Fiscalité et Domination Coloniale: l'exemple du Sine: 1859-1940( Télécharger le fichier original )par Cheikh DIOUF Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005 |
B- Les institutions politiquesL'exercice de la souveraineté dans le monde Sérère du Sine, « repose en principe sur un compromis institutionnalisé ».39(*) L'appareil politico-administratif fut organisé d'une manière qui permettait une expression équilibrée des différentes classes sociales. Ce qui, dans une certaine mesure excluait tout despotisme ou toute contestation de l'une des composantes de l'édifice. Dans cette architecture, trois personnages furent figures de proue derrière lesquelles se profilent les trois catégories sociales.40(*)
L'autorité royale était exercée par le Maad a Sinig ou Bour Sine. Ce dernier devait être enfant mâle de sang Guelwar. Il était désigné par le Jaraaf fa maak ( grand Jaraaf ) après consultation des représentants des différentes catégories sociales et avis des principaux chefs : Maad Diohine, Maad Patar, Sandige Njop, Lam ndiafadj, Saax-Saax Faoye et Farba fa maak ( grand Farba ). Après son intronisation, le Bour Sine devenait le chef suprême du royaume. Il commandait tout et tous lui devaient obéissance. Il avait un caractère sacré. Dans les mentalités de ce peuple, la prospérité du royaume était liée à la vitalité tant physique que spirituelle du Bour Sine. Ce dernier par ses pouvoirs extra-temporels, devait assurer au peuple de bonnes récoltes, des troupeaux sains et productifs et une bonne santé des populations.41(*) Il était l'incarnation de l'unité politique et spirituelle de son peuple. Le Maad a Sinig gouvernait tout le royaume. Les taxes et les impôts lui revenaient. Il avait également le bénéfice des confiscations des biens prononcées par les chefs ou par le grand Farba. Cependant, loin d'être un autocrate comme le pensait Noirot42(*), le Bour Sine s'appuyait sur les différents représentants des autres classes sociales pour exercer sa souveraineté.
La personnalité la plus influente de ceux-ci, de par ses origines et ses fonctions fut le grand Jaraaf. Celui-ci était porté au pouvoir par le collège des hommes libres avec l'acceptation du roi régnant à l'époque.43(*) Il était le représentant des hommes libres. Son rôle était, en effet de contrebalancer l'autorité du Bour, par une autorité propre qui lui venait du peuple des hommes libres dont il était issu. En somme, il représentait le peuple du pays à côté des rois conquérants. « Il est le droit contre la force »44(*) Une fois élu, il devenait indépendant du Bour et pouvait même le destituer. Seul le conseil des grands électeurs qui l'avait élu à ce poste était habilité à l'en chasser. Le rôle du grand Jaraaf était primordial dans le choix du roi dont il était le conseiller intime. Il était juge et pouvait même prononcer la peine de mort. Il jouissait d'une grande autorité car « sans lui rien ne se faisait, avec lui tout se décidait. »45(*) Il était l'âme de la politique intérieur et extérieur du royaume.
A côté du grand Jaraaf, il y avait le Farba fa maak ou grand Farba, autre personnage très influent et très redouté. Le grand Farba était le chef de tous les esclaves de la couronne. Chef de la garde prétorienne, il avait sous son commandement l'essentiel des forces combattantes constituées par les esclaves de la couronne en armes appelés Ceddo. Ces derniers semaient la désolation dans les villages qui étaient placés sous l'autorité du grand Farba. Ils avaient la hideuse tâche de mener des prédations et des confiscations de biens des Baadolo. Le grand Farba était assisté par le Farba kam mbind (Farba bir keur). Sorte de ministre des finances chargé de la gestion des redevances issues du fisc, il avait également en charge l'entretien de la cour royale, la rentrée des amendes et des contributions en nature. Le Farba kam mbind se faisait précéder dans ses déplacements par un tambour « dont la batterie précipitée était connue de tous. C'était le khin tamado. »46(*) Le son de ce tambour terrifiait les Baadolo car il sonnait chez eux le glas de la paix et de la tranquillité. « Toujours suivi d'une nombreuse compagnie composée de la crème des ceddo », 47(*) rien ne lui résistait. Après son passage, c'était la misère et la désolation. Ces trois personnages furent les plus influents dans l'armature politique du Sine. Mais il y eut aussi d'autres, dont la place non moins importante complétait ce tableau institutionnel. Cependant ils doivent être placés dans une autre catégorie, conseillers ou simples membres de l'entourage du roi. Il s'agissait des Saax-Saax placés à la tête de groupes de villages dont ils avaient le rôle d'administrateur. Ces Saax-Saax appartenaient à la classe des hommes libres et étaient nommés par le Bour Sine. Ils étaient chargés de la perception des redevances dans les villages qu'ils dirigeaient. Ils supervisaient les corvées et assuraient la réalisation des travaux d'utilité publique. Ils s'occupaient aussi du règlement des conflits mineurs qui ne nécessitaient pas l'intervention des autorités supérieures. Les Saltigué étaient les personnes réputées les plus savants, mystiquement, du royaume. Chaque village avait son Saltigué. Il était consulté sur toutes choses. Il prédisait les bonnes récoltes et les calamités. Chaque année, le Maad a Sinig (roi du Sine) réunissait en une grande assemblée appelée Xooy, tous les Saltigué du Sine pour leur demander conseil sur l'avenir de son peuple. Toute guerre déclarée sans leur consentement se traduisait par une défaite.
