INTRODUCTION GENERALE
Après la conquête, l'autorité coloniale
élabora un vaste programme d'exploitation et de mise en valeur des
colonies. Ce programme suivait, cependant une logique particulière qui
plaça en première ligne les intérêts
économiques, politiques et sociaux de l'envahisseur. L'idéal,
pour ce dernier, était d'exploiter, avec le minimum de charges
financières, toutes les ressources des colonies qui étaient
faites pour l'enrichir et non pour l'appauvrir. L'assujettissement maintient
les colonies dans la subordination étroite à la métropole
qui les exploite à son profit, et, sans tenir compte de leurs
aspirations leur impose le régime le plus conforme à ses
intérêts. C'est pourquoi elles ne devaient rien coûter
à la métropole.
Au nom de ce principe, le pouvoir colonial institua
l'impôt de capitation qui est une forme de contribution obligatoire que
les peuples colonisés devaient verser au colonisateur, pour assurer le
financement de leur domination. Etabli au Sénégal pour la
première fois par décret impérial du 4 août 1860
promulgué le 5 août 1861 l'impôt personnel constitua un
précieux outil devant permettre la réalisation de l'ambitieux
programme de mise en valeur que la France avait entrepris dans son empire
colonial. Son établissement rejoignit l'axiome fondamental de la
doctrine coloniale française en matière financière :
dominer, exploiter, mais à moindre coût.
Cette conception des rapports économiques de la France
avec son empire coloniale fut dévoilée au grand jour, à
partir de 1892 avec la mise en place des budgets locaux des colonies qui furent
alimentés par le produit des redevances, impôts ou contributions
que les conventions passées avec les chefs permettaient de percevoir.
Par ces mesures, les colonies doivent assurer tous les moyens financiers,
matériels et humains pour la mise en place de l'infrastructure
coloniale.
Cette vision des finances coloniales atteint son paroxysme
avec la loi de finances du 13 avril 1900, au terme de laquelle les colonies
devaient désormais assurer par leurs propres moyens et leurs revenus
intrinsèques, le financement total de leur outillage économique
et infrastructurel, que l'exploitation de leurs ressources et leur mise en
valeur allaient inéluctablement entraîner. Cette loi,
intéressante pour notre étude, surtout en son article 33,
consacra le principe de l'autonomie financière des colonies. Chaque
région devait ainsi mobiliser ses ressources pour participer aux
objectifs du colonisateur. Ce dernier supprima les subventions jusque là
accordées aux colonies dans leur budget. Dans cette logique, la colonie
apparaît comme une entité devant répondre, au mieux et
en tout temps, à sa vocation de support financier de la métropole
quel qu'en soit le coût social pour les indigènes.1(*)
L'impôt, qu'il soit sous forme de capitation ou de
prestation, constituait un précieux instrument d'exploitation et de
domination au service de la cause coloniale.
Ainsi, en choisissant comme sujet
« Fiscalité et domination coloniale. L'exemple du
Sine : 1859-1940 », nous avons pour ambition d'apporter
une modeste contribution à l'étude du passé de cette
région. La fiscalité est l'une des pages les plus sombres de
l'histoire coloniale. Conçu par le colonisateur comme la contribution
des populations soumises à l'oeuvre de civilisation entreprise par la
puissance tutrice, elle constituait un mode très subtil d'exploitation
et de domination. Toutefois, il ne s'agira pas de faire un procès de la
colonisation. Il s'agira plutôt, dans cette étude, de rendre cette
logique d'exploitation beaucoup plus perceptible, dans toute son ampleur aux
yeux des historiens, en utilisant des données chiffrées pour
mieux quantifier ce phénomène.
Le Sine a fait l'objet de nombreux travaux historiques.
Cependant, cette historiographie était beaucoup plus centrée sur
la problématique du peuplement, les faits politiques saillants (luttes
dynastiques, révoltes, guerres, etc.). Le fait économique a
été presque marginalisé. Les travaux qui existent sur
cette question sont consacrés, dans leur quasi-totalité, à
la culture de l'arachide.
Martin A. Klein2(*) a étudié, par exemple les rapports entre
islam et conquête coloniale au Sine-Saloum, mais en l'intégrant
dans un contexte d'économie arachidière.
Mohamet Mbodj3(*) a étudié l'économie
arachidière du Sine-Saloum pendant la période coloniale. Cet
historien, même s'il a abordé les mutations sociales
consécutives à la monétarisation de l'économie
semble minimiser l'impact de l'impôt dans ce processus de transformations
des structures socio-économiques.
La fiscalité est ainsi traitée en parent pauvre
dans l'historiographie du Sine, alors que son étude permet
d'éclairer beaucoup de réalités coloniales car,
l'économique exerce sans conteste un impact considérable sur le
politique et le social.
Cette forme de contribution à l'oeuvre coloniale
entraîne avec elle le développement de l'économie
monétaire qui, elle, suscite des mutations majeures au sein de la
société. Les structures sociales traditionnelles vont entrer en
décomposition, altérées par l'introduction de l'argent qui
tendra à se substituer aux valeurs traditionnelles.
Ce sont ces changements structurels occasionnés dans
une large mesure par l'impôt que nous nous sommes proposés
d'étudier en se posant un certain nombre de questions : comment par
la monétarisation de l'économie née du système
fiscal, le colonisateur a contribué à lézarder le cadre
social par les mutations structurelles qu'il a engendré ? La
réponse à cette question principale passe par des questions
annexes : comment par l'impôt le colonisateur a pu convertir
l'agriculture de subsistance en une agriculture de rente ? Et quelles
furent les réactions des populations face à ce
système ?
Pour aborder ces questions historiques, nous nous sommes
intéressés au Sine, petit royaume homogène (dans son
peuplement) et stable (politiquement par rapport aux royaumes voisins) au coeur
du bassin arachidier. Le choix de cette aire géographique est
motivé par son poids dans l'économie coloniale
sénégalaise. L'arachide étant la principale ressource
économique pouvant fournir aux contribuables le numéraire
nécessaire au paiement de l'impôt, la politique coloniale en fera
la clé de voûte du système par la manipulation du taux de
l'impôt et des prestations.
Pourquoi le choix de la période 1859-1940 ?
L'année1859 constitue un tournant dans l'histoire du
Sine. Elle coïncide avec la mise en application du rêve de Faidherbe
qui, dans son vaste programme d'occupation entrepris de conquérir le
Sine. Ainsi, après la sanglante expédition de mai 1859, Bour Sine
Coumba Ndofféne Fa Maack Diouf signa, avec le gouverneur Faidherbe un
traité par lequel il accepta de verser annuellement à l'occupant
français un impôt de 1 franc 50 par tête d'habitant. Ce fut
le début d'un dur et fatal engrenage pour le Sine.
1940 est un autre tournant. La France occupée par les
forces nazies vit sa force s'éclipser, sa situation économique
s'empirer et sa vulnérabilité s'accroître. Cette situation
fait apparaître le rôle plus que stratégique des colonies
dans l'apport financier qu'elles devaient fournir à la métropole.
Celle-ci leur demanda une contribution exceptionnelle de guerre, ce qui se
traduit par une augmentation du taux de l'impôt.
Cette période est donc riche en faits historiques.
Parmi les événements qui vont influer sur notre étude,
remarquons, entre autres, l'établissement de la capitation en 1860,
l'instauration des budgets locaux à partir de 1891, la loi de finance du
13 avril 1900, la création des Sociétés Indigènes
de Prévoyance, la réglementation sur le travail forcé en
1912 et la politique budgétaire du Sénégal unifié.
Cette recherche a été menée en grande
partie aux Archives Nationales du Sénégal où nous avons
consulté un certain nombre de séries.
Les séries S et T
portant sur l'impôt et les finances, renseignent sur le régime
fiscal des colonies d'A.O.F., les instructions sur des questions d'ordre
général et de principe en matière de finances publiques,
de prestations et sur le fonctionnement des budgets locaux.
La série G traitant des affaires de
politique et d'administration générale nous a
intéressée à travers les sous-séries
1G, 2G et 13G. Ces
sous-séries, par les notices d'administrateurs confinées dans les
rapports périodiques mensuels, trimestriels et annuels, permettent de
suivre l'évolution du taux de l'impôt, le prix de l'arachide, la
situation politique, économique et sociale des cercles. La
sous-série 13G livre une correspondance abondante sur
les rapports entre colons et colonisés, entre chefs locaux et leurs
administrés. Elle permet de mieux saisir le degré de soumission
des populations à l'action coloniale.
Les sous-séries 3B et
1D informent sur les accords et traités signés
entre le Sine et le colonisateur. S'y ajoutent des récits sur les
expéditions militaires de 1859 et 1861.
Les sous-séries 10D et
11D sont axées sur l'administration centrale et
territoriale de la colonie du Sénégal. Elles informent sur les
recensements, l'arachide et la révolte de quelques cantons du Sine
contre le paiement de l'impôt en 1899.
Pour comprendre ce que fut le travail forcé et
l'utilisation de la main-d'oeuvre prestataire indigène, la série
K demeure incontournable.
Quant aux Sociétés Indigènes de
Prévoyance, la série Q livre des informations
sur leur institution, leur fonctionnement, leur rôle dans l'extension des
cultures commerciales, l'arachide en particulier.
Les sources imprimées sont constituées par un
ensemble d'actes officiels et de monographies publiés dans le
Journal Officiel, l'Annuaire du Sénégal et
Dépendances, le Moniteur du
Sénégal et dans d'autres publications
du Gouvernement Général de l'A.O.F.
Soucieuse de mieux connaître les peuples
colonisés, la France se rapproche davantage de ceux-ci pour
étudier leurs coutumes, leurs systèmes politiques,
économiques et leur organisation sociale. Ainsi, beaucoup
d'administrateurs ont produit des monographies sur leur cercle.
C'est l'exemple de Pinet-Laprade qui, dés 1863, fournit une notice
sur les Sérères.4(*) Dans son étude, il donne différentes
hypothèses sur l'origine des Sérères, leur longue
migration à travers les chemins cahoteux de l'histoire, leurs rapports
avec les peuples voisins et quelques aspects de leur culture. Cette
étude fortement motivée par des ambitions colonialistes, se
focalise le plus sur les actions des puissances colonisatrices sur ce peuple.
L'auteur décrit et tente ainsi de justifier les expéditions
entreprises en 1859 et 1861 sur le Sine et le Saloum.
L'administrateur Ernst Noirot fournit une monographie sur le
cercle du Sine-Saloum. Il donne une description géographique de son
cercle, sa situation économique, l'organisation politique,
administrative et la composition sociale de cette entité.5(*)
Louis Aujas, à travers ses notices, donne une
description des coutumes, moeurs et sur les structures sociales, politiques et
économiques du pays sérère. Il aborde aussi l'oeuvre
politique et économique de la France sur le Sine-Saloum.6(*)
Bourgeau lui, aborde principalement l'organisation sociale des
Sérères, leurs institutions politiques et leurs structures
économiques.7(*)
Edifiantes dans leur ensemble, ces études sont à
prendre, pour l'historien avec un sens critique. Beaucoup de ces monographies
voulaient prouver la « barbarie » longtemps
évoquée des indigènes dans le but de fournir une
justification idéologique de la colonisation qui, semble-t-il
était d'ordre civilisateur.
Ces sources, archivistiques ou imprimées, sont l'oeuvre
du colonisateur. Elles expriment le point de vue de ces administrateurs qui,
pour attirer les faveurs de leurs supérieurs hiérarchiques et
pour conserver leur poste ont, le plus souvent altérer la
vérité. C'est pourquoi beaucoup de chiffres fournis dans leurs
rapports ne sont là qu'à titre illustratif.
Ainsi pour diminuer la marge de subjectivité, la
tradition orale est à ce point de vue incontournable. C'est le point de
vue du faible, de l'opprimé. Cette tradition orale surgie du fond des
âges demeure toujours vivace dans certains villages du Sine, encore
fortement marqués par la civilisation de l'oralité. Elle nous
retrace le climat dans le quel l'impôt était perçu, la peur
inspirée par les percepteurs et la conception que les indigènes
avaient de la capitation, avec une précision surprenante. Cependant,
certaines personnes interrogées dont le souvenir se confond dans une
mémoire confuse, rendent parfois douteux l'utilisation de cette source
pourtant fondamentale dans l'étude de la saga de ce peuple.
Notre bibliographie, elle, est surtout redevable aux travaux
de Mbaye Guéye, Mohamed Mbodj, Abdoulaye Touré entre autres. Les
deux premiers ont étudié les mutations sociales des
sociétés Sérères et Wolofs, consécutives
à l'action coloniale. Si Mbaye Gueye8(*) reconnaît le rôle incontestable
joué par l'introduction de l'impôt dans ces transformations,
Mbodj9(*) par contre
minimise ce rôle.
Touré10(*) consacre son travail à la fiscalité
comme mode d'exploitation et de domination coloniale. Son étude est sans
doute édifiante et d'un grand apport pour nous, mais ses conclusions,
très générales car portant sur l'ensemble du
Sénégal, n'ont pas permis de dégager la
particularité du Sine dans ce système. Il n'a pas abordé
l'impact de l'impôt sur les structures sociales.
Des ouvrages généraux existent sur
l'impôt, le travail forcé11(*), l'idéologie coloniale de la mise en valeur,
la législation coloniale, etc. Une part importante de cette production
est cependant redevable aux théoriciens de la colonisation. Un esprit
fortement colonialiste plane sur ces documents car, la plupart de leurs
auteurs, appartenant aux milieux coloniaux, écrivaient pour mieux
asseoir les fondements de leur domination.
Ce travail s'articulera autour de trois parties.
La première partie analyse les rapports entre l'homme
et son environnement naturel. Il est aussi question des institutions politiques
et de l'organisation sociale du Sine ainsi que du rôle de cohésion
joué la religion dans l'armature sociale. Le chapitre II de cette partie
traite de la conquête du Sine et de la mise en place de l'administration
coloniale.
La deuxième partie porte sur le système fiscal,
sa justification idéologique et les mécanismes de fonctionnement
de la capitation. L'arachide étant la principale culture de rente
pouvant fournir aux contribuables le numéraire indispensable pour
s'acquitter du fisc, nous analysons sa place dans la politique coloniale en
matière fiscale. Cette partie traite aussi des méthodes mises en
oeuvre pour la perception de l'impôt.
Enfin, la dernière partie aborde le travail
forcé et toute la machine répressive qu étaient mise en
branle pour contraindre les populations à s'en acquitter. Les
spoliations commises sur les contribuables sont décrites dans cette
partie. L'impôt eut des effets traumatisants sur les populations. C'est
pourquoi cette partie traite aussi des mutations sociales engendrées par
la monétarisation de l'économie.
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DU SINE
CHAPITRE I: L'HOMME ET SON MILIEU
I- Le cadre physique
A- Les sols et l'hydrographie
Le Sine est une étroite bande de terre enserrée
entre l'océan atlantique, les royaumes du Baol et du Saloum. Du nord au
sud, ce pays s'étendait de la rivière de la Fasnah jusqu'à
la pointe de Sangomar.12(*) Il était limité à l'ouest par
l'océan atlantique, à l'est par une « ligne
imaginaire et mal définie qui coupe l'immense forêt servant de
pâturage aux Peulhs du Baol, du Djolof, du Sine et du
Saloum »13(*). Sa limite méridionale était
définie par la « rivière Saloum jusqu'à sa
confluence avec la rivière Sine par le travers de Tiombi et par une
ligne imaginaire qui partage la forêt située entre le Sine et le
Saloum »14(*). Au nord, sa limite est constituée par les
provinces du Mbadane et du Diéguème.
Sur le plan orographique, le Sine est un « pays
plat avec de très faibles ondulations de
terrains ».15(*) Cependant son sol n'est pas homogène. Dans sa
partie occidentale, on rencontre des sols entrecoupés de nombreux
marigots salins appelés bolong. Elle est dominée par les tannes
dont le trait frappant est sa composition en vases séchées
recouverte d'une mince couche de sable et de sel cristallisé. Ces
terrains sont incultes et n'offrent aucune possibilité aux
activités agricoles. La forte salinité des sols interdit toute
végétation dense. C'est le domaine de la savane herbacée,
avec ses espèces halophiles. En hivernage, ces terres forment d'immenses
marécages qui, en saison sèche, se durcissent au point
de constituer un sol assez ferme dominé de sel et de
limons.16(*)
A l'Est et au Nord, on retrouve un sol qui se dessine en
pente douce très peu sensible allant des tannes vers les plateaux du
Baol et du Djolof. Ici domine le sable siliceux. Ces sols sont très
fertiles et très favorables à la culture arachidière.
Ce régime orographique est complété par
un réseau hydrographique abondant. D'importants bolong
jalonnèrent les terres du Sine. Ils servaient à la fois de
lieux de pêche et de voie de communication.17(*) Les plus importants furent le
Mammangeej, le bolong de Fadiouth, le Goussa prés de Joal qui
s'attachaient directement à l'océan. A l'intérieur des
terres se projète une série de bras de mer qui sont autant de
chenaux ouverts aux cotres et aux pirogues. Le plus important de ces chenaux
est le Sine qui prend naissance à Foundiougne, se dessine en nombreuses
sinuosités et se lance en direction de Fatick. Ce bras de mer
était ouvert aux cotres et permettait même à des navires
à vapeur de fort tonnage de s'amarrer aux wharfs de Niamnoroh, point
d'accès des régions du Sine et du Baol occidental.
La partie voisine de l'océan donnait l'aspect d'un
vaste réseau fluvial enserrant des îlots de terres basses
argileuses ou sablonneuses, bordées de grands palétuviers. Cette
région, réputée par la fertilité de ses sols, offre
d'immenses potentialités agricoles au monde paysan, d'où un
défrichement précoce dont l'oeuvre dévastatrice arrachait
à la nature son charme et sa générosité.
B- Le climat
Le Sine appartient à la zone soudanienne. Son climat
est chaud et sec. La moyenne thermique varie entre 28 et 30°. Ce climat a
été décrit comme pénible à l'européen
avec des températures qui ne descendent jamais au-dessous de 12°
centigrades la nuit. Les températures diurnes peuvent atteindre 45 et
parfois même 48°.
Ici, comme dans l'ensemble du Sénégal, se
distinguent deux saisons principales. Une saison sèche qui dure de
novembre en juin et pendant laquelle le ciel, balayé par le vent d'est
brûlant et desséchant, donne une allure sereine. Cette saison est
caractérisée par une opposition entre la zone
côtière, de Joal à Sangomar, marquée par une
atmosphère humide avec des températures modérées et
l'intérieur des terres soumis aux rigueurs de l'harmattan qui donne au
climat une allure insupportable.
La saison des pluies ou hivernage s'étend de juin en
novembre. Elle se caractérise par d'abondantes précipitations
pouvant aller jusqu'à un mètre d'eau. Cette saison est dite
malsaine pour l'européen car étant une période
« où règnent des fièvres
paludéennes ».18(*)
Ce découpage de l'année en deux saisons doit
être complété par la vision temporelle découlant de
l'expérience paysanne qui discerne tout au long des mois quatre
principales saisons, chacune correspondant à un type
d'activité.
Le ciid (ou noor) qui se situe au coeur de
la saison sèche va de février en avril. On note pendant cette
période une élévation progressive des températures
avec l'alizé qui souffle sur la côte.19(*)
Le sarandam (ou cooron) de la fin avril
à la fin juin se caractérise par des températures
insupportables pouvant atteindre 45° à l'ombre mais qui, en se
conjuguant « avec l'arrivée de filets d'air humide
[fait] éclore un véritable
printemps ».20(*)
Le ndiig (ou nawet), de juillet en octobre,
est la saison des pluies, pendant laquelle se déroulent les
activités culturales. Cette période est celle de la mousson ou
alizé austral qui apporte de l'air humide pour adoucir les rigueurs de
la chaleur.
Le seek (ou lolli) est, selon l'expression
de Pelissier « une véritable arrière saison »
qui se situe entre décembre et janvier. Il est surtout
marqué par des ondées de heug, souvent qualifiées
de pluies hors saison, qui donnent à l'atmosphère des
températures d'une douceur appréciable.
Ces saisons qui renvoient au calendrier agricole des paysans
sénégalais sont déterminantes dans la constitution du
tapis végétal.
C- La végétation
Les conditions climatiques sont favorables au
développent d'une végétation dense. Le Sine est une zone
très boisée qui « cachait ses cases dans
d'étroites clairières au milieu d'une épaisse forêt
dont les sentiers étaient peu praticables ».21(*) Cette végétation
hirsute peut impressionner l'observateur. En saison sèche, la brousse
incendiée par l'ardeur du soleil donne un tapis végétal
d'un aspect agonisant avec sa couleur jaunâtre. Cependant en hivernage,
la végétation ayant repris ses droits donne
« l'impression réelle de la grande
nature ».22(*)
Le parc végétal du Sine est anarchique dans sa
répartition. Il n'est nullement uniforme. Les individus qui le
constituent résultent souvent du choix des paysans qui, en
défrichant ont su sélectionner les espèces qui allaient
constituer le décor de leur milieu naturel. Sur les confins
méridionaux du Sine, entre Joal et Fimela se dressent des forêts
de rôniers dont la vue ne laisse pas indifférent celui qui visite
ces milieux, véritable oeuvre d'art de la nature. Au coeur même du
Sine ces palmeraies envahissent certains villages établis souvent
prés des tannes, tels les villages de Senghor, Yayème, Diouroup
etc. L'abondance du palmier ou rônier se mesure avec son utilisation
multiple. Sa sève, très recherchée, sert aux populations
qui en font d'excellents vins. Ses fruits, mûrs ou non, entrent dans
l'alimentation des populations. Ses palmes et son bois sont utilisés
pour la fabrication de paniers, de nattes, mais servent aussi à
attacher les épis durant les récoltes. Son bois très
usité entre dans la construction des toits. Cette utilité
explique l'exploitation abusive qu'en font les habitants de ces terroirs.
De tous les arbres qui constituent le parc
Sérère, le plus visible par sa fréquence et son usage
multiple reste le saas ou Acacia albida. Cette espèce
est « inséparable du paysage du Sine, au point qu'on peut
en faire le symbole de leur [ les paysans Sérères ]
présence et de leur enracinement »23(*). Cet arbre entre dans
l'alimentation du bétail en saison sèche, au moment où
tout le tapis herbacé est grillé par les ardeurs du soleil et les
vents d'est. Cet arbre est d'un apport fondamental pour le bétail qui,
à cette période particulièrement pénible de
l'année, ne parvient pas à trouver la pâture indispensable
pour sa survie. Ses feuilles qui tombent au début de l'hivernage
constituent un fertilisant naturel inestimable pour le sol.
Au-delà de l'Acacia albida, d'autres
espèces résiduelles participent au décor des paysages du
Sine. On peut citer entre autres, le baobab ou Adansonia digitata,
utile par ses feuilles et ses fruits qui entrent dans la composition du
couscous. Son écorce lisse est utilisée pour les cordages. Les
figuiers sauvages dont le plus remarquable est le ndoun ou Ficus
gnaphalocarpa offrent leurs fruits et leurs feuilles utilisés comme
condiments. On peut également signaler la présence du
nar ( dimb en wolof ) qui est fréquent sur les marges
orientales du Sine et le seo ou Parkia biglobosa que
l'on rencontre sur les lisières septentrionales du Sine. Au bord des
tannes poussent des plantes halophiles dont le plus fréquent est le
palétuvier. Beaucoup de ces espèces sont utilisées dans la
pharmacopée locale.
Il est impossible de dresser un inventaire complet des
espèces végétales qui constituent les paysages du Sine.
Cependant il est important de noter que l'homme a tissé avec la nature
des liens d'harmonie et de dépendance réciproques. Les
nécessités du moment poussèrent souvent les hommes
à s'adonner à une exploitation démesurée de cette
nature. « Par le feu ou par la hache, ils finirent par se faire
une place dans la forêt en y créant des
terroirs ».24(*) En surexploitant cette nature généreuse
mais parfois hostile, les hommes contribuèrent d'une manière
significative à l'instauration d'un déséquilibre naturel
qui était néfaste pour leur environnement car, leur survie
dépendait du maintien de cet équilibre fragile.
Le Sine, par son cadre physique, présente des
permanences et des ruptures. Ce cadre naturel intégré dans un
contexte d'économie monétaire naissant a subi l'agression des
hommes. Ces derniers, tout en étant conscients que leur existence ne
pouvait dépendre que de cette nature, tirent avantage de ses ressources
en en maximisant les profits. Ce fut au milieu de cette nature qu'ils
s'organisèrent en une société régie par des normes,
fondée sur un certain nombre de valeurs et administrée sur la
base d'institutions politiques bien élaborées.
II- Les structures socio-politiques
L'un des traits caractéristiques de l'organisation
socio-politique du Sine fut sa hiérarchisation et son équilibre.
Ces institutions résultèrent de la rencontre entre peuples
autochtones Sérères et conquérants mandingues qui, par la
longue durée, à travers des brassages multiples, aboutirent
à un modèle d'organisation sociale et politique dont la
cohésion ne se discute guère. « Une liaison
étroite existe entre le système politique et le système
social ».25(*)
A- L'organisation sociale
1- Les hommes libres
L'aristocratie Guelwar occupait le sommet
de l'échelle sociale. Elle est issue des guerriers mandingues qui,
chassés de leur terroir le Gabou à la suite de guerres intestines
trouvèrent leur salut dans l'occupation du Sine. C'est au sein de cette
aristocratie que sortaient les Maad a Sinig (souverains du Sine). Seul
pouvait être Maad ou Bour celui qui appartenait
à cette couche de la société. N'était
Guelwar que tout enfant né d'une mère Guelwar.
« L'homme Guelwar ne peut pas produire un Guelwar, mais la femme
Guelwar confère à toute sa postérité le titre de
Guelwar même si elle se marie à un
captif. »26(*) Nous sommes ici dans une société
matrilinéaire où c'est la mère qui transmettait son statut
social à l'enfant. Au Sine, « les entrailles de la
mère sont plus solides que la ceinture paternelle. Aussi l'enfant est-il
plus attaché à sa famille maternelle ; il est membre de son
clan matrilinéaire, tout en gardant son
patronyme ».27(*) Ce dernier appartenait au « deen
yaay » (lignée maternelle) et se définissait
à travers elle. Au sein de la noblesse Guelwar, on avait
d'abord les Garmi ou princes du royaume c'est-à-dire les
enfants nés d'une mère Guelwar et pouvant par
conséquent devenir roi. Ces Garmi étaient
entourés d'un respect extrême qui se traduisait par une certaine
méfiance des populations vis à vis de ces princes. Verser le sang
d'un Garmi était considéré comme un
sacrilège. Cette vénération autour de la personne du
Garmi poussa Aujas à dire que « même
à la guerre, il fallait avoir une balle d'or dans son fusil pour oser
viser un Guelwar. »28(*)
La deuxième place dans la
hiérarchie des hommes libres était occupée par les
« Biy no Maad » (enfants du roi). Ces derniers
étaient nés d'un père Guelwar, mais d'une
mère non-Guelwar. Ils étaient écartés du
trône. Cependant « ce sont eux qui détiennent les
différentes principautés grandes ou petites qui constituent le
Sine. »29(*)
Après les « Biy no
Maad », venaient les Lamanes 30(*) « descendants
des premiers occupants ou maîtres de la terre.»31(*) Ces Lamanes
étaient à l'époque prè-guelwar les
propriétaires terriens et les détenteurs du pouvoir.
C'était parmi eux qu'était choisi le Jaraaf fa maak (
grand Jaraaf ).
Les Baadolo constituaient le bas
peuple. Cette couche sociale formait la masse laborieuse chargée de
nourrir la classe dirigeante. Elle assurait tous les frais de
déplacement du Bour Sine, lui livrait le sangara
(l'alcool) nécessaire et coupait l'herbe pour ses chevaux. Elle
était exclue du pouvoir et portait le poids de toutes les
iniquités sociales. 32(*) Les Baadolo étaient souvent victimes
d'une exploitation abusive par les prélèvements injustes
opérés sur leurs récoltes et leurs biens. Cette situation
les plongeait toujours dans une angoisse perpétuelle où toute
protestation était synonyme de répressions sauvages de la part
des Ceddo. Ils ne bénéficiaient ni d'aucun pouvoir ni
d'aucune charge de commandement. Ils subissent le pouvoir. Leur vie ne se
réduisait qu'à la résignation seule solution pour une
tranquillité qui fut éphémère. Leur sort
était peu enviable.
Au bas de l'échelle sociale, dans la
catégorie des hommes libres, se trouvaient les artisans dans leur
diversité. Il y avait les griots, les forgerons, les cordonniers et les
bijoutiers. Le rôle de ces différentes classes fut non
négligeable. Par leurs mains créatrices, ils fournissaient au
peuple les instruments dont il avait besoin pour assurer sa survie. Aux
paysans, ils fournissaient le matériel nécessaire pour la
culture ; aux guerriers, ils donnaient les armes indispensables pour la
défense du terroir ; et aux femmes, ils offraient des parures.
Le griot, connu par sa manie du langage, avait
lui aussi une fonction déterminante dans cette société.
Dans la cour royale, il fut chargé de rappeler aux Guelwar le
sens de l'honneur, de la dignité mais surtout les hauts faits de leurs
ancêtres. Lui seul détenait les traditions historiques du peuple
dont il devait sauver de l'usure du temps, pour le faire passer dans la
mémoire des générations futures. Il était pour
ainsi dire le gardien des traditions, l'âme de cette civilisation de
l'oralité. Il avait également comme rôle de battre les
joung-joung. 33(*) Sur le champ de bataille, armé de son tam-tam
et de sa langue le griot avait la délicate mission de rappeler aux
Guelwar et à tout combattant qui serait tenté de l'oublier, les
actes de bravoure, voire de témérité de leurs
devanciers. 34(*)
Malgré ce rôle éminent,
cette couche sociale subissait de la part des classes nobles un mépris
viscéral. Cette perte de valeur était due à l'importance
des marchandises européennes qui fournissaient un matériel plus
efficace et à bas prix. Ceci créa un climat
délétère pour les artisans « car les
geer, les non castés ne percevaient plus la nécessité
d'entretenir des gens dont l'utilité était devenue
discutable.»35(*) Ce mépris se traduisait par une prise de
distance entre nobles et artisans. Dans certaines contrées du Sine par
exemple, interdiction était faite aux griots de franchir le seuil de
certaines maisons. A sa mort, le griot ne pouvait être enseveli en terre
« mais il devait être enfoui dans un baobab spécial,
sous peine de rendre la terre
stérile. »36(*) Cette pratique se justifiait par la notion
d'impureté que les nobles attachaient à la personne du griot.
2- Les esclaves
Cette couche occupe le bas de la pyramide sociale. Au
Sine on distinguait deux catégories d'esclaves. Le pad
mbind : esclave naît dans la maison du maître, et le
pad a kop : esclave qui n'est pas naît dans la maison de
son maître.
Au sein des fad Mbind, on avait les esclaves
de la couronne. Ils jouissaient d'un certain nombre de privilèges. Ils
ne payaient pas l'impôt et ne pouvaient pas être vendus. Les
esclaves de la couronne s'appelaient fad no maad et constituaient
« la masse des ceddo proprement dit et qui fut le soutien,
l'appui des guelwar et des domi Bour »37(*)
Ces Ceddo appartenaient à la
branche combattante du Sine. C'est au sien de cette communauté
qu'était élu le Farba. Les fad a kop
étaient constitués par les captifs de guerre et les
débiteurs insolvables qui se donnaient à leurs créanciers.
Ces captifs pouvaient être vendus et mis en otage ou en gage en cas de
famine. 38(*)
Lorsqu'une femme captive se mariait, ses enfants
devenaient esclaves de maison et ne pouvaient plus être vendus.
Les structures sociales du Sine furent dans leur
ensemble très hiérarchisées. Chaque couche sociale
consciente de la place qui fut la sienne dans cette communauté s'y est
maintenue jalousement. Cette forme d'organisation de la société
était couronnée par des institutions politiques très
équilibrées.
B- Les institutions politiques
L'exercice de la souveraineté dans le monde
Sérère du Sine, « repose en principe sur un
compromis institutionnalisé ».39(*) L'appareil
politico-administratif fut organisé d'une manière qui permettait
une expression équilibrée des différentes classes
sociales. Ce qui, dans une certaine mesure excluait tout despotisme ou toute
contestation de l'une des composantes de l'édifice. Dans cette
architecture, trois personnages furent figures de proue derrière
lesquelles se profilent les trois catégories sociales.40(*)
L'autorité royale était
exercée par le Maad a Sinig ou Bour Sine. Ce dernier
devait être enfant mâle de sang Guelwar. Il était
désigné par le Jaraaf fa maak ( grand Jaraaf )
après consultation des représentants des différentes
catégories sociales et avis des principaux chefs : Maad
Diohine, Maad Patar, Sandige Njop, Lam ndiafadj, Saax-Saax Faoye et
Farba fa maak ( grand Farba ). Après son intronisation, le
Bour Sine devenait le chef suprême du royaume. Il commandait
tout et tous lui devaient obéissance. Il avait un caractère
sacré. Dans les mentalités de ce peuple, la
prospérité du royaume était liée à la
vitalité tant physique que spirituelle du Bour Sine. Ce dernier
par ses pouvoirs extra-temporels, devait assurer au peuple de bonnes
récoltes, des troupeaux sains et productifs et une bonne santé
des populations.41(*) Il
était l'incarnation de l'unité politique et spirituelle de son
peuple. Le Maad a Sinig gouvernait tout le royaume. Les taxes et les
impôts lui revenaient. Il avait également le
bénéfice des confiscations des biens prononcées par les
chefs ou par le grand Farba. Cependant, loin d'être un autocrate
comme le pensait Noirot42(*), le Bour Sine s'appuyait sur les
différents représentants des autres classes sociales pour exercer
sa souveraineté.
La personnalité la plus influente de
ceux-ci, de par ses origines et ses fonctions fut le grand Jaraaf.
Celui-ci était porté au pouvoir par le collège des hommes
libres avec l'acceptation du roi régnant à
l'époque.43(*) Il
était le représentant des hommes libres. Son rôle
était, en effet de contrebalancer l'autorité du Bour,
par une autorité propre qui lui venait du peuple des hommes libres dont
il était issu. En somme, il représentait le peuple du pays
à côté des rois conquérants. « Il
est le droit contre la force »44(*) Une fois élu, il devenait indépendant
du Bour et pouvait même le destituer. Seul le conseil des grands
électeurs qui l'avait élu à ce poste était
habilité à l'en chasser. Le rôle du grand Jaraaf
était primordial dans le choix du roi dont il était le
conseiller intime. Il était juge et pouvait même prononcer la
peine de mort. Il jouissait d'une grande autorité car
« sans lui rien ne se faisait, avec lui tout se
décidait. »45(*) Il était l'âme de la politique
intérieur et extérieur du royaume.
