Introduction
I. Vue d'ensemble du sujet
Contexte du sujet
Le Rwanda a connu, dès avril 1994, une tragédie
humaine qui aura fait des milliers de morts en quelques mois seulement. A
l'origine, la catégorisation d'une société par des
anthropologues du colon Belge1(*) a créé un mythe sur l'origine divine des
tutsi, descendants prétendus de la dynastie des Nyiginyas2(*). Le corollaire de cette
instrumentalisation pathologique du différentiel ethnique aura
été l'inféodation des hutu ; ce qui provoqua de
premières représailles tutsi en 1959, en 1963, en 1964, et en
19733(*). Comme le souligne
Bertrand Jordane, « la colonisation Belge a renforcé la
radicalité des positions et des clivages, rendant ces mémoires de
plus en plus hermétiques et incompatibles »4(*). Il poursuit en disant :
« L'histoire falsifiée, figée,
récupérée, que ce soit celle des origines de la
structuration étatique du Rwanda ou celle des évolutions
politiques depuis les années soixante, a donc fait le lit d'un
extrémisme identitaire fondé sur la reconnaissance, dans chacune
des communautés, d'un passé ethnique
particulier. »5(*). Les tutsi, minoritaires (4%) par rapport aux hutu
(95%), vont fuir en exil d'où ils développeront une haine
viscérale à l'endroit des hutu restés au pays. Dès
1993, la classe politique au pouvoir à Kigali fait de plus en plus face
aux rebelles tutsi en exil. Les accords d'Arusha du 04 Août 1993 sont
sensés réunir les frères ennemis, notamment par la mise
sur pied d'un Comité pour la réconciliation nationale. Le 10
avril 1994, l'avion du Président Habyarimana (un hutu) est
abattu6(*). Un mois plus
tard, la France lance l'opération Turquoise, pendant que la
communauté internationale, médusée, assiste impuissante au
carnage tutsi. Dans un premier temps, l'ONU qualifie la situation de
« meurtre des membres d'un groupe ethnique avec l'intention de
détruire ce groupe en tout ou partie »7(*). Elle se refuse à
employer le terme de génocide, même si l'on retrouve les
éléments de définition de ce crime8(*) dans l'énoncé
précédent. Toutefois, à la mi-mai 1994, l'ONU commence
à parler d'actes de génocide9(*). Malheureusement, malgré les avertissements de
Roméo Dallaire alors Commandant de la MINUAR10(*), la situation était
d'ores et déjà irréversible. Il fallait désormais
penser les modalités de réconciliation.
En Afrique du Sud, le système apartheid -dit de
développement séparé des races- débute en 1948. La
société est alors `'racialisée''.On distingue quatre
races : les noirs, les blancs, les métis et les indiens. Ce
système est basé sur la dénégation des droits
fondamentaux (politiques et sociaux) de la personne humaine aux noirs, et des
abus de toute nature, en l'occurrence : la liberté de
réunion, l'accès à l'éducation, aux soins de
santé, les déménagements forcés, la
répression de la contestation, etc. Entre 1960 et 1992, 200000 Sud
africains sont arrêtés. Des massacres de grande ampleur sont
perpétrés, comme en témoigne celui de Sharpville, dans
lequel 59 noirs sont assassinés en 1960. Pour accompagner ce
système inédit, une législation est adoptée par la
minorité blanche au pouvoir. Elle ira de l'interdiction des mariages
entre blancs et noirs, aux questions foncières, à
l'éducation, aux transports et emplois publics, à la division
administrative de l'Etat. Pour revendiquer leurs droits, des leaders noirs
fondent un parti politique, le Congrès National Africain, dont des
leaders seront jetés plusieurs fois en prison suite à des
manifestations interdites. Nelson Mandela en est une parfaite illustration.
Après 27 années passées en prison, il est
libéré en 1990. Une nouvelle ère s'ouvre en Afrique du
Sud, par des négociations entre le Parti National de
Frédéric de Klerk et le Congrès National Africain de
Mandela. Celles-ci aboutissent à un accord sur une nouvelle constitution
en 1993, dite Constitution de transition. Cette dernière rejette
officiellement le système d'apartheid, affirme l'égalité
formelle et substantielle entre tous les citoyens et proclame l'unité
nationale et la réconciliation. Les premières élections
post apartheid ont lieu. Nelson Mandela devient Président Sud africain,
suite à la victoire de son Parti, par 61% de suffrages exprimés.
Au-delà de la volonté officielle de réconcilier les Sud
africains, il faudra compter sur des actes forts, sur le pardon et la
justice ; deux concepts qui méritent d'être
présentés de manière opérationnelle.
Eléments généraux sur le sujet
La justice et le pardon sont dès lors deux
modalités a priori opposées qui peuvent structurer les processus
de sortie de crise dans nombre d'Etats. L'actualité de la question peut
s'évaluer par un certain nombre d'indicateurs-témoins des
événements marquants des relations internationales africaines. Il
s'agit notamment du mandat d'arrêt lancé contre le
Président Soudanais Omar el Béchir le 04 mars 2009, survenu
quelques temps après l'arrestation de Rose Kabuye en Allemagne pour
complicité de génocide, le 09 novembre 2008. L'inculpation de
Jean Pierre Bemba11(*) et
de Charles Taylor12(*)
ainsi que le mandat d'arrêt lancé contre Hissène
Habré13(*)
témoignent de la présence de la justice internationale en
Afrique. En même temps, la justice transitionnelle mise en oeuvre sous
différentes formes au Rwanda, en Afrique du Sud, en République
Centrafricaine ; illustre l'institutionnalisation du pardon en
période post conflit.
Au vrai, le pardon apparaît comme une valeur, un
principe moral, dont on ne perçoit pas dès l'abord la
politisation. Une réflexion liminaire consiste donc à examiner la
validité de celui-ci en tant que construit des acteurs dans un champ
politique. Des questions de fonds pourront nous interpeller tout au long de
notre analyse, notamment l'étendue du pardon, son opportunité, sa
portée, son (ses) domaine (s), le lien entre pardon et mémoire
dans les systèmes politiques africains, ses limites. Ces
préoccupations sont néanmoins d'une vastitude qu'un tel
projet-modeste en soi- ne saurait prétendre épuiser.
Quant à la justice, elle semble connoter une culture de
responsabilité nationale et internationale, ciblée sur les
individus, et forgée dès le Tribunal de Nuremberg (pour la
responsabilité internationale) chargé de réprimer les
criminels nazis. La justice se décline ici aux échelles nationale
et internationale. Ces deux niveaux d'observation posent tous la question du
lien entre la justice et le pardon. La valeur curative de cette justice pourra
être évaluée à l'épreuve de la
réconciliation en Afrique du Sud et au Rwanda, ainsi que l'orientation
pédagogique des justices transitionnelles face aux justices ordinaires.
Mais au préalable, la clarification des concepts majeurs du
présent objet se révèle nécessaire.
Définition des concepts et objet de
l'étude
Le pardon
Le pardon en politique « est un acte qui fait
conjointement appel à la vérité morale, au refus de
vengeance, à l'empathie et à la volonté de réparer
des relations brisées »14(*). L'avantage de cette approche est de nous indiquer
les éléments du pardon, à savoir :
- la vérité morale ;
- le refus de vengeance ;
- l'empathie ;
- le désir de réconciliation.
Toutefois, elle peut être complétée par
la définition de Bole, Christiansen, et Hennemeyer :
« Le pardon présuppose toujours de la part de la victime
un jugement établissant qu'un tort moral lui a été
objectivement infligé librement et en toute connaissance de cause,
à elle-même ou à sa communauté, par un acteur
responsable....le pardon implique un jugement moral quant à la
réalité d'une transgression.»15(*). Cette dernière
formulation nous informe non seulement sur les acteurs du pardon, mais
également sur le caractère conscient de la douleur
infligée. Une autre élaboration de ces auteurs consiste à
nous dire ce que, précisément, le pardon n'est pas :
« Le pardon n'est pas seulement un acte de piété
personnel... le pardon n'est pas la négation de la responsabilité
humaine... »16(*). Cette précision est indicative de ce qu'il
y a éventuellement un pardon individuel et un pardon collectif, et que
la finalité de cette action n'est pas l'impunité, mais simplement
l'invite à un refus des représailles. Comme le dit d'ailleurs
Baker, « le pardon n'est pas l'oubli ; c'est plutôt
une certaine manière de se souvenir, c'est se souvenir sans
amertume »17(*). D'où ces éléments du
contre-pardon identifiés par Shriver : la vengeance, la distorsion
de la mémoire, la victimisation, l'effondrement des
institutions18(*). Dans
les deux approches du concept (à partir de ce qu'est et ce que n'est pas
le pardon), la sentimentalité est un trait marquant. Ceci traduit une
certaine intimité du pardon dont l'entreprise de publicisation est loin
d'être lisse.
En résumé donc, il y a une dimension
éthique, politique et symbolique dans l'acte de pardonner. La rencontre
entre morale, droit et politique va s'opérer au travers d'une mise en
scène, d'une mise en spectacle des acteurs. Le pardon est-il
opposé à la justice ?
La justice
La justice désigne ce qui est juste. Rendre la justice
consiste essentiellement à dire ce qui est juste dans l'espèce
concrète soumise au tribunal19(*). Pour l'économiste et internationaliste
Mokhtar Lakehal, la justice renvoie au respect des règles écrites
ou coutumières, qui reconnaissent les intérêts
légitimes et les droits d'un individu, d'un groupe, ou de tout un
peuple20(*). Elle est
aussi « l'idéal de responsabilité et
d'équité en ce qui concerne la protection et la revendication des
droits et la prévention et la punition des violations... C'est un
concept enraciné dans toutes les cultures et les traditions
nationales... »21(*).
La justice sera perçue, ici, comme la sanction d'une
violation d'une part et comme l'une des conditions de la sociabilité
post conflit d'autre part. Cette affirmation de Jean Paul II semble corroborer
cette vision : « Il n' y a pas de paix sans justice. Il n'y
a pas de justice sans pardon. »22(*). Manifestement, pardon et justice font sens dans les
sociétés ayant connu un conflit.
Le conflit
Ce terme traduit une situation d'opposition, sous des formes
très diverses, des individus ou des groupes dont les
intérêts sont divergents23(*). Pour Mokhtar Lakehal, le conflit est un
désaccord verbal, le déclenchement d'une guerre
meurtrière. Il est le fait des Hommes. Cette définition, bien
qu'édifiante, introduit néanmoins un flou. L'assimilation par
l'auteur du concept de conflit à celui de « guerre
meurtrière » est particulièrement osée. En
effet, loin d'être une guerre, le conflit s'en distingue par
l'intensité de la violence plus marquée dans le cas de cette
dernière.
Les sociétés civilisées ont des moyens
de le prévenir. Mais il est inévitable par la nature de ces
sociétés. Il a plusieurs formes : conflit à somme
négative (la fin n'emporte aucun gain net aux deux protagonistes mais au
contraire des pertes), conflit à somme nulle (ni gain ni perte), conflit
à somme positive (gain des deux parties)24(*). L'auteur a le mérite
de nous indiquer que le conflit est une coproduction humaine et sociale.
Celui-ci peut éventuellement faire l'objet d'anticipation et
possède des rationalités liées aux rapports de force entre
ses acteurs.
Selon le Philosophe, économiste et historien italien
Pietro Verri, le conflit rend compte des affrontements qui peuvent se produire
entre deux ou plusieurs Etats, entre un Etat et un acteur non étatique,
entre un Etat et une faction dissidente, entre deux ethnies diverses à
l'intérieur d'une entité étatique25(*). Le but ici est d'insister sur
la typologie des conflits. Dans cette étude, nous aurons à faire
avec deux conflits politiques à relents ethnico racial. Qu'en est-il du
concept institution ?
Institution
Ce terme polysémique est employé à la
fois par les juristes, les économistes et les sociologues. Il
désigne l'ensemble des règles qui organisent la
société ou certaines de ses instances. Une institution assure une
triple fonction : le contrôle, la régulation, et la
socialisation26(*).
D'après Mokhtar Lakehal, le mot voudrait dire : « Ce
qui a été établi par la loi ou la coutume d'un pays, et
appelé à durer. Il existe des institutions politiques (parlement,
Sénat, Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat) et des institutions
sociales (famille, école, association du quartier). Une institution peut
être un établissement ayant une existence officielle avec un
rôle identifié par tous (exemples: banque, assurance,
armée). Toute institution participe directement ou indirectement
à la construction de la nation. » L'auteur poursuit en
nous présentant ce que peut faire une institution, malgré sa
nature ambivalente:
« Elle est parfois conduite à
édicter des règles, établir des lois, instaurer des
interdits, proposer des normes, contrôler des activités, orienter
la vie publique ou collective, inculquer des valeurs, imposer des obligations
(école obligatoire, service militaire obligatoire, acquittement
obligatoire des impôts, etc.). Une institution peut être
privée ou publique, peu importe, car sa raison d'être est de durer
dans sa participation à la construction de la
nation.»27(*).
L'institution prend place dans un système d'action précis.
5. Acteurs
Par ce terme, il faut entendre des personnes vivant dans un
environnement donné (système) tout en l'influençant ou en
étant influencée par ce dernier.
Selon Crozier et Friedberg, par les acteurs,
« les problèmes sont redéfinis et les champs
d'interaction aménagés ou
« organisés » de telle façon que dans la
poursuite de leurs intérêts spécifiques, (ils) ne mettent
pas en danger les résultats de l'entreprise
collective. »28(*). Ceci ne revient pas à nier
l'inventivité de ces individus. Crozier et son collègue diront
d'ailleurs : « Les acteurs utilisent la marge de
liberté de façon si extensive qu'il n'est pas possible de
considérer leurs arrangements particuliers comme de simples exceptions
au modèle rationnel »29(*). Les acteurs ne sont pas totalement libres, le
système officiel les influence de manière à ce qu'il
« n'ont qu'une liberté restreinte et ne sont capables
corrélativement que d'une rationalité
limitée. ». Ils ont des objectifs, bien que ceux-ci ne
soient pas toujours clairs et cohérents30(*).
L'objet du sujet31(*) est donc : le pardon et la justice en
tant que variantes des processus de sortie de crise et de consolidation de la
paix, à l'aune de deux situations africaines. Une telle
perspective a été rarement mise en évidence de la sorte.
Sans doute la nature visqueuse de ces variables et leur relative
insaisissabilité sans une incursion dans d'autres paradigmes d'analyse,
hormis ceux des politistes, déconcertent les observateurs froids.
Cette étude se situe autour de deux niveaux d'analyse :
celui des acteurs et celui des institutions. Il s'agira pour nous de
rendre intelligible le discours sur le pardon et la justice en montrant que les
acteurs et les institutions ont une configuration spécifique et
opèrent en valorisant leurs ressources respectives. Analyser ce
processus en lui-même participe déjà de
l'intérêt du sujet.
L'intérêt du sujet
Une double utilité peut se dégager du
présent projet d'étude.
II.1. Intérêt social
La réconciliation apparait à bien des
égards comme un mythe de Sisyphe dans une société
déchirée par la violence politique. Pour y parvenir, recours peut
être fait à la justice, au pardon, ou aux deux à la fois.
Comprendre les logiques de fabrication de ces processus par les acteurs en
action, ainsi que les structures qui les portent peuvent permettre
d'améliorer leur efficacité dans d'autres situations peu ou prou
similaires. C'est ainsi que justice et pardon contribuent à leur
manière à la sociabilité commune, et tentent de consolider
la paix.
II.2. Intérêt
scientifique
Cette recherche se situe davantage dans une démarche
de cumulativité du savoir plutôt qu'une volonté de rupture
paradigmatique et théorique. En ce sens, nous souhaitons contribuer
à l'enracinement des théories retenues dans des objets
appliqués aux terrains africains. La plus value heuristique peut
néanmoins résulter de la relecture de certains postulats de ces
théories quant à l'explication des forces profondes des
phénomènes étudiés et des approches choisies. En
outre, notre projet pourrait aboutir -ou non- à
l'émergence d'une catégorie nouvelle de règlement
des conflits africains, catégorie que les chercheurs, plus aguerris que
nous, pourraient explorer et conceptualiser, en termes de
« justice-pardon » et de
« pardon-justice ». Aussi, la formation du concept
`'crime contre la société'' dont nous appelons
l'avènement est-elle l'une des trouvailles du présent texte.
Délimitation du sujet
Il est important de cadrer cette réflexion afin
d'éviter d'aller dans tous les sens. Pour ce faire, trois dimensions
méritent un balisage : l'espace, le temps et le sujet en
lui-même.
III.1. Délimitation dans l'espace
La problématique du pardon et de la justice peut se
poser dans toute l'Afrique parsemée de conflits. Vaste est donc
l'étendue géographique dans laquelle on peut l'objectiver. Mais,
dans ce cadre, nous allons expérimenter nos hypothèses dans deux
Etats africains. L'Afrique du Sud relève de la partie australe du
continent pendant que le Rwanda appartient à l'Afrique centrale (CEEAC)
et des Grands lacs. Nous n'avons pas la prétention de soutenir que ces
deux pays, à eux seuls, peuvent traduire la richesse et la
diversité du pardon et de la justice post conflits en Afrique. Nous
avons, a contrario, la conviction que les pays choisis pourront nous
permettre de dégager les tendances lourdes de ces modalités de
réconciliation dans le continent. Les ruptures,
spécificités et autres variantes des situations que l'on pourrait
observer ailleurs, n'invalident pas une construction consciemment relative de
la montée en généralité, à partir notamment
de deux cas majeurs.
III. 2. Délimitation dans le
temps
La borne supérieure choisie est 1994.
Au Rwanda, le génocide débute en 1994, suite
à l'attentat contre l'avion du Président Habyarimana le 10 avril.
En juillet, le FPR prend le pouvoir. C'est aussi au cours de cette année
que la résolution S/ 955 (1994) du 08 novembre créé le
TPIR.
En Afrique du Sud, cette date traduit les lendemains de la
création de la Commission vérité et réconciliation.
Il s'est agi en outre de l'élection de Mandela comme premier
Président noir.
La borne inférieure est 2004.
Ce choix s'explique par le fait que nous voulions
évaluer les efforts de réconciliation nationale dans les deux
pays, par la justice et le pardon. Pour avoir matière à
évaluer, il a semblé pertinent de retenir dix années.
Aussi, faut-il souligner que le dernier rapport de la CVR en Afrique du Sud est
rendu une année avant cette date.
Au Rwanda, le bilan de la justice transitionnelle, sous la
forme des « gacacas », est possible quatre années
après sa mise en oeuvre, tout comme l'est celui du travail
effectué par la justice classique au lendemain du génocide.
Compte tenu des exigences liées à l'épaisseur des
développements attendus, nous ne ferons volontairement pas cas de
certains aspects sous-jacents à l'espace temporel saisi par l'objet du
sujet.
Toutefois, cette borne inférieure ne saurait être
figée. C'est pourquoi, se basant sur le caractère long du
processus de réconciliation, nous nous ferons le devoir
d'intégrer certains faits majeurs dont la survenance est
postérieure à 2004.
III.3. Délimitation dans le sujet
Tout travail de recherche est nécessairement
l'exploration partielle d'un objet. Bien que notre jeunesse dans l'analyse nous
prédispose à vouloir tout embrasser à la fois, sans un
sens de la mesure et d'auto censure véritable, nous avons l'intention
d'opérer un mouvement réflexif. En ce sens, les analyses
fécondes de philosophie politique ne seront pas poussées. Il en
va de même de l'éclairage de la psycho pathologie, qui eût
été structurant dans la compréhension de la consolidation
de la mémoire victimaire. Toutes les formes de justice transitionnelles
en Afrique ne sont pas explorées. Il en est le cas des
« bushigantahé » du Burundi, des tribunaux
populaires excepté ceux du Rwanda, les Conférences nationales
souveraines, et les instances délibératoires mises en place par
les gouvernements de transition. Quant à la collecte des
données32(*), elle
est nécessairement limitée dans la mesure où nous aurions
pu enrichir notre matériau avec des interviews des acteurs du pardon et
de la justice opérant sur les terrains d'observation ; ceci
grâce à un voyage d'étude dans les deux pays.
Revue de la littérature
Il n'est pas évident, pour un néophyte de la
galaxie scientifique, de faire amende pertinente à la pensée des
colonnes dont les écrits emportent admiration. Toutefois, nous osons
faire, ici, le pari de l'audace. Avant de dire en quoi nous nous
démarquerons des quelques travaux sélectionnés, il sera
loisible, dans un premier temps, de dévoiler leurs contenus. Il convient
de préciser d'entrée de jeu que la recherche africaniste n'a pas
beaucoup planché sur notre objet en termes d'ouvrages. A la
vérité, il n'est surtout question des articles scientifiques qui
n'abordent pas le pardon et la justice de manière simultanée.
1. Le juriste Antoine Garapon dresse un plaidoyer favorable
pour la justice internationale. Son ouvrage propose de remonter le temps pour
voir émerger, progressivement, l'idée d'une justice
internationale. De Nuremberg à Tokyo, l'idée de fonds est que la
conscience universelle doit lutter contre la culture de l'impunité.
L'auteur relève l'épisode de la levée de l'immunité
du Général Augusto Pinochet par les Lords britanniques, à
la demande du royaume d'Espagne. Aussi un fait inédit survient-il avec
l'arrestation, en plein exercice de son mandat, de Slobodan Milosevitch
jugé par le TPIY. A. Garapon pose la question de savoir si la CPI
contribue à la construction de la paix, et si les procès
guérissent les victimes. Pour y répondre, il opte pour une
approche précautionneuse. En effet, pour l'auteur, ni la punition ni le
pardon ne règlent le problème. Ce postulat rencontre notre point
de vue, à la différence néanmoins que, lorsque Garapon
avance que c'est la justice internationale qui doit jouer le rôle de
réécriture de l'histoire des peuples, nous nous inscrivons en
faux contre cette internationalisation de la mémoire nationale. Ce
substitut au rôle des institutions et acteurs nationaux est
réhabilité dans notre approche qui, elle, tente de rendre compte
des entreprises du dedans en même temps que celles du dehors. Notre
projet va donc au-delà de l'analyse ci- dessus.
2. La mémoire, l'histoire, l'oubli. C'est la
trilogie qui a suscité la réflexion ricoeurienne. Même si
l'auteur, sans doute par modestie caractéristique des chercheurs
mûrs, prévient que son livre est disparate et ardu. L'ouvrage est
en réalité une somme philosophique. Il tente une analyse de ce
qui lie l'homme au passé. Pour le philosophe Ricoeur, c'est
« une énigme d'une représentation présente
du passé présent ». La mémoire collective,
individuelle, et historique est tour à tour scrutée dans une
analyse méthodique de philosophie politique. Entre autres points
cruciaux développés : l'introduction à une
phénoménologie de la mémoire, le travail de deuil dans la
mémoire collective, l'oubli, l'histoire. Ce livre comprend des
synthèses de lecture après chaque grand thème. Ricoeur
confronte avec succès les principales idées des philosophes sur
la mémoire (Bergson, Aristote, Platon, Saint Augustin, Nietzsche,
Husserl). Il s'insurge contre les abus dans son usage. A ce titre, il est
édifiant de rapporter ses propos que voici :
« L'injonction à se souvenir risque d'être entendue
comme une invitation adressée à la mémoire à
court-circuiter le travail de l'histoire. Je suis pour ma part d'autant plus
attentif à ce péril que mon livre est un plaidoyer pour la
mémoire comme matrice de l'histoire, dans la mesure où elle reste
la gardienne de la problématique du rapport représentatif du
présent au passé.. » Plus loin il
écrit : « La tentation est alors grande de
transformer ce plaidoyer en une revendication de la mémoire contre
l'histoire. Autant je résisterai le moment venu à la
prétention inverse de réduire la mémoire à un
simple objet d'histoire parmi ses " nouveaux objets ", autant je
refuserai de me laisser enrôler par le plaidoyer inverse (...) Il se
pourrait même que le devoir de mémoire constitue à la fois
le comble du bon usage et celui de l'abus dans l'exercice de la
mémoire »33(*). Sur la question de l'histoire, Paul Ricoeur
s'intéresse aux excès dans son évocation. Il essaye de
situer le lien entre l'histoire et le temps. L'oubli et le pardon ne riment
pas, selon lui, avec les crimes contre l'humanité,
considérés comme « impardonnables de fait».
Dans notre travail, la problématique du pardon et de la
justice soulève dans le même temps celle de la mémoire des
victimes. En effet, il appert qu'un pardon non sincère et une justice
injuste ou insuffisante ne parviennent pas à gommer les cicatrices de
l'histoire, à l'oubli. C'est à ce titre que ce livre nous servira
de support théorique, même si notre analyse ne s'en limitera pas
pour aller un peu plus loin dans l'exploration empirique. Aussi la maigreur des
développements sur l'Afrique nous motive-t-elle à
réhabiliter ce terrain dans la pensée scientifique liée
à cette thématique.
3. Trois auteurs ont fourni l'une des monographies les plus
larges sur la question du pardon à l'échelle globale. Dans leur
livre intitulé Le pardon en politique internationale. Un autre
chemin vers la paix, Bole, Christiansen et Hennemeyer scrutent la
problématique générale du pardon dans la politique
internationale dans une approche éthique. Le pardon y est vu comme un
instrument au service de la résolution des conflits, un outil
opérationnel pour la paix. En 194 pages, ils abordent 8 principaux
points. C'est le cas, en premier lieu, des forces de l'intolérance. La
vengeance, les souvenirs dangereux et la victimisation sont quelques rubriques
qui font l'objet de développements subséquents. La
deuxième articulation se fixe pour leitmotiv de répondre à
la question du pourquoi du pardon. En guise de réponse, il est
énoncé que le pardon vise à construire l'avenir, à
créer une nouvelle dynamique, à cicatriser les blessures et
à forger la réconciliation. Le pardon en politique, les actes et
les acteurs, la vérité collective et la guérison
individuelle, les communautés religieuses, l'intervention des acteurs
religieux, et le lien entre religion, culture et pardon sont successivement
analysés avec minutie. Des références bibliographiques
sont rappelées à la fin de chaque thème de manière
à synthétiser les différents écrits ayant
constitué le support analytique des postulats avancés. C'est
l'une des références les plus déterminantes dans notre
inspiration, en ceci que même si les auteurs s'intéressent au
pardon en politique internationale, ce dernier peut tout aussi se
décliner en politique interne avec les mêmes schémas. Notre
ambition est, à partir du champ d'analyse des auteurs,
d'opérationnaliser certains énoncés du pardon dans une
vision macro, telle que vue par Bole et ses collègues, dans un cadre
micro. D'autre part, nous irons au-delà des aspects du livre non
conformes avec les réalités des sociétés politiques
internes, dans l'optique d'en montrer les limites eu égard à
notre travail.
4. Comment sortir de cette revue sélective de la
littérature sans parler du livre de la chercheuse du CNRS Sandrine
Lefranc ? Les politiques du pardon, c'est le titre
évocateur que son auteur donne à cette réflexion. Sandrine
Lefranc s'interroge sur la manière dont on peut réduire la
violence d'Etat par le pardon politique. En analysant particulièrement
les cas de l'Amérique latine et de l'Afrique du Sud, elle montre que,
même si le pardon politique n'est pas possible dans l'absolue, il devient
une catégorie dominante du discours sur la justice. Dans une
écriture accessible et au style simple, elle pense que les victimes et
les politiques de justice doivent conjuguer leurs efforts pour la
réconciliation. Pour notre part, il est utile de s'approprier les
éclairages de Sandrine Lefranc sur la notion de pardon politique, la
problématique de la mémoire, ainsi que les analyses qu'elle fait
sur l'Afrique du Sud. Contrairement à elle, nous récusons la
vision fataliste de l'irrémédiabilité du non pardon
politique. Fidèle à une option qui priorise la construction
sociale, ce projet vise à montrer que le pardon politique est au
contraire possible lorsqu'il est construit. Nos centres d'intérêts
vont au-delà de la violence par le haut que Lefranc étudie, et
sont donc par conséquent élargis à la violence par le bas.
Les développements que cet auteur fait sur les politiques de justice
sont plus axés sur la perspective interne, or nous nous
intéressons par ailleurs à la justice internationale
exercée au plan interne à travers le TPIR.
5. Le philosophe américain Michael Walzer propose un
Traité sur la tolérance. Il reconnait d'entrée de
jeu que c'est un principe que des groupes humains peuvent pratiquer pour vivre
en paix. Le philosophe politique affirme que la tolérance rend possible
l'existence des différences. Le livre repose sur deux principaux
postulats :
a. la coexistence pacifique est toujours une bonne
chose ;
b. les régimes de tolérance doivent être
alternatifs.
Dans ses développements empiriques, il tire des
exemples en Europe, en Amérique, en Amérique du Nord et au Moyen
Orient. Walzer s'interroge sur l'étendue de la tolérance et les
processus de mise en scène de celle-ci. Il typologise la
tolérance et en ressort quatre propriétés :
- l'acceptation résignée de la
différence ;
- l'opposition passive d'une indifférence à la
différence ;
- la reconnaissance des droits similaires aux autres
même s'ils les exercent de manière peu plaisante;
- l'ouverture à l'autre, son respect, son
écoute.
L'analyse de cet auteur veut rendre compte des pratiques de
tolérance dans les sociétés non africaines. L'analyse
qu'il mobilise relève de notre point de vue de l'idéal. Les
pistes qu'il préconise pour cultiver la tolérance relèvent
davantage d'un travail propre à soi, même s'il reconnait en
filigrane l'importance de la relation de face-à face dans ce processus.
A la vérité, il ne traite pas de la tolérance politique,
mais a contrario celle privée. Or c'est la première que nous
aurions pu intégrer comme condition du pardon, et comme moyen de
régulation des tensions en Afrique, un continent du reste mis à
l'écart du traité de Walzer. Envisageons à présent
la problématique qui fonde ce travail de réflexion.
Problématique34(*)
L'Afrique du Sud et le Rwanda ont connu des violences
politiques d'une forte intensité. La brièveté de celles-ci
dans le second cas n'enlève rien à leur caractère
inhumain, considérablement distinct des abus perpétrés
dans le 1er cas depuis 1948. Après ces situations s'est
posée la question de la réconciliation. Une alternative s'offrait
ainsi aux catégories dirigeantes héritières des
systèmes politiques post conflits : juger ou pardonner. Le choix
entre justice et pardon fera l'objet d'adaptation dans un cas comme dans
l'autre ; allant parfois jusqu'à l'imbrication des deux
modalités de sortie de crise. Pour porter cette dynamique, un
système actanciel et institutionnel sera fonctionnel. Dès lors
quelle est la configuration des acteurs de la justice et du pardon dans les
deux pays et quelle est la portée de leurs actions dans la
réconciliation ? Comment les acteurs internes et externes vont-ils
interagir et mobiliser les institutions pour reconstruire la cohésion
sociale brisée ? Ces actions sont-elles suffisantes pour
réconcilier et faire émerger une sociabilité post
conflit ?
Hypothèses
Nous formulons une hypothèse35(*) principale et deux
hypothèses secondaires qui vont permettre de tester les variables dont
elles sont constitutives dans les développements.
Hypothèse principale
Les acteurs et les institutions du pardon et de
la justice sont multiples. Ils mobilisent des ressources radicalement
différentes pour construire la paix. Toutefois, ces deux
modalités ont une similarité d'objectif-la
réconciliation-dont les voies de réalisation demeurent
distinctes, et l'efficacité relative.
Hypothèses secondaires
1. Les instances de droit commun et les formes de justices
transitionnelles aux plans nationaux travaillent respectivement la fabrication
du pardon et l'administration de la justice. Les résultats de leurs
actions dépendent de l'environnement et du sens que les acteurs leur
donnent, ainsi que des rapports dedans-dedans et dedans-dehors qui y sont
imprimés.
2.
Bien que la justice et le pardon visent la sociabilité
post conflit, les acteurs et institutions internes et externes sont impuissants
face à l'inoubliable et la mémoire des victimes. Ceci peut
alimenter des conflits futurs et remettre en cause la pertinence de ces deux
modes de sortie de crise.
Méthodologie
La présente recherche est organisée autour
d'une construction et d'un cadre théoriques.
VII.1 De la méthode
Trois types d'analyses vont meubler nos
développements : l'analyse sociologique, l'analyse comparative et
l'analyse systémique. Nous préciserons ensuite le système
de collecte et de traitement des données qui sera usité.
A. Typologies analytiques
a. L'analyse sociologique
L'analyse du sujet pourra s'enrichir de cette grille de
lecture. En effet, l'on sera attentif à la dimension sociale du pardon
et de la justice, dans la mesure où les acteurs et les institutions
révèlent une dynamique d'interrelations sociétales
conflictuelles et pacifiques. L'identité des acteurs et institutions,
les valeurs qu'ils invoquent, le sens qu'ils donnent à leurs actions,
sont autant d'éléments à observer. En outre, il sera
question de mettre en lumière les processus simples et robustes qui sont
à l'oeuvre dans les deux sociétés post conflits. Le
pardon et la justice seront saisis à travers les acteurs et les
institutions. Ce qui amène à intégrer à la fois
l'holisme ou sociologisme36(*) et l'individualisme méthodologique37(*) dans notre posture analytique.
Aussi utiliserons-nous l'analyse cognitive pour rendre compte des perceptions
des acteurs par rapport à la réconciliation et des usages de la
mémoire.
b. L'analyse comparative
L'essence de cette analyse est de relever les points de
convergence et de divergence. En ce sens, nous allons essayer de comparer
l'action des acteurs et les institutions du pardon et de la justice. Deux
niveaux d'appréciation seront pris en compte, notamment le national et
le global. La multi variation sera le trait caractéristique de cette
comparaison38(*).
c. L'analyse systémique
L'exploration du pardon et de la justice, à partir
des institutions et des acteurs, doit absolument, de notre point de vue,
intégrer la dimension structurelle. Ces acteurs et institutions ne font
sens que dans un système d'action précis. Les contraintes
environnementales dans les sociétés politiques
étudiées, les demandes sociales après les années
d'hostilité, et les solutions qu'offrent les ordres dirigeants sont des
déterminants dont l'étude peut permettre de comprendre
l'efficience ou non. Plus concrètement, le modèle eastonien de
prise en compte des inputs et des outputs nous inspirera pour comprendre les
mécanismes de construction de la réconciliation après des
violences politiques (inputs) par la justice et le pardon (outputs). Ces
différentes formes d'analyse seront utiles dès lors que nous
aurons collecté et traité le matériau nécessaire
pour soutenir notre argumentation.
B. Du système de collecte et de traitement des
données
a. La collecte39(*)
Nous ferons usage de la méthode d'observation
indirecte, avec notamment la technique documentaire. Les ouvrages
scientifiques, les articles des revues du même genre, les articles des
journaux, les dictionnaires généraux et spécialisés
vont constituer nos différentes sources. Aussi exploiterons-nous les
rapports publics comme sources de première main. Nous emprunterons
l'approche dogmatique propre aux juristes pour lire le statut du TPIR et les
lois internes aux deux pays. La collecte sera enrichie par l'outil internet,
dont l'exigence de distanciation avec les faits sera plus grande. En effet
compte tenu du caractère délicat, voire passionné des
thématiques sous-jacentes à notre objet, des sites internet ont
été crées pour perpétuer les mémoires du
génocide et de l'Apartheid, et fonctionnent sans grande
objectivité. Il nous reviendra alors de faire la part entre l'engagement
militant et les analyses scientifiques.
b. Le traitement
Les matériaux collectés seront
sélectionnés, classés et interprétés en vue
de constituer des appuis aux arguments développés. Cette
étape de la recherche devra tenir compte de l'exigence
éliassienne d'engagement et de distanciation40(*). Pour viser la rigueur
d'analyse, nous essayerons de nous démarquer des pré notions, des
idées arrêtées. Nous tenterons alors d'intégrer
l'exigence d'intersubjectivité pour, notamment, expurger l'analyse de
nos convictions propres. Tout ceci sera solidifié par un cadre
théorique spécifique.
VII.2 Du cadre théorique
Trois théories vont nous servir de phare dans
l'orientation épistémologique qui est à la base de nos
postulats : le néo institutionnalisme, le constructivisme, et
l'interactionnisme symbolique. Il conviendra d'être attentif à
l'invite de Michel Beaud, selon laquelle « la qualité
d'une théorie ne peut se juger à sa seule cohérence
interne, mais par rapport à sa capacité à rendre compte du
réel »41(*).
a. Le néo institutionnalisme
Après l'éclipse de l'analyse institutionnelle
dans les années 1960-1970, un regain d'intérêt s'observe
dans les années 1980. L'influence des institutions sur l'action
(comportement des acteurs, leurs stratégies, leurs
préférences, leurs identités) va de pair avec leur
développement. Le néo institutionnalisme a pour but de structurer
le politique42(*). Les
auteurs de ce courant avancent que l'analyse doit partir des institutions et
non des acteurs. L'action est conditionnée par les institutions. Il
existe trois types de néo institutionnalismes : historique, du
choix rationnel, et sociologique43(*). On parle de `'néo'' en
référence à l'ancien institutionnalisme formaliste
(descriptif, a-théorique). Mais pour certains, la variante `'
néo'' n'a rien apporté mais s'inscrit plutôt dans la
continuité44(*).
L'institutionnalisme historique s'est développé en
réaction au behaviourisme et aux approches centrées sur les
sociétés. Son argument principal est le `'path
dependency `'45(*).
L'institutionnalisme du choix rationnel met en exergue l'importance
stratégique des institutions. Il ne rejette pas le behaviourisme, mais
l'adapte à l'analyse institutionnaliste. Il s'est beaucoup
intéressé à l'étude des législatures, des
exécutifs, des bureaucraties et à la formation des coalitions
politiques. Les institutions sont considérées selon les
opportunités qu'elles offrent aux acteurs. L'institutionnalisme
sociologique tire ses racines dans la théorie des organisations46(*). Ici, les institutions
incarnent et reflètent des symboles et pratiques culturelles qui
influencent la perception des acteurs. La création de nouvelles
institutions doit être respectueuse de la compatibilité avec
celles existantes. Un lien étroit existe entre la société
et les institutions. Les institutions diffusent la société et
conditionnent leur interprétation.
