UNIVERSITE DE YAOUNDE I
FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
DEPARTEMENT DES ARTS ET ARCHEOLOGIE
SECTION ARCHEOLOGIE
THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I
FACULTY OF ARTS, LETTERS AND SOCIAL
SCIENCES
DEPARTMENT OF ARTS AND ARCHAEOLOGY
ARCHAEOLOGY SECTION
THEME
ARCHEOLOGIE DES BAKOLA DE LA REGION DE
BIPINDI-LOLODORF : ETUDE DE LA DYNAMIQUE DE LA CULTURE MATERIELLE D'UN
GROUPE PYGMEE DU SUD CAMEROUN
Mémoire présenté et soutenu
publiquement en vue de l'obtention
du diplôme de Maîtrise en
Archéologie
Par :
François NGOUOH,
Licencié en Archéologie
Option : Préhistoire
Sous la direction de :
Dr Martin ELOUGA,
Chargé de Cours à l'université de
Yaoundé I
Sous l'encadrement de :
Dr FROMENT Alain,
Directeur de recherche à l'I.R.D.
Année académique 2006-2007
RESUME
Selon Alain GALLAY (1986) : « L'archéologie
est la seule approche possible pour reconstituer le passé des peuples
sans écriture, et une approche complémentaire indispensable des
sources écrites dans le cas des civilisations possédant
l'écriture».
Les premières études effectuées
auprès des peuples dits de tradition orale (qui ne connaissaient pas
l'écriture), et souvent qualifiés de «primitifs »
remontent au 19ème siècle. Préhistoriens et
archéologues dans l'impossibilité d'expliquer leurs
découvertes se tournèrent vers ces groupes humains pour
interpréter leurs trouvailles. Au 19ème siècle,
l'évolutionnisme s'est reposé sur une typologie
représentant les étapes d'une évolution unilinéaire
des sociétés humaines. Selon la théorie
évolutionniste, les groupes humains devaient ou avaient dû passer
par les stades de la sauvagerie et de la barbarie pour atteindre celui de la
civilisation(MORGAN L.H., 1877). Sur la base de cette théorie, les
anthropologues, préhistoriens et archéologues entre autres hommes
de sciences, espéraient trouver dans les sociétés dites
primitives les vestiges et les premiers stades de ce qu'ils observaient dans
les sociétés contemporaines. Toutes ces études avaient
pour buts de donner une explication, d'interpréter les trouvailles
archéologiques et de reconstituer le passé des
sociétés disparues.
Les pygmées constituent l'un des rares peuples ayant
fait l'objet de ces études. En effet, dans la seconde moitié du
19ème siècle, l'homme primitif trouve son reflet chez
l'australien, le Bochiman, le polynésien ou le Pygmée.
On recense à ce jour plus de 1500 titres parlant des
Pygmées d'Afrique centrale (SEITZ, 1993). Ils sont localisés dans
les forêts du bassin du Congo, et y vivent par petits groupes ayant
chacun son ethnonyme. Les Bakola, l'un de ces groupes, sont appelés
Pygmées de la côte, parce que vivant dans la zone occidentale du
bassin du Congo (NGIMA MAWOUNG, 1996).
Justification du choix du sujet
Plus que tout autre groupe ethnique du sud Cameroun, les
Bakola ont été inclus dans les programmes de recherche d'ordre
anthropologique (NGIMA MAWOUNG, 1993), nutritionnel (DOUNIAS, 1986,1993),
géographique et historique (LOUNG, 1959), sociologique (FOUDA, 1999),
environnemental (NKE NDIH, 2003), anthropo-biologique (FROMENT, 1998) et
linguistique (RENAUD, 1976 ; LOUNG, 1987 ; BAHUCHET, 1989) entre
autres. De toutes ces études, force est de constater qu'il n'existe
aucune d'ordre archéologique effectuée chez les Bakola. Pourtant,
lors de la mission de surveillance archéologique effectuée sur
l'axe Lolodorf-Bipindi en 2001 (MBIDA et OSLISLY 2001), trois sites
archéologiques attribués aux âges de la pierre et du fer y
ont été découverts et localisés dans la
région de Bipindi-Lolodorf (villages de Mangouma, Mvilé et
Mbikiliki). Dans la région de l'Ituri, à l'est de la R.D.C.,
peuplée depuis les temps anciens par les pygmées, MERCADER a
découvert dans l'abri de Matangou Turu une tombe avec une épingle
de fer datée de 700 B.P, attribuée à une femme
pygmée (FROMENT, 1998). Tout ceci démontrant une
possibilité de la recherche archéologique dans le milieu de vie
des pygmées que constitue la forêt.
