexe, on le sait déjà ». Pourtant, <<
Cela n'empêche pas les chroniqueurs économiques et les
intellectuels de pouvoir nous le répéter matin, midi et soir.
Pour, justement, qu'on ne l'oublie pas » 24.
24 HALIMI S., << L'art et la manière
d'ignorer la question des médias » in PINTO E., Pour une
analyse critique des médias. Le débat public en danger,
Editions du Croquant, Collection << Champ social »,
Bellecombe-en-Bauges, 2007, page 197.
Et la raison pour laquelle il ne faudrait pas l'oublier n'est pas
que préoccupation partisane. Deux éléments peuvent
à eux seuls justifier cet intérêt.
D'une part, comme l'explique Noam CHOMSKY, les médias
remplissent un << rôle crucial >>, celui de <<
permettre au public de contrôler le processus politique >>. Des
médias garants de la démocratie. Une démocratie qui
<< requiert le libre accès à l'information, aux
idées et aux opinions >> 25, et non une forme de
paternalisme.
D'autre part, comme le pense Philippe BENETON, <<
L'inexprimé tend à devenir l'impensé >>. Car en
effet, << Les idées sont vivantes, elles gagnent en consistance et
en clarté quand elles sont exprimées publiquement et font l'objet
de débats >>.
De là découle le problème que, quand
<< Les questions cessent d'être posées, elles cessent de se
poser >>. Que << La transmission ne se fait plus d'une
génération à l'autre >>. Que << L'opinant est
[alors] prisonnier d'un mode de pensée parce qu'il ne voit pas d'autre
mode de pensée possible >> 26, ce qui est tout de même un
fameux grain de sable dans la machine à démocratie.
Pas que préoccupation partisane, disions-nous. Un souci de
vitalité démocratique, plutôt.
Il est maintenant temps de nous pencher sur le principal argument
déployé par les journalistes pour justifier l'absence,
malgré tout, de l'Extrême-Gauche.
2.2. De la loi de la majorité
Nous venons de l'évoquer, la
représentativité est donc l'argument le plus souvent
avancé. Ceux qui sont rattachés à ce bord
idéologique recueilleraient trop peu de voix que pour qu'on les laisse
s'exprimer sans céder en même temps à une contreproductive
cacophonie.
25 ACHBAR M. & WINTONICK P., Manufacturing
consent. Noam Chomsky and the media, Necessary Illusions & The
National Film Board of Canada, Montréal/Ottawa, 1992, 167 minutes.
26 BENETON P., Les fers de l'opinion, Presses
Universitaires de France, Collection << Béhémoth >>,
Paris, 2000, pages 41-42.
Comme le dit Philippe WALKOWIAK (Rédacteur en chef
Intérieur à La Première, et auteur chaque matin
d'une chronique politique) : << L'Extrême-Gauche est marginale dans
la population, et les médias ne sont jamais que le reflet de la
population ». Pour lui, << Les partis d'ExtrêmeGauche sont
marginalisés dans les médias simplement parce qu'ils ne
constituent qu'une marge infime de l'électorat, et donc de
l'intérêt des auditeurs, des lecteurs des différents
médias » 27.
François DE BRIGODE (Présentateur du 19h30 de
La Une) abonde dans ce sens, ajoutant que << Il est impossible
d'interviewer tous les partis politiques. Sinon, imaginez-vous le nombre de
groupuscules qui devrait trouver place sur antenne » 28.
Christian CARPENTIER (Rédacteur en chef adjoint de
La Dernière Heure/Les Sports) n'en démord pas moins :
<< Est-ce qu'on a la possibilité de donner la parole à
20-30-40 ou 50 formations politiques, qui peuvent se présenter à
Gauche à Droite ? Non, absolument pas » 29.
2.2.1. De la déresponsabilisation journalistique
Quant à David COPPI (Journaliste politique au
Soir), il dit que << Comme elle [NDLR : L'Extrême-Gauche]
a peu d'existence électoralement - pour toute une série de
raisons qui sont propres à la situation en Belgique - on en parle
très très peu » 30.
Ici, relevons le << pour toute une série de
raisons qui sont propres à la Belgique »... On remarque une
déresponsabilisation journalistique, monnaie courante lorsqu'on aborde
avec les journalistes l'absence de l'Extrême-Gauche de leurs ondes, de
leurs colonnes, etc.
Déresponsabilisation qui peut parfois n'être juste
que de l'hypocrisie, comme c'est le cas ici avec Coppi (voir pour cela sa
vision de l'Extrême-Gauche, reprise ailleurs dans ce mémoire
31).
27 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, 17 mars 2009,
Bruxelles.
Sur le sujet << Petits et grands », on mettra en
perspective à l'aide des propos de Pierre EYBEN : << Le rapport
entre pognon dépensé par électeur conquis, on est beaucoup
plus efficaces » (Source : Entretien avec Pierre EYBEN,
1er avril 2009, Bruxelles).
28 Entretien avec François DE BRIGODE, 12 mars
2009, Bruxelles.
Dans un premier temps, François DE BRIGODE n'avait pas
souhaité nous rencontrer, nous redirigeant vers Simon-Pierre DE COSTER,
Directeur juridique de la RTBF. Ce n'est qu'une fois que cette personne refusa
à son tour de nous accorder un entretien que de Brigode accepta
finalement de nous recevoir.
29 Entretien avec Christian CARPENTIER, 24 mars 2009,
Bruxelles.
30 Entretien avec David COPPI, 5 mai 2009,
Bruxelles.
31 Dans les points 3.3.2.1 et 4.2.4.2, pour être
précis.
La Loi de la majorité relève d'ailleurs
aussi de ce principe de déresponsabilisati on, aux
côtés des << raisons propres à la
Belgique ». Ou bien encore, comme pour Francis
VANDEWOESTYNE : << Jamais quelqu'un de
l'Extrême- Gauche ne m'a appelé en disant
Je suis le Besancenot belge, l'Arlette Laguiller belge, le
Marchais belge » 32.
Bref, il
s'agit de rejeter la faute à tout prix. Les
exemples de cette déresponsabilisation pullulent
littéralement, et nous en avons repris quelques autres ailleurs dans le
mémoire.
Figure 1 33
Ceci étant dit, certains vont même plus loin
dans la Loi de la majorité, comme un Frédéric
CAUDERLIER (Animateur de L'invité de 7h50 sur
Bel RTL) : <<
Aujourd'hui, quelqu'un du PTB,
en quoi sa parole vaut- elle plus, finalement, que
quelqu'un que je prends au hasard dans la rue ?
32 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, 8
avril 2009, Bruxelles.
33 Dessin original de Tom GRIMONPREZ, plus
connu sous le pseudonyme de << Titom ».
En quoi peut-il plus alimenter le débat que le premier
passant venu ? » 34
2.2.2. De l'opportunité de la Loi de la
majorité
Ce raisonnement d'exposition médiatique proportionnelle
aux scores obtenus, ce << mythe du discours médiatique comme
simple reflet de l'opinion dominante » ou << expression la plus
libre du bon sens populaire » 35 nous semble boiteux pour au moins quatre
raisons.
Premièrement, la légitimité
démocratique se verrait << souvent réduite à la loi
de la majorité ». Pourtant, comme le souligne un Pierre-Yves
CHEREUL, << L'Histoire est pour partie le récit des errements des
masses populaires ».
Ainsi, << La même foule qui acclame Pétain
en avril 1944 à Paris, se presse sur les Champs-Elysées pour
applaudir le Gouvernement provisoire de la Résistance dirigé par
le Général de Gaulle, le 25 août suivant » 36.
Deuxièmement, l'Extrême-Gauche n'a pas
accès aux médias car elle n'a pas brillé aux
élections. Une sorte de punition, en somme. Elle n'est pas
représentative, du coup elle n'a pas droit à une tribune. Il n'y
a pas de classe de rattrapage organisée, afin qu'elle puisse rendre un
meilleur bulletin à l'occasion du prochain scrutin. Apparaît
là un cercle vicieux :
Les élections se jouent dans les médias. C'est
avec en tout cas cette idée en tête que Barack OBAMA avait, moins
d'une semaine avant l'élection présidentielle américaine
et pour 5 millions de dollars, acheté trente minutes consécutives
d'écran publicitaire 37.
34 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER,
18 mars 2009, Bruxelles.
35 GEUENS G., L'information sous contrôle.
Médias et pouvoir économique en Belgique, Labor, Collection
<< Liberté j'écris ton nom », Bruxelles, 2002, page
79.
36 CHEREUL P-Y., Les médias, la
manipulation des esprits, leurres et illusions, Lacour, Nîmes, 2006,
page 337.
37 ASSOCIATED PRESS, << Le spot publicitaire
d'Obama vu par 33 millions de téléspectateurs » in La
Libre Belgique, 31 octobre 2008,
http://www.lalibre.be, <<
Etats-Unis », consulté le 28 juillet 2009).
Précisons bien que nous ne voyons pas pour autant dans
l'exposition médiatique l'explication absolue aux scores
électoraux enregistrés par les partis. Ainsi, le <<
Modèle de Columbia » nous apprend que les caractéristiques
sociales (religion, classe sociale, lieu de résidence) sont
déterminantes. Une approche plus psychologique - << Modèle
Michigan » - viendra par la suite, élargissant encore la liste des
facteurs influençant le vote, incluant d'ailleurs les médias. Si
ces modèles ont perdu en puissance explicative avec les
décennies, il est intéressant de noter que, en 2007 encore, 68%
de l'électorat du PS n'était pas chrétien, contre 59%
d'électorat chrétien pour le CDH (Source : DELWIT P. &
VAN HAUTE E., Le vote des Belges. Bruxelles-Wallonie, 10 juin 2007,
Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 2008, page 31).
Plus près de chez nous, à considérer le
Nord du pays, pour Wahoub FAYOUMI (Journaliste à la RTBF anciennement en
charge des sujets de société pour le Journal
Télévisé), Jean-Marie DEDECKER << n'existe pas sans
le JT de VRT ou de VTM. C'est les médias qui ont contribué
à le créer, à le rendre si populaire ». Et se
demandant << Quelle est l'étendue des dégâts qu'ils
[NDLR : les médias] peuvent faire, mais quelle est l'étendue
aussi du bien », la journaliste répond que << Apparemment,
elle est quand même énorme » 38.
Stéphane ROSENBLATT (Directeur des programmes et de
l'information de RTL TVI) fait également le lien entre exposition
médiatique et scores électoraux, quand il dit que <<
L'ExtrêmeDroite a eu beaucoup de mal à exister
médiatiquement, et donc aussi auprès de l`opinion publique
» 39.
Les élections se jouent donc par l'entremise des
médias, et il faut avoir obtenu de bons scores pour y avoir
accès. Mais comment obtenir de bons scores sans les médias s'il
faut avoir obtenu de bons scores pour avoir accès aux médias ? En
deux mots : comment percer ? 40
Troisièmement, comment interpréter le fait que
l'économiste flamand Rudy AERNOUDT fut, lui, reçu à
maintes reprises cette saison (sept fois le dimanche midi, par exemple) ?
Souvent pour représenter << son » parti, LiDé. Un
parti qui n'avait encore aucun résultat électoral à son
actif.
Deux poids deux mesures, semble-t-il...Même si, pour un
Christian CARPENTIER : << On ne peut pas comparer Rudy AERNOUDT et le PTB
sur ce plan-là, ce n'est pas une démarche intellectuelle
honnête » 41.
Quatrièmement, et en cela nous faisons
déjà référence à notre point traitant de
l'analogie avec l'Extrême-Droite, pour nombre de journalistes l'absence
de l'Extrême-Gauche n'a rien à voir avec les scores qu'ils
font.
38 Entretien avec Wahoub FAYOUMI, 18 mars 2009,
Bruxelles.
39 Entretien avec Stéphane ROSENBLATT, 25 mars
2009, Bruxelles.
40Au sujet de ce cercle vicieux, Johanne MONTAY a
une sorte de blocage, postulant une liberté absolue de l'électeur
: << Le jour des élections, vous avez votre bulletin de vote, vous
voulez voter pour le président du PTB, vous faites exactement ce que
vous voulez, il y a personne qui vous dicte ce que vous voulez ou pouvez faire
». Et d'asséner : << La meilleure preuve, c'est qu'il y a des
sondages actuellement qui donnent des évolutions marquantes de certains
partis à Bruxelles » (Source : Entretien avec Johanne
MONTAY, 10 mars 2009, Bruxelles).
41 Entretien avec Christian CARPENTIER, Op.
Cit.
Pour sa part, sur Rudy AERNOUDT, Francis VANDEWOESTYNE avoue
que << Parfois, on est sourd à certaines idées. Là,
on est peut-être trop réceptif » (Source : Entretien
avec Francis VANDEWOESTYNE, Op. Cit.). Reste à expliquer
pourquoi les journalistes sont << sourds à certaines idées
», ce qu'on tentera de faire dans notre Titre IV.
Ainsi, pour Johanne MONTAY, ce bord politique pourrait faire
10% que ça ne changerait rien. << C'est principiel », selon
ses termes 42.
Quant à François DE BRIGODE, plus prudent que sa
consoeur, il déclare que << S'ils étaient à 10%, on
verrait si la question se pose ». Et il ajoute : << Avec un peu de
cynisme, je vous dirais que la question ne se posera pas » 43.
On reprendra aussi en passant cette réflexion de
Baudouin REMY, au sujet de Frédéric DAERDEN qui surcolla des
panneaux électoraux lors de la campagne pour les dernières
élections européennes.
Les faits sont relatés dans Le petit journal de la
campagne du 27 mai 2009, et au vu des justifications des militants de
Daerden Jr, le journaliste s'interroge : << Avec 50% des voix, ce serait
normal d'avoir la moitié des panneaux ? »
A notre tour de nous interroger, en regard de la sacro-sainte
Loi de la majorité : Pourquoi la même réflexion n'est-elle
pas applicable au niveau du partage du temps d'antenne ? Les journalistes
manqueraient-ils de capacité d'autocritique ? 44
On précisera que tous les journalistes que nous avons
rencontrés ne cautionnent pas cette idée de Loi de la
majorité.
C'est le cas de Bertrand HENNE (Animateur de Questions
publiques sur Matin Première), qui avance que <<
C'est la poule et l'oeuf : est-ce qu'on doit attendre qu'il y ait des scores
électoraux suffisamment représentatifs pour les faire rentrer
dans la vie médiatique comme les autres ? Ou est-ce qu'on doit les faire
rentrer en se disant qu'ils ont un rôle à jouer ? » Et il
avance même que << Les petits partis, on devrait un petit peu les
mettre plus à l'antenne. Faut qu'on fasse un effort, parce que sinon on
cache une partie de la vie démocratique » 45.
42 Entretien avec Johanne MONTAY, Op. Cit.
43 Entretien avec François DE BRIGODE, Op.
Cit.
44 Notons que Baudouin REMY n'a pas souhaité
nous rencontrer. Il précisa néanmoins, lors d'un échange
de courriels, que la question du mémoire aurait pu << se poser en
terme plus neutre ». A savoir : << L'Extrême-Gauche est-elle
significative ou marginalisée dans le paysage politique ? Avec quelle
suite dans les médias ? » Un élément qui semble
étayer une nouvelle fois notre argument de la
déresponsabilisation journalistique en la matière.
45 Entretien avec Bertrand HENNE, 27 mars 2009,
Bruxelles.
On le voit, cette Loi de la majorité, tant
mobilisée par les journalistes pour justifier l'absence de
l'Extrême-Gauche, ne résiste guère à l'analyse.
Venons-en maintenant au fait, c'est-à-dire à la
mesure proprement dite de la sousreprésentation médiatique de
l'Extrême-Gauche.
2.3. Les chiffres
2.3.1. << Je me souviens d'une interview en 1983
>>
Avant de nous lancer dans une analyse strictement
chiffrée, jalonnons la chose.
Nous avons demandé à Philippe WALKOWIAK s'il se
souvenait avoir déjà consacré une de ses chroniques
politiques, qu'il tient quotidiennement depuis 7 ans sur La
Première, à l'ExtrêmeGauche. Réponse de
l'intéressé : << J'ai dû en parler de manière
détournée, mais directement non, j'en ai pas fait >> 46.
Quant à Christian CARPENTIER, nous avons voulu voir
s'il se souvenait, à la faveur de ses quinze ans d'ancienneté, du
dernier article ou de la dernière manchette qu'il y avait eu dans son
journal au sujet de l'Extrême-Gauche. Il nous a répondu que :
<< La manchette, non, ça je n'en ai aucun souvenir. Article, non
>> 47.
Sept ans sans rien pour l'un, quinze ans sans rien chez
l'autre. Cela n'est cependant rien comparé à Francis
VANDEWOESTYNE : << Je me souviens d'une interview en 1983. Mais depuis
lors, il ne me semble pas que j'ai eu à en traiter. Ou alors de
manière marginale, au dos d'un papier, en disant N'oublions pas que,
aux élections, tel ou tel parti se présente également
>>
48.
Déclarations intéressantes s'il en est quand on
veut démontrer qu'il y a sous-représentation médiatique
chronique. Mais en la matière, une analyse un tant soit peu empirique
s'avérait nécessaire.
46 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op.
Cit.
47 Entretien avec Christian CARPENTIER, Op.
Cit.
48 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, Op.
Cit.
A noter que, une demi-semaine après notre entretien,
Francis VANDEWOESTYNE a écrit un article sur le PTB (<< Une taxe
de 2% sur les millionnaires >>) ...Coïncidence ou influence ?
Pour ce faire, nous proposons ci -dessous
quelques tableaux comptabilisant les invités à des
émissions politiques de la RTBF et de RTL-TVI.
Pour la chaine publique, il s'agit principalement de
Mise au point, présentée par Olivier
MAROY et Sacha DAOUT. Cette émission dominicale se
divise traditionnellement en trois parties : Points de vue,
Le débat et Le 7e jour.
Mais il s'agit également de
Petit journal de la campagne et de
Duel à la Une.
Pour la chaine privée, il s'agit là aussi
principalement d'un triptyque dominical, animé par Pascal
VREBOS 49 ...sans oublier le Talk élections de
Grégoy GOETHALS.
Figure 2
2.3.2. Une sur-représentation
Le premier tableau -
comme les tableaux suivants concernant les
émissions dominicales
été
construit à partir de données
collectées du 31 août 2008 au 28 juin 2009 inclus, soit 43
semaines de diffusion. Une saison complète, en somme.
Nous avons à chaque fois pris en compte les
invités pressentis et effectivement venus, mais
également ceux
pressentis dans un premier temps et finalement
remplacés, et ce dans un but d'augmenter les chances de
trouver trace de l'Extrême-Gauche.
49 L'invité détient,
pour l'année 2007, le record d'audience des émissions politiques.
Ainsi, le 28 janvier 2007, Pascal VREBOS obtint 41 d'audience, soit près
de 477.000 téléspectateurs. Et pour l'année 2008,
pareil en mieux, avec L'invité du 6 janvier 2008 (
d'Information sur les Médias,
http://www.cim.be,
« Télévision », consulté le 28 juillet 2009).
Notons que Pascal VREBOS n'a pas souhaité nous
rencontrer, finissant en fait par ne plus donner suite à nos
courriels.
Tableau 1
140 120 100 80 60 40 20 0
|
|
MR PS CDH Ecolo CDnV Open
VLD SP.A LDD RWF CDF LiDe MS Pro-Bruxsel PC PTB CAP
D'orazio LCR-PSL
|
On remarque de suite que le MR, le PS, le CDH et Ecolo se
taillent la part du lion quant à l'accès aux d
ébats du dimanche midi.
Ainsi, au niveau national, 426 des 491 invités
politiques de la saison provenaient de ces partis, soit un taux de
86.76%.
Si on prend en considération partis du Nord et du
Sud du pays, nous avons donc, sur nos antennes, plus de 8
6% de présence médiatique pour des partis
représentant, aux élections
50.
fédérales de 2007, seulement 34.40% de
l'électorat belge
En considérant seulement les partis francophones,
ce taux grimpe à 96.60%. En valeurs absolues, cela donne 426 des 441
homme
s politiques francophones invités sur l'ensemble
de la
saison provenant de ces quatre partis.
50 tats pour la Chambre et
Pour arriver à ce chiffre de 34.40% à
l'échelle du royaume, il s'agit de faire d'abord, par parti, la moyenne
entre les résul
les résultats pour le Sénat. Ensuite, il
faut additionner les quatre moyennes, à savoir 12.41% pour le MR, 10.55%
pour le PS, 5.98% pour le CDH -
et 5.46% pour Ecolo (Source :
PORTAIL FEDERAL, 10 juin 2007
élections Sénat et Chambre,
http://polling2007.belgium.be,
un site du Portail
fédéral, consulté le 28 juillet 2009).
-PS-CDH-
Invités MR
Ecolo
Invités d'autres partis
francophones
Tableau 2
Le décalage est certain, les «
petits
» partis ont une représentativité
médiatique bien inférieure
à leur représentativité
électorale.
2.3.3. Une sous-représentation
Electoralement parlant, l'Extrême-
Gauche francophone belge (les plus gros, que sont le
PC, le PTB et le CAP, du moins à considérer les
forces en présence en 2007) est 13.88 fois plus petite
en termes de voix que le Parti Socialiste.
On serait donc en droit d'attendre un invité
représentant l'Extrême-
Gauche pour, mettons, 14
invités représentant le PS. Et vu que nous avons
dénombré 115 invités PS sur la saison (RTBF et
RTL- TVI confondus), cela devrait donner normalement 8.29
invités d' Extrême-Gauche, disons 8. Si on se
limite au service public, en se disant que cela relève de sa
responsabilité que d'ouvrir le débat, le chiffre
d'invités PS tombe à 56 sur la saison. Et 56 divisé par
13.88, cela donne 4.03 invités d'Extrême- Gauche,
4 donc.
Or, sur l'ensemble de la saison, en 43 semaines de
débats, il y aura eu en tout et pour tout, les
-
deux chaines confondues, 5 invités
rattachés à l'Extrême Gauche. 5 au lieu de 8. Et sur la
RTBF, ce fut 2 au lieu de 4. Une sous-représentation,
donc.
2.3.3.1. Radio/Télé,
même combat ?
Voilà pour la télévision. Mais nous
avons aussi calculé ce qu'il en était à la radio, dans
la matinale de la RTBF
qu'est l'émission Matin
Première
. Du lundi au vendredi, Bertrand HENNE
y interviewe ceux qui font l'actualité,
majoritairement des hommes politiques.
Ici, les chiffres sont basés sur un recensement
allant du 2 janvier 2009 au 28 juin 2009 inclus
:
(soit 26 semaines d'émissions), et voici ce qu'il
en ressort
Tableau 3
On note qu'il n'y a pas de différence notable
ent
re le transistor et la petite lucarne, si ce
n'est qu'il n'y a que 14 partis représentés,
contre 17 dans les émissions dominicales. Et donc une
même conclusion : une exposition médiatique
écrasante dévolue aux quatre « grands ».
2.3.4. Une représentation oui, mais...
A la télévision comme à la radio, on
relève une certaine présence de l'Extrême-Gauche. Mais
cette présence est à tempérer fortement, et ce pour
plusieurs raisons.
