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Fiscalité et Domination Coloniale: l'exemple du Sine: 1859-1940

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par Cheikh DIOUF
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

Disponible en mode multipage

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    INTRODUCTION GENERALE

    Après la conquête, l'autorité coloniale élabora un vaste programme d'exploitation et de mise en valeur des colonies. Ce programme suivait, cependant une logique particulière qui plaça en première ligne les intérêts économiques, politiques et sociaux de l'envahisseur. L'idéal, pour ce dernier, était d'exploiter, avec le minimum de charges financières, toutes les ressources des colonies qui étaient faites pour l'enrichir et non pour l'appauvrir. L'assujettissement maintient les colonies dans la subordination étroite à la métropole qui les exploite à son profit, et, sans tenir compte de leurs aspirations leur impose le régime le plus conforme à ses intérêts. C'est pourquoi elles ne devaient rien coûter à la métropole.

    Au nom de ce principe, le pouvoir colonial institua l'impôt de capitation qui est une forme de contribution obligatoire que les peuples colonisés devaient verser au colonisateur, pour assurer le financement de leur domination. Etabli au Sénégal pour la première fois par décret impérial du 4 août 1860 promulgué le 5 août 1861 l'impôt personnel constitua un précieux outil devant permettre la réalisation de l'ambitieux programme de mise en valeur que la France avait entrepris dans son empire colonial. Son établissement rejoignit l'axiome fondamental de la doctrine coloniale française en matière financière : dominer, exploiter, mais à moindre coût.

    Cette conception des rapports économiques de la France avec son empire coloniale fut dévoilée au grand jour, à partir de 1892 avec la mise en place des budgets locaux des colonies qui furent alimentés par le produit des redevances, impôts ou contributions que les conventions passées avec les chefs permettaient de percevoir. Par ces mesures, les colonies doivent assurer tous les moyens financiers, matériels et humains pour la mise en place de l'infrastructure coloniale.

    Cette vision des finances coloniales atteint son paroxysme avec la loi de finances du 13 avril 1900, au terme de laquelle les colonies devaient désormais assurer par leurs propres moyens et leurs revenus intrinsèques, le financement total de leur outillage économique et infrastructurel, que l'exploitation de leurs ressources et leur mise en valeur allaient inéluctablement entraîner. Cette loi, intéressante pour notre étude, surtout en son article 33, consacra le principe de l'autonomie financière des colonies. Chaque région devait ainsi mobiliser ses ressources pour participer aux objectifs du colonisateur. Ce dernier supprima les subventions jusque là accordées aux colonies dans leur budget. Dans cette logique, la colonie apparaît comme une entité devant répondre, au mieux et en tout temps, à sa vocation de support financier de la métropole quel qu'en soit le coût social pour les indigènes.1(*)

    L'impôt, qu'il soit sous forme de capitation ou de prestation, constituait un précieux instrument d'exploitation et de domination au service de la cause coloniale.

    Ainsi, en choisissant comme sujet « Fiscalité et domination coloniale. L'exemple du Sine : 1859-1940 », nous avons pour ambition d'apporter une modeste contribution à l'étude du passé de cette région. La fiscalité est l'une des pages les plus sombres de l'histoire coloniale. Conçu par le colonisateur comme la contribution des populations soumises à l'oeuvre de civilisation entreprise par la puissance tutrice, elle constituait un mode très subtil d'exploitation et de domination. Toutefois, il ne s'agira pas de faire un procès de la colonisation. Il s'agira plutôt, dans cette étude, de rendre cette logique d'exploitation beaucoup plus perceptible, dans toute son ampleur aux yeux des historiens, en utilisant des données chiffrées pour mieux quantifier ce phénomène.

    Le Sine a fait l'objet de nombreux travaux historiques. Cependant, cette historiographie était beaucoup plus centrée sur la problématique du peuplement, les faits politiques saillants (luttes dynastiques, révoltes, guerres, etc.). Le fait économique a été presque marginalisé. Les travaux qui existent sur cette question sont consacrés, dans leur quasi-totalité, à la culture de l'arachide.

    Martin A. Klein2(*) a étudié, par exemple les rapports entre islam et conquête coloniale au Sine-Saloum, mais en l'intégrant dans un contexte d'économie arachidière.

    Mohamet Mbodj3(*) a étudié l'économie arachidière du Sine-Saloum pendant la période coloniale. Cet historien, même s'il a abordé les mutations sociales consécutives à la monétarisation de l'économie semble minimiser l'impact de l'impôt dans ce processus de transformations des structures socio-économiques.

    La fiscalité est ainsi traitée en parent pauvre dans l'historiographie du Sine, alors que son étude permet d'éclairer beaucoup de réalités coloniales car, l'économique exerce sans conteste un impact considérable sur le politique et le social.

    Cette forme de contribution à l'oeuvre coloniale entraîne avec elle le développement de l'économie monétaire qui, elle, suscite des mutations majeures au sein de la société. Les structures sociales traditionnelles vont entrer en décomposition, altérées par l'introduction de l'argent qui tendra à se substituer aux valeurs traditionnelles.

    Ce sont ces changements structurels occasionnés dans une large mesure par l'impôt que nous nous sommes proposés d'étudier en se posant un certain nombre de questions : comment par la monétarisation de l'économie née du système fiscal, le colonisateur a contribué à lézarder le cadre social par les mutations structurelles qu'il a engendré ? La réponse à cette question principale passe par des questions annexes : comment par l'impôt le colonisateur a pu convertir l'agriculture de subsistance en une agriculture de rente ? Et quelles furent les réactions des populations face à ce système ?

    Pour aborder ces questions historiques, nous nous sommes intéressés au Sine, petit royaume homogène (dans son peuplement) et stable (politiquement par rapport aux royaumes voisins) au coeur du bassin arachidier. Le choix de cette aire géographique est motivé par son poids dans l'économie coloniale sénégalaise. L'arachide étant la principale ressource économique pouvant fournir aux contribuables le numéraire nécessaire au paiement de l'impôt, la politique coloniale en fera la clé de voûte du système par la manipulation du taux de l'impôt et des prestations.

    Pourquoi le choix de la période 1859-1940 ?

    L'année1859 constitue un tournant dans l'histoire du Sine. Elle coïncide avec la mise en application du rêve de Faidherbe qui, dans son vaste programme d'occupation entrepris de conquérir le Sine. Ainsi, après la sanglante expédition de mai 1859, Bour Sine Coumba Ndofféne Fa Maack Diouf signa, avec le gouverneur Faidherbe un traité par lequel il accepta de verser annuellement à l'occupant français un impôt de 1 franc 50 par tête d'habitant. Ce fut le début d'un dur et fatal engrenage pour le Sine.

    1940 est un autre tournant. La France occupée par les forces nazies vit sa force s'éclipser, sa situation économique s'empirer et sa vulnérabilité s'accroître. Cette situation fait apparaître le rôle plus que stratégique des colonies dans l'apport financier qu'elles devaient fournir à la métropole. Celle-ci leur demanda une contribution exceptionnelle de guerre, ce qui se traduit par une augmentation du taux de l'impôt.

    Cette période est donc riche en faits historiques. Parmi les événements qui vont influer sur notre étude, remarquons, entre autres, l'établissement de la capitation en 1860, l'instauration des budgets locaux à partir de 1891, la loi de finance du 13 avril 1900, la création des Sociétés Indigènes de Prévoyance, la réglementation sur le travail forcé en 1912 et la politique budgétaire du Sénégal unifié.

    Cette recherche a été menée en grande partie aux Archives Nationales du Sénégal où nous avons consulté un certain nombre de séries.

    Les séries S et T portant sur l'impôt et les finances, renseignent sur le régime fiscal des colonies d'A.O.F., les instructions sur des questions d'ordre général et de principe en matière de finances publiques, de prestations et sur le fonctionnement des budgets locaux.

    La série G traitant des affaires de politique et d'administration générale nous a intéressée à travers les sous-séries 1G, 2G et 13G. Ces sous-séries, par les notices d'administrateurs confinées dans les rapports périodiques mensuels, trimestriels et annuels, permettent de suivre l'évolution du taux de l'impôt, le prix de l'arachide, la situation politique, économique et sociale des cercles. La sous-série 13G livre une correspondance abondante sur les rapports entre colons et colonisés, entre chefs locaux et leurs administrés. Elle permet de mieux saisir le degré de soumission des populations à l'action coloniale.

    Les sous-séries 3B et 1D informent sur les accords et traités signés entre le Sine et le colonisateur. S'y ajoutent des récits sur les expéditions militaires de 1859 et 1861.

    Les sous-séries 10D et 11D sont axées sur l'administration centrale et territoriale de la colonie du Sénégal. Elles informent sur les recensements, l'arachide et la révolte de quelques cantons du Sine contre le paiement de l'impôt en 1899.

    Pour comprendre ce que fut le travail forcé et l'utilisation de la main-d'oeuvre prestataire indigène, la série K demeure incontournable.

    Quant aux Sociétés Indigènes de Prévoyance, la série Q livre des informations sur leur institution, leur fonctionnement, leur rôle dans l'extension des cultures commerciales, l'arachide en particulier.

    Les sources imprimées sont constituées par un ensemble d'actes officiels et de monographies publiés dans le Journal Officiel, l'Annuaire du Sénégal et Dépendances, le Moniteur du Sénégal et dans d'autres publications du Gouvernement Général de l'A.O.F.

    Soucieuse de mieux connaître les peuples colonisés, la France se rapproche davantage de ceux-ci pour étudier leurs coutumes, leurs systèmes politiques, économiques et leur organisation sociale. Ainsi, beaucoup d'administrateurs ont produit des monographies sur leur cercle. C'est l'exemple de Pinet-Laprade qui, dés 1863, fournit une notice sur les Sérères.4(*) Dans son étude, il donne différentes hypothèses sur l'origine des Sérères, leur longue migration à travers les chemins cahoteux de l'histoire, leurs rapports avec les peuples voisins et quelques aspects de leur culture. Cette étude fortement motivée par des ambitions colonialistes, se focalise le plus sur les actions des puissances colonisatrices sur ce peuple. L'auteur décrit et tente ainsi de justifier les expéditions entreprises en 1859 et 1861 sur le Sine et le Saloum.

    L'administrateur Ernst Noirot fournit une monographie sur le cercle du Sine-Saloum. Il donne une description géographique de son cercle, sa situation économique, l'organisation politique, administrative et la composition sociale de cette entité.5(*)

    Louis Aujas, à travers ses notices, donne une description des coutumes, moeurs et sur les structures sociales, politiques et économiques du pays sérère. Il aborde aussi l'oeuvre politique et économique de la France sur le Sine-Saloum.6(*)

    Bourgeau lui, aborde principalement l'organisation sociale des Sérères, leurs institutions politiques et leurs structures économiques.7(*)

    Edifiantes dans leur ensemble, ces études sont à prendre, pour l'historien avec un sens critique. Beaucoup de ces monographies voulaient prouver la «  barbarie » longtemps évoquée des indigènes dans le but de fournir une justification idéologique de la colonisation qui, semble-t-il était d'ordre civilisateur.

    Ces sources, archivistiques ou imprimées, sont l'oeuvre du colonisateur. Elles expriment le point de vue de ces administrateurs qui, pour attirer les faveurs de leurs supérieurs hiérarchiques et pour conserver leur poste ont, le plus souvent altérer la vérité. C'est pourquoi beaucoup de chiffres fournis dans leurs rapports ne sont là qu'à titre illustratif.

    Ainsi pour diminuer la marge de subjectivité, la tradition orale est à ce point de vue incontournable. C'est le point de vue du faible, de l'opprimé. Cette tradition orale surgie du fond des âges demeure toujours vivace dans certains villages du Sine, encore fortement marqués par la civilisation de l'oralité. Elle nous retrace le climat dans le quel l'impôt était perçu, la peur inspirée par les percepteurs et la conception que les indigènes avaient de la capitation, avec une précision surprenante. Cependant, certaines personnes interrogées dont le souvenir se confond dans une mémoire confuse, rendent parfois douteux l'utilisation de cette source pourtant fondamentale dans l'étude de la saga de ce peuple.

    Notre bibliographie, elle, est surtout redevable aux travaux de Mbaye Guéye, Mohamed Mbodj, Abdoulaye Touré entre autres. Les deux premiers ont étudié les mutations sociales des sociétés Sérères et Wolofs, consécutives à l'action coloniale. Si Mbaye Gueye8(*) reconnaît le rôle incontestable joué par l'introduction de l'impôt dans ces transformations, Mbodj9(*) par contre minimise ce rôle.

    Touré10(*) consacre son travail à la fiscalité comme mode d'exploitation et de domination coloniale. Son étude est sans doute édifiante et d'un grand apport pour nous, mais ses conclusions, très générales car portant sur l'ensemble du Sénégal, n'ont pas permis de dégager la particularité du Sine dans ce système. Il n'a pas abordé l'impact de l'impôt sur les structures sociales.

    Des ouvrages généraux existent sur l'impôt, le travail forcé11(*), l'idéologie coloniale de la mise en valeur, la législation coloniale, etc. Une part importante de cette production est cependant redevable aux théoriciens de la colonisation. Un esprit fortement colonialiste plane sur ces documents car, la plupart de leurs auteurs, appartenant aux milieux coloniaux, écrivaient pour mieux asseoir les fondements de leur domination.

    Ce travail s'articulera autour de trois parties.

    La première partie analyse les rapports entre l'homme et son environnement naturel. Il est aussi question des institutions politiques et de l'organisation sociale du Sine ainsi que du rôle de cohésion joué la religion dans l'armature sociale. Le chapitre II de cette partie traite de la conquête du Sine et de la mise en place de l'administration coloniale.

    La deuxième partie porte sur le système fiscal, sa justification idéologique et les mécanismes de fonctionnement de la capitation. L'arachide étant la principale culture de rente pouvant fournir aux contribuables le numéraire indispensable pour s'acquitter du fisc, nous analysons sa place dans la politique coloniale en matière fiscale. Cette partie traite aussi des méthodes mises en oeuvre pour la perception de l'impôt.

    Enfin, la dernière partie aborde le travail forcé et toute la machine répressive qu étaient mise en branle pour contraindre les populations à s'en acquitter. Les spoliations commises sur les contribuables sont décrites dans cette partie. L'impôt eut des effets traumatisants sur les populations. C'est pourquoi cette partie traite aussi des mutations sociales engendrées par la monétarisation de l'économie.

    PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DU SINE

    CHAPITRE I: L'HOMME ET SON MILIEU

    I- Le cadre physique

    A- Les sols et l'hydrographie 

    Le Sine est une étroite bande de terre enserrée entre l'océan atlantique, les royaumes du Baol et du Saloum. Du nord au sud, ce pays s'étendait de la rivière de la Fasnah jusqu'à la pointe de Sangomar.12(*) Il était limité à l'ouest par l'océan atlantique, à l'est par une « ligne imaginaire et mal définie qui coupe l'immense forêt servant de pâturage aux Peulhs du Baol, du Djolof, du Sine et du Saloum »13(*). Sa limite méridionale était définie par la « rivière Saloum jusqu'à sa confluence avec la rivière Sine par le travers de Tiombi et par une ligne imaginaire qui partage la forêt située entre le Sine et le Saloum »14(*). Au nord, sa limite est constituée par les provinces du Mbadane et du Diéguème.

    Sur le plan orographique, le Sine est un « pays plat avec de très faibles ondulations de terrains ».15(*) Cependant son sol n'est pas homogène. Dans sa partie occidentale, on rencontre des sols entrecoupés de nombreux marigots salins appelés bolong. Elle est dominée par les tannes dont le trait frappant est sa composition en vases séchées recouverte d'une mince couche de sable et de sel cristallisé. Ces terrains sont incultes et n'offrent aucune possibilité aux activités agricoles. La forte salinité des sols interdit toute végétation dense. C'est le domaine de la savane herbacée, avec ses espèces halophiles. En hivernage, ces terres forment d'immenses marécages qui, en saison sèche, se durcissent  au point de constituer un sol assez ferme dominé de sel et de limons.16(*)

    A l'Est et au Nord, on retrouve un sol qui se dessine en pente douce très peu sensible allant des tannes vers les plateaux du Baol et du Djolof. Ici domine le sable siliceux. Ces sols sont très fertiles et très favorables à la culture arachidière.

    Ce régime orographique est complété par un réseau hydrographique abondant. D'importants bolong jalonnèrent les terres du Sine.  Ils servaient à la fois de lieux de pêche et de voie de communication.17(*) Les plus importants furent le Mammangeej, le bolong de Fadiouth, le Goussa prés de Joal qui s'attachaient directement à l'océan. A l'intérieur des terres se projète une série de bras de mer qui sont autant de chenaux ouverts aux cotres et aux pirogues. Le plus important de ces chenaux est le Sine qui prend naissance à Foundiougne, se dessine en nombreuses sinuosités et se lance en direction de Fatick. Ce bras de mer était ouvert aux cotres et permettait même à des navires à vapeur de fort tonnage de s'amarrer aux wharfs de Niamnoroh, point d'accès des régions du Sine et du Baol occidental.

    La partie voisine de l'océan donnait l'aspect d'un vaste réseau fluvial enserrant des îlots de terres basses argileuses ou sablonneuses, bordées de grands palétuviers. Cette région, réputée par la fertilité de ses sols, offre d'immenses potentialités agricoles au monde paysan, d'où un défrichement précoce dont l'oeuvre dévastatrice arrachait à la nature son charme et sa générosité.

    B- Le climat

    Le Sine appartient à la zone soudanienne. Son climat est chaud et sec. La moyenne thermique varie entre 28 et 30°. Ce climat a été décrit comme pénible à l'européen avec des températures qui ne descendent jamais au-dessous de 12° centigrades la nuit. Les températures diurnes peuvent atteindre 45 et parfois même 48°.

    Ici, comme dans l'ensemble du Sénégal, se distinguent deux saisons principales. Une saison sèche qui dure de novembre en juin et pendant laquelle le ciel, balayé par le vent d'est brûlant et desséchant, donne une allure sereine. Cette saison est caractérisée par une opposition entre la zone côtière, de Joal à Sangomar, marquée par une atmosphère humide avec des températures modérées et l'intérieur des terres soumis aux rigueurs de l'harmattan qui donne au climat une allure insupportable.

    La saison des pluies ou hivernage s'étend de juin en novembre. Elle se caractérise par d'abondantes précipitations pouvant aller jusqu'à un mètre d'eau. Cette saison est dite malsaine pour l'européen car étant une période « où règnent des fièvres paludéennes ».18(*)

    Ce découpage de l'année en deux saisons doit être complété par la vision temporelle découlant de l'expérience paysanne qui discerne tout au long des mois quatre principales saisons, chacune correspondant à un type d'activité.

    Le ciid (ou noor) qui se situe au coeur de la saison sèche va de février en avril. On note pendant cette période une élévation progressive des températures avec l'alizé qui souffle sur la côte.19(*)

    Le sarandam (ou cooron) de la fin avril à la fin juin se caractérise par des températures insupportables pouvant atteindre 45° à l'ombre mais qui, en se conjuguant « avec l'arrivée de filets d'air humide [fait] éclore un véritable printemps ».20(*)

    Le ndiig (ou nawet), de juillet en octobre, est la saison des pluies, pendant laquelle se déroulent les activités culturales. Cette période est celle de la mousson ou alizé austral qui apporte de l'air humide pour adoucir les rigueurs de la chaleur.

    Le seek (ou lolli) est, selon l'expression de Pelissier « une véritable arrière saison » qui se situe entre décembre et janvier. Il est surtout marqué par des ondées de heug, souvent qualifiées de pluies hors saison, qui donnent à l'atmosphère des températures d'une douceur appréciable.

    Ces saisons qui renvoient au calendrier agricole des paysans sénégalais sont déterminantes dans la constitution du tapis végétal.

    C- La végétation

    Les conditions climatiques sont favorables au développent d'une végétation dense. Le Sine est une zone très boisée qui « cachait ses cases dans d'étroites clairières au milieu d'une épaisse forêt dont les sentiers étaient peu praticables ».21(*) Cette végétation hirsute peut impressionner l'observateur. En saison sèche, la brousse incendiée par l'ardeur du soleil donne un tapis végétal d'un aspect agonisant avec sa couleur jaunâtre. Cependant en hivernage, la végétation ayant repris ses droits donne « l'impression réelle de la grande nature ».22(*)

    Le parc végétal du Sine est anarchique dans sa répartition. Il n'est nullement uniforme. Les individus qui le constituent résultent souvent du choix des paysans qui, en défrichant ont su sélectionner les espèces qui allaient constituer le décor de leur milieu naturel. Sur les confins méridionaux du Sine, entre Joal et Fimela se dressent des forêts de rôniers dont la vue ne laisse pas indifférent celui qui visite ces milieux, véritable oeuvre d'art de la nature. Au coeur même du Sine ces palmeraies envahissent certains villages établis souvent prés des tannes, tels les villages de Senghor, Yayème, Diouroup etc. L'abondance du palmier ou rônier se mesure avec son utilisation multiple. Sa sève, très recherchée, sert aux populations qui en font d'excellents vins. Ses fruits, mûrs ou non, entrent dans l'alimentation des populations. Ses palmes et son bois sont utilisés pour la fabrication de paniers, de nattes, mais servent aussi à attacher les épis durant les récoltes. Son bois très usité entre dans la construction des toits. Cette utilité explique l'exploitation abusive qu'en font les habitants de ces terroirs.

    De tous les arbres qui constituent le parc Sérère, le plus visible par sa fréquence et son usage multiple reste le saas ou Acacia albida. Cette espèce est « inséparable du paysage du Sine, au point qu'on peut en faire le symbole de leur [ les paysans Sérères ] présence et de leur enracinement »23(*). Cet arbre entre dans l'alimentation du bétail en saison sèche, au moment où tout le tapis herbacé est grillé par les ardeurs du soleil et les vents d'est. Cet arbre est d'un apport fondamental pour le bétail qui, à cette période particulièrement pénible de l'année, ne parvient pas à trouver la pâture indispensable pour sa survie. Ses feuilles qui tombent au début de l'hivernage constituent un fertilisant naturel inestimable pour le sol.

    Au-delà de l'Acacia albida, d'autres espèces résiduelles participent au décor des paysages du Sine. On peut citer entre autres, le baobab ou Adansonia digitata, utile par ses feuilles et ses fruits qui entrent dans la composition du couscous. Son écorce lisse est utilisée pour les cordages. Les figuiers sauvages dont le plus remarquable est le ndoun ou Ficus gnaphalocarpa offrent leurs fruits et leurs feuilles utilisés comme condiments. On peut également signaler la présence du nar ( dimb en wolof ) qui est fréquent sur les marges orientales du Sine et le seo ou Parkia biglobosa que l'on rencontre sur les lisières septentrionales du Sine. Au bord des tannes poussent des plantes halophiles dont le plus fréquent est le palétuvier. Beaucoup de ces espèces sont utilisées dans la pharmacopée locale.

    Il est impossible de dresser un inventaire complet des espèces végétales qui constituent les paysages du Sine. Cependant il est important de noter que l'homme a tissé avec la nature des liens d'harmonie et de dépendance réciproques. Les nécessités du moment poussèrent souvent les hommes à s'adonner à une exploitation démesurée de cette nature. « Par le feu ou par la hache, ils finirent par se faire une place dans la forêt en y créant des terroirs ».24(*) En surexploitant cette nature généreuse mais parfois hostile, les hommes contribuèrent d'une manière significative à l'instauration d'un déséquilibre naturel qui était néfaste pour leur environnement car, leur  survie dépendait du maintien de cet équilibre fragile.

    Le Sine, par son cadre physique, présente des permanences et des ruptures. Ce cadre naturel intégré dans un contexte d'économie monétaire naissant a subi l'agression des hommes. Ces derniers, tout en étant conscients que leur existence ne pouvait dépendre que de cette nature, tirent avantage de ses ressources en en maximisant les profits. Ce fut au milieu de cette nature qu'ils s'organisèrent en une société régie par des normes, fondée sur un certain nombre de valeurs et administrée sur la base d'institutions politiques bien élaborées.

    II- Les structures socio-politiques

    L'un des traits caractéristiques de l'organisation socio-politique du Sine fut sa hiérarchisation et son équilibre. Ces institutions résultèrent de la rencontre entre peuples autochtones Sérères et conquérants mandingues qui, par la longue durée, à travers des brassages multiples, aboutirent à un modèle d'organisation sociale et politique dont la cohésion ne se discute guère. « Une liaison étroite existe entre le système politique et le système social ».25(*)

    A- L'organisation sociale

    1- Les hommes libres

    L'aristocratie Guelwar occupait le sommet de l'échelle sociale. Elle est issue des guerriers mandingues qui, chassés de leur terroir le Gabou à la suite de guerres intestines trouvèrent leur salut dans l'occupation du Sine. C'est au sein de cette aristocratie que sortaient les Maad a Sinig (souverains du Sine). Seul pouvait être Maad ou Bour celui qui appartenait à cette couche de la société. N'était Guelwar que tout enfant né d'une mère Guelwar. « L'homme Guelwar ne peut pas produire un Guelwar, mais la femme Guelwar confère à toute sa postérité le titre de Guelwar même si elle se marie à un captif. »26(*) Nous sommes ici dans une société matrilinéaire où c'est la mère qui transmettait son statut social à l'enfant. Au Sine, « les entrailles de la mère sont plus solides que la ceinture paternelle. Aussi l'enfant est-il plus attaché à sa famille maternelle ; il est membre de son clan matrilinéaire, tout en gardant son patronyme ».27(*) Ce dernier appartenait au « deen yaay » (lignée maternelle) et se définissait à travers elle. Au sein de la noblesse Guelwar, on avait d'abord les Garmi ou princes du royaume c'est-à-dire les enfants nés d'une mère Guelwar et pouvant par conséquent devenir roi. Ces Garmi étaient entourés d'un respect extrême qui se traduisait par une certaine méfiance des populations vis à vis de ces princes. Verser le sang d'un Garmi était considéré comme un sacrilège. Cette vénération autour de la personne du Garmi poussa Aujas à dire que « même à la guerre, il fallait avoir une balle d'or dans son fusil pour oser viser un Guelwar. »28(*)

    La deuxième place dans la hiérarchie des hommes libres était occupée par les  « Biy no Maad » (enfants du roi). Ces derniers étaient nés d'un père Guelwar, mais d'une mère non-Guelwar. Ils étaient écartés du trône. Cependant « ce sont eux qui détiennent les différentes principautés grandes ou petites qui constituent le Sine. »29(*)

    Après les « Biy no Maad », venaient les Lamanes 30(*) « descendants des premiers occupants ou maîtres de la terre.»31(*) Ces Lamanes étaient à l'époque prè-guelwar les propriétaires terriens et les détenteurs du pouvoir. C'était parmi eux qu'était choisi le Jaraaf fa maak ( grand Jaraaf ).

    Les Baadolo constituaient le bas peuple. Cette couche sociale formait la masse laborieuse chargée de nourrir la classe dirigeante. Elle assurait tous les frais de déplacement du Bour Sine, lui livrait le sangara (l'alcool) nécessaire et coupait l'herbe pour ses chevaux. Elle était exclue du pouvoir et portait  le poids de toutes les iniquités sociales. 32(*) Les Baadolo étaient souvent victimes d'une exploitation abusive par les prélèvements injustes opérés sur leurs récoltes et leurs biens. Cette situation les plongeait toujours dans une angoisse perpétuelle où toute protestation était synonyme de répressions sauvages de la part des Ceddo. Ils ne bénéficiaient ni d'aucun pouvoir ni d'aucune charge de commandement. Ils subissent le pouvoir. Leur vie ne se réduisait qu'à la résignation seule solution pour une tranquillité qui fut éphémère. Leur sort était peu enviable.

