SOMMAIRE
INTRODUCTION
|
2
|
PREMIER CHAPITRE : LES SOURCES DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
|
11
|
SECTION PREMIÈRE : LES SOURCES INTELLECTUELLES DU DROIT DE
NE PAS
|
|
S'AUTOACCUSER
|
12
|
I. LES SOURCES PHILOSOPHIQUES DU DROIT DE NE PAS
SÕAUTOACCUSER
|
.12
|
II. LES SOURCES JURIDIQUES Ë LÕORIGINE DU DROIT
DE NE PAS SÕAUTOACCUSER
|
13
|
|
SECTION DEUXIéME : LES SOURCES NORMATIVES DU DROIT DE NE
PAS S'AUTOACCUSER..14
I. LÕINFLUENCE DES ORDRES JURIDIQUES PROCHES
|
14
|
II. LA RECHERCHE DÕUN FONDEMENT CONVENTIONNEL
|
17
|
CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
|
27
|
DEUXIEME CHAPITRE : LE DOMAINE DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
|
29
|
SECTION PREMIÈRE : LA NOTION DE MATIéRE
PÉNALE
|
30
|
I. LÕÉLABORATION DIFFICILE DÕUN
CRITéRE DE LA MATIéRE PÉNALE
|
30
|
II. TYPOLOGIE DES AFFAIRES RESSORTISSANT Ë LA
MATIéRE PÉNALE
|
33
|
|
SECTION DEUXIéME : LA QUALITÉ D'ACCUSÉ D'UNE
INFRACTION
|
36
|
I. LÕACCUSÉ CLASSIQUE OU LE CRITéRE DES
RÉPERCUSSIONS IMPORTANTES
|
37
|
II. LÕACCUSÉ TÉMOIN OU LE
CRITéRE DE LA NOTIFICATION OFFICIELLE
|
39
|
III. LÕACCUSÉ PERSONNE MORALE OU LE
CRITéRE EN SUSPENS
|
41
|
|
CONCLUSION DU DEUXIéME CHAPITRE
|
43
|
TROISIEME CHAPITRE : LA PORTEE DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
|
45
|
SECTION PREMIÈRE: LES VIOLATIONS AU STADE DE
L'ENQUæTE : LE CRITéRE DE LA
|
|
COERCITION ABUSIVE
|
46
|
I. LA CONTRAINTE PHYSIQUE OU LA POSSIBILITÉ RELATIVE
DE FORCER LE REQUÉRANT Ë
|
|
COLLABORER PASSIVEMENT Ë SA PROPRE ACCUSATION
|
46
|
II. LA CONTRAINTE PSYCHOLOGIQUE OU
LÕIMPOSSIBILITÉ ABSOLUE DE FORCER LE
|
|
|
REQUÉRANT Ë COLLABORER ACTIVEMENT Ë SA
PROPRE ACCUSATION
|
51
|
CONCLUSION DE LA SECTION PREMIÈRE
|
.61
|
SECTION DEUXIéME : LES VIOLATIONS AU STADE DU JUGEMENT :
LE CRITéRE DE L'IMPACT
63
I. LÕINTERDICTION ABSOLUE DE CONDAMNER
LÕACCUSÉ SUR LE FONDEMENT DÕAVEUX CONTRAINTS 64
II. LÕINTERDICTION RELATIVE DE CONDAMNER
LÕACCUSÉ SUR LE SEUL FONDEMENT DE SON
SILENCE 70
CONCLUSION DE LA SECTION DEUXIéME 79
CONCLUSION GENERALE 81
INTRODUCTION
1. «Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que
vous direz pourra être retenu contre vous. Vous avez le droit de
consulter un avocatÉ». Ainsi commence la longue litanie des
«droits» du suspect, dont même le grand public sait, gr%oce aux
fictions policières, qu'ils doivent être notifiés par les
enquêteurs avant le début des interrogatoires, si ce n'est
dès les premiers instants de l'arrestation.
Ë l'heure oü, en France, l'enregistrement audiovisuel
gardes à vue 1
on procède à des , on peut
se demander si la réalité est en passe de
rejoindre la fiction. En tout cas, on constate un regain d'intérêt
pour les droits du suspect et ce, tout au long de la procédure. Cette
surenchère technologique vise en effet à renforcer le
mécanisme classique, garant de l'équité, constitué
par la présomption d'innocence ou les grands principes régissant
le droit de la preuve. Ainsi, alors même que la tendance actuelle est
à la répression accrue des comportements nuisibles à la
société, les réformes les plus récentes semblent
justifiées par le souci de rétablir l'égalité des
armes entre les autorités chargées des poursuites et le
suspect.
2. Pour autant, les modifications apportées concernent
surtout des détails techniques; les principes fondamentaux, eux,
demeurent inchangés. Ainsi, une loi récente visant à
Ç renforcer l'équilibre de la procédure pénale
>>2 crée des pTMles d'instruction et encadre le
déroulement des gardes à vue mais ne touche pas à la
présomption d'innocence ou aux règles de preuve. En
réalité, les premiers éléments viennent en
«renfort» des seconds, qui sont le pilier de
«l'équilibre» visé. On constate que l'article 116
CPP, par exemple, existe toujours, imposant au juge d'instruction
d'avertir le suspect qu'après avoir consulté son avocat, il
Ç a le choix soit de se taire, soit de faire des déclarations,
soit d'être interrogé >>.
Parmi les droits reconnus ici à
l'intéressé, le premier lui confère une immunité de
parole qui, associée à la présomption d'innocence et aux
autres règles de preuve, garantit le caractère équitable
de la procédure. En effet, le droit de se taire, ainsi que la
consultation de l'avocat qui précède son exercice, lui permettent
de conserver la liberté de sa défense, et jouent le rTMle
1 Art. 14 de la loi n 2007-291 du 5 mars 2007 tendant
à renforcer l'équilibre de la procédure pénale
(nouvel article 64-1 CPP).
2 Cf. note 1 ci-dessus.
de contrepoids face aux prérogatives des
enquêteurs dans la recherche de preuves à charge. Le suspect peut
ainsi non seulement s'exprimer pour contester la force probante des
pièces obtenues gr%oce aux perquisitions, mais également choisir
de se taire ou de répondre aux questions qui lui sont posées
selon que l'un ou l'autre comportement lui para»t être la meilleure
stratégie de défense.
3. L'immunité de parole est sans doute, des
règles qui garantissent l'équité de la procédure,
la plus surprenante. En effet, elle permet à l'individu qui fait l'objet
des poursuites de mentir, au moins par omission, et de faire ainsi obstacle
à l'établissement de la vérité judiciaire. Or, le
droit pénal consacre également un Çdevoir de respecter le
vrai È3, tout particulièrement en matière
pénale oü les enjeux justifient que tout citoyen soit astreint
à dire la vérité. Si certaines obligations de
dénoncer des infractions ne peuvent être imposées à
leur auteur4, ce n'est pas le cas de toutes. Ainsi, un individu
ayant causé un accident de la circulation doit permettre son
identification5 ; de même, l'auteur d'une agression doit
porter secours à sa victime6. Par conséquent, une
difficulté surgit de la confrontation des textes, qui tantôt
obligent à parler, tantôt autorisent à se taire. Il y a
donc un conflit de valeurs entre les droits de la défense et l'objet de
protection d'une norme imposant l'obligation susmentionnée.
4. Pareillement, certaines procédures spéciales
prévoient une sanction pénale en cas de refus de
l'intéressé de participer à la recherche de preuves.
Ainsi, en matière fiscale, l'administration des impôts peut
contraindre tout contribuable à lui communiquer des documents qu'il
détient et qui permettraient d'établir l'assiette et le
contrôle de l'impôt dont il est redevable7. Or, en cas
de refus, l'individu concerné s'expose à une amende d'un montant
élevé8 ; à l'inverse, s'il accède
à la demande de l'administration, celle-ci pourra se fonder sur les
documents communiqués pour engager des poursuites pénales du chef
de fraude fiscale. La situation dans laquelle est ainsi placée le
contribuable est particulièrement déséquilibrée
puisque, d'un côté, il sera sanctionné automatiquement en
raison de son simple refus, et de l'autre, il sera sanctionné sur le
fondement des preuves qu'il aura lui-même produites. En
3 Cf. A.-M. Larguier, Immunités et
impunités découlant pour l'auteur d'infractions d'une infraction
antérieurement commise par celui-ci, article cité en
bibliographie.
4 Cf. A.-M. Larguier, article ci-dessus.
5 Code pénal, article 222-19-1,
6°.
6 Code pénal, article 223-6, al. 2,
tel que l'interprète la Cour de cassation. Cf. Crim. 24 juin
1980, Bull. crim.., n° 202 ; RSC 1981, p. 618, obs.
Levasseur, àpropos de violences mortelles.
7 LPF, art. 81 et suivants.
8 Art. 1740 CGI, al. 1.
outre, l'intéressé ne pourra opposer
efficacement les droits de la défense puisque, dans le premier cas, il
ne fait l'objet d'aucune poursuite et n'a donc pas de défense à
exercer, tandis que dans le second, sa défense sera
discréditée par ses propres déclarations
antérieures.
Ce type de procédure s'inscrit également dans le
cadre d'un conflit de valeurs entre nécessités de la
répression et droits
de la défense, conflit tranché dans le sens
d'une négation de ces derniers par l'obligation faite à
l'intéressé de produire des pièces à charge.
L'inégalité des armes est flagrante en la matière, et
l'équité exigerait que le contribuable puisse, ici aussi,
bénéficier d'une certaine immunité de parole, d'un certain
droit au silence.
5. Si la notion de droit au silence s'impose avec
difficulté dans les systèmes oü, une place supérieure
étant accordée aux intérêts de la justice, la
volonté des parties ne doit pas faire obstacle à
l'établissement de la vérité - autrement dit, dans les
systèmes à dominante inquisitoire - les pays de Common Law,
particulièrement soucieux des droits de la défense, s'en
accommodent plus aisément. En effet, puisque c'est aux parties,
égales entre elles y compris en matière pénale,
d'établir la vérité, il est naturel qu'aucune ne puisse
contraindre l'autre à rompre le silence. Le Vème
Amendement de la constitution américaine reconna»t ainsi
expressément le droit pour tout justiciable de ne pas être
contraint de témoigner contre soi- même9.
6. Lorsque l'on se situe au niveau européen, oü
différents systèmes de droit cohabitent, il importe
d'établir un modèle juridique uniforme, afin que tous les
justiciables bénéficient d'une même égalité
de traitement. En matière de droits fondamentaux, ce modèle
existe: il s'agit de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales10 (ci-après
la ConvEDH ou la Convention), dont les exigences doivent être
intégrées dans l'ordre juridique interne de chaque Etat-membre.
Cependant, le texte européen ne prévoit pas sa transposition
directe: chaque Etat reste libre de mettre en Ïuvre les moyens qu'il
estime nécessaires pour parvenir au résultat souhaité par
la Convention. Dans de telles conditions, il est naturel qu'un organe
juridictionnel assure l'harmonisation des droits consacrés au niveau
national, afin qu'il n'y ait pas de disparité d'application au sein de
l'ordre
9 Ç No person shall be [É] compelled
in any criminal case to be a witness against himselfÈ. La Cour
Suprême interprète ces dispositions comme consacrant un droit de
ne pas témoigner oralement contre soi-même; il est en revanche
licite de contraindre l'accusé à produire des preuves contre
lui-même, ce qui montre bien la difficulté de concilier
liberté de parole et recherche de la vérité, même
dans un système qui fait la part belle aux droits de la
défense.
10 Signée à Rome le 4 novembre 1950 et
ratifiée par la France le 3 mai 1974.
juridique européen. C'est à la Cour
européenne des droits de l'homme (ci-après la CourEDH ou la Cour)
qu'il revient d'assurer ce contrôle. Chargée de
l'interprétation des dispositions conventionnelles, elle contribue
à l'élaboration d'un standard européen vers lequel les
systèmes nationaux doivent tendre.
7. Parmi les articles phares du modèle instauré
par la Convention figure l'article 6, qui consacre le droit à un
procès équitable. Le souci de l'équité n'est certes
pas une nouveauté mais l'originalité de son interprétation
par la Cour a provoqué d'importantes transformations au sein des ordres
internes. Ainsi, le droit au procès équitable suppose à la
fois le droit d'accès à un des de autorités publiques
11
juge et le droit à l'exécution décisions
justice par les ,
ce dernier élément ayant été
dégagé des textes par une interprétation extensive de la
Cour. Les dispositions visées ne consacrent en effet que le droit de
toute personne <<à ce que sa cause soit entendue (É) par un
tribunal >>12, sans aucune référence à la
mise en Ïuvre des décisions de ce tribunal.
De méme, en matière d'impartialité de la
juridiction13, la CourEDH a surpris par le sens et la portée
qu'elle a donnés à ces termes. En effet, elle a
considéré qu'il y a violation de l'article 6 lorsque l'avocat
général près la Cour de cassation participe au
délibéré, quoique seulement avec voix consultative, car
<<il y a disposé, fût-ce en apparence, d'une occasion
supplémentaire d'appuyer ses conclusions en chambre du conseil
>>14. Cette «théorie de l'apparence» illustre
l'originalité des interprétations de la Cour, qui
développe des notions européennes autonomes, différentes
de leurs homologues en droit interne.
8. Néanmoins, la Cour s'était jusque là
limitée à une interprétation large, voire extensive des
textes, dans le sens d'une exigence toujours accrue et d'un contrôle
approfondi du caractère équitable des procédures internes.
Or, récemment, elle a dégagé de l'article 6 une notion qui
n'y figure pas expressément et, par une interprétation cette
fois-ci véritablement constructive qui rajoute aux dispositions du
texte, elle a érigé l'immunité de parole en garantie
conventionnelle de l'équité. L'arsenal européen est
désormais doté d'un << droit de ne
11 CEDH 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, JCP
G 1997, II, 22949.
12 ConvEDH, art 61.
13 Cf. art. 6§1 : << toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue (É) par un tribunal
indépendant et impartial >>.
14 CEDH 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique,
Rec., A, 1996, I.
Vème
pas contribuer à sa propre incrimination È,
équivalent européen du Amendement
américain15.
Fondé malgré tout sur des dispositions de la
Convention, ce droit s'impose à tous les Etats- membres et, si ceux-ci
connaissaient déjà l'immunité de parole, la notion est
désormais définie de facon autonome par la CourEDH qui en assure
l'application uniforme au sein des ordres nationaux.
9. Cependant, poser des définitions in abstracto
n'est pas le point fort de la Cour, qui ne veut pas se laisser enfermer
par sa propre conception contingente d'un droit. Aussi, plutôt que de
fixer a priori les règles à respecter, elle
considère que, puisque le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination a été rattaché à l'article 6 ConvEDH,
son rôle revient à contrôler le caractère
équitable de la procédure dans son ensemble, et
d'apprécier in concreto si, dans cette optique, les exigences
découlant de ce droit ont effectivement été
violées. Ainsi, en matière de droit à l'immunité de
parole, dont on a vu que les enjeux se situent essentiellement sur le terrain
de la recherche de preuve en matière pénale, la CourEDH rappelle
régulièrement <<qu'aux termes de l'article 19 de la
Convention, elle a pour tâche d'assurer le respect des engagements
résultant de la Convention pour les Etats contractants.
Spécialement, il ne lui appartient pas de conna»tre des erreurs de
fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf
si et dans la mesure oü elles pourraient avoir porté atteinte aux
droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si celle-ci
garantit en son article 6 le droit à un procès équitable,
elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en
tant que telles, matière qui dès lors relève au premier
chef du droit interne. Il n'appartient pas à la Cour de se prononcer,
par principe, sur la recevabilité de certaines sortes
d'éléments de preuve, par exemple des éléments
obtenus de manière illégale, ou encore sur la culpabilité
du requérant. Il y a lieu d'examiner si la procédure, y compris
la manière dont les éléments de preuve ont
été recueillis, fut équitable dans son ensemble, ce qui
implique l'examen de l'<< illégalitéÈ en question
et, dans les cas oü se trouve en cause la violation d'un autre droit
protégé par la Convention, de la nature de cette
violationÈ16.
15 La notion est essentiellement inspirée de
la Common Law, môme si son contenu est adapté aux
particularités du droit européen. La Cour n'hésite
d'ailleurs pas à l'interpréter en reprenant à son compte
la jurisprudence de la Cour suprôme américaine et de la Cour
suprôme canadienne, cf. infra n° 31.
16 Cf. CEDH 5 octobre 2001, Allan c/ Royaume-Uni,
§ 42 ; CEDH 11 juillet 2007, Jalloh c/ Allemagne, § 95.
10. Il est certain que le Cour ne saurait, par ses
décisions, modifier le droit d'un Etat souverain. Néanmoins, il
ne fait pas de doute que sa jurisprudence exerce une influence
considérable sur le droit interne. En effet, lorsqu'en matière de
droit au silence, elle censure les dispositifs nationaux qui constituent un
Ç guet-apens >>17 visant à provoquer les aveux
d'un suspect, le législateur doit alors modifier la loi sous peine
d'encourir de nouvelles condamnations, et les juridictions internes doivent
reprendre à leur compte la jurisprudence européenne. La CourEDH
permet ainsi, sous couvert de rendre des solutions d'espèce,
d'identifier les dispositions nationales qui contrarient les exigences de la
Convention, et suggère à tout le moins les remèdes qu'il
conviendrait de leur substituer.
11. Il reste que sa jurisprudence est casuistique, souvent
discrétionnaire (arbitraire?) et parfois contradictoire. La Cour se
Çbornant aux faits de la cause >>18, il est très
difficile d'ordonner les espèces en un ensemble cohérent et d'en
tirer de grands principes concernant le droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination.
La doctrine ne s'y est pas essayée et rares sont les
tentatives de présenter une analyse claire et précise de la
jurisprudence de la CourEDH sur ce point particulier19. Les auteurs
envisagent la question dans le cadre plus général du droit
à un procès équitable consacré par l'article 6,
et
20
n'accordent que des développements succincts au droit
de ne pas s'incriminer soi -même . Ainsi, le recueil des grands
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme n'y consacre
21
que deux p ages et se contente de rappeler les solutions
posées fil des espèces
au . Toutefois, il est probable qu'il n'existe pas, dans
l'esprit de la Cour elle-même, une construction particulièrement
élaborée et cohérente du droit de ne pas contribuer
à sa propre incrimination. Aussi faut-il apprendre à se contenter
d'indications confuses et d'obiter dicta disséminés
çà et là, pour tenter au final de dégager une
vision claire et complète du mécanisme mis en place.
12. La chose est d'autant plus difficile que les termes
mêmes employés par la CourEDH n'ont pas toute la précision
souhaitable. Les expressions désignant le droit en question sont
17 Arrêt Allan, précité.
18 CEDH 2 mai 2000, Condron c: Royaume-Uni, § 55;
CEDH 8 février 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, §44.
19 Excepté l'exposé de L.-E. Pettiti,
Droit au silence, cité en bibliographie et qui
récapitule la jurisprudence de la Cour sans en proposer d'explication
particulière, il n'existe pas d'étude consacrée
exclusivement au droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination.
20 Ainsi de F. Sudre, dont les chroniques au
JCP intègrent en quelques lignes les arrêts sur cette
question dans une revue des Ç règles du procès
équitable >>. Cf., notamment, JCP G, 1998, I,
107.
21 F. Sudre et alii, Les grands
arrêts de la Cour européenne des droits de lÕhomme,
cité en bibliographie.
multiples mais ne se recoupent pas toujours parfaitement, la
conception de la Cour elle-même évoluant au fil des
espéces. Droit au silence, droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination, droit de se taire, droit de ne pas collaborer à son
accusation, droit de ne pas produire des preuves à chargeÉLes
expressions ne sont pourtant pas substituables et, sans développer une
construction nettement hiérarchisée, la Cour nÕaccorde pas
la même importance à toutes ces notions.
13. La formule initiale est la plus frequemment employee, qui
consacre le Ç droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination ». Il est navrant de constater quÕau moment
même oil la CourEDH crée une notion nouvelle et potentiellement
riche en consequences juridiques, elle la désigne par des termes
inappropriés sans rapport avec le sens quÕelle entend lui donner.
En effet, ÒlÕincriminationÓ désigne Ç
lÕacte officiel de reprobation du législateur »22
qui determine les comportements quÕil convient dÕériger en
infraction pénale. Il sÕagit dÕune operation
essentiellement politique. ÒContribuer à sa propre
incrimination» signifie donc littéralement participer à la
déterminat
ion des infractions, ce qui, dans un regime
représentatif, consiste principalement à élire les
représentants du peuple. Il est bien evident que ce nÕest pas
cette operation qui est visée par la Cour et que le droit quÕelle
consacre doit etre appréhendé dans sa dimension judiciaire et
notamment procédurale. Ce qui est en jeu, cÕest la façon
dont la procedure pénale est susceptible de nier la liberté de
parole du justiciable, de lÕamener à reveler contre son
gré des faits ou des actes qui permettent dÕétablir
quÕil est lÕauteur dÕune infraction. Ce faisant,
lÕintéressé fait le jeu du ministére public et, au
lieu de se défendre, contribue à stayer sa propre accusation.
14. Il semble donc plus approprié de designer le droit
dont il sÕagit par lÕexpression Òdroit de ne pas
contribuer à sa propre accusation», ou plus simplement de parler du
Òdroit de ne pas sÕautoaccuserÓ. DÕautant que
lÕarticle 6 ConvEDH, lorsquÕil définit le champ
dÕapplication des regles du procés equitable, dispose notamment
que ces regles sÕappli quent à toute procedure dÕÇ
accusation en matiére pénale È. En consequence, et pour la
clarté du propos, le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination, tel quÕil est consacre par la CourEDH, sera le plus
souvent désigné par lÕexpression Òdroit de ne pas
sÕautoaccuserÓ.
22
Cf. Yves Mayaud, Droit pénal
général.
De plus, selon les termes mêmes de la Cour, Ç la
notion dÕaccusation en matiére pénale revêt un
caractére autonome ; elle doit sÕentendre au sens de la
Convention, dÕautant quÕen son texte anglais lÕarticle 6-1
se sert dÕun mot Ð charge Ð de portée fort vaste
È23. Par suite, le terme ÒaccuseÓ sera entendu
au sens autonome que lui confére la ConvEDH 24 et
désignera aussi bien la personne accusée dÕun crime que le
prévenu poursuivi du chef dÕun délit et, dÕune
façon plus générale, toute personne suspectée
d'être lÕauteur dÕune infraction.
Enfin, les requérants et la Cour elle-même
transforment lÕarticle 6 en une sorte de fourre-tout servant de
fondement aux requêtes, sans distinguer entre les différents
droits quÕil consacre au titre du procés
équitable25. Aussi, dans les développements qui
suivent, essentiellement consacrés au Òdroit de ne pas
sÕautoaccuserÓ, lÕexpression «violation de
lÕarticle 6Ó sera employee, sauf precision contraire, comme
synonyme de «violation du droit de ne pas sÕautoaccuserÓ.
15. Saisie dÕune requête en violation du droit de
ne pas sÕautoaccuser, la Cour procéde toujours selon le
même raisonnement, dont les grandes étapes sont
synthétisées dans une formule type, rappelée à
titre préliminaire avant tout examen au fond de lÕaffaire. Ce
modéle subit parfois de légéres modifications mais il
reste une constante, si bien que la Cour, dans les arrêts plus
récents, se contente de renvoyer à sa propre jurisprudence et ne
reprend
plus
lÕénoncé dans son intégralité
:
Ç Même si l'article 6 de la Convention ne les
mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et le droit de
ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes
internationales généralement reconnues qui sont au cÏur de
la notion de procés equitable. Elles tendent à mettre le
prévenu à l'abri d'une coercition abusive de la part des
autorités, donc à éviter des erreurs judiciaires et
à garantir le résultat voulu par l'article 6. Le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination concerne en premier lieu le respect
de la determination d'un accuse à garder le silence et presuppose que
l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à
des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les
pressions, au mépris de la volonté de l'accusé. Pour
rechercher si une procedure a anéanti la
23 CEDH 27 fevrier 1980, Deweer c/ Belgique, Rec.
Série A, n35 .
24 Sur le sens autonome de lÕexpression
Òaccuse en matière penaleÓ, cf. infra, n77.
25 Seul lÕarticle 6§1 a trait au proces
equitable ; le 2 concerne la presomption dÕinnocence et le 3 les droits
de la defense. Mais le proces equitable tantTMt absorbe les autres notions,
tantTMt se combine avec elles, et sÕil est inapproprie de parler de
violation du droit à un proces equitable pour designer lÕensemble
de ces textes, il est acceptable de parler plus generalement de violation de
lÕarticle 6 sans preciser le paragraphe dont il sÕagit, pour
designer une violation du droit de ne pas sÕautoaccuser. DÕautant
que la Cour fonde les applications de ce droit aussi bien sur le 1 que sur les
deux paragraphes suivants. Sur ces developpements, cf. infra, n 33 et
suivants.
substance même du droit à ne pas contribuer
à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le
degré de la coercition, l'existence de garanties appropriées dans
la procédure et l'utilisation qui est faite des éléments
ainsi obtenus ».
16. Cet énoncé est facile à comprendre et
a le mérite de résumer les grandes étapes dans la mise en
oeuvre in concreto du droit de ne pas s'autoaccuser. La CourEDH en
délimite d'abord les contours : elle identifie l'origine de ce droit et
sa finalité. Elle rattache ensuite la notion à un fondement
juridique, car la Cour doit avant tout appliquer le texte de la Convention.
Enfin, elle en précise la portée, en identifiant les enjeux du
droit de ne pas s'autoaccuser et les éléments principaux qui
feront l'objet de son contrTMle.
Il faudra donc dans un premier temps situer ce droit dans son
contexte, ce qui impose d'en étudier les sources (premier
chapitre). Jusque là inédit dans l'ordonnancement
juridique européen, le droit de ne pas s'autoaccuser est rattaché
par la CourEDH à un fondement textuel qui en détermine le champ
d'application. Il faut donc, dans un deuxième temps, étudier son
domaine (second chapitre). Enfin, le mécanisme mis en
place est particulierement complexe, ce qui rend sa lecture malaisée. Il
convient donc de remettre un peu d'ordre au sein de la jurisprudence de la Cour
et de dégager, de ses applications aux différents cas d'espece,
la portée concrete du droit de ne pas s'autoaccuser (troisiime
chapitre).
PREMIER CHAPITRE : LES SOURCES DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
17. Le droit de ne pas s'autoaccuser puise sa source dans des
considérations intellectuelles qui lui confèrent à la fois
une légitimité et un but. Une légitimité d'abord,
parce que ce droit n'est pas consacré par la Convention elle même,
mais correspond à l'esprit du texte qui vise à protéger
les «droits de l'homme» et les «libertés
fondamentales». L'inspiration philosophique confère au droit de ne
pas s'autoaccuser une touche de jusnaturalisme qui l'intègre
parfaitement dans l'ordonnancement juridique européen. Un but ensuite,
parce que le mécanisme mis en place devra permettre d'assurer, au niveau
de chaque Etat-membre, le respect des exigences posées par la CourEDH.
Celle-ci s'inspire des systèmes connus (le droit de ne pas s'autoaccuser
n'est une nouveauté qu'au niveau européen) pour élaborer
finalement une construction assez originale.
Ces développements feront l'objet de la section
première.
18. Le droit de ne pas s'autoaccuser ne peut toutefois se
satisfaire d'une simple légitimité théorique. Pour pouvoir
être invoqué par les requérants, il doit être
doté d'une assise juridique, plus précisément d'une assise
conventionnelle. Usant de ses prérogatives en tant qu'organe
chargé de la mise en Ïuvre uniforme des dispositions de la
Convention, la CourEDH a prétendu découvrir un droit enfoui au
coeur des textes, ce qui lui a permis de mettre en place un mécanisme
doté d'une assise juridique stable et incontestable. Le fondement
textuel du droit de ne pas s'autoaccuser fera l'objet d'une section
deuxième .