Tout d'abord, il est à noter que l'exposition est des
plus concentrées. En effet, pour la RTBF comme pour RTL TVI, l'ensemble
des invités provient en réalité de deux émissions
diffusées toute deux le 17 mai 2009.
Sur le service public, l'émission en question
s'intitulait << Les petits partis dans la campagne », et les
invités furent, par ordre alphabétique : Jean-Marie BOURGEOIS
(CDF), Céline CAUDRON (PC-LCR-PSL-PH), Philippe DELSTANCHE
(Pro-Bruxsel), Francis BIESMANS (MS), Nadia MOSCUFO (PTB) et Nathalie
TRAMASURE-TOLLEBECK (RWF).
Quant à la chaine privée, il s'agissait de
<< Petits partis, quelles différences avec les Grands ? ». Et
en plateau, on retrouvait Pierre-Alexandre DE MAERE D'AERTRYCKE (CDF), Roberto
D'ORAZIO (CAP D'orazio), Pierre EYBEN (PC), Paul-Henry GENDEBIEN (RWF) et Raoul
HEDEBOUW (PTB), ainsi que des représentants des << grands »
partis : Michel DAERDEN, Christos DOULKERIDIS, Catherine FONCK et Pierre-Yves
JEHOLET.
Pour ce qui est de La Première, le 28 mai
2009, le Mouvement Socialiste, le Parti Communiste, le Parti du Travail de
Belgique, le parti Pro-Bruxsel et le Rassemblement WallonieFrance eurent
l'occasion de passer à l'antenne 51. Là aussi donc,
une seule et même émission.
Profitons-en pour soulever l'interrogation suivante : S'il n'y
avait pas eu d'élections cette année, les aurait-on
invités une seule fois, ces << petits » partis ?
Il n'y a pas eu d'élections en 2008, comme il n'y en aura
probablement pas en 2010... Faudra-t-il attendre 2011 pour revoir Céline
CAUDRON sur les plateaux de Reyers ?
51 Bertrand HENNE, le journaliste politique
intervieweur de Matin Première déplore ce dispositif, et
signifie son impuissance : << C'est une solution. C'était pas la
mienne. C'est un compromis. Si j'avais été seul à
décider, j'aurais fait un Matin première avec un jour
RWF, un jour PTB,... » Et il ajoute que << Un PTB et Rudy DEMOTTE
par exemple, pour moi c'est clairement un débat qui pourrait être
intéressant. En tout cas moi j'aimerais bien l'entendre ! Ca pourrait
s'imaginer. Un jour, peut être... » (Source : Entretien avec
Bertrand HENNE, Op. Cit.).
Autre élément relativisant la présence de
l'Extrême-Gauche : cette dernière s'est faite aux
côtés de nombre d'autres petites formations. Avec, en
conséquence, un temps de parole des plus limités.
Ainsi, chez Pascal VREBOS, il a fallu se partager en 11 (neuf
invités politiques et un scientifique, sans oublier l'animateur) les 53
minutes d'antenne, ce qui ne donnait même pas 5 minutes à
chacun.
Or, comme le dit Pierre BOURDIEU, << La limitation du
temps impose au discours des contraintes telles qu'il est peu probable que
quelque chose puisse se dire >> 52.
En outre, cet accès a été compensé
par une << double ration >> de partis traditionnels pendant
plusieurs semaines.
Sur RTL TVI, cela a commencé la semaine
précédant la venue des << petits >>, à savoir
le 10 mai 2009, et s'est poursuivi le 24 mai 2009, le 31 mai 2009 et le 21 juin
2009. Ces dimanchesmidi-là, au lieu d'un invité par <<
grand >> parti, ce furent donc deux invités par << grand
>> parti.
Ceci étant dit, il y a plus d'une émission
politique spéciale élections qui n'a pas permis aux <<
petits >> d'apparaitre.
Si on prend Duel à la Une par exemple, qui fut
diffusée sur la RTBF à partir du 11 mai 2009, et ce pendant 4
semaines (c'est-à-dire jusqu'à deux jours avant les
élections), on constate la distribution suivante :
52 BOURDIEU P., Sur la
télévision, Raisons d'agir, Paris, 1996, 33e
édition, page 13.
Tableau 4
9 8 7 6 5 4 3 2 1 0
|
|
PS MR CDH Ecolo
|
Et le constat est rigoureusement identique avec d'autres
émissions spéciales du service public, comme
Huis-Clos
ou bien Répondez @ leurs
questions.
Du côté de l'avenue Jacques Georgin, on
songera notamment à Face aux belges.
2.3.5. Démocratie 2.0
Sur Internet, le constat est relativement plus
satisfaisant pour les « petits », que ce soit avec la RTBF
ou avec RTL TVI.
Pour la RTBF tout d'abord, avec Le petit
journal de la campagne de Baudouin REMY.
En 20 émissions, soit 193 minutes et 7 secondes,
il y a ainsi eu 5 minutes et 50 secondes
consacrées à l'Extrême- Gauche, soit 3.02%
du temps total d'antenne.
30
25
20
15
10
0
5
Tableau 5
Extrême-Gauche Autres
partis
Quant à RTL TVI, le constat se veut encore
meilleur, puisqu'avec le Talk élections de
Grégory GOETHALS, qui fut diffusé à partir du 7
avril 2009 (avec, en complément, Les 4 semaines
, à dater du 4 mai 2009), on obtient un chiffre de 4.06%,
c'est- à-dire 5 invités sur un total de
123.
Tableau 6
Le centre de nos attentions, la << Famille
Extrême-Gauche >> a été représentée
dans cette émission par le Parti du Travail de Belgique (2
invités), le Comité pour une Autre Politique D'orazio (1
invité), la Ligue Communiste Révolutionnaire (1 invité) et
le Parti Communiste (1 invité).
Donc, un bilan Internet de meilleure facture tout de
même qu'avec les médias dans leur forme traditionnelle, au niveau
de la présence des petites listes, en ce compris présence de
l'ExtrêmeGauche.
Ceci étant, l'audience n'est pas comparable à ce
qu'il en est pour un Controverse ou autre : Moins de 15.000 vues pour
l'interview de Céline CAUDRON dans le Talk élections,
moins de 21.000 vues pour celle du très médiatique Julien
UYTTENDAELE dans la même émission...contre des chiffres tutoyant
le demi-million de téléspectateurs pour
L'invité.
En outre, nous verrons dans notre Titre III qu'un sérieux
biais vient tout balayer.
Comme le dit Jacques LE BOHEC, << Une manière
exclusivement comptable d'aborder le problème de la parole des acteurs
politiques ne dit rien par exemple du soutien implicite de certains
journalistes à une cause par le biais de reportages orientés, des
questions suggestives qu'ils posent >>. Mais aussi, et ce sera l'objet du
point 2.4 : << Des thèmes d'émission déformant les
vrais problèmes, de l'évitement de certains sujets >>
53.
53 LE BOHEC J., Elections et
télévision, Presses Universitaires de Grenoble, Collection
<< Communication, médias et sociétés >>,
Grenoble, 2007, page 72.
Figure 3 54
2.4. Des débats « vraiment faux »
Noam CHOMSKY est d'avis que <<
Les débats passionnés dans les grands
médias se situent dans le cadre des paramètres
implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points
de vue contraires » 55.
Mais retrouve-t- on cette idée dans la composition
de nos émissions politiques du dimanche midi, et si oui sous
quels traits exactement ?
54 Dessin original de Tom GRIMONPREZ.
55
MERMET D., << Noam Chomsky : Le lavage de cerveaux
en liberté » in Le Monde Diplomatique ,
août 2007, page 8.
2.4.1. La crise du capitalisme
Première illustration notable selon nous : les
débuts de la crise, à l'automne 2008. Ainsi, du mois de septembre
2008 au 7 décembre 2008, pas moins de 11 émissions du dimanche
midi comportaient dans leur titre le mot << crise >>. Sans oublier,
dans le même laps de temps, 7 émissions comportant le mot <<
Fortis >>. D'autres émissions aussi, avec là des mots comme
<< austérité >>, << krach >>, <<
sauver >>, ... 56 Le 26 octobre 2008, il y eut même un
Controverse au titre quelque peu racoleur : << Faut-il
brûler le capitalisme ? >>
Un titre qui touche évidemment aux thèses de
l'Extrême-Gauche. En effet, comme nous le précisions dans notre
définition de ce bord politique, baisse du pouvoir d'achat et crises
financières y sont appréhendées comme des
conséquences inhérentes au système de production
capitaliste.
Pourtant, tel un monstre de notre enfance dont il ne faudrait
pas prononcer le nom, l'ExtrêmeGauche ne fut pas conviée à
exprimer son point de vue sur le sujet 57. Pas plus là que
dans la bonne vingtaine d'autres émissions de l'automne
consacrées à la crise, à Fortis, etc.
Pis, les invités de ce numéro de
Controverse furent, outre le monde politique (représenté
par Jean-Michel JAVAUX, Charles MICHEL, Joëlle MILQUET et Philippe
MOUREAUX) : Hélène ALVEREZ (Dirigeante du Domaine de
Béronsart, haut lieu de << réunions et
évènements >> pours entreprises 58), le Vicomte
Etienne DAVIGNON (Ancien Commissaire européen et Ministre d'Etat, qu'on
aperçoit un peu partout depuis lors : Suez-Tractebel, SN
Brussels Airlines, Fortis, etc...mais aussi au Cercle de
Lorraine, cercle sur lequel nous nous pencherons plus loin), ou bien encore
Corentin DE SALLE (Directeur de l'Atlantis Institute, un think-tank
néoconservateur basé à Bruxelles). Des personnes toutes
disposées, on n'en doute pas, à << brûler le
capitalisme >>...
Si on voulait emprunter à la sociologie quelques mots,
on dirait que le << deep core >> (ici, le capitalisme) n'est en
réalité jamais remis en question. Mais il s'agit de faire
semblant, de faire << comme si >>... 59
56 Par la suite, il y aura encore 6 émissions
avec le mot << crise >> dans leur titre, et 9 émissions avec
le mot << Fortis >>.
57 Jamais invitée, ce qui n'a pas
empêché certains journalistes de tirer des conclusions toutes
autres : << Prompts à se mobiliser pour remettre en cause le
système financier et économique actuel >>, les <<
altermondialistes et autres contestataires >> sont << d'une
surprenante discrétion au moment même où les
évènements semblent leur donner raison >>. Et de conclure :
<< Tout cela est frileux, inconsistant >> (Source : HAVAUX
P., << Le Grand Soir n'est pas pour demain >> in Le
Vif/L'Express, 24 octobre 2008, << Belgique >>, page 22).
58 << Laissez-vous séduire par la poésie
d'un ancien moulin bercé par le murmure de la rivière,
idéal pour concilier détente, réflexion et
découverte du Condroz namurois dans un environnement naturel de toute
beauté. Soyez nos hôtes privilégiés ! >>,
peut-on ainsi lire sur la page d'accueil de leur site officiel (Source :
http://www.domainedeberonsart.be).
59 Sur des sujets il est vrai moins glissants que la
remise en cause du capitalisme, les médias ne manquent pourtant pas
d'inviter, de temps à autre, des << extrémistes
>>. Comme le 22 mars 2009 à Mise au point, lors d'un
débat intitulé << Benoît XVI, un pape
rétrograde ? >>. En effet, Stéphane
Deuxième illustration de débat <
débat est intitulé < Europe : primordiale ou
inutile DELVAUX, Isabelle DURANT, Jean
Soit les quatre têtes de liste à l'Europe des quatre
< tout disposés, on l'imagine, à défendre le <
Autre exemple remarquable encore, une semaine où le Budget
2009 fut mis à l'honneur. Nous sommes alors le 19 octobre 2008, et la
RTBF a
(MR), Jean-Marc NOLLET (Ecolo), Laurette ONKELINX (PS),
Melchior WATHELET (CDH), Claude ROLIN (Secrétaire général
CSC), Anne DEMELENNE (Secrétaire général FGTB) et enfin
Rudy THOMAES (Administrateur délégué FEB).
L'émission est intitulée
quid pour le pouvoir d'achat ? »
De son côté, RTL-TVI a choisi comme titre <
liste des invités : Sabine LARUELLE (MR), Jean
(PS), Melchior WATHELET (CDH), Anne DEMELENNE
Philippe DUCART (Porte-parole de
LEUSCHEL (Ancien chef économiste BBL) et Rudy THOMAES
(Administrateur délégué FEB).
...Six des neuf invités de la chaine privée
étaient
service public. Bien entendu, la ressemblance n'est pas si
frappante chaque semaine.
Cependant, ce sont souvent les mêmes sujets qui sont
traités en même temps dans le privé et
SEMINCKX fut alors, en sa qualité de porte-parole belge,
amené à défendre la vis
sur le public (en ce compris lorsqu'il s'agit de
faits divers),
et les mêmes invités qui reviennent
à longueur d'année (en ce compris quand ils ne
font pas autorité sur le sujet).
2.4.2. Des invités...permanents
La sur- représentation des quatre
<< grands
>> partis, c'est une chose. Mais à
l'intérieur même de
ces quatre << grands >> partis, il y a
sur-
représentation de certains membres. Ce sont les
invités
permanents.
Et dans le registre << invités
permanents >> 60 , le record est détenu par
Jean-Marc NOLLET, avec 23 apparitions le dimanche midi. Didier
REYNDERS se fait, lui,
coiffer au poteau par
Isabelle DURANT, avec 16 présences contre
17.
Tableau 7
25
20
15
10
0
5
En additionnant ces 12 invités permanents
61
, on obtient 32.38% du total des invités
politiques
du dimanche.
En retranchant la part des invités politiques du
Nord du pays, on arrive à même 36.05%. C'est-à-
dire qu'un bon tiers de la vie politique francophone
belge semble reposer sur une bonne dizaine de paires
d'épaules...
60 Pour Pierre BOURDIEU, << L'univers
des invités permanents est un monde clos d'interconnaissance qui
fonctionne dans une logique d'autorenforcement permanent >>
(Source :
BOURDIEU P., Sur la
télévision, Op. Cit., page 32).
61 On remarquera l'absence d'un seul
président des quatre << grands >> partis : Elio DI
RUPO.
On notera en outre que, pour ce qui est des
invités permanents du PS, on retrouve
Michel DAERDEN (réviseur d'entreprises dont le slogan
aux dernières élections, sur ses affiches, était
<< Tout le monde aime papa »), Jean-
Claude MARCOURT (conférencier au Cercle de
Lorraine,
cercle sur lequel nous nou
s pencherons dans notre Titre IV) et Laurette ONKELINX
(la construction de sa résidence secondaire à
Lasne, <<commune la plus riche du royaume », n'était
à l'époque pas passée inaperçue
62). Bref, un rose que l'o n qualifiera
volontiers de pâle.
Tableau 8
Invités permanents Autres
invités
Notons, dans le même ordre d'idée, que les
syndicats -
comme l'ensemble de la société
civile
-
n'échappent pas au processus des invités
permanents, puisque Anne DEMELENNE représenta 9 fois
sur 19 la FGTB, la palme des syndicalistes revenant de loin à Claude
ROLIN, présent 8 fois sur 9 pour le compte de la
CSC 63.
62 Une maison qu'on dit << de belle facture
»...Sans même parler de son ancien
domicile, dans le prisé quartier Montgomery, ou bien du
nouveau, dans << une maison bourgeoise avec jardinet
» de Schaerbeek (Source : FADOUL
K., << La fin du chantier de Lasne » in La
Dernière Heure/Les Sports, << Belgique, », 8-9 avril
2006, page 7.).
63 En
dépit d'une place de dauphin à
l'échelle nationale, le chiffre de la FGTB est plus élevé
e n raison de la médiatisation du << roman
Fortis », la SETCa (une des centrales de la FGTB)
étant le syndicat dominant dans cette entreprise.
Tableau 9
Claude Rolin
Autres syndicalistes
2.4.3. Ces faits qui font diversion
Des émissions de débats convenus,
disions-nous... « Vraiment faux », comme
disait Bourdieu. Et ce qui peut aussi y être rattaché, ce
sont tous ces num
éros qui furent consacrés soit
aux faits divers, soit au conflit
communautaire.
Evidemment, en sachant que l'Extrême-
Gauche ne reçut pas l'occasion de s'exprimer sur
la
éros.
crise, on ne sera évidemment pas surpris
d'apprendre qu'il en fut de même avec ces num Cependant, nous pensons que
cela demeure éclairant par rapport au fonctionnement du système
médiatique.
Pour se faire une idée, on se souviendra du 14
mars 2009 où,
au Journal Télévisé de
RTL TVI, Micheline THIENPONT introduit ce qui sera le
débat du lendemain midi, chez Pascal VREBOS : « Dans
Controverse , c'est un sujet sensible qui sera abordé :
faut-il réduire la dotation royale ? Les princes non-
héritiers devraient ils travailler ? » Comment
ça, « sensible ? »
2.4.3.1. Rubrique des chiens écrasés
On notera, avec intérêt, que le service public
n'échappe certainement pas à cette sorte de culte voué,
par les journalistes, aux << chiens écrasés ». Il
suffit pour s'en rendre compte d'allumer sa télévision.
Voici ainsi quelques titres de numéros de Mise au
point, cette saison : << Procès Adam G. : un verdict qui
divise », << Bébés vendus, bébés
tués : que faire ? », << Drame de Termonde : l'échec
des psys ? », << Mort de Jason : un drame évitable ? »,
<< Affaire Hissel : la presse dérape ? », etc.
Lors de l'émission radio InterMédias du
6 février 2009, numéro intitulé << Traitement des
faits divers par les médias », Jean-Pierre JACQMIN (Directeur de
l'information et des sports de la RTBF), évoquant une retransmission de
funérailles, confirma d'ailleurs le chemin emprunté : << On
se rend bien compte qu'on ne peut pas ne pas respecter la douleur des familles
qui demandent l'intimité ». << Mais en même temps
», dit Jacqmin, il faut << faire passer l'émotion », et
<< ne pas être les derniers à le faire ».
Le directeur de l'information continue sur sa lancée :
<< Vu de l'extérieur, on doit passer pour des vautours. L'est-on
vraiment, je ne le pense pas », même si << Le comportement
peut passer pour tel ». Alain GERLACHE demande alors à Jacqmin si
<< Le rituel de médiatisation fait partie du processus du deuil
», ce à quoi l'ancien journaliste politique répond :
<< Oui » 64.
Ce qui est encore le plus marquant, c'est le décalage
entre le poids qu'on accorde à ces faits divers (souvent
rebaptisés, pour l'occasion, << faits de société
» par les journalistes que nous avons interviewés), et d'autres
dossiers portés par la Gauche de Gauche, comme celui des
Sans-papiers.
Il y eut ainsi une seule émission consacrée
à ces Sans-papiers sur l'ensemble de la saison, RTBF et RTL TVI
confondus.
C'était le 31 août 2008, un Points de
vue (c'est-à-dire une quinzaine de minutes) intitulé
<< Faut-il régulariser les sans papiers ? », mettant
face-à-face un MR et une Ecolo (rajoutons la présence d'Annemie
TURTELBOOM, seule face à Pascal VREBOS, le 19 octobre 2008 dans
L'invité).
64 INTERMEDIAS,
http://www.intermedias.be,
<< A la radio », consulté le 28 juillet 2009.
Notons que Jean-Pierre JACQMIN n'a pas souhaité nous
rencontrer, contrairement à son homologue de RTL TVI, Stéphane
ROSENBLATT. Jacqmin annula à pas moins de quatre reprises le rendez-vous
programmé.
....Alors que donc, parallèlement à ça,
pendant cette même saison, on eut droit à nombre
d'émissions sur : Les procès Adam G. (septembre 2008) et
Geneviève LHERMITTE (décembre 2008), la tuerie à la
crèche de Termonde (janvier/février 2009), la mort de Jason (mars
2009), ou bien encore l'affaire Hissel (avril 2009).
Comme le dit Pierre BOURDIEU, << Les prestidigitateurs
ont un principe élémentaire qui consiste à attirer
l'attention sur autre chose que ce qu'ils font ». Et de comparer les
journalistes à ces magiciens qui cachent en montrant : << En
mettant l'accent sur les faits divers, en remplissant ce temps rare avec du
vide on écarte les informations pertinentes que devrait posséder
le citoyen pour exercer ses droits démocratiques » 65.
Noam CHOMSKY abonde dans le même sens : << Le but
de ces médias est d'abrutir les gens » en les amenant <<
à regarder le football, à s'en faire pour la mère d'un
enfant à six têtes. Les tenir à l'écart. A
l'écart de ce qui compte » 66. Brasser du vent pour
détourner l'orage, dirait encore un Serge HALIMI 67.
On rajoutera que << La mission du journaliste consiste
à rendre intéressant ce qui est important, pas important ce qui
est intéressant ». Concrètement, << Le destin de
l'Afrique est peutêtre moins intéressant que les conditions du
décès de la princesse de Galles, mais il est infiniment plus
important » 68.
François HEINDERYCKX ne dit pas autre chose, lui pour
qui il faut << briser l'antinomie construite et entretenue entre
qualité et plaisir, entre bénéfique et agréable
». Après tout, << Les aliments sains ne sont pas
forcément moins savoureux que la malbouffe » 69
Mais qu'en pensent les journalistes, au juste ?
Frédéric CAUDERLIER justifie cette inclinaison pour les <<
chiens écrasés » de la sorte : << Ce sont des
questions qui méritent vraiment qu'on s'y attarde, qui sont
fondamentales. Je n'appelle pas ça du fait divers ». Et d'aller
plus loin : << On peut estimer que telle problématique
traitée par l'Extrême-Gauche est plus
65 BOURDIEU P., Sur la
télévision, Op. Cit., pages 16-17.
66 ACHBAR M. & WINTONICK P., Op. Cit.
67 HALIMI S., Les nouveaux chiens de garde.
Nouvelle édition actualisée et augmentée, Raisons
d'agir, Paris, 2005, page 14.
68 Ibid., page 76.
69 HEINDERYCKX F., La malinformation. Plaidoyer
pour une refondation de l'information, Labor, Collection << Quartier
libre », Bruxelles, 2003, page 85.
fondamentale que le quintuple infanticide de Nivelles, c'est
une question de point de vue ». De se réfugier ensuite
derrière la Loi de la majorité : << Je veux bien qu'on
fasse un sondage, on verra la réponse ». Et de conclure, enfin, en
signifiant son incompréhension : << Je ne vois pas en quoi faire
écho de funérailles, c'est quelque chose pour faire diversion, ne
pas poser les vraies questions » 70.
Même son de cloche chez Stéphane ROSENBLATT, qui
contextualise : << On est une chaine qui investit de manière
disproportionnée - par rapport à d'autres chaines privées
- dans l'information par rapport au divertissement ». Et si l'homme
confesse que << Bien entendu, il y a de tout, une diversité
d'offres. On peut parler de choses sérieuses comme de moins
sérieuses », c'est pour mieux revenir à la charge : <<
On parle d'accidents de la route parce que ça fait partie du quotidien
de nos concitoyens ». Et de préciser que : << On est une
chaine qui s'est fixé deux objectifs : informer et divertir. Sans
complexe. On est pas là pour changer la perception de l'univers »
71.