A côté du grand Jaraaf, il y
avait le Farba fa maak ou grand Farba, autre personnage
très influent et très redouté. Le grand Farba
était le chef de tous les esclaves de la couronne. Chef de la garde
prétorienne, il avait sous son commandement l'essentiel des forces
combattantes constituées par les esclaves de la couronne en armes
appelés Ceddo. Ces derniers semaient la désolation dans
les villages qui étaient placés sous l'autorité du grand
Farba. Ils avaient la hideuse tâche de mener des
prédations et des confiscations de biens des Baadolo.
Le grand Farba était
assisté par le Farba kam mbind (Farba bir keur). Sorte de
ministre des finances chargé de la gestion des redevances issues du
fisc, il avait également en charge l'entretien de la cour royale, la
rentrée des amendes et des contributions en nature. Le Farba kam
mbind se faisait précéder dans ses déplacements par
un tambour « dont la batterie précipitée
était connue de tous. C'était le khin
tamado. »46(*) Le son de ce tambour terrifiait les
Baadolo car il sonnait chez eux le glas de la paix et de la
tranquillité. « Toujours suivi d'une nombreuse compagnie
composée de la crème des ceddo », 47(*) rien ne lui résistait.
Après son passage, c'était la misère et la
désolation.
Ces trois personnages furent les plus influents dans
l'armature politique du Sine. Mais il y eut aussi d'autres, dont la place non
moins importante complétait ce tableau institutionnel. Cependant ils
doivent être placés dans une autre catégorie, conseillers
ou simples membres de l'entourage du roi.
Il s'agissait des Saax-Saax placés à la
tête de groupes de villages dont ils avaient le rôle
d'administrateur. Ces Saax-Saax appartenaient à la classe des
hommes libres et étaient nommés par le Bour Sine. Ils
étaient chargés de la perception des redevances dans les villages
qu'ils dirigeaient. Ils supervisaient les corvées et assuraient la
réalisation des travaux d'utilité publique. Ils s'occupaient
aussi du règlement des conflits mineurs qui ne nécessitaient pas
l'intervention des autorités supérieures.
Les Saltigué étaient les
personnes réputées les plus savants, mystiquement, du royaume.
Chaque village avait son Saltigué. Il était
consulté sur toutes choses. Il prédisait les bonnes
récoltes et les calamités. Chaque année, le Maad a
Sinig (roi du Sine) réunissait en une grande assemblée
appelée Xooy, tous les Saltigué du Sine pour
leur demander conseil sur l'avenir de son peuple. Toute guerre
déclarée sans leur consentement se traduisait par une
défaite.
Le Paar était le premier des
griots. Il détenait le Laam, grand et long tambour qu'il ne
sortait qu'à l'occasion de la mort du roi ou d'un grand dignitaire. Il
ne devait pas rencontrer le roi en promenade.48(*)
Le Bissete était un griot qui
jouait le rôle de bouffon auprès du roi.
Le groupe des femmes occupait une place
primordiale dans ces structures socio-politiques. Seule la femme
conférait l'appartenance à la noblesse Guelwar et par
conséquent les possibilités d'accès au trône. Ce
rôle de proue s'explique par la prééminence du matrilignage
car comme le disent les Sérères « c'est un
bâton maternel qui a tracé le Sine. »49(*) Dans ce terroir seul le ventre
anoblit. Cependant aucune femme ne pouvait être Bour Sine. Deux
figures furent les plus remarquables dans cette catégorie : la
Linguére et l'Awo.
La Linguére était la
mère du roi, à défaut sa tante. Elle jouissait d'une
autorité certaine sur l'ensemble des femmes du pays. Elle
exerçait sur elles sa juridiction en matière de délits
d'adultère. Aussi percevait-elle des droits. A chaque mariage
contracté dans le pays, la Linguère avait droit à
une bobine de coton appelé « o diss » en
Sérère. Chaque année, les pêcheurs étaient
tenus de lui envoyer un sac de poissons séchés par pirogue. Elle
avait en apanage certains villages d'où elle tirait ses
revenus.50(*)
La deuxième figure fut la première
femme du Bour appelée Awo. Cette dernière avait
pour apanage le village de Ndiaye-Ndiaye et celui de Sanghaï. Ainsi
parlait-on de Awo Ndiaye-Ndiaye ou de Awo Sanghaï.
Chaque année, les femmes du royaume étaient tenues de
prélever une partie de leurs récoltes de coton et de riz qu'elles
destinaient à la Linguére et à l'Awo du
Sine.
Ces institutions politiques qui
émergèrent au-dessus des structures sociales furent celles qui
régirent le royaume du Sine. Elles étaient celles d'un peuple
qui, à travers les vicissitudes de son histoire, malgré la
dynamique des rencontres, des conflits, des alliances et des compromis, a su
garder un ensemble de valeurs sociales qui déterminèrent son
existence. Celles-ci n'eurent toute leur importance que lorsqu'elles se
rattachèrent à une religion qui fut celle du terroir et facteur
d'harmonie sociale.
C- Valeurs sociales et religion du terroir
Le monde Sérère est rythmé par
un ensemble de valeurs qui s'intègrent dans la trame de l'organisation
sociale de ce peuple. De la naissance à la mort, chaque étape de
l'existence fut marquée par une cérémonie qui eut pour but
d'inculquer aux concernés le sens de l'humanisme, de la bravoure, de
l'abnégation, du respect des anciens et de l'ordre établi, bref
toutes les vertus qui déterminaient la façon de vivre dans le
groupe social. Nous retiendrons ici quelques épreuves parmi tant
d'autres auxquelles l'individu devait inévitablement être soumis
et devant lesquelles il devait faire preuve de courage et de dignité.
Pour les hommes il s'agissait de la circoncision et de l'initiation, et pour
les femmes c'était la cérémonie du ndoom.
La circoncision fut la première
épreuve à laquelle devait faire face tout adolescent. Elle
réunissait tous les garçons d'un même village ou groupe de
villages âgés de quinze à vingt ans. Ceux-ci devaient faire
preuve de sérénité, de bravoure et même de
témérité car, au moment de l'épreuve le fait de
remuer une quelconque partie de son corps, de serrer les dents comme pour
étouffer la douleur, de fermer les yeux pour ne pas voir la grande et
luisante lame de métal qui s'abat sur la partie impure du sexe reposant
sur un mortier, toutes ces actions étaient considérées
comme un affront et une humiliation impérissable pour toute la famille.
La seule attitude qui au contraire honorait tous les membres de la famille, fut
pour le futur circoncis, de rester « immobile comme un tronc
d'arbre. »
Après cette épreuve, les circoncis
regagnaient le mbaar (hutte) qui, généralement se
situait dans une clairière, au milieu de la brousse et loin du regard
maléfique des femmes et des mauvais esprits. Dans cet isolat, pendant
trois ou quatre mois, ils apprenaient les dures réalités de la
vie. Sous l'oeil vigilant des selbé, des anciens du village et
sous la supervision du koumakh, on leur donnait tous les secrets qui
constituaient les pulsations de leur environnement naturel et les lois qui
régissaient leur communauté. Cet apprentissage était
synonyme de souffrance, d'endurance, de résignation et
d'abnégation.
Ce rite de passage était un facteur de
cohésion et d'harmonie sociale. Les circoncis qui ont partagé le
même mbaar se sentaient unis par le sang qu'ils ont versé
sur le même mortier et par les pires souffrances qu'ils ont, ensemble,
enduré pendant de longs mois d'initiation passée en brousse. A la
fin de ce séjour dans la « case des
hommes », l'initié était suffisamment armé
pour affronter les dures réalités de l'existence. On lui
inculquait les valeurs qui, au village guideraient sa conduite et inspireraient
sa démarche. Il était désormais doté de toutes les
astuces, de toutes les valeurs lui permettant de vivre dignement dans le groupe
social. Dès lors il n'était plus à lui-même, mais il
vivait pour sa communauté.
La cérémonie du
« ndoom » (tatouage des lèvres)
était pour les filles en âge de maturité une épreuve
qu'elles devaient surmonter. Ici encore, c'était une question d'honneur.
La jeune fille entourée de ses suivantes se couche. Ses gencives et ses
lèvres recevaient la masse d'aiguilles de la tatoueuse. Le sang giclait
de partout mais il n'était pas question de bouger, car tout mouvement
était considéré comme un signe de lâcheté et
de déshonneur qui pouvaient conduire au suicide de la concernée
ou d'un membre de sa famille.
Toutes ces valeurs qui rythmaient la vie de ce peuple
permirent de mieux saisir les pulsations du monde sérère. Elles
furent intégrées dans un univers religieux, facteur aussi de
cohésion sociale.51(*) Le Sérère est un être
profondément religieux. Sa religion intervient dans tous les actes de sa
vie, de la naissance à la mort. Il croit en un Dieu suprême
unique, Roog Seen, créateur de tout ce qui existe : les
êtres et les végétaux, les choses visibles et invisibles.
Prés de Roog Seen, il y a les malaka (anges) et les
djinés, esprits supérieurs pouvant se
métamorphoser. Entre Roog Seen et les humains, il y a les
Pangol 52(*) qui
sont pour les Sérères « les véritables
intermédiaires entre la divinité et
l'humanité »53(*). Ces Pangol qui « polarisent
tout le système religieux Sérère », sont
selon le Révérend Père Henry
Gravrand « des hommes historiques, fondateurs de
cités, héros ou chefs de grandes familles, dont les tombes furent
entretenues par des générations d'admirateurs, et qui ont
été spiritualisées par voie du
culte »54(*)
Au-delà de la croyance commune en Roog Seen,
seul divinité du panthéon Sérère, chaque clan avait
ses Pangol et son culte. Au Sine on avait deux sortes de
Pangol : les Pangol yayaay, c'est à dire de la
lignée maternelle et les Pangol pafaap, de la lignée
paternelle. Chacun faisait l'objet d'un culte particulier. Ce culte
était propitiatoire et non maléfique,55(*) car il avait pour but
d'assurer la fécondité des champs et des troupeaux,
déterminait la réussite dans les entreprises humaines, conjurait
le mauvais sort et assurait la pérennité du groupe.
Cette religion permit aux Sérères
d'avoir une vision globale de leur univers, d'y vivre en harmonie parfaite avec
les êtres visibles et invisibles. Elle est aussi un facteur
d'unité et de cohésion sociales. Par le culte des ancêtres
fondateurs qui réunissait toute la communauté, les
Sérères eurent la claire conscience qu'ils formaient un
même peuple aux destinées communes.
III- Les
activités économiques
Les activités économiques du Sine furent
nombreuses et variées. Dans ce terroir, on s'adonnait à
l'agriculture, à l'élevage, à la pêche et au
commerce. Ce qu'il faut préciser, c'est qu'avant l'arrivée du
colonisateur qui s'est traduite par la monétarisation galopante des
échanges, le Sine avait une économie d'autoconsommation. On ne
produisait que pour sa nourriture. Dans ces structures économiques,
l'agriculture dominait largement car « le
Sérère est surtout éleveur et agriculteur, il aime la
terre qui, d'ailleurs est fertile en cette partie du Sénégal, il
cultive avec habileté et ténacité. Ses champs sont
certainement parmi les plus beaux de ces
régions ».56(*) Cette activité était une
polyculture vivrière fortement marquée par la
céréaliculture sous pluie. Deux variétés de mil
étaient cultivées au Sine. Le gros mil ou bassy et le
petit mil sous ses variantes appelées macc et pood.
Ces variétés de mil bien adaptées à la
pédologie et à la pluviométrie du pays
constituèrent les céréales de base du terroir
sérère.
A côté du mil, le riz était cultivé
dans les grands marigots et vallées mortes du Sine. Dans ces
localités, on rencontrait en hivernage des rizières
d'étendues variables. Ce riz était uniquement destiné
à la consommation locale.
Le manioc était cultivé sur de faibles surfaces
autour des villages. Mais sous l'action des Sociétés
Indigènes de Prévoyance, on assista à une extension
progressive de cette culture d'appoint. En 1925 par exemple, la SIP du
Sine-Saloum a fait planter dans l'ensemble du cercle 5000 hectares qui
produisirent 25.000 tonnes de manioc.57(*)
Le coton et l'indigo étaient aussi cultivés sur
de faibles étendues. De même le niébé, riche en
substances nutritives, et le maïs occupaient quelques parcelles de culture
situées le plus souvent à l'orée des villages.
L'arachide devint au XIXe siècle une culture de rente
qui bouleversa toutes les structures agraires de ce terroir. Introduite en
Sénégambie par les Portugais, cette oléagineuse se tailla
rapidement une place de choix au sein de cette paysannerie en occupant la
première place dans les transactions commerciales pendant toute la
période que nous étudions. Les exigences du fisc
poussèrent les populations à s'adonner davantage à cette
culture génératrice de revenus.58(*)
Toutes ces cultures marquèrent largement le
caractère agraire de la civilisation sérère. Selon Cheikh
Anta Diop, par exemple, les nombreux mégalithes que l'on rencontre au
Sine et au Saloum constituent le symbole vivant de la communion entre le
Sérère et la terre. Pour lui, ces pierres correspondent
à un culte agraire et symbolisent l'union rituelle entre le ciel et la
terre. De cette union doit naître la végétation
nourricière des hommes.59(*) Il conclut que « le
caractère agraire des sociétés auxquelles on doit ces
mégalithes [est] suffisamment
prouvé ».60(*)
Toutefois cette agriculture était fortement liée
à l'élevage. Ils se complétaient nécessairement. Le
paysan utilisait le fumier de ses troupeaux pour fertiliser ses terres. Comme
le Peul, le Sérère accorde une grande importance à
l'élevage. Un pacte l'unit avec son bétail. Chez lui, la richesse
se mesurait en nombre de greniers récoltés mais aussi en
têtes de bétail. Il avait « une vie pastorale
très prononcée ».61(*) Au Sine, l'abondance du pâturage
suffisait à élever un cheptel important de boeufs, de moutons, de
chèvres, d'ânes et de chevaux. Avant la monétarisation de
l'économie, le Sérère n'utilisait son bétail que
pour l'attelage et pour les cérémonies familiales (baptême,
circoncision, fiançailles, funérailles). Il n'était pas
question pour lui de vendre une seule tête de son bétail. Ce
dernier était un signe de prestige qu'il ne fallait réduire sous
aucun prétexte. Cependant, avec la colonisation et son cortège
d'obligations, l'éleveur était souvent obligé de vendre de
son troupeau pour satisfaire certaines exigences du pouvoir colonial comme par
exemple le paiement de l'impôt.
La pêche était pratiquée au Sine. Elle fut
le monopole des Niominka qui profitaient de la
générosité des nombreuses lagunes, marigots et autres
cours d'eau de la région. Dans la mangrove du sine, le poisson
était abondant. On y trouvait les meilleures espèces (capitaines,
brochet, raies, soles, etc.) et une variété d'huîtres
très prisées des populations. Seule une faible partie du produit
de cette pêche fut destinée à la vente, le reste allait
dans la consommation locale.
Le Sérère était « peu
enclin au commerce ».62(*) Il s'adonnait surtout au troc.« En
dehors d'un commerce local qui consiste dans l'échange de sel et de
poisons secs contre du mil et des bandes de sorr [bandes étroites
de tissus de coton], le Sine fournit au commerce européen ses
arachides, une partie de son mil, quelques cuirs, un peu de coton, de la
cire... »63(*) et des esclaves. En contre partie,
le commerce d'importation fournissait au Sine de l'alcool de traite, du rhum,
des liqueurs fortes, du tabac et d'autres produits légers. Le Sine
était jalonné d'escales commerciales. Celles-ci étaient
constituées par les enclaves françaises de Fatick sur la
rivière Sine où les comptoirs de Foundiougne avaient des
succursales tenues par des européens et l'escale de Silif sur la
rivière de ce nom, plage occupée par quelques traitants
indigènes pendant la traite seulement.64(*) L'escale de Joal connaissait un réel
développement pendant l'ère coloniale. Les nombreux wharfs qui y
étaient édifiés permirent d'évacuer annuellement 3
à 4.000 tonnes d'arachides. La position privilégiée et
géostratégique de ce comptoir aiguisa l'appétit des
autorités coloniales françaises qui se lancèrent à
une quête éperdue d'espaces à contrôler. Elles
l'obtinrent par la conquête.
CHAPITRE II : LA CONQUÊTE FRANCAISE DU
SINE
I- L'expédition de mai 1859 et ses implications.
Les actions entreprises au Sine et au Saloum en 1859 ne sont
compréhensibles que lorsqu'on les replace dans le contexte historique de
la Sénégambie de la seconde moitié du XIXe siècle.
En effet, pendant cette période, précisément à
partir de 1854, ce qui allait être la colonie du Sénégal
entrait dans une nouvelle dynamique qui portait l `estampille du programme
de Faidherbe. Celui-ci se basait sur le principe qui
stipulait « que la France ne pouvait rester, en
présence d'un continent aussi vaste et aussi riche que l'Afrique, dans
une position humiliante ; qu'elle devait accomplir là comme
partout, sa mission providentielle et civilisatrice ».65(*)
Même si le traité de Paris du 30 mai 1814
restituait sans réserve à la France, tous les
établissements qu'elle possédait à la côte
occidentale d'Afrique,66(*) les deux grandes puissances impérialistes ( la
France et L'Angleterre ) continuaient de mener une lutte éperdue
d'influence pour la conquête des terres de la Sénégambie.
Cette lutte d'influence qui a abouti en mai 1857 à la cession par les
Français aux Anglais du comptoir d'Albreda, poussa la France
« à chercher des compensations, pour cantonner l'influence
de la Grande Bretagne dans sa rivière de
Gambie ».67(*)
Faidherbe rêvait à ce moment précis d'un
vaste empire soudanais. Ce bâtisseur d'empire voulait faire flotter le
drapeau français sur le maximum de terres africaines. Il envisagea la
conquête du Cayor. Mais pour contourner les difficultés
d'intervention dans ce Cayor des Damel, une seule stratégie s'imposait
pour lui : « isoler ce pays par le sud afin d'éviter
en cas de conflit toute alliance du Cayor avec le Sine et le Saloum
particulièrement ».68(*) Cette politique d'isolement de Faidherbe fut l'un des
principaux motifs invoqués pour justifier son expédition dans les
pays sérères. Mais la réalité fut tout autre. Des
perspectives commerciales furent l'une des raisons de cette intervention.
Faidherbe lui-même écrit : « au Sine et au
Saloum, les intérêts du commerce sont toujours la première
préoccupation ».69(*) Par sa position charnière entre le Saloum, le
Baol, le Cayor et la mer, le Sine constituait un centre de gravité
entre les pays wolofs d'une part, et les Etats multiethniques situés
entre le Saloum et la Gambie d'autre part. Ainsi la relative facilité de
pénétration qu'offraient les estuaires ramifiés de ces
fleuves (Sine et Saloum) conférait un intérêt nouveau
à ces régions jusque-là négligées.
D'accès facile, le Sine, malgré son exiguïté,
renfermait des terres fertiles et très favorables à la culture de
l'arachide. Et alors que dans certaines contrées du
Sénégal l'arachide était transportée vers la
côte à dos d'ânes et de chameaux, au Sine par contre les
cours d'eau offraient beaucoup de possibilités pour le transport
à pirogues vers les points de commerce.
D'ailleurs, le commerce de ce produit connaissait un essor
fulgurant à cette époque. A Gorée seulement il passa de
moins de deux millions de francs en 1840 à plus de dix millions en
1852.70(*) Les motifs
économiques furent donc très apparents dans cette entreprise.
Mais Faidherbe invoqua les « droits historiques de la
France » impérialiste sur la Petite Côte par les
hypothétiques traités Ducasse de 1679 qui établissaient la
France « maître de la côte comprise entre le Cap-Vert
et la rivière Saloum sur six lieues de
profondeur ».71(*)
Faidherbe ne manqua non plus de justifier son action qui
était conduite selon lui, pour mettre fin aux pillages des
Ceddo qui infestaient la côte, créaient un climat
délétère qui rendait la vie difficile aux traitants et
empêchaient toute activité commerciale.72(*) Cette situation était
liée, selon Pinet-Laprade73(*), à la mauvaise foi des souverains locaux qui
foulaient aux pieds les fameux et introuvables
« traités » Ducasse.
A cette époque importante de l'histoire du
Sénégal, le Sine était dirigé par un prince qui
montra une volonté inébranlable d'assurer
l'intégrité territoriale de la terre de ses ancêtres. Ce
fut Coumba Ndoffène Fa Maak Diouf à qui la pesanteur des
traditions avait confié la délicate mission de ne rien
aliéner de la souveraineté de son peuple. Toutefois, tout
opposait Coumba Ndoffène aux français. Ceux-ci estimaient qu'ils
pouvaient construire en dur dans ce pays, que leurs commerçants devaient
s'adonner librement au commerce sans payer des redevances aux chefs locaux. Or
tel n'était pas le point de vue de Bour Sine Coumba
Ndoffène Faa Mak qui, pour entretenir la cour royale et l'armée
du Sine, devait compter sur les impôts à payer aussi bien par les
autochtones que par les commerçants étrangers.74(*)
Ces deux politiques antagonistes s'affrontèrent dans le
cadre de deux expéditions qui firent sauter le verrou que constituaient
le Sine et le Saloum en ouvrant aux français la route du Sud.
Faidherbe voulut supprimer les coutumes payées aux
chefs locaux. Il s'inscrivait ainsi en porte-à-faux avec les principes
du traité signé en 1849 entre le lieutenant de vaisseau
Jaffrézic et le Bour Sine. Par ce traité Bour
Sine avait cédé à la France un minuscule terrain de cent
toises75(*) carrées
à Joal, pour l'établissement d'un comptoir moyennant paiement de
coutumes. Faidherbe se fixa les objectifs suivants :
« Notre but, écrivit-il, est de
traverser ces pays avec nos forces, de déclarer nuls les traits et
conventions passés pendant les dernières années, pour la
régulation des coutumes à payer aux chefs de ces pays en
échange de la sécurité promise par ces derniers, et
d'établir nos relations futures sur des termes nouveaux et plus dignes,
qui devront être strictement observés ».76(*)
C'est ainsi qu'en mai 1859, une colonne sous les ordres du
gouverneur Faidherbe parcourait toute la côte comprise entre le Cap-Vert
et Joal. Elle était composée des troupes de la garnison de
St-Louis avec deux cent tirailleurs sénégalais, des artilleurs et
des marins.77(*) Elle
déboucha sur Gorée par la mer où s'adjoignirent cent
soixante hommes d'infanterie de marine et cent volontaires de Gorée
recrutés par Pinet-Laprade. La colonne traversa le Cayor et à
Dakar deux cent vingt cinq Lebous y furent incorporés.78(*)
Dans les premiers jours de sa marche vers le Sine, Faidherbe
et ses troupes ne rencontrèrent aucune résistance sur le
littoral. Le 15 mai, la colonne arriva à Joal dans le Sine. De là
un détachement de l'armée remonta l'estuaire pour Silif et
Fatick. A Joal, la troupe rencontra pour la première fois, mais pour un
temps éphémère une opposition : celle du Boumi
Sanou Mone Faye. La bataille de courte durée qui s'en suivit fut au
détriment de ce dernier qui battit en retraite abandonnant à
l'ennemi onze chevaux et deux prisonniers.79(*)
Cette première victoire aiguisa les appétits de
Faidherbe qui eut la ferme ambition d'envahir tout le Sine. Le 18 mai, alors
que le peuple Singandum80(*) baignait encore dans l'ambiance du réveil
matinal, la colonne débarqua à Fatick. Les guerriers du Sine,
mobilisés par le son des Joung-Joung et embusqués dans
l'épaisse forêt qui enveloppait Fatick, précisément
à Logandème déclenchèrent les hostilités
vers neuf heures.81(*)
Avec les modestes armes dont ils disposaient, les Sérères tinrent
tête aux troupes françaises pendant longtemps. Mais la
supériorité matérielle détermina l'issue des
combats. Après plusieurs assauts violents, la colonne battit
« l'armée réputée invincible de ce
pays ».82(*) Le Bour Sine et ses Ceddo
abandonnèrent le champ de bataille. Fatick fut incendié sur les
ordres du gouverneur. Le 25 mai, la colonne retourna vers Joal. Coumba
Ndoffène percevant le péril qui guettait son pays sollicita un
traité de paix.83(*) Faidherbe l'imposa les conditions
suivantes :84(*)
« 1°- La reconnaissance des anciens droits
français sur cette partie de la côte ;
2°- L'abolition de tous les impôts arbitraires
auxquels étaient soumis les traitants français ; le seul
droit à payer devant être de 3% sur les produits qui sortent du
pays, et qu'ils soient perçus par un agent agréé par nous.
Les produits qui ne font que traverser pour venir à nos comptoirs sont
libres de tout droit de passage ;
3°-Que les sujets français habitant ce pays ne
soient justiciables que des autorités françaises, même dans
leurs différends avec les indigènes. C'est la politique de
l'exterritorialité.
4°- Les Français ont seuls le droit de fonder
des établissements dans ce pays notamment à Joal.
5°- Les Ceddo, les princes et tous les gens qui ne
s'occupent pas de commerce seront expulsés des escales et des comptoirs
réservés au commerce. »
Ces traités imposés au Bour Sine
consolidèrent l'autorité française sur la Petite
Côte. Ils donnèrent libre-cours aux activités commerciales
des français établis sur cette zone. Les commerçants y
battirent en dur, des fortins furent édifiés à Joal et
Sangomar. Les villages de Joal, Fajuc, Njuuk et Mburjuam passèrent sous
la protection de la France85(*). De pareils traités furent imposés au
Bour Saloum. Par ces traités Faidherbe voyait l'horizon
s'éclaircir devant lui. Il avait de plus en plus la certitude que son
rêve de cantonner l'influence anglaise en Gambie allait se
réaliser et que le drapeau tricolore allait flotter sur cette terre
rebelle du Sine. Il se rassurait davantage dans son dessein d'édifier un
vaste empire colonial, au Couchant de l'Afrique.
Cependant, Coumba Ndofféne avait certes perdu la
bataille de mai 1859 et accepté, malgré lui, les traités
iniques qui lui furent imposés, mais il manifestait toujours une
volonté inébranlable de contrôler tout son royaume sans
concession aucune. Ce désir ardent le poussa à remettre en cause
les traités de 1859. Il revendiqua avec véhémence, en
juillet 1860 les villages confisqués de force par la France. Ainsi
adressa-t-il au commandant de Gorée la lettre suivante :
«Vous voulez prendre par la force Fadioudj, Mbourdiam
et Ndiouk. Si vous m'empêchez de posséder ces trois villages, nous
tuerons tout les blancs qui viendront dans notre pays (...). Après cela
nous ne voulons ni or, ni argent, ni diamant ; nous ne voulons que les
habitants de Diavalo [ Joal ] et de Fadioudj. Si vous prenez Diavalo,
Fadioudj et Ndiouk, il y aura une grande guerre entre vous et nous
jusqu'à ce que je les possède comme
avant ».86(*)
Par cette lettre dans laquelle on sent l'amertume et la
colère, le Bour Sine afficha son dessein de reprendre
possession de ces villages pour y exercer son pouvoir et continuer d'y
percevoir l'impôt. Ainsi Coumba Ndoffène se montra plus exigeant
envers les traitants de Fatick, il arrêtait les troupeaux de boeufs
qu'ils dirigeaient vers Dakar, détruisait les champs d'arachide et
perturbait le déroulement normal de la traite de 1860. Aussi envoyait-il
ses Ceddo réclamer l'impôt dans ces villages.87(*) Au Saloum également, on
s'adonna aux mêmes actes.
Pour réprimer cette
« déloyauté », Faidherbe mit sur place une
seconde colonne expéditionnaire sous le commandement de
Pinet-Laprade.88(*) Cette
colonne qui revenait d'une expédition punitive en Casamance marcha sur
le Saloum le 3 mars 1861. Après avoir incendié Kaolack et pris en
otage 150 personnes parmi lesquelles des membres de la famille royale du
Saloum, elle se mit en marche pour Diakhao la capitale du Sine.
« Le 5 mars à sept heures du matin, écrit
Pinet-Laprade, nous arrivâmes devant Diakhao, le roi nous offrit six
boeufs pour la colonne et demanda une entrevue qui lui fut
accordée ».89(*) A Diakhao où Coumba Ndofféne, pour des
raisons stratégiques, n'opposa aucune résistance, Pinet-Laprade
exigea les conditions suivantes pour la paix :
« 1°- reconnaissance du traité de
1859, principalement sur la cession de Joal et la construction d'une tour de
garde à Fatick ;
2°- contribution de guerres de 200 boeufs livrables
à Joal. »
Pour garantir l'exécution de ces conditions, on imposa
à Bour Sine de donner en gage un membre de la famille royale.
Ce fut un neveu de Coumba Ndofféne qui fut livré. On imposa ainsi
un autre traité au Sine.
Malgré la signature de ces traités, Coumba
Ndofféne Diouf ne cessa jamais de protester contre la présence
française dans son royaume. Il avait toujours les yeux rivés sur
les villages amputés à son territoire. C'est pourquoi en
septembre 1861 il adressa à Faidherbe la correspondance
suivante :
« La paix entre nous est aux conditions que
Ndiouk et Fadioudj continuent à me payer tribut comme
autrefois ».90(*)
De même en octobre 1863, il écrit à
Pinet-Laprade :
« Je vous rappelle la demande que je vous avait
faite relativement à Joal, Fadiouth, Mbourdiame, je veux que vous me
rendiez ces villages ».91(*)
Comme on peut s'en apercevoir, Joal était l'une des
préoccupations majeures de Coumba Ndofféne. Joal était sa
province de salut. C'est de là qu'il pouvait entretenir des relations
commerciales avec les Anglais de la Gambie pour se doter en armes.
C'était à partir de cette province maritime que le royaume avait,
de tout temps, entretenu des relations commerciales avec les différentes
puissantes européennes qui fréquentaient la côte
sénégambienne. L'importance de Joal est exprimée ici par
Boilat :
« Cette ville était autrefois très
commerçante : on y prenait des vivres pour les navigateurs et pour
Gorée (...) Deux raisons avaient déterminé la Compagnie
française à s'y faire un comptoir :
- La certitude de s'y procurer prés de 200
esclaves, plus de 300 cuirs, 12 ou 15 cents quintaux d'ivoire et 4 ou 5 cents
quintaux de cire jaune sur le même tarif que celui du
damel ;
- La nécessité de tenir le damel en respect
et de se garantir de ses caprices, dont les Français avaient fait
plusieurs fois l'expérience. »92(*)
L'impôt était également au centre de
toutes ces revendications incessantes. L'amputation de ces villages
représentait une perte énorme pour le Bour Sine. Les
impôts et les taxes qu'il avait l'habitude d'y collecter constituaient un
apport budgétaire incommensurable pour l'entretien de sa cour. Il perdit
ce privilège. C'est pourquoi il ne se lassa jamais de réclamer
ces villages. On comprend dés lors l'acharnement des deux
belligérants pour le contrôle de Joal. Mais à partir de
1864, sous la menace constante des ambitions jihadistes de Maba Diakhou Ba,
Almamy du Rip, Comba Ndofféne Diouf changea de politique
vis-à-vis des Français pour écarter le danger d'un islam
conquérant qui planait sur son royaume.
A ce moment précis, le marabout Toucouleur
commença à galvaniser les forces musulmanes pour déclarer
la guerre sainte dans toute cette région de la Sénégambie
septentrionale.93(*) Cette
ambition de Maba atteignit son paroxysme lorsqu'en 1865, le 30 novembre, il
battit les troupes de Pinet-Laprade dans la célèbre bataille de
Pathé Badiane. Au lendemain de cette victoire, Maba regardait maintenant
vers le Sine, terre des Ceddo qu'il fallait convertir à
l'islam. Mais c'était là une méconnaissance totale voire
même une hallucination de la part du marabout que de vouloir imposer
brutalement la religion de Mahomet à un peuple dont les consciences
étaient déjà fortement marquées par les
Pangols.
Ainsi en 1867, alors que Coumba Ndofféne Fa Maak Diouf
assistait à une danse initiatique de circoncis à Mbino-Ngor, Maba
le surprit sur sa terre natale et incendia sa capitale Diakhao.94(*) Après la surprise de
Mbino-Ngor, l'Almamy du Rip pénétra à nouveau au Sine un
crépuscule de 1867. Suite à l'annonce de la présence des
troupes musulmanes dans son royaume, le Bour Sine réunit tous
les Saltigui du royaume à Diakhao pour discuter des positions à
prendre. Après une longue nuit mystique marquée par l'invocation
incessante des Pangols, les « Lances
Mâles »95(*) du Sine prophétisèrent que Maba allait
mourir au Sine, mais à une seule condition dit le célèbre
Diomaye Niane de Sanghay, Saltigui bien connu au Sine :
« Les pangols sont formels, toute armée
du Sine qui se rendrait au Badibou, porter la guerre chez Maba (...) serait
immanquablement anéantie, et avec elle, succomberait le Sine (...). Par
contre si nous attendons que Maba pénètre de nouveau en terre du
Sine (...) nous pourrions alors à coup sûr décapiter le
marabout ici même à la mare de Fa-Ndann !
».96(*)
Coumba Ndofféne Fa Maak Diouf, rassuré par les
prédictions des « Lances Mâles »
envoya à l'Almamy un émissaire nommé Sémou Diouf
pour lui lancer un défi de fouler encore la terre du Sine. A la
mi-juillet, les Ceddo du Sine s'affrontèrent avec
l'armée du marabout du Rip soutenue par Lat-Dior. Après de rudes
combats dans la clairière de Fa-Ndane Thiouthioune un Saltigué du
nom de Laba Boof respecta sa promesse : il fit tomber une pluie
torrentielle qui mouilla la poudre de Maba et empêche toute
mobilité aux forces musulmanes.97(*) Le Sine qui avait mobilisé toutes ses forces
combattantes terrorisait ainsi l'ennemi. Sentant le péril qui
menaçait, Lat-Dior abandonna « son marabout »
et prit la fuite, car pour lui, la cause était perdue et le soleil de la
victoire pointait déjà dans l'horizon des guerriers du Sine. Avec
une témérité indescriptible, ces derniers tuèrent
Maba et écartelèrent son corps. La tradition orale nous apprend
que « les morceaux du corps de Maba furent amenés et
enterrés à travers tout le Sine ; à Félir,
Sambatoude, Ndialgué et vers Thiemassas. La peau qui servait de tapis de
prière au marabout et son coran restèrent au
Sine ».98(*) Bour Sine envoya, en signe de son triomphe, la
tête et un bras de Maba au commandant de Gorée.99(*)
Maba Diakhou, le combattant de la foi mourut ainsi en terre du
Sine sans jamais réussir à islamiser ce pays très
enraciné dans ses croyances multiséculaires.