    Au bas de l'échelle sociale, dans la catégorie des hommes libres, se trouvaient les artisans dans leur diversité. Il y avait les griots, les forgerons, les cordonniers et les bijoutiers. Le rôle de ces différentes classes fut non négligeable. Par leurs mains créatrices, ils fournissaient au peuple les instruments dont il avait besoin pour assurer sa survie. Aux paysans, ils fournissaient le matériel nécessaire pour la culture ; aux guerriers, ils donnaient les armes indispensables pour la défense du terroir ; et aux femmes, ils offraient des parures.

    Le griot, connu par sa manie du langage, avait lui aussi une fonction déterminante dans cette société. Dans la cour royale, il fut chargé de rappeler aux Guelwar le sens de l'honneur, de la dignité mais surtout les hauts faits de leurs ancêtres. Lui seul détenait les traditions historiques du peuple dont il devait sauver de l'usure du temps, pour le faire passer dans la mémoire des générations futures. Il était pour ainsi dire le gardien des traditions, l'âme de cette civilisation de l'oralité. Il avait également comme rôle de battre les joung-joung. 33(*) Sur le champ de bataille, armé de son tam-tam et de sa langue  le griot avait la délicate mission de rappeler aux Guelwar et à tout combattant qui serait tenté de l'oublier, les actes de bravoure, voire de témérité de leurs devanciers. 34(*)

    Malgré ce rôle éminent, cette couche sociale subissait de la part des classes nobles un mépris viscéral. Cette perte de valeur était due à l'importance des marchandises européennes qui fournissaient un matériel plus efficace et à bas prix. Ceci créa un climat délétère pour les artisans  « car les geer, les non castés ne percevaient plus la nécessité d'entretenir des gens dont l'utilité était devenue discutable.»35(*) Ce mépris se traduisait par une prise de distance entre nobles et artisans. Dans certaines contrées du Sine par exemple, interdiction était faite aux griots de franchir le seuil de certaines maisons. A sa mort, le griot ne pouvait être enseveli en terre « mais il devait être enfoui dans un baobab spécial, sous peine de rendre la terre stérile. »36(*) Cette pratique se justifiait par la notion d'impureté que les nobles attachaient à la personne du griot.

    2- Les esclaves

    Cette couche occupe le bas de la pyramide sociale. Au Sine on distinguait deux catégories d'esclaves. Le pad mbind : esclave naît dans la maison du maître, et le pad a kop : esclave qui n'est pas naît dans la maison de son maître.

    Au sein des fad Mbind, on avait les esclaves de la couronne. Ils jouissaient d'un certain nombre de privilèges. Ils ne payaient pas l'impôt et ne pouvaient pas être vendus. Les esclaves de la couronne s'appelaient fad no maad et constituaient « la masse des ceddo proprement dit et qui fut le soutien, l'appui des guelwar et des domi Bour »37(*)

    Ces Ceddo appartenaient à la branche combattante du Sine. C'est au sien de cette communauté qu'était élu le Farba. Les fad a kop étaient constitués par les captifs de guerre et les débiteurs insolvables qui se donnaient à leurs créanciers. Ces captifs pouvaient être vendus et mis en otage ou en gage en cas de famine. 38(*)

    Lorsqu'une femme captive se mariait, ses enfants devenaient esclaves de maison et ne pouvaient plus être vendus.

    Les structures sociales du Sine furent dans leur ensemble très hiérarchisées. Chaque couche sociale consciente de la place qui fut la sienne dans cette communauté s'y est maintenue jalousement. Cette forme d'organisation de la société était couronnée par des institutions politiques très équilibrées.

    B- Les institutions politiques

    L'exercice de la souveraineté dans le monde Sérère du Sine, « repose en principe sur un compromis institutionnalisé ».39(*) L'appareil politico-administratif fut organisé d'une manière qui permettait une expression équilibrée des différentes classes sociales. Ce qui, dans une certaine mesure excluait tout despotisme ou toute contestation de l'une des composantes de l'édifice. Dans cette architecture, trois personnages furent  figures de proue derrière lesquelles se profilent les trois catégories sociales.40(*)

    L'autorité royale était exercée par le Maad a Sinig ou Bour Sine. Ce dernier devait être enfant mâle de sang Guelwar. Il était désigné par le Jaraaf fa maak ( grand Jaraaf ) après consultation des représentants des différentes catégories sociales et avis des principaux chefs : Maad Diohine, Maad Patar, Sandige Njop, Lam ndiafadj, Saax-Saax Faoye et Farba fa maak ( grand Farba ). Après son intronisation, le Bour Sine devenait le chef suprême du royaume. Il commandait tout et tous lui devaient obéissance. Il avait un caractère sacré. Dans les mentalités de ce peuple, la prospérité du royaume était liée à la vitalité tant physique que spirituelle du Bour Sine. Ce dernier par ses pouvoirs extra-temporels, devait assurer au peuple de bonnes récoltes, des troupeaux sains et productifs et une bonne santé des populations.41(*) Il était l'incarnation de l'unité politique et spirituelle de son peuple. Le Maad a Sinig gouvernait tout le royaume. Les taxes et les impôts lui revenaient. Il avait également le bénéfice des confiscations des biens prononcées par les chefs ou par le grand Farba. Cependant, loin d'être un autocrate comme le pensait Noirot42(*), le Bour Sine s'appuyait sur les différents représentants des autres classes sociales pour exercer sa souveraineté.

    La personnalité la plus influente de ceux-ci, de par ses origines et ses fonctions fut le grand Jaraaf. Celui-ci était porté au pouvoir par le collège des hommes libres avec l'acceptation du roi régnant à l'époque.43(*) Il était le représentant des hommes libres. Son rôle était, en effet de contrebalancer l'autorité du Bour, par une autorité propre qui lui venait du peuple des hommes libres dont il était issu. En somme, il représentait le peuple du pays à côté des rois conquérants. « Il est le droit contre la force »44(*) Une fois élu, il devenait indépendant du Bour et pouvait même le destituer. Seul le conseil des grands électeurs qui l'avait élu à ce poste était habilité à l'en chasser.  Le rôle du grand Jaraaf était primordial dans le choix du roi dont il était le conseiller intime. Il était juge et pouvait même prononcer la peine de mort. Il jouissait d'une grande autorité car « sans lui rien ne se faisait, avec lui tout se décidait. »45(*) Il était l'âme de la politique intérieur et extérieur du royaume.

    A côté du grand Jaraaf, il y avait le Farba fa maak ou grand Farba, autre personnage très influent et très redouté. Le grand Farba était le chef de tous les esclaves de la couronne. Chef de la garde prétorienne, il avait sous son commandement l'essentiel des forces combattantes constituées par les esclaves de la couronne en armes appelés Ceddo. Ces derniers semaient la désolation dans les villages qui étaient placés sous l'autorité du grand Farba. Ils avaient la hideuse tâche de mener des prédations et des confiscations de biens des Baadolo.

    Le grand Farba était assisté par le Farba kam mbind (Farba bir keur). Sorte de ministre des finances chargé de la gestion des redevances issues du fisc, il avait également en charge l'entretien de la cour royale, la rentrée des amendes et des contributions en nature. Le Farba kam mbind se faisait précéder dans ses déplacements par un tambour « dont la batterie précipitée était connue de tous. C'était le khin tamado. »46(*) Le son de ce tambour terrifiait les Baadolo car il sonnait chez eux le glas de la paix et de la tranquillité. « Toujours suivi d'une nombreuse compagnie composée de la crème des ceddo »47(*) rien ne lui résistait. Après son passage, c'était la misère et la désolation.

    Ces trois personnages furent les plus influents dans l'armature politique du Sine. Mais il y eut aussi d'autres, dont la place non moins importante complétait ce tableau institutionnel. Cependant ils doivent être placés dans une autre catégorie, conseillers ou simples membres de l'entourage du roi.

    Il s'agissait des Saax-Saax placés à la tête de groupes de villages dont ils avaient le rôle d'administrateur. Ces Saax-Saax appartenaient à la classe des hommes libres et étaient nommés par le Bour Sine. Ils étaient chargés de la perception des redevances dans les villages qu'ils dirigeaient. Ils supervisaient les corvées et assuraient la réalisation des travaux d'utilité publique. Ils s'occupaient aussi du règlement des conflits mineurs qui ne nécessitaient pas l'intervention des autorités supérieures.

    Les Saltigué étaient les personnes réputées les plus savants, mystiquement, du royaume. Chaque village avait son Saltigué. Il était consulté sur toutes choses. Il prédisait les bonnes récoltes et les calamités. Chaque année, le Maad a Sinig (roi du Sine) réunissait en une grande assemblée appelée Xooy, tous les Saltigué du Sine pour leur demander conseil sur l'avenir de son peuple. Toute guerre déclarée sans leur consentement se traduisait par une défaite.

    Le Paar était le premier des griots. Il détenait le Laam, grand et long tambour qu'il ne sortait qu'à l'occasion de la mort du roi ou d'un grand dignitaire. Il ne devait pas rencontrer le roi en promenade.48(*)

    Le Bissete était un griot qui jouait le rôle de bouffon auprès du roi.

    Le groupe des femmes occupait une place primordiale dans ces structures socio-politiques. Seule la femme conférait l'appartenance à la noblesse Guelwar et par conséquent les possibilités d'accès au trône. Ce rôle de proue s'explique par la prééminence du matrilignage car comme le disent les Sérères « c'est un bâton maternel qui a tracé le Sine. »49(*) Dans ce terroir seul le ventre anoblit. Cependant aucune femme ne pouvait être Bour Sine. Deux figures furent les plus remarquables dans cette catégorie : la Linguére et l'Awo.

    La Linguére était la mère du roi, à défaut sa tante. Elle jouissait d'une autorité certaine sur l'ensemble des femmes du pays. Elle exerçait sur elles sa juridiction en matière de délits d'adultère. Aussi percevait-elle des droits. A chaque mariage contracté dans le pays, la Linguère avait droit à une bobine de coton appelé « o diss » en Sérère. Chaque année, les pêcheurs étaient tenus de lui envoyer un sac de poissons séchés par pirogue. Elle avait en apanage certains villages d'où elle tirait ses revenus.50(*)

    La deuxième figure fut la première femme du Bour appelée Awo. Cette dernière avait pour apanage le village de Ndiaye-Ndiaye et celui de Sanghaï. Ainsi parlait-on de Awo Ndiaye-Ndiaye ou de Awo Sanghaï. Chaque année, les femmes du royaume étaient tenues de prélever une partie de leurs récoltes de coton et de riz qu'elles destinaient à la Linguére et à l'Awo du Sine.

    Ces institutions politiques qui émergèrent au-dessus des structures sociales furent celles qui régirent le royaume du Sine. Elles étaient celles d'un peuple qui, à travers les vicissitudes de son histoire, malgré la dynamique des rencontres, des conflits, des alliances et des compromis, a su garder un ensemble de valeurs sociales qui déterminèrent son existence. Celles-ci n'eurent toute leur importance que lorsqu'elles se rattachèrent à une religion qui fut celle du terroir et facteur d'harmonie sociale.

    C- Valeurs sociales et religion du terroir

    Le monde Sérère est rythmé par un ensemble de valeurs qui s'intègrent dans la trame de l'organisation sociale de ce peuple. De la naissance à la mort, chaque étape de l'existence fut marquée par une cérémonie qui eut pour but d'inculquer aux concernés le sens de l'humanisme, de la bravoure, de l'abnégation, du respect des anciens et de l'ordre établi, bref toutes les vertus qui déterminaient la façon de vivre dans le groupe social. Nous retiendrons ici quelques épreuves parmi tant d'autres auxquelles l'individu devait inévitablement être soumis et devant lesquelles il devait faire preuve de courage et de dignité. Pour les hommes il s'agissait de la circoncision et de l'initiation, et pour les femmes c'était la cérémonie du ndoom.

    La circoncision fut la première épreuve à laquelle devait faire face tout adolescent. Elle réunissait tous les garçons d'un même village ou groupe de villages âgés de quinze à vingt ans. Ceux-ci devaient faire preuve de sérénité, de bravoure et même de témérité car, au moment de l'épreuve le fait de remuer une quelconque partie de son corps, de serrer les dents comme pour étouffer la douleur, de fermer les yeux pour ne pas voir la grande et luisante lame de métal qui s'abat sur la partie impure du sexe reposant sur un mortier, toutes ces actions étaient considérées comme un affront et une humiliation impérissable pour toute la famille. La seule attitude qui au contraire honorait tous les membres de la famille, fut pour le futur circoncis, de rester « immobile comme un tronc d'arbre. »

    Après cette épreuve, les circoncis regagnaient le mbaar (hutte) qui, généralement se situait dans une clairière, au milieu de la brousse et loin du regard maléfique des femmes et des mauvais esprits. Dans cet isolat, pendant trois ou quatre mois, ils apprenaient les dures réalités de la vie. Sous l'oeil vigilant des selbé, des anciens du village et sous la supervision du koumakh, on leur donnait tous les secrets qui constituaient les pulsations de leur environnement naturel et les lois qui régissaient leur communauté. Cet apprentissage était synonyme de souffrance, d'endurance, de résignation et d'abnégation.

    Ce rite de passage était un facteur de cohésion et d'harmonie sociale. Les circoncis qui ont partagé le même mbaar se sentaient unis par le sang qu'ils ont versé sur le même mortier et par les pires souffrances qu'ils ont, ensemble, enduré pendant de longs mois d'initiation passée en brousse. A la fin de ce séjour dans la « case des hommes », l'initié était suffisamment armé pour affronter les dures réalités de l'existence. On lui inculquait les valeurs qui, au village guideraient sa conduite et inspireraient sa démarche. Il était désormais doté de toutes les astuces, de toutes les valeurs lui permettant de vivre dignement dans le groupe social. Dès lors il n'était plus à lui-même, mais il vivait pour sa communauté.

    La cérémonie du « ndoom » (tatouage des lèvres) était pour les filles en âge de maturité une épreuve qu'elles devaient surmonter. Ici encore, c'était une question d'honneur. La jeune fille entourée de ses suivantes se couche. Ses gencives et ses lèvres recevaient la masse d'aiguilles de la tatoueuse. Le sang giclait de partout mais il n'était pas question de bouger, car tout mouvement était considéré comme un signe de lâcheté et de déshonneur qui pouvaient conduire au suicide de la concernée ou d'un membre de sa famille.

    Toutes ces valeurs qui rythmaient la vie de ce peuple permirent de mieux saisir les pulsations du monde sérère. Elles furent intégrées dans un univers religieux, facteur aussi de cohésion sociale.51(*) Le Sérère est un être profondément religieux. Sa religion intervient dans tous les actes de sa vie, de la naissance à la mort. Il croit en un Dieu suprême unique, Roog Seen, créateur de tout ce qui existe : les êtres et les végétaux, les choses visibles et invisibles. Prés de Roog Seen, il y a les malaka (anges) et les djinés, esprits supérieurs pouvant se métamorphoser. Entre Roog Seen et les humains, il y a les Pangol 52(*) qui sont pour les Sérères « les véritables intermédiaires entre la divinité et l'humanité »53(*). Ces Pangol qui « polarisent tout le système religieux Sérère », sont selon le Révérend Père Henry Gravrand « des hommes historiques, fondateurs de cités, héros ou chefs de grandes familles, dont les tombes furent entretenues par des générations d'admirateurs, et qui ont été spiritualisées par voie du culte »54(*)

    Au-delà de la croyance commune en Roog Seen, seul divinité du panthéon Sérère, chaque clan avait ses Pangol et son culte. Au Sine on avait deux sortes de Pangol : les Pangol yayaay, c'est à dire de la lignée maternelle et les Pangol pafaap, de la lignée paternelle. Chacun faisait l'objet d'un culte particulier. Ce culte était  propitiatoire et non maléfique,55(*) car il avait pour but d'assurer la fécondité des champs et des troupeaux, déterminait la réussite dans les entreprises humaines, conjurait le mauvais sort et assurait la pérennité du groupe.

    Cette religion permit aux Sérères d'avoir une vision globale de leur univers, d'y vivre en harmonie parfaite avec les êtres visibles et invisibles. Elle est aussi un facteur d'unité et de cohésion sociales. Par le culte des ancêtres fondateurs qui réunissait toute la communauté, les Sérères eurent la claire conscience qu'ils formaient un même peuple aux destinées communes.

    III- Les activités économiques

    Les activités économiques du Sine furent nombreuses et variées. Dans ce terroir, on s'adonnait à l'agriculture, à l'élevage, à la pêche et au commerce. Ce qu'il faut préciser, c'est qu'avant l'arrivée du colonisateur qui s'est traduite par la monétarisation galopante des échanges, le Sine avait une économie d'autoconsommation. On ne produisait que pour sa nourriture. Dans ces structures économiques, l'agriculture dominait largement car « le Sérère est surtout éleveur et agriculteur, il aime la terre qui, d'ailleurs est fertile en cette partie du Sénégal, il cultive avec habileté et ténacité. Ses champs sont certainement parmi les plus beaux de ces régions ».56(*) Cette activité était une polyculture vivrière fortement marquée par la céréaliculture sous pluie. Deux variétés de mil étaient cultivées au Sine. Le gros mil ou bassy et le petit mil sous ses variantes appelées macc et pood. Ces variétés de mil bien adaptées à la pédologie et à la pluviométrie du pays constituèrent les céréales de base du terroir sérère.

    A côté du mil, le riz était cultivé dans les grands marigots et vallées mortes du Sine. Dans ces localités, on rencontrait en hivernage des rizières d'étendues variables. Ce riz était uniquement destiné à la consommation locale.

    Le manioc était cultivé sur de faibles surfaces autour des villages. Mais sous l'action des Sociétés Indigènes de Prévoyance, on assista à une extension progressive de cette culture d'appoint. En 1925 par exemple, la SIP du Sine-Saloum a fait planter dans l'ensemble du cercle 5000 hectares qui produisirent 25.000 tonnes de manioc.57(*)

    Le coton et l'indigo étaient aussi cultivés sur de faibles étendues. De même le niébé, riche en substances nutritives, et le maïs occupaient quelques parcelles de culture situées le plus souvent à l'orée des villages.

    L'arachide devint au XIXe siècle une culture de rente qui bouleversa toutes les structures agraires de ce terroir. Introduite en Sénégambie par les Portugais, cette oléagineuse se tailla rapidement une place de choix au sein de cette paysannerie en occupant la première place dans les transactions commerciales pendant toute la période que nous étudions. Les exigences du fisc poussèrent les populations à s'adonner davantage à cette culture génératrice de revenus.58(*)

    Toutes ces cultures marquèrent largement le caractère agraire de la civilisation sérère. Selon Cheikh Anta Diop, par exemple, les nombreux mégalithes que l'on rencontre au Sine et au Saloum constituent le symbole vivant de la communion entre le Sérère et la terre. Pour lui, ces pierres correspondent à un culte agraire et symbolisent l'union rituelle entre le ciel et la terre. De cette union doit naître la végétation nourricière des hommes.59(*) Il conclut que « le caractère agraire des sociétés auxquelles on doit ces mégalithes [est] suffisamment prouvé ».60(*)

    Toutefois cette agriculture était fortement liée à l'élevage. Ils se complétaient nécessairement. Le paysan utilisait le fumier de ses troupeaux pour fertiliser ses terres. Comme le Peul, le Sérère accorde une grande importance à l'élevage. Un pacte l'unit avec son bétail. Chez lui, la richesse se mesurait en nombre de greniers récoltés mais aussi en têtes de bétail. Il avait « une vie pastorale très prononcée ».61(*) Au Sine, l'abondance du pâturage suffisait à élever un cheptel important de boeufs, de moutons, de chèvres, d'ânes et de chevaux. Avant la monétarisation de l'économie, le Sérère n'utilisait son bétail que pour l'attelage et pour les cérémonies familiales (baptême, circoncision, fiançailles, funérailles). Il n'était pas question pour lui de vendre une seule tête de son bétail. Ce dernier était un signe de prestige qu'il ne fallait réduire sous aucun prétexte. Cependant, avec la colonisation et son cortège d'obligations, l'éleveur était souvent obligé de vendre de son troupeau pour satisfaire certaines exigences du pouvoir colonial comme par exemple le paiement de l'impôt.

    La pêche était pratiquée au Sine. Elle fut le monopole des Niominka qui profitaient de la générosité des nombreuses lagunes, marigots et autres cours d'eau de la région. Dans la mangrove du sine, le poisson était abondant. On y trouvait les meilleures espèces (capitaines, brochet, raies, soles, etc.) et une variété d'huîtres très prisées des populations. Seule une faible partie du produit de cette pêche fut destinée à la vente, le reste allait dans la consommation locale.

    Le Sérère était « peu enclin au commerce ».62(*) Il s'adonnait surtout au troc.« En dehors d'un commerce local qui consiste dans l'échange de sel et de poisons secs contre du mil et des bandes de sorr [bandes étroites de tissus de coton], le Sine fournit au commerce européen ses arachides, une partie de son mil, quelques cuirs, un peu de coton, de la cire... »63(*) et des esclaves. En contre partie, le commerce d'importation fournissait au Sine de l'alcool de traite, du rhum, des liqueurs fortes, du tabac et d'autres produits légers. Le Sine était jalonné d'escales commerciales. Celles-ci étaient constituées par les enclaves françaises de Fatick sur la rivière Sine où les comptoirs de Foundiougne avaient des succursales tenues par des européens et l'escale de Silif sur la rivière de ce nom, plage occupée par quelques traitants indigènes pendant la traite seulement.64(*) L'escale de Joal connaissait un réel développement pendant l'ère coloniale. Les nombreux wharfs qui y étaient édifiés permirent d'évacuer annuellement 3 à 4.000 tonnes d'arachides. La position privilégiée et géostratégique de ce comptoir aiguisa l'appétit des autorités coloniales françaises qui se lancèrent à une quête éperdue d'espaces à contrôler. Elles l'obtinrent par la conquête.

    CHAPITRE II : LA CONQUÊTE FRANCAISE DU SINE

    I- L'expédition de mai 1859 et ses implications.

    Les actions entreprises au Sine et au Saloum en 1859 ne sont compréhensibles que lorsqu'on les replace dans le contexte historique de la Sénégambie de la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, pendant cette période, précisément à partir de 1854, ce qui allait être la colonie du Sénégal entrait dans une nouvelle dynamique qui portait l `estampille du programme de Faidherbe. Celui-ci se basait sur le principe qui stipulait « que la France ne pouvait rester, en présence d'un continent aussi vaste et aussi riche que l'Afrique, dans une position humiliante ; qu'elle devait accomplir là comme partout, sa mission providentielle et civilisatrice ».65(*)

    Même si le traité de Paris du 30 mai 1814 restituait sans réserve à la France, tous les établissements qu'elle possédait à la côte occidentale d'Afrique,66(*) les deux grandes puissances impérialistes ( la France et L'Angleterre ) continuaient de mener une lutte éperdue d'influence pour la conquête des terres de la Sénégambie. Cette lutte d'influence qui a abouti en mai 1857 à la cession par les Français aux Anglais du comptoir d'Albreda, poussa la France « à chercher des compensations, pour cantonner l'influence de la Grande Bretagne dans sa rivière de Gambie ».67(*)

    Faidherbe rêvait à ce moment précis d'un vaste empire soudanais. Ce bâtisseur d'empire voulait faire flotter le drapeau français sur le maximum de terres africaines. Il envisagea la conquête du Cayor. Mais pour contourner les difficultés d'intervention dans ce Cayor des Damel, une seule stratégie s'imposait pour lui : « isoler ce pays par le sud afin d'éviter en cas de conflit toute alliance du Cayor avec le Sine et le Saloum particulièrement ».68(*) Cette politique d'isolement de Faidherbe fut l'un des principaux motifs invoqués pour justifier son expédition dans les pays sérères. Mais la réalité fut tout autre. Des perspectives commerciales furent l'une des raisons de cette intervention. Faidherbe lui-même écrit : « au Sine et au Saloum, les intérêts du commerce sont toujours la première préoccupation ».69(*) Par sa position charnière entre le Saloum, le Baol, le Cayor et la mer, le Sine constituait  un centre de gravité entre les pays wolofs d'une part, et les Etats multiethniques situés entre le Saloum et la Gambie d'autre part. Ainsi la relative facilité de pénétration qu'offraient les estuaires ramifiés de ces fleuves (Sine et Saloum) conférait un intérêt nouveau à ces régions jusque-là négligées. D'accès facile, le Sine, malgré son exiguïté, renfermait des terres fertiles et très favorables à la culture de l'arachide. Et alors que dans certaines contrées du Sénégal l'arachide était transportée vers la côte à dos d'ânes et de chameaux, au Sine par contre les cours d'eau offraient beaucoup de possibilités pour le transport à pirogues vers les points de commerce.

    D'ailleurs, le commerce de ce produit connaissait un essor fulgurant à cette époque. A Gorée seulement il passa de moins de deux millions de francs en 1840 à plus de dix millions en 1852.70(*) Les motifs économiques furent donc très apparents dans cette entreprise. Mais Faidherbe invoqua les « droits historiques de la France » impérialiste sur la Petite Côte par les hypothétiques traités Ducasse de 1679 qui établissaient la France « maître de la côte comprise entre le Cap-Vert et la rivière Saloum sur six lieues de profondeur ».71(*)

    Faidherbe ne manqua non plus de justifier son action qui était conduite selon lui, pour mettre fin aux pillages des Ceddo qui infestaient la côte, créaient un climat délétère qui rendait la vie difficile aux traitants et empêchaient toute activité commerciale.72(*) Cette situation était liée, selon Pinet-Laprade73(*), à la mauvaise foi des souverains locaux qui foulaient aux pieds les fameux et introuvables « traités » Ducasse.

    A cette époque importante de l'histoire du Sénégal, le Sine était dirigé par un prince qui montra une volonté inébranlable d'assurer l'intégrité territoriale de la terre de ses ancêtres. Ce fut Coumba Ndoffène Fa Maak Diouf à qui la pesanteur des traditions avait confié la délicate mission de ne rien aliéner de la souveraineté de son peuple. Toutefois, tout opposait Coumba Ndoffène aux français. Ceux-ci estimaient qu'ils pouvaient construire en dur dans ce pays, que leurs commerçants devaient s'adonner librement au commerce sans payer des redevances aux chefs locaux. Or tel n'était pas le point de vue de Bour Sine Coumba Ndoffène Faa Mak qui, pour entretenir la cour royale et l'armée du Sine, devait compter sur les impôts à payer aussi bien par les autochtones que par les commerçants étrangers.74(*)

    Ces deux politiques antagonistes s'affrontèrent dans le cadre de deux expéditions qui firent sauter le verrou que constituaient le Sine et le Saloum en ouvrant aux français la route du Sud.

