L'intégration sous-régionale en CEMAC à l'épreuve de la liberté de circulation des biens et des personnes( Télécharger le fichier original )par Achille SOMMO PENDE Université Catholique d'Afrique Centrale - Master Gouvernance et Politiques Publiques 2010 |
Introduction GénéraleAu lendemain de leurs accessions à l'indépendance, les Etats africains se donnent pour objectif de s'inscrire résolument dans un processus de développement économique. Regroupés au sein de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), les chefs d'Etat africains décident de mettre en oeuvre une intégration régionale à travers une coopération politique, juridique et économique afin de parvenir à un développement collectif et harmonieux. De manière concrète, cet objectif ambitieux se traduit par la création des organisations sous-régionales constituées de dispositifs institutionnels et des mécanismes juridiques garantissant l'harmonisation des politiques nationales et l'élaboration des stratégies de développement communes. A ce titre, les pays de l'Afrique centrale, notamment, le Cameroun, le Congo, le Gabon, la République Centrafricaine (RCA) et le Tchad sont les précurseurs de cette nouvelle approche. Ils signent le 08 décembre 1964 le Traité instituant l'Union Douanière et Économique de l'Afrique Centrale (UDEAC)1(*). La Guinée Equatoriale, quant à elle, adhère à l'UDEAC le 1er janvier 1985, devenant ainsi le sixième et dernier pays à faire son entrée dans l'institution sous-régionale. Cependant, la difficile conjoncture économique du début des années 1990 a sonné le glas de l'UDEAC. Après trente (30) ans de collaboration, les pays de l'union n'ont pas réussi à mener à bien des politiques convergentes favorisant la complémentarité des économies. Plus encore, les Etats de l'UDEAC, marqués par des disparités économiques à l'époque, étaient préoccupés par le souci de consolider les unités nationales en construction confrontées aux velléités démocratiques. De même, l'insuffisance des moyens financiers a conduit à la quasi inexistence d'un réseau de transport transfrontalier. Autant de paramètres qui ont contribué à la chute de l'UDEAC. Née des cendres de l'UDEAC le 5 Février 19982(*), après la ratification de ses instruments par les six Etats membres, la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) est instituée par le traité du 16 Mars 1994 signée à Ndjamena par les Chefs d'Etat des Républiques du Cameroun, du Congo, de la Guinée Equatoriale, du Gabon, de la RCA et du Tchad. La nouvelle institution sous-régionale a pour objectifs fondamentaux de rendre effectives : l'harmonisation des politiques et l'élaboration d'un cadre juridico-économique favorable à la relance de l'investissement et surtout la réalisation d'un marché commun. Au regard de ces enjeux, la CEMAC est confrontée à de nombreux défis et dans ce cadre, l'effectivité de la liberté de circulation des biens et des personnes constitue un passage obligé pour une intégration réussie, c'est-à-dire facteur de développement pour les différents Etats. Seulement, plus de 15 ans après le lancement de cette nouvelle initiative, force est de constater que les objectifs initiaux sont loin d'être atteints. Au contraire, l'ombre de l'échec de l'UDEAC plane sur la CEMAC, car les résultats escomptés sont peu visibles. Aujourd'hui, plus que jamais, il convient de jeter un regard à la fois rétrospectif, en identifiant les raisons du retard accusé comparativement aux autres entités du même type comme l'Union Economique et Monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA), et perspectif en proposant quelques orientations sur la façon de surmonter les obstacles inhérents à la mise en place de la liberté de circulation des biens et des personnes en zone CEMAC. Depuis la création de la CEMAC, le 16 mars 1994, les pays de l'institution ont connu chacun des fortunes diverses. Cela s'est traduit par des périodes de relative stabilité politique et/ou de croissance économique soutenue et un environnement social acceptable. Seulement la majeure partie du temps, les pays de la CEMAC se sont confrontés à des crises politiques et socioéconomiques conduisant à des conflits importants. Ce contexte a contribué à pérenniser la pauvreté au sein d'une frange considérable de la population de façon à la rendre vulnérable. Aujourd'hui encore, des poches de tensions existent un peu partout au sein de la zone CEMAC et les indicateurs socioéconomiques ne sont pas toujours rassurants. Plusieurs paramètres, aussi bien internes qu'externes, expliquent ce contexte. De même, pris séparément, les situations se traduisent différemment au Cameroun, au Congo, au Gabon, en Guinée équatoriale, en RCA et au Tchad. Afin de mieux saisir la réalité en zone CEMAC, il convient de dissocier le contexte politique du contexte socio-économique. a. Contexte politiqueLes pays de la sous-région Afrique centrale sont réputés pour leurs climats politiques plutôt instables. Les membres de la CEMAC n'échappent pas à cette caractéristique et ce d'autant plus que la création de l'institution n'a pas véritablement modifié cette tare, à quelques rares exceptions près. De manière générale, depuis 1994, le climat politique en zone CEMAC se caractérise par des coups d'Etats ou des tentatives, des conflits internes et transfrontaliers, des mutineries à répétition, des élections sources de violences et de contestations, la situation des droits de l'homme sujette à controverses. Ce contexte ne favorise pas l'essor de la sous-région mais contribue à alimenter les craintes des investisseurs et de la communauté internationale. Ainsi globalement présentée, cette