« Cette glorieuse épopée de l'islam en terre
sénégambienne »100(*) ne se répandit pas au Sine où
les Ceddo étaient résolus à rejeter à
jamais cette religion qui menaçait la croyance de leurs pères et
régentait leur vie au mépris de leurs coutumes. Le Sine faisait
ainsi figure de bastion inexpugnable de la résistance anti-islamique.
« La victoire du parti ceddo que symbolise ici Kumba Ndoofen Juuf
sur les forces musulmanes est
éclatante ».101(*) Victoire d'autant plus reluisante que ce fut
à l'armée qui a battu Pinet-Laprade dans la célèbre
bataille de la vallée de Pathé Badiane qu'on infligea cette
défaite.
Après la mort de Maba, Bour Sine Coumba Ndofféne
Diouf, galvanisé par son triomphe, remit en cause les traités de
1859 et de 1861. En effet il se rendit avec ses Ceddo en août
1871 à Joal pour collecter les impôts et les taxes auprès
de la population indigène et auprès des traitants
français. Cette entreprise téméraire lui coûta la
vie, car un traitant nommé Beccaria tira sur lui à bout portant
et le blessa mortellement.102(*)
Coumba Ndofféne mourut ainsi sur la terre de ses
aïeux. Cependant il était parvenu, tant bien que mal, à
faire face aux français pour assurer la sécurité de son
peuple. Il combattit sans répit pour atteindre cet idéal :
laisser à la postérité un royaume souverain en en
extirpant tous les germes de la désintégration que pourraient
semer les envahisseurs français et musulmans. Il n'a jamais perdu de vue
que la survie du Sine passait par le respect de ses coutumes et de sa
religion ancestrale. Il avait, jusqu'à sa mort refusé
d'entériner l'amputation de sa province maritime par la
France.103(*) Mais
après sa mort, le Sine fut plongé dans une longue période
d'instabilité politique marquée par des guerres de succession au
trône. Profitant de cette situation, les français
réussirent à instaurer un protectorat en 1891.
II- Le protectorat de1891
La période de trouble qui suivit la mort de Coumba
Ndiofféne Fa Maak Diouf vit s'affronter Sanou Mone Faye et Sémou
Maak Diouf. Ce dernier fut choisi par le grand conseil du Sine pour
succéder au Bour défunt. Ce choix frustra le
Boumi104(*)
Sanou Mone Faye qui, en levant l'étendard de la révolte,
plaça ainsi le Sine dans une sanglante guerre civile. Soutenu par le
Baol, Sanou Mone réussi à prendre le pouvoir et il
transféra la capitale du Sine à Ndiongolor.105(*) Sanou Mone
réputé par son sadisme et sa cruauté
bénéficiait, malgré tout, de l'appui des autorités
françaises. Celles-ci ne voulaient, sous aucun prétexte, voir
Sémou Fa Maak, allié de leur ennemi Lat-Dior prendre le pouvoir
au Sine. C'est pourquoi Canard, commandant supérieur de Gorée
signa avec Sanou Mone un traité le 13 septembre 1877. Par ce
traité, Sanou Mone approuva les clauses de 1859 et de 1861. Les
commerçants français furent encore autorisés à
bâtir des établissements en maçonnerie à Fatick et
à Silif. Les produits sortant du Sine payeront un droit de 3% au profit
du Bour. L'exterritorialité fut accordée aux sujets
français.
Le Sine était encore placé sous
l'autorité française par Sanou Mone qui mourut le 4 mars 1878
à la bataille qu'il livrait à Hodjil contre Bour Saloum Sajuka
Mbodji.106(*) Sanou Mone
fut remplacé par Sémou Fa Maak qui tenta d'apaiser
l'atmosphère délétère qui enveloppait le Sine
depuis la mort de Coumba Ndoffène. Mais son règne fut
éphémère, il se donna la mort en novembre 1881. Ce climat
de guerre ne s'apaisa pas de sitôt car la haine avait gagné les
coeurs des différentes familles royales du Sine. Deux nouveaux camps
s'affrontèrent : celui de Amady Baro Diouf contre les partisans de
Mbacké Ndiaye. Le premier réussit à se maintenir au
pouvoir jusqu'en 1884 date à laquelle Mbacké le tua.
Mbacké chercha l'appui des autorités de Gorée, ce qui
n'empêcha pas la révolte de Niokhobaye Diouf. Ce dernier parvint
à s'emparer du pouvoir, mais il sera évincé à son
tour par Mbacké Ndeb neveu de Mbacké Fa Mack.
L'avènement de Mbacké Ndeb au trône
constitua un tournant dans l'histoire du Sine. En effet, cherchant l'appui des
Français contre son rival qui continuait de s'agiter, Mbacké
bravant la coutume qui interdisait au Bour Sine la vue de
l'océan se rendit à Saint-Louis où il signa, le 15
septembre 1891, avec le gouverneur Henry De Lamothe un traité par lequel
le Sine était devenu « une province
indépendante sous le protectorat et la souveraineté de la
France ».107(*) Selon ce traité, il n'était
rien changé aux moeurs, coutumes et institutions du pays. Le Maad a
Sinig continua de conserver ses anciens droits et privilèges. Il
s'engagea à donner « toutes les facilités possibles
pour la construction de routes, chemins de fer, lignes
télégraphiques, postes fortifiés dans toute
l'étendue du Sine. »108(*) Toute cette future armature économique devait
être la propriété de la France. De même une bande de
terrain de cinquante mètres de chaque côté des voies
ferrées et un carré d'un kilomètre de côté
furent réservés aux compagnies françaises. La
main-d'oeuvre nécessaire aux travaux de fortification devra être
fournie par le Bour Sine. Le commerce, l'industrie et l'agriculture
furent déclarés entièrement libres pour les
Français et pour leurs sujets. Le Bour Sine s'engagea
également « à verser chaque année une part
des impôts perçus dans le Sine entre les mains du Gouverneur du
Sénégal. »109(*)
Par ce traité, Mbacké Ndeb avait tant bien que
mal réussi à éviter la partition de son royaume entre les
différentes familles royales du Sine. Les ardeurs de Niokhobaye furent
neutralisées. Cependant le royaume Sérère fut fatalement
placé sous la tutelle des autorités coloniales françaises.
Celles-ci s'activèrent à mettre sur place une administration qui
eut pour but d' « assurer la paix et la tranquillité
propices à la culture de l'arachide et aux transactions commerciales
entre la colonie et les commerçants devenus
producteurs. »110(*)
III - La mise en place de l'administration
coloniale
Au lendemain de la conquête, le colonisateur
entendait remodeler, selon ses principes, la vieille organisation
administrative afin de mieux tirer profit des ressources économiques
qu'offraient les terroirs nouvellement occupés. Ainsi, dés 1898,
on assista à la partition du Sine qui, jusque-là constituait une
seule entité cohérente, en deux provinces : le Sine oriental
et le Sine occidental respectivement confiés à Couba
Ndofféne Fa Ndeb Diouf et à Coumba Djimbi Ndiaye.
La province orientale fut divisée en cinq
cantons : Ngayokhéme, Dioine, Djarrekh, Ngohé et
Guilas ; et le Sine occidentale en quatre cantons : Diakhao, Ndiop,
Sanghay et Marouth. Cette organisation fut modifiée par
l'arrêté du 4 mai 1908 qui restreignit le nombre de cantons
à cinq pour l'ensemble du royaume.111(*) Ce nouveau découpage prévalut jusqu'en
1926, date à laquelle le Sine fut divisé entre les cantons de
Diakhao-Marouth, Sanghay-Ngayokhéme, Dioine, Diourroup et Ndangane.
En principe, le canton était considéré
comme « un territoire de superficie variable, aux limites
tracées en tenant compte de données historiques,
géographiques ou ethnologiques »112(*) de façon
à permettre aux populations d'évoluer en conservant leur
particularisme. Au Sine, cet axiome fut déjà en place car, ce
terroir quasi homogène fut peuplé par l'élément
dominant Sérère. A la tête de chaque province, on nomma un
chef de province ou chef supérieur. Les cantons furent
administrés par des chefs de cantons. L'unité de base
étant le village dirigé par un chef de village.
Vu l'immensité de l'espace à contrôler et
la modicité des effectifs du personnel administratif français,
l'autorité coloniale était contrainte de faire recours aux chefs
locaux pour mieux asseoir sa domination. Ce recours à la chefferie
indigène entrai dans la logique même du système colonial
car, « il n'y pas de colonisation sans politique
indigène ; pas de politique indigène sans commandement
territorial ; et pas de commandement territorial sans chefs
indigènes qui servent de rouages entre l'autorité coloniale et
les populations ».113(*)
En principe le choix de ces chefs devait s'effectuer en
s'inspirant des coutumes du pays conquis. Le gouverneur général
Ponty, dans une circulaire du 22 septembre 1909, rappelait qu'il y avait des
avantages à choisir les titulaires des nouvelles circonscriptions par le
moyen de la coutume.114(*) Plus tard, en 1917, le gouverneur Joost Van
Vollenhoven notait lui aussi que « le choix doit être fait
selon le double critère de l'autorité naturelle et de
l'acceptation unanime de la population. »115(*) En 1930, le gouverneur Carde
dans une circulaire du 21 juillet insistait encore sur ce principe. Mais pour
lui, il était nécessaire en certaines circonstance
de faire table rase de l'armature traditionnelle.
Le colonisateur ne respectait pas toujours ce critère.
Au Sine, même si le traité de protectorat de 1891 affirmait qu'il
ne sera rien changé dans les coutumes et institutions du pays, cela
n'empêcha pas que les nominations se fassent en dehors du cadre
traditionnel. Ceci suscitait parfois des révoltes sporadiques de la part
des administrés. Ces derniers n'acceptaient guère qu'on leur
imposa des chefs dont le choix ne répondait pas aux critères
traditionnels de nomination. Dés lors l'autorité de ces chefs
devint superficielle. En 1898 par exemple Coumba Djimbi Ndiaye fut nommé
chef supérieur de la province orientale. L'assemblé des notables
du Sine réagit à cette nomination. Par la voie de leur
porte-parole le Grand Jaraaf Mbagne Ndiougour Séne ces notables se
mirent d'accord pour choisir Comba Ndoffène Diouf comme chef unique.
Ainsi dés le début, le Sine ne veut pas remettre en question
l'autorité du Bour élu selon la tradition ici, Comba
Ndoffène Diouf. Les Sérères n'obéirent jamais
à Coumba Djimbi qui est suspendu de ses fonctions en 1899.116(*)
Cependant quel que fusse leur mode de nomination, ces chefs
étaient « les hommes à tout faire de
l'administration coloniale. »117(*) Le gouverneur Ponty les qualifie
d' « auxiliaires de l'administration
coloniale ».118(*) Ils assuraient les charges les plus
impopulaires : collecte de l'impôt, réquisition de
main-d'oeuvre, corvées, recrutement militaire, application des cultures
forcées etc. En définitive, leurs fonctions étaient
d'ordre administratif, policier, financière et sanitaire. Ils
étaient tenus d'assurer l'exécution des ordres venant des
autorités supérieures ( Gouverneur, Commandant de Cercle). Ils
représentaient les appelés devant les commissions de recensement
pour le service militaire. Ils s'occupaient de l'état civil
c'est-à-dire du registre nominatif des naissances, des
décès et des mariages. Le maintien de l'ordre public leur
incombait et ils informaient les autorités coloniales des grands
événements qui se sont déroulés dans leur village,
canton ou province. Ils signalaient aussi les épidémies et
épizooties qui se déclaraient dans leur circonscription.
La véritable fonction de chef s'affichait surtout en
matière financière où il jouait un rôle primordial.
Il était percepteur d'impôt et fut noté dans ce domaine.
Son maintien et sa promotion dépendaient largement de sa capacité
à mobiliser le maximum de ressources fiscales. En 1907 par exemple,
Lefilliâtre, administrateur du cercle du Sine-Saloum disait de Coumba
Ndoffène qu'il « est l'homme qu'il faut au
Sine ».119(*) Cette appréciation faisait suite à la
bonne rentrée de l'impôt notée dans la province
sérère. Trois ans plus tard, en 1910, les chefs de canton de
Ngohé, de Joal et de Boyar qualifiés comme étant
« les seuls dont les manières de servir ont laissé
à désirer et dont il a été nécessaire
d'assurer le remplacement par des chefs plus capables et plus attachés
à leur fonction »120(*) de percepteurs d'impôts.
En échange des services qu'ils assuraient, ces chefs
indigènes bénéficiaient des ristournes sur les
rentrés d'impôt. C'est pourquoi tous les moyens étaient
bons pour recouvrer le maximum d'argent car aux yeux de l'administration
coloniale, le « bon chef » était celui qui
collectait le plus d'impôt. Ainsi pour se donner une bonne impression
auprès d'une administration boulimique, les chefs indigènes
n'hésitaient pas à commettre les plus abominables exactions sur
leurs compatriotes. Ceux d'entre eux qui ne voulaient pas charger leur
conscience de ces crimes, se voyaient écartés et remplacés
par d'autres plus « capables ». En effet cette
valse des chefs aboutit à leur démystification et à la
désacralisation de leur autorité.
Pour l'administration, le recours à la chefferie
indigène était le seul moyen pour faire face à l'effectif
squelettique du personnel européen. Ces chefs finirent par constituer
les engrenages de la machine du commandement colonial, les
« vrais chefs de l'empire ». Par ces nouvelles
structures, le colonisateur réussit tant bien que mal à instaurer
un fatal chamboulement de l'ordre existant. Ainsi on assista au craquement de
l'armature des institutions traditionnelles. Les plaintes des vaincus n'y
changèrent rien. Toutes les conditions furent d'ores et
déjà réunies pour mettre la machine de l'exploitation en
marche et tirer le maximum de ressources dans les terres nouvellement
conquises. L'impôt de capitation constituait une part importante de ces
ressources. C'est pourquoi le colonisateur n'y a jamais transigé.
DEUXIEME PARTIE : L'IMPOT COLONIAL
CHAPITRE I : LA CULTURE ARACHIDIERE DANS LE
SYSTEME FISCAL
I- L'arachide et les paysans du Sine
A- La production
Au lendemain de l'abolition de la traite des Noirs, il
était devenu indispensable de redéfinir les termes du commerce
entre l'Europe et ses colonies. L'Afrique Noire, qui jusque là
était pourvoyeur d'esclaves, devait convertir son économie dans
la production de matières premières recherchées par
l'industrie européenne en plein essor. En Sénégambie, on
orienta la production vers l'arachide. Introduite en Sénégambie
depuis le XVIème siècle par les Portugais et les Espagnols, cette
oléagineuse se développa dans la seconde moitié du
XIXème pour répondre aux besoins croissants et pressants de
l'industrie européenne en lubrifiants et en savons. En effet
après l'échec de la colonisation agricole au Walo, l'arachide
devint le produit miracle désigné qui se substitua à la
traite des Noirs pour sauver le commerce français de l'impasse qui le
guettait.121(*)
A la même période, une certaine opinion
s'était développée dans les milieux métropolitains
qui donnait au Sénégal une « vocation
agricole ». Cette opinion était basée sur
un argumentaire d'ordre climatique selon lequel le climat du
Sénégal était de tous les climats tropicaux celui qui
semblait réaliser le plus les conditions optimales pour la culture
de l'arachide.122(*)
Ainsi au congrès colonial de Bordeaux de 1907, Fleury estimait que
« l'avenir de ce pays [le Sénégal] est
dans la culture de l'arachide, grâce aux conditions qui permettent
à l'arachide d'accomplir toutes les phases de sa
végétation en quatre mois ».123(*) Des considérations
d'ordre politiques furent aussi évoquées. En 1896, Noirot,
commandant de cercle du Sine-Saloum pensait que « seule la
culture de l'arachide peut affranchir le paysan de son ennemi le
ceddo ».124(*)
Dans ce programme d'orientation économique qui voulait
donner à l'arachide une impulsion nouvelle dan la colonie du
Sénégal, le Sine-Saloum occupait une place centrale. Ce cercle
fut pendant longtemps considéré comme le « grenier
à oléagineux du Sénégal ».
L'arachide allait devenir la principale production. « Cette
plante est cultivée partout, nous dit Aujas, mais les terres
les plus favorables sont dans le Sine ».125(*) Du point de vue
pédologique, les terres silico-argileuses ou sols diors du Sine
sont très favorables à l'arachide. La prédominance du Sine
dans la culture de l'arachide était également liée aux
méthodes culturales des paysans Sérères qui associaient
étroitement l'élevage et la culture.
Le développement vertigineux de cette culture
était aussi fonction du peuplement très dense et du réseau
abondant de communication, constitué par le Sine et ses ramifications
ainsi que les nombreux bolong qui facilitaient la
pénétration dans ce terroir. Le Sine était donc
naturellement bien placé pour mieux produire. L'ensemble de ces atouts
fit que « la graine du Sine fut assurément la plus
recherchée comme présentant une teneur en huile supérieure
à celle des autres arachides du cercle ».126(*) C'est pourquoi on
désignait ce terroir par l'expression
« quadrilatère stratégique de l'arachide au
Sénégal ».127(*)
Cependant, le facteur qui a le plus influé sur la
production arachidière a été l'instauration de
l'impôt de capitation et l'établissement des budgets
régionaux à partir de 1892. Celui-ci était un moyen
sûr de stimuler la production. Noirot semblait bien comprendre les
rapports entre l'arachide et l'impôt de capitation quand il affirmait en
1896 que « si nos populations n'avaient pas l'obligation de
satisfaire à l'impôt, si elles n'étaient obligées de
se mettre forcément en rapport avec le commerce pour se procurer les
espèces nécessaires, la culture des produits industriels
tomberait dans des proportions désastreuses ».128(*) Ceci est d'autant plus vrai
qu'à partir de la mise en place de l'impôt de capitation, on a
notait dans tout le Sine-Saloum une certaine ruée vers l'arachide. Ce
qui se traduisit par une augmentation toujours croissante de la production
comme on peut s'en rendre compte à travers le tableau suivant :
Tableau n°1 : Production du Sine en
arachide de 1890-1896.
Années
|
Production du Sine-Saloum en tonnes
|
Part du Sine en tonnes
|
Pourcentage du Sine
|
|
1890
|
5000
|
3000
|
60%
|
|
1891
|
8000
|
5000
|
62,5%
|
|
1892
|
10.000
|
6.500
|
65%
|
|
1893
|
12.000
|
7.000
|
58,3%
|
|
1894
|
11.000
|
6.000
|
54,5%
|
|
1895
|
13.000
|
7.500
|
57,6%
|
|
1896
|
14.000
|
9.000
|
64,2%
|
|
|
Source : A.N.S. 13G326. [Le calcul du pourcentage
est fait par nous].
Cette production était largement liée aux
caprices des cieux et du marché. En effet, quand le prix proposé
répondait aux ententes des paysans, on assistait l'année suivante
à une augmentation des surfaces consacrées à l'arachide.
Quand le contraire se produisait, les masses laborieuses sous la conduite de
leur Bour décidaient soit le
« laff » (refus de vendre l'arachide), soit une
réduction des surfaces consacrées à l'arachide. En 1901
par exemple, le Bour Sine Coumba Ndoffène Fa Ndeb Diouf avait
interdit la culture de l'arachide à ses sujets pour protester contre les
bas prix et contre les risques de pénurie de produits alimentaires qui
menaçait son royaume en raison de l'extension de la culture
arachidière.129(*)
Les contribuables indigènes finirent par comprendre que
c'était ce produit qui rythmait toute l'activité
économique de la colonie. Toute l'attention des autorités et du
commerce s'était désormais tournée vers l'arachide. Aussi
fit-on entendre aux producteurs que leur intérêt était
« d'étendre la culture de l'arachide, seul produit au
Sénégal qui leur permit, quelque fut son cours, de subvenir
à leurs premiers besoins domestiques et de payer
l'impôt ».130(*) C'est pourquoi quand une mauvaise récolte
s'annonçait c'étaient toujours la consternation et le
désarroi. En 1896 toujours, Noirot s'inquiétait de l'avenir de la
culture arachidière dans son cercle car
disait-il « tout fait prévoit que la prochaine
récolte sera bien inférieure à celle-ci,
décidés que sont les indigènes à ne cultiver en
tous produits industriels que le strict nécessaire pour payer
l'impôt ».131(*)
Cette détermination des paysans à produire moins
était motivée par la dégringolade des prix qui leurs
étaient proposés. De 16 francs en 1890, le prix du quintal
descendit à 14 francs en 1891, 13 francs en 1892, 12 francs en 1893 et
à 10 francs en 1894. En 1896, l'offre était de 8 francs et
même 7,50 francs.132(*) La traite 1914-1915 fut particulièrement
pénible pour les paysans. A l'aurore de la Grande Guerre qui
entraîna l'humanité tout entière dans une tuerie sans
répit jusqu'en 1918, le quintal d'arachide coûtait 5 francs
(année du barrigo deurreum) alors qu'il se vendait à 25
francs en 1913. Les raisons évoquées étaient le coût
élevé du fret de la colonie vers la métropole,
l'insuffisance des navires (mobilisés pour la Grande Guerre), et
l'insécurité des transports maritimes. Cette année, la
production du Sine-Saloum en arachides s'élevait à 75.000
tonnes.133(*)
Malgré ces difficultés conjoncturelles, les paysans
étaient toujours tenus de produire pour « acquérir
ces signes monétaires devenus indispensables ».134(*) De 1921 à 1926 par
exemple, on a noté une hausse régulière de la production
d'arachide dans le Sine -Saloum passant de 80.000 à 145.000
tonnes.135(*)
Ces résultas obtenus étaient dus pour une large
part à l'augmentation de la population du fait de l'afflux des
navétanes, de l'action de la Société
Indigène de Prévoyance qui distribuait des semences
sélectionnées et des instruments aratoires aux paysans. Par
ailleurs, le taux de la capitation étant de plus en plus
élevé, les contribuables produisaient davantage pour être
en règle avec le fisc, gage de leur tranquillité. En 1927 par
exemple, un cultivateur du Sine payait 15 francs de capitation, aux quels
s'ajoutait la cotisation à la S.I.P. (le franc du commandant), ce qui
lui faisait 16 francs d'impôt. A ces 16 francs s'ajoutaient en 1929, 4
francs au titre de la taxe d'assistance médicale indigène soit un
total de 20 francs d'impôt. Une famille de quatre contribuables devait
ainsi payer 80 francs soit la valeur de 110 kilogrammes d'arachides.136(*)
A la veille de la deuxième guerre mondiale, la
production de graines fut encouragée au Sénégal
« pour ravitailler la France en oléagineux et intensifier
les cultures vivrières pour freiner les importations de riz indochinois
que les hostilités risquent de rendre
aléatoire ».137(*) A la même période, les paysans du Sine
comme leurs compatriotes sénégalais vivaient déjà
une situation délicate. En 1940, le prix de l'arachide était de 0
francs 90 le kilogramme, coïncidant avec une montée en
flèche du taux de l'impôt, car on demandait aux populations une
contribution exceptionnelle qui s'élevait à 10 francs par
contribuable.138(*) Ceci
représentait un lourd fardeau pour les contribuables paysans à
qui on imposait un système commercial très affligeant qui ne
tenait pas compte de leurs intérêts.
B- La commercialisation
Toute activité commerciale requiert d'abord l'existence
de voies de circulation pour l'évacuation des produits. Favorisé
par sa position géographique, le terroir Sérère du Sine
dispose d'un système d'évacuation très dense. Son
réseau fluvial était constituait par les innombrables
ramifications du bras de mer Sine ainsi que les nombreux bolongs qui
jalonnaient cette entité géographique de la colonie du
Sénégal. Grâce aux cotres, le trafic de l'arachide fut
facilité sur ces axes par l'aménagement de nombreux
débarcadères. Sur le Sine, on avait ceux de Fatick ( Ndouck ),
Nianioroh, Siliff, Fayako, Nonane, Ndangane, sans oublier Joal et Palmarin
ainsi que Djilor Djidiack. Ces escales permirent le drainage des produits vers
les grands ports de Foundiougne et de Kaolack. Ce dernier port,
considéré dans les années 1920 comme le second de toute
l'Afrique Occidentale Française après celui de Rufisque, joua un
rôle sans précédent pour le trafic de l'arachide au Sine et
au Saloum. Au-delà de ce port, l'escale de Fatick fut d'une importance
capitale pour les producteurs du Sine. Lors de sa tournée dans le
Sine-Saloum en 1924, le gouverneur général disait de Fatick
qu'elle était « une des escales les plus importantes du
Sénégal. Il s'y traite annuellement 24 à 25.000 tonnes
d'arachides. »139(*)
En plus de ces voies naturelles, l'administration coloniale
s'attela à la mise en place d'un réseau d'évacuation
routier. Dés 1860, on aménagea la route qui relia Diakhao,
capitale historique du Sine et Fatick, « ce qui permettrait une
évacuation future du produit arachidier par voie
maritime ».140(*) Ce réseau fut renforcé entre 1890 et
1896 par Ernst Noirot qui tenta de relier les grands centres de production aux
escales de traite. Cependant l'atout majeur pour le commerce de l'arachide a
été l'ouverture du chemin de fer Thiés-Kayes. Le
Sine-Saloum qui était traversé par 190 kilomètres de rail
disposait aussi de sept gares en plus des terminaux de Kaolack et de Lyndiane,
ce qui permit une évacuation très rapide de la production des
paysans de ce cercle.
A côté de ces infrastructures modernes, on
utilisait également les moyens du terroir. Les transports furent ainsi
organisés par animaux dans toute la mesure du possible en mobilisant les
ânes et les boeufs, et par caravanes de chameaux venus de la Mauritanie.
Ceux qui n'avaient pas les moyens pour payer le trafic utilisaient le portage
pour vendre leurs produits dans les escales. En 1933, on estimait à
100.000 tonnes le transport effectué par auto ; à 30.000
celui fait par chemin de fer ; et à 20.000 tonnes le transport
effectué par chameaux.141(*) Mais il faut dire que la confiance accordée
à ces caravaniers s'amenuisait de jour en jour car ils laissaient dans
le Sine de très mauvais souvenirs. Ils étaient
réputés pour leur malhonnêteté. Ils se livraient non
seulement au transport des arachides, mais aussi à l'achat clandestin de
sacs en dehors des points de traite. Ils fraudaient également sur les
poids et mesures en introduisant du sable mouillé dans les sacs. De
même ils s'adonnaient très souvent aux enlèvements
d'enfants dans les villages qu'ils traversaient.142(*) La relative facilité
de pénétration due au réseau abondant permit aux
commerçants de s'installer au Sine pour la pratique de leurs
activités.
D'abord les Lybano-syriens prirent le dessus des transactions
commerciales avec les producteurs indigènes du Sine. La présence
de ces levantins est signalée au Sénégal vers 1890. En
1904 on comptait déjà 23 Lybano-syriens dans le cercle du
Sine-Saloum. Ils seront 132 en 1925. 143(*) Ces Levantins sillonnaient les villages pour troquer
leurs produits contre de l'arachide. La réussite de leurs
échanges avec les populations attira très vite la jalousie de la
chambre de commerce de Dakar qui vit en eux des concurrents
déloyaux.144(*)
A côté de ces asiatiques, d'autres
commerçants prirent peu à peu possession de l'intérieur du
pays sérère. En 1902 déjà on notait la
présence de commerçants installés à Diakhao la
capitale du Sine,145(*)
sans oublier ceux qui s'étaient installés à Ndiaye- ndiaye
prés de Fatick, Ndouck, Nonane, Ndangane, Siliff, en plus des
comptoirs de Jaol, de Palmarin et de Djilor Djidjack où un fils du
terroir Diogoye Senghor ( père du président Léopold
Sédar Senghor ) avait construit avec ses propres moyens un wharf en
1917.146(*)
Cependant ce furent les puissantes maisons et compagnies de
commerce qui monopolisaient le commerce de l'arachide. Celles-ci avaient
dés la fin du XIXème siècle jeté leur dévolu
sur le poumon arachidier du Sénégal pour drainer cette
oléagineuse vers les huileries occidentales. Elles étaient
déjà quatre dans le Sine-Saloum en 1886 : Buhan &
Teissère, Maurel & Prom, Maurel & Frères et la
S.C.O.A. ; en 1907, Chavanel s'installa, de même que
Régnault-Clastes et Plantey & Cie ; Barthes & Lesieur en
1921, ainsi que la NO.SO.CO. et Soucail & Cie.147(*)
Ces puissantes maisons et compagnies contrôlaient la
quasi-totalité du commerce au Sine-Saloum. Elles fixaient les prix sans
tenir compte des intérêts des producteurs. Ces derniers
supportaient toute l'iniquité du système. « Qu'ils
fassent de l'arachide, c'est tout ce qu'on leur demande. Peu importe en fait
les conditions de leur vie et les perspectives de leur développement
individuel et familial. »148(*) La préoccupation de
ces commerçants était d'acquérir l'arachide à vil
prix et de s'enrichir quel qu'en fussent les moyens, car leur
prospérité dépendait de l'exploitation systématique
et impitoyable des misérables paysans. Cette spoliation se traduisait
par l'utilisation de fausses bascules et par l'imposition de cours très
bas qui fut toujours à l'origine d'une réduction du
numéraire en circulation. Ainsi le paysan indigène, après
avoir payé des impôts ne disposait que de peu d'argent pour
effectuer de nouveaux achats de produits d'usage quotidien.
Devant ce système usuraire, les chefs locaux prenaient
souvent des décisions. En 1888, les cultivateurs du Sine trouvant
très inférieurs les cours auxquels on a mis leurs produits ( 0
franc 90 le kilogramme ), le Bour Mbacké Ndiaye avait mis le
« laff » c'est-à-dire une interdiction
générale sur les produits récoltés dans son
royaume.149(*) Coumba
Ndofféne Fa Ndeb Diouf fera la même chose en 1901. Mais cette
forme de contestation était toujours éphémère, car
le paysan n'avait aucune autre solution, et rendue inefficace par les exigences
des agents du fisc. La seule alternative pour les paysans fut une extension
démesurée des emblavures consacrées à l'arachide,
au détriment des cultures vivrières qui prenaient
déjà un recul à des proportions notoires ; ce qui
était aussi source de dégradation progressive de son
environnement naturel.
C- Le recul des cultures vivrières et la
dégradation de l'environnement
Face à un système commercial qui ne se souciait
guère de leurs intérêts, les paysans, obligés de
produire pour assouvir la boulimie du système colonial, finirent par
comprendre que le seul moyen d'atténuer l'érosion progressive de
leur pouvoir d'achat était d'augmenter la production. Aussi assistait-on
à une extension tentaculaire de la culture de l'arachide dans le Sine
où les paysans s'activaient sans répit à arracher
péniblement à la terre de quoi disposer du numéraire.
L'arachide commençait à occuper une part importante des
emblavures : 23% en 1900, 32% en 1908, 36% en 1912 et 58% en
1914.150(*) En 1932,
l'arachide occupait 225.000 hectares sur les 360.000 mis en culture dans le
Sine-Saloum soit 62,5% des superficies cultivées.151(*)
Vendre pour se procurer de l'impôt étant devenu
une chose impérieuse, on assistait peu à peu à la
disparition de la polyculture traditionnelle. Les cultures vivrières
prirent un recul notoire en particulier le mil.152(*) L'économie
d'autosubsistance cédait la place à une économie marchande
de type capitaliste, consacrant ainsi la dépendance des masses
laborieuses du Sine vis-à-vis du commerce français.
L'autosuffisance alimentaire n'était plus assurée et les paysans
vivaient toujours sous la hantise d'une famine et des périodes de
soudure qui les plongeaient chaque fois dans des conditions de vie
impitoyables. La preuve vivante en était la grande famine de 1905-1906
au Sine et au Saloum. Le paysan produisait non plus pour satisfaire uniquement
les besoins alimentaires de son groupe, mais aussi pour acquérir
l'argent de l'impôt sans quoi les percepteurs l'accablaient de mesures
vexatoires.
L'évitement de cette situation passait par un
défrichement irraisonnable pour faire de l'arachide. Partout on
détruisit les forêts pour faire place à l'arachide sans se
préoccuper du déséquilibre de la nature. Des espaces
qui jusque-là étaient réservés à la
pâture furent défrichés. Le processus de la
désertification avançait au galop. Le
rétrécissement constant du couvert végétal pour une
agriculture plus intensive fut à l'origine de l'épuisement des
terres par suite du manque d'engrais et du défaut d'assolement des
cultures. L'érosion des sols, la disparition des jachères et
l'avancée du désert arrachaient à la nature son vrai
charme et ses vrais richesses. Les conditions atmosphériques se
modifièrent et un déséquilibre environnemental s'installa.
Cette destruction brutale du tapis végétal, en facilitant
l'érosion des sols, consacrait également la baisse des rendements
aussi bien des cultures vivrières que de l'arachide même.
Au total, l'arachide finit par devenir le déterminatif
des rapports entre l'administration coloniale et les contribuables
indigènes du Sine. De son abondance dépendait les rentrées
de l'impôt et par conséquent la bonne marche de l'administration
et la tranquillité des populations. C'est pourquoi toutes les
énergies étaient mobilisées pour accroître la
production. Les navétanes et les Sociétés
Indigènes de Prévoyance jouèrent un rôle important
dans l'accroissement de la production arachidière.