    Faidherbe voulut supprimer les coutumes payées aux chefs locaux. Il s'inscrivait ainsi en porte-à-faux avec les principes du traité signé en 1849 entre le lieutenant de vaisseau Jaffrézic et le Bour Sine. Par ce traité Bour Sine avait cédé à la France un minuscule terrain de cent toises75(*) carrées à Joal, pour l'établissement d'un comptoir moyennant paiement de coutumes. Faidherbe se fixa les objectifs suivants :

    «  Notre but, écrivit-il, est de traverser ces pays avec nos forces, de déclarer nuls les traits et conventions passés pendant les dernières années, pour la régulation des coutumes à payer aux chefs de ces pays en échange de la sécurité promise par ces derniers, et d'établir nos relations futures sur des termes nouveaux et plus dignes, qui devront être strictement observés ».76(*)

    C'est ainsi qu'en mai 1859, une colonne sous les ordres du gouverneur Faidherbe parcourait toute la côte comprise entre le Cap-Vert et Joal. Elle était composée des troupes de la garnison de St-Louis avec deux cent tirailleurs sénégalais, des artilleurs et des marins.77(*) Elle déboucha sur Gorée par la mer où s'adjoignirent cent soixante hommes d'infanterie de marine et cent volontaires de Gorée recrutés par Pinet-Laprade. La colonne traversa le Cayor et à Dakar deux cent vingt cinq Lebous y furent incorporés.78(*)

    Dans les premiers jours de sa marche vers le Sine, Faidherbe et ses troupes ne rencontrèrent aucune résistance sur le littoral. Le 15 mai, la colonne arriva à Joal dans le Sine. De là un détachement de l'armée remonta l'estuaire pour Silif et Fatick. A Joal, la troupe rencontra pour la première fois, mais pour un temps éphémère une opposition : celle du Boumi Sanou Mone Faye. La bataille de courte durée qui s'en suivit fut au détriment de ce dernier qui battit en retraite abandonnant à l'ennemi onze chevaux et deux prisonniers.79(*)

    Cette première victoire aiguisa les appétits de Faidherbe qui eut la ferme ambition d'envahir tout le Sine. Le 18 mai, alors que le peuple Singandum80(*) baignait encore dans l'ambiance du réveil matinal, la colonne débarqua à Fatick. Les guerriers du Sine, mobilisés par le son des Joung-Joung et embusqués dans l'épaisse forêt qui enveloppait Fatick, précisément à Logandème déclenchèrent les hostilités vers neuf heures.81(*) Avec les modestes armes dont ils disposaient, les Sérères tinrent tête aux troupes françaises pendant longtemps. Mais la supériorité matérielle détermina l'issue des combats. Après plusieurs assauts violents, la colonne battit « l'armée réputée invincible de ce pays ».82(*) Le Bour Sine et ses Ceddo abandonnèrent le champ de bataille. Fatick fut incendié sur les ordres du gouverneur. Le 25 mai, la colonne retourna vers Joal. Coumba Ndoffène percevant le péril qui guettait son pays sollicita un traité de paix.83(*) Faidherbe l'imposa les conditions suivantes :84(*)

    « 1°- La reconnaissance des anciens droits français sur cette partie de la côte ;

    2°- L'abolition de tous les impôts arbitraires auxquels étaient soumis les traitants français ; le seul droit à payer devant être de 3% sur les produits qui sortent du pays, et qu'ils soient perçus par un agent agréé par nous. Les produits qui ne font que traverser pour venir à nos comptoirs sont libres de tout droit de passage ;

    3°-Que les sujets français habitant ce pays ne soient justiciables que des autorités françaises, même dans leurs différends avec les indigènes. C'est la politique de l'exterritorialité.

    4°- Les Français ont seuls le droit de fonder des établissements dans ce pays notamment à Joal.

    5°- Les Ceddo, les princes et tous les gens qui ne s'occupent pas de commerce seront expulsés des escales et des comptoirs réservés au commerce. »

    Ces traités imposés au Bour Sine consolidèrent l'autorité française sur la Petite Côte. Ils donnèrent libre-cours aux activités commerciales des français établis sur cette zone. Les commerçants y battirent en dur, des fortins furent édifiés à Joal et Sangomar. Les villages de Joal, Fajuc, Njuuk et Mburjuam passèrent sous la protection de la France85(*). De pareils traités furent imposés au Bour Saloum. Par ces traités Faidherbe voyait l'horizon s'éclaircir devant lui. Il avait de plus en plus la certitude que son rêve de cantonner l'influence anglaise en Gambie allait se réaliser et que le drapeau tricolore allait flotter sur cette terre rebelle du Sine. Il se rassurait davantage dans son dessein d'édifier un vaste empire colonial, au Couchant de l'Afrique.

    Cependant, Coumba Ndofféne avait certes perdu la bataille de mai 1859 et accepté, malgré lui, les traités iniques qui lui furent imposés, mais il manifestait toujours une volonté inébranlable de contrôler tout son royaume sans concession aucune. Ce désir ardent le poussa à remettre en cause les traités de 1859. Il revendiqua avec véhémence, en juillet 1860 les villages confisqués de force par la France. Ainsi adressa-t-il au commandant de Gorée la lettre suivante :

    «Vous voulez prendre par la force Fadioudj, Mbourdiam et Ndiouk. Si vous m'empêchez de posséder ces trois villages, nous tuerons tout les blancs qui viendront dans notre pays (...). Après cela nous ne voulons ni or, ni argent, ni diamant ; nous ne voulons que les habitants de Diavalo [ Joal ] et de Fadioudj. Si vous prenez Diavalo, Fadioudj et Ndiouk, il y aura une grande guerre entre vous et nous jusqu'à ce que je les possède comme avant ».86(*)

    Par cette lettre dans laquelle on sent l'amertume et la colère, le Bour Sine afficha son dessein de reprendre possession de ces villages pour y exercer son pouvoir et continuer d'y percevoir l'impôt. Ainsi Coumba Ndoffène se montra plus exigeant envers les traitants de Fatick, il arrêtait les troupeaux de boeufs qu'ils dirigeaient vers Dakar, détruisait les champs d'arachide et perturbait le déroulement normal de la traite de 1860. Aussi envoyait-il ses Ceddo réclamer l'impôt dans ces villages.87(*) Au Saloum également, on s'adonna aux mêmes actes.

    Pour réprimer cette « déloyauté », Faidherbe mit sur place une seconde colonne expéditionnaire sous le commandement de Pinet-Laprade.88(*) Cette colonne qui revenait d'une expédition punitive en Casamance marcha sur le Saloum le 3 mars 1861. Après avoir incendié Kaolack et pris en otage 150 personnes parmi lesquelles des membres de la famille royale du Saloum, elle se mit en marche pour Diakhao la capitale du Sine. « Le 5 mars à sept heures du matin, écrit Pinet-Laprade, nous arrivâmes devant Diakhao, le roi nous offrit six boeufs pour la colonne et demanda une entrevue qui lui fut accordée ».89(*) A Diakhao où Coumba Ndofféne, pour des raisons stratégiques, n'opposa aucune résistance, Pinet-Laprade exigea les conditions suivantes pour la paix :

    « 1°- reconnaissance du traité de 1859, principalement sur la cession de Joal et la construction d'une tour de garde à Fatick ;

    2°- contribution de guerres de 200 boeufs livrables à Joal. »

    Pour garantir l'exécution de ces conditions, on imposa à Bour Sine de donner en gage un membre de la famille royale. Ce fut un neveu de Coumba Ndofféne qui fut livré. On imposa ainsi un autre traité au Sine.

    Malgré la signature de ces traités, Coumba Ndofféne Diouf ne cessa jamais de protester contre la présence française dans son royaume. Il avait toujours les yeux rivés sur les villages amputés à son territoire. C'est pourquoi en septembre 1861 il adressa à Faidherbe la correspondance suivante :

    « La paix entre nous est aux conditions que Ndiouk et Fadioudj continuent à me payer tribut comme autrefois ».90(*)

    De même en octobre 1863, il écrit à Pinet-Laprade :

    « Je vous rappelle la demande que je vous avait faite relativement à Joal, Fadiouth, Mbourdiame, je veux que vous me rendiez ces villages ».91(*)

    Comme on peut s'en apercevoir, Joal était l'une des préoccupations majeures de Coumba Ndofféne. Joal était sa province de salut. C'est de là qu'il pouvait entretenir des relations commerciales avec les Anglais de la Gambie pour se doter en armes. C'était à partir de cette province maritime que le royaume avait, de tout temps, entretenu des relations commerciales avec les différentes puissantes européennes qui fréquentaient la côte sénégambienne. L'importance de Joal est exprimée ici par Boilat :

    « Cette ville était autrefois très commerçante : on y prenait des vivres pour les navigateurs et pour Gorée (...) Deux raisons avaient déterminé la Compagnie française à s'y faire un comptoir :

    - La certitude de s'y procurer prés de 200 esclaves, plus de 300 cuirs, 12 ou 15 cents quintaux d'ivoire et 4 ou 5 cents quintaux de cire jaune sur le même tarif que celui du damel ;

    - La nécessité de tenir le damel en respect et de se garantir de ses caprices, dont les Français avaient fait plusieurs fois l'expérience. »92(*)

    L'impôt était également au centre de toutes ces revendications incessantes. L'amputation de ces villages représentait une perte énorme pour le Bour Sine. Les impôts et les taxes qu'il avait l'habitude d'y collecter constituaient un apport budgétaire incommensurable pour l'entretien de sa cour. Il perdit ce privilège. C'est pourquoi il ne se lassa jamais de réclamer ces villages. On comprend dés lors l'acharnement des deux belligérants pour le contrôle de Joal. Mais à partir de 1864, sous la menace constante des ambitions jihadistes de Maba Diakhou Ba, Almamy du Rip, Comba Ndofféne Diouf changea de politique vis-à-vis des Français pour écarter le danger d'un islam conquérant qui planait sur son royaume.

    A ce moment précis, le marabout Toucouleur commença à galvaniser les forces musulmanes pour déclarer la guerre sainte dans toute cette région de la Sénégambie septentrionale.93(*) Cette ambition de Maba atteignit son paroxysme lorsqu'en 1865, le 30 novembre, il battit les troupes de Pinet-Laprade dans la célèbre bataille de Pathé Badiane. Au lendemain de cette victoire, Maba regardait maintenant vers le Sine, terre des Ceddo qu'il fallait convertir à l'islam. Mais c'était là une méconnaissance totale voire même une hallucination de la part du marabout que de vouloir imposer brutalement la religion de Mahomet à un peuple dont les consciences étaient déjà fortement marquées par les Pangols.

    Ainsi en 1867, alors que Coumba Ndofféne Fa Maak Diouf assistait à une danse initiatique de circoncis à Mbino-Ngor, Maba le surprit sur sa terre natale et incendia sa capitale Diakhao.94(*) Après la surprise de Mbino-Ngor, l'Almamy du Rip pénétra à nouveau au Sine un crépuscule de 1867. Suite à l'annonce de la présence des troupes musulmanes dans son royaume, le Bour Sine réunit tous les Saltigui du royaume à Diakhao pour discuter des positions à prendre. Après une longue nuit mystique marquée par l'invocation incessante des Pangols, les « Lances Mâles »95(*) du Sine prophétisèrent que Maba allait mourir au Sine, mais à une seule condition dit le célèbre Diomaye Niane de Sanghay, Saltigui bien connu au Sine :

    « Les pangols sont formels, toute armée du Sine qui se rendrait au Badibou, porter la guerre chez Maba (...) serait immanquablement anéantie, et avec elle, succomberait le Sine (...). Par contre si nous attendons que Maba pénètre de nouveau en terre du Sine (...) nous pourrions alors à coup sûr décapiter le marabout ici même à la mare de Fa-Ndann ! ».96(*)

    Coumba Ndofféne Fa Maak Diouf, rassuré par les prédictions des « Lances Mâles » envoya à l'Almamy un émissaire nommé Sémou Diouf pour lui lancer un défi de fouler encore la terre du Sine. A la mi-juillet, les Ceddo du Sine s'affrontèrent avec l'armée du marabout du Rip soutenue par Lat-Dior. Après de rudes combats dans la clairière de Fa-Ndane Thiouthioune un Saltigué du nom de Laba Boof respecta sa promesse : il fit tomber une pluie torrentielle qui mouilla la poudre de Maba et empêche toute mobilité aux forces musulmanes.97(*) Le Sine qui avait mobilisé toutes ses forces combattantes terrorisait ainsi l'ennemi. Sentant le péril qui menaçait, Lat-Dior abandonna «  son marabout » et prit la fuite, car pour lui, la cause était perdue et le soleil de la victoire pointait déjà dans l'horizon des guerriers du Sine. Avec une témérité indescriptible, ces derniers tuèrent Maba et écartelèrent son corps. La tradition orale nous apprend que « les morceaux du corps de Maba furent amenés et enterrés à travers tout le Sine ; à Félir, Sambatoude, Ndialgué et vers Thiemassas. La peau qui servait de tapis de prière au marabout et son coran restèrent au Sine ».98(*) Bour Sine envoya, en signe de son triomphe, la tête et un bras de Maba au commandant de Gorée.99(*)

    Maba Diakhou, le combattant de la foi mourut ainsi en terre du Sine sans jamais réussir à islamiser ce pays très enraciné dans ses croyances multiséculaires. « Cette glorieuse épopée de l'islam en terre sénégambienne »100(*) ne se répandit pas au Sine où les Ceddo étaient résolus à rejeter à jamais cette religion qui menaçait la croyance de leurs pères et régentait leur vie au mépris de leurs coutumes. Le Sine faisait ainsi figure de bastion inexpugnable de la résistance anti-islamique. « La victoire du parti ceddo que symbolise ici Kumba Ndoofen Juuf sur les forces musulmanes est éclatante ».101(*) Victoire d'autant plus reluisante que ce fut à l'armée qui a battu Pinet-Laprade dans la célèbre bataille de la vallée de Pathé Badiane qu'on infligea cette défaite.

    Après la mort de Maba, Bour Sine Coumba Ndofféne Diouf, galvanisé par son triomphe, remit en cause les traités de 1859 et de 1861. En effet il se rendit avec ses Ceddo en août 1871 à Joal pour collecter les impôts et les taxes auprès de la population indigène et auprès des traitants français. Cette entreprise téméraire lui coûta la vie, car un traitant nommé Beccaria tira sur lui à bout portant et le blessa mortellement.102(*)

    Coumba Ndofféne mourut ainsi sur la terre de ses aïeux. Cependant il était parvenu, tant bien que mal, à faire face aux français pour assurer la sécurité de son peuple. Il combattit sans répit pour atteindre cet idéal : laisser à la postérité un royaume souverain en en extirpant tous les germes de la désintégration que pourraient semer les envahisseurs français et musulmans. Il n'a jamais perdu de vue que la survie du Sine  passait par le respect de ses coutumes et de sa religion ancestrale. Il avait, jusqu'à sa mort refusé d'entériner l'amputation de sa province maritime par la France.103(*) Mais après sa mort, le Sine fut plongé dans une longue période d'instabilité politique marquée par des guerres de succession au trône. Profitant de cette situation, les français réussirent à instaurer un protectorat en 1891.

    II- Le protectorat de1891

    La période de trouble qui suivit la mort de Coumba Ndiofféne Fa Maak Diouf vit s'affronter Sanou Mone Faye et Sémou Maak Diouf. Ce dernier fut choisi par le grand conseil du Sine pour succéder au Bour défunt. Ce choix frustra le Boumi104(*) Sanou Mone Faye qui, en levant l'étendard de la révolte, plaça ainsi le Sine dans une sanglante guerre civile. Soutenu par le Baol, Sanou Mone réussi à prendre le pouvoir et il transféra la capitale du Sine à Ndiongolor.105(*) Sanou Mone réputé par son sadisme et sa cruauté bénéficiait, malgré tout, de l'appui des autorités françaises. Celles-ci ne voulaient, sous aucun prétexte, voir Sémou Fa Maak, allié de leur ennemi Lat-Dior prendre le pouvoir au Sine. C'est pourquoi Canard, commandant supérieur de Gorée signa avec Sanou Mone un traité le 13 septembre 1877. Par ce traité, Sanou Mone approuva les clauses de 1859 et de 1861. Les commerçants français furent encore autorisés à bâtir des établissements en maçonnerie à Fatick et à Silif. Les produits sortant du Sine payeront un droit de 3% au profit du Bour. L'exterritorialité fut accordée aux sujets français.

    Le Sine était encore placé sous l'autorité française par Sanou Mone qui mourut le 4 mars 1878 à la bataille qu'il livrait à Hodjil contre Bour Saloum Sajuka Mbodji.106(*) Sanou Mone fut remplacé par Sémou Fa Maak qui tenta d'apaiser l'atmosphère délétère qui enveloppait le Sine depuis la mort de Coumba Ndoffène. Mais son règne fut éphémère, il se donna la mort en novembre 1881. Ce climat de guerre ne s'apaisa pas de sitôt car la haine avait gagné les coeurs des différentes familles royales du Sine. Deux nouveaux camps s'affrontèrent : celui de Amady Baro Diouf contre les partisans de Mbacké Ndiaye. Le premier réussit à se maintenir au pouvoir jusqu'en 1884 date à laquelle Mbacké le tua. Mbacké chercha l'appui des autorités de Gorée, ce qui n'empêcha pas la révolte de Niokhobaye Diouf. Ce dernier parvint à s'emparer du pouvoir, mais il sera évincé à son tour par Mbacké Ndeb neveu de Mbacké Fa Mack.

    L'avènement de Mbacké Ndeb au trône constitua un tournant dans l'histoire du Sine. En effet, cherchant l'appui des Français contre son rival qui continuait de s'agiter, Mbacké bravant la coutume qui interdisait au Bour Sine la vue de l'océan se rendit à Saint-Louis où il signa, le 15 septembre 1891, avec le gouverneur Henry De Lamothe un traité par lequel le Sine était devenu « une province indépendante sous le protectorat et la souveraineté de la France ».107(*) Selon ce traité, il n'était rien changé aux moeurs, coutumes et institutions du pays. Le Maad a Sinig continua de conserver ses anciens droits et privilèges. Il s'engagea à donner « toutes les facilités possibles pour la construction de routes, chemins de fer, lignes télégraphiques, postes fortifiés dans toute l'étendue du Sine. »108(*) Toute cette future armature économique devait être la propriété de la France. De même une bande de terrain de cinquante mètres de chaque côté des voies ferrées et un carré d'un kilomètre de côté furent réservés aux compagnies françaises. La main-d'oeuvre nécessaire aux travaux de fortification devra être fournie par le Bour Sine. Le commerce, l'industrie et l'agriculture furent déclarés entièrement libres pour les Français et pour leurs sujets. Le Bour Sine s'engagea également « à verser chaque année une part des impôts perçus dans le Sine entre les mains du Gouverneur du Sénégal. »109(*)

    Par ce traité, Mbacké Ndeb avait tant bien que mal réussi à éviter la partition de son royaume entre les différentes familles royales du Sine. Les ardeurs de Niokhobaye furent neutralisées. Cependant le royaume Sérère fut fatalement placé sous la tutelle des autorités coloniales françaises. Celles-ci s'activèrent à mettre sur place une administration qui eut pour but d' « assurer la paix et la tranquillité propices à la culture de l'arachide et aux transactions commerciales entre la colonie et les commerçants devenus producteurs. »110(*)

    III - La mise en place de l'administration coloniale

    Au lendemain de la conquête,  le colonisateur entendait remodeler, selon ses principes, la vieille organisation administrative afin de mieux tirer profit des ressources économiques qu'offraient les terroirs nouvellement occupés. Ainsi, dés 1898, on assista à la partition du Sine qui, jusque-là constituait une seule entité cohérente, en deux provinces : le Sine oriental et le Sine occidental respectivement confiés à Couba Ndofféne Fa Ndeb Diouf et à Coumba Djimbi Ndiaye.

    La province orientale fut divisée en cinq cantons : Ngayokhéme, Dioine, Djarrekh, Ngohé et Guilas ; et le Sine occidentale en quatre cantons : Diakhao, Ndiop, Sanghay et Marouth. Cette organisation fut modifiée par l'arrêté du 4 mai 1908 qui restreignit le nombre de cantons à cinq pour l'ensemble du royaume.111(*) Ce nouveau découpage prévalut jusqu'en 1926, date à laquelle le Sine fut divisé entre les cantons de Diakhao-Marouth, Sanghay-Ngayokhéme, Dioine, Diourroup et Ndangane.

    En principe, le canton était considéré comme « un territoire de superficie variable, aux limites tracées en tenant compte de données historiques, géographiques ou ethnologiques »112(*) de façon à permettre aux populations d'évoluer en conservant leur particularisme. Au Sine, cet axiome fut déjà en place car, ce terroir quasi homogène fut peuplé par l'élément dominant Sérère. A la tête de chaque province, on nomma un chef de province ou chef supérieur. Les cantons furent administrés par des chefs de cantons. L'unité de base étant le village dirigé par un chef de village.

    Vu l'immensité de l'espace à contrôler et la modicité des effectifs du personnel administratif français, l'autorité coloniale était contrainte de faire recours aux chefs locaux pour mieux asseoir sa domination. Ce recours à la chefferie indigène entrai dans la logique même du système colonial car, « il n'y pas de colonisation sans politique indigène ; pas de politique indigène sans commandement territorial ; et pas de commandement territorial sans chefs indigènes qui servent de rouages entre l'autorité coloniale et les populations ».113(*)

    En principe le choix de ces chefs devait s'effectuer en s'inspirant des coutumes du pays conquis. Le gouverneur général Ponty, dans une circulaire du 22 septembre 1909, rappelait qu'il y avait des avantages à choisir les titulaires des nouvelles circonscriptions par le moyen de la coutume.114(*) Plus tard, en 1917, le gouverneur Joost Van Vollenhoven notait lui aussi que « le choix doit être fait selon le double critère de l'autorité naturelle et de l'acceptation unanime de la population. »115(*) En 1930, le gouverneur Carde dans une circulaire du 21 juillet insistait encore sur ce principe. Mais pour lui, il était nécessaire  en certaines circonstance de faire table rase de l'armature traditionnelle.

    Le colonisateur ne respectait pas toujours ce critère. Au Sine, même si le traité de protectorat de 1891 affirmait qu'il ne sera rien changé dans les coutumes et institutions du pays, cela n'empêcha pas que les nominations se fassent en dehors du cadre traditionnel. Ceci suscitait parfois des révoltes sporadiques de la part des administrés. Ces derniers n'acceptaient guère qu'on leur imposa des chefs dont le choix ne répondait pas aux critères traditionnels de nomination. Dés lors l'autorité de ces chefs devint superficielle. En 1898 par exemple Coumba Djimbi Ndiaye fut nommé chef supérieur de la province orientale. L'assemblé des notables du Sine réagit à cette nomination. Par la voie de leur porte-parole le Grand Jaraaf Mbagne Ndiougour Séne ces notables se mirent d'accord pour choisir Comba Ndoffène Diouf comme chef unique. Ainsi dés le début, le Sine ne veut pas remettre en question l'autorité du Bour élu selon la tradition ici, Comba Ndoffène Diouf. Les Sérères n'obéirent jamais à Coumba Djimbi qui est suspendu de ses fonctions en 1899.116(*)

    Cependant quel que fusse leur mode de nomination, ces chefs étaient « les hommes à tout faire de l'administration coloniale. »117(*) Le gouverneur Ponty les qualifie d' « auxiliaires de l'administration coloniale ».118(*) Ils assuraient les charges les plus impopulaires : collecte de l'impôt, réquisition de main-d'oeuvre, corvées, recrutement militaire, application des cultures forcées etc. En définitive, leurs fonctions étaient d'ordre administratif, policier, financière et sanitaire. Ils étaient tenus d'assurer l'exécution des ordres venant des autorités supérieures ( Gouverneur, Commandant de Cercle). Ils représentaient les appelés devant les commissions de recensement pour le service militaire. Ils s'occupaient de l'état civil c'est-à-dire du registre nominatif des naissances, des décès et des mariages. Le maintien de l'ordre public leur incombait et ils informaient les autorités coloniales des grands événements qui se sont déroulés dans leur village, canton ou province. Ils signalaient aussi les épidémies et épizooties qui se déclaraient dans leur circonscription.

    La véritable fonction de chef s'affichait surtout en matière financière où il jouait un rôle primordial. Il était percepteur d'impôt et fut noté dans ce domaine. Son maintien et sa promotion dépendaient largement de sa capacité à mobiliser le maximum de ressources fiscales. En 1907 par exemple, Lefilliâtre, administrateur du cercle du Sine-Saloum disait de Coumba Ndoffène qu'il « est l'homme qu'il faut au Sine ».119(*) Cette appréciation faisait suite à la bonne rentrée de l'impôt notée dans la province sérère. Trois ans plus tard, en 1910, les chefs de canton de Ngohé, de Joal et de Boyar qualifiés comme étant « les seuls dont les manières de servir ont laissé à désirer et dont il a été nécessaire d'assurer le remplacement par des chefs plus capables et plus attachés à leur fonction »120(*) de percepteurs d'impôts.

    En échange des services qu'ils assuraient, ces chefs indigènes bénéficiaient des ristournes sur les rentrés d'impôt. C'est pourquoi tous les moyens étaient bons pour recouvrer le maximum d'argent car aux yeux de l'administration coloniale, le « bon chef » était celui qui collectait le plus d'impôt. Ainsi pour se donner une bonne impression auprès d'une administration boulimique, les chefs indigènes n'hésitaient pas à commettre les plus abominables exactions sur leurs compatriotes. Ceux d'entre eux qui ne voulaient pas charger leur conscience de ces crimes, se voyaient écartés et remplacés par d'autres plus « capables ». En effet cette valse des chefs aboutit à leur démystification et à la désacralisation de leur autorité.

    Pour l'administration, le recours à la chefferie indigène était le seul moyen pour faire face à l'effectif squelettique du personnel européen. Ces chefs finirent par constituer les engrenages de la machine du commandement colonial, les « vrais chefs de l'empire ». Par ces nouvelles structures, le colonisateur réussit tant bien que mal à instaurer un fatal chamboulement de l'ordre existant. Ainsi on assista au craquement de l'armature des institutions traditionnelles. Les plaintes des vaincus n'y changèrent rien. Toutes les conditions furent d'ores et déjà réunies pour mettre la machine de l'exploitation en marche et tirer le maximum de ressources dans les terres nouvellement conquises. L'impôt de capitation constituait une part importante de ces ressources. C'est pourquoi le colonisateur n'y a jamais transigé.

    DEUXIEME PARTIE : L'IMPOT COLONIAL

    CHAPITRE I : LA CULTURE ARACHIDIERE DANS LE SYSTEME FISCAL

    I- L'arachide et les paysans du Sine

    A- La production

    Au lendemain de l'abolition de la traite des Noirs, il était devenu indispensable de redéfinir les termes du commerce entre l'Europe et ses colonies. L'Afrique Noire, qui jusque là était pourvoyeur d'esclaves, devait convertir son économie dans la production de matières premières recherchées par l'industrie européenne en plein essor. En Sénégambie, on orienta la production vers l'arachide. Introduite en Sénégambie depuis le XVIème siècle par les Portugais et les Espagnols, cette oléagineuse se développa dans la seconde moitié du XIXème pour répondre aux besoins croissants et pressants de l'industrie européenne en lubrifiants et en savons. En effet après l'échec de la colonisation agricole au Walo, l'arachide devint le produit miracle désigné qui se substitua à la traite des Noirs pour sauver le commerce français de l'impasse qui le guettait.121(*)

    A la même période, une certaine opinion s'était développée dans les milieux métropolitains qui donnait au Sénégal une « vocation agricole ». Cette opinion était basée sur un argumentaire d'ordre climatique selon lequel le climat du Sénégal était de tous les climats tropicaux celui qui semblait réaliser le plus  les conditions optimales pour la culture de l'arachide.122(*) Ainsi au congrès colonial de Bordeaux de 1907, Fleury estimait que « l'avenir de ce pays [le Sénégal] est dans la culture de l'arachide, grâce aux conditions qui permettent à l'arachide d'accomplir toutes les phases de sa végétation en quatre mois ».123(*) Des considérations d'ordre politiques furent aussi évoquées. En 1896, Noirot, commandant de cercle du Sine-Saloum pensait que « seule la culture de l'arachide peut affranchir le paysan de son ennemi le ceddo ».124(*)

    Dans ce programme d'orientation économique qui voulait donner à l'arachide une impulsion nouvelle dan la colonie du Sénégal, le Sine-Saloum occupait une place centrale. Ce cercle fut pendant longtemps considéré comme le « grenier à oléagineux du Sénégal ». L'arachide allait devenir la principale production. « Cette plante est cultivée partout, nous dit Aujas, mais les terres les plus favorables sont dans le Sine ».125(*) Du point de vue pédologique, les terres silico-argileuses ou sols diors du Sine sont très favorables à l'arachide. La prédominance du Sine dans la culture de l'arachide était également liée aux méthodes culturales des paysans Sérères qui associaient étroitement l'élevage et la culture.