SECTION PREMIÈRE: LES SOURCES INTELLECTUELLES
DU
DROIT DE NE PAS S'AUTOACCUSER
19. Le droit de ne pas s'autoaccuser n'a pas
été créé de toutes pièces par la CourEDH. Il
s'inscrit dans un contexte particulier qui permet, à rebours,
d'expliquer certains choix techniques opérés par celle -ci. En
effet, le droit de ne pas s'autoaccuser est la manifestation, en
procédure pénale, de considérations d'ordre philosophique
(I) et purement juridique (II).
I. LES SOURCES PHILOSOPHIQUES DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER
20. Nemo tenetur prodere seipsum disposait le droit
canon, attribuant à la parole, conquête de l'homme et cÏur de
sa personnalité, un caractère sacré qu'elle conserve
encore aujourd'hui. En effet, la parole est de l'essence même de
l'être humain, dans son aspect positif mais aussi dans sa
Çcontre-face >>26, le silence. Le respect de la
liberté de parole est donc Çun élément dü au
respect de la dignité de la personne >>27. Sur le
terrain de la liberté d'expression, cela implique de pouvoir librement
choisir entre parler ou se taire, de pouvoir être maître de sa
communication avec autrui.
21. Cette dualité du logos, à la fois action et
omission, entraîne des conséquences particulières en
matière de justice, et plus particulièrement de justice
pénale. Ainsi, sur le terrain judiciaire, on retrouve la liberté
d'expression dans sa double acception, droit de parler librement et droit de se
taire.
En matière civile, le caractère sacré de
la parole transparaît dans la force probante de l'aveu, manifestation de
la liberté de parole du justiciable. En matière pénale,
oü la spontanéité et la sincérité de la parole
sont plus douteuses, il importe de préserver plutôt que de
favoriser la liberté de parole, l'accent est donc mis sur le silence,
corollaire du libre aveu, qui comprend le droit de se taire et le droit de ne
pas s'autoaccuser.
Il est compréhensible que l'aveu soit doté d'une
reconnaissance particulière, puisqu'il permet l'établissement
de la vérité, l'un des grands mythes du système
judiciaire. En revanche, le silence, par hypothèse, empêche de
connaître la réalité et l'on peut s'étonner de le
voir érigé
26 L.-E. PETTITI, Droit au silence,
cité en bibliographie.
27 Ibid.
en droit, tout particulièrement en matière
pénale oü la gravité des faits para»t justifier le
sacrifice de la liberté de parole sur l'autel de la
vérité.
22. Le droit de ne pas s'autoaccuser est la traduction
juridique de considérations philosophiques qui tiennent au
caractère sacré de la parole. Des problèmes plus
techniques se posent également, qui tiennent aux moyens par lesquels
l'équilibre de la procédure peut être
réalisé.
II. LES SOURCES JURIDIQUES Ë L'ORIGINE DU DROIT DE NE
PAS S'AUTOACCUSER
23. Par rapport à la justice pénale, les droits
susmentionnés sont essentiellement des garanties procédurales
contre les contraintes abusives exercées, par les enquêteurs et
les juges dans le cadre de la recherche de preuves, sur la liberté de
parole du justiciable. On apercoit ici les termes d'un conflit
d'intérêts, lequel est le reflet d'une confrontation entre deux
philosophies du droit de la preuve.
D'un côté, les Etats de tradition dite
«inquisitoriale», qui accordent de larges prérogatives
à tous ceux qui oeuvrent à la recherche et à
l'établissement de la vérité judicaire. Dans ce
système, les intérêts supérieurs de la justice
l'emportent sur la liberté de parole du suspect.
De l'autre côté, les Etats de tradition dite
«accusatoire», qui accordent une place prépondérante
aux prérogatives des parties. Le souci des droits de la défense
l'emporte sur celui de l'établissement judicaire de la
vérité.
La plupart des Etats européens ont un droit de la
preuve qui emprunte aux deux systèmes, afin de parvenir à un
équilibre satisfaisant entre la protection des libertés
individuelles et les nécessités de la répression.
24. Ces considérations influencent grandement la
façon dont la justice européenne appréhende la
liberté de parole, envisagée en matière pénale
comme liberté de conserver le silence. Le droit de ne pas s'autoaccuser,
tel qu'il est défini par la CourEDH, est une réponse à ce
souci d'équilibre procédural, puisqu'il Çtend à
mettre le prévenu à l'abri d'une coercition abusive de la part
des autorités, donc à éviter des erreurs judiciaires
È. Cette finalité est
rappelée au début de l'examen de chaque
espèce, afin d'asseoir le contrôle de la Cour sur des fondements
idéologiques incontestables.
25. Cependant, la Cour juge avant tout en droit, aussi
doit-elle fonder ses décisions sur les dispositions du texte qu'il lui
incombe d'appliquer, la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales. Néanmoins, la Cour
étant également un organe d'interprétation de la
Convention, il lui est permis en tant que tel de s'inspirer d'instruments
extérieurs à ce texte. La mise en place du droit de ne pas
s'autoaccuser s'opère ainsi dans un contexte normatif particulier.
SECTION DEUXIéME: LES SOURCES NORMATIVES DU DROIT
DE
NE PAS S'AUTOACCUSER
26. La version européenne du droit de ne pas
s'autoaccuser s'inspire d'équivalents techniques puisés dans les
ordres juridiques proches (I). L'assise conventionnelle est
néanmoins incontournable, la Cour doit donc identifier, au sein des
articles de la ConvEDH, le fondement juridique du droit de ne pas s'autoaccuser
(II). Tout se passe comme si ce droit avait été
mis au jour par la Cour, qui l'aurait découvert au sein de normes
juridiques préexistantes.
I. L'INFLUENCE DES ORDRES JURIDIQUES PROCHES
27. La Cour se reconna»t la faculté, en tant
qu'organe privilégié d'application de la ConvEDH, d'en
interpréter les dispositions à la lumière d'autres
instruments juridiques. En se livrant à une interprétation
extensive des dispositions de la Convention, elle peut ainsi développer
des garanties qui ne sont pas expressément prévues par les
textes. Les sources d'inspiration citées par la Cour elle -méme
comprennent les normes internationales (A) et la jurisprudence des Cours
suprémes des Etats-Unis et du Canada (B).
A] L'INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL
28. Selon les termes mêmes de la Cour, qui figurent
dans la formule type mentionnée en introduction28, le droit
de se taire et le droit de ne pas s'autoaccuser Çsont des normes
internationales généralement reconnues È. La
première source d'inspiration est donc le droit international.
29. La Cour n'identifie pas précisément les
normes internationales qui consacrent le droit de ne pas s'autoaccuser. Au
regard des fondements philosophiques de ce droit, on peut sans doute
considérer qu'il s'agit d'un principe général du droit
international. Si l'on s'en tient aux textes en vigueur, on remarque que le
droit de ne pas s'autoaccuser figure de manière explicite, quoique dans
des termes différents, à l'article 14, littera g du
Pacte
29
international relatif aux droits civils et politiques :
Ç Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit,
en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes: (É)
g) à ne pas être forcée de témoigner contre
soi-même ou de s'avouer coupable È.
Malgré une terminologie différente, on
reconna»t là le double visage procédural du silence en
matière pénale: le «droit à ne pas être
forcé de témoigner contre soi -même» correspond
à la notion européenne du «droit de se taire», et le
«droit de ne pas s'avouer coupable« à celle de «droit de
ne pas s'autoaccuser».
30. Les droits consacrés par la CourEDH
présentent ainsi une certaine ressemblance avec les dispositions
internationales visant à assurer le respect de la liberté de
parole du justiciable qui fait l'objet de poursuites pénales. Cependant,
la mise en Ïuvre du droit de ne pas s'autoaccuser entra»ne parfois
des difficultés, que la CourEDH résout en s'inspirant des
solutions posées par les Cours Suprêmes des Etats-Unis et du
Canada.
28 Cf. supra n15.
29 Signé à New York, le 19
décembre 1966.
B] L'INFLUENCE DE LA JURISPRUDENCE CANADIENNE ET
AMÉRICAINE
31. Le droit de ne pas s'autoaccuser est le résultat d'un
compromis entre droits de la défense et nécessités de
l'enquête. Afin de résoudre ce conflit, la CourEDH s'inspire
parfois expressément de la jurisprudence des hautes juridictions de pays
de Common Law. Ainsi, Allan 30
dans l'affaire , elle décide que <<pour rechercher
si le droit de garder le silence
est compromis (É), il faut examiner l'ensemble des
circonstances d'une affaire. Les décisions de la Cour suprême du
Canada, (É) peuvent cependant fournir des indications à cet
égard; la Cour suprême y a examiné, dans des circonstances
présentant des similitudes avec celles de l'espèce, le droit de
garder le silence dans le contexte de l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés È. Autrement dit, lorsque l'espèce
soumise au contrôle de la CourEDH soulève un problème de
fond relatif au droit de ne pas s'autoaccuser, dans des termes semblables
à ceux d'espèces sur lesquelles la Cour Suprême du Canada
s'est déjà prononcée, il n'y a pas d'obstacle à ce
que la solution adoptée par cette juridiction soit, mutatis
mutandis, appliquée à l'affaire européenne. Les
droits consacrés étant relativement proches dans les deux ordres
juridiques, il semble naturel que la CourEDH puise dans la jurisprudence
canadienne les réponses aux questions qui lui sont posées quant
à la mise en Ïuvre du droit de ne pas s'autoaccuser.
La jurisprudence étrangère peut apporter une
solution à un problème particulier, ou simplement motiver et
confirmer une décision de la CourEDH. Ainsi, dans Jalloh
31
l'affaire ,
après avoir résolu le problème sur le
fond, la CourEDH renforce son argumentation en citant la jurisprudence
américaine : << comme l'a si bien dit la Cour suprême des
Etats-Unis dans son arrêt en l'affaire Rochin È.
32. Cette source d'inspiration doit toutefois être
maniée avec précaution. Certes, les ordres juridiques
considérés reconnaissent de longue date le droit de ne pas
s'autoaccuser; mais ce sont des systèmes de Common Law, dont la solution
du conflit à l'origine de la création de ce droit ne peut
être transposée purement et simplement à l'ordre
européen. Le droit issu de la Convention réalise un compromis
entre les différents droit nationaux des Etats membres, et
l'équilibre choisi entre accusatoire et inquisitoire n'est pas le
même qu'aux Etats- Unis ou au Canada. Les décisions des Cours
Suprêmes de ces pays doivent donc être adaptées
30 CEDH 5 novembre 2002, Allan c/ Royaume-Uni, §
51.
31 CEDH 11 juillet 2006, Jalloh c/ Allemagne, §
105.
aux dispositions de la Convention, et ne peuvent exercer qu'une
influence limitée sur le droit de ne pas s'autoaccuser.
En réalité, la difficulté vient de ce
que, de l'aveu méme de la Cour, Ç la Convention ne mentionne pas
expressémentÈ ce droit. Il s'agit donc d'une pure création
de la juridiction européenne, certes fondée sur des
considérations théoriques incontestables et reconnue sur le plan
international ainsi qu'à l'étranger, mais qui ne saurait
s'imposer aux Etats-membres sans reposer sur le fondement des dispositions de
la ConvEDH elle-méme.
II. LA RECHERCHE D'UN FONDEMENT
CONVENTIONNEL
33. S'il est loisible à la CourEDH, à la
lumière du contexte intellectuel, de retenir une interprétation
extensive des textes de facon à en tirer les principes du droit de ne
pas s'autoaccuser, encore faut-il identifier le fondement textuel adapté
à une telle manipulation. L'article 6 ConvEDH, et notamment la notion de
«procès équitable» qu'il consacre, sera, malgré
la confusion de la Cour à ce sujet, le fondement certain du droit de ne
pas s'autoaccuser (A). D'autres articles sont parfois invoqués par les
requérants, et jouent un rTMle plus ou moins important dans le contrTMle
du respect du droit de ne pas s'autoaccuser (B).
A] CERTITUDE ET CONFUSIONS :L'ARTICLE 6 COMME FONDEMENT DU
DROIT DE NE PAS S'AUTOACCUSER
34. L'article 6 est assurément le fondement juridique
des décisions de la CourEDH. Il consacre le droit à un
procès équitable, notion qui sert de porte d'entrée dans
la Convention au droit de ne pas s'autoaccuser. Cependant, si l'on s'en tient
à la lettre du texte, plusieurs exigences distinctes concourent au
procès équitable et sont réparties dans autant de
paragraphes.
La Cour n'est pas ici très rigoureuse, et s'il est
clair que les dispositions de l'article 6 n'ont pas toutes la méme
valeur, il est difficile de déterminer si le droit de s'autoaccuser
s'intègre dans le paragraphe 1, le paragraphe 2, ou le paragraphe 3-c de
l'article 6.
1) Le fondement certain, l'article 6 et le droit à un
procés équitable
35. Si l'on s'en tient à la présentation des
dispositions de la Convention, l'article 6 dans son ensemble fonde le droit
à un procés équitable : « Article 6 : Droit
à un procès equitable ». Il faudrait donc
comprendre que les paragraphes suivants sont des exigences particuliéres
que les Etats doivent satisfaire afin de prétendre garantir le respect
du droit à un procés équitable dans leur ordre interne.
Quoi qu'il en soit, la simple référence
à cette notion permet à la CourEDH d'ériger le droit de ne
pas s'autoaccuser en regle conventionnelle. Ainsi que l'indique L.-E.
Pettiti32, on sait que l'interprétation extensive de la
notion du droit à un procés équitable lui permet de
développer des garanties non expressément prévues par la
Convention. Cette manipulation est d'autant plus aisée en ce qui
concerne le droit de ne pas s'autoaccuser, que cette notion est tirée de
principes généraux du droit qui répondent à un
souci d'équité, d'équilibre entre les parties au sein
d'une procédure pénale . La Cour peut ainsi installer ce droit
« au coeur de la notion de procés équitable ».
Il ne s'agit toutefois pas ici d'une simple
interprétation ; la Cour reconna»t, implicitement, qu'elle fait
oeuvre créatrice. Les normes internationales, dont elle prétend
s'inspirer pour incorporer le droit de ne pas s'autoaccuser au sein des
dispositions de l'article 6, sont en effet muettes sur les limites de ce
droit33. C'est donc à la CourEDH qu'il revient de
définir le contenu et les contours du droit de ne pas s'autoaccuser. Ce
n'est plus ici de l'interprétation, nécessairement
déclarative, mais de la construction, puisqu'elle rajoute alors à
la lettre du texte.
36. Le droit de ne pas s'autoaccuser a donc pour fondement
certain la notion de procés équitable. Toutefois, il est
difficile d'identifier ce fondement avec plus de précision, car si le
texte de la Convention fait référence à
l'équité dans l'intitulé général de
l'article 6, cette notion n'est plus reprise ensuite que par le paragraphe 1 et
ne se retrouve dans aucun des paragraphes suivants.
32 Droit au silence, p.136,
précité.
33 Cf. CEDH 8 février 1996, John Murray c/
Royaume-Uni, § 47.
2) Le fondement récurrent, l'article 6§1
37. L'article 6§1 sert de base juridique à
l'intégralité des décisions de la Cour relatives au droit
de ne pas s'autoaccuser. Les solutions adoptées ne sont pas toujours
fondées exclusivement sur ce paragraphe, mais elles le sont toujours au
moins pour partie. L'article est donc autonome par rapport aux paragraphes 2 et
3-c, et peut justifier à lui seul une décision relative au droit
de ne pas s'autoaccuser, ainsi que l'attestent les termes employés par
la CourEDH, laquelle statue fréquemment sur des griefs
<<tirés de l'article 6§1 pris isolément
È34.
L'explication est relativement aisée : dans l'esprit
de la Cour, ce paragraphe est celui qui consacre véritablement le droit
à un procès équitable. Certes, les autres paragraphes
participent à cette notion, mais le paragraphe 1 en est le centre
névralgique.
La Convention elle-même laisse la porte ouverte
à cette interprétation, son article 6§1 disposant que
<<toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,
(É) È. Pour autant, il ne faut pas en déduire que ce
paragraphe occupe une place prépondérante parmi les exigences du
procès équitable. Les deux paragraphes suivants, notamment, sont
d'une importance considérable, et jouent même un rTMle crucial
quant au droit de ne pas s'autoaccuser, plus encore que le paragraphe 1. Par
rapport à ce droit, tout se passe comme si le paragraphe 1 ne concernait
que son champ d'application, alors que les paragraphes 2 et 3-c auraient trait
à son contenu même.
Pourtant, la CourEDH rappelle régulièrement que
le droit à un procès équitable est garanti par le
paragraphe 1 et que les exigences des paragraphes 2 et 3-c de l'article 6 en
représentent des aspects particuliers35. Au final, la
confusion n'est que peu dommageable pour le justiciable, puisque les
mêmes droits lui seront garantis, que ce soit au titre d'un paragraphe
particulier ou du seul paragraphe 1.
38. Néanmoins, en procédant de la sorte, la
Cour contribue à faire du paragraphe 1 un article fourre-tout, qui
absorbe les deux autres et les prive ainsi de toute autonomie; tout est dans
tout, au détriment du sens propre des textes et dans la confusion la
plus totale. On aboutit, par exemple, au résultat surprenant que
l'article 6§2 est devenu un fondement surabondant des requêtes et
pourrait tout aussi bien être supprimé du texte de la
Convention,
alors pourtant qu'il consacre un élément central du
droit de ne pas s'autoaccuser, la présomption d'innocence.
3) Le fondement surabondant, l'article 6§2
39. La théorie de la preuve est l'un des
éléments du contexte idéologique dans lequel se le ne
s'autoaccuser 36
situe droit de pas . Or la preuve, en matière
pénale, est étroitement liée à
la présomption d'innocence. En effet, les règles
d'administration de la preuve sont des règles de procedure qui
déterminent à qui incombe la charge de rechercher et
d'établir la vérité37. La présomption
d'innocence impose que ce rTMle soit rempli d'abord par le ministère
public, qui doit prouver la culpabilité du suspect (actori incumbit
probatio)38. Ce principe joue un rTMle clé dans la
compréhension du mécanisme du droit au silence, qu'on l'envisage
sous l'angle du droit de se taire ou du droit de ne pas s'autoaccuser. En
conséquence, l'article 6§2 a vocation, au même titre que
l'article 6§1, à servir de fondement aux droits
considérés.
La jurisprudence lui dénie pourtant ce rTMle, avec une
constance sans faille : dans tous les arrêts oil le requérant
invoque à la fois une violation de l'article 6§1 et de l'article
6§2, la Cour constate, ou rejette le cas échéant, la
violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement du paragraphe 1, et
décide que « la conclusion qui précède dispense la
Cour de rechercher [s'il y a également eu violation du] principe de la
présomption d'innocence »39. Cette solution est d'autant
plus étonnante que la Cour affirme, non moins
régulièrement, que le droit de ne pas s'autoaccuser est «
lié » à la présomption d'innocence40.
En réalité, lorsqu'elle contrTMle le respect du
droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement de l'article 6§1, la Cour
examine des éléments qui se rattachent à la
présomption d'innocence, et donc à l'article 6§2. Dès
lors, il n'y a plus lieu de statuer sur le fondement de ces dispositions,
puisque la notion de «procès équitable» du paragraphe 1
a complètement absorbé celle de présomption
d'innocence41. La Cour lie ainsi le sort des griefs tirés de
l'article 6§2 à ceux de l'article 6§1, et peut affirmer que,
lorsque ces deux fondements sont invoqués, « l'argument des
requérants [tiré de la violation de l'article 6§2] consiste
à reprendre la thèse qu'ils ont
36 Cf. supra, n° 23.
37 Cf. L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire
privé, n° 576, cité en bibliographie.
38 Ce n'est qu'une fois cette preuve rapportée
que l'accusé, au sens de la Convention, doit contribuer à
l'établissement de la vérité en tentant d'établir
son innocence (reus in excipiendo fit actor).
39 Solution constante depuis CEDH 25 février
1993, Funke c/ France, § 45.
40 Cf. notamment CEDH 17 décembre 1996,
Saunders c/ Royaume-Uni, § 65.
41 Cf. CEDH 2 mai 2000, Condron c/ Royaume-Uni,
particulièrement révélateur de ce
phénomène.
développée sur le terrain de l'article 6§1 de
la Convention È. Et de conclure <<qu'aucune question distincte ne
se pose à cet égard È42.
40. Le paragraphe 2 est donc devenu, en ce qui concerne le
droit de ne pas s'autoaccuser, un fondement surabondant. Cet état de
fait est contraire à la lettre du texte, qui n'inclut pas la
présomption d'innocence dans les dispositions de l'article 6§1,
mais lui consacre sans équivoque un paragraphe distinct : <<
toute
personne accusée d'une infraction est
présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité
ait été légalement établie È. Dès
lors que la Cour considère que la notion de procès
équitable réside dans le paragraphe 1 et attire à elle
toutes les exigences des paragraphes suivants, un tel résultat est
inévitable.
Cette présentation est d'autant plus regrettable
qu'elle occulte l'importance des droits consacrés par le paragraphe 2 et
3-c de l'article 6 dans la mise en Ïuvre du droit de ne pas s'autoaccuser.
L'article 6§3-c bénéficie à ce titre d'un traitement
de faveur, dans la mesure oü il n'est pas toujours absorbé par
l'article 61.
4) Le fondement combiné, l'article 6§3-c
41. Les dispositions de ce paragraphe consacrent le droit
à l'assistance d'un avocat: <<tout accusé a droit notamment
à : (É) c-se défendre lui-même ou avoir l'assistance
d'un défenseur de son choix (É) È.
Le rTMle de l'avocat est particulièrement important dans
le cadre de la procédure pénale, dans la mesure oü il
apporte son assistance à une personne se trouvant en désavantage
dans le rapport de force qui l'oppose aux enquêteurs ou aux juges.
Permettant en quelque sorte de
43
rétablir l'équilibre entre les parties, il est
l'un des re ssorts du droit de ne pas s'autoaccuser . Pour autant, ce droit ne
saurait résumer à lui seul la notion de procès
équitable, et contrairement à la présomption d'innocence,
il ne fait aucun doute que l'accès à l'avocat ne peut en
être qu'un << élément particulier È. Il est
donc compréhensible que la Cour n'envisage la violation de l'article
6§3-c qu'en l'associant à l'article 6§1 (puisque selon
l'interprétation consacrée le paragraphe 1 concerne le
procès équitable). Les requérants sont ainsi amenés
à
42 Ibid.
43 Sur l'importance de l'accès à
l'avocat en matière de droit au silence, cf. infra
n°125.
fonder leurs griefs Ç sous l'angle de ces deux textes
combinés È44.
Cependant, la Cour se montre ici d'une incohérence
surprenante, au point que l'on ne sait plus quelle place occupe l'article
6§3-c dans la notion de procès équitable. Si la lecture
«combinée» avec le paragraphe 1 l'emporte par le nombre, on
trouve également des arrêts qui constatent une violation du droit
de ne pas s'autoaccuser, mais rejettent les arguments tirés de l'article
6§3-c, au motif qu'il serait Çsuperflu d'examiner les
allégations des r equérants séparément sous l'angle
de cet article puisqu'elles se ramènent à dénoncer le
caractère inéquitable du procès È45. Le
droit à l'assistance d'un avocat se trouve donc absorbé, tout
comme le droit à la présomption d'innocence, dans la notion de
procès équitable. Plus surprenant encore, un arrêt rejette
la violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le fondement de l'article
6§1 pris isolément, mais la constate sur le fondement des articles
6§1 et 6§3 combinés46. Il faudrait donc comprendre
que la violation de l'article 6§1 ne suffit pas à entra»ner la
violation du droit à un procès équitable, mais que la
violation supplémentaire de l'article 6§3 est nécessaire,
solution qui contredit les affirmations précédentes de la
CourEDH.
42. Face à une telle diversité, il convient de
retourner à la lettre, et sans doute à l'esprit, du texte de la
Convention. La CourEDH avait statué en ce sens dans un
arrêt47, isolé sur ce point, en décidant que le
droit de se taire et le droit de ne pas s'autoaccuser étaient
fondés sur l'article 6, sans préciser de paragraphe particulier.
Cette solution semble être la meilleure, en ce qu'elle fonde la notion de
procès équitable sur l'ensemble des paragraphes de l'article 6,
permettant à chacun d'eux de jouer son rTMle propre. Preuve en est que,
situé au cÏur du procès équitable, le droit au
silence fait appel à la fois aux exigences des paragraphes 1, 2 et 3-c,
puisque le droit de se taire et le droit de ne pas s'autoaccuser garantissent
la présomption d'innocence, mais ne peuvent fonctionner sans exercice
des droits de la défense.
43. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel de la
jurisprudence de la Cour, il est compréhensible que les
requérants, ne sachant trop quelle interprétation adopter,
invoquent pêle-mêle les trois paragraphes, au hasard des
combinaisons et de manière à ne laisser aucun fondement de
cTMté. Poussant le raisonnement au bout, certains requérants vont
même plus loin
44 Cf., pour un arrêt récent, CEDH 2
aoüt 2005, Kolu c/ Turquie, § 50.
45 Cf. CEDH 19 septembre 2000, IJL c/ Royaume-Uni,
§ 77.
46 Cf. CEDH 6 juin 2000, Averill c/ Royaume-Uni.
47 CEDH 8 février 1996, Murray c/ Royaume-Uni,
§ 45.
et tentent de «ratisser large» en invoquant d'autres
articles de la convention au soutien de leur requête. Si la Cour refuse
de fonder le droit de ne pas s'autoaccuser sur des dispositions
extérieures à l'article 6, elle n'exclut pas pour autant que les
autres articles invoqués puissent jouer un certain rTMle quant à
la violation de ce droit.
B] AUTONOMIES ET ASSOCIATION : L'ARTICLE 6 COMME FONDEMENT
EXCLUSIF DU DROIT DE NE PAS S'AUTOACCUSER
44. Le droit de ne pas s'autoaccuser protégeant,
in fine, la liberté de parole de l'accusé, des
requérants ont tenté, sans succès, d'invoquer une
violation de ce droit sur le fondement de l'article 10 ConvEDH, qui
protège la liberté d'expression (1). Les informations qui leur
sont demandées dans le cadre de la procédure pénale tenant
à leurs activités personnelles, d'aucuns ont cru, à tort,
pouvoir fonder leurs griefs sur l'article 8 de la Convention, mais le droit de
ne pas s'autoaccuser ne protège pas la vie privée (2). Enfin, le
constat d'une violation de ce droit est facilité, lorsque les
méthodes employées par les enquêteurs pour contraindre les
accusés à collaborer à la recherche de preuves
s'apparentent à une violation de l'article 3 ConvEDH (3).
1) Le fonctionnement autonome des articles 10 et 6 de la
Convention
45. L'article 10 dispose que Ç Toute personne a droit
à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations
ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques (É) È.
On retrouve ici l'idée, évoquée dans les
sources intellectuelles du droit de ne pas s'autoaccuser, selon laquelle tout
homme doit pouvoir être maître de sa communication avec
autrui48. L'argument consiste alors à dire que communiquer
implique la liberté de parole mais également la liberté du
silence, du refus de communiquer. Ainsi, la liberté d'expression d'un
accusé serait en cause lorsque les enquêteurs le contraignent
à révéler des informations qu'il n'a pas envie de
révéler : cette contrainte serait une forme d'ingérence au
sens de l'article 10 ConvEDH.