II- Les navétanes
On désignait par le terme navétanes les
travailleurs venant de l'est et du sud du Sénégal (Soudan,
Guinée, Haute-Gambie, Casamance...) cultiver l'arachide dans le bassin
arachidier du Sénégal, pour gagner l'argent de leur dot et de
leur capitation.153(*)
Les documents d'archives d'avant 1896, parlent de manière très
imprécise de ces migrants en évoquant « des
étrangers originaires des colonies voisines », « des
cultivateurs de passages venus des colonie du groupe de l'A.O.F. »
ou encore « des travailleurs agricoles du
Soudan ».154(*) En 1897, on parlait déjà
d' « étrangers venus de l'est cultiver l'arachide
pour gagner l'argent de l'impôt ».155(*) Etymologiquement le terme
navétane vient du mot
wolof « nawet » qui signifie saison des
pluies ou hivernage. Il désigne donc les « gens de
l'hivernage », c'est à dire les migrants saisonniers car
ces étrangers arrivaient un peu avant les premiers orages et
retournaient chez eux juste après les récoltes.156(*)
Le motif de leur présence au Sine était donc
bien défini au départ : gagner l'argent de l'impôt et
de la dot en cultivant l'arachide. La fertilité du pays
Sérère constituait une des causes du choix de cette région
par les navétanes qui commencèrent à s'y
installer timidement vers 1897. Cette année-là, les
« gens de l'est venus chercher du travail à Dakar mais
séduits par la fertilité du pays s'installent dans le canton de
Ndangane ».157(*) La même année, on signala à
Niakhar la présence d'un groupe de Toucouleurs qui fondèrent
même le village de Lakhar.
Progressivement, le nombre de ces migrants augmentait de telle
sorte qu'en 1920 on parla au Sine-Saloum d'une « affluence
inaccoutumée ».158(*) Mais c'est véritablement à partir de
1923, avec l'ouverture complète du tronçon Dakar-Bamako que les
travailleurs du Soudan commencèrent à s'implanter sur les terres
du Sine et du Saloum. Ils descendaient maintenant en bataillons serrés
pour jeter leur tentacule sur le pays utile.
Dés son arrivée, le navétane
devait choisir un logeur appelé ndiatigui. Les deux personnages
sont liés par une sorte de « convention verbale par
laquelle l'employeur assure à son co-contractant le logement et la
nourriture pendant toute la durée du travail et lui prête en outre
un champ particulier ».159(*) Le logeur jouait pour ainsi dire le rôle de
support social et économique pour le navétane qui
était sous son entière responsabilité. Il pouvait en outre
prêter au migrant le matériel agricole indispensable à
l'exploitation de sa parcelle. Le ndiatigui assurait la nourriture du
navétane (tabac et cola y compris) et selon ses moyens, il
pouvait aussi prêter des semences à celui-ci.
En contrepartie de ces services rendus, le
navétane devait travailler aux champs de son logeur tous les
jours de l'aube jusqu'à quatorze heures sauf le lundi et le
jeudi.160(*) Le reste du
temps il le consacrait à ses cultures personnelles. Ces
navétanes participaient aussi aux travaux domestiques comme le
tissage des palissades, la réparation des clôtures et des cases
avant l'hivernage.
Le « contrat » qui liait les deux parties
était valable jusqu'à la vente des arachides. Après quoi,
le navétane pouvait s'acquitter de ses dettes et retourner. Ce
contrat régi par aucune loi précise fut un
« contrat coutumier, traditionnel, évidemment oral et
d'ailleurs souvent tacite, puisque généralisé et
collectivement apprécié par un long usage, mais non
immuable ».161(*) Ce contrat informel qui régissait les
rapports entre logeur et navétane s'appelait ladjino
au Sine. On peut le résumer comme suit : logement + nourriture +
prêt d'un champ dont la gratuité fut discutable ; contre
travail à temps partiel sur les champs du logeur.
Ce contrat fut le régulateur des rapports sociaux
entre deux entités d'horizons différents. De son respect
dépendait la symbiose entre les deux parties engagées. Cependant,
les vicissitudes de la vie, la complexité des rapports humains et
surtout la confrontation de deux cultures différentes faisaient que
certains saisonniers quittaient même leur logeur avant les
récoltes. Mais l'un des motifs les plus avancés pour justifier
cette rupture était souvent l'insuffisance alimentaire. Ceci pour dire
que ces rapports n'étaient pas sans désagréments. Mais une
fois ces contraintes sociales surpassées, le navétane
pouvait se consacrer librement à ses activités pour gagner
l'argent de sa capitation et retourner paisiblement chez les siens en attendant
le prochain hivernage.
Ces migrants saisonniers venaient dit-on au Sine pour des
considérations fiscales. Notons dés lors que dans leurs cercles
d'accueil, ils finirent, eux-mêmes, par être soumis à un
contrôle fiscal. Dés leur arrivée en pays
Sérère, ils étaient tenus de verser, à l'endroit
qu'ils choisissaient, une taxe appelée « namou »
ou « nango » qui s'élevait en 1893
à 20 francs au profit du Bour. Mais sous la pression d'Ernst
Noirot administrateur du Sine-Saloum, résolu à favoriser
l'installation de ces travailleurs saisonniers dans son cercle pour le
développement de la culture de l'arachide, le Bour Sine
Mbacké Ndiaye accepta la réduction de cette taxe à 6
francs en 1897.162(*)
Outre les droits de culture qu'ils payaient au Bour
Sine dés leur arrivée, les navétanes furent
soumis à partir de 1924 à un contrôle fiscal
systématique par les autorités coloniales. Ainsi par circulaire
du 30 mai 1924, le gouverneur général demanda à chaque
commandant de cercle de procéder à une vérification de la
situation fiscale des nouveaux venus. On exigea ceux qui n'étaient pas
en règle avec le fisc dans leur cercle d'origine, de verser la
capitation dans leur cercle d'accueil.163(*) Pour mieux suivre cette politique, le gouverneur
demanda aux autorités du Soudan, terre d'origine par excellence de ces
migrants saisonniers qui, chaque année, envahissaient
littéralement le bassin arachidier, de doter chaque navétane
d'un « laisser-passer établi en forme de carte
d'identité mentionnant sa situation au point de vue de
l'impôt ».164(*) A partir de 1934, l'administration coloniale du
Sénégal et celle du Soudan, cherchant à harmoniser cette
politique de contrôle fiscal établirent un model commun de
« carte navétane ».165(*) Sur cette carte furent
mentionnées les informations sur le cercle d'origine et le cercle
d'accueil du point de vue de la situation fiscale et médicale du
détenteur. Toutes ces mesures finirent par mettre en exergue
l'importance qu'avaient acquis les navétanes dans la production
arachidière et par conséquent dans le système fiscal.
Cette importance prit des proportions notoires au Sine et au
Saloum telle que les autorités décidèrent de s'y
impliquer. C'est pourquoi le 24 décembre 1928, Denorus, président
de la Chambre de Commerce de Kaolack plaidait à Dakar en faveur de
l'encouragement de cette main-d'oeuvre si vitale pour les intérêts
économique de la région. Invoquant un manque de main-d'oeuvre
dans le « Sine-Saloum [qui] n'est pas assez
peuplé pour que la culture puisse se faire sans l'aide des
navétanes »166(*), il adressa le 27 février 1929 au gouverneur
un rapport sur la « question des navétanes qui est si
vitale pour le Sine-Saloum, les ¾ de la récolte étant dus
à la main-d'oeuvre soudanaise. »167(*) Dans ce rapport, Donerus
dénonçait sans complaisance l'exploitation abusive dont
étaient victimes les navétanes de la part des chefs de
canton et de village. Ces derniers, dit-il n'hésitaient pas à
choisir les navétanes pour les travaux de prestation et autres.
Ainsi pour sortir ces migrants de cet engrainage, Donerus préconisa la
création de « villages de
navétanes » qui permettront
d' « attirer dans le Sine et le Saloum 20.000
navétanes pour développer l'arachide [qui] est toute
la vie de ce pays ».168(*)
Ainsi à partir de 1929, Lechat commandant du cercle de
Kaolack initia la politique des villages de navétanes.
« Chaque canton va recevoir 100 navétanes maximum et les
groupera en un ou deux villages de navétanes sous l'autorité d'un
chef de leur race lui-même soumis aux ordres du chef de
canton. »169(*) Avec l'aide de la chambre de commerce et de la
S.I.P., chacun des navétanes « villageois » recevait
une ration journalière de 250 grammes de riz, 500 grammes de mil et 0
franc 50 pour l `achat de condiments. La S.I.P. assurait la distribution
des semences remboursables avec un taux d'intérêt de 20%. Avec
l'ensemble de ces mesures, 76 « villages de
navétanes » regroupant 1.569 individus virent le jour au
Sine et au Saloum en 1929. Le Sine à lui seul totalisait 30 villages sur
les 76 et 501 navétanes sur les 1569 soit 31,93% de l'effectif
total comme le montre le tableau suivant :
Tableau n°2 : Villages de
navétanes
Cantons
|
Nombre de navétanes
|
Nombre de villages
|
Diakhao
|
120
|
8
|
Diohine
|
55
|
4
|
Niakhar
|
106
|
7
|
Diouroup
|
120
|
8
|
Ndangane
|
100
|
3
|
Source : David Ph., op. cit. p. 67.
Les autorités du cercle furent satisfaites par cette
expérience, grâce, notamment au paiement sans défaillance
de l'argent et des semences prêtés. Cependant l'objectif
fixé à 22.000 navétanes fut loin d'être
atteint. Seuls 2,8% des 55.000 navétanes recensés dans
le Sine-Saloum furent concernés par ces villages.
En 1930, on dénombra seulement 14 villages regroupant
1.460 navétanes.170(*) Cette année-là, la chambre subit un
coup dur car « beaucoup de navétanes en effet n'ont pas
assez d'argent en raison des bas prix des graines pour rembourser leur
dû. »171(*) Beaucoup d'entre eux se sauvèrent en
abandonnant leurs récoltes. Les statistiques de la chambre de commerce
montrent qu'au 31 décembre 1930, les 3/7 des dettes n'étaient pas
encore recouvrés soit 157.463,43 francs.172(*)
Cette mésaventure du commerce français signa
l'acte de décès des villages de navétanes aussi
bien au Sine qu'au Saloum. En 1931, ces villages vécurent, mais les
saisonniers demeurent. Quoi qu'il en soit, les « vieux terroirs
Sérères surpeuplés du Kamasinik »
continuèrent d'être la terre de prédilection des
navétanes.173(*)
La générosité des terres du Sine fut
certes un grand motif pour attirer des navétanes, mais l'autre
atout fondamental fut incontestablement l'hospitalité et l'humanisme du
peuple sérère. Si ailleurs ces migrants saisonniers
n'étaient pas bien traités et bien nourris, au Sine par contre,
les « sérères prudents et soucieux de leur
équilibre vivrier, les nourrissaient bien, récompensés
d'ailleurs pour cela par la venu fidèlement régulière de
nombreux saisonniers ». 174(*)Ainsi notait-on en 1932 leur présence
« en assez grand nombre » à Toucar.175(*) En 1934 on dénombra
dans la subdivision de Fatick, notamment dans les villages de Samba Dia, Patar,
Soudiane, Diakhao, Marout, une population étrangères de 9.119
habitants.176(*)
Cependant il faut préciser que ces
« étrangers » n'étaient pas uniquement des
Soudanais. On recensa dans le canton de Diakhao-Marout 935 navétanes
originaires de la Région du Fleuve, des Voltaïques et des
Guinéens.177(*)
Très attractif par la fertilité de ses terres
mais aussi par la sociabilité et l'intégrité des
Sérères, le Sine fut pendant longtemps une terre par excellence
des navétanes. Seulement sous l'action combinée du
lessivage des terres dû à leur surexploitation et de l'ouverture
des Terres Neuves du Saloum oriental, on a noté un
rétrécissement constant des effectifs au Sine. Mais il est
incontestable que ces migrants furent d'une grande importance pour
l'exploitation de l'arachide au Sine et même au Sénégal en
général. C'est pourquoi leur place dans l'étude de la
fiscalité ne doit pas être négligée pour mieux
mettre en exergue le rôle de l'arachide dans ce système. Aucune
étude ne doit et ne peut même être menée sur ce sujet
sans parler de ces braves gens que les vicissitudes de l'histoire ont
transformés en « migrants saisonniers »
pour se conformer en un ordre nouveau qui leur fut imposé.
La même place doit être attribuée aux
S.I.P. qui, dans leur caractère mutualiste contribuèrent certes
au développement de l'arachide, mais vues sous l'angle fiscal, ces
Sociétés Indigènes de
Prévoyance constituèrent une nouvelle charge pour les
populations soumises au poids des cotisations et des remboursements dont
l'iniquité fut d'une évidence notoire.
III- Les Sociétés Indigènes de
Prévoyance
Le Sine-Saloum, victime des caprices de la nature avait connu
en 1905-1906 une disette endémique due à des conditions
climatiques défavorables et à des invasions acridiennes
répétées. Avec cette grande famine dont le souvenir reste
encore vivace, toute l'économie du Sine-Saloum fut fortement
menacée.178(*)
Les populations crevaient de faim, les semences manquaient et un mouvement
migratoire à des proportions gigantesques s'était
enclenché en direction de la Gambie anglaise. Face à cette
situation inquiétante, les autorités coloniales prirent des
mesures surtout pour stopper ce flux migratoire et parer au manque de semences
qui pouvait être fatal aux intérêts français. C'est
pourquoi en 1907, le gouverneur général mit à la
disposition de Charles Lefilliâtre administrateur du Sine-Saloum une
somme de 20.000 francs pour « sauver » le Sine-Saloum,
poumon arachidier du Sénégal. Avec ce crédit,
Lefilliâtre réussit à prêter à 718
cultivateurs 55.000 tonnes de vivres et de semences d'arachides remboursables
à la récolte avec un taux de 5%. Le but de cette opération
fut selon les autorités du cercle « de parer à
l'imprévoyance de l'indigène qui est essentiellement un homme du
présent. Le passé ne lui servira point de leçon, et
l'avenir n'existent déjà plus pour
lui. »179(*)
Le succès de cet essai fut total car toutes les graines
prêtées furent remboursées. Encouragé par cette
réussite, le gouverneur général institua, par le
décret du 29 juin 1910, les « Sociétés
Indigènes de Prévoyance et de Prêts Mutuels
Agricoles » au Sénégal.180(*) Celles-ci sont
définies comme constituant « essentiellement des groupes
d'individus ayant les mêmes intérêts économiques et
librement réunis pour les développer. »181(*) En décembre 1910, un
arrêté local statua sur les S.I.P. du Sine-Saloum et du Baol.
Dés 1911, l'expérience des S.I.P. fut étendue à
toute l'Afrique Occidentale Française. L'adhésion de tous les
indigènes d'un cercle devint obligatoire à partir de 1915, tandis
que la volonté de deux habitants suffisait pour sa création.
Le taux d'intérêt remonta à 25% dés
1908 et chaque sociétaire était tenu de verser 1 franc de
cotisation annuelle. Cette cotisation appelée « franc du
commandant »182(*) était perçue au même moment
que la capitation. Elle faisait l'objet de beaucoup d'abus de la part des
percepteurs. C'est grâce à cette contribution que la S.I.P. a pu
fonctionner sans contrainte majeure pendant la première guerre mondiale.
A partir de 1938, le taux de cette cotisation fut élevé à
2 francs et étendu à tous les hommes, femmes et enfants inscrits
au rôle de l'impôt de capitation.183(*) Ainsi le commandant de cercle, par ailleurs
président de S.I.P. disposait d'un «véritable
budget régional supplémentaire qu'il gérait à sa
guise. »184(*)
La gestion souvent gabégique de ces fonds fait perdre
à la S.I.P. sa bonne réputation chez les populations. Celles-ci,
soumises à une cotisation qu'elles assimilaient à un impôt,
subissaient les déboires des plus affligeants lors du remboursement.
Selon Niokhor Diouf, au moment du paiement des semences, « la
chance du paysan dépendait de l'humeur de l'agent de la S.I.P. Le
sociétaire qui payait versait son arachide jusqu'à la
satisfaction totale de cet agent car, la vraie quantité à payer
n'était pas bien connue par le paysan ».185(*)
Par ce système usuraire, la S.I.P. voulait atteindre
ses objectifs. Ceux- ci définis dés le départ visaient
surtout le développement des cultures industrielles, l'arachide en
particulier. Le rapport de 1928 sur les S.I.P. définit ainsi ces
objectifs :
- L'intensification et l'amélioration de la culture de
l'arachide ;
- Augmentation du stock de réserves au moyen d'achats
annuels faits aux paysans possédant les plus belles récoltes et
par le jeu normal des prêts et des remboursements par nature avec un
intérêt de 25% ;
- Amélioration de la production en quantité et
en qualité, par la sélection effective des semences au moment du
stockage en créant à cet effet, dans chaque société
un service spécial de sélection et par la distribution de primes
aux cultivateurs qui auront apporté les plus beaux lots de semences,
mais en exigeant d'eux par l'intermédiaire des chefs de canton et de
village qu'ils ne livrent aux magasins de section que des semences
soigneusement triées.
Le coton était également visé par la
S.I.P. qui préconisait l'établissement d'un programme en vue de
l'extension et de l'amélioration de la culture cotonnière.
La S.I.P. se préoccupait aussi de la culture du manioc.
Au Sine-Saloum, un crédit de 20.000 francs a été inscrit
à son budget pour achat de boutures de manioc et aussi de grains de
ricin qui furent distribués aux paysans.186(*) Ce fut ainsi une
manière très efficace de parer aux dangers de la monoculture
arachidiére, de sorte que l'indigène pourrait, en cas de mauvaise
récolte de l'arachide se rabattre sur ces cultures pour acquérir
l'argent du fisc.
Dés 1925, la S.I.P. de Kaolack considérée
comme « la plus florissante de
toutes »187(*) prit en main la diffusion de la culture
attelée et des semences sélectionnées. Cette
société possédait au 31 décembre 1925 un capital de
4.637.436, 66 dont 319.483, 62 francs en espèces et des créances
remboursables en graines de 3.228.237,90 francs. Elle était ainsi, de
toutes les sociétés celle dont l'activité était
plus efficace. En 1924, elle possédait déjà 29 magasins et
2 hangars. Elle construisit 3 magasins en 1925. 188(*)
Cette société avait, en 1925
aménagé dans les subdivisions de Fatick, Foundiougne et Kaolack
des champs d'essai en vue de la production de semences
sélectionnées. En 1935, la S.I.P. du Sine-Saloum distribua aux
cultivateurs du cercle 7.606 tonnes d'arachides et 2.500 kg d'arachides
sélectionnées de Bambey, 99.880 boutures de manioc et 661 kg de
maïs. Pour le matériel agricole, les paysans reçurent 636
houes alouettes et 216 semoirs Bajac leurs furent cédés à
raison de 125 francs la pièce payable à la traite.189(*)
Cette politique très efficace de vulgarisation du
matériel agricole plaçait la S.I.P. du Sine-Saloum en tête.
En 1930, elle contrôlait 271 instruments sur 601, soit 45% de l'outillage
distribué dans l'ensemble du Sénégal.190(*) Cette société
s'était fortement impliquée dans la sélection des
semences. Son capital semencier augmentait à des proportions
gigantesques. En 1924, elle avait distribué 37.500 tonnes, loin des
186.725 distribués en 1907. Le stock passa à 3.250 tonnes en 1925
et à 6.325 tonnes en 1929.191(*) La S.I.P. du Sine-Saloum occupait pour ainsi dire le
coeur des actions agricoles mutualistes du Sénégal comme le
montre le tableau suivant.
Tableau n°3 : Semences d'arachides
sélectionnées distribuées par la S.I.P du Sine-Saloum de
1925 à 1930.
Années
|
Semences
Sélectionnés(Sénégal)
|
Part de la SIP du Sine-Saloum en tonnes
|
Pourcentage
|
1925
|
5.636 tonnes
|
3.250
|
57,68
|
1926
|
6.747 tonnes
|
_
|
_
|
1927
|
8.468 tonnes
|
4.852
|
57,21
|
1928
|
10.549 tonnes
|
_
|
_
|
1929
|
13.203 tonnes
|
6.323
|
47,89
|
1930
|
14.791 tonnes
|
7.606
|
51,52
|
Source : Mbodj M., Op. cit. p. 423.
Cet important stock permit à la société
de distribuer des semences aux paysans du Sine pendant la campagne
1933-1934.
Tableau n°4 : Semences d'arachides
distribuées aux paysans du Sine 1933-1934
Cantons
|
Quantités prêtées (en hl)
|
Quantités prêtées (en kg)
|
Diakhao-Maroutte
|
38.054
|
1.331.890
|
Sanghaye-Ngayokhéme
|
24.986
|
874.510
|
Diouroup
|
12.665
|
443.275
|
Ndangane
|
7.289
|
255.115
|
Diohine
|
7.619
|
226.665
|
Total cercle de Kaolack
|
472.520
|
16.538.200
|
Source : A.N.S. 5Q3 (1) :
Rapport sur le fonctionnement des S.I.P., 1934.
Ces prêts qui étaient en moyenne de 2 hl par
cultivateur se faisaient en mai- juin et étaient remboursables en nature
après les récoltes avec un taux de 25%. Tout sociétaire
qui s'acquittait de ses droits pouvait en outre demander et obtenir des
prêts de vivres s'il justifiait d'un cas de force majeure : disette
à la suite d'un événement malheureux ou
calamiteux.192(*)
A partir de 1928 des prêts en argent pouvant
s'élever jusqu'à 5.000F étaient consentis aux
sociétaires « en vue de la culture, en vue aussi
d'une amélioration de son outillage agricole ou de la création,
de l'augmentation de son cheptel ».193(*) Les ressources de la S.I.P.
du Sine-Saloum provenaient de l'intérêt au remboursement mais
aussi des cotisations de ses membres. Le nombre de ceux-ci connu une
évolution vertigineuse entre 1907 et 1916. Il passa de 718 à
206.000 membres.194(*)
Avec les fonds dont elle disposait, la S.I.P. du Sine-Saloum
s'investit également dans la réalisation d'infrastructures
essentielles à l'amélioration des conditions d'existence des
populations. Elle épargna de ce fait le budget régional de
certaines dépenses en se substituant à l'administration dans la
réalisation d'infrastructures. En 1925, elle consacra 35.000 francs aux
travaux de puits, ce qui lui permit d'en mettre en chantier 39 dont 25
achevés. Au 31 décembre 1925 le nombre total de puits
forés s'élevait à 585.195(*)
Cependant, malgré ces diverses actions, les populations
avaient une toute autre conception des S.I.P. qui furent
considérées comme des « instruments
para-administratifs plus que des coopératives, au service de
l'exploitation coloniale ».196(*) Elles étaient « un autre mode
de spoliation très subtil [car] elles se transformèrent
peu à peu en engin d'escroquerie ».197(*)
Dans cette nouvelle institution, l'indigène portait le
poids de tout l'arbitraire du système. Il était exposé
à l'agressivité et à la rapacité des chefs qui
assimilaient les cotisations qu'ils percevaient à un impôt. Le
zèle de ces percepteurs s'exerçait au détriment des
paysans réduits à leur merci. Les S.I.P. étaient devenues
certes un puissant élément de la politique d'expansion de
l'arachide et des autres cultures commerciales, mais elles finirent par
constituer une charge de trop sur les populations déjà
écrasées par l'impôt de capitation.
CHAPITRE II : L'IMPOT DE
CAPITATION
I- Rappel historique : les redevances
traditionnelles
L'impôt de capitation imposé au Sine au lendemain
de l'expédition de 1859 venait se superposer à une
fiscalité qui était déjà en place avant
l'arrivée du conquérant.
Autrefois, il existait dans le royaume du Sine un certain
nombre de redevances qui entraient dans le fonctionnement des structures
sociales et de l'appareil administratif du pays Sérère. Celles-ci
étaient acquittées sans contraintes majeures car étant
partie intégrante de l'environnement socio-politique du Sine. Elles
frappaient la quasi-totalité des activités
socio-économiques et culturelles du terroir.
A la chasse, lorsqu'un éléphant était
tué, la défense qui était la plus rapprochée du sol
après la chute du pachyderme appartenait au Bour, l'autre
étant la propriété du chasseur.198(*) Cette coutume
circonstancielle était d'une importance notoire, du fait du prestige
qu'elle procurait au souverain qui pouvait échanger les défenses
d'ivoire contre des armes et de l'alcool. Mais elle n'est pas pérenne
à cause de la disparition rapide de l'éléphant dans ce
pays.
Jadis, chaque pêcheur était tenu d'envoyer
annuellement au Bour Sine et à la Linguére un
sac de poissons par pirogue. Avec l'abondance, la qualité et la
variété du poisson qu'on trouvait dans les nombreux cours d'eau
du terroir, « cette dîme obligatoire que le pêcheur
acquittait d'ailleurs sans contraintes et avec
déférence » 199(*) était fondamentale pour l'approvisionnement
de la cour royale. Elle était renforcée par les dons en menues
marchandises que les marins indigènes qui se rendaient à Fatick
faisaient au Grand Jaraf.
Une autre dîme issue des eaux était celle qui
frappait les exploitants du sel. L'exploitation des salines naturelles du Sine
était un monopole royal. Le Bour Sine la confiait à un
saax-saax de son choix. Celui-ci habitait le plus souvent les villages
de Njémou ou de Poukhane, à l'orée des tannes du Sine
occidental ou l'on trouvait les plus importantes salines du royaume
sérère. Ce « maître du sel »
réunissait la veille de la récolte tous les exploitants pour les
prévenir et le lendemain c'était la ruée
générale, chacun ramassant le maximum de sel possible. Au bout
d'une journée de travail, on faisait deux tas, l'un pour l'exploitant et
l'autre pour le Bour. Ce dernier, par l'intermédiaire du
saax-saax vendait sa part aux commerçants après avoir y
prélevé la quantité nécessaire à la vie de
la cour. Le produit de cette vente lui était intégralement
versé.
Le caractère fiscal de cette exploitation
apparaît nettement, du fait de la coercition qui en résultait.
Même si l'exploitant, en fin de journée, bénéficiait
du fruit de son travail, par l'attribution qui lui était faite d'une
part du sel, aucun habitant valide dans les villages ciblés par le
Saax-Saax n'osait se dérober le jour de la récolte.
En plus du régime des eaux, les rapports du producteur
et de la terre étaient source de redevances dans une
société aussi profondément paysanne.
Au Sine, les détenteurs de la terre ( Yaal
lang ou Yaal dakh ) étaient appelés Lamanes.
Ils étaient les vrais « maîtres de la
terre » et disposaient de droits historiques appelés
droits de feu ou droits de hache.200(*) C'est pourquoi les usufruitiers de la terre ou les
« maîtres de champs » (Yaal o qol)
devaient des redevances aux Lamanes, pour pouvoir
bénéficier des ressources des terres qui leurs étaient
attribuées. Ces redevances, qui avaient la valeur d'un taureau de deux
ans ou d'un grenier de mil étaient versées en trois
occasions : quand l'usufruitier recevait le droit d'exploitation d'un
Lamane ; ou lorsqu'un nouveau Lamane entrait en fonction
et enfin lors de la succession d'un nouveau détenteur du droit de
hache.
De même « chaque année, une
redevance symbolique renouvelait l'allégeance du maître de champ
au maître de la terre, une gerbe de mil ou un
coq. »201(*) Avec l'usage progressif de la monnaie, la redevance
pouvait se verser en argent au prorata de la surface reçue. Elle
était perçue à titre purement symbolique, car
« même en cas de non versement des redevances qui leur
étaient dues, les Yaal dakh ne pouvaient expulser les
exploitants ».202(*) Ceux-ci honoraient tout de même cette coutume
à cause de la considération qui entourait la personne du
Lamane. L'essentiel était dans le geste.
Ce caractère symbolique faisait que ces
différentes redevances coutumières n'ont jamais pesé
très lourd sur les contribuables. Elles n'avaient en rien le même
caractère coercitif de l'impôt de capitation né du
système colonial. Au contraire, elles « constituaient
naguère (...) dans l'esprit des intéressés un gage de la
stabilité de leur tenure et une participation légitime à
l'administration de leurs biens, au plan spirituel comme au plan
matériel ».203(*)
Cependant d'autres redevances plus coercitives et plus rudes
frappaient les Baadolo du Sine. Ces impôts étaient
beaucoup plus proches de l'impôt colonial, en ce sens qu'ils
constituaient un insupportable fardeau pour les contribuables. Pour faire face
aux énormes dépenses de la cour royale et pour entretenir la
masse avide qui gravitait autour de lui, le Bour Sine était
obligé de multiplier les taxes qu'il percevait sur ses
administrés.
Le poids de cette fiscalité dont étaient exempts
les « biy no maad » était
intégralement supporté par les Badolo. Ces derniers
subissaient, sans se plaindre, les exigences de leurs maîtres parce que
possédant la certitude du lendemain, « garantie par une
activité silencieuse et féconde ».204(*) Ils furent longtemps
contribuables à merci.
Outre un impôt annuel représentant le
dixième de ce qu'ils possédaient, ils versaient d'autres
redevances : pour le Lamane, le
« deck » qui était de trois Sabar
de mil ou de niébé ; pour le Bour, le
« fubbene » qui était évalué
à un Sabar (environ 20 kilogrammes ) sur 50
récoltés. C'est le Baadolo qui était le vrai
nourricier du Bour, de ses femmes, de ses ministres, de ses guerriers,
en somme tout le personnel qui pullulait au tour de l'appareil administratif.
C'est lui qui apportait à Diakhao, la capitale les sabars de
mil, les paniers de maïs ou de niébé, les tubercules de
manioc nécessaire à la nourriture de la cour royale. En outre, il
devait fournir le « sangara » (l'alcool), couper
l'herbe pour les chevaux d'une cavalerie nombreuse et subir les
réquisitions des Ceddo en tournée.
Le Bour Sine demandait parfois à une époque
déterminée de l'année, à chaque chef de
carré, « sous une forme facultative, mais que les
habitants considéraient comme obligatoires et exécutaient dans la
crainte de s'attirer quelques tracasseries »205(*) un sabar de mil (15
à 20 kg) pour ses chevaux, une natte pour sa couche, une poule pour sa
nourriture.
De cette nécessité alimentaire est née
l'obligation pour les contribuables de cultiver des champs communautaires pour
le grenier de réserve que chacun d'entre eux devait abriter pour
subvenir aux besoins exceptionnels de la couronne. Le produit de ces parcelles
cultivées annuellement par le groupement du lieu constituait un
véritable appoint pour le « Maad a
Sinig ». « Quand ce dernier venait, en effet,
à manquer de mil, les captives de ses épouses sous la conduite du
petit Farba qui était l'agent percepteur, allaient par exemple dans un
village et demandaient à chaque carré une provision de mil
qu'elles emportaient ».206(*) Aussi les masses paysannes supportaient le poids des
corvées qu'ils exécutaient sur les champs des titulaires des
commandements territoriaux : Jaraaf, Farba, Saax-Saax...
Au temps de la royauté, il existait au Sine une coutume
particulièrement impitoyable à cause des conditions de vie
précaire qu'elle engendrait pour les Badolo. Chaque
année, au mois de septembre, le Farba et ses agents percepteurs
s'abattaient sur les villages du Sine, comme une nuée de rapaces, pour
recueillir tous les fonds de greniers de la récolte de l'année
précédente avant que l'on engrange la nouvelle.207(*) Cette dîme
était, bon an mal an, régulièrement perçue.
Le Bour Sine percevait une taxe nommée
« namou » sur les cultivateurs étrangers.
Ceux-ci versaient, selon la coutume locale, un droit de culture estimé
à 20 francs au profit du Souverain. Mais cette taxe, par sa lourdeur
sera vite considérée par le pouvoir colonial comme un frein
à l'installation des saisonniers et par conséquent à
l'expansion de la culture de l'arachide. C'est pourquoi dès1896,
l'administrateur Noirot obtint du Bour Sine Mbacké Ndeb et du
Bour Saloum Sémou Djimit Diouf la réduction de cette
taxe à 6 francs pour le Sine et 5 francs pour le Saloum.
Chaque éleveur était aussi astreint au paiement
d'un impôt sur le bétail. Celui-ci était
évalué à une bête par troupeau ou le
cinquantième selon l'importance du bétail. Pour les ovins et les
caprins, il était d'une tête par carré familial. Cette
redevance n'était cependant pas fixe car pouvant augmenter à
l'occasion des cérémonies royales. A cet effet, une contribution
spéciale était demandée aux populations qui fournissaient
toutes les victuailles nécessaires pour le festin.
La fiscalité touchait également tous les
commerçants qui s'activaient dans le royaume. Cette taxe ou droit de
commerce payée au Bour était appelée
Kubbal. Cet impôt de circulation frappait tous les produits qui
entraient ou sortaient du Sine. Il était perçu par un agent
spécial appelé alcati. Son taux variait selon la valeur
des marchandises. En 1898, le kubbal était de 25 francs par
personne exerçant le colportage ; 5 francs par chameau pour tous
les chameliers achetant ou vendant des produits dans le Sine, 1 franc par
ânier et 50 centimes par kilo pour vendeur de cola.208(*) De même les
commerçants français versaient des coutumes aux souverains
Sérères moyennant l'assurance et la garantie de leur
sécurité, par la protection de leurs biens et de leurs personnes.
A partir de 1859, au lendemain du traité signé entre
Bour Sine Coumba Ndofféne et Faidherbe, cette taxe fut
réduite à 3% de la valeur des marchandises.209(*)
Le système fiscal traditionnel du Sine répondait
aux préoccupations majeures des souverains. Au temps de la
royauté, c'était un signe de prestige pour tout roi, d'avoir une
pléthore d'agents, une théorie de courtisans, beaucoup de griots,
de guerriers et de captifs. Ceux-ci contribuaient largement à
l'affermissement des régimes autoritaires que voulaient imposer les
chefs locaux. La rétribution de ce personnel passait inexorablement par
la multiplication des redevances. C'est pourquoi les dirigeants fermaient les
yeux sur les exactions et les pillages dont étaient victimes les
Badolo. Le poids de cette fiscalité finit par compromettre la
sécurité alimentaire des sujets qui étaient
dépourvus de moyens de défense pour empêcher les
déprédations des Ceddo.
II- Conception et fonctionnement de la
capitation
Etabli dans les colonies au tournant du XIXe siècle,
l'impôt de capitation fut conçu comme le moyen le plus efficace
devant permettre de trouver les ressources financières indispensables
à la mise en valeur des terres nouvellement conquises. En théorie
l'impôt est une contribution versée à l'Etat qui n'a pas
pour contre-partie un avantage particulier reçu par le contribuable. Son
but premier doit être de transférer la maîtrise des
ressources économiques des contribuables à l'Etat pour que
celui-ci les utilise directement.210(*)
Cependant, le pouvoir colonial eut une autre vision de
l'impôt. La justification de celui-ci trouvait ses racines au sein
même des grandes théories de la colonisation, se
référant au « lourd fardeau de l'homme
blanc » qui se devait d'apporter les lumières de la
civilisation occidentale chez les peuplades engouffrées dans les
ténèbres des tropiques. En effet les
« primitifs » devaient fournir une contribution
pour mieux bénéficier des bienfaits de la civilisation
européenne.