Peut-être plus inquiétant, un discours similaire
est tenu par des responsables à la RTBF. Jacqmin bien sûr, mais
aussi Philippe WALKOWIAK : << Ce sont des faits de société,
des faits divers exceptionnels. Il ne faut pas tout mélanger. Ce n'est
pas parce qu'on parle de Geneviève LHERMITTE qu'on décide du coup
de ne pas parler du PTB. Ça ne se passe pas comme ça ». Et
il ajoute la nuance suivante : << Vous me dites qu'une mère qui
assassine cinq enfants, ce n'est pas important. Tout dépend comment on
le raconte. Si on fait du sensationnalisme comme d'autres peuvent le faire, je
suis assez d'accord avec vous. Mais ça apporte du sens sur le
fonctionnement d'une société » 72.
A noter que, évidemment, tous les journalistes n'ont pas
la même vision des choses.
Ainsi, pour Wahoub FAYOUMI, << Le travail au sein d'une
rédaction est toujours un tiraillement entre l'aspect (on doit avoir une
belle image, un beau son, quelque chose qui accroche, coup de poing,
émotionnel) et le fond de choses, les trucs intéressants ».
Et de faire le constat que << Il y a un bord qui gagne contre l'autre. Et
c'est souvent le bord médiatique, en tout cas pour l'instant »
73.
70 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER,
Op. Cit.
71 Entretien avec Stéphane ROSENBLATT, Op.
Cit.
72 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op.
Cit.
73 Entretien avec Wahoub FAYOUMI, Op. Cit.
D'une certaine manière, la guerre entre Flamingants et
Francophones peut également être assimilée à ce
processus où on << cache en montrant ». Voyons
plutôt...
2.4.3.2. La crise communautaire
Si l'Extrême-Gauche était invitée à
s'exprimer, elle renverrait aux vestiaires les sempiternels dossiers comme
<< BHV ». En effet, le PTB par exemple est un parti qui ne s'est pas
scindé en ailes linguistiques. Il estime ce débat futile, et sort
donc par la même occasion du << cadre des paramètres
implicites consentis ».
Les contours dudit cadre finissent, à la longue, par ne
plus être perçus comme tels. Ainsi, un François DE BRIGODE
dira, interrogé sur le sujet : << Je n'ai pas l'impression qu'on
perd du temps en parlant de la crise communautaire, puisque c'est quand
même parler de l'évolution institutionnelle du pays » 74.
Or, et c'est là le problème pour
l'Extrême-Gauche, c'est seulement << à l'intérieur de
ce cadre », au sein de cet << ensemble de postulats »,
qu'existe << un espace de débat » 75. La crise
communautaire est une perte de temps ? Vous recevoir sur nos plateaux aussi
!
Partant de là, on pourrait se demander si <<
palabre » ne serait pas un terme plus adéquat que <<
débat » pour les émissions du dimanche midi, la palabre
étant une << conversation interminable et souvent oiseuse »
76.
Quoi qu'il en soit, interrogée sur le rôle dans
sa marginalisation de la contradiction par l'Extrême-Gauche du discours
médiatique dominant (faits divers, crise communautaire), Johanne MONTAY
déclara : << On tombe dans la théorie du complot en pensant
que, nous, on aurait un intérêt à les éviter,
à les bannir pour des raisons qui nous arrangeraient ». Elle
renchérit : << A la limite, qu'est-ce qu'on s'en fiche de l'avis
du PTB sur l'avenir du pays en terme institutionnel. Quel poids ça a,
quelle importance ? » 77
74 Entretien avec François DE BRIGODE, Op.
Cit.
75 CHOMSKY N., << Les médias : une
analyse institutionnelle » in BRICMONT J. & FRANCK J.,
Chomsky, L'Herne, Paris, 2007, page 227.
76 BLUM C., Le Nouveau Littré,
édition 2005, Garnier, Paris, 2004, page 954.
77 Entretien avec Johanne MONTAY, Op. Cit.
On pourrait conclure ce chapitre sur l'embargo
médiatique en disant que ce dernier s'apparente à une censure,
mais que ladite censure s'exerce << non par interdiction de certains
discours, mais au contraire par la surexposition qu'elle confère
à d'autres discours ». Une surexposition qu'on a tenté de
mettre en évidence avec nos modestes tableaux, des tableaux montrant
donc une sur-représentation des quatre << grands » partis
(et, à l'intérieur de ces partis, une surexposition de
certains).
Cette censure << par excès » est <<
affirmation, en somme, plutôt que négation et, mieux encore,
affirmation d'une chose pour en nier une autre en s'allégeant de tout
soupçon de négativité » 78. Affirmation que la crise
communautaire est un point névralgique, que le capitalisme n'est pas
à brûler (pour reprendre les termes de Controverse),
etc.
Ceci étant, la sous-représentation n'est pas la
seule épine dans la rose médiatique. En réalité,
lorsque les médias laissent une place à l'Extrême-Gauche,
<< La disparité quantitative s'efface [alors] progressivement
devant la disparité qualitative ». Dit autrement, <<
D'invisibles, les petits candidats se transforment en candidats visibles mais
méprisés » 79.
Et c'est ce sur quoi nous allons maintenant nous pencher.
78 DURAND P., La censure invisible, Actes
Sud, Collection << Un endroit où aller », Arles, 2006, page
16.
79 REYMOND M. & RZEPSKI G., Tous les
médias sont-ils de Droite ? Du journalisme par temps d'élection
présidentielle, Syllepse, Collection << Acrimed »,
Paris, 2008, page 70.
III. UN BIAIS QUALITATIF
Il s'agit là d'un versant essentiel de notre
démonstration, puisque sans la prégnance d'un tel biais, on
pourrait affirmer que, certes, l'Extrême-Gauche fait l'objet d'une
sous-représentation médiatique, mais que, après tout,
c'est aussi le cas d'autres petites formations politiques. Des formations
n'ayant rien à voir avec les chatouilleux projets portés par
l'Extrême-Gauche. Exemple type : le Rassemblement Wallonie-France.
Mais il y a donc ce biais. Un biais que l'on ne retrouve pas -
à tout le moins certainement pas avec la même vigueur - quand les
journalistes en viennent à parler du RWF, nous verrons en quoi.
Evoquant les premières publications des militantes
éditions Raisons d'agir, Serge HALIMI constate cependant que
<< Le succès de vente de ces ouvrages a permis d'obliger les
médias à prendre en compte ce que nous disions, fut-ce pour le
tronquer, le banaliser ou le falsifier » 80.
De l'avis de Noam CHOMSKY, << En tant que dissident,
vous ne devriez pas vous étonner de voir tout cela [NDLR : un biais]
vous arriver. En fait, c'est un signe positif : cela signifie qu'on ne peut
plus vous ignorer » 81.
Le biais, une bonne chose ? Et qu'en est-il au juste :
Existe-t-il vraiment une disqualification médiatique des pensées
non orthodoxes, en l'occurrence de celles à la Gauche du PS ?
3.1. De l'opportunité d'un tel biais
Tout d'abord, ce biais est-il justifiable ?
Commençons par dire que, si on peut tout à fait
<< penser que les candidats définis comme petits sont
inégalement crédibles, voire inégalement
nécessaires à la vitalité démocratique »,
en
80 HALIMI S., << Raisons d'agir » in
HUITIEMES RECONTRES INA-SORBONNE (15 MARS 2003), Pierre Bourdieu et les
médias, L'Harmattan, Collection << Les médias en actes
», Paris, 2004, page 86.
81 CHOMSKY N., Comprendre le pouvoir.
L'indispensable de Chomsky. Deuxième mouvement, Aden, Collection
<< Petite bibliothèque », Bruxelles, 2006, page 187.
revanche << Il ne revient peut-être pas aux
journalistes de trancher cette question » 82.
Comme nous le disions déjà dans notre Titre I,
le problème est de savoir où placer, par la suite, la limite
entre les candidatures qui seraient << crédibles » et
<< nécessaires », et celles qui seraient farfelues et
inutiles.
En outre, pour le dire simplement, << les lignes ont
bougé ». Comme le remarque en effet François HEINDERYCKX,
<< Les grandes familles politiques subsistent, mais leurs
repositionnements successifs engendrent un paysage politique moins
contrasté ». Ainsi donc, << Partis et candidats de tous bords
se revendiquent toujours davantage du centre ou, ce qui revient au même,
en dehors de la mêlée et des polarisations classiques »
83.
En ce qui concerne plus particulièrement le PS, pour
Anne MORELLI il ne faut espérer y trouver << aucun discours de
Gauche ». Après tout, ce parti << n'a jamais remis en cause
l'économie de marché dérégulée ». Pis,
il << s'est engouffré dans le processus des privatisations
»
84.
Ce faisant, on peut se demander dans quelle mesure
l'Extrême-Gauche d'hier n'est pas devenue, par effet de glissement, la
Gauche d'aujourd'hui. Et si cela reste donc opportun de
décrédibiliser ce qui ne serait, au fond, que la Gauche. La
Gauche tout court.
Le PS, pas la Gauche ? A écouter nombre de journalistes
politiques éminents - en l'occurrence Christian CARPENTIER -, difficile
à croire : << La Gauche est caractérisée chez nous
par le PS et par Ecolo », l'Extrême-Gauche étant par ricochet
<< Les partis qui sont d'avantage encore positionnés à
Gauche qu'eux » 85.
Ainsi, on peut lire dans La Dernière Heure/Les
Sports que << Le PTB présente sa liste liégeoise et,
Gauche de la Gauche oblige, fustige les partis traditionnels ». Ou encore,
dans le même article : << Pour le Parti du travail de Belgique, le
message se veut direct, percutant et grand public, quitte à
égratigner les plus grands partis au pouvoir... et de Gauche »
86.
82 REYMOND M. & RZEPSKI G., Tous les
médias sont-ils de Droite ? Du journalisme par temps d'élection
présidentielle, Syllepse, Collection << Acrimed »,
Paris, 2008, page 89.
83 HEINDERYCKX F., La malinformation. Plaidoyer
pour une refondation de l'information, Labor, Collection << Quartier
libre », Bruxelles, 2003, page 42.
84 HAVAUX P., << Le Grand Soir n'est pas pour
demain » in Le Vif/L'Express, 24 octobre 2008, << Belgique
», page 22.
85 Entretien avec Christian CARPENTIER, 24 mars 2009,
Bruxelles.
86 BECHET M., << Le plus petit des grands »
in La Dernière Heure/Les Sports, 23 avril 2009,
http://www.dhnet.be, <<
Régions-Liège », consulté le 1er août 2009.
Du côté du service public, le 22 mars 2009,
Florence HURNER précise quant à elle : << Le PTB, qui se
situe très à Gauche sur l'échiquier politique ... >>
Suit alors un reportage sur un congrès du PTB s'étant
donné dans l'après-midi, reportage où on peut entendre
Pierre MAGOS faire le constat que le PTB << refuse l'étiquette
d'Extrême-Gauche, pour lui préférer celle de Gauche
radicale >> 87.
Citons encore, le 21 mai 2009, Hubert MESTREZ qui demande,
pour le compte du Petit journal de la campagne, à
Réginald DE POTESTA (Vélorution) : << On a un peu
l'impression que vous êtes à Ecolo ce que le PTB est au PS : vous
êtes encore plus vert que les Verts... >>
Pour une majorité de journalistes, au contraire du
monde académique dans sa globalité, les lignes n'auraient donc
pas bougé : le PS et Ecolo, c'est la Gauche. Et ce qui est plus à
Gauche que le PS et Ecolo, c'est la Gauche de la Gauche. C'est
l'Extrême-Gauche.
Mais venons-en maintenant au fait, c'est-à-dire à
la prégnance d'un biais.
3.2. Des débats « faussement vrais
»
Outre les << débats vraiment faux >>
(relatifs notamment aux invités permanents, qui furent abordés
dans notre Titre II), Pierre BOURDIEU distingue ce qu'il appelle les <<
débats faussement vrais >>.
Ces derniers possèdent << toutes les apparences
du débat démocratique >>, tout en recelant << une
série d'opérations de censure >>. Dans ces
dernières, le journaliste joue un rôle essentiel : C'est lui qui
<< distribue la parole >>, ainsi que - et c'est le cas qui nous
occupe dans notre Titre III - << les signes d'importance >>.
Ces signes peuvent être << les différentes
manières de dire merci >>, mais aussi << questionner sans
remettre en question >>, sans << sommation à comparaitre
>> (la différence entre expliquer et s'expliquer) 88.
Dit autrement, il y a le << temps de parole >> et, ici, le <<
ton de parole >> 89.
De ce << ton de parole >>, de cette condescendance
journalistique à l'égard de l'ExtrêmeGauche, les exemples
sont légion.
87 Journal parlé, édition de 18 heures,
RTBF, 22 mars 2009.
88 CARLES P., Enfin pris ?, Arrapèdes
& C-P Productions, Montpellier, 2002, 90 minutes.
89 BOURDIEU P., Sur la
télévision, Raisons d'agir, Paris, 1996, 33e
édition, pages 33-35.
En ce qui concerne la Belgique, on relèvera d'abord les
inévitables questions sur l'URSS. Exemple avec Controverse, le
17 mai 2009.
A un moment, Pierre EYBEN (Porte-parole du Parti Communiste)
décide de réagir à des petites phrases d'invités :
<< Je voudrais repartir de ce qui est dit, parce que je vois que c'est
évoqué directement : Mur de Berlin... >>
Il est alors interrompu par Pascal VREBOS, qui lâche que
<< Le PC a quand même une histoire, hein ! >> Et le
porte-parole de répondre : << Oui, une histoire qui est
précisément de s'opposer depuis plus d'un demi-siècle
à ce qui a été fait au nom du communisme >>. Eyben
enchaine : << Quand quelqu'un est libéral aujourd'hui, on va
rarement associer son libéralisme avec Pinochet, qui pourtant est un bel
exemple de quelqu'un qui a libéralisé un pays >> 90.
Dans le même ordre d'idées, dans la même
émission d'ailleurs, Raoul HEDEBOUW (Porte-parole du Parti du Travail de
Belgique) déclare : << Nous sommes un parti de Gauche. C'est
important quand même de rappeler que, chez les libéraux,...
>>
Il est alors, lui aussi, sèchement interrompu par
Pascal VREBOS, qui ressent le besoin de mettre les choses au net : <<
D'Extrême-Gauche ! >> Raoul HEDEBOUW rétorque : << Je
suis pas extrémiste, je suis de Gauche, tout simplement >> 91.
Même parti même chaine, mais le 2 juin 2009, dans
le Talk élections : Pierre ETIENNE (PTB) précise :
<< Je n'aime pas l'appellation Extrême-Gauche. Le PTB
représente vraiment la Gauche en Belgique, étant donné...
>> Grégory GOETHALS le coupe à son tour : << La
Gauche radicale ! >>
Rejeter l'héritage soviétique, rejeter
l'adjectif d'extrémiste. Outre le fait bien sûr que cela n'est pas
vendeur, pendant tout ce temps pourtant si chichement accordé, le
programme n'est du coup pas abordé. Et lorsque (si ?) il l'est enfin,
<< Les positions de ces candidats sont disqualifiées a priori
>> 92. Voyons voir en quoi...
90 Rajoutons que ça n'est pas parce que la
Corée du Nord se nomme << République populaire
démocratique de Corée >> qu'elle est une république,
ni qu'elle est populaire, ni qu'elle est démocratique.
91 Lors de cette émission, Raoul HEDEBOUW dit
préférer la dénomination << partis alternatifs
>>.
92 REYMOND M. & RZEPSKI G., Op. Cit.,
pages 86 & 88.
3.3. Le poids des mots
En guise d'ouverture du débat de Mise au Point
du 17 mai 2009, Sacha DAOUT lance : << Notre débat cette semaine
est consacré à ceux que l'on nomme - et c'est parfois un peu
péjoratif - les petits partis >>. Ce à quoi on serait
tenté de répondre : << Ah bon, parfois seulement ?
>>
Mais y-a-t-il, dans la lignée des perpétuelles
mises au point au sujet de l'URSS, un traitement particulier à
l'Extrême-Gauche ?
3.3.1. L'Extrême-Gauche, ces gens tournés vers
le passé
Selon Eric HAZAN, les médias (au même titre que
les politiciens d'ailleurs) ont << une prédilection pour les mots
les plus globalisants, immenses chapiteaux dressés dans le champ
sémantique et sous lesquels on n'y voit rien >>.
Ainsi, le totalitarisme, le fondamentalisme, la mondialisation
ou bien encore la modernisation sont autant de << notions molaires
>>, c'est-à-dire des notions << propres à en imposer
aux masses, par opposition aux outils moléculaires faits pour l'analyse
et la compréhension >> 93.
Et c'est sur la notion molaire de modernisation que nous
allons nous pencher ici, une notion qui nous est vendue tel << Un
processus indispensable pour éviter le déclin, l'entropie
menaçante >>. Elle serait menée << dans
l'intérêt de tous >>, et il n'y aurait donc << ni
raison ni moyen de s'y opposer >> 94.
3.3.1.1. « Economiquement dépassé
»
<< Moderniser la Gauche >> consisterait en
réalité à << étendre et radicaliser les
renoncements déjà anciens >>, ce qui déboucherait au
final sur une Gauche << à peine distincte de la Droite >>
95. Une rupture avec l'identité historique, en somme.
Lorsqu'on accole une habile étiquette << moderne
>> à la Gauche traditionnelle, l'ExtrêmeGauche hérite
de l'étiquette << archaïque >>, et de tout ce que cela
sous-entend de pas très vendeur, électoralement parlant.
93 HAZAN E., Lingua Quintae Respublicae. La
propagande du quotidien, Raisons d'agir, Paris, 2006, page 49.
94 Ibid., pages 61-62.
95 REYMOND M. & RZEPSKI G., Op. Cit.,
pages 108 & 113.
L'Extrême-Gauche en hérite non seulement de
façon automatique, puisqu'il s'agit d'un antonyme de << moderne
>> 96, mais aussi par l'entremise de tout un travail de sape.
Et ce travail de sape, les médias en sont, décidément, un
acteur des plus fondamentaux.
Exemple avec, encore une fois, ce fameux 17 mai 2009, chez
Pascal VREBOS. Le présentateur vedette requiert à un moment
l'expertise de Michel DAERDEN : << Pour vous, quelqu'un comme Monsieur
D'Orazio, il est ringard ou pas, point de vue Gauche ? >> Réponse
du ministre socialiste, armé de son plus beau sourire : << Je
pense qu'il est économiquement dépassé... >>
Vrebos n'en demande pas plus, et il passe sans attendre à
un autre sujet (sans donner un droit de réponse à Roberto
D'ORAZIO, présent en plateau) : << Attendez, je fais mon petit
tour... >>
Quant à Pierre EYBEN (PC), lorsqu'il passa au Talk
élections, l'intervieweur lui lança : << Vos valeurs,
ça fait partie d'une idéologie qui appartient un peu au
passé. On fête cette année les 20 ans de la chute du Mur de
Berlin ; Est-ce que ça a encore du sens, d'être communiste en 2009
? >>
Le plus << sympathique >> en la matière est
peut-être encore Francis VANDEWOESTYNE, pour qui, l'Extrême-Gauche,
<< Ce sont des doux rêveurs. Des gens un peu baba-cool >>
97.
96 Evoquer peut, pour Pierre BOURDIEU, <<
déclencher des sentiments forts >>, avec << une construction
sociale de la réalité capable d'exercer des effets sociaux de
mobilisation ou de démobilisation >> (Source : BOURDIEU P.,
Sur la télévision, Op. Cit., pages 20-21).
97 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, 8 avril 2009,
Bruxelles.
Figure 5 98
Un travail de sape, disions- nous.
C'est-à-dire quelque chose de pas vendeur
fonctionnant sur la répétition, étant
martelé. On peut parler de prosélytisme, de
<<prêtrise séculière », avec une
<< imposition permanente, insidieuse » d'un lexique commun.
Un lexique << qui produit, par imprégnation, une
véritable croyance » 99.
Et donc i -
ci, après l'héritage de l'URSS,
après l'attribut extrémiste, voici donc que l'Extrême
Gauche pagaierait dans le mauvais sens.
3.3.1.2. T.I.N.A.
Les << maîtres-tanceurs
» (une expression d'Henri MALER) ne manquent pas
de préciser que << Ceux qui expriment un
désaccord ne sont pas des ennemis ni même vraiment des
adversaires ». Simplement, << ce que leur niveau
Ils sont dans l'erreur parce qu'ils sont mal
informés ou par
intellectuel ne leur permet pas d'avoir une vue juste du
problème posé ». Par conséquent, << On
ne
» 100. Derrière, on a
saurait leur en vouloir d'avoir mal voté.
Simplement, on leur a mal expliqué
lignes de fractures.
l'idée d'une Cité unie, d'une
société sans
Titom ».
la résistance contre l'invasion
néolibérale , Raisons d'agir, Paris,
1998,
98 Dessin original de Tom GRIMONPREZ, plus
connu sous le pseudonyme de <<
12e édition, page 34.
99 BOURDIEU P., Contre-
feux. Propos pour servir à
100 HAZAN E., Op. Cit., page 109.
Et ce qui aurait été mal expliqué, c'est
donc que << S'opposer si peu que ce soit à la tempête
libérale est ringard >> 101. Qu'il existe un <<
cercle de la raison >>, auquel s'est ralliée la Gauche dite
pragmatique. Et que, << Sorti de ce consensus, il n'y aurait qu'aventure,
démagogie, populisme >>
102.
Il y aurait une sorte de marche inéluctable vers la
modernité, que certains auteurs, dont Noam CHOMSKY, définissent
comme le troisième totalitarisme, après le stalinisme et le
nazisme : T.I.N.A., les initiales pour << There Is No Alternative
>> (une expression empruntée à Margaret THATCHER, la Dame
de Fer).
3.3.1.3. Une Cité unie
Et si cela ne suffisait pas, que des gens étaient
toujours tentés par un vote à la Gauche de la Gauche, il s'agit
<< d'escamoter le conflit, de le rendre invisible et inaudible >>
103, afin de faire passer ce vote Extrême-Gauche pour
superflu.
Concrètement, << On ne dit plus le patronat, on dit
les forces vives de la nation ; on ne parle pas de débauchage, mais de
dégraissage, en utilisant une analogie sportive >> 104.
Il y a aussi les crises, ce << mot-masque >> venu
tout droit de la médecine ; La crise est en fait << Le bref moment
- quelques heures - où les signes de la maladie atteignent un pic,
après quoi le patient meurt ou guérit >>.
Le problème, c'est que << Parler de crise
à propos du logement, de l'emploi ou de l'éducation n'implique
pas que leurs problèmes vont être résolus à court
terme. Chacun sait qu'ils sont tout à fait chroniques >>.
Cependant, << L'évocation d'une crise contribue à calmer
les impatiences >>.
Toujours dans le registre des euphémismes
pacificateurs, dorénavant en lieu et place des << classes >>
sociales et de la lutte en découlant, on parle de << couches
sociales, d'une rassurante horizontalité >>, de << tranches
d'âge, de revenus et d'imposition >>, de <<
catégories,
101 REYMOND M. & RZEPSKI G., Op. Cit., page 105.
102 HALIMI S., Les nouveaux chiens de garde. Nouvelle
édition actualisée et augmentée, Raisons d'agir,
Paris, 2005, page 111.
103 HAZAN E., Op. Cit., page 14.
104 BOURDIEU P., Contre-feux. Propos pour servir à la
résistance contre l'invasion néolibérale, Op.
