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Fiscalité et Domination Coloniale: l'exemple du Sine: 1859-1940

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par Cheikh DIOUF
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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III - La mise en place de l'administration coloniale

Au lendemain de la conquête,  le colonisateur entendait remodeler, selon ses principes, la vieille organisation administrative afin de mieux tirer profit des ressources économiques qu'offraient les terroirs nouvellement occupés. Ainsi, dés 1898, on assista à la partition du Sine qui, jusque-là constituait une seule entité cohérente, en deux provinces : le Sine oriental et le Sine occidental respectivement confiés à Couba Ndofféne Fa Ndeb Diouf et à Coumba Djimbi Ndiaye.

La province orientale fut divisée en cinq cantons : Ngayokhéme, Dioine, Djarrekh, Ngohé et Guilas ; et le Sine occidentale en quatre cantons : Diakhao, Ndiop, Sanghay et Marouth. Cette organisation fut modifiée par l'arrêté du 4 mai 1908 qui restreignit le nombre de cantons à cinq pour l'ensemble du royaume.111(*) Ce nouveau découpage prévalut jusqu'en 1926, date à laquelle le Sine fut divisé entre les cantons de Diakhao-Marouth, Sanghay-Ngayokhéme, Dioine, Diourroup et Ndangane.

En principe, le canton était considéré comme « un territoire de superficie variable, aux limites tracées en tenant compte de données historiques, géographiques ou ethnologiques »112(*) de façon à permettre aux populations d'évoluer en conservant leur particularisme. Au Sine, cet axiome fut déjà en place car, ce terroir quasi homogène fut peuplé par l'élément dominant Sérère. A la tête de chaque province, on nomma un chef de province ou chef supérieur. Les cantons furent administrés par des chefs de cantons. L'unité de base étant le village dirigé par un chef de village.

Vu l'immensité de l'espace à contrôler et la modicité des effectifs du personnel administratif français, l'autorité coloniale était contrainte de faire recours aux chefs locaux pour mieux asseoir sa domination. Ce recours à la chefferie indigène entrai dans la logique même du système colonial car, « il n'y pas de colonisation sans politique indigène ; pas de politique indigène sans commandement territorial ; et pas de commandement territorial sans chefs indigènes qui servent de rouages entre l'autorité coloniale et les populations ».113(*)

En principe le choix de ces chefs devait s'effectuer en s'inspirant des coutumes du pays conquis. Le gouverneur général Ponty, dans une circulaire du 22 septembre 1909, rappelait qu'il y avait des avantages à choisir les titulaires des nouvelles circonscriptions par le moyen de la coutume.114(*) Plus tard, en 1917, le gouverneur Joost Van Vollenhoven notait lui aussi que « le choix doit être fait selon le double critère de l'autorité naturelle et de l'acceptation unanime de la population. »115(*) En 1930, le gouverneur Carde dans une circulaire du 21 juillet insistait encore sur ce principe. Mais pour lui, il était nécessaire  en certaines circonstance de faire table rase de l'armature traditionnelle.

Le colonisateur ne respectait pas toujours ce critère. Au Sine, même si le traité de protectorat de 1891 affirmait qu'il ne sera rien changé dans les coutumes et institutions du pays, cela n'empêcha pas que les nominations se fassent en dehors du cadre traditionnel. Ceci suscitait parfois des révoltes sporadiques de la part des administrés. Ces derniers n'acceptaient guère qu'on leur imposa des chefs dont le choix ne répondait pas aux critères traditionnels de nomination. Dés lors l'autorité de ces chefs devint superficielle. En 1898 par exemple Coumba Djimbi Ndiaye fut nommé chef supérieur de la province orientale. L'assemblé des notables du Sine réagit à cette nomination. Par la voie de leur porte-parole le Grand Jaraaf Mbagne Ndiougour Séne ces notables se mirent d'accord pour choisir Comba Ndoffène Diouf comme chef unique. Ainsi dés le début, le Sine ne veut pas remettre en question l'autorité du Bour élu selon la tradition ici, Comba Ndoffène Diouf. Les Sérères n'obéirent jamais à Coumba Djimbi qui est suspendu de ses fonctions en 1899.116(*)