Dans les milieux coloniaux, le choix était net :
la pacification, l'accès à la
« civilisation », la protection doivent être
compensés par un tribut.211(*) Ainsi l'impôt apparaît comme
« la juste rétribution des efforts du colonisateur,
l'application normale du droit absolu d'obliger les populations noires,
auxquelles il apporte la paix et la sécurité, à contribuer
dans la mesure de leur moyen aux dépenses d'utilité
générale ».212(*)
Ce principe fut exprimé par Pinet-Laprade au lendemain
de la deuxième expédition du Sine en ces termes :
« tous les villages de la côte, depuis le Cap-Vert jusqu'au
Saloum, ont été purgés des Thiedos qui les infestaient.
Grâce à la sécurité qui en est
résultée pour les populations, l'agriculture s `est
développée et le mouvement commercial a triplé. En
compensation de ces biens et comme signe de soumission, les populations sont
soumises à un droit de capitation de 1 franc
50 ».213(*)
Aux yeux du colonisateur, l'impôt constituait un moyen
efficace d'incitation au travail, de lutte contre la paresse, le farniente, le
parasitisme, en somme un vigoureux levier susceptible de vaincre le fatalisme,
de promouvoir la responsabilité, et de prouver la soumission des
nègres à l'autorité établie. On peut distinguer
ainsi trois fonctions de la fiscalité coloniale :
-une fonction budgétaire qui avait pour but d'assurer
la couverture des dépenses publiques (c'est le sens de la loi de
finances du 13 avril 1900) ;
-une fonction économique qui a pour but
l'investissement et l'épargne ;
-et une fonction morale et sociale, car habituant les
indigènes au travail par conséquent à
l'amélioration de leurs conditions d'existence.
En réalité la fonction budgétaire est la
plus recevable car la logique coloniale s'intéressait beaucoup plus
à la mise en place des structures d'exploitation et de domination qu'au
bien-être social des populations indigènes.
Dans l'imaginaire colonial, la capitation avait pour
corollaire l'obligation de chercher des ressources pour s'en acquitter, et
par suite créer l'habitude du travail chez des peuples dont la
capacité d'action était limitée par l'indolence et
l'inertie que favorisait un milieu naturel très généreux.
214(*)
Tel était l'argumentaire utilisé par le
colonisateur pour justifier cette décision sans doute empirique au point
de vue idéologique, mais qui a été surtout dictée
par des raisons politiques par le désir de sauvegarder les
intérêts économiques de la métropole.
Celle-ci, dès les tous débuts de
l'établissement de la colonisation au Sénégal, avait
défini les rapports qui les liaient à la colonie. Cette
dernière avait le « devoir » de mobiliser
toutes les ressources indispensables au fonctionnement de l'administration
coloniale et à la mise sur pied de l'équipement nécessaire
à son développement. La colonie devait être
gérée avec le minimum de frais de la part de la
métropole et le maximum d'effort financier de la part des
colonisés.215(*)
Elle ne devait rien coûter à la métropole. Cette
assertion rejoint la question fondamentale en matière d'organisation des
finances coloniales :
« Au point de vue des finances publiques, la
colonie idéale, pour une métropole serait celle qui ne
coûterait rien au budget de l'Etat. Ce rêve on pourrait même
le pousser encore plus loin en cherchant dans les revenus du pays
colonisé, un apport aux recettes générales de la puissance
souveraine de laquelle il dépend ».216(*)
C'est en vertu de ces principes qu'un décret
impérial du 4 août 1860 promulgué le 5 août 1861
établit l'impôt personnel au Sénégal.217(*) L'article 1 de ce
décret stipule que l'impôt personnel est établi au profit
du budget local et est perçu sur chaque habitant jouissant de ses
droits.
Au Sine, ce fut au lendemain des expéditions de 1859 et
de 1861 que Bour Sine Coumba Ndoffene accepta de verser au gouverneur
Faidherbe, un impôt annuel fixé à 1franc 50 par
habitant.218(*)
Pinet-Laprade y voyait la consécration d' « un
principe sans lequel toute organisation sociale est
impossible. »219(*)
En matière fiscale, le Sine ne constituait pas un cas
isolé. Il s'inscrivait dans la logique coloniale qui se referait au
même axiome fondamental. Les colonies ne devaient rien coûter
à la France. C'est pourquoi on développa très tôt la
notion de l'autonomie financière par laquelle on faisait porter à
l'indigène le coût de sa domination et de son exploitation. Le
principe qui sous-tendait cette philosophie était simple. Il fallait
envisager des mesures pouvant amener les colonies à se suffire
elles-mêmes, de façon à pouvoir supprimer progressivement
les subventions que leur allouait la métropole. C'est dans cette logique
que s'inscrit la loi de finances du 13 avril 1900, qui allait dans le sens de
réduire les subventions allouées aux budgets locaux par l'Etat
colonial. Celui-ci ayant déjà payé trop cher pour ses
expéditions de conquête, devrait maintenant tirer profit des
fruits de son labeur, sans que cela ne lui coûte cher.
C'est suivant ce postulat que le ministre des colonies nomma,
par décision du 30 janvier 1899 une commission chargée
d'examiner les budgets locaux des colonies tant au point de vue financier,
qu'au point de vue des questions organiques qui s'y rattachent, afin d'amener
par des économies ou par un meilleur emploi des ressources locales, la
réduction des subventions de la métropole.220(*) Cette décision
répondait à des besoins économiques, mais aussi
politiques. Une certaine opinion s'était développée en
métropole et affirmait que les charges fiscales pesaient de plus en plus
lourd aux contribuables métropolitains. C'est dans le souci de dissiper
cette ambiguïté que naquit la loi de finances du 13 avril
1900.221(*)
Celle-ci, entrant en vigueur le premier janvier 1901, stipule
en son article 33 que « toutes les dépenses civiles
et de la gendarmerie sont supportées en principe par le budget des
colonies. Des subventions peuvent être accordées aux colonies sur
le budget de l'Etat. Des contingents peuvent être imposés à
chaque colonie jusqu'à concurrence du montant des dépenses
militaires qui y sont effectués ».222(*)
En théorie, cette loi consacre l'affirmation de ce
principe que « les colonies doivent participer non seulement aux
dépenses de souveraineté qu'elles occasionnent à l'Etat,
mais encore aux charges générales du pays ».
223(*)
Cet autofinancement devrait se faire pour les colonies par le
moyen de l'impôt, en se passant des subsides de la mère-patrie,
car cette dernière régnait sur son empire colonial pour
s'enrichir et non pour s'appauvrir. Il devenait ainsi légitime, aux yeux
de l'envahisseur, que chaque colonie assure elle-même toutes les
dépenses, quel que soit leur objet, sans distinguer si elles sont
d'intérêt général ou d'intérêt
local.
Cette notion d'autonomie financière ne doit pas pour
autant faire penser à une politique budgétaire uniforme. Il
existait une grande différence entre les territoires d'administration
directe et les pays de protectorat. L'organisation financière des
premiers est prise en charge par le décret du 13 décembre 1891,
par lequel les budgets sont alimentés dans une large mesure par le
produit des redevances, les impôts ou contributions que les conventions
passées avec les chefs locaux permettent de percevoir.224(*) Dans les territoires
d'administration directe, une délibération du conseil
général du 6 décembre 1879, approuvée par le
décret du 2 août 1880 supprime l'impôt personnel dans les
villes et leurs faubourgs. Il a fallu attendre jusqu'en 1905 pour que la
capitation soit rétablie dans toutes les zones en dehors des communes de
plein exercice. 225(*)
En 1904, par les décrets du 13 février et du 18
octobre, le Sénégal fut fragmenté en deux entités
administratives différentes : les territoires d'administration
directe d'une part et les pays de protectorat d'autre part. Avec ce
découpage, le Sine prit une nouvelle physionomie. Ses deux parties
stratégiques les plus importantes économiquement, les escales de
Fatick et de Joal, étaient mises sous administration directe. On y
assista, comme dans l'ensemble du Sénégal, à une
surimposition des indigènes des pays de protectorat. En théorie,
chacun de ces ensembles devait gérer ses propres ressources et se
prendre en charge lui-même. Mais la réalité fut tout autre.
Les recettes fiscales des pays de protectorat servirent d'appoint aux
territoires d'administration directe, en raison de leur insuffisance
budgétaire.
C'est seulement à partir de 1921, par application du
décret du 4 juillet de la même année que le
Sénégal posséda un budget unique.226(*) Cependant, cette mesure ne
changea guère la conception qu'on avait de la capitation. On y voyait
toujours un tribut que les vaincus devaient payer au conquérant, en lieu
et place de la paix et de la sécurité promise. Son mode de
perception confirma dans une certaine mesure cette vision.
III - De la confection des rôles au
recouvrement
A - Le recensement
La capitation ne pouvait être rentable sans que
l'administration coloniale eut une idée du nombre de contribuables
astreints au paiement de l'impôt. Le but du recensement était
précisément de fixer sur le rendement de l'impôt et d'en
faciliter la perception. Ainsi, les autorités coloniales comprirent
très vite la place importante du dénombrement de la population
dans la mise en oeuvre de leur politique. Il
constituait « l'assise solide de toute administration
sincère car, qu'il s'agisse de l'impôt, du recrutement, des
prestations (...) c'est au registre du recensement qu'il faut
recourir. »227(*)
Un recensement scrupuleux de la population était le
seul moyen pour établir des rôles fiables, en vue de donner
à l'impôt une certaine équité. En principe, un
terroir aussi exigu que le Sine ne devait pas poser des difficultés de
dénombrement démographique. Dés 1891, l'administrateur
Noirot avait réussi à fournir des données chiffrées
sur la population du Sine qu'il estima à 52.233 habitants.228(*)
La méthode adoptée par Noirot pour recenser son
cercle était la suivante : des agents recenseurs menaient leurs
opérations en présence des dignitaires qui devaient signaler tous
les groupes de cases relevant de leur autorité. Devant le nom de chaque
chef de famille, ils indiquaient le nombre d'hommes, de femmes, de
garçons, de filles et des enfants au-dessus de cinq ans qui
étaient sous sa responsabilité, ainsi que le nombre de cases dont
se compose chaque carré. Le chef de famille était tenu de
déclarer tous les parents ou alliés qui vivent dans son
groupement. Il devrait avant tout déclarer les absents en expliquant
bien si leur départ était définitif ou momentané.
L'âge de chacun était indiqué sur le registre. Tous les
ans, en fin décembre, le relevé numérique des matrices de
villages est porté sur un répertoire des registres matrices.
Ce procédé, un peu commode dans son application,
permis à Noirot d'avoir une idée relative du nombre de
contribuables dans son cercle. Cependant, il se heurta très vite
à un problème de mentalité chez les Sérères.
Ceux-ci percevaient leur dénombrement comme une source de
calamité pouvant réduire le cercle familial. Ils ne donnaient
jamais le nombre exact des individus qui constituaient la famille. Ils
faisaient recours à des périphrases
comme « bouts de bois de Dieu »
ou « noyau de pain de singe » pour
désigner les membres de leur famille.229(*)
L'administration, pour surmonter cette croyance solide de
longue durée et bien ancrée dans l'esprit du peuple
Sérère, se contenta au recensement de 1892 d'un
procédé très primitif. Celui-ci consista à la
remise par les chefs de village, en graines de fruit de baobab en une
quantité à peu prés égale à celle des
habitants de leurs villages respectifs.230(*)
Ayant compris la réticence continuelle des populations,
Noirot tenta de les intimider par des mesures un peu redoutables. Une amende de
25 francs serait infligée aux chefs de famille qui essayeraient
d'entraver ou de tromper le recensement. Cette amende pourrait être
augmentée dans de fortes proportions, s'ils cachaient des membres de
leur famille, et ceux qui seront reconnus le jour où les inspecteurs
passeront, encouraient une amende de 10 francs par personne
cachée.231(*) Par
cette méthode, on estima la population du Sine à 62.500 habitants
en 1898, repartis entre le Sine oriental (30.500) et le Sine occidental
(32.000).232(*) En 1904,
on dénombra 66.888 habitants et 101.056 en 1916. 233(*)
Maillon important de la chaîne fiscale, le recensement
était également la porte ouverte à tous les abus. Il
était souvent effectué par les chefs indigènes. Ceux-ci se
contentaient de relatives estimations, ce qui était imputable au dessein
des chefs de canton qui omettaient sciemment de fournir la liste
complète des villages de leurs circonscriptions. Ils empochaient ainsi
toutes les sommes versées par les contribuables dont les villages ne
figuraient pas sur les rôles. Les remises qu'ils touchaient poussaient
certains d'entre eux à grossir le chiffre des habitants de leur canton,
pour accroître à leur profit le gain issu du fisc.
En 1898 par exemple, par suite de nombreuses plaintes des
chefs de carré du Sine pendant la perception de l'impôt, qui
prétendaient à juste raison qu'ils payaient pour de nombreux
contribuables qui étaient morts ou qui les avaient quittés,
Georges Poulet, administrateur du cercle avait ordonné au chef
supérieur de refaire le recensement complet de toute cette
province.234(*) Une
autre difficulté d'exécution du recensement résultait de
ce que la plupart des chefs locaux étaient illettrés et
incapables de relever eux-même la liste de leurs administrés.
Constatant tous ces abus, particulièrement le
rétrécissement constant de la masse des imposables laquelle
tendait à devenir une sorte de « peau de
chagrin », le gouverneur général William Ponty
décida par circulaire du 27 août 1912 d'écarter les chefs
de province et de canton du circuit du recensement.235(*) Obnubilés par le
culte du profit personnel, ces chefs fournissaient des chiffres forts
contestables de leur population.
Désormais seuls les fonctionnaires européens
devaient procéder au recensement, car on pensait que seuls ils pouvaient
y arriver avec probité. Mais ces fonctionnaires payés pour leur
tâche, n'étaient pas plus scrupuleux que les chefs
indigènes. Tantôt ils se bornaient à donner le nombre de
cases qu'ils multipliaient d'office par un coefficient donné
représentant l'effectif moyen supposé d'une famille. Tantôt
ils relevaient les noms des chefs de carrés seulement, les personnes
composant ce groupement faisant l'objet d'une estimation purement lacunaire.
Ils appliquaient ainsi des règles de probabilité.
Il fallait donc faire intervenir des agents nouveaux :
les secrétaires recenseurs qui étaient les intermédiaires
entre l'administration et les chefs indigènes. Ils étaient
recrutés parmi les anciens élèves, les sous-officiers
sachant lire et écrire le français. Ils adoptèrent un
autre mode de dénombrement. Chaque année, au mois de
décembre et ceci à partir de 1932, tous les chefs de
carrés avertis à l'avance par leur chef de village se
réunissaient le jour fixé au chef-lieu de canton pour livrer aux
recenseurs le nom de chacun des membres de famille, son âge et le nombre
de têtes de bétail dont il dispose.
De numérique, le recensement devient nominatif. Ce
dernier procédé était le seul moyen pouvant supputer les
énergies humaines et les ressources matérielles dont disposaient
les contribuables. Il permit d'indiquer parmi les données
immédiatement utilisables par l'administration coloniale, l'âge
des individus : âge militaire et âge fiscale.
Le recensement était un instrument établi pour
contrôler le nombre des imposables, « une sorte de filet de
pêche pour mieux ramasser l'impôt ».236(*) Pour donner une
meilleure garantie d'exactitude au recensement, une collaboration
sincère et effective entre les chefs locaux et l'administration
coloniale était nécessaire. De même les opérations
devaient être faites avec probité et révisées toutes
les fois que l'occasion se présentait. Elles devaient tenir compte des
moindres modifications qui se produisaient depuis les recensements
antérieurs. Mais la malhonnêteté des chefs indigènes
et l'hypocrisie des autorités coloniales constituaient un frein à
cet idéal. Et pourtant c'était le préalable pour
l'établissement juste et équitable de l'assiette et du taux de
l'impôt.
B - Assiette et taux de l'impôt personnel
Le décret du 4 août 1860 portant
établissement de l'impôt personnel au Sénégal,
stipule dans son article 1 que cet impôt est établi au profit du
budget local et est perçu sur chaque habitant jouissant de ses droits et
non réputé indigent.
Etaient considérés comme jouissant de leurs
droits les veuves et les femmes séparées de leur mari, les
garçons et les filles majeurs ou mineurs ayant des moyens d'existence,
soit par leur fortune personnel soit par la profession qu'ils exercent. Les
indigents étaient ceux qui, indépendamment du défaut de
ressources personnelles, se trouvent par leur âge ou par leur
infirmité, dans l'impossibilité de se livrer au travail.
L'arrêté du 9 août 1861 fixe la
contribution personnelle à trois journées de travail dont chacune
est évaluée à 1franc pour la ville de Saint-Louis et ses
faubourgs de même que pour Gorée et à 0 franc 50 pour
toutes les autres localités. Cette taxe devait être
acquittée en argent sauf à Saint-Louis et à Gorée
où il était possible de l'effectuer en journées de
travail.237(*)
Au départ très modeste, le taux de la capitation
variait d'une année à l'autre suivant les caprices de
l'administration coloniale. En 1890, il était de 1 franc 50 dans les
territoires d'administration directe. Il est porté à 3 francs
dans les pays de protectorat en 1899 pou passer à 4 francs dans les
provinces du Sine et du Saloum, en alors qu'il était de 3 francs dans
le Niani et le Cercle de Podor.
A la veille de la Grande Guerre, les contribuables du Sine
eurent à payer 5 francs de capitation. Le taux était moins
élevé ailleurs : 4 francs dans le cercle de Dagana, 3,50
francs dans le Wouli.238(*) Il était majoré pendant les deux
guerres mondiales.
Nonobstant l'appui humain et matériel fourni par les
colonies, la métropole demanda aux peuples indigènes qui
étaient sous son joug un effort supplémentaire. Ainsi en 1917, le
taux de l'impôt personnel augmentait de 40%. Il était
acquitté en nature.239(*) En 1943-1944, une contribution exceptionnelle de
guerre fut demandée aux indigènes des colonies pour mieux faire
face au torrent dévastateur que constituait l'Allemagne Nazie. Elle
était de 10francs de plus par contribuable.
Les administrateurs trouvaient toujours des prétextes
qui, disaient-ils, répondaient aux impératifs économiques
des colonies pour justifier la majoration du taux de capitation. En 1927, ce
taux avait connu une majoration vertigineuse. Les populations du Sine furent
astreintes à payer 5 francs de plus. Ceci faisait suite à
l'institution d'une taxe dite « taxe civique ».
Son taux était de 5 francs au Sine-Saloum, 3 francs dans les communes de
plein exercice, communes mixtes et escales, 2 francs dans les cercles de
Dagana, Podor, Matam, Bakel, ainsi que dans la banlieue de
Saint-Louis.240(*) Cette
nouvelle taxe était justifiée par Camille Maillet
Lieutenant-Gouverneur par intérim du Sénégal, comme
étant le moyen le plus sûr et le plus rapide pour aider à
la réalisation des grands travaux entrepris dans les différents
cercles de la colonie.241(*) Au Sine-Saloum, ces travaux consistaient à
l'aménagement du port de Kaolack et à la réfection du pont
Noirot. Pour Maillet, cette taxe répondait « au principe
de relever les ressources de la colonie au moment où elle traverse une
période de prospérité exceptionnelle, de façon
à parer aux rendements déficitaires ou aux méventes que
pourraient subir plus tard les récoltes de la
colonie ».242(*)
Cette augmentation du taux de l'impôt personnel
était une très lourde charge pour les cultivateurs qui payaient
déjà 15 francs au moment où l'arachide était
achetée à 130 francs le quintal. L'impôt au taux de 15
francs était déjà un fardeau, l'impôt à 20
francs par personne devenait prohibitif et confiscatoire. C'est pourquoi le
président de la Chambre de Commerce de Kaolack s'y opposa. Il
émit le voeu que la mise en valeur des colonies soit poursuivie
méthodiquement avec les ressources actuelles et dans aucun cas il ne
soit créé de nouveaux impôts.243(*) Il adressa cette diatribe au
gouverneur Camille Maillet : « Vous entamez une lutte
contre la mortalité infantile et vous allez obliger le noir
à mourir de faim, à se nourrir de racines et à bouillir
des feuilles d'arbres ».244(*)
Considéré comme le poumon arachidière de
la colonie du Sénégal, le Sine-Saloum faisait partie des cercles
où le taux de l'impôt était des plus élevés.
Dans ce cercle, l'abondance des récoltes et l'activité
commerciale ont depuis longtemps créé un état
économique des plus prospères. Dans les autres cercles plus
exposés aux longues sécheresses, aux invasions acridiennes,
dépourvus de voies de communication, un régime d'exception y
était pratiqué et toute augmentation de l'impôt devenait
fatale aux populations. Ce taux dépendait largement des caprices de
l'administration coloniale et de ses soi-disant impératifs
budgétaires. Son évolution était fulgurante. Comme du
reste l'illustre le tableau suivant :
Tableau n°5 : Evolution du taux de
l'impôt au Sine-Saloum : comparaison avec la moyenne du
Sénégal.
Années
|
Taux de l'impôt au Sine-Saloum
|
Taux de l'impôt au Sénégal
|
1914
|
5 francs
|
3,5 à 5 francs
|
1920
|
10 francs
|
4 à 10 francs
|
1926
|
15 francs
|
8 à 15 francs
|
1932
|
19 francs
|
10 à 19 francs
|
1933
|
18 francs
|
9 à 18 francs
|
1934
|
18 francs
|
9 à 18 francs
|
1935
|
18 francs
|
9 à 18 francs
|
1936
|
23 francs
|
10 à 23 francs
|
Source : A.N.S. 6T24(26) : impôt
personnel et autres impôts, 1937.
Il ressort de tableau que le plafond fiscal est toujours
atteint au Sine-Saloum. Le taux élevé de l'impôt dans ce
cercle était dû aux conceptions économiques du
colonisateur. Ce dernier considérait que le Sine, pourvu d'un milieu
naturel très propice aux cultures de rente, particulièrement
à l'arachide et les facilités de son évacuation, pouvait
sans grande difficulté se procurer du numéraire pour s'acquitter
du fisc.
Le goût de l'équité ne tentait
guère le colonisateur lors de l'élaboration de l'assiette de
l'impôt. De grandes différences existaient à ce sujet au
sein de la colonie. L'assiette de l'impôt était établie
sans tenir compte de l'origine sociale de personnes, mais seulement du lieu
qu'elles habitaient. Elle était
établie « racione loci » c'est
à dire selon le lieu de résidence du
contribuable.245(*) Le taux n'était pas uniforme. En territoire
d'administration directe, l'impôt était dû par toute
personne jouissant de ses droits et âgée de 12 ans au moins. Cette
formule est celle du décret du 4 août 1860. elle exonérait
de l'impôt les femmes mariées et les enfants de moins 12 ans
à moins qu'ils aient des moyens d'existence indépendante de ceux
du chef de famille. Dans les pays de protectorat par contre, tous les
indigènes, autres que les enfants de moins de 8 ans étaient
soumis à l'impôt. Ainsi les charges d'une même famille
étaient plus ou moins étendues suivant qu `elle
résidait en pays d'administration direct ou en pays de protectorat.
Cette dualité faisait apparaître des
différences dans le mode d'établissement de l'assiette. Alors que
celle des territoires d'administration directe était
nécessairement soumise à la délibération et au vote
du conseil général, un simple arrêté suffisait pour
déterminer l'assiette en pays de protectorat. Une pareille
discrimination ainsi appliquée n'était pas justifiable. La
dualité dans le mode d'établissement de l'assiette serait
parfaitement logique si elle était basée sur des
considérations sociales, si elle était
établie « ratione personae », c'est
à dire selon les capacités contributives de chaque individu. Mais
les rôles étaient établis en fonction du lieu de
résidence. Ils étaient nominatifs pour les indigènes
citoyens et numériques pour les indigènes sujets. Ils
étaient dressés annuellement sur la base des résultats du
recensement, par le soin du commandant de cercle. Sur chaque rôle
étaient indiqués :
- Le nom du canton, du village et ceux de leurs chefs avec
mention du nombre de contribuables ;
- Le taux de l'impôt pour l'année en
cours ;
- La somme totale de l'impôt à
percevoir ;
- La part revenant au chef et à l'agent chargé
du recouvrement et le montant devant retourner au budget.246(*)
Ces rôles, établis sur la base de recensements
exagérés ou tronqués suivant les ambitions
malhonnêtes des chefs locaux et l'hypocrisie de l'administration
coloniale, étaient appliqués sans qu'aucune enquête
sérieuse ne soit menée au préalable sur la nature et
l'importance de la fortune de chaque contribuable.
L'arrêté du premier décembre 1916
approuvé le 17 février 1917, fixant le mode d'assiette en pays de
protectorat stipulait que « le taux de l'impôt varie
suivant le canton, la province ou le cercle d'après leur
degré de développement économique et
social ».247(*) De cet arrêté apparaît une
remarque importante : l'individu n'était pas pris en compte comme
unité imposable, mais il était intégré dans sa
sphère administrative (canton, province ou cercle). Par ce
procédé, l'administration fit table rase sur la capacité
contributive intrinsèque de chaque contribuable. Les autorités
coloniales estimèrent que le taux de l'impôt était bien
établi et assez équitable parce que « chez les
primitifs les grandes inégalités de fortunes sont
rares ».248(*)
Le souci d'équité et de justice n'animait
guère l'administration coloniale. En matière fiscale, elle
n'écoutait pas la voix de la logique mais plutôt celle de ses
soi-disant impératifs budgétaires. L'égalité
fiscale pour les indigènes ne devrait pas consister à contribuer
aux charges publiques par une somme identique par canton, province ou cercle,
mais à être soumis aux mêmes impôts suivant la
capacité contributive de chacun. La même logique devait
déterminer les critères d'exemption à l'impôt de
capitation.
L'article 7 du décret du 5 août 1861
définit les critères d'exemption. En plus des personnes
réputées indigentes, on exempta de l'impôt :
1°- les officiers de troupes ;
2°- les gendarmes et sous-officiers de
gendarmerie ;
3°- les marins et ouvriers de l'inscription
maritime ;
4°- les sapeurs-pompiers.249(*)
L'arrêté du premier décembre 1916 ajoute
aux exemptés les femmes et les enfants des gardes de cercle et des
tirailleurs.250(*)
La délibération du conseil colonial du 19
novembre 1921 approuvée le 27 décembre 1921 exonère de
l'impôt, les gardes-frontières, les gardes-cercles, les agents de
police, les élèves de toutes écoles confondues, les veuves
et les orphelins de guerre.251(*) En 1937, le Gouverneur général Coppet
introduit dans la réglementation de l'impôt indigène et de
l'impôt européen les dispositions suivantes : les
exonérations touchaient désormais :
1°- les tirailleurs, soldats, caporaux de toutes armes et
de tous corps y compris la marine, leurs femmes et leurs enfants pendant la
durée de leur présence sous les drapeaux ;
2°- les indigents conformément aux dispositions du
décret du 4 août 1860 ;
3°- les enfants au-dessous de quatorze ans à
l'exception de ceux pubères et mariés ;
4°- les élèves des écoles ayant
l'âge scolaire réglementaire et effectivement inscrits dans les
établissements d'enseignement ;
5°- les anciens militaires pensionnés de
guerre ;
6°- les accidentés de travail dont
l'incapacité est absolue et permanente ;
7°- les personnes qui étaient à la charge
d'un contribuable décédé à la suite d'un accident
de travail ;
8°-les contribuables malades qui sont minus d'une fiche
médicale réglementaire constatant qu'ils suivent le traitement
contre la maladie du sommeil.252(*)
Cette nouvelle réglementation fait apparaître une
remarque importante. Les principaux concernés par les exemptions
étaient les hommes de troupes, les élèves et les malades
suivant un « traitement normal. » Elles
n'étaient pas guidées par une quelconque philanthropie allant
dans le sens d'alléger le fardeau de la fiscalité. Elles
étaient plutôt dictées par une politique d'incitation au
service militaire, d'encouragement à la scolarité des enfants
indigènes et de promotion de la médecine dite moderne. Les vrais
misérables n'échappaient pas à l'impôt.
C - Le recouvrement
Le taux et l'assiette de l'impôt personnel étant
fixés, il s'agissait, pour l'administration coloniale, de
procéder à son recouvrement. C'était une étape
importante dans la mise en place des recettes budgétaires de la colonie.
Les rôles rendus dûment exutoires étaient remis aux
trésoriers avant le 15 décembre. Ceux relatifs aux banlieues de
Saint-Louis et de Gorée et des villages de l'intérieur,
étaient remis au directeur des affaires indigènes chargé
d'en faire opérer le recouvrement.253(*) Une fois les rôles établis, les
contribuables étaient avertis d'avance par voie d'affiche ou au son du
tam-tam. L'impôt était payable dans les trente jours qui suivent
la publication des rôles.
Cette tâche était effectuée par les chefs
de canton et de province. L'arrêté du 15 mai 1906 stipule que la
perception du montant des rôles de l'impôt personnel sera faite par
les chefs de banlieue dans les territoires d'administration, et par les chefs
de provinces ou des villages situés dans les cercles, à l'aide de
tickets qui seront remis annuellement, lors du paiement de l'impôt,
à chacun des contribuables. La quantité de tickets à
remettre aux chefs de banlieues et de villages devant correspondre exactement
au nombre de contribuables inscrits aux rôles. Lorsque ces chefs ne
verseront pas le montant intégral de l'impôt résultant des
rôles, ils devront présenter la différence en tickets, sous
peine d'en être rendus pécuniairement responsables.254(*) Cependant, la
malhonnêteté de ces chefs poussa très vite l'administration
coloniale à prendre des mesures allant dans le but de les écarter
du circuit de l'impôt. C'est le sens même de l'arrêté
du 27 août 1913 du gouverneur général William Ponty au
sujet du rôle des chefs indigènes dans l'administration des
cercles du Sénégal. Une nouvelle formule fut adoptée.
Après que les rôles d'impôt, établis sur la base du
recensement auront été approuvés en conseil
d'administration, les commandants de cercles réuniront aux chefs-lieux,
les chefs de tous les villages de leur circonscription. Chefs de canton et
chefs de province assisteront à cette réunion. A chaque chef de
village et devant tous, les administrateurs indiqueront le montant inscrit au
rôle que le village devrait acquitter et fixera l'époque du
versement.255(*)
Ainsi l'impôt était perçu à la
diligence des chefs de village, sous la direction immédiate et le
contrôle vigilent des commandants de cercles ou des fonctionnaires
européens placés sous leurs ordres. Les chefs de villages
opéraient les versements sans aucune immixtion des chefs de canton ou de
province qui, en aucune occasion ne devaient plus manier les deniers de
l'impôt. Cette méthode est celle utilisée jusqu'en 1937. La
modicité du personnel européen avait abouti à une
nécessité de confier le recensement à des agents
indigènes. La perception et le versement de l'impôt par les chefs
locaux répondaient, de ce point de vue, aux mêmes
impératifs.
Toutefois, dans les localités et les villages
éloignés du chef-lieu de cercle ou de subdivision, le soin de
percevoir l'impôt était confié, par décision du
lieutenant-gouverneur prise sur la proposition du commandant de cercle,
à des fonctionnaires d'autorité en service dans le cercle. Ces
agents munis d'une copie de rôle constatent les versements sur les cartes
fiscales établis par famille et délivrent aux chefs de villages
des quittances extraites d'un carnet à souche fourni par le
Trésor. Les sommes ainsi encaissées sont ensuite versées
au préposé du Trésor ou à l'agent spécial
qui émarge le rôle et délivre la quittance
libératoire au fonctionnaire qui a opéré le recouvrement
pour le montant des sommes versées. Chaque année, des cartes
fiscales étaient remises aux chefs de famille. Tous les versements
effectués par les chefs de famille en l'acquit de l'impôt
personnel dont ils sont redevables sont constatés sur chaque carte
fiscale. Ces mesures dispensaient les chefs de canton qui ne remplissait pas
cumulativement les fonctions de chefs de villages de la manipulation des
deniers de la capitation.
La rentrée de l'impôt n'était pas toujours
régulière. Elle dépendait le plus souvent des
récoltes et du prix de l'arachide. Pour l'exercice 1897, la province du
Sine avait versé la totalité de son impôt. La situation de
cette province a été la suivante pour l'année
1899 :
Tableau n°6 : Situation de la perception
de l'impôt en 1899.
Impôt prévu
|
132.900
|
Impôt perçu en 1898 de novembre en
février
|
70.159,50
|
Impôt perçu en 1899 entre janvier et
février
|
240
|
Retard en fin février 1899
|
62.500,50
|
Source : A.N.S.11D1/1113 :
Cercle du Sine-Saloum, note pour le directeur des affaires
indigènes, 25 mars 1899.
Ainsi, en 1897, la province du Sine a produit 66.000 francs
avec l'impôt de capitation de 2 francs, tandis qu'elle n'a obtenu que
70.159,50 francs en 1898 alors que l'impôt était porté
à 3 francs par tête. Ce déficit était dû au
non-versement de la somme qui figurait aux recettes du budget
supplémentaire de 1898 pour quote-part des provinces du Sine et du
Saloum, dans les dépenses d'administration et de
contrôle.256(*)
Pour éviter cette situation déplorable qui menaçait
l'équilibre budgétaire de cette région, l'administration
proposa de supprimer les comptes spéciaux des provinces et de diminuer
la part d'impôt revenant aux chefs.
En 1900, les cantons du Sine oriental s'étaient bien
acquittés du fisc. Quant au Sine occidental à part les cantons de
Ngayokhème et de Diohine, l'impôt n'était pas bien
acquitté. Le Sine a versé une première fois 135.000
francs, une deuxième fois 45.002 francs, soit en tous 180.002 francs. Il
restait à payer environ 45.000 francs d'arriérés. La
difficulté pour les habitants de trouver le numéraire, dû
aux maigres rendements était la principale cause du retard.257(*) En 1922-1923 par contre, les
conditions satisfaisantes dans lesquelles s'étaient effectuées
les opérations de la traite des arachides avaient facilité la
rentrée de l'impôt personnel parce que les populations disposaient
du numéraire nécessaire pour s'en acquitter.258(*)
Pour mieux récolter les fruits de la capitation,
l'administration coloniale avait adopté une véritable politique
d'intéressement, pour stimuler le zèle des agents percepteurs.