Cit., page 36.
socioprofessionnelles », etc 105.
3.3.1.4. Les clowns de service
Et si jamais tout cela ne suffisait pas encore, il
restera toujours la dérision.
Comme lorsque Pierre ETIENNE (PTB), rappeur du groupe
Starflam, appara
dans le Talk élections
. Grégory GOETHALS ouvre alors l'interview sur
un rap entre eux deux, et passe un tiers de ladite interview
avec une casquette vissée de travers sur la tête (en
précisant bien que l'idée vient de lui).
Du coup, interrogation
rhétorique : Goethals a-t-il
demandé, lorsqu'elle est venue dans la même
émission, à Florence REUTER de présenter les titres de
l'actualité du jour
? A Jean
MIGISHA de commenter les derniers résultats de
football
d'introduire un sujet ? Ou bien y aurait-il deux
poids deux mesures au niveau des candidats dits médiatiques ?
Figure 6
Le service public n'est, comme souvent, pas en reste.
Comme avec François DE BRIGODE qui, le 11 mars 2009,
commente quelques images où, une fois n'est pas coutume, on
peut voir le
105 HAZAN E., Op. Cit., pages 33 & 106.
président bolivien Evo MORALES mâcher une feuille
de coca devant les membres de la Commission des stupéfiants de l'ONU (il
souhaitait en effet retirer la coca de la liste des substances interdites) :
<< La feuille de coca - qu'il est toujours en train de mâcher -
n'est pas de la cocaïne a-t-il dit, elle n'est pas nocive ». Et le
présentateur de conclure : << Comme quoi, il peut aussi parler la
bouche pleine... » 106
Nous avons demandé à François DE BRIGODE
de << commenter son commentaire », lorsque nous l'avons
rencontré : << C'est un peu d'humour. Je n'ai pas l'impression de
m'être moqué de lui ». Et de juger que << Maintenant,
si l'Extrême-Gauche juge qu'on ne peut pas rire, j'y suis pour rien
» 107.
Dans le même sac, on peut aussi placer les interrogations
formulées sur le sérieux des candidatures des leaders
d'Extrême-Gauche.
Ainsi, le 12 mai 2009, Roberto D'ORAZIO passe sur le grill du
Talk élections. Et Goethals de lui demander : << Est-ce
que, en vous présentant à ces élections, c'est pas
plutôt pour passer un coup de gueule, plutôt que d'avoir un vrai
programme, des vraies idées ? »
Dans ce registre, on citera aussi Francis VANDEWOESTYNE :
<< Il faut être un peu professionnel quand on se lance en
politique. Les journalistes, c'est un milieu assez professionnel. Et donc, il y
a une manière de faire passer un message ». Et d'estimer que
<< Il ne faut pas uniquement aller poser une bombe, ou aller se balader
torse nu Avenue Louise. Il faut structurer ce message, prendre la peine de
rédiger un programme, des idées ». Et de finir,
désolé : << Si je voulais lancer un parti
d'Extrême-Gauche, on pourrait en cinq minutes trouver dix idées
phares, un peu choc » 108.
On en profitera pour songer également aux
prévisions de François BRABANT, pour le compte du
Vif/L'Express : << Raoul Hedebouw se fixe comme objectif
d'entrer au conseil communal de Liège en 2012. Cela obligerait le PTB
à recueillir au moins 3,5% des voix, et donc
106 Journal télévisé, édition de
19h30, RTBF, 11 mars 2009.
107 Entretien avec François DE BRIGODE, 12 mars 2009,
Bruxelles.
108 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, Op. Cit.
à doubler son score de 2006. Pas gagné... »
109 Autrement dit, trois ans avant le scrutin, le journaliste avance que, une
progression de 1.7%, ça n'est << pas gagné » 110.
Parallèlement à cela, chaque semaine de
campagne, on nous commente abondamment des sondages. Des sondages avec une
marge d'erreur double de ce 1.7%. Deux poids deux mesures, à nouveau
?
Travail de sape donc, par lequel l'Extrême-Gauche passe
pour archaïque, superflue, mal préparée, etc.
Face à ce tableau, comment l'électeur moyen
pourrait-il avoir envie de voter pour eux ? Si tant est qu'il soit au courant
de l'existence de ces listes, évidemment (rappelons-nous de notre Titre
II).
Mais le biais ne s'arrête pas là. Parfois, les
médias passent encore à la vitesse supérieure.
3.3.2. L'Extrême-Gauche, ces gens dangereux
3.3.2.1. Analogie avec l'Extrême-Droite
Il y a bien sûr d'abord ce perpétuel rapprochement
avec l'Extrême-Droite. Par l'emploi d'un même adjectif,
inévitablement, mais pas uniquement.
On aura, en la matière, en premier lieu envie de citer
cet article du Soir consacré aux petites formations politiques,
article où le PTB << apparaît comme le seul parti de la
Gauche radicale doté d'une certaine consistance et susceptible de capter
les votes de protestation habituellement récoltés par
l'Extrême-Droite » 111.
109 BRABANT F., << Raoul Hedebouw : Besancenot belge ou
Dedecker de Gauche ? » in Le Vif/L'Express, 1-7 mai 2009,
<< Belgique », page 20. Notons que François BRABANT n'a pas
souhaité nous rencontrer. Il précisa néanmoins, lors d'un
échange de courriels, que : << Mes rédacteurs en chef ne
m'ont jamais proposé d'écrire sur l'Extrême-Gauche, et je
ne l'ai moi-même pas proposé non plus. Mais je ne pense pas qu'il
faut y voir une stratégie de marginalisation, plutôt un
désintérêt en général vis-à-vis des
petites partis (hormis le cas spécifique de LiDé et de Rudy
AERNOUDT) ».
110 Pour la petite histoire, le PTB est devenu, à
l'occasion des élections du mois de juin 2009, le cinquième parti
de la circonscription de Liège, avec 2.60%. Et vu que c'est aux
élections communales que le PTB a pris pour habitude d'obtenir ses
meilleurs résultats, les 3.5% semblent en bonne voie, n'en
déplaise à François BRABANT.
111 DANZE H. & VANDEMEULEBROUCKE M., << Les
électrons libres de la politique » in Le Soir, 6 juin
2007, << Belgique », page 6.
En fait, nombre de journalistes hauts placés pratiquent
volontiers cette analogie. Il en va ainsi de Johanne MONTAY, qui se demande ce
qui << permettrait de dire que l'Extrême-Gauche est plus
sympathique que l'Extrême-Droite, de dire qu'il y a une bonne et une
mauvaise extrême ».
Pour la nouvelle rédactrice en chef, l'accès de
l'Extrême-Gauche aux médias est une question de << balises
par rapport aux défenses des principes démocratiques ». En
effet, dit-elle, << Si vous mettez ces balises par rapport à
l'Extrême-Droite, ce que je trouve parfaitement normal et sain, il faut
les mettre aussi par rapport à l'Extrême-Gauche. Parce que la
défense de la violence pour arriver à des fins de bien social, ce
n'est pas un principe défendable, pas un principe démocratique
» 112.
Quant à Frédéric CAUDERLIER, c'est ainsi
qu'il voit les choses : << Les partis d'ExtrêmeGauche, comme ceux
d'Extrême-Droite, ne connaissent pas le consensus. Ils défendent
des propos qui vont contre l'Etat de droit, le principe de la liberté
individuelle, la propriété individuelle, qui sont des concepts
fondamentaux dans une démocratie » 113.
Pour David COPPI, << Le PTB est en définitive
aussi dangereux que l'Extrême-Droite ». Et donc, << Bien
sûr il faut un traitement équilibré, mais ce sont [NDLR :
Pas juste le PTB] des formations totalitaires ». Or, <<
Jusqu'à quel point faut-il donner la parole à des formations
totalitaires ? »
Mais le journaliste ne s'arrête pas là, estimant
que << En terme de finalité idéologique, c'est un parti
[NDLR : Le PTB] éminemment totalitaire. Dictatorial et rien de plus,
malheureusement ». Et d'enfoncer le clou : <<
L'Extrême-Gauche, c'est le camp des travailleurs dans son engagement
militant, mais les travailleurs dans les camps dans sa finalité. Ils
détestent qu'on dise ça, mais c'est comme ça »
114.
112 Entretien avec Johanne MONTAY, 10 mars 2009, Bruxelles.
Sur le sujet, on aura envie de mettre en perspective à
l'aide de Raoul HEDEBOUW, Porte-parole du PTB : << Si, aujourd'hui, on a
une sécurité sociale, c'est parce qu'il y a eu des mouvements qui
ont dépassé le cadre du petit ballon blanc. On aurait pas la
journée des huit heures, on aurait pas le suffrage universel, plein de
nos droits élémentaires on les aurait pas si y avait pas eu un
rapport de forces un tant soit peu extra parlementaire » (Source :
Entretien avec Raoul HEDEBOUW, 13 mars 2009, Liège).
113 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, 18 mars
2009, Bruxelles.
114 Entretien avec David COPPI, 5 mai 2009, Bruxelles.
3.3.2.2. L'Extrême-Gauche, ces populistes...
Et si pas d'analogie avec l'Extrême-Droite, on dira
très volontiers que l'Extrême-Gauche est populiste.
Comme au Vif/L'Express, avec François BRABANT
: << Le discours mesuré de Raoul Hedebouw cache-t-il quelque chose
? » Mais encore : << Le parler simple de Raoul Hedebouw, ses
critiques contre le cirque politique rappellent furieusement le style populiste
de Jean-Marie Dedecker » 115.
Pierre HAVAUX, également pour le compte du
Vif/L'Express, passe lui le PTB au crible, un parti qu'il dit <<
volontiers populiste à la sauce marxiste ». En fait, le mot
<< populiste » revient excessivement souvent dans son article :
<< La consigne électorale : Stop au cirque politique
[est] foncièrement populiste, fort peu marxiste », etc.
Havaux accuse au passage le PTB de dissimulation : << Le
rassemblement électoral [NDLR : sur le campus de la VUB, le 22 mars
2009] compte d'autres grands absents. Marx, Engels et Lénine restent
invisibles. Ni marteau ni faucille. Comme si la Gauche radicale, pour se faire
plus séduisante, mettait son core business en veilleuse » 116.
Des populistes qui, c'est le pompon, << cachent quelque
chose », dissimulent. Mais ce n'est pas tout :
3.3.2.3. Des travailleurs sous influence
Le noyautage du syndicalisme par l'Extrême-Gauche est
également montré du doigt.
Ainsi, encore et toujours dans les pages du très
sérieux Vif/L'Express, on peut lire que << Le Parti du
travail de Belgique veut se débarrasser de ses oripeaux sectaires et
antidémocratiques ». Et la journaliste Marie-Cécile ROYEN de
s'interroger : << Vrai mue ou faux nez ? »
Elle y répond d'elle-même plus loin : <<
Dans les entreprises et les syndicats, l'influence occulte du PTB est
redoutée ». Mais aussi : << Les services de police et de
renseignement
115 BRABANT F., Op. Cit.
116 HAVAUX P., << L'Extrême-Gauche met Marx en
sourdine » in Le Vif/L'Express, 1-7 mai 2009, << Belgique
», pages 18-20.
observent, depuis des décennies, les tentatives de
manipulation et d'infiltration des mouvements sociaux par des
éléments du PTB » 117.
Extrême-Droite, populisme, noyautage syndical... Mais
ça n'est pas tout : que serait l'Extrême-Gauche, après
tout, sans l'usage de la violence ?
3.3.2.4. L'Extrême-Gauche et la violence
Le 14 avril 2009, Céline CAUDRON (LCR-PSL) est
reçue sur le plateau du Talk élections de Grégory
GOETHALS.
Le journaliste de RTL TVI lui demanda, entre autres : <<
Donc, vous êtes révolutionnaire. Et la révolution, quoi,
vous allez sortir dans les rues, brûler des voitures ? » Face
à la réponse de Caudron, il rajoute, souriant : << Cela
dit, pour le moment, vous n'avez pas cassé de vitres ici à
Bruxelles, tout va bien, c'est pas encore à l'ordre du jour... »
118
Près d'un mois plus tard, le 11 Mai, c'est au tour de
Pierre EYBEN (PC) de passer sur le plateau de Goethals.
A nouveau, petit florilège : << C'est quoi votre
projet pour la Wallonie, c'est nationaliser tout ce qui reste encore comme
industries ? » Sur le sujet, le journaliste insiste : << Imaginons
que le Parti Communiste ait la majorité absolue en Région
wallonne, vous n'allez pas nationaliser toutes les entreprises ? Vous laissez
les entreprises privées quand même travailler et faire ce qu'elles
veulent ? »
N'omettons pas non plus de toucher un mot sur l'association au
terrorisme.
Exemple à nos yeux emblématique : à
l'automne 2008, en France, un gros tapage médiatique a lieu autour d'une
série de sabotages (quatre, en fait) de caténaires, sabotages
dont on disait
117 ROYEN M-C., << Le PTB sort de l'ombre » in Le
Vif/L'Express, 4 mars 2008,
http://www.levif.be, << Belgique
», consulté le 1er août 2009. Notons que
Marie-Cécile ROYEN n'a pas souhaité nous rencontrer, <<
faute de temps » (alors que nous l'avions contactée au tout
début du mois de décembre 2008).
118 En conclusion de l'interview, Goethals a même
l'occasion de montrer à quel point il maitrise son sujet : << Je
rappelle donc que vous êtes tête de liste pour les élections
européennes, tête de liste LCR-PS...L, c'est juste ? »
qu'ils avaient été commis par un groupuscule
d'Ultra-Gauche 119.
Coupables ou innocents, toute la question est plutôt de
savoir pourquoi un tel déploiement de force sachant que, selon le
journaliste Benoît DUQUESNE, << En 2007, il y a eu 27.000 actes de
vandalisme ou de sabotage sur 34.000 km de voies à la SNCF,
c'est-à-dire 74 incidents par jour >>
120.
Mais revenons chez nous... A en croire La Libre
Belgique, << Pour l'Extrême-Gauche, le mécontentement
anti-américain exprimé à l'occasion de la guerre contre
l'Irak est devenu un fonds de commerce à exploiter sans vergogne
>>. Et ce << quitte à revisiter l'histoire de façon
révisionniste (et minimiser le rôle des Etats-Unis lors de la
Seconde Guerre mondiale) >> 121, en en venant à
comparer George W. BUSH à Adolf HITLER. << Sans vergogne >>
mais surtout << Révisionnisme >>, le mot est
lâché.
La Libre Belgique, toujours sous la plume d'Olivier
MOUTON, ne s'arrête pas là. Pour le journaliste,
l'Extrême-Gauche entretiendrait en outre << des positions
équivoques à l'égard du terrorisme islamiste >>
122. Equivoques ? Ce qui est équivoque, ne serait-ce pas
l'emploi, plus haut, du terme << révisionniste >> ?
Bref, le biais est assez prégnant, et des gens comme
Stéphane ROSENBLATT le confessent d'ailleurs d'eux-mêmes :
<< La perception ne doit sans doute pas être flatteuse au travers
des médias, c'est vrai >>. Mais d'après lui, et cela
renforce le présent point sur l'association à la violence,
<< Parce qu'il y a le côté participation à des
mouvements radicaux, à des manifestations qui peuvent mener à des
débordements violents >>. Et d'ajouter que <<
L'Extrême-Gauche assume de participer à l'ensemble de ces
mouvements >>.
Et si l'homme confesse que << Les occasions durant
lesquelles on est amené à en parler [NDLR : De
l'Extrême-Gauche] ne sont pas celles qu'ils attendent, sans doute oui
>>, il précise bien, touchant à la question du
Mémoire (question à laquelle nous tenterons de répondre
dans notre Titre IV), que << RTL n'a pas d'agenda qui viserait à
discréditer l'Extrême-Gauche >> 123.
119 RIZET D. & ZEMOURI A., << SNCF : le retour de
l'Ultra-Gauche activiste >> in Le Figaro, 14 novembre 2008,
http://www.lefigaro.fr, << Le
Figaro Magazine >>, consulté le 1er août 2009.
120 LALLEMANT Philippe, << Sabotage, révolte,
défiance. Quand la France voit rouge ! >> in Complément
d'enquête, France 2, 1er décembre 2008.
121 MOUTON O., << L'opposition à la guerre contre
l'Irak, un vivier pour l'Extrême-Gauche >> in La Libre
Belgique, 15 Mai 2003, << Monde >>, page 11. C'est nous qui
soulignons.
122 Ibidem.
123 Entretien avec Stéphane ROSENBLATT, 25 mars 2009,
Bruxelles.
De nouveau, face à un tel tableau, comment
l'électeur lambda pourrait-il être tenté par un vote
à l'Extrême-Gauche ?
Comme le dit Wahoub FAYOUMI : << Dire PTB, c'est
très connoté. On n'écoute plus après, on ne regarde
plus après. Les propositions, on ne s'y intéresse pas »
124.
Au passage, on relèvera cette confession de Raoul
HEDEBOUW, qui rencontra un journaliste de La Libre Belgique, à
l'occasion d'une affaire d'écoutes téléphoniques dont il
fut l'objet.
Le journaliste, Roland PLANCHAR, lui confia que << Il
s'occupait à La Libre de tout ce qui était sectes,
extrémisme, terrorisme, et tout et tout. .et PTB » 125.
Autrement dit, ce n'était pas le service politique qui était
chargé de parler du PTB. .un parti politique.
124 Entretien avec Wahoub FAYOUMI, 18 mars 2009, Bruxelles.
125 Entretien avec Raoul HEDEBOUW, Op. Cit.
Figure 7
Récapitulons sommairement : Dans notre
Titre II, nous avons vu qu'il y avait une sous représentation de
l'Extrême- Gauche comme d'autres petits partis,
démontrant au passage l'argument du poids électoral
était bancal. Et dans notre Titre III, nous avons
constaté que la sous-représentation se doublait d'un
biais. Ce biais, on ne le retrouve pas lorsque les médias
parlent d'autres petits partis (analogie avec
l'Extrême-Droite et héritage soviétique, pour ne
citer que ça). Il y a donc une marginalisation de
l'Extrême-Gauche francophone belge dans les médias
francophones belges.
Maintenant, il s'agit d'avancer des piste s
à même d'expliquer pourquoi ladite marginalisation existe.
Et c'est l'objet de notre Titre IV.
126 Dessin original de Tom GRIMONPREZ.
IV. LE « POURQUOI >> DU « COMMENT
>>
Dans les deux précédents chapitres (Titres II et
III), nous avons dressé le constat de la marginalisation
médiatique de l'Extrême-Gauche. Une marginalisation opérant
par l'entremise d'une sous-représentation et d'un biais qualitatif.
Il nous reste à voir, dans le cadre de notre plan, si
ces actes de marginalisation sont << combinés >> en vue de
<< l'atteinte d'un objectif >>, auquel cas on pourra,
conformément à la définition retenue dans notre Titre I,
parler de stratégie. De stratégie de marginalisation.
Mais avant de nous lancer dans l'exploration de pistes
explicatives, du << pourquoi >> ce << comment >>
existe, prenons-le temps de nous attarder sur les critiques formulées
à l'encontre des personnes opérant la même démarche
que la nôtre.
4.1. Quand les médias critiquent la critique des
médias
De l'avis de François HEINDERYCKX, les associations de
consommateurs font office de << recadrage souvent salutaire pour
permettre au consommateur d'extraire l'information pertinente de l'écrin
formel dans lequel la communication tend à la diluer >>
127. Il pense par ailleurs que la démarche pourrait
être étendue aux médias.
Dans les faits, de tels observatoires des médias font
l'objet d'une rare condescendance et virulence, de la part du << haut
clergé médiatique >> 128. Comme si <<
l'info sur l'info >> était taboue. Comme si on ne pouvait pas
défier, mais uniquement déifier.
Cette imperméabilité aux critiques est-elle
simplement le plus petit dénominateur commun entre les professions,
à savoir un réflexe corporatiste ? Ou bien, pour reprendre
à notre compte
127 HEINDERYCKX F., La malinformation. Plaidoyer pour une
refondation de l'information, Labor, Collection << Quartier libre
>>, Bruxelles, 2003, page 35.
128 Selon une expression de Patrick CHAMPAGNE, que l'on peut
retrouver dans : HUITIEMES RECONTRES INA-SORBONNE (15 MARS 2003), Pierre
Bourdieu et les médias, L'Harmattan, Collection << Les
médias en actes >>, Paris, 2004, page 51.
une expression fort usitée, tout cela est-il << plus
compliqué que ça >> ? 129 Mais tout d'abord, cette critique
de la critique existe-t-elle ?
4.1.1. De la prégnance d'une telle critique
Robert MENARD, Secrétaire général de
Reporters Sans Frontières à l'époque des dernières
Olympiades, déclara un jour vouloir << répondre à ce
poujadisme-là >> [NDLR : la critique des médias]. Car en
effet, disait-il, << Nous sommes quand même et de plus en plus dans
une culture de la complexité ! >> Or, << La critique
altermondialiste et bourdieusienne des médias n'offre qu'une vision
néomarxiste qui ne rend jamais compte de la nature et de la
réalité du travail médiatique >> 130.
Outre l'ignorance du travail abattu par un Alain ACCARDO avec ses
Journalistes précaires, journalistes au quotidien, on
relèvera surtout l'emploi du terme << poujadisme >>.
Plus largement, les qualificatifs dont ont déjà
été affublés ces empêcheurs de tourner en rond sont
légions : << Détestation bavarde du journalisme >>,
<< Populisme crypto-lepéniste >>, << Simplisme
lourdingue >>, << Nostalgie des idées simples >>, etc
131.
A noter que la presse satirique n'est certainement pas en
reste niveau virulence. Ainsi, pour Caroline FOUREST, << La haine des
médias et du système médiatique semblent devoir jouer le
même rôle que la haine du lobby judéo-maçonnique, la
focalisation sur l'immigration, ... >> 132.
On citera encore Philippe VAL : << Tout ce qui hait la
démocratie nourrit également une haine basique des médias
>>133.
129 L'interrogation posée ici sera présente en
filigrane tout au long de ce Titre IV.
130 MALER H., << Une déclaration d'amour
bidonnée de Robert Ménard et Cie >> in
Acrimed, 15 avril 2008,
http://www.acrimed.org, Article
2871, consulté le 4 août 2009.
131 Pour les auteurs de ces appellations, on consultera : HALIMI
S., << Raisons d'agir >> in HUITIEMES RECONTRES INA-SORBONNE (15
MARS 2003), Op. Cit., page 88.
132 MALER H., << Caroline Fourest, une
critique-pas-haineuse de la critique des médias >> in
Acrimed, 11 février 2009,
http://www.acrimed.org, Article
3072, consulté le 4 août 2009.
133 MALER H., << Philippe Val sur France Inter :
un récital de mensonges et de calomnies contre Chomsky >> in
Acrimed, 17 septembre 2007,
http://www.acrimed.org, Article
2705, consulté le 4 août 2009.
Bref, cette critique de la critique existe. Mais est-elle
légitime ? C'est ce que nous allons maintenant tenter de voir...
4.1.2. De l'opportunité d'une critique de la
critique
Il ne serait tout d'abord pas complètement inutile de
<< s'interroger sur l'honnêteté intellectuelle » de ces
critiques. Un peu comme si un souteneur s'exprimait sur le sexisme, nous dit
Serge HALIMI 134.