La critique faite à ce courant tient à son
éparpillement. Même s'il existe un patrimoine commun entre ces
trois approches, il n'en demeure pas moins vrai que leurs postulats sont
divergents sur le concept institution, sa création, et l'action. Dans ce
travail, c'est le versant sociologique du néo institutionnalisme qui
nous concerne. Nous montrerons que les « gacacas »
incarnent la justice traditionnelle, les tribunaux de droit commun et les cours
constitutionnelles incarnent les valeurs de la justice moderne. Le TPIR
édicte des sanctions qui ont pour but de façonner la perception
des acteurs sur la question de la responsabilité. Il en va de même
du travail de construction du `'pardon-justice'' par la CVR. Par ailleurs, un
lien fort existe entre institution et société : le TPIR
c'est la culture De la société internationale tandis que les
autres institutions représentent celle de la société
nationale.
b. Le constructivisme
Le constructivisme social rime avec la figure de Berger et
Luckmann. Il postule fortement que les phénomènes sociaux sont
des construits. Les constructivistes s'attachent à voir comment la
réalité est construite par les institutions. La
réalité constructiviste est plus subjective qu'objective. Ce
courant émerge dans les années 80-90 pendant la crise du marxisme
et du structuralisme. Il comporte quatre caractéristiques de
base :
- une position critique sur le caractère acquis des
connaissances ;
- la spécificité historique et culturelle des
connaissances ;
- le soutien des connaissances par les processus
sociaux ;
- la concomitance entre connaissance et action.
Les pionniers de la construction sociale affirment que
« la société est une production humaine. La
société est une réalité objective. L'homme est une
production sociale »47(*). Cette réalité est
extériorisée, les acteurs s'en émancipent pour affirmer
leurs stratégies. Mais la réalité est aussi subjective par
le processus d'intériorisation : c'est la socialisation. Hormis le
constructionnisme sus présenté, il existe un constructivisme
structuraliste (Bourdieu) et un constructivisme phénoménologique
(Alfred Schutz). Dans le premier cas, Bourdieu lui-même
écrit : « Par constructivisme structuraliste,
je veux dire qu'il existe, dans le monde social lui-même, (...) des
structures objectives indépendantes de la conscience des agents, qui
sont capables d'orienter ou de contraindre leurs pratiques et
représentations. Par constructivisme, je veux dire qu'il y a une
genèse sociale d'une part des schèmes de perception, de
pensée et d'action qui sont constitutifs de ce que j'appelle habitus, et
d'autre part des structures sociales, et en particulier de ce que j'appelle des
champs »48(*). Dans le deuxième cas, l'analyse saisit les
individus et leurs interactions. Les objets de pensée construits par les
chercheurs en sciences sociales se fondent sur les objets de pensée
construits par la pensée courante. Ainsi, à la base de la
connaissance savante du monde social, il y a la connaissance ordinaire.
Le constructivisme social est celui qui va nous
intéresser pour montrer que le pardon et la justice sont construits par
des acteurs et des institutions en fonction de leurs identités
respectives. La réconciliation recherchée est l'objet d'un
travail méthodique d'influence des représentations et des
perceptions des victimes. C'est aussi le cas de la mémoire
négative dont précisément la déconstruction vise la
construction de la sociabilité commune.
c. L'interactionnisme symbolique
C'est dans les années 1970 que ce courant issu de la
sociologie américaine va consolider sa perspective.49(*) L'idée fondatrice est
que l'individu contrôle ses actions et agit sur lui-même et le tout
en fonction des circonstances du contexte. Cette théorie
privilégie la méthode d'observation qualitative et inductive.
L'interactionnisme symbolique accorde une grande importance aux significations
spontanément élaborées par les acteurs pendant leurs
interactions. L'analyse microsociologique qui est à sa base met l'accent
sur l'ordre social. Les individus recherchent le consensus par la
négociation. Les interactionnistes se demandent comment les normes
sociales sont vécues, construites, interprétées, et
reproduites par les individus pendant leurs interactions quotidiennes50(*). A partir de là, ils
reconnaissent un sens construit à l'interaction, ils abordent les
thématiques liées au contrôle social et aux stigmates, au
soi, aux rôles et aux représentations, aux adaptations
secondaires. Chez Anselm Strauss, l'interactionnisme prend une forme
contestataire vis-à-vis du fonctionnalisme. Lorsque les seconds voient
une société structurée, relativement statique et
composée d'acteurs guidés par des normes et valeurs, les premiers
vont s'intéresser à la construction permanente de l'ordre social
par les individus. Les fonctionnalistes considèrent la
société comme un système structuré avec des statuts
accolés à des rôles. Dans le même temps, les
interactionnistes étudient la complexité des rôles.
L'acteur peut prendre des distances à l'égard de ceux-ci.
Là où les fonctionnalistes écrivent que les organisations
sont régies par des règles formelles maintenues par la
communauté d'intérêt, les interactionnistes sont d'avis
que l'interaction sociale est caractérisée par son dynamisme et
son caractère négocié. Chaque acteur participe à la
représentation de la situation dans laquelle il est engagé,
l'interaction ne fait pas l'objet d'un jugement mais d'une adaptation, d'un
réinvestissement.
Nous montrerons que, contrairement à la vision
axée sur l'ordre social, les relations de face à face entre
acteurs et institutions du pardon et de la justice trouvent leur base dans le
désordre des deux sociétés observées. Le sens que
les acteurs donnent à ces catégories varie selon le dedans et le
dehors. Dans les situations post conflits, la sociabilité commune
s'inscrit dans les interrelations quotidiennes. Les rôles des acteurs
internes du pardon et de la justice sont ambigus d'autant plus que ceux-ci
interagissent de manière négociée avec l'externe. Nous
serons en outre attentifs aux interrelations des acteurs et à celles des
institutions.
Annonce du plan
La première partie portera sur l'étude de la
configuration des acteurs et institutions du pardon et de la justice au double
plan interne et externe. La seconde tentera de montrer que ces acteurs et
institutions précédemment saisis dans leurs statuts, fonctions et
identités reconfigurent relativement la sociabilité post conflit
en Afrique.
Première partie : Configuration mouvante
des acteurs et institutions du pardon et de la justice
Dans un contexte général marqué par les
souvenirs non disparus et du génocide et de l'apartheid, il
apparaît que la détermination des acteurs et institutions
judiciaires au plan interne et au plan externe peut permettre d'objectiver
l'hypothèse de la configuration mouvante (Chapitre 1). Pour mieux
comprendre l'étendue du pardon, ses acteurs, ses logiques de fabrication
et, pour rendre compte de son caractère ambivalent en Afrique, une
étude préalable de ses figures, processus de mise en oeuvre et sa
morale est envisagée (Chapitre 2). Pour ce faire, nous mobiliserons
l'institutionnalisme et le constructivisme pour mieux éclairer les
variables sous-jacentes aux hypothèses à vérifier à
ce niveau de l'analyse.
CHAPITRE 1 : DE LA JUSTICE POST CONFLIT :
ACTEURS ET INSTITUTIONS DU DEDANS ET DU DEHORS
« L'objet premier de la
justice, c'est la structure de base de la société, la
façon
dont les institutions répartissent les droits et
les
devoirs fondamentaux et déterminent la
répartition
des avantages tirés de la coopération
sociale »51(*)
Les situations de violence politique brièvement
rappelées à l'introduction appelaient une réponse
adéquate de la part des gouvernements qui ont hérité des
deux pays ciblés. Dans un cas, il est surtout question de remobiliser
toutes les ressources humaines détruites par le génocide. Dans
l'autre cas par contre, des réformes visent davantage la révision
des lois héritées du système
ségrégationniste, pour universaliser et rendre équitable
la justice dans le pays. De toute évidence, ces deux processus distincts
de par leurs finalités, seront rythmés par des dynamiques
endogènes plurielles, dont la pédagogie du TPIR s'en
démarque quelque peu52(*). Ainsi, notre ambition est de montrer que si les
acteurs et les institutions de la justice au plan interne peuvent à un
moment biaiser leur rôle du fait de la contrainte de l'ordre dirigent
(surtout au Rwanda), la finalité de ceux du dehors n'est ni plus ni
moins que de rendre justice, sans état d'âmes. Cette
différence de posture déontologique pourrait avoir pour
explication le fait que très souvent en Afrique, les autorités
exécutives ont une grande influence sur le pouvoir judiciaire. Dans les
sociétés post conflits comme celles qui nous concernent, mettre
en accusation certains coupables des crimes, alors même qu'ils sont
devenus les principaux héritiers de l'ordre politique est, à
défaut d'un leurre, une tâche titanesque. Ce schéma est en
partie le reflet de la situation du Rwanda, mais pas exactement de celle de
l'Afrique du Sud du fait notamment de l'implication active des factions du RPR
dans les opérations avant et après le génocide.
Section 1 : Pluralité d'acteurs et
d'institutions internes
Les acteurs de la justice au Rwanda, avant le génocide,
essayent tant bien que mal de dire le droit, malgré des problèmes
visibles d'infrastructures et de ressources humaines de qualité. En
Afrique du Sud par contre, les années 95- marquent
l'institutionnalisation de l'universalité et de la civilité de
l'appareil judiciaire, pendant qu'il s'agit plutôt de sa
désinstitutionalisation dans l'autre cas. Le fil d'Ariane comparatif
balise notre orientation analytique. Mais, il ne s'agit pas d'une recherche
systématique de la spécificité d'un pays par rapport
à l'autre. Il est un constat néanmoins clair : l'exploration
des deux sociétés politiques, au cours de la période sous
étude, révèle une richesse du personnel judiciaire d'une
part, et une pauvreté de celui-ci d'autre part. Il n'en va pas autrement
pour les institutions judiciaires.
Paragraphe 1 : La structuration actancielle :
entre stabilité et incertitude
Il convient de l'analyser tour à tour en Afrique du Sud
et au Rwanda.
A. En Afrique du Sud : une configuration multipartite
La sortie négociée de l'ère apartheid en
Afrique du Sud a entraîné l'uniformisation de la justice.
Auparavant, la ségrégation judiciaire ôtait aux noirs la
possibilité de saisir les instances judiciaires pour se faire
rétablir dans leurs droits. Néanmoins Mandela et un de ses amis
ont fondé un cabinet d'avocat, dont le but était de donner des
consultations aux noirs des townships à bas coût. En tant que
tels, ils peuvent donc être retenus comme acteurs de première
heure de la justice dans ce pays. Leurs actions de protestation ont
progressivement suscité la prise de conscience de la minorité
blanche, et la mobilisation ultérieure de la communauté
internationale, pour provoquer des changements politiques substantiels, mais de
manière graduelle. Comme il dira d'ailleurs lui-même à ses
compatriotes à sa sortie de prison : « Nous ne
sommes pas encore libre, mais nous avons acquis la liberté d'être
libre ». Ces acteurs ne seront pas étudiés en
détail dans cette rubrique, au regard de la délimitation
temporelle du sujet.
Les différents acteurs de la chaîne judiciaire
vont obligatoirement, indépendamment de leurs couleurs, agir dans le
sens de la nouvelle Constitution de 1993. Dans son préambule, celle-ci
proclame: «We, the people of South Africa, recognise the injustices of
our past, honour those who suffered for justice and freedom in our land,
believe that South Africa belongs to all who live in it, united in our
diversity..., heal the divisions of the past and establish a society based on
democratic values, social justice and fundamental rights...» Il est
primordial de relever que l'intégration, dans les consciences
collectives, des abus perpétrés par le passé, a
joué un rôle crucial dans la transformation mentale des personnels
judiciaires. La béatification subséquente des martyrs de la
justice les érige du coup en acteurs moraux de la justice
rénovée.
Ici, les acteurs de la justice sont des magistrats et juges
dans différents tribunaux et institutions du système judiciaire.
Mention doit aussi être faite des avocats et des différents
acteurs de la police judiciaire, dont le rôle consiste à
accompagner les magistrats dans le ministère du droit. A la tête
de cet édifice trône le `'Chief Justice of South Africa'', lequel
est assisté du `'Deputy Chief Justice''. Très importante est
l'autorité chargée du ministère public. Celle-ci est
composée du Directeur national des poursuites, du Directeur des `'Public
Prosecution'' et des `'Procecutors'' déterminés par la loi. Il
existe par ailleurs un `'Public Protector'' qui fait office de médiateur
de la République. Les membres des différentes institutions
judiciaires sont également des acteurs de premier plan. C'est le cas du
Président de la cour suprême d'Appel, des praticiens du droit, des
enseignants d'université, des représentants de l'Assemblée
Nationale officiant par exemple dans la commission de service judiciaire, etc.
La situation rwandaise est examinée dans les paragraphes qui vont
suivre.
B. Au Rwanda : une architecture
imparfaite
Anne Cécile Robert pose avec clarté le
problème de la justice en ces termes : « 1200
prisonniers attendent d'être jugés. Les conditions de
détention sont désastreuses et 761 hommes en sont morts en
1999... le TPIR n'a, depuis sa création en 1994, jugé que 28
prévenus et édicté 57 actes d'accusation, tandis que la
justice rwandaise est débordée, faute de magistrats, et n'a pu
traiter que 1500 dossiers »53(*). Le défaut de magistrats souligné par
l'auteur est l'une des différences majeures avec l'Afrique du Sud
où, contrairement à la destruction massive des personnels
judiciaires pendant le génocide rwandais, les personnels existant
étaient en nombre suffisant, et devaient simplement s'adapter à
la législation post apartheid révisée.
Pour pallier à la carence de magistrats, des juges sont
formés en six mois et des procès collectifs seront
organisés, allant de 10 à 60 personnes. La formation des
magistrats non juristes a été faite grâce au concours de
RCN54(*). Le 28 septembre
1996, l'on dénombrait alors 20 juges à la Cour Suprême, 29
juges à la Cour d'Appel, 200 procureurs et magistrats.
Le problème de formation des magistrats ne s'est pas
véritablement posé en Afrique du Sud. Au Rwanda par contre,
« les effectifs des magistrats ... posaient moins de
problèmes que leur niveau de formation. Sur les sept cent huit
magistrats de l'ordre judiciaire (fin 1992), quarante six seulement avaient une
formation universitaire. Les autres, après des études
secondaires, avaient suivi une courte formation
professionnelle. »55(*). Les autres acteurs de la justice n'avaient pas une
situation plus reluisante. Par exemple, avant le génocide, l'on ne
dénombrait que 128 avocats et conseillers des entreprises dont le niveau
de culture juridique atteignait la licence en droit56(*). Après le
génocide, ils n'étaient plus qu'une trentaine. Face à
cela, la profession a du s'ouvrir aux personnes ayant exercé des
métiers connexes liés à celui d'avocat (huissiers, etc).
La situation est ainsi résumée par le juriste
Frédéric Mutagwera : « Pour une population de
sept millions cinq cent mille habitants, le rapport avocat
diplômé/population était de un pour cent vingt mille,
c'est-à-dire une proportion tout à fait insuffisante même
avant le génocide »57(*). Notons que le nombre de magistrats avant le
génocide était de moins de 800. Le tableau ci-après donne
un aperçu de la situation qui vient d'être décrite.
Tableau 1 : Les effectifs des personnels
judiciaires au Rwanda entre 1994 et 1996
|
Avril 1994
|
Novembre 1994
|
Décembre 1996
|
Magistrats du siège
|
|
|
|
Cour Suprême
Cour d'Appel
Tribunaux de 1ere instance
Tribunaux de canton
Total
|
Nd.
+21
114
505
661
|
7
4
42
184
237
|
20
32
210
437
699
|
Magistrats debout
|
|
|
|
Cour Suprême
Cour d'Appel
Tribunaux de 1ere instance
Total
|
Nd
Nd
75
83
|
1
1
12
14
|
4
14
127
145
|
Inspecteurs de police judiciaire
|
193
|
24
|
158
|
Greffiers
|
214
|
80
|
259
|
Secrétaire/dactylographes
|
169
|
89
|
55
|
Source : Stef Vandeginste,
« Poursuite des présumés responsables de
génocide et des massacres politiques au Rwanda », in
www.ua.ac.be/objs/00110967.pdf,
visité le 09/12/09
Les acteurs de la justice au Rwanda sont l'incarnation
matérielle des institutions. En bonne place se trouve le Procureur de la
République et ses substituts, qui forment le corps des officiers
publics, les inspecteurs de police judiciaire, les secrétaires de
parquet58(*).
Tous ces acteurs sont en réalité une somme
condensée d'un ensemble d'individus dont le rôle dans la
réconciliation a été crucial dans les deux pays.
Malgré les écarts dans les chiffres et la formation, l'office des
acteurs de la justice en Afrique du Sud est le même que celui des acteurs
rwandais : contribuer à la sociabilité commune par la
sanction des injustices (à des degrés divers néanmoins) et
le bannissement de la culture de l'impunité. Mais tout va
dépendre du rôle que leur confèrent les catégories
dirigeantes dans les deux pays. Et c'est à ce niveau que la
différence est nette. Le poids de l'ordre dirigeant, composante du
pouvoir exécutif, sur les rôles assignés aux acteurs
judiciaires dans les situations post conflits, est tel que ceux-ci ne peuvent
pas prendre des distances vis-à-vis de ces rôles qui leur sont
confiés. Dans le cas d'espèce donc, l'on est dans une perspective
contraire à la lecture interactionniste symbolique, qui postule
justement la rationalité et l'émancipation des acteurs par
rapport aux rôles à eux assignés. Ces différents
acteurs interagissent dans des systèmes institutionnels tout aussi
distincts.
Paragraphe 2 : La structuration
institutionnelle des deux systèmes judiciaires : des
écarts notables
Les institutions de la justice que nous allons analyser
relèvent de l'organisation classique et quotidienne du travail
judiciaire dans les deux Etats. Dans les sociétés post conflits,
leur apport dans la réconciliation est déterminant pour
reconstruire la légitimité de l'Etat, en tant que
léviathan capable d'encadrer l'action des acteurs59(*). Si en Afrique du Sud les
institutions de la justice sont organisées et fonctionnent normalement
dans la période sous étude, au Rwanda en revanche, elles ont
nécessité un recadrage pour mieux être à
même d'incarner la lutte contre l'impunité. En plus, la
coexistence entre ces dernières et le TPIR a posé quelques
problèmes dans la pratique60(*).
A. Les institutions de la justice en Afrique du Sud : un
exemple d'indépendance institutionnelle
En Afrique du Sud, l'Autorité judiciaire est
incarnée par les tribunaux indépendants61(*).Ceux-ci sont soumis à
la constitution et à la loi. Dans ce pays, l'on peut globalement
distinguer deux capitales institutionnelles de la justice. La première
est représentée par Johannesburg, siège de la Cour
constitutionnelle. La seconde l'est par Bloemfontein. C'est le véritable
siège du pouvoir judiciaire en ce sens que la Cour Suprême du pays
(Supreme Court of Appeal) s'y trouve. De manière générale,
l'appareil institutionnel en matière de justice y comprend donc:
- la Cour constitutionnelle ;
- la Cour suprême d'Appel ;
- les Hautes Cours, ainsi que toute haute cour d'Appel qui est
susceptible d'être établie par un acte du parlement pour
connaître des appels des hautes cours ;
- les Cours de magistrats (magistrates courts) ;
- la Commission du service judiciaire ;
- l'Autorité chargée du ministère
public.
La Cour constitutionnelle fait l'objet des
développements à l'article 167 de la constitution. Elle comprend
09 juges et les décisions se prennent par l'accord au moins de 09 juges.
C'est la plus haute instance en matière constitutionnelle. Elle ne
décide que sur les matières constitutionnelles et les domaines
connexes. En outre, elle donne un avis sur la constitutionnalité des
textes et si une affaire a un impact constitutionnel. La Cour constitutionnelle
arbitre les conflits entre les organes de l'Etat au niveau national et
provincial, s'agissant des statuts constitutionnels, des pouvoirs et fonctions
de ces organes. Il décide de la constitutionnalité d'une loi
parlementaire et provinciale. L'alinéa 6 de l'article
précité précise que la saisine est ouverte à toute
personne, dans l'intérêt de la justice.
La Cour suprême d'Appel62(*) est la plus haute juridiction d'Appel en dehors des
affaires constitutionnelles. Elle décide des Appels, des affaires
liées aux Appels, et de toute autre matière
précisée dans des textes législatifs.
Les Hautes cours63(*) connaissent de toutes les affaires constitutionnelles
excepté celles qui ne peuvent être connues que par la Cour
constitutionnelle. Elles sont aussi compétentes sur les matières
dévolues à une autre cour de statut similaire à la haute
cour.
Les `'magistrates Courts'' et les autres cours décident
de toute affaire conformément à la loi. Mais celles-ci ne peuvent
en aucun cas connaître des affaires liées à la
constitutionnalité des lois et des actes du gouvernement.
Il existe une autre institution appelée Commission du
service judiciaire64(*).
Elle est composée des principaux acteurs du système judiciaire
sud africain et des représentants des autres institutions
éducatives, législatives, judiciaires, et provinciales.
L'Autorité chargée du ministère public
complète cet édifice et détient des pouvoirs en
matière d'institution des poursuites criminelles au nom de l'Etat. Ses
membres doivent êtres absolument indépendants. Dans le cas du
Rwanda, la pauvreté du personnel judiciaire après le
génocide est-elle allée de pair avec un désert
institutionnel ?
B. Les institutions de la justice au Rwanda : une
organisation pyramidale
Le gouvernement d'Union nationale mis en place le 19 Juillet
1994 s'est immédiatement attaqué au problème de
restructuration de la justice et à celui de l'impunité.
120 000 prisonniers de génocide devaient être pris en charge
par ces institutions. Or le système judiciaire de ce pays avait
déjà du mal à fonctionner en tant de paix65(*).
La Cour suprême est la plus haute institution judiciaire
du Rwanda. Ses arrêts sont insusceptibles de recours, excepté en
cas de grâce et de révision. Elle est organisée par la loi
n° 01/2004 du 29/01/2004. Elle a en son sein un Département
chargé de l'inspection des cours et des tribunaux. Elle connaît
des arrêts rendus par la Haute Cour de la République. Elle
règle de la constitutionnalité des lois, des affaires
liées au contentieux des élections présidentielles,
référendaires et législatives. Elle reçoit le
serment prononcé par le PR, etc.
En second lieu la Haute Cour de la République a sa base
à Kigali et une compétence nationale. Elle comprend quatre
Chambres qui siègent hors de son quartier général. Elle
connaît des Appels rendus par les juridictions inférieures. Elle
juge les crimes de guerre, de génocide, les meurtres et atteintes
à la sûreté de l'Etat.
Parmi les autres institutions les plus notables, il y a le
Conseil Supérieur de la magistrature. Deux années après le
génocide, ce dernier n'était pas toujours
reconstitué66(*).
Selon les proposions de la Constitution, ses membres sont élus par les
représentants de l'ensemble du système judiciaire des tribunaux
de tous les cantons à la Cour suprême. C'est en effet ce Conseil
qui statue en matière de nomination des magistrats des différents
tribunaux. La solution trouvée par le gouvernement était de faire
nommer le Président et le vice-Président de cette cour par le
parlement, sur sa proposition.
Les Cours d'Appels, qui connaissent des appels des jugements
rendus en première instance, sont au nombre de quatre au Rwanda. A
côté de ces institutions, se trouve le Parquet. C'est une
structure chargée de mener des enquêtes et de
déférer les auteurs des infractions devant les tribunaux. Douze
parquets existent dans ce pays dans la mesure où un est
créé dans chaque chef-lieu de préfecture et un à
Nyamata et Rushashi. Les parquets travaillent pour le compte des tribunaux de
première instance67(*).
La loi n° 08/96 du 30/08/1996 créé des
Chambres spécialisées au sein de chaque Tribunal de
première instance, Cour d'Appel, et Cour militaire. Il en existe 13 qui
ont rencontré des problèmes pratiques notamment les renvois des
audiences, l'éloignement des témoins des lieux des audiences, la
question des preuves. Cela aboutissait généralement à des
acquittements. Il existe des tribunaux de district et de ville, des tribunaux
de province et de la ville de Kigali.
Les Comités de conciliateurs ont été
créés par la loi n° 2004/ du 20 juin 2004. Leur rôle
vise à désengorger les tribunaux en connaissant des tentatives
obligatoires de conciliation préalables entre les parties. Ils sont
compétents en matière pénale et civile. Après
règlement, ils dressent des procès verbaux cosignés par
les parties. L'affaire est transmise au greffe du tribunal compétent
dans l'unique cas où une partie n'est pas satisfaite par le jugement
rendu.
Les Commissions de triage préfectorales connaissent des
demandes en libération provisoire ou définitive des personnes
poursuivies pour génocide. Leur composition intègre les
représentants des différents ministères et
structures de l'Etat: Défense, Intérieur, Renseignements et
Parquet.
Sans être exhaustif citons la Commission nationale de
lutte contre le génocide dont la loi organique définissant le
cahier de charge n'intervient que le 16 février 200768(*). Toutefois, sa création
est insérée dans le texte constitutionnel du 14 juin 2003.
Le ministère de la justice a aussi joué un
rôle déterminant. C'est en effet lui qui fut chargé
d'encadrer les différentes réformes du secteur de la justice, et
de veiller à l'application des décisions prises au niveau
politique par le gouvernement d'unité nationale, dans le volet
judiciaire69(*).
Les infrastructures de ces institutions ayant
été complètement détruites, le gouvernement et ses
partenaires extérieurs70(*) vont entreprendre de les remettre sur pied. C'est
ainsi que les bâtiments, le mobilier et le matériel de bureau sont
réhabilités. La mémoire institutionnelle est
renforcée par l'octroi du matériel documentaire. Les moyens de
communication et de déplacement sont renforcés :
téléphone, courrier, dons de véhicules71(*) et de motos72(*). Il s'agissait là des
éléments du dedans. Il nous revient à présent
d'introduire une deuxième dimension de notre analyse, consistant
notamment à ressortir les dynamiques des acteurs et institutions du
dehors.
Section 2. Une structuration actancielle et
institutionnelle externe à géométrie variable
La communauté internationale, après son silence
et sa réaction tardive avant et pendant le génocide, va voler au
secours des autorités rwandaises pour lutter contre les injustices. Dans
le même temps, après avoir salué les négociations
entre les acteurs locaux victimes et planificateurs de l'apartheid, elle va
s'éclipser pour laisser jouer la volonté interne portée
par Mandela : non aux poursuites et oui à la réconciliation
et aux amnisties. Les procès y relatifs furent conduits par des
tribunaux nationaux exclusivement. Ce qui a eu pour conséquence de
minorer l'action directe du dehors dans ce processus particulier.
Paragraphe 1 : Les acteurs internationaux de la
justice : fondement et nature
Les acteurs du dehors ont une présence justifiée
par des raisons à la fois politiques et juridiques. Il est donc crucial
d'analyser non seulement le fondement de leurs présences dans des
sociétés politiques internes, mais aussi leur typologie.
A. Fondement de l'action des acteurs internationaux :
entre l'ordre moral et l'ordre juridique
Le premier fondement est d'ordre moral. Il s'agit pour des
individus appartenant au genre humain de manifester leur solidarité
vis-à-vis des membres de l'espèce humaine à qui
d'indicibles souffrances sont imposées. Comme l'écrivent William
Bourdon et Emmanuelle Duverger, « lorsque les souffrances
endurées dans un pays ont été effroyables et que la
vérité a été confisquée ou falsifiée,
la promulgation des lois d'amnistie s'oppose au besoin de
justice »73(*). En d'autres termes, le caractère inhumain des
violences politiques justifie que des personnes, même non
concernées par une situation d'abus manifestes, se mobilisent afin que
la justice ne soit pas dévouée. Les hosti humani generis
ou ennemi du genre humain n'ont pas d'appartenance territoriale qui
limiterait, en théorie, des actions mobilisées au niveau
extérieur. Il s'agit là d'une approche qui priorise la
communauté de l'humanité, entendue ici comme un magma composite
des êtres humains, dont la dignité fait l'objet d'une
universalité. Les atteintes à la dignité humaine,
où qu'elles soient perpétrées, suscitent une
réaction de tous ceux qui se reconnaissent membres de la famille des
êtres civilisés. Le problème se poserait par contre lorsque
des intérêts particuliers poussent des acteurs extérieurs
à agir. Dans ce cas, ce n'est plus la considération de
nécessité qui l'emporte, mais au contraire celle de
l'opportunité.
Le deuxième fondement est d'ordre juridique. En effet,
la nature des crimes commis indique si tel ou tel acteur externe est
susceptible d'initier ou tout au moins influencer une procédure
judiciaire au plan interne. Dans le cas d'espèce, le crime de
génocide défini à l'article 6 du Statut de la CPI a
été commis au Rwanda, pendant que l'apartheid est classé
dans la catégorie des crimes contre l'humanité, en vertu de
l'article 7. En appui au Statut de Rome instituant la CPI, la Convention du 08
décembre 1948 pour la prévention et la répression des
crimes de génocide. A la base de cette construction juridique, il y a
l'idée que le caractère erga omnes des obligations
découlant de la perpétration des crimes ci-dessus est la
conséquence de leur érection en norme de jus cogens. Ces
normes sont désormais reconnues par l'ensemble des spécialistes
du droit des gens, comme étant impératives. L'universalité
des effets liés à leur violation est une évolution du
droit international général, qui court-circuite ainsi les Etats,
réfugiés très souvent derrière leur
souveraineté, ou la non ratification du Statut de Rome, pour se
soustraire de leurs obligations internationales. Comme l'interrogent des
auteurs, « Comment un Etat, pour des raisons d'opportunité
politique interne, serait-il fondé à invoquer sa
souveraineté nationale contre l'humanité tout entière dont
il n'est qu'une partie ? »74(*).
Le troisième fondement est d'ordre symbolique. Les
acteurs extérieurs, qu'ils soient des Etats ou des individus, des
organisations gouvernementales ou non, visent tous l'ennoblissement que
confère une action allant dans le sens de restaurer la dignité
humaine et de renforcer la justice au détriment de l'impunité.
Les gains symboliques vont par conséquent de la respectabilité
à la `'fréquentabilité'' et au classement dans le club
des potentiels nominés aux différentes distinctions dont la plus
prisée aujourd'hui semble être la nobélisation. Nous
voulons préciser qu'il n'y a point d'action neutre du dehors. Même
celles les plus désintéressées d'apparence peuvent en
réalité cacher la recherche des gains symboliques ou non,
portés notamment par plusieurs types d'acteurs.
C. Typologie des acteurs : étatisation et
transnationalisation
Notre hypothèse est qu'il y a eu plus d'acteurs
internationaux de la justice au Rwanda75(*). Ceci pourrait s'expliquer par la
contemporanéité du drame et son acuité,
c'est-à-dire l'ampleur de la violence ethnicisée. En Afrique du
Sud par contre, il y a eu plus d'institutions, ce qui semble se justifier par
la tradition culturelle des pays du Commonwealth d'une part76(*), et la lassitude des acteurs
extérieurs du fait des décennies d'Apartheid d'autre part.
Les acteurs sont donc soit des Etats, soit des organisations
internationales, soit des individus. En Afrique du Sud, l'on note une imposante
présence des Etats-Unis d'Amérique, par le truchement de leur
justice nationale. En effet, un groupe constitué des avocats Sud
africains, avec à sa tête Charles Abrahams, a réussi
à faire accepter l'idée d'une collectivisation des poursuites.
Appuyés par leurs collègues américains spécialistes
dans ce procès, les avocats Sud africains ont intenté un
procès contre 23 multinationales et banques appartenant à six
pays. La plainte déposée le 11 avril 2002 a été
fondée sur la responsabilité indirecte des mis en cause,
notamment du fait de leur soutien implicite au régime d'apartheid. Plus
concrètement, il a été avéré que leur apport
n'a pas été négligeable dans le soutien financier et
logistique de la logique apartheid. Certaines firmes ont vendu au gouvernement
des engins utilisés pendant les répressions brutales. Des banques
occidentales ont tiré profit de ce système, entre autres
arguments invoqués.
D'autres acteurs sont : la Suisse, la Belgique, le
Canada, et la France. Ceux-ci motivent leurs actions sur la base du principe de
compétence universelle. En général, les tribunaux de
certains de ces pays ont contribué à déterritorialiser la
loi pénale internationalisée derechef. Nonobstant le lieu de
commission du crime, la nationalité de son auteur, si une victime ou un
intérêt sont établis comme ayant un lien national avec les
pays affirmant cette compétence, alors l'action est engagée.
Devant les pressions exercées par les Etats-Unis néanmoins, le
principe de compétence universelle a été limité
dans sa portée, à tel point que d'autres critères sont
désormais exigés (par exemple la nationalité de la
victime) des juridictions nationales étrangères, pour attraire en
justice des non nationaux, pour des crimes commis en territoire
étranger. Mais la Belgique s'est aussi investie au Rwanda à
travers la construction de deux palais de justice dans le cadre du programme de
restructuration de la justice après le génocide77(*). La Cour suprême a
été rénovée avec, entre autres, le concours de ce
pays78(*). Les tribunaux
de France ont aussi connu plusieurs affaires liées au génocide.
La plus médiatisée et sans doute la plus intriquée semble
être celle qui aura suscité un jeu de ping-pong entre le TPIR et
une Cour d'Appel française79(*). En outre, le Procureur de la République,
ayant refusé d'ouvrir une enquête suite à quatre plaintes
des Rwandais datées de 2005, se verra contredire par le juge
d'instruction aux armées80(*). La Hollande a en outre offert son concours pour le
financement de l'agrandissement des prisons.
De nombreuses ONG internationales ont mené des actions
pour la justice au Rwanda. Avocat sans frontière en est l'illustration.
Créée en 1992 et basée à Bruxelles, elle est
composée de magistrats, d'avocats et de juristes en
général. Ses objectifs concourent à la réalisation
des sociétés plus justes, équitables et solidaires devant
le droit et la justice. Cette organisation a mis sur pied le Programme
« Justice pour tous au Rwanda ». Le but
visé était de pallier au nombre insuffisant d'avocats dans ce
pays81(*) et d'apporter
une assistance judiciaire aux victimes et aux coupables pendant les
procès82(*).
L'action menée par Amnesty international et Reporter
sans frontière est tout aussi déterminante. Leur problème
était de lutter pour la modernisation des procédures
usitées par les « gacacas ». Ces justices
étaient dénoncées par ces ONG dans le sens du non respect
des critères internationaux définissant un procès
équitable. Le respect du principe de non discrimination, les
arrestations arbitraires et les règlements de compte des pontes du RPR
sont des pratiques qui ont été dénoncées par ces
organisations.
L'international rescue Committee a mis en oeuvre un
programme pour réhabiliter les parquets détruits par les
violences inter ethniques. Les financements y relatifs ont été
octroyés par l'USAID. Son action se rapproche de celle du Haut
Commissariat pour les réfugiés, qui a eu à fournir
à ces mêmes parquets «l'équipement mobilier de
base. Ceux de Kibungo, Byumba et Gisenyi ont reçu une première
livraison en 1995. A Byumba, les meubles sont arrivés avant que le
bâtiment calciné soit
réhabilité... »83(*).
Nous avons choisi de les présenter dans la
catégorie des acteurs ; car se sont d'abord des organisations non
gouvernementales. En tant que telles, elles mobilisent plus directement des
individus, acteurs des relations internationales, pour accomplir, à leur
nom certes, des missions précises.
Signalons l'action des militants Suisses et Allemands en 1998.
Ceux-ci ont en effet rédigé un rapport sur les
bénéfices excessifs tirés par les banques suisses et
allemandes pendant le régime ségrégationniste. Ils ont,
pour cela, rejoint ceux qui pensent qu'il faut rendre justice aux Sud
africains, en annulant la dette contractée par le régime
apartheid du fait de son caractère inique.
La plupart de ces acteurs ont considérablement
influencé les institutions ; ce qui renforce la relativité
de la perspective néo institutionnaliste s'agissant des figures de la
justice. Aussi, bien que le transnationalisme ne fasse pas partie de notre
armature théorique, doit-on relever la désétatisation des
actions et programmes visant la recomposition des deux sociétés.
La transnationalisation du processus de réconciliation fait
indubitablement écho à la théorie transnationaliste des
relations internationales. Au demeurant, quel est l'apport des institutions du
dehors dans le système judiciaire du dedans ?
Paragraphe 2 : Les institutions internationales dans
la justice interne : un indice de l'extranéité du
processus
Le Rwanda a connu un regain d'intérêt de l'ONU
qui, à son appel, va très vite mettre sur pied le TPIR. Nous nous
intéresserons particulièrement à cette institution. En
Afrique du Sud, un certain nombre d'institutions vont timidement influencer
les réformes dans le secteur judiciaire, et la restauration de la
dignité humaine aux noirs.
A. Le TPIR ou l'internationalisation de la justice au
Rwanda
Cette internationalisation devrait être entendue comme
une extension du champ institutionnel. Celle-ci se justifie, selon le juriste
Mégret, de cette manière : « Les crimes
internationaux étaient d'une certaine manière, dans l'esprit des
membres du Conseil de Sécurité, quelque chose de trop
sérieux pour qu'on les abandonne entièrement aux juridictions
nationales »84(*). C'est en effet la résolution 955 du Conseil
de sécurité des Nations Unies qui a créé le TPIR,
un véritable casse-tête juridique85(*). Selon Jean-François Dupaquier, il
« s'apparente à un organe subsidiaire du Conseil de
sécurité créé en vertu de l'article 29 de la Charte
des Nations Unies... le statut du tribunal et les conséquences
juridiques qui en découlent s'imposent à tous les Etats membres
conformément à l'article 25 de la
Charte. »86(*). Le TPIR est supposé affirmer son
indépendance vis-à-vis des autorités du Rwanda, des
Nations Unies, et des tribunaux nationaux. Son siège basé
à Arusha en Tanzanie a suscité de nombreuses querelles juridiques
et politiques. Il était notamment mentionné que les crimes ayant
été commis au Rwanda et les victimes étant rwandaises en
très grande majorité, le siège devait se trouver à
Kigali. La vision du SG de l'ONU était différente. Celui-ci a en
effet recommandé que les débats se déroulent en territoire
neutre87(*). Quant
à l'argument économique, l'absence d'infrastructures au Rwanda a
été relevée. En revanche, les personnels de ce tribunal se
déplacent régulièrement entre Kigali, Arusha et la Hayes.
Les observateurs notent que la tenue des procès au Rwanda aurait eu pour
importance de familiariser les juges nationaux avec les pratiques
internationales, en y tirant des leçons pour leurs propres
expériences. Son mandat a été arrêté en
date du 08 novembre 199488(*). Il s'agit pour lui de « juger les
personnes présumées responsables d'actes de génocide ou
d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le
territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés
responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'Etats
voisins entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre
1994.»89(*).
