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Syndrome de la guerre : lorsque le psychisme ne cesse de rappeler

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par Shqipe BUJUPI
Institut libre Marie Haps - Assistante en psychologie 2005
  

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b. Comment peut-on avoir mal à la mémoire ?

«  ...le mal qui a été fait à quelqu'un, continue à faire mal »36(*). C'est ainsi que s'exprime le blessé : « ma vie est devenue un cauchemar sans fin »37(*). Voilà ce qui se passe lorsque la mémoire remonte à la surface. C'est une mémoire qui souffre. Le sujet est envahi par le passé, il continu à se débattre avec ces démons car, comme le dit B. Cyrulnik38(*), son monde intime est déchiré et ne parvient pas à inscrire cette déchirure qu'il a subie dans son histoire. Elle vit en lui en permanence et lui revient sans cesse sous forme de flashs ou de cauchemars.

Cette reviviscence semble être l'un des aspects les plus caractéristiques et fréquents du syndrome psychotraumatique : « être muré dans un univers de cauchemars sans fin ». Depuis Freud, les analystes n'ont pas cessé de s'occuper de ce phénomène et comprendre pourquoi il se répète sans cesse chez le sujet. Pourquoi il est envahi par ces reviviscences malgré ses efforts pour les chasser. Quel en est le but ? Quels mécanismes psychiques sont en jeu ?

Nous allons voir ce que Freud pense à ce sujet. Après la Première Guerre mondiale Freud remarque que les névroses de guerre ou des névroses traumatiques restent fixées sur leur vécu traumatisant qui se traduit par des actes, retour incessant des images du trauma chez les accidentés, dans les cauchemars, etc. alors que l'appareil psychique vise toujours à obtenir satisfaction. Freud se fixe sur le rêve. Il s'interroge comment le rêve est soumis à la compulsion de répétition (représentant sans cesse des situations désagréables). Ainsi, il contrevient au principe du plaisir du rêve alors que le rêve sert la réalisation d'un désir (suivi par des thèmes agréables). Comment comprendre que la fonction du rêve ait été détournée de son but  et se mette sur la voie d'un « au-delà du principe du plaisir39(*) » ? Freud le met en relation avec un autre phénomène qui, lui non plus, n'obéit pas à la domination du principe de plaisir : le jeu de l'enfant (de son petit fils) à la bobine. L'enfant jette hors de sa vue (sous un meuble) un jouet attaché à un fil et crie un `oooh' (for- loin) pour la disparition de la bobine, puis il la ramène à lui en tirant sur la ficelle et pousse un `da' (voilà) pour son retour.

Freud fit l'hypothèse que cette répétition de l'enfant est signifiante, basée sur le jeu d'opposition d'un couple de signifiant : fort/da. L'enfant s'habitue à l'absence de sa mère en reproduisant ludiquement et de façon répétitive l'événement douloureux de son départ. Ainsi l'enfant atténue sa douleur de l'absence de sa mère par cette « sorte d'abréaction », et substitue un rôle actif à la situation de devoir subir passivement une expérience désagréable.

Lorsque le sujet ne peut pas intégrer un événement dans le cours de ses représentations ni l'abstraire du champ de sa conscience en le refoulant, alors cet événement a valeur de traumatisme. Ce trauma exige d'être réduit, d'être symbolisé.

Les rêves ont cette fonction. À travers la « compulsion de répétition » le rêve n'a pas la fonction de réaliser un désir mais de faire émerger un état d'angoisse qui prépare le sujet au danger. En quelque sorte, il tente de rétablir une réaction adaptative qui a été manquée, par effet de surprise. C'est une tentative de guérison spontanée. Par ce mécanisme de défense, le traumatisé tente de maîtriser l'événement en l'intégrant dans l'organisation symbolique.

Freud met en rapport la surprise de la survenue d'une névrose traumatique et le rôle protecteur de l'angoisse : « Il y a dans l'angoisse quelque chose qui protège contre la frayeur et contre la névrose qu'elle provoque ». (Freud, 1920, p. 50).