    Le développement vertigineux de cette culture était aussi fonction du peuplement très dense et du réseau abondant de communication, constitué par le Sine et ses ramifications ainsi que les nombreux bolong qui facilitaient la pénétration dans ce terroir. Le Sine était donc naturellement bien placé pour mieux produire. L'ensemble de ces atouts fit que « la graine du Sine fut assurément la plus recherchée comme présentant une teneur en huile supérieure à celle des autres arachides du cercle ».126(*) C'est pourquoi on désignait ce terroir par l'expression « quadrilatère stratégique de l'arachide au Sénégal ».127(*)

    Cependant, le facteur qui a le plus influé sur la production arachidière a été l'instauration de l'impôt de capitation et l'établissement des budgets régionaux à partir de 1892. Celui-ci était un moyen sûr de stimuler la production. Noirot semblait bien comprendre les rapports entre l'arachide et l'impôt de capitation quand il affirmait en 1896 que « si nos populations n'avaient pas l'obligation de satisfaire à l'impôt, si elles n'étaient obligées de se mettre forcément en rapport avec le commerce pour se procurer les espèces nécessaires, la culture des produits industriels tomberait dans des proportions désastreuses ».128(*) Ceci est d'autant plus vrai qu'à partir de la mise en place de l'impôt de capitation, on a notait dans tout le Sine-Saloum une certaine ruée vers l'arachide. Ce qui se traduisit par une augmentation toujours croissante de la production comme on peut s'en rendre compte à travers le tableau suivant :

    Tableau n°1 : Production du Sine en arachide de 1890-1896.

    Années

    Production du Sine-Saloum en tonnes

    Part du Sine en tonnes

    Pourcentage du Sine

     

    1890

    5000

    3000

    60%

     

    1891

    8000

    5000

    62,5%

     

    1892

    10.000

    6.500

    65%

     

    1893

    12.000

    7.000

    58,3%

     

    1894

    11.000

    6.000

    54,5%

     

    1895

    13.000

    7.500

    57,6%

     

    1896

    14.000

    9.000

    64,2%

     
     

    Source : A.N.S. 13G326. [Le calcul du pourcentage est fait par nous].

    Cette production était largement liée aux caprices des cieux et du marché. En effet, quand le prix proposé répondait aux ententes des paysans, on assistait l'année suivante à une augmentation des surfaces consacrées à l'arachide. Quand le contraire se produisait, les masses laborieuses sous la conduite de leur Bour décidaient soit le « laff » (refus de vendre l'arachide), soit une réduction des surfaces consacrées à l'arachide. En 1901 par exemple, le Bour Sine Coumba Ndoffène Fa Ndeb Diouf avait interdit la culture de l'arachide à ses sujets pour protester contre les bas prix et contre les risques de pénurie de produits alimentaires qui menaçait son royaume en raison de l'extension de la culture arachidière.129(*)

    Les contribuables indigènes finirent par comprendre que c'était ce produit qui rythmait toute l'activité économique de la colonie. Toute l'attention des autorités et du commerce s'était désormais tournée vers l'arachide. Aussi fit-on entendre aux producteurs que leur intérêt était « d'étendre la culture de l'arachide, seul produit au Sénégal qui leur permit, quelque fut son cours, de subvenir à leurs premiers besoins domestiques et de payer l'impôt ».130(*) C'est pourquoi quand une mauvaise récolte s'annonçait c'étaient toujours la consternation et le désarroi. En 1896 toujours, Noirot s'inquiétait de l'avenir de la culture arachidière dans son cercle car disait-il « tout fait prévoit que la prochaine récolte sera bien inférieure à celle-ci, décidés que sont les indigènes à ne cultiver en tous produits industriels que le strict nécessaire pour payer l'impôt ».131(*)

    Cette détermination des paysans à produire moins était motivée par la dégringolade des prix qui leurs étaient proposés. De 16 francs en 1890, le prix du quintal descendit à 14 francs en 1891, 13 francs en 1892, 12 francs en 1893 et à 10 francs en 1894. En 1896, l'offre était de 8 francs et même 7,50 francs.132(*) La traite 1914-1915 fut particulièrement pénible pour les paysans. A l'aurore de la Grande Guerre qui entraîna l'humanité tout entière dans une tuerie sans répit jusqu'en 1918, le quintal d'arachide coûtait 5 francs (année du barrigo deurreum) alors qu'il se vendait à 25 francs en 1913. Les raisons évoquées étaient le coût élevé du fret de la colonie vers la métropole, l'insuffisance des navires (mobilisés pour la Grande Guerre), et l'insécurité des transports maritimes. Cette année, la production du Sine-Saloum en arachides s'élevait à 75.000 tonnes.133(*) Malgré ces difficultés conjoncturelles, les paysans étaient toujours tenus de produire pour « acquérir ces signes monétaires devenus indispensables ».134(*) De 1921 à 1926 par exemple, on a noté une hausse régulière de la production d'arachide dans le Sine -Saloum passant de 80.000 à 145.000 tonnes.135(*)

    Ces résultas obtenus étaient dus pour une large part à l'augmentation de la population du fait de l'afflux des navétanes, de l'action de la Société Indigène de Prévoyance qui distribuait des semences sélectionnées et des instruments aratoires aux paysans. Par ailleurs, le taux de la capitation étant de plus en plus élevé, les contribuables produisaient davantage pour être en règle avec le fisc, gage de leur tranquillité. En 1927 par exemple, un cultivateur du Sine payait 15 francs de capitation, aux quels s'ajoutait la cotisation à la S.I.P. (le franc du commandant), ce qui lui faisait 16 francs d'impôt. A ces 16 francs s'ajoutaient en 1929, 4 francs au titre de la taxe d'assistance médicale indigène soit un total de 20 francs d'impôt. Une famille de quatre contribuables devait ainsi payer 80 francs soit la valeur de 110 kilogrammes d'arachides.136(*)

    A la veille de la deuxième guerre mondiale, la production de graines fut encouragée au Sénégal « pour ravitailler la France en oléagineux et intensifier les cultures vivrières pour freiner les importations de riz indochinois que les hostilités risquent de rendre aléatoire ».137(*) A la même période, les paysans du Sine comme leurs compatriotes sénégalais vivaient déjà une situation délicate. En 1940, le prix de l'arachide était de 0 francs 90 le kilogramme, coïncidant avec une montée en flèche du taux de l'impôt, car on demandait aux populations une contribution exceptionnelle qui s'élevait à 10 francs par contribuable.138(*) Ceci représentait un lourd fardeau pour les contribuables paysans à qui on imposait un système commercial très affligeant qui ne tenait pas compte de leurs intérêts.

    B- La commercialisation

    Toute activité commerciale requiert d'abord l'existence de voies de circulation pour l'évacuation des produits. Favorisé par sa position géographique, le terroir Sérère du Sine dispose d'un système d'évacuation très dense. Son réseau fluvial était constituait par les innombrables ramifications du bras de mer Sine ainsi que les nombreux bolongs qui jalonnaient cette entité géographique de la colonie du Sénégal. Grâce aux cotres, le trafic de l'arachide fut facilité sur ces axes par l'aménagement de nombreux débarcadères. Sur le Sine, on avait ceux de Fatick ( Ndouck ), Nianioroh, Siliff, Fayako, Nonane, Ndangane, sans oublier Joal et Palmarin ainsi que Djilor Djidiack. Ces escales permirent le drainage des produits vers les grands ports de Foundiougne et de Kaolack. Ce dernier port, considéré dans les années 1920 comme le second de toute l'Afrique Occidentale Française après celui de Rufisque, joua un rôle sans précédent pour le trafic de l'arachide au Sine et au Saloum. Au-delà de ce port, l'escale de Fatick fut d'une importance capitale pour les producteurs du Sine. Lors de sa tournée dans le Sine-Saloum en 1924, le gouverneur général disait de Fatick qu'elle était « une des escales les plus importantes du Sénégal. Il s'y traite annuellement 24 à 25.000 tonnes d'arachides. »139(*)

    En plus de ces voies naturelles, l'administration coloniale s'attela à la mise en place d'un réseau d'évacuation routier. Dés 1860, on aménagea la route qui relia Diakhao, capitale historique du Sine et Fatick, « ce qui permettrait une évacuation future du produit arachidier par voie maritime ».140(*) Ce réseau fut renforcé entre 1890 et 1896 par Ernst Noirot qui tenta de relier les grands centres de production aux escales de traite. Cependant l'atout majeur pour le commerce de l'arachide a été l'ouverture du chemin de fer Thiés-Kayes. Le Sine-Saloum qui était traversé par 190 kilomètres de rail disposait aussi de sept gares en plus des terminaux de Kaolack et de Lyndiane, ce qui permit une évacuation très rapide de la production des paysans de ce cercle.

    A côté de ces infrastructures modernes, on utilisait également les moyens du terroir. Les transports furent ainsi organisés par animaux dans toute la mesure du possible en mobilisant les ânes et les boeufs, et par caravanes de chameaux venus de la Mauritanie. Ceux qui n'avaient pas les moyens pour payer le trafic utilisaient le portage pour vendre leurs produits dans les escales. En 1933, on estimait à 100.000 tonnes le transport effectué par auto ; à 30.000 celui fait par chemin de fer ; et à 20.000 tonnes le transport effectué par chameaux.141(*) Mais il faut dire que la confiance accordée à ces caravaniers s'amenuisait de jour en jour car ils laissaient dans le Sine de très mauvais souvenirs. Ils étaient réputés pour leur malhonnêteté. Ils se livraient non seulement au transport des arachides, mais aussi à l'achat clandestin de sacs en dehors des points de traite. Ils fraudaient également sur les poids et mesures en introduisant du sable mouillé dans les sacs. De même ils s'adonnaient très souvent aux enlèvements d'enfants dans les villages qu'ils traversaient.142(*) La relative facilité de pénétration due au réseau abondant permit aux commerçants de s'installer au Sine pour la pratique de leurs activités.

    D'abord les Lybano-syriens prirent le dessus des transactions commerciales avec les producteurs indigènes du Sine. La présence de ces levantins est signalée au Sénégal vers 1890. En 1904 on comptait déjà 23 Lybano-syriens dans le cercle du Sine-Saloum. Ils seront 132 en 1925. 143(*) Ces Levantins sillonnaient les villages pour troquer leurs produits contre de l'arachide. La réussite de leurs échanges avec les populations attira très vite la jalousie de la chambre de commerce de Dakar qui vit en eux des concurrents déloyaux.144(*)

    A côté de ces asiatiques, d'autres commerçants prirent peu à peu possession de l'intérieur du pays sérère. En 1902 déjà on notait la présence de commerçants installés à Diakhao la capitale du Sine,145(*) sans oublier ceux qui s'étaient installés à Ndiaye- ndiaye prés de Fatick, Ndouck, Nonane, Ndangane, Siliff, en plus des comptoirs de Jaol, de Palmarin et de Djilor Djidjack où un fils du terroir Diogoye Senghor ( père du président Léopold Sédar Senghor ) avait construit avec ses propres moyens un wharf en 1917.146(*)

    Cependant ce furent les puissantes maisons et compagnies de commerce qui monopolisaient le commerce de l'arachide. Celles-ci avaient dés la fin du XIXème siècle jeté leur dévolu sur le poumon arachidier du Sénégal pour drainer cette oléagineuse vers les huileries occidentales. Elles étaient déjà quatre dans le Sine-Saloum en 1886 : Buhan & Teissère, Maurel & Prom, Maurel & Frères et la S.C.O.A. ; en 1907, Chavanel s'installa, de même que Régnault-Clastes et Plantey & Cie ; Barthes & Lesieur en 1921, ainsi que la NO.SO.CO. et Soucail & Cie.147(*)

    Ces puissantes maisons et compagnies contrôlaient la quasi-totalité du commerce au Sine-Saloum. Elles fixaient les prix sans tenir compte des intérêts des producteurs. Ces derniers supportaient toute l'iniquité du système. « Qu'ils fassent de l'arachide, c'est tout ce qu'on leur demande. Peu importe en fait les conditions de leur vie et les perspectives de leur développement individuel et familial. »148(*) La préoccupation de ces commerçants était d'acquérir l'arachide à vil prix et de s'enrichir quel qu'en fussent les moyens, car leur prospérité dépendait de l'exploitation systématique et impitoyable des misérables paysans. Cette spoliation se traduisait par l'utilisation de fausses bascules et par l'imposition de cours très bas qui fut toujours à l'origine d'une réduction du numéraire en circulation. Ainsi le paysan indigène, après avoir payé des impôts ne disposait que de peu d'argent pour effectuer de nouveaux achats de produits d'usage quotidien.

    Devant ce système usuraire, les chefs locaux prenaient souvent des décisions. En 1888, les cultivateurs du Sine trouvant très inférieurs les cours auxquels on a mis leurs produits ( 0 franc 90 le kilogramme ), le Bour Mbacké Ndiaye avait mis le « laff » c'est-à-dire une interdiction générale sur les produits récoltés dans son royaume.149(*) Coumba Ndofféne Fa Ndeb Diouf fera la même chose en 1901. Mais cette forme de contestation était toujours éphémère, car le paysan n'avait aucune autre solution, et rendue inefficace par les exigences des agents du fisc. La seule alternative pour les paysans fut une extension démesurée des emblavures consacrées à l'arachide, au détriment des cultures vivrières qui prenaient déjà un recul à des proportions notoires ; ce qui était aussi source de dégradation progressive de son environnement naturel.

    C- Le recul des cultures vivrières et la dégradation de l'environnement

    Face à un système commercial qui ne se souciait guère de leurs intérêts, les paysans, obligés de produire pour assouvir la boulimie du système colonial, finirent par comprendre que le seul moyen d'atténuer l'érosion progressive de leur pouvoir d'achat était d'augmenter la production. Aussi assistait-on à une extension tentaculaire de la culture de l'arachide dans le Sine où les paysans s'activaient sans répit à arracher péniblement à la terre de quoi disposer du numéraire. L'arachide commençait à occuper une part importante des emblavures : 23% en 1900, 32% en 1908, 36% en 1912 et 58% en 1914.150(*) En 1932, l'arachide occupait 225.000 hectares sur les 360.000 mis en culture dans le Sine-Saloum soit 62,5% des superficies cultivées.151(*)

    Vendre pour se procurer de l'impôt étant devenu une chose impérieuse, on assistait peu à peu à la disparition de la polyculture traditionnelle. Les cultures vivrières prirent un recul notoire en particulier le mil.152(*) L'économie d'autosubsistance cédait la place à une économie marchande de type capitaliste, consacrant ainsi la dépendance des masses laborieuses du Sine vis-à-vis du commerce français. L'autosuffisance alimentaire n'était plus assurée et les paysans vivaient toujours sous la hantise d'une famine et des périodes de soudure qui les plongeaient chaque fois dans des conditions de vie impitoyables. La preuve vivante en était la grande famine de 1905-1906 au Sine et au Saloum. Le paysan produisait non plus pour satisfaire uniquement les besoins alimentaires de son groupe, mais aussi pour acquérir l'argent de l'impôt sans quoi les percepteurs l'accablaient de mesures vexatoires.

    L'évitement de cette situation passait par un défrichement irraisonnable pour faire de l'arachide. Partout on détruisit les forêts pour faire place à l'arachide sans se préoccuper du déséquilibre de la nature.  Des espaces qui jusque-là étaient réservés à la pâture furent défrichés. Le processus de la désertification avançait au galop. Le rétrécissement constant du couvert végétal pour une agriculture plus intensive fut à l'origine de l'épuisement des terres par suite du manque d'engrais et du défaut d'assolement des cultures. L'érosion des sols, la disparition des jachères et l'avancée du désert arrachaient à la nature son vrai charme et ses vrais richesses. Les conditions atmosphériques se modifièrent et un déséquilibre environnemental s'installa. Cette destruction brutale du tapis végétal, en facilitant l'érosion des sols, consacrait également la baisse des rendements aussi bien des cultures vivrières que de l'arachide même.

    Au total, l'arachide finit par devenir le déterminatif des rapports entre l'administration coloniale et les contribuables indigènes du Sine. De son abondance dépendait les rentrées de l'impôt et par conséquent la bonne marche de l'administration et la tranquillité des populations. C'est pourquoi toutes les énergies étaient mobilisées pour accroître la production. Les navétanes et les Sociétés Indigènes de Prévoyance jouèrent un rôle important dans l'accroissement de la production arachidière.

    II- Les navétanes

    On désignait par le terme navétanes les travailleurs venant de l'est et du sud du Sénégal (Soudan, Guinée, Haute-Gambie, Casamance...) cultiver l'arachide dans le bassin arachidier du Sénégal, pour gagner l'argent de leur dot et de leur capitation.153(*) Les documents d'archives d'avant 1896, parlent de manière très imprécise de ces migrants en évoquant « des étrangers originaires des colonies voisines », « des cultivateurs de passages venus des colonie du groupe de l'A.O.F. » ou encore «  des travailleurs agricoles du Soudan ».154(*) En 1897, on parlait déjà d' « étrangers venus de l'est cultiver l'arachide pour gagner l'argent de l'impôt ».155(*) Etymologiquement le terme navétane vient du mot wolof « nawet » qui signifie saison des pluies ou hivernage. Il désigne donc les « gens de l'hivernage », c'est à dire les migrants saisonniers car ces étrangers arrivaient un peu avant les premiers orages et retournaient chez eux juste après les récoltes.156(*)

    Le motif de leur présence au Sine était donc bien défini au départ : gagner l'argent de l'impôt et de la dot en cultivant l'arachide. La fertilité du pays Sérère constituait une des causes du choix de cette région par les navétanes qui commencèrent à s'y installer timidement vers 1897. Cette année-là, les « gens de l'est venus chercher du travail à Dakar mais séduits par la fertilité du pays s'installent dans le canton de Ndangane ».157(*) La même année, on signala à Niakhar la présence d'un groupe de Toucouleurs qui fondèrent même le village de Lakhar.

    Progressivement, le nombre de ces migrants augmentait de telle sorte qu'en 1920 on parla au Sine-Saloum d'une « affluence inaccoutumée ».158(*) Mais c'est véritablement à partir de 1923, avec l'ouverture complète du tronçon Dakar-Bamako que les travailleurs du Soudan commencèrent à s'implanter sur les terres du Sine et du Saloum. Ils descendaient maintenant en bataillons serrés pour jeter leur tentacule sur le pays utile.

    Dés son arrivée, le navétane devait choisir un logeur appelé ndiatigui. Les deux personnages sont liés par une sorte de « convention verbale par laquelle l'employeur assure à son co-contractant le logement et la nourriture pendant toute la durée du travail et lui prête en outre un champ particulier ».159(*) Le logeur jouait pour ainsi dire le rôle de support social et économique  pour le navétane qui était sous son entière responsabilité. Il pouvait en outre prêter au migrant le matériel agricole indispensable à l'exploitation de sa parcelle. Le ndiatigui assurait la nourriture du navétane (tabac et cola y compris) et selon ses moyens, il pouvait aussi prêter des semences à celui-ci.

    En contrepartie de ces services rendus, le navétane devait travailler aux champs de son logeur tous les jours de l'aube jusqu'à quatorze heures sauf le lundi et le jeudi.160(*) Le reste du temps il le consacrait à ses cultures personnelles. Ces navétanes participaient aussi aux travaux domestiques comme le tissage des palissades, la réparation des clôtures et des cases avant l'hivernage.

    Le « contrat » qui liait les deux parties était valable jusqu'à la vente des arachides. Après quoi, le navétane pouvait s'acquitter de ses dettes et retourner. Ce contrat régi par aucune loi précise fut un « contrat coutumier, traditionnel, évidemment oral et d'ailleurs souvent tacite, puisque généralisé et collectivement apprécié par un long usage, mais non immuable ».161(*) Ce contrat informel qui régissait les rapports entre logeur et navétane s'appelait ladjino au Sine. On peut le résumer comme suit : logement + nourriture + prêt d'un champ dont la gratuité fut discutable ; contre travail à temps partiel sur les champs du logeur.

    Ce contrat fut le régulateur des rapports sociaux entre deux entités d'horizons différents. De son respect dépendait la symbiose entre les deux parties engagées. Cependant, les vicissitudes de la vie, la complexité des rapports humains et surtout la confrontation de deux cultures différentes faisaient que certains saisonniers quittaient même leur logeur avant les récoltes. Mais l'un des motifs les plus avancés pour justifier cette rupture était souvent l'insuffisance alimentaire. Ceci pour dire que ces rapports n'étaient pas sans désagréments. Mais une fois ces contraintes sociales surpassées, le navétane pouvait se consacrer librement à ses activités pour gagner l'argent de sa capitation et retourner paisiblement chez les siens en attendant le prochain hivernage.

    Ces migrants saisonniers venaient dit-on au Sine pour des considérations fiscales. Notons dés lors que dans leurs cercles d'accueil, ils finirent, eux-mêmes, par être soumis à un contrôle fiscal. Dés leur arrivée en pays Sérère, ils étaient tenus de verser, à l'endroit qu'ils choisissaient, une taxe appelée « namou » ou « nango » qui s'élevait en 1893 à 20 francs au profit du Bour. Mais sous la pression d'Ernst Noirot administrateur du Sine-Saloum, résolu à favoriser l'installation de ces travailleurs saisonniers dans son cercle pour le développement de la culture de l'arachide, le Bour Sine Mbacké Ndiaye accepta la réduction de cette taxe à 6 francs en 1897.162(*)

    Outre les droits de culture qu'ils payaient au Bour Sine dés leur arrivée, les navétanes furent soumis à partir de 1924 à un contrôle fiscal systématique par les autorités coloniales. Ainsi par circulaire du 30 mai 1924, le gouverneur général demanda à chaque commandant de cercle de procéder à une vérification de la situation fiscale des nouveaux venus. On exigea ceux qui n'étaient pas en règle avec le fisc dans leur cercle d'origine, de verser la capitation dans leur cercle d'accueil.163(*) Pour mieux suivre cette politique, le gouverneur demanda aux autorités du Soudan, terre d'origine par excellence de ces migrants saisonniers qui, chaque année, envahissaient littéralement le bassin arachidier, de doter chaque navétane d'un « laisser-passer établi en forme de carte d'identité mentionnant sa situation au point de vue de l'impôt ».164(*) A partir de 1934, l'administration coloniale du Sénégal et celle du Soudan, cherchant à harmoniser cette politique de contrôle fiscal établirent un model commun de « carte navétane ».165(*) Sur cette carte furent mentionnées les informations sur le cercle d'origine et le cercle d'accueil du point de vue de la situation fiscale et médicale du détenteur. Toutes ces mesures finirent par mettre en exergue l'importance qu'avaient acquis les navétanes dans la production arachidière et par conséquent dans le système fiscal.

    Cette importance prit des proportions notoires au Sine et au Saloum telle que les autorités décidèrent de s'y impliquer. C'est pourquoi le 24 décembre 1928, Denorus, président de la Chambre de Commerce de Kaolack plaidait à Dakar en faveur de l'encouragement de cette main-d'oeuvre si vitale pour les intérêts économique de la région. Invoquant un manque de main-d'oeuvre dans le « Sine-Saloum [qui] n'est pas assez peuplé pour que la culture puisse se faire sans l'aide des navétanes »166(*), il adressa le 27 février 1929 au gouverneur un rapport sur la « question des navétanes qui est si vitale pour le Sine-Saloum, les ¾ de la récolte étant dus à la main-d'oeuvre soudanaise. »167(*) Dans ce rapport, Donerus dénonçait sans complaisance l'exploitation abusive dont étaient victimes les navétanes de la part des chefs de canton et de village. Ces derniers, dit-il n'hésitaient pas à choisir les navétanes pour les travaux de prestation et autres. Ainsi pour sortir ces migrants de cet engrainage, Donerus préconisa la création de « villages de navétanes » qui permettront d' « attirer dans le Sine et le Saloum 20.000 navétanes pour développer l'arachide [qui] est toute la vie de ce pays ».168(*)

    Ainsi à partir de 1929, Lechat commandant du cercle de Kaolack initia la politique des villages de navétanes. « Chaque canton va recevoir 100 navétanes maximum et les groupera en un ou deux villages de navétanes sous l'autorité d'un chef de leur race lui-même soumis aux ordres du chef de canton. »169(*) Avec l'aide de la chambre de commerce et de la S.I.P., chacun des navétanes « villageois » recevait une ration journalière de 250 grammes de riz, 500 grammes de mil et 0 franc 50 pour l `achat de condiments. La S.I.P. assurait la distribution des semences remboursables avec un taux d'intérêt de 20%. Avec l'ensemble de ces mesures, 76 « villages de navétanes » regroupant 1.569 individus virent le jour au Sine et au Saloum en 1929. Le Sine à lui seul totalisait 30 villages sur les 76 et 501 navétanes sur les 1569 soit 31,93% de l'effectif total comme le montre le tableau suivant :

    Tableau n°2 : Villages de navétanes

    Cantons

    Nombre de navétanes

    Nombre de villages

    Diakhao

    120

    8

    Diohine

    55

    4

    Niakhar

    106

    7

    Diouroup

    120

    8

    Ndangane

    100

    3

    Source : David Ph., op. cit. p. 67.

    Les autorités du cercle furent satisfaites par cette expérience, grâce, notamment au paiement sans défaillance de l'argent et des semences prêtés. Cependant l'objectif fixé à 22.000 navétanes fut loin d'être atteint. Seuls 2,8% des 55.000 navétanes recensés dans le Sine-Saloum furent concernés par ces villages.

    En 1930, on dénombra seulement 14 villages regroupant 1.460 navétanes.170(*) Cette année-là, la chambre subit un coup dur car « beaucoup de navétanes en effet n'ont pas assez d'argent en raison des bas prix des graines pour rembourser leur dû. »171(*) Beaucoup d'entre eux se sauvèrent en abandonnant leurs récoltes. Les statistiques de la chambre de commerce montrent qu'au 31 décembre 1930, les 3/7 des dettes n'étaient pas encore recouvrés soit 157.463,43 francs.172(*)

    Cette mésaventure du commerce français signa l'acte de décès des villages de navétanes aussi bien au Sine qu'au Saloum. En 1931, ces villages vécurent, mais les saisonniers demeurent. Quoi qu'il en soit, les « vieux terroirs Sérères surpeuplés du Kamasinik » continuèrent d'être la terre de prédilection des navétanes.173(*)

    La générosité des terres du Sine fut certes un grand motif pour attirer des navétanes, mais l'autre atout fondamental fut incontestablement l'hospitalité et l'humanisme du peuple sérère. Si ailleurs ces migrants saisonniers n'étaient pas bien traités et bien nourris, au Sine par contre, les « sérères prudents et soucieux de leur équilibre vivrier, les nourrissaient bien, récompensés d'ailleurs pour cela par la venu fidèlement régulière de nombreux saisonniers ». 174(*)Ainsi notait-on en 1932 leur présence « en assez grand nombre » à Toucar.175(*) En 1934 on dénombra dans la subdivision de Fatick, notamment dans les villages de Samba Dia, Patar, Soudiane, Diakhao, Marout, une population étrangères de 9.119 habitants.176(*) Cependant il faut préciser que ces « étrangers » n'étaient pas uniquement des Soudanais. On recensa dans le canton de Diakhao-Marout 935 navétanes originaires de la Région du Fleuve, des Voltaïques et des Guinéens.177(*)

    Très attractif par la fertilité de ses terres mais aussi par la sociabilité et l'intégrité des Sérères, le Sine fut pendant longtemps une terre par excellence des navétanes. Seulement sous l'action combinée du lessivage des terres dû à leur surexploitation et de l'ouverture des Terres Neuves du Saloum oriental, on a noté un rétrécissement constant des effectifs au Sine. Mais il est incontestable que ces migrants furent d'une grande importance pour l'exploitation de l'arachide au Sine et même au Sénégal en général. C'est pourquoi leur place dans l'étude de la fiscalité ne doit pas être négligée pour mieux mettre en exergue le rôle de l'arachide dans ce système. Aucune étude ne doit et ne peut même être menée sur ce sujet sans parler de ces braves gens que les vicissitudes de l'histoire ont transformés en « migrants saisonniers » pour se conformer en un ordre nouveau qui leur fut imposé.