Selon cet auteur, le tribunal porte en lui les espoirs de justice, de paix et
de réconciliation. Trois sortes d'incriminations sont prévues par
son statut :
- le génocide, désignant des actes commis dans
l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux90(*) ;
- les crimes contre l'humanité, qui renvoient aux
assassinats, tortures, viols, et autres actes commis dans le cadre d'une
attaque généralisée et systématique contre une
population, civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance
nationale, ethnique, raciale, religieuse mais aussi politique91(*) ;
- les violations de l'article 3 commun aux Conventions de
Genève de 1949 et celles du Protocole additionnel II de 1977 (sur les
conflits armés non internationaux). Ainsi, les crimes de guerre et les
infractions aux conventions sus citées dans les conflits internes sont
visés.
La procédure applicable est de nature accusatoire. Le
TPIR a une compétence qui prime sur celle des juges rwandais. Ceci
s'applique dans les domaines de l'identification, la recherche des suspects, la
production des preuves, l'expédition des documents, les arrestations et
détentions de personnes. En vertu de son statut, il peut demander
à un tribunal national de se dessaisir d'un procès en cours
à tout moment.
Selon l'article 6 des Statuts du TPIR, « la
qualité officielle d'un accusé, même chef d'Etat ou de
gouvernement, ou haut fonctionnaire ne le met pas à l'abri des
poursuites ». Cette disposition constitue un défi pour la
pratique usuelle consacrant des immunités aux Chefs d'Etat pour des
actes accomplis pendant leurs fonctions. Toutefois, l'on doute fort que la mise
en oeuvre de cette provision soit possible. Son insertion dans
l'écriture statutaire du TPIR a davantage une fonction
pédagogique quant à l'étendue des sanctions
internationales que l'on encourt en cas de commission des crimes divers, sans
distinction de leurs auteurs92(*).
Le TPIR comprend 11 juges indépendants. Il existe deux
Chambres de première instance comprenant trois juges et une Chambre
d'Appel de cinq juges. Un procureur s'occupe de l'instruction des dossiers
ainsi que des poursuites93(*). S'agissant des preuves, il est arrêté
que les juges apprécient leur force probante. La conséquence de
cette latitude accordée aux juges internationaux est que toute preuve
valable peut être validée. Selon le règlement du TPIR, s'il
existe un doute sur les preuves, de nature à biaiser le jugement final,
il peut être ordonné de fournir des preuves
supplémentaires94(*). La Cour tient généralement compte de
la coopération des accusés, et peut donc leur reconnaître
des circonstances atténuantes. Ceci peut aboutir à une
grâce ou une réduction de peine95(*).Toutefois, la recevabilité des preuves en
matière de viol est très fortement encadrée. En vertu des
provisions réglementaires du tribunal, les préalables suivants
sont observés scrupuleusement96(*) :
- la collaboration du témoignage de la victime par des
témoins n'est pas requise ;
- le consentement ne pourra être comme moyen de
défense lorsque la victime a été soumise à des
actes de violence, a été contrainte ou soumise à des
pressions psychologiques. Il en est aussi le cas lorsqu'elle a raisonnablement
estimé que, s'il elle ne se soumettait pas, une autre pourrait subir les
mêmes actes ;
- l'accusé doit démontrer que ses moyens de
preuves sont pertinents et crédibles ;
- le comportement sexuel antérieur de la victime ne
peut être invoqué comme moyen de défense.
Les témoins bénéficient d'un
système de protection spécial et les mises en accusation sont
exécutoires dès lors que les Etats y font suite, le Tribunal
n'ayant pas de force de police97(*).
Le TPIR va donc incarner des valeurs de la justice
internationale. Sa composition, son siège et ses règles vont
traduire un ensemble de symboles et de pratiques culturelles internationales en
matière de lutte contre l'impunité. Sa création et son
fonctionnement vont influencer la perception des acteurs internes au Rwanda sur
l'orientation des procès de génocidaire par les tribunaux
nationaux et la collaboration à apporter à ce tribunal. Ceci
confirme donc les postulats de l'institutionnalisme sociologique.
En Afrique du Sud la réflexion sur le rôle du
dehors en matière de justice peut acquérir plus de saillance si
nous dégageons précisément sa part dans la lutte contre
les injustices du système de développement séparé.
D. De la mobilisation des institutions de la
société internationale en justice post Apartheid
Le Commonwealth est l'institution qui s'insurge contre le
régime Apartheid dès son début. Fidèle à son
histoire d'ouverture et d'acceptation des différences, c'est tout
naturellement que la politique du Parti national va être
dénoncée. Les injustices basées sur une
ségrégation judiciaire, scolaire, sexuelle, administrative, et
humaine sont décriées, en vain. Finalement, l'Union Sud africaine
devenue République sort du `'club des gentlemen'' en 1961. Après
l'abolition de l'Apartheid, ce club fera entendre sa voix en acceptant la
réintégration de l'Afrique du Sud en 1994. Cette
réintégration fut conditionnée par des évaluations
pertinentes des avancées en matière de justice sociale et
d'égalité de chance entre les races dans ce pays. Remarquons ici
que l'action n'est pas directe. Contrairement au Rwanda, ce qui est à
l'oeuvre se sont plutôt des incitations à l'adoption des lois plus
justes, à l'abolition des clivages factices qui demeurent
l'émanation des hommes, etc. Cet accompagnement de l'Afrique du Sud est
concomitant à son autonomisation quant à la conduite des
réformes judiciaires et des procès par les acteurs politiques
dominants et les tribunaux nationaux respectivement.
En même temps qu'il est mis au banc de la
communauté des Etats, l'ordre dirigeant Apartheid va conduire le CIO
à exclure le pays des jeux olympiques. Pendant plusieurs années
d'absence dans les compétitions sportives internationales, c'est Mandela
en personne qui marquera le retour de son pays, à la faveur d'un match
de rugby contre la Nouvelle Zélande que l'Afrique du Sud a d'ailleurs
remporté. La sanction du CIO est levée en 1992.
L'UNESCO, de concert avec le Conseil mondial des Eglises, va
aussi jouer sa partition dans la lutte contre les injustices. Plusieurs autres
confessions religieuses sont invitées à concevoir des messages de
réconciliation, mais aussi de justice car l'un ne va pas sans l'autre.
En bonne place, l'Eglise allemande réformée, l'Islam, l'Eglise
catholique romaine, et l'Eglise africaine indigène.
L'ONU a considéré l'apartheid comme une menace
contre la paix et la sécurité internationale98(*). Un Comité
spécial contre l'Apartheid a été créé, de
même qu'un Fonds d'affectation des Nations Unies pour l'Afrique du Sud.
Le Fonds international de défense et d'aide pour l'Afrique australe a
permis notamment de fournir une assistance juridique aux prisonniers politiques
et d'aider les familles. L'ONU a par ailleurs soutenu la campagne mondiale
contre la collaboration militaire et nucléaire avec l'Afrique du Sud
(embargo sur les armes). Le `'Shipping research Bureau'' a pour sa part
aidé à surveiller l'application des mesures relatives à
l'embargo sur le pétrole.
Conclusion de chapitre
Il était question d'étudier la configuration des
acteurs et institutions judiciaires dans les deux pays au double plan interne
et externe. Au terme de cette brève analyse, nous affirmons que la
pluralité est le trait caractéristique dans ce premier chapitre.
Les deux pays pourraient éventuellement servir d'exemple pour illustrer
la diversité des structures et des Hommes en charge d'appliquer la
justice dans les Etats africains sujets à des défis de sortie de
crise. L'appareil que nous avons présenté et, nous osons dire
discuté, fonctionne de manière différente ici et
là. Il n'est pas déconnecté des orientations politiques
données par les acteurs. C'est notamment ce qui justifie la
différence entre les deux pays. Quant à la dimension
exogène, elle a semblé, en plus des initiatives internes, plus
adaptée au cas rwandais, car limitée dans le temps. Faire le
procès des génocidaires était une tâche que l'on
pouvait facilement déconnecter du procès du système
politique. L'externalisation de la justice dans le cas d'espèce visait
donc à garantir cette neutralité, gage des procès non
politiques à orientation punitive certes, mais pédagogique aussi.
La justice internationale a été quasiment absente dans l'autre
cas, si l'on excepte l'action des tribunaux américains, qui
intervenaient d'ailleurs dans un cadre purement national. Dans l'un et l'autre
cas, la justice est l'une des voies par lesquelles le pays passe pour se
reconstruire. Comme le dit Jonh Rawls, la justice, d'un point de vue politique,
« ne se contente pas de fournir un fondement à la justification
des institutions politiques et sociales sur lesquelles l'opinion publique doit
s'accorder, mais (...) contribue aussi à garantir la stabilité
d'une génération à l'autre »99(*). L'étude du pardon
politique en Afrique pourrait confirmer cette posture de la justice et,
derechef, celle de la non opposition entre les deux concepts d'un point de vue
fonctionnel.
CHAPITRE 2 : DU PARDON POLITIQUE : FIGURES,
PROCESSUS DE MISE EN SCENE ET VALEUR
« Parfois acceptée, d'autres fois
rejetée, la figure du pardon prend place dans l'ensemble
des discours qui sont tenus sur des justices
de transition. Elle est d'ailleurs un
motif classique des politiques
de sortie de la violence »100(*)
Le pardon est un concept dont l'opérationnalité
dans le champ politique est problématique à plus d'un titre.
Comme le souligne le cardinal Daly, « il faut accepter
l'idée que le pardon est une démarche très, très
coûteuse et très, très difficile. Il est plus facile de
pardonner par procuration et collectivement que de pardonner personnellement au
coupable des actes abominables dont on a eu à
souffrir »101(*). En effet, dans quelle mesure peut-on objectiver
clairement une valeur morale dans un environnement qui a connu des violences
inter individuelles d'une cruauté ahurissante ? Comment un
être humain peut-il avoir commis des atrocités en toute conscience
et bénéficier du pardon ? Si cela est un devoir pour les
croyants, l'immersion du concept dans la sphère politique complexifie
son élaboration et sa mise en oeuvre. Notre objectif est de comprendre
comment le pardon a pu ou non jouer une fonction pacificatrice, à
côté de l'impératif de sanctionner les auteurs des crimes,
aux fins de diffuser l'idée de `' plus jamais ça !`'. Il
s'agit dans ce chapitre de faire un inventaire critique des acteurs d'une part.
Ceci va nous permettre de comprendre leurs rôles décisifs ou,
inversement, leur influence négative dans le processus de
réconciliation. Il ne sera pas question de les étudier en
exhaustivité. Aussi nous attacherons- nous à en ressortir ceux
dont l'action a été déterminante dans la
réconciliation. D'autre part, il est structurant de voir si l'on peut
parler d'institution du pardon en Afrique, notamment à partir des deux
formes de justices transitionnelles mises en place dans les deux pays.
L'hypothèse que nous avançons ici est qu'en Afrique du Sud, la
volonté de tourner la page définitivement supplante celle de
rendre justice ; ce qui justifie que les principaux acteurs du
régime apartheid n'aient pas été poursuivis. Au Rwanda par
contre, tout en réconciliant tutsi et hutu, il était important
que justice soit prioritairement faite, et que les coupables répondent
de leurs actes, ne fusse que symboliquement. Cette situation nous permet alors
de suggérer que dans un cas, qu'il y a eu un
`'pardon-justice'', et dans l'autre il s'est surtout agi d'une
`'justice-pardon''.
Section 1 : Identification et fonctionnalité
des acteurs du pardon
A l'examen des deux sociétés politiques, il
apparaît que deux grandes catégories d'acteurs du pardon peuvent
être identifiées, à savoir les acteurs individuels et les
acteurs collectifs. Les étudier revient non seulement à
préciser leur posture dans la chaîne de fabrication du pardon,
mais aussi à identifier leurs places dans ce processus. Par ailleurs, il
conviendra de démontrer que bien qu'étant une catégorie
socialement construite, le pardon est aussi un construit politique dynamique.
Paragraphe 1 : Un processus civilisateur entre
acteurs passifs et acteurs actifs
De manière fondamentale, nous pensons que l'on peut
distinguer les acteurs passifs des acteurs actifs.
A. Les acteurs actifs du pardon : les victimes
Bole et alie reconnaissent que les victimes sont les
premiers agents du pardon en Afrique102(*). Par victime il faut entendre la partie qui subit la
violence. Il s'est agi des tutsi pour le Rwanda et des noirs pour l'Afrique du
Sud.
Le génocide rwandais a lieu du 06 avril 1994 au 4
juillet de la même année. En trois mois, 800000 tutsi (selon
l'ONU) ont été massacrés, ainsi que des hutu dits
`'modérés''. Ces derniers seraient ceux qui apportaient du
soutien à des voisins tutsi, amis, et familles pourchassées.
Après la mort du Président Habyarimana, un gouvernement
intérimaire est mis sur pied. Le colonel Bagossora en sera le leader.
C'est sous sa houlette qu'une véritable stratégie
d'élimination des `' cafards103(*) `' va être exécutée, comme en
témoignent ces crânes d'êtres humains.
Source :
http://wikipedia.org/w/index.php ?
La stratégie consistait à traquer, puis éliminer,
grâce à un réseau informationnel très puissant, tous
ceux qui avaient des caractéristiques physiologiques des tutsi. Les
armes utilisées étaient rudimentaires : machettes
principalement, houes, et gourdins. Un système inique d'incorporation
des représentants de l'administration fut établi, à tel
point que des barrages étaient dressés par ceux-ci, sous le
prétexte de protection par regroupement dans des lieux publics104(*). Le rapport sur la situation
des droits de l'homme au Rwanda, présenté par Réné
Degni-Ségui, en application du paragraphe 20 de la résolution
S-3/1 du 25 mai 1994, est sans équivoque dans ses points dix et
onze:
« 10.
Les atrocités se révèlent davantage dans la manière
de donner la mort aux Tutsi: ceux-ci sont le plus souvent
exécutés à l'arme blanche; ils sont frappés
à coups de machette, de hache, de gourdin, de barre de fer ...
jusqu'à ce que mort s'ensuive.
11.
De plus, ces massacres sont systématiques, n'épargnant personne,
même pas les bébés. Et les victimes sont
pourchassées jusque dans leur dernier retranchement : orphelinats,
hôpitaux et églises ».
La
violence a donc atteint un degré inimaginable. Des femmes tutsi
étaient éventrées lorsque enceintes, à l'effet de
tuer les foetus `'cafards''. Les opérateurs des tueries prenaient
plaisir à faire `'le travail'' en regroupant les membres d'une
même famille tutsi. Le père devait alors assister au
viol105(*) de sa fille,
son épouse, avant d'être lui-même
égorgé106(*). Le Colonel Bagossora en personne coordonnait les
opérations. Devant cette stratégie ordonnée, les tutsi qui
réussissent à s'échapper ou ceux qui
bénéficient de l'aide des hutus modérés vont se
réfugier dans des pays voisins jusqu'à la prise de pouvoir par le
FPR le 4 juillet.
En Afrique du Sud, les noirs pourtant majoritaires107(*) ont été les
victimes de l'Apartheid. A la différence du génocide, ici ce qui
constitue l'objet de haine et de discrimination c'est la couleur de la peau. Si
au Rwanda les violences contre les tutsi ont été
perpétrées en 3 mois seulement, en Afrique du Sud par contre
elles l'ont été de 1948 jusqu'en 1991, soit 43 années
d'abus multiformes. Dès la victoire du Parti National, la politique de
ségrégation raciale est mise en marche dans ce pays par Daniel
François Malan. En réaction, l'ANC dénonce cette politique
et finit par lancer une lutte armée. Des manifestations sont
organisées, suivies des répressions et d'emprisonnement. Le
massacre des noirs de Sharpeville en est l'exemple emblématique de
même que les émeutes de Soweto. Des militants noirs sont
arrêtés et jetés en prison.
Ces acteurs sont considérés comme actifs dans la mesure
où l'initiative du pardon part de leurs consentements. C'est en effet
aux victimes de décider en priorité de la nature et de
l'étendue du pardon. Parce que ce sont elles qui ont subi les violences,
c'est à elles d'accepter leurs oppresseurs comme appartenant à la
famille de l'humanité civilisée, et de choisir de cohabiter avec
eux. Comme le dit Desmond Tutu, « Nous aurions très bien
pu faire justice, nous faire justice, et nous retrouver dans une Afrique du Sud
qui ne serait plus que cendres... »108(*).
L'option pacificatrice et réconciliatrice des victimes de l'apartheid
est impulsée par les leaders noirs, à l'instar de Mandela. Des
partis politiques comme l'ANC ont accepté de négocier la paix et
de pratiquer l'ubuntu109(*). Les relations entre les acteurs actifs et les
acteurs passifs ont permis de consolider cette idée. Qui d'autre que les
victimes du génocide peut pardonner à leur place ? L'un des
éléments du pardon étant la renonciation à la
vengeance, c'est la raison pour laquelle victimes et bourreaux doivent se
regarder en face pour tenter de reconstruire la relation sociale brisée.
E.
Les acteurs passifs : les bourreaux
Au
Rwanda, il est à la fois facile et difficile de dire avec certitude qui
est bourreau et qui ne l'est pas. Facile, cette entreprise l'est dans la mesure
où les hutu majoritaires sont ceux qui ont tué en masse les tutsi
et les hutu modérés. Les bourreaux sont donc les premiers
suppléés dans leur tâche par les interahamwé et les
Impuzamugambi issus de la coalition pour la défense de la
République110(*).
Les médias sont aussi des bourreaux, à l'instar de Radio
Télévision Mille collines111(*) qui, le 10 mai 1994, lançait :
« Prenez vos machettes, prenez vos lances, faites vous
épauler par les soldats (...) combattez les avec vos lances, vos
bâtons, (...) transpercez les ces cafards »112(*). Il en va de même du
Journal Kangura qui publia les 10 commandements des Bahutus,
véritables appels aux meurtres113(*). Ces commandements sont les suivants :
-
tout Hutu doit savoir que la femme tutsi, où qu'elle soit, travaille
à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent, est traître
tout hutu qui épouse une tutsi, qui d'une tutsi sa secrétaire ou
sa protégée ;
-
tout hutu doit savoir que nos filles sont plus dignes et plus conscientes
dans leur rôle de femme, d'épouse ou de mère de famille. Ne
sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires et plus
honnêtes ?
-
filles hutu, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos
fils à la maison ;
-
tout hutu doit savoir que tout tutsi est malhonnête dans les affaires. Il
ne vise que la suprématie de son ethnie ;
-
les postes stratégiques tant politiques, administratifs,
économiques, militaires et de sécurité doivent être
confiés aux hutu.
-
le secteur de l'enseignement doit être majoritairement hutu.
-
les FAR doivent être exclusivement hutu.
-
les hutu doivent cesser d'avoir pitié des tutsi.
-
les hutu, où qu'ils soient, doivent être unis solidaires et
préoccupés du sort de leurs frères hutu.
-
la révolution sociale de 1959, le référendum de 1961,
l'idéologie hutu, doivent être enseignés à tout hutu
et à tous les niveaux.
Difficile,
la désignation des bourreaux au Rwanda tient du fait que la survenue des
événements de 1994 reste sujette à débat
aujourd'hui, quant au rôle de certains acteurs internes et externes. Au
plan interne, le FPR de l'actuel Président Kagame est parfois
indexé comme ayant soit préparé, soit planifié le
génocide. En soutien à cette hypothèse, une
éventuelle responsabilité de ses éléments (tutsi
réfugiés en Ouganda avant les Accords d'Arusha) dans l'attentat
contre l'avion du Président rwandais abattu. Ce qui est du reste
considéré comme le début du génocide. Le but
visé aurait été de sacrifier au besoin des
`'frères'' tutsi, pour légitimer leurs actions militaires contre
les FAR et conquérir le pouvoir en fin de compte.
Au
plan externe, certains pays comme la France sont apparus comme ayant eu tous
les éléments disponibles ayant pu permettre d'éviter le
génocide. En soutien à cette hypothèse, des rapports des
Commissions françaises et ceux des ONG114(*). Au cas où cela est
avéré, peut-on pour autant raisonnablement étendre le
statut de bourreau à la France ? Le fait pour elle d'avoir
uniquement évacué ses ressortissants, ainsi que des proches de la
famille du Président assassiné l'incrimine-t-il pour
autant ? Vaste questionnement dont nous n'avons pas la prétention
d'apporter des réponses ici.
En
Afrique du Sud a contrario, la détermination des bourreaux est
plus aisée. Il s'agit clairement des Africaners (Boers), blancs, dont
les leaders ont planifié la ségrégation raciale115(*). Parmi ces leaders, le haut
du pavé est occupé par JG Strydom, Nicolas Havenga, DF Malan, EG
Jansen, et Charles Swart. En 1950, le `'Group areas Act'' institue un
classement de la population par catégorie raciale. Cette loi a pour
conséquence la création des zones de résidences
distinctes, la création des réserves pour noirs, et
l'interdiction de l'accès à 87% du territoire, zone
réservée aux blancs. En 1951, une loi oblige les noirs à
détenir un passeport intérieur. Une année plus tard, le
`'Separate Amenities Act'' consacre la séparation des lieux publics
entre blancs et noirs, pendant que le `'Bantou Education Act'' limite
l'éducation des noirs au strict niveau requis pour exercer une
profession. Lorsque, en 1983, une nouvelle constitution est adoptée, un
parlement comprenant trois chambres est mis sur pied. Le droit de vote est
étendu aux métis et aux indiens, mais pas aux noirs.
Il
est néanmoins usuel d'avoir des difficultés à dire
jusqu'où les bourreaux ont réellement causé du tort. Dans
ce cas, la détermination des victimes n'est pas à l'abri de la
politisation, ou de la manipulation de l'histoire. Ceci revient à
soutenir que l'ambiguïté qu'il y a dans ce processus tient aux
interactions troubles que l'on peut observer entre ceux qui sont
supposés avoir subi ces violences et ceux qui les ont
perpétrées. En Afrique du Sud, le problème ne se pose pas
de la même manière qu'au Rwanda. Si dans le premier cas il est
presque impossible de prouver que des noirs ont contribué de
manière décisive à l'apartheid, dans le second par contre
des études -certes polémiques- ont envisagé
l'hypothèse des tutsi génocidaires, notamment à travers le
FPR et des hutu non génocidaires ayant aidé, au péril de
leur vie, des tutsi en dangers de mort.
De
toutes les manières, les coupables doivent être disposés
à reconnaître leurs torts. Cette exigence est nécessaire
pour faciliter le travail de deuil des victimes. Comme le dit Abderrahmane
N'Gaide, « les bourreaux doivent répondre de leurs crimes,
expliquer comment ils ont fait mourir leurs semblables, raconter la souffrance
de ces hommes »116(*). Pour l'auteur, les bourreaux portent en eux les
marques indélébiles du crime et doivent être
châtiés en tant que tel. Or pour aboutir à une
réconciliation véritable, il faut toujours allier la logique de
la justice à celle de la renonciation à la vengeance. D'autres
acteurs sont identifiables dans la chaîne du pardon.
Paragraphe 2 : les acteurs collectifs et les
personnalités majeures : des positionnements
asymétriques
Il sied d'examiner la place qu'ont occupée la société et
certaines institutions, ainsi que de mettre en lumière l'office des
figures majeures des processus dans les deux pays.
A.
Les acteurs sociaux et moraux : pluralité et
spécificité des rôles
La
société désincarnée, que ce soit en Afrique du Sud
ou au Rwanda, a subi directement les affres de l'apartheid et du
génocide. Dans un cas, le cloisonnement racial a eu pour corollaire le
cloisonnement social. L'écart entre blancs et noirs en matière
d'égalité des chances dans l'accès à
l'éducation, consécutif au Bantou Education Act, a
été un crime contre la société. La
nouvelle catégorie `'crime contre la
société'' dont nous voulons proposer l'avènement
ici, renseigne mieux les terrains sous étude et resserre le niveau
d'interpellation direct, l'humanité étant
précisément une immensité. Celle-ci pourrait forger une
nouvelle qualification des atteintes graves, conscientes et planifiées,
exercées à l'encontre des personnes vivant dans un milieu
précis du globe, provenant de l'intérieur du milieu ou non, et
ayant pour effet de dénier l'inscription de la sociabilité
commune des habitants du milieu dans le temps long.
La philosophie publique du pardon dont parlent Bole et ses
collègues117(*)
valide donc la société comme acteur. Dans l'autre cas,
l'ethnicisation du politique s'est faite en créant des clivages au sein
de l'espace social. Pendant un temps, l'identification citoyenne a
été biaisée tout en imprimant des identités
ethniques dans le référentiel global-national.
L'altérité négative qui s'en suivit déstructura les
liens sociaux entre hutu et tutsi englués dans le rejet mutuel de
l'autre. Il est éclairant à ce titre de rappeler cette
interrogation de Anne Cécile Robert ; laquelle semble confirmer
cette situation intriquée: « Comment faire vivre ensemble
les victimes et les bourreaux, quand ceux-ci sont des voisins, des parents, qui
ont fait preuve d'une incroyable ingéniosité dans la mise en
oeuvre des atrocités ? »118(*). Nous dirons donc
avec Bole et alie que « la société est un
agent potentiel du pardon ; elle peut, à travers des structures,
ses lois et sa culture, s'engager dans une démarche de
pardon »119(*). Dans les deux pays, les lois votées par les
parlements avaient pour finalité d'apporter une réponse
adéquate aux liens sociaux distendus. Que ce soit pour rendre justice ou
pour aménager les institutions chargées de reconstuire la
coexistence ente différents groupes, le bénéficiaire est
la société. Au Rwanda, des associations ont été
créées, à l'instar d'IBUKA (souviens-toi). L'association
AVEGA a développé un Projet de confection de petits paniers
utilisés dans la décoration et exportés plus
spécialement sur le marché américain. Elle est
constituée de femmes de veuves et d'autres dont les maris sont
incarcérés pour génocide. A côté de celles-ci
l'on retrouvera des institutions comme la Commission nationale de
l'unité et de réconciliation120(*), l'office de l'ombudsman et la Commission nationale
de lutte contre le génocide. En Afrique du Sud, l'arsenal juridique
ségrégationniste est modifié, l'appareil administratif de
l'Etat est unifié, un acte fondamental définit les nouvelles
valeurs sociales.
Les Eglises peuvent aussi être considérées comme des
acteurs du pardon, dans la mesure où leur rôle aura
constitué à dépolitiser cette valeur121(*). Il convient dès lors
de prendre au sérieux le travail des ministres du culte. Desmond Tutu en
Afrique du Sud en est l'illustration, avec l'Eglise de Nyamata au
Rwanda122(*). Le
procès de Monseigneur Augustin Misago, Evêque de Gikongoro (Sud)
pour complicité de génocide des tutsi à Cyanika jette
pourtant un voile noir sur la place de ces forces morales pendant le
génocide.
F.
Le pardon comme empreinte d'acteurs individuels : des rôles
variables
Au
Rwanda, il est incontestable que la figure de Kagame mérite une
attention particulière123(*). A l'âge de quatre ans, il quitte sa famille
en 1961, suite au premier massacre des tutsi en 1959. Il vit en exil en
Ouganda. Après la suspecte mort de son ami Fred Rwigema le 02 octobre
1990, il prend la direction du FPR. Paul Kagame va négocier les
Accords d'Arusha avec Habyarimana. Son rôle dans le processus de
construction du pardon est capital. De l'avis de plusieurs observateurs, il
serait l'un des commanditaires de l'assassinat du Président Habyarimana.
Il est vice-Président du Rwanda et ministre de la défense le 19
juillet 1994. Le 17 avril 2000, il devient Président de la
République, suite à une élection. C'est lui qui va
proprement impulser la reconstruction du Rwanda où 91% de tutsi
présents au pays furent tués en 1994. On lui prêtera aussi
un rôle dans le renversement de Mobutu et l'arrivée au pouvoir de
Laurent désiré Kabila. Les anciens éléments des FAR
et les milices interahamwes s'y étant réfugiés, les
troupes de l'APR les y ont débusquées. En 1997, il est
accusé d'ingérence dans les affaires intérieures du Congo.
11 ans plus tard, il est soupçonné de soutenir la milice tutsi de
Laurent Nkunda. Kagamé va gracier l'ancien Président, le pasteur
Bizimungu en 2006, soit trois ans après sa condamnation à 15 ans
d'emprisonnement fermes. Au-delà de la volonté de cet acteur de
maîtriser toute la chaîne du pouvoir dans son pays, il est clair
que c'est aussi lui le catalyseur du processus de réconciliation au
Rwanda.
Le
pasteur Bizimungu a aussi été un acteur de poids124(*). Président rwandais
dans le gouvernement de transition, celui-ci est un hutu modéré
proche du FPR. Sa présence auprès de Kagamé est donc un
argument de réconciliation entre les hutu dont il est issu, et les tutsi
qui sont les nouveaux acteurs dominants du champ politique rwandais. Il sera
Président pendant 6 ans. Après sa démission de la
tête de l'entreprise publique Electrogaz en 1990, il avait accusé
le Président Habyarimana d'encourager les tensions communautaires dans
le pays. Par réalisme politique, il rejoint les rangs du FRR en Ouganda
et en devient porte parole. Il en sera d'ailleurs le chef de
délégation aux négociations d'Arusha en Août 1993.
Les premières réformes judiciaires sont lancées pendant
son mandat, de même que les procès des génocidaires devant
les juges nationaux et le TPIR. En mars 2000, il démissionne de ses
fonctions de Président de la République et fonde en 2002 un parti
politique : le PDR. Cette audace politique lui coûtera un
procès expéditif et une condamnation. Abordons à
présent le cas de trois figures déterminantes en Afrique du Sud.
Nelson
Mandela est né le 18 juillet 1918 à Mvézo, un bantoustan
du Transkei (il correspond à l'actuel Cap Oriental). Il intègre
l'ANC en 1944. A partir de 1948, il participe à la lutte non violente
contre l'apartheid. Devant la radicalisation de la politique de la
minorité blanche, il créé la branche militaire de l'ANC,
le Umkhoto we Sizwe, en 1961. Il est président de la
représentation de son parti au Transvaal en 1952 et
Vice-Président au plan national. Il organise, avec ses compagnons de
lutte (à l'instar de Olivier Tambo), le « Defiance
Campaign » du 06 avril 1952, à l'occasion de la
célébration du 300e anniversaire de la création
du Cap et de la 1ère institution blanche d'Afrique du Sud.
8500 noirs sont arrêtés sur près de 10000 manifestants.
Mandela en fera partie ; sera jugé en 1953 et condamné
à 9 mois d'emprisonnement avec sursis et résidence
surveillée. En 1956 il est accusé de trahison. En 1961, il est
arrêté et jugé deux ans plus tard, à l'âge de
45 ans. Il sera condamné à la prison à vie d'où il
en sortira le 11 février 1990. A sa sortie, il déclara :
« J'ai combattu la domination blanche et j'ai combattu la
domination noire. J'ai rêvé de l'idéal d'une
société libre et démocratique où tout le monde
vivrait en harmonie avec des chances égales. C'est un idéal pour
lequel je veux vivre et que je veux réaliser. Mais, s'il le faut, c'est
aussi un idéal pour lequel je suis prêt à
mourir »125(*).
Desmond
Tutu est né le 07 octobre 1931 à Klerksdorp. Ordonné
prêtre en 1961, il est fait aumônier de l'Université qui
accepte des étudiants noirs pendant la période de
ségrégation : Fort Hare. Il s'est dès lors
très vite engagé dans des prêches qui participaient du
réveil de la conscience des noirs, sur leur dignité et leur non
infériorité vis-à-vis des blancs. A la mort de Steve
Bico126(*) en 1977, il
est choisi pour lire l'oraison funèbre. Il participait à des
réunions secrètes du mouvement créé par ce dernier
ainsi qu'aux activités de la Black Theology qui popularisa les vertus de
l'Ubuntu. Il milita pendant des années pour le
décloisonnement social dans son pays, ce qui sera couronné par un
Prix Nobel de la paix le 16 octobre 1984. Desmond Tutu sera fait
Président de la Commission vérité et réconciliation
créée pour permettre aux Sud africains d'écrire ensemble
leur histoire.
Frédérik
Willem de Klerk a joué un rôle de premier plan dans la
réconciliation entre blancs et noirs. Né le 18 mars 1936 à
Johannesburg, c'est lui qui conduisit les réformes qui mirent fin
à l'apartheid en 1991. La légalisation de l'ANC est
marquée de son empreinte tout comme les négociations entre le PN
et son éternel adversaire politico idéologique. Après la
victoire de Mandela, il devient, avec Thabo Mbéki, l'un des deux
vice-Présidents du pays. En 1993, il reçoit le prix Nobel de la
paix avec Mandela. Il quitte la direction du PN en 1997 et se retire de la vie
politique. En 2000, il crée une Fondation chargée de promouvoir
la paix dans les Etats multi raciaux.
Ici,
il convient de noter l'opérationnalité relative du néo
institutionnalisme. En avançant que l'analyse part des institutions et
non des acteurs, les néo institutionnalistes ont affirmé que
l'action est conditionnée par les institutions. Dans le domaine du
pardon par contre, la volonté des acteurs est la clé de sa
portée. Au vrai, ce sont plutôt les acteurs qui vont
déterminer et donner de la substance aux institutions. On pourrait donc
dire que, contrairement au néo institutionnalisme du choix rationnel,
l'action est déterminée par les acteurs. Tous ces acteurs ont
joué un rôle de premier plan dans la construction du pardon et
dans les deux pays, soit par le haut, soit par le bas.
Section 2 : Le pardon comme catégorie
politiquement construite : variété et
« januosité » d'un processus
Les « gacacas » constituent un projet des
acteurs internes néanmoins implémenté au niveau du bas,
tandis que la CVR renseigne plus sur l'existence d'un mouvement
d'émanation exogène127(*) toutefois impulsé à partir du haut.
Paragraphe 1 : La construction d'une `'justice-pardon''
par le bas : les « gacacas » au Rwanda
Le
Rwanda a mis sur pied un mécanisme complexe de mise en scène de
la justice, qui allie tradition et quelques bribes de modernité. Il
s'agira successivement d'examiner la mise en place et la mise en oeuvre de ces
tribunaux.
A.
La mise en scène d'une forme originale de justice transitionnelle128(*)
Après
la mort des tutsi pendant le génocide, les nouvelles autorités
rwandaises qui contrôlent le pays vont faire de l'impératif de
justice une urgence. Devant l'incapacité de la justice classique
à connaître de l'ensemble des cas129(*) pour des raisons
évoquées, la décision est prise de s'appuyer sur un mode
local préexistant de règlement des conflits. En effet, le
modus operandi des « gacacas » s'est toujours
appuyé sur des `'inyangamugayo'' choisis pour leur vertu,
probité, leur âge élevé, leur sagesse dans la prise
des justes décisions, leur générosité, et leur
influence économique dans la communauté. Ce système
était en vigueur au Rwanda avant la colonisation et l'adoption du droit
moderne comme régulateur judiciaire. Les sanctions variaient en fonction
de la nature de la faute commise. Il n'y avait pas de prison et l'ensemble de
la famille du coupable (requise pour la réparation du tort) était
sanctionné avec ce dernier dans un mécanisme de collectivisation
de la punition130(*).
L'ordre
dirigeant rwandais rejette l'option de création d'une CVR et opte
plutôt pour un modèle qui privilégie la lutte contre
l'impunité. Ce choix est considéré par Peter Uvin comme
une révolution sans précédent au plan
`'légal-social'' à la fois dans sa taille et son
étendue131(*). Le
26 janvier 2000, une loi organique modifiée en 2004 créé
les gacacas132(*).En
2001, des élections permettent d'avoir 255000 juges
« gacacas » qui seront par la suite formés en mai
2002. Les « gacacas » sont organisés autour de
quatre niveaux133(*) :
-
la cellule ;
-
le secteur ;
-
le district ou la ville ;
-
la province ou kigali.
Chacun
de ces trois niveaux est constitué de trois organes :
L'Assemblée générale qui est composée de tous les
habitants de la cellule âgés au moins de 18 ans révolus. Au
niveau supérieur, l'Assemblée générale regroupe les
délégués des niveaux inférieurs. Environ 50
personnes constituent l'effectif requis pour son fonctionnement. En plus de
l'Assemblée générale, il existe un siège de la
juridiction « gacaca » comprenant 19 membres choisis par
l'Assemblée générale. Le Comité de coordination
enfin élit en son sein 5 membres chargés de coordonner l'ensemble
du travail : un Président, deux vice-Présidents, et deux
secrétaires sachant lire et écrire convenablement le
Kinyarwanda134(*).
Au
niveau de la cellule, le but est de collecter toutes les informations utiles
pour la constitution du récit historique du génocide dans la
circonscription de ladite cellule. L'objectif à terme est de renseigner
les échelons supérieurs grâce à des
éléments de terrain dont la précision détermine
très souvent le travail de ces échelons. Concrètement,
trois étapes interviennent : la reconstitution des faits, la
catégorisation et le jugement proprement dit. Ce jugement est
décidé après six réunions ainsi
réparties135(*) :
-
la 1ère réunion décide du lieu, du jour et de l'heure des
réunions suivantes, complète le siège s'il y a lieu et les
nouveaux membres prêtent serment devant l'Assemblée
Générale ;
-
la 2ème réunion établit la liste de ceux qui habitaient la
Cellule pendant le génocide;
-
la 3ème réunion établit la liste des personnes
tuées dans la Cellule ;
-
la 4ème réunion dresse la liste des personnes tuées en
dehors de la Cellule ;
-
la 5ème réunion fait la liste des victimes du Génocide et
leurs biens endommagés ;
-
la 6ème réunion établit la liste des accusés de
Génocide.
Une réunion est par la suite organisée (sorte de 7e du
genre). Pendant celle-ci, les dossiers individuels des accusés sont
établis. En s'appuyant sur les informations recueillies lors des
précédentes réunions, les accusés sont
classés dans une catégorie précise selon
l'énumération de la loi de 1996136(*). Quel bilan peut-on dresser des
« gacacas » aujourd'hui ?
G.
Du parlementarisme traditionnel à la solidarité
discursive
La
finalité des juridictions gacacas était de suivre l'orientation
générale en matière de répression du
génocide et des infractions connexes au Rwanda. Leur caractère
extra judiciaire n'a pas pour autant empêché qu'elles ne
s'appuient sur la loi n° 08/96 du 30/08/1996 portant organisation et
répression du crime de génocide et des massacres ou des crimes
contre l'humanité. Il a même existé une collaboration entre
ces tribunaux et les parquets modernes. Toutefois, l'autorité
législative a voulu donner la plénitude de la compétence
aux juridictions ordinaires dans les crimes relevant de la
1ère catégorie. Pour le Rwanda, il est important
d'allier la vocation réconciliatrice à l'impératif
juridico historique. Ceci se justifie par la nature du crime commis : le
génocide. Il a surtout été question de s'appuyer sur la
tradition pour y trouver des valeurs exportées vers la modernité
juridique, à l'effet de stigmatiser ce `'crime contre la
société '' rwandaise en particulier.