Houballah fait une remarque à cette explication en disant que si le sujet tente de rétablir cette angoisse : « cela signifie qu'il serait en quelque sorte condamné à vivre désormais avec son angoisse comme substitut de l'événement traumatique »40(*)

Mais généralement, dit Freud41(*), cette fonction de répétition est vaine car elle n'arrive pas à remplir sa mission ainsi ce caractère d'automatisme finit par se perpétuer à l'infini. Ceci ramène Freud dans un autre registre, celui du trauma originaire et à la reconnaissance de l'existence d'un dualisme de pulsions : la pulsion de vie et la pulsion de mort. Pour Freud, la pulsion de vie est une force qui tend le sujet vers la vie et l'évolution tandis que la pulsion de mort conduit le sujet vers la destruction, vers l'inanimé d'où il vient.

Tous les symptômes de répétition traduisent la suspension de l'évolution de la vie, son arrêt sur un point final. On les repère à travers de l'agressivité, de la violence, de l'inhibition, des troubles du sommeil et psychosomatiques, de tendances autodestructrices, de désinvestissement des loisirs et des occupations, de l'incapacité à aimer les autres, de repli sur soi, etc.42(*)

Sur le plan pathogénique, la pulsion de mort semble sous-tendre et inspirer tous les mécanismes qui installent et entretiennent la névrose traumatique. Dans le cas de traumatisme, Houbballah43(*) a remarqué un effet paradoxal à la mort. Le sujet traumatisé, d'un côté est touché par une crainte qui le traduit par des attitudes d'évitement et des phobies et de l'autre côté, il est attiré par des comportements autodestructeurs.

Pour ceux qui penchent vers la théorie lacanienne44(*), les répétitions ont lieu quand le sujet est confronté à un événement involontaire, dépourvu de sens.

Houballah dit que la rencontre du sujet avec le Réel créant un trou dans le signifiant, effraction dans l'imaginaire, engendre une déchirure dans le moi. « La répétition fonctionne dans ce cas comme tentative irréalisable, soit pour reprendre cette rencontre autrement, c'est-à-dire lui trouver la chaîne intermédiaire, soit tout simplement pour nier cette rencontre en créant des situations d'alibi, ou de constructions imaginaires afin de la rendre caduque »45(*). Faute d'une certaine élaboration, le sujet échoue par cette voie et rentre dans le cycle répétitif d'un deuil impossible.

Pour conclure, nous trouvons plusieurs facteurs qui ont été élaborés autour de la compulsion de répétition : une tentative d'abréaction, une tentative de maîtrise de l'événement, une tentative de retour à l'inanimé donc de destruction, une tentative de réparation, une tentative de déni, en fin une tentative de symbolisation. Si cette compulsion de répétition est régie par la pulsion de mort, ça ne peut pas être une tentative d'intégrer l'événement car la pulsion de mort n'a pas une fonction de liaison c'est-à-dire réparatrice. Pour beaucoup d'auteurs, la répétition dans le traumatisme reste toujours un point discutable et non clairement défini.

* 36Ficher, G-N. (2003). Les blessures psychiques. Paris : Odile Jacob. Page 33

* 37 Ibidem. Page 38

* 38 Cyrulnik, B. Le pape de la résilience. Esprit libre. www.ulb.ac.be/espritlibre/html/el062005/41.html

* 39 Le titre de l'essai « Au-delà du principe de plaisir » provient de cette inspiration.

* 40 Houbballah, A. (1998). Destin du traumatisme. Paris : Hachette.

* 41 Grand dictionnaire de la psychologie. (2000). Larousse.

* 42 Crocq, L. (1999). Traumatismes psychiques de guerre. Paris : Odile Jacob. Page 258

* 43 Houbballah, A. (1998). Destin du traumatisme. Paris : Hachette Littérature.

* 44 Nasio, J.- D. (1994). Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan. Paris : Payot. Page 22-23.

* 45 Houbballah, A. (1998). Destin du traumatisme. Paris : Hachette. Littérature. Page 136.

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