Ensuite, et selon Pierre BOURDIEU, les journalistes tendraient
à faire passer un simple << travail d'énonciation »
pour un vil << travail de dénonciation » 135.
Enonciation du fait que << Le journalisme
désintéressé est une position presque impossible, en tout
cas intenable de manière durable ». Intenable car la profession est
un << espace de lutte à l'intersection de trois champs ayant des
principes de légitimité différents : le champ politique,
économique et professionnel (ou intellectuel) ». Et ce serait
pourquoi << L'autonomie journalistique est une fausse autonomie »,
n'étant donc que << la résultante incertaine et toujours
instable de ces différents principes de légitimité en
lutte » 136.
N'y aurait-il pas de place pour la déontologique
<< volonté de mettre à la disposition du plus grand nombre
de citoyens un outil informationnel leur permettant de saisir les rouages du
fonctionnement de nos sociétés démocratiques » 137
?
Apparemment non... Comme l'analyse Halimi, et comme nous le
verrons tout au long de ce Titre IV, << Coincé entre son
propriétaire, son rédacteur en chef, son audimat, sa
précarité, sa concurrence et ses complicités
croisées, le journaliste de base n'a plus guère d'autonomie
» 138.
134 HALIMI S., << L'art et la manière d'ignorer la
question des médias » in PINTO E., Pour une analyse critique des
médias. Le débat public en danger, Editions du Croquant,
Collection << Champ social », Bellecombe-en-Bauges, 2007, page
208.
135 L'HOTE G., << Sur la télévision » in
Recherches au Collège de France, CNRS Audiovisuel &
Collège de France, Meudon, 1996, 50 minutes.
136 CHAMPAGNE P., << L'étude des médias et
l'apport de la notion de champ » in PINTO E., Op. Cit., pages
51-52.
137 GILLARD P., << Tous pouvoirs confondus. Notes de
lecture de l'ouvrage éponyme de Geoffrey Geuens », 19 janvier 2004,
mis en ligne sur
http://www.tropismes.com, section
<< Nouvelles », consulté le 4 août 2009.
138 HALIMI S., Les nouveaux chiens de garde. Nouvelle
édition actualisée et augmentée, Raisons d'agir,
Paris, 2005, page 13.
Mais comme au sujet des lignes de front idéologiques que
nous évoquions dans notre Titre III, les journalistes semblent avoir,
là aussi, une vision toute autre.
Il est grand temps maintenant d'entrer dans le vif du sujet, avec
une première piste - et non des moindres - à même
d'expliquer la marginalisation médiatique de l'Extrême-Gauche.
4.2. Possession et information
Il est inévitable de commencer par là. De
commencer par << s'interroger sur la façon dont les
activités » d'une entreprise ou d'un parti étant <<
directement liés aux médias et à l'information peuvent
bénéficier de passe-droits ou d'une couverture complaisante
» 139.
C'est d'autant moins évitable dès lors que les
médias << se sont progressivement imposés comme l'unique
vecteur permettant de relayer l'information aux masses », et que par
conséquent << Ils attirent toutes les convoitises des entreprises,
institutions, groupes de pression et organisations, y compris politiques »
140.
4.2.1. Des entreprises comme les autres
Selon Philippe WALKOWIAK, << Le journalisme, c'est une
entreprise commerciale : il faut qu'on paie des salaires, donc il faut que
l'argent vienne de quelque part ».
Et de souligner que << C'est un peu délicat quand on
gère à la fois de l'argent et des idées ; Parfois, il y a
une confrontation, un choc entre les deux » 141.
A son niveau, Isabelle PHILIPPON (Ex-Le
Vif/L'Express) ne dit pas autre chose : << Roularta, [NDLR
: Conglomérat auquel appartient Le Vif ] c'est le fric qui
l'intéresse. Le contrôle de la ligne éditoriale, ils n'en
ont rien à faire ». Mais de préciser en même temps que
: << Ils se mêlent de la ligne éditoriale quand la thune ne
rentre plus. Alors, tout d'un coup, ils vont dire : Dossiers
spéciaux sur les voitures ... » Le choc entre l'argent et les
idées, en somme.
D'après elle, comme Walkowiak là encore, <<
Il faut composer avec ça, parce que écrire le
139 HEINDERYCKX F., Op. Cit., page 33.
140 Ibid., page 45.
141 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, 17 mars 2009,
Bruxelles.
meilleur journal du monde mais qui ne se vend pas, qui ne
rapporte pas de pub, on sait bien que ce n'est pas possible dans le monde
où l'on vit » 142.
4.2.2. Les annonceurs : un rôle ?
La possession peut donc revêtir une forme plus
insidieuse que la possession stricto sensu. Ainsi, << La publicité
est en mesure d'influer sur le contenu précis des journaux et des
émissions d'actualité » 143, bien que les
médias aient bien souvent du mal à l'avouer.
En l'espèce, Frédéric CAUDERLIER
concède que << Il y a parfois de vives tensions entre la
rédaction et la régie publicitaire » 144, sans
que cela ne porte à conséquence, dit-il.
Quant à Christian CARPENTIER, il explique que, en ce
qui concerne La Dernière Heure/Les Sports, << Un gros
annonceur, c'est Carrefour ». Or, cette chaine de magasins, selon
lui, n'influencerait pas la rédaction.
Pour preuve de son assertion, il avance que son journal a
<< fait une manchette sur la fin de la Carte plus de Carrefour
». Pour lui, << On ne peut pas dire qu'il y ait des tensions. Qu'il
y ait des remarques qui soient faites de temps en temps, ça c'est vrai.
Parce qu'on a pas le même but ». Ici, pas même des tensions
mais de simples remarques. Sans conséquences, toujours.
L'homme finit par nuancer : << Maintenant, on n'est pas
non plus totalement dingues à la rédaction. On sait très
bien que, si on veut continuer à proposer un journal relativement bon
marché, on a besoin de publicités » 145. Que
faut-il comprendre, pour finir ?
Autre début d'aveu dans le chef de Philippe WALKOWIAK,
lorsque celui-ci pose une distinction entre types de médias : <<
La télé sait voir quel invité fait plus d'audience que tel
autre. A la radio, on ne sait pas mesurer ça, on fait des sondages qui
portent sur des périodes de 6 mois. On ne sait pas dire que Jean-Marc
NOLLET le mardi fait plus d'audience que Didier REYNDERS le mercredi ».
Et, << Comme on ne sait pas mesurer ça, on est moins tenu de
trouver des gens qui font de l'audience » 146.
Une fenêtre de tir existerait donc à la radio, pour
des gens comme Mateo ALALUF par
142 Entretien avec Isabelle PHILIPPON, 27 mars 2009,
Bruxelles.
143 GEUENS G., << Médias, économie et
société. Questions de méthode » in DURAND P.,
Médias et censure. Figures de l'orthodoxie, Editions de l'ULG,
Liège, 2004, page 75.
144 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, 18 mars
2009, Bruxelles.
145 Entretien avec Christian CARPENTIER, 24 mars 2009,
Bruxelles.
146 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op. Cit.
exemple (qui fut invité le 18 mars 2009 à
Matin Première, mais jamais le dimanche midi à la
télévision, tout du moins du 31 août 2008 au 28 juin 2009
inclus).
Bertrand HENNE abonde vraiment dans le même sens :
<< On est béni en radio de ne pas savoir que l`invité de la
veille a fait 12 points et pas 6, ce qui changerait certainement notre ligne
rédactionnelle, je n'en doute pas ». Et de confier, fort de son
expérience télévisuelle : << En télé,
imagine un Mateo Alaluf. Oui, l'audience sera mauvaise. C'est sûr,
ça va attirer moins de gens que Michel Daerden. Donc, on ne le fera
jamais » 147.
Ca, c'est de l'économie. Des principes
économiques de base : il y a des salaires à payer, il faut que
l'argent rentre, etc. Et ces mécanismes ne se prêtent
déjà guère à la promotion d'idées sortant du
cadre, on le voit.
Mais il arrive aussi que l'économie soit viciée,
comme avec le phénomène des concentrations.
4.2.3. La concentration : un impact ?
<< La propriété des principaux groupes
médiatiques belges se trouve concentrée dans les mains de
représentants des milieux industriels et bancaires ». Des hommes
<< qui les rentabilisent comme n'importe quelles entreprises commerciales
» 148, argue l'historien Patrick GILLARD.
Selon José-Manuel NOBRE-CORREIA, << Ce processus
de concentration a favorisé ceux qui s'inséraient dans
l'idéologie dominante », et ce << en excluant les positions
minoritaires, les options non-conformes à une approche unidimensionnelle
de l'économie, de la société, de la politique »
149.
Sans sombrer dans un Who's who - qui
s'avérerait à la fois indigeste et surtout trop ponctuel -
à titre illustratif de la lame de fond à l'oeuvre nous
relèverons que : << Les entreprises de presse et de communication
appartiennent aux plus puissantes multinationales de la planète :
Microsoft, AOL, Mediaset, Bertelsmann,
Hachette, Murdoch, Globo », etc 150.
147 Entretien avec Bertrand HENNE, 27 mars 2009, Bruxelles.
148 GILLARD P., << L'information sous contrôle.
Médias et pouvoir économique en Belgique. Notes de lecture du
livre éponyme de Geoffrey Geuens », 30 janvier 2004, mis en ligne
sur
http://www.tropismes.com, section
<< Nouvelles », consulté le 4 août 2009.
149 NOBRE-CORREIA J.-M., << Les médias et
l'exclusion » in Relire l'exclusion, Editions de
l'Université de Bruxelles, Collection << La pensée et les
hommes », Bruxelles, 1997, page 71.
150 HALIMI S. & RIMBERT P., << Contestation des
médias ou contestation pour les médias ? » in DURAND P.,
Médias et censure. Figures de l'orthodoxie, Op. Cit.,
page 137.
Notons au passage que le phénomène peut parfois
être poussé jusqu'à l'absurde, comme à l'automne
2007 dans l'Hexagone, avec le journal Les Echos et le groupe
Moët Hennessy - Louis Vuitton. En effet, << Le principal
journal économique et financier >> était alors tombé
<< entre les mains du premier groupe économique financier >>
151.
A l'échelle de notre plat pays, et au niveau du paysage
radiophonique, on dira par exemple que << Le groupe RTL, qui appartient
à Bertelsmann -- premier groupe européen de
communication et le quatrième au niveau mondial --, possède deux
réseaux radio en Communauté française : Bel RTL
et Radio Contact, sans compter Mint et Fun Radio
>> 152.
Concerné au premier plan par ce géant de la
communication, Stéphane ROSENBLATT déclare que
Bertesmann ne serait au fond que << Un grand groupe
international qui n'est pas coté en Bourse, un groupe familial >>
153.
Quant à Frédéric CAUDERLIER, en tant que
journaliste, il juge franchement positive cette expérience de
concentration : << Chaque entité fonctionne de manière tout
à fait autonome. Et puis, à un moment donné, il y a des
comptes à rendre à la multinationale >>. Mais, dit-il,
<< On ne sent pas de concentration. Je dirais même qu'il y a des
avantages : Des échanges d'images, des échanges d'informations,
des papiers qui peuvent être faits par des confrères d'Allemagne,
des Pays-Bas, etc. >>
Sur les comptes à rendre, Cauderlier précise :
<< Ils doivent ramener de l'argent pour les actionnaires. Mais ça
ne concerne pas la rédaction. A aucun moment, l'administrateur
délégué ne descend dans la rédaction en disant
Il me manque 100 millions pour les actionnaires en Allemagne, il faut
absolument que... >> 154
Nous avons également interrogé David COPPI
à ce sujet, et sa réponse mérite d'être
mentionnée : << La concentration des médias dans les mains
de quelques groupes ne favorise pas la pluralité de l'information, il
peut y avoir un souci à terme >>, affirme-t-il. Et, nous, de lui
demander : << Mais Le Soir fait partie d'un... >>, ce
à quoi le journaliste répond, relativement péniblement :
<< D'un grand groupe, oui, le groupe Rossel. Historiquement.
Mais bon, je veux
151 BENILDE M., << Prédateurs de presse et marchands
d'influence >> in Le Monde Diplomatique, août 2007, page
24.
152 BREES G., << Le CSA fête ses 10 ans loin des
usagers et des médias associatifs >> in Radio Panik, 26
septembre 2007,
http://www.radiopanik.org,
Article 128, consulté le 4 août 2009.
153 Entretien avec Stéphane ROSENBLATT, 25 mars 2009,
Bruxelles.
154 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, Op.
Cit.
Soulignons que, apparemment, pour Frédéric
CAUDERLIER, Bertelsmann est coté en bourse...
dire...Enfin moi je salue...Si des journaux pouvaient
naître à côté ou par ailleurs, je trouverais
ça salutaire >> 155.
Là où Coppi semblait gêné, Christian
CARPENTIER trouve par contre, comme les gens de RTL, cela également
positif, la concentration médiatique.
Ainsi, via le chapeautage de l'IMP Groupe, <<
Il y a maintenant, depuis quelques années, des pages communes entre
La Libre et la DH >>. Des pages << qui portent
historiquement sur l'actualité sportive, parce qu'ils [NDLR : La
Libre] n'ont pas une rédaction sportive suffisamment
développée. On a aussi mis à leur disposition notre
actualité régionale >>. Mais aussi : <<
Récemment, il y a une collaboration qui s'est mise en place sur
l'économie >> 156.
Une unidimensionnalité qui, on s'en doute, n'est pas non
plus taillée sur mesure pour accueillir les voix dissonantes.
Notons bien que, pour Noam CHOMSKY, le nombre ne change rien
à l'affaire puisque << S'il y avait cinquante groupes de
médias au lieu de trois, ils feraient la même chose que ce qu'ils
font maintenant - simplement parce qu'ils ont tous fondamentalement les
mêmes intérêts >> 157.
En ce sens que << L'audimat est niché dans la
tête des responsables de rédaction >> et que <<
L'uniformité devient alors chose très naturelle, rythmée
par le balancier du marché >> 158. Idées VS
Argent, comme nous disait Philippe WALKOWIAK.
Quoi qu'il en soit, << Quels bénéfices [au
juste] tire-t-on à posséder des titres qui dégagent
rarement des bénéfices ? >>
Dit autrement, quel sens au << rentabiliser >> de
Patrick GILLARD ?
155 Entretien avec David COPPI, 5 mai 2009, Bruxelles.
156 Entretien avec Christian CARPENTIER, Op. Cit.
157 CHOMSKY N., Comprendre le pouvoir. L'indispensable de
Chomsky. Deuxième mouvement, Aden, Collection << Petite
bibliothèque >>, Bruxelles, 2006, page 190.
158 HALIMI S., Les nouveaux chiens de garde. Nouvelle
édition actualisée et augmentée, Op. Cit.,
page 76.
4.2.4. La possession : pour quoi faire ?
A cette question, Pierre MUSSO répond : << Un
pouvoir d'influence dans la société >>. Et ce <<
d'autant plus pour un groupe multiactivité >> dans la mesure
où << Une synergie s'opère entre [ces] médias et les
activités de [ce dernier] >> 159.
Le prospère avionneur Serge DASSAULT, lui-même
<< propriétaire de soixante-dix titres de périodiques, dont
Le Figaro et L'express >>, concède d'ailleurs se
servir de ses possessions pour << faire passer un certain nombre
d'idées saines >>, sachant que << Les idées de Gauche
sont des idées pas saines, et nous sommes en train de crever à
cause [d'elles] >> 160.
Sur le sujet, Pierre BOURDIEU (même s'il est d'avis que
<< Si on ne savait que le nom du propriétaire, la part des
différents annonceurs dans le budget et le montant des subventions, on
ne comprendrait pas grand-chose >> 161) pense que << Il
est important de savoir que la NBC est la propriété de
General Electric >>. Car cela << veut dire que, si elle
s'aventure à faire des interviews sur les riverains d'une centrale
atomique, il est probable que...D'ailleurs, ça ne viendrait à
l'idée de personne >>. Et qu'il est en outre <<
évident qu'il y a des choses qu'un gouvernement ne fera pas à
Bouygues sachant que Bouygues est derrière TF1
>> 162, et connaissant l'audience de ladite chaine.
On entrevoit là l'optique censure et autocensure, qui
veut qu'on sanctionne les critiques, ou bien qu'on anticipe les sanctions en
cas de critique, et que donc on ne critique pas.
Comme le disait le plus simplement du monde Gérard
CARREYROU lorsqu'il était directeur de l'information à TF1 :
<< On ne peut pas passer à la caisse tous les mois tout en
crachant dans la soupe >> 163.
159 DEFAIT V., << Pierre Musso : L'information, un bien
commun >> in L'Humanité, 1er décembre 2004,
http://www.humanite.fr, section
<< Médias >>, consulté le 4 août 2009.
160 MERMET D., << Serge Halimi : Les nouveaux chiens de
garde >> in Là bas si j'y suis, France Inter, 15
décembre 2005, 53 minutes,
http://www.la-bas.org, Article 807,
consulté le 4 août 2009.
161 Et en effet, nous le verrons avec les points 4.3 et 4.4, tout
ne se résume certainement pas qu'à une question de
possessions.
162 BOURDIEU P., Sur la télévision,
Raisons d'agir, Paris, 1996, 33e édition, page 14.
163 HALIMI S., Les nouveaux chiens de garde. Nouvelle
édition actualisée et augmentée, Op. Cit.,
page 115.
4.2.4.1. En faire des exemples
Notons que les sanctions sont rares dans nos contrées,
mais constituent des incidents autant isolés que forts, faisant en
quelque sorte office de leçons pour ceux qui restent. Un peu à la
manière de la mafia.
Au rang de ces incidents, au mois de janvier 2009, trois
journalistes chevronnés et la rédactrice en chef du magazine
Le Vif/L'Express furent licenciés avec <<
brutalité >> et << violence >> (entre autres de par
une interdiction de passer récupérer des affaires personnelles),
et ce pour des raisons non économiques.
Interrogé sur le sujet, Amid FALJAOUI, directeur des
magazines francophones de Roularta Media Group, justifia cela en
évoquant << une rupture de confiance >> 164.
Il ajouta que << Les personnes licenciées n'étaient
plus dans la ligne éditoriale >> 165.
Pour Pascal DURAND et François HEINDERYCKX notamment,
il s'agissait surtout de << couper les têtes qui dépassent
>>, de << se priver de plumes critiques et d'esprits libres, de
mettre au placard des talents fougueux, et de préférer des chefs
et sous-chefs soumis >> 166.
Bref, non pas des plantureux bénéfices mais
<< plier la vérité au gré de leurs
intérêts >> 167. Moins une plus-value économique
qu'idéologique.
4.2.4.2. L'inutile censure
Quant à ceux qui restent, ils ne crient pas à la
censure. Pis, beaucoup s'emportent même quand on sous-entend qu'ils ne
sont pas << libres à 100 % >> de leurs mouvements.
Du style de Frédéric CAUDERLIER : << Sur la
tête de ma fille, jamais on ne m'a dit tu fais telle interview ou pas
telle interview, tu poses telle question ou pas telle question
>>. Et de
164 GUILLITTE X., Reportage du Journal
Télévisé de La Une, édition de <<
19h30 >>, RTBF, 29 janvier 2009.
165 DORZEE Hugues & JENNOTTE Alain, << Un journalisme
mis au pas ? >> in Le Soir, 29 janvier 2009, <<
Médias >>, page 36.
166 COLLECTIF DE SIGNATAIRES, << Un journalisme mis au pas
>> in La Libre Belgique, 29 janvier 2009,
http://www.lalibre.be, section
<< Opinions >>, consulté le 4 août 2009.
Notons qu'initialement La Libre Belgique, tout comme
Le Soir d'ailleurs, avait refusé de publier cette carte
blanche.
167 MERMET D., << Noam Chomsky : Le lavage de cerveaux en
liberté >> in Le Monde Diplomatique, août 2007,
page 1.
rappeler que << RTL TVI, c'est TéléVision
Indépendante >> 168.
Cela va même plus loin, puisque les journalistes
seraient même << pas si bien [que ça] disposés
à l'égard du pouvoir >>, comme le montrerait
l'emblématique cas du Watergate où, après tout, <<
Ils ont renversé un président >>.
En fait, sur ce dossier, les choses peuvent être vues
sous un angle tout autre, comme le fait Noam CHOMSKY : << Et si vous vous
demandiez pourquoi [Richard NIXON] a été renversé ? Il a
été renversé parce qu'il avait commis une grave erreur :
il s'était mis à dos des gens influents >>. Et de
poursuivre : << Ce que montre vraiment l'affaire du Watergate, c'est
à quel point notre presse est soumise et obéissante >>.
En effet, dit-il encore, à cette
époque-là il y avait d'autres sujets qui auraient
mérité de monopoliser les regards et de faire chauffer les
rotatives. Exemple, ces révélations sur le Counterintelligence
Program, ces << opérations massives du FBI pour
déstabiliser la liberté politique aux Etats-Unis >>. Un
programme qui << incluait l'organisation d'émeutes raciales dans
le but d'anéantir les mouvements des noirs >>, ainsi que <<
quinze années pendant lesquelles le FBI a déstabilisé le
Socialist Workers Party >> 169.
Une presse << soumise et obéissante >> ? A
considérer uniquement l'optique << possessions >>, cela
semble pertinent, mais serait tout autant réducteur.
Si l'analyse constituant notre Titre IV s'était
bornée à la constatation que tel journal appartient à tel
industriel ou existe à travers les deniers publics, on pourrait
effectivement parler de (auto)censure, les industriels tout comme la
particratie n'ayant pas intérêt à voir
l'ExtrêmeGauche s'emparer du crachoir car, << Après tout,
aucune institution ne cherche à s'auto détruire. C'est contre
nature >>, ces institutions cherchant plutôt à <<
marginaliser, éliminer les voix, les points de vue dissidents, parce
qu'ils font du tort à l'institution >> 170.
168 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, Op.
Cit.
En réalité, ce passage précis de l'interview
contient pas moins de 13 fois le mot << jamais >>, et ce en
l'espace d'à peine 34 secondes. Nous reviendrons abondamment sur cette
question de la liberté dans les points 4.3 et 4.4.
169 CHOMSKY N., Comprendre le pouvoir. L'indispensable de
Chomsky. Deuxième mouvement, Op. Cit., pages 27-28 &
32.
170 ACHBAR M. & WINTONICK P., Manufacturing consent. Noam
Chomsky and the media, Necessary Illusions & The National Film Board
of Canada, Montréal/Ottawa, 1992, 167 minutes.
Sur le sujet, on ne pourra s'empêcher de citer David
COPPI : << Ce sont des partis [NDLR : L'Extrême-Gauche] qui visent
à abattre le système démocratique tel qu'il existe
aujourd'hui. Qui considèrent le système démocratique comme
une imposture. Je ne vois pas pourquoi le système démocratique
leur ferait beaucoup de cadeaux. Ils se déterminent comme des ennemis du
système, ils doivent en assumer toutes les conséquences,
c'est-à-dire passer peu à l'antenne >> (Source :
Entretien avec David COPPI, Op. Cit.).