La mise à jour des faits permet à l'ensemble des juridictions
« gacacas » de contribuer à l'écriture
collective de l'histoire du génocide. Ce processus de publicisation de
la violence a, à rebours, une fonction d'aseptisation de la
société. Les « gacacas » ont consisté
en cette mise en scène des massacres. Il s'agissait en clair d'entrer
dans l'intimité du crime pour en dégager le mode
opératoire, les mobiles et les remords de ceux qui les ont commis. Une
fois par semaine au moins, les membres d'une communauté (cellule,
secteur, etc) se retrouvaient pour les audiences publiques137(*). Le but recherché
était non seulement de reconstituer les faits, faciliter le jugement des
responsables en éradiquant l'impunité, mais aussi
réconcilier les Rwandais. Dans ce sens, des personnes appelées
à témoigner au cours des procès publics ont souvent
été des hutu modérés ayant aidé les tutsi
pourchassés. Le système permettait à l'auditoire de
s'exprimer. Ainsi, des faits nouveaux pouvaient jaillir d'une intervention
tierce à charge ou à décharge du prévenu. Lorsqu'un
prévenu avouait le crime, il bénéficiait d'une
réduction de peine. Le procédé fonctionnait
ainsi138(*) :
1er
cas : Lorsque la personne n'a pas avoué ou que son aveu a
été rejeté la peine capitale ou à
perpétuité était requise.
2e
cas : Lorsque l'aveu intervient avant la publication du nom d'un
prévenu sur la liste de 1ère catégorie, il encourt 25 ans
d'emprisonnement ou la perpétuité.
3e
cas : Lorsque l'aveu arrive après accusation et rangement sur la
liste faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, la
peine est de 12 à 15 ans d'emprisonnement. La moitié est
purgée en prison, pendant que l'autre est commuée en prestation
des travaux d'intérêt général.
4e
cas : Si l'aveu arrive avant l'accusation et le rangement sur la liste
faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, 7
à 12 ans d'emprisonnement sont prononcés. La moitié de la
peine est purgée en privation de liberté et l'autre
commuée en prestation des travaux d'intérêt
général.
5e
cas : Si la personne n'a pas avoué ou son aveu a été
rejeté, elle écopait de 5 à 7 ans d'emprisonnement. La
moitié de la peine est passée en prison, et l'autre
commuée en prestation des travaux d'intérêt
général.
6e
cas : Si l'aveu est postérieur à l'accusation et au
rangement sur la liste faite par la juridiction « gacaca »
de la Cellule, 3 à 5 ans d'emprisonnement sont décidés.
Une partie de la peine est passée en prison, l'autre commuée en
prestation des travaux d'intérêt général.
7e
cas : Quand l'aveu intervient avant le rangement sur la liste faite par la
Juridiction « Gacaca » de la Cellule, la personne est
condamnée à 3 ans d'emprisonnement. La moitié de la peine
purgée en prison ferme et l'autre commuée en prestation des
travaux d'intérêt général.
Les
cellules ont connu des crimes de la 4e catégorie ainsi que
des oppositions aux jugements rendus par elles en l'absence de prévenus.
Les secteurs étaient compétents dans les crimes de 3e
catégorie et les oppositions aux jugements rendus par eux en l'absence
de prévenus. Les districts avaient une compétence étendue
à la 2e catégorie tandis que les provinces
connaissaient des appels contre les jugements des districts de leurs ressorts.
Au
plan institutionnel, la création des gacacas a entraîné
celle d'une 6e chambre auprès de la Cour Suprême,
spécialement chargée de suivre leur travail. Mais, avec les
réformes subséquentes dans son organisation ultérieure,
cette chambre est supprimée au profit d'un Service national
chargé du suivi, de la coordination et la supervision des
activités des « gacacas ».
Le
travail effectué par ces tribunaux a été
déterminant pour réconcilier hutu et tutsi. L'évocation
par les bourreaux des crimes commis a permis à bon nombre de Rwandais
d'accepter de pardonner. Ce pardon faisait suite à la manifestation des
remords par les génocidaires. Les gacacas ont permis, malgré un
manque de professionnalisme dans leur fonctionnement, de désengorger les
tribunaux classiques. Le travail de collecte des informations à
différents niveaux locaux a permis d'aider la justice ordinaire dans la
formulation des incriminations et la formalisation des qualifications des
crimes. Il est éclairant de voir que ces tribunaux ont permis de
réécrire l'histoire du génocide. Une histoire authentique
a germé des récits des acteurs, et une flopé
d'informations ont été récoltées, pour pouvoir
servir de référence à la prévention
d'éventuels actes de violences similaires. Des institutions ont
été créées pour coordonner l'activité des
« gacacas ». Cette réalité a
témoigné de la volonté d'institutionnaliser ces cadres de
justice non classiques qui s'appuyaient pourtant sur des provisions
destinées à être appliquées par la justice
ordinaire. La CVR procède d'une toute autre logique.
Paragraphe 2 : L'institutionnalisation d'un
`'pardon-justice'' par le haut : la Commission vérité139(*) et réconciliation en
Afrique du Sud
Pendant que le Rwanda forge un mécanisme endogène de gestion
judiciaire basé sur la tradition, l'Afrique du Sud va reprendre un
modèle expérimenté hors d'Afrique pour non seulement le
perfectionner, mais aussi l'adapter à sa situation post conflit.
L'étude de la composition et de l'office de cet organe ainsi que ses
modes opératoires nous permettra de démontrer que, ici,
l'impératif de réconciliation est l'horizon indépassable
de la société post apartheid, quitte à sacrifier
l'impératif de justice réparatrice.
A.
Un processus cathartique : logistique et logique
Des
expériences antérieures ont permis d'imaginer l'expérience
sud africaine. En Bulgarie, une loi dite Panev datée de décembre
1992 obligea les hauts fonctionnaires à rédiger des rapports sur
leurs activités communistes antérieures au nouveau régime.
En Allemagne, les généraux de la RDA ont été
poursuivis pour le meurtre des Allemands ayant tenté de franchir le
« mur de la honte » (Berlin). En Ouganda, une Commission
d'enquête internationale est créée par Idi Amin Dada, pour
statuer sur les disparitions massives dans son pays entre 1971 et 1974. En
Argentine, le cas de la Commission nationale pour les personnes disparues mise
sur pied en 1983 est significatif. La Commission vérité du Chili
mérite également d'être mentionnée. Pour Amy Ross,
la Commission Sud africaine se démarque assez de ses
précédentes : « Deux aspects en particulier
diffèrent totalement des commissions vérité
antérieures : la possibilité pour le public d'assister aux
séances, soit en personne lors d'auditions ouvertes, soit par le biais
d'une couverture médiatique régulière, la façon de
lier la poursuite de la vérité sur les atrocités avec le
droit d'amnistier pour ces crimes... »140(*).
La
Commission vérité et réconciliation sud africaine a
débuté son travail en 1990141(*). Une description y est donnée de tous les
crimes et disparitions perpétrés par la police. Elle va donc
s'inspirer des différents modèles ci-dessus, de bien d'autres non
évoqués, et transposer dans son propre cadre les contradictions
engendrées par les expériences
précédentes142(*). Il s'agira aussi pour les Sud africains de trancher
entre l'amnistie et la justice punitive. En 1995, cette Commission est
instituée143(*).
Elle débute ses activités un an plus tard dans la ville de East
London, théâtre des violences policières dans les
années 1970 et ville d'origine de Steve Biko. Le mandat alloué
à cette institution était de faire un inventaire des violations
des droits de l'homme intervenues en Afrique du Sud entre 1960 et 1993 d'une
part et d'indemniser les victimes d'autre part. Elle devait en outre
procéder à des recommandations pour éviter des violations
ultérieures des droits de l'homme. La CVR sud africaine a eu ceci de
particulier qu'elle avait le pouvoir d'octroyer des amnisties à des
conditions bien précises144(*).
L'avènement
de cette Commission a été la résultante d'intenses
débats et négociations entre les acteurs de la scène
politique nationale. Les positions étaient en effet divergentes, quant
aux mesures à prendre pour réécrire l'histoire du pays.
Tout au plus, le minimum de consensus était présent, relativement
à la définition même d'une CVR. Celle-ci est, de l'avis du
juriste et politiste Neil J Kritz, « une institution par le biais
de laquelle une nation essaie d'établir une estimation, une histoire et
un inventaire officiel des violences et violations du droit
perpétrées par le passé »145(*). Les leaders blancs de
l'Apartheid souhaitaient l'amnistie totale pour les exactions et bévues
commises par les forces de sécurité et les différents
planificateurs de l'apartheid. Les militants de l'ANC par exemple
étaient en faveur du jugement de tous les responsables des violations
des droits de l'homme dans le pays pendant l'apartheid. Cette démarche
ne fut pas soutenue par l'élite ANC et d'autres forces progressistes qui
optèrent pour la création d'une CVR. Ce choix était aussi
guidé par des raisons de réalisme politique. La minorité
blanche détenait encore suffisamment le contrôle des maillons
sensibles du système politique pour faire échouer le processus de
réconciliation cher à Mandela. Ce qui a fait dire à
Desmond Tutu : « Au lieu du bain de sang que beaucoup
craignaient et que bien d'autres avaient prédit, voilà que les
Sud Africains, noirs et blancs réunis, étaient en train de
réussir un changement et une passation de pouvoir relativement
pacifiques »146(*).
La CVR en Afrique du Sud était composée des membres dont
l'origine ethnique et raciale devait refléter la volonté d'unir
les Sud africains. Ainsi, le Président et les différents membres
ont été désignés en fonction de ce critère,
mais aussi pour leur engagement dans la lutte contre l'apartheid, ou leur
neutralité politique, à quelques exceptions. La liste
complète des membres est résumée dans le tableau
ci-après:
Tableau
2 : Les membres de la CVR
Source :
Tableau réalisé par nous.
Ces
membres ont été retenus suite à une sélection
rigoureuse de plus de 300 candidats. Ces personnes ont fait l'objet des
auditions publiques, processus au terme duquel 35 noms ont été
retenus. C'est finalement Nelson Mandela, aidé par son cabinet, qui
chosira les 17 membres ci-dessus. Il n'est pas inutile de revenir sur le
contexte de sa création pour mieux en dégager le bilan.
B.
La mise en scène contextuelle de la vérité : une
constellation des victimes
La
Constitution provisoire sud africaine du 27 avril 1994 a prévu
l'amnistie. Cette clause insérée dans le dernier paragraphe du
texte constitutionnel énonce : « Pour favoriser une
telle réconciliation et une telle reconstruction, une amnistie sera
accordée en relation avec les actes, les omissions et les infractions
associées à des objectifs politiques et commis au cours des
conflits du passé... »147(*). Le 13 Janvier 1995, 3500 membres des forces de
sécurité bénéficient de cette amnistie. Ces rappels
permettent de situer le travail qui était attendu de la CVR148(*), dont l'établissement
a été postérieur à l'insertion constitutionnelle de
la clause dite amnistiante. Une loi subséquente fut
présentée au Parlement et fit l'objet de pas moins de 130 heures
de discussion et de plus de 300 amendements. La loi de promotion de
l'unité nationale est signée par le Président Mandela le
19 juillet 1995149(*).
Pour Sandrine Lefranc, elle est un « monument légal, d'une
longueur inédite, puisque ne comportant pas moins de 49 sections et
s'étalant sur 34 pages. Cette longueur témoigne de la
volonté des rédacteurs et des législateurs de
réduire au minimum la marge d'interprétation laissée aux
membres de la Commission vérité et
réconciliation. »150(*). C'est elle qui constitue le phare juridique de la
Commission.
La
CVR ainsi créée va fonctionner autour de trois
Comités : violations des droits de l'homme, réparations et
réinsertion, amnistie. De 1996 à 1998, 343 personnes furent
employées. Le travail consistait généralement
à :
-
identifier les actes de nature politique pouvant donner droit à
amnistie. L'on a eu à retenir les actes commis par une organisation
politique ou ceux des membres des forces de sécurité commis par
leurs titulaires dans l'exercice de leurs fonctions ;
-
identifier la catégorie de victimes des violations des droits de l'homme
et des pertes financières ;
-
regarder aussi du côté des meurtres, mauvais traitements et
kidnappings ;
-
etc.
Le
Comité de violation des droits de l'homme, dirigé par Desmond
Tutu, avait pour mission de collecter auprès des familles toutes les
informations utiles pouvant permettre de répertorier les violations de
ces droits dans la période délimitée. Quelques cas
marquants ont été retenus pour faire l'objet de débat lors
des audiences publiques, et parfois télévisées. Au total,
l'on a eu à enregistrer 50 auditions publiques en 244 jours. Le rapport
de cette commission fait état de 21000 demandes de réparation et
de 7124 demandes d'amnistie. En fin de compte, 38000 violations graves des
droits de l'Homme furent recensées avec en majorité des femmes.
Le
Comité Amnistie était composé de trois magistrats
indépendants et de deux avocats. Il était dirigé par le
juge Hassen Mall. A sa mort, le juge Andrew Malls lui succéda en
Août 1999. Les amnisties accordées l'étaient jusqu'à
l'année 2000. L'action à la base de la demande devait avoir
été commise entre 1960 et 1994. La demande y relative devait
être déposée avant le 30 septembre 1997. Il fallait pour
cela que la confession151(*) sur les crimes commis soit totale, et que le mobile
politique soit clairement mis en relief. Les requérants devaient
être militants des partis politiques identifiables ou membres d'un corps
de l'Etat, dont l'inaction aurait pu susciter une réprobation de leurs
autorités hiérarchiques. En somme, en mai 2001, 849 demandes
d'amnistie ont été octroyées et 5392 refusées. Pour
la poétesse Antjie Krog, « Les personnes amnistiées
sont susceptibles de poursuite devant les tribunaux, mais les différends
procès de tortionnaires, submergés par des manoeuvres dilatoires
et débouchant souvent sur la relaxe, incitent les autorités
à la prudence.»152(*).
Le
Comité chargé des réparations et réhabilitations,
contrairement aux deux autres, n'a pas tenu des audiences publiques153(*). Il était
dirigé par Hlengiwe Mkhize. Il a essayé de répartir les
actions susceptibles d'être menées par le Gouvernement en
différentes catégories : réparations urgentes,
individuelles et symboliques. Les victimes directes et indirectes pouvaient
bénéficier de ces réparations. En 1998 déjà,
le fonds pour l'indemnisation des victimes fut mis en place. 65 millions
d'euros ont été prévus pour son approvisionnement. Seuls
48 millions d'euros ont été versés à la date de
novembre 2001 à 17100 requérants sur les 20563. Au total, sur
90000 personnes, 22000 ont été reconnues comme ayant droit
à réparation. La CVR en Afrique du Sud a donc été
conforme à la lecture que font Bole et ses collègues sur
l'essence de ces instances délibératives : «
La raison d'être des Commissions est, si l'on peut dire, de rappeler
le passé pour l'inclure dans le présent et d'accorder une
attention prioritaire aux souvenirs extrêmement douloureux d'un peuple
sur le long chemin de la réconciliation. Par l'entremise d'une
Commission vérité, le monde politique choisit le pardon
plutôt que la vengeance et manifeste au moins le désir de renouer
à termes les liens brisés »154(*).
La
différence fondamentale que l'on peut noter avec les
« gacacas » rwandaises tient à l'orientation que les
acteurs ont donnée aux deux processus. En Afrique du Sud, le contexte
impose la négociation du compromis politique entre l'ANC et le Parti
National. La victoire électorale du parti de Mandela n'était pas
suffisante pour ignorer à la fois les pressions menées par les
forces de sécurité155(*), qui se sentaient visées par des
éventuelles poursuites judiciaires, et les leaders du Parti
ségrégationniste dont les rangs étaient gorgés des
planificateurs du crime d'apartheid. En plus, Nelson Mandela avait tout
à perdre s'il cédait aux pressions des radicaux de son Parti et
à celles des organisations de défense des droits des noirs ;
revendiquant notamment que les pontes de l'apartheid soient traduits en justice
pour les violations massives par eux perpétrées. Il fallait donc
qu'il soutienne une position qui traduirait le compromis entre le refus de
vengeance et la nécessité de ne pas laisser naître dans
l'opinion noire majoritaire le sentiment d'une impunité des violateurs
des droits de l'homme et, plus grave, celui que le pardon à leurs
bourreaux leur serait imposé. C'est pourquoi il y a eu un pardon-justice
dans ce cas. . Dans son rapport, des recommandations sont faites quant à
la réhabilitation publique des victimes. Des certificats de
décès pour les personnes disparues ont été
délivrés et une indemnité versée aux victimes. Des
sanctions ont aussi été prises156(*).
Dans
la situation rwandaise par contre, le FPR sort victorieux de la guerre et peut
manoeuvrer le processus post conflit. Le choix du pasteur Bizimungu comme
Président visait à associer un hutu dans la nouvelle
équipe en quête de légitimité au Rwanda. Dans
l'ombre, Paul Kagamé régentait le politique, en attendant son
heure. Dans une telle configuration des rapports de force, il est
compréhensible que l'élite FPR, par volonté de rassurer
les tutsi dont ils sont originaires, soutienne davantage une politique
`'d'accountability''157(*). Il s'agissait en même temps d'écarter
des potentiels adversaires politiques en les délégitimant
à travers l'exposition à l'opinion nationale de leur rôle
pendant le génocide, ou en brandissant le spectre du divisionnisme
ethnique pour justifier des procès politiques158(*). La faible
indépendance du pouvoir judiciaire et l'orientation plus grande des
« gacacas » vers l'impératif de rendre justice aux
victimes du génocide accréditent l'hypothèse d'une
justice-pardon.
L'analyse
des foras de justice transitionnelle valide l'idée que la
réalité sociale est un construit. La mise en scène d'un
parlementarisme traditionnel au Rwanda et d'une instance
délibératoire moderne en Afrique du Sud illustre le poids des
acteurs dans l'orientation du sens du travail des
« gacacas » et de la CVR159(*). Ces remarques permettent d'affirmer sans ambages
l'opérationnalité du constructivisme sociologique à ce
niveau.
Conclusion
de chapitre
Même
si le pardon et la justice sont deux réalités distinctes, leur
opérationnalité vise un objectif similaire, à savoir la
réconciliation. Nous réaffirmons pour cela l'hypothèse
suivant laquelle dans les deux cas, il y a eu comme une imbrication de l'une
sur l'autre. Le critère des options préférentielles des
catégories dirigeantes nous a permis d'identifier les modèles
inventifs qui ont été mobilisés dans les deux pays. Il
convient par ailleurs de renforcer l'idée que le pardon est une
catégorie socialement et politiquement construite. Celui-ci n'est pas
imposé, mais plutôt négocié. Il faudrait
néanmoins tempérer l'ambition du présent texte, dans la
mesure où l'évaluation complète de l'efficacité du
pardon est difficile. Le défaut de statistiques que nous aurions pu
obtenir des réponses à un questionnaire nous incline à la
précaution, quant à la validité réelle du pardon
dans les deux pays. Ceci est d'autant plus difficile que la démarche du
dehors semble en partie ramer à contre courant de cette logique ;
ce qui peut amener les victimes à se rétracter, ou tout au moins
à pardonner sans pardonner. Dans les deux pays, le pardon a eu une
dimension civilisatrice et réconciliatrice. Sa dimension pragmatique est
liée au fait qu'il a fallu, ici et là, combiner des exigences
contraires. Nous avons tour à tour analysé les acteurs
individuels et collectifs. Ceci colle parfaitement avec l'orientation
méthodologique que nous avons rappelée en introduction. En effet,
les agrégats individuels et toutes les dimensions micro présentes
dans notre étude renvoient à l'individualisme
méthodologique, tandis que les agrégats collectifs du pardon et
de la justice font écho à la perspective holiste. En revanche,
comment lire les influences réciproques du travail des acteurs et
institutions du dedans et du dehors ? Telle est la préoccupation
majeure qui fera l'objet du chapitre suivant. Néanmoins, il peut
être reconnu que les ruptures institutionnelles, normatives et
comportementales observées dans les deux cadres d'études, sont
des témoins d'un changement certes relatif de deux
sociétés en train de se reconstruire.
IIème partie : Reconfiguration imparfaite de la
sociabilité post conflit par les acteurs et institutions du pardon et de
la justice
La
configuration, en tant qu'elle rend compte de la structuration, de la
disposition ou de l'articulation, informe le caractère mouvant et
relatif des acteurs et des institutions de la justice et du pardon dans la
réconciliation en Afrique. Caractérisé par la logique du
pluriel, cet agencement institutionnel et actanciel traduit l'expression de la
difficile fabrication du consensus social et politique, quant aux voies de
sortie de crise préconisées. Une deuxième
difficulté consiste notamment à poser le dedans et le dehors non
en termes de désunion, mais plutôt d'union complémentaire.
Le chapitre suivant vise à examiner les défis que pose cette
articulation. Nous essayerons de montrer que l'orientation duale n'efface pas
l'orientation duelle, en ce sens que les institutions et acteurs du dedans
peuvent mobiliser des ressources potentiellement conflictuelles avec celles du
dehors (chapitre 3). Dès lors que le pardon et la justice sont
posés en termes d'alternatives pour la sortie de crise, quelle est leur
efficacité réelle dans la consolidation de la
réconciliation ? La mémoire des victimes
résiste-t-elle à ces deux mécanismes (chapitre
4) ? Sur le plan théorique, l'interactionnisme viendra en appui
à notre démonstration, ainsi que certains concepts des
théories précédemment usitées, notamment ceux du
constructivisme.
CHAPITRE 3 : LA RECOMPOSITION DES SOCIETES POST CONFLITS
A L'EPREUVE : ANALYSE DES INTERACTIONS PLURIELLES DU SYSTEME ACTANCIEL ET
INSTITUTIONNEL
« Et
il n'a jamais été question, pour des raisons
politiques
et logistiques évidentes, que la communauté
internationale se substitue entièrement aux autorités
nationales... pour juger les personnes s'étant
rendues responsables de violations
du droit international... »160(*)
Parvenu à ce stade de notre réflexion, il importe de jeter un
regard rétrospectif sur les acquis. D'une part, une gamme variée
d'acteurs et institutions ont joué leur rôle dans la partition de
la justice dans les deux pays où nous expérimentons nos
hypothèses. D'autre part, le pardon politique s'est
révélé saisissable dans la mesure où sa mise en
scène et sa mise en oeuvre ont traduit l'implication des victimes et
bourreaux. Des résultats palpables sont perceptibles, dans les deux
sociétés post conflits, relativement à la question de la
réconciliation. Cela peut aussi s'expliquer à l'aune des rapports
non lisses entre les logiques internes dans un premier niveau, et entre ces
dernières et les logiques internationales dans un second niveau. Au plan
interne, nous serons particulièrement enclins à ressortir
l'esprit qui guide la collaboration ou le défi. Dans bien des cas en
effet, il apparaît que bourreaux et victimes se sont retrouvés
dans des situations à la fois d'expiation du mal et de construction de
l'avenir. Au plan externe, la réflexion devra être attentive
à l'intérêt de départ de la communauté
internationale dans des questions qui ressortissent d'abord de la
compétence des Etats souverains. L'interactionnisme symbolique constitue
le support théorique de ce chapitre. Nous montrerons en quoi ce dernier
est valide pour rendre compte des situations qui sont étudiées.
Cette analyse distinguera tour à tour les rapports de face-à-face
au niveau actanciel et au niveau institutionnel.
Section 1. Les acteurs : un agencement pacifique
potentiellement problématique dans la réconciliation
L'analyse
pourrait avoir plus de saillance si elle s'attache à dégager la
richesse des rapports entre les différents acteurs du pardon au plan
strictement interne. L'examen de l'articulation entre ceux de la justice du
dedans et du dehors est éclairant sur leurs priorités
distinctes.
Paragraphe 1. Dynamiques internes des acteurs du
pardon
Un
fois encore, nous déclamerons la situation existante non seulement au
Rwanda, mais aussi en Afrique du Sud.
A.
Les rapports inter acteurs endogènes au Rwanda : des interactions
entre conflit et compromis
On
peut retrouver les traces du fondement juridique de cette relation dans la
constitution rwandaise du 04 Juin 2002. Dans l'un de ses principes en effet, il
est énoncé que la recherche du dialogue sera primordiale dans la
résolution des conflits passés. Cette évocation du
dialogue n'est pas neutre lorsque explicitement insérée dans la
norme fondamentale. Elle révèle tout au moins l'affirmation d'une
politique publique du pardon. L'Etat, en tant que personnalité morale,
veillera à l'accomplissement de cet objectif.
Les
traces de cette option sont déjà perceptibles dans les
négociations de 1993 à Arusha. Il s'agissait d'ouvrir les voies
de la réconciliation entre Tutsi vivant en exil et hutu au pouvoir
à Kigali. Au terme de ce processus, le cessez-le-feu a pu être
obtenu de même que l'agrément de la partie hutu sur le retour de
la diaspora tutsi majoritairement installée en Ouganda. Comme il sera
observé par la suite, le consensus fragile d'Arusha sera violé.
Le rapprochement entre adversaires politiques ethniquement structurés
aura été de courte durée, et le reste est connu...
Les
`'têtes brûlées'' apparaissent ici comme des acteurs qui
rament à contre courant de l'initiative officielle. Il s'agit pour eux
d'instrumentaliser la différence en exacerbant le critère de la
division161(*). Dans ce
contexte, les interactions demeurent davantage conflictuelles entre acteurs du
pardon, ce qui éloigne la perspective de la réconciliation.
`'Radio Milles collines'' est l'une des têtes
brûlées les plus féroces dans l'histoire du Rwanda en
période de génocide. Quand on sait que certains hutu, au coeur
de la haine meurtrière, ont ouvert leurs coeurs à la coexistence
pacifique avec leurs frères tutsi, on est loin d'imaginer leur
capacité de résistance à l'idéologisation du
différentiel pathologique portée par cette radio162(*). Celle-ci devient ainsi le
porte-parole de la propagande anti tutsi dans le pays. Elle donnait des
détails sur leur emplacement, relayait les messages des planificateurs,
et informait sur l'étendue des tueries dans le reste du territoire,
permettant ainsi à la virilité masculine de rivaliser
d'intensité de violence. En 1994, c'est cette radio qui annonce
l'attentat contre l'avion présidentiel tout en indexant les soldats
belges de la MINUAR. En représailles, des hutu furieux abattent 9
soldats belges.
Les acteurs au plan interne ont dû reconstruire cette renaissance
psychologique qui leur a permis de s'accepter comme membre de la famille
humaine. Les victimes ont ré humanisé leurs bourreaux. Ceci
était important dans la mesure où il s'agit de l'une des
conditions du pardon. En affrontant très souvent leurs tortionnaires,
ennemis d'hier, les victimes et les coupables ont écrit, ensemble,
l'histoire non falsifiée du génocide, gage d'une
société qui s'est relativement réconciliée avec
elle-même. Le discours dominant de l'ordre dirigent permet ou non
d'emphaser ce mouvement. Comme l'écrit en d'autres circonstances le
philosophe libéral John Rawls, « Les vertus de la
coopération politique qui rendent possible un régime
constitutionnel sont ainsi des vertus supérieures. J'entends par
là, par exemple, les vertus de tolérance, le fait d'être
prêt à rejoindre les autres à mi-chemin, la vertu de
modération et le sens de l'équité. Ces vertus constituent
le capital politique de la société »163(*).
Il
reste néanmoins que le processus rwandais enregistre des contre courants
visibles. Quelle est en effet la place accordée à ces multiples
Rwandais qui, fuyant les hostilités, ont acquis le droit d'asile
à l'étranger ? Plusieurs d'entre eux font toujours l'objet
des poursuites judiciaires au Rwanda. Contrairement à l'Afrique du Sud,
la clause amnistiante n'a pas été constitutionnalisée et,
a fortiori, à leur bénéfice. La réconciliation
véritable devrait donc, selon nous, passer par une procédure
inclusive de l'ensemble des acteurs internes dont les Rwandais de
l'extérieur font partie. Des appels dans ce sens ont été
formulés par l'élite politique de Kigali, mais restent
marqués du sceau de la suspicion. Cette situation ne se démarque
pas complètement de l'environnement sud africain.
H.
Les relations de face-à-face entre acteurs en Afrique du Sud :
devoir de mémoire et droit au souvenir
Peu
avant la fin de l'Apartheid, des négociations sont menées en
Afrique du Sud. Elles ont duré quatre ans et l'étaient entre
l'ANC et le PN. Sandrine Lefranc résume ainsi la situation :
« Pour passer de la négation radicale de tout statut
d'acteur politique à l'opposant, réifié par presque
cinquante années de régime d'apartheid et plusieurs
siècles de discrimination, à un dialogue permanent des
négociations sur les structures politiques, il était
nécessaire, pour les membres du gouvernement, de faire connaissance avec
leurs anciens ennemis »164(*).
Les
relations entre ces acteurs constituent le point crucial du devenir de la
nation arc-en-ciel. Le rythme, le sens, et l'étendue donnée aux
discussions marquent un tournant décisif dans la
réécriture de l'histoire nationale. Pour le PN, il était
important de permettre l'auto détermination des groupes peu ou prou
volontairement constitués comme tels dans le domaine des own
affairs. La deuxième grande idée tenait à la forme de
l'Etat. Pour ses leaders, il fallait un partage de pouvoir pour les general
affairs ; ce qui devait aboutir, à terme, à une
fédération. Sur le plan économique, le PN pense que
l'Afrique du Sud doit s'inscrire dans l'économie libérale. Il
propose enfin que le pouvoir constituant dérivé soit
mobilisé non par une assemblée constituante, mais plutôt
par une convention de plusieurs parties165(*).
L'ANC,
pour sa part, a préconisé la création d'un Etat unitaire
et d'une économie mixte. En février 1993, les deux partis
s'entendent sur les modalités de power sharing pendant une
période quinquennale. Ils mettent en place un Conseil exécutif de
transition qui avait pour mandat d'organiser la consultation populaire relative
à la constitution. Cette constitution sera promulguée le 27 avril
1994. Sandrine Lefranc est restée pessimiste quant à la
volonté réelle des acteurs d'aller vers ce processus. Elle
soutient en effet : « Il fallut donc plus de quatre pour
qu'une « logique consensuelle » s'impose, produite
par le hasard des négociations plus que par la volonté des
protagonistes... »166(*). Nous ne partageons pas cet avis, pour trois
raisons : D'abord le temps mis pour forger un consensus aussi visqueux ne
représente rien à l'échelle du temps des violences du
système apartheid. Autrement dit, l'ampleur des divisions entre noirs et
blancs et la gravité des violations des droits de l'homme en une
quarantaine d'années au moins, représente à peine les
débats pendant une durée de quatre ans. Ensuite, les
négociations menées n'ont pas été un hasard, mais
bien au contraire. Elles ont été le fruit d'un agenda politique
interne négocié entre acteurs de la réconciliation.
Enfin, ne pas reconnaître la volonté, ne fusse que symbolique, de
certains protagonistes est une entreprise amnésique pour l'histoire. Une
cécité volontaire ou inconsciente qui cache l'idéal
porté par Mandela167(*) et l'élite dirigeante du PN. Tout comme
l'expérience rwandaise, l'Afrique du Sud a pu tourner une page de son
histoire grâce aux négociations des acteurs. Le contexte de
celles-ci doit être pris en compte pour comprendre les significations
élaborées par les différents acteurs pendant leurs
interactions. L'on est par conséquent au coeur de la vision
interactionniste.
Sur
la question des amnisties, le PN soutenait une absolution totale et
inconditionnelle des opérateurs de la violence d'Etat. Finalement, la
Constitution intègrera cette nécessité d'amnistier,
néanmoins encadrée. Le 13 janvier 1995, le fait pour le
Président De Klerc d'amnistier unilatéralement 3500 personnes
n'était pas conforme au consensus arrêté. Et Sandrine
Lefranc de souligner : « Le ministre de la justice Dullah
Omar, affirmant qu'il n'avait pas été informé de ces
mesures, précisa immédiatement qu'il n'en reconnaissait pas la
validité »168(*).
La
philosophie de l'Ubuntu précédemment
évoquée canalise la construction de la réconciliation par
l'ensemble des acteurs impliqués. Les leaders noirs et blancs se sont
assis ensemble, ils ont discuté des orientations futures à donner
au pays pour tourner définitivement la page des années sombres.
Le plus important a été la diffusion des orientations au niveau
des populations qui ont dû renoncer à l'esprit de vengeance. C'est
à ce niveau que des acteurs de la société civile ont
joué un rôle déterminant en relayant le discours positif de
la classe politique. Comme les acteurs du pardon, ceux de la justice ont aussi
eu des échanges construits.
Paragraphe 2 : Des interactions variables entre acteurs
de la justice : entre dynamiques internes et externes
Il
est question de revenir sur quelques uns des acteurs déjà
présentés en première partie, et d'en scruter les horizons
dans la politique de paix au double plan interne et externe.
A.
Echanges entre acteurs internes de la justice : logique
d'interdépendance
Au
Rwanda, il est un lieu commun de reconnaître que la réconciliation
ne pouvait pas être décisive si les victimes ne réalisaient
pas, alors qu'ils sont les acteurs actifs du pardon, que la prise en compte de
leurs douleurs était une priorité des gouvernants. Comme le
souligne l'Association ASF, « La justice du génocide... ne
pourra contribuer à la perspective d'une réconciliation que dans
la mesure où elle reconnaîtra les victimes, condamnera les
coupables et réhabilitera les innocents. Le respect des principes du
droit à un procès équitable en est la
condition »169(*).
Pour
cela, les gardiens de la loi que sont les magistrats ont dû jouer un
rôle incomparable. Dans un premier temps, il était question pour
le nombre limité de magistrats de se regrouper, pour échanger
leurs points de vue sur des orientations collectives à donner à
la réforme du secteur judiciaire. Des consultations ont ainsi eu lieu
à l'intérieur du corps, pour recueillir le maximum d'informations
nécessaires susceptibles d'adapter la réforme de ce secteur
à l'objectif de réconciliation. Les avocats devaient aussi faire
face à ces défis. Leur nombre insuffisant et l'absence d'un
barreau limitaient leur capacité à garantir les droits aux
procès équitables aux nombreux accusés. Ce n'est qu'en
1997 que le barreau sera remis en place dans ce pays.
Le
rythme des jugements rendus est drastiquement lent. Le problème
d'infrastructures et de déficit de personnel mis en évidence
supra entraîne inexorablement la surpopulation des prisons. D'où
le travail des membres des Comités de conciliateur, en relation avec les
greffes des tribunaux. Le problème pointé du doigt est
très souvent la légitimité des décisions rendues.
En effet, plusieurs témoignages recueillis sur l'ensemble du territoire
par ASF tendent à renseigner sur le manque de confiance des citoyens
vis-à-vis des acteurs de la justice. Deux principales raisons justifient
ce phénomène :
-
L'influence de l'exécutif sur le judiciaire
Les
relations d'assujettissement observables entre l'élite bureaucratique et
les personnels judiciaires tendent à consacrer la non
indépendance, gage d'une légitimité postérieure des
jugements. Dans un tel contexte, des suspicions sont dégagées de
la compétence du PR en matière de nomination et de
révocation des membres de la CS, et enfin de son influence
supposée sur le fonctionnement du Conseil Supérieur de la
magistrature.
-
L'absence de jugement des principaux coupables
Effectivement,
l'amnésie juridique quant à la réalité des faits
massifs commis en 1994 est de nature à perpétuer le climat de
méfiance et de rancoeur. Les manoeuvres politiciennes, tendant à
la sélection des bourreaux et à l'inféodation des acteurs
du judiciaire, ont une finalité contre productive dans la
réconciliation. Et Sandrine Lefranc de souligner :
« Ces concessions peuvent avoir une traduction directe dans les
politiques de justice : ne pas intenter de poursuite judiciaire, ou
seulement des poursuites sélectives à leur encontre. Mais cette
« impunité » elle-même est susceptible d'avoir
des effets en retour : en atteignant le principe démocratique
d'égalité devant la loi, elle peut miner la
légitimité de la démocratie nouvelle en renforçant
l'animosité des partisans des poursuites
judiciaires »170(*).
En
Afrique du Sud, les acteurs de la justice doivent surtout intérioriser
l'application d'une nouvelle législation, plus attentive au respect de
la digité humaine en général, et non plus seulement celle
des blancs. Pendant la période de l'Apartheid, le système
judiciaire n'est pas unifié. Comme conséquence, il existe une
duplication dans l'administration du droit par les acteurs de la justice. Le
répertoire normatif pro ségrégationniste ayant
été ravalé au rang de calendes grecques, les acteurs de
la justice doivent en outre intégrer l'universalisation de l'application
des lois ; elle-même conforme à la réforme de la carte
administrative du pays.
Ici,
l'octroi de l'amnistie fait l'objet d'une insertion constitutionnelle.
L'orientation officielle est alors de décider d'octroyer des amnisties
aux violateurs des doits de l'homme pendant l'apartheid, à des
conditions précises toutefois. Un consensus suffisamment fort a
été façonné sur cette orientation pragmatique de
politique juridique. Et Desmond Tutu d'écrire : « Au
lieu du bain de sang que beaucoup craignaient et que bien d'autres avaient
prédit, voilà que les Sud Africains, noirs et blancs
réunis, étaient en train de réussir un changement et une
passation de pouvoir relativement pacifique »171(*).
On
peut donc dire que la politique a limité la marge de manoeuvre des
acteurs de la justice, comme prix à payer dans la réconciliation.
En confiant l'écriture officielle de l'histoire de l'apartheid à
une Commission, les entrepreneurs politiques de ce pays ont
stratégiquement déclassé une autorité pourtant
compétente en la matière. Cette décote n'était
cependant pas totale. Par conséquent, l'office des acteurs,
professionnels de la justice, sera mis en évidence dans la composition
des membres de cette Commission. L'on y trouvera dès lors des magistrats
et avocats, preuve de leur participation féconde dans le travail de
catharsis collective.
B.