La Cour répond à cet argument, de facon un peu
abrupte, que le requérant Ç n'a fourni
aucun élément de nature à démontrer la
nécessité de considérer ledit grief aussi sous l'angle
de
l'article 10. Il n'y a donc pas lieu de rechercher s'il y a eu
violation de cette disposition »49. Encore une fois, la Cour
rejet te l'examen de la question lorsqu'elle est posée sur un fondement
différent du proces équitable, des lors qu'elle a
déjà retenu une violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur ce
fondement. La réponse de la Cour semble à première vue
indiquer que le respect du droit de ne pas s'autoaccuser pourrait être
examiné sur la base de l'article 10, à condition que les
éléments propres à ce texte soit réunis en l'espece
(« sous l'angle de »). En réalité, une telle
interprétation n'est pas permise, car elle irait à l'encontre de
l'esprit des articles 6 et 10 ConvEDH.
En effet, si la notion de proces équitable peut
accueillir le droit de ne pas s'autoaccuser, c'est parce que les conditions du
respect de ce droit correspondent aux exigences posées par les
principaux paragraphes de l'article 6 ; en quelque sorte, l'objet de la
protection du droit à un proces équitable recoupe par
intégration celui du droit de ne pas s'autoaccuser. La violation du
second n'est qu'un moyen particulier de violation du premier.
En revanche, contrairement à ce que l'on pourrait
penser au premier abord, l'article 10 a un objet de protection
différent. Il protege certes la liberté de parole, mais
uniquement dans son aspect positif, afin de permettre à tous les
citoyens de s'exprimer sans risque de censure étatique. Sa
finalité n'est nullement de protéger le droit au silence d'un
accusé face aux investigations abusives des enquêteurs.
Le « résultat voulu par l'article 6
»50étant différent du résultat
recherché par l'article 10, il est vain d'invoquer ce dernier à
l'appui d'une requête en constatation de la violation du droit de ne pas
s'autoaccuser. En revanche, il n'est pas impossible que des faits constitutifs
d'une violation de l'article 6 soient également constitutifs d'une
violation de l'article 10, des lors que les exigences propres à chacun
de ces articles ont été bafouées51.
46. Les requérants sont donc «hors sujet»
lorsqu'ils invoquent l'article 10 au soutien d'une requête tendant
à constater la violation de leur droit à ne pas s'autoaccuser.
La
49 CEDH 20 octobre 1997, Serves c/ France.
50 CEDH 8 février 1996, John Murray c/
Royaume-Uni, § 45.
51 La solution fait penser au concours
d'infractions : les valeurs européennes protégées par
l'article 10 et l'article 6 n'étant pas les mêmes, lorsque les
faits portent atteinte à ces deux valeurs à la fois, il y a
concours réel d'infractions (encore faut-il que les requérants
fassent la preuve de cette double atteinte). En revanche, lorsqu'ils invoquent
une violation du droit de ne pas s'autoaccuser sur le double fondement des
articles 6 et 10, ils se placent sur le terrain d'un concours idéal
d'infractions, ce qui d'abord est impossible en raison des valeurs distinctes
que ces articles protegent et ce qui ensuite, à supposer ces valeurs
identiques, serait vain puisque la Cour déciderait alors que la
violation de l'un des articles suffit à établir la violation du
second (pour les mêmes raisons que celle examinées supra,
n°33 et suivants.). Le même raisonnement s'applique aux articles 6
et 8.
confusion est similaire lorsque la requête est
fondée sur l'article 8 de la Convention.
2) Le fonctionnement autonome des articles 8 et 6 de la
Convention
47. L'article 8 ConvEDH dispose que Ç toute personne a
droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance È. Cet article a été invoqué dans
deux types d'affaires: lorsque les enquêteurs contraignent le
requérant à fournir des documents en
52
sa possession , lorsqu'ils dissimulent un dispositif dans son
parloir 53
ou d'enregistrement , ils
violeraient le droit de l'accusé à ne pas
s'autoaccuser en portant atteinte à sa vie privée et familiale,
à son domicile ou à sa correspondance.
Formulées ainsi, les requêtes s'exposent
à des critiques identiques à celles formulées en
matière de cumul des articles 6 et 10: pour les mêmes raisons, il
est impossible de se prévaloir d'une violation du droit de ne pas
s'autoaccuser sur le fondement de l'article 8. La Cour, dans l'arrêt
McGuiness, rejette ainsi en même temps les griefs tirés d'une
violation de l'article 8 et ceux tirés d'une violation de l'article 10 :
Ç les griefs des intéressés sur le terrain des articles 8
et 10 de la Convention ne soulèvent aucune question distincte [du grief
que la Cour a examiné sous l'angle de l'article 6 de la Convention]
È.
En revanche, si la possibilité que la Cour admette une
violation simultanée des exigences propres aux articles 6 et 10 ConvEDH
était restée théorique, elle a reconnu que des faits
puissent être constitutifs à la fois d'une violation du droit de
ne pas s'autoaccuser et de l'article 8 de la Convention. Ainsi, dans
l'arrêt Allan précité, l'enregistrement des conversations
d'un coaccusé au parloir et avec son codétenu a été
invoqué avec succès comme l'un des éléments
constitutifs (associés à d'autres faits) à la fois d'une
violation de l'article 6 et de l'article 8. Cependant, il ne s'agit pas
là d'une violation combinée comme on a pu en voir entre les
différents paragraphes de l'article 6, mais bien d'une violation
autonome de chaque droit considéré, dont les conditions propres
n'ont pas été respectées54.
48. Il n'en reste pas moins que ni l'article 10 ni l'article
8 ConvEDH ne peuvent servir de fondement à une requête tendant
à constater la violation du droit de ne pas s'autoaccuser.
52 Cf., notamment, CEDH 21 décembre 2000,
Heaney et McGuiness c/ Irlande.
53 Cf., notamment, CEDH 5 novembre 2002, Allan c/ Ro
yaume -Uni.
54 Il y a ici, en quelque sorte, concours réel
d'infractions entre la violation du droit de ne pas s'autoaccuser et la
violation de la vie privée.
La solution est identique pour l'article 3 de la Convention,
mais sur ce point seulement. Les articles 3 et 6 ne sont pas autonomes,
puisque, en cas de qualification d'actes de torture ou de traitements inhumains
et dégradants, les faits concernés sont également
constitutifs d'une violation du droit de ne pas s'autoaccuser.
3) Le fonctionnement combiné des articles 3 et 6 de la
Convention
49. L'article 3 ConvEDH dispose que « nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants ». Cette affirmation laconique a pour
conséquence qu'il y a violation de l'interdiction posée par
l'article 3 chaque fois que la Cour qualifie un fait d'acte de torture ou de
traitement inhumain ou dégradant, selon ses propres criteres de
définition.
Le traitement inhumain et dégradant, le seul
constaté dans les arrêts qui concernent le droit de ne pas
s'autoaccuser, est défini par la Cour comme « celui qui provoque
des souffrances mentales ou physiques d'une intensité particuliere
»55. Or, le traitement qui soumet un accusé à une
coercition psychologique, bien que d'une gravité moindre que le
traitement inhumain, entra»ne violation du droit de ne pas s'autoaccuser
si la contrainte exercée dépasse le seuil fixé par la
Cour56. Qui peut le plus peut le moins ; par conséquent, les
exigences des articles 3 et 6 ayant ce critere en commun, des lors que la Cour
qualifie un fait de traitement inhumain et dégradant, elle devrait
constater que ce fait entra»ne violation du droit de ne pas
s'autoaccuser.
Cependant, les exigences de ce droit ne se résument pas
à l'interdiction d'exercer une contrainte psychologique sur
l'accusé ; des conditions supplémentaires sont requises. Par
rapport à la qualification de traitement inhumain ou dégradant,
la conséquence est que la violation de l'article 3 n'emporte pas
nécessairement violation de l'article 6. Simplement, elle établit
que le traitement auquel les enquêteurs ont soumis l'accusé a
été inique, mais l'absence d'équité à ce
stade de la procédure peut être réparée au stade du
jugement, dans les conditions propres au droit de ne pas
s'autoaccuser57 .
55 CEDH 25 avril 1978, Tyrer c/ Royaume-Uni,
Rec. Série A n° 26.
56 Sur la coercition psychologique, cf.
infra, n°105 et suivants.
57 Cf. infra, n°123 et suivants. La
combinaison des articles 3 et 6 retenue en pratique par la CourEDH est donc
relativement complexe, mais ce n'est là qu'une conséquence de la
complexité du mécanisme même du droit de ne pas
s'autoaccuser.
50. Les articles 3 et 6 ConvEDH ne sont pas autonomes
puisque, contrairement à la violation des articles 8 et 10, la violation
de lÕarticle 3 a une influence sur le mécanisme du droit de ne
pas sÕautoaccuser. Cependant, la combinaison des articles 3 et 6
nÕest pas identique à celle des différents paragraphes de
lÕarticle 6 entre eux. Il ne sÕagit pas ici dÕune
absorption dÕun article par un autre ; simplement, le traitement
inhumain et dégradant correspond à lÕun des elements de
violation du droit de ne pas sÕautoaccuser. LÕassociation des
exigences des articles 3 et 6 peut etre utile au contrTMle de la Cour, mais ils
nÕen restent pas moins indépendants, dans la mesure oil la
violation de lÕun nÕentra»ne pas immanquablement la
violation de lÕautre.
CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
51. Né du souci de préserver le caractere
sacré de la liberté de parole, le droit de ne pas
sÕautoaccuser est devenu lÕun des droits fondamentaux des ordres
juridiques contemporains. Element essentiel dans la théorie de la
preuve, il a inspire des choix procéduraux contrastés, mais qui
visent toujours à améliorer la protection du justiciable. La
procedure pénale est la première concernée
puisquÕelle soumet les libertés individuelles à des
contraintes particulierement importantes : la mise en place du droit de ne pas
sÕautoaccuser a pour but dÕétablir un equilibre
satisfaisant entre les droits des justiciables et les nécessités
de la repression.
Reconnu au niveau inter national, le droit de ne pas
sÕautoaccuser joue un rTMle particulierement important dans le systeme
instauré par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
lÕhomme et des libertés fondamentales. En effet, la Cour
européenne des droits de lÕhomme, organe privilégié
dÕinterpretation de la Convention, a installé ce droit au
cÏur de la notion de proces equitable, laquelle occupe elle-même une
place centrale au sein des garanties consacrées. Les Etats-membres
doivent donc assurer, dans leur ordre interne, le respect du droit de ne pas
sÕautoaccuser tel quÕil est défini par la CourEDH.
Cependant, le mécanisme européen nÕest pas toujours facile
à déchiffrer, la Cour refusant de sÕenfermer dans une
construction cohérente mais figée du droit de ne pas
sÕautoaccuser.
52. Il reste relativement aise dÕen identifier le
fondement textuel : puisque ce droit se trouve au cÏur de la notion de
proces equitable, cÕest quÕil se situe au cÏur des
dispositions
de l'article 6 ConvEDH, lequel consacre cette notion. Il est
en revanche beaucoup plus difficile de déterminer l'influence que les
différents paragraphes exercent sur la Cour dans la mise en Ïuvre
du droit de ne pas s'autoaccuser. Si l'on s'en tient à la lettre des
dispositions conventionnelles, les paragraphes 2 et 3 contiennent des exigences
susceptibles de jouer un rTMle sur le mécanisme méme de ce droit.
Quant au paragraphe 1, il rappelle l'exigence générale
d'équité de la procédure, et définit les
matières qui y sont soumises. En conséquence, on peut
légitimement penser que l'article 6§1 est le siège des
dispositions relatives au champ d'application du droit de ne pas
s'autoaccuser.
DEUXIéME CHAPITRE : LE DOMAINE DU DROIT DE
NE PAS S'AUTOACCUSER
53. Parvenu au rang de norme conventionnelle, le droit de ne
pas sÕautoaccuser sÕimpose aux Etats-membres dans les mêmes
conditions que les autres dispositions de la Convention. Cependant, le champ
dÕapplication des textes ne permet pas toujours de donner aux droits qui
en découlent une portée aussi vaste que le principe originel
pouvait le laisser espérer. En raison de ses objectifs, le droit de ne
pas sÕautoaccuser doit pouvoir sÕappliquer à des
espéces quÕil nÕa pas a priori vocation à
régir, sous peine d'être privé dÕune réelle
efficacité. La fin justifiant les moyens, la Cour est parvenue, à
lÕoccasion de la delimitation du domaine du droit de ne pas
sÕautoaccuser, à conférer à ce droit un large champ
dÕapplication.
54. En effet, elle ancre le droit de ne pas
sÕautoaccuser Ç au cÏur des garanties du procés
equitable È. Or, il est des cas oil lÕapplication des regles de
lÕarticle 6 ne serait pas justifiée, car elle serait trop
contraignante
et nuirait à lÕefficacité de la
repression. Dans ces domaines, oil lÕéquité pése
traditionnellement moins lourd dans la balance que
lÕintérêt (la raison) des Etats, il est nécessaire
dÕempêcher la revendication du droit de ne pas
sÕautoaccuser, quel que soit le bien-fondé de la requête
soumise à la CourEDH. Toute la difficulté consiste donc à
assurer lÕeffectivité de ce droit tout en excluant certaines
affaires de son champ dÕapplication. LÕarticle 6§1 determine
le champ dÕapplication du droit à un procés equitable. Par
voie de consequence58, le droit de ne pas sÕautoaccuser se
trouve soumis aux mêmes conditions dÕapplicabilité. Pour
reprendre une expression de la CourEDH, les dispositions pertinentes de cet
article sont ainsi libellées : « Toute personne a droit à ce
que sa cause soit entendue (É) par un tribunal indépendant et
impartial qui décidera (É) du bien-fondé de toute
accusation en matiére pénale dirigée contre elle È.
Notons que les termes mêmes qui sont employés par la Cour excluent
sans doute possible le droit de ne pas sÕautoaccuser du champ des
Ç droits et obligations de caractére civil » egalement vises
par lÕarticle 6.
Il faut donc determiner ce quÕil convient
dÕentendre par matiére pénale (section
première ) et ce quÕest un accuse (section
deuxiime) au sens de la Convention.
SECTION PREMIÈRE: LA NOTION DE MATIéRE
PÉNALE
55. Cette notion est difficile à cerner
(I), et la casuistique permet de prendre la mesure
concrète des conséquences de l'analyse (II).
I. L'ÉLABORATION DIFFICILE D'UN CRITéRE DE LA
MATIéRE PÉNALE
56. Certaines affaires sont classiquement incluses dans la
matières pénales, d'autres en sont classiquement exclues (A). La
difficulté principale survient dans les affaires dites mixtes, la
procédure ayant à la fois des aspects pénaux et
extrapénaux (B).
A] LA MATIéRE PÉNALE CLASSIQUE
57. Sont traditionnellement incluses dans la matière
pénale les procédures sur lesquelles a statué une
juridiction pénale nationale. Ce critère n'est pas
contesté, ni par les Etats ni par la CourEDH et l'article 6 trouve ici
pleinement à s'appliquer. Il y a recoupement parfait de la
définition européenne et de la définition nationale de la
matière pénale.
58. Sont en revanche traditionnellement exclues les
procédures administratives. Dans l'arrêt Saunders 59,
la Cour, se citant elle-même, rappelle que l'article 6 est inapplicable
à une enquête administrative Çlorsque les inspecteurs
exercent une mission essentiellement d'investigation et qu'ils ne rendent
aucune décision juridictionnelle ni dans la forme ni quant au fond
È. Il serait malvenu de soumettre une telle procédure aux
exigences du procès équitable car, ainsi que l'indique la Cour
dans le même arrêt60, Ç exiger que semblable
enquête soit assujettie aux garanties d'une procédure judiciaire
énoncées à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) gênerait
indilment, en pratique, la réglementation efficace, dans
l'intérêt public, d'activités financières et
commerciales complexes È.
59 CEDH 17 décembre 1996, Saunders c/
Royaume-Uni, § 67.
60 Ibid.
59. A contrario, lorsque les agents de
l'administration disposent à la fois de pouvoirs d'investigation et de
sanction, l'article 6 pourrait trouver à s'appliquer. La Cour
énonce dans l'arrêt Saunders61 Ç qu'une
enquête administrative peut impliquer une décision sur une
accusation en matière pénale >>. La procédure est
alors mixte, car elle présente à la fois des aspects de
procédure pénale et des aspects de procédure
administrative, ce qui soulève une difficulté d'application de
l'article 6.
B] LES PROCÉDURES MIXTES
60. Le critère organique (1) est rejeté par la
Cour au profit d'un critère finaliste (2). 1) Le rejet du
critère organique
61. Il est possible de considérer que, dans un tel
cas, l'un des aspects de la procédure l'emporte sur l'autre, et celle-ci
prend alors un caractère entièrement pénal ou
entièrement administratif. L'article 6 est corrélativement
applicable ou inapplicable à l'ensemble de la procédure. Cet
argument est fréquemment invoqué en défense par les
gouvernements, le plus souvent dans le sens d'une qualification exclusivement
administrative de la procédure. L'inconvénient de cette solution
est qu'elle nie les particularités de chaque phase des poursuites et
vise à contourner les garanties du procès équitable. Comme
le dit Louis-Edmond Pettiti, Çl'administration possède ses
propres procédures et moyens juridiques de mener à bien ses
enquêtes, mais lorsqu'il s'agit de réprimer pénalement le
manquement d'un citoyen à ses obligations de coopération, les
garanties procédurales de l'article 6 doivent être
respectées, et en cas de désaccord, doivent l'emporter
>>62.
62. La Cour rejette donc cette solution au profit d'une
application de l'article 6 plus subtile qui se fonde sur une définition
particulière de la sanction pénale. Le critère organique,
trop simpliste, est ainsi abandonné au profit d'un critère
finaliste : toute procédure susceptible d'aboutir à la
condamnation du requérant à une sanction pénale appartient
à la matière pénale.
61 Ibid.
62 L.-E. Pettiti, Droit au silence, p.144,
cité en bibliographie.
2) L'adoption d'un critère finaliste: la gravité
de la sanction
63. son Suisse 63
Dans arrét J.B. c/ , la Cour énonce que pour
déterminer si l'article 6 est
applicable à la procédure, il faut tenir compte
d'abord de la classification de l'infraction au regard du droit national, puis
de la nature de l'infraction et enfin de la nature et du degré de
gravité de la sanction que risquait de subir
l'intéressé.
En réalité, lorsqu'on examine la mise en
Ïuvre de ces critères par la Cour, on constate qu'ils se
réduisent au troisième, celui de la sanction pénale. En
effet, le premier critère signifie simplement que, lorsque la
classification retenue par les Etats-membres n'est pas contestée par le
requérant, elle est considérée comme établie, avec
les conséquences qui en découlent sur l'applicabilité de
l'article 6. Mais précisément, dans le cas d'une procédure
mixte, la classification nationale s'avère insatisfaisante, et la Cour
ne s'estime pas liée par celle-ci. Le second critère est en
principe celui qui fonde la classification
nationale de l'infraction et la Cour considère qu'est
une infraction pénale par nature le manquement dont la poursuite est
susceptible d'aboutir à une condamnation pénale. Au final, le
seul critère efficace est celui de la sanction et au sein de ce
critère, celui de la gravité de cette sanction. 64
Ainsi, lorsque le requérant est passible d'une
sanction qui Çne tend pas à la réparation
pécuniaire d'un préjudice, mais a un caractère
essentiellement punitif et dissuasif È65, les poursuites dont
il fait l'objet revétent un caractère pénal et justifien t
l'application de l'article 6§1.
64. Cette définition permet d'incorporer deux grands
modèles de procédures dites mixtes dans la matière
pénale, et de les soumettre aux exigences du procès
équitable. Le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination trouve ici son domaine de prédilection car c'est
principalement en statuant sur ce type d'affaires que la Cour a
été amenée à consacrer puis à définir
les contours de ce droit.
63 CEDH 03 mai 2001, § 48.
64 En effet, la seule sanction pénale par
nature est une peine d'emprisonnement et, dans ce cas, il n'est pas
contesté que la procédure appartienne à la matière
pénale. Le critère de la nature de la sanction est
inopérant lorsqu'il s'agit d'une amende, celle-ci pouvant aussi bien
ôtre infligée par une autorité administrative que par une
autorité pénale.
65 Arrôt J.B. précité, § 48.
Ce critère est analogue à celui des «répercussions
importantes sur la situation du requérant», cf. infra
n°77 et suivants.
II. TYPOLOGIE DES AFFAIRES RESSORTISSANT Ë LA
MATIéRE PÉNALE
65. Deux grandes espèces illustrent les
difficultés soulevées par les procédures mixtes. Toutes
deux ressortissent à la matière pénale car les poursuites
engagées par le requérant visent à lui infliger une
sanction pénale. Toutes deux comportent une phase administrative et une
phase pénale mais, dans la première espèce, ces deux
phases se confondent alors que, dans la seconde, elles se succèdent.
A] LE MODéLE FUNKE : APPLICABILITÉ DE
L'ARTICLE 6 AUX POURSUITES ADMINISTRATIVES FONDÉES SUR LE MANQUEMENT
Ë UNE OBLIGATION FISCALE PÉNALEMENT SANCTIONNÉE
66. La procédure pénale ne doit pas être
entendue comme ayant nécessairement pour finalité la sanction
d'une infraction pénale. Lorsque le requérant, sommé par
l'administration de produire des documents, refuse d'accéder à
cette demande, il commet un manquement que l'administration qualifie
«d'infraction fiscale»66. A priori, la sanction
d'un tel manquement sera une sanction administrative et l'on n'imagine de
procédure pénale que dans l'hypothèse oü
l'administration engagerait des poursuites devant le tribunal correctionnel du
chef de manquement à la législation fiscale, de tels manquements
s'avérant cette fois-ci constitutifs d'infractions pénales.
67. Ainsi, dans l'affaire Funke67, le service des
douanes, compétent en matière de contributions indirectes,
suspectait le requérant d'avoir commis des infractions à la
réglementation sur les relations financières avec
l'étranger. Les douanes auraient pu engager des poursuites devant le
juge correctionnel en raison de ces manquements. Préférant sans
doute étoffer le dossier d'accusation, elles firent usage de leur droit
de communication 68. Le requérant, sentant bien qu'il
n'était pas dans son intérêt de produire de telles
pièces
66 Le terme infraction est en principe
réservé aux violations de la loi pénale. En matière
administrative il est plus approprié de parler de
«manquements». Toutefois, la jurisprudence de la CourEDH leur
appliquant le même régime, «l'infraction fiscale»
devient une notion appropriée au regard de la Convention.
67 CEDH 25 février 1993 Funke c/ France. Cf.
également CEDH 04 octobre 2005, Shannon c/ Royaume -Uni pour des faits
similaires (refus de compara»tre devant les enquêteurs financiers
sanctionné par une amende et une peine légère
d'emprisonnement) et une solution identique (sanction qualifiée de
pénale bien qu'infligée par l'administration).
68Article L 81 du Livre des procedures fiscales
(ci-après LPF).
(susceptibles d'étoffer le dossier d'accusation),
refusa d'accéder à cette demande et fut sanctionné de ce
chef par l'administration. Pour s'opposer aux arguments du requérant
invoquant une violation sur le fond de l'article 6 (non respect de son droit
à ne pas s'autoaccuser), le gouvernement soulève une exception
d'irrecevabilité tirée du défaut d'applicabilité de
cet article: aucune poursuite pénale n'aurait été
engagée contre M. Funke pour infraction à la
réglementation sur les relations financières avec
l'étranger; le gouvernement francais estime donc que seul cet aspect de
la procédure aurait pu ressortir à la «matière
pénale» au sens de la Convention.
68. La CourEDH note que Ç les griefs formulés
par le requérant sur le terrain de l'article 6 visent une tout autre
procédure, relative à la production de documents È, et
écarte l'exception. Abordant la question de front, elle estime qu'il
convient de décider si la sanction infligée par les douanes au
requérant ressortit à la matière pénale. Cependant,
sa réponse dans cet arrét est pour le moins abrupte: n'examinant
pas plus avant la question de l'applicabilité de l'article 6, elle
poursuit avec la constatation du bien-fondé des griefs et mentionne la
Ç condamnation pénale du requérant pour refus de produire
des documents È. Il faut en déduire que la sanction prévue
par le LPF pour manquement à l'obligation administrative de
déférer à la demande de communication de pièces est
une sanction pénale, au sens de la jurisprudence de la CourEDH.
69. Le raisonnement est implicitement le suivant : le droit
francais prévoit que le refus de déférer à une
demande de communication de pièces expose le requérant à
une amende d'un montant élevé; une telle sanction, en raison de
sa nature et de sa gravité, ne tend pas à la réparation
pécuniaire d'un préjudice mais a un caractère
essentiellement pu nitif et dissuasif; les poursuites exercées par
l'administration fiscale exposant le requérant à une condamnation
pénale, ce dernier est bien accusé d'une infraction «en
matière pénale» au sens de l'article 6; il est donc
fondé à invoquer sur le fond une violation de son droit à
ne pas s'autoaccuser.
70. Il peut donc y avoir «accusation en matière
pénale» dans le cadre d'une procédure engagée par
l'administration pour manquement à une obligation administrative. Les
exigences de l'article 6 sont également applicables au second
modèle de procédure dite «mixte».
B] LE MODéLE SAUNDERS : APPLICABILITÉ DE
L'ARTICLE 6 AUX POURSUITES PÉNALES FONDÉES SUR LES PREUVES
RECUEILLIES LORS DE L'ENQUæTE ADMINISTRATIVE PRÉALABLE.
71. L'article 6 est en principe
inapplicable à une enquête
administrative69, par conséquent les enquêteurs peuvent
recourir impunément au cours de cette enquête, sous réserve
des autres dispositions de la ConvEDH, à des méthodes qui, si
elles étaient utilisées en matière pénale, seraient
constitutives d'une violation du droit de ne pas s'autoaccuser.
Certes, les enquêteurs de l'administration ne peuvent
échapper au contrôle de la Cour lorsqu'ils infligent une sanction
assimilable à une sanction pénale70, mais il ne faut
pas oublier que les enquêtes fiscales permettent de constater des faits
constitutifs d'infractions pénales.
72. C'est précisément l'hypothèse de
l'affaire Saunders71. L'administration fiscale anglaise, le DTI,
avait exercé l'équivalent du droit de communication des
administrations francaises à l'encontre du requérant. Ce dernier
avait obtempéré et fourni les documents, lesquels furent admis
comme preuves à charge lors de son procès pénal
ultérieur. Puisque le requérant avait consenti à
communiquer les pièces demandées, aucune sanction pénale
n'avait été prise contre lui au cours de l'enquête
administrative. Celle-ci échappait donc complètement au champ
d'application de l'article 6. En revanche, la procédure pénale
subséquente ressortit à la matière pénale et se
trouve donc soumise au contrôle de la CourEDH.
73. C'est ici l'étendue du contrôle de la Cour
qui pose une difficulté. En effet, considérer que les deux phases
sont distinctes serait irréaliste et reviendrait à priver le
requérant de toute possibilité d'invoquer l'article 6 dans une
procédure qui aboutit, in fine, à sa condamnation
pénale sur le fondement d'un manquement administratif constaté
par des moyens qui auraient été contraires à la Convention
s'ils avaient été utilisés pour constater une infraction
pénale. D'un autre côté, la CourEDH ne peut examiner la
recevabilité dans le cadre de la procédure pénale
ultérieure des éléments recueillis au cours de
l'enquête administrative, sans s'immiscer
dans des questions d'admissibilité de la preuve qui
ressortissent à la compétence exclusive du juge
national72.