    La même place doit être attribuée aux S.I.P. qui, dans leur caractère mutualiste contribuèrent certes au développement de l'arachide, mais vues sous l'angle fiscal, ces Sociétés Indigènes de Prévoyance constituèrent une nouvelle charge pour les populations soumises au poids des cotisations et des remboursements dont l'iniquité fut d'une évidence notoire.

    III- Les Sociétés Indigènes de Prévoyance

    Le Sine-Saloum, victime des caprices de la nature avait connu en 1905-1906 une disette endémique due à des conditions climatiques défavorables et à des invasions acridiennes répétées. Avec cette grande famine dont le souvenir reste encore vivace, toute l'économie du Sine-Saloum fut fortement menacée.178(*) Les populations crevaient de faim, les semences manquaient et un mouvement migratoire à des proportions gigantesques s'était enclenché en direction de la Gambie anglaise. Face à cette situation inquiétante, les autorités coloniales prirent des mesures surtout pour stopper ce flux migratoire et parer au manque de semences qui pouvait être fatal aux intérêts français. C'est pourquoi en 1907, le gouverneur général mit à la disposition de Charles Lefilliâtre administrateur du Sine-Saloum une somme de 20.000 francs pour « sauver » le Sine-Saloum, poumon arachidier du Sénégal. Avec ce crédit, Lefilliâtre réussit à prêter à 718 cultivateurs 55.000 tonnes de vivres et de semences d'arachides remboursables à la récolte avec un taux de 5%. Le but de cette opération fut selon les autorités du cercle « de parer à l'imprévoyance de l'indigène qui est essentiellement un homme du présent. Le passé ne lui servira point de leçon, et l'avenir n'existent déjà plus pour lui. »179(*)

    Le succès de cet essai fut total car toutes les graines prêtées furent remboursées. Encouragé par cette réussite, le gouverneur général institua, par le décret du 29 juin 1910, les « Sociétés Indigènes de Prévoyance et de Prêts Mutuels Agricoles » au Sénégal.180(*) Celles-ci sont définies comme constituant « essentiellement des groupes d'individus ayant les mêmes intérêts économiques et librement réunis pour les développer. »181(*) En décembre 1910, un arrêté local statua sur les S.I.P. du Sine-Saloum et du Baol. Dés 1911, l'expérience des S.I.P. fut étendue à toute l'Afrique Occidentale Française. L'adhésion de tous les indigènes d'un cercle devint obligatoire à partir de 1915, tandis que la volonté de deux habitants suffisait pour sa création.

    Le taux d'intérêt remonta à 25% dés 1908 et chaque sociétaire était tenu de verser 1 franc de cotisation annuelle. Cette cotisation appelée « franc du commandant »182(*) était perçue au même moment que la capitation. Elle faisait l'objet de beaucoup d'abus de la part des percepteurs. C'est grâce à cette contribution que la S.I.P. a pu fonctionner sans contrainte majeure pendant la première guerre mondiale. A partir de 1938, le taux de cette cotisation fut élevé à 2 francs et étendu à tous les hommes, femmes et enfants inscrits au rôle de l'impôt de capitation.183(*) Ainsi le commandant de cercle, par ailleurs président de S.I.P. disposait d'un «véritable budget régional supplémentaire qu'il gérait à sa guise. »184(*)

    La gestion souvent gabégique de ces fonds fait perdre à la S.I.P. sa bonne réputation chez les populations. Celles-ci, soumises à une cotisation qu'elles assimilaient à un impôt, subissaient les déboires des plus affligeants lors du remboursement. Selon Niokhor Diouf, au moment du paiement des semences, « la chance du paysan dépendait de l'humeur de l'agent de la S.I.P. Le sociétaire qui payait versait son arachide jusqu'à la satisfaction totale de cet agent car, la vraie quantité à payer n'était pas bien connue par le paysan ».185(*)

    Par ce système usuraire, la S.I.P. voulait atteindre ses objectifs. Ceux- ci définis dés le départ visaient surtout le développement des cultures industrielles, l'arachide en particulier. Le rapport de 1928 sur les S.I.P. définit ainsi ces objectifs :

    - L'intensification et l'amélioration de la culture de l'arachide ;

    - Augmentation du stock de réserves au moyen d'achats annuels faits aux paysans possédant les plus belles récoltes et par le jeu normal des prêts et des remboursements par nature avec un intérêt de 25% ;

    - Amélioration de la production en quantité et en qualité, par la sélection effective des semences au moment du stockage en créant à cet effet, dans chaque société un service spécial de sélection et par la distribution de primes aux cultivateurs qui auront apporté les plus beaux lots de semences, mais en exigeant d'eux par l'intermédiaire des chefs de canton et de village qu'ils ne livrent aux magasins de section que des semences soigneusement triées.

    Le coton était également visé par la S.I.P. qui préconisait l'établissement d'un programme en vue de l'extension et de l'amélioration de la culture cotonnière.

    La S.I.P. se préoccupait aussi de la culture du manioc. Au Sine-Saloum, un crédit de 20.000 francs a été inscrit à son budget pour achat de boutures de manioc et aussi de grains de ricin qui furent distribués aux paysans.186(*) Ce fut ainsi une manière très efficace de parer aux dangers de la monoculture arachidiére, de sorte que l'indigène pourrait, en cas de mauvaise récolte de l'arachide se rabattre sur ces cultures pour acquérir l'argent du fisc.

    Dés 1925, la S.I.P. de Kaolack considérée comme «  la plus florissante de toutes »187(*) prit en main la diffusion de la culture attelée et des semences sélectionnées. Cette société possédait au 31 décembre 1925 un capital de 4.637.436, 66 dont 319.483, 62 francs en espèces et des créances remboursables en graines de 3.228.237,90 francs. Elle était ainsi, de toutes les sociétés celle dont l'activité était plus efficace. En 1924, elle possédait déjà 29 magasins et 2 hangars. Elle construisit 3 magasins en 1925. 188(*)

    Cette société avait, en 1925 aménagé dans les subdivisions de Fatick, Foundiougne et Kaolack des champs d'essai en vue de la production de semences sélectionnées. En 1935, la S.I.P. du Sine-Saloum distribua aux cultivateurs du cercle 7.606 tonnes d'arachides et 2.500 kg d'arachides sélectionnées de Bambey, 99.880 boutures de manioc et 661 kg de maïs. Pour le matériel agricole, les paysans reçurent 636 houes alouettes et 216 semoirs Bajac leurs furent cédés à raison de 125 francs la pièce payable à la traite.189(*)

    Cette politique très efficace de vulgarisation du matériel agricole plaçait la S.I.P. du Sine-Saloum en tête. En 1930, elle contrôlait 271 instruments sur 601, soit 45% de l'outillage distribué dans l'ensemble du Sénégal.190(*) Cette société s'était fortement impliquée dans la sélection des semences. Son capital semencier augmentait à des proportions gigantesques. En 1924, elle avait distribué 37.500 tonnes, loin des 186.725 distribués en 1907. Le stock passa à 3.250 tonnes en 1925 et à 6.325 tonnes en 1929.191(*) La S.I.P. du Sine-Saloum occupait pour ainsi dire le coeur des actions agricoles mutualistes du Sénégal comme le montre le tableau suivant.

    Tableau n°3 : Semences d'arachides sélectionnées distribuées par la S.I.P du Sine-Saloum de 1925 à 1930.

    Années

    Semences

    Sélectionnés(Sénégal)

    Part de la SIP du Sine-Saloum en tonnes

    Pourcentage

    1925

    5.636 tonnes

    3.250

    57,68

    1926

    6.747 tonnes

    _

    _

    1927

    8.468 tonnes

    4.852

    57,21

    1928

    10.549 tonnes

    _

    _

    1929

    13.203 tonnes

    6.323

    47,89

    1930

    14.791 tonnes

    7.606

    51,52

    Source : Mbodj M., Op. cit. p. 423.

    Cet important stock permit à la société de distribuer des semences aux paysans du Sine pendant la campagne 1933-1934.

    Tableau n°4 : Semences d'arachides distribuées aux paysans du Sine 1933-1934

    Cantons

    Quantités prêtées (en hl)

    Quantités prêtées (en kg)

    Diakhao-Maroutte

    38.054

    1.331.890

    Sanghaye-Ngayokhéme

    24.986

    874.510

    Diouroup

    12.665

    443.275

    Ndangane

    7.289

    255.115

    Diohine

    7.619

    226.665

    Total cercle de Kaolack

    472.520

    16.538.200

    Source : A.N.S. 5Q3 (1) : Rapport sur le fonctionnement des S.I.P., 1934.

    Ces prêts qui étaient en moyenne de 2 hl par cultivateur se faisaient en mai- juin et étaient remboursables en nature après les récoltes avec un taux de 25%. Tout sociétaire qui s'acquittait de ses droits pouvait en outre demander et obtenir des prêts de vivres s'il justifiait d'un cas de force majeure : disette à la suite d'un événement malheureux ou calamiteux.192(*)

    A partir de 1928 des prêts en argent pouvant s'élever jusqu'à 5.000F étaient consentis aux sociétaires  « en vue de la culture, en vue aussi d'une amélioration de son outillage agricole ou de la création, de l'augmentation de son cheptel ».193(*) Les ressources de la S.I.P. du Sine-Saloum provenaient de l'intérêt au remboursement mais aussi des cotisations de ses membres. Le nombre de ceux-ci connu une évolution vertigineuse entre 1907 et 1916. Il passa de 718 à 206.000 membres.194(*)

    Avec les fonds dont elle disposait, la S.I.P. du Sine-Saloum s'investit également dans la réalisation d'infrastructures essentielles à l'amélioration des conditions d'existence des populations. Elle épargna de ce fait le budget régional de certaines dépenses en se substituant à l'administration dans la réalisation d'infrastructures. En 1925, elle consacra 35.000 francs aux travaux de puits, ce qui lui permit d'en mettre en chantier 39 dont 25 achevés. Au 31 décembre 1925 le nombre total de puits forés s'élevait à 585.195(*)

    Cependant, malgré ces diverses actions, les populations avaient une toute autre conception des S.I.P. qui furent considérées comme des « instruments para-administratifs plus que des coopératives, au service de l'exploitation coloniale ».196(*) Elles étaient « un autre mode de spoliation très subtil [car] elles se transformèrent peu à peu en engin d'escroquerie ».197(*)

    Dans cette nouvelle institution, l'indigène portait le poids de tout l'arbitraire du système. Il était exposé à l'agressivité et à la rapacité des chefs qui assimilaient les cotisations qu'ils percevaient à un impôt. Le zèle de ces percepteurs s'exerçait au détriment des paysans réduits à leur merci. Les S.I.P. étaient devenues certes un puissant élément de la politique d'expansion de l'arachide et des autres cultures commerciales, mais elles finirent par constituer une charge de trop sur les populations déjà écrasées par l'impôt de capitation.

    CHAPITRE II : L'IMPOT DE CAPITATION

    I- Rappel historique : les redevances traditionnelles

    L'impôt de capitation imposé au Sine au lendemain de l'expédition de 1859 venait se superposer à une fiscalité qui était déjà en place avant l'arrivée du conquérant.

    Autrefois, il existait dans le royaume du Sine un certain nombre de redevances qui entraient dans le fonctionnement des structures sociales et de l'appareil administratif du pays Sérère. Celles-ci étaient acquittées sans contraintes majeures car étant partie intégrante de l'environnement socio-politique du Sine. Elles frappaient la quasi-totalité des activités socio-économiques et culturelles du terroir.

    A la chasse, lorsqu'un éléphant était tué, la défense qui était la plus rapprochée du sol après la chute du pachyderme appartenait au Bour, l'autre étant la propriété du chasseur.198(*) Cette coutume circonstancielle était d'une importance notoire, du fait du prestige qu'elle procurait au souverain qui pouvait échanger les défenses d'ivoire contre des armes et de l'alcool. Mais elle n'est pas pérenne à cause de la disparition rapide de l'éléphant dans ce pays.

    Jadis, chaque pêcheur était tenu d'envoyer annuellement au Bour Sine et à la Linguére un sac de poissons par pirogue. Avec l'abondance, la qualité et la variété du poisson qu'on trouvait dans les nombreux cours d'eau du terroir, « cette dîme obligatoire que le pêcheur acquittait d'ailleurs sans contraintes et avec déférence » 199(*) était fondamentale pour l'approvisionnement de la cour royale. Elle était renforcée par les dons en menues marchandises que les marins indigènes qui se rendaient à Fatick faisaient au Grand Jaraf.

    Une autre dîme issue des eaux était celle qui frappait les exploitants du sel. L'exploitation des salines naturelles du Sine était un monopole royal. Le Bour Sine la confiait à un saax-saax de son choix. Celui-ci habitait le plus souvent les villages de Njémou ou de Poukhane, à l'orée des tannes du Sine occidental ou l'on trouvait les plus importantes salines du royaume sérère. Ce « maître du sel » réunissait la veille de la récolte tous les exploitants pour les prévenir et le lendemain c'était la ruée générale, chacun ramassant le maximum de sel possible. Au bout d'une journée de travail, on faisait deux tas, l'un pour l'exploitant et l'autre pour le Bour. Ce dernier, par l'intermédiaire du saax-saax vendait sa part aux commerçants après avoir y prélevé la quantité nécessaire à la vie de la cour. Le produit de cette vente lui était intégralement versé.

    Le caractère fiscal de cette exploitation apparaît nettement, du fait de la coercition qui en résultait. Même si l'exploitant, en fin de journée, bénéficiait du fruit de son travail, par l'attribution qui lui était faite d'une part du sel, aucun habitant valide dans les villages ciblés par le Saax-Saax n'osait se dérober le jour de la récolte.

    En plus du régime des eaux, les rapports du producteur et de la terre étaient source de redevances dans une société aussi profondément paysanne. 

    Au Sine, les détenteurs de la terre ( Yaal lang ou Yaal dakh ) étaient appelés Lamanes. Ils étaient les vrais « maîtres de la terre » et disposaient de droits historiques appelés droits de feu ou droits de hache.200(*) C'est pourquoi les usufruitiers de la terre ou les « maîtres de champs » (Yaal o qol) devaient des redevances aux Lamanes, pour pouvoir bénéficier des ressources des terres qui leurs étaient attribuées. Ces redevances, qui avaient la valeur d'un taureau de deux ans ou d'un grenier de mil étaient versées en trois occasions : quand l'usufruitier recevait le droit d'exploitation d'un Lamane ; ou lorsqu'un nouveau Lamane entrait en fonction et enfin lors de la succession d'un nouveau détenteur du droit de hache.

    De même « chaque année, une redevance symbolique renouvelait l'allégeance du maître de champ au maître de la terre, une gerbe de mil ou un coq. »201(*) Avec l'usage progressif de la monnaie, la redevance pouvait se verser en argent au prorata de la surface reçue. Elle était perçue à titre purement symbolique, car « même en cas de non versement des redevances qui leur étaient dues, les Yaal dakh ne pouvaient expulser les exploitants ».202(*) Ceux-ci honoraient tout de même cette coutume à cause de la considération qui entourait la personne du Lamane. L'essentiel était dans le geste.

    Ce caractère symbolique faisait que ces différentes redevances coutumières n'ont jamais pesé très lourd sur les contribuables. Elles n'avaient en rien le même caractère coercitif de l'impôt de capitation né du système colonial. Au contraire, elles « constituaient naguère (...) dans l'esprit des intéressés un gage de la stabilité de leur tenure et une participation légitime à l'administration de leurs biens, au plan spirituel comme au plan matériel ».203(*)

    Cependant d'autres redevances plus coercitives et plus rudes frappaient les Baadolo du Sine. Ces impôts étaient beaucoup plus proches de l'impôt colonial, en ce sens qu'ils constituaient un insupportable fardeau pour les contribuables. Pour faire face aux énormes dépenses de la cour royale et pour entretenir la masse avide qui gravitait autour de lui, le Bour Sine était obligé de multiplier les taxes qu'il percevait sur ses administrés.

    Le poids de cette fiscalité dont étaient exempts les « biy no maad » était intégralement supporté par les Badolo. Ces derniers subissaient, sans se plaindre, les exigences de leurs maîtres parce que possédant la certitude du lendemain, « garantie par une activité silencieuse et féconde ».204(*) Ils furent longtemps contribuables à merci.

    Outre un impôt annuel représentant le dixième de ce qu'ils possédaient, ils versaient d'autres redevances : pour le Lamane, le « deck » qui était de trois Sabar de mil ou de niébé ; pour le Bour, le « fubbene » qui était évalué à un Sabar (environ 20 kilogrammes ) sur 50 récoltés. C'est le Baadolo qui était le vrai nourricier du Bour, de ses femmes, de ses ministres, de ses guerriers, en somme tout le personnel qui pullulait au tour de l'appareil administratif. C'est lui qui apportait à Diakhao, la capitale les sabars de mil, les paniers de maïs ou de niébé, les tubercules de manioc nécessaire à la nourriture de la cour royale. En outre, il devait fournir le « sangara » (l'alcool), couper l'herbe pour les chevaux d'une cavalerie nombreuse et subir les réquisitions des Ceddo en tournée.

    Le Bour Sine demandait parfois à une époque déterminée de l'année, à chaque chef de carré, « sous une forme facultative, mais que les habitants considéraient comme obligatoires et exécutaient dans la crainte de s'attirer quelques tracasseries »205(*) un sabar de mil (15 à 20 kg) pour ses chevaux, une natte pour sa couche, une poule pour sa nourriture.

    De cette nécessité alimentaire est née l'obligation pour les contribuables de cultiver des champs communautaires pour le grenier de réserve que chacun d'entre eux devait abriter pour subvenir aux besoins exceptionnels de la couronne. Le produit de ces parcelles cultivées annuellement par le groupement du lieu constituait un véritable appoint pour le « Maad a Sinig ». « Quand ce dernier venait, en effet, à manquer de mil, les captives de ses épouses sous la conduite du petit Farba qui était l'agent percepteur, allaient par exemple dans un village et demandaient à chaque carré une provision de mil qu'elles emportaient ».206(*) Aussi les masses paysannes supportaient le poids des corvées qu'ils exécutaient sur les champs des titulaires des commandements territoriaux : Jaraaf, Farba, Saax-Saax...

    Au temps de la royauté, il existait au Sine une coutume particulièrement impitoyable à cause des conditions de vie précaire qu'elle engendrait pour les Badolo. Chaque année, au mois de septembre, le Farba et ses agents percepteurs s'abattaient sur les villages du Sine, comme une nuée de rapaces, pour recueillir tous les fonds de greniers de la récolte de l'année précédente avant que l'on engrange la nouvelle.207(*) Cette dîme était, bon an mal an, régulièrement perçue.

    Le Bour Sine percevait une taxe nommée « namou » sur les cultivateurs étrangers. Ceux-ci versaient, selon la coutume locale, un droit de culture estimé à 20 francs au profit du Souverain. Mais cette taxe, par sa lourdeur sera vite considérée par le pouvoir colonial comme un frein à l'installation des saisonniers et par conséquent à l'expansion de la culture de l'arachide. C'est pourquoi dès1896, l'administrateur Noirot obtint du Bour Sine Mbacké Ndeb et du Bour Saloum Sémou Djimit Diouf la réduction de cette taxe à 6 francs pour le Sine et 5 francs pour le Saloum.

    Chaque éleveur était aussi astreint au paiement d'un impôt sur le bétail. Celui-ci était évalué à une bête par troupeau ou le cinquantième selon l'importance du bétail. Pour les ovins et les caprins, il était d'une tête par carré familial. Cette redevance n'était cependant pas fixe car pouvant augmenter à l'occasion des cérémonies royales. A cet effet, une contribution spéciale était demandée aux populations qui fournissaient toutes les victuailles nécessaires pour le festin.

    La fiscalité touchait également tous les commerçants qui s'activaient dans le royaume. Cette taxe ou droit de commerce payée au Bour était appelée Kubbal. Cet impôt de circulation frappait tous les produits qui entraient ou sortaient du Sine. Il était perçu par un agent spécial appelé alcati. Son taux variait selon la valeur des marchandises. En 1898, le kubbal était de 25 francs par personne exerçant le colportage ; 5 francs par chameau pour tous les chameliers achetant ou vendant des produits dans le Sine, 1 franc par ânier et 50 centimes par kilo pour vendeur de cola.208(*) De même les commerçants français versaient des coutumes aux souverains Sérères moyennant l'assurance et la garantie de leur sécurité, par la protection de leurs biens et de leurs personnes. A partir de 1859, au lendemain du traité signé entre Bour Sine Coumba Ndofféne et Faidherbe, cette taxe fut réduite à 3% de la valeur des marchandises.209(*)

    Le système fiscal traditionnel du Sine répondait aux préoccupations majeures des souverains. Au temps de la royauté, c'était un signe de prestige pour tout roi, d'avoir une pléthore d'agents, une théorie de courtisans, beaucoup de griots, de guerriers et de captifs. Ceux-ci contribuaient largement à l'affermissement des régimes autoritaires que voulaient imposer les chefs locaux. La rétribution de ce personnel passait inexorablement par la multiplication des redevances. C'est pourquoi les dirigeants fermaient les yeux sur les exactions et les pillages dont étaient victimes les Badolo. Le poids de cette fiscalité finit par compromettre la sécurité alimentaire des sujets qui étaient dépourvus de moyens de défense pour empêcher les déprédations des Ceddo.

    II- Conception et fonctionnement de la capitation

    Etabli dans les colonies au tournant du XIXe siècle, l'impôt de capitation fut conçu comme le moyen le plus efficace devant permettre de trouver les ressources financières indispensables à la mise en valeur des terres nouvellement conquises. En théorie l'impôt est une contribution versée à l'Etat qui n'a pas pour contre-partie un avantage particulier reçu par le contribuable. Son but premier doit être de transférer la maîtrise des ressources économiques des contribuables à l'Etat pour que celui-ci les utilise directement.210(*)

    Cependant, le pouvoir colonial eut une autre vision de l'impôt. La justification de celui-ci trouvait ses racines au sein même des grandes théories de la colonisation, se référant au « lourd fardeau de l'homme blanc » qui se devait d'apporter les lumières de la civilisation occidentale chez les peuplades engouffrées dans les ténèbres des tropiques. En effet les « primitifs » devaient fournir une contribution pour mieux bénéficier des bienfaits de la  civilisation européenne.

    Dans les milieux coloniaux, le choix était net : la pacification, l'accès à la « civilisation », la protection doivent être compensés par un tribut.211(*) Ainsi l'impôt apparaît comme « la juste rétribution des efforts du colonisateur, l'application normale du droit absolu d'obliger les populations noires, auxquelles il apporte la paix et la sécurité, à contribuer dans la mesure de leur moyen aux dépenses d'utilité générale ».212(*)

    Ce principe fut exprimé par Pinet-Laprade au lendemain de la deuxième expédition du Sine en ces termes : « tous les villages de la côte, depuis le Cap-Vert jusqu'au Saloum, ont été purgés des Thiedos qui les infestaient. Grâce à la sécurité qui en est résultée pour les populations, l'agriculture s `est développée et le mouvement commercial a triplé. En compensation de ces biens et comme signe de soumission, les populations sont soumises à un droit de capitation de 1 franc 50 ».213(*)

    Aux yeux du colonisateur, l'impôt constituait un moyen efficace d'incitation au travail, de lutte contre la paresse, le farniente, le parasitisme, en somme un vigoureux levier susceptible de vaincre le fatalisme, de promouvoir la responsabilité, et de prouver la soumission des nègres à l'autorité établie. On peut distinguer ainsi trois fonctions de la fiscalité coloniale :

    -une fonction budgétaire qui avait pour but d'assurer la couverture des dépenses publiques (c'est le sens de la loi de finances du 13 avril 1900) ;

    -une fonction économique qui a pour but l'investissement et l'épargne ;

    -et une fonction morale et sociale, car habituant les indigènes au travail par conséquent à l'amélioration de leurs conditions d'existence.

    En réalité la fonction budgétaire est la plus recevable car la logique coloniale s'intéressait beaucoup plus à la mise en place des structures d'exploitation et de domination qu'au bien-être social des populations indigènes.

    Dans l'imaginaire colonial, la capitation avait pour corollaire l'obligation de chercher des ressources pour s'en acquitter, et par suite créer l'habitude du travail chez des peuples dont la capacité d'action était limitée par l'indolence et l'inertie que favorisait un milieu naturel très généreux. 214(*)

    Tel était l'argumentaire utilisé par le colonisateur pour justifier cette décision sans doute empirique au point de vue idéologique, mais qui a été surtout dictée par des raisons politiques par le désir de sauvegarder les intérêts économiques de la métropole.

    Celle-ci, dès les tous débuts de l'établissement de la colonisation au Sénégal, avait défini les rapports qui les liaient à la colonie. Cette dernière avait le « devoir » de mobiliser toutes les ressources indispensables au fonctionnement de l'administration coloniale et à la mise sur pied de l'équipement nécessaire à son développement. La colonie devait être gérée  avec le minimum de frais de la part de la métropole et le maximum d'effort financier de la part des colonisés.215(*) Elle ne devait rien coûter à la métropole. Cette assertion rejoint la question fondamentale en matière d'organisation des finances coloniales :

    « Au point de vue des finances publiques, la colonie idéale, pour une métropole serait celle qui ne coûterait rien au budget de l'Etat. Ce rêve on pourrait même le pousser encore plus loin en cherchant dans les revenus du pays colonisé, un apport aux recettes générales de la puissance souveraine de laquelle il dépend ».216(*)

    C'est en vertu de ces principes qu'un décret impérial du 4 août 1860 promulgué le 5 août 1861 établit l'impôt personnel au Sénégal.217(*) L'article 1 de ce décret stipule que l'impôt personnel est établi au profit du budget local et est perçu sur chaque habitant jouissant de ses droits.

    Au Sine, ce fut au lendemain des expéditions de 1859 et de 1861 que Bour Sine Coumba Ndoffene accepta de verser au gouverneur Faidherbe, un impôt annuel fixé à 1franc 50 par habitant.218(*) Pinet-Laprade y voyait la consécration d' « un principe sans lequel toute organisation sociale est impossible. »219(*)

    En matière fiscale, le Sine ne constituait pas un cas isolé. Il s'inscrivait dans la logique coloniale qui se referait au même axiome fondamental. Les colonies ne devaient rien coûter à la France. C'est pourquoi on développa très tôt la notion de l'autonomie financière par laquelle on faisait porter à l'indigène le coût de sa domination et de son exploitation. Le principe qui sous-tendait cette philosophie était simple. Il fallait envisager des mesures pouvant amener les colonies à se suffire elles-mêmes, de façon à pouvoir supprimer progressivement les subventions que leur allouait la métropole. C'est dans cette logique que s'inscrit la loi de finances du 13 avril 1900, qui allait dans le sens de réduire les subventions allouées aux budgets locaux par l'Etat colonial. Celui-ci ayant déjà payé trop cher pour ses expéditions de conquête, devrait maintenant tirer profit des fruits de son labeur, sans que cela ne lui coûte cher.