Rapports entre les acteurs externes : logiques solitaire et
collaborative
En
Afrique du Sud, il n'existe pas à proprement parler une coordination des
actions de la communauté internationale. Quelques initiatives sont
prises au niveau de la justice des Etats, notamment par des avocats
américains défendant les victimes collectives. Dans ce cas, une
équipe d'experts américains s'est rassemblée autour du
procès contre les firmes multinationales. Elle a essayé de
formuler un acte d'accusation solide, tenant notamment compte à la fois
du droit sud africain et du droit américain. La société
civile aura néanmoins joué un rôle tout aussi essentiel. De
concert avec les organisations internes du pays, un dispositif externe de
soutien des politiques de réconciliation fut mis en place. Il convient
néanmoins de relever la synergie entre les actions menées
dès la revendication de la cessation des discriminations par des
organisations de défense des droits de l'homme. Des organisations de
lutte contre le racisme aux Etats-Unis d'Amérique font entendre leurs
voix, et influencent symboliquement l'agenda interne et les négociations
en cours sur le décloisonnement de la société post
apartheid. Les individus et ONG mondiales vont d'ailleurs faire de Durban le
cadre de discussion et d'échange mondial pour juguler le fléau du
racisme et des discriminations y relatives. Le Sommet mondial de Durban
constituera dès lors l'arène de foisonnement des interactions des
acteurs internationaux qui diffusent, à partir de l'Afrique du Sud, les
idées d'égalité des races et de justice pour tous.
Au
Rwanda par contre, des ONG travaillent ardemment sur le terrain de la
réconciliation par la justice. C'est le cas d'ASF qui s'investit dans la
reconstitution de la chaîne des personnels judiciaires
décimée en 1994. ASF disposait des équipes sur le terrain,
tout en créant au plan international un consensus humanitaire sur la
nécessité d'agir au Rwanda. Ainsi, un appel à
manifestation d'intérêt fut lancé à l'ensemble des
avocats du monde désireux de participer au programme `'justice pour tous
au Rwanda''. Après quelques hésitations, des centaines d'avocats
d'Afrique et d'ailleurs vont entrer en contact avec ASF pour offrir leurs
services auprès du barreau rwandais172(*). Les experts de cette OING leur font rapidement un
breafing sur l'état de la législation au Rwanda, les
procédures devant les juridictions, et les spécificités
des cas qu'ils ont à défendre. Un manuel confectionné
à cet effet leur était remis. Dans le même ordre
d'idées, Human Right Watch et Amnesty International envoient des experts
pour évaluer la situation au Rwanda, relativement à
l'implémentation des réformes judiciaires et l'activité
des gacacas. Nos recherches nous permettent de souligner l'intense
collaboration entre les agents de ces structures internationales sur le
terrain. C'est ainsi que, par exemple, elles sortiront un Rapport
conjoint173(*)
fustigeant la manière dont la justice transitionnelle fonctionne au
Rwanda. Le rapport en appelait au renforcement des capacités des
Inyangamugayos et au respect des règles d'un procès
équitable. Il nous revient à présent d'examiner les
interactions inter institutionnelles.
Section 2 : Les institutions : des interactions
orientées vers l'externalisation et l'internalisation des
séquences du temps pacificateur
L'observation du fonctionnement des institutions pendant la période sous
revue nous permet d'avancer qu'il y a eu une diversité des rapports
entre celles du dedans et du dehors, allant parfois de la collaboration au
déclassement. Il sied d'examiner ces interactions au niveau des
`'institutions'' du pardon et celles de la justice respectivement.
Paragraphe 1 : Les institutions du pardon et les acteurs
internationaux : des priorités distinctes
L'analyse
aura plus de saillance si elle s'attache à révéler les
échanges entre les ordres de juridiction aux plans traditionnel et
moderne d'une part ; et si elle rend mieux compte de la
prépondérance de l'endogénéité dans les
interactions inter institutionnelles d'autre part.
A. Justice traditionnelle et justice moderne : des
rapports ambivalents
La
phase juridictionnelle des « gacacas » a
débuté le 10 mars 2005. Celle-ci faisait suite à une
première phase expérimentale dans un certain nombre de zones du
pays. Le travail accompli en amont174(*) déterminait en réalité l'issue
des procès qui intervenaient en aval175(*). Ainsi, seules 118 juridictions pilotes de secteur
et 118 juridictions pilotes d'Appel ont entamé le jugement176(*). Les lenteurs du processus
étaient d'ordre structurel et pratique. L'impréparation des
acteurs au plan local et les longues distances entre les lieux de
résidence des acteurs et ceux de déroulement des audiences en
sont quelques explications.
Devant
l'incapacité de la justice classique à connaître de
l'ensemble du contentieux du génocide, le Rwanda a aménagé
un mécanisme original. Les « gacacas »
s'appuyèrent sur un socle préexistant dans les
sociétés traditionnelles. Le système de règlement
des conflits, semblable à la palabre, mettait en scène des
punitions symboliques. La communauté solidaire garante de son harmonie
groupale entendait réprimer non pas seulement l'individu auteur du fait
réprouvé, mais aussi l'ensemble de sa famille qui aura
manqué à sa mission d'agent socialisateur et imprimeur de
l'identité du groupe. La spécificité que l'on peut
dégager de ce système tient à son caractère
communautaire. L'individualisation des incriminations n'existe pas, de
même que la professionnalisation stricte. Mis à part quelques
initiés, choisis par la communauté pour leur probité ou
leur respectabilité pour différentes raisons, tout le monde
était acteur du processus judiciaire traditionnel.
C'est
ainsi que la loi portant création et organisation des
« gacacas » va puiser dans ce répertoire socio
anthropologique pour imaginer une synthèse non plus seulement
adossée sur les rites et pratiques traditionnelles, mais aussi sur les
aspects du droit moderne. Une catégorisation des infractions
liées au génocide fait l'objet d'un encadrement normatif
applicable à la fois par les tribunaux ordinaires et les juridictions
« gacacas ». D'où cette appréciation positive
d'Amnesty International : « Le système de justice
populaire des juridictions « gagacas » pourrait offrir la
possibilité aux survivants du génocide, aux prévenus et
aux témoins de présenter leurs arguments dans le cadre d'un
mécanisme judiciaire ouvert, à caractère participatif. Il
pourrait permettre d'accomplir un grand pas vers la réconciliation
nationale et la résolution de la crise du système carcéral
rwandais ».
Néanmoins,
là s'arrête l'appréciation. Amnesty International passe par
la suite au crible le système « gacacas ». Ses
représentants auraient sillonné l'ensemble du pays,
assisté aux audiences, et échangé avec des juges
traditionnels. Leur constat est cinglant : « Le
caractère extra judiciaire du système gagacas et la
préparation insuffisante de sa mise en oeuvre, conjuguée à
l'intolérance du gouvernement actuel à l'égard de toute
forme d'opposition et à sa réticence à revoir sa propre
politique pourtant déplorable en matière de droit humains,
risquent de pervertir ce nouveau mécanisme. Il est par conséquent
impératif que le gouvernement rwandais ainsi que la communauté
internationale prennent des mesures afin que le système gacacas soit
conforme aux garanties minimale d'équité prévues par les
normes internationales ».
Les
institutions internationales, à travers leurs représentants sur
le terrain, épinglent le caractère inopérant des
« gacacas » en matière de respect des standards
universels. ASF identifiera la violation des règles relatives à
l'équité des procès. Le principe de présomption
d'innocence est suppléé par la présomption de
culpabilité. Selon son rapport de mars-septembre 2005, ASF
relève que les parties au procès ont progressivement
développé des frustrations et insatisfactions. Pour cause, la
justice « gacaca » serait favorable aux accusés.
Aucune réparation n'est envisageable en dehors des crimes contre les
biens. Bien plus, les décisions rendues souffrent de déficit
d'exécution, tant les « gacacas » ne disposent pas
de compétence en la matière. Les institutions internationales
reprochent en plus la tenue des procès collectifs et sommaires,
où aucune différence n'est faite sur le degré
d'implication des différentes parties. Toute chose qui est de nature
à créer un sentiment d'injustice et des abus
préjudiciables à la légitimité des
« gacacas ».
De
notre point de vue, ceci constitue un dépassement de la vision
interactionniste. En posant que l'interaction ne fait pas l'objet d'un
jugement, mais d'une adaptation, d'un réinvestissement, le terrain
rwandais illustre bien le contraire. L'appréciation du dehors semble
bien être un « jugement » de l'action des
« gacacas » qui interagissent avec la société
et les tribunaux ordinaires.
Aussi,
ASF souligne-t-il la non prise en compte de l'article 14 alinéa 3 du
Pacte international sur les droits civils et politiques177(*) par les juges
« gacacas ». La pratique systématique des
Inyangamugayo consistait à demander aux parties civiles et aux
accusés de prêter serment, tout en acceptant de ne pas nier les
faits à eux reprochés. Tout en appréciant
l'aménagement de l'infraction de viol, les institutions internationales
ont largement reconnu que la résolution du contentieux du
génocide par les « gacacas » avait substantiellement
été améliorée. Elles ont préconisé
une meilleure prise en compte des victimes, l'application restrictive des
mesures privatives de liberté et l'application des standards
internationaux en matière de procès équitable. Pour sa
part, l'Afrique du Sud va opter pour une démarche plutôt
orientée vers l'interne. La logique de `'path dependancy'' n'y
est donc pas d'actualité, de même que le caractère ultra
judiciaire du processus de consolidation de la réconciliation.
B. L'internalisation des interactions entre institutions en
Afrique du Sud
De
manière originale, la CVR en Afrique du Sud va afficher sa
spécificité par rapport à la Commission chilienne dont
elle s'en était pourtant inspirée. Celle-ci est observable au
moins à trois niveaux : Au Chili l'option fut faite pour une
justice rétributive. En Afrique du Sud par contre, elle est
réparatrice178(*). Ici, les victimes ont une place centrale dans
l'édifice de la réconciliation179(*), alors que ce sont les bourreaux à punir qui
l'avaient dans le cas latino américain. Enfin, l'amnistie n'est pas
décrétée par le pouvoir central de manière
collective. Elle est octroyée individuellement à ce qui en font
la demande et de manière conditionnelle.
L'originalité
de l'initiative sud africaine est aussi rattachable à son niveau de
neutralité. Les rapports de l'élite ANC avec cette structure
pourtant donnée proche d'elle n'ont pas été lisses. Par
exemple, quelques mois avant la sortie officielle du rapport, l'ANC tente de
faire supprimer des passages négatifs qui mettent en évidence sa
responsabilité dans les violences, en vain. Le traitement des violations
des droits de l'homme se faisant de la même manière, 60% des
activistes de ce parti durent formuler des demandes d'amnistie au même
titre que 18% des éléments des forces de sécurité,
auteurs des répressions policières.
La
CVR a été un espace d'auto légitimation des actions par
des acteurs et de délégitimation de celles des adversaires. Les
blancs y étaient en majorité hostiles et justifiaient leurs
forfaits par l'iniquité générale du système. Le
Rapport de la Commission est d'ailleurs évocateur sur ce point :
« La communauté blanche a souvent paru
indifférente, sinon explicitement hostile au travail de la
commission... »180(*). Appelés à y témoigner,
certains hauts responsables de IKP ont décliné l'invitation. La
justification donnée par les mis en cause de l'ANC est la `'guerre
juste'' menée en réaction aux abus qu'ils subissaient de la part
de la minorité blanche. Quant aux forces de sécurité,
elles affirmaient leur impuissance devant les ordres de la hiérarchie et
la nature des lois lors même qu'ils étaient personnellement
opposés aux violences. Quelquefois, ils exprimaient des remords plats,
sans véritablement y croire, avec le seul but de
bénéficier de l'amnistie.
La
relation que le peuple entretient avec la Commission est un peu plus
chaleureuse. Considérée à bien des égards comme le
tribunal des larmes, la Commission a, selon l'historien politique Stephen
Ellis « exhumé les corps des victimes des escadrons de la
mort, enterré dans des tombes anonymes. Elle a captivé
l'imagination de millions de citoyens, par exemple lors de la
télédiffusion du témoignage public de Winnie
Madikizela-Mandela »181(*). L'institution qu'est la CVR va ainsi davantage
interagir avec d'autres institutions comme la famille, les corporations
professionnelles à l'instar des forces de sécurité, les
partis politiques. L'enjeu consiste pour chacune de ces composantes à
faire triompher « son » sens de la vérité.
Les institutions du dehors s'effacent un temps soit peu devant les dynamiques
internes suffisamment complexes pour laisser s'imposer le pardon et la
réconciliation comme figures dominantes. Il s'opère de ce point
de vue une déjuridicisation du processus de sortie de l'ère
apartheid de manière générale. Ceci ne revient pas
à invalider l'existence d'une justice dans le pays. Il s'agit
plutôt d'une relative mise en hibernation de son côté
punitif à des fins de compromis politique. Cette expérience
informe le caractère emblématique de la trajectoire sud africaine
et invite l'ensemble des chercheurs, politistes, et autres, à la
réinventer comme possible modèle exportable dans d'autres pays
africains. Il ne s'agira pas d'une transposition, mais bien d'une appropriation
des leviers et de l'idée. A l'observation du cas rwandais, il est
structurant de noter une certaine coopération entre le dedans et le
dehors en matière d'institutions judiciaires. Toutefois, cette
coopération comporte en elle-même des phases de défi.
Paragraphe 2 : La collaboration variable entre les
institutions de la justice internationale et les juridictions
nationales au Rwanda
Selon qu'elles sont positives ou négatives, les relations entre le TPIR
et les tribunaux rwandais vont traduire soit des conflits de compétence,
soit une certaine coopération.
A. L'affirmation conflictuelle des compétences
Le
Statut du TPIR est pourtant clair. En son article 7, l'étendue de sa
compétence ratione loci est précisée de la
manière suivante : « La compétence ratione
loci du Tribunal international pour le Rwanda s'étend au territoire du
Rwanda, y compris son espace terrestre et son espace aérien, et au
territoire d'États voisins en cas de violations graves du droit
international humanitaire commises par des citoyens rwandais. ».
L'écriture de cette disposition n'a pas laissé de doute sur son
interprétation. En effet, la compétence du tribunal suit le lien
national entre tout individu et l'Etat Rwandais. Cette
déterritorialisation de la loi pénale est amplement
justifiée par les crimes sanctionnés :
-
le génocide qui comprend une série d'actes commis dans
l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux. L'on y ajoute l'entente en vue de commettre le
génocide, l'incitation directe et publique, la complicité et ma
tentative182(*) ;
-
les crimes contre l'humanité qui renvoient à l'assassinat, aux
tortures, viols, et aux autres actes commis dans le cadre d'une attaque
généralisée et systématique contre une population
civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, ethnique,
raciale, religieuse mais aussi politique, à l'assassinat,
l'extermination, la réduction en esclavage, aux expulsions,
emprisonnement, tortures, et autres actes inhumains183(*) ;
-
les violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du
Protocole additionnel numéro II. Il s'agit des personnes qui ont commis
ou donné l'ordre de commettre ces violations notamment : les
punitions collectives, la prise d'otages, les actes de terrorisme, les
atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements
humiliants et dégradants, la contrainte à la prostitution, le
pillage184(*).
Le
TPIR a la primauté sur les juridictions nationales du Rwanda, en vertu
de l'alinéa 2 de l'article 8 de ses Statuts qui précise :
« Le TPIR a la primauté sur les juridictions nationales de
tous les Etats ». Toutefois, le problème se pose avec la
mise en application du principe non bis in idem énoncé
à l'article 9 en ces termes :
Alinéa
1. Nul ne peut être traduit devant une juridiction nationale pour des
faits constituant de graves violations du droit international humanitaire au
sens du présent statut s'il a déjà été
jugé pour les mêmes faits par le Tribunal international pour le
Rwanda ;
Alinéa
2. Quiconque a été traduit devant une juridiction nationale
pour des faits constituant de graves violations du droit international
humanitaire ne peut subséquemment être traduit devant le Tribunal
international pour le Rwanda ;
Alinéa
3. Pour décider de la peine à infliger à une personne
condamnée pour un crime visé par le présent statut, le
Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans laquelle
cette personne a déjà purgé toute peine qui pourrait lui
avoir été infligée par une juridiction nationale pour le
même fait.
A
cette limite de la double incrimination, il est permis au TPIR de dessaisir les
juridictions nationales dans l'une des trois conditions suivantes :
a.
le fait pour lequel il a été jugé était
qualifié crime de droit commun ;
b.
la juridiction nationale n'a pas statué de façon impartiale ou
indépendante,
c.
la procédure engagée devant elle visait à soustraire
l'accusé de sa responsabilité pénale internationale, ou la
poursuite n'a pas été exercée avec diligence.
Comment
en effet apprécier du degré de partialité des instances
judiciaires nationales sans que cela n'aboutisse inéluctablement
à un conflit ? La diligence requise du procès peut ne pas
être observée de bonne foi, eu égard notamment aux
contraintes budgétaires et infrastructurelles de l'Etat rwandais au
lendemain du génocide. Un dessaisissement sur cette base peut
éventuellement créer des incompréhensions entre les deux
parties. Heureusement un équilibre a été trouvé,
répondant aux voeux de la communauté internationale :
« Au TPIR de juger de la poignée d'idéologues et
d'organisateurs du génocide se trouvant à l'étranger, et
aux juridictions rwandaises d'organiser les procès de la multitude des
exécutants demeurés au Rwanda »185(*). Une libération d'un
prévenu a aussi constitué la pomme de discorde majeure entre le
Rwanda et le tribunal international. Il s'agit de Jean-Bosco Barayagwiza,
membre créateur de Radio milles collines186(*). L'intéressé
avait bénéficié d'un acquittement de la Chambre d'Appel,
déclarant nul l'acte d'accusation formulé contre lui.
Frédéric Mégret revient sur ce cas en
écrivant : « Dans l'affaire Barayagwiza, la Chambre
d'Appel avait décidé que l'accusé devait être
transféré au Cameroun en se fondant sur l'article 40 bis (H) qui
stipule qu'une personne relâchée suite à une
détention provisoire doit être remise aux autorités de
l'Etat l'ayant transférée. »187(*). Malgré l'affirmation
conflictuelle des compétences, la praxis offre un répertoire
d'actions collaboratives.
I. Une collaboration dans la pratique
Le
Tribunal international pour le Rwanda et les juridictions nationales sont
concurremment compétents pour juger les personnes
présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens
rwandais présumés responsables de telles violations commises sur
le territoire d'États voisins188(*). C'est en ces termes que l'article 8 du Statut du
TPIR est libellé, en son premier alinéa. Cette compétence
conjointe est nécessaire dans la mesure où, malgré son
bilan relativement positif, le TPIR ne pouvait pas à lui seul juger
l'ensemble des génocidaires189(*). Au titre de ce bilan, 70 personnes accusées,
60 arrêtées et transférées, en 2002. Au rang des
grandes figures inculpées, Jean Kambanda, Premier Ministre du
Gouvernement Rwandais, lors des événements de 1994. En outre 14
ministres de son Gouvernement sont détenus, plusieurs hauts
gradés de la gendarmerie, parmi lesquels 3 officiers
généraux, des hauts fonctionnaires, des hommes d'affaires, des
religieux, etc.
Pour
cela, il a fallu la coopération de 19 Etats dont 12 Africains, au rang
desquels le Rwanda190(*). La résolution 978 du Conseil de
Sécurité constitue le fondement immédiat de cet appui des
Etats. Elle a notamment indiqué :
-
les autorités nationales compétentes d'arrêter et de mettre
en détention, conformément à leur législation
nationale et aux normes applicables du droit international, les personnes
trouvées sur le territoire contre lesquelles il existe des preuves
suffisantes qu'elles se sont rendues coupables d'actes entrant dans la
compétence du tribunal international pour le Rwanda ;
-
les Etats qui mettent en détention des personnes
soupçonnées de crime qui entrent dans la compétence du
tribunal international sont tenus d'informer le Secrétaire
Général et le Procureur du tribunal international pour le Rwanda
de l'identité des personnes détenues, de la nature des crimes
dont elles sont soupçonnées, des éléments de preuve
réputés constituer des motifs raisonnables et suffisants de
détention, de la date à laquelle les intéressés ont
été détenus et du lieu de leur détention. Un
accès libre aux détenus doit être assuré aux
enquêteurs du TPIR.
La
coopération entre les deux niveaux de juridictions est
exemplifiée, par ailleurs, par des échanges d'expériences.
C'est ainsi que des stages de formations ont eu lieu au Rwanda en faveur des
magistrats, sur des thématiques telles que la coopération
judiciaire internationale. Des visites de ces derniers à Arusha ont
également été programmées191(*). En octobre 1999, le Rwanda
désigne un représentant auprès du TPIR192(*). A son arrivée
à ce poste, il déclara qu'au départ, « les
relations entre le gouvernement rwandais et le TPIR avaient été
mauvaises...mais le tribunal a accompli des progrès
remarquables... »193(*). Cette collaboration a été
jugée trop étroite par un collectif d'avocats qui a estimé
que la justiciabilité des membres du FPR devant le TPIR ne permettait
pas qu'il soit représenté. En réaction, l'organisation
réagira par le canal de son porte-parole, en affirmant que le TPIR est
garant de son indépendance et que tout Etat au monde,
représenté à l'ONU, peut avoir un représentant
auprès du TPIR.
Conclusion
de chapitre
Il
était question de mettre en lumière les interactions des acteurs
et institutions dans les sociétés post conflits sous revue.
Parvenu au terme de cette entreprise, il est éclairant de noter que ces
relations de face-à-face sont décryptables entre les acteurs
internes194(*), entre
les acteurs internes et les acteurs externes, entre les institutions internes,
entre celles-ci et les institutions internationales, entre les acteurs et les
instituions du dedans et du dehors. L'étude des interactions a permis de
mettre en exergue la variété des rapports. Ceux-ci sont fortement
imprimés par les valeurs et l'identité des différentes
parties engagées aux plans interne et externe. Aussi peut-on à
présent affirmer qu'il y a eu influence réciproque dans ces
interactions. Qu'elles soient marquées du sceau de la
complémentarité ou de la concurrence, les relations de
face-à-face informent à suffisance le dynamisme de la
construction des sociétés post conflits en Afrique. Par
là, les postulats de l'interactionnisme symbolique sont
vérifiés, dans la mesure où les interactions sociales
décrites ont été non seulement dynamiques, mais aussi
négociées. Mais jusqu'où ces échanges peuvent-ils
servir la coexistence pacifique inscrite dans le temps long entre d'anciens
groupes ennemis ?
CHAPITRE 4 : APORIES DU PARDON ET DE LA JUSTICE :
L'INTENSITE DE LA SOUFFRANCE ET LA MEMOIRE DES VICTIMES
« On
ne peut pas bâtir une nation sur des amertumes et sur des
ressentiments »195(*)
Nous
suivions un fil d'Ariane constitué certes d'aspérités
depuis le premier chapitre de ce travail, mais voici qu'une difficulté
majeure survient de plus grande: comment valider le pardon et la justice comme
dispositifs crédibles de sortie de crise en Afrique, face notamment
à la question de la mémoire196(*) ? Si la justice punitive n'est pas efficace
dans la réconciliation, la justice réparatrice
résiste-t-elle à l'irrésistibilité du retour vers
le passé ? Le pardon est-il suffisant pour emporter la
rancoeur ? Autant de questions qui nous interpellent et dont Christine
Martin reconnaît le caractère difficile : «
Réécrire l'histoire et réinterpréter les faits
qui ont marqué son évolution sont des tâches essentielles,
des défis passionnants, mais complexes »197(*). La complexité tient
aussi au fait que les ressorts de la mémoire sont inscrits dans
l'individualité. En d'autres termes, nonobstant des efforts construits
inter acteurs, inter institutions, et inter acteurs-institutions, la
décision de tourner la page, de « réécrire son
histoire » est une entreprise en définitive
privée. Et que dire du conflit des mémoires ? Lorsque
jouxtent côte-à-côte deux récits distincts l'un de
l'autre, pour un même événement, l'écriture d'une
histoire officielle s'impose. Ceci s'est fait dans les deux pays par la
recherche des consensus entre acteurs (interactionnisme symbolique) et le
développement des interrelations construites autour de
l'altérité positive (constructivisme). C'est toute la
problématique de la sincérité du pardon et de la
portée de la justice rétributive qui se pose à nous.
Dès cet instant, certains auteurs en viennent à parler du pardon
sur fond d'impardonnable198(*), du fait notamment des violences infligées,
ce qui érige une barrière particulièrement difficile
à franchir par le pardon et la justice : l'oubli199(*).
Section 1 : La violence et les traumatismes :
faits générateurs de l'impardonnable ?
Le
kaléidoscope de la violence politique en Afrique du Sud est
inépuisable. Il ne l'est pas moins au Rwanda où les deux groupes
parlent la même langue, ont la même couleur de peau et le
même répertoire socio anthropologique. En Afrique du Sud, le
différentiel racial a été source de
dénégation de droits pendant une période suffisamment
longue. D'où la profondeur des blessures qui, substantiellement, ont
semblé être relativement guéries plus rapidement qu'au
Rwanda200(*).
Paragraphe 1 : L'impact des violences rwandaises sur les
mémoires individuelles et collectives
Il
n'est pas inutile d'examiner cette situation au plan des mémoires
individuelles et de la mémoire collective et instruite tutsi.
A. La mémoire individuelle : un foyer de la
survalorisation du passé présent
La
mémoire individuelle ici traduit le rattachement intime de la victime
à la violence qu'elle a endurée. Les évènements de
1994 ont créé chez bon nombre de tutsi des traumatismes qui
hantent leur existence plusieurs années après leur
accomplissement. Ces traumatismes constituent des psychoses dont seuls des
spécialistes de la psycho pathologie et des psychologues peuvent mieux
rendre compte. Or le travail de réconciliation au Rwanda a davantage mis
l'accent sur la répression des génocidaires. Le relatif
délaissement des victimes quant aux guérisons individuelles est
patent. Ceci a pour conséquence de créer une mémoire
passéiste201(*).
La mémoire passéiste202(*) est contre présentiste et produit une
déconnection de l'individu avec le temps présent. C'est
« une mauvaise mémoire, une mémoire en trompe
l'oeil, [qui] nous colle au présent et éloigne le trop proche
pour nous donner l'illusion de la perspective. »203(*). Le passé
présent ne permet pas à certains tutsi de regarder de l'avant, de
s'assumer dans la nouvelle société post génocide. Et
Frédéric Mutagwera d'écrire, « la conscience
égarée, à la recherche de repères, se tourne alors
vers le monde extérieur. »204(*) Or aucun processus de
réconciliation authentique ne peut s'appuyer uniquement vers
l'extérieur. Le fait pour nombre de victimes du génocide de
perdre confiance en leurs propres institutions judiciaires, lors même que
le discours dominant était celui de la justice, a un impact
négatif sur leur rapport aux hutu. Comme le précise Jean
François Dupaquier, « le sentiment de non-justice favorise
le discours négationniste, renforce l'espoir des architectes du
génocide, en même temps qu'il pousse les rescapés à
imaginer la vengeance individuelle...comme issue. »205(*).
Dans
les représentations individuelles, il est primordial de rendre justice,
pour permettre aux proches des tutsi assassinés ainsi qu'à ceux
des hutu modérés de pouvoir pardonner. Cette perspective est
pourtant polémique dans la galaxie du pardon politique. Certains auteurs
estiment que celui-ci ne peut être formulé que par les
victimes : « Les victimes sont mortes, souvent. Les crimes
semblent inexpiables puisqu'ils sont imputables à des hommes qui
agissent en tant qu'agent de l'Etat. Qui devrait alors demander le pardon, et
qui pourrait l'octroyer ? Victimes directes et indirectes, coupables et
indifférents vivent dans des motifs distincts, et ne sont que rarement
en mesure de délibérer ensemble sur la
justice ».206(*) La légitimité des ayant droits des
victimes décédées étant à caution, il serait
donc question que se soient les survivants qui accordent le pardon. Or il
s'agirait d'un processus incomplet. Les effets des violences subies par des
tutsi et des hutu modérés, pris individuellement, ont un impact
sur d'autres membres survivants de leurs familles. Si rien n'est fait dans le
sens de tenir compte de leurs souffrances, aucune coexistence pacifique de long
terme n'est envisageable. Jacques Derrida ne partage pas cet avis. Pour lui,
« le pardon ne semble pas être demandé ou
accordé que « seul-à-seul », en
face-à-face, sans médiation entre celui qui a commis le mal...et
celui ou celle qui l'a subi, et qui est seul à pouvoir
l'entendre... »207(*).
Au
cours des audiences des « gacacas », les rapports
exploités font en effet état de ce qu'il arrivait que des
témoins affirment que des prévenus n'avaient pas tout dit. Une
antipathie se développe immédiatement face à ce
déni d'histoire entre le bourreau et le représentant moral et
familial de la victime qui personnalise ainsi la violence endurée par
son proche208(*). Ce
processus d'appropriation de la souffrance est d'autant plus marquant que leurs
acteurs estiment que le système « gacaca » faisait
la part belle aux accusés, alors que le génocide a causé
une « effrayante blessure morale...D'où une sorte de
paralysie mentale devant des crimes tellement énormes, au sens
étymologique tellement inouïs, que la référence
à des situations passées, à une jurisprudence rwandaise,
était impossible »209(*). Cette blessure morale a indéniablement un
impact sur la mémoire collective tutsi.
J. La mémoire collective tutsi : une
prégnance des formes socialisées du passé
A
la différence de la mémoire individuelle, la mémoire
collective210(*) est un
trait caractéristique de l'identité tutsi. Il est quelque peu
malaisé d'étudier cette collectivisation de la mémoire,
notamment dans la mesure où les tutsi sont aussi différents les
uns que les autres. Il devient par conséquent difficile de
dégager la saillance de ce qui constitue leur patrimoine mémoriel
commun. Les tutsi vivant en exil en Ouganda n'auront jamais le même
rapport aux hutu que ceux qui sont restés au pays, d'ailleurs
considérés comme des félons211(*). De même certains ont
réussi à pardonner à leurs bourreaux d'hier.
Devant
ces multiples éléments qui relativisent l'affirmation de
l'existence de la mémoire collective tutsi, quelques arguments militent
en faveur de l'existence des sous-mémoires collectives à
l'intérieur du magma mémoriel hétérogène
tutsi. Sa diaspora a effectivement pu tisser un lien vivificateur entre les
unités qui la composent. Ce lien renforcé par l'effet du temps a
été entretenu à la faveur de la conscience commune en une
exclusion de la terre de leurs ancêtres, et derechef à leur
dépersonnalisation par le pouvoir central hutu. L'on trouve par ailleurs
les traces d'une sous-mémoire collective tutsi chez les survivants qui
vivaient au Rwanda pendant les évènements de 1994. Pour preuve,
ceux-ci ont créé une association dite des `'rescapés du
génocide''.
Dans
tous les cas, l'édification d'une mémoire collective n'est pas
une mauvaise chose en soi. Par contre, ce qui est en jeu, c'est d'éviter
que la mémoire ne soit négative. Le devenir revient
généralement à ne se remémorer que des souvenirs
douloureux. Or, « des souvenirs dangereux ou
déformés contribuent à alimenter le cycle de la vengeance,
notamment dans des conflits ethniques...Une mémoire puissante et bien
souvent déformante est à l'origine de bien d'affrontements
contemporains »212(*). Comme on peut le constater, une telle
mémoire, lorsque sujette à une agrégation des
pensées vengeresses, peut provoquer la résurgence des tensions,
voire une violence larvée entre d'anciens groupes ennemis.
Abderarrahmane N'Gaide ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit :
« Le meurtre d'hier a été vécu comme
fête, cette dimension reste insupportable. Elle dépasse
l'entendement humain et s'enfonce dans le mensonge ; ce qui alimente les
sillons du génocide... »213(*).
Pour
éviter la dissémination de cette haine, le gouvernement du Rwanda
a mis sur pied un dispositif institutionnel réactif et proactif. Sur le
plan judiciaire, la loi condamne avec une sévérité
inégalée l'infraction dite `'d'incitation au génocide et
au divisionnisme ethnique''. Il s'agit là d'un garde-fou juridique qui a
une fonction dissuasive et interpellatrice. Par ailleurs, la création de
la Commission nationale de lutte contre le génocide est un tournant
majeur dans le combat institutionnel contre le négationnisme214(*). Cette structure est
chargée de contribuer à la recherche sur le génocide et
à la promotion de la culture de la paix. Pour combattre la transmission
de la haine entre générations de tutsi, les catégories
dirigeantes actuelles ont d'abord établi que justice sera faite pour
ceux qui ont subi directement ou indirectement les effets du génocide,
tant sur le plan matériel, humain, que sur le plan psycho social.
Ensuite il s'est agit d'amener les citoyens vers la culture de la
tolérance. Une semaine du génocide est instaurée
officiellement, non pour se tourner vers le passé pour y puiser la
source du rejet de l'autre, mais au contraire pour y transcender la douleur du
tort en vue de construire l'avenir215(*). Selon Walzer, on peut tolérer à un
individu ou à un groupe216(*). Mais pour se faire, le tutsi doit
reconsidérer son voisin hutu comme un être humain. La
réhumanisation de l'ennemi permet de l'accepter comme soi-même,
d'intégrer dans sa propre conscience que ce dernier est capable de se
repentir. Mais en clair, il ne s'agit pas de tolérer le génocide,
loin s'en faut. Le régime de tolérance dont l'avènement
est souhaité concerne la sociabilité des deux groupes
après le génocide. Comme le souligne la philosophe politiste
Julie Saada-Gendron, « il faut mettre en place des régimes
de tolérance tels qu'ils renforcent les différents groupes et
qu'ils portent même les individus à fortement s'identifier
à un ou plusieurs d'entre eux »216(*). Cette tolérance
sera le leitmotiv prôné par l'élite politique ANC qui va
fortement imprimer l'orientation sud africaine.
Paragraphe 2. Les violences faites dans le système
Apartheid : un facteur de complexification de la sociabilité
commune
La
ségrégation avait plusieurs visages en Afrique du Sud. Elle a
été systématisée par la minorité blanche
dont les planificateurs et exécutants bénéficieront
néanmoins des mesures de clémence décidées et
constitutionnalisées dans la période post apartheid. Pour les
besoins d'authenticité et de préservation de l'esprit et de la
lettre du texte, nous préférons rapporter les versions anglaises
tirées du rapport de la CVR.
A. La culture d'une mémoire officielle à
visée consensuelle en Afrique du Sud
Le
système en vigueur en Afrique du Sud, avant l'arrivée des
noirs au pouvoir, est caractérisé par la brutalité et la
répression. Pour soutenir la balkanisation qui était l'une des
matrices de ce phénomène, un arsenal législatif est
voté par le parlement217(*) ; ce qui constitue le fondement de la
légalité des exactions. Malgré les conséquences de
l'application de ces lois, Nelson Mandela conduira les leaders de l'ANC vers
une autre voie que celle que certains auraient pronostiquée : la
réconciliation. Pour cela ; il fallait que les différentes
communautés réécrivent ensemble leur histoire. L'ampleur
de la difficulté de cette tâche est relevée dans le rapport
de la CVR en ces termes : « The road to reconciliation
requires more than forgiveness and respectful remembrance. It is, in this
respect, worth remembering the difficult history of reconciliation between
Afrikaners and white English-speaking South Africans after the devastating
Anglo-Boer/South African War. Despite coexistence and participation with
English-speaking South Africans in the political system that followed the war,
it took many decades to rebuild relationships and redistribute resources.
Reconciliation requires not only individual justice, but also social
justice »218(*). Ce paragraphe souligne le caractère
insuffisant du pardon dans le processus de réconciliation. Pour les
commissionnaires sud africains, il fallait plus que ce dernier. Ainsi, la
justice individuelle devait être couplée avec la justice sociale
pour densifier les ressources de la réconciliation. La grande
majorité de noirs ont accepté de pratiquer la philosophie de
l'Ubuntu219(*).
De plus, le rapport revalorise le concept d'égalité dans la
nouvelle société. Le système politique est
`'déracialisé'', en même temps qu'est rappelé
l'avènement d'une coopération inter personnelle :
« The survival of our people in this country depends on our
co-operation with each other. My plea to you is, help people throw their
weapons away. No person's life is a waste. Every person's life is too
precious »220(*). De manière Claire, la CVR a noté que
la sociabilité commune ne peut pas être possible si les victimes
n'ont pas le sentiment que leurs bourreaux d'hier ont été punis.
C'est en réalité l'appel au réalisme du processus de
réconciliation, dans la mesure où tout en prônant de
tourner la page du passé, il est recommandé ardemment qu'une
justice restauratrice soit appliquée. C'est le gage de l'adaptation des
mémoires au temps présent. Cette vision est formulée en
ces termes: « Restorative justice demands that the
accountability of perpetrators be extended to making a contribution to the
restoration of the well-being of their victims. The fact that people are given
their freedom without taking responsibility for some form of restitution
remains a major problem with the amnesty process. Only if the emerging truth
unleashes a social dynamic that includes redressing the suffering of victims
will it meet the ideal of restorative justice »221(*).
L'ampleur
du travail effectué par la CVR traduit l'importance et la
difficulté du rapprochement des ennemis d'hier. En guise d'illustration,
21707 dossiers ont été étudiés dans la
période comprise entre le 1er mars 1960 et le 10 mai 1994.
L'on doit ainsi à la Commission d'avoir « pris en
considération toutes les victimes : celles qui ont succombé
sous l'apartheid mais aussi les 5000 personnes hâtivement
exécutées par les mouvements de résistance (dans les camps
de guérilla, dans les townships, lors des confrontations au
Kwazulu-Natal) et bien sûr les victimes des
attentats »222(*). Ce sentiment n'est pas partagé par tous. En
effet, vu l'ampleur et la durée de l'apartheid, il n'a pas
été matériellement possible de considérer
l'entièreté des cas: «In essence, therefore, the
Commission was restricted to examining only a fraction of the totality of human
rights violations that emanated from the policy of apartheid - namely, those
that resulted in physical or mental harm or death and were incurred in the
course of the political conflicts of the mandate period»223(*). Le panorama des violences
rappelées par le Rapport de la Commission est le suivant :
« These include bannings and banishment; judicial executions,
public order policing, the use of auxiliary forces, torture and deaths in
custody. The various methods of torture are discussed, amongst others, beating,
the imaginary chair, electric shocking and the incidence of sexual torture
»224(*). La
description des violences sexuelles endurées est faite avec une froideur
qui a justement pour but de créer le choc nécessaire qui
permettra aux négationnistes de se rendre compte de
l'authenticité des faits imputés aux tortionnaires du
système racial : « Cases of sexual torture included
forcing detainees (both male and female) to undress; the deliberate targeting
of genitals or breasts during torture; the threat of and, in some instances,
actual rape of detainees (male and female); the insertion of objects such as
batons or pistols into bodily orifices and placing detainees overnight in cells
with common-law prisoners known to rape newcomer »225(*). Puisque le processus de
réconciliation doit être total, même les abus de l'ANC sont
mis en évidence, ce qui n'était pas du goût des dirigeants
de ce parti, de surcroît au pouvoir pendant les travaux de la Commission,
et même après, ainsi que rappelé supra. La formulation de
la responsabilité de l'ANC et des autres mouvements noirs est ainsi
déclinée : « Nonetheless, the Commission drew
a distinction between a 'just war' and 'just means' and has found that, in
terms of international conventions, both the ANC, its organs the National
Executive Council (NEC), the National Working Committee (NWC), the
Revolutionary Council (RC), the Secretariat and its armed wing Umkhonto weSizwe
(MK), and the PAC and its armed formations Poqo and the Azanian People's
Liberation Army (APLA), committed gross violations of human rights in the
course of their political activities and armed struggles, acts for which they
are morally and politically accountable »226(*). Il est question que le
consensus recherché soit d'orientation équilibriste. Imputer
l'ensemble de la responsabilité à la minorité blanche ne
l'aurait pas amené à adhérer au projet de
réconciliation. Au début des travaux de la Commission, les
blancs étaient très réticents à son encontre. Mais
ils se sont progressivement rangés derrière sa cause, surtout
lorsque la responsabilité des mouvements de résistance a
été nettement emphasée. S'il fallait rendre une justice
punitive, tous étaient désormais de potentiels justiciables. Mais
cela traduit-il à suffisance la pratique d'absolution du
mal ?