Figure 8 171
Mais il n'est en fait pas nécessaire, bien
souvent, de forcer quelque main que ce soit. Et c'est
4.3 et 4.4.
que nous nous attellerons, encore une fois, à voir
dans les points
En << avant-goût
», citons quand même Wahoub FAYOUMI, pour
qui les journalistes << sont tributaires d'un mode de
fonctionnement. C'est vraiment pas de leur faute. Les gens rentrent dans le
moule parce qu'ils tiennent à leur travail. Et, au fur et à
mesure, s'installe une série d'habitudes. Qui font
parfois énormément de tort, mais dont le journaliste,
finalement, est très dépossédé » 172.
Jouir de ses biens, c'est normal, dirons-
nous. Tout du moins tant qu'il n'y a pas
publicité
mensongère sur le produit 173.
171 Dessin original de Tom GRIMONPREZ, plus connu sous le
pseudonyme de << Titom ».
172 Entretien avec Wahoub FAYOUMI, 18 mars 2009,
Bruxelles.
173 On songera notamment
au livre de Pierre RIMBERT,
Libération : De Sartre à Rothschild
, où on apprend que ce qui est connu encore comme
le
-même, au mieux.
plus grand journal de Gauche français n'est plus
que l'ombre de lui
Mais que le service public, financé par l'ensemble des
contribuables, soit aussi une caisse de résonance des puissants (des
partis politiques puissants, en l'occurrence), c'est sans doute autrement plus
discutable... Voyons plutôt.
4.2.5. Le service public : bastion du pluralisme ?
On pourrait repartir sur le même schéma que
précédemment, et cela nous amènerait évidemment
à parler du fait que la RTBF est financée par la
Communauté française.
Concrètement, << La subvention qui lui est
affectée annuellement présente l'essentiel de ses ressources,
à savoir près de 75% du budget >> 174, et cette
dotation représente à son tour près de 50% du budget du
Ministère de la Culture de la Communauté française.
4.2.5.1. Un Conseil d'administration politisé
En regard de notre question de Mémoire, nous pensons
peut-être plus significatif de nous appesantir sur le Conseil
d'administration de la RTBF, ouvertement politisé. Après tout, si
le CA de la RTBF n'influence pas l'image des partis, pourquoi les partis
tiennent-ils tant à y avoir leurs sièges ?
Témoin de cette volonté forte, le printemps
2006, où << MR et Ecolo ont déposé deux propositions
de décret pour modifier le mode de désignation des
administrateurs >>, trouvant << anormal que le PS, qui
représente 36 % des voix en Belgique francophone et 44 % des
sièges au parlement de la Communauté, occupe une situation
totalement prédominante au sein du Conseil d'administration >>
175.
En effet, ledit conseil est composé conformément
à la répartition politique au sein du Parlement de la
Communauté française, l'administrateur général
étant quant à lui désigné par le Gouvernement de
ladite Communauté.
Cette façon de faire remonte à 1973 et au Pacte
culturel, un pacte qui est censé assurer << la
représentation, proportionnellement à leurs résultats
électoraux au niveau des communautés, des
174 Site officiel de la Radio-Télévision belge de
la Communauté française (RTBF),
http://entreprise.rtbf.be,
section << Données financières >>, consulté le
4 août 2009.
175 BELGA, << MR et Ecolo veulent mettre fin à la
majorité du PS au Conseil d'administration >> in La Libre
Belgique, 23 mars 2006,
http://www.lalibre.be, section
<< Médias / Télé >>, consulté le 4
août 2009.
différents parti
s dans les organes d'administration et de gestion des
instituts publics de radio et de télévision »
176.
Mais il y a donc une déformation, la
représentation n'est pas vraiment proportionnelle...
4.2.5.2. Une majorité absolue pour le PS
Nous proposons ci-
dessous un graphique montrant comment les quatre
« grands » partis se régulières
partagent actuellement les quinze places (12 «
», ainsi qu'une observatrice en
provenance d'Ecolo, auxquel les il convient
encore
de rajouter le président du CA, et
même
l'administrateur général).
Tableau 10
MR PS CDH Ecolo
Apparaît très nettement une domination du
PS, qui occupe huit de ces sièges, suivi par le MR qui en
compte quatre 177.
176 Site officiel du Centre de recherche et d'information
socio-politiques (CRISP),
http://www.crisp.be, section «
Vocabulaire politique », consulté le 4 août
2009.
177 Pour la petite histoire, voici la liste du Conseil
d'administration, liste que nous avons arrêtée au 4
août 2009 (le renouvellement du Conseil est
prévu au mois d'octobre) : Clarisse ALBERT (MR), Alain BROHEZ
(PS), Jean HILGERS (CDH), Pol JACQUEMART (MR), Jean- Pascal
LABILLE (PS), Julie LEPRINCE (PS), André MORDANT (PS), Anne
POUTRAIN (PS), Jean- François RASKIN (CDH,
président du CA), Philippe REYNAERT (PS), Henri SIMONS
(PS), Daniel SOUDANT (MR), Marc WEBER (MR) et Bernadette WYNANTS (Ecolo)
, sans oublier l'administrateur général Jean-
Paul PHILIPPOT (PS).
Signalons que le Gouvernement possède
également deux Commissaires : Frédéric DELCOR et Jean
LEBLON. Et notons qu'on aurait très bien
4.2.5.3. Le MR, parti le plus invité
Pour autant, cela se traduit-
il à l'antenne, et en particulier sur le plateau
d'Olivier MAROY et
Sacha DAOUT ?
-2009
Le graphique suivant, représentant les
invités politiques francophones de la saison 2008 de Mise
au point, apparaît assez clair sur ce point :
Tableau 11
MR PS
CDH Ecolo
CDF MS
RWF
Pro Bruxsel PTB
LCR-PSL
On le voit, évidemment
le PS n'a pas profité de sa majorité
écrasante au Conseil pour placer davantage
d'invités chargés de le représenter. En effet, c'est le MR
qui arrive en tête, avec 64 invités, contre «
seulement
» 55 pour le PS.
Notons encore que, bien que disposant d'un
administrateur de plus qu'Ecolo (en considérant Madame
Wynants comme une administratrice à part
entière, ce qu'elle n'est pas), le CDH fut,
péniblement, plus présent sur les plateaux dominicaux de
la RTBF que les écologistes (46 contre 42).
compter Frédéric DELCOR comme PS, vu qu'il
est considéré comme « l'éminence
grise d'Elio DI RUPO » (Source : DEMONTY B., «
L'acteur » in Le Soir, 4 juillet 2008, « Opinion
», page 18).
Ce qu'il faut y voir, c'est que la composition du CA de la
RTBF n'influence pas - à tout le moins le dimanche midi -
l'étendue de l'exposition médiatique des partis...tout du moins
tant que cela concerne les quatre << grands » partis.
Car en effet, on peut surtout constater que, sans
l'émission de Mise au point du 17 mai 2009 consacré aux
<< petites » listes, seuls les partis représentés au
CA auraient été invités en plateau.
Une oligarchie particratique ? Ce Conseil d'administration
politisé, influence ou pas, finalement, sur le politique à
l'antenne ?
4.2.5.4. Jouir de ses biens
Selon Edouard DESCAMPE (ayant longtemps
représenté le CDH au sein de ce Conseil), << Les
débats échappent de plus en plus au CA pour se tenir au sein du
Gouvernement de la Communauté française ». Plus simplement
encore : << Les administrateurs se confinent dans un rôle de relais
des partis » 178.
Quant à Pol JACQUEMART, ancien président dudit
CA et toujours présent (pour le compte du MR), de toute façon
<< Une intervention du pouvoir politique paraît assez normale
dès lors que ce pouvoir est l'actionnaire exclusif de la RTBF »
179.
Sur le sujet, même une Johanne MONTAY se déclare
mal à l'aise avec le fait qu'il y ait << une majorité
absolue dans ce Conseil d'administration » car, <<
Inévitablement, ça mène à des situations où
l'argument de la raison n'est pas l'argument qui prend le dessus dans les
décisions ». Et de citer en exemple le fait que << Quand la
RTBF procède à des nominations, il y a toujours une
pondération en fonction de la représentation du CA ».
Et donc de fustiger : << Qu'il y ait un contrôle
du politique sur la direction que prend l'entreprise ou des investissements,
des décisions de ce type-là, oui. Mais sur la programmation, le
contenu, l'ordre de passage, ce genre de choses, je trouve que ça ne va
pas » 180.
A en croire Johanne MONTAY, le poids du CA se fait ressentir
à bien des niveaux. Et elle n'est pas la seule à le vivre de
cette façon :
178 LOVENS P.-F., << L'autonomie relative des
administrateurs de la RTBF » in La Libre Belgique, 24-25
décembre 2003, << Belgique », page 6.
179 Ibidem.
180 Entretien avec Johanne MONTAY, 10 mars 2009, Bruxelles.
Pour Wahoub FAYOUMI, << Ca pose énormément
de problèmes. Régulièrement. Pas tous les jours, pas tous
les mois, mais ça en pose. Dans le traitement de l'information >>.
Selon elle, ce Conseil d'administration politisé << facilite
l'impunité de certaines pratiques, qui ne devraient pas exister
>>.
Sur les nominations, là aussi, elle s'aligne sur les
propos de Johanne MONTAY : << Pour arriver à certains postes, et
personne ne s'en cache, il faut avoir une étiquette bien visible
>>. Et de mettre en évidence l'absurdité de la chose :
<< Pour faire carrière, même si ce n'est pas les opinions
profondes de la personne, il faut être étiqueté >>
181.
Hugues LE PAIGE, au sujet des carrières, ne dit pas
autre chose : << La question de l'engagement [journalistique] se pose
d'une manière particulière à la RTBF où
l'appartenance politique conditionne encore bien des carrières
>>.
Evoquant sans doute celle d'Alain GERLACHE (animateur de
l'émission InterMédias), il pointe ainsi du doigt le
fait que << On a pu passer du jour au lendemain de la fonction de
porteparole du gouvernement à celle de directeur de la
télévision publique sans que cela pose la moindre question aux
gardiens de la déontologie. Les allers-retours entre les cabinets
ministériels et la hiérarchie de la RTBF ne suscitent aucune
remarque >> 182...contrairement aux tollés
provoqués par l'arrivée de journalistes sur des listes
électorales (dernier exemple en date : Jean-Claude DEFOSSE).
François DE BRIGODE, se démarquant de ses
consoeurs, se contente de déclarer que << On ne va pas partir en
guerre tous les jours contre le Conseil d'administration >>.
Pis, il n'envisage pas une dépolitisation du Conseil,
étant donné que << C'est le politique qui décide de
la somme qui nous est allouée >>, et que donc << Le
contrôle s'exercera par le politique >>
183.
181 Entretien avec Wahoub FAYOUMI, Op. Cit.
Dans le registre, on ne manquera pas d'évoquer
l'expérience de Gérard DE SELYS, à l'époque :
<< Quand j'ai réussi l'examen [d'entrée], j'ai
été convoqué par le directeur de la radio. J'entre dans
son bureau, je lui dis bonjour, il ne me dit pas bonjour il me dit <<
Quel parti ? >> << Je suis désolé, pas de parti
>> << C'est embêtant. Vous êtes à quelle
mutuelle ? >> << Mutualité socialiste du Brabant >>
<< Socialiste >>. Quelques années plus tard, je suis
convoqué chez Cools, boulevard de l'empereur, qui a devant lui un grand
papier avec des colonnes et des points [de couleur]. Il avait tout
l'organigramme des journalistes et de la hiérarchie de la RTB, selon les
partis >> (Source : Entretien avec Gérard DE SELYS, 3 mars
2009, Bruxelles).
182 LE PAIGE H., << Engagement et journalisme >> in
Le Soir, 3 juillet 2008,
http://www.lesoir.be, section
<< Cartes blanches >>, consulté le 4 août 2009.
183 Entretien avec François DE BRIGODE, 12 mars 2009,
Bruxelles.
Philippe WALKOWIAK
lâche dans le même ordre
d'idées que << Les administrateurs relais des partis,
c'est assez logique dans la mesure où ils sont désignés
par les partis
Figure 9
4.2.5.5. Une prime de départ
Outre le fait qu'on peut considérer comme
relativement choquant, vu que les partis
pour relayer des intérêts particuliers,
qu'il y ait des << relais des partis » au sommet d'un bien
commun, cette organisation des choses ne peut qu'induire une
marginalisation médiatique des
Conseil (cette marginalisation induisant à
partis ne siégeant pas dans ce
résultats électoraux, et ainsi de
suite).
184 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op.
Cit.
Le plein exercice de la démocratie ne consiste pas,
nous semble-t-il, à se reposer sur un << trésor de guerre
». Dit autrement, les scores réalisés lors des scrutins
passés ne devraient pas déboucher, surtout lorsque la campagne
électorale est officiellement lancée, sur une << prime de
départ » octroyée, par les médias, aux <<
grands » partis.
La démocratie exige le renouvellement du débat,
et non sa confiscation au nom de la représentativité (surtout
quand cette dernière s'apparente à un prétexte.
Prétexte en vertu notamment, on l'a vu, de la prégnance d'un
biais qualitatif).
Quid d'une dépolitisation du Conseil d'administration ?
Car, comme cela a déjà été évoqué, la
RTBF appartient, au-delà d'une privatisation partielle de son
financement, à l'ensemble des contribuables de la Communauté
française, en ce compris les sympathisants de l'ExtrêmeGauche, qui
paient leurs impôts au même titre que leurs concitoyens.
Le dernier contrat de gestion en date ne prévoit-il
pas, au rang des missions, << le développement d'une information
et d'une réflexion démocratique » 185 ? Qu'entend-on au
juste par << réflexion démocratique » ? La forme
actuelle du Conseil d'administration permet-elle à la RTBF d'honorer de
tels engagements ?
Si la possession n'est qu'une clé parmi d'autres, elle
n'en est pas moins cruciale pour comprendre le << pourquoi » de la
marginalisation médiatique dont est victime l'Extrême-Gauche.
Car si un média est la caisse de résonnance de
son propriétaire (que ce dernier soit aux manettes grâce à
son portefeuille directement, ou ses bulletins de vote), l'Extrême-Gauche
ne pourra être que marginalisée, puisque les organes
médiatiques lui étant acquis touchent un bien moins large public
que le PS ne le fait à travers le Conseil d'administration de la
RTBF.
Solidaire, l'hebdomadaire du PTB, ça n'est pas
rien. Mais ce journal à diffusion modeste (entre 3.000 et 6.000
exemplaires, en fonction de l'actualité et des possibilités de
ventes) ne pèse pas bien lourd face au tirage quotidien d'un
Soir (plus de 110.000 exemplaires) ou les 440.000 lecteurs d'une
Dernière Heure Les Sports 186.
185 Site officiel du CRISP, Op. Cit.
186 Chiffres tirés du site officiel de Média
Marketing,
http://www.mm.be, section <<
Média plan », consulté le 4 août 2009.
Et ces chiffres sont amplifiés par un contexte de
<< crise de la presse à géométrie politiquement
variable ». Car, << Parmi la liste des journaux aujourd'hui
disparus, nombreux étaient ceux qui appartenaient à la famille
progressiste : Le monde du travail, Le peuple, La Wallonie, Le
journal de Charleroi et Le matin pour le monde socialiste,
Le drapeau rouge et Avancées pour le monde communiste
» (Source : GEUENS G.,
Ceci étant, on l'a déjà dit, Pierre
BOURDIEU, ne se satisfaisait pas de cette explication des possessions, trop
économiciste à son goût.
C'est pourquoi il convient, à présent, de chercher
après des raisons supplémentaires, cadenassant cette
marginalisation médiatique.
4.3. Des « liens forts »
4.3.1. << Autour d'un bureau feutré »
187
C'est par ces mots, on s'en rappelle, que Tom WOLFE balayait
d'un revers de la main les thèses de Noam CHOMSKY. Mais alors qu'il
faisait dans le sarcasme, à l'examen il s'avère que la
réalité n'est peut-être pas si éloignée que
ça - toute dimension malfaisante ôtée - de cette image de
<< bureau feutré », ce dernier prenant plutôt la forme
d'un château. Celui du Fond'Roy, en l'occurrence.
Les liens entreprises-médias et Etat-médias
déjà évoqués dans le point sur les possessions se
voient en effet complétés par << l'établissement et
l'entretien de contacts privilégiés et réguliers que les
responsables des pouvoirs économique, médiatique et politique
nouent dans des cercles privés », nous résume Patrick
GILLARD.
Et pour l'historien, dans le cas qui nous occupe, cela
<< favorise à terme la transformation consciente ou non d'un
certain nombre de commentateurs en porte-parole du pouvoir ». Cela
<< facilite le développement d'un journalisme de
révérence » 188, d'une << relation de
connivence disputeuse » 189.
Concrètement, à considérer la Belgique,
existe à Uccle ce qui s'appelle le Cercle de Lorraine, un cercle
créé à la fin des années 1990 par l'homme
d'affaires Stéphan JOURDAIN 190.
L'information sous contrôle. Médias et pouvoir
économique en Belgique, Labor, Collection << Liberté
j'écris ton nom », Bruxelles, 2002, page 6).
187 Nous reprenons ici à notre compte une expression de
Tom WOLFE, tirée d'une intervention télévisée que
nous retranscrivions plus amplement dans notre Titre I.
188 GILLARD P., << L'information sous contrôle.
Médias et pouvoir économique en Belgique. Notes de lecture du
livre éponyme de Geoffrey Geuens», Op. Cit.
189 GUILLEBAUD J.-C. in CARLES P., Pas vu à la
télé, Arrapèdes Production, 1995, 26 minutes.
190 Pour la petite histoire, à l'époque l'individu
a déjà fait main basse depuis une dizaine d'années sur le
fameux hebdomadaire satirique Pan.
4.3.1.1. Des membres triés sur le volet
Ce fameux Cercle de Lorraine compte, parmi son gros millier de
membres, certains plus connus du grand public que d'autres. Et si le cercle est
<< au départ réservé aux chefs d'entreprises
réalisant un chiffre d'affaires minimum de 500 millions de francs belges
» 191, il s'est depuis lors notamment élargi au monde
politique et au monde médiatique.
Dans le registre politique, on relèvera
particulièrement la présence des socialistes Charles PICQUE,
Freddy THIELEMANS, Jean-Claude VAN CAUWENBERGHE, etc.
Niveau hommes de médias, nous avons, par ordre
alphabétique : Patrick HURBAIN (Président des éditions
Rossel & Cie), Patrice LE HODEY (Président du groupe
Libre Belgique - Dernière Heure), Daniel VAN WYLICK (Directeur
général du Soir), Daniel WEEKERS (Administrateur
délégué de Be TV), etc.
...Sans oublier, évidemment, nombre d'avocats, de
diplomates, de notaires, de professeurs d'universités, etc 192.
On notera aussi que Rik DE NOLF siège au Comité
d'honneur du Cercle (qui ne compte qu'une bonne vingtaine de
personnes)...sachant que De Nolf est Administrateur
délégué de Roularta Media Group.
Ce recensement effectué, soulignons que le site officiel
du Cercle déclare, faisant référence à l'Article 3
de ses statuts, avoir << la volonté de développer des liens
forts entre les membres » 193.
Il s'agit donc peut-être moins de << tirer les
ficelles », pour reprendre la terminologie de Wolfe, que de <<
tisser des liens ».
Figure 10
191 GEUENS G., L'information sous contrôle.
Médias et pouvoir économique en Belgique, Op. Cit.,
page 40.
192 Site officiel du Cercle de Lorraine,
http://www.cerclelorraine.be,
section << Liste des membres », consulté le 4 août
2009.
193 Site officiel du Cercle de Lorraine,
http://www.cerclelorraine.be,
section << Vocation et finalité », consulté le 4
août 2009.
4.3.1.2. Des conférenciers de renom
N'oublions pas non plus les personnes ayant donné une
conférence au Cercle de Lorraine dans le cadre d'un
déjeuner-conférence (ces déjeuners-conférences
étant définis sur le site du Cercle comme une « formule
[alliant] l'agrément d'un déjeuner soigné à
l'intérêt d'une conférence de haut niveau », le tout
se passant « dans une ambiance conviviale et décontractée
» 194).
Et dans ce registre, on retiendra avec intérêt,
pour ce qui est de la politique belge, la venue récente des socialistes
Rudy DEMOTTE, Elio DI RUPO, Jean-Claude MARCOURT, Charles PICQUE, etc.
Les hommes de médias ne sont pas en reste non plus, en
tout cas pour ce qui est, là, de nos voisins français :
Jean-Marie COLOMBANI, François DE CLOSETS, Christine OCKRENT, ...
195
Impossible ceci dit d'en savoir plus. Impossible
d'accéder aux reportages photos, impossible d'accéder - dans la
section « Activités du Cercle » - à une
mystérieuse page intitulée « Rencontre avec le
quatrième pouvoir », etc.
...Impossible sans se faire soi-même membre du Cercle de
Lorraine, en s'acquittant, entre autres choses, d'une cotisation
s'élevant à près de 1.500 euros 196.
4.3.1.3. Quelles conséquences ?
On pourrait évidemment douter du fait qu'être
membre ou, a fortiori, simple conférencier du Cercle de Lorraine,
signifie forcément être porteur de mêmes valeurs, d'un
même projet de société.
Cependant, l'absence de pontes du syndicalisme (pourtant
devenus, sur le Vieux continent,
194 Site officiel du Cercle de Lorraine,
http://www.cerclelorraine.be,
section « Déjeuners conférences », consulté le 4
août 2009.
195 Pour davantage de noms, on consultera GEUENS G., Tous
pouvoirs confondus. Etat, Capital et Médias à l'ère de la
mondialisation, Aden, Collection « Epo », Anvers, 2003, pages
235-238.
Ainsi que GEUENS G., L'information sous contrôle.
Médias et pouvoir économique en Belgique, Op. Cit.,
pages 40-43.
Ou, plus simplement encore, le site officiel du Cercle de
Lorraine, section « Déjeuners conférences ».
196 Il est urgent de refinancer la recherche (c)
largement conciliants 197) ou, évidemment,
de représentants des partis d'Extrême-Gauche (ou même
d'Ecolo) semble donner un indice quant à l'unidimensionnalité
idéologique ayant cours dans cette mouture belge du Siècle
198.
Pas uniquement un << cercle d'affaires >> donc,
comme il est pourtant simplement introduit par François DE BRIGODE,
à l'occasion d'un lancement de sujet du journal
télévisé 199, un sujet de Johanne MONTAY. Pas
uniquement des chefs d'entreprises, mais un enchevêtrement des
différents pouvoirs.
Un savant mélange des genres entre sommités du
monde politique, des médias, de l'édition, de la finance, de
l'industrie, etc. Tout cela en ne perdant pas de vue que la finalité
avouée du Cercle est, pour rappel, de tisser des << liens forts
>> entre ses heureux membres, ce qui ne manque pas de susciter quelques
questions.
Ainsi, ces hommes politiques de renom, représentants de
l'intérêt général, ne risquent-ils pas, par ces
<< liens forts >>, de servir avant tout des intérêts
particuliers ? Quant aux hommes de médias influents, ne seront-ils pas
enclins à se transformer en porte-voix de leurs amis membres, politiques
comme entrepreneurs ?