74. Prenant au mot le gouvernement dans l'affaire Saunders, qui
estimait qu'une protection suffisante était offerte au requérant
par le pouvoir du juge d'écarter les éléments de preuve
irréguliers, la CourEDH décide Çqu'elle se
préoccupera donc seulement, en l'espèce, de l'usage qui a
été fait dans la procédure pénale des
déclarations pertinentes du requérant È. Le repli n'est
qu'apparent et l'on verra que la formule employée permet en
réalité, à l'occasion de l'examen au fond du respect du
droit de ne pas s'autoaccuser, de contrôler les éléments de
preuve recueillis lors de la phase administrative de la procédure.
75. La notion de matière pénale est ainsi
largement définie et un grand nombre de requérants semble, au vu
de cette seule condition, admis à invoquer une violation du droit de ne
pas s'autoaccuser. Le critère adopté, la sanction pénale,
ressemble beaucoup à celui qui caractérise la seconde condition
exigée, l'existence d'une accusation, ce qui ne va pas dans le sens
d'une restriction du domaine de l'article 6. Pour déterminer s'il y a eu
accusation en matière pénale, la CourEDH s'attache à la
notion d'accusé, mais la définition qu'elle en donne n'est pas
satisfaisante puisqu'elle la conduit à se montrer étonnamment
plus tolérante envers certains participants à la procédure
et plus sévère envers d'autres.
SECTION DEUXIéME: LA QUALITÉ
D'ACCUSÉ D'UNE INFRACTION
76. La notion d'accusé est connue, qui a
été définie par la Cour en tant que condition
d'application générale de l'article 6 à une espèce,
sans qu'il soit particulièrement question du droit de ne pas
s'autoaccuser. Mais précisément, la définition
européenne classique de l'accusation n'est pas parfaitement transposable
aux affaires dans lesquelles ce droit est mis en cause et elle a dü
être réaffirmée dans le contexte particulier d'une
requête en violation du droit de ne pas s'autoaccuser
(I). En particulier, il a fallu déterminer si ce
contexte permettait de faire entrer le témoin dans la catégorie
d'accusé (II). En revanche, la question n'ayant
72 Sur ce point, infra n133.
jamais été soulevée devant la Cour, la
situation des personnes morales au regard du droit de ne pas s'autoaccuser
reste encore inconnue à ce jour (III).
I. L'ACCUSÉ CLASSIQUE OU LE CRITéRE DES
RÉPERCUSSIONS IMPORTANTES
77. Ce critère fourni par dans l'affaire McGuiness 73
est la Cour : Ç une personne peut
être considérée comme accusée aux
fins de l'article 6 dès l'instant qu'il y a des répercussions
importantes sur sa situation È.
Il faut comprendre que lorsque l'une des issues de la
procédure engagée contre le requérant est une sanction
d'une particulière gravité, celui-ci doit être
considéré comme un accusé au sens de la Convention.
78. Par nature, la peine d'emprisonnement constitue une telle
sanction, et toute personne visée par une procédure susceptible
d'aboutir à une peine privative de liberté remplit le
critère de l'article 6.
La solution était moins évidente pour les
sanctions pécuniaires, mais la Cour a décidé dans
l'affaire J.B. c/ Suisse qu'une amende d'un montant particulièrement
élevé doit être considérée comme ayant des
«répercussions importantes» sur la situation du
requérant74. Il s'agit là d'un critère objectif
et non subjectif, même si la Cour l'apprécie in concreto
. Elle envisage la question en faisant du requérant une sorte de
justiciable éclairé qui décide de répondre ou non
aux enquêteurs, selon que la sanction encourue en conséquence de
ce choix a plus ou moins d'impact sur sa situation. C'est donc ici encore la
gravité de la sanction, en ce qu'elle a pu contraindre le comportement
du requérant, qui fait figure de critère
déterminant.75.
79. Une difficulté surgit en cas de relaxe lors d'une
procédure pénale postérieure à une enquête
administrative qui a déjà donné lieu à une sanction
pénale.
73 CEDH 21 décembre 2000, McGuiness c/Irlande,
§ 41.
74 CEDH 03 mai 2001, J.B. c/ Suisse, § 48 et
49.
75 La sanction est le critère
déterminant de l'applicabilité de l'article 6 : la notion de
«répercussions importantes» est à la
détermination de la qualité d'accusé d'une infraction ce
que la notion de «gravité de la sanction» est à la
détermination de la matière pénale, cf. supra
n°63 et suivants.
Dans lÕaffaire McGuiness précitée, le
requérant avait été condamné par le juge penal
à une peine dÕemprisonnement pour avoir refuse de fournir des
informations à lÕadministration des douanes. Se trouvant dans la
même situation que M. Funke 76, il aurait pu invoquer une
violation de lÕarticle 6 même en lÕabsence de poursuites
pénales postérieures à lÕenquête
administrative. Toutefois, en lÕespéce, ces poursuites eurent
lieu et aboutirent à la relaxe du prévenu, sans que celui-ci ait
pu se prévaloir dÕune violation de lÕarticle 6 commise au
cours dÕune procedure administrative distincte et ayant abouti à
une condamnation sur laquelle un autre juge penal avait déjà
statue. En outre, comme le requérant nÕavait pas
cédé à la demande de production de pieces, la CourEDH ne
pouvait pas contrTMler leur utilisation au cours du procés penal
(critère de lÕarrêt Saunders
précité77). La relaxe du requérant avait donc
pour consequence quÕil ne pouvait invoquer les droits garantis par la
ConvEDH, alors même quÕil pouvait a priori
sÕestimer victime dÕune violation de lÕarticle 6 au
même titre que Funke.
Dans une telle hypothése, la CourEDH decide que
lÕarticle 6 est malgré tout applicable, au motif que Ç la
Convention doit s'interpréter de façon à garantir des
droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires
»78.
80. Ainsi, il ressort de la jurisprudence de la Cour que toute
personne ayant été soumise à une procedure susceptible
dÕavoir des repercussions importantes sur sa situation doit etre
considérée comme ayant été accusée
dÕune infraction au sens autonome de lÕarticle 6 de la
ConvEDH.
En réalité, ce critére fait double emploi
avec celui utilisé pour determiner lÕétendue de la
Òmatiére pénaleÓ et nÕest pas
réellement efficace pour determiner qui est accuse et qui ne
lÕest pas. Il permet surtout dÕidentifier ce quÕest une
infraction pénale au sens de la Convention, et par voie de consequence,
de dire quÕil y a bien eu une accusation formulée en
matiére pénale. Quant à la question de savoir qui fait
lÕobjet de cette accusation, à qui est reprochée la
commission de lÕinfraction ayant fondé les poursuites
pénales, le critére des repercussions importantes ne permet pas
de donner une réponse satisfaisante. En effet, il existe plusieurs
personnes pour lesquelles une procedure en matiére pénale est
susceptible dÕavoir des consequences importantes. Il est donc
comprehensible que la Cour ait été amenée à
préciser le
76 Cf. supra n66 et suivants.
77 Cf. supra n71 et suivants.
78 Arrêt McGuiness, 45.
statut de l'individu ayant été entendu comme
témoin au cours de la procédure: le sens autonome de la notion
conventionnelle d'accusé permet-il d'appliquer l'article 6 au
témoin?
II. L'ACCUSÉ TÉMOIN OU LE CRITéRE DE
LA NOTIFICATION OFFICIELLE
81. Inclure le témoin dans la notion d'accusé,
même au sens autonome de la ConvEDH, semble une extension a priori
excessive de cette notion, puisque les procédures applicables dans
l'ordre interne sont radicalement différentes selon que la personne
interrogée par les enquêteurs a le statut de témoin ou de
mis en examen.
En réalité, il s'agit moins dans l'esprit de la
CourEDH d'une extension que d'une précision quant au moment
d'appréciation de la qualité de témoin ou d'accusé.
Cette qualité doit s'apprécier non pas au moment oü les
déclarations accablantes ont été formulées par
l'intéressé, mais au moment de la notification officielle de son
statut par les organes de la procédure, cette notification figeant
l'état d'esprit des différentes parties lors des
opérations subséquentes79.
82. L'article 6 exigeant une accusation, on pourrait supposer
que seules la ou les personnes visées par des poursuites pénales
bénéficient des garanties du procès équitable.
Néanmoins, lorsqu'un individu est entendu comme témoin au cours
de la procédure, son témoignage peut ultérieurement
être retenu contre lui et constituer une accusation en matière
pénale, alors qu'au moment de sa déposition il n'était pas
directement visé par les poursuites et n'avait donc pas le statut
d'accusé au sens de la procédure interne.
On concoit pourtant bien qu'une telle personne, contrainte par
serment à dire toute la vérité, puisse être
amenée à faire des déclarations autoaccusatrices au sens
oü l'entend la CourEDH. Il n'est donc pas possible, pour l'application de
la ConvEDH, d'exclure a priori le témoin du champ d'application
de l'article 6. C'est pourquoi la Cour, dans son arrêt
Serves80, pose comme principe que Çle requérant
pouvait passer pour tomber sous le coup d'une accusation au sens autonome de
l'article 6§1 lorsqu'il fut assigné à compara»tre comme
témoin et condamné pour avoir refusé de prêter
serment È.
83. Cette affaire étant relativement complexe, il convient
d'en retracer brièvement le déroulement.
Le requérant fit d'abord l'objet d'un premier
réquisitoire introductif qui fut annulé par le juge francais,
mais avec des réserves telles que les pièces ayant motivé
cette première information ne furent pas retirées du dossie r. Le
requérant comparut alors comme témoin devant le juge
d'instruction mais refusa de prêter serment et fut condamné de ce
chef. Par la suite, une nouvelle information fut ouverte contre
l'intéressé, sur le fondement des pièces recueillies lors
de la première information et non retirées du dossier.
Saisie d'une requête en violation du droit de ne pas
s'autoaccuser fondée sur la condamnation du requérant pour refus
de prêter serment, la Cour estime qu'il lui incombe avant toute chose de
rechercher << si M.Serves, qui n'était ni visé par le
réquisitoire introductif du 13 mars 1990 ni inculpé lorsqu'il fut
assigné à compara»tre comme témoin devant le juge
d'instruction, tombait néanmoins sous le coup d'une accusation au sens
de l'article
6>>. Elle en vient alors à
définir la notion d'accusation au sens autonome de
l'article 6.
La Cour énonce que la notification officielle,
émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir
accompli une infraction pénale constitue une accusation. Elle
précise que cette définition correspond à l'idée de
<<répercussions importantes sur la situation>> du
suspect81. En se fondant sur l'existence du premier
réquisitoire introductif qui, malgré son annulation, a servi de
fondement à la seconde inculpation, la CourEDH décide que
<<lorsque M. Serves fut assigné à compara»tre comme
témoin et condamné en application de l'article 109 du code de
procédure pénale, il pouvait passer pour tomber sous le coup
d'une accusation au sens autonome de l'article 6 >>. La Cour
apprécie donc l'utilisation que les autorités chargées de
l'enquête ont faite ou comptaient faire des éléments du
dossier, afin de déterminer si le requérant avait ou non au
moment des faits le statut d'accusé au sens de l'article 6. Si des
éléments considérés comme des
éléments à charge existaient au moment où
l'intéressé a pu faire des déclarations accablantes, alors
le requérant a fait l'objet d'une accusation au sens autonome (par
rapport au statut officiel qui lui a été accordé dans la
procédure interne) de l'article 6 ConvEDH. Partant, la personne
entendue82 dans le cadre d'une procédure pénale ne
peut être a priori exclue du bénéfice des
dispositions de cet article.
81 Sur cette notion, cf. l'arrêt J.B. c/
Suisse précité. Sans doute faut-il comprendre ainsi cette
référence: dès que le prévenu se voit reprocher
d'avoir commis une infraction pénale, il devient passible d'une sanction
susceptible d'entra»ner des répercussions importantes sur sa
situation (cf. les remarques précédentes dans cette même
section).
82 Il s'agit plus particulièrement en
l'espèce du témoin assisté, mais la Cour employant le
terme de témoin, il semble fondé d'étendre la solution
à tout intéressé déposant sous serment.
84. Il reste a contrario que le témoin contre
lequel il n'existe aucun soupcon d'avoir commis une infraction pénale a
u moment de son audition ne peut être considéré comme un
accusé au sens de l'article 6. En conséquence, et même si
cela nécessite un examen a posteriori de l'applicabilité
de la ConvEDH, un tel individu ne pourra jamais se prévaloir du droit de
ne pas contribuer à sa propre incrimination, quand bien même il
aurait été amené à faire des déclarations
accablantes lors de sa déposition83.
85. La notion d'accusé telle que la définit la
CourEDH demeure confuse mais on en percoit l'idée
générale. Lorsque les organes chargés des poursuites
accusent une personne d'avoir commis une infraction pénale (au sens oil
l'entend la Cour), cette personne acquiert la qualité d'accusé
d'une infraction en matiere pénale et bénéficie en
conséquence des garanties du process équitable. Il reste à
déterminer si toutes les personnes juridiques sont habilitées
à invoquer les dispositions de l'article 6.
III. L'ACCUSÉ PERSONNE MORALE OU LE CRITéRE
EN SUSPENS
86. Il aurait été intéressant de savoir
si le droit de ne pas contribuer à sa propre accusation peut
également être invoqué par une personne morale. Aucun
arrêt de la CourEDH ne se prononce expressément en ce sens.
L'art 6§1 est applicable à « toute personne
» des lors qu'elle remplit les conditions énumérées
par cet article. Les restrictions à la compétence de la CourEDH
sont prévues par la Convention elle même, et sont exclusivement
territoriales. En conséquence, les dispositions relatives au
procès équitable peuvent a priori être
invoquées par une personne morale.
En pratique, la Cour a répondu à certaines
questions concernant les rapports entre l'article 6 et les personnes morales,
mais jamais directement sur le point de savoir si ces dernieres peuvent
invoquer le droit de ne pas s'autoaccuser (A). Plusieurs solutions sont a
priori envisageables84 et les réponses peuvent parfois
être trouvées hors de la jurisprudence de la CourEDH (B).
Al LA QUESTION RÉSOLUE : LA PERSONNE PHYSIQUE AU SEIN
D'UNE PERSONNE MORALE
87. Il ne s'agit en réalité que d'une
précision apportée par la Cour quant à la notion classique
d'accusé85. La juridiction européenne rejette la
distinction, au sein de cette catégorie d'accusés, entre les
personnes physiques ayant commis une infraction de droit commun et les
personnes physiques ayant commis une infraction en droit pénal des
sociétés.
La référence est ici l'arrêt Saunders
précité. Le gouvernement suggérait de distinguer entre les
fraudes commises en matiére de sociétés et d'autres types
d'infractions, les auteurs des premières bénéficiant de
garanties moindres en raison des nécessités de l'enquête.
La Cour répond que le droit de ne pas s'autoaccuser doit s'appliquer
également à tous les types d'accusés, y compris ceux
soupçonnés d'avoir commis des fraudes complexes au sein des
sociétés. Autrement dit, l'intérêt public à
démêler des infractions complexes ne saurait justifier une
atteinte au principe d'égalité entre les accusés au regard
de l'article 686.
88. La Cour se contente dans cette affaire de préciser
que les infractions en matiére de sociétés doivent
être poursuivies et réprimées dans le respect des garanties
du procés équitable. Elle ne répond pas directement
à la question de savoir si les personnes morales accusées d'une
infraction en matière pénale bénéficient des
mêmes droits conventionnels que les personnes physiques placées
dans la même situation. La confrontation sur ce point entre la
jurisprudence européenne et la jurisprudence communautaire ne permet pas
de donner une réponse définitive.
B1 LA QUESTION DÉBATTUE : LA PERSONNE MORALE
ELLE-MæME
89. En l'absence de décision expresse de la CourEDH
dans ce domaine, il est intéressant de se tourner vers la juridiction
communautaire. En effet, l'article 6§2 du traité instituant l'Union
Européenne87, codifiant la jurisprudence de la CJCE, dispose
que « l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis
par la Convention européenne de sauvegarde
85 Cf. supra, n°76.
86 Arrêt Saunders, § 44 et 45.
87 Signé à Maastricht le 7
février 1992.
des droits de l'homme et des libertés fondamentales
(É) >>. L'examen des décisions de la Cour de Justice et du
Tribunal de première instance des Communautés européennes
pourrait donc fournir un indice concernant l'invocabilité du droit de ne
pas s'autoaccuser par les personnes morales.
90. La jurisprudence communautaire décide que le droit
de ne pas s'autoaccuser peut être invoqué par les personnes
morales, mais elle en limite la substance à la possibilité pour
celles-ci de refuser d'admettre l'existence d'une infraction88.
Cette conception est très éloignée de celle
consacrée par la CourEDH et il est probable que cette dernière
retiendrait une solution différente au fond si elle se prononcait sur la
question, au nom du Çprincipe d'égalité entre les
accusés au regard de l'article 6 >>89.
91. De ce principe et des indications fournies par le droit
communautaire, il résulte qu'aucun obstacle rationnel ne devrait
empêcher une personne morale d'invoquer à son
bénéfice le droit de ne pas s'autoaccuser. Il faudra toutefois
attendre une décision expresse de la CourEDH pour conna»tre les
conséquences sur le fond de cette applicabilité.
CONCLUSION DU DEUXIéME CHAPITRE
92. Ainsi que la Cour le rappelle dans l'arrêt Shannon
précité, Çil y a principalement deux types d'affaires dans
lesquelles la Cour a constaté des violations du droit de garder le
silence et du droit de ne pas s'incriminer soi-même >>. Il y a
d'abord les affaires concernant l'utilisation de la contrainte aux fins
d'obtention de renseignements susceptibles d'incriminer la personne
concernée dans le cadre d'une procédure pénale
déjà pendante ou envisagée contre lui. Il y a ensuite les
affaires concernant l'utilisation dans le cadre de poursuites pénales
subséquentes d'informations incriminantes obtenues par la contrainte en
dehors du contexte d'une procédure pénale90. Ces
affaires soulevaient toutes des difficultés quant à
l'applicabilité de l'article 6 à des procédures complexes,
dont le déroulement diffère des poursuites exercées dans
le cadre d'une procédure pénale classique. La CourEDH a
résolu ces difficultés en revêtant la notion de
matière pénale d'un caractère autonome qui la soustrait
à l'appréciation
88CJCE 18 octobre 1989 Orkem c/ Commission,
Rec., 1989, p.3283.
89 Mentionné supra, n°87.
90 CEDH 2005 Shannon précité, § 41
à 43.
des Etats-membres91. Face à la tendance
à dépénaliser le droit penal, cÕest-à-dire
à permettre à dÕautres autorités que le juge penal
de sanctionner des infractions, la Convention permet ainsi lÕapplication
de régles identiques à toutes les mesures
punitives92.
Au final, le droit de ne pas sÕautoaccuser se voit dote
dÕun large champ dÕapplication afin de satisfaire au mieux les
exigences du procés equitable. Tout requérant ayant fait
lÕobjet dÕune accusation en matiére pénale
(question de forme) est ainsi habilité à se prétendre
victime dÕune violation des droits qui lui sont conférés
par lÕarticle 6 ConvEDH (question de fond).
93. La délimitation du domaine du droit de ne pas
sÕautoaccuser permet déjà de distinguer les
éléments qui seront examines sur le fond. Cependant, le
mécanisme élaboré est difficile à
appréhender dans son ensemble, la Cour se limitant à des
explications ancrées dans les circonstances des espéces qui lui
sont soumises, au detriment de lÕesprit de système. Il en
résulte que le contenu du droit de ne pas sÕautoaccuser ne fait
lÕobjet dÕaucune definition abstraite : la notion se
développant au fil de la casuistique, chaque violation constatée
est une pierre de plus apportée à lÕédifice.
LÕétude du contrTMle exercé par la CourEDH
révéle une mise en Ïuvre pour le moins complexe, dont la
portée est incertaine.
91 LÕinclusion des procedures dites
ÒmixtesÓ dans la notion de matière penale entra»ne
egalement des consequences importantes sur lÕapplicabilite du principe
non bis in idem.
92 Cf. sur ce point, P. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, p. 96-97.
TROISIéME CHAPITRE : LA PORTÉE DU DROIT
DE NE PAS S'AUTOACCUSER
94. La ConvEDH ne définissant pas expressément
le droit de ne pas s'autoaccuser, le juge européen procede en quelque
sorte à l'incrimination de certains comportements. En effet, la CourEDH
semble raisonner de la maniere suivante : le silence est la valeur sociale
européenne à protéger ; par conséquent, il convient
de déterminer les différents comportement susceptibles de lui
porter atteinte ; une fois les éléments constitutifs de ces
«infractions» définis, il suffit de vérifier s'ils sont
réunis en l'espece pour déterminer s'il y a eu violation du droit
au silence. On constate qu'il existe deux façons complémentaires
de porter atteinte au silence : la contrainte exercée peut dissuader
l'accusé de se taire ; elle peut l'inciter également à
produire des pieces ou à formuler des déclarations qui vont dans
le sens de sa culpabilité, c'est-à-dire à
s'autoaccuser.
95. Le droit de ne pas s'autoaccuser et le droit de se taire
permettent ainsi de garantir le respect du droit au silence, et d'assurer le
traitement équitable de l'accusé tout au long de la
procédure. La CourEDH définit, à l'occasion de son
contrTMle, les comportements concrets constitutifs d'une attei nte à ces
droits. Selon elle, « pour rechercher si une procédure a
anéanti la substance même » du droit au silence, il convient
d'examiner en priorité les éléments suivants : « la
nature et le degré de la coercition, l'existence de garanties
appropriées dans la procédure et l'utilisation qui est faite des
éléments ainsi obtenus »93.
La distinction est donc essentiellement chronologique : la
recherche de preuves par les enquêteurs est qualifiée de
coercition abusive des lors qu'elle a privé le requérant des
garanties de l'article 6 (section première). La
procédure suivie lors du proces pénal ultérieur est
inéquitable des lors que les informations abusivement recueillies ont
exercé un impact déterminant sur la décision de
condamnation (section deuxiime).
93 CEDH 11 juillet 2007, Jalloh c/ Allemagne, §
101.
SECTION PREMIÈRE: LES VIOLATIONS AU STADE DE
L'ENQUæTE : LE CRITéRE DE LA COERCITION
ABUSIVE
96. Au cours de la phase préalable, les
enquêteurs sont souvent amenés à user de moyens coercitifs
afin d'obtenir les éléments de preuve qu'ils recherchent. Qu'ils
soient agents de l'administration ou membres
de la police, leur pouvoir de contrainte doit s'exercer dans
le respect de l'article 6 ConvEDH, et notamment du droit pour l'accusé
de ne pas s'autoaccuser. La CourEDH a précisé les limites de
prérogatives des enquêteurs, et censure les méthodes
qu'elle juge inéquitables.
Toute mesure coercitive ne doit pas faire conclure à
une atteinte injustifiée au droit de ne pas s'autoaccuser94.
Ce qui importe est que la contrainte, qu'elle se manifeste par la force ou
simplement par des pressions, ne soit pas exercée au mépris de la
volonté de l'accusé95. Autrement dit, l'emploi de la
coercition ne doit pas avoir pour objectif d'inciter le requérant
à collaborer à sa propre accusation, de provoquer la
révélation d'informations susceptibles de constituer des preuves
à charge. Cette révélation peut prendre la forme d'un aveu
ou de la communication de documents accablants pour l'accusé, mais la
forme de la collaboration est indifférente ici, seule la façon
dont cette collaboration a été obtenue influant sur le
caractére équitable de la procédure.
La contrainte physique, qui implique l'usage de la force
à l'encontre d'un individu demeurant passif, est autorisée dans
une hypothése particuliére (I). La contrainte
psychologique, qui consiste à faire pression sur l'accusé en le
plaçant dans un environnement coercitif, force abusivement
l'accusé à collaborer activement à l'établissement
de sa propre culpabilité (II).
I. LA CONTRAINTE PHYSIQUE OU LA POSSIBILITÉ
RELATIVE DE FORCER LE REQUÉRANT Ë COLLABORER PASSIVEMENT Ë SA
PROPRE ACCUSATION
97. L'usage de la force à l'encontre d'un
accusé passif est un mode de recherche de preuves équitable (A).
L'accusé est considéré actif, et la coercition
inéquitable, lorsque la force est employée au mépris de sa
volonté (B).
94 CEDH 4 octobre 2005, Shannon c/ Royaume-Uni, §
36.
95 Cf. la formule type de l'arrêt Allan,
introduction n°15.
98 L.-E. Pettiti, Droit au silence, p.145,
précité.
A] L'ÉQUITÉ DE LA COERCITION PHYSIQUE EN CAS
DE RECHERCHE DE PREUVES INDIFFÉRENTE Ë LA VOLONTÉ DE
L'ACCUSÉ
98. Saunders 96
Dès l'affaire , la Cour décide que le droit de ne
pas s'autoaccuser Çne
s'étend pas à l'usage, dans une
procédure pénale, de données que l'on peut obtenir de
l'accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent
indépendamment de la volonté du suspect, par exemple les
documents recueillis en vertu d'un mandat, les prélèvements
d'haleine, de sang et d'urine ainsi que de tissus corporels en vue d'une
analyse de l'ADN È.
Le verbe «s'étendre» prête à
confusion. Il ne s'agit pas ici du champ d'application du droit de ne pas
s'autoaccuser, mais bien de son applicabilité substantielle. Le droit en
question est applicable formellement dès que l'on est en présence
d'une accusation en matière pénale dirigée contre le
requérant97. Ce que la Cour exprime maladroitement c'est que,
sur le fond, la recherche des preuves par des méthodes scientifiques ou
en application d'un acte dressé par un juge, modalités sans
lesquelles il serait pratiquement impossible d'établir la
culpabilité du suspect, est exclusive d'une violation du droit de ne pas
s'autoaccuser.
Les Ç données È visées ont pour
point commun d'être recueillies par la force. Les enquêteurs sont
habilités à exercer une forme de contrainte sur l'accusé,
le plus souvent physique (prélèvement d'ADN, d'urine ou
d'haleine) mais pas toujours. La force physique n'est pas nécessairement
exercée lors d'une perquisition sur mandat, même s'il reste
possible, en cas de résistance de l'intéressé, de
pénétrer de force dans son habitation et de le contraindre
physiquement à ne pas empêcher l'exécution du mandat.
99. Si l'on s'en tient à la jurisprudence de la Cour,
cette décision est une pétition de principe qui ne fait pas
l'objet de plus amples explications. La justification en est fournie par L.-E.
Pettiti98, qui indique que ces Çcas exceptionnels oü des
preuves, obtenues avant le procès contre le gré du suspect,
peuvent légalement servir à incriminer l'intéressé
È, ont pour objectif principal d'éviter que lesdites preuves ne
disparaissent. L'intérêt de la justice l'emporte donc ici. En
outre, l'accusé, bien que contraint physiquement, reste passif lors de
la recherche des preuves, et se contente de subir les mesures d'investigation
qui aboutiront à sa mise en accusation.
100. Il convient donc de distinguer entre l'usage de la force
ayant pour effet de contraindre l'intéressé à collaborer
passivement à la recherche de données établissant sa
culpabilité, et l'emploi de méthodes aboutissant à
contraindre l'accusé à participer activement au recueil des
preuves à charge. Si la première forme de coercition est en
principe permise, elle devient inéquitable lorsqu'elle s'exerce, comme
la seconde, au mépris de la volonté de l'accusé.
B] L'INIQUITÉ DE LA COERCITION PHYSIQUE EN CAS DE
RECHERCHE DE PREUVES AU MEPRIS DE LA VOLONTÉ DE L'ACCUSÉ
101. L'hypothése dont il s'agit ici est assez
particulière, en ce qu'elle se situe à mi-chemin de la
distinction précédente. La coercition employée ressemble
à s'y méprendre à celle autorisée par la Cour, et
l'on pourrait croire que l'accusé est resté passif durant
l'opération en cause. Pourtant, la CourEDH considére que cette
méthode porte atteinte à la volonté de l'accusé de
ne pas collaborer à la recherche des preuves, et, partant, constitue une
contrainte abusive violant son droit de ne pas s'autoaccuser, au même
titre que la coercition active.