Elle décide que ceux-ci percevraient une ristourne sur le montant de
l'impôt. Cette remise fut évaluée au départ à
0 franc 50 par tête sur les 1 franc 50 imposés aux seuls sujets
français. Lorsque le taux de la capitation fut porté à 2
francs de 1896 à 1901, elle avait été fixée
à 0 franc 75, avant d'être ramenée à 5 % du montant
de l'impôt. Jusqu'en 1934, les remises étaient
généralement prévues aussi bien en faveur des chefs de
village qu'en celui des chefs de canton. Or, comme l'a rappelé la
circulaire n° 77 AP/2 du 26 février 1934, « seuls les
chefs de villages sont collecteurs d'impôt et doivent à ce titre,
percevoir des remises qui constituent d'ailleurs officiellement leur unique
rémunération. »259(*) Les chefs de canton eux, et bien qu'il entrait dans
leurs attributions de contrôler les chefs de villages dans
l'accomplissement de leur tâche, n'étaient plus admis à
manipuler les deniers de l'impôt (sauf s'ils cumulaient deux fonctions).
Ils ne percevaient plus des remises d'impôt proprement dites. Par contre,
il leur était alloué une solde jugée suffisamment descente
pour leur assurer un train de vie descente. En 1926, chacun des chefs de canton
du Sine avait une solde de 6.000 francs.260(*)
En outre, toujours dans le but de stimuler le zèle des
chefs locaux, l'administration prévoyait qu'une prime de rendement leur
pouvait être attribuée en fonction des services rendus. En 1903,
Lefilliatre commandant de cercle du Sine-Saloum décida de décorer
Coumba Ndofféne Fa Ndeb Diouf, chef supérieur du Sine d'une
médaille d'or de première classe, pour ses services rendus en
1898 « époque à la quelle il garantit
l'impôt non entré de 150.000 francs, impôt qu'il paya
d'ailleurs intégralement en 1899 ».261(*) La même proposition
fut faite en 1904 pour Mbagne Ndiougour Séne grand Jaraf du
Sine pour son dévouement à la cause coloniale.
Cependant, ces mesures n'ont pu empêcher que certains
chefs obnubilés par le culte du profit détournassent
l'impôt pour leur gain personnel. Ce fut le cas pour Laïty Diouf en
1897. Cet ancien spahi que l'administration avait tenu à
récompenser de ses services, en le nommant à la tête du
Canton de Joal n'avait pas répondu à sa confiance.
Illettré, Laïty Diouf s'était entendu avec un certain
Benoît, noir originaire de Gorée et ancien employé de
commerce vivant avec sa famille à Joal pour lui tenir, moyennant une
légère rétribution, sa correspondance. Mais en
matière d'impôt, il s'était abstenu de se servir de son
concours en vue de la délivrance aux indigènes soit de
reçus des sommes versées, soit de bons ad hoc que lui
délivrait l'administration. En 1896, l'impôt versé par les
chefs de village du Canton de Joal se structurait comme suit :
Tableau n°7 : Situation de la
rentrée de l'impôt dans le canton de Joal pour l'année
1896.
Villages
|
Impôt versé
|
Diong Sérère
|
240 francs
|
Mbodiéne 1
|
142,50 francs
|
Fadiouth
|
1.016 francs
|
Palmarin
|
850 francs
|
Fadial
|
204 francs
|
Lewna
|
180 francs
|
Velingara
|
96,50 francs
|
Papamane
|
75 francs
|
Ndoffane
|
445 francs
|
Mbodiéne 2
|
165 francs
|
Ngazobil
|
30 francs
|
Source : A.N.S. 13G52 : Chefs
indigènes : bulletin individuel de notes fin XIXe siècle.
Dossier Laïty Diouf.
Pour l'exercice 1897, les sommes versées étaient
les suivantes :
Tableau n°8 : Situation de la
rentrée de l'impôt dans le canton de Joal pour l'année
1897.
Villages
|
Sommes
|
Ndiarone
|
405 francs
|
Fadial
|
161 francs
|
Vélingara
|
122 francs
|
Ndianda
|
152 francs
|
Papamane
|
128,50 francs
|
Ndoffane
|
918 francs
|
Mbodiéne
|
198,50 francs
|
Total : 2085 francs
|
Source : A.N.S. 13G52 : Idem.
Ces différents paiements forment une somme totale de
5.903 francs. Or Laïty Diouf en retard dans l'accomplissement de sa
tâche, n'avait effectué au titre de l'exercice 1896 que deux
versements : l'un de 1.325 francs, le 28 février 1897 et l'autre de
216 francs, le premier mai 1897. La différence accusée entre les
recettes effectuées et les remises faites se traduisait par une somme de
4.361.
Ce chef indigène s'était servi de l'argent de
l'impôt pour ses propres besoins. En 1894, il versait 3.896 francs. Ce
versement avait périclité jusqu'à 3.176,50 francs alors
que le taux de l'impôt avait augmenté. Il sera
révoqué de ses fonctions le 29 juin 1897.
Les exemples de ces détournements peuvent être
multipliés. En 1898, Madiouf Diouf, chef du canton de Fatick, est
limogé pour la même cause, sur la demande du commandant de cercle
Alsace.262(*) Les
détournements d'impôt étaient nombreux dans la province du
Sine, comme partout ailleurs dans les autres cercles. Cet état de fait
était dû, dans une certaine mesure, au nouvel ordre qui
était imposé aux chefs locaux. Avant la conquête, ils
percevaient sur leurs sujets des impôts de toute sorte (naamo,
koubeul, droit de culture...) et recevaient des cadeaux des
commerçants. Les butins de guerre, les successions vacantes, les
contributions exceptionnelles constituaient autant de sources
d'approvisionnement de la cour royale et permettaient aux chefs de maintenir
leur prestige. L'ordre colonial supprime tous ces privilèges et condamne
les chefs à vivre avec des revenus fixes. Ils ne perçoivent plus
de coutumes, de redevances, de taxes ou de revenus de justice. Ils sont
contraints désormais de se contenter de leur salaire et de la ristourne
sur l'impôt de capitation. Ce qui était largement insuffisant pour
leur permettre de tenir leur rang. Ainsi à chaque fois que l'occasion se
présentait, les malhonnêtes n'hésitaient pas à
utiliser les deniers de l'impôt pour leur propre compte.
IV- La taxe sur le bétail
En dehors de l'impôt de capitation, les indigènes
étaient astreints au paiement d'une taxe sur leur bétail.
« Seule la volaille n'était pas imposée au
Sine », nous dit Niokhor Diouf.263(*) L'administration coloniale
considérait que le bétail, générateur de ressources
pour les contribuables devait pour autant faire l'objet d'un impôt
spécial. Au Sénégal cette nouvelle contribution fut
instituée par l'arrêté du 14 mars 1915, approuvé le
14 août 1915.264(*)
Pour la perception de cette taxe, les rôles
étaient établis d'après les déclarations des
éleveurs. Les chefs locaux étaient chargés de
procéder au recensement des bêtes. Ils envoyaient des
émissaires, la nuit pour aller compter les bêtes dans les
étables. Ces dénombrements ouvraient la porte à toutes
sortes d'injustices. Les chefs n'hésitaient pas à surestimer les
troupeaux de leurs ennemis et à sous-estimer ceux de leurs parents et
alliés. Diégdiame Diouf nous apprend que pour échapper
à ces procédés iniques, il n'était pas rare de voir
une famille dont le bétail était important, de diviser son
troupeau en deux parties, chaque fois qu'elle soupçonnait l'imminence
d'un recensement. L'une restait à l'étable, l'autre étant
cachée dans une clairière, jusqu'à la fin du
dénombrement.265(*) Par ce procédé, on estima en 1932 le
cheptel du Sine à 153 chameaux, 3.972 chevaux, 4.993 ânes, 108
boeufs porteurs, 30.958 boeufs et vaches et 28.781 moutons et
chèvres.266(*)
Cependant, on peut dire de cette taxe qu'elle n'était
jamais en corrélation exacte avec le cheptel existant, soit que celui-ci
par suite d'épizootie soit inférieur à celui
recensé, soit, et c'est le cas le plus fréquent qu'au contraire
par suite de dissimulation, il soit bien supérieur aux chiffres du
recensement.
Le taux de cette taxe était en 1916 de 3 francs par
boeuf, 0 franc 25 par mouton et chèvre, 20 francs pour les ânes et
100 francs pour les chameaux.267(*) En 1921, ce taux était de 2 francs pour les
boeufs, de 1 franc pour les moutons et chèvres, 5 francs par âne,
2 francs par cheval et 15 francs par chameau.268(*) En 1932, la taxe sur le bétail
s'élevait ainsi : chameau : 45 francs ; cheval : 10
francs ; âne et boeuf porteur : 9 francs ; boeuf,
vache et taureau : 3 francs ; mouton et chèvre : 0 franc
5 ; porc : 2 francs 50.269(*) En observant le taux de cette taxe une remarque
s'impose : les bêtes les plus taxées étaient les
chameaux, les chevaux, les ânes et les boeufs porteurs, animaux de luxe
et de transport générateur de revenu pour leur
propriétaire.
Cet impôt avait généré dans la
subdivision du Sine 204.125 francs en 1934 et 192.470 francs en 1935.270(*) Le chef de la subdivision,
auquel des explications furent demandées sur l'écart existant
entre les montants de 1934 et 1935, avait prétendu que les recensements
précédents avaient été exagérément
gonflés, alors que le dernier recensement (hivernage 1935) avait fourni
les bons chiffres.271(*)
L'administration coloniale avait manqué
d'équité en appliquant cette taxe sur l'ensemble des
éleveurs. L'impôt personnel étant, en
général, basé sur l'ensemble des ressources
supposées (dont les troupeaux) du groupement indigène
intéressé, c'était donc, taxer deux fois le même
élément que de frapper le bétail. Monsieur Angoulvant
justifia l'institution de cette taxe par le fait que dans certaines
régions le taux de l'impôt personnel paraissait tellement modique
en comparaison de l'importance des troupeaux qu'il semblait bien que ceux-ci
n'intervenaient pas dans la fixation de son quantum.272(*)
Mais cette taxe, pour être justifiable, ne devrait viser
que les groupements nomades ou pasteurs, surtout les peuls pour lesquels le
bétail constituait l'unique ou la principale richesse. Son application
aux populations agriculteurs sédentaires, entretenant de faibles
troupeaux (par rapport aux peuls) risquait de détourner ces derniers de
l'élevage. Elle exigeait en effet des recensements fréquents,
toujours très difficile à effectuer surtout dans les
régions d'élevage intensif où les pasteurs pratiquaient la
transhumance. Les populations nomades acquittaient le zekkat,
impôt coranique dont l'assiette variait chaque année en fonction
de la valeur réelle du bétail.
Précisons qu'au Sine, les Sérères furent
de grands éleveurs. Ils associaient élevage et agriculture ;
le bétail participant à la fertilisation des terres. Cependant la
grande majorité des bovins fut en la possession des peuls qui
considéraient le bétail comme un élément de
richesse inaliénable et non comme un produit commercial. Par leurs
multiples déplacements, les peuls échappaient souvent à
leurs obligations fiscales. Appliquée au cheptel toujours croissant,
une taxe de ce genre, devenant de plus en plus lourde, constituait une
sérieuse entrave au développement de l'élevage. Pour y
échapper, les peuls du Sine, sur qui cette taxe pesait lourdement
préféraient migrer vers la Gambie anglaise.273(*)
Pour pallier à toutes ces difficultés,
l'administration coloniale réorienta sa politique en matière de
taxe sur le bétail, pour une augmentation et une revalorisation du
cheptel par la diminution ou la suppression des droits le grevant. Ainsi, le
conseil colonial, dans sa séance du 17 juin 1935 adopta un projet de
délibération portant suppression de la taxe sur le bétail
à compter du premier janvier 1936. Auparavant, les conseils de
notables, consultés sur cette question dans le courant de l'année
1934, s'étaient pour la majorité, prononcés en faveur de
cette mesure qui doit avoir pour contre partie, un relèvement du taux de
la contribution personnelle. Ce relèvement était destiné
à compenser la diminution des recettes budgétaires
provoquée par la suppression de la taxe sur le bétail. Son taux
était de 2,50 francs en 1935. Au Sine-Saloum, le produit total de la
taxe sur le bétail s'est élevé à 467.640 francs 50.
L'augmentation compensatrice de 2 francs 50 a rapporté 685.290 francs,
soit une plus-value pour le budget local de 217.649 francs 50. A partir de 1936
donc, le bétail n'était plus imposé dans la colonie du
Sénégal. Mais ce n'était là qu'une politique de
remplacement et non de suppression.
TROISIEME PARTIE : TRAVAIL FORCE
ET MALVERSATIONS FISCALES
CHAPITRE I : LES PRESTATIONS
I : Principes et fonctionnement
Après la conquête, l'autorité coloniale,
partout en Afrique, va se trouver aux prises avec le problème majeur de
la mise en valeur des pays conquis. Elle esquissa au lendemain de l'occupation
un ambitieux programme de grands travaux qui va faire, assez vite,
apparaître les limites des moyens matériels et humains dans une
Afrique Noire déjà endeuillée pendant des siècles
par la traite, les guerres intestines, les famines et bousculée enfin
par l'ordre colonial.
Ainsi, pour remédier à ce manque de moyens
matériels et humains nécessaire au développement du
commerce, de l'agriculture et l'industrie ; pour mieux exploiter les
richesses latentes du sol et du sous-sol, en somme pour mettre sur pied les
instruments d'exploitation et de domination, l'administration coloniale trouva
un moyen inconvenant qu'elle imposa aux peuples qui étaient sous son
joug : le travail par contrainte.
Les arguments de ce procédé reposaient sur une
soi-disant nécessité. Il était inadmissible pour le
colonisateur d'envisager la mise en valeur des colonies sans
l'indigène : « pour l'indigène donc, avec
l'indigène sans doute, mais aussi par
l'indigène. »274(*) Cette forme de travail avait été mise
au point pour trouver une solution à l'épineux problème de
la main-d'oeuvre nécessaire à la mise en valeur de la colonie
pour l'occupant, notamment à celui de la construction et de l'entretien
des infrastructures de communications, vitales pour la prospérité
du commerce.
Dans l'esprit du pouvoir colonial, l'objectif était
défini au départ. Il s'agissait de « Contraindre
par la force du droit et la rigueur de la répression en cas de refus,
l'indigène sujet français, à mettre sa force de travail
contre sa volonté, au service d'une activité, semble t-il
d'intérêt général (...) » 275(*) Pour Mercier,
« son but immédiat est d'amener les indigènes
contre leur gré, mais aussi dans leurs intérêts bien
compris en même temps que dans celui de la colonie et de la
puissance colonisatrice, à fournir l'effort nécessaire pour
l'exécution des travaux d'intérêt
général. »276(*) En outre, pour donner une justification
idéologique à cette forme de travail moralement condamnable, on
utilisa de vieux clichés bien connus par l'autorité coloniale,
à chaque fois qu'elle cherchait à diaboliser les peuples sous
domination. Ainsi, on invoqua « une apathie, une paresse
innée, d'autre part une nature très
généreuse »277(*) qui prédestinent les nègres au
farniente, à une vie ralentie par la douce flânerie au seuil des
cases ou à l'ombre des grands arbres, et qui les empêchent de se
livrer, de leur propre gré, à un travail régulier.
Au delà des conditions naturelles fort avantageuses,
l'indigène trouvait dans l'étroite solidarité sociale un
moyen pour mener une vie de paresse et d'indolence. Son existence
n'était guère hantée par l'angoisse de lendemains
calamiteux car, il pouvait espérer trouver chez les siens les moyens de
subvenir à ses besoins élémentaires. Cette
passivité des indigènes constituait un obstacle sérieux
à la mise en valeur coloniale. Pour y remédier et
« modifier la mentalité primitive de l'indigène,
faire rayonner au sein de la brousse millénaire l'influence de
ses méthodes et de sa science, y infuser la vie, le bien-être et
la civilisation »278(*), l'administration coloniale institua le travail
forcé sous forme de prestations.
Celles-ci consistaient à réclamer aux
contribuables, en plus de l'acquittement de leurs impôts, un nombre
défini de journées de travail au profit des chantiers publics
d'intérêt général.279(*) C'était des contributions accessoires
à l'impôt. Au Sénégal, la prestation a
été instituée par le décret du 4 août 1860,
qui stipule que la contribution personnelle se compose de la valeur d'un
certain nombre de journées de travail déterminé par le
Gouverneur en conseil d'administration. L'arrêté du 9 août
1861 fixa à trois le nombre de ces journées, chaque
journée étant évaluée à 1 franc pour la
ville de Saint-Louis et ses faubourgs, ainsi que pour Gorée, et à
0 franc 50 pour les autres localités. Cependant, il faut attendre 1912
pour voir un début de législation des prestations. Ainsi,
l'arrêté local du 25 novembre 1912 réglementant le
régime des prestations en A.O.F. précise que tous les
indigènes de sexe masculin, adultes et valides, à l'exception des
vieillards, des militaires, gardes-cercles, préposés de douanes,
gardes-forestiers y sont assujettis. Mais ces prestations ne devaient pas
être exigées durant les périodes de cultures ou de
cueillette. Elles ne pouvaient non plus être exécutées
à plus de cinq kilomètres du lieu de résidence du
prestataire, sinon le prestataire devait bénéficier d'une ration
en nature ou en espèces.280(*)
La durée des prestations était de douze jours
par an, avec un taux de rachat de 3 francs la journée. Mais ce rachat
n'était possible que dans les centres urbains. C'est seulement à
partir de 1937 que le système du rachat des journées de
prestation se généralisa dans l'ensemble du Sénégal
et dans toute l'A.O.F.281(*) L'obligation n'est plus que de quatre
journées en1912, avec un taux de rachat de 3 francs la journée,
pour remonter à huit journées de 1923 à 1926 avec un taux
de 2 francs la journée. Il faut attendre le vote du conseil colonial en
juin 1927 ( ratifié par l'arrêté du 5 décembre 1927)
pour voir les journées se stabiliser au nombre de quatre au taux de
rachat de 5 francs la journée.282(*)
Au Sénégal, les indigènes soumis
à la prestation, par application des dispositions de l'article 2 de
l'arrêté du 25 novembre 1912, accomplissaient dans chaque cercle,
un nombre de journées de prestation qui était indiqué pour
chaque année, sur un tableau publié au journal officiel avant le
premier décembre de l'année précédente. Ce tableau
indiquait le nombre de journées imposées à chaque
prestataire, les dates limites entre lesquelles devaient être accomplies
les prestations, le taux du rachat, les centres dans lesquels le rachat
était autorisé et le taux de la ration pour les prestataires
travaillant à plus de cinq kilomètres de leur lieu de
résidence.
Les rôles de la prestation en nature étaient
collectifs et établis annuellement par subdivision administrative et par
les soins des administrateurs commandants de cercle. Ils indiquaient le nom de
chaque village et celui de son chef ; le nombre des individus soumis
à la prestation ; le nombre des exemptions ; le nombre des
journées de prestation par personne et le nombre total de
journées à accomplir par village. Après approbation du
Gouverneur Général, la minute du rôle reste
déposée dans les bureaux de chaque centre de subdivision, du
premier au 31 décembre. Pendant cet intervalle, les contribuables
autorisés à bénéficier du rachat, ont la
faculté de déclarer qu'ils désirent racheter leur
prestation. Ceux qui, pendant cette période, n'avaient pas
déclaré leur volonté de rachat étaient tenus de
l'exécuter. Les rôles de la prestation en argent étaient
nominatifs et précisaient les noms des indigènes qui
désiraient racheter leur prestation ; le nombre de journées
dues par chacun d'eux ; le taux du rachat et la somme due par chaque
contribuable.283(*) Le
canton étant l'unité territoriale de base pour l'exécution
des prestations, les matrices devaient comporter autant de subdivisions que de
cantons.
Les prestataires étant recrutés par village,
tous ceux qui ne voulaient pas exécuter leur prestation en nature et
ayant la possibilité du rachat s'en acquittaient en numéraire. Au
Sine, le succès de ces rachats dépendait largement des cours de
l'arachide. En 1935-1936 par exemple, avec les cours élevés de
l'arachide pendant la traite, le succès de la campagne de rachat des
prestations fut fulgurant et donna la somme suivante :
Subdivision du Sine : 184.112 francs 35
Total du rachat du cercle : 417.943 francs 57.
284(*)
Jusqu'en 1930, la possibilité du rachat des prestations
était limitée aux seuls contribuables citoyens français et
assimilés. C'est seulement à partir de cette date que cette
opportunité a été offerte aux prestataires de statut
indigène, mais sous certaines conditions : il faut que la
déclaration soit faite avant le 15 janvier de l'année de
l'exercice et la somme du rachat soit versée avant le 1er
avril.285(*)
Cependant, à partir de 1937, avec le Front Populaire,
le Gouverneur général de Coppet entrevoit une possible
suppression progressive des prestations. Le but poursuivi au cours de cette
année par le gouvernement général, n'était autre
que d' « abandonner purement et simplement, partout
où la mesure pouvait être appliquée, le régime des
prestations et de le remplacer par une taxe additionnelle à la
contribution personnelle. »286(*) Cette taxe était de 6 francs au Sine-Saloum.
Sa quotité était fixée par un arrêté local et
perçue en même temps que l'impôt personnel.
L'argent des achats permettait aux autorités coloniales
de disposer le plus de crédits pour doter les services des Travaux
Publics d'engins mécaniques pour l'aménagement et l'entretien du
réseau routier. En 1935, le produit des rachats des prestations a permis
de mettre à la disposition du service des Travaux Publics les sommes
suivantes pour des travaux neufs dans la subdivision du Sine :
- Achèvement du pont métallique de
Fatick : 50.000 francs ;
- Construction de la route d'accès au pont de
Fatick : 100.000 francs ;
- Continuation de la route de Fatick à
Kaolack.287(*)
Il s'avère important de préciser que même
si la possibilité de rachat était offerte à
l'indigène, la capacité de celui-ci de s'en acquitter
était restreinte. Le numéraire indispensable pour effectuer le
rachat était largement tributaire des fluctuations du marché,
c'est-à-dire, des cours de l'arachide dont le seul régulateur
était le dominant.
C'est pourquoi les misérables contribuables
étaient obligés, contre leur gré, d'aller prêter
leur force de travail, sur les chantiers définis pour l'administration
coloniale.
Seuls les contribuables de sexe masculin de 18 à 60 ans
étaient appelés à fournir des prestations. Les exemptions
touchaient également les chefs de village et de canton, de province ou
de tribu, chargés de surveiller l'exécution des prestations, les
élèves des écoles, les militaires. L'exécution de
cette forme de travail s'accomplissait après que les autorités
locales eussent défini leur plan de campagne.
II - Plans de campagne et exécution des
prestations
La première opération qui s'impose en vue de
l'exécution des prestations était la définition des
travaux à accomplir et la détermination des personnes qui doivent
y être soumises. Les plans de campagne sont destinés à
éclairer, annuellement, sur la nature et l'importance des travaux
proposés dans chacune des circonscriptions administratives, sur les
moyens d'exécution (personnel et matériel), le nombre de
journées nécessaires, celui des prestataires disponibles, leur
répartition éventuelle sur des chantiers, la situation des dits
chantiers par canton, bref tous les renseignements nécessaires à
une exécution correcte et raisonnable des travaux.288(*)
Les plans de campagne étaient définis
annuellement par le commandant de cercle, après avis du conseil des
notables et approuvés par le lieutenant-gouverneur. A la fin de chaque
hivernage, l'autorité administrative locale interpellait les chefs de
province et de village pour l'exécution du programme d'entretien et de
construction du réseau routier de sa circonscription afin de permettre
le drainage par automobile des arachides cultivées dans son cercle. Ces
plans de campagne concernaient principalement :
- Les travaux d'entretien, de réfection et de
construction des pistes et ouvrages d'art ;
- Le maintien ou l'augmentation du nombre de journées
de prestations pour l'année en cours ;
- Le nombre de prestations et le calendrier
d'exécution des travaux sur les chantiers ;
- La quotité du rachat des prestations.289(*)
Après l'approbation du plan de campagne par le
gouverneur général, chaque canton devenait responsable de la
réalisation des travaux et assurait la répartition entre les
différents villages devant fournir les prestataires. La
désignation de ces derniers incombait aux chefs indigènes, en
rapport avec les notables dans les villages. La délibération du
conseil colonial du 19 novembre 1921, approuvée par le Gouverneur
Général en conseil de gouvernement le 7 décembre 1921
précise que chaque village ou groupement ne doit effectuer les
prestations qui lui incombent, que dans les limites des terrains
dépendant de leur circonscription. Toutefois quand il y a
inégalité frappante entre le nombre des habitants de plusieurs
villages ou groupements, la part des travaux mis à leur charge peut
être déterminée non d'après les limites de leur
territoire, mais proportionnellement au chiffre de leurs habitants,
« à condition que l'ensemble du travail ne puisse servir
qu'aux groupements immédiatement limitrophes et
intéressés ». 290(*)
Cette forme de travail spontanée au départ
était la panacée trouvée par l'administration coloniale,
pour mettre en place les infrastructures d'exploitation et de domination.
Dès 1893, l'administrateur Noirot l'utilise pour la construction des
axes reliant Foundiougne aux principales escales (Fatick, Kaolack, Nioro,
Sokone etc.) ; pour l'édification du réseau
télégraphique et la mise sur pied des écoles,
résidences et autres immeubles administratifs. Lefilliatre et Brocard
l'ont surtout utilisé pour le creusement des puits et
l'aménagement des champs de démonstrations. En 1898, par le biais
de la main-d'oeuvre prestataire, Alsace, commandant de cercle du Sine-Saloum,
réussit à construire dans le Sine une école de
garçons et de filles à Fatick, un pont de 70m au marigot de
Diakhao et l'entretien de l'école de la capitale sérère.
La construction de la route Fatick-Foundiougne (20,50 kilomètres ) a
été réalisée et de grandes voies de communications
ont été débroussaillées :
- Fatick-Fissel : 37 kilomètres ;
- Fatick-Kaolack : 40 kilomètres;
- Fatick-Diakhao: 20 kilomètres;
De nouvelles pistes ont été ouvertes entre
Fatick et Joal : 55 kilomètres ; de même, le service de
roulage entre Fatick et Niakhar a été organisé. Dans cette
dernière localité, il a été également
procédé à la construction d'une résidence et au
creusement d'un puits.291(*) Par les rachats, l'administrateur réussit
à Joal, la réfection complète de l'appontement pour rendre
l'escale accessible aux caravanes. Ces travaux ont coûté 2500
francs. A Fatick, l'établissement d'un marché couvert qui a
coûté 2700 francs environ.292(*) Fatick, l'une des escales des plus importantes du
Sine avec Joal, attirait particulièrement l'attention des
autorités coloniales. C'est pourquoi tous les grands centres de
production d'arachides ont été reliés à cette
escale pour faciliter le drainage des marchandises. Les grands travaux de
réfection de routes exécutés en 1935 par le biais des
prestations sont les suivants :
- Route de Fatick à Kaolack : 3
kilomètres ;
- Fatick - Diakhao : 10 kilomètres ;
- Fatick - Joal : 5 kilomètres;
- Fatick - Foundiougne : 5 kilomètres.293(*)
La médiocrité des résultats obtenus par
le travail prestataire, faisait que chaque année, après
l'hivernage les contribuables étaient mobilisés pour refaire le
même travail. Il fallait arriver à remplacer les mauvaises pistes
par des routes plus praticables. La caractéristique des routes à
construire a été d'ailleurs longtemps définie. Il fallait
d'abord rectifier le tracé de la piste existante, faire une plate-forme
et des fossés, des ponceaux, charger ensuite la chaussée avec de
la latérite ou des coquillages. Les prestataires devaient
désherber toute la plate-forme. Tous les arbres sont à
dessoucher, les termitières à écraser, les creux à
combler, les élévations à niveler. Il ne fallait pas de
chemins étroits, au sol raviné, couvert de tronc d'arbres mal
nivelés, dangereux pour la circulation. La plupart des routes avaient
une largeur de dix mètres dont trois de chaussée utilisable aux
charrois. Elles étaient pourvues de bas côté, avec des
pentes très réduites. L'épaisseur de renforcement en terre
noire ou l'empierrement variait de 25 à 50 centimètres, suivant
la plus ou moins grande consistance du terrain. On garnissait le fond d'une
couche de sable ; on y mettait après des cailloux. Ces
matières étaient ensuite pilonnées, soit au moyen de dames
soit par des cylindres compresseurs.294(*) Ce travail de titan était, chaque
année, répété avec son cortège d'abus et
d'humiliations rappelant le temps de l'esclavage.
III- Le travail
prestataire : une survivance de l'esclavage
Par les prestations, toute l'infrastructure coloniale de
communication sera construite à peu de frais. Ce régime
fondé sur la contrainte engendra des abus graves et multiples. La
réglementation était constamment violée. Les prestataires
furent employés à tous les travaux de construction, alors que les
réglementations successives ne les destinaient qu'à l'entretien
des voies de communication. Les chefs n'hésitaient pas à employer
les prestataires au moment des cultures, dans des chantiers
éloignés de leurs villages à des distances
considérables. La violence était mise à l'oeuvre pour
mobiliser la main-d'oeuvre prestataire. Le code de l'indigénat et la loi
réprimant le vagabondage servirent de couverture à la
répression appliquée sur les indigènes.
Une ration journalière était prévue pour
les indigènes travaillant à plus de cinq kilomètres de
leur lieu de résidence. Mais l'administration en faisait souvent table
rase. Elle trouva plus facile de réquisitionner les vivres des villages
qui étaient dans le voisinage des chantiers.295(*)
Cette forme de main-d'oeuvre était
irrégulière et peu équitable puisqu'elle pesait seulement
sur une partie de la population. Elle était « l'expression
même de la domination occidentale et l'instrument commode de ses
appétits égoïstes. »296(*) Cette
frénétique politique de main-d'oeuvre se fit au détriment
de l'indigène et au profit d'une administration coloniale qui, comme une
sangsue, n'avait pour but que de sucer toutes les ressources des
dominés. Que de sang versé sur les chantiers de prestation !
Que de dignité humaine bafouée pendant ces longues et
pénibles journées d'accomplissement d'un labeur
involontaire ! Nul ne peut compter le nombre de journées de travail
ainsi systématiquement extorquées. En 1928, la subdivision de
Fatick devait 134.764 journées de travail. Certes les travaux
d'intérêt général à base collective
existaient bien dans le Sine traditionnel, comme ailleurs en Afrique. Mais le
colonisateur les transforma en une institution déshumanisante, devenue
étrangère à l'Afrique. La prestation, c'est le
« rétablissement de l'esclavage sous un nom plus
doux ».297(*)
Dire que le travail forcé est un facteur de
relèvement des indigènes est une affirmation qui ne
résiste pas à l'examen. En vérité, le colonisateur
voulait exploiter mais à moindre coût. C'est ce qu'exprime Cosnier
dans cette formule lapidaire : « on vous fait pour 10.000
francs une résidence qui en vaut 100.000 francs, des dizaines de
kilomètres de routes pour quelques centaines de francs, des essaies de
culture sur des centaines de milliers d'hectares qui ne coûtent pas un
sous. Celui qui paie est muet : c'est
l'indigène. »298(*) Le travail prestataire est une atteinte à la
dignité et à la liberté humaines. Jules Ninine le
considère comme « un régime habilement plagiaire de
l'esclavage ».299(*) Symbole de la colonisation sous son aspect le plus
dépravant et barbare, le travail forcé était, dans son
principe, contraire à l'idéal d'humanitarisme et de civilisation
dont se targuaient les nations colonisatrices. Et pourtant, c'est cette
France-là qui, au « Siècles des
Lumières », avait supprimé, dans la nuit du 4
août 1789 la corvée seigneuriale considérée comme
une aberration, qui imposa à ses colonies le travail forcé.
On utilisa cette forme de main-d'oeuvre dans des entreprises
privées. Au Sine-Saloum, beaucoup de manoeuvres furent employés
par des maisons de commerce pour la manutention des arachides et des autres
marchandises importées. Pour l'utilisation de la main-d'oeuvre
carcérale, le camp pénal de Koutal fournissait des prestataires,
surtout pour les salines du Sine-Saloum.300(*) C'est une forme déguisée du travail
forcé qu'on s'empressa à appeler « travail
libre » qui a obligé l'indigène à
prêter sa force de travail en cherchant un emploi
rémunérateur lui permettant de s'acquitter du fisc. Mais peut-on
appeler libre un travail qu'on exécute sous peine de subir des
brutalités ou d'aller même en prison ? Libre ou pas les
prestations étaient une forme de déshumanisation des
indigènes, un mépris de la règle et de la personne
humaine.
Dans les chantiers les conditions de vie étaient
effroyables. L'insulte et l'humiliation étaient les armes
utilisées pour faire exécuter les prestations. Les femmes et les
enfants étaient parfois utilisées. Les administrations trouvaient
toujours le moyen de faire travailler les indigènes plus que ne le
permettaient les textes. Ils maintenaient les travailleurs sur les chantiers
au-delà du nombre de journées réglementaires
exigibles.301(*) Ainsi,
en 1922, le conseiller colonial élu du Sine-Saloum, Badara Gueye, avait
protesté du fait que beaucoup de prestataires passaient plus de quatre
jours sur les routes. Dans sa justification de cette violation des textes,
l'administrateur Graffe affirme que la journée de travail devait, en
principe, s'étendre de six heures du matin à dix-huit heures,
avec interruption de douze heures à quatorze heures. Il estime par
ailleurs que le prestataire ne travaille pas bien car « il arrive
tard sur les chantiers, part tôt, se repose
souvent ».302(*) Il chercha à y remédier en
répartissant le travail à la
« tâche », celle-ci étant celle que
« l'indigène prestataire peut réellement accomplir
en quatre jours s'il travaillait
sérieusement ».303(*) Ce même conseiller allait encore
protester, lors de la réunion du conseil colonial du 10 novembre 1925,
au sujet des mauvais traitements et des exactions dont a été
victime la main-d'oeuvre prestataire dans le cercle du Sine-Saloum. Les
exactions portaient sur deux points : la mobilisation des prestataires
pendant la période des travaux agricoles et des transactions
commerciales, et la non-distribution de la ration alimentaire aux prestataires
envoyés à plus de cinq kilomètres de leurs
village.304(*)
Les contraventions notées furent graves, mais les
administrateurs n'en portaient point toute la responsabilité. La
conception métropolitaine était qu'il fallait construire sans
frais. Elle se traduisait concrètement par des allocations
financières très modiques versées aux administrateurs,
leur permettant tout juste d'acheter des pelles et des pioches et de nourrir
pendant quelques jours les prestataires. On exigeait d'eux des résultats
sans leur donner les moyens normaux de les obtenir. Ainsi, certains
administrateurs soucieux de résultats probants, pour garder leur rang,
étaient amenés à recourir aux populations sans
défense pour accomplir ce qu'on attend d'eux.305(*)
L'utilisation de la contrainte fit que le résultat
était toujours médiocre. Mais l'administration réussit,
tant bien que mal, à doter le pays d'un immense réseau de routes
et de pistes qui facilitèrent le raccordement des régions
même enclavées à l'économie monétaire.