Concrètement, si Rik DE NOLF (Administrateur
délégué de Roularta Media Group) est ami avec le
Vicomte Etienne DAVIGNON, le Chevalier Claude DESSEILLE, le Baron Albert FRERE
ou le Comte Maurice LIPPENS (tous les cinq sont membres du même
comité d'honneur), il est raisonnable de penser qu'il sera plus ou moins
intolérable pour De Nolf que lesdits amis soient descendus en flammes
dans les pages du Vif/L'Express, propriété de
Roularta Media Group.
En tous les cas, on trouve là une nouvelle clé pour
saisir le << pourquoi >> des relations si difficiles de
l'Extrême-Gauche avec les médias dominants : le fait de ne pas
être reçu au Cercle
197 En effet, << Les grands syndicats belges
développent en matière sociale et politique une attitude
globalement conciliante avec le système en place et évitent
systématiquement les affrontements violents >>, ce qui fait que
<< La base dépasse donc fréquemment la direction syndicale
lors de conflits sociaux, au point qu'on a pu parler de grèves
anti-syndicales ce qui peut sembler être une contradiction >>
(Source : GOTOVITCH J. & MORELLI A., <<
Prospérité et contestation >> in GOTOVITCH J. & MORELLI
A., Contester dans un pays prospère. L'Extrême-Gauche en
Belgique et au Canada, P.I.E. Peter Lang, Collection << Etudes
canadiennes >>, Bruxelles, 2007, page 14).
198 Il s'agit également d'un club de réflexion
sélect, parisien quant à lui. Pour ce qui est de la Flandre, on y
trouve notamment << De Warande >> (littéralement <<
domaine de chasse privé >>).
199 Journal Télévisé de La Une,
Edition de << 19h30 >>, RTBF, 10 février 2009.
de Lorraine, ne fut-ce qu'à l'occasion des <<
déjeuners conférences >>, ne permet pas de nouer ces
<< liens forts >> avec les ténors de l'information
présents sur place...Ne dit-on pas que << les absents ont toujours
tort >> ?
Mais au-delà de ces lieux privilégiés,
qu'en est-il des liens tissés quelques échelons plus bas ?
4.3.2. Le poids des années
Pour Christian CARPENTIER, << Ce n'est pas parce qu'on
côtoie un homme politique en dehors du cadre strict d'une interview qu'on
est particulièrement à sa solde >>.
Et d'ajouter même que << C'est vraiment un
raisonnement qui m'effraye, parce que c'est ne pas se rendre compte d'un besoin
des journalistes de se tenir informés des faits d'actualités
>> 200.
Frédéric CAUDERLIER, s'il ne dit pas autre chose au
sujet des besoins journalistiques, déclare en outre que : << Je ne
tutoie quasi aucun homme politique >>.
De préciser alors que : << Quand je dis quasi,
c'est parce que la vie fait que certains hommes politiques ont grandi comme
moi. On est de la même génération, ils sont arrivés
en politique en même temps que moi dans le journalisme >>. Or,
<< Le gars qui était porte-parole, que j'avais trois fois par jour
au téléphone, devient un ministre. Un porte-parole, on le tutoie.
Et maintenant qu'il est ministre, on ne change pas >> 201.
De l'avis de Francis VANDEWOESTYNE cette fois, << Il y a,
dans le petit poto-poto médiatico-politico belge, une grande
proximité >>, qu'il faut << considérer comme un atout
>>.
S'il rejoint ses confrères en disant que << Ce
n'est pas parce qu'on voit des hommes politiques en dehors des circonstances
purement politiques qu'on casse sa plume >>, le journaliste va tout de
même un peu plus loin : << Je ne dis pas que, parfois, ce n'est pas
difficile de faire cela. Parce qu'on sait que l'on heurte un homme ou une femme
de front >>. Cependant, << On le fait sans aucun problème
>>, affirme-t-il 202.
200 Entretien avec Christian CARPENTIER, Op. Cit.
201 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, Op.
Cit.
202 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, 8 avril 2009,
Bruxelles.
Terminons avec Bertrand HENNE, pour qui << La distance
qu'on doit garder, elle est difficile à évaluer ». Plus
précisément, << Elle est évaluée par chacun :
Y a des gens qui vont bouffer tous les jours avec des politiques, et qui savent
faire une vraie différence à l'antenne ». D'autres <<
qui, à force, ont certaines amitiés avec le monde politique, et
qui savent faire preuve d'honnêteté intellectuelle très
forte, et faire des interviews très dure avec leurs amis, leurs copains
» 203.
Que ça soit Carpentier, Cauderlier, Vandewoestyne ou
bien Henne (pour ne citer qu'eux), les journalistes savent faire la part des
choses. Se montrer << très durs avec leurs copains ». Le
professionnalisme, en somme.
Le problème, c'est que la capacité de
professionnalisme est à géométrie variable, et c'est ce
que nous allons voir, parmi d'autres choses, dans le point 4.4, en
évoquant le cas Wahoub FAYOUMI.
4.4. « The right man at the right place »
Selon Pierre BOURDIEU, << Plus on avance dans l'analyse
d'un milieu, plus on est amené à dédouaner les agents de
leur responsabilité ». Plus exactement, << Mieux on comprend
comment [le milieu en question] fonctionne, plus on comprend aussi que les gens
qui en participent sont manipulés autant que manipulateurs »
204.
Parlant des journalistes, Pierre BOURDIEU les croit convaincus
de jouer leur rôle. D'après le sociologue, ils << ne voient
pas qu'ils sont, sans le savoir, manipulés. Et qu'ils opèrent
sans arrêt des censures, des sélections qui vont à
contre-pente de la vérité ». Et << Ils le font
très souvent de très bonne foi » 205.
Mais comment pourrait-on ne pas se rendre compte, en tant que
journaliste, qu'on est manipulé ? Qu'on censure ou qu'on
sélectionne injustement ?
203 Entretien avec Bertrand HENNE, Op. Cit.
204 L'HOTE G., << Sur la télévision »,
Op. Cit.
205 [S.A.], << Table ronde : un intellectuel dans les
médias » in HUITIEMES RECONTRES INA-SORBONNE (15 MARS 2003),
Op. Cit., page 116.
4.4.1. Promotion de l'orthodoxie
Le sociologue pense en fait que des << journalistes lucides
et critiques, il y en a beaucoup, mais pas aux postes de commande des
télévisions, des radios et des journaux >> 206.
Noam CHOMSKY ne dit pas autre chose, lui qui illustre sa
pensée en avançant que << La plupart des journalistes
soviétiques croyaient réellement ce qu'ils écrivaient.
Parce que ceux qui ne croyaient pas ce genre de choses ne seraient jamais
arrivés à la Pravda » 207. Pour le
linguiste, on est en présence d'un << filtre très
élaboré, qui trie et élimine les gens trop
indépendants >>.
Plus précisément, << Si jamais vous
devenez rédacteur en chef, il y a de fortes chances pour que vous ayez
intégré ces valeurs qui vous font paraître évident
que certaines choses ne se disent pas. En fait, vous ne pensez même plus
qu'on peut dire de telles choses >> 208. Des choses telles que
<< Privatisations. Pollutions. Chômage. Guerres. Crises. On change
? Sortons du capitalisme ! >> (une affiche du Parti Communiste belge aux
Régionales et Européennes 2009).
Dans le même ordre d'idées, Jean BRICMONT rajoute
que << Les mécanismes de sélection des autorités
médiatiques font que ceux qui seront sélectionnés seront
ceux qui auront les idées adéquates pour le fonctionnement du
système >> 209.
Jacques LE BOHEC complète : << Une
modalité de censure très efficace consiste à nommer des
journalistes dont l'habitus est en correspondance avec les exigences du poste
définies en fonction des intérêts du propriétaire.
The right (wo)man at the right place. De la sorte, le journaliste,
même [NDLR : surtout ?] rédacteur en chef, agit de lui-même
en conformité sans rappels à l'ordre explicites >> 210.
Tout ceci pour dire qu'il y a donc tout lieu de croire tous ces
journalistes se disant << libres à 100% >>. Après
tout, << Il est très difficile de vivre avec une dissonance
cognitive >> 211.
Un authentique sentiment de liberté. Et un sentiment
d'autant plus fort qu'on grimpe vers les sommets hiérarchiques.
206 BOURDIEU P., Contre-feux. Propos pour servir à la
résistance contre l'invasion néolibérale, Raisons
d'agir, Paris, 1998, 12e édition, page 88.
207 CHOMSKY N., Comprendre le pouvoir. L'indispensable de
Chomsky. Deuxième mouvement, Op. Cit., page 18.
De 1918 à 1991, l'organe de presse officiel du pouvoir
soviétique. << Pravda >> signifie <<
vérité >>.
208 Ibid., pages 16-17.
209 AZAM O. & MERMET D., Chomsky et Compagnie. Pour en
finir avec la fabrique de l'impuissance, Les Mutins de Pangée,
Paris, 2008, 125 minutes.
210 LE BOHEC J., Elections et télévision,
Presses Universitaires de Grenoble, Collection << Communication,
médias et sociétés >>, Grenoble, 2007, page 43.
211 CHOMSKY N., Comprendre le pouvoir. L'indispensable de
Chomsky. Deuxième mouvement, Op. Cit., page 18.
4.4.1.1. Le haut du panier
Commençons par un Directeur de l'information,
Stéphane ROSENBLATT. Pour lui, il y a << Une liberté
éditoriale qui permet d'inviter qui on veut. Pour peu qu'on estime que
c'est quelque chose de significatif dans l'actualité politique
».
Interviennent alors les << jugements éditoriaux,
qui sont faits par les rédactions, en conscience ». Et d'ajouter
que, assumant une certaine subjectivité : << C'est tout à
fait critiquable, mais c'est notre choix ». Des choix << en
conformité », à reprendre les termes de Jacques LE BOHEC
?
En tout cas, << sans rappels à l'ordre » :
<< On me croit ou on me croit pas, je travaille depuis 25 ans dans cette
maison, et je n'ai jamais subi la moindre pression directe me demandant de
couvrir, ou de ne pas couvrir » 212.
Pareil avec les rédacteurs en chef. Ainsi, Philippe
WALKOWIAK déclare : << Je suis responsable du service politique
depuis des années, je n'ai jamais eu un seul coup de fil d'un parti
politique me disant qu'il fallait dire ça plutôt que ça. Je
n'ai jamais eu mon administrateur général qui m'a dit qu'il ne
faut surtout pas inviter telle personne, pas interviewer telle autre. Jamais
» 213.
Quant à Johanne MONTAY : << Je n'ai jamais eu
l'impression d'être muselée, censurée, hormis les
espèces de balises d'autocensure qu'on se met en disant Quelles sont
mes limites dans ce que je pense qu'on peut se permettre ? » 214
Même son de cloche chez Christian CARPENTIER : <<
Ca fait 15 ans que je fais du journalisme politique, et dieu sait si c'est une
matière sensible potentiellement pour un éditeur ». Or,
<< On ne m'a jamais demandé d'écrire un article, ou
interdit d'écrire un article, ou fait une remarque sur le contenu d'un
article, tant que c'est fait de façon honnête ».
Nous lui avons même demandé, à Christian
CARPENTIER, ce qu'il pensait de cette théorie de promotion des
bien-pensants, si cela s'appliquait à lui : << Ce n'est pas
très gentil pour moi, ni pour mon rédacteur en chef ». Car,
dit-il, << J'ai été promu dans toute ma carrière
à des postes supérieurs parce que j'étais efficace et que
j'ai fait mes preuves. Mais surement jamais,
212 Entretien avec Stéphane ROSENBLATT, Op.
Cit.
213 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op. Cit.
214 Entretien avec Johanne MONTAY, Op. Cit.
connaissant mon caractère en plus, parce que j'avais une
souplesse par rapport à des influences >>
215.
Ce qu'on note, c'est que les journalistes restent
braqués sur la dimension consciente de la censure (avec un Carpentier
qui parle d'influences). Et la dimension inconsciente, opérant par un
écrémage, semble quant à elle leur échapper.
Citons encore deux journalistes. De << simples >>
journalistes politiques, de renom tout de même.
Du côté de La Libre Belgique, avec
Francis VANDEWOESTYNE, cela donne : << On a la chance de vivre dans une
rédaction indépendante de ses prises de positions par rapport aux
gens qui nous dirigent >>, ce qui << n'empêche pas que nous
ayons des conversations tout à fait saines et sereines sur des sujets
d'actualités >>. Ceci dit, << A aucun moment on est venu me
dire ce que je devais écrire avant une élection, après une
élection >> 216.
Pour David COPPI, << La rédaction en chef imprime
une certaine tendance ou ligne politique générale >>. Et
<< Comme dans toute vie sociale, dans un journal il y a une forme
d'autocensure marginale, avec laquelle il faut vivre >> 217.
Tout au plus donc, certains journalistes reconnaissent une
certaine autocensure (en l'occurrence, Montay et Coppi).Mais un
écrémage, évidemment non.
4.4.1.2. Inconnus au bataillon
Nous continuons notre descente des échelons, tentant
toujours de voir si les médias sont conscients d'opérer <<
sans arrêt des censures, des sélections qui vont à
contre-pente de la vérité >> (pour reprendre les termes de
Pierre BOURDIEU, mentionnés plus haut). Et à ce niveau, nous
répondrons en deux temps.
215 Entretien avec Christian CARPENTIER, Op. Cit.
216 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, Op. Cit.
217 Entretien avec David COPPI, Op. Cit.
Tout d'abord, en examinant les profils sociologiques des
étudiants en journalisme.
S'ils sont identiques au reste de l'enseignement
supérieur, on notera qu'ils sont sans grande diversité sociale :
les origines familiales sont la plupart du temps élevées.
D'après Serge HALIMI, cela << permet de
comprendre un peu le racisme social qui imprègne bon nombre de
médias, et qui fait qu'on ne redécouvre la classe ouvrière
que pour lui imputer toutes sortes de tares supposées ». Des tares
telles que << le populisme, le racisme, le vote Front National ». Et
que, << Le reste du temps, on ne s'en soucie pas » 218.
Et quand lutte sociale il y a, le traitement journalistique se
veut assez singulier. Car ça ne leur est pas très familier,
explique Alain ACCARDO : << Le recrutement bourgeois et petit-bourgeois
largement majoritaire de la population journalistique entraine que les
journalistes non seulement répugnent à s'engager dans des luttes
sociales et sont hostiles à l'action syndicale, mais encore qu'ils sont
incapables de percevoir le bien-fondé de ces luttes quand elles sont le
fait d'autres salariés, ce qui se ressent clairement dans la couverture
médiatique des mouvements sociaux »
219.
Exemple avec un témoignage de Raoul HEDEBOUW : <<
Action pour le maintien des bureaux de poste. On vient avec 100 citoyens devant
l'hôtel de ville. RTC [NDLR : Radio Télévision Culture]
vient. Micro, première question dans ma vie que RTC me pose : Est-ce
que c'est pas finalement un peu récupérer le
mécontentement citoyen que de faire une telle action ? ».
Comme quoi, conclut Hedebouw, << Mobiliser aujourd'hui le citoyen
sur des points politiques...Récupération » 220.
En outre, toujours de par les origines familiales
élevées, l'Extrême-Gauche, on ne connait pas très
bien non plus.
Une méconnaissance d'ailleurs largement assumée.
Ainsi, Frédéric CAUDERLIER lâche : << C'est quoi le
PTB ? Quelle est la ligne du PTB ? Quel est le visage du PTB ? Qui est le
leader du PTB ? Je n'en sais rien, franchement » 221...Alors
même qu'il tient, on l'a vu, des propos très durs sur
l'Extrême-Gauche. Contradiction ? En tout cas, il n'est certainement pas
le seul
218 HALIMI S. in MERMET D., << François Ruffin : Les
petits soldats du journalisme » in Là bas si j'y suis,
France Inter, 18-19 Février 2003, 108 minutes,
http://www.la-bas.org, Articles
318-319, consulté le 4 août 2009.
219 ACCARDO A., Journalistes précaires, journalistes
au quotidien, Agone, Collection << Eléments »,
Marseille, 2007, pages 13 & 886.
220 Entretien avec Raoul HEDEBOUW, 13 mars 2009, Liège.
221 Entretien avec Frédéric CAUDERLIER, Op.
Cit.
journaliste politique à être dans le brouillard :
Pour sa part, Isabelle PHILIPPON confesse : << Moi je ne
sais même pas qui c'est, le président du PTB » 222.
Dans le même registre, on a aussi Francis VANDEWOESTYNE.
Morceaux choisis : << J'ai vu, récemment, une petite liste : Parti
Socialiste...Unifié, c'est ça ? » (au sujet du PSL). Ou
bien, sans ironie aucune : << Est-ce qu'il y a toujours un parti
communiste en Belgique ? » 223
Entre le Cercle de Lorraine, l'écrémage et les
origines familiales élevées, il reste déjà peu de
place que pour que des pensées hétérodoxes se
déploient dans les médias.
Mais ce n'est pas tout, puisque si un journaliste <<
tendance gaucho » réussit tout de même à se faufiler
entre les mailles du filet, son travail et son évolution dans le milieu
sont rendus assez difficiles.
4.4.2. Rétrogradation de
l'hétérodoxie
Des << journalistes lucides et critiques » bien
placés, on en trouve d'autant moins qu'outre la promotion des
orthodoxes, il y a malmenage des hétérodoxes. Exemple
emblématique en juin 2008, avec Wahoub FAYOUMI.
La journaliste de la RTBF, << communiste » en
charge des sujets de société (sujets << dont
l'impartialité n'a jamais été mise en cause »,
d'après Marc METDEPENNINGEN), passa 21 jours en détention
préventive pour appartenance présumée à une
organisation terroriste, avant d'être rétrogradée. Et avant
cela, << Malgré la maigreur extrême des
éléments avancés, le parquet fédéral [avait]
sorti la grosse artillerie : écoutes téléphoniques,
filatures, interceptions de mails, etc ».
Pour l'intéressée, que nous avons
rencontrée, << Cette attaque [avait] un caractère politique
évident ». Plus précisément, << Que la
solidarité révolutionnaire ait été dans le
collimateur ne fait
222 Entretien avec Isabelle PHILIPPON, Op. Cit.
223 Entretien avec Francis VANDEWOESTYNE, Op. Cit.
On fera également référence aux <<
tâcherons du reportage », avec un article de Sud Presse
(La Meuse) : << Samedi, le drapeau à la faucille et
l'enclume flottait sur Fexhe-le-Haut-Clocher, où les candidats
communistes présentaient leur liste... » (Source : DE HOE
D., << Les communistes présents à Huy-Waremme » in
La Meuse, 16 mars 2009,
http://www.sudpresse.be, <<
Archives », consulté le 4 août 2009.
aucun doute >> 224. Mais qu'en pensent ses
anciens collègues ?
Au-delà du cas Fayoumi, pour Johanne MONTAY, qui se
définit elle-même comme une << radicale de la
déontologie >> et une << intégriste de
l'indépendance >>, << L'engagement politique affiché
d'un journaliste pose problème dans son traitement de l'information
>>. Pour elle, il y a alors une << forme de suspicion
légitime. Exactement comme si vous aviez un juge d'instruction qui va
manger un spaghetti avec la partie adverse >> 225.
François DE BRIGODE rejoint volontiers sa
collègue sur ce dossier ; En conservant Fayoumi à l'antenne,
<< Notre public se serait demandé si elle était objective
quand elle couvrait un certain nombre de reportages >>. Et << A
partir du moment où le public risquait de se poser cette question
là, elle ne devait plus faire de reportages >> 226.
Wahoub FAYOUMI ne serait donc pas en mesure de faire la part des
choses, au contraire de ceux dinant tous les jours avec les politiques, comme
nous l'avons vu dans le point 4.3.
Mais cette journaliste ne fut pas la seule à pâtir
de ses inclinaisons idéologiques.
Ainsi, Philippe WALKOWIAK, au sujet de son ancien
collègue Gérard DE SELYS, juge que << Il a toujours
été libre de faire ce qu'il entendait faire >>. Cependant,
<< Quand il ouvrait ses dernières minutes sur un problème
de grève des chauffeurs de bus de Vladivostok, dans un 15 heures d'un
journal en Belgique, ça n'a pas sa place. Donc on a parfois dû le
recadrer à ce niveau-là >> 227.
Evidemment, le principal intéressé voit les
choses d'une façon sensiblement différente. Et d'illustrer avec
l'épisode de l'incarcération d'Alain VAN DER BIEST : << Le
jour-même, ma rédactrice en chef me convoque dans son bureau et me
dit << T'as plus accès à l'antenne >> <<
Pourquoi ? >> << Je t'explique pas >> << Qu'est-ce que
je vais faire alors ? >> << Tu te mets devant un ordi, et tu
regardes les dépêches. >> << C'est tout ? >>
<< C'est tout >> << Pendant combien de temps ? >>
<< Aussi longtemps qu'il le faudra >> 228.
224 METDEPENNINGEN M., << La lettre des quatre
inculpés >> in Le Soir, 27 Juin 2008, << Belgique
>>, page 9 ; METDEPENNINGEN M., << L'actrice >> in Le
Soir, 28-29 Juin 2008, << Opinion >>, page 22 ; COLLECTIF DE
SIGNATAIRES, << Wahoub Fayoumi : nouveau dérapage de la lutte
antiterroriste >> in Le Soir, 19 Juin 2008, << Forum
>>, page 20.
225 Entretien avec Johanne MONTAY, Op. Cit.
226 Entretien avec François DE BRIGODE, Op.
Cit.
227 Entretien avec Philippe WALKOWIAK, Op. Cit.
228 Entretien avec Gérard DE SELYS, 3 mars 2009,
Bruxelles.
Le problème de ces discours sur la déontologie,
de l'avis de Wahoub FAYOUMI, c'est que << Il y a énormément
de journalistes engagés à la RTBF >>. Et que << On ne
réagit pas par rapport à certaines personnes comme par rapport
à d'autres >>. Qu'on ne réagit pas comme dans le cas d'un
journaliste se présentant sur une liste de parti traditionnel : <<
C'est très hypocrite : On retire la personne un an de l'antenne, elle se
refait une virginité. Mais pour les communistes, ça ne marche pas
>> 229.
Au sujet de cette géométrie variable toujours,
on illustrera à l'aide de Bertrand HENNE, qui nous confia que Hakima
DARMOUCH, présentatrice du Journal Télévisé de RTL
TVI depuis 2006, fut en son temps porte-parole de Louis MICHEL.
Serait-elle plus à même de faire la part des choses
que Wahoub FAYOUMI sous prétexte qu'elle est au MR, un parti
traditionnel ?
Dans le domaine de la presse écrite cette fois, on se
rappellera des soucis de Martine VANDEMEULEBROUCKE, journaliste attitrée
sur des dossiers comme les Sans-papiers, soudainement mutée à la
gestion du forum.
Interrogé sur le sujet, David COPPI estime que <<
L'objectif de la déplacer dans la rédaction n'était pas de
nature politique. En tout cas, c'est ce qu'assurait la direction >>. Il
ajoute : << Que dans la tête de certains, il y ait eu ce calcul
là, c'est bien possible >>.
Mais à son sens, << C'était dans le
contexte d'une volonté de transformer la rédaction en
rédaction bimédia >>. Et il se fait que << Martine
était réfractaire à cette idée de travailler sur
Internet, elle ne voulait pas >>. Ceci étant, << Elle n'a
pas été attaquée sur ses idées >> 230.