Problématique
Les traditions orales des peuples du sud Cameroun attribuent
aux pygmées la plus vieille présence dans les forêts.
D'autres chercheurs qui y ont consacré des études pensent que
leur présence dans ce milieu remonterait à plus de 20 000
ans (Cavalli Sforza, 1986). Aucun témoin archéologique ne
confirme à ce jour toutes ces thèses.
Les premiers pygmées décrits au Cameroun par les
européens dans la seconde moitié du 19ème
siècle furent ceux de sud. Ils les décrivirent comme des nomades
, ne vivant que de la chasse, de la pêche et de la cueillette
(LABURTHE-TOLRA, 1974). De nos jours, les Bakola sont sédentaires et ne
nomadisent que par saison. Il apparaît ainsi qu'il y a eu un changement
dans le mode de vie des Bakola du sud Cameroun. Les différentes
études concernant les pygmées du Cameroun en
général, et particulièrement ceux du sud n'ont fait
qu'aborder d'une manière brève la dynamique de la culture des
pygmées, notamment de celle de leur culture matérielle.
Sur la base de résultats des travaux des
anthropologues, nous savons que la culture dans ses différents aspects
(matérielle, immatérielle, mentale ou sociale) évolue.
Cette évolution considérée comme l'amélioration des
comportements acquis par un groupe social est liée à des facteurs
intrinsèques et extrinsèques. La théorie de
l'évolution culturelle énoncée par LAMARCK stipule que
l'éducation assure la transmission des « caractères
acquis » d'une génération à l'autre. Toute
invention pouvant être transmise immédiatement.
Par rapport au dynamisme observé dans la culture
matérielle des Bakola, nous pouvons nous poser des questions sur ses
manifestations, et sur ses causes ? Le milieu dans lequel vivent les
pygmées depuis le passé leur a toujours fourni l'essentiel de
leurs ressources animales et végétales. Par sa richesse en
gibier, en matériaux ligneux et non ligneux, la forêt est le
milieu de vie des pygmées depuis des millénaires (Bahuchet,
1993). Cette longue existence dans ce milieu a permis aux pygmées de
nouer des relations avec d'autres groupes ethniques avec lesquels, ils ont
souvent pratiqué le troc. De ces nombreux échanges avec leurs
voisins sont apparus des éléments nouveaux dans la culture
matérielle des Bakola depuis la seconde moitié du
19ème siècle (période de leur découverte
au sud Cameroun) jusqu'à nos jours.
- actuellement, les pygmées du sud Cameroun connaissent
des formes nouvelles des modèles d'occupation et d'aménagement de
l'espace. Ces nouvelles formes ont été influencées par le
milieu naturel (notamment l'environnement écologique et la population
humaine).
-l'adoption de la sédentarisation a fait
apparaître des éléments nouveaux dans les modèles
d'architecture. L'introduction de ces formes nouvelles d'organisation de
l'habitat est liée aux influences du milieu et du mode de vie des
Bakola.
-les objets domestiques qu'utilisent les Bakola sont au
même titre que les modèles d'aménagement de l'espace et les
modèles architecturaux d'apparition récente chez les
pygmées du sud Cameroun.
Objectifs
Par ce travail, nous avons voulu apporter notre modeste
contribution à la connaissance du passé des Pygmées en
général, en particulier celui des Bakola. Nous avons
également voulu lever un pan de voile sur l'adoption et l'insertion des
éléments nouveaux dans la culture matérielle de ces hommes
des forêts. Notre étude s'est proposé d'apporter des
éclaircis sur les facteurs d'aménagement et d'occupation de
l'espace, de connaître les modèles architecturaux et les causes de
leur adoption et, d'analyser la dynamique spatio-temporelle de la culture
matérielle des Bakola.
Méthodologie
Pour réaliser notre étude, nous avons eu recours
aux sources écrites et aux données orales recueillies lors des
enquêtes ethnographiques. Sur le terrain, nous avons
procédé par des méthodes d'approche archéologique
notamment : la prospection et la fouille.