    C'est suivant ce postulat que le ministre des colonies nomma, par décision du 30 janvier 1899 une commission  chargée d'examiner les budgets locaux des colonies tant au point de vue financier, qu'au point de vue des questions organiques qui s'y rattachent, afin d'amener par des économies ou par un meilleur emploi des ressources locales, la réduction des subventions de la métropole.220(*) Cette décision répondait à des besoins économiques, mais aussi politiques. Une certaine opinion s'était développée en métropole et affirmait que les charges fiscales pesaient de plus en plus lourd aux contribuables métropolitains. C'est dans le souci de dissiper cette ambiguïté que naquit la loi de finances du 13 avril 1900.221(*)

    Celle-ci, entrant en vigueur le premier janvier 1901, stipule en son article 33 que « toutes les dépenses civiles et de la gendarmerie sont supportées en principe par le budget des colonies. Des subventions peuvent être accordées aux colonies sur le budget de l'Etat. Des contingents peuvent être imposés à chaque colonie jusqu'à concurrence du montant des dépenses militaires qui y sont effectués ».222(*)

    En théorie, cette loi consacre l'affirmation de ce principe que « les colonies doivent participer non seulement aux dépenses de souveraineté qu'elles occasionnent à l'Etat, mais encore aux charges générales du pays ». 223(*)

    Cet autofinancement devrait se faire pour les colonies par le moyen de l'impôt, en se passant des subsides de la mère-patrie, car cette dernière régnait sur son empire colonial pour s'enrichir et non pour s'appauvrir. Il devenait ainsi légitime, aux yeux de l'envahisseur, que chaque colonie assure elle-même toutes les dépenses, quel que soit leur objet, sans distinguer si elles sont d'intérêt général ou d'intérêt local.

    Cette notion d'autonomie financière ne doit pas pour autant faire penser à une politique budgétaire uniforme. Il existait une grande différence entre les territoires d'administration directe et les pays de protectorat. L'organisation financière des premiers est prise en charge par le décret du 13 décembre 1891, par lequel les budgets sont alimentés dans une large mesure par le produit des redevances, les impôts ou contributions que les conventions passées avec les chefs locaux permettent de percevoir.224(*) Dans les territoires d'administration directe, une délibération du conseil général du 6 décembre 1879, approuvée par le décret du 2 août 1880 supprime l'impôt personnel dans les villes et leurs faubourgs. Il a fallu attendre jusqu'en 1905 pour que la capitation soit rétablie dans toutes les zones en dehors des communes de plein exercice. 225(*)

    En 1904, par les décrets du 13 février et du 18 octobre, le Sénégal fut fragmenté en deux entités administratives différentes : les territoires d'administration directe d'une part et les pays de protectorat d'autre part. Avec ce découpage, le Sine prit une nouvelle physionomie. Ses deux parties stratégiques les plus importantes économiquement, les escales de Fatick et de Joal, étaient mises sous administration directe. On y assista, comme dans l'ensemble du Sénégal, à une surimposition des indigènes des pays de protectorat. En théorie, chacun de ces ensembles devait gérer ses propres ressources et se prendre en charge lui-même. Mais la réalité fut tout autre. Les recettes fiscales des pays de protectorat servirent d'appoint aux territoires d'administration directe, en raison de leur insuffisance budgétaire.

    C'est seulement à partir de 1921, par application du décret du 4 juillet de la même année que le Sénégal posséda un budget unique.226(*) Cependant, cette mesure ne changea guère la conception qu'on avait de la capitation. On y voyait toujours un tribut que les vaincus devaient payer au conquérant, en lieu et place de la paix et de la sécurité promise. Son mode de perception confirma dans une certaine mesure cette vision.

    III - De la confection des rôles au recouvrement

    A - Le recensement

    La capitation ne pouvait être rentable sans que l'administration coloniale eut une idée du nombre de contribuables astreints au paiement de l'impôt. Le but du recensement était précisément de fixer sur le rendement de l'impôt et d'en faciliter la perception. Ainsi, les autorités coloniales comprirent très vite la place importante du dénombrement de la population dans la mise en oeuvre de leur politique. Il constituait « l'assise solide de toute administration sincère car, qu'il s'agisse de l'impôt, du recrutement, des prestations (...) c'est au registre du recensement qu'il faut recourir. »227(*)

    Un recensement scrupuleux de la population était le seul moyen pour établir des rôles fiables, en vue de donner à l'impôt une certaine équité. En principe, un terroir aussi exigu que le Sine ne devait pas poser des difficultés de dénombrement démographique. Dés 1891, l'administrateur Noirot avait réussi à fournir des données chiffrées sur la population du Sine qu'il estima à 52.233 habitants.228(*)

    La méthode adoptée par Noirot pour recenser son cercle était la suivante : des agents recenseurs menaient leurs opérations en présence des dignitaires qui devaient signaler tous les groupes de cases relevant de leur autorité. Devant le nom de chaque chef de famille, ils indiquaient le nombre d'hommes, de femmes, de garçons, de filles et des enfants au-dessus de cinq ans qui étaient sous sa responsabilité, ainsi que le nombre de cases dont se compose chaque carré. Le chef de famille était tenu de déclarer tous les parents ou alliés qui vivent dans son groupement. Il devrait avant tout déclarer les absents en expliquant bien si leur départ était définitif ou momentané. L'âge de chacun était indiqué sur le registre. Tous les ans, en fin décembre, le relevé numérique des matrices de villages est porté sur un répertoire des registres matrices.

    Ce procédé, un peu commode dans son application, permis à Noirot d'avoir une idée relative du nombre de contribuables dans son cercle. Cependant, il se heurta très vite à un problème de mentalité chez les Sérères. Ceux-ci percevaient leur dénombrement comme une source de calamité pouvant réduire le cercle familial. Ils ne donnaient jamais le nombre exact des individus qui constituaient la famille. Ils faisaient recours à des périphrases comme « bouts de bois de Dieu » ou « noyau de pain de singe » pour désigner les membres de leur famille.229(*)

    L'administration, pour surmonter cette croyance solide de longue durée et bien ancrée dans l'esprit du peuple Sérère, se contenta au recensement de 1892 d'un procédé très primitif. Celui-ci consista à la remise par les chefs de village, en graines de fruit de baobab en une quantité à peu prés égale à celle des habitants de leurs villages respectifs.230(*)

    Ayant compris la réticence continuelle des populations, Noirot tenta de les intimider par des mesures un peu redoutables. Une amende de 25 francs serait infligée aux chefs de famille qui essayeraient d'entraver ou de tromper le recensement. Cette amende pourrait être augmentée dans de fortes proportions, s'ils cachaient des membres de leur famille, et ceux qui seront reconnus le jour où les inspecteurs passeront, encouraient une amende de 10 francs par personne cachée.231(*) Par cette méthode, on estima la population du Sine à 62.500 habitants en 1898, repartis entre le Sine oriental (30.500) et le Sine occidental (32.000).232(*) En 1904, on dénombra 66.888 habitants et 101.056 en 1916. 233(*)

    Maillon important de la chaîne fiscale, le recensement était également la porte ouverte à tous les abus. Il était souvent effectué par les chefs indigènes. Ceux-ci se contentaient de relatives estimations, ce qui était imputable au dessein des chefs de canton qui omettaient sciemment de fournir la liste complète des villages de leurs circonscriptions. Ils empochaient ainsi toutes les sommes versées par les contribuables dont les villages ne figuraient pas sur les rôles. Les remises qu'ils touchaient poussaient certains d'entre eux à grossir le chiffre des habitants de leur canton, pour accroître à leur profit le gain issu du fisc.

    En 1898 par exemple, par suite de nombreuses plaintes des chefs de carré du Sine pendant la perception de l'impôt, qui prétendaient à juste raison qu'ils payaient pour de nombreux contribuables qui étaient morts ou qui les avaient quittés, Georges Poulet, administrateur du cercle avait ordonné au chef supérieur de refaire le recensement complet de toute cette province.234(*) Une autre difficulté d'exécution du recensement résultait de ce que la plupart des chefs locaux étaient illettrés et incapables de relever eux-même la liste de leurs administrés.

    Constatant tous ces abus, particulièrement le rétrécissement constant de la masse des imposables laquelle tendait à devenir une sorte de « peau de chagrin », le gouverneur général William Ponty décida par circulaire du 27 août 1912 d'écarter les chefs de province et de canton du circuit du recensement.235(*) Obnubilés par le culte du profit personnel, ces chefs fournissaient des chiffres forts contestables de leur population.

    Désormais seuls les fonctionnaires européens devaient procéder au recensement, car on pensait que seuls ils pouvaient y arriver avec probité. Mais ces fonctionnaires payés pour leur tâche, n'étaient pas plus scrupuleux que les chefs indigènes. Tantôt ils se bornaient à donner le nombre de cases qu'ils multipliaient d'office par un coefficient donné représentant l'effectif moyen supposé d'une famille. Tantôt ils relevaient les noms des chefs de carrés seulement, les personnes composant ce groupement faisant l'objet d'une estimation purement lacunaire. Ils appliquaient ainsi des règles de probabilité.

    Il fallait donc faire intervenir des agents nouveaux : les secrétaires recenseurs qui étaient les intermédiaires entre l'administration et les chefs indigènes. Ils étaient recrutés parmi les anciens élèves, les sous-officiers sachant lire et écrire le français. Ils adoptèrent un autre mode de dénombrement. Chaque année, au mois de décembre et ceci à partir de 1932, tous les chefs de carrés avertis à l'avance par leur chef de village se réunissaient le jour fixé au chef-lieu de canton pour livrer aux recenseurs le nom de chacun des membres de famille, son âge et le nombre de têtes de bétail dont il dispose.

    De numérique, le recensement devient nominatif. Ce dernier procédé était le seul moyen pouvant supputer les énergies humaines et les ressources matérielles dont disposaient les contribuables. Il permit d'indiquer parmi les données immédiatement utilisables par l'administration coloniale, l'âge des individus : âge militaire et âge fiscale.

    Le recensement était un instrument établi pour contrôler le nombre des imposables, « une sorte de filet de pêche pour mieux ramasser l'impôt ».236(*) Pour donner une meilleure garantie d'exactitude au recensement, une collaboration sincère et effective entre les chefs locaux et l'administration coloniale était nécessaire. De même les opérations devaient être faites avec probité et révisées toutes les fois que l'occasion se présentait. Elles devaient tenir compte des moindres modifications qui se produisaient depuis les recensements antérieurs. Mais la malhonnêteté des chefs indigènes et l'hypocrisie des autorités coloniales constituaient un frein à cet idéal. Et pourtant c'était le préalable pour l'établissement juste et équitable de l'assiette et du taux de l'impôt.

    B - Assiette et taux de l'impôt personnel

    Le décret du 4 août 1860 portant établissement de l'impôt personnel au Sénégal, stipule dans son article 1 que cet impôt est établi au profit du budget local et est perçu sur chaque habitant jouissant de ses droits et non réputé indigent.

    Etaient considérés comme jouissant de leurs droits les veuves et les femmes séparées de leur mari, les garçons et les filles majeurs ou mineurs ayant des moyens d'existence, soit par leur fortune personnel soit par la profession qu'ils exercent. Les indigents étaient ceux qui, indépendamment du défaut de ressources personnelles, se trouvent par leur âge ou par leur infirmité, dans l'impossibilité de se livrer au travail.

    L'arrêté du 9 août 1861 fixe la contribution personnelle à trois journées de travail dont chacune est évaluée à 1franc pour la ville de Saint-Louis et ses faubourgs de même que pour Gorée et à 0 franc 50 pour toutes les autres localités. Cette taxe devait être acquittée en argent sauf à Saint-Louis et à Gorée où il était possible de l'effectuer en journées de travail.237(*)

    Au départ très modeste, le taux de la capitation variait d'une année à l'autre suivant les caprices de l'administration coloniale. En 1890, il était de 1 franc 50 dans les territoires d'administration directe. Il est porté à 3 francs dans les pays de protectorat en 1899 pou passer à 4 francs dans les provinces du Sine et du Saloum, en alors qu'il était de 3 francs dans le Niani et le Cercle de Podor.

    A la veille de la Grande Guerre, les contribuables du Sine eurent à payer 5 francs de capitation. Le taux était moins élevé ailleurs : 4 francs dans le cercle de Dagana, 3,50 francs dans le Wouli.238(*) Il était majoré pendant les deux guerres mondiales.

    Nonobstant l'appui humain et matériel fourni par les colonies, la métropole demanda aux peuples indigènes qui étaient sous son joug un effort supplémentaire. Ainsi en 1917, le taux de l'impôt personnel augmentait de 40%. Il était acquitté en nature.239(*) En 1943-1944, une contribution exceptionnelle de guerre fut demandée aux indigènes des colonies pour mieux faire face au torrent dévastateur que constituait l'Allemagne Nazie. Elle était de 10francs de plus par contribuable.

    Les administrateurs trouvaient toujours des prétextes qui, disaient-ils, répondaient aux impératifs économiques des colonies pour justifier la majoration du taux de capitation. En 1927, ce taux avait connu une majoration vertigineuse. Les populations du Sine furent astreintes à payer 5 francs de plus. Ceci faisait suite à l'institution d'une taxe dite « taxe civique ». Son taux était de 5 francs au Sine-Saloum, 3 francs dans les communes de plein exercice, communes mixtes et escales, 2 francs dans les cercles de Dagana, Podor, Matam, Bakel, ainsi que dans la banlieue de Saint-Louis.240(*) Cette nouvelle taxe était justifiée par Camille Maillet Lieutenant-Gouverneur par intérim du Sénégal, comme étant le moyen le plus sûr et le plus rapide pour aider à la réalisation des grands travaux entrepris dans les différents cercles de la colonie.241(*) Au Sine-Saloum, ces travaux consistaient à l'aménagement du port de Kaolack et à la réfection du pont Noirot. Pour Maillet, cette taxe répondait « au principe de relever les ressources de la colonie au moment où elle traverse une période de prospérité exceptionnelle, de façon à parer aux rendements déficitaires ou aux méventes que pourraient subir plus tard les récoltes de la colonie ».242(*)

    Cette augmentation du taux de l'impôt personnel était une très lourde charge pour les cultivateurs qui payaient déjà 15 francs au moment où l'arachide était achetée à 130 francs le quintal. L'impôt au taux de 15 francs était déjà un fardeau, l'impôt à 20 francs par personne devenait prohibitif et confiscatoire. C'est pourquoi le président de la Chambre de Commerce de Kaolack s'y opposa. Il émit le voeu que la mise en valeur des colonies soit poursuivie méthodiquement avec les ressources actuelles et dans aucun cas il ne soit créé de nouveaux impôts.243(*) Il adressa cette diatribe au gouverneur Camille Maillet : « Vous entamez une lutte contre la mortalité infantile et vous allez obliger le noir à mourir de faim, à se nourrir de racines et à bouillir des feuilles d'arbres ».244(*)

    Considéré comme le poumon arachidière de la colonie du Sénégal, le Sine-Saloum faisait partie des cercles où le taux de l'impôt était des plus élevés. Dans ce cercle, l'abondance des récoltes et l'activité commerciale ont depuis longtemps créé un état économique des plus prospères. Dans les autres cercles plus exposés aux longues sécheresses, aux invasions acridiennes, dépourvus de voies de communication, un régime d'exception y était pratiqué et toute augmentation de l'impôt devenait fatale aux populations. Ce taux dépendait largement des caprices de l'administration coloniale et de ses soi-disant impératifs budgétaires. Son évolution était fulgurante. Comme du reste l'illustre le tableau suivant :

    Tableau n°5 : Evolution du taux de l'impôt au Sine-Saloum : comparaison avec la moyenne du Sénégal.

    Années

    Taux de l'impôt au Sine-Saloum

    Taux de l'impôt au Sénégal

    1914

    5 francs

    3,5 à 5 francs

    1920

    10 francs

    4 à 10 francs

    1926

    15 francs

    8 à 15 francs

    1932

    19 francs

    10 à 19 francs

    1933

    18 francs

    9 à 18 francs

    1934

    18 francs

    9 à 18 francs

    1935

    18 francs

    9 à 18 francs

    1936

    23 francs

    10 à 23 francs

    Source : A.N.S. 6T24(26) : impôt personnel et autres impôts, 1937.

    Il ressort de tableau que le plafond fiscal est toujours atteint au Sine-Saloum. Le taux élevé de l'impôt dans ce cercle était dû aux conceptions économiques du colonisateur. Ce dernier considérait que le Sine, pourvu d'un milieu naturel très propice aux cultures de rente, particulièrement à l'arachide et les facilités de son évacuation, pouvait sans grande difficulté se procurer du numéraire pour s'acquitter du fisc.

    Le goût de l'équité ne tentait guère le colonisateur lors de l'élaboration de l'assiette de l'impôt. De grandes différences existaient à ce sujet au sein de la colonie. L'assiette de l'impôt était établie sans tenir compte de l'origine sociale de personnes, mais seulement du lieu qu'elles habitaient. Elle était établie « racione loci » c'est à dire selon le lieu de résidence du contribuable.245(*) Le taux n'était pas uniforme. En territoire d'administration directe, l'impôt était dû par toute personne jouissant de ses droits et âgée de 12 ans au moins. Cette formule est celle du décret du 4 août 1860. elle exonérait de l'impôt les femmes mariées et les enfants de moins 12 ans à moins qu'ils aient des moyens d'existence indépendante de ceux du chef de famille. Dans les pays de protectorat par contre, tous les indigènes, autres que les enfants de moins de 8 ans étaient soumis à l'impôt. Ainsi les charges d'une même famille étaient plus ou moins étendues suivant qu `elle résidait en pays d'administration direct ou en pays de protectorat.

    Cette dualité faisait apparaître des différences dans le mode d'établissement de l'assiette. Alors que celle des territoires d'administration directe était nécessairement soumise à la délibération et au vote du conseil général, un simple arrêté suffisait pour déterminer l'assiette en pays de protectorat. Une pareille discrimination ainsi appliquée n'était pas justifiable. La dualité dans le mode d'établissement de l'assiette serait parfaitement logique si elle était basée sur des considérations sociales, si elle était établie « ratione personae », c'est à dire selon les capacités contributives de chaque individu. Mais les rôles étaient établis en fonction du lieu de résidence. Ils étaient nominatifs pour les indigènes citoyens et numériques pour les indigènes sujets. Ils étaient dressés annuellement sur la base des résultats du recensement, par le soin du commandant de cercle. Sur chaque rôle étaient indiqués :

    - Le nom du canton, du village et ceux de leurs chefs avec mention du nombre de contribuables ;

    - Le taux de l'impôt pour l'année en cours ;

    - La somme totale de l'impôt à percevoir ;

    - La part revenant au chef et à l'agent chargé du recouvrement et le montant devant retourner au budget.246(*)

    Ces rôles, établis sur la base de recensements exagérés ou tronqués suivant les ambitions malhonnêtes des chefs locaux et l'hypocrisie de l'administration coloniale, étaient appliqués sans qu'aucune enquête sérieuse ne soit menée au préalable sur la nature et l'importance de la fortune de chaque contribuable.

    L'arrêté du premier décembre 1916 approuvé le 17 février 1917, fixant le mode d'assiette en pays de protectorat stipulait que « le taux de l'impôt varie suivant le canton, la province ou le cercle d'après leur degré de développement économique et social ».247(*) De cet arrêté apparaît une remarque importante : l'individu n'était pas pris en compte comme unité imposable, mais il était intégré dans sa sphère administrative (canton, province ou cercle). Par ce procédé, l'administration fit table rase sur la capacité contributive intrinsèque de chaque contribuable. Les autorités coloniales estimèrent que le taux de l'impôt était bien établi et assez équitable parce que « chez les primitifs les grandes inégalités de fortunes sont rares ».248(*)

    Le souci d'équité et de justice n'animait guère l'administration coloniale. En matière fiscale, elle n'écoutait pas la voix de la logique mais plutôt celle de ses soi-disant impératifs budgétaires. L'égalité fiscale pour les indigènes ne devrait pas consister à contribuer aux charges publiques par une somme identique par canton, province ou cercle, mais à être soumis aux mêmes impôts suivant la capacité contributive de chacun. La même logique devait déterminer les critères d'exemption à l'impôt de capitation.

    L'article 7 du décret du 5 août 1861 définit les critères d'exemption. En plus des personnes réputées indigentes, on exempta de l'impôt :

    1°- les officiers de troupes ;

    2°- les gendarmes et sous-officiers de gendarmerie ;

    3°- les marins et ouvriers de l'inscription maritime ;

    4°- les sapeurs-pompiers.249(*)

    L'arrêté du premier décembre 1916 ajoute aux exemptés les femmes et les enfants des gardes de cercle et des tirailleurs.250(*)

    La délibération du conseil colonial du 19 novembre 1921 approuvée le 27 décembre 1921 exonère de l'impôt, les gardes-frontières, les gardes-cercles, les agents de police, les élèves de toutes écoles confondues, les veuves et les orphelins de guerre.251(*) En 1937, le Gouverneur général Coppet introduit dans la réglementation de l'impôt indigène et de l'impôt européen les dispositions suivantes : les exonérations touchaient désormais :

    1°- les tirailleurs, soldats, caporaux de toutes armes et de tous corps y compris la marine, leurs femmes et leurs enfants pendant la durée de leur présence sous les drapeaux ;

    2°- les indigents conformément aux dispositions du décret du 4 août 1860 ;

    3°- les enfants au-dessous de quatorze ans à l'exception de ceux pubères et mariés ;

    4°- les élèves des écoles ayant l'âge scolaire réglementaire et effectivement inscrits dans les établissements d'enseignement ;

    5°- les anciens militaires pensionnés de guerre ;

    6°- les accidentés de travail dont l'incapacité est absolue et permanente ;

    7°- les personnes qui étaient à la charge d'un contribuable décédé à la suite d'un accident de travail ;

    8°-les contribuables malades qui sont minus d'une fiche médicale réglementaire constatant qu'ils suivent le traitement contre la maladie du sommeil.252(*)

    Cette nouvelle réglementation fait apparaître une remarque importante. Les principaux concernés par les exemptions étaient les hommes de troupes, les élèves et les malades suivant un « traitement normal. » Elles n'étaient pas guidées par une quelconque philanthropie allant dans le sens d'alléger le fardeau de la fiscalité. Elles étaient plutôt dictées par une politique d'incitation au service militaire, d'encouragement à la scolarité des enfants indigènes et de promotion de la médecine dite moderne. Les vrais misérables n'échappaient pas à l'impôt.

    C - Le recouvrement

    Le taux et l'assiette de l'impôt personnel étant fixés, il s'agissait, pour l'administration coloniale, de procéder à son recouvrement. C'était une étape importante dans la mise en place des recettes budgétaires de la colonie. Les rôles rendus dûment exutoires étaient remis aux trésoriers avant le 15 décembre. Ceux relatifs aux banlieues de Saint-Louis et de Gorée et des villages de l'intérieur, étaient remis au directeur des affaires indigènes chargé d'en faire opérer le recouvrement.253(*) Une fois les rôles établis, les contribuables étaient avertis d'avance par voie d'affiche ou au son du tam-tam. L'impôt était payable dans les trente jours qui suivent la publication des rôles.

    Cette tâche était effectuée par les chefs de canton et de province. L'arrêté du 15 mai 1906 stipule que la perception du montant des rôles de l'impôt personnel sera faite par les chefs de banlieue dans les territoires d'administration, et par les chefs de provinces ou des villages situés dans les cercles, à l'aide de tickets qui seront remis annuellement, lors du paiement de l'impôt, à chacun des contribuables. La quantité de tickets à remettre aux chefs de banlieues et de villages devant correspondre exactement au nombre de contribuables inscrits aux rôles. Lorsque ces chefs ne verseront pas le montant intégral de l'impôt résultant des rôles, ils devront présenter la différence en tickets, sous peine d'en être rendus pécuniairement responsables.254(*) Cependant, la malhonnêteté de ces chefs poussa très vite l'administration coloniale à prendre des mesures allant dans le but de les écarter du circuit de l'impôt. C'est le sens même de l'arrêté du 27 août 1913 du gouverneur général William Ponty au sujet du rôle des chefs indigènes dans l'administration des cercles du Sénégal. Une nouvelle formule fut adoptée. Après que les rôles d'impôt, établis sur la base du recensement auront été approuvés en conseil d'administration, les commandants de cercles réuniront aux chefs-lieux, les chefs de tous les villages de leur circonscription. Chefs de canton et chefs de province assisteront à cette réunion. A chaque chef de village et devant tous, les administrateurs indiqueront le montant inscrit au rôle que le village devrait acquitter et fixera l'époque du versement.255(*)

    Ainsi l'impôt était perçu à la diligence des chefs de village, sous la direction immédiate et le contrôle vigilent des commandants de cercles ou des fonctionnaires européens placés sous leurs ordres. Les chefs de villages opéraient les versements sans aucune immixtion des chefs de canton ou de province qui, en aucune occasion ne devaient plus manier les deniers de l'impôt. Cette méthode est celle utilisée jusqu'en 1937. La modicité du personnel européen avait abouti à une nécessité de confier le recensement à des agents indigènes. La perception et le versement de l'impôt par les chefs locaux répondaient, de ce point de vue, aux mêmes impératifs.

    Toutefois, dans les localités et les villages éloignés du chef-lieu de cercle ou de subdivision, le soin de percevoir l'impôt était confié, par décision du lieutenant-gouverneur prise sur la proposition du commandant de cercle, à des fonctionnaires d'autorité en service dans le cercle. Ces agents munis d'une copie de rôle constatent les versements sur les cartes fiscales établis par famille et délivrent aux chefs de villages des quittances extraites d'un carnet à souche fourni par le Trésor. Les sommes ainsi encaissées sont ensuite versées au préposé du Trésor ou à l'agent spécial qui émarge le rôle et délivre la quittance libératoire au fonctionnaire qui a opéré le recouvrement pour le montant des sommes versées. Chaque année, des cartes fiscales étaient remises aux chefs de famille. Tous les versements effectués par les chefs de famille en l'acquit de l'impôt personnel dont ils sont redevables sont constatés sur chaque carte fiscale. Ces mesures dispensaient les chefs de canton qui ne remplissait pas cumulativement les fonctions de chefs de villages de la manipulation des deniers de la capitation.

    La rentrée de l'impôt n'était pas toujours régulière. Elle dépendait le plus souvent des récoltes et du prix de l'arachide. Pour l'exercice 1897, la province du Sine avait versé la totalité de son impôt. La situation de cette province a été la suivante pour l'année 1899 :

    Tableau n°6 : Situation de la perception de l'impôt en 1899.

    Impôt prévu

    132.900

    Impôt perçu en 1898 de novembre en février

    70.159,50

    Impôt perçu en 1899 entre janvier et février

    240

    Retard en fin février 1899

    62.500,50

    Source : A.N.S.11D1/1113 : Cercle du Sine-Saloum, note pour le directeur des affaires indigènes, 25 mars 1899.

    Ainsi, en 1897, la province du Sine a produit 66.000 francs avec l'impôt de capitation de 2 francs, tandis qu'elle n'a obtenu que 70.159,50 francs en 1898 alors que l'impôt était porté à 3 francs par tête. Ce déficit était dû au non-versement de la somme qui figurait aux recettes du budget supplémentaire de 1898 pour quote-part des provinces du Sine et du Saloum, dans les dépenses d'administration et de contrôle.256(*) Pour éviter cette situation déplorable qui menaçait l'équilibre budgétaire de cette région, l'administration proposa de supprimer les comptes spéciaux des provinces et de diminuer la part d'impôt revenant aux chefs.