CHAPITRE II : PRESSIONS FISCALES ET TRANSFORMATIONS
SOCIALES
I - Les spoliations nées du système
fiscal
La perception de l'impôt de capitation donna l'occasion
à des abus multiples, qui plongèrent les populations dans une
atmosphère où ils furent transformés en véritables
« chairs à impôt ». Ce climat de
malaise et de détresse avait fini par compromettre la quiétude
des populations indigènes acculées au désespoir.
Quand par conjoncture, le contribuable n'était pas en
mesure de payer son impôt, l'administration y voyait une marque
d'hostilité et de non-soumission à l'autorité
française. Au lieu d'en chercher les motivations profondes, elle mettait
la machine répressive en branle, avec une sévérité
et une brutalité sans exemple. Des expéditions punitives
étaient fréquemment conduites en l'encontre des villages qui
n'étaient pas quittes avec le fisc.
Cette fiscalité était devenue confiscatoire, car
elle ne tenait nullement compte des capacités contributives des
indigènes. Elle faisait peser sur la masse des populations, et
particulièrement sur la masse des plus pauvres, les charges
budgétaires. Pour donner à l'impôt un caractère
d'équité, il fallait que le niveau d'imposition des masses soit
proportionnel à leurs capacités contributives et aux
bénéfices qu'ils retirent des dépenses publiques. Cette
fiscalité était en définitive ruineuse, car elle prit le
caractère d'une razzia impitoyable pour les contribuables qui n'avaient
aucun moyen pour se prémunir contre les caprices de leurs chefs. Ces
derniers pratiquaient une répartition approximative des sommes dues par
leur collectivité, en faisant payer le plus possible leurs ennemis et le
moins possible leurs parents et alliés.
Le paiement de l'impôt constituait ainsi un vrai
calvaire, en ce sens qu'il était synonyme de spoliations et
d'humiliations pour les populations. Par les remises faites aux chefs locaux,
l'administration coloniale avait créé une politique efficace
d'intéressement pour aiguiser les appétits féroces et le
zèle des percepteurs. Ce qui l'intéressait, ce n'était
point les moyens, mais la fin. C'est pourquoi elle fermait les yeux sur les
exactions que les chefs de province et de canton exerçaient sur leurs
administrés. Ces chefs locaux ne respectèrent guère les
textes qu'ils ignoraient le plus souvent d'ailleurs. Les mesures d'exemption
n'étaient pas toujours appliquées. On faisait payer même
les enfants n'ayant pas encore atteint l'âge fiscal. Certains chefs
poussaient le cynisme jusqu'à taxer les femmes enceintes pour leur
future progéniture.306(*) Le chef de famille était sommé de
payer pour les contribuables décédés après
l'établissement des rôles, de même que pour les
départs définitifs. Lors du conseil général du 19
novembre 1908, les contribuables de Joal envoyèrent une pétition,
pour protester contre l'incurie des percepteurs qui réclamaient
l'impôt aux vieillards, aux enfants et aux impotents.307(*)
En principe, tout contribuable en règle avec le fisc
devait recevoir un ticket servant de preuve d'acquittement. Mais pour mieux les
spolier, les chefs locaux refusaient parfois de remettre ces tickets dans le
dessein de revenir à nouveau réclamer les sommes
déjà perçues.308(*) La chefferie locale, chargée de faire rentrer
l'impôt, était notée en fonction de sa capacité
à mobiliser le maximum d'argent pour le budget local. Aux yeux des
autorités coloniales, le bon chef, capable et digne de sa fonction, est
celui qui fait rentrer le plus d'impôt. En 1907 par exemple, Comba
Ndoffène Fa Ndeb Diouf était considéré par les
autorités du cercle, comme « l'homme qu'il faut au
Sine ».309(*) Cette appréciation fait suite à
l'attitude de chef vis-à-vis de ses administrés. Celui-ci avait
mobilisé tous ses ceddo, ses femmes et ses enfants pour percevoir
l'impôt en 1894 et en 1899. Ces percepteurs impénitents, avec une
rapacité indescriptible, commirent dans le Sine occidentale des
déprédations d'une ampleur incommensurable.310(*)
Le chef indigène, intéressé par sa
promotion devant l'administration coloniale, finit par donner à la
fiscalité une allure impitoyable. Il abusait de son autorité pour
pressurer ses compatriotes. « De l'impôt, il fait un
tribut ; de la prestation, une corvée, et de la culture une
réquisition ».311(*) En définitive, ces chefs locaux devinrent
haïssables aux yeux de leurs administrés qu'ils exploitaient sans
scrupule. C'est ce qu'exprime le Gouverneur Général William Ponty
dans cette formule : « les intermédiaires
indigènes, entre les imposables et le fisc, c'est-à-dire entre la
masse des contribuables et les administrateurs de cercles, ou leurs
subordonnés européens ne sont, en définitive, que
des parasites vivant sur la population, et sans aucun profit pour nous. Autant
d'intermédiaires, autant de voleurs. »312(*)
Les contribuables supportaient mal le poids de la
fiscalité qui pesait lourd du fait que « la part
contributive de chacun, régulièrement inscrit sur les rôles
d'impôt, s'augmente, en effet, le plus souvent, d'un cadeau pour le chef
de village, d'un cadeau pour le chef de canton, et s'enfle plus encore du
cadeau destiné au chef de province ».313(*) Le prestige de
gérance des chefs locaux faisait planer partout l'ombre de la
brutalité, de l'humiliation, de l'insulte, du mépris, en somme
tout ce qui pouvait frustrer le contribuable. Malheur au contribuable qui ne
parvenait pas à s'acquitter du fisc.
Par leurs sicaires friands de brimades, ces chefs avaient un
bon moyen d'inspirer la terreur à leurs administrés. Ceux qui ne
payaient pas l'impôt étaient mis aux amarres, exposés au
soleil à la vue de tout le monde. A Niakhar par exemple, le chef de
canton avait une prison spéciale où les insolvables
étaient conduits par la force, pour y subir leurs brimades. On
l'appelait « sous le sanghaï ».314(*) C'est là-bas que les
sicaires exécutaient leurs sales besognes. C'est sous cet arbre que les
châtiments corporels les plus abominables étaient
appliqués. Les malheureux étaient ensuite exposés au
soleil à la vue de tout le monde, pour frustrer les membres de leur
famille. Ceci durait jusqu'au paiement total des sommes dues ou jusqu'à
la remise en gage d'un bien de la famille.315(*) A défaut de subir ces brutalités
corporelles, le contribuable pouvait voir les chefs confisquer ses vivres en
vidant ses greniers ou réquisitionner ses troupeaux. Il n'était
pas non plus rare, de voir un membre de sa famille pris en gage jusqu'au
paiement des sommes dues. Ces procédés très peu orthodoxes
firent croire aux indigènes que l'impôt est un tribut que les
vaincus devaient payer aux vainqueurs.
Les deniers de l'impôt airaient pu contribuer, par des
réalisations tangibles, à l'amélioration des conditions
d'existence des contribuables. Ceci était la seule condition pour
persuader l'indigène de l'utilité de l'impôt et le
convaincre de la valeur de ses efforts. Tel n'était pas le cas. La
plupart des réalisations profitaient en premier lieu à
l'administration coloniale. Grâce à sa marginalisation dans
l'investissement, les indigènes n'eurent qu'une vision restreinte de
l'impôt : une charge trop lourde dont ils ne percevaient pas
l'utilité. 316(*)
En 1913 par exemple, les populations de Fatick protestèrent du
caractère injuste d'un impôt dont elles ne profitaient pas. Elles
envoyèrent une pétition au Gouverneur pour dénoncer
la marginalisation de leur escale : « tout l'effort fiscal
qui pèse sur nous sert à alimenter un budget où notre
région est complètement sacrifiée, un budget où
rien n'est prévu pour les travaux et amélioration de notre escale
et de ses débouchées ; travaux et amélioration dont
le besoins se fait de plus en plus sentir. En un mot, nous donnons toujours
sans jamais rien recevoir, sans pouvoir, même formuler un
avis. »317(*)
Quand l'impôt ne rentrait pas comme le souhaitait
l'administration, c'est la machine répressive qui était mis en
branle. Humiliation de contribuables sur la place publique, emprisonnement de
chefs de village, révocation de chefs de canton ou de province
étaient devenus fréquents. Les populations pressurées de
toute part virent leur équilibre alimentaire compromis. Elles
vivaient toujours sous la hantise d'une famine ou de
période de soudures difficiles car, une bonne partie de leurs ressources
servait à payer l'impôt. Devant une administration peu soucieuse
des conditions d'existence de ces populations, devant la férocité
des chefs locaux à l'égard de leurs compatriotes, les villages
étaient désolés, les familles écartelées, le
traumatisme répandait partout ses effets, la haine gagnait davantage les
coeurs, multipliant ainsi les contradictions intracommunautaires.
Devant cette férocité caractéristique des
premiers temps, la masse des contribuables était désarmée.
Leur seul moyen de résistance était le départ. Ainsi,
l'indigène « traqué dans ses forces de travail, dans ses
maigres ressources monétaires, et parfois dans ses terres même,
ait, souvent préféré partir. »318(*) Les audacieux qui
osèrent défier l'autorité par la révolte furent
sauvagement réprimés.
II- Refus de payer l'impôt : l'affaire du
canton de Ngohé Ndoffongor
En 1899, les groupes de villages du canton de Ngohé
Ndoffongor, dans le Sine occidental, avaient pris un engagement ferme de ne pas
payer l'impôt. Suite à cette décision, sans doute
téméraire, l'administration avait mis la machine
répressive en branle sur ces populations qui étaient au bord de
la révolte. Mais quelles furent, en fait, les motivations profondes de
ce refus ? Peut-on le justifier par une remise en cause de l'ordre
existant, c'est à dire un manque de soumission à
l'autorité coloniale française ou par conjoncture
économique ? La réponse à ces questions
nécessite de faire appel à un faisceau de causes. Que s'est-il
passé alors dans cette province jadis réputée pour sa
soumission ?
A la mort de Mbacké Fa Ndeb, on assista à une
réorganisation du Sine, par le gouverneur général
Chaudié, en février 1898. Le groupe de villages de Ngohé a
été érigé en canton et placé dans la
province du Sine occidental. Ce nouveau canton fut confié à
Ndiouck Faye, neveu de Salmone ancien Bour Sine. Il relevait du
Guelwar Coumba Djimbi Ndiaye chef de la province et frère du feu
Bour Sine Mbacké Ndiaye.319(*)
Dès la mise en contact des nouveaux chefs avec leurs
administrés de Ngohé, ceux-ci refusèrent d'exécuter
leurs ordres, en faisant valoir qu'ils constituaient « un groupe
de gens ayant toujours choisi librement leurs chefs » et qu'ils
ne renonceraient pas à ce droit acquis. 320(*) Il y avait ainsi refus
d'accepter la nouvelle organisation telle que l'avait faite l'autorité
française.
Après sa nomination, le chef de province envoya un
percepteur réclamer l'impôt aux populations. Ce canton comptait,
d'après le dernier recensement de 1896, 2.934 contribuables. Ils
devaient payer prés de 6.000 francs d'impôt à raison de 2
francs par tête. Quelques contribuables payèrent 372 francs au
percepteur. Cependant, après concertation et sous la décision
unanime des villageois, le payement s'estompa.321(*) Les populations
prétextèrent que le Sine n'avait qu'un seul chef : Coumba
Ndofféne Fa Ndeb Diouf. Par conséquent, si elles payaient
l'impôt à Coumba Djimbi Ndiaye, elles risqueraient d'être
obligées de l'acquitter envers Coumba Ndofféne. Motivation
première de leur refus. Jusqu'au 21 août 1898, l'ensemble du
canton n'avait versé que 2.833 francs sur les 6.000 francs d'impôt
dus.322(*) A cette date
la situation se présentait ainsi dans le canton : (voir
tableau).
Tableau n°9 : Perception de
l'impôt : situation dans le canton de Ngohé Ndoffongor pour
l'année 1898.
Noms des villages
|
Population d'après le recensement de 1897
|
Sommes payées
|
Reste à payer
|
Cadeau donner comme coutumes
|
Sans bons
|
Avec bons
|
Total
|
Mil (kg)
|
Poulets
|
Espèces (en franc)
|
Ngohé Loul
|
Ne figure pas au recensement
|
-
|
231
|
231
|
48
|
5
|
7
|
1
|
Tattaguine
|
-
|
15
|
195
|
210
|
90
|
5
|
7
|
0,50
|
N'da
|
235
|
48
|
3
|
57
|
15
|
1
|
1
|
-
|
Ngardiame
|
135
|
21
|
78
|
99
|
12
|
-
|
-
|
-
|
Ndoffongor
|
845
|
47
|
642
|
689
|
360
|
6
|
8
|
4,50
|
Mbadat
|
1.418
|
489
|
812
|
1301
|
820,50
|
3
|
13
|
8
|
Poffine
|
301
|
-
|
252
|
252
|
18
|
-
|
3
|
2,50
|
Totaux
|
2.934
|
620
|
2213
|
2833
|
1.363,50
|
20
|
39
|
16,50
|
Source : A.N.S.11D1/1113 :
Affaire du canton de Ngohé Ndoffongor, Alsace à M. le Directeur
des affaires indigènes, Kaolack, le 21 août 1898.
Ainsi, jusqu'au 21 août, l'ensemble du canton devait
1363, 50 francs à l'administration. Une injustice que fait
apparaître le tableau est le nombre important de cadeaux reçus par
les chefs locaux, malgré la famine qui sévit dans cette
région. Trente-neuf kilogrammes et 16, 50 francs d'espèces, ce
qui était inadmissible, compte tenu de la situation économique de
ce canton. Le refus des contribuables pouvait ainsi se justifier.
Face à cette attitude de refus, l'administration
coloniale prit des mesures vexatoires. Elle envoya en avril 1899 un
détachement de spahis pour réprimer les récalcitrants afin
« d'éviter que leur exemple ne soit suivi par d'autres
groupes importants de villages comme Diarekh, Diohine, Ngayokhème
comptant plusieurs milliers d'habitants ».323(*) Cet exemple de refus et de
détermination des populations de Ngohé, s'était
effectivement répandu à travers le Sine. D'autres villages, comme
Yenguélé, Diohine, Bicol, Senghor, Niakhar, le suivirent. Le
même état d'esprit animait les populations de ces villages:
faire face à l'autorité coloniale dans ses attitudes insolentes
de domination. Partout le levain de la violence fermentait,
décidées qu'étaient-les «
Sinegandum » (les habitants du Sine) à se rebeller
contre une autorité postiche qui ne se souciait guère de leur
sort.
Le résident du Sine arriva à
Yenguélé, avec ses spahis, le 13 avril, pour réprimer les
récalcitrants. Mais il fut surpris de la réaction des habitants
de ce village, qui prirent, tous les armes pour défendre leur
intégrité et ce qu'ils avaient de plus cher : leur
dignité. 324(*)
Le 23 avril, les spahis marchèrent sur Diarekh. Là, les
populations étaient plus que déterminées. Le village
était abandonné, les villageois s'étaient retirés
à l'intérieur du Sine avec leurs troupeaux. Les femmes et les
enfants ont été dirigés vers Mbadane, dans le Baol et au
Saloum. Les hommes refusèrent de payer l'impôt et de donner des
populations en gage. Ils étaient décidés à les
défendre contre toute décision de l'administration coloniale de
s'en emparer. 325(*)
Arrivés le 24 avril à Bicol et à Senghor,
les spahis trouvèrent la même situation. Presque tous les
habitants de ces villages étaient partis. « Tous les
troupeaux sont dirigés vers Ngohé Ndoffongor où se
regroupaient les guerriers décidés à défendre leurs
bestiaux. »326(*)
Le 29 avril, les gardes envoyés par Aubry Le Comte,
Directeur des affaires indigènes, arrivèrent à
Ngohé Ndoffongor où toute la population était
armée, prête à se battre. Pour éviter une
confrontation directe avec ces contribuables déjà nerveux, les
autorités coloniales recoururent à l'aide de Coumba
Ndoffène chef de la province du Sine oriental, et le seul reconnu par
les populations de Ngohé. Devant l'incapacité manifeste de Coumba
Djimbi, il fut chargé d'apaiser la situation et de
faire rentrer l'impôt.327(*) C'était la seule alternative. Avec la
présence de ses Ceddo redoutés par la
férocité, les populations acceptèrent de payer
jusqu'à 2.000 francs au 29 avril 1899. En même temps, les
Ceddo de Coumba Ndofféne et les spahis de l'administration
coloniale s'emparèrent de 113 boeufs, 277 moutons ou chèvres, 9
ânes qui ne furent rendus à leurs propriétaires
qu'après paiement intégral de l'impôt. A Niakhar, 74
chevaux, 22 juments, 12 boeufs et 1.000 francs espèces furent saisis.
Pour l'ensemble des cantons rebelles, les gardes régionaux et les
Ceddo mirent la main sur un total de 400 boeufs ou chevaux, pour
contraindre les populations à s'acquitter de leur impôt.328(*)
A Ngazobile où des gens du Sine avaient caché
leurs troupeaux, les gardes régionaux avaient saisi 108 boeufs tenus en
gage sur place sur la surveillance des gardes de Coumba Ndofféne. Ce
chef avait amené, pour caution à Niakhar, 131 boeufs, 386 vaches
et un troupeau non dénombré. Il avait également
réussi à faire verser 20.000 francs aux autorités du
cercle.329(*)
Les contribuables de ces trois cantons rebelles, avaient subi
les caprices de l'autorité coloniale. Les frais de nourriture des spahis
et des chevaux pendant le séjour dans le Sine étaient
estimés à 914 francs. Cette somme était répartie
entre les cantons récalcitrants. Le village de Ngohé fut
frappé d'une amende de 500 francs payables à la traite, à
cause de la famine qui régnait dans le canton. Ceci nous mène
à notre seconde hypothèse et apporte des éléments
de réponse à la question posée. Une mauvaise conjoncture
économique justifiait, en partie, le refus des populations de
s'acquitter de leurs obligations fiscales. Dans sa lettre au Directeur des
affaires indigènes le 21 août 1898, Alsace faisait mention d'une
« famine qui sévit dans cette
région ».330(*)
Cependant, le principal motif de ce refus tire son origine du
bouleversement de l'armature institutionnelle du Sine traditionnel.
L'autorité coloniale, en voulant remodeler la chefferie locale à
sa guise, a liquidé des chefs traditionnels et a procédé
à leur remplacement par des créatures sans consistance. Les
populations se sentirent vexées dans leur amour-propre. Pour elles, la
prérogative de choisir leurs propres chefs leur incombait car, elle
était l'expression même de leur liberté et de
l'équilibre entre la collectivité et son environnement social. En
voulant faire table rase sur les traditions et les coutumes de ce pays,
l'administration coloniale ignorait, certainement qu'elle avait affaire avec un
peuple qui s'attachait encore à ses valeurs profondes, et qui
n'était pas prêt à y renoncer, pour embrasser celles d'une
autorité imposée par la force. Ce refus avait provoqué
dans le Sine des remous profonds. Coumba Djimbi, que les populations avaient
catégoriquement refusé de reconnaître, fut démis de
ses fonctions. De même « les trois chefs de canton inaptes
et brouillons » avaient été écartés
et remplacés par d'autres.
L'administration coloniale tenait encore une fois à
choisir, à sa guise, un nouveau chef de province sans tenir compte de la
volonté populaire. Ainsi, les bruits sur la nomination de Amadou Ndiaye,
comme chef supérieur du Sine occidental, en remplacement de Coumba
Djimbi, avait engendré un vaste mouvement de populations. Des
indigènes de la province du Sine avaient été
signalés, fuyant vers le Joobaas ; d'autres prirent la route du
Saloum pour échapper à l'humiliation.331(*) Devant ce climat de peur et
de terreur, les populations, soucieuses de leur sort, avaient
préféré partir. Des habitants de Diarekh qui avaient
manifesté leur mécontentement au sujet des amendes abusives
imposées par le nouveau chef de canton Latgrand Ndiaye
abandonnèrent leur village pour se réfugier au Baol ou au
Saloum.332(*)
Cette opération de police, symbole de la
brutalité et de l'intransigeance de l'administration coloniale et des
autorités locales en matière d'impôt, faisait planer sur
les populations, le spectre d'une famine prolongée. Le taux de la
capitation était déjà très lourd, les amendes et
les razzias de troupeaux les rendaient encore plus insupportable. Survenue
à l'approche des cultures, elle bouleversa les activités
champêtres. En réquisitionnant leurs bétails,
l'administration institua un traumatisme au sein de ces populations
éleveurs liés à leurs troupeaux avec un amour profond.
Elle entrait dans son dessein de remodeler les habitudes des peuples conquis,
en bouleversant leurs structures politiques, économiques et sociales.
III - La monétarisation de
l'économie
Pour se libérer de la capitation, les contribuables
étaient obligés de convertir leurs activités vers des
secteurs seuls susceptibles de leur procurer l'argent de l'impôt. Vendre
pour se procurer du numéraire étant devenu une
nécessité impérieuse, les populations indigènes,
vivant jusque-là dans une économie d'autoconsommation, furent
contraintes ainsi, d'entrer dans le circuit de l'économie
monétaire.333(*)
Au Sine, cette recherche de monnaie entraîne le paysan dans une spirale
qui l'incite à se consacrer de plus en plus à l'arachide,
principale culture de rente.
Cette économie de marché introduit dans la
société une nouvelle valeur dont le rôle est
déterminant dans le changement très profond des mentalités
et des contradictions internes qu'elle engendre au sein des structures
sociales. Elle a profondément bouleversé les bases de la
société traditionnelle. Celle-ci était désormais
travaillée par le levain de l'argent et des idées nouvelles qui
fermentaient partout.
La société Sérère du Sine se
caractérisait par une « économie de
groupe » dont les manifestations se faisaient sentir dans les
opérations de production, d'accumulation et de consommation. Elle avait
son unité faite de solidarité communautaire.334(*) Cependant, le
développement de l'économie marchande y contribua, d'une
manière décisive, à la lente décomposition de
l'ordre social ancien. Il substitue l'individu aux cadres sociaux
traditionnels, aux hiérarchies anciennes. La collectivité tend
à s'effriter au profit de l'individu isolé. C'est ce qu'exprime
Robert Delavignette dans cette phrase significative : « avec
l'économie commerciale que nous avons apportée, nous avons fait
pénétrer jusqu'au village un ferment individualiste qui ronge
l'antique communauté ».335(*) Cet individualisme, associé à la
réussite dans le monde occidental, entraîne le fractionnement de
la famille large au profit du ménage restreint.
Jadis, l'armature des institutions traditionnelles
conférait au patriarche, la prérogative de gestion de toutes les
ressources de sa collectivité. Il réussissait ainsi à
contrôler tous les actes des membres de sa communauté. Il payait
l'impôt de tous ses subordonnés qui travaillaient pour lui. La
coercition née du système fiscal altéra radicalement cette
réalité. En effet, l'argent attira beaucoup de jeunes villageois
vers les centres urbains, les escales et les lieux de manutention de l'arachide
où ces anciens ruraux, apprennent très vite à se passer du
cadre familial. Ils y gagnent et gèrent eux-mêmes leur propre
argent sans rendre compte à personne.
Dans ce creuset urbain, lieu de négation des valeurs
traditionnelles du monde rural, ils échappent en même temps au
contrôle et à l'autoritarisme des chefs traditionnels.
Eloignés de leur milieu coutumier, ces jeunes s'affranchissent
bientôt des contraintes morales en honneur dans celui-ci. Ils
apprécient progressivement le goût de la liberté et de
cette vie où ils ne sont soumis à aucune des règles
strictes qui régissent leur communauté d'origine. Les centres
urbains et industriels où se heurtent tant de races différentes,
où la vie familiale ne s'organise que péniblement sont autant de
creuset où se dissolvent les valeurs morales des indigènes. Dans
leur quête de numéraires, ces jeunes gens côtoient d'autres
humanités et d'autres cultures. Ils reviennent au village avec une
synthèse de nouvelles certitudes, le plus souvent, non conforme aux
valeurs traditionnelles du terroir. Ce qui était source de conflits et
de tensions sociales. L'indépendance économique entraîne
une prise de conscience individualiste et une remise en cause de l'ordre
existant.
L'argent était devenu une valeur sûre vers
laquelle convergeaient toutes les énergies. Ces signes
monétaires étant à la portée de tout monde finirent
par provoquer de nombreuses cassures qui ont lézardé le cadre
social. Economiquement indépendants, ces nouveaux parvenus cherchent
une indépendance sociale, en tentant de mener leur existence à
leur convenance sans ne plus tenir compte de la hiérarchie existante. Ce
qui s'accommodait mal avec un système social basé sur la
règle de primogéniture. Ainsi d'anciens captifs devenus
relativement riches contestent l'autorité de leurs anciens
maîtres, car ceux-ci ne contrôlaient plus la circulation des
richesses. Cette grande mobilité de la frange jeune de la population fit
perdre aux familles leur cohésion d'antan.336(*) A mesure que le temps
passait, la cohésion sociale s'effritait.
Une autre contradiction engendrée par l'économie
marchande se retrouve dans le paiement de la dot. Dans les temps anciens,
celle-ci se versait en articles d'usage quotidien comme les chevaux, les
esclaves, les étoffes etc. Boilat nous apprend qu'en pays
Sérère, la dot était évaluée à une
barre de fer et une calebasse de vin de palme.337(*) Avec l'extension de la
spéculation monétaire, la dote s'évalue désormais
en francs.
Jadis, la dot était le symbole de l'alliance entre deux
familles, entre deux groupes. Elle était une sorte d'échange de
biens et de prestations scellant cette alliance. Elle participait à
l'affermissement des liens matrimoniaux et conférait au mariage toute sa
sacralité. Progressivement, elle se transforme en un prix comme les
autres. Elle devient de plus en plus une forme
d' « achat » de la femme. Si bien que les
jeunes en âge de se marier, ne disposant pas suffisamment d'argent pour
payer la dote, demandent à ce qu'on
leur « prête » une femme en attendant
qu'ils puissent acquérir le numéraire de la dote.338(*) On assiste ainsi à
une altération du sens profond du mariage qui devient une forme de
transaction financière.
Cette monétarisation se traduit par une
paupérisation progressive des masses paysannes. Celles-ci
obligées de s'acquitter du fisc consacrèrent une grande partie de
leur temps à la culture arachidière au détriment des
cultures vivrières. Mohamet Mbodj minimise l'impact de l'impôt sur
la culture arachidière.339(*) Pour lui, le taux de l'imposition n'oblige en
rien le paysan à cultiver la moitié de son champ en arachide,
comme à lui consacrer la majorité de son temps de
travail.340(*)
Cependant, il faut préciser que le cultivateur du Sine-Saloum,
acculé par la lourdeur de l'impôt n'avait qu'un seul recours pour
échapper à l'arbitraire du système colonial :
s'adonner aux cultures de rente. Nous pensons que si les masses paysannes
n'étaient pas soumises à cette fiscalité confiscatoire
avec son faisceau de mesures draconiennes, elles seraient très peu
enclines à consacrer autant de temps et d'espace à l'arachide. A
ce propos, cette observation de Noirot nous semble éclaircissant :
« si nos populations n'avaient pas l'obligation de satisfaire
à l'impôt, si elles n'étaient obligées de se mettre
forcément en rapport avec le commerce pour se procurer les
espèces nécessaires, la culture des produits industriels
tomberait dans des proportions désastreuses ».341(*)
En négligeant les cultures vivrières, les masses
paysannes se sont laissées entraîner dans une spirale
génératrice de situations confuses : déficit
alimentaire chronique, mise en dépendance galopante,
détérioration progressive de leur niveau de vie. Ainsi, la
pression fiscale avait fini par engendrer dans les campagnes « une
activité usuraire source de conflits et de tensions
sociales ».342(*) Elle provoqua dans toutes les couches sociales des
mutations majeures avec des contradictions internes.
CONCLUSION GENERALE
L'option du colonisateur en matière de
fiscalité, voulait que l'indigène supporte lui-même le
financement de son exploitation et de sa domination. Il a
déterminé la mise en oeuvre d'un système dont le poids
s'est fait sentir dans tous les aspects de la vie des colonies :
l'impôt de capitation et son corollaire le travail forcé.
Ainsi, dès le début de son établissement,
les théoriciens de la colonisation ont mobilisé toutes leurs
ardeurs, pour donner une justification à cette nouvelle exigence. Ils
trouvèrent les soubassements de celle-ci dans la nonchalance et
l'inertie innée des indigènes. La capitation était aux
yeux du colonisateur un moyen très efficace pour extirper des masses
indigènes cette apathie qui constituait un frein à la mise en
valeur du domaine colonial.
Ces justifications qui ne relèvent que de
l'idéologie, finirent par faire de l'impôt de capitation la
clé de voûte des finances coloniales. Cette forme de contribution
des indigènes constitua la principale ressource de l'approvisionnement
des budgets locaux. Toutefois un constat apparaît dans le fonctionnement
de l'impôt : la masse indigène est victime d'une injustice
entretenue à dessein par le colonisateur. Elle est mise en contribution
sans que l'on ne tienne compte de ses capacités contributives.
Il fut décidé que l'impôt serait
perçu globalement par les chefs de village sous la surveillance des
chefs de cantons. On avait tenu à stimuler le zèle de ces
auxiliaires de l'administration coloniale, par une politique
d'intéressement en décidant dès le début que l'un
et l'autre percevront une ristourne sur les sommes perçues. C'est
pourquoi, manipulés par leurs appétits féroces et
obnubilés par le culte du profit, ces chefs locaux participèrent
sans commune mesure à la déstructuration du cadre de vie de leur
société, en acceptant de spolier leurs compatriotes.
Du fait de la mauvaise fois de ces chefs et de l'hypocrisie de
l'administration coloniale, les recensements furent tronqués et le
recrutement des prestataires arbitraire.
La perception de l'impôt et l'exécution des
prestations s'effectuaient dans une atmosphère
délétère où planaient la brutalité et le
mépris de la personne humaine. L'excès de zèle des
percepteurs avait fini par donner à la fiscalité un
caractère confiscatoire et impitoyable.
L'imposition des indigènes constituait, dans la
dynamique d'exploitation coloniale, un élément majeur puisque
l'un des fondements théoriques de sa mise en oeuvre restait
l'idée que le financement de la « mise en valeur »
de chaque territoire conquis incombait d'abord à ses habitants. On
assista ainsi à l'extorsion, sans compensation directe, de la force de
travail des masses laborieuses du Sine.
Il est vrai que l'impôt de capitation a contribué
à doter le Sine de l'infrastructure nécessaire à
l'exploitation de ses ressources, mais l'usage inique et abusif qui en fut fait
explique qu'il ait été l'objet d'une véritable terreur et
d'une grande aversion. Ainsi apparaît une autre dimension de la
fiscalité coloniale : à la capitation source essentielle des
recettes budgétaires, s'oppose la capitation agent par excellence de
désagrégation sociale, politique, économique et
culturelle.
Cette étude sur la fiscalité coloniale au Sine
a, sans doute, permis de rendre beaucoup plus perceptible le processus
d'exploitation des peuples sous domination coloniale. En quantifiant l'apport
personnel des indigènes dans l'oeuvre de colonisation, elle a mis en
évidence l'injustice notoire que subissait la masse indigène dans
ce système.
Ces contribuables n'étaient pas traités à
la mesure des efforts fiscaux qui leurs étaient demandés. Cette
quête effrénée de numéraire pour le financement de
l'oeuvre coloniale, fit des Baadolo la cible par excellence de la classe
dirigeant qui les transforma en de
véritables « chairs à
impôt ».
Devant cette atmosphère de détresse, les masses
laborieuses du Sine, spoliée de toutes parts, ne sont pas restées
passives. Elles se sont souvent rebeller contre l'arrogance du colonisateur et
des chefs indigènes. Une autre réaction pour les paysans
consistait à l'extension des emblavures consacrées à
l'arachide principale culture de rente du Sine, au détriment des
cultures vivrières comme le mil.
L'impôt colonial contribua donc à modifier la
cadence de l'évolution de la société du Sine, et la
secouant jusque dans ses fondements les plus profonds et en l'intégrant
dans le circuit d'une économie de marché. Par le biais de la
capitation et des Sociétés Indigènes de Prévoyance
qui entraînèrent l'essor des cultures spéculatives, les
paysans du Sine qui évoluaient d'antan dans une économie de
subsistance devinrent producteurs pour l'exportation, donc partie prenante de
la monétarisation, du salariat, bref du capitalisme occidental.
Cette monétarisation de l'économie fait subir
à l'indigène, une transformation insidieuse mais profonde de
l'ensemble de son système de valeurs. Une société nouvelle
fut en gestation. Celle-ci, sous l'emprise de l'argent, avait tendance à
se débarrasser des collatéraux pour se réduire aux
couples et à leurs enfants. Des forces centrifuges conduisirent
progressivement à la désagrégation de la famille
traditionnelle, en introduisant des germes de fragilité dans le tissu
social.
ANNEXES
* 1Touré
A., « L'impôt de capitation dans le Sénégal
unifié : une constante dans son rôle d'instrument de
domination coloniale (1921-1936) », in Annales de la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, n° 26, Dakar, 1996,
p. 72.
* 2 Klein M A., Islam and
imperialism in Sénégal. Sine-Saloum, 1847-1914, Stanford
University Press, 1968, 285 p.
* 3 Mbodj M., Un exemple
d'économie coloniale. Le Sine-Saloum (Sénégal) de 1887
à 1940 : cultures arachidières et mutations sociales,
Thèse de doctorat troisième cycle d'histoire, Paris VII,
1977-1978, 691 p.