B. Justice et mémoire : signifiants et
signifiés de l'amnistie
La
possibilité pour la Commission d'amnistier est largement reconnue comme
la plus grande innovation de l'expérience sud africaine. Cette question
n'a pas été évidente à régler. Les acteurs
avaient des points de vue différents quant aux conditions de cette
dernière, étant entendue qu'aucune amnistie
générale ne devait prévaloir : « After
the conclusion of the Record of Understanding, the focus shifted to the
question of how a future democratic government would deal with amnesties for
political offences and especially for the security forces. Two matters were
settled relatively early. It was agreed, in the first place, that actions taken
in terms of apartheid law would not merely for that reason be regarded as
illegal and that there would be no Nuremberg-type trials for the many human
rights violations legally committed in the course of implementing apartheid
»227(*). Dans
le mouvement général de sortie de l'apartheid, la constitution
intérimaire elle-même avait recommandé l'octroie des
amnisties conditionnelles.228(*) En 1994, le projet de loi sur l'unité
nationale et la réconciliation insère la clause amnistiante tout
en prenant le soin d'affirmer le droit aux victimes de raconter leur souffrance
et leur combat229(*).
La
question de l'amnistie est importante à étudier dans la mesure
où les violateurs des droits humains qui en ont
bénéficié sont appelés à côtoyer leurs
victimes. Dans le contexte de l'Afrique du Sud, la parade trouvée au
plan de la rhétorique juridico politique a été d'amener
les demandeurs d'amnistie à raconter dans un premier temps leurs
forfaits, avant d'espérer avoir une suite favorable à leur
demande230(*). Il est
éclairant de réfléchir à partir de l'analyse de la
question par l'avocat et Professeur de droit Robert Badinter :
« Je ne crois pas, pour ma part, qu'il puisse y avoir paix
véritable dans une société sans justice. Le travail de
deuil nécessaire ne peut s'accomplir pour les victimes et leurs
familles, et dans le corps social tout entier, que par l'établissement
de la vérité et la justice. Celle-ci n'exclut jamais le pardon.
Encore ne peut-on pardonner qu'en connaissance de cause. La
vérité d'abord, la justice ou l'amnistie
ensuite »231(*). Badinter note par ailleurs :
« Tourner la page de l'histoire pour en ouvrir une nouvelle,
toute blanche celle-là, paraît plus propice à
l'avènement de la démocratie (...) que d'exercer la justice
contre les criminels d'hier. La paix civile s'acquiert au prix du silence et de
l'amnistie »232(*).
L'amnistie
conditionnelle sud africaine, sans être tout à fait un
système parfait233(*), a néanmoins permis de revenir sur les
circonstances des violences des demandeurs. En cela, elle n'a pas
favorisé l'amnésie historique. Elle avait simplement pour
fonction de prioriser l'avenir tout en sanctionnant symboliquement le
passé. Des demandes ont été rejetées par la
Commission, et d'autres acceptées ; ce qui voudrait dire que le
critère des amnisties sélectives a été
observé dans la pratique. Ceux des demandeurs qui voyaient leurs
requêtes non validées étaient directement traduits devant
les tribunaux classiques pour répondre de leurs actes.
Ce
sentiment d'opérationnalité des amnisties n'est pas
partagé de tous. Parlant de l'Argentine et du Chili, Sandrine Lefranc
commente : « Les lois d'amnistie qui ont été
adoptées n'ont pas seulement mis fin à l'exercice de la
justice ; elles ont aussi rendu impossible l'établissement des
faits au cas par cas qui incombe aux instances
judiciaires »234(*). Benjamin Sora dira pour sa part :
« Ce qui est refoulé n'est pas éliminé et
trouve toujours à s'exprimer par des voies détournées.
L'amnistie qui veut masquer, évacuer, prépare d'autres conflits,
d'autres régressions »235(*). Dans ces deux cas, il semble que la
procédure amnistiante était décidée de
manière collective. Le cas de l'Afrique du Sud est différent non
seulement à cause de l'existence des demandes remplies dans des
formulaires individualisés, mais aussi par la condition même de
dire la vérité avant d'en bénéficier ou
non236(*). En ce sens,
on peut dire que la Commission sud africaine a essayé de trouver un
compromis entre tourner cette `' page de l'histoire'' et mettre des garde-fous
afin que `'tout'' ne soit pas oublié.
Section 2 : Le refus d'oublier comme limite de la
portée du pardon et de la justice : de la centralité du
facteur temps
Malgré
toutes les initiatives prises, il peut toujours arriver que les victimes ne
parviennent pas à oublier. Ceci peut être le produit d'un travail
des acteurs, ou alors tout simplement l'expression de la fatalité, le
signe des limites intrinsèques du pardon et de la justice en
période post conflits.
Paragraphe 1 : Les mécanismes de consolidation de
la mémoire victimaire
Deux
éléments peuvent illustrer cette pratique : il s'agit de
l'instrumentalisation et des mémoriaux.
A. L'instrumentalisation de la mémoire : une
difficile parlementarisation de la coexistence entre d'anciens ennemis
La
mémoire d'une violence de grande ampleur est un puissant moteur de
bellicosité. En d'autres termes, nonobstant l'ensemble des mesures qui
ont été prises par les catégories dirigeantes pour
réconcilier, il existe toujours des `'têtes
brûlées''237(*) qui rament à contre courant. Les
`'têtes brûlées'' n'ont très souvent rien à
perdre dans la manipulation en vue de la routinisation de la haine238(*). Elles relèvent de
l'affirmation extrémiste d'une cause. Dans le cas du Rwanda comme celui
de l'Afrique du Sud, les autorités gouvernementales ont
prôné des stratégies différentes dans le rapport
à la mémoire.
Au
Rwanda, tout en travaillant de manière sérieuse sur l'acceptation
mutuelle entre tutsi et hutu au plan interne, les dirigeants sortis de la
guerre civile de 1994 ont stratégiquement mis sur pied une version de
l'histoire à présenter au monde extérieur. En interne, il
s'agit de cultiver une mémoire positive239(*) tandis qu'à
l'externe, l'élite politique est plus préoccupée par la
négativation de la mémoire. Le but est de présenter les
événements de 1994 comme le point culminant d'une politique
irresponsable et immorale : celle de la France. En soutien à cette
politique publique de la mémoire, la création d'une Commission
dite indépendante, spécialement chargée d'enquêter
sur la responsabilité de la France dans le génocide. Il y a de
notre point de vue instrumentalisation de la mémoire à des fins
de légitimation d'un pouvoir dans cet acte. Ce qui aura pour
conséquence le fait que, du côté de la France, des
Commissions parlementaires tablent sur la question, et que la version
hexagonale de l'histoire du génocide soit écrite240(*). Une conflictualité
mémorielle s'installe par le haut, au grand dam des souffrances dont
l'ampleur est relevée par le bas241(*).
En
Afrique du Sud, les vertus de la tolérance entre blancs et noirs ont
pris corps, à telle enseigne que tout discours visant à
décrédibiliser le projet de réconciliation est
délégitimé de facto. Ici, l'instrumentalisation
de la mémoire de l'apartheid va dans le sens de rallier la
majorité noire. La mise en scène du rapprochement entre De Klerck
et Mandela, les appels à l'unité nationale, sont autant de signes
soigneusement préparés pour éviter que les dominés
d'hier n'aient l'idée de se venger. Et qui d'autre que celui qui est la
conscience morale de la lutte contre l'apartheid pouvait incarner et porter ce
discours fédérateur ? En acceptant d'abord de pardonner
à tous ceux qui lui ont fait du mal, Mandela donne un signe fort
à l'ensemble de sa communauté raciale. Ses prises de parole et
actions permettent de construire un rapport positif à la mémoire
chez les noirs. Au plan international, la `'nobélisation'' collective
des deux hommes cités traduit l'acceptation par la communauté
internationale du symbolisme sud africain notamment caractérisé
par le consensus interne autour de l'unité nationale et la
réconciliation.
L'instrumentalisation
négative de la mémoire est le foyer de l'intolérance et du
rejet perpétuel de l'autre. Or « la tolérance rend
possible l'existence des différences ; les différences
rendent nécessaires l'exercice de la
tolérance »242(*). Si cela avait été fait en Afrique du
Sud, il n'est pas exclu que l'élimination totale de la race blanche dans
ce pays en eût été la résultante. Ainsi, la
perspective de la réconciliation devrait être questionnée
dans le long terme. C'est pourquoi une justice sévère n'est pas
la solution appropriée. Comme le dit Botcharova,
« Passé les premiers instants de triomphe, [la victime]
prend soudainement conscience que, si la justice est accomplie, la souffrance
est toujours là, que la hantise qui l'étouffe face à la
perte qu'elle a subie n'a pas disparu et que la colère qui brûle
au fonds d'elle-même n'est pas éteinte. Après un sentiment
immédiat de soulagement vient souvent la déception et une
impression de vide ; la vie paraît encore plus dépourvue de
sens une fois la vengeance accomplie et l'ennemi
abattu »243(*). La dimension instrumentale de la mémoire
s'applique en outre aux édifices.
K. L'entretien institutionnel de la mémoire et ses
effets indirects : le cas des mémoriaux au Rwanda
La
prise en compte publique des morts des guerres du passé, des
héros ayant particulièrement marqué la construction d'une
nation, des martyrs politiques ; amène généralement
les Etats à créer des édifices en leur honneur. Ceux-ci
ont le but légitime de perpétuer la mémoire et sont
largement acceptés par la communauté. Le problème peut
néanmoins se poser dans le cas des mémoriaux des
événements tels que le génocide. Ceux-ci peuvent en
même temps jouer un rôle d'aseptisation des mémoires et de
reproduction des souvenirs dangereux. Valérie Rosoux ne dit pas autre
chose en écrivant : « Nous avons
déjà observé que l'utilisation de la mémoire du
génocide pouvait conduire au désir d'oubli. Nous constatons
à présent que cette même utilisation de la mémoire
peut au contraire susciter une obsession
mémorielle »244(*).
Dans
le premier cas, le mémorial sert de pont entre les vivants et les morts.
Aucune nation ne se construit sans une conscience historique
élevée. Ce lien est canalisateur des consciences enfouies dans
l'éternité. Le trait d'union entre les générations
futures et passées peut également s'établir à
travers le mémorial. Ainsi présentés, ces bâtiments
publics ou privés participent de la pérennisation de la
pensée et/ou de l'oeuvre des personnages et des personnalités mis
en exergue. La construction des mémoriaux au Rwanda fait l'objet d'une
option inscrite dans l'agenda public. Après le génocide, le
pouvoir central a voulu réhabiliter la mémoire des tutsi morts,
ce d'autant plus que l'actuel Chef de l'Etat est l'un des leurs. En
conséquence, la loi portant création du Comité national de
lutte contre le génocide réaffirme, en son article 4, la
décision de développer des stratégies nationales en vue de
perpétuer la mémoire du génocide. C'est dans ce contexte
que des musées et des mémoriaux vont voir le jour. Les victimes
et rescapés du génocide étant soutenus tant à
l'extérieur qu'à l'intérieur du Rwanda, aucune opposition
n'est faite sur leurs initiatives privées en matière de
création des musées et autres édifices de la
mémoire245(*).
C'est la raison pour laquelle l'on peut retrouver des Rwandais de
l'intérieur, tutsi, mais aussi ceux de la diaspora,
propriétaires de ces enseignes.
Dans
le second cas par contre, le mémorial peut avoir exactement à
produire l'effet contraire à celui souhaité. Au Rwanda, ces
institutions exposent très souvent des corps des hutu
modérés, mais surtout des tutsi tués pendant le
génocide. En fait de corps il s'agit des squelettes humains recouverts
de vêtements de leurs propriétaires avérés ou non.
La mine desdits squelettes est de nature à produire un effet
d'émoi et de révolte naturelle à ceux qui les regardent.
La douleur que ces morts ont endurée est comme vivante, présente,
et transmissible. Dans le cas où l'on n'est pas suffisamment une
`'tête froide'',246(*) il peut arriver que les souvenirs enfouis dans la
mémoire resurgissent de manière négative. Etant
donné que les musées et mémoriaux sont très souvent
implantés dans des lieux où les massacres ont eu lieu (Eglises,
écoles, gymnases, etc), les proches des victimes se rendent en
priorité là où pourraient se retrouver les membres de
leurs familles. Il est fort à craindre que la vue de ces corps puisse
éventuellement créer une révolte interne qui alimenterait
l'esprit de vengeance.
Dans
tous les cas, il convient de dire avec Bertrand Jordane que,
« alors qu'un génocide a déchiré la
société rwandaise dans son ensemble, la question du rapport
à l'histoire et de la mémoire est plus que jamais l'enjeu
essentiel de la survie de cette société à travers chacun
des individus qui la composent »247(*). Le rapport des Rwandais de
tous bords à ces bâtiments du souvenir est en partie lié
à leur propre histoire. Cependant, dans la reconstruction morale du
pays, ce qui compte, c'est d'accepter l'autre et d'en faire un membre de la
communauté désensauvagée. Dans les deux pays, la question
de la solidité de la réconciliation soulève
irréfutablement celle de sa pérennité.
Paragraphe 2 : Une réconciliation
définitive est-elle possible ?
Nous
venons de voir que les politiques du pardon et de la justice butent très
souvent contre la mémoire des victimes qui peuvent ne pas oublier.
Dès lors se pose la question de savoir si le pardon et la justice
peuvent contribuer de manière durable à la paix dans une
société post conflit.
A. Passéisme et présentisme dans la
réconciliation au Rwanda
Aujourd'hui,
le visage qu'offre le Rwanda est de loin différent des images de
violence de 1994. Le pays s'est peu à peu relevé des cendres du
génocide. Le système judiciaire tatillon au lendemain des
événements atroces s'est reconstruit remarquablement. De plus,
les « gacacas » ont permis de réécrire dans
les détails l'histoire du génocide à travers les acteurs.
Le
retour vers le passé se fait à deux niveaux distincts qui ne
sont jamais neutres: celui des individus et celui des institutions. Dans le
premier cas, des associations créées248(*) travaillent pour
perpétuer la mémoire positive du génocide249(*). Certaines essayent de
recenser les noms de l'ensemble des rescapés et victimes. En plus, elles
ont permis d'avancer vers la création des sépultures symboliques
aux tutsi enterrés dans des fausses collectives. Des fonds d'aides
privés existent par ailleurs pour soutenir les familles des disparus,
notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, et de la
réhabilitation sociale. Bon nombre travaillent sur des domaines
précis. C'est la raison pour laquelle il existe des associations qui
prennent en charge les femmes violées et mutilées, les enfants
des tutsi assassinés, les rescapés traumatisés, etc.
Dans le second cas, le pouvoir central essaye de faire en sorte que les
Rwandais s'identifient au génocide non en tant que membre d'une
composante ethnique, mais en tant que citoyen du pays. Les manuels scolaires
essayent de transmettre la version officielle de l'histoire de ce
génocide, tout en sensibilisant les jeunes générations sur
les dangers du crime passé250(*). Le Fonds d'Assistance aux rescapés du
génocide et d'autres mesures officielles sont prises dans le même
sens251(*). Comme
l'écrit Valérie Rosoux, la mémoire « ne se
réfère jamais au passé de manière neutre et tout
à fait objective. En effet, ce ne sont pas les choses elles-mêmes
qui entrent dans la mémoire mais leurs images...elle reconstruit et
réorganise le passé »252(*).
Chaque
année, une semaine est consacrée aux célébrations
des morts pour affirmer que le courant négationniste est anhistorique.
En effet, certains pensent encore aujourd'hui que le génocide n'a pas eu
lieu au Rwanda. Les défenseurs de cette thèse avancent
plutôt l'hypothèse d'une violence mineure exagérée
par les médias, ou pire encore celle des tutsi eux-mêmes
génocidaires. Pour appuyer cette dernière thèse, l'on
mentionne des actions menées par le FPR en RDC, en soutien à la
rébellion de Laurent Nkunda Batoiré, un tutsi congolais ; et
l'implication des milices du FPR dans le bombardement de l'avion
présidentiel en avril 1994, point déclencheur des tueries.
Il
est aussi éclairant de signaler l'important travail effectué par
le TPIR pour arrêter et juger certaines grandes figures du
génocide. La relative collaboration apaisée avec les
autorités rwandaises traduit une volonté générale
de tourner la page pour rebâtir la nation Rwandaise expurgée de la
haine réciproque et de la désignation mutuelle de l'autre comme
ennemi.
Toutefois,
malgré tout ceci, la reconstruction du présent demeure
parsemée de défis liés à ce passé trop
présent. La question des libérations des génocidaires
repentis sans réparations constitue l'un de ces défis. Faute de
preuves, les « gacacas » et les tribunaux ordinaires
étaient très souvent appelés à libérer les
prévenus253(*).
Dans la mesure où ces personnes devaient cohabiter avec leurs victimes,
il demeure impossible d'imaginer une situation dans laquelle la page du
passé pourrait se retourner devant une impression d'injustice. Le
sentiment d'incomplétude du processus se trouve amplifié par la
non prise en compte des dommages contre les biens, ainsi que nous l'avons
relevé.
La
question des mémoriaux divise encore les Rwandais aujourd'hui. Une
quantité raisonnable des hutu qui soutiennent toujours la famille
Habyarimana en exil sont opposés à la décision du
président Rwandais de transformer l'ancienne résidence du
président défunt en musée. La famille de ce dernier a
d'ailleurs vivement réagi en publiant un communiqué dans lequel
elle fustigeait cette décision. De manière plus
générale, nous avons montré que les musés peuvent
attiser des foyers de violence latentes dans les mémoires individuelles.
Le musée de Gisozi de Kigali par exemple expose 260000 corps. A
l'intérieur, on y trouve des crânes humains, des ossements, des
vidéos qui montrent des tueurs en action, des blessés qui
demandent grâce à leurs bourreaux, etc.
Devant
cette irruption permanente du passé dans les consciences individuelles
et collectives, il devient impératif que la construction du
présent s'émancipe du poids de la mémoire négative
pour puiser dans l'histoire non les réminiscences des
événements douloureux, mais plutôt le ferment de
l'unité et de la réconciliation qui reste une possibilité,
bien que difficilement réalisable dans la totalité. Le cas
Rwandais permet de voir que malgré la priorisation par le pouvoir
central des poursuites contre les génocidaires254(*), l'unité nationale
commande la prise des mesures plus conciliatrices qui, à défaut
de réconcilier totalement, permettent une sociabilité commune
durable entre tutsi et hutu. L'expérience sud africaine quant à
elle, centrée sur les victimes255(*), va devoir se solder par la rupture avec le
passé et la projection vers le futur.
B. L'Afrique du Sud entre assomption du passé et
projection de l'avenir
L'Afrique
du Sud a ouvertement pris le chemin de l'assomption de son passé.
Plutôt que de se préoccuper à sanctionner les
méfaits de ce dernier, le choix effectué a été de
récompenser les faits du présent. Pour cela la stratégie a
consisté en une paix politique mise en scène pour influencer les
mémoires. L'élection a légitimé le processus sud
africain tandis que la constitution l'a institutionnalisé256(*).
Avec
la mise sur pied de la CVR, le travail historique a permis d'accorder la
majorité des noirs et blancs sur le sens à donner aux
événements qui ont marqué l'histoire du pays pendant des
décennies. Le fait pour les persécuteurs de demander l'amnistie
revenait pour eux à reconnaître, du moins formellement, leur
responsabilité dans les violences et injustices du passé. Tout de
même, l'on s'accorde à dire que la Commission n'a pas fait -sans
doute volontairement-, tout le travail qui devait mettre en évidence le
caractère systémique de l'apartheid qui a privé les noirs
de l'éducation, des conditions de vie décentes, et a
déstructuré l'ensemble de la société. Aussi reste
suspendue la question des réparations promises au terme du travail du
Comité y compétent de la CVR.
L'on
pourrait emprunter, en outre, la catégorisation de Barbara Cassin pour
comprendre la situation de ce pays. L'auteur distingue en effet deux types de
politiques de mémoires : une politique passive et une politique
active257(*). Dans le
premier cas, la gestion des archives participe de l'apaisement au temps. Le
temps de latence, précisément, favorise la transition d'un
passé trop récent, violent, chargé d'affect, vers un
passé apaisé. Dans le deuxième cas, il s'agit de conduire
des politiques d'amnésie ou d'anamnèse. En grec ancien, ces deux
termes traduisent en effet une même réalité258(*). Selon Barbara Cassin, alors
que l'amnésie est liée aux crimes qu'on ne peut ni punir ni
pardonner selon l'expression de Hannah Arendt, l'anamnèse est un
impératif de `'full disclosure''. Ici, le crime doit être
pleinement divulgué.
La
version réécrite de l'histoire de l'apartheid est compilée
dans les rapports de la CVR. Ceci va en droite ligne de la logique de
l'anamnèse, dans la mesure où les archives ont été
détruites par les blancs. Ceci justifie amplement le choix de poser,
entre autres conditions de l'amnistie, la révélation
complète du crime. La pratique grecque constitue donc le parfait exemple
du contraire de ce qui s'est passé en Afrique du Sud. Mais le but
n'était pas seulement de dire. Il fallait aussi faire comprendre,
transmettre. C'est pourquoi l'écriture de ce rapport est
formalisée dans un style simple. Cette option facilite la lecture des
Sud africains de niveau moyen. En plus, ce rapport est traduit dans l'ensemble
des langues officielles du pays. Toutefois, son coût mentionné
supra ne permet pas sa diffusion dans l'ensemble des couches sociales. Ce qui
voudrait dire que bon nombre de citoyens, en dehors des auditions ultra
médiatisées de la Commission, ne disposent pas du document qui
constitue le fondement de la renaissance morale du pays.
Les résultats de cette remarquable expérience qui portent en elle
des béquilles compréhensibles sont nets. Après
l'adhésion d'une grande majorité des Sud africains au projet de
réconciliation, la question des indemnisations non versées ou
partiellement demeure l'une des préoccupations restées sans
solutions. Sa capacité de production d'une résurgence de
bellicosité est néanmoins nulle. Toutefois, cette question peut
alimenter des frustrations perpétuelles et un sentiment
d'inachevé chez les bénéficiaires insatisfaits.
Malgré tout, les défis qui interpellent ce pays dans sa marche
vers la conquête de son statut de puissance émergente ont
commandé que tous les acteurs dominants du champ politique s'accordent
sur le minimum de conditions à même de permettre la gestion
harmonieuse du passé pour l'émergence consensuelle du futur. La
nouvelle Afrique du Sud réinventée culturellement fera donc face,
désormais, aux défis sociaux, démographiques,
économiques, juridiques et politiques259(*).
Les
processus décrits ici et là peuvent se résumer dans les
schémas suivants :
Conclusion de chapitre
Il apparaît à présent clair que la réconciliation,
dans les deux sociétés post conflits, doit intégrer le
caractère limité des solutions offertes par la justice et le
pardon. Ainsi donc, les apories de ces deux catégories tiennent à
la question de la mémoire des victimes. Pardon et justice butent
très souvent sur l'irrésistibilité du retour au
passé de manière négative. Dans ce cas, les
souvenirs260(*)
dangereux sont de nature à bloquer le mouvement de rapprochement des
anciens ennemis. Ceci est d'autant plus risqué lorsque les violences
infligées ont laissé des traces dont l'ampleur est toujours
visible au présent. Malgré ces limites du pardon et de la
justice, l'analyse des deux sociétés en étude
révèle une richesse de ces deux modalités. Leur apport
dans la recomposition des sociétés déchirées par la
violence est considérable. Ce qui compte en effet, c'est le sens,
l'orientation et le contenu qui leur est donné par les acteurs et les
institutions. Toutefois, l'incomplétude de ces outputs n'est
pas seulement le fait du système et de son environnement. La
sentimentalité des acteurs détermine considérablement la
valeur du pardon et de la justice. Les ressorts cognitifs sont donc pertinents
pour évaluer la place des perceptions individuelles dans la
structuration de la mémoire collective. Les représentations et
l'identité des acteurs et des institutions façonnent leur
conception des inputs que sont la réconciliation et la
sociabilité post conflits.
CONCLUSION
GENERALE
Il
était question d'analyser, de manière comparative, les dynamiques
des acteurs et des institutions du pardon et de la justice en Afrique du Sud et
au Rwanda. Le fil conducteur reliant les quatre chapitres du présent
mémoire s'établit autour de la question de la configuration des
deux niveaux d'analyse choisis, et de leur apport dans la
réconciliation. Pour vérifier les hypothèses posées
à l'introduction, nous avons opté pour une série de
méthodes et de théories ; lesquelles nous ont permis de
donner sens au matériau issu de la collecte et du traitement des
données.
Le
1er chapitre s'est focalisé sur la justice. Nous y avons
identifié les figures à l'heure dans les deux pays, non seulement
au plan interne, mais également au plan externe. L'orientation
comparative choisie nous permettait à chaque fois de poser l'Afrique du
Sud et le Rwanda côte-à-côte pour dégager les
similarités, les différences et le patrimoine commun. Il s'est
agi d'étudier les acteurs et institutions de la justice en mettant en
lumière leurs repères, valeurs et rôles.
Le
2e chapitre quant à lui porte sur le pardon politique. Nous
nous sommes attelés à y étudier les figures, les processus
et la valeur dans les deux pays. Notre recherche étant basée sur
deux niveaux d'analyse, à savoir les acteurs et les institutions, nous
avons identifié et analysé les figures du pardon ainsi que ses
institutions au plan strictement interne. Ceci mérite d'être
emphasé car le fil conducteur de la présente étude tient
précédemment à ces deux niveaux d'analyse au-dedans et au
dehors. Toutefois, la restriction de l'observation du champ du pardon politique
ici a pour justification le fait que dans les deux pays, il existe une forte
convergence vers l'internalisation de la dynamique de pardon. Nous avons pu
ressortir des rôles respectifs des acteurs passifs et actifs, tout comme
ceux de certaines personnalités morales. Le pardon politique
apparaît comme un processus dans les deux pays, notamment par le fait
qu'il procède d'une construction progressive, obéissant à
un répertoire de valeurs spécifiques d'une société
à une autre. D'où l'existence d'une morale propre du pardon en
Afrique du Sud et au Rwanda. Dans le 1er cas, l'option choisie par
les acteurs a été le `'pardon-justice'' tandis que dans le
2e cas il s'est agi d'une `'justice-pardon''. Nous pensons qu'il
pourrait s'agir, en l'espèce, d'une nouvelle catégorie combinant
des valeurs apparemment contraires, mais dont la mise en forme et la mise en
oeuvre nous a été informée par les deux expériences
africaines objet de l'étude.
Le
3e chapitre avait pour objectif de révéler les
interactions entre les acteurs et les institutions du pardon et de la justice
aux plans interne et externe (pour la justice notamment). En clair, il n'a pas
été question de revenir sur la présentation de ces acteurs
et institutions, mais plutôt leurs relations de face-à-face. Bien
plus, nous avons essayé de démontrer que l'examen de ces
interactions révèle une coproduction de la réconciliation
entre l'interne et l'externe. Aussi avons-nous souligné la grande
influence de l'externe au Rwanda ainsi que l'affirmation conflictuelle des
compétences qui s'y est en partie illustrée entre les tribunaux
nationaux et le TPIR. Les échanges entre les acteurs au plan strictement
interne ont aussi été examinés, ce qui démontre que
le processus de réconciliation est, non le résultat du hasard de
l'histoire, mais a contrario le fruit d'une construction patiente d'un
travail de négociation de ces acteurs et ces institutions. Ce chapitre
est par conséquent loin d'une réplique simpliste des premiers
développements. Il est éclairant du dynamisme du système
actanciel et institutionnel, ainsi que de l'apport de celui-ci dans la
réconciliation, à travers les sous-systèmes de soutien, de
collaboration et d'échange.
Le
dernier chapitre enfin s'est intéressé aux limites du pardon et
de la justice dans les deux pays. Ces deux modalités sont à
l'épreuve de la mémoire des victimes. Nous avons montré
que la mémoire du passé n'est pas une chose mauvaise en soi. Ce
qui est déterminant, par contre, c'est la manière dont celle-ci
est incarnée par les acteurs et institutions. L'instrumentalisation de
l'histoire peut produire des effets à rebours de la
réconciliation lorsqu'elle ravive les souvenirs dangereux. Qu'elle soit
envisagée au plan individuel ou collectif, la mémoire est le
moteur de l'histoire dans les deux pays. Pendant que le Rwanda s'est
peu-à-peu reconstruit des cendres du génocide, tout en gardant
appui sur le passé, l'Afrique du Sud a très tôt
décidé d'assumer ce passé douloureux pour se projeter dans
le futur et faire face aux défis sociaux et économiques qui
l'interpellent, en tant que puissance émergente.
Parvenu
au terme de l'étude, nous validons aux ¾ l'hypothèse
principale. Le fait tient à la radicalité de la différence
des ressources des acteurs et institutions posée dans nos
prémisses. En réalité, nous remarquons, après coup,
une communauté de ressources notamment juridiques, morales et
symboliques révélées par l'identité et l'action des
acteurs et institutions. Quant aux hypothèses secondaires, nous validons
en entier la 1ère. Toutefois, la remise en cause de la
pertinence du pardon et de la justice soulignée dans la
2e hypothèse secondaire du fait de la mémoire des
victimes, mérite d'être nuancée. Nous affirmons que,
malgré les limites de ces deux modalités, lesquelles relativisent
leur portée, et non leur pertinence, celles-ci demeurent un
réservoir riche en possibilités de restauration de la
sociabilité post conflit en Afrique. Cette hypothèse est par
conséquent validée dans les ¾.
En
définitive, les enjeux que soulève la question du pardon et de la
justice peuvent aussi concerner les sociétés pacifiques, mais
dont la mémoire nationale se structure autour d'un compromis imparfait
du fait de certains épisodes de leur histoire. La question de la
mémoire électronique mérite par ailleurs que les
chercheurs s'y intéressent, pour voir en quoi celle-ci pourrait servir
de passerelle entre le passé et le présent de manière
harmonieuse ; ou alors de catalyseur de la résurgence des maux du
passé.
ANNEXES
Annexes
1 : Affiche de recherche pour le TPIR
Annexe 3
Réconciliation
et lutte contre l'impunité
Conférence
de l'Organisation internationale de la Francophonie - Bénin, 29-30
septembre, 1er octobre 2005
"Pratiques
constitutionnelles et politique en Afrique : dynamiques récentes"
Rapport
final
1.
Les termes du "dilemme"
Comment
refonder le pacte social dans des sociétés profondément
divisées par les conflits internationaux, les violences de la guerre
civile ou les exactions d'un régime oppressif ? Comment faire face au
passé afin de se tourner, avec confiance et soulagement, vers le futur ?
Un terme aux contours indéfinis semble répondre à ces
interrogations : la "réconciliation".
Suivant
les situations considérées, la réconciliation repose sur
des exigences diverses : la fin des hostilités, le règlement
durable du conflit, le rétablissement de la confiance entre
gouvernés et gouvernants, la reconnaissance des crimes passés, le
respect des droits de l'Homme, notamment la jouissance des libertés
fondamentales, le droit à la justice, ainsi que le droit au
développement - soit les moyens financiers d'assurer la
sécurité humaine au sens du Programme des Nations Unies pour le
développement. La problématique naît du fait que la
réconciliation concerne différents acteurs -les
représentants d'un Etat, les forces militaires et politiques et la
population civile- et que leurs exigences peuvent diverger, voire
s'entrechoquer. Ainsi, toutes les instances nationales ou internationales qui
se sont impliquées dans le règlement de situation de conflits, se
sont inévitablement trouvées face à un dilemme : comment
concilier la construction de la paix et le respect de la justice ?
Pour
certains, ces deux objectifs sont contradictoires. La recherche inexorable de
la justice constituerait un obstacle à la paix. Insister, partout et
toujours, pour sanctionner ceux qui se sont rendus coupables de manquements
graves aux droits de l'Homme et au droit international humanitaire, pourrait
compromettre un processus de réconciliation fragilisé par le
rôle politique qu'y peuvent tenir les anciens chefs de guerre criminels.
Pour la FIDH, il ne saurait y avoir de véritable paix sans justice.
Fermer les yeux sur l'impératif de la justice uniquement pour parvenir
à un accord, hypothèquerait ce dernier.
L'expérience
issue des nombreuses tentatives de réconciliation démontre
qu'aucune paix durable n'a pu s'établir sans l'intervention
indépendante du judiciaire. L'amnistie - ou bien souvent d'ailleurs
l'auto-amnistie - et le pardon, dérogent au principe fondamental de la
responsabilité sapant ainsi tout effort de prévention de nouveaux
crimes, base d'une réconciliation. En effet l'oeuvre de justice ne
s'exprime pas uniquement par la sanction mais
également
par la prévention. La FIDH estime ainsi essentiel que les auteurs des
crimes les plus graves - crimes de guerre, génocide, crimes contre
l'humanité - puissent être poursuivis et jugés pour asseoir
une réconciliation dans la continuité. Pour saborder l'esprit de
vengeance - terreau fertile à toute insécurité - il est
primordial que les victimes de violations des droits de l'Homme et du droit
international humanitaire aient droit à la vérité, la
justice, la reconnaissance et la réparation.
2.
L'impunité hypothèque tout effort de réconciliation
Chaque
fois que des forces politiques ont souhaité oeuvrer pour la
réconciliation nationale en faisant table rase du passé, via
l'amnistie ou le pardon, la paix relative obtenue par de telles
décisions s'est trouvée déchirée par la
résurgence de conflits. L'impunité conférée aux
auteurs de violations graves des droits de l'Homme ne permet pas la
prévention de nouveaux crimes.
Sans
être exhaustif, il suffit de se rappeler les conséquences de
certaines mesures d'amnisties proclamées au nom de la
réconciliation nationale pour comprendre que le blanc seing
accordé aux criminels n'a pas l'effet d'apaisement
souhaité.
En
Côte d'ivoire, le président Gbagbo a décrété
une amnistie pour les auteurs de violations des droits de l'Homme lors du Forum
de la réconciliation nationale en décembre 2001. Il expliquait
à cette occasion que si la poursuite des coupables est une "exigence
certes légitime, le remède serait sans doute pire que le mal et
ferait persister la discorde". Quelques mois plus tard, la rébellion
éclatait revendiquant notamment que la lumière soit faite sur les
crimes du passé. En République centrafricaine, l'ancien chef de
l'Etat Ange-Félix Patassé a fait voter deux lois d'amnistie, en
date des 30 mai 1996 et 15 mars 1997 relatives aux graves violations des droits
de l'Homme commises par les éléments des forces armées
centrafricaines. Le 15 mars 2003, le général François
Bozizé prenait le pouvoir par la force réclamant que justice soit
faite pour le peuple centrafricain qui avait été victime de
graves violations des droits de l'Homme perpétrées par les
militaires et milices de l'ex Président centrafricain.
Le
7 juillet 1999, le Front uni révolutionnaire (RUF) signait les accords
de paix de Lomé qui prévoyait une amnistie complète pour
tous les auteurs de crimes commis en Sierra Léone antérieurs
à la date du traité. Quelques semaines plus tard, les
hostilités reprenaient de plus belle. Il est vain d'espérer le
règlement durable de conflits en faisant table rase du passé, en
laissant impunies les graves violations des droits de l'Homme contre la
population civile. C'est le cas notamment du Liberia où la
communauté internationale et le gouvernement de transition ont jusqu'ici
montré peu de détermination pour traduire en justice les auteurs
présumés de crimes contre l'humanité et de crimes de
guerre. C'est le cas au Togo, où aucune démarche judiciaire n'a
été entreprise pour poursuivre les auteurs des graves violations
des droits de l'Homme perpétrées notamment contre les
représentants de la société civile et de l'opposition
politique qui contestaient dans la rue la légalité du scrutin
présidentiel. C'est aussi le cas du Sud Soudan où l'accord de
paix devant mettre un terme à l'un des plus longs conflits d'Afrique
élude la question de la lutte contre l'impunité.
3.
Le droit à la vérité et la justice sont des
éléments fondateurs de la réconciliation
Les
exemples précédents démontrent qu'il est impossible
d'imposer la réconciliation à quelqu'un qui demande justice. Pour
qu'il y ait réconciliation il faut être deux. Mais le plus
souvent, les deux entités réunissent des exécutifs ou des
chefs de guerre, qui, par les crimes qu'elles ont commises, ne peuvent en rien
prétendre représenter l'intérêt
général des populations civiles. Il apparaît
désormais essentiel de faire prévaloir une nouvelle approche : si
les "politiques" doivent représenter une entité, l'autre doit
être représentative des victimes des crimes de masse, dont les
droits et aspirations sont le reflet général des populations
civiles. En effet, on ne peut sceller une paix durable sans
réconciliation avec et pour les victimes des exactions et des conflits,
avec et pour les populations civiles martyrisées. Et lorsque l'on
travaille aux côtés de victimes de violations graves des droits de
l'Homme comme le fait la FIDH depuis sa création, on ne peut faire
qu'écho à leurs aspirations : vérité, justice et
réparation. C'est par la réalisation de ce triptyque qu'une
réconciliation durable est possible.
i)
le droit à la vérité : une étape nécessaire
mais non suffisante de la réconciliation
Rechercher
et connaître la vérité sur les crimes passés est un
des éléments essentiels de la réconciliation. Il ne s'agit
pas seulement du droit individuel qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir
ce qui s'est passé, "le droit de savoir est aussi un droit collectif qui
trouve son origine dans l'histoire pour éviter qu'à l'avenir les
violations ne se reproduisent".