    En 1900, les cantons du Sine oriental s'étaient bien acquittés du fisc. Quant au Sine occidental à part les cantons de Ngayokhème et de Diohine, l'impôt n'était pas bien acquitté. Le Sine a versé une première fois 135.000 francs, une deuxième fois 45.002 francs, soit en tous 180.002 francs. Il restait à payer environ 45.000 francs d'arriérés. La difficulté pour les habitants de trouver le numéraire, dû aux maigres rendements était la principale cause du retard.257(*) En 1922-1923 par contre, les conditions satisfaisantes dans lesquelles s'étaient effectuées les opérations de la traite des arachides avaient facilité la rentrée de l'impôt personnel parce que les populations disposaient du numéraire nécessaire pour s'en acquitter.258(*)

    Pour mieux récolter les fruits de la capitation, l'administration coloniale avait adopté une véritable politique d'intéressement, pour stimuler le zèle des agents percepteurs. Elle décide que ceux-ci percevraient une ristourne sur le montant de l'impôt. Cette remise fut évaluée au départ à 0 franc 50 par tête sur les 1 franc 50 imposés aux seuls sujets français. Lorsque le taux de la capitation fut porté à 2 francs de 1896 à 1901, elle avait été fixée à 0 franc 75, avant d'être ramenée à 5 % du montant de l'impôt. Jusqu'en 1934, les remises étaient généralement prévues aussi bien en faveur des chefs de village qu'en celui des chefs de canton. Or, comme l'a rappelé la circulaire n° 77 AP/2 du 26 février 1934, « seuls les chefs de villages sont collecteurs d'impôt et doivent à ce titre, percevoir des remises qui constituent d'ailleurs officiellement leur unique rémunération. »259(*) Les chefs de canton eux, et bien qu'il entrait dans leurs attributions de contrôler les chefs de villages dans l'accomplissement de leur tâche, n'étaient plus admis à manipuler les deniers de l'impôt (sauf s'ils cumulaient deux fonctions). Ils ne percevaient plus des remises d'impôt proprement dites. Par contre, il leur était alloué une solde jugée suffisamment descente pour leur assurer un train de vie descente. En 1926, chacun des chefs de canton du Sine avait une solde de 6.000 francs.260(*)

    En outre, toujours dans le but de stimuler le zèle des chefs locaux, l'administration prévoyait qu'une prime de rendement leur pouvait être attribuée en fonction des services rendus. En 1903, Lefilliatre commandant de cercle du Sine-Saloum décida de décorer Coumba Ndofféne Fa Ndeb Diouf, chef supérieur du Sine d'une médaille d'or de première classe, pour ses services rendus en 1898  « époque à la quelle il garantit l'impôt non entré de 150.000 francs, impôt qu'il paya d'ailleurs intégralement en 1899 ».261(*) La même proposition fut faite en 1904 pour Mbagne Ndiougour Séne grand Jaraf du Sine pour son dévouement à la cause coloniale.

    Cependant, ces mesures n'ont pu empêcher que certains chefs obnubilés par le culte du profit détournassent l'impôt pour leur gain personnel. Ce fut le cas pour Laïty Diouf en 1897. Cet ancien spahi que l'administration avait tenu à récompenser de ses services, en le nommant à la tête du Canton de Joal n'avait pas répondu à sa confiance. Illettré, Laïty Diouf s'était entendu avec un certain Benoît, noir originaire de Gorée et ancien employé de commerce vivant avec sa famille à Joal pour lui tenir, moyennant une légère rétribution, sa correspondance. Mais en matière d'impôt, il s'était abstenu de se servir de son concours en vue de la délivrance aux indigènes soit de reçus des sommes versées, soit de bons ad hoc que lui délivrait l'administration. En 1896, l'impôt versé par les chefs de village du Canton de Joal se structurait comme suit :

    Tableau n°7 : Situation de la rentrée de l'impôt dans le canton de Joal pour l'année 1896.

    Villages

    Impôt versé

    Diong Sérère

    240 francs

    Mbodiéne 1

    142,50 francs

    Fadiouth

    1.016 francs

    Palmarin

    850 francs

    Fadial

    204 francs

    Lewna

    180 francs

    Velingara

    96,50 francs

    Papamane

    75 francs

    Ndoffane

    445 francs

    Mbodiéne 2

    165 francs

    Ngazobil

    30 francs

    Source : A.N.S. 13G52 : Chefs indigènes : bulletin individuel de notes fin XIXe siècle. Dossier Laïty Diouf.

    Pour l'exercice 1897, les sommes versées étaient les suivantes :

    Tableau n°8 : Situation de la rentrée de l'impôt dans le canton de Joal pour l'année 1897.

    Villages

    Sommes

    Ndiarone

    405 francs

    Fadial

    161 francs

    Vélingara

    122 francs

    Ndianda

    152 francs

    Papamane

    128,50 francs

    Ndoffane

    918 francs

    Mbodiéne

    198,50 francs

    Total : 2085 francs

    Source : A.N.S. 13G52 : Idem.

    Ces différents paiements forment une somme totale de 5.903 francs. Or Laïty Diouf en retard dans l'accomplissement de sa tâche, n'avait effectué au titre de l'exercice 1896 que deux versements : l'un de 1.325 francs, le 28 février 1897 et l'autre de 216 francs, le premier mai 1897. La différence accusée entre les recettes effectuées et les remises faites se traduisait par une somme de 4.361.

    Ce chef indigène s'était servi de l'argent de l'impôt pour ses propres besoins. En 1894, il versait 3.896 francs. Ce versement avait périclité jusqu'à 3.176,50 francs alors que le taux de l'impôt avait augmenté. Il sera révoqué de ses fonctions le 29 juin 1897.

    Les exemples de ces détournements peuvent être multipliés. En 1898, Madiouf Diouf, chef du canton de Fatick, est limogé pour la même cause, sur la demande du commandant de cercle Alsace.262(*) Les détournements d'impôt étaient nombreux dans la province du Sine, comme partout ailleurs dans les autres cercles. Cet état de fait était dû, dans une certaine mesure, au nouvel ordre qui était imposé aux chefs locaux. Avant la conquête, ils percevaient sur leurs sujets des impôts de toute sorte (naamo, koubeul, droit de culture...) et recevaient des cadeaux des commerçants. Les butins de guerre, les successions vacantes, les contributions exceptionnelles constituaient autant de sources d'approvisionnement de la cour royale et permettaient aux chefs de maintenir leur prestige. L'ordre colonial supprime tous ces privilèges et condamne les chefs à vivre avec des revenus fixes. Ils ne perçoivent plus de coutumes, de redevances, de taxes ou de revenus de justice. Ils sont contraints désormais de se contenter de leur salaire et de la ristourne sur l'impôt de capitation. Ce qui était largement insuffisant pour leur permettre de tenir leur rang. Ainsi à chaque fois que l'occasion se présentait, les malhonnêtes n'hésitaient pas à utiliser les deniers de l'impôt pour leur propre compte.

    IV- La taxe sur le bétail

    En dehors de l'impôt de capitation, les indigènes étaient astreints au paiement d'une taxe sur leur bétail. « Seule la volaille n'était pas imposée au Sine », nous dit Niokhor Diouf.263(*) L'administration coloniale considérait que le bétail, générateur de ressources pour les contribuables devait pour autant faire l'objet d'un impôt spécial. Au Sénégal cette nouvelle contribution fut instituée par l'arrêté du 14 mars 1915, approuvé le 14 août 1915.264(*)

    Pour la perception de cette taxe, les rôles étaient établis d'après les déclarations des éleveurs. Les chefs locaux étaient chargés de procéder au recensement des bêtes. Ils envoyaient des émissaires, la nuit pour aller compter les bêtes dans les étables. Ces dénombrements ouvraient la porte à toutes sortes d'injustices. Les chefs n'hésitaient pas à surestimer les troupeaux de leurs ennemis et à sous-estimer ceux de leurs parents et alliés. Diégdiame Diouf nous apprend que pour échapper à ces procédés iniques, il n'était pas rare de voir une famille dont le bétail était important, de diviser son troupeau en deux parties, chaque fois qu'elle soupçonnait l'imminence d'un recensement. L'une restait à l'étable, l'autre étant cachée dans une clairière, jusqu'à la fin du dénombrement.265(*) Par ce procédé, on estima en 1932 le cheptel du Sine à 153 chameaux, 3.972 chevaux, 4.993 ânes, 108 boeufs porteurs, 30.958 boeufs et vaches et 28.781 moutons et chèvres.266(*)

    Cependant, on peut dire de cette taxe qu'elle n'était jamais en corrélation exacte avec le cheptel existant, soit que celui-ci par suite d'épizootie soit inférieur à celui recensé, soit, et c'est le cas le plus fréquent qu'au contraire par suite de dissimulation, il soit bien supérieur aux chiffres du recensement.

    Le taux de cette taxe était en 1916 de 3 francs par boeuf, 0 franc 25 par mouton et chèvre, 20 francs pour les ânes et 100 francs pour les chameaux.267(*) En 1921, ce taux était de 2 francs pour les boeufs, de 1 franc pour les moutons et chèvres, 5 francs par âne, 2 francs par cheval et 15 francs par chameau.268(*) En 1932, la taxe sur le bétail s'élevait ainsi : chameau : 45 francs ; cheval : 10 francs ; âne et boeuf porteur : 9 francs ; boeuf, vache et taureau : 3 francs ; mouton et chèvre : 0 franc 5 ; porc : 2 francs 50.269(*) En observant le taux de cette taxe une remarque s'impose : les bêtes les plus taxées étaient les chameaux, les chevaux, les ânes et les boeufs porteurs, animaux de luxe et de transport générateur de revenu pour leur propriétaire.

    Cet impôt avait généré dans la subdivision du Sine 204.125 francs en 1934 et 192.470 francs en 1935.270(*) Le chef de la subdivision, auquel des explications furent demandées sur l'écart existant entre les montants de 1934 et 1935, avait prétendu que les recensements précédents avaient été exagérément gonflés, alors que le dernier recensement (hivernage 1935) avait fourni les bons chiffres.271(*)

    L'administration coloniale avait manqué d'équité en appliquant cette taxe sur l'ensemble des éleveurs. L'impôt personnel étant, en général, basé sur l'ensemble des ressources supposées (dont les troupeaux) du groupement indigène intéressé, c'était donc, taxer deux fois le même élément que de frapper le bétail. Monsieur Angoulvant justifia l'institution de cette taxe par le fait que dans certaines régions le taux de l'impôt personnel paraissait tellement modique en comparaison de l'importance des troupeaux qu'il semblait bien que ceux-ci n'intervenaient pas dans la fixation de son quantum.272(*)

    Mais cette taxe, pour être justifiable, ne devrait viser que les groupements nomades ou pasteurs, surtout les peuls pour lesquels le bétail constituait l'unique ou la principale richesse. Son application aux populations agriculteurs sédentaires, entretenant de faibles troupeaux (par rapport aux peuls) risquait de détourner ces derniers de l'élevage. Elle exigeait en effet des recensements fréquents, toujours très difficile à effectuer surtout dans les régions d'élevage intensif où les pasteurs pratiquaient la transhumance. Les populations nomades acquittaient le zekkat, impôt coranique dont l'assiette variait chaque année en fonction de la valeur réelle du bétail.

    Précisons qu'au Sine, les Sérères furent de grands éleveurs. Ils associaient élevage et agriculture ; le bétail participant à la fertilisation des terres. Cependant la grande majorité des bovins fut en la possession des peuls qui considéraient le bétail comme un élément de richesse inaliénable et non comme un produit commercial. Par leurs multiples déplacements, les peuls échappaient souvent à leurs obligations fiscales. Appliquée au cheptel toujours croissant, une taxe de ce genre, devenant de plus en plus lourde, constituait une sérieuse entrave au développement de l'élevage. Pour y échapper, les peuls du Sine, sur qui cette taxe pesait lourdement préféraient migrer vers la Gambie anglaise.273(*)

    Pour pallier à toutes ces difficultés, l'administration coloniale réorienta sa politique en matière de taxe sur le bétail, pour une augmentation et une revalorisation du cheptel par la diminution ou la suppression des droits le grevant. Ainsi, le conseil colonial, dans sa séance du 17 juin 1935 adopta un projet de délibération portant suppression de la taxe sur le bétail à compter du premier janvier 1936. Auparavant, les conseils de notables, consultés sur cette question dans le courant de l'année 1934, s'étaient pour la majorité, prononcés en faveur de cette mesure qui doit avoir pour contre partie, un relèvement du taux de la contribution personnelle. Ce relèvement était destiné à compenser la diminution des recettes budgétaires provoquée par la suppression de la taxe sur le bétail. Son taux était de 2,50 francs en 1935. Au Sine-Saloum, le produit total de la taxe sur le bétail s'est élevé à 467.640 francs 50. L'augmentation compensatrice de 2 francs 50 a rapporté 685.290 francs, soit une plus-value pour le budget local de 217.649 francs 50. A partir de 1936 donc, le bétail n'était plus imposé dans la colonie du Sénégal. Mais ce n'était là qu'une politique de remplacement et non de suppression.

    TROISIEME PARTIE : TRAVAIL FORCE

    ET MALVERSATIONS FISCALES

    CHAPITRE I : LES PRESTATIONS

    I : Principes et fonctionnement

    Après la conquête, l'autorité coloniale, partout en Afrique, va se trouver aux prises avec le problème majeur de la mise en valeur des pays conquis. Elle esquissa au lendemain de l'occupation un ambitieux programme de grands travaux qui va faire, assez vite, apparaître les limites des moyens matériels et humains dans une Afrique Noire déjà endeuillée pendant des siècles par la traite, les guerres intestines, les famines et bousculée enfin par l'ordre colonial.

    Ainsi, pour remédier à ce manque de moyens matériels et humains nécessaire au développement du commerce, de l'agriculture et l'industrie ; pour mieux exploiter les richesses latentes du sol et du sous-sol, en somme pour mettre sur pied les instruments d'exploitation et de domination, l'administration coloniale trouva un moyen inconvenant qu'elle imposa aux peuples qui étaient sous son joug : le travail par contrainte.

    Les arguments de ce procédé reposaient sur une soi-disant nécessité. Il était inadmissible pour le colonisateur d'envisager la mise en valeur des colonies sans l'indigène : « pour l'indigène donc, avec l'indigène sans doute, mais aussi par l'indigène. »274(*) Cette forme de travail avait été mise au point pour trouver une solution à l'épineux problème de la main-d'oeuvre nécessaire à la mise en valeur de la colonie pour l'occupant, notamment à celui de la construction et de l'entretien des infrastructures de communications, vitales pour la prospérité du commerce.

    Dans l'esprit du pouvoir colonial, l'objectif était défini au départ. Il s'agissait de « Contraindre par la force du droit et la rigueur de la répression en cas de refus, l'indigène sujet français, à mettre sa force de travail contre sa volonté, au service d'une activité, semble t-il d'intérêt général (...) » 275(*) Pour Mercier, « son but immédiat est d'amener les indigènes contre leur gré, mais aussi dans leurs intérêts bien compris en même temps que dans celui de la colonie et de la puissance colonisatrice, à fournir l'effort nécessaire pour l'exécution des travaux d'intérêt général. »276(*) En outre, pour donner une justification idéologique à cette forme de travail moralement condamnable, on utilisa de vieux clichés bien connus par l'autorité coloniale, à chaque fois qu'elle cherchait à diaboliser les peuples sous domination. Ainsi, on invoqua « une apathie, une paresse innée, d'autre part une nature très généreuse »277(*) qui prédestinent les nègres au farniente, à une vie ralentie par la douce flânerie au seuil des cases ou à l'ombre des grands arbres, et qui les empêchent de se livrer, de leur propre gré, à un travail régulier.

    Au delà des conditions naturelles fort avantageuses, l'indigène trouvait dans l'étroite solidarité sociale un moyen pour mener une vie de paresse et d'indolence. Son existence n'était guère hantée par l'angoisse de lendemains calamiteux car, il pouvait espérer trouver chez les siens les moyens de subvenir à ses besoins élémentaires. Cette passivité des indigènes constituait un obstacle sérieux à la mise en valeur coloniale. Pour y remédier et « modifier la mentalité primitive de l'indigène,   faire rayonner au sein de la brousse millénaire l'influence de ses méthodes et de sa science, y infuser la vie, le bien-être et la civilisation »278(*), l'administration coloniale institua le travail forcé sous forme de prestations.

    Celles-ci consistaient à réclamer aux contribuables, en plus de l'acquittement de leurs impôts, un nombre défini de journées de travail au profit des chantiers publics d'intérêt général.279(*) C'était des contributions accessoires à l'impôt. Au Sénégal, la prestation a été instituée par le décret du 4 août 1860, qui stipule que la contribution personnelle se compose de la valeur d'un certain nombre de journées de travail déterminé par le Gouverneur en conseil d'administration. L'arrêté du 9 août 1861 fixa à trois le nombre de ces journées, chaque journée étant évaluée à 1 franc pour la ville de Saint-Louis et ses faubourgs, ainsi que pour Gorée, et à 0 franc 50 pour les autres localités. Cependant, il faut attendre 1912 pour voir un début de législation des prestations. Ainsi, l'arrêté local du 25 novembre 1912 réglementant le régime des prestations en A.O.F. précise que tous les indigènes de sexe masculin, adultes et valides, à l'exception des vieillards, des militaires, gardes-cercles, préposés de douanes, gardes-forestiers y sont assujettis. Mais ces prestations ne devaient pas être exigées durant les périodes de cultures ou de cueillette. Elles ne pouvaient non plus être exécutées à plus de cinq kilomètres du lieu de résidence du prestataire, sinon le prestataire devait bénéficier d'une ration en nature ou en espèces.280(*)

    La durée des prestations était de douze jours par an, avec un taux de rachat de 3 francs la journée. Mais ce rachat n'était possible que dans les centres urbains. C'est seulement à partir de 1937 que le système du rachat des journées de prestation se généralisa dans l'ensemble du Sénégal et dans toute l'A.O.F.281(*) L'obligation n'est plus que de quatre journées en1912, avec un taux de rachat de 3 francs la journée, pour remonter à huit journées de 1923 à 1926 avec un taux de 2 francs la journée. Il faut attendre le vote du conseil colonial en juin 1927 ( ratifié par l'arrêté du 5 décembre 1927) pour voir les journées se stabiliser au nombre de quatre au taux de rachat de 5 francs la journée.282(*)

    Au Sénégal, les indigènes soumis à la prestation, par application des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 25 novembre 1912, accomplissaient dans chaque cercle, un nombre de journées de prestation qui était indiqué pour chaque année, sur un tableau publié au journal officiel avant le premier décembre de l'année précédente. Ce tableau indiquait le nombre de journées imposées à chaque prestataire, les dates limites entre lesquelles devaient être accomplies les prestations, le taux du rachat, les centres dans lesquels le rachat était autorisé et le taux de la ration pour les prestataires travaillant à plus de cinq kilomètres de leur lieu de résidence.

    Les rôles de la prestation en nature étaient collectifs et établis annuellement par subdivision administrative et par les soins des administrateurs commandants de cercle. Ils indiquaient le nom de chaque village et celui de son chef ; le nombre des individus soumis à la prestation ; le nombre des exemptions ; le nombre des journées de prestation par personne et le nombre total de journées à accomplir par village. Après approbation du Gouverneur Général, la minute du rôle reste déposée dans les bureaux de chaque centre de subdivision, du premier au 31 décembre. Pendant cet intervalle, les contribuables autorisés à bénéficier du rachat, ont la faculté de déclarer qu'ils désirent racheter leur prestation. Ceux qui, pendant cette période, n'avaient pas déclaré leur volonté de rachat étaient tenus de l'exécuter. Les rôles de la prestation en argent étaient nominatifs et précisaient les noms des indigènes qui désiraient racheter leur prestation ; le nombre de journées dues par chacun d'eux ; le taux du rachat et la somme due par chaque contribuable.283(*) Le canton étant l'unité territoriale de base pour l'exécution des prestations, les matrices devaient comporter autant de subdivisions que de cantons.

    Les prestataires étant recrutés par village, tous ceux qui ne voulaient pas exécuter leur prestation en nature et ayant la possibilité du rachat s'en acquittaient en numéraire. Au Sine, le succès de ces rachats dépendait largement des cours de l'arachide. En 1935-1936 par exemple, avec les cours élevés de l'arachide pendant la traite, le succès de la campagne de rachat des prestations fut fulgurant et donna la somme suivante :

    Subdivision du Sine : 184.112 francs 35

    Total du rachat du cercle : 417.943 francs 57. 284(*)

    Jusqu'en 1930, la possibilité du rachat des prestations était limitée aux seuls contribuables citoyens français et assimilés. C'est seulement à partir de cette date que cette opportunité a été offerte aux prestataires de statut indigène, mais sous certaines conditions : il faut que la déclaration soit faite avant le 15 janvier de l'année de l'exercice et la somme du rachat soit versée avant le 1er avril.285(*)

    Cependant, à partir de 1937, avec le Front Populaire, le Gouverneur général de Coppet entrevoit une possible suppression progressive des prestations. Le but poursuivi au cours de cette année par le gouvernement général, n'était autre que d' « abandonner purement et simplement, partout où la mesure pouvait être appliquée, le régime des prestations et de le remplacer par une taxe additionnelle à la contribution personnelle. »286(*) Cette taxe était de 6 francs au Sine-Saloum. Sa quotité était fixée par un arrêté local et perçue en même temps que l'impôt personnel.

    L'argent des achats permettait aux autorités coloniales de disposer le plus de crédits pour doter les services des Travaux Publics d'engins mécaniques pour l'aménagement et l'entretien du réseau routier. En 1935, le produit des rachats des prestations a permis de mettre à la disposition du service des Travaux Publics les sommes suivantes pour des travaux neufs dans la subdivision du Sine :

    - Achèvement du pont métallique de Fatick : 50.000 francs ;

    - Construction de la route d'accès au pont de Fatick : 100.000 francs ;

    - Continuation de la route de Fatick à Kaolack.287(*)

    Il s'avère important de préciser que même si la possibilité de rachat était offerte à l'indigène, la capacité de celui-ci de s'en acquitter était restreinte. Le numéraire indispensable pour effectuer le rachat était largement tributaire des fluctuations du marché, c'est-à-dire, des cours de l'arachide dont le seul régulateur était le dominant.

    C'est pourquoi les misérables contribuables étaient obligés, contre leur gré, d'aller prêter leur force de travail, sur les chantiers définis pour l'administration coloniale.

    Seuls les contribuables de sexe masculin de 18 à 60 ans étaient appelés à fournir des prestations. Les exemptions touchaient également les chefs de village et de canton, de province ou de tribu, chargés de surveiller l'exécution des prestations, les élèves des écoles, les militaires. L'exécution de cette forme de travail s'accomplissait après que les autorités locales eussent défini leur plan de campagne.

    II - Plans de campagne et exécution des prestations

    La première opération qui s'impose en vue de l'exécution des prestations était la définition des travaux à accomplir et la détermination des personnes qui doivent y être soumises. Les plans de campagne sont destinés à éclairer, annuellement, sur la nature et l'importance des travaux proposés dans chacune des circonscriptions administratives, sur les moyens d'exécution (personnel et matériel), le nombre de journées nécessaires, celui des prestataires disponibles, leur répartition éventuelle sur des chantiers, la situation des dits chantiers par canton, bref tous les renseignements nécessaires à une exécution correcte et raisonnable des travaux.288(*)

    Les plans de campagne étaient définis annuellement par le commandant de cercle, après avis du conseil des notables et approuvés par le lieutenant-gouverneur. A la fin de chaque hivernage, l'autorité administrative locale interpellait les chefs de province et de village pour l'exécution du programme d'entretien et de construction du réseau routier de sa circonscription afin de permettre le drainage par automobile des arachides cultivées dans son cercle. Ces plans de campagne concernaient principalement :

    - Les travaux d'entretien, de réfection et de construction des pistes et ouvrages d'art ;

    - Le maintien ou l'augmentation du nombre de journées de prestations pour l'année en cours ;

    - Le nombre de prestations et le calendrier d'exécution des travaux sur les chantiers ;

    - La quotité du rachat des prestations.289(*)

    Après l'approbation du plan de campagne par le gouverneur général, chaque canton devenait responsable de la réalisation des travaux et assurait la répartition entre les différents villages devant fournir les prestataires. La désignation de ces derniers incombait aux chefs indigènes, en rapport avec les notables dans les villages. La délibération du conseil colonial du 19 novembre 1921, approuvée par le Gouverneur Général en conseil de gouvernement le 7 décembre 1921 précise que chaque village ou groupement ne doit effectuer les prestations qui lui incombent, que dans les limites des terrains dépendant de leur circonscription. Toutefois quand il y a inégalité frappante entre le nombre des habitants de plusieurs villages ou groupements, la part des travaux mis à leur charge peut être déterminée non d'après les limites de leur territoire, mais proportionnellement au chiffre de leurs habitants, « à condition que l'ensemble du travail ne puisse servir qu'aux groupements immédiatement limitrophes et intéressés ». 290(*)

    Cette forme de travail spontanée au départ était la panacée trouvée par l'administration coloniale, pour mettre en place les infrastructures d'exploitation et de domination. Dès 1893, l'administrateur Noirot l'utilise pour la construction des axes reliant Foundiougne aux principales escales (Fatick, Kaolack, Nioro, Sokone etc.) ; pour l'édification du réseau télégraphique et la mise sur pied des écoles, résidences et autres immeubles administratifs. Lefilliatre et Brocard l'ont surtout utilisé pour le creusement des puits et l'aménagement des champs de démonstrations. En 1898, par le biais de la main-d'oeuvre prestataire, Alsace, commandant de cercle du Sine-Saloum, réussit à construire dans le Sine une école de garçons et de filles à Fatick, un pont de 70m au marigot de Diakhao et l'entretien de l'école de la capitale sérère. La construction de la route Fatick-Foundiougne (20,50 kilomètres ) a été réalisée et de grandes voies de communications ont été débroussaillées :

    - Fatick-Fissel : 37 kilomètres ;

    - Fatick-Kaolack : 40 kilomètres;

    - Fatick-Diakhao: 20 kilomètres;

    De nouvelles pistes ont été ouvertes entre Fatick et Joal : 55 kilomètres ; de même, le service de roulage entre Fatick et Niakhar a été organisé. Dans cette dernière localité, il a été également procédé à la construction d'une résidence et au creusement d'un puits.291(*) Par les rachats, l'administrateur réussit à Joal, la réfection complète de l'appontement pour rendre l'escale accessible aux caravanes. Ces travaux ont coûté 2500 francs. A Fatick, l'établissement d'un marché couvert qui a coûté 2700 francs environ.292(*) Fatick, l'une des escales des plus importantes du Sine avec Joal, attirait particulièrement l'attention des autorités coloniales. C'est pourquoi tous les grands centres de production d'arachides ont été reliés à cette escale pour faciliter le drainage des marchandises. Les grands travaux de réfection de routes exécutés en 1935 par le biais des prestations sont les suivants :

    - Route de Fatick à Kaolack : 3 kilomètres ;

    - Fatick - Diakhao : 10 kilomètres ;

    - Fatick - Joal : 5 kilomètres;

    - Fatick - Foundiougne : 5 kilomètres.293(*)

    La médiocrité des résultats obtenus par le travail prestataire, faisait que chaque année, après l'hivernage les contribuables étaient mobilisés pour refaire le même travail. Il fallait arriver à remplacer les mauvaises pistes par des routes plus praticables. La caractéristique des routes à construire a été d'ailleurs longtemps définie. Il fallait d'abord rectifier le tracé de la piste existante, faire une plate-forme et des fossés, des ponceaux, charger ensuite la chaussée avec de la latérite ou des coquillages. Les prestataires devaient désherber toute la plate-forme. Tous les arbres sont à dessoucher, les termitières à écraser, les creux à combler, les élévations à niveler. Il ne fallait pas de chemins étroits, au sol raviné, couvert de tronc d'arbres mal nivelés, dangereux pour la circulation. La plupart des routes avaient une largeur de dix mètres dont trois de chaussée utilisable aux charrois. Elles étaient pourvues de bas côté, avec des pentes très réduites. L'épaisseur de renforcement en terre noire ou l'empierrement variait de 25 à 50 centimètres, suivant la plus ou moins grande consistance du terrain. On garnissait le fond d'une couche de sable ; on y mettait après des cailloux. Ces matières étaient ensuite pilonnées, soit au moyen de dames soit par des cylindres compresseurs.294(*) Ce travail de titan était, chaque année, répété avec son cortège d'abus et d'humiliations rappelant le temps de l'esclavage.