102. L'affaire Jalloh99 contient les
développements les plus importants sur ce sujet. Les faits étant
complexes, un bref résumé de l'arrêt s'impose.
L'accusé était soupçonné
d'être un trafiquant de stupéfiants, ou tout du moins un
«passeur». L'une des façons de dissimuler ces produits
illicites consiste à les ingérer emballés dans une
enveloppe protectrice, puis à les faire sortir du corps une fois en lieu
silr. Par conséquent, le meilleur moyen pour les enquêteurs de
récupérer les stupéfiants
était de les faire régurgiter
par le suspect. Les agents compétents lui
administrérent donc un émétique puissant, afin de
provoquer ses vomissements. Les stupéfiants ainsi recueillis furent
ensuite utilisés comme élément à charge dans le
process pénal ultérieur dirigé contre lui. Devant la
CourEDH, le requérant invoque une violation de l'article 6, mais
également une violation de l'article 3.
L'espéce semble relativement proche des arrêts
précédents admettant l'usage de la force pour obtenir des
éléments de preuve sans le consentement de l'accusé. Il
s'agit bien ici d'une contrainte physique exercée sur
l'intéressé afin d'obtenir, dans l'intérêt de la
justice, des éléments de preuve menacés de disparition.
Cependant, les méthodes précédemment employées par
les policiers, si elles étaient coercitives, impliquaient une atteinte
relativement
99 CEDH 11 juillet 2006, Jalloh c/ Allemagne.
bénigne à l'intégrité physique du
suspect. Au contraire, en l'espèce, la méthode employée
est jugée constitutive d'un traitement inhumain et dégradant
contraire à l'article 3 ConvEDH, dont les dispositions sont
particulières en ce sens que les Etats ne peuvent en restreindre la
portée par une réserve ni y déroger en aucune
circonstance. Toutefois, il convient de rappeler ici que les articles de la
ConvEDH sont autonomes, et qu'une violation de l'article 3, si elle permet au
requérant d'obtenir réparation sur ce fondement, n'est pas
automatiquement constitutive d'une violation de l'article 6100.
103. Selon la Cour, la méthode employée par les
enquêteurs dans l'affaire Jalloh, bien que constitutive d'un traitement
inhumain et dégradant, n'établit pas ipso facto que
l'accusé ait été passif lors de la recherche des preuves.
Ceci peut surprendre puisque les enquêteurs se sont contentés
d'administrer de force à ce dernier un émétique, lequel a
provoqué une réaction physiologique de l'organisme ayant permis
la collecte des preuves. L'usag e de la contrainte physique semble par
hypothèse opposée à l'idée d'une collaboration de
l'accusé : qu'il affiche la volonté de se taire ou de parler n'a
aucune influence sur le processus déclenché par l'administration,
au surplus contre son gré, d'un émétique.
Il faut reprendre le considérant type de la Cour afin de
comprendre
son raisonnement dans l'espèce: Ç sans recourir
à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les
pressions, au mépris de la volonté de l'accusé È.
Comment la volonté de l'accusé peut-elle permettre de constater
dans l'arrêt Jalloh une violation du droit de ne pas s'autoaccuser ?
On sait gr%oce à l'arrêt Saunders qu'il n'y a pas
contrainte abusive lorsque la coercition est employée contre la
volonté de l'accusé pour recueillir des données existant
indépendamment de sa volonté101. Sa volonté
serait dans une telle hypothèse inopérante. En
réalité, il y a là une inexactitude dans le raisonnement
de la Cour. D'abord, ce n'est pas l'existence des données
collectées qui est en cause, car la volonté de l'accusé ne
saurait influer sur leur être ou leur
102;
non être en revanche, elle influe sur la connaissance que
les enquêteurs peuvent avoir de
ces données. Ensuite, que la contrainte soit
employée afin de forcer le requérant à produire des
documents ou à révéler des informations, ou qu'elle soit
employée afin d'obtenir un
100 Sur la combinaison des articles 3 et 6 ConvEDH, cf
supra, n°41 et suivants.
101 Cf. supra n°98.
102 Sauf à considérer que l'accusé ne
peut empêcher l'ADN d'exister, alors qu'il peut priver d'existence des
informations et des documents. Dans cette optique, les premiers existent
indépendamment de sa volonté, alors que l'existence des seconds,
si elle n'est pas conditionnée par la volonté du
requérant, ne peut persister en cas de volonté contraire. Mais ce
serait raisonner selon la nature des éléments en cause, ce que la
Cour ne fait pas puisqu'elle classe les données que l'on peut recueillir
en vertu d'un mandat dans la première catégorie.
prélèvement ADN ou en exécution d'un mandat,
dans les deux cas la recherche des preuves suppose de passer outre la
volonté du requérant.
La différence semble donc plutôt reposer sur le
fait que dans le premier cas, on oblige le requérant à changer
d'avis, on le force à vouloir ce qu'il ne veut pas (avouer), alors que
dans le second cas la volonté du requérant n'est pas
modifiée, les enquêteurs passent outre mais le refus demeure. La
distinction est ainsi de nouveau fondée sur le critère de
l'activité ou de la
103
passivité du requérant lors de la recherche des
preuves . Du point de vue des enquêteurs, cela revient à dire que
si le suspect est seul à détenir des informations concernant sa
situation (par exemple financière), celles-ci ne peuvent être
connues en l'absence de volonté spontanée de sa part de les
divulguer (c'est alors un aveu valant renonciation au droit de ne pas
s'autoaccuser). Forcer cette volonté, inciter le requérant
à avouer malgré lui (oralement ou en le forcant à produire
des données à charge), constitue une coercition
inéquitable au sens de l'article 6. En revanche, lorsque certaines
données matérielles ou corporelles ne peuvent être connues
qu'en usant de la force physique contre l'accusé, mais
indépendamment de sa volonté de collaborer aux opérations,
le recours à une telle méthode ne viole pas le droit de ne pas
s'autoaccuser.
104. Dans l'affaire Jalloh, la difficulté
résidait dans le caractère corporel des preuves obtenues gr%oce
à l'administration de l'émétique. La méthode
employée, ainsi que les données obtenues, semblaient se confondre
avec les exemples de coercition passive équitable. On aurait pu penser
qu'ici aussi il y avait eu usage contraint d'un procédé
scientifique afin de collecter un produit du corps humain. Ce n'est pas
l'analyse de la Cour. Selon elle, les produits en question avaient
été ingérés par le prévenu, il ne s'agissait
donc pas de produits naturels du corps humain. En outre, leur recueil a
nécessité de provoquer un fonctionnement organique anormal,
Ç pathologique È même, alors que dans les exemples
précités le suspect ne doit endurer qu'une atteinte mineure
à son intégrité physique104. Par
conséquent, la contrainte exercée en l'espèce doit
être rattachée aux cas de coercition abusive, malgré le
fait que cette catégorie vise en principe les pressions psychologiques
auxquelles le requérant a été soumis et qui l'ont
forcé à collaborer activement à sa propre accusation.
103 Rappelons que ce critère n'est jamais employé
par la Cour, il est simplement évoqué par L.-E. Pettiti dans
l'exposé Droit au silence précité.
104 Arrêt Jalloh, § 114. Les enquêteurs lui ont
en l'espèce fait «cracher le morceau», au propre comme au
figuré.
II. LA CONTRAINTE
PSYCHOLOGIQUE OU L'IMPOSSIBILITÉ ABSOLUE DE FORCER LE REQUÉRANT
Ë COLLABORER ACTIVEMENT Ë SA PROPRE ACCUSATION
105. En dehors des atteintes à
l'intégrité physique, les enquêteurs disposent de moyens de
pression psychologique destinés à les aider dans leur recherche
de preuves. Toutefois, lorsqu'ils créent un environnement coercitif, ils
violent le droit de l'intéressé de ne pas s'autoaccuser. La
création d'un environnement coercitif exerce systématiquement une
pression psychologique sur l'accusé destinée à obtenir sa
collaboration active (A). Ce mode de recherche de preuve est abusif en ce qu'il
viole le droit de ne pas s'autoaccuser (B).
A] UNE COLLABORATION ACTIVE SYSTÉMATIQUEMENT OBTENUE
PAR LA CRÉATION D'UN ENVIRONNEMENT COERCITIF
106. L'exemple type de coercition psychologique est celui de
la sanction pénale encourue en cas de refus de l'accusé de
divulguer les informations en sa possession (1). Les enquêteurs recourent
parfois à la ruse pour contourner le refus de l'intéressé
de collaborer activement à la recherche de preuves (2).
1) La contrainte psychologique par menace d'une sanction
pénale immédiate en cas de refus de collaborer activement
à la recherche de preuves
conna»t sert modèle 105
107. On l'affaire Funke, qui une
encore fois ici de . L'argument du
requérant consistait à soutenir que les
autorités chargées de l'enquête, devant son refus de
communiquer les pièces qui lui avaient été
demandées, avaient engagé une procédure pénale qui
Çtendait à forcer M. Funke à collaborer à son
accusation È. Une telle façon d'agir serait inadmissible, en ce
qu'elle dispense les enquêteurs de rechercher eux-mêmes les preuves
nécessaires.
La Cour accueille l'argument, constatant que Çfaute de
pouvoir ou de vouloir se les procurer par une autre moyen, les douanes
provoquèrent la condamnation de M. Funke pour obtenir certaines
pièces È. Par ce mécanisme, les agents de l'administration
ont donc tenté de
105 Cf. également l'affaire J.B. c/ Suisse,
précitée, qui adopte la même solution.
contraindre le requérant à fournir
lui-même la preuve d'infractions qu'il était soupconné
avoir commises. La CourEDH juge qu'un tel procédé porte atteinte
au droit pour l'accusé de ne pas s'autoaccuser: la sanction
pénale prévue par le droit douanier en cas de refus opposé
à une demande de communication de pièces est un mécanisme
inéquitable, en ce qu'il aboutit à condamner le prévenu
qui refuse de produire des preuves à charge.
Il n'y a pas ici de contrainte physique exercée sur
l'intéressé, les enquêteurs ne lui ayant pas soutiré
les informations qu'ils recherchaient par la force. En revanche, la
procédure est organisée de telle facon qu'elle place
l'accusé dans une position oü il ne peut éviter une
condamnation pénale immédiate qu'en produisant des preuves
à charges. Si l'on postule que tout accusé souhaite éviter
une condamnation pénale, alors on doit conclure qu'un tel
mécanisme constitue une contrainte inéquitable. Bien entendu, il
est préférable dans certains cas de se voir infliger une peine
pour refus de produire des pièces, moins sévère que celle
qui serait prononcée si les pièces produites permettent
d'établir l'infraction pour laquelle l'intéressé est
interrogé. C'est d'ailleurs le choix tactique opéré par M.
Funke en l'espèce. Mais précisément, le requérant
était confronté à un choix inéquitable, en ce sens
qu'il devait décider entre parler et révéler des
informations susceptibles de mener à sa condamnation pénale, ou
se taire et être condamné pénalement de ce chef. Autrement
dit, il lui fallait choisir entre deux condamnations pénales, au
détriment de sa volonté réelle. Le critère du choix
équitable rejoint ainsi celui de la volonté rencontré dans
les développements précédents : il n'y a pas choix
équitable lorsque l'accusé est contraint d'agir contre son
gré pour éviter une sanction pénale.
On comprend que la Cour parle ici d'un environnement
coercitif: oü que l'accusé se tourne, il est confronté
à la menace d'une sanction pénale et quel que soit son choix, une
condamnation pénale l'attend. En outre, l'intéressé n'a
souvent pas beaucoup de temps pour décider de la conduite à
adopter, ce qui accro»t d'autant la pression psychologique à
laquelle il est soumis. Il résulte de tous ces éléments
que, quelle que soit la décision finale du requérant, il aura
été soumis à une contrainte abusive portant atteinte
à son droit de ne pas s'autoaccuser.
108. Ce qui est inéquitable, c'est de contra indre
l'accusé à parler en érigeant le silence en infraction. La
simple menace d'une sanction suffit donc à établir la violation
de l'article 6, indépendamment du prononcé effectif de cette
sanction. En outre, si, dans l'affaire Funke, le requérant avait
décidé de garder le silence et d'encourir la condamnation, le
choix contraire ne devrait pas priver le requérant de la
possibilité d'invoquer une violation de son droit de ne
pas s'autoaccuser, quand bien même les déclarations
obtenues ne justifieraient pas le déclenchement de poursuites
pénales.
Ce point est débattu Shannon 106
dans l'affaire . Le gouvernement prétendait qu'il n'est
pas
contraire à l'article 6 « d'exiger la fourniture
de réponses ou d'informations lorsqu'il s'agit d'utiliser ces
données dans le cadre d'une enquête extra judiciaire ».
Autrement dit, il n'y aurait pas coercition abusive si les
éléments recueillis selon une procédure contraignante ne
sont pas ensuite retenus comme éléments à charge au cours
d'un procés pénal ultérieur. Mais on sent bien
l'hypocrisie d'un tel raisonnement : au moment oil les agents de
l'administration interrogent l'accusé, ni les enquêteurs ni
l'intéressé ne peuvent savoir si les informations recueillies
seront probantes ou non. La Cour en est consciente et décide qu'il n'est
pas nécessaire que « les éléments potentiellement
incriminants obtenus par la contrainte aient été
réellement utilisés dans le cadre d'une procédure
pénale pour que trouve à s'appliquer le droit de ne pas
s'incriminer
soi-même ». La motivation est donnée
quelques lignes plus loin : « si l'obligation de se présenter
à l'interrogatoire avait été imposée à une
personne à l'égard de laquelle les autorités ne
nourrissaient aucun soupcon ni aucune intention d'engager des poursuites,
l'utilisation des pouvoirs coercitifs aurait éventuellement pu se
concilier avec le droit de ne pas s'incriminer soi-même ». La
CourEDH sait bien que lorsque de forts soupcons pésent sur
l'accusé, les informations qui lui sont demandées lors de son
interrogatoire ont pour objectif de fonder sa condamnation lors d'un
procés pénal ultérieur. Dans de telles conditions,
répondre aux enquêteurs constitue pour le requérant un
« risque trés réel » (sic) de condamnation.
109. Encore faut-il que ce risque soit immédiat, sinon
il n'y a pas de coercition. Ainsi, dans l'affaire Murray107, la Cour
décide que, lorsque l'accusé décide de garder le silence
pendant un interrogatoire et que les enquêteurs l'avertissent que les
juges pourront fonder leur jugement de condamnation sur son mutisme, il n'y a
pas coercition abusive car « le requérant a en vérité
pu garder le silence ». Il faut comprendre ici que si la pression d'une
sanction pénale comme sanction immédiate du refus de parler est
inéquitable (affaire Funke), l'éventualité d'une
condamnation pénale prononcé lors du procés et
fondée sur les conclusions tirées par les juges d'un silence
gardé ne place pas l'intéressé dans une position
intenable, puisqu'il pourra encore défendre cette position et
éviter la condamnation. Contrairement à M. Funke, dont le choix
était faussé puisque l'un des membres de
106 CEDH 4 octobre 2005, Shannon c/ Royaume-Uni.
107 CEDH 8 février 1996, John Murray c/
Royaume-Uni.
l'alternative constituait une infraction pénale, M. Murray
a pu équitablement décider s'il était
préférable pour lui de se taire ou de produire des preuves
à charge.
110. Une difficulté particulière se pose dans le
cas du témoin: l'obligation de prêter serment constitue-t-elle une
coercition abusive au sens de l'article 6 ? L'hypothèse est celle de
Serves 108
l'affaire , dont la complexité impose de rappeler
brièvement les faits. Un juge
d'instruction avait auditionné
l'intéressé, soupconné en raison d'indices graves et
concordants (mais probablement insuffisants pour établir sa
culpabilité) d'être l'auteur d'une infraction, ce qui constituait
une violation des articles 105 et 109 CPP, lesquels imposent dans une telle
hypothèse que l'intéressé soit mis en examen et non pas
entendu comme témoin. Ce contournement de procédure permettait au
juge d'instruction de menacer l'intéressé de l'amende
sanctionnant le refus de prêter serment et le faux témoignage,
tout en le privant des droits dont jouit normalement une personne mise en
examen. Le «témoin» se trouvait ainsi, a priori,
placé dans la même situation que M. Funke mais démuni de la
protection de l'article 6. Pourtant, la CourEDH, après avoir
décidé que le droit de ne pas s'autoaccuser était
applicable en l'espèce 109 , rejette la requête au fond, au motif
que, si l'obligation de prêter serment relève d'une certaine
coercition, son objectif n'est pas d'obliger l'intéressé à
déposer mais simplement de garantir la sincérité des
réponses données au juge d'instruction. Autrement dit, il n'est
pas contraire au droit de ne pas s'autoaccuser de contraindre un suspect
à prêter serment sous la menace d'une condamnation pénale.
Pour autant, selon la Cour, cette solution n'oblige pas
l'intéressé à être témoin dans sa propre
cause puisque, une fois le serment prêté, le témoin n'a pas
l'obligation de déposer. Le raisonnement semble donc être le
suivant : pour des raisons de bonne administration de la justice, le serment
est obligatoire ; il contraint le témoin a dire la vérité,
mais uniquement dans l'hypothèse oü l'intéressé
déciderait de parler; pour le reste, le droit de ne pas s'autoaccuser
étant applicable au témoin, ce dernier peut exercer son droit de
taire, sans qu'une condamnation pénale puisse être
prononcée de ce chef (sous peine de placer le témoin dans la
même situation que M. Funke). Le requérant a donc en
l'espèce opposé un refus prématuré: il n'aurait pas
dü s'opposer à la prestation de serment mais, une fois ce serment
prêté, opposer son droit de se taire Çaux questions du juge
qui
»110
auraient été de nature à le pousser
[à témoigner contre lui -même] .
108 CEDH 20 octobre 1997, Serves c/ France.
109 Cf. supra, n°51 et suivants.
110 Cf. arrêt Serves § 47, précité.
Ce raisonnement repose sur une interprétation
contestable de l'obligation de prêter serment111 et aboutit
à une solution pour le moins paradoxale. En effet, la Cour affirme
depuis l'arrêt Funke que la coercition abusive peut être
psychologique. Or, on peut légitimement penser que, une fois sous
serment et averti des sanctions encourues en cas de faux témoignage, le
témoin se sente contraint de déposer (l'omission est un mensonge,
bien qu'il soit alors plus difficile à prouver). Mais,
précisément, la CourEDH semble préconiser que,
confronté à des questions embarrassantes, le témoin sous
serment mente par omission. Le droit de se taire permettrait donc de
préserver les droits de la défense, que le détournement de
procédure de l'espèce mettait en péril. La Cour
para»t ainsi consacrer le faux témoignage en défense
personnelle, ce qui aboutit à un mécanisme plutôt
surprenant : obligé de se placer dans un environnement coercitif au nom
de la vérité, le témoin peut en sortir en bafouant cette
vérité112.
111. Si l'on écarte l'hypothèse du témoin
sous serment, le principe est alors le suivant: il
»113
suffit que la procédure << expose le
requérant à une sanction pénale ou fasse <<planer
sur
»114
lui la menace d'une sanction pénale en cas de refus de
collaborer à la recherche des
preuves, pour que l'intéressé soit plongé
dans un environnement coercitif qui porte atteinte à son droit de ne pas
s'autoaccuser.
Cependant, des pressions psychologiques peuvent
également être exercées sur un accusé sans qu'une
telle menace plane sur lui. En effet, confrontés à un suspect qui
a décidé de garder le silence, les enquêteurs, conscients
qu'ils ne peuvent le menacer d'une condamnation pénale pour l'inciter
à collaborer, préfèrent parfois passer outre ce refus en
obtenant les informations qu'ils recherchent par un moyen
détourné. L'interception des conversations d'un accusé,
avec un codétenu complice des policiers ou avec ses proches au parloir,
est susceptible de violer le droit de l'intéressé de ne pas
s'autoaccuser dès lors que cette méthode, profitant de la
détresse de l'individu placé dans un environnement coercitif, le
prive d'un choix équitable au regard de ce droit.
111 Qui est d'ailleurs à l'origine de la formulation d'une
opinion dissidente par trois des juges de la Cour.
112 L'exercice du droit de se taire (afin de préserver
les droits de la défense) accède ainsi au rang de fait
justificatif du faux témoignage (ce serait un cas particulier de fait
justificatif par «autorisation de la Convention»).
113 CEDH 6 juin 2000, Averill c/ Royaume-Uni, § 48.
114 CEDH 21 décembre 2000, McGuiness c/ Irlande, §
49.
2) La contrainte psychologique par provocation ou interception
des révélations de l'accusé en cas de refus de collaborer
activement a la recherche de preuves
112. Puisque la force est un moyen inéquitable
d'inciter le requérant a révéler les informations en sa
possession, les enquêteurs tentent parfois de recourir a la ruse pour
déjouer le refus de l'accusé. Une telle méthode semble
intrinsèquement contraire au droit de ne pas s'autoaccuser, puisqu'elle
consiste a contourner la volonté de l'accusé de se taire,
processus dont on a vu qu'il est considéré par la Cour comme
inéquitable. Mais la ruse, pour inique qu'elle soit, n'est pas une
coercition au même titre que la force, et elle ne contrarie les exigences
de l'article 6 que dans la mesure oü elle suppose la création d'un
environnement coercitif. Deux procédés ont été
soumis a l'examen de la CourEDH.
113. Le recours a un intermédiaire pour soutirer a
l'accusé les informations qu'il refusait de communiquer aux
enquêteurs est une méthode censurée par la Cour dans
l'affaire Allan115. En l'espèce, un faux détenu,
informateur de la police, avait été placé dans la
même cellule que le requérant, afin de recueillir les confessions
qu'il avait refusées aux enquêteurs. Reprenant a
116
son compte la jurisprudence de la Co ur Suprême du
Canada , la Cour constate l'absence d'élément témoignant
d'une coercition directe, mais estime néanmoins que
l'intéressé a subi une pression psychologique qui a affaibli le
caractère volontaire de ce qu'il a révélé a son
codétenu. L'emploi d'un intermédiaire pour soutirer des
informations a l'accusé est donc un Ç subterfugeÈ abusif
en ce qu'il permet d'obtenir la collaboration de l'intéressé a sa
propre accusation, au mépris de sa volonté. Quant a
l'élément de contrainte, il résulte de l'état
mental de l'accusé lorsqu'il se confessait a son codétenu: mis
sous pression par les enquêteurs lors des interrogatoires, il
était placé dans un environnement coercitif qui l'incitait, une
fois de retour dans sa cellule, a répondre aux questions insistantes du
faux codétenu (pour relâcher la pression en quelque sorte). La
motivation de la CourEDH est laconique, mais reste compréhensible. Si la
menace d'une sanction pénale crée une pression psychologique
immédiate sur l'accusé, la mise en scène de l'affaire
Allan développe un processus coercitif plus long mais tout aussi
efficace, qui aboutit a contourner le refus de l'intéressé de ne
pas répondre aux enquêteurs. Dans cette hypothèse, le
suspect se voit initialement offert le choix de se taire ou de collabo rer,
mais par un subterfuge est amené a revenir sur sa décision, a
son
115 CEDH 05 novembre 2002, Allan c/ Royaume-Uni.
116 Arrêt Allan, § 51. Sur les sources d'inspiration
de la conception européenne du droit de ne pas s'autoaccuser, cf.
supra, n°17 et suivants.
insu et contre son gré. La méthode
employée place donc l'accusé dans un environnement coercitif qui,
en brisant sa volonté, le prive d'un choix équitable entre
conserver le silence et contribuer à sa propre accusation.
114. Le droit de ne pas s'autoaccuser risque également
d'être violé lorsque des preuves à charge sont
tirées des conversations tenues au parloir entre l'accusé et ses
proches. La question avait déjà été soulevée
dans l'arrêt Allan, sur le double fondement des articles 6 et 8 ConvEDH.
La Cour a été amenée à préciser son
raisonnement dans l'affaire Wisse117, mais sur le seul fondement de
l'article 8 ; il est donc difficile de donner une réponse
tranchée sur la compatibilité entre une telle méthode et
le respect du droit de ne pas s'autoaccuser.
Confrontés au refus de l'accusé de collaborer
à la recherche de preuves, les enquêteurs décidèrent
d'intercepter les conversations du détenu lors de ses visites au
parloir. Dans l'arrêt Wisse, la Cour semble indiquer que la clé du
problème est le critère de la prévisibilité pour
l'accusé de l'utilisation qui sera faite du contenu de ses
conversations. Ainsi, lorsqu'un détenu ignore que ses entretiens sont
écoutés par les enquêteurs dans le but précis
d'obtenir les informations qu'il a refusé de leur divulguer, il ne peut
prendre la mesure du risque qu'il encourt en parlant. Autrement dit, on
pourrait considérer que dans cette hypothèse le requérant
ne s'est pas vu offrir un choix équitable entre se taire et s'entretenir
avec ses proches, quitte à divulguer des preuves de sa
culpabilité. Partant, il y aurait violation de l'article 6.
Ce raisonnement est critiqué dans les deux
espèces au motif que, si le requérant ignorait l'usage effectif
que les enquêteurs feraient des propos recueillis, il savait qu'il
était surveillé, puisqu'il avait été informé
du caractère systématique des écoutes. La Cour
elle-même retient dans l'arrêt Wisse que le requérant
placé dans une telle situation parle librement en ayant conscience du
risque d'être enregistré. Il y aurait renonciation volontaire au
droit de garder le silence, et acceptation libre du risque de collaborer
à sa propre accusation.
Au final, le caractère équitable de cette
méthode ne sera pas tranché sur le terrain de la coercition
abusive. La violation du droit de ne pas s'autoaccuser sera examinée au
stade du jugement, sur le critère de l'utilisation des
éléments de preuve recueillis.
117 CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/ France.
115. En réalité, c'est le manque de
clarté de la notion de la coercition abusive qui empêche de
conclure ici. On sait qu'une méthode de recherche de preuve qui
contraint la volonté de l'accusé dans le sens d'une collaboration
active à la recherche de preuves le prive d'un choix équitable.
C'est le cas de certains types de coercition physique, mais pas de tous. Au
contraire, la contrainte psychologique semble être
systématiquement exercée dans le but de forcer la volonté
de l'accusé. La simple création d'un environnement coercitif
serait alors en elle-même une méthode de recherche de preuve
contraire à l'article 6, ce qui réduirait considérablement
l'efficacité des enquêteurs. Il convient donc de déterminer
précisément en quoi la création d'un environnement
coercitif est assimilable à une coercition abusive.
B] UNE COLLABORATION ACTIVE ABUSIVEMENT OBTENUE PAR LA
CREATION D'UN ENVIRONNEMENT COERCITIF
116. C'est au moment oü l'accusé doit choisir la
conduite à adopter lors de la phase d'enquête que
s'apprécie le caractère abusif des pressions qu'il subit. Aussi,
peu importe que les informations qu'elle a permis de recueillir soient ou non
accablantes pour le suspect (1): dès lors que la contrainte
exercée a faussé ce choix au mépris de la volonté
de l'accusé, il y a violation du droit de ne pas s'autoaccuser (2).
1) La «nature incriminante» des propos recueillis
comme élément indifférent au caractère abusif de la
coercition psychologique
118
117. L'argument est avancé par le gouvernement dans
l'arrêt Saunders : Ç seules les déclarations incriminant
leur auteur peuvent relever du droit de ne pas s'auto -incriminer È.