La vérité ne se décrète pas, elle se recherche.
C'est sur ce fondement qu'est née la pratique relativement nouvelle des
commissions vérité, importantes dans l'oeuvre de
réconciliation. C'est ainsi que la première Commission importante
a été mise sur pied il y a presque 20 ans en Argentine.
Aujourd'hui, des commissions existent, ou sont prévues, au Timor
Oriental, en Sierra Leone, au Ghana, au Congo, au Burundi, en République
démocratique du Congo, au Libéria... La plupart de ces
commissions vérités sont prévues par des conventions ou
accords de paix et participent à l'objectif de réconciliation
nationale.
La
réalité de chaque pays détermine les
caractéristiques d'une commission vérité. Mais,
l'étude de ces commissions vérité démontre que
celles-ci sont bénéfiques si l'on précise et
reconnaît officiellement une version complète et concertée
de la « vérité »; si l'on mène des consultations
approfondies avec les organisations de la société civile, les
victimes et les témoins; si l'on offre réparation; si l'on
définit les responsabilités individuelles et institutionnelles
par rapport aux violations passées; si l'on analyse les causes profondes
du conflit; et si l'on recommande des mesures préventives
concrètes.
Une
leçon importante de l'examen de ces commissions est que la commission
vérité ne constitue pas la fin du processus mais bien une
étape de celui-ci. En effet, dans le long processus qu'est celui de la
recherche de la réconciliation, de nombreuses questions restent
habituellement à régler en marge ou à la fin des travaux
de la commission, notamment celles de la justice. L'expérience enseigne
qu'il convient de veiller à ce que ces commissions ne soient pas
détournées de leur finalité pour devenir prétexte
à ne pas saisir les tribunaux.
ii)
Le droit à la justice : un élément déterminant de
la réconciliation
La
FIDH reprend les propos tenus par Louis Joinet dans son rapport final sur la
question de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme
: "Il n'est pas de réconciliation juste et durable sans que soit
apportée une réponse effective au besoin de justice; le pardon,
acte privé, suppose en tant que facteur de réconciliation et
lutte contre l'impunité, la réconciliation, que soit connu de la
victime l'auteur des violations et que ce dernier ait été en
mesure de manifester son repentir : en effet, pour que le pardon puisse
être accordé, il faut qu'il ait été
demandé."
Le
droit à la justice confère à l'Etat des obligations :
celle d'enquêter sur les violations, d'en poursuivre les auteurs et, si
leur culpabilité est établie, de les sanctionner. Si l'initiative
des poursuites relève en premier lieu de l'Etat, des règles
complémentaires de procédure doivent prévoir que toute
victime puisse être partie civile aux poursuites et, en cas de carence
des pouvoirs publics, d'en prendre elle-même l'initiative. La
compétence des tribunaux nationaux devrait demeurer le principe, car
toute solution durable implique qu'elle vienne de la nation elle-même et
l'exercice judiciaire doit permettre, à partir de cas d'espèce
particulièrement graves, la catharsis collective qui crée les
conditions du pardon individuel. Mais il arrive trop souvent, hélas, que
les tribunaux nationaux ne soient pas en mesure de rendre une justice
indépendante et impartiale ou soient dans l'impossibilité
matérielle de fonctionner. Se pose alors la question d'une justice
alternative ou complémentaire.
iii)
La nécessité de soutenir le système de justice
pénale internationale
La
justice pénale internationale se fonde sur l'idée même que
rendre justice aux victimes de crimes les plus graves - torture, crimes de
guerre, crimes contre l'humanité et génocide - participent de la
réconciliation nationale en consolidant la paix et prévenant la
commission de nouvelles violations.
Ainsi
le Préambule du Statut du TPIR insiste sur le fait que des "poursuites
contre les personnes présumées responsables d'actes de
génocide ou d'autres violations graves du droit international
humanitaire contribueraient au processus de réconciliation nationale
ainsi qu'au rétablissement et au maintien de la paix".
Le
Préambule du Statut de la Cour pénale internationale
précise que les Etats parties sont déterminés à
mettre un terme à l'impunité des auteurs des crimes
internationaux et à "concourir ainsi à la prévention de
nouveaux crimes". C'est d'ailleurs en ce sens que la justice pénale
internationale ne reconnaît pas les amnisties qui lui sont
opposées par le droit national5. La FIDH soutien l'évolution de
ce système de justice internationale fondée sur la
complémentarité -Tribunaux pénaux internationaux,
Tribunaux mixtes, Cour pénale internationale, compétence
universelle des tribunaux nationaux - car elle est persuadée que la
répression des auteurs des crimes les plus graves participe d'une paix
durable. Mettre en lumière les crimes les plus graves, désigner
et réprimer leurs auteurs, dans le cadre de procédures
indépendantes et équitables, est essentiel dans tout processus de
reconstruction, notamment d'un Etat de droit. Ainsi, la FIDH milite depuis sa
création en 1922 pour la mise en place d'une justice pénale
internationale. La FIDH a activement participé au processus de la mise
en place de la CPI, tant à Rome que lors des commissions
préparatoires à New York, et elle participe aujourd'hui à
une campagne de ratification du Statut de Rome au sein de la Coalition
internationale pour la CPI. Par ailleurs, la FIDH contribue activement au
travail de la CPI en informant le Procureur de situations qui déclare
que l'amnistie accordée par l'Accord de Lomé aux membres des
différentes factions engagées dans la guerre civile en Sierra
Léone ne peut être opposable au Tribunal. Sur
l'opposabilité de la loi d'amnistie mauritanienne du 14 juin 1993, elle
indique que "quelle que soit la légitimité d'une telle amnistie,
dans le cadre d'une politique locale de réconciliation, cette loi n'a
d'effet que sur le territoire de l'Etat concerné et n'est pas opposable
aux pays tiers, dans le cadre de l'application du droit international. Elle n'a
par conséquent aucune incidence sur l'action publique pour l'application
de la loi en France".
Elle
a également encouragé le Conseil de sécurité des
Nations Unies à prendre ses responsabilités en saisissant le
Procureur de la CPI de la situation au Darfour8. Aujourd'hui la FIDH oriente
son action vers le soutien à la participation des victimes dans les
procédures devant la Cour, consciente que ceci participe pleinement du
processus de réconciliation.
La
FIDH participe également activement au combat pour l'application de la
compétence universelle par les tribunaux d'Etats tiers pour
connaître des crimes internationaux. C'est ainsi qu'elle initie ou
soutien des procédures portées contre des génocidaires
rwandais, l'ex dictateur tchadien Hissène Habré, des responsables
congolais dans l'affaire du Beach, des miliciens algériens. A cet
égard, la FIDH se réjouit de la première décision
des juridictions françaises sur le fondement de la compétence
universelle basée sur la Convention de New York contre la torture
condamnant un tortionnaire mauritanien à 10 ans de réclusion
criminelle. Le développement croissant de la justice internationale
permet de décourager ceux qui sont tentés de commettre des crimes
horribles ou qui sont poussés par d'autres à le faire, en leur
faisant comprendre qu'un jour ils devront personnellement rendre des comptes.
Ce moyen de dissuasion n'existait pas dans le passé. Aujourd'hui, il est
aussi nécessaire que jamais, et il le sera tout autant à
l'avenir.
Surtout,
ce système de justice internationale, par l'accent qu'il place sur le
rôle et la responsabilité première des juridictions
nationales du lieu de perpétration des crimes, par l'interaction qu'il
institutionnalise entre les acteurs locaux et les acteurs internationaux,
renforce l'obligation d'agir de l'Etat concerné. La jeune histoire de ce
nouveau système est prometteuse: l'immixtion d'un tiers
indépendant - le juge - dans des processus politiques complexes
essentiellement traités jusque là par des pouvoirs
exécutifs ou des forces armées, ne doit pas inquiéter;
elle ouvre une voie fertile vers la consolidation de la paix par la prise en
compte des droits fondamentaux de ses principaux bénéficiaires et
créanciers, les victimes des crimes de masse et les populations civiles.
La CPI a déjà certainement retenu les bras de bourreaux dans
certaines situations dont elle est saisie; gageons qu'avec le démarrage
actuel de son activité judiciaire, les premières poursuites et
condamnations confirmeront aux criminels que leur avenir, y compris politique,
est sérieusement compromis; et que le seul avenir qu'il importe de
garantir est celui des peuples qu'ils ont martyrisés.
Conclusion
Justice
et paix ne sont pas des notions antagonistes mais complémentaires.
L'expérience de ces dix dernières années montre clairement
qu'il n'est possible de renforcer la paix au sortir d'un conflit que si la
population est convaincue que les abus dont elle a été victime
seront pris en compte. Aussi la question n'est-elle pas de savoir s'il faut
promouvoir la justice et la transparence mais plutôt comment et quand. A
l'évidence, l'examen d'événements passés, le
rétablissement de l'état de droit et le soutien à la
démocratie sont des processus qui demandent du temps dans des pays aux
institutions dévastées, aux ressources épuisées,
où la sécurité laisse à désirer et où
la population est divisée et profondément bouleversée. Il
n'en demeure pas moins que ces tâches sont impératives et
réalisables.
Recommandations
La
FIDH considère qu'aux fins de réconciliation de
sociétés profondément divisées par les conflits
internationaux, les violences de la guerre civile ou les exactions d'un
régime oppressif, il est essentiel de répondre au droit à
la vérité, au droit à la justice et à
réparation des victimes des crimes les plus graves.
Ainsi
la FIDH recommande à la communauté internationale, notamment
à l'Organisation internationale de la Francophonie, de déployer
tous ses moyens en vue :
-
de dénoncer tout accord de paix ou tout instrument de règlement
des conflits qui posent des obstacles à la lutte contre
l'impunité des crimes les plus graves, notamment en accordant des
amnisties ou immunités;
-
de permettre aux représentants de la société civile de
prendre part activement aux négociations pour le règlement des
conflits et de s'assurer qu'ils soient mis à contribution pour
déterminer, en fonction de la situation concernée, les
mécanismes appropriés de lutte contre l'impunité des
crimes les plus graves;
-
d'accompagner la mise en place de commissions vérité
réconciliation en s'assurant qu'elles répondent aux
critères suivants : des consultations approfondies avec les
organisations de la société civile, les victimes et les
témoins; la reconnaissance officielle d'une version complète et
concertée de la « vérité »; l'obtention de
réparation pour les victimes et familles de victimes ; la
définition des responsabilités individuelles et institutionnelles
par rapport aux violations passées; l'analyse des causes profondes du
conflit; la recommandation de mesures préventives
concrètes;
-
de considérer les commissions vérité comme une
étape du processus de réconciliation qui ne peut s'affranchir du
droit des victimes à un recours effectif devant les tribunaux;
-
d'exhorter les Etats à ratifier le Statut de la CPI;
-
d'exhorter les Etats qui ont ratifié le Statut de la CPI à
transposer en droit interne les dispositions du Statut relatives à la
coopération mais aussi aux définitions des crimes et aux
principes généraux du droit pénal international;
-
d'exhorter les Etats qui ont ratifié le Statut de la CPI à
ratifier l'Accord sur les Privilèges et Immunités de la Cour
(APIC) ;
-
d'exhorter les Etat à adopter en droit interne les dispositions des
conventions internationales qui les lient permettant à leurs tribunaux
d'exercer leur compétence universelle pour connaître des crimes
internationaux ;
-
de demander aux Etats de ne pas conclure ou de dénoncer les accords
bilatéraux avec les Etats-Unis dans le cadre de l'article 98 du Statut
de Rome, visant à exclure les ressortissants américains de la
compétence de la CPI, même si ces accords ne sont pas
réciproques.
Annexe 4 : Structure de la Commission
vérité et réconciliation
Source :
Stephane Leman-Langlois, « La vérité réparatrice
dans la Commission... », op.cit
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Table des matières
Sommaire................................................................................................I
Dédicaces.................................................................................................II
Remerciements..........................................................................................III
Abréviations et sigles et
acronymes..................................................................IV
Liste des tableaux et
schémas........................................................................VI
Liste des
annexes......................................................................................VII
Abstract................................................................................................VIII
Résumé..................................................................................................IX
Introduction
générale.................................................................................1
I. Vue d'ensemble du
sujet.............................................................................1
A. Contexte du
sujet.....................................................................................1
B. Eléments généraux sur le
sujet.....................................................................3
C. Définition des concepts et objet de
l'étude
.............................................................4
II. L'intérêt du
sujet.....................................................................................7
II. 1. Intérêt
social.......................................................................................7
II.2 Intérêt
scientifique.................................................................................8
III. Délimitation du
sujet..............................................................................8
III.1. Délimitation dans
l'espace.....................................................................8
III.2.Délimitation dans le
temps......................................................................9
III.3.Délimitation dans le
sujet........................................................................9
IV. Revue de la
littérature............................................................................10
V.
Problématique......................................................................................14
VI.
Hypothèses.......................................................................................14
VII.
Méthodologie....................................................................................15
VIII. De la
méthode..................................................................................15
A. Typologies analytiques
..........................................................................15
B. Du système de collecte et de traitement des
données........................................16
a. La
collecte..........................................................................................16
b. Le
traitement........................................................................................17
VII.2 Du cadre
théorique............................................................................17
a. Le néo
institutionnalisme.....................................................................17
b Le
constructivisme..............................................................................18
c. L'interactionnisme
symbolique..............................................................19
VIII. Annonce du
plan...............................................................................20
Première partie : Configuration mouvante des
acteurs et institutions du pardon et de la
justice.................................................................................................
21
CHAPITRE 1 : DE LA JUSTICE POST CONFLIT :
ACTEURS ET INSTITUTIONS DU DEDANS ET DU
DEHORS........................................................................22
Section 1 : Une pluralité d'acteurs et
d'institutions internes....................................22
Paragraphe 1 : La structuration actancielle : entre
stabilité et incertitude.....................23
A. En Afrique du Sud : une configuration
multipartite..........................................23
B. Au Rwanda : une architecture
imparfaite......................................................24
Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des
deux systèmes judiciaires : des écarts
notables................................................................................................27
A. Les institutions de la Justice en Afrique du Sud : un
exemple d'indépendance
institutionnelle........................................................................................27
B. Les institutions de la justice au Rwanda : une
organisation pyramidale ..................29
Section 2. Une structuration actancielle et institutionnelle
externe à géométrie
variable.................................................................................................31
Paragraphe 1. Les acteurs internationaux de la justice :
fondement et nature ...............31
A. Fondement de l'action des acteurs internationaux :
entre l'ordre moral et l'ordre
juridique................................................................................................31
B. Typologie des acteurs : étatisation et
transnationalisation....................................33
Paragraphe 2. Les institutions internationales dans la
justice interne : un indice de l'extranéité du
processus..............................................................................35
A. Le TPIR ou l'internationalisation de la justice au
Rwanda..................................36
B. De la mobilisation des institutions de la
société internationale en justice post
apartheid.................................................................................................39
Conclusion de
chapitre.......................................................................40
CHAPITRE 2 : DU PARDON POLITIQUE : FIGURES,
PROCESSUS DE MISE EN SCENE ET
MORALE.............................................................................................................................................................................41
Section 1. Identification et fonctionnalité des acteurs
du pardon...............................42
Paragraphe 1 : Un processus civilisateur entre acteurs
passifs et acteurs actifs...............42
A. Les acteurs actifs du pardon : les
victimes......................................................42
B. Les acteurs passifs : les
bourreaux...............................................................45
Paragraphe 2 : les acteurs collectifs et les
personnalités majeures : des positionnements
asymétriques............................................................................................48
A. Les acteurs sociaux et moraux : pluralité et
spécificité des rôles ...........................48
B. Le pardon comme empreinte d'acteurs individuels : des
rôles variables...................49
Section 2. Le pardon comme catégorie politiquement
construite: variété et « januosité »
d'un
processus..........................................................................................52
Paragraphe 1. La construction d'une `'justice-pardon'' par le
bas : les « gacacas » au
Rwanda..................................................................................................52
A. La mise en scène d'une forme originale de justice
transitionnelle...........................52
B. Du parlementarisme traditionnel à la
solidarité « discursive »
..............................54
Paragraphe 2. L'institutionnalisation d'un `'pardon-justice'' par
le haut : la Commission vérité et réconciliation en
Afrique du Sud..........................................................57
A. Un processus cathartique : logistique et logique
...............................................57
B. La mise en scène de la vérité :
une constellation des victimes ..............................60
Conclusion de chapitre
............................................63.
IIème partie : Reconfiguration
imparfaite de la sociabilité post conflit par les acteurs et
institutions du pardon et de la
justice...............................................65
CHAPITRE 3 : LA RECOMPOSITION DES SOCIETES POST
CONFLITS A L'EPREUVE : ANALYSE DES INTERACTIONS PLURIELLES DU SYSTEME
ACTANCIEL ET
INSTITUTIONNEL........................................................................................66
Section 1. Les acteurs : un agencement pacifique
potentiellement problématique dans la
réconciliation...........................................................................................66
Paragraphe 1. Dynamiques internes des acteurs du
pardon.........................................67
A. Les rapports inter acteurs endogènes au
Rwanda : des interactions entre conflits et compromis
.............................................................................................67
B. Les relations de face-à-face entre acteurs en
Afrique du Sud : devoir de mémoire et droit au
souvenir................................................................................................68
Paragraphe 2 : Des interactions variables entre acteurs
de la justice : entre dynamique interne et
externe......................................................................................70
A. Echanges entre acteurs internes de la justice : une
logique d'interdépendance............70
B. Rapports entre les acteurs externes : logiques
solitaire et collaborative...................73
Section 2 : Les institutions : des interactions
orientées vers l'externalisation et l'internalisation des
séquences du temps
pacificateur..........................................74
Paragraphe 1 : Les institutions du pardon et les acteurs
internationaux : des priorités
distinctes..............................................................................................74
A. Justice traditionnelle et justice moderne : des
rapports ambivalents........................74
B. L'internalisation des interactions entre institutions en
Afrique du Sud .....................76
Paragraphe 2 : La collaboration variable entre les
institutions de la justice internationale et les juridictions
nationales au
Rwanda...............................................................78
A. L'affirmation conflictuelle des compétences
...................................................78
B. Une collaboration dans la
pratique...............................................................80
Conclusion de
chapitre........................................................................82
CHAPITRE 4 : APORIES DU PARDON ET DE LA
JUSTICE : L'INTENSITE DE LA SOUFFRANCE ET LA MEMOIRE DES
VICTIMES..........................................................................................................83
Section 1 : La violence et les traumatismes : faits
générateurs de l'impardonnable ?..........84
Paragraphe 1 : L'impact des violences rwandaises sur les
mémoires individuelles et
collectives................................................................................................84
A. La mémoire individuelle : un foyer de la
survalorisation du passé présent............84
B. La mémoire collective : Une prégnance des
formes socialisées du passé...............86
Paragraphe 2. Les violences faites dans le système
apartheid : un facteur de complexification de la sociabilité
commune.............................................................................88
A. La culture d'une mémoire officielle à
visée consensuelle en Afrique du Sud..............88
B. Justice et mémoire : signifiants et
signifiés de
l'amnistie................................................91
Section 2 : Le refus d'oublier comme limite de la
portée du pardon et de la justice : de la centralité du
facteur
temps............................................................................93
Paragraphe 1 : Les mécanismes de consolidation de
la mémoire victimaire...................93
A. L'instrumentalisation de la mémoire : une
difficile parlementarisation de la coexistence entre d'anciens
ennemis...............................................................................93
B. L'entretien institutionnel de la mémoire et ses
effets indirects : réflexions sur le cas des mémoriaux au
Rwanda.................................................................................95
Paragraphe 2 : Une réconciliation
définitive est-elle
possible ?............................................96
A. Passéisme et présentisme dans la
réconciliation au Rwanda.................................97
B. L'Afrique du Sud entre assomption du passé et
projection de l'avenir.....................99
Conclusion de
chapitre...............................................................................103
Conclusion
générale..................................................................................104
Annexes.................................................................................................106
Bibliographie..........................................................................................120
Table des
matières....................................................................................130
SOMMAIRE
Sommaire....................................................................................................I
Dédicaces...................................................................................................II
Remerciements............................................................................................III
Liste des abréviations, sigles, et
acronymes..........................................................IV
Liste des tableaux et
schémas...........................................................................VI
Liste des
annexes........................................................................................VII
Abstract..................................................................................................VIII
Résumé...................................................................................................IX
Introduction
générale....................................................................................1
Première partie : Configuration mouvante des
acteurs et institutions du pardon et de la
justice.............................................................................................................21
Chapitre 1 : De la justice post conflit :
Acteurs et institutions du dedans et du
dehors....................................................................................................................................22
Chapitre 2 : Du pardon politique : figures,
processus de mise en scène et
valeur.................................... ........................................................................41
Deuxième partie : Reconfiguration imparfaite de
la sociabilité post conflit par les acteurs et institutions du pardon
et de la
justice...............................................................64
Chapitre 3 : La recomposition des
sociétés post conflits à l'épreuve : Analyse
des interactions plurielles du système actanciel et
institutionnel.................................66
Chapitre 4 : Apories du pardon et de la
justice : l'intensité de la souffrance et la mémoire des
victimes................................................................................83
Conclusion
générale..................................................................................104
Annexes................................................................................................106
Bibliographie..........................................................................................120
Table des
matières....................................................................................131
DEDICACES
A mes filles,
Jessica et Johanna Edou.
Afin qu'elles fassent mieux que leur père.
A mes parents,
Témoins intrépides de mon progressif
accomplissement,
Afin que leur semence fasse éclore une conscience
à jamais éveillée.
REMERCIEMENTS
Fruit du partage du savoir entre nous et de nombreux
encadreurs, conseillers et relecteurs, ce travail n'aurait pas abouti sans
leurs efforts. A cet égard, il sied de remercier particulièrement
notre superviseur, le Professeur Luc Sindjoun. Son éclairage et sa
vision ont été d'une remarquable fécondité pour
nous éviter les écueils méthodologiques et
théoriques. Malgré ses innombrables occupations, il a lu et relu
patiemment notre texte. Nous lui en savons gré.
Au Directeur de mémoire, le Docteur Guy Mvelle, nous
voulons dire notre infinie reconnaissance. Parce qu'il a suivi notre projet
dès sa phase de conception et, ce faisant, a été d'un
appui déterminant pour la maturation de nos prémices, qu'il
daigne trouver en ces mots le témoignage de notre gratitude.
Les enseignants du Département de science politique
nous ont outillé quant à l'exploration des différents
aspects de notre objet. Nous espérons ne nous être pas trop
éloignés de leurs précieux conseils ; le contraire
n'étant pas entêtement, mais a contrario affirmation de
notre propre personnalité scientifique.
Sévérine Dégée, d'Avocat sans
frontière, mérite un témoignage particulier. Sans nous
connaître, elle nous a permis de disposer des rapports de terrain
rédigés au Rwanda par les experts de son organisation.
Une reconnaissance singulière va à l'endroit de
Martiens Schotsmans, spécialiste des justices traditionnelles et
transitionnelles. Nos échanges ont certes été de courte
durée, mais ils furent si riches en enseignement.
Les mots du présent produit final ayant
été en grande partie trouvés durant notre séjour au
Ghana, nous sommes très reconnaissant du soutien linguistique (pour les
documents en anglais) et moral des amis du Kofi Annan International
Peacekeeping Training Centre.
Pendant la relecture, nous avons
bénéficié de l'écoute active et des commentaires
des amis rencontrés à New Delhi en Inde. A Russel de Papoisie
Nouvelle Guinée et Hanny du Vietnam, merci pour la leçon de
vie : l'idéal de paix transcende les frontières des
Etats nations.
Nous n'oublions pas les facilitateurs de l'impression du texte
et autres lecteurs critiques : Emmanuel, Germain, Philomène,
Priscille, Désiré, Magui, Dominique.
A tous les camarades de promotion qui ont, de par leurs
touches, contribué à améliorer le manuscrit, vous avez
montré que recherche et solitude sont aux antipodes, et que ce n'est
qu'au travers des échanges nourris que l'on parvient à faire
oeuvre scientifique. Votre participation à ce texte constitue une grande
leçon d'humilité.
Merci enfin à tous les anonymes contributeurs directs
et indirects. Puisse ceux-ci se reconnaître dans ce mémoire et
partager avec nous, la vision que loin d'être un
achèvement, celui-ci demeure plutôt un
commencement.
ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
1. ANC : African National Congress
2. APLA : Azanian People's Liberation
Army
3. APR : Armée Patriotique
Rwandaise
4. ASF : Avocat Sans Frontière
5. CEEAC : Communauté Economique
des Etats d'Afrique centrale
6. CF : Confère
7. CICR : Comité International de
la Croix Rouge
8. CIO : Comité International
Olympique
9. CNRS : Centre National de Recherche
Scientifique
10. CPI : Cour Pénale
Internationale
11. CS : Conseil de
Sécurité
12. CVR : Commission
Vérité et Réconciliation
13. DEA : Diplôme d'Etudes
Approfondies
14. FAR : Forces Armées
Rwandaises
15. FPR : Front Patriotique Rwandais
16. FRR : Forces Révolutionnaires
du Rwanda
17. F rw : Franc Rwandais
18. HCR : Haut Commissariat aux
Réfugiés
19. IKP : Inkata Freedom Party
20. MINUAR : Mission des Nations Unies
au Rwanda
21. MK : Umkhonto we Sizwe
22. N° : Numéro
23. NEC : National Executive Council
24. NWC : National Working Committee
25. OING : Organisation Internationale
Non Gouvernementale
26. ONG : Organisation Non
Gouvernementale
27. ONU : Organisation des Nations
Unies
28. PDR : Parti Démocratique
Rwandais
29. PN : Parti National
30. PNUD : Programme des Nations Unies
pour le Développement
31. PR : Président de la
République
32. PUF : Presse Universitaire de
France
33. RC : Réseau des Citoyens
34. RDA : Rassemblement
Démocratique Africain
35. RFSP : Revue Française de
Science Politique
36. RICR : Revue Internationale de la
Croix Rouge
37. RTLM : Radio
Télévision Libre des Mille Collines
38. TPIR : Tribunal Pénal
International pour le Rwanda
39. TPIY : Tribunal Pénal
International pour l'ex Yougoslavie
40. UNESCO : United Nations Educational
Social and Cultural Organisation
41. USAID : United States Agency for
International Development
42. Vol: Volume
LISTE DES TABLEAUX ET SCHEMAS
Tableau 1 : Les effectifs des personnels
judiciaires au Rwanda entre 1994 et
1996.........................................................................................................26
Tableau 2 : Les membres de la Commission
vérité et
réconciliation....................................................................................................................59
Schéma 1 : Schéma
simplifié du génocide et du processus de réconciliation au
Rwanda...................................................................................................101
Schéma 2 : Schéma
simplifié de l'apartheid et du processus de réconciliation en
Afrique du Sud
.............................................................................................................102
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 : Affiche de recherche pour le
TPIR.....................................................107
Annexe 2 : Extrait des statuts de la
RTLM..........................................................108
Annexe 3 : Rapport final de la
Conférence de l'OIF de 2005 sur la réconciliation et la lutte
contre l'impunité
.......................................................................................110
Annexe 4 : La structure de la
CVR..................................................................118
ABSTRACT
ABSTRACT
Forgiveness and justice are two concepts which could be
wrongly considered as antonymous. In African post conflicts societies,
sometimes the way used to tackle issues jeopardizing reconstruction efforts is
to bring formal enemies to forgive each others. The problem emphasized in the
present work is to compare the two concepts, regarding their utilization in
South Africa and Rwanda. Two dimensions are included in our analysis: actors
and institutions. Furthermore, we compare their role both in internal and
external levels.
In the first chapter, we try to identify different actors
and institutions of justice in the two countries. The second chapter's aim is
to analyse the processes of political forgiveness. The third one scrutinizes
interactions between actors and institutions in the domestic and international
levels, not forgetting the interactions between those who are within the two
States and those who are from outside. The final chapter draws the link
between violence, reconciliation and the victim's memory.
At the end of the day, we realize that justice and
forgiveness must go together in order to reach sustainable results. Justice
must not be only to punish those who committed crimes, as forgiveness shall not
lead to forget the past. The two choosen countries show us that results of
initiatives taken depend on the environment, the sense given to the actions,
and the willing of victims, who are active actors of forgiveness.
Whereas in South Africa the choice has been to avoid
punitive justice, in Rwanda it was the contrary. It was crucial for
Stakeholders of this country to punish those who were convicted to have been
perpetrators of genocide. This is why the transitional justices in the two
cases are quite different. In Rwanda, the «gacacas» courts applied a
`' justice-forgiveness'' whereas in South Africa, the Truth and reconciliation
Commission was promoting a `'forgiveness-justice''.
RESUME
Le pardon et la justice sont deux modalités
à travers lesquelles peut se faire la réconciliation après
un conflit. Pendant que la première vise à absoudre les bourreaux
de leurs crimes et à exprimer de l'empathie à leur égard
pour avancer vers la sociabilité, la deuxième quant à elle
milite pour la sanction de la responsabilité des auteurs des crimes
passés. L'Afrique du Sud et le Rwanda nous ont offert l'occasion de voir
l'imbrication de ces deux processus autour de l'objectif global de ne pas
encourager l'amnésie juridique, tout en prônant de tourner la page
du passé et de réécrire l'histoire. Ainsi, l'on peut
envisager l'émergence des catégories nouvelles en termes de
« pardon-justice » et de
« justice-pardon ».
Le sujet a été articulé autour
de deux niveaux d'analyse : les acteurs et les institutions aux plans
interne et externe. Nous avons analysé leurs configurations et leurs
apports dans la reconfiguration des deux sociétés. Les
interactions entre ces acteurs et institutions révèlent une
coproduction du travail de réécriture de l'histoire et
d'influence des mémoires. Les limites relevées quant à la
portée du pardon et de la justice ne sont pas de nature à
invalider leur pertinence. Aussi avons-nous mis en évidence le
fonctionnement des instances de justices transitionnelles dans les deux
pays ; lesquelles procèdent d'un parlementarisme traditionnel par
le bas (Rwanda) et d'une institutionnalisation par le haut (Afrique du Sud).
* 1 Le hutu est
considéré comme un être humain ayant un nez
épaté et une taille moyenne tandis que le tutsi a un nez fin et
une grande taille.
* 2 Jean Pierre
Chrétien essaye d'étudier ce phénomène sous l'angle
comparatiste : « Pluralisme politique et équilibre
ethnique au Rwanda et au Burundi », Enjeux nationaux et
dynamiques régionales dans l'Afrique des Grands Lacs, Lille,
Université des sciences technologiques, 1992.
* 3 Lire Jacques
Sémelin, « Du massacre au processus
génocidaire », Revue internationale des sciences
sociales, décembre 2002. Ben Kiernan et Robert Gellaty,
Spectre of genocide: mass murder in a historical perspective,
Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
* 4 Bertand Jordane,
Rwanda. Le piège de l'histoire. L'opposition démocratique
avant le génocide (1990-1994), Paris, Karthala, 2000, p.12.
* 5 Bertand Jordane,
op.cit ; p13.
* 6 Lire F. Reyntjens,
Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l'histoire, Paris,
Bruxelles, 1995
* 7 Cf. le Rapport S/ PV.3371
du 30 avril 1994, p.2.
* 8 Voir infra.
* 9 S/Res/918 (1994) du 17
mai 1994, 10e considérant.
* 10 Celle-ci fut
créée le 05 Octobre 1993 par la résolution 972 du Conseil
de Sécurité.
* 11 Cinq chefs d'accusation
ont en effet été retenus contre ce Sénateur et ancien
vice-président de la République Démocratique du Congo le
17 juin 2009.
* 12 Ancien Président
libérien dont le procès s'es ouvert à la Hayes le 4 juin
2007.
* 13 Il le fut par la
Belgique en septembre 2005, en vertu de la loi de compétence
universelle.
* 14 Robert T Hennemeyer,
« Forgiveness in conflict resolution : Reality and Utility- The
Bosnian Experience » in : Three Dimensions of Peacebuilding
in Bosnia: Finding from USIP-Sponsored Research and Field Projects, Steven
M. Riskin,éd, Washington, United States Institute of Peace, p.38. Ces
auteurs ont en effet une conception religieuse et éthique du pardon.
* 15 William Bole, Drew
Christiansen, Robert T. Hennemeyer, Le pardon en politique internationale.
Un autre chemin vers la paix, Paris, Nouveaux Horizons, 2007, pp.
44-45.
* 16 Op.cit ; p.4.
* 17 Baker, in Woodstock
Colloquium, Forgiveness in Conflict Resolution, Reality and Utility, The
Northern Ireland Experience, P.19.
* 18 Shriver, An Ethic
for Enemies: Forgiveness in Politics, New York, Oxford University Press,
1995, p.9.
* 19 Raymond Guillien et
Jean Vincent (dir), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz,
2003, p.344.
* 20 Mokhtar Lakehal,
Dictionnaire de science politique, 2e ed, Paris,
l'Harmattan, 2005, p.232.
* 21 Rapport du
Secrétaire Général de l'ONU, sur le rétablissement
de l'état de droit et l'administration de la justice pendant la
période de transition dans les sociétés en proie à
un conflit ou sortant d'un conflit, S/2004/616, paragraphe7.
* 22 Paroles
prononcées en 2002, à l'occasion de la célébration
de la Journée mondiale de la paix.
* 23Gilles Ferréol,
Philippe Cauche, Jean-Marie Dupez, Nicole Gadrey, Michel Simon,
Dictionnaire de Sociologie, Paris, Armand Colin, 1991, p. 32.
* 24 Op. cit ; pp.
92-93.
* 25Pietro Verri,
Dictionnaire du droit international des conflits armés, CICR,
Génève, 1988, p. 36-37.
* 26 Gilles Ferreol (dir),
op.cit ; p.95.
* 27 Op.cit ; p.
220.
* 28 Michel Crozier et Erhard
Friedberg, L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p.
22.
* 29 Michel Crozier et E.
Friedberg, op.cit ; p. 43.
* 30 Madeleine Grawitz
définit l'acteur comme celui qui agit en dehors du sens usuel. Il peu
être un individu, un groupe ou même une institution auxquels un
rôle est assigné. In : Lexique des sciences
sociales, 7e éd, Paris, Dalloz, 2000.
* 31 Pour Madeleine Grawitz,
la construction de l'objet est un des points essentiels et les plus difficiles
de la recherche, le fondement sur lequel tout repose. In :
Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11e
éd, 2001, p. 382.
* 32 Voir infra.
* 33 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 106.
* 34 Michel Beaud
définit la problématique comme « l'ensemble
construit, autour d'une question principale, des hypothèses de recherche
et des lignes d'analyse qui permettent de traiter le sujet
choisi ». In : L'art de la thèse, Paris, La
Découverte/Syros, 2001, p.32.
* 35 Elle est définie
par Madeleine Grawitz comme une proposition de réponse à la
question posée. Elle tend à formuler une relation entre des faits
significatifs. Op cit ; p. 398.
* 36 Il s'oppose à
l'individualisme méthodologique et prône la
prééminence du tout sur les parties. Les interprétations
sont faites de manière globalisante. Les effets de système sont
importants ici. Voir Gilles Ferréol (Sous dir), Dictionnaire de
sociologie, 3e éd, Paris, Armand Colin, 2004, p. 85.
* 37 La vision des nouvelles
sociologies favorise notre inclusion de ces deux niveaux d'analyse.
L'individualisme méthodologique a été
développé par des auteurs comme Popper, Hayek, Piaget, pour
souligner que tout fait social n'est que la résultante de l'interaction
d'un ensemble de comportements individuels. La dimension intentionnelle et
stratégique des acteurs est prise en compte en priorité.
In : Gilles Ferréol (Sous dir), Dictionnaire de
sociologie, op.cit ; p. 93.
* 38 Pour aller plus loin,
lire Ronald H. Chicote, Theories of Comparative Politics. The search for a
paradigm,Westview Press. Bertrand Badie et Guy Hermet, La politique
comparée, Paris, Armand Colin, 2001. Institut d'Etudes Politiques
de Bordeaux, Faire de la politique comparée au XXIème
siècle, Colloque RIPC, 21,22, 23 février 2002.
Cécile Vigour, La comparaison dans les sciences sociales. Pratiques
et méthodes, Paris, La Découverte, 2005.
* 39 Pour Gordon Mace et
François Pétry, la collecte de l'information est une étape
importante du travail empirique parce qu'elle fournit l'élément
de base pour la vérification de l'hypothèse. In : Guide
d'élaboration d'un projet de recherche en science sociale,
Bruxelles, De Boeck Université, 3e ed, p89.
* 40 Norbert Elias,
Engagement et distanciation. Contribution à la sociologie de la
connaissance, Paris, Fayard, 1993.
* 41 Michel Beaud, op.cit;
p.50.
* 42 Voir Sven Steino et al,
Structuring Politics: historical Institutionalism in comparative
Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
* 43 Lire André
Lecours, « L'approche néo institutionnaliste en science
politique : unité ou diversité ? »,
Politique et société, vol 21, n°3,2002, pp.3-19.
* 44 C'est le cas de Gabriel
Almond, « The return of the State », American Political
Science Review, vol 82, 1998, pp. 853-874.
* 45 Il rend compte du
conditionnement des phénomènes politiques par des données
relevant du contexte extérieur aux acteurs. Ceux-ci perdent le
contrôle sur des dynamiques créées par les institutions.
Pour aller plus loin, Colin Hay et Daniel Wincott, « Structure,
Agency and historical Institutionnalism », Political
Studies, vol 46, 1998, pp. 951-957.
* 46 James March et Johan
Olsen, Rediscovering Institutions, New York, Free Press, 1989. Paul di
Magio, et Walter Powell, Powell, The New Institutionalism in Organizational
Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991.
* 47 Peter Berger et Thomas
Luckmann, The social construction of Reality, New York, Double day,
1966, p.87.
* 48 Pierre Bourdieu,
« Espace social et pouvoir symbolique », chose
dite, Paris, Minuit, 1987
* 49 Lire Erving Gofman,
La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, ed de Minuit,
1973. Les rites d'interaction, Paris, ed de Minuit, 1974.
* 50 Pour aller plus loin,
J. M. De Quieres, M. Ziolkowski, L'interactionnisme symbolique,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994. Anselm Strauss, Miroirs et
masques. Une introduction à l'interactionnisme, Paris,
Métaillé, 1922.
* 51 John Rawls, Justice et
démocratie, Paris, Seuil, 1993, p.33.
* 52 Voir infra, chapitre 3.