Sources écrites : Notre zone
d'étude se trouvant dans une zone forestière, trouver des sites
archéologiques n'est pas chose facile dans ce milieu. Pour cela, nous
avons consulté des ouvrages de référence sur la
région de Bipindi-Lolodorf. Notamment des ouvrages présentant le
milieu écologique et la population humaine. Nous nous sommes munis de
cartes de la région notamment :
la carte de localisation des campements résidentiels
Bakola et de leurs zones de chasse sur l'axe Lolodorf-Bipindi-Kribi
établie par le Pr. LOUNG Jean-Félix et le GEPFE en 1999,
la carte régionale Edéa NA-32 XXIII à
l'échelle 1 /200 000 établie par l'Institut
Géographique National en 1971. Ces sources seules n'auraient
été suffisantes pour nous permettre de mener à bien notre
étude. Nous avons donc en plus de celles-ci procédé par
des enquêtes ethnographiques.
Enquêtes ethnographiques: Nous avons eu
des entretiens avec certains chercheurs ayant travaillé dans la
région et aussi avec certains Bakola. Les entretiens avec les chercheurs
nous ont permis d'avoir une idée sur les groupes ethniques
présents dans la région, notamment pour ce qui est de leurs us et
coutumes et de leur histoire. Les entretiens avec les Bakola, notamment ceux
âgés de plus de 50 ans devaient nous permettre de localiser les
anciens campements. A cet effet nous avons établi des guides d'entretien
dans lesquels nous notions ce qui nous était dit par ces Bakola.
C'était au cours de ces entretiens que nous localisions sur une carte
sur une carte un ancien campement. Ensuite, l'identification du campement
abandonné après des entretiens avec les Bakola entraînaient
son enregistrement sur une fiche d'enregistrement de site
archéologique ; et le sondage de ce qui pouvait être
considéré comme une couche archéologique. Il s'agissait
surtout des dépotoirs.
Méthodes d'approche
archéologique : Nos méthodes d'approche
comprenaient la prospection et la fouille.
La prospection est une activité au cours de laquelle
l'archéologue est appelé à localiser les sites
archéologiques. Il existe plusieurs méthodes de prospection
archéologique. Pour notre étude , nous avons opté pour la
prospection à pied. Grâce à cette méthode, nous
avons pu parcourir de longues distances pour localiser et identifier les
anciens campements pygmées, considérés comme nos sites
parce que constituant les espaces dans lesquels on a pu trouver des vestiges et
structures témoignant d'une présence humaine ancienne. Au cours
de cette activité, nous avons confectionné les outils
scientifiques qui sont : les fiches d'enregistrement des sites et les
guides d'entretien. Grâce aux guides d'entretien, nous avions des
informations sur les anciens campements abandonnés par les Bakola de
même que leur localisation. La localisation et l'observation d'un ancien
campement supposaient également sa fouille sur une petite (sondage).
Notre méthode de fouille pour a consisté
à effectuer des sondages d'un mètre carré sur des
dépotoirs trouvés dans les anciens campements pygmées.
Cadre théorique
Sur le terrain, nous avons effectué une analyse
spatiale des structures d'habitat et une analyse morphologique des objets
domestiques dans le but d'établir des typologies dans la culture
matérielle des Bakola. Le modèle
hypothético-déductif a été retenu comme
modèle théorique d'interprétation de ces résultats.
Et, selon les observations faites sur le terrain, l'évolutionnisme a
été retenu comme grille de lecture pour l'interprétation
de nos résultats.
Résultats obtenus
Dans la première partie que nous avons
intitulé : Contextes écologique et humain de la
région d'étude , nous présentons au chapitre 1 le
contexte écologique de la région de Bipindi-Lolodorf, notamment
le climat, le relief, la pédologie, la géologie, la
végétation, la faune et l'hydrographie. Nous y montrons la
relation qui lie le pygmée à son milieu écologique. Au
chapitre 2, nous énumérons la population humaine
c'est-à-dire les différents groupes ethniques voisins des Bakola
et l'historique de leur établissement dans le sud Cameroun.
Dans la deuxième partie, nous faisons une
présentation des résultats obtenus pendant la phase des
prospections au chapitre 1. Et, au chapitre 2, nous présentons les
résultats des sondages effectués sur les trois sites retenus pour
notre étude à savoir les sites de Mougo Bandè, Ngo
Manguèlè et Nabonzouondi I.