L'affirmation semble à première vue raisonnable, et a le
mérite de concilier les intérêts de la justice et les
exigences du droit de ne pas s'autoaccuser. En effet, les Etats invoquent
depuis longtemps l'intérêt général ou la bonne
administration de la justice comme faits justificatifs de la contrainte
abusive. La Cour rejette en général ces arguments au motif qu'ils
videraient le droit de ne pas s'autoaccuser de son contenu. Prendre en compte
la «nature incriminante» des propos recueillis permettrait de
résoudre le conflit sans avantager l'un des camps au détriment de
l'autre.
118 Arrêt Saunders § 62, précité.
Le principe serait alors que les enquêteurs peuvent
contraindre l'accusé à participer à la recherche de
preuves par une coercition destinée à fléchir sa
volonté. Cette coercition ne serait abusive que dans la mesure oü
les déclarations recueillies seraient ensuite utilisées en la
défaveur de l'intéressé. L'examen de la Cour se
ramènerait donc au contrôle de la violation du droit de ne pas
s'autoaccuser par les juges nationaux, les enquêteurs ayant quant
à eux toute latitude pour rassembler les preuves qui leur seront
soumises.
La Cour rejette cet argument, estimant que le droit de ne pas
s'autoaccuser protège le requérant non seulement au cours du
procès, mais également à toutes les étapes de la
procédure oü ce droit serait susceptible de subir des atteintes le
rendant inefficace une fois l'accusé devant le juge. En outre, elle
souligne qu'il est impossible pour l'intéressé de
déterminer avec certitude l'usage que les enquêteurs feront de ses
déclarations lors de son procès. C'est précisément
le rôle de l'accusation et de l'avocat de la défense que de faire
dire aux faits une chose et son contraire; partant, aucun propos ne peut
être qualifié «d'incriminant par
nature»119.
Il est donc impossible de préjuger de l'existence d'une
autoaccusation; c'est seulement l'utilisation a posteriori des
éléments recueillis qui permettra aux juges de décider
s'il y a eu atteinte au droit de l'accusé de ne pas s'autoaccuser.
Cependant, le critère de l'utilisation n'est pas non
plus pertinent pour déterminer si la coercition exercée a
été abusive au sens de l'article 6. Il ne s'agit en
réalité que d'une précision quant au moment de
l'appréciation de ce caractère abusif, précision selon
laquelle il reviendrait aux juges nationaux de sanctionner les abus dans la
recherche des preuves. L'utilisation ne peut être
considérée comme un critère de la coercition abusive, sous
peine de retomber sur l'argument du gouvernement. En effet, dans sa
décision, la CourEDH se fonde sur l'incertitude de l'accusé
concernant l'usage au procès des informations recueillies pour rejeter
l'argument du gouvernement, reconnaissant ainsi explicitement que la nature de
ces informations se déduit de leur utilisation. Autrement dit,
l'utilisation comme l'autoaccusation ne sont pas des critères
opérationnels de la coercition abusive ; tout au plus permettent-il
d'assurer le respect du droit de ne pas s'autoaccuser au stade du procès
pénal.
119 Cf. Saunders, § 72: Ç Un témoignage
obtenu sous la contrainte, qui semble de prime abord dépourvu de
caractère incriminatoire - telles des remarques disculpant leur auteur
ou de simples informations sur des questions de fait - peut par la suite
être utilisé dans une procédure pénale à
l'appui de la thèse de l'accusation, par exemple pour contredire ou
jeter le doute sur d'autres déclarations de l'accusé ou ses
dépositions au cours du procès, ou encore saper sa
crédibilité È.
118. Pour identifier ce qu'est la coercition abusive, il faut
donc dégager un principe général des différents cas
d'espèce jugés par la CourEDH. Si la violation du droit de ne pas
s'autoaccuser ne peut être constatée que par un tribunal,
l'arrêt McGuiness indique qu'il faut se situer au moment de l'expression
du choix de l'accusé pour contrôler le caractère abusif de
la coercition.
2) La volonté de l'accusé et le choix
équitable comme critères déterminants du caractère
abusif de la coercition psychologique
119. Au vu des arrêts recensés, on peut
définir la contrainte comme toute méthode employée par les
enquêteurs pour obtenir les informations qu'ils recherchent lorsque
l'accusé refuse de les divulguer. Cette notion recouvre aussi bien
l'usage de la contrainte physique que celle de la contrainte psychologique,
laquelle prend la forme soit de la menace immédiate d'une sanction
pénale, soit de la création d'un environnement coercitif.
La contrainte est abusive lorsqu'elle s'exerce non pas
malgré la volonté de l'accusé (c'est la définition
même de la coercition), mais au mépris de cette volonté,
avec pour but de la fléchir dans le sens de la collaboration avec les
enquêteurs. L'intéressé est alors placé dans une
situation inéquitable oü le choix entre se taire ou
révéler des informations susceptibles d'être
utilisées comme preuve à charge n'est plus libre. Au contraire,
lorsque la volonté de l'accusé reste intègre et que sa
collaboration active n'est pas requise, il est possible de passer outre son
refus et d'employer la force pour obtenir les informations
recherchées.
120. Si le requérant résiste aux pressions et
conserve le silence, il s'expose dans certains cas à une condamnation
pénale, prononcée par un juge qui n'est pas nécessairement
celui qui statuera ensuite sur le fond de l'accusation. Dans une telle
hypothèse, il se peut même qu'il n'y ait jamais les infractions
initialement reprochées 120
de procès pénal fondé sur .
Ce scénario permet d'identifier avec certitude le
moment d'appréciation du caractère abusif de la contrainte. En
effet, ce n'est pas alors le prononcé de la sanction qui importe, mais
le simple fait qu'elle soit encourue. Par conséquent, c'est au moment
oü le requérant doit déterminer la conduite qu'il va adopter
vis-à-vis des enquêteurs, au moment oü il choisit entre le
silence et la collaboration, que doit être apprécié le
caractère abusif de la contrainte. La
120 Cf. l'arrêt McGuiness, précité.
solution posée par la Cour dans chacune des deux
hypothèses s'éclaire maintenant d'un jour nouveau.
Lorsque l'accusé a été condamné
pour avoir conservé le silence, il n'a rien révélé
et n'a donc pas stricto sensu collaboré à sa propre
accusation, mais il n'en a pas moins été soumis à une
coercition abusive; simplement, celle-ci n'a pas produit l'effet
escompté, il y a eu tentative de collaboration
provoquée121. Par conséquent,
l'intéressé est fondé à saisir la CourEDH d'une
requête en réparation de cette condamnation sur le fondement de
l'article 6, quand bien même il n'aurait pas fait l'objet de poursuites
pénales postérieures.
Lorsque l'accusé révèle les informations
demandées dans le seul but d'échapper aux pressions qu'il subit,
ces informations sont viciées par le caractère inéquitable
du choix laissé à l'intéressé,
indépendamment du caractère accusateur de leur contenu. Si
l'accusation estime qu'elles sont suffisamment probantes pour fonder des
poursuites pénales, leur utilisation comme preuves à charge au
cours du procès pénal sera sanctionnée par une
décision d'irrecevabilité prononcée par le juge national.
Si celui-ci ne rend pas justice à l'accusé dont la volonté
a été bafouée, c'est la CourEDH qui assurera en dernier
recours le respect de son droit de ne pas s'autoaccuser.
CONCLUSION DE LA SECTION PREMIÈRE
121. Les comportements susceptibles de porter atteinte au
droit de ne pas s'accuser lors de la phase préalable sont multiples.
Qu'ils usent de la force physique ou qu'ils exercent des pressions
psychologiques sur le suspect, les enquêteurs violent l'article 6
dès lors qu'ils le privent d'un choix équitable entre se taire
d'une part, et parler au risque de révéler des preuves à
charge d'autre part. La recherche de preuves doit, dans le système mis
en place par la CourEDH, respecter la volonté de l'accusé de ne
pas y collaborer. Pour autant, il n'est pas possible que l'établissement
de la culpabilité du suspect soit tributaire de sa volonté, sous
peine de réduire à néant les possibilités de
répression des infractions. En conséquence, la Cour autorise les
enquêteurs à user de la contrainte pour se procurer, contre la
volonté de l'accusé mais par leurs propres moyens, les
éléments dont ils ont besoin pour prouver la culpabilité
de l'intéressé.
121 Cf. l'arrêt Funke : le verbe Ç tenter È
est employé expressément par la Cour.
122. La coercition abusive a pour finalité de
réunir les preuves à charge qui emporteront la conviction du
juge. Le mécanisme de protection élaboré par la CourEDH
est complexe, car l'atteinte portée au droit de ne pas s'autoaccuser
peut dispara»tre au stade du procès: la violation de l'article 6
sera constatée si la décision prononcée confirme cette
atteinte; la procédure de jugement peut au contraire avoir permis de la
réparer. En outre, le comportement du juge national lui-même peut
s'avérer contraire aux exigences du procès équitable,
même s'il s'agit là d'une violation du droit de se taire et non du
droit de ne pas s'autoaccuser.
SECTION DEUXIéME: LES VIOLATIONS AU STADE DU
JUGEMENT : LE CRITéRE DE
L'IMPACT
123. Le rôle des enquêteurs est de
découvrir des éléments permettant de prouver qu'une
infraction a été commise, et d'en identifier l'auteur. Cette
preuve est facile à apporter lorsque la personne qui fait l'objet de
l'accusation reconna»t spontanément sa culpabilité: bien que
l'admissibilité de la preuve en matière pénale soit
régie par le principe de l'intime conviction, l'aveu occupe une place
prépondérante sur la balance des preuves. Les difficultés
surgissent lorsque l'accusé est seul à détenir les
informations qui permettraient d'établir sa culpabilité, et qu'il
conserve le silence lors des interrogatoires. Face à ce refus de
collaborer, les enquêteurs peuvent être tentés de
contraindre l'intéressé, au mépris de sa volonté,
à leur révéler ces informations. Le mécanisme de
protection mis en place par la CourEDH se déclenche alors, et la
coercition, abusive, entache la procédure d'iniquité.
La première phase du contrôle de la Cour consiste
donc à déterminer si l'accusé a été soumis
en l'espèce à une coercition abusive au sens de l'article 6. En
cas de réponse positive et si les poursuites pénales se sont
poursuivies jusqu'au stade du procès, la seconde phase du contrôle
est alors mise en oeuvre. La juridiction pénale devra en effet statuer
sur la culpabilité de l'accusé, au vu des éléments
à charge produits par l'accusation et des éléments
à décharge invoqués par la défense. Ces
éléments auront un certain impact sur l'esprit des juges, et, le
cas échéant, serviront de fondement à une décis ion
de condamnation. La CourEDH réglemente cet impact, et, selon que la
coercition abusive a abouti à une violation du droit de se taire ou
à une violation du droit de ne pas s'autoaccuser, elle accorde une
liberté de décision plus ou moins importante au juge national.
Lorsque la contrainte exercée a porté ses fruits
et que l'accusé a finalement révélé les
informations demandées, le juge doit refuser de considérer l'aveu
contraint comme une preuve à charge, et ne peut en aucun cas prononcer
de condamnation sur son fondement (I). Lorsque la contrainte
exercée est restée vaine, et que l'accusé a
persisté dans son mutisme, le juge doit se montrer
Çparticulièrement prudent È (sic) s'il décide de
considérer ce silence comme une preuve à charge, et ne peut pas,
en principe, prononcer de condamnation sur son seul fondement
(II).
I. L'INTERDICTION ABSOLUE DE CONDAMNER L'ACCUSÉ SUR
LE
FONDEMENT D'AVEUX CONTRAINTS
124. La coercition est abusive chaque fois qu'elle place
l'intéressé dans une situation de faiblesse qui ne lui permet pas
de choisir librement entre se taire ou parler. Vulnérable devant un tel
dilemme, l'accusé retrouve une volonté libre et
éclairée lorsqu'il reçoit l'assistance d'un avocat (A). Si
les droits de la défense n'ont pu être exercés au stade de
l'enquête, il appartient au juge national d'assurer leur respect lors du
procès. Selon la CourEDH, l'atteinte au droit de ne pas s'autoaccuser
n'est réparée que par le refus d'admettre l'aveu contraint comme
élément à charge (B).
A] L'ACCUSÉ ASSISTÉ OU L'EXERCICE DES DROITS
DE LA DÉFENSE COMME CONTREPOIDS Ë LA COERCITION ABUSIVE
125. L'accusé plongé dans un environnement
coercitif est soumis à des pressions destinées à vaincre
sa volonté de ne pas collaborer à la recherche de preuve.
Menacé d'une condamnation pénale, harcelé par les
enquêteurs, il est en position de faiblesse par rapport à ceux qui
l'accusent. L'inégalité des armes place ainsi l'accusé
dans un état de vulnérabilité qui abolit sa volonté
et l'amène à s'autoaccuser. L'abus consiste donc, pour les
enquêteurs, à créer et exploiter cette situation en
utilisant leurs pouvoirs de contrainte dans le but d'extorquer des aveux
à l'intéressé.
Cette méthode de recherche de preuves est
inéquitable et emporte violation de l'article 6 ConvEDH. Cependant,
la Cour, qui statue en général sur le fondement de l'article
6§1, retient
122
également des violations combinées des articles
6§1 et 6§3 de la Convention , ce qui indique que le droit
d'accès à un avocat et le droit de ne pas s'autoaccuser se
situent sur un plan commun.
123
126. L'arrêt Mageerévèle le lien qui unit
les droits de la défense et le droit au silence: la Cour estime que,
Çpour l'équité de la procédure, le requérant
aurait dü avoir accès à un solicitor dès les
premiers stades de l'interrogatoire, ce pour contrebalancer
l'atmosphère
122 Sur la pertinence de ce texte et sur les combinaisons entre
les paragraphes de l'article 6, cf. supra, n33 et suivants.
123 CEDH 6 juin 2000, Magee c/ Royaume-Uni, § 43.
intimidante destinée à vaincre sa volonté et
à le faire passer aux aveux devant les personnes qui l'interrogeaient
È.
L'avocat, par l'assistance qu'il apporte à
l'accusé, permet à ce dernier de résoudre librement le
dilemme auquel les enquêteurs l'avaient confronté. L'avocat lui
apporte son soutien au cours des interrogatoires et lui permet choisir
librement le comportement à adopter. L'accusé qui a
bénéficié de l'assistance juridique n'est, dès cet
instant, plus vulnérable. L'exercice des droits de la défense
rétablit l'égalité des armes et sauve
l'équité de la procédure.
La coercition influencant le choix du requérant,
l'accès à l'avocat ne peut être efficace que s'il
intervient dès le début des interrogatoires, dès la
première question posée à l'accusé dans le cadre
d'un environnement coercitif. Alors seulement le choix de parler ou de se
taire, éclairé par les conseils de l'homme de loi, sera fait en
toute liberté.
127. Le droit d'accès à un avocat joue donc comme
un contrepoids au caractère abusif de la contrainte, puisqu'il permet de
faire dispara»tre le dilemme inéquitable auquel l'accusé se
trouvait confronté en raison de cette contrainte. Autrement dit,
l'environnement coercitif créé par les enquêteurs n'est
abusif que s'il amène le suspect à s'accuser sans qu'il ait pu
bénéficier d'une assistance juridique. Dès lors que les
droits de la défense sont efficacement exercés à ce stade,
l'abus dispara»t, y compris, du moins en théorie, lorsque les
méthodes employées peuvent être qualifiées de
traitements et dégradants 124
torture ou de inhumains .
En conséquence, si le requérant décide
de parler après avoir consulté son avocat, il renonce à
son droit de ne plus s'autoaccuser : l'aveu est libre, et pourra justifier sa
condamnation à l'issue du procès ultérieur. En revanche,
si le requérant décide de parler sans avoir été mis
en mesure d'exercer ses droits de la défense, l'aveu est contraint et ne
peut être utilisé comme élément à charge.
128. La Cour affirme en effet que seule importe, dans une telle
hypothèse, Çl'utilisation qui sera faite, au cours du
procès pénal, des dépositions recueillies sous la
contrainte È125. En
124 Dans les arrêts oü la coercition est
constitutive d'une violation de l'article 3, la Cour retient une violation
combinée des articles 6§1 et 6§3, pour le même motif
qu'une coercition abusive «classique», à savoir que Ç
l'environnement coercitif a amené le requérant à s'accuser
sans qu'il ait pu bénéficier d'une assistance juridique È.
A contrario, l'avocat sert donc également de contrepoids
à des interrogatoires menés sous la torture, mais c'est là
une hypothèse d'école: il est difficilement concevable que des
enquêteurs torturent l'accusé mais respectent ses droits de la
défense.
125 Cf. CEDH 17 décembre 1996, Saunders c/ Royaume-Uni,
§ 71.
réalité, ce n'est pas tellement l'utilisation en
soi de l'aveu contraint qui est visée126, mais plutôt
l'impact recherché et obtenu par cette utilisation. L'accusation peut
fonder ses prétentions sur des éléments abusivement
recueillis sous la contrainte, mais le juge a l'interdiction d'admettre ces
éléments comme des preuves à charge.
B] LE JUGE LIÉ OU L'EFFECTIVITÉ DES DROITS DE
LA DÉFENSE COMME REMéDE Ë LA COERCITION ABUSIVE
129. L'interdiction d'utiliser des déclarations
recueillies sous la contrainte signifie que ces déclarations ne doivent
pas avoir eu d'impact sur la décision de condamnation (1). L'influence
redoutée n'est exclue avec certitude que si le juge national a suivi les
règles de preuve fixées par la CourEDH (2).
1) Du critère de l'utilisation au critère de
l'impact
130. On a vu qu'en cas d'accès à l'avocat lors de
la phase d'enquête, l'iniquité de la procédure
dispara»t et l'aveu, libre, peut à nouveau servir de preuve
à charge. Il ne s'agit là que d'un retour aux règles
classiques d'admissibilité des preuves en matière pénale:
le juge décidera, en son intime conviction, si cet aveu suffit à
fonder la condamnation de l'accusé. En revanche, lorsque les droits de
la défense ont été bafoués au cours de
l'enquête, la procédure est entachée d'iniquité
dès cet instant. Si les poursuites s'arrêtent à ce
stade, l'accusé, qui, par hypothèse, n'a pas
fait l'objet d'une condamnation pénale, peut tout de même faire
reconna»tre l'atteinte à ses droits. La CourEDH admet en effet que,
même en cas de relaxe, le requérant puisse demander la
réparation des violations commises sur le fondement du droit à ne
pas s'autaoccuser et de l'article 6§3127.
131. La situation se complique lorsque, ayant
cédé à la coercition abusivement exercée à
son encontre lors des interrogatoires, l'accusé est
déféré devant le juge national sur le fondement des aveux
obtenus par la contrainte.
126 Cf. supra, n117 et suivants.
127 Arrêt McGuiness, précité.
Le critère de l'utilisation, pris au pied de la lettre,
entra»ne immédiatement deux difficultés. A
contrario, il implique l'existence d'un procès pénal:
l'utilisation suppose que l'accusation invoque l'aveu contraint au soutien de
demande de condamnation; en l'absence d'une telle demande, pas d'utilisation,
et donc pas de violation de l'article 6. Or on sait que la Cour rejette une
telle solution et reconna»t la violation Çmême en l'absence
de toute procédure pénale ultérieure
>>128. Le critère de l'utilisation est donc
incompatible avec cette décision. La seconde difficulté surgit
alors: puisque la procédure est entachée d'iniquité
dès l'instant oü les aveux ont été recueillis sous la
contrainte, la CourEDH pourrait accorder réparation au requérant
quelle que soit la décision finale du juge. Ce n'est pourtant pas la
solution adoptée par la Cour, qui rejette les requêtes en
violation de l'article 6 chaque fois qu'elle estime que la violation
considérée n'a pas eu d'impact sur la décision du juge de
condamner le requérant. Il est donc préférable,
plutôt que de comprendre à la lettre le critère de
l'utilisation, d'en considérer l'esprit : ce que la Cour veut
éviter, c'est qu'un accusé puisse être condamné sur
le fondement des déclarations fournies abusivement sous la contrainte.
Il faut donc éviter que l'accusation puisse les utiliser efficacement au
soutien de ses prétentions: l'aveu contraint ne doit avoir aucun impact
sur la décision finale du juge. Dès lors, la sanction de la
violation du droit de ne pas s'autoaccuser revient en premier lieu au juge
national, et ce n'est que s'il échoue dans cette mission que la CourEDH
censurera la procédure au nom de l'équité.
132. Cependant, le mécanisme n'est pas aisé
à mettre en Ïuvre, et si le juge national a la faculté de
réparer les atteintes subies par le droit de ne pas s'autoaccuser au
cours de l'enquête, la Cour se réserve le droit de
déterminer les modalités de cette réparation.
2) De l'intime conviction au principe de
conventionalité de la preuve
133. La CourEDH affirme que, si le requérant se voit
refuser l'accès à un avocat dès les premiers instants de
l'interrogatoire, Ç les droits de la défense peuvent fort bien
subir une atteinte irréparable >>129, tant il est vrai
que l'utilisation des pièces obtenues abusivement par la contrainte
porte atteinte à la capacité de l'accusé de se
défendre contres les accusations pénales portées contre
lui.
128 Arrêt McGuiness, précité.
129 Cf., parmi d'autres, l'arrêt Averill,
précité.
De fait, l'aveu est doté d'une force probante
particulière dans l'esprit du juge, qui risque d'être
psychologiquement lié par une telle preuve. Par conséquent,
même si l'accusé est mis en mesure de discuter la pertinence d'un
tel élément, il est probable que ses critiques restent lettre
morte: le contradictoire n'est qu'un faible contrepoids en présence d'un
aveu libre. En outre, l'aveu jette le discrédit sur les autres moyens de
défense que l'accusé pourrait invoquer, ce qui représente
un danger pour la présomption d'innocence: il sera
particulièrement difficile pour le juge de considérer innocente
une personne qui s'est elle-même déclarée coupable.
De plus, l'aveu dispense presque l'accusation de son rTMle
dans le procès : l'administration de la preuve s'en trouve
bouleversée puisque le suspect s'accuse au lieu de se défendre.
Certes, s'il est établi que l'aveu a été extorqué,
le juge se montrera réticent à admettre un élément
qui aura été recueilli en violation de ses propres règles
nationales d'administration de la preuve. Cependant, la définition que
la CourEDH donne de la coercition abusive n'est pas partagée par tous
les Etats-membres, et il se peut que le juge soit lié par un droit qui
autorise expressément un procédé que la Cour
considère contraire à l'article 6130.
134. Il n'est donc pas excessif d'affirmer que la simple
utilisation de l'aveu contraint comme élément à charge
ferait subir des atteintes irrépar ables aux droits du requérant.
Mais cette conclusion n'est que théorique; il reste possible que, in
concreto, l'aveu ait été dépourvu de tels effets et
que les droits considérés aient été
préservés.
La Cour interdit au juge de fonder sa décision sur des
aveux contraints Çs'ils n'ont pas été débattus lors
du procès >>131, et affirme qu'il est nécessaire
Ç de rechercher si le requérant s'est vu offrir la
possibilité de remettre en cause leur authenticité et de
s'opposer à leur utilisation >>132. Cette solution est
surprenante puisque, dans le même moment, la Cour explique que le simple
exercice du contradictoire n'offre qu'une mince garantie aux droits de
l'accusé: si l'exercice des droits de la défense au stade de
l'enquête permet de prévenir l'atteinte au droit de ne pas
s'autoaccuser, cette atteinte une fois réalisée remet
précisément en cause l'effectivité des droits de la
défense au stade du procès.
130 Cf., pour l'administration d'un émétique, CEDH
11 juillet 2006, Jalloh c/ Allemagne.
131 CEDH 2 aoüt 2005, Kolu c/ Turquie.
132 Arrêt Jalloh, précité.
En réalité, l'affirmation signifie que
l'efficacité du contradictoire dépend de son impact sur la
décision du juge : il faut impérativement que les critiques
formulées aient abouti à priver les déclarations obtenues
abusivement sous la contrainte de toute force probante.
La CourEDH considère donc que, si le juge national
rejette les éléments à charge obtenus
133
abusi vement par les enquêteurs, l'atteinte aux droits
du requérant a été réparée . Toutefois, elle
n'admet cette réparation que si l'aveu contraint n'a joué aucun
rTMle dans la condamnation du requérant. Le juge n'est pas
autorisé à fonder sa décision, même en partie, sur
des éléments de preuve tirés des déclarations que
le requérant a faites sous la contrainte. Autrement dit, ces
éléments ne peuvent pas être inclus dans un faisceau
d'indices qui servirait de fondement à la condamnation de
l'intéressé134.
135. Il en résulte que le juge est doublement
lié quant à l'admissibilité de l'aveu contraint. D'abord,
il doit apprécier le caractère abusif de la contrainte
exercée au stade de l'enquête selon les critères
définis par la Cour, indépendamment des règles nationales
d'administration de la preuve. Ensuite, il ne peut pas considérer que
cet aveu est corroboré par d'autres éléments à
charge et l'admettre comme fondement partiel de sa décision.
En conséquence, et bien que la CourEDH affirme ne pas
s'immiscer dans les règles nationales d'admissibilité de la
preuve135, tout se passe comme si elle remplacait le principe de
l'intime conviction par un principe de «conventionalité de la
preuve».
Si le choix final du requérant est sans influence sur
l'appréciation du caractère abusif de la coercition
exercée sur lui par les enquêteurs, les conséquences
procédurales de ce choix varient légèrement selon qu'il a
finalement collaboré à la recherche des preuves contre lui-
même, ou qu'il a conservé le silence << d'un bout à
l'autre de la procédure >>136.
133 Arrêt Kolu, § 57, précité.
134 Cf. CEDH 20 juin 2006, ORS c/ Turquie.
135 Cf. notamment l'arrêt Allan précité:
<< La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 19 de la Convention, elle
a pour tâche d'assurer le respect des engagements résultant de la
Convention pour les Etats contractants. Spécialement, il ne lui
appartient pas de conna»tre des erreurs de fait ou de droit
prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la
mesure oü elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et
libertés sauvegardés par la Convention. Si celle-ci garantit en
son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne
réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant
que telles, matière qui dès lors relève au premier chef du
droit interne >>.
136 Cf., entre autres, CEDH 08 février 1996, John
Murray c/Royaume-Uni. La seule hypothèse concernée ici est en
réalité celle oü l'accusé conserve aussi le silence
lors du procès. Dans le cas contraire, soit l'accusé s'exprime
librement et il se contente alors d'exercer ses droits de la défense,
soit il répond aux questions du juge et il para»t alors
légitime de transposer les règles applicables en matière
d'aveu contraint.
II. L'INTERDICTION RELATIVE DE CONDAMNER L'ACCUSÉ
SUR LE SEUL
FONDEMENT DE SON SILENCE
136. Si la CourEDH préserve en toute hypothèse
le droit de se taire contre les atteintes qu'il pourrait subir de la part des
enquêteurs (A), elle prend en compte les nécessités de la
répression lors de la phase de jugement, et l'accusé qui persiste
à se taire devant le juge le fera, le plus souvent, à ses risques
et périls (B).
A] LE SILENCE PRÉSERVÉ OU LE LIBRE EXERCICE
DU DROIT DE SE TAIRE AU STADE DE L'ENQUæTE
137. Par hypothèse, l'accusé n'a pas
cédé aux pressions exercées dans le but de le faire
parler, ce qui entra»ne des conséquences procédurales
particulières (1). Chose étonnante, le choix de se taire peut
être librement exercé même en l'absence d'un avocat (2).