* 4 A.N.S. 1G33 :
Notice sur les Sérères, 1863. par
Pinet-Laprade.
* 5 Noirot E., Notice sur le
Sine-Saloum, in Journal Officiel du Sénégal,
1892.
* 6 Aujas L., « La
région du Sine-Saloum. Le port de Kaolack »,
in B.C.E.H.S.A.O.F., tome XII, 1929, pp. 92-132.
« Les Sérères du Sénégal
(moeurs et coutumes de droit privé) », in
B.C.E.H.S.A.O.F., 1932, pp. 1-41.
* 7 Bourgeau J.,
« Notes sur la coutume des Sérères du Sine et du
Saloum », in B.C.E.H.S.A.O.F., tome XVI, 1933, pp. 1-62.
La liste est loin d'être exhaustive, nous nous sommes
limités au plus intéressantes pour notre étude.
* 8 Gueye Mb., Les
transformations des sociétés Wolofs et Sereer de l'ère de
la conquête à la mise en place de l'administration
coloniale : 1854-1920, Thèse de doctorat d'Etat d'histoire,
Dakar, 1989-1990, 1003 p.
* 9 Mbodj M., op. cit.
* 10 Touré A., Un
aspect de l'exploitation coloniale en Afrique : fiscalité
indigène et dépenses d'intérêt social dans le budget
du Sénégal 1905-1946, Thèse de troisième cycle
d'histoire, Dakar, 1991, 427 p.
* 11 La thèse de Babacar
Fall publiée sous le titre : ., Le travail forcé en
Afrique Occidentale Française(1900-1945), Paris, Karthala, 1993,
346 pages est très édifiante pour aborder la question sur les
prestations.
* 12 Noirot
E., « Notice sur le Sine-Saloum », in Journal
Officiel du Sénégal, 1892.
* 13 Noirot E., op.
cit.
* 14 Noirot E., op.
cit.
* 15 Aujas L., « La
région du Sine-Saloum. Le port de Kaolack », in B.C.E
H.S.A.O.F., Tome XII, 1929, p. 93.
* 16 Aujas L., op.
cit. p. 94.
* 17 Guèye Mb., op.
cit. p. 29.
* 18 Aujas L., op.
cit. p. 100.
* 19 Pelissier P., Les
Paysans du Sénégal. Les civilisations agraires du Cayor à
la Casamance, Paris, Saint Yrieux, 1966, p. 3.
* 20 Ibid.
* 21 A.N.S. 2G32-88 :
Cercle du Sine-Saloum (Kaolack). Rapport annuel d'ensemble,
1932.
* 22 Guèye Mb., 1990, p.
37.
* 23 Pelissier P., op.
cit. p. 261.
* 24 Guéye Mb. , op.
cit. p. 34.
* 25 Barry B., Le royaume
du Waalo. 1659-1859 : Le Sénégal avant la
conquête, Paris, Maspero, 1972 p. 87.
* 26 Ba A. B., Essai sur
l'histoire du Saloum et du Rip, p. 816.
* 27 Diouf M. M., Lances
mâles. Léopold Sédar Senghor et les traditions
Sérères, CELHTO, 1996, p. 88.
* 28 Aujas L., «Les
Séréres du Sénégal ( moeurs et coutumes de droit
privé ) », in, B.C.E.H.S.A.O.F. tome XIV, n°3, 1931,
p. 5.
* 29 A.N.S.
13G327 : Notice sur le Sine-Saloum par l'administrateur
Noirot, Foundiougne le 10 avril 1896
* 30 Avant l'arrivée des
conquérants mandingues et leur accession au trône, le Sine
était divisé entre trois chefs de la terre appelés
lamanes :
- le Lam Sango, résident à Palmarin ;
- le Diémé Fadial à Fadial ;
- le Wal Satim Ndokh, à Ndokh (à l'Est du Sine).
* 31 A.N.S. 13G327: op.
cit.
* 32 Guéye Mb., op.
cit. p.102.
* 33 Le Joung-Joung est le
tam-tam royal du Sine.
* 34 Diouf G. A. op.
cit. p. 78.
* 35 Guéye Mb., op.
cit. pp. 102-103.
* 36 Gravrand H., Visage
africain de l'Eglise. Une expérience au Sénégal,
Paris, Ed. de L'Orante, 1961, p. 26.
* 37 Noirot E., op.
cit.
* 38 Aujas L., 1932, p. 19.
* 39 Diagne P., « Les
royaumes sérères, les institutions traditionnelles du Sine-
Saloum », in, Présence Africaine, N° 54, 1965,
p. 155.
* 40 Diagne P., op. cit.
p. 155.
* 41 Si une calamité
s'abattait sur le royaume, on désignait le bour comme responsable. Ceci
était le signe de sa faiblesse naturelle et un procédé
ainsi à sa mise à mort symbolique ou à sa purification
spirituelle.
* 42 Noirot E., op.
cit.
* 43 Diagne P., op.
cit. p. 158.
* 44 Bourgeau J.,
« Note sur la coutume des Serer du Sine et du Saloum », in
B.C.E.H.S.A.O.F., n° XVI, 1933, p. 19.
* 45 Aujas L.,
« Funérailles et ordre de succession au trône
chez les sérères du Sine », in,
B.C.E.H.S.A.O.F., tome VIII, n°3, 1925, p. 502.
* 46 Idem.
* 47 Noirot E., op.
cit.
* 48 Bourgeau J., op. cit. p.
21.
* 49 Diagne P., op.
cit. p. 145.
* 50 Ces villages
étaient ceux de Thioupane et de Saass Maak dans le Sine occidental.
* 51 Nous ne parlerons ici que
de la religion traditionnelle. On sait que les Sérères furent
pendant longtemps hostiles à la religion de Mahomet. Ce refus de se
convertir à l'islam fut selon certaines sources la cause de leur
migration de la vallée du fleuve Sénégal vers les zones
qu'ils occupent actuellement. La tentative de Maba d'imposer au Sine cette
religion lui coûta la vie en 1867 dans la clairière de Somb
Thiouthioune.
Pour le christianisme, même si les Sérères
furent l'un des premiers convertis à cette religion, ils
continuèrent toujours de s'adonner à leurs pratiques animistes.
Cette conversion fut donc superficielle et syncrétique.
* 52 Contrairement à ce
pensent beaucoup de non-initiés à cette religion, ces pangol ne
sont nullement des divinités. C'est l'esprit des ancêtres et des
hommes célèbres qui est vénéré par le culte.
* 53 Gravrand H., 1961, p.
40.
* 54 Idem.
* 55 Ibid.
* 56 A.N.S. 1G33 :
Notice sur les Sérères ; par Pinet-Laprade.
* 57 A.N.S. 2G33-70.
* 58 Voir les détails en
deuxième partie, chapitre I.
* 59 Diop Ch. A., Nations
nègres et culture. De l'antiquité nègre égyptienne
aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui, Paris,
Présence Africaine, Ed. de 1979, p. 384.
* 60 Idem. p. 385.
* 61 A.N.S. 2G33-70.
op. cit.
* 62 Aujas L., 1929, p. 30.
* 63 Noirot E., op.
cit.
* 64 Idem.
* 65 A.N.S. 1G33 :
Notice sur les Sérères. Par Pinet-Laprade, 1864.
* 66 Saint-Martin Y., Le
Sénégal sous le Second Empire. Naissance d'un empire colonial
(1850-1871), Paris, Karthala, 1989, p. 417.
* 67 Idem. p. 398.
* 68 A.N.S.
2B32 : Lettre du Gouverneur au Ministre, juin
1859.
* 69 Idem.
* 70 Klein M.A., Islam and
imperialism in Senegal : Sine-Saloum (1847-1914), Stanfort University
Press, 1968, p.37.
* 71 A.N.S. 1G33,
op. cit.
* 72 Moniteur du
Sénégal, n°167 de juin 1859, pp. 96-97. Voir aussi
Klein M. A., op. cit. p. 285.
* 73 A.N.S. 1G33 op.
cit.
* 74Diouf G. A., op.
cit. p. 197.
* 75 Une toise = 1,949m.
* 76 Cf. Klein M. A. op.
cit. p. 55.
* 77 A. N. S.
1D15 : Expédition du Sine, 1859.
* 78 Ibid.
* 79Ibid.
* 80 On appelle ainsi les
habitants du Sine.
* 81 Moniteur du
Sénégal, n°168, juin 1859, p.99.
* 82 A.N.S. 1G33 op. cit.
* 83 A.N.S. 13G-318 :
Bour Sine au Gouverneur, 6 juin 1859.
* 84 -Voir ces traités
dans Moniteur du Sénégal, N°1859, Juin 1859, pp.
100-102.
* 85 A. N. S. 4B35. Le
commandant de Gorée aux chefs de Joal, Ndiouk, Fadiouth et
Mbourdiam. 17 Juin 1859.
* 86 A.N.S. 3G3181 :
Bour Sine au Commandant de Gorée et au Gouverneur, 8 juillet
1860.
* 87 Annuaire du
Sénégal et Dépendances, 1867, p. 176.
* 88 A.N.S. 1G33, op.
cit.
* 89 Annuaire du
Sénégal et Dépendances, op. cit. p. 178.
* 90 A.N.S. 13G318 :
Bour Sine au Gouverneur, septembre 1861.
* 91 A.N.S. 4B35 :
Bour Sine au commandant de Gorée.
* 92 Boilat D., Esquisses
sénégalaises, Paris, Karthala, 1984, pp. 98-99.
* 93 Barry B., La
Sénégambie du XVe au XIXe. Traite négrière, islam,
conquête coloniale, Paris, L'Harmattan, 1988, p. 268.
* 94 Diouf N., p. 725.
* 95 On appelle ainsi les
Saltigui c'est à dire les grands voyants du pays sérère.
* 96 Diouf M. M., Lances
Mâles, p. 183.
* 97 Klein M.A.op.cit.
p. 91.
* 98 Diouf N., op.
cit. p. 729.
* 99 Ce dernier
répondit : « que faut-il faire de ces
débris ? Les enterrer au cimetière musulman, ce serait
réveiller certaine sympathie pour lui ». Cf. A.N. S.
1D30.Commandat de Gorée au Gouverneur p. i. 31 Juillet. 1867.
* 100 Thiam I. D., Maba
Diakhou Ba Almamy du Rip (Sénégal), Paris, ABC,
Dakar-Abidjan, NEA, 1977, p. 44.
* 101 Barry B., 1988, p.
272.
* 102 Klein M. A., op.
cit. p. 106.
* 103 Gueye Mb.,
« Koumba Ndoffène roi du Sine de 1853 à
1871 », in Historiens-Géographes du
Sénégal n°7, 2e trimestre, 1999, pp.
14-27.
* 104 Le Boumi est
l'héritier présomptif du trône.
* 105 Gueye Mb., op.
cit. p. 465.
* 106 A. N. S. 13G318.
Commandant de Joal à celui de Gorée, 17 mars
1878.
* 107 J.O.S. :
Traité signé avec le Sine le 15 septembre 1891.
* 108 Idem.
* 109 Ibid.
* 110 Barry B. op.
cit. pp. 289-290.
* 111 J.O.S. :
Arrêté du 4 mai 1908.
* 112 Zucarelli F.,
« De la chefferie traditionnelle au canton :
évolution du canton colonial au Sénégal ( 1855-1960
) » in, Cahiers d'Etudes Africaines, vol. XIII, Mouton
& Co., 1973, p. 213.
* 113 Delavignette R., Les
vrais chefs de l'empire, Paris, Gallimard, 1939, p. 124.
* 114 A.N.S. 13G75 :
Politique indigène, circulaire du Gouverneur Général Ponty
au sujet du rôle des chefs indigènes, 22 septembre
1909.
* 115 A.N.S. 13G75 :
Politique indigène, circulaire du Gouverneur Général Van
Vollenhoven au sujet du rôle des chefs indigènes, 15
août 1917.
* 116 Cette suspension fait
suite au refus catégorique des populations du canton de Ngohé
Ndoffongor de payer l'impôt à ce chef imposé et dont le
choix ne respectait pas leurs traditions.
* 117 Coquery-Vidrovitch
C., L'Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et
colonisés (1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 89.
* 118 A.N.S.
13G75, op. cit.
* 119 A.N.S. 2G7-32 :
Sénégal, pays de protectorat, rapport politique annuel,
1907.
* 120 A.N.S.
2G10-12 : Rapport d'ensemble sur la situation des pays de
protectorat, 1910.
* 121 Barry B., 1988, pp.
190-208.
* 122 Mbodj M., op.
cit. p. 208.
* 123
Fleury, « L'arachide », in Congrès
colonial de Bordeaux, 4 au 8 août 1907, Cité par A. Sow,
1983-84, p. 35.
* 124 A.N.S. 1G217 :
Situation de Nioro et du Sine, 1896.
* 125 Aujas L., 1929, p.
117.
* 126 A.N.S. 2G33-62 :
Cercle du Sine-Saloum. Rapport annuel 1933.
* 127 David Ph., Les
navétanes. Histoire des migrants saisonniers de l'arachide en
Sénégambie des origines à nos jours, Dakar-Abidjan,
N.E.A., 1980, p. 59.
* 128 A.N.S. 13G326 :
Administrateur du Sine-Saloum à Morel & Frères, 11
mars 1896.
* 129 Ndao
M., Le ravitaillement de la ville de Dakar de 1924 à 1945,
Thèse de doctorat de troisième cycle d'histoire, Dakar,
1997-1998, 410 p.
* 130 A.N.S. 2G33-62 :
Cercle du Sine-Saloum. Rapport annuel, 1933.
* 131 A.N.S. 13G327 :
Notice sur le Sine-Saloum par l'administrateur Noirot,
1896.
* 132 Idem.
* 133 Aujas L., 1929, p.
118.
* 134 Lakroum M., Le
travail inégal. Paysans et salariés sénégalais face
à la crise des années trente, Paris, L'Harmattan, 1982, p.
19.
* 135 Aujas L.,
Idem.
* 136 Mbodj M., op.
cit. p. 391.
* 137 David Ph. op.
cit. p. 218.
* 138 A.N.S.
2G40-20 : Sénégal, rapport d'ensemble,
1940.
* 139 A.N.S.
10D6-0032 : Tournée du Gouverneur Général au
Sine-Saloum, 1924.
* 140 Gastellu
J.M., « Politique coloniale et organisation économique
des pays serer, Sénégal,1910-1950 », in Becker Ch.,
Mbaye S., & Thioub I., A.O.F. Réalités et
héritages. Sociétés ouest-africaines et ordre colonial,
1895-1960, Dakar, Direction des Archives du Sénégal, 1997,
p. 565.
* 141 A.N.S.
2G33-62 : Cercle du Sine-Saloum, rapport annuel,
1933.
* 142 Ces enlèvements
d'enfants reste un fait toujours vivace dans la mémoire des gens du
Sine.
* 143 A.N.S. 2G33-62
Idem.
* 144 Gueye Mb., op.
cit. p. 729.
* 145 Gastellu J. M., op.
cit. p. 565.
* 146 Mbodj M., op.
cit. p. 504.
* 147 ibid. p.
523.
* 148 David Ph., op.
cit. p. 30.
* 149 A.N.S. 13G321 :
Lieutenant-Gouverneur aux chefs de service au sujet de la situation dans le
Sin-Saloum, 1888.
* 150 Mbodj M., op. cit.
p. 535.
* 151 A.N.S. 11D3-0024 :
Lieutenant-Gouverneur à Administrateur du Sine-Saloum,
1932.
* 152 Ndao M., op. cit.
* 153 Voir à ce sujet
David Ph., Les navétanes. Histoire des migrants saisonniers de
l'arachide en Sénégambie des origines à nos jours,
Dakar-Abidjan, N.E.A, 1980.
* 154 A.N.S.
2G22 -26 : Sénégal, rapport économique
annuel, 1922.
* 155 David Ph.,
op. cit. p. 46.
* 156 En pays
Sérère, on appelait ces migrants « riiglan »
qui vient du mot « ndiig » qui signifie saison des
pluies.
* 157 David Ph. op.
cit. p. 24.
* 158 A.N.S. 2G21-1 :
Sine-Saloum, rapport économique mensuel, juillet 1921.
* 159 Aujas L., 1929, p.
105.
* 160 Ce choix du lundi et du
jeudi se justifiait par une vieille croyance selon laquelle, ces jours ne sont
pas fastes, en matière d'exploitation du sol, car les génies de
terre n'y étaient pas favorables surtout s'il s'agit des cultures comme
le mil.
* 161 David Ph. op.
cit.
* 162 A.N.S.
13G326, op. cit.
* 163 A.N.S.
2G24-21 : Rapport politique d'ensemble, 1924.
* 164 Idem.
* 165 David Ph., op. cit.
p. 91.
* 166 « Rapport
de Donerus président de la cambre de commerce de Kaolack à M. le
Gouverneur du Sénégal, in Bulletin de la chambre de commerce
de Kaolack, 1929.
* 167 Idem.
* 168 Ibid.
* 169 David Ph., op.
cit. p. 65.
* 170 Bulletin de la
chambre de commerce de Kaolack, 1930, pp. 117-118.
* 171 A.N.S.
2G30-96 : Sine-Saloum : rapport économique annuel,
1930.
* 172 Bull. chambre de
commerce de Kaolack, 1931, p. 63.
* 173 David Ph. op.
cit. p. 94.
* 174 Idem. p. 98.
* 175 A.N.S.
2G33-70 :Subdivision de Fatick, rapport politique annuel,
1933.
* 176 A.N.S. 2G34-87 :
Subdivision de Fatick, rapport politique annuel, 1934.
* 177 Idem.
* 178 A.N.S. 13G326 :
Famine dans le Sine-Saloum, 1905-1906.
* 179 A.N.S. 2G6-30 :
Sénégal, rapport d'ensemble, 1906.
* 180 J.O.S.,
Décret du 29 juin 1910 instituant les S.I.P.
* 181 Idem.
* 182 Le « franc
du Commandant » était la cotisation que chaque
sociétaire de SIP devait verser annuellement. Il était
dessiné au renforcement du budget local.
* 183 Mbodj M., op.
cit. p. 459.
* 184 Coquery-Vidrovitch C.,
1992, p. 124.
* 185 Niokhor Diouf :
entretien à Niakhar le 13 août 2004.
* 186 A.N.S. 2G28-73 :
Cercle du Sine-Saloum, rapport annuel, 1928.
* 187 A.N.S. 5Q3(1) :
Rapport sur le fonctionnement des SIP, 1925.
* 188 Idem.
* 189 A.N.S. 2G30-96 :
Cercle du Sine-Saloum, rapport économique annuel,
1930.
* 190 Sow A., Les
Sociétés Indigènes de Prévoyance du
Sénégal. Des origines à 1947, Thèse de
doctorat de troisième cycle d'histoire, Dakar, 1983-1984, p. 114.
* 191 Idem.
* 192 Aujas L., 1929, p.
128.
* 193 Idem.
* 194 Sow A., op.
cit. p. 112.
* 195 A.N.S/5Q3(1) :
Rapport sur la création des SIP.
* 196 Sow A., op.
cit. p. 5.
* 197 Ki-Zerbo J.,
Histoire de l'Afrique Noire d'hier à demain, Paris, Hatier,
1978, p. 443.
* 198 A.N.S. 1G330 :
Droit coutumier du Sine-Saloum, par les administrateurs Donis et
Lefilliatre.
* 199 Aujas L., op.
cit. 1932, p. 35.
* 200 Les expressions
« droits de feu » et « doits de
hache » font référence au défrichement de
la terre par le feu et la hache des premiers occupants du Sine. Voir
Pélissier P., 1966.
* 201 Idem.
* 202 Pélissier P.,
1966, op. cit. p.217
* 203 Ibid. p.220
* 204 A.N.S.
2G32-83 : Cercle du Sine Saloum ( Kaolack) : Rapport annuel
d'ensemble, 1932.
A.N.S. 13G330 : Correspondance du Commandant de Cercle
du Sine-Saloum, Alsace, 27 janvier-1er juin 1896.
* 205 Aujas L., 1932, p.
36.
* 206 Idem.
* 207 Ibid.
* 208 A.N.S. 13G330.
Idem.
* 209 Klein M. A., 1968, p.
160.
* 210 Duverger M.,
Eléments de fiscalité, Paris, P.U.F., 1976.
* 211 Touré A.,
« L'impôt de capitation dans le Sénégal
unifié : Une constante dans son rôle d'instrument de
domination coloniale (1921-1936) », in Annales de la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Dakar, n° 26,
1996, p.73.
* 212 Coquery- Vidrovitch
C., L'Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et
colonisés (1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p.
108.
* 213 A.N.S. 1G33 :
Notice sur les Sérères, par Pinet-Laprade, 1864.
* 214 A.N.S. S14:
Régime fiscal: enquête poursuivie par l'union coloniale au sujet
des impôts directs dans les colonies, 26 juillet 1912.
* 215 Touré A.,
1991, p. 33.
* 216 Duchenne A.,
Histoire des finances coloniales de la France, Paris, Payot, 1938, p.
169.
* 217 A.N.S. S25:
Décret du 4 août 1860 portant l'établissement au
Sénégal de l'impôt personnel et l'impôt de
l'enregistrement du timbre.
* 218 A.N.S. 1D55:
Expédition du Sine, traités signés entre Bour Sine et
Faidherbe, 1859.
* 219 A.N.S. 1G33, op.
cit.
* 220 François G.,
Le budget local des colonies, Paris, Larose, 1903, p. 1.
* 221 Idem.
* 222 Ibid.
* 223 Girault A.,
Principes de colonisation et de législation coloniale, Paris,
Larose, 1895, p. 479.
* 224 B.A.S., 1891,
p. 495.
* 225 B.A.S., 1906,
p. 10.
* 226 J.O.S.,
Décret du 4 juillet 1921 portant l'unification de l'impôt au
Sénégal, p. 600.
* 227 A.N.S. 2G32-83:
Cercle du Sine-Saloum (Kaolack) ; Rapport annuel d'ensemble,
1932.
* 228 J.O.S., 1892.
* 229 Gueye Mb., op. cit.
p.661.
* 230A.N.S. 13G327: op.
cit.
* 231 A.N.S. 13G327 :
Noirot au Bour Sine Mbacké, 12 novembre 1895.
* 232 A.N.S. 13G330:
Alsace au Gouverneur, Foundiougne, le 10 février 1898.
* 233 A.N.S. 1G290: Etat
nominatif des cantons et villages du Sine, exercice 1904.
* 234 A.N.S. 2G1-136:
Cercle du Sine-Saloum; rapports politiques, agricoles et commerciaux mensuels,
Kaolack, le 31 août 1899.
* 235 A.N.S. 13G75:
politique indigène, circulaire du 27 août 1912 au sujet du
rôle des chefs indigènes dans l'administration des cercles du
Sénégal.
* 236 A.N.S. 2G33-62:
circulaire n° 3026 de l'administrateur du Sine-Saloum à MM. Les
chefs de cantons, 18 juillet 1933.
* 237 B.A.S.,
Arrêté du 9 août 1861, p. 152.
* 238 A.N.S. S28:
Régime fiscal 1914-1918.
* 239 A.N.S. 2G17-5:
Sénégal: situation politique et administrative des pays de
protectorat, 1917.
* 240 A.N.S. 6T12(26):
Délibération du conseil colonial portant création au
Sénégal d'une taxe civique,1927.
* 241 A.N.S. 6T12(26):
Lieutenant-gouverneur par intérim du Sénégal à M.
le président de la chambre de commerce de Kaolack, 4 juin 1926.
* 242 Idem.
* 243 A.N.S.
6T12(26): Le président de la chambre de commerce de Kaolack
à M. le gouverneur du Sénégal, Kaolack, le 15 mai
1926.
* 244 Idem.
* 245 A.N.S. S25:
Lieutenant-gouverneur du Sénégal au Gouverneur
général de l'A.O.F., 26 novembre 1911.
* 246 A.N.S. S28:
Arrêté fixant le taux et le mode de perception de l'impôt
personnel dans les cercles du Sénégal, Saint-Louis, le 18 octobre
1913.
* 247 A.N.S. S 28:
Arrêté fixant le taux et le mode de perception de
l'impôt personnel dans les cercles du Sénégal, Saint-Louis,
le 18 octobre 1913.
* 248 Girault A.,
Principes de colonisation et de législation coloniale,
3e édition, Paris, Larose, 1907, p. 268.
* 249 B.A.S.,
Décret du 5 août 1861.
* 250 J.O.S., 1917, p. 198.
* 251 J.O.S., 1922, p. 67.
* 252 A.N.S. 6T25(26):
Perception de l'impôt indigène : amendement pratique des
méthodes en vigueur. M. Coppet Gouverneur Général de
l'A.O.F. aux lieutenant-gouverneurs des colonies, Dakar, le 19 juillet
1937.
* 253 A.N.S. S25:
Arrêté du 9 août 1861.
* 254 A.N.S. S25: Camille
Guy aux commandants de cercles, 15 mai 1906.
* 255 Idem.
* 256 Idem.
* 257 A.N.S. 11D1-1113 :
Cercle du Sine-Saloum, le commissaire des affaires indigènes
à M. le directeur des affaires indigènes, Kaolack, le 16
février 1900.
* 258 A.N.S. 2G23-11:
Sénégal, rapport politique annuel, 1923.
* 259 Idem.
* 260 A.N.S. 10D6-39:
Arrêté modifiant la solde et le classement des chefs de province
et de cantons, Saint-Louis, le 3 mars 1926.
* 261 A.N.S. 13G340:
Lefilliatre à M. Le Gouverneur Général, Kaolack le 16 mars
1903.
* 262 A.N.S. 13G52:
Dossier Madiouf Diouf.
* 263 Niokhor Diouf, op.
cit.
* 264 A.N.S. S32:
Arrêté relatif à la création d'un droit sur le
bétail, 14 mars 1915.
* 265 Entretien à
Usine Ben Tally, le 18 février 2005.
* 266 A.N.S. 2G32-83:
Cercle du Sine-Saloum, rapport annuel d'ensemble, 1932.
* 267 A.N.S. S32 :
Taxes sur le bétail, 1916.
* 268 A.N.S.
11D3-0041 : Procès verbal de la réunion des notables du
Sine-Saloum tenue à Kaolack le 15juin 1920.
* 269 A.N.S.
6T10(26) : Gouverneur des colonies, Lieutenant-Gouverneur du
Sénégal à MM. les conseillers coloniaux, 28 mars 1932.
* 270 A.N.S.
2G35-82 : cercle de Kaolack (Sine-Saloum) : rapport politique
annuel, 1935.
* 271 Idem.
* 272 A.N.S. S32 :
op. cit.
* 273 A.N.S. 6T24(26) :
Compte rendu de la conférence des gouverneurs
généraux, 1937.
* 274 Mercier R.,
Le travail obligatoire dans les colonies africaines,
Paris, Larose, 1933, p. 10.
* 275 Thiam I.D.,
L'évolution politique et syndicale du
Sénégal de 1840 à 1936, Thèse
de doctorat d'Etat d'Histoire, Paris I, Panthéon
Sorbonne, 1982-1983, p. 663.
* 276 Mercier R.,
Idem. p. 191.
* 277Ninine J.,
La main-d'oeuvre indigène dans les colonies
africaines, Paris, Jouve & Cie, 1932, p. 129.
* 278 Idem.
* 279 Fall B.,
Le travail forcé en Afrique Occidentale Française
(1900-1945), Paris, Karthala, 1995, p. 8.
* 280 J.O.S.,
Arrêté du 25 novembre 1912.
* 281 Fall B., op.
cit. p. 204.
* 282 J.O.S., 1927.
* 283
J.O.S. Arrêté du Gouverneur Cor sur
le régime des prestations, 20 janvier 1914.
* 284 A.N.S.
2G35-82 : Cercle de Kaolack ( Sine-Saloum
) : Rapport politique annuel, 1935.
* 285 Fall B., op. cit.,
p. 220.
* 286 A.N.S.
K8(1): Utilisation de la main-d'oeuvre
indigène, application du régime des prestations (1936-1938).
Circulaire du Gouverneur général de l'A.O.F. sur le
régime des prestations, 3 février 1937.
* 287 A.N.S.
2G35-82 : Cercle de Kaolack ( Sine-Saloum
) : Rapport politique annuel, 1935.
* 288 A.N.S.
6T30(119): Circulaire sur le régime des
prestations, 12 septembre 1930.
* 289 A.N.S.
11D3-0041: Prestations en nature dans les cercles
du Sénégal, 1919-1928: Rapport politique de 1922.
* 290A.N.S.
11D3-0041 : Délibération du
conseil colonial du 19 novembre 1921.
* 291 A.N.S. 13G330 :
Alsace à M. le résident du Sine à Diakhao, 30 mars
1898.
* 292 A.N.S. S12:
Alsace à M. Le secrétaire du gouvernement de
l'A.O.F., Kaolack le 12 octobre 1898.
* 293 A.N.S. 2G35-82 :
Cercle de Kaolack (Sine-Saloum), rapport politique annuel, 1935.
* 294 A.N.S. 2G32-83 :
Cercle du Sine-Saloum (Kaolack), rapport annuel d'ensemble,
1932.
* 295 Gueye Mb., 1990, p.
614.
* 296 Mercier R., op. cit. p.
235.
* 297 Ninine J., La
main-d'oeuvre indigène dans les colonies africaines, Paris, Jouve
& Cie, 1932, p. 156.
* 298 Coquery-Vidrovitch C.,
1992, p. 116.
* 299 Ninine J., op. cit. p.
137.
* 300 La documentation ne
nous a pas permis de nous étendre sur ce sujet.
* 301 A.N.S. K8(1) :
Utilisation de la main d'oeuvre indigène, compte rendu de la
tournée du gouverneur général de l'A.O.F., Dakar,
le 15 janvier 1937.
* 302 A.N.S.
11D3-0041 : Prestation en nature dans les cercles du
Sénégal. Extrait du rapport politique du 20 mai 1922.
* 303 Idem.
* 304 A.N.S.
11D3-0041 : Prestation en nature dans les cercles du
Sénégal. Rapport politique 1925.
* 305 Anouma R.-P.,
« Une modalité du travail forcé : la prestation
en Côte d'Ivoire de 1912 à la veille de la seconde guerre
mondiale », in Annales de l'Université d'Abidjan,
Série I (Histoire), tome IV, 1976, pp. 77-78.
* 306 Gueye
Mb., op. cit. p. 672.
* 307 Conseil
général du 19 novembre 1908.
* 308 A.N.S. 6T25
(26) : Perception de l'impôt indigène.
Amendement pratique des méthodes en vigueur, 1937-1938.
* 309 A.N.S. 2G7-32:
Pays de protectorat: rapport politique annuel,
1907.
* 310 Idem.
* 311 Delavignette R.,
Les vrais chefs de l'empire,
Paris, Gallimard, 1929, p. 140.
* 312 A.N.S. 13G-75: Le
Gouverneur Général de L'Afrique Occidentale Française
à monsieur le Lieutenant-Gouverneur au sujet du rôle des chefs
dans l'administration des cercles au Sénégal, 27 août
1913.
* 313 Idem.
* 314 Le sanghaï est un
arbre dont le nom scientifique nous échappe.
* 315 Ablaye Ndiaye :
entretient à Niakhar, le 16
août 2004.
* 316 Gueye Mb.,
op. cit. p. 685.
* 317 A.N.S.
1G359 : Le commerce et les habitants de Fatick au
Gouverneur du Sénégal, Fatick, le 5
mars 1913.
* 318 Ki-Zerbo J.,
Histoire de l'Afrique Noire, d'hier à
demain, Paris, Hatier, 1978, p.434.
* 319 A.N.S.
11D1-1113 : Affaire du Canton de Ngohé
Ndoffongor, 1898.
* 320 A.N.S.
11D1-1113: Alsace, administrateur du Sine-Saloum à
M. le Directeur des affaires indigènes,
Kaolack, le 21 août 1898.
* 321 Idem.
* 322 A.N.S.
11D1-1113: Alsace à M. le Directeur des affaires
indigènes, 21 août 1898.
* 323 A.N.S.
11D1-1113 : Télégramme de
l'Administration du Sine-Saloum à M. le Directeur des Affaires
indigènes, avril 1899.
* 324 A.N.S. 11D1-1120:
Télégramme du 13 avril 1899.
* 325 A.N.S.
11D1-1120: Télégramme du 23 avril
1899.
* 326
Idem.
* 327 A.N.S.
11D1-1120: Télégramme du 29 avril
1899.
* 328
Idem.
* 329 Ibid.
* 330 A.N.S.
11D1-1113 : op. cit.
* 331 A.N.S.
11D1-1120 : Administrateur du Sine-Saloum au
Directeur des Affaires indigènes, Kaolack, le
28 mai 1899.
* 332 A.N.S.
2G1-136 : Cercle du Sine-Saloum : Rapports
politiques, agricoles, commerciaux mensuels,
Niakhar, le 31 mai 1899.
* 333 Suret-Canal J.,
Afrique occidentale et centrale. L'ère coloniale
(1900-1945), Paris, Ed. Sociales, 1964, p. 80.
* 334 Gastellu J-M.,
Individualisme, ethnocentrisme. Réflexion sur
l'économie rurale de l'Afrique de l'Ouest,
Université de Bordeaux, Centre d'Etude d'Afrique Noire, Travaux
et documents n° 19, 1988, p.1.
* 335 Delavignette R.,
Les vrais chefs de l'empire,
Paris, Gallimard,1929, p. 143.
* 336 Gueye Mb., op.
cit. p. 752.
* 337 Boilat D., Esquisses
sénégalaises, Paris, Karthala, 1984, p.
101.
* 338 Un nouveau terme
jusque-là commerciale entre ainsi dans le vocabulaire du mariage :
« luup » qui signifie emprunter. Au Sine une femme
« empruntée » n'est reconnue par sa
collectivité que lorsque son mari verse la dote. Elle ne
participera pas ainsi aux organisations féminines comme le
« mal » c'est-à-dire le groupement des femmes de sa
localité.
* 339 Mbodj M.,
op. cit. pp. 602-609.
* 340 Idem.
p. 605.
* 341 A.N.S. 13G326 :
Noirot, Administrateur du Sine-Saloum à Morel &
Frères, 11 mars 1896.
* 342 Lakroum M., Le
travail inégal. Paysans et salariés sénégalais face
à la crise des années trente, Paris, L'Harmattan, 1982, p.
92.