Le Paar était le premier des griots. Il détenait le Laam, grand et long tambour qu'il ne sortait qu'à l'occasion de la mort du roi ou d'un grand dignitaire. Il ne devait pas rencontrer le roi en promenade.48(*)
Le Bissete était un griot qui jouait le rôle de bouffon auprès du roi. Le groupe des femmes occupait une place primordiale dans ces structures socio-politiques. Seule la femme conférait l'appartenance à la noblesse Guelwar et par conséquent les possibilités d'accès au trône. Ce rôle de proue s'explique par la prééminence du matrilignage car comme le disent les Sérères « c'est un bâton maternel qui a tracé le Sine. »49(*) Dans ce terroir seul le ventre anoblit. Cependant aucune femme ne pouvait être Bour Sine. Deux figures furent les plus remarquables dans cette catégorie : la Linguére et l'Awo.
La Linguére était la mère du roi, à défaut sa tante. Elle jouissait d'une autorité certaine sur l'ensemble des femmes du pays. Elle exerçait sur elles sa juridiction en matière de délits d'adultère. Aussi percevait-elle des droits. A chaque mariage contracté dans le pays, la Linguère avait droit à une bobine de coton appelé « o diss » en Sérère. Chaque année, les pêcheurs étaient tenus de lui envoyer un sac de poissons séchés par pirogue. Elle avait en apanage certains villages d'où elle tirait ses revenus.50(*)
La deuxième figure fut la première femme du Bour appelée Awo. Cette dernière avait pour apanage le village de Ndiaye-Ndiaye et celui de Sanghaï. Ainsi parlait-on de Awo Ndiaye-Ndiaye ou de Awo Sanghaï. Chaque année, les femmes du royaume étaient tenues de prélever une partie de leurs récoltes de coton et de riz qu'elles destinaient à la Linguére et à l'Awo du Sine.
Ces institutions politiques qui émergèrent au-dessus des structures sociales furent celles qui régirent le royaume du Sine. Elles étaient celles d'un peuple qui, à travers les vicissitudes de son histoire, malgré la dynamique des rencontres, des conflits, des alliances et des compromis, a su garder un ensemble de valeurs sociales qui déterminèrent son existence. Celles-ci n'eurent toute leur importance que lorsqu'elles se rattachèrent à une religion qui fut celle du terroir et facteur d'harmonie sociale. * 39 Diagne P., « Les royaumes sérères, les institutions traditionnelles du Sine- Saloum », in, Présence Africaine, N° 54, 1965, p. 155. * 40 Diagne P., op. cit. p. 155. * 41 Si une calamité s'abattait sur le royaume, on désignait le bour comme responsable. Ceci était le signe de sa faiblesse naturelle et un procédé ainsi à sa mise à mort symbolique ou à sa purification spirituelle. * 42 Noirot E., op. cit. * 43 Diagne P., op. cit. p. 158. * 44 Bourgeau J., « Note sur la coutume des Serer du Sine et du Saloum », in B.C.E.H.S.A.O.F., n° XVI, 1933, p. 19. * 45 Aujas L., « Funérailles et ordre de succession au trône chez les sérères du Sine », in, B.C.E.H.S.A.O.F., tome VIII, n°3, 1925, p. 502. * 46 Idem. * 47 Noirot E., op. cit. * 48 Bourgeau J., op. cit. p. 21. * 49 Diagne P., op. cit. p. 145. * 50 Ces villages étaient ceux de Thioupane et de Saass Maak dans le Sine occidental. |
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