1) Le droit de se taire exercé librement dans un
contexte procédural particulier
138. Le contexte procédural ne sera pas le même
selon que la coercition était abusive (a) ou seulement
indirecte (b).
a-L'exercice du droit de se taire indifférent au
prononcé de la sanction constitutive d'une coercition
abusive
139. La coercition abusive est constituée notamment
lorsque les enquêteurs menacent l'accusé d'une sanction
pénale s'il refuse de rompre le silence. Cette condamnation peut
même être effectivement prononcée, au terme de poursuites
pénales indépendantes de celles ayant motivé
l'enquête. Toutefois, la sanction prononcée par le juge
pénal à l'encontre de l'accusé qui a refusé de
collaborer à la recherche de preuves n'est pas en cause ici.
En effet, le caractère abusif de la coercition
s'apprécie au moment oü le requérant doit choisir
137
entre se taire ou collaborer, indépendamment de
l'option effectivement choisie . Dès lors que la menace d'une sanction
plane à cet instant sur l'intéressé, l'abus est
constitué. Partant, la sanction prononcée lorsque le choix final
est de conserver le silence n'ajoute rien au caractère abusif de la
coercition: il s'agit simplement d'une conséquence procédurale du
refus de collaborer. L'existence même d'un mécanisme de sanction
est inique, indépendamment de sa mise en Ïuvre.
140. Une difficulté surgit lorsque les
enquêteurs informent l'accusé qu'il a le droit de garder le
silence, mais que le juge pourra tirer des conclusions défavorables d'un
tel comportement: cet avertissement n'est-il pas également une menace de
condamnation destinée à obtenir la collaboration du
requérant?
b-Le caractère indirect de la coercition en cas
de mise en garde préalable à l'exercice du droit de se
taire
141. Dans certains Etats-membres, les enquêteurs doivent
informer l'accusé qu'il a le droit de garder le silence, mais que le
juge pourra en tirer des conclusions défavorables lors du procès.
Cette information pourrait être percue comme une menace visant à
inciter l'intéressé à collaborer avec les
enquêteurs, mais la CourEDH n'est pas de cet avis. Ainsi, elle affirme
dans l'affaire Murray: Ç Certes, combiné avec le poids des
éléments à charge, un système oü l'on avertit
le prévenu - éventuellement en l'absence d'un avocat - que l'on
pourra tirer des conclusions en sa défaveur de son refus d'expliquer
à la police sa présence sur le lieu d'une infraction ou de
déposer à son procès, comporte un certain degré de
coercition indirecte. Cependant, le requérant ne pouvant être
contraint à parler ou à déposer, comme cela a
été indiqué, ce fait ne saurait à lui seul
être déterminant; la Cour doit plutôt s'attacher au
rôle que les déductions ont joué dans la procédure
pénale et en particulier la condamnation È. Il ne s'agirait donc
là que d'une coercition indirecte dépourvue de tout
caractère abusif. En effet, contrairement à l'hypothèse
précédente, l'accusé a le droit de se taire sans que ce
choix soit formellement sanctionné. Certes, le choix final sera
influencé par l'avis que le juge
pourra, lors du proces pénal ultérieur, tirer
des conclusions défavorables du silence sur le fond. Toutefois, il
s'agit là d'une simple information à prendre en
considération au moment d'évaluer s'il est plus risqué de
parler ou de se taire, afin de choisir la meilleure ligne de défense
à adopter.
142. Ce dernier point est particulierement intéressant
: la Cour semble suggérer ici que le silence participe des droits de la
défense. Cependant, on constate avec surprise que ces droits peuvent
être exercés « éventuellement en l'absence d'un avocat
». La présence de l'avocat, qui était obligatoire lorsque
l'accusé décidait de collaborer à l'enquête, semble
ne plus l'être lorsqu'il décide de se taire.
2) Le droit de se taire exercé librement en l'absence
d'un avocat
143. La solution est d'autant plus surprenante que la Cour
s'était attachée à démontrer l'importance de la
présence de l'avocat des les premiers stades de la
procédure138. Placé dans une situation de faiblesse,
l'accusé, comme toute personne se trouvant dans une telle situation,
doit pouvoir être assisté dans l'expression de sa volonté.
Le priver de ce droit est contraire à l'équité, quel que
soit le comportement finalement adopté par l'intéressé.
La Cour affirme pourtant le contraire dans l'arrêt
Murray : « (É) rien n'indique que l'intéressé n'ait
pas compris la signification de l'avertissement de la police avant de voir son
solicitor. Dans ces conditions, le fait que pendant les quarante-huit
premières heures de sa détention le requérant n'a pu avoir
acces à un homme de loi ne retire rien au constat qui précede,
à savoir qu'il n'était pas inique ou déraisonnable de
tirer des conclusions [de son silence] ».
Il semble donc que l'atteinte aux droits de la défense
constitué par l'absence de l'avocat des les premiers instants de la
procédure, contrairement ce qui a été décidé
en cas d'aveu contraint, soit dépourvue d'incidence quant au respect du
droit de se taire. La question justifierait néanmoins un examen
particulier sur le fondement combiné des articles 6§1 et 6§3,
si l'on en croit la Cour dans l'arrêt Murray précité :
« La question du déni d'acces à un
- 73 - solicitor n'en a pas moins sur les droits de
la défense des incidences qui appellent un examen séparé
>>139.
144. Ainsi, l'absence de l'avocat au moment oü
l'accusé exerce son droit de se taire est seulement Ç l'un des
éléments à prendre en considération pour
apprécier le caractère équitable >>140
de la décision du juge du fond de tirer une conclusion
défavorable de ce silence. En effet,
le mécanisme de contrôle mis en Ïuvre par la
Cour est complexe et le
juge national ne peut tirer des conclusions
défavorables du silence de l'accusé que si plusieurs
éléments cumulatifs sont réunis. En réalité,
la CourEDH se contente ici d'enfoncer une porte ouverte: l'exercice du droit de
se taire, tel qu'elle le concoit, ne bouleverse pas le système des
preuves en matière pénale.
B] LE SILENCE MENACÉ OU L'EXERCICE RISQUÉ DU
DROIT DE SE TAIRE AU STADE DU PROCéS
145. Si le principe est que le juge ne peut pas tirer des
conclusions du silence de l'accusé lors du procès (1), la
règle porte en elle-méme ses propres limites, formulées de
facon autonome par la CourEDH (2). Des difficultés particulières
ayant été soulevées en cas de déduction
tirée par un jury, la Cour a dü préciser les conditions
propres à cette procédure (3).
1) L'interdiction de principe faite au juge de tirer des
conclusions défavorables du silence de l'accusé
146. Le droit de se taire complète le droit de ne pas
s'autoaccuser au sein du mécanisme mis en place par la Cour afin de
garantir l'équité de la procéd ure (a).
Pour autant, le système n'a rien de très original, comme
l'indique l'examen des motifs de cette interdiction (b).
139 On constate encore une fois ici la difficulté
d'établir avec certitude le fondement textuel du droit au silence, ainsi
que le rôle joué par les droits de la défense au sein du
contrôle exercé par la Cour.
140 CEDH 6 juin 2000, Averill c/ Royaum-Uni, § 48.
a-Le droit de se taire comme garantie de
l'équité de la procédure
147. Le droit de ne pas s'accuser soi-même suppose que
l'individu qui fait l'objet des poursuites puisse garder le silence librement,
sans encourir de sanction pénale. Toutefois, ce droit reste
théorique si le refus de parler est considéré comme un
aveu de culpabilité. En effet, l'accusé se trouve alors dans une
position t out aussi inéquitable puisqu'il sera de toute façon
jugé coupable : qu'il produise des preuves contre lui-même ou
qu'il se taise, le juge retiendra dans les deux cas un élément
à charge. En conséquence, le droit de se taire, contre-face du
droit de ne pas s'autoaccuser, interdit « de fonder une condamnation
exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son
refus de répondre à des questions ou de déposer ». En
d'autres termes, le silence doit n'être que le fondement accessoire de la
décision du juge, parmi un faisceau de preuves ayant emporté sa
conviction.
148. Le principe est donc que le juge national ne peut pas
tirer de conclusions défavorables du seul silence gardé par
l'accusé lors de la phase d'enquête141. L'exercice du
droit de se taire ne saurait justifier la condamnation pénale de
l'accusé. La solution est logique, qui complete le dispositif mis en
place par la CourEDH en matiere d'aveu contraint. Elle est loin d'être
originale, comme l'indique l'exposé de ses motifs.
b-La justification classique de l'interdiction faite au
juge de tirer des conclusions du silence de l'accusé
149. Le droit de se taire, dans l'esprit de la Cour, doit
garantir la présomption d'innocence142 en prévenant
les risques que la charge de la preuve soit inversée. En e ffet, en
matiere pénale, le principe est que l'accusé est
présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit
établie. La regle selon laquelle « c'est à l'accusation de
prouver la culpabilité du prévenu sans obliger aucunement ce
dernier à prêter son concours »143 en est la
traduction sur le plan procédural.
Il s'agit là d'une regle classique d'administration de
la preuve en matiere pénale. Actori
141 CEDH 8 février 1996, John Murray c/
Royaume-Uni, §47.
142 On notera à cette occasion
l'intégration des exigences de l'article 6§2 dans l'article
6§1, cf. supra n°39.
143
Arrêt Murray, précité.
incumbit probatio, cÕest à la partie
poursuivante (lÕaccusation) dÕétablir la
culpabilité de lÕaccuse car se défendre,
précisément, ce nÕest pas sÕaccuser ; il y aurait
renversement de la charge de la preuve, non seulement à contraindre
lÕintéressé à produire des preuves contre lui-
même mais également dans le fait de considérer son silence
comme une preuve à charge.
Partant, lorsque le juge tire des conclusions
défavorables du silence de lÕaccuse lors de la phase
dÕenquête, il transforme la présomption dÕinnocence
en présomption de culpabilité et viole ainsi les exigences du
proces equitable. On peut egalement considérer quÕen tirant une
telle deduction du silence de lÕaccuse, le juge viole lÕexigence
dÕimpartialité posée par lÕarticle 6§1 ConvEDH
: il y aurait préjugé à considérer que
lÕaccuse qui se tait dissimule sa culpabilité.
150. Les regles classiques dÕadministration de la preuve
et la jurisprudence de la CourEDH interdisent de tirer des conclusions
défavorables du seul silence de lÕaccuse. A contrario,
lorsque ce silence nÕest pas le seul element soumis au juge, il devrait
etre possible de lÕinterpreter comme un aveu tacite de
culpabilité. La Cour confirme cette idée dans
lÕarrêt Murray, lorsquÕelle énonce quÕil
Ç est tout aussi evident que ces interdictions ne peuvent et ne
sauraient empêcher de prendre en compte le silence de
l'intéressé, dans des situations qui appellent assurément
une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des
elements à charge È. En clair, le juge peut fonder une decision
de condamnation sur le silence de lÕaccuse des lors que ce silence
nÕest pas le seul element à charge motivant sa decision. On
retrouve ici une autre regle classique dÕadministration de la preuve,
qui en renverse la charge des lors que lÕaccusation a fourni un
commencement de preuve de la culpabilité de lÕaccuse. Reus in
excipiendo fit actor, cÕest alors à lÕaccuse de
prouver son innocence, ou tout du moins de refuter la force probante de
lÕélément de preuve fourni par lÕaccusation. Dans
le cadre du droit de se taire, ce principe se traduit par une série
dÕexigences.
2) Le renversement du principe en presence des conditions
fixees par la jurisprudence europeenne
151. La Cour fixe trois conditions cumulatives, à la
denomination originale mais au contenu classique, dont la reunion permet au
juge national de prononcer une decision de condamnation malgré le
silence de lÕintéressé lors du proces. En
réalité, il sÕagit davantage de
trois étapes dans le raisonnement de la Cour: si
l'accusé persiste dans son silence lors des deux premières
étapes, il devient possible de prononcer une condamnation sur ce
fondement lors de la troisième.
a-Le silence confronté aux Ç
éléments appelant une explicationÈ
152. On ne reviendra pas ici sur l'exigence de notification
du droit de se taire, qui concerne essentiellement la phase d'enquête. Si
le droit de se taire était absolu au cours de cette phase,
l'accusé va devoir rompre le silence au cours du procès,
dès lors que les éléments produits par l'accusation
Ç appellent une explication >> ou que les questions
soulevées par ces éléments Ç appellent une
réponse >>.
Cependant, tous les éléments n'ont pas une
force probante égale et n'appellent pas nécessairement une
explication144. Le juge n'est donc pas libre d'apprécier la
force probante des preuves qui lui sont soumises : il existe, ici aussi, un
principe de conventionalité qui régit l'admissibilité des
modes de preuves. Le nombre des pièces à charge est un
élément d'appréciation, mais aussi la nature des preuves
soumises au juge, lorsqu'il s'agit par exemple
145
de preuves médicolégales telles les empreintes
de l'accusé sur le lieu de l'infra ction . Par ailleurs,
l'hypothèse du défaut d'avocat, lorsque l'accusé a choisi
de se taire face au questions des enquêteurs, est Ç l'un des
éléments à prendre en considération>> pour
évaluer la force probante des autres pièces à charge.
Enfin, la Cour ind ique qu'il faut tenir compte du Ç degré de
coercition inhérent à la situation >>, mais l'analyse
qu'elle en donne
en fait une condition inopérante puisqu'elle se borne
à contrôler que le requérant a en vérité pu
garder le silence, condition nécessairement satisfaite puisque l'on est
dans l'hypothèse oü le droit de se taire a été
exercé146.
153. Ces éléments sont suffisamment accablants
pour établir la culpabilité du prévenu : ils constituent
le commencement de preuve exigé pour en renverser le fardeau. C'est
alors à l'accusé de combattre les éléments à
charge, de leur «apporter une réponse». Car
l'équité
144 Sinon le juge aurait beau jeu de poser à
l'accusé les mêmes questions que les enquêteurs, et la
violation du droit de ne pas s'autoaccuser aurait simplement été
décalée au stade du procès.
145 Arrêt Murray, §40, précité.
146 Cf. arrêt Murray § 48, précité. Il
ne peut s'agir de la question de savoir si la notification du droit de se taire
constitue une coercition abusive, puisque la Cour traite cette question de
facon autonome (cf. supra, n°141).
impose que <<le silence, quand il doit produire des effets,
soit soumis à une procédure qui garantisse les droits de la
défense >>147.
b-Le silence comme renonciation à sa propre
disculpation
154. La «réponse» mentionnée par la
Cour est une simple application du principe du contradictoire: une fois la
charge de la preuve renversée, c'est à la défense de
contredire la force probante des éléments fournis par
l'accusation.
A ce stade, l'accusé qui persiste dans son mutisme
renonce en quelque sorte à contribuer à sa propre disculpation:
le silence est une ligne de défense qu'il adopte à ses risques et
périls puisque, par hypothèse l'accusation a déjà
rapporté la preuve de sa culpabilité. En effet, il est une autre
règle d'administration de la preuve selon laquelle ce qui n'est pas
contesté est considéré comme
établi148.
155. Dès lors que les éléments produits
par l'accusation ont une force probante suffisante (selon l'appréciation
de la CourEDH) pour renverser la charge de la preuve, le silence peut faire
office d'aveu tacite sans que le juge ne viole la présomption
d'innocence. En effet, l'accusé qui refuse de déposer à
décharge ne laisse alors subsister que des éléments
à charge.
c-Le silence transformé en aveu tacite par une
déduction de Ç bon sensÈ
156. En effet, en l'absence de contradiction des
éléments produits par l'accusation, les
149
seuls éléments soumis à
l'appréciation du juge seront des éléments à charge
. La CourEDH peut donc autoriser le juge à conclure, dans une telle
hypothèse, <<par un simple raisonnement de bon sens, [que
l'accusé] n'avait aucune explication à donner et qu'il
était coupable >>150.
147 L.-E. Pettit, Droit au silence,
précité.
148 De môme, si l'accusé fournit des explications
(mais alors il ne conserve pas le silence) que le juge estime, cette fois-ci
discrétionnairement, insuffisantes, alors l'exercice du contradictoire
aura été vain et la culpabilité sera établie.
149 On notera que dans l'esprit de la CourEDH, les seuls
éléments susceptibles de renverser la charge de la preuve lorsque
le requérant conserve le silence sont des preuves accablantes qui ne
laissent subsister aucun doute dans l'esprit du juge. L'adage in dubio pro
reo dispara»t dans le mécanisme du droit de se taire: ce n'est
plus le doute mais la présomption d'innocence qui profite à
l'accusé.
150 Cf., par exemple, l'arrôt Condron, § 61,
précité.
Une simple déduction logique permet effectivement de
parvenir à une décision de condamnation. Le raisonnement de la
Cour peut se résumer au schéma suivant: la présomption
d'innocence impose à l'accusation de prouver la culpabilité de
l'accusé et interdit au juge de déduire cette culpabilité
de son silence. Si l'on symbolise par des chiffres les éléments
à charge, la règle se traduit par l'équation suivante : 0
(éléments produits par l'accusation) + 0 (silence de
l'accusé) = 0 (culpabilité). De même, si l'accusation est
parvenue à réunir des éléments suffisamment
probants pour renverser la charge de la preuve, on obtient alors
l'équation suivante: 1 (élément probant) + 0 (silence
persistant) = 1 (culpabilité). Effectivement, dans cette dernière
hypothèse, le simple bon sens permet au juge national de rendre une
décision de condamnation en conformité avec la présomption
d'innocence. Cependant, nonobstant la formulation de la Cour, il serait plus
exact de considérer que dans ce cas précis le juge ne tire pas de
conclusions défavorables du silence mais des éléments
à charge produits par l'accusation. La seule occasion de «tirer des
conclusions défavorables du silence», au sens oü le juge
déduirait la culpabilité de l'accusé de son seul silence,
correspond à l'hypothèse oü l'accusation n'a pas
réussi à renverser la charge de la preuve; de telles conclusions
sont alors interdites par la présomption d'innocence et les
règles classiques d'administration de la preuve.
157. En dernier lieu, il convient de mentionner des
difficultés particulières qui surgissent lorsque l'accusé
n'est pas jugé par un magistrat professionnel mais par un jury.
3) Les conditions particulières à la
procédure de jugement par un jury
158. La Cour décide sur le fond que la
«jurisprudence Murray» est transposable au jury. Ce dernier est donc
soumis aux mêmes conditions de respect de la présomption
d'innocence qu'un magistrat professionnel. Par conséquent, la Cour
rejette l'argument du gouvernement dans l'arrêt Condron, qui consistait
à soutenir que le jury devrait, certes, être informé des
risques d'iniquité encourus en cas de conclusions défavorables
tirées du seul silence de l'accusé mais que, souverain, il
pourrait malgré tout déduire la culpabilité de ce seul
élément.
159. Les particularités de cette institution appellent
également des exigences de forme. En effet, le jury ne motive pas ses
décisions, ce qui ne met pas la CourEDH en mesure de
contrôler l'impact que le silence a exercé sur
les jurés et restreint la faculté de l'accusé de
contredire, en appel, sa déclaration de culpabilité 151 . Par
conséquent, c'est au juge national qu'il incombe de s'adresser au jury,
afin de l'informer que ses membres sont soumis aux mêmes obligations que
le magistrat professionnel et que la procédure serait entachée
d'iniquité s'ils fondaient leur décision sur le seul choix de
l'accusé de conserver le silence. Plus précisément,
Çla formule doit refléter l'équilibre que dans son
arrêt John Murray la Cour a cherché à ménager entre
le droit de garder le silence et les circonstances dans lesquelles des
conclusions en défaveur d'un prévenu peuvent être
tirées de son silence È152.
CONCLUSION DE LA SECTION DEUXIéME
160. L'enquête a pour finalité de rechercher les
preuves qui permettront au juge de se prononcer sur le culpabilité du
suspect. Lorsque la recherche de preuves a violé l'article 6 ConvEDH,
c'est donc aux juridictions nationales qu'il incombe, en premier lieu, de
réparer les atteintes au procès équitable. La CourEDH
assure le dernier niveau de protection, en identifiant les méthodes qui
peuvent être qualifiées de coercition abusive, et en
contrôlant l'impact des éléments de preuve qu'elles ont
permis de recueillir. L'influence que ces éléments ont
exercée sur les juges nationaux fait ainsi l'objet d'un contrôle
qui distingue les violations du droit de ne pas s'autoaccuser et les violations
du droit de se taire.
161. Au titre des premières, la CourEDH sanctionne les
décisions fondées sur les déclarations du requérant
obtenues par l'usage d'une coercition abusive. L'aveu contraint lie le juge en
ce qu'il est impossible à ce dernier d'accueillir un tel él
ément comme preuve de la culpabilité de
l'accusé153, même corroboré par d'autres
pièces à charge. Le droit de ne pas s'autoaccuser est donc un
droit absolu154 et ne tolère à ce titre aucune
dérogation. L'intérêt public à réprimer
certains comportements particulièrement nuisibles à la
société, par exemple en matière de droit des
sociétés ou de terrorisme, ne saurait justifier que l'Etat ait
recours à la coercition abusive afin de faciliter l'établissement
de la culpabilité de l'accusé.
151 Ce qui explique que l'appel de la condamnation du jury ne
soit pas considérée comme une garantie suffisante de
l'équité de la procédure, cf. arrêt Condron §
63 et suivants, précité.
152 Arrêt Condron, précité.
153 Qu'il y ait ou non condamnation au final, cf. arrêt
McGuiness, précité.
154 C'est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour, bien que
celle-ci se refuse à le reconna»tre expressément, sans doute
pour ne pas être liée par sa propre jurisprudence.
L'originalité du mécanisme mis en place par la
Cour consiste essentiellement dans la définition de la coercition
abusive, indépendante des règles nationales de recherche de
preuves, ce qui peut imposer au juge de désobéir à son
propre droit s'il veut se conformer aux exigences de la Convention. Quant au
critère de l'impact, il n'est intéressant que dans la mesure
oü il précise la portée de l'aveu contraint: l'interdiction
étant absolue, c'en est fini, sur ce point précis, de l'intime
conviction du juge. Ce dernier n'est libre ni de qualifier la contrainte, ni
d'apprécier la force probante de l'aveu extorqué, il doit
impérativement se conformer aux règles conventionnelles
d'admissibilité de la preuve.
162. Au titre des violations du droit de se taire, la CourEDH
sanctionne les décisions fondées sur la seule circonstance que
l'accusé a gardé le silence lors de l'enquête. Ce droit
n'est pas absolu et le juge reste libre de condamner l'accusé qui ne se
disculperait pas, au stade du procès, mais préfèrerait
conserver le silence. La Cour se contente de rappeler ici des règles
classiques d'administration de la preuve, sans apporter d'élément
nouveau si ce n'est, peut être, en matière d'appréciation
de la force probante des commencements de preuve. Bien que moins original, ce
mécanisme est pourta nt le complément nécessaire du droit
de ne pas s'autoaccuser : puisque l'accusé ne peut être contraint
à produire des pièces à charge, il doit pouvoir se taire
sans encourir de condamnation. De même que se défendre, ce n'est
pas s'accuser, se taire, c'est ne pas s'autoaccuser.
163. Le critère de l'impact permet de comprendre le
fonctionnement du système mis en place par la CourEDH. Droit de se taire
et droit de ne pas s'autoaccuser participent ainsi d'un même
mécanisme de protection du droit au silence. Ce dernier joue, en
matière pénale, un rTMle particulièrement important
puisqu'il contribue au respect de la présomption d'innocence, et
garantit le traitement équitable de l'accusé d'un bout à
l'autre d'une procédure susceptible d'affecter considérablement
les libertés individuelles.
Néanmoins, les rapports entre le droit au silence, les
droits de la défense, le droit à la présomption
d'innocence et le droit à un procès équitable sont
difficiles à établir. La CourEDH est peu explicite sur ce point,
et préfère préciser ses solutions au cas par cas au lieu
de construire un ensemble cohérent et lisible. Il n'est toutefois pas
impossible, à partir des indices fournis par la Cour, d'esquisser
à titre de conclusion générale un portrait d'ensemble,
afin de situer le droi t au silence au sein d'un contexte
hiérarchisé et ordonné.
CONCLUSION GÉNÉRALE
164. Il n'est pas aisé de systématiser la
jurisprudence de la CourEDH, tant elle est casuistique et complexe.
Plutôt que de tenter vainement de dégager des principes
généraux des différentes affaires, il semble plus
judicieux de lire les arrêts à la lumière de la formule
type rappelée par la Cour avant de chaque espèce 155
l'examen . En outre, cette dernière
emploie des expressions différentes pour
désigner un même mécanisme, sans souci de précision
ou de pertinence. Seule lui importe la garantie finale du respect de l'article
6 et des exigences du procès équitable. Toutefois, afin de donner
un peu de clarté et de cohérence à sa jurisprudence, et
surtout afin d'en déterminer la portée réelle, il convient
de définir ici les notions utilisées à l'occasion de la
mise en Ïuvre du droit de ne pas s'autoaccuser156.
165. L'individu accusé d'une infraction en
matière pénale au sens autonome de la Convention se trouve en
situation de faiblesse face aux autorités de poursuite. Le
déséquilibre des forces et la situation de
vulnérabilité que celui-ci entra»ne expose à des
risques d'erreur judiciaire. En effet, l'accusé placé dans une
telle situation peut céder à la contrainte et collaborer
activement à la recherche de preuves contre lui-même,
compromettant ainsi gravement ses droits de la défense. Par
conséquent, la Cour le protège en lui garantissant le droit de ne
pas être contraint de s'autoaccuser. Mais ce droit serait une coquille
vide si le requérant, protégé contre les incitations
à parler et conservant le silence, se voyait condamner sur le fondement
de son choix de se taire. Le droit de ne pas s'autoaccuser serait alors
vidé de sa substance puisque ne pas être contraint de parler
suppose qu'on puisse librement se taire. La Cour interdit en conséquence
aux juridictions nationales de tirer des conclusions défavorables du
seul silence de l'accusé d'un bout à l'autre de la
procédure.
155 Cf. supra, n°15.
156 Les relations entre le droit au silence, le droit de ne
pas s'autoaccuser, le droit de se taire, les droits de la défense et la
présomption d'innocence ont fait l'objet d'une présentation
ordonnée par la Commission européenne, dans son Livre vert
sur la présomption d'innocence, cité en bibliographie.
Pourtant, cette présentation n'est pas parfaitement
représentative de la jurisprudence de la Cour et il faut s'en
écarter sur certains points.
166. Le droit de ne pas sÕautoaccuser est donc
indissociable du droit de se taire. Ensemble, ces droits assurent une
immunité de parole au justiciable, ou plutTMt, une immunité de
silence, en interdisant que ce dernier soit une source de responsabilité
pénale. Le droit au silence permet dÕéviter les erreurs
judicaires en évitant les decisions fondées sur des
éléments dont la force probante est contestable mais ne pourrait
etre valablement contestée. En effet, lÕaveu contraint ou les
deductions a contrario tirées du silence ont un impact
trés important sur lÕesprit du juge, sans que
lÕaccusé puisse faire obstacle au poids quÕils auront sur
la decision finale puisque, par nature, ils supposent lÕinexistence ou
lÕexercice inefficace des droits de la defense. Dans les deux cas, la
charge de la preuve est renversée et une présomption de
culpabilité se substitue à la présomption
dÕinnocence, sans que lÕintéressé ait une chance se
défendre equitablement.
Le droit de ne pas sÕautoaccuser doit
sÕentendre comme le droit de ne pas etre contraint de produire des
preuves à charge, oralement ou par écrit. Ce droit est absolu, il
emporte interdiction pour le juge national de fonder sa decision sur les
éléments obtenus au mépris de la volonté de
lÕaccusé. Il est indissociable du droit de se taire, entendu
comme le droit de ne pas répondre aux questions posées lors des
interrogatoires, sous reserve dÕavoir à justifier de ce silence
lors du procés si les autres éléments de preuve vont dans
le sens de la culpabilité de lÕaccusé. Ces deux droits
sont les deux facettes du droit au silence, entendu comme droit de se taire et
de ne pas contribuer à sa propre accusation : le droit de se taire
équivaut à un droit de garder le silence, le droit de ne pas
sÕautoaccuser à un droit de passer sous silence.