Au chapitre 1 de la troisième partie nous
présentons quelques aspects de la culture matérielle des Bakola
à savoir :les modèles d'aménagement et d'occupation
de l'espace, les modèles architecturaux ; et les objets et outils
domestiques des Bakola.
Pour ce qui est des modèles d'aménagement et
d'occupation de l'espace, nous avons noté l'existence de deux sortes
d'aires d'habitat. Une aire d'habitat liée au mode de vie
sédentaire qui le mbóga (deux types : ceux des
bords de route que nous pouvons appeler villages et ceux des forêts)
et une aire liée au mode de vie de chasseur qui est le
ngyágú.
Les mbóga des bords de route sont apparus dans
les années 1960, tandis que ceux des forêts remontent au
début des années 1930 ; grâce aux missionnaires
européens.
Diagramme 1. répartition des modes d'occupation de
l'espace
On repartit les modèles architecturaux des Bakola de la
manière suivante : les cases de feuilles avec toiture en feuilles
ou en folioles de raphia, les cases d'écorces d'arbres avec toiture en
folioles de raphia, les cases de terre avec toiture en folioles de raphia (dont
les unes avec chambres à coucher et d'autres des mono pièces) et
les cases de terre avec toiture en feuille d'aluminium (
généralement avec chambres à coucher).
Les objets domestiques comprennent les outils
manufacturés et les objets de fabrication pygmée. Ils se
repartissent de la sorte : les instruments de musique et costumes de
danse, les armes de chasse, l'armement de pêche, les outils de collecte
et d'activité agricole, les ustensiles de cuisine et le mobilier de case
.
Au deuxième chapitre de cette troisième partie,
nous avons fait une analyse d'abord historique, et ensuite
socio-anthropologique de la dynamique de la culture matérielle des
Bakola. Et à ces analyses, nous avons ajouté une portant sur les
moyens d'action sur la matière par les Bakola.
Au terme de cette analyse, il apparaît que les
changements observés sur les mode de création des campements par
les Bakola, les modèles de construction et sur la possession d'objets et
outils domestiques ; sont d'origine tant interne qu'externe aux
pygmées et d'apparition récente chez les Bakola de la
région de Bipindi -Lolodorf.
Au rang des facteurs internes aux Bakola, nous avons
relevé la démographie croissante des Bakola qui diminue les aires
de chasse et les oblige à se sédentariser de plus en plus.
Et, au rang des facteurs externes, la longue cohabitation avec
les groupes ethniques tels les Ngoumba et les Ewondo ; les programmes
d'insertion et d `intégration socio-économique du
gouvernement camerounais depuis les années 1970 ; et, plus
recemment à partir des années 1990, l'entrée dans le
milieu pygmée des ONG militant pour le développement
socio-économique des pygmées. Tous ces facteurs ont
été à l'origine de l'adoption de modèles nouveaux
d'occupation de l'espace, de construction de l'habitat et, d'objets et outils
domestiques.
La pauvreté de la documentation archéologique
dans les campements abandonnés démontre que les Bakola dans le
passé ne possédaient pas beaucoup d'objets manufacturés.
L'essentiel de leur outillage étant entièrement faite à
partir de la matière végétale Ce qui démontre une
fois la gestion rationnelle de leur milieu de vie ( forêt) par ces
populations forestières dans le passé.
Le schéma évolutif de la culture
matérielle des Bakola de la région se présente donc de la
sorte :
-au milieu du 19ème siècle ; il
s vivaient dans des huttes de forme hémisphérique et pratiquant
le nomadisme
-au début des années ; les missionnaires
européens pensent de plus en plus à leur insertion sociale et
créent à cet effet les premiers campements fixes pour
pygmées
-dès les années 1960, le gouvernement du jeune
Etat indépendant met sur pied des programmes d'intégration des
pygmées du Cameroun. Les centres de santé et écoles pour
pygmées sont crées à cet effet
-l'avènement de la liberté d'association au
début des années 1990 ; semble être un catalyseur et
vient accélérer un processus qui avait commencé vers les
années 1960 : l'intégration socio-économique et la
valorisation sur le plan culturel du pygmée.
Dès lors, un changement palpable a été
observé au niveau du mode de vie. Les Bakola tendent de plus en plus
à la sédentarisation, tout en continuant le nomadisme.
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