instabilité politique au sein de la zone CEMAC se manifeste diversement dans chaque pays. En ce qui concerne la situation politique au Tchad, le pays est en proie à une guerre civile persistante dans la partie nord du pays, et à une relation plus qu'hostile avec son voisin Soudanais. Ces deux sources de conflits sont la résultante d'une lutte intestine pour la conquête du pouvoir opposant principalement des entités internes3(*). La situation aurait été beaucoup plus périlleuse, fusse le soutien indéfectible de la France au régime d'Idriss DEBY, notamment en 2006, pour repousser les assauts répétés de la rébellion et les contenir au-delà de la frontière avec le Soudan. Ainsi, l'essentiel des ressources internes du pays est destinée à couvrir les frais de sécurisation du territoire, d'approvisionnement des troupes et d'entretien de la garde républicaine. La RCA elle, a amorcé en décembre 2008, un processus de paix par la tenue d'un « dialogue national inclusif » sous l'égide du Président de la République du Gabon de l'époque, Omar BONGO. Aujourd'hui, le défi majeur est l'organisation d'élections générales crédibles. Il s'agit également de reconstruire une administration en totale déliquescence depuis une décennie, minée par une insécurité galopante, des mutineries, un coup d'Etat, et de tensions politiques croissantes4(*). Ce pays est celui qui a le plus bénéficié du soutien de l'institution sous-régionale en matière de maintien de la paix par le moyen des médiations ou de la mise à disposition des troupes pour la sécurisation du territoire5(*). Le Congo a connu pratiquement la même situation à la fin des années 1990. En cause, une guerre civile en 1997 occasionnée par des élections présidentielles contestées sur fonds d'enjeux économiques notamment, l'exploitation des gisements pétroliers. Depuis lors, le pays est relativement stable et semble sortir la tête de l'eau même si la communauté internationale dénonce constamment des pratiques électorales irrégulières et des « manipulations constitutionnelles » permettant au régime de SASSOU NGUESSO de se maintenir. Au Cameroun, les risques de guerres civiles sont moindres. Néanmoins, des tensions persistent lors des consultations électorales et le pays n'est pas à l'abri d'un « dérapage à la congolaise ». D'ailleurs il est important de préciser qu'après avoir connu un « conflit » avec le Nigeria sur le différend frontalier de la presqu'île de Bakassi, le Cameroun est confronté à la menace des groupes rebelles et des milices armées qui sévissent dans le golfe de Guinée et y installent un climat d'insécurité. Quoiqu'il en soit, le pays est de manière systématique indexé par les organisations de la société civile (notamment Transparency International) pour la corruption qui gangrène l'administration. La situation politique au Gabon est l'une des plus stable de la sous-région. Depuis, 1967 le pays a été maintenu en paix par le régime de Omar BONGO ONDIMBA, et la transition démocratique houleuse des années 1990 n'a pas eu d'impact majeur sur la stabilité du pays. Aussi, depuis l'instauration de la CEMAC, le Gabon fait figure d'épouvantail en matière de paix et ne se montre pas réticent à accorder son aide auprès des autres pays de la sous-région et même du continent. Malgré tout, le pays est critiqué pour la gestion clanique du pouvoir et par la quasi instauration d'un parti unique (le Parti Démocratique Gabonais) qui empêche toute véritable transition démocratique. Ce contexte est semblable à celui de la Guinée équatoriale. Seul pays non francophone de la sous région, le pays est contrôlé d'une main de fer par le régime du président OBIANG NGUEMA et entretient des relations souvent difficiles avec ses voisins, notamment le Cameroun (concernant la question du traitement des immigrés) et le Gabon (à propos de l'île de MBAME). Ce contexte politique des différents membres de la CEMAC a un impact considérable sur le développement économique de ces pays et de l'institution. * 1 Par la suite, les 22 et 23 novembre 1972, ces États paraphent deux conventions de coopération monétaire, l'une entre eux, l'autre avec la France. A travers la première convention, ces Etats se dotent d'une monnaie commune : le FCFA (franc de la coopération financière en Afrique) à ne pas confondre avec le Franc des Colonies Françaises en Afrique, vestige de la colonisation. La seconde convention à pour effet d'attribuer au FCFA une parité fixe par rapport au Franc Français, lui confiant ainsi une valeur internationale. * 2 Les Chefs d'État et de gouvernement des pays membres, ont lancé officiellement les activités de la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale le 25 juin 1999, avec la nomination des responsables des divers organes créés et l'adoption d'un plan d'action dit « Déclaration de Malabo ». * 3 Il s'agit de plusieurs mouvements de rebellions [le Front Uni pour le Changement (FUC), le Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad (MDJT)] et les milices ZAGHAWAS réputés proches du pouvoir. * 4 Le pays a connu plusieurs coups d'Etats ou tentatives : mai 2001 par le général KOLINGBA, octobre 2002 et le 15 mars 2003 par François BOZIZE. L'élection de ce dernier à la présidence de la république en mai 2005 avec 64.6% des voies a été source de conflits et a contribué à l'émergence de mouvements de rebelles. Source : « BOZIZE, François » Microsoft Encarta 2009. Microsoft Corporation, 2008 * 5 La Force Multinationale d'Afrique Centrale (FOMAC) s`est installée en fin juin 2008 avec pour mandat de désarmer, démobiliser et réinsérer les forces rebelles. |
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