* 53 Anne Cécile
Robert, « Au Rwanda, vivre avec le génocide »,
Manière de voir, n°55, Janvier-Février 2001,
p.77.
* 54 Il s'agit notamment
d'une ONG belge, dont l'acronyme voudrait dire réseau de citoyens.
* 55 Frédéric
Mutagwera, « Détention et poursuites judiciaires au
Rwanda », in : Jean-François Dupaquier (sour dir), La
justice internationale face au drame rwandais, Paris, Karthala, 19996, pp.
18-19.
* 56 La loi organique portant
création du Barreau au Rwanda est celle n° 3/97 de mars 1997.
* 57 Ibid.
* 58 Voir Jean
François Dupaquier (sous dir), op.cit ; p. 38.
* 59 Marc Osiel, s'inspirant
de Durkheim, analyse le rôle du procès dans la réactivation
de la solidarité sociale. Le procès fournit l'occasion à
une société de se réunir et de communier dans un
même rejet du crime et une même réprobation du criminel.
Mais le problème consiste à s'entendre sur un récit unique
de ce crime et sur une imputation consensuelle des torts. Dans le contexte
actuel de démocratie libérale, la pluralité d'opinions et
la liberté de pensée sont consacrées. Osiel parle de
« solidarité discursive » pour rendre compte du fait
que les procès peuvent mettre en scène de manière
pacifique les désaccords. Ces procès publics stimulent les
débats publics et servent à promouvoir les vertus
démocratiques de tolérance, de modération, et de respect
civil. Lire Marc Osiel, Juger les crimes de masse. La mémoire
collective et le droit, Paris, Seuil, 2006.
* 60 Voir supra.
* 61 Article 165, alinéa
1 de la constitution.
* 62 Article 168 de la
constitution.
* 63 Article 169 de la
constitution.
* 64 Article 178.
* 65 Celui-ci était
miné par des problèmes tels que la corruption, l'insuffisance des
effectifs, l'incompétence des acteurs, la main mise de
l'exécutif. Voir le Rapport dressé par les professionnels de ce
secteur : La place de la justice et le rôle du magistrats dans
l'édification d'un Etat démocratique, Ed Ministère de
la justice, Kigali, 1992.
* 66 Voir Martiens
Schostmans, Rapport d'évaluation mi- parcourt du projet Appui au
développement de l'Etat de droit et de la démocratie au
Rwanda, mars-mai 2004.
* 67 Dans une perspective plus
large, lire Eric Gillet, « Le génocide devant la
justice », Temps modernes, n° 583, juillet-Août
1995 ; Alphonse Marie Nkubito, « Le rôle de la justice
dans la crise rwandaise », in André Guichaoua, Les crises
politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994), Paris, Karthala, 1995.
* 68 Loi n° 09/2007 du
16/02/07 portant attribution et fonctionnement de ladite Commission.
* 69 Pour d'amples
détails, voire la loi n° 07/2004 du 25/04/2004 portant code
d'organisation, fonctionnement et compétence judiciaires (J.O
n°14/2004 du 15 juillet 2004).
* 70 Jean-François
Dupaquier, op.cit ; pp.39-40. Parmi ces partenaires, le RC ou
réseau des citoyens, le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits
de l'Homme.
* 71 Ces derniers ont
été offerts à chaque chef de parquet (Pick up Toyota).
L'Unicef a donné un second au Parquet de Kigali.
* 72 122 motocyclettes
furent octroyées par le PNUD et le HCR au bénéfice des
inspecteurs de police judiciaire. Voir Jean François Dupaquier,
op.cit ; pp. 39-43.
* 73 William Bourdon et
Emmanuelle Duverger, La CPI. Le statut de Rome, p.307.
* 74 William Bourdon,
Emmanuelle Duverger, op.cit ; p.9.
* 75 En Afrique du Sud, la
société civile avait des connexions externes qui ont
favorisé son plaidoyer dans la réconciliation.
* 76 Dans bon nombre de ces
pays en effet, ce qui est en jeu ce ne sont pas des hommes forts, mais
plutôt des institutions fortes. En plus, ces pays ont une riche tradition
de respect des institutions internationales, chargées de collectiviser
leurs intérêts. Ceci ne revient pas à postuler que les pays
de tradition française n'ont pas suffisamment ritualisé
l'institutionnalisation dans leurs habitus démocratiques.
* 77 Des procès y ont
aussi eu lieu. C'est le cas de l'affaire Ntuyaga du 19 avril 2007. Mais deux
autres procès ont lieu plus tôt, à savoir celui de 2001 dit
des `'Quatre de Butare'' et celui de 2005 impliquant Etienne Nzabonimana et
Samuel Ndashyikirwa.
* 78 Ce pays s'est
fixé pour objectif, par ailleurs, de poursuivre les auteurs du meurtre
de 9 casques bleus belges, ainsi que les auteurs du génocide se trouvant
sur son sol. C'est ainsi que, s'agissant du premier objectif, Bernard
Ntuyahaga, un officier rwandais, a été condamné à
20 ans de prison.
* 79 Affaire Wenceslas
Munyeshyaka, et Laurent Bucyibaruta.
* 80 Cf l'ordonnance du 16
février 2006. Les mis en cause étaient des civils et militaires
impliqués dans l'opération Turquoise.
* 81 Voir supra
* 82
Htpp://fr.wikipedia.org/wiki/Avocats_sans_fronti, consulté le 20
septembre 2009.
* 83 Jean-François
Dupaquier et alie, op. cit ; p. 40.
* 84 Op ;cit ; p.25
26.
* 85 Pour aller plus loin, lire
Rakadomanana, H : « Le Tribunal international pour le
Rwanda », Rwanda, Un génocide du XXe siècle,
P. 15.
* 86 Op.cit ; p. 75.
* 87 CS/Res/977(1995). Voir les
autres résolutions en page 128.
* 88 Cf. S/PV.3453 du 08
novembre 1994, p.16.
* 89 Consulter
Frédéric Mégret, Le TPIR, Paris, Pedone, 2002, p.
13. Voir article 6 du Statut du TPIR.
* 90 Article 2 du Statut du
TPIR.
* 91 Article 3 du Statut.
* 92 Pour aller plus loin,
Emmanuel Décaux, « La mise en place des juridictions
pénales ad hoc », in R Verdier, E Décaux, JP
Chrétien, Rwanda, un génocide du XXe siècle,
Paris, Harmattan, 1995
* 93 Voir pour plus de
détails Jean François Dupaquier et alie, op.cit ; pp.
77-78.
* 94 Article de son
règlement.
* 95 Article 125 du
règlement du TPIR.
* 96 Article 96 de son
règlement.
* 97 Pour aller plus loin
sur la politique juridique du TPIR, lire P. Akhavan, « The International
Criminal Tribunal for Rwanda: The politics and pragmatics of punishment »,
American Journal of International Law, vol. 90, 1996, pp. 506 et
ss. Marshal, Roland, « Justice
internationale et réconciliation nationale. Ambiguïtés et
débats », Politique africaine,
n°92, décembre 2003.
* 98 Pour avoir un
aperçu des résolutions adoptées à cet effet en
1994, se rapporter à la page 128.
* 99 Op.cit ; p. 245.
* 100 Sandrine Lefranc,
Les politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p. 15.
* 101 Woodstock Colloquim,
Forgiveness in Conflict Resolution: Reality and Unity, pp.28-29.
* 102 Bole, Christiensen,
Hennemeyer, Le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la
paix, op.cit ; p. 76
* 103 Les tutsi
étaient effectivement assimilés aux cafards et donc, ils devaient
être exterminés.
* 104 Il s'agit des stades,
des écoles, des Eglises, etc.
* 105 Le viol a
été en effet reconnu comme un crime contre l'humanité,
dans l'affaire LE PROCUREUR contre JEAN PAUL AKAYESU (affaire N.ICTR-96-4-T) de
septembre 1998. Le TPIR a défini le viol comme une forme d'agression,
manifestée par une pénétration sexuelle non consensuelle
commise sur la personne d'autrui. Il peut consister en l'introduction d'objets
quelconques dans les orifices du corps d'autrui. Ceux-ci ne sont pas
considérés comme ayant une vocation sexuelle intrinsèque
et /ou l'utilisation de tels orifices dans un but sexuel. Il est
utilisé à des fins de dégradation, d'humiliation et de
discrimination, de sanction et de contrôle ou de destruction d'une
personne. Un viol est donc une invasion physique de nature sexuelle sous
l'empire de la contrainte. Dans le cas d'espèce, l'accusé avait
ordonné aux Interhamwe de déshabiller une élève et
de la forcer à faire la gymnastique toute nue devant une foule. Des
actes de viol multiples furent commis sur des dizaines de filles et femmes
près d'un bureau communal. Ces femmes étaient par la suite
tuées. Lire par ailleurs Bolya, La profanation des vagins. Le viol
comme arme de destruction massive, Paris, Edition du Rocher, 2005.
* 106 Juste à titre
de panorama des événements et du rôle de l'ONU, lire le
témoignage de Roméo Dallaire alors représentant militaire
de l'Onu au Rwanda au moment des faits ; pendant que le Camerounais
Jacques Roger Booh Booh était responsable diplomatique de la
MNUAR : J'ai serré la main du diable, la faillite de
l'humanité au Rwanda, Paris, Libre expression, 2003.
* 107 Dans une population de
48,7 millions d'habitants en 2008, les noirs représentent 79,2%, les
blancs 9,2%, les métis 9% et 2,6% pour les indiens.
* 108 Desmond Tutu, Il
n'y a pas d'avenir sans pardon, Paris, Albin Michel, 2000, p. 30.
* 109 Elle renvoie à
la qualité propre au fait d'être un être humain, une
pratique de l'humanité mutuelle. Voir R Porteilla, « Afrique
du Sud, dix ans de démocratie, entre rêve et
réalité », Consulté en ligne,
www.institudrp.org, le 15
Août 2009.
* 110 De manière
fondamentale, l'on peut regrouper dans la catégorie''bourreau'' les bras
armés (FAR et milices), l'administration (préfets, bourgmestres,
conseillers communaux) et les exécutants divers.
* 111 Cette radio fut
lancée le 8 juillet 1993.
* 112 Danielle Helbig,
Jacqueline Martin, Michel Majoros, Rwanda, documents sur le
génocide, Bruxelles. Éd. Luc Pire, 1997, p. 41.
* 113 Pour une étude
complète sur la question, lire Jean Pierre Chrétien,
« Presse libre et propagande raciste au Rwanda »,
Politique africaine, n° 42, juin 1991. Voir aussi :
Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995
* 114 Lire David
Ambrosetti, La France au Rwanda. Un discours de légitimation
morale, Paris, Karthala, 2001. Bernard Lugan, François
Mitterand, l'armée française et le Rwanda, Paris, Ed du
Rocher, 2005. François-Xavier Vershave, Complicité de
génocide ? La politique de la France au Rwanda, Paris,
Découverte, 1994. Toutefois, la réouverture en décembre
2009 des relations diplomatiques entre les deux pays pourrait laisser poindre
à l'horizon plus de convivialité entre les deux Etats, ainsi
qu'un consensus sur la vérité historique.
* 115 En effet, le terme
Apartheid dérive de cette langue et veut dire développement
séparé.
* 116 Abderrahamane N'Gaide,
« Se réconcilier, juger ou pardonner ? Les Mauritaniens
face à leur histoire », Bulletin du Codesria,
n°3 et 4, 2006, p.41.
* 117 Op.cit ;
p.26.
* 118 Op.cit ; p.
76.
* 119 Bole, Christiansen,
Hennemeyer, Le pardon en politique internationale..., op.cit ; p
80.
* 120 Celle-ci fut
créée par la loi n°03/99 du 12/03/1999.
* 121 L'importance de la
place des Eglises dans la société rwandaise est bien lointaine.
Dès le mouvement de `'tutsification du Rwanda'' analysé par
Bernard Lugan, l'Eglise catholique a affirmé sa préférence
en soutenant les tutsi. Les premières traces de ce choix peuvent
être vues à travers une lettre de Monseigneur Classe en 1927, dans
laquelle le prélat préconise à l'administration coloniale
qu'il soit confié aux tutsi les fonctions officielles. Des jeunes tutsi
sont très tôt formés dans des écoles missionnaires
pour devenir la future élite locale. En conséquence, un ethno
nationalisme hutu est né. In : Bernard Lugan, Rwanda. Le
génocide, l'Eglise et la démocratie, Paris, ed du Rocher,
2004, pp 40 et ss.
* 122 Pendant le
génocide, les tutsi qui s'y sont réfugiés ont
trouvé la mort et y ont été ensevelis. Aujourd'hui
l'impact des balles et le sang sur les murs encore présents participent
de la perpétuation de la mémoire de ces événements.
* 123 Voir sa bibliographie
dans
www.wikipedia;org/wiki/paul_kagame+bibliographie+be+paul+kagame,
consulté le 11 septembre 2009.
* 124 Pour aller plu loin,
voir
http://fr.encarta.msn.com,
`'Bizimungu pasteur'' Encyclopedia Microsoft, en ligne, consulté le 11
septembre 2009.
* 125 Ces mots sont
exactement ceux qu'il prononça 28 années auparavant, lorsqu'il
fut condamné à perpétuité.
* 126 Celui-ci était
notamment le fondateur du `'Black Consciousness Movement''.
* 127 Nous faisons
allusions à l'antériorité des CVR en Amérique du
Sud, notamment au Chili, en Argentine, etc.
* 128 Sur la question des
justices transitionnelles en général, lire utilement Pierre
Hazan, « Mesurer l'impact des politiques de châtiment et de
pardon : plaidoyer pour l'évaluation de la justice
transitionnelle, Revue Internationale de la Croix Rouge, vol 88,
n°861, mars 2006, pp. 343-365. L'auteur les considère comme moyen
de défense d'un socle civilisationnel et fragile espoir d'un monde
meilleur.
* 129 Voir supra.
Néanmoins, les capacités de la justice classique sont
considérablement améliorées sur le plan des effectifs des
personnels, de leur formation, et des infrastructures. La population
carcérale est demeurée un problème crucial. Ainsi, 120000
personnes étaient détenues pour crimes de génocide et
crime contre l'humanité. En 1997, le Rwanda a dépensé,
selon les sources du ministère de la justice, 982000000000 Francs
rwandais pour l'achat des vivres des détenus ; ce qui
représentait les 2/3 du budget de ce ministère. Le CICR a
dû compléter car cette somme était insuffisante. En 1999,
le montant fut ramené à 1500000000 F rw, soit plus de la
moitié du budget alloué au ministère de la justice,
à savoir 3800000000 Frw.
* 130 Sur des
thématiques similaires, C. Ntampaka, « Le retour à la
tradition dans le jugement du génocide rwandais: le
gacaca, justice participative », Bulletin de
l'Académie royale des sciences d'Outre-me, n° 48,
2002, pp. 419-455. Cet auteur est un juriste.
* 131 Peter Uvin,
«Case study, the gacaca Tribunals in Rwanda», Journal of
International Criminal Justice, Vol 3, n°4, 2005, pp. 896-919.
* 132 Voir la loi n°
40/2000 modifiée par la loi n° 16/ 2004.
* 133 Voir la loi n°
16/2004 en ses articles 4 et suivants.
* 134 Article 5 et suivants
de la loi n° 16/2004 du 19/05/2004.
* 135 Consultez à
cet égard le site officiel du département des juridictions
gacacas de la Cour Suprême, et le document intitulé : Les
juridictions gacacas comme solution alternative au règlement du
contentieux du génocide.
www.inkiko-gacaca.gov.rw.
* 136 Voir infra.
* 137 Pour une critique des
gacacas, lire Filip Reyntjens, «Le gacaca ou la justice du gazon au
Rwanda», Politique Africaine, «Le Droit et ses
Pratiques», n°. 40, décembre 1990, pp. 31-44
* 138 Voir le site officiel du
département « gacaca » au ministère de la
justice, op.cit.
* 139 Voir Alex
Boraine, A country Unmasked: Inside South Africa Truth and
Reconciliation Commission, Oxford and New York, Oxford University Press,
2000. L'auteur parle de trois types de vérité: la
vérité factuelle menée avec impartialité. Elle
nécessite la coopération des organes de répression
(armée, police, milice), le rôle de l'Etat est central car
celui-ci peut conférer à la Commission un pouvoir d'injonction.
La vérité personnelle qui produit un effet de catharsis de
celui qui l'énonce, elle varie en fonction des victimes, témoins,
bourreau. La vérité dialogique ou sociale vise à
éclairer les responsables politiques des crimes commis, produit un
débat dans la société et l'émergence d'un consensus
sur le passé.
* 140 Amy Ross,
« Les politiques de vérité ou la vérité
sur les politiques ? Amérique du Sud : leçons
d'expérience »,
* 141 Voir l'article de
l'historien politique Timothy Garton, « La Commission
vérité et réconciliation en Afrique du Sud »,
Esprit, n° 238, décembre 1997, pp. 44 -72
* 142 Pour aller plus loin,
lire Dominique Darbon, « La Truth and réconciliation
Commission. Le miracle Sud africain en question », RFSP, vol
48, n° 6, décembre 1998, pp.707-727.
* 143 Il s'agira, d'un
point de vue conceptuel, de révéler la vérité au
bénéfice des victimes. Celle-ci est considérée
comme une forme non judiciaire de gestion politique nationale de la
mémoire. Le contexte de la transition politique en constitue
l'élément déclencheur. Cette Commission est assise sur un
compromis politique et un nouvel esprit public de responsabilité
démocratique et de réconciliation. Elle dispose de multiples
facettes et fonctionne à travers une démarche logistique et
administrative. Voir André du Toit, « La commission
vérité et réconciliation Sud africaine. Histoire locale et
responsabilité face au monde », Politique africaine,
n°92, décembre 2003, pp. 99-103.
* 144 Voir infra.
* 145 Neil J. Kritz,
Forgiveness in Conflict resolution, Reality and utility. The experience of
the Truth Commissions, , Washington, Woodstock theological Center,
1998 p.5.
* 146 Desmond Tutu,
op.cit ; p 18.
* 147 Sandrine Lefranc, op.
cit ; p 54.
* 148 Sur l'exemple du Togo,
voire la communication présentée par son Président
à Yaoundé le 18 novembre 2009, lors de la 2e
Conférence régionale sur la justice transitionnelle : une
voie vers la réconciliation et la construction d'une paix
durable : Nicodème Barrigah-Benissan, « Commission
vérité ou Commission d'établissement des
faits ».
* 149 Voir également
Audrey R. Chapman et Hugo van der Merwe (eds), Truth and Reconciliation in
South Africa: Did the TRC deliver? Philadelphia, University of
Philadelphia Press, 2008.
* 150 Op.cit ; p56.
* 151 Pour aller plus loin
sur le lien entre l'aveu et le pardon, lire Philippe Moreau Defarges,
Repentance et réconciliation, Paris, Presses de Science-po,
1999.
* 152 Antjie Krog, La
douleur des mots, Actes Sud, 2004, pp.402-403.
* 153 C.J. Colvin,
« overview of the reparations programme in South Africa »,
Centre for the Study of violence and reconciliation, Witwatersrand
University, 2003.
* 154 Op.cit ; pp
105-106.
* 155 « The former
South Africa government and its security Forces », Truth and
reconciliation Commission of South Africa, Report, 2003, 6(3), pp. 247 et
ss.
* 156 Pour aller plus loin,
lire Sandrine Lefranc, Les politiques du pardon, Paris, PUF,
pp.29-51.
* 157 Il s'agit de rendre
compte de ses faits et méfaits.
* 158 Le procès de
Bizimungu qui créa un parti politique après avoir
démissionné du FPR en est une illustration.
* 159 Sur un aperçu
général des Commissions, se rapporter à : Haut
Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, Les instruments de
l'Etat de droit dans les sociétés sortant d'un conflit. Les
Commissions vérités, New York et Genève, 2006
* 160 Frédéric
Mégret, Le tribunal pénal international pour le Rwanda,
Paris, Pedone, 2002, p. 81.
* 161 Le concept est de
Everett L. Worthington, un psychologue. A l'opposé, l'auteur propose la
figure des `'têtes froides'' dont le rôle est opposé aux
premiers. Cité par Bole et alié, op.cit, p.36.
* 162 Lire à cet
égard l'historien Jean Pierre Chrétien, « Presse libre
et propagande raciste au Rwanda », Politique africaine,
n°42, juin 1991.
* 163 Op.cit ; p.271.
* 164 Sandrine Lefranc,
Les politiques du pardon, op.cit ; p.52.
* 165 Idem, pp.52-53.
* 166 Idem, pp 53-54.
* 167 Le 10 mai 1994, dans un
discours, il supplia la foule, presque totalement constituée de noirs,
de pardonner et proposa que les criminels soient amnistiés.
* 168 Sandrine Lefranc,
op.cit ; p. 57.
* 169 Rapport de
mars-septembre 2005 sur le monitoring des juridictions gacacas. Phase de
jugement. Consulté en ligne dans :
info@asf.be, le 23 septembre 2009.
* 170 Op.cit ; p.12.
* 171 Desmond Tutu, Il n'
y a pas d'avenir sans pardon, op. cit ; p. 18.
* 172 Cette opération
draina 4 avocats Camerounais.
* 173 Voir supra.
* 174 Voir supra
* 175 En
réalité le système en vigueur était celui du double
degré de juridiction. Les affaires sont supposées
réexaminées dans les gacacas d'Appel, mais ceux-ci s'en tenaient
presque exclusivement aux qualifications faites dans les gacacas de premier
ressort.
* 176 Au départ de
cette phase pilote, 1545 gacacas de secteur et autant en Appel étaient
concernés.
* 177 Cette disposition
énonce que toute personne accusée d'une infraction ne peut pas
être forcée de témoigner contre elle-même, ni de
s'avouer coupable.
* 178 Lire Mahmoud
Mamdani, « Reconciliation without justice », South
Africa Review of Books, nov-dec 1996.
* 179 Voir la sociologue
Laeticia Bucaille, « Vérité et réconciliation en
Afrique du Sud. Une mutation politique et sociale », Politique
étrangère, Eté 2007/2, pp. 313-325.
* 180 Voir le Rapport de la
CVR, vol 6, p. 4.
* 181 Stephen Ellis,
« Vérité sans réconciliation en Afrique du
Sud », Critique internationale, n°5, 1999, p127.
* 182 Article 2 du Statut du
TPIR.
* 183 Article 3 du Statut du
TPIR.
* 184 Article 4 du Statut du
TPIR.
* 185 Philippe
Mégret, op.cit ; p.85.
* 186
L'intéressé répondait de sept chefs de génocide, de
crime contre l'humanité et de pillage. Cet homme était
détenu au Cameroun et, selon le TPIR, des irrégularités
ont été observées par le Parquet pendant le processus
judiciaire de ce pays.
* 187 Op.cit ; pp.
87-88. Dans le cas d'espèce, le Rwanda avait émis un mandat
d'arrêt contre cet individu et souhaitait qu'il soit
transféré vers ses propres juridictions.
* 188 Pour aller plus loin,
lire O. Dubois, « Les juridictions pénales nationales au
Rwanda et le Tribunal pénal international pour le Rwanda »,
RICR, n° 828, 1997, pp. 769 et ss.
* 189 Le premier acte
d'accusation émis par ce tribunal date du 8 novembre 1995, notamment
contre 8 personnes.
* 190 Les noms des huit
personnes arrêtées n'ont pas été
révélés. Néanmoins, il est établi qu'ils
l'ont été pour avoir participé à des massacres dans
quatre sites de la Préfecture de Kibuye entre avril et juin 1994. Deux
hommes détenus aujourd'hui en Zambie ont fait l'objet des mandats
d'arrêt : Georges Anderson, deuxième vice-président du
Comité national des milices Interhamwe, a participé à des
massacres dans une école à Kigali et dans une carrière
à Nyanza. Il était reproché à Jean-Paul Akayezu
d'avoir ordonné des massacres, et commis d'autres actes similaires. Une
autre mise en accusation a été faite contre Alfred Musena,
détenu en Suisse.
* 191 Philippe
Mégret, op.cit ; p. 87.
* 192 Il s'agit de Martin
Ngoga.
* 193 Propos
rapportés par Joseph Garambe, « Le génocide Rwandais
devant la justice internationale », in :
http://aircrigeweb.free.fr,
consulté le 25 août 2009.
* 194 L'une des
illustrations fortes concerne la collaboration entre les
« gacacas» et les tribunaux classiques. La catégorisation
instituée par la loi organique du 30 août 1996 entraîne
un échange entre les deux structures dans la pratique. La
catégorie 1 concernait les organisateurs, planificateurs du
génocide et des crimes contre l'humanité, les personnes qui ont
agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom qui se sont
distingués par leur zèle ou leur méchanceté
excessive. La catégorie 2 comprenait les auteurs ou complices
d'homicides volontaires ou d'atteintes graves contre les personnes ayant
entraîné la mort. La catégorie 3 distinguait les personnes
coupables d'autres atteintes graves contre les personnes. La catégorie 4
enfin regroupait des personnes ayant commis des infractions contre les
propriétés.
* 195 Abderrahmane
N'Gaide, « Se réconcilier, juger ou pardonner ? Les
Mauritaniens face à leur histoire », Bulletin du
Codesria, n° 3 et 4, 2006, p. 42.
* 196 Celle-ci est
définie par Valérie Rosoux de deux manières :
« Dans le premier cas, la mémoire constitue une trace du
passé...on parle à cet égard de poids du passé.
Dans le second cas, la mémoire n'est plus une trace, mais une
évocation du passé », in :
« Rwanda : la mémoire du
génocide », Etudes, n°3906, juin 1999 p.
735
* 197 Christine Martin,
« Après l'Apartheid, réécrire
l'histoire », Manière de voir, Juillet-Août
1998, p. 37.
* 198 Voir Jacques Derrida,
Pardonner : l'impardonnable et l'imprescriptible, Paris, l'Herne,
2005. L'auteur soutient que le pardon est lié à un passé
qui ne passe pas. Il est irréductible au don que l'on accorde plus
couramment au présent. Il va plus loin en écrivant que don et
pardon sont liés. Le pardon apparaît donc comme une forme de don.
Mais le problème c'est que le don n'est pas neutre. D'où sa
conception que l'on pardonne pour affirmer sa puissance. Dès lors, il
faut même demander pardon pour avoir pardonné. Pp. 8-9.
* 199 Pour Ricoeur,
« l'oubli revêt une signification positive dans la mesure
où l'ayant-été prévaut sur le n'être-plus
dans la signification attachée à l'idée du passé.
L'ayant-été fait de l'oubli la ressource immémoriale
offerte au travail du souvenir », in La mémoire,
l'histoire, l'oubli, op.cit ; p.106.
* 200 Les options de
`'justice-pardon'' et de `'pardon-justice'' peuvent expliquer cette
différence.
* 201 Henri Rousso, La
hantise du passé, Paris, Textuel, 1998.
* 202 Celle-ci est
différente de la mémoire heureuse et apaisée dont parle
François Dosse, « Paul Ricoeur : entre mémoire,
histoire et oubli », Cahiers français, n°303,
juillet-août 2001, p.16.
* 203 Abderrahmane N'Gaide,
« Se réconcilier, juger ou pardonner ?... »,
op.cit ; p. 42.
* 204
Frédéric Mutagwera, « Détentions et poursuites
judiciaires au Rwanda », in : La justice internationale face
au drame rwandais, op.cit ; p.17.
* 205 Jean François
Dupaquier (sous dir), La justice internationale face au drame
rwandais, op.cit ; p. 10.
* 206 Sandrine Lefranc,
op.cit ; p. 18.
* 207 Op. cit ; p. 17.
* 208 Voir
Valérie-Barbara Rosoux, « Rwanda : la mémoire du
génocide », Etudes, juin 1999, pp. 731-734.
* 209
Frédéric Mutagwera, op.cit ; p. 17.
* 210 Sur la mémoire
collective, lire Maurice Halbawachs, La mémoire collective,
Paris, Albin Michel, 1997, p. 48. L'auteur identifie ses
éléments. Il s'agit des formes socialisées de la
présence du passé et de la transmission (traditions, souvenirs,
notions, enseignement, symboles). Voir aussi Pierre Nora, « La
mémoire collective », .Histoire, n°2, juin 1979,
pp. 9-32. Celui-ci définit la mémoire collective de la
manière suivante : « En première
approximation, la mémoire collective est le souvenir ou l'ensemble de
souvenirs, conscients ou non, d'une expérience vécue et/ou
mythifiée par une collectivité vivante de l'identité de
laquelle le passé fait partie intégrante ».
* 211 Forcés de
vivre en exil, pour certains pendant plusieurs générations, ils
ont été socialisés dans la posture de victimisation et
donc, de contre pardon.
* 212 Bole, Christiansen,
Hennemeyer, Le pardon en politique internationale..., op. cit ;p.
14.
* 213 Op.cti ; p.
40.
* 214 Loi n°09/2007 du
16 février 2007 portant attribution et fonctionnement de la Commission
nationale de lutte contre le génocide. Son avènement,
postérieur à notre période d'étude, mérite
d'être signalé. Cette loi a prévu, en son article 4, les
attributions ainsi énumérées : organiser une
réflexion permanente sur le génocide, ses conséquences et
les moyens de l'éradiquer, mettre en place un centre de recherche et de
documentation sur le génocide, plaider la cause des rescapés du
génocide à l'extérieur comme à l'intérieur
du pays, arrêter les stratégies de lutte contre le génocide
et l'idéologie génocidaire, mobiliser les aides en faveur des
rescapés du génocide et continuer les plaidoyers pour les
dommages et intérêts, arrêter les stratégies contre
le révisionnisme, le négationnisme, et la banalisation du
génocide, arrêter les stratégies de lutte contre le
traumatisme, et les maladies qui découlent du génocide,
entretenir des relations avec d'autres institutions nationales et
internationales qui partagent les mêmes missions.
* 215 Jacques Derrida
penserait autrement de la finalité de telles mesures. Dans son ouvrage
déjà cité, il écrit en page 23 que le pardon est
impossible et il ne le faut pas. Jankélévitch pour sa part, tout
en affirmant que le pardon est mort dans les camps de mort, estime qu'il est
néanmoins possible dans un cas : lorsque demandé et non
imposé. Toutefois, il demeure improbable selon la gravité du
crime.
* 216 Julie Saada-Gendrom,
La tolérance. Textes choisis, Paris, Flammarion, 1999, p.
187.
* 217 Pour en avoir une
idée, signalons le `'population registration Act'' de 1950. Cette loi
donnait la catégorisation humaine ci-après: A White
person is one who is in appearance obviously white - and not generally accepted
as Coloured - or who is generally accepted as White - and is not obviously
Non-White, provided that a person shall not be classified as a White person if
one of his natural parents has been classified as a Coloured person or a Bantu
... A Bantu is a person who is, or is generally accepted as, a member of any
aboriginal race or tribe of Africa ... a Coloured is a person who is not a
white person or a Bantu. Il y avait le `'Group areas Act'' de 1950, le
`'Prohibition of Mix Mariage Act'' de 1950, `'Immorality amendment Act'' de
1950, `'Suppression of Communism Act'' de 1950, `'Separate Amenities Act'' de
1953, `'Bantou education Act'' de 1953, `'Extension of University Education
Act'' de 1959, etc.
* 218 Vol 1, chapitre 5,
paragraphe 52.
* 219 C. Marx, « Ubu
and Ubuntu : on the dialectics of apartheid and nation
building », Politikon, 29 (1), 2002, pp. 49-69.
* 220 Vol 1, chapitre 5,
paragraphe 88 du rapport.
* 221 Vol 1, chapitre 5,
paragraphe 100.
* 222 Antjie Krog, La
douleur des mots, op.cit ; p. 401.
* 223 Introduction au
rapport de la CVR, 19e alinéa.
* 224 Rapport de la CVR,
vol 2, chapitre 3, paragraphe 1.
* 225 Vol 2, chapitre 3,
paragraphe 115. Pour Derrida, un tel panorama de violence contredit même
l'idée de pardon. Il écrira : « Quand le crime
est trop grave, quand il franchit la ligne du mal radical, voire de l'humain,
quand il devient monstrueux, il ne peut plus être question de pardonner,
le pardon devant rester, si je puis dire, entre hommes, à la mesure de
l'humain ». In Jacques Derrida, L'impardonnable et
l'imprescriptible, op.cit ; p. 24.
* 226 Volume 2, chapitre 4,
Paragraphes 2 et ss.
* 227 Rapport de la
Commission, Historical and legislative origins, alinéa 18.
* 228 Voir supra.
* 229 Il fut signé
le 19juillet 1995 et rentra en vigueur le 1er décembre de la
même année.
* 230 Pour aller plus loin,
consulter Stephane Leman-Langlois, « La mémoire et la paix, la
notion de « justice post conflictuelle » dans la Commission
vérité et réconciliation en Afrique du Sud »,
Déviance et société, 27 (1), 2003, pp.145-166.
* 231 Préface,
in : William Bourdon, Emmanuelle Duverger, La cour pénale
internationale. Le statut de Rome, p. 9.
* 232 Ibid.
* 233 Le rapport
intérimaire du Comité Amnistie le note implicitement dans ses
points 16 à 22.
* 234 Sandrine Lefranc,
Les politiques du pardon, op.cit ; p. 10.
* 235 Benjamin Stora,
La gangrène de l'oubli, Paris, La Découverte, 1998, p.
283. Cité par Valérie Rosoux, op.cit ; p. 737.
* 236 Lire Stéphane
Lemon-Langlois, « La vérité réparatrice dans la
Commission vérité et réconciliation d'Afrique du
Sud », Les cahiers de la justice, Paris, Dalloz, n°1,
2006, pp. 209-218. G. Gilligan et J. Pratt, Truth and justice :
official Inquiry. Discourse, Knowledge, Londres, Willan, pp. 222-242.
* 237 Voir supra
* 238 Voir Marie-Claire
Lavabre, « Usage et mésusage de la notion de
mémoire », Critique internationale, n°1, avril
2000.
* 239 L'un des leviers de
cette politique est la consécration d'une journée nationale pour
se souvenir du génocide.
* 240 Malgré le fait
que l'an 2009 ne rentre pas dans le cadre de notre délimitation
temporelle, notons néanmoins qu'en Août de cette année, des
officiers Français ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994 ont
particulièrement reçu des promotions. C'est un signe fort
à l'endroit des autorités rwandaises, notamment sur la
mémoire française des mois terribles au Rwanda.
* 241 L'on peut avoir un
autre aperçu du processus victimaire à travers Pascal Bruckner,
« L'innocence du bourreau. L'identité victimaire dans la
propagande Serbe », Esprit, n° 204,
Août-Septembre 1994, pp. 150-172. Cité par V Rosoux, op.
cit ; p.735.
* 242 Michel Walzer,
Traité sur la tolérance, Paris, Nouveaux Horizons,
Gallimard, 1998, p. 10.
* 243 Woodstock Colloquim,
Forgiveness in Conflicts resolution, op. cit ; p. 44
* 244 Valérie Rosoux,
op.cit ; p. 735.
* 245 Pour en savoir plus,
lire Pierre Nora, Les lieux de mémoire, tome 3, vol.1, Paris,
Gallimard, 1993.
* 246 Ce concept
emprunté à un psychologue a été défini
supra.
* 247 Bertrand Jordane,
Rwanda. Le piège de l'histoire. L'opposition démocratique
avant le génocide (1990-1994), op. cit ; p. 261.
* 248 C'est le cas d'Ibuka
ou de l'association des veuves du génocide.
* 249 Ricoeur lit le devoir
de mémoire à celui de justice, notamment par le souvenir.
In : La mémoire, l'histoire, l'oubli, op.cit ;
p.227.
* 250 Sur le lien entre
mémoire et pardon, lire Rainer Rochlitz, « Mémoire et
pardon », Critique, n°646, mars 2001.
* 251 Voir supra.
* 252 Valérie
Barbara Rosoux, « Rwanda. La mémoire du
génocide », op.cit ; p. 732.
* 253 Cette situation s'est
aussi posée au niveau du TPIR. Le procureur dudit tribunal s'est par
exemple retrouvé contraint de ne pas poursuivre les membres de l'Akazu,
un cercle d'initiés qui détenaient les rênes du pouvoir
hutu en avril 1994. De même peut-on noter l'impasse sur les crimes de
guerre commis par l'APR, la branche armée du FPR.
* 254 Sur les victimes
a contrario, lire le philosophe et sociologue Jean-Michel Chaumont,
La concurrence des victimes. Génocide, identité
reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997, pp 335-342.
* 255 Voir Stephane
Leman-Langlois, «Mobilizing victimization: the construction of a
victim-centered Approach in the South African Truth and reconciliation
Commission», Criminilogie, 33 (1), 2000, pp. 145-166.
* 256 Pour aller plus loin,
lire Wilson, Robert, The politics of truth and reconciliation in South
Africa: legitimizing the post Apartheid State, Cambridge, Cambridge
University Press, 2001.
* 257 Barbara Cassin,
« Oter à la haine son éternité. L'Afrique du Sud
comme modèle », consulté en ligne,
http://docs.google.com/gview, le 08 octobre 2009.
* 258 Mê
mnêsikakein qui veut dire `'tu ne rappelleras pas les malheurs, ou
les maux des événements du passé''. La première
personne qui enfreignait ce principe était simplement mise à
mort. C'était le décret de 403.
* 259 Lire Sean Jacobs,
« Sur l'Afrique du Sud post-Apartheid et le devenir de la
« nation arc-en-ciel », Politique africaine,
n°103, octobre 2000, p.7. Pour aller plus loin : R Alence,
« South Africa after apartheid :the first decade »,
Journal of Democracy, vol 5, n°3, 2004 ; A. Handley,
«The new South Africa, a decade later», Current History, vol
103, n°673, 2004; P. Bond, Elite transition: From Apartheid to Neo
liberalism in South Africa, Pietermaritzburg, University of Kwazulu Natal
Press, 2005; V. Padayachee, «The South African economy
1994-2004», Social research, vol 73, n°3, 2005.
* 260 Tzvetan Todoroz
écrit que les réminiscences peuvent avoir deux formes : la
sacralisation (isolement radical du souvenir) et la banalisation (assimilation
abusive du présent au passé). In : « La vocation
de la mémoire », Cahier français, n°303,
2001, p.3. Bien que l'on puisse avoir un `'passé écran'', son
rappel est nécessaire pour affirmer son identité et celle du
groupe. Voir aussi Marie-Claire Lavabre, « Entre histoire et
mémoire. A la recherche d'une méthode », in Martin,
Jean-Clément (dir), La guerre civile entre histoire et
mémoire, Nantes, Ouest éd, 1996.
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