229 Entretien avec Wahoub FAYOUMI, Op. Cit.
En outre, comme le rappelle Laure MIEGE (Parti Socialiste de
Lutte), << A partir du moment où on décide de parler
seulement de certaines choses, c'est prendre position. Ne pas faire parler les
gens qu'on estime trop engagés, c'est prendre position >>
(Source : Entretien avec Laure MIEGE, 2 avril 2009, Bruxelles).
230 Entretien avec David COPPI, Op. Cit.
Avançons que cela n'aurait pas été
très intelligent de la part des dirigeants, que de l'attaquer
officiellement sur ses idées.
4.4.3. Précarisation pour pré
carré
Rentre aussi en ligne de compte la précarité de
l'emploi, à laquelle les journalistes n'échappent pas
231. Une précarité qu'on dira à double
dimension : économique et liée aux conditions de travail.
4.4.3.1. Une armée de réserve
Pour Pierre BOURDIEU, cette première dimension <<
s'inscrit dans un mode de domination d'un type nouveau, fondé sur
l'institution d'un état généralisé et permanent
d'insécurité visant à contraindre les travailleurs
à la soumission, à l'acceptation de l'exploitation >>
232.
Et cette précarisation est visible par un <<
appoint de pigistes ou de stagiaires, qui peuvent être portés
à donner des gages de bonne volonté >>, des gages prenant
la forme d'une << conformité aux attentes implicites de leurs
employeurs >> 233.
Bertrand HENNE confirme l'appoint, et ce qu'il qualifie d'
<< appauvrissement >> : << Les conditions économiques
dans lesquelles travaillent les journalistes évoluent pas dans le bon
sens : On a des contrats précaires, les pigistes sont de plus en plus
nombreux, les faux indépendants sont mal payés, ... Les
journalistes, on leur demande de faire de plus en plus de choses, d'aller de
moins en moins loin dans leurs spécialisations >>.
Quant à sa maison, Reyers, elle n'est pas l'exception
confirmant la règle : << La RTBF emploie plus de pigistes que
jamais, a plus de contrats contractuels, nomme moins les gens >> 234.
Il y a donc une précarisation, et elle est possible
à instaurer par le fait que, comme le raconte un dénommé
Jean-Louis, << Le marché du travail est tel que, on me l'a fait
sentir, il y a cinquante personnes qui attendent à la porte pour une
place >>, ce qui fait que << On embauche ceux qui ont
l'échine la plus souple >> 235.
231 Notons au passage que, par-dessus le marché, une
certaine paresse est parfois aussi à pointer du doigt. Gérard DE
SELYS raconte : << 750 journalistes accrédités à la
Commission Européenne. Je l'ai été pendant trente ans,
j'ai dénoncé plusieurs scandales majeurs. Je leur disais [NDLR :
à ses collègues] : << Je passe ça sur l'antenne,
j'ai le dossier à votre disposition >>. J'en ai toujours eu deux,
les mêmes, Italiens, qui venaient voir, et qui ne faisaient pas suite
nécessairement dans leurs propres journaux. Quand j'arrivais à un
Conseil des Ministres, tous mes collègues venaient vers moi en disant
<< Si t'es là, c'est qu'ils vont prendre une décision. Tu
peux nous expliquer ce qui va se passer ? >> << Mais pourquoi vous
ne lisez pas les propositions de directives, toute la littérature qu'il
y a autour ? C'est comme ça que vous comprenez >> << Oh non,
c'est trop >>, et ils retournaient jouer aux cartes et boire leurs
bières >> (Source : Entretien avec Gérard DE SELYS,
Op. Cit.).
232 BOURDIEU P., Contre-feux. Propos pour servir à la
résistance contre l'invasion néolibérale, Op.
Cit., page 99.
233 DURAND P., La censure invisible, Actes Sud,
Collection << Un endroit où aller >>, Arles, 2006, page
50.
234 Entretien avec Bertrand HENNE, Op. Cit.
235 ACCARDO A., Journalistes précaires, journalistes
au quotidien, Op. Cit., page 610.
Pour Isabelle PHILIPPON, l'utilité de la
précarisation économique pour les responsables de médias,
c'est que << Ca permet de faire son projet sans avoir des emmerdeurs
autour qui disent Ce n'est peut-être pas la meilleure
idée ». Car, évidemment, << Quand on est
journaliste indépendant, on ne la ramène pas. On la boucle, on
n'est pas en situation de ... » 236.
Sur le sujet, Pierre EYBEN a une anecdote : << On fait
une conférence de presse sur HuyWaremme, circonscription où on
présente une liste. Le journaliste [de La Meuse] vient, et
à un moment me dit Il faut vraiment qu'on fasse la photo, faut que
j'y aille parce que je vais vendre des frites après. Moi je croyais
que c'était une blague, et puis il insiste ; Pour arrondir ses fins de
mois, il vend des frites » 237.
Comment demander à un journaliste dans une telle situation
de remettre en cause, de faire des vagues ?
En bref, censure et surtout autocensure s'exerceront d'autant
plus facilement qu'une épée de Damoclès est suspendue au
dessus de la tête des journalistes.
4.4.3.2. « Tu es quelqu'un qui réfléchit
»
La précarisation n'est pas qu'économique, elle
concerne aussi - c'est un corollaire - les conditions de travail. Et ces
conditions sont, en substance, un travail à la chaine. Ce que nous
nommerons le << Syndrome Jean-Pierre MARTIN » 238.
Bertrand HENNE s'en inquiète, de ces conditions de
travail : << A RTL, certains journalistes font 2-3 sujets dans les JT. Ca
veut dire qu'ils lisent les dépêches, et qu'ils font vite un truc.
Ils ont pas le temps de donner un coup de fil, d'avoir l'avis de
spécialistes, de se retourner, de lire un journal vraiment de
manière profonde ».
Et d'ajouter que, là aussi, ce sont << des pratiques
qui ont tendance à se multiplier, même à la RTBF »
239.
236 Entretien avec Isabelle PHILIPPON, Op. Cit.
237 Entretien avec Pierre EYBEN, 1er Avril 2009, Bruxelles.
238 Jean-Pierre MARTIN est un journaliste de RTL TVI, en charge
de l'international pour le Journal Télévisé.
239 Entretien avec Bertrand HENNE, Op. Cit.
Isabelle PHILIPPON va plus loin encore, racontant ses recherches
pour un nouveau travail, après son éviction du Vif.
Elle était, à l'époque, en contact avec
des gens de RTL, qui lui disaient << On ne va jamais te prendre parce que
tu es quelqu'un qui va fouiller, qui réfléchit. Ca prend
fatalement plus de temps, en raison de ta déontologie. Chez nous, les
jeunes ne font qu'abattre du boulot, c'est tout ce qu'on leur demande. En trois
minutes, ton truc est monté et tu passes à autre chose ».
Et Philippon de conclure : << Les journalistes produisent
et c'est tout, on ne leur demande pas de penser » 240.
Il y a donc une connaissance superficielle des dossiers.
Superficielle car, course contre le temps oblige, les journalistes se basent
sur un << travail de documentation se limitant le plus souvent à
la lecture des articles de presse consacrés au même sujet »
241. Et sur leurs apriori au sujet, par exemple, du monde ouvrier
242 (des apriori peu flatteurs, on l'a vu).
Cela fait que les journalistes se rendront plus difficilement
compte, tout simplement, du mal qu'ils font à telle cause, tel parti.
Comme le dit Pascal DURAND, les << contraintes de temps
[sont] objectivement propices au recyclage de pensées toutes faites
». Après tout, << La pensée exige du temps »
243. Or, comme on le voit, lesdites contraintes se font de plus en
plus fortes.
Pour Pierre BOURDIEU, dans un tel contexte, seuls peuvent se
déployer les << fast-thinkers ». Ces derniers pensent par
idées reçues, ces << idées reçues par tout le
monde, banales, convenues, communes », avec lesquelles << La
communication est instantanée, parce que, en un sens, elle n'est pas
»...Alors que, << A l'opposé, la pensée est subversive
: elle doit commencer par démonter les idées reçues et
elle doit ensuite démontrer ». Démontrer, << Ca prend
du temps, il faut dérouler une série de propositions
enchainées par des donc, en conséquence, cela dit,
étant
240 Entretien avec Isabelle PHILIPPON, Op. Cit.
Finalement, elle fut engagée par RTL TVI, à
l'occasion du scrutin de 2009.
241 BOURDIEU P., Contre-feux. Propos pour servir à la
résistance contre l'invasion néolibérale, Op.
Cit., page 82.
<< Course contre le temps », mais aussi, à
reprendre une formulation de François HEINDERYCKX, << course pour
l'espace ». Ainsi, selon François RUFFIN, << Loin de nous
handicaper, une absolue méconnaissance des sujets est un
véritable atout. Un savoir incongru risquerait de parasiter notre
synthèse : la complexité nous envahirait et nous
déborderions du format, dépasserions la minute, voire les une
minute quinze » (Source : RUFFIN F., Les petits soldats du
journalisme, Les Arènes, Paris, 2003, page 51).
242 GREUTER M. in MERMET D., << François Ruffin :
Les petits soldats du journalisme », Op. Cit.
243 DURAND P., La censure invisible, Op. Cit.,
pages 50-51.
entendu que... » 244. Du temps qui n'est
pas disponible.
En raison de la précarité, pas de vagues et pas
de temps. Cela vient se rajouter, pour n'évoquer que des
éléments de notre point 4.4, à l'écrémage,
à la mise à l'écart et aux origines familiales.
Il est maintenant temps de faire le point, de conclure ce
Mémoire.
244 BOURDIEU P., Sur la télévision,
Op. Cit., pages 30-31.
V. CONCLUSION
Le Titre I étant notre préambule, c'est dans notre
Titre II que nous avons relevé, pour commencer, l'existence d'un embargo
médiatique, d'une << censure par excès >>.
Dans un premier temps, nous avons commencé par battre en
brèche l'argument de la Loi de la majorité, dont les journalistes
se servent copieusement pour se déresponsabiliser sur le sujet.
En effet, après avoir mis en évidence
l'existence d'un cercle vicieux << absence d'exposition médiatique
- absence de résultats électoraux >>, nous avons vu que
cette loi était à géométrie variable
(épisode de Rudy AERNOUDT, et les 10 % que pourrait faire
l'ExtrêmeGauche).
Dans un deuxième temps, nous sommes passés
à la mesure proprement dite. Nous avons tout d'abord appris que des
journalistes politiques de renom n'avaient plus parlé de
l'ExtrêmeGauche depuis plus d'un quart de siècle. Nous avons aussi
vu que les quatre << grands >> partis francophones
représentent près de 97% des invités politiques
francophones du dimanche midi. Nous avons ainsi constaté une
sous-représentation de certains << petits >> partis, dont
ceux d'Extrême-Gauche.
Ensuite, nous avons montré que, non seulement cette
exposition médiatique était inférieure à la
représentativité électorale, mais que ladite exposition
était en outre concentrée dans le calendrier et dans la grille,
tout en étant limitée en terme de minutes et compensée par
une << double ration >> de partis traditionnels.
Enfin, après avoir remarqué que sur Internet, la
situation était loin d'être mauvaise en terme quantitatifs (4% de
présence dans le Talk élections de RTL TVI), nous avons
précisé que l'audience n'était pas la même et,
introduisant ainsi déjà la suite de notre développement,
qu'un biais qualitatif venait tout balayer.
Dans un troisième temps, nous avons introduit le
concept de débats << vraiment faux >>. Ainsi, en l'espace de
trois mois, malgré une bonne vingtaine d'émissions du dimanche
midi portant sur la crise, jamais l'Extrême-Gauche ne fut invitée
à donner son avis, alors même que lorsqu'on débat de la
direction que le pape donne à l'Eglise catholique, l'Opus Dei est
convié.
Parallèlement, nous avons constaté une
sureprésentation chronique des faits divers et de la crise communautaire
(des dossiers fustigés par l'Extrême-Gauche) par rapport à
certains dossiers portés par l'Extrême-Gauche, en l'occurrence
celui des Sans-papiers.
Nous en avons aussi profité pour toucher mot de la
problématique des invités permanents (représentant,
à douze, 36% des invités dominicaux), faisant que ce ne sont pas
des éléments socialistes du Parti Socialiste qui promeuvent ce
parti.
Ceci étant, l'embargo médiatique n'est pas la
seule épine dans la rose médiatique. Vient en effet s'y greffer,
en ce qui concerne l'Extrême-Gauche, un biais qualitatif, objet de notre
Titre III.
Et dans un premier temps, après avoir questionné
l'opportunité d'un tel biais, nous avons amené le concept de
débats, cette fois, << faussement vrais ». A cette fin, nous
avons évoqué les perpétuelles allusions à l'URSS et
les recentrages immédiats, lorsque l'Extrême-Gauche tente de
s'affranchir de son étiquette d'extrémiste pour se
réclamer simplement de Gauche.
Dans un deuxième temps, nous avons vu que
l'Extrême-Gauche passait, dans les médias, pour un bord politique
résolument tourné vers le passé. Economiquement
dépassé, et dans un combat n'ayant plus de sens aujourd'hui.
Dans le même ordre d'idées, nous avons
évoqué ces euphémismes pacificateurs (troquant, notamment,
le concept de << classes sociales » pour celui de << couches
sociales »), des euphémismes faisant passer le vote
Extrême-Gauche pour superflu.
Nous avons aussi vu que, si cela ne suffisait pas à
couper l'envie d'un vote à << la Gauche de la Gauche », les
journalistes pouvaient toujours faire dans la dérision. En vissant,
comme Grégory GOETHALS, une casquette de travers sur leur tête, ou
en demandant si la participation aux élections ne relève pas plus
d'un << coup de gueule » que d'un << vrai programme avec des
vraies idées ».
Dans un troisième temps, nous avons fait le constat que
l'Extrême-Gauche passait également, dans les médias, pour
un bord politique résolument dangereux. Avec une association très
claire à l'Extrême-Droite au pire, à Jean-Marie DEDECKER au
mieux. Avec, aussi, la
dénonciation d'un obscur noyautage des syndicats et d'un
usage de la violence (avec, en prime, des << positions équivoques
à l'égard du terrorisme islamiste >>).
Nous avons alors conclu, en partant du principe que
l'électeur moyen connait l'offre politique à la gauche du PS et
d'Ecolo (ce qui n'est pas gagné, au vu de notre Titre II), que ladite
offre a peu de chances de lui paraitre séduisante, en vertu des
éléments développés dans notre Titre III.
Et que c'est l'Extrême-Gauche, et non les <<
petits >> partis dans leur ensemble, qui sont marginalisés
médiatiquement, puisque des partis comme le RWF, s'ils font globalement
aussi l'objet d'une sous-représentation, en revanche ne font pas l'objet
d'un biais qualitatif.
Est venu alors notre Titre IV, qui avait pour but de mettre en
évidence les raisons à même d'expliquer cette
marginalisation médiatique de l'Extrême-Gauche dans la partie
francophone de notre plat pays.
Dans un premier temps, nous avons abondamment parlé du
rôle joué par la possession. Pour ce faire, nous avons d'abord mis
en évidence, d'une part l'influence des annonceurs (la radio pouvant
ainsi se permettre d'inviter Mateo ALALUF, les mesures d'audience s'y faisant
tous les six mois, et non tous les jours comme à la
télévision), et d'autre part le rôle de la concentration
(avec ces pages communes sur l'Economie, entre La Libre Belgique et
La Dernière Heure/Les Sports).
Et vu que posséder des médias est moins affaire
de plus-value économique que de plus-value idéologique, nous nous
sommes forcément interrogé sur l'existence d'une censure. Nous
avons alors vu que, s'il y avait bien de temps à autre des incidents
(Le Vif/L'Express à l'hiver 2009), la plupart du temps la
censure s'avère inutile, ce qui nous renvoyait déjà
à d'autres pistes, explorées dans un deuxième et un
troisième temps.
D'ici là, restant sur la problématique de la
possession, nous avons consacré plusieurs pages au service public, et
plus particulièrement au Conseil d'administration de la RTBF,
officiellement politisé (on parle même d'administrateurs <<
relais des partis >>). Et nous avons mesuré que, si le PS a une
majorité absolue dans ce Conseil, cela ne se traduit pas pour autant par
une présence accrue à l'antenne, tout du moins au niveau des
invités politiques. En revanche, nous avons noté que, sans
l'émission du 17 mai 2009, aucune de la quarantaine de semaines
d'émissions de la saison de Mise au point n'aurait vu la venue
d'un parti ne siégeant pas audit
Conseil, chose d'autant moins défendable que la RTBF
est financée par l'ensemble des contribuables, en ce compris donc des
contribuables votant pour des << petits >> partis. Cette
politisation, faisant que l'argument de la raison ne prime pas dans les
décisions (avec, notamment, un conditionnement des carrières),
parait d'autant plus surréaliste à partir du moment où
elle est dénoncée par des Johanne MONTAY, dont on a pourtant pu
remarquer par ailleurs l'hostilité aux thèses
développées dans ce Mémoire.
Cette partie sur les possessions fut éclairante en
regard de notre question de Mémoire puisque, en vertu du principe de
jouissance de sa propriété, il est raisonnable de penser qu'un
média est la caisse de résonance de son propriétaire. Or,
si l'Extrême-Gauche possède bien quelques antennes
médiatiques, celles-ci ne font pas le poids face aux médias
dominants. Des médias sur lesquels l'Extrême-Gauche n'a pas prise,
contrairement au Parti socialiste ou à Ecolo, en ce qui concerne la
Gauche et le service public.
Dans un deuxième temps, nous avons évoqué
les ponts entre le monde des médias et les mondes politique et
économique. Tout d'abord en parlant du Cercle de Lorraine, ce lieu
huppé destiné à tisser des << liens forts >>
entre ses membres (sachant que le Cercle ne compte pas de cadres du parti
Ecolo, ni même de syndicalistes). Le souci, ici, c'est que lesdits liens
induisent une probabilité accrue que les hommes de médias
présents se transforment en porte-voix de leurs amis du Cercle. Que,
à tout le moins, ils véhiculent les mêmes valeurs.
Toujours au sujet des ponts, nous avons aussi parlé des
conséquences d'une relation sur le long terme, et par moments plus
informelle, entre médias et politique. Sur le sujet, les journalistes
rencontrés sont montés sur leurs grands chevaux, vantant leur
capacité à faire la part des choses, leur capacité au
professionnalisme. Le problème, c'est que, là encore et comme
nous l'avons constaté plus loin, cette capacité est à
géométrie variable.
Dans un troisième temps, nous avons parlé
orthodoxie et hétérodoxie. Au sujet de l'orthodoxie tout d'abord,
nous avons avancé l'idée qu'il y avait une sorte de promotion des
journalistes bien-pensants. Un << écrémage >> faisant
que le sentiment de liberté des journalistes est authentique. Et ce
sentiment de liberté, en l'occurrence quant au fait de ne pas parler de
l'Extrême-Gauche, on ne le retrouve pas uniquement dans les sommets
hiérarchiques. En effet, il s'avère que le profil sociologique
des étudiants en journalisme fait que, l'Extrême-Gauche, on
connait assez mal, à la base. Que les mouvements sociaux, on n'a jamais
vraiment baigné dedans.
En ce qui concerne l'hétérodoxie, on a
noté que bien des journalistes << tendance gaucho >> (Wahoub
FAYOUMI, Gérard DE SELYS ou Martine VANDEMEULEBROUCKE) connurent et
connaissent encore des problèmes dans leurs carrières suite
à leurs inclinaisons idéologiques, quand bien même ces
inclinaisons restaient sans conséquence dans leur traitement de
l'information. Une capacité au professionnalisme à
géométrie variable, disions-nous. Et c'est d'autant plus flagrant
que cela ne concerne pas une Hakima DARMOUCH, pourtant ancienne porte-parole de
Louis MICHEL.
Dans un quatrième temps, enfin, nous avons
abordé le thème de la précarisation, que nous avons voulu
présenter sous une double facette. La première facette,
économique, concernait la multiplication des pigistes et autres
stagiaires, des statuts ne mettant pas en position de << faire des vagues
>>. La seconde facette, corollaire de la première, nous l'avons
appelée << Syndrome Jean-Pierre MARTIN >>, du nom de ce
journaliste de RTL TVI traitant bien souvent trois dossiers internationaux dans
un même journal télévisé. Pierre BOURDIEU nommait
cela << fast-thinking >>, une façon de faire étant
propice au recyclage d'idée reçues, et donc peu propice à
la diffusion d'idées non reçues, comme celles
d'Extrême-Gauche. Et c'est là-dessus que nous avons
clôturé notre Titre IV.
Ce qu'on peut retirer de ce Mémoire comme enseignements,
c'est globalement deux choses.
D'une part, l'Extrême-Gauche francophone belge est
marginalisée dans les médias francophones belges. Elle l'est pour
deux raisons. Premièrement, son exposition médiatique est
inférieure à sa représentativité électorale.
Deuxièmement, elle fait l'objet d'un biais qualitatif.
D'autre part, on ne peut pas dire que cette marginalisation
soit le résultat d'une stratégie. Car, si le principe de la
jouissance de sa propriété va dans ce sens, en revanche la
thématique des possessions est à compléter de trois
éléments. Premièrement, les liens tissés entre les
médias dominants et leurs homologues des mondes politique et
économique. Deuxièmement, l'écrémage. Et enfin,
troisièmement, la précarisation.
A reprendre, à nouveau, une formule d'Alain ACCARDO, on
dira que << Il n'est pas nécessaire que les horloges conspirent
pour donner pratiquement la même heure en même temps >>. Ou
encore, le plus simplement du monde : pas de stratégie, mais au final
une même issue cependant, à savoir la marginalisation.
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6. Entretiens
6.1 Presse écrite
Christian CARPENTIER (La Dernière Heure/Les
Sports), 24 mars 2009, Bruxelles. David COPPI (Le Soir), 5 mai
2009, Bruxelles.
Isabelle PHILIPPON (Ex-Le Vif/L'Express), 27 mars 2009,
Bruxelles. Francis VANDEWOESTYNE (La Libre Belgique), 8 avril 2009,
Bruxelles.
6.2 Radio
Frédéric CAUDERLIER (Bel RTL), 18 mars
2009, Bruxelles. Bertrand HENNE (La Première), 27 mars 2009,
Bruxelles. Philippe WALKOWIAK (La Première), 17 mars 2009,
Bruxelles.
6.3 Télévision
François DE BRIGODE (La Une), 12 mars 2009,
Bruxelles. Johanne MONTAY (La Une), 10 mars 2009, Bruxelles.
Stéphane ROSENBLATT (RTL TVI), 25 mars 2009, Bruxelles.
6.4 Journalistes hétérodoxes
Gérard DE SELYS (Ex-RTBF), 3 mars 2009, Bruxelles. Wahoub
FAYOUMI (RTBF), 18 mars 2009, Bruxelles.
6.5 Représentants de partis d'Extrême-Gauche
Pierre EYBEN (Parti Communiste), 1er avril 2009,
Bruxelles.
Raoul HEDEBOUW (Parti du Travail de Belgique), 13 mars 2009,
Liège. Laure MIEGE (Parti Socialiste de Lutte), 2 avril 2009,
Bruxelles.
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