Cependant quel que fusse leur mode de nomination, ces chefs étaient « les hommes à tout faire de l'administration coloniale. »117(*) Le gouverneur Ponty les qualifie d' « auxiliaires de l'administration coloniale ».118(*) Ils assuraient les charges les plus impopulaires : collecte de l'impôt, réquisition de main-d'oeuvre, corvées, recrutement militaire, application des cultures forcées etc. En définitive, leurs fonctions étaient d'ordre administratif, policier, financière et sanitaire. Ils étaient tenus d'assurer l'exécution des ordres venant des autorités supérieures ( Gouverneur, Commandant de Cercle). Ils représentaient les appelés devant les commissions de recensement pour le service militaire. Ils s'occupaient de l'état civil c'est-à-dire du registre nominatif des naissances, des décès et des mariages. Le maintien de l'ordre public leur incombait et ils informaient les autorités coloniales des grands événements qui se sont déroulés dans leur village, canton ou province. Ils signalaient aussi les épidémies et épizooties qui se déclaraient dans leur circonscription.

La véritable fonction de chef s'affichait surtout en matière financière où il jouait un rôle primordial. Il était percepteur d'impôt et fut noté dans ce domaine. Son maintien et sa promotion dépendaient largement de sa capacité à mobiliser le maximum de ressources fiscales. En 1907 par exemple, Lefilliâtre, administrateur du cercle du Sine-Saloum disait de Coumba Ndoffène qu'il « est l'homme qu'il faut au Sine ».119(*) Cette appréciation faisait suite à la bonne rentrée de l'impôt notée dans la province sérère. Trois ans plus tard, en 1910, les chefs de canton de Ngohé, de Joal et de Boyar qualifiés comme étant « les seuls dont les manières de servir ont laissé à désirer et dont il a été nécessaire d'assurer le remplacement par des chefs plus capables et plus attachés à leur fonction »120(*) de percepteurs d'impôts.

En échange des services qu'ils assuraient, ces chefs indigènes bénéficiaient des ristournes sur les rentrés d'impôt. C'est pourquoi tous les moyens étaient bons pour recouvrer le maximum d'argent car aux yeux de l'administration coloniale, le « bon chef » était celui qui collectait le plus d'impôt. Ainsi pour se donner une bonne impression auprès d'une administration boulimique, les chefs indigènes n'hésitaient pas à commettre les plus abominables exactions sur leurs compatriotes. Ceux d'entre eux qui ne voulaient pas charger leur conscience de ces crimes, se voyaient écartés et remplacés par d'autres plus « capables ». En effet cette valse des chefs aboutit à leur démystification et à la désacralisation de leur autorité.

Pour l'administration, le recours à la chefferie indigène était le seul moyen pour faire face à l'effectif squelettique du personnel européen. Ces chefs finirent par constituer les engrenages de la machine du commandement colonial, les « vrais chefs de l'empire ». Par ces nouvelles structures, le colonisateur réussit tant bien que mal à instaurer un fatal chamboulement de l'ordre existant. Ainsi on assista au craquement de l'armature des institutions traditionnelles. Les plaintes des vaincus n'y changèrent rien. Toutes les conditions furent d'ores et déjà réunies pour mettre la machine de l'exploitation en marche et tirer le maximum de ressources dans les terres nouvellement conquises. L'impôt de capitation constituait une part importante de ces ressources. C'est pourquoi le colonisateur n'y a jamais transigé.

* 111 J.O.S. : Arrêté du 4 mai 1908.

* 112 Zucarelli F., « De la chefferie traditionnelle au canton : évolution du canton colonial au Sénégal ( 1855-1960 ) » in, Cahiers d'Etudes Africaines, vol. XIII, Mouton & Co., 1973, p. 213.

* 113 Delavignette R., Les vrais chefs de l'empire, Paris, Gallimard, 1939, p. 124.

* 114 A.N.S. 13G75 : Politique indigène, circulaire du Gouverneur Général Ponty au sujet du rôle des chefs indigènes, 22 septembre 1909.

* 115 A.N.S. 13G75 : Politique indigène, circulaire du Gouverneur Général Van Vollenhoven au sujet du rôle des chefs indigènes, 15 août 1917.

* 116 Cette suspension fait suite au refus catégorique des populations du canton de Ngohé Ndoffongor de payer l'impôt à ce chef imposé et dont le choix ne respectait pas leurs traditions.

* 117 Coquery-Vidrovitch C., L'Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et colonisés (1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 89.

* 118 A.N.S. 13G75, op. cit.

* 119 A.N.S. 2G7-32 : Sénégal, pays de protectorat, rapport politique annuel, 1907.

* 120 A.N.S. 2G10-12 : Rapport d'ensemble sur la situation des pays de protectorat, 1910.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus