Conclusion Générale
L
e présent travail visait le décryptage des
enjeux liés à la mise en oeuvre de l'intégration
sous-régionale en zone CEMAC à travers la libre circulation des
biens et des personnes. Il s'agissait de comprendre pourquoi les Etats membres,
précurseurs du processus d'intégration sous-régionale en
Afrique dès 1954 avec l'union douanière équatoriale,
tardent à rendre effectives, plus de cinquante (50) ans après,
les échanges des facteurs de productions et de créations de
richesses. Aujourd'hui encore, malgré la consécration d'un
dispositif juridique et institutionnel favorable, et une volonté
politique réelle longtemps décriée, l'état de la
libre circulation des biens et des personnes suscite des interrogations. Aussi,
pour nous, il a été question d'envisager une problématique
de l'inadéquation entre la construction institutionnelle de la
liberté de circulation des biens et des personnes, en zone CEMAC et mise
en oeuvre de celle-ci.
Cette étude, à travers une analyse juridique et
structuro-fonctionnaliste, a permis de comprendre que la zone CEMAC regorge
plusieurs instruments d'opérationnalisation de la libre circulation des
biens et des personnes matérialisés par l'institution du
passeport communautaire et la signature de plusieurs accords
privilégiés. De même, un appareil institutionnel
inédit notamment à travers le FODEC et le PER, rend compte de la
volonté des Etats de la sous-région d'aboutir de manière
collective et harmonieuse à une intégration sous-régionale
construite sur des bases solides de solidarité et de partage.
Pour autant, l'état
d'opérationnalisation de la libre circulation des biens et des personnes
en zone CEMAC, qui met en évidence un bilan mitigé à
travers le faible taux d'échanges, les velléités
protectionnistes et des querelles de leadership, permet de dégager
plusieurs axes de réponses aux interrogations suscitées. Ainsi,
dans un premier temps, les difficultés inhérentes au processus de
mise en oeuvre de la liberté de circulation des biens et des personnes
sont imputables à la faisabilité politique des reformes
initiées au sein des Etats membres et de la communauté
elle-même. Concrètement, dans un contexte de corruption
généralisée, la faiblesse du réseau de transport et
des infrastructures de productions, traduit des économies
concurrentielles et un déficit de bonne gouvernance.
En deuxième lieu, la récente reconfiguration
des forces en présence, due à la polarisation de
l'économie mondiale autour des produits miniers et pétroliers
favorables aux industries extractives, caractérielles de la
majorité des pays de la sous-région, favorise l'augmentation
nette des ressources de certains Etats. Cette manne contribue à
alimenter les réticences des Etats « riches »
à ouvrir leurs frontières et crée même une certaine
« animosité » envers les autres Etats
dépourvus de ces retombées. Aussi, l'instabilité
sécuritaire de la sous-région du fait de la criminalité
transfrontalière et de l'émergence des rebellions et groupes
armés non identifiés, constituent la porte ouverte à la
justification des politiques visant à réduire la mobilité
des biens et des personnes. C'est ainsi, que l'on a assisté à la
persistance des visas dans la zone durant le processus de mise en oeuvre de la
libre circulation.
En réalité, ces pistes d'analyses qui ne sont
pas propres aux Etats de la zone CEMAC, cachent un paramètre longtemps
marginalisé. Le patrimoine commun ethnique et culturel des Etats de la
zone CEMAC, jadis érigé en facteur d'intégration, s'est
fragmenté aux prix des trajectoires politiques et
socio-économiques différenciés. Ainsi, la mobilité
des personnes et des biens s'est dégradée d'autant plus que les
traits anthropologiques caractériels des peuples de la forêt
équatoriale n'ont jamais été favorables aux
échanges économiques. Ceci, conforté par
l'émergence des préjugés ayant rendu la cohabitation
difficile des différents peuples de la CEMAC.
Toutes ces pesanteurs structurelles, conjoncturelles et
socio-anthropologiques qui entravent l'effectivité de la libre
circulation des biens et des personnes en zone CEMAC corroborent parfaitement
nos hypothèses initiales. Celles-ci rendent compte des défis que
les Etats membres doivent relever dans l'optique de l'intégration
sous-régionale et l'insertion à l'économie mondiale. Il en
résulte que la multiplication des pratiques de bonne gouvernance
à travers l'initiative des réformes probantes et le respect des
engagements pris (notamment sur la TCI) est la première étape de
ce chantier d'envergure. Ensuite, il convient d'intégrer les acteurs du
secteur privé ainsi que la société civile, qui ont une
vocation sous-régionale avérée, dans les projets
intégrateurs et notamment le premier, celui de la libre circulation des
facteurs de production. Cette démarche traduit le fait que pendant
très longtemps, les populations ont été
écartées de la dynamique communautaire au profit des
sphères politico-administratives. D'où le constat d'échec
de l'effectivité de la libre circulation. Il convient donc de replacer
les peuples de la CEMAC au coeur du processus d'intégration
sous-régionale. Aussi, dans la même logique la
réhabilitation de l'esprit communautaire s'impose comme un
impératif catégorique de façon à inciter les
peuples à vouloir se connaitre et à cohabiter. Ce la passe par le
partage des valeurs et la définition d'une identité
communautaire.
Dans cette optique, les perspectives de la libre circulation
en zone CEMAC sont vastes et dépendent entièrement de l'effort de
concertation et de mobilisation des ressources de la part des pays membres de
l'institution sous-régionale. Ainsi, l'émergence des projets
fédérateurs, matérialisés par des acquis solides,
visibles et irréversibles va contribuer à la mise en oeuvre
progressive de la libre circulation des biens et des personnes.
Bien plus, l'état de à la mise en oeuvre de la
liberté de circulation des biens et des personnes en zone CEMAC est
symptomatique des difficultés liées à la construction de
l'intégration sous-régionale en Afrique centrale. Peut être
a t- on très vite conclu que les pays membres de la CEMAC étaient
voués à cohabiter de manière harmonieuse du simple fait de
leur proximité géographique et du partage des frontières.
Quoiqu'il en soit, notre étude, telle qu'elle a été
menée, participe à une meilleure compréhension d'un
domaine relativement épargné par les développements de la
communauté scientifique. Ainsi, elle contribuera, sans doute à
alimenter les réflexions visant à décrypter les processus
d'intégration régionale en Afrique en général, et
en Afrique centrale en particulier.
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