167. Le droit au silence et les droits de la defense sont
étroitement lies, ces derniers intervenant aux deux stades de la
procedure. Lors de la phase dÕenquête, la presence de
lÕavocat permet de contrebalancer la coercition exercée par les
enquêteurs et en supprime le caractére abusif. Assisté dans
son choix, si lÕaccusé decide alors de parler, il avoue librement
les faits quÕil mentionne et le cas échéant sa propre
culpabilité, sa parole pouvant etre retenue contre lui lors de son
procés. SÕil choisit de se taire aprés voir
consulté son avocat, il adopte une ligne de defense quÕil peut
conserver lors du procés mais à ses risques et perils, ou
quÕil peut abandonner afin de contredire les éléments de
preuve apportés par lÕaccusation. En fin de compte, tout se passe
comme si lÕexercice effectif des droits de la défen se faisait
alors échec au droit au silence : dÕabord, ces droits peuvent
TMter à la coercition son caractére abusif ; ensuite, si le
silence est adopté comme ligne de defense, il devient possible
dÕen déduire des consequences défavorables quant à
la culpabi lité de lÕaccusé. Autrement dit,
l'effectivité des droits de la défense
empêche de conclure à une violation du droit de se taire et de ne
pas s'autoaccuser.
168. Si l'exercice effectif des droits de la défense
peut ainsi court-circuiter le mécanisme du droit au silence, c'est parce
que ce dernier n'en est en réalité qu'une garantie
procédurale, au même titre que la présomption d'innocence:
dès lors qu'il est établi que l'accusé a pu
efficacement se défendre, il n'y a plus lieu d'exiger la
garantie supplémentaire de respect du droit au silence. Ainsi, le droit
de ne pas s'autoaccuser empêche in fine que des
déclarations faites sous la contrainte ne viennent jeter le
discrédit sur les éléments que l'accusé pourraient
ensuite leur opposer lors de son procès. De même, le droit de se
taire doit se lire en combinaison avec la présomption d'innocence,
à laquelle il s'associe afin de faciliter la défense de
l'accusé : en interdisant de déduire la culpabilité du
seul silence de l'intéressé (qui serait présumé
coupable dès lors qu'il se tait), il maintient la charge de la preuve
sur l'accusation et ce n'est que si cette
dernière produit un commencement de preuve de la
culpabilité de l'accusé que celui-ci devra se défendre.
L'effectivité des droits de la défense semble
donc être la clef de l'équilibre entre les
nécessités de la répression et les garanties
accordées à l'accusé dans le cadre du procès
équitable. Il ne peut y avoir équité si la
procédure ne respecte pas la présomption
d'innocence157 et si les droits de la défense ont
été bafoués158, ce qui suppose, dans la plupart
des cas, le respect du droit au silence entendu comme droit de se taire et de
ne pas s'autoaccuser.
169. En dotant l'arsenal européen de ces deux nouveaux
droits, la CourEDH semble avoir accru la protection accordée au
justiciable au titre du procès équitable. Pour autant, il n'est
pas certain que les objectifs visés n'auraient pu être atteints
gr%oce aux mécanismes déjà existants.
En effet, au stade de l'enquête, l'exercice des droits de
la défense remplit intégralement le rTMle joué par le
droit de ne pas s'autoaccuser : l'absence ou la présence de l'avocat
influe sur la liberté du choix de l'accusé de se taire ou de
collaborer à la recherche de preuves, partant
157 Ç La présomption d'innocence consacrée
par le §2 de l'article 6 figure parmi les éléments du
procès équitable exigés par le §1È, CEDH 23
avril 1998, Bernard c/ France, Rec. 98, II.
158 Ainsi, lorsque la Cour retient une violation
combinée des articles 6§1 et 6§3-c, alors qu'elle a
rejeté la requête sur le fondement de l'article 6§1 pris
isolément, il faut comprendre que le droit a un procès
équitable peut être violé non seulement par une atteinte au
droit au silence mais aussi par une atteinte aux droits de la défense.
La combinaison ne signifie pas que l'atteinte aux droits de la défense
ne peut pas à elle seule emporter violation du procès
équitable, simplement la Cour faisant du §1 le siège du
droit à un procès équitable, il en résulte une
violation combinée des deux paragraphes en cas de violation des droits
de la défense.
sur la recevabilité de l'aveu contraint. Il est donc
possible de ramener ce droit à une exigence de satisfaction de
l'article 6§3-c dès les premiers instants des interrogatoires et
quelle que soit
159
la nature de l'infraction ayant justifié les poursuites
.
Au stade du procès, l'exercice des droits de la
déf ense se confond avec l'exercice du droit de se taire: si la
présomption d'innocence et les règles d'administration de la
preuve ont été respectées, alors les droits de la
défense peuvent être efficacement exercés et le droit de se
taire ne trouve plus à s' appliquer ; si ces principes n'ont pas
été respectés, alors les droits de la défense sont
compromis et le droit de se taire permet à la CourEDH d'exercer un
contrôle approfondi sur la décision du juge national. En
réalité, la Cour pourrait tout aussi bien censurer cette
décision sur le fondement de l'article 6§3-c (ou même de
l'article 6§2 si ce dernier n'était pas devenu surabondant depuis
son absorption par l'article 61).
S'il n'est pas un instrument qui bouleverse l'ordre juridique
européen, le droit au silence permet à la Cour de faire respecter
les exigences du procès équitable sans recourir à une
interprétation trop extensive des notions de présomption
d'innocence ou de droits de la défense, ou du moins sans modifier
profondément la conception de ces notions en droit interne.
170. L'effet principal de la jurisprudence européenne
en matière de droit au silence réside surtout dans la limite
imposée au pouvoir du juge national d'apprécier, en son intime
conviction, la force probante d'un élément de preuve. En effet,
il ne s'agit pas tellement d'une question de respect du contradictoire mais
bien de l'impact que le silence ou les déclarations obtenues sous la
contrainte ont exercé sur l'esprit du juge pénal: la CourEDH lui
interdit de fonder sa décision sur un élément qu'elle
considère irrecevable au vu de l'article 6 de la Convention; il s'agit
bien là d'une règle d'admissibilité de la preuve qui
empiète sur les pouvoirs d'appréciation du juge national.
Toutefois, l'influence réelle de cette jurisprudence
européenne sur le droit interne reste relativement faible. Si l'on prend
l'exemple de la France, on sait que l'article 116 CPP autorise
expressément l'accusé à se taire ; la présomption
d'innocence faisant le reste, le juge francais ne peut, en vertu de la loi
francaise, tirer des conclusions défavorables du seul silence
159 On a vu que le gouvernement ne saurait arguer des
nécessités de la répression en matière de
terrorisme ou d'infractions sur les sociétés pour priver
l'accusé du droit d'accès à un avocat dès les
premiers instants de la garde à vue, cf. supra n°161.
de l'intéressé lors de son procès. Point
n'est besoin d'un principe européen pour garantir le respect du droit de
se taire en matière pénale.
En revanche, le droit de ne pas s'autoaccuser semble avoir une
portée plus vaste : il est probable que la conception européenne
autonome de la matière pénale contraigne le droit fiscal francais
à revoir sa procédure de droit de communication, laquelle est
incluse dans la matière pénale et constitue une coercition
abusive au sens de la Convention puisqu'elle contraint le contribuable à
collaborer à la recherche de preuves contre lui-même sous la
menace d'une sanction pénale.
171. Certaines procédures internes semblent a
priori devoir elles aussi être soumises à la jurisprudence de
la Cour. Ainsi de l'obligation de l'auteur d'un accident de la circulation
de
160
s'identifier, sous peine de sanction pénale .
L'identification permet de faire le lien entre l'infraction et son auteur, et
la preuve de la commission d'une infraction incombe donc à l'accusation.
En contraignant l'auteur de l'accident à s'identifier sous la menace
d'une condamnation, cette obligation aboutit à le contraindre à
s'autoaccuser.
Néanmoins, la CourEDH jugeant in concreto,
elle refuse d'apprécier la compatibilité d'une loi interne avec
les exigences de l'article 6. Aussi, tant qu'une procédure
déclenchée effectivement sur le fondement de cette disposition
interne n'aura pas été soumise à l'appréciation de
la Cour, il semble difficile de dire in abstracto si la loi
concernée aboutit à une méconnaissance du droit de ne pas
s'autoaccuser. D'autant que la violation de ce droit au stade de
l'enquête pourrait être réparée par le juge national
au stade du procès, qui devrait dans cette hypothèse refuser de
considérer établie l'identification reposant sur les seuls
déclarations du suspect.
172. Le renouveau de l'aveu en matière pénale
pose des difficultés supplémentaires au regard du droit de ne pas
s'autoaccuser. En effet, l'aveu sert désormais de fondement à
l'établissement de la culpabilité de l'accusé dans des
procédures accélérées qui ne sont pas soumises
à un contrôle suffisant du juge en application de la jurisprudence
européenne. Ainsi, dans la CRPC161, l'aveu du suspect permet
à ce dernier d'obtenir une peine fixée par le ministère
public et censée être inférieure à celle qui aurait
probablement été prononcée par la juridiction de jugement,
sans que le juge ne puisse contrôler la valeur probante de cet aveu.
Certes, l'aveu reste libre en principe: l'accusé qui reconna»t sa
culpabilité renonce aux
160 Cf. supra, nO3.
161 Art. 495-7 et suivants CPP.
162
garanties de la procédure de jugement . Mais il n'est
pas certain que la pression psychologique subie par l'intéressé,
menacé d'une sanction plus sévère s'il refuse la CRPC, ne
puisse être qualifiée de coercition abusive au sens de l'article
6.
173. Le droit au silence semble doté d'une
portée restreinte sur le plan national. Tout au plus précise
-t-il, en les complétant, les mécanismes procéduraux
internes qui existaient déjà. Le nouvel enjeu du droit de ne pas
s'autoac cuser réside peut être dans le contrôle par la Cour
de la compatibilité entre les procédures dites «de justice
pénale immédiate» ou «alternatives aux poursuites»
et les exigences de l'article 6 ConvEDH.
BIBLIOGRAPHIE
JURISPRUDENCE
1) CEDH 25 février1993, Funke c/ France.
Rec. CEDH, 1993 A, 256 A; JCP 1993,
éd. G, I, 22073, note R. et A. Garnon; JCP 1994, éd. G,
I, 3742, n°13, obs. F.Sudre ; D 1993, sommaire, obs. Renucci ;
D 1993, 457, obs. Pannier; RSC 1993, 581, obs. Pettiti;
RSC 1994, 362, obs. R.Koering - Joulin.
2) CEDH 08 février1996, John Murray c/
Royaume-Uni.
Rec. CEDH, 1996 A, I, p. 31; JCP 1997,
éd. G, I, 4000, n° 18, chronique F. Sudre; RSC 1997, p.
476s, R. Koering-Joulin.
3) CEDH 17 décembre 1996, Saunders c/
Royaume-Uni.
Rec. CEDH, 1996 A, VI, p. 2045; JCP 1997,
éd. G, I, 4000, n°18, F. Sudre. ; RSC 1997, p. 476s, R.
Koening-Joulin.
4) CEDH 20 octobre 1997, Serves c/ France.
Rec. CEDH, 1997 A, VI, p. 2159; JCP 1997,
éd G, I, 4000, n° 18, F. Sudre; JCP 1998, éd. G, I,
107, obs. F. Sudre ; RSC 1998, 395, obs. R. Koering-Joulin.
5) CEDH 02 mai 2000, Condron c/ Royaume-Uni.
Rec. CEDH, 2000 A, V-VI, p. 31.
6) CEDH 06 juin 2000, Magee c/ Royaume-Uni.
Rec. CEDH, 2000 A, V-VI, p.181 ; JCP 2001,
éd. G, I, 291, note F. Sudre.
7) CEDH 06 juin 2000, Averill c/ Royaume-Uni.
Rec. CEDH, 2000 A, V-VI, p. 231 ; JCP 2001
éd. G, I, 291, note F. Sudre.
8) CEDH 22 juin 2000, Coeme c/ Belgique. Rec.
CEDH, 2000 A, VII -VIII , p. 1.
9) CEDH 19 septembre 2000 IJL, GMR et AKP c/ Royaume-Uni.
Rec. CEDH, 2000 A, IX-X, p. 365.
10) CEDH 21 décembre 2000, Heaney & McGuiness c/
Irlande. Rec. CEDH, 2000, A 12, p. 445 ; JCP 2001,
éd. G, I, 291, note F. Sudre.
11) CEDH 03 mai 2001, J.B c/ Suisse. Rec. CEDH,
2001 A, III-IV, p. 455 ; JCP 2001, éd. G, I, 342, chronique F.
Sudre.
12) CEDH 05 novembre 2002, Allan c/ Royaume-Uni. Rec
CEDH, 2002 A, IX-X, p. 63.
13) CEDH 02 aoüt 2005, Kolu c/ Turquie.
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highl
ight=Turquie%20%7C%20Kolu&sessionid=12157655&skin=hudoc-fr
14) CEDH 04 octobre 2005, Shannon c/Royaume-Uni.
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highl
ight=Royaume-Uni%20%7C%20Shannon&sessionid=12157655&skin=hudoc-fr
15) CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/ France.
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highl
ight=France%20%7C%20Wisse&sessionid=12157655&skin=hudoc-fr
16) CEDH 20 juin 2006, ORS c/ Turquie.
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highl
ight=Turquie%20%7C%20ORS&sessionid=12157655&skin=hudoc-fr
17) CEDH 11 juillet 2006, Jalloh c/Allemagne.
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highl
ight=Allemagne%20%7C%20Jalloh&sessionid=12157655&skin=hudoc-fr
18) CEDH 17 octobre 2006, Göçmen c/ Turquie.
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=2&portal=hbkm&action=html&highl
ight=Turquie%20%7C%20Gocmen&sessionid=12157655&skin=hudoc-fr
DOCTRINE Ouvrages généraux:
o L. CADIET, E. JEULAND, Droit judiciaire privé,
Manuel Litec, 5ème édition.
o P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal
général, A. Colin, 7ème édition
o J. LARGUIER, P. CONTE, Procédure pénale,
Mémentos Dalloz, 21ème édition
Articles:
o A.-M. LARGUIER. ÇImmunités et impunités
découlant pour l'auteur d'infractions d'une infraction
antérieurement commise par celui-ci È, JCP 1961, I, 1601
bis.
o F. SUDRE, ÇDroit de la Convention européenne des
droits de l'homme È, JCP G, chronique, I, 107.
o F. SUDRE, ÇDroit de la Convention européenne des
droits de l'homme È, JCP G, chronique, I, 291.
Autres ouvrages et articles:
lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/com/2006/com2006_0174fr01.pdf
o R. et A. GARNON, Ç Note sous l'arrêt Funke È,
JCP G, 1993, II, 22073.
o L.-E. PETTITI, Droit au silence ,
http://www.gddc.pt/actividade-edito
o F. SUDRE, J.-P. MARGUÉNAUD, J. ANDRIANTSIMBAZOVINA,
A. GOUTTENOIR, M. LEVINET, Les grands arrêts de la Cour
européenne des droits de lÕhomme , PUF, coll. Thémis
droit, 3ême édition .
INDEX
(Les chiffres renvoient aux numéros des
alinéas)
A
AVEU:
--contraint, 123, 124, 128, 131, 134, 135,
143, 148, 161, 166, 169.
--renouveau, 172.
--libre, 21, 127, 130, 133, 167, 172.
--tacite, 150, 155.
C
CONTRAINTE, Voir coercition.
COERCITION:
--abusive, 15, 24, 95, 104, 108, 109, 110,
114, 118, 120, 122, 123, 128, 131, 133,
134, 138, 139, 160, 161, 170, 172. --active,
101.
--directe, 113.
--environnement coercitif, 96, 105, 107, 110,
111, 112, 113, 115, 119, 125, 126, 127.
--émétique, 102, 103, 104.
--force, 41, 96, 97, 98, 99, 102, 103, 107, 112,
115, 119, 121.
--indirecte, 141.
--serment, 82, 83, 110, 111.
--passive, 104.
--physique, 49, 96, 98, 99, 102, 103, 104,
105, 107, 115, 119, 121.
--psychologique, 49, 96, 104, 105, 106,
107, 110, 111, 113, 115, 119.
--ruse, 106, 112.
--absolu, 161, 166.
--au silence , 4, 5, 10, 12, 39, 42, 45, 94,
95, 125, 126, 163, 166, 167, 168, 169, 170, 173.
--de se taire, 2, 12, 21, 28, 29, 39, 42, 95,
110, 122, 123, 126, 136, 141, 143, 144, 146, 147, 148, 149, 150, 152, 160, 162,
163, 166, 167, 168, 169, 170.
--réparation, 63, 69, 102, 120, 130, 131,
132, 134.
--substance, 15, 90, 95, 165.
DROITS DE LA DÉFENSE:
--avocat, 1, 2, 41, 117, 124, 125, 126, 127,
130, 133, 137, 141, 142, 143, 144, 152, 167, 169.
--choix équitable, 107, 111, 113, 114,
115, 121.
--contradictoire, 133,134, 154, 170.
--contrepoids, 2, 127, 133.
--effectivité, 134, 167, 168.
--égalité / inégalité des
armes, 1, 4, 125, 126.
--exercice, 42, 126, 134, 166, 167, 168, 169.
--faiblesse, 124, 125, 143, 165.
--vulnérabilité, 125, 163.
I
INTIME CONVICTION, 123, 130, 135, 161, 170.
L
P
PRÉSOMPTION D'INNOCENCE, 1, 2, 38, 39, 40, 41,
42, 133, 149, 155, 156, 158, 163, 166, 168, 169, 170.
PREUVES:
--administration, 39, 133, 135, 149, 150, 154,
156, 162, 169.
--admissibilité, 9, 73, 123, 130, 135,
152, 161, 170.
--collaboration, 96, 103, 105, 113, 115, 119,
120, 140.
--recherche, 2, 4, 9, 23, 44, 95, 97, 105,
106, 114, 115, 117, 121, 125, 139, 160, 161, 165, 169, 170.
--force probante, 2, 21, 133, 134, 150,
152, 154, 155, 161, 162, 166, 170. --recueil, 9,
73, 74, 83, 95, 98, 100, 102,
103, 104, 108, 113, 114, 116, 117, 128, 129, 133, 160.
--théorie de la preuve, 39, 51.
--utilisation, 15, 79, 83, 92, 95, 108, 114,
117, 120, 128, 131, 133, 134.
SANCTION:
--administrative, 66.
--condamnation, 62, 63, 68, 69, 73, 79,
83, 95, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 120,
123, 125, 127, 129, 130, 131, 134, 139,
141, 147, 148, 150, 151, 156, 162, 171.
--emprisonnement, 78, 79.
--pécuniaire (amende), 4, 63, 69, 78,
110. --pénale, 4, 62, 63, 65, 68, 71, 72, 75, 79, 106,
107, 109, 111, 113, 119, 139, 147, 170, 171.
--menace, 107, 108, 110, 111, 113, 119,
139, 140, 141, 170, 171.
--relaxe, 79, 130.
--risque, 45, 108, 109, 114, 136, 154, 165,
167.
V
VOLONTÉ, 5, 15, 96, 97, 98, 100, 101, 103, 107,
112, 113, 115, 116, 117, 119, 120, 121, 123, 124, 125, 126, 143, 166.
TABLE DES MATIéRES
SOMMAIRE 1
INTRODUCTION 2
PREMIER CHAPITRE : LES SOURCES DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER 11
SECTION PREMIÈRE : LES SOURCES INTELLECTUELLES DU DROIT DE
NE PAS
S'AUTOACCUSER 12
I. LES SOURCES PHILOSOPHIQUES DU DROIT DE NE PAS
SÕAUTOACCUSER 12
II. LES SOURCES JURIDIQUES Ë LÕORIGINE DU DROIT
DE NE PAS SÕAUTOACCUSER 13
SECTION DEUXIéME : LES SOURCES NORMATIVES DU DROIT DE NE
PAS S'AUTOACCUSER 14
I. LÕINFLUENCE DES ORDRES JURIDIQUES PROCHES
14
A] L'INFLUENCE DU DROIT INTERNATIONAL 15
B] L'INFLUENCE DE LA JURISPRUDENCE CANADIENNE ET
AMÉRICAINE 16
II. LA RECHERCHE DÕUN FONDEMENT CONVENTIONNEL
17
A] CERTITUDE ET CONFUSIONS :L'ARTICLE 6 COMME FONDEMENT DU
DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER 17
1) Le fondement certain, l'article 6 et le droit à un
proces equitable 18
2) Le fondement recurrent, l'article 6§1 19
3) Le fondement surabondant, l'article 6§2 20
4) Le fondement combine, l'article 6§3-c 21
B] AUTONOMIES ET ASSOCIATION : L'ARTICLE 6 COMME FONDEMENT
EXCLUSIF DU DROIT DE
NE PAS S'AUTOACCUSER 23
1) Le fonctionnement autonome des articles 10 et 6 de la
Convention 23
2) Le fonctionnement autonome des articles 8 et 6 de la
Convention 25
3) Le fonctionnement combine des articles 3 et 6 de la
Convention 26
CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE 27
DEUXIEME CHAPITRE : LE DOMAINE DU DROI T DE NE PAS
S'AUTOACCUSER 29
SECTION PREMIÈRE : LA NOTION DE MATIéRE
PÉNALE 30
I. LÕÉLABORATION DIFFICILE DÕUN
CRITéRE DE LA MATIéRE PÉNALE 30
A] LA MATIéRE PÉNALE CLASSIQUE 30
B] LES PROCÉDURES MIXTES 31
1) Le rejet du critere organique 31
2) L'adoption d'un critere finaliste: la gravite de la sanction
32
II. TYPOLOGIE DES AFFAIRES RESSORTISSANT Ë LA
MATIéRE
PÉNALE 33
A] LE MODéLE FUNKE : APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 6
AUX POURSUITES ADMINISTRATIVES FONDÉES SUR LE MANQUEMENT Ë UNE
OBLIGATION FISCALE PÉNALEMENT SANCTIONNÉE 33
B] LE MODéLE SAUNDERS : APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE
6 AUX POURSUITES PÉNALES
FONDÉES SUR LES PREUVES RECUEILLIES LORS DE
L'ENQUæTE ADMINISTRATIVE PRÉALABLE 35
SECTION DEUXIéME : LA QUALITÉ D'ACCUSÉ D'UNE
INFRACTION 36
I. LÕACCUSÉ CLASSIQUE OU LE CRITéRE DES
RÉPERCUSSIONS IMPORTANTES 37
II. LÕACCUSÉ TÉMOIN OU LE
CRITéRE DE LA NOTIFICATION OFFICIELLE 39
III. LÕACCUSÉ PERSONNE MORALE OU LE
CRITéRE EN SUSPENS 41
A] LA QUESTION RÉSOLUE : LA PERSONNE PHYSIQUE AU SEIN
D'UNE PERSONNE MORALE 42
B] LA QUESTION DÉBATTUE : LA PERSONNE MORALE
ELLE-MæME 42
CONCLUSION DU DEUXIéME CHAPITRE 43
TROISIEME CHAPITRE : LA PORTEE DU DROIT DE NE PAS
S'AUTOACCUSER 45
SECTION PREMIÈRE: LES VIOLATIONS AU STADE DE
L'ENQUæTE : LE CRITéRE DE LA COERCITION ABUSIVE 46
I. LA CONTRAINTE PHYSIQUE OU LA POSSIBILITÉ RELATIVE
DE FORCER LE REQUÉRANT Ë
COLLABORER PASSIVEMENT Ë SA PROPRE ACCUSATION 46
A] L'EQUITE DE LA COERCITION PHYSIQUE EN CAS DE RECHERCHE DE
PREUVES INDIFFERENTE Ë LA VOLONTE DE L'ACCUSE 47
B] L'INIQUITE DE LA COERCITION PHYSIQUE EN CAS DE RECHERCHE DE
PREUVES AU MEPRIS DE
LA VOLONTE DE L'ACCUSE 48
II. LA CONTRAINTE PSYCHOLOGIQUE
OU L'IMPOSSIBILITÉ ABSOLUE DE FORCER LE
REQUÉRANT Ë COLLABORER ACTIVEMENT Ë SA
PROPRE ACCUSATION 51
A] UNE COLLABORATION ACTIVE SYSTEMATIQUEMENT OBTENUE PAR LA
CREATION D'UN ENVIRONNEMENT COERCITIF 51
1) La contrainte psychologique par menace d'une sanction
pénale immédiate en cas de refus de collaborer activement
à la recherche de preuves 51
2) La contrainte psychologique par provocation ou interception
des révélations de l'accusé en cas de refus de collaborer
activement à la recherche de preuves 56
B] UNE COLLABORATION ACTIVE ABUSIVEMENT OBTENUE PAR LA CREATION
D'UN ENVIRONNEMENT COERCITIF 58
1) La «nature incriminante» des propos recueillis
comme élément indifférent au caractère abusif de la
coercition psychologique 58
2) La volonté de l'accusé et le choix
équitable comme critères déterminants du caractère
abusif de la coercition
psychologique 60
CONCLUSION DE LA SECTION PREMIÈRE 61
SECTION DEUXIéME : LES VIOLATIONS AU STADE DU JUGEMENT :
LE CRITéRE DE L'IMPACT
63
I. L'INTERDICTIONABSOLUE DE CONDAMNER L'ACCUSÉ SUR LE
FONDEMENT D'AVEUX CONTRAINTS 64
A] L'ACCUSE ASSISTE OU L'EXERCICE DES DROITS DE LA DEFENSE COMME
CONTREPOIDS Ë LA COERCITION ABUSIVE 64
B] LE JUGE LIE OU L'EFFECTIVITE DES DROITS DE LA DEFENSE COMME
REMéDE Ë LA
COERCITION ABUSIVE 66
1) Du critère de l'utilisation au critère de
l'impact 66
2) De l'intime conviction au principe de conventionalité
de la preuve 67
II. L'INTERDICTION RELATIVE DE CONDAMNER L'ACCUSÉ SUR
LE SEUL FONDEMENT DE SON SILENCE 70
A] LE SILENCE PRESERVE OU LE LIBRE EXERCICE DU DROIT DE SE TAIRE
AU STADE DE
L'ENQUæTE 70
1) Le droit de se taire exercé librement dans un contexte
procédural particulier 70 a-L'exercice du droit de se taire
indifférent au prononcé de la sanction constitutive d'une
coercition abusive
70
b-Le caractère indirect de la coercition en cas demise en
garde préalable à l'exercice du droit de se taire 71
2) Le droit de se taire exercé librement en l'absence
d'un avocat 72
B] LE SILENCE MENACE OU L'EXERCICE RISQUE DU DROIT DE SE TAIRE
AU STADE DU PROCéS 73
1) L'interdiction de principe faite au juge de tirer des
conclusions défavorables du silence de l'accusé 73
a-Le droit de se taire comme garantie de l'équité
de la procédure 74
b-La justification classique de l'interdiction faite au juge de
tirer des conclusions du silence de l'accusé 74
2) Le renversement du principe en présence des conditions
fixées par la jurisprudence européenne 75
a-Le silence confronté aux < éléments
appelant une explication È 76
b-Le silence comme renonciation à sa propre disculpation
77
c-Le silence transformé en aveu tacite par une
déduction de <bon sens È 77
3) Les conditions particulières à la
procédure de jugement par un jury 78
CONCLUSIONDE LA SECTIONDEUXIéME 79
CONCLUSION GENERALE 81
BIBLIOGRAPHIE 87
INDEX 91
TABLE DES MATIERES 93
|