    III- Le travail prestataire : une survivance de l'esclavage

    Par les prestations, toute l'infrastructure coloniale de communication sera construite à peu de frais. Ce régime fondé sur la contrainte engendra des abus graves et multiples. La réglementation était constamment violée. Les prestataires furent employés à tous les travaux de construction, alors que les réglementations successives ne les destinaient qu'à l'entretien des voies de communication. Les chefs n'hésitaient pas à employer les prestataires au moment des cultures, dans des chantiers éloignés de leurs villages à des distances considérables. La violence était mise à l'oeuvre pour mobiliser la main-d'oeuvre prestataire. Le code de l'indigénat et la loi réprimant le vagabondage servirent de couverture à la répression appliquée sur les indigènes.

    Une ration journalière était prévue pour les indigènes travaillant à plus de cinq kilomètres de leur lieu de résidence. Mais l'administration en faisait souvent table rase. Elle trouva plus facile de réquisitionner les vivres des villages qui étaient dans le voisinage des chantiers.295(*)

    Cette forme de main-d'oeuvre était irrégulière et peu équitable puisqu'elle pesait seulement sur une partie de la population. Elle était « l'expression même de la domination occidentale et l'instrument commode de ses appétits égoïstes. »296(*) Cette frénétique politique de main-d'oeuvre se fit au détriment de l'indigène et au profit d'une administration coloniale qui, comme une sangsue, n'avait pour but que de sucer toutes les ressources des dominés. Que de sang versé sur les chantiers de prestation ! Que de dignité humaine bafouée pendant ces longues et pénibles journées d'accomplissement d'un labeur involontaire ! Nul ne peut compter le nombre de journées de travail ainsi systématiquement extorquées. En 1928, la subdivision de Fatick devait 134.764 journées de travail. Certes les travaux d'intérêt général à base collective existaient bien dans le Sine traditionnel, comme ailleurs en Afrique. Mais le colonisateur les transforma en une institution déshumanisante, devenue étrangère à l'Afrique. La prestation, c'est le « rétablissement de l'esclavage sous un nom plus doux ».297(*)

    Dire que le travail forcé est un facteur de relèvement des indigènes est une affirmation qui ne résiste pas à l'examen. En vérité, le colonisateur voulait exploiter mais à moindre coût. C'est ce qu'exprime Cosnier dans cette formule lapidaire : « on vous fait pour 10.000 francs une résidence qui en vaut 100.000 francs, des dizaines de kilomètres de routes pour quelques centaines de francs, des essaies de culture sur des centaines de milliers d'hectares qui ne coûtent pas un sous. Celui qui paie est muet : c'est l'indigène. »298(*) Le travail prestataire est une atteinte à la dignité et à la liberté humaines. Jules Ninine le considère comme « un régime habilement plagiaire de l'esclavage ».299(*) Symbole de la colonisation sous son aspect le plus dépravant et barbare, le travail forcé était, dans son principe, contraire à l'idéal d'humanitarisme et de civilisation dont se targuaient les nations colonisatrices. Et pourtant, c'est cette France-là qui, au « Siècles des Lumières », avait supprimé, dans la nuit du 4 août 1789 la corvée seigneuriale considérée comme une aberration, qui imposa à ses colonies le travail forcé.

    On utilisa cette forme de main-d'oeuvre dans des entreprises privées. Au Sine-Saloum, beaucoup de manoeuvres furent employés par des maisons de commerce pour la manutention des arachides et des autres marchandises importées. Pour l'utilisation de la main-d'oeuvre carcérale, le camp pénal de Koutal fournissait des prestataires, surtout pour les salines du Sine-Saloum.300(*) C'est une forme déguisée du travail forcé qu'on s'empressa à appeler « travail libre » qui a obligé l'indigène à prêter sa force de travail en cherchant un emploi rémunérateur lui permettant de s'acquitter du fisc. Mais peut-on appeler libre un travail qu'on exécute sous peine de subir des brutalités ou d'aller même en prison ? Libre ou pas les prestations étaient une forme de déshumanisation des indigènes, un mépris de la règle et de la personne humaine.

    Dans les chantiers les conditions de vie étaient effroyables. L'insulte et l'humiliation étaient les armes utilisées pour faire exécuter les prestations. Les femmes et les enfants étaient parfois utilisées. Les administrations trouvaient toujours le moyen de faire travailler les indigènes plus que ne le permettaient les textes. Ils maintenaient les travailleurs sur les chantiers au-delà du nombre de journées réglementaires exigibles.301(*) Ainsi, en 1922, le conseiller colonial élu du Sine-Saloum, Badara Gueye, avait protesté du fait que beaucoup de prestataires passaient plus de quatre jours sur les routes. Dans sa justification de cette violation des textes, l'administrateur Graffe affirme que la journée de travail devait, en principe, s'étendre de six heures du matin à dix-huit heures, avec interruption de douze heures à quatorze heures. Il estime par ailleurs que le prestataire ne travaille pas bien car « il arrive tard sur les chantiers, part tôt, se repose souvent ».302(*) Il chercha à y remédier en répartissant le travail à la « tâche », celle-ci étant celle que « l'indigène prestataire peut réellement accomplir en quatre jours s'il travaillait sérieusement ».303(*) Ce même conseiller allait encore protester, lors de la réunion du conseil colonial du 10 novembre 1925, au sujet des mauvais traitements et des exactions dont a été victime la main-d'oeuvre prestataire dans le cercle du Sine-Saloum. Les exactions portaient sur deux points : la mobilisation des prestataires pendant la période des travaux agricoles et des transactions commerciales, et la non-distribution de la ration alimentaire aux prestataires envoyés à plus de cinq kilomètres de leurs village.304(*)

    Les contraventions notées furent graves, mais les administrateurs n'en portaient point toute la responsabilité. La conception métropolitaine était qu'il fallait construire sans frais. Elle se traduisait concrètement par des allocations financières très modiques versées aux administrateurs, leur permettant tout juste d'acheter des pelles et des pioches et de nourrir pendant quelques jours les prestataires. On exigeait d'eux des résultats sans leur donner les moyens normaux de les obtenir. Ainsi, certains administrateurs soucieux de résultats probants, pour garder leur rang, étaient amenés à recourir aux populations sans défense pour accomplir ce qu'on attend d'eux.305(*)

    L'utilisation de la contrainte fit que le résultat était toujours médiocre. Mais l'administration réussit, tant bien que mal, à doter le pays d'un immense réseau de routes et de pistes qui facilitèrent le raccordement des régions même enclavées à l'économie monétaire.

    CHAPITRE II : PRESSIONS FISCALES ET TRANSFORMATIONS SOCIALES

    I - Les spoliations nées du système fiscal

    La perception de l'impôt de capitation donna l'occasion à des abus multiples, qui plongèrent les populations dans une atmosphère où ils furent transformés en véritables « chairs à impôt ». Ce climat de malaise et de détresse avait fini par compromettre la quiétude des populations indigènes acculées au désespoir.

    Quand par conjoncture, le contribuable n'était pas en mesure de payer son impôt, l'administration y voyait une marque d'hostilité et de non-soumission à l'autorité française. Au lieu d'en chercher les motivations profondes, elle mettait la machine répressive en branle, avec une sévérité et une brutalité sans exemple. Des expéditions punitives étaient fréquemment conduites en l'encontre des villages qui n'étaient pas quittes avec le fisc.

    Cette fiscalité était devenue confiscatoire, car elle ne tenait nullement compte des capacités contributives des indigènes. Elle faisait peser sur la masse des populations, et particulièrement sur la masse des plus pauvres, les charges budgétaires. Pour donner à l'impôt un caractère d'équité, il fallait que le niveau d'imposition des masses soit proportionnel à leurs capacités contributives et aux bénéfices qu'ils retirent des dépenses publiques. Cette fiscalité était en définitive ruineuse, car elle prit le caractère d'une razzia impitoyable pour les contribuables qui n'avaient aucun moyen pour se prémunir contre les caprices de leurs chefs. Ces derniers pratiquaient une répartition approximative des sommes dues par leur collectivité, en faisant payer le plus possible leurs ennemis et le moins possible leurs parents et alliés.

    Le paiement de l'impôt constituait ainsi un vrai calvaire, en ce sens qu'il était synonyme de spoliations et d'humiliations pour les populations. Par les remises faites aux chefs locaux, l'administration coloniale avait créé une politique efficace d'intéressement pour aiguiser les appétits féroces et le zèle des percepteurs. Ce qui l'intéressait, ce n'était point les moyens, mais la fin. C'est pourquoi elle fermait les yeux sur les exactions que les chefs de province et de canton exerçaient sur leurs administrés. Ces chefs locaux ne respectèrent guère les textes qu'ils ignoraient le plus souvent d'ailleurs. Les mesures d'exemption n'étaient pas toujours appliquées. On faisait payer même les enfants n'ayant pas encore atteint l'âge fiscal. Certains chefs poussaient le cynisme jusqu'à taxer les femmes enceintes pour leur future progéniture.306(*) Le chef de famille était sommé de payer pour les contribuables décédés après l'établissement des rôles, de même que pour les départs définitifs. Lors du conseil général du 19 novembre 1908, les contribuables de Joal envoyèrent une pétition, pour protester contre l'incurie des percepteurs qui réclamaient l'impôt aux vieillards, aux enfants et aux impotents.307(*)

    En principe, tout contribuable en règle avec le fisc devait recevoir un ticket servant de preuve d'acquittement. Mais pour mieux les spolier, les chefs locaux refusaient parfois de remettre ces tickets dans le dessein de revenir à nouveau réclamer les sommes déjà perçues.308(*) La chefferie locale, chargée de faire rentrer l'impôt, était notée en fonction de sa capacité à mobiliser le maximum d'argent pour le budget local. Aux yeux des autorités coloniales, le bon chef, capable et digne de sa fonction, est celui qui fait rentrer le plus d'impôt. En 1907 par exemple, Comba Ndoffène Fa Ndeb Diouf était considéré par les autorités du cercle, comme « l'homme qu'il faut au Sine ».309(*) Cette appréciation fait suite à l'attitude de chef vis-à-vis de ses administrés. Celui-ci avait mobilisé tous ses ceddo, ses femmes et ses enfants pour percevoir l'impôt en 1894 et en 1899. Ces percepteurs impénitents, avec une rapacité indescriptible, commirent dans le Sine occidentale des déprédations d'une ampleur incommensurable.310(*)

    Le chef indigène, intéressé par sa promotion devant l'administration coloniale, finit par donner à la fiscalité une allure impitoyable. Il abusait de son autorité pour pressurer ses compatriotes. « De l'impôt, il fait un tribut ; de la prestation, une corvée, et de la culture une réquisition ».311(*) En définitive, ces chefs locaux devinrent haïssables aux yeux de leurs administrés qu'ils exploitaient sans scrupule. C'est ce qu'exprime le Gouverneur Général William Ponty dans cette formule : « les intermédiaires indigènes, entre les imposables et le fisc, c'est-à-dire entre la masse des contribuables et les administrateurs de cercles, ou leurs subordonnés européens ne sont, en définitive, que des parasites vivant sur la population, et sans aucun profit pour nous. Autant d'intermédiaires, autant de voleurs. »312(*)

    Les contribuables supportaient mal le poids de la fiscalité qui pesait lourd du fait que « la part contributive de chacun, régulièrement inscrit sur les rôles d'impôt, s'augmente, en effet, le plus souvent, d'un cadeau pour le chef de village, d'un cadeau pour le chef de canton, et s'enfle plus encore du cadeau destiné au chef de province ».313(*) Le prestige de gérance des chefs locaux faisait planer partout l'ombre de la brutalité, de l'humiliation, de l'insulte, du mépris, en somme tout ce qui pouvait frustrer le contribuable. Malheur au contribuable qui ne parvenait pas à s'acquitter du fisc.

    Par leurs sicaires friands de brimades, ces chefs avaient un bon moyen d'inspirer la terreur à leurs administrés. Ceux qui ne payaient pas l'impôt étaient mis aux amarres, exposés au soleil à la vue de tout le monde. A Niakhar par exemple, le chef de canton avait une prison spéciale où les insolvables étaient conduits par la force, pour y subir leurs brimades. On l'appelait «  sous le sanghaï ».314(*) C'est là-bas que les sicaires exécutaient leurs sales besognes. C'est sous cet arbre que les châtiments corporels les plus abominables étaient appliqués. Les malheureux étaient ensuite exposés au soleil à la vue de tout le monde, pour frustrer les membres de leur famille. Ceci durait jusqu'au paiement total des sommes dues ou jusqu'à la remise en gage d'un bien de la famille.315(*) A défaut de subir ces brutalités corporelles, le contribuable pouvait voir les chefs confisquer ses vivres en vidant ses greniers ou réquisitionner ses troupeaux. Il n'était pas non plus rare, de voir un membre de sa famille pris en gage jusqu'au paiement des sommes dues. Ces procédés très peu orthodoxes firent croire aux indigènes que l'impôt est un tribut que les vaincus devaient payer aux vainqueurs.

    Les deniers de l'impôt airaient pu contribuer, par des réalisations tangibles, à l'amélioration des conditions d'existence des contribuables. Ceci était la seule condition pour persuader l'indigène de l'utilité de l'impôt et le convaincre de la valeur de ses efforts. Tel n'était pas le cas. La plupart des réalisations profitaient en premier lieu à l'administration coloniale. Grâce à sa marginalisation dans l'investissement, les indigènes n'eurent qu'une vision restreinte de l'impôt : une charge trop lourde dont ils ne percevaient pas l'utilité. 316(*) En 1913 par exemple, les populations de Fatick protestèrent du caractère injuste d'un impôt dont elles ne profitaient pas. Elles envoyèrent une pétition au Gouverneur pour dénoncer la marginalisation de leur escale : « tout l'effort fiscal qui pèse sur nous sert à alimenter un budget où notre région est complètement sacrifiée, un budget où rien n'est prévu pour les travaux et amélioration de notre escale et de ses débouchées ; travaux et amélioration dont le besoins se fait de plus en plus sentir. En un mot, nous donnons toujours sans jamais rien recevoir, sans pouvoir, même formuler un avis. »317(*)

    Quand l'impôt ne rentrait pas comme le souhaitait l'administration, c'est la machine répressive qui était mis en branle. Humiliation de contribuables sur la place publique, emprisonnement de chefs de village, révocation de chefs de canton ou de province étaient devenus fréquents. Les populations pressurées de toute part virent leur équilibre alimentaire compromis. Elles vivaient toujours sous la hantise d'une famine ou de période de soudures difficiles car, une bonne partie de leurs ressources servait à payer l'impôt. Devant une administration peu soucieuse des conditions d'existence de ces populations, devant la férocité des chefs locaux à l'égard de leurs compatriotes, les villages étaient désolés, les familles écartelées, le traumatisme répandait partout ses effets, la haine gagnait davantage les coeurs, multipliant ainsi les contradictions intracommunautaires.

    Devant cette férocité caractéristique des premiers temps, la masse des contribuables était désarmée. Leur seul moyen de résistance était le départ. Ainsi, l'indigène « traqué dans ses forces de travail, dans ses maigres ressources monétaires, et parfois dans ses terres même, ait, souvent préféré partir. »318(*) Les audacieux qui osèrent défier l'autorité par la révolte furent sauvagement réprimés.

    II- Refus de payer l'impôt : l'affaire du canton de Ngohé Ndoffongor

    En 1899, les groupes de villages du canton de Ngohé Ndoffongor, dans le Sine occidental, avaient pris un engagement ferme de ne pas payer l'impôt. Suite à cette décision, sans doute téméraire, l'administration avait mis la machine répressive en branle sur ces populations qui étaient au bord de la révolte. Mais quelles furent, en fait, les motivations profondes de ce refus ? Peut-on le justifier par une remise en cause de l'ordre existant, c'est à dire un manque de soumission à l'autorité coloniale française ou par conjoncture économique ? La réponse à ces questions nécessite de faire appel à un faisceau de causes. Que s'est-il passé alors dans cette province jadis réputée pour sa soumission ?

    A la mort de Mbacké Fa Ndeb, on assista à une réorganisation du Sine, par le gouverneur général Chaudié, en février 1898. Le groupe de villages de Ngohé a été érigé en canton et placé dans la province du Sine occidental. Ce nouveau canton fut confié à Ndiouck Faye, neveu de Salmone ancien Bour Sine. Il relevait du Guelwar Coumba Djimbi Ndiaye chef de la province et frère du feu Bour Sine Mbacké Ndiaye.319(*)

    Dès la mise en contact des nouveaux chefs avec leurs administrés de Ngohé, ceux-ci refusèrent d'exécuter leurs ordres, en faisant valoir qu'ils constituaient « un groupe de gens ayant toujours choisi librement leurs chefs » et qu'ils ne renonceraient pas à ce droit acquis. 320(*) Il y avait ainsi refus d'accepter la nouvelle organisation telle que l'avait faite l'autorité française.

    Après sa nomination, le chef de province envoya un percepteur réclamer l'impôt aux populations. Ce canton comptait, d'après le dernier recensement de 1896, 2.934 contribuables. Ils devaient payer prés de 6.000 francs d'impôt à raison de 2 francs par tête. Quelques contribuables payèrent 372 francs au percepteur. Cependant, après concertation et sous la décision unanime des villageois, le payement s'estompa.321(*) Les populations prétextèrent que le Sine n'avait qu'un seul chef : Coumba Ndofféne Fa Ndeb Diouf. Par conséquent, si elles payaient l'impôt à Coumba Djimbi Ndiaye, elles risqueraient d'être obligées de l'acquitter envers Coumba Ndofféne. Motivation première de leur refus. Jusqu'au 21 août 1898, l'ensemble du canton n'avait versé que 2.833 francs sur les 6.000 francs d'impôt dus.322(*) A cette date la situation se présentait ainsi dans le canton : (voir tableau).

    Tableau n°9 : Perception de l'impôt : situation dans le canton de Ngohé Ndoffongor pour l'année 1898.

    Noms des villages

    Population d'après le recensement de 1897

    Sommes payées

    Reste à payer

    Cadeau donner comme coutumes

    Sans bons

    Avec bons

    Total

    Mil (kg)

    Poulets

    Espèces (en franc)

    Ngohé Loul

    Ne figure pas au recensement

    -

    231

    231

    48

    5

    7

    1

    Tattaguine

    -

    15

    195

    210

    90

    5

    7

    0,50

    N'da

    235

    48

    3

    57

    15

    1

    1

    -

    Ngardiame

    135

    21

    78

    99

    12

    -

    -

    -

    Ndoffongor

    845

    47

    642

    689

    360

    6

    8

    4,50

    Mbadat

    1.418

    489

    812

    1301

    820,50

    3

    13

    8

    Poffine

    301

    -

    252

    252

    18

    -

    3

    2,50

    Totaux

    2.934

    620

    2213

    2833

    1.363,50

    20

    39

    16,50

    Source : A.N.S.11D1/1113 : Affaire du canton de Ngohé Ndoffongor, Alsace à M. le Directeur des affaires indigènes, Kaolack, le 21 août 1898.

    Ainsi, jusqu'au 21 août, l'ensemble du canton devait 1363, 50 francs à l'administration. Une injustice que fait apparaître le tableau est le nombre important de cadeaux reçus par les chefs locaux, malgré la famine qui sévit dans cette région. Trente-neuf kilogrammes et 16, 50 francs d'espèces, ce qui était inadmissible, compte tenu de la situation économique de ce canton. Le refus des contribuables pouvait ainsi se justifier.

    Face à cette attitude de refus, l'administration coloniale prit des mesures vexatoires. Elle envoya en avril 1899 un détachement de spahis pour réprimer les récalcitrants afin « d'éviter que leur exemple ne soit suivi par d'autres groupes importants de villages comme Diarekh, Diohine, Ngayokhème comptant plusieurs milliers d'habitants ».323(*) Cet exemple de refus et de détermination des populations de Ngohé, s'était effectivement répandu à travers le Sine. D'autres villages, comme Yenguélé, Diohine, Bicol, Senghor, Niakhar, le suivirent. Le même état d'esprit animait les populations de ces villages: faire face à l'autorité coloniale dans ses attitudes insolentes de domination. Partout le levain de la violence fermentait, décidées qu'étaient-les «  Sinegandum » (les habitants du Sine) à se rebeller contre une autorité postiche qui ne se souciait guère de leur sort.

    Le résident du Sine arriva à Yenguélé, avec ses spahis, le 13 avril, pour réprimer les récalcitrants. Mais il fut surpris de la réaction des habitants de ce village, qui prirent, tous les armes pour défendre leur intégrité et ce qu'ils avaient de plus cher : leur dignité. 324(*) Le 23 avril, les spahis marchèrent sur Diarekh. Là, les populations étaient plus que déterminées. Le village était abandonné, les villageois s'étaient retirés à l'intérieur du Sine avec leurs troupeaux. Les femmes et les enfants ont été dirigés vers Mbadane, dans le Baol et au Saloum. Les hommes refusèrent de payer l'impôt et de donner des populations en gage. Ils étaient décidés à les défendre contre toute décision de l'administration coloniale de s'en emparer. 325(*)

    Arrivés le 24 avril à Bicol et à Senghor, les spahis trouvèrent la même situation. Presque tous les habitants de ces villages étaient partis. « Tous les troupeaux sont dirigés vers Ngohé Ndoffongor où se regroupaient les guerriers décidés à défendre leurs bestiaux. »326(*)

    Le 29 avril, les gardes envoyés par Aubry Le Comte, Directeur des affaires indigènes, arrivèrent à Ngohé Ndoffongor où toute la population était armée, prête à se battre. Pour éviter une confrontation directe avec ces contribuables déjà nerveux, les autorités coloniales recoururent à l'aide de Coumba Ndoffène chef de la province du Sine oriental, et le seul reconnu par les populations de Ngohé. Devant l'incapacité manifeste de Coumba Djimbi, il fut chargé d'apaiser la situation et de faire rentrer l'impôt.327(*) C'était la seule alternative. Avec la présence de ses Ceddo redoutés par la férocité, les populations acceptèrent de payer jusqu'à 2.000 francs au 29 avril 1899. En même temps, les Ceddo de Coumba Ndofféne et les spahis de l'administration coloniale s'emparèrent de 113 boeufs, 277 moutons ou chèvres, 9 ânes qui ne furent rendus à leurs propriétaires qu'après paiement intégral de l'impôt. A Niakhar, 74 chevaux, 22 juments, 12 boeufs et 1.000 francs espèces furent saisis. Pour l'ensemble des cantons rebelles, les gardes régionaux et les Ceddo mirent la main sur un total de 400 boeufs ou chevaux, pour contraindre les populations à s'acquitter de leur impôt.328(*)

    A Ngazobile où des gens du Sine avaient caché leurs troupeaux, les gardes régionaux avaient saisi 108 boeufs tenus en gage sur place sur la surveillance des gardes de Coumba Ndofféne. Ce chef avait amené, pour caution à Niakhar, 131 boeufs, 386 vaches et un troupeau non dénombré. Il avait également réussi à faire verser 20.000 francs aux autorités du cercle.329(*)

    Les contribuables de ces trois cantons rebelles, avaient subi les caprices de l'autorité coloniale. Les frais de nourriture des spahis et des chevaux pendant le séjour dans le Sine étaient estimés à 914 francs. Cette somme était répartie entre les cantons récalcitrants. Le village de Ngohé fut frappé d'une amende de 500 francs payables à la traite, à cause de la famine qui régnait dans le canton. Ceci nous mène à notre seconde hypothèse et apporte des éléments de réponse à la question posée. Une mauvaise conjoncture économique justifiait, en partie, le refus des populations de s'acquitter de leurs obligations fiscales. Dans sa lettre au Directeur des affaires indigènes le 21 août 1898, Alsace faisait mention d'une « famine qui sévit dans cette région ».330(*)

    Cependant, le principal motif de ce refus tire son origine du bouleversement de l'armature institutionnelle du Sine traditionnel. L'autorité coloniale, en voulant remodeler la chefferie locale à sa guise, a liquidé des chefs traditionnels et a procédé à leur remplacement par des créatures sans consistance. Les populations se sentirent vexées dans leur amour-propre. Pour elles, la prérogative de choisir leurs propres chefs leur incombait car, elle était l'expression même de leur liberté et de l'équilibre entre la collectivité et son environnement social. En voulant faire table rase sur les traditions et les coutumes de ce pays, l'administration coloniale ignorait, certainement qu'elle avait affaire avec un peuple qui s'attachait encore à ses valeurs profondes, et qui n'était pas prêt à y renoncer, pour embrasser celles d'une autorité imposée par la force. Ce refus avait provoqué dans le Sine des remous profonds. Coumba Djimbi, que les populations avaient catégoriquement refusé de reconnaître, fut démis de ses fonctions. De même « les trois chefs de canton inaptes et brouillons » avaient été écartés et remplacés par d'autres.

    L'administration coloniale tenait encore une fois à choisir, à sa guise, un nouveau chef de province sans tenir compte de la volonté populaire. Ainsi, les bruits sur la nomination de Amadou Ndiaye, comme chef supérieur du Sine occidental, en remplacement de Coumba Djimbi, avait engendré un vaste mouvement de populations. Des indigènes de la province du Sine avaient été signalés, fuyant vers le Joobaas ; d'autres prirent la route du Saloum pour échapper à l'humiliation.331(*) Devant ce climat de peur et de terreur, les populations, soucieuses de leur sort, avaient préféré partir. Des habitants de Diarekh qui avaient manifesté leur mécontentement au sujet des amendes abusives imposées par le nouveau chef de canton Latgrand Ndiaye abandonnèrent leur village pour se réfugier au Baol ou au Saloum.332(*)

    Cette opération de police, symbole de la brutalité et de l'intransigeance de l'administration coloniale et des autorités locales en matière d'impôt, faisait planer sur les populations, le spectre d'une famine prolongée. Le taux de la capitation était déjà très lourd, les amendes et les razzias de troupeaux les rendaient encore plus insupportable. Survenue à l'approche des cultures, elle bouleversa les activités champêtres. En réquisitionnant leurs bétails, l'administration institua un traumatisme au sein de ces populations éleveurs liés à leurs troupeaux avec un amour profond. Elle entrait dans son dessein de remodeler les habitudes des peuples conquis, en bouleversant leurs structures politiques, économiques et sociales.

    III - La monétarisation de l'économie

    Pour se libérer de la capitation, les contribuables étaient obligés de convertir leurs activités vers des secteurs seuls susceptibles de leur procurer l'argent de l'impôt. Vendre pour se procurer du numéraire étant devenu une nécessité impérieuse, les populations indigènes, vivant jusque-là dans une économie d'autoconsommation, furent contraintes ainsi, d'entrer dans le circuit de l'économie monétaire.333(*) Au Sine, cette recherche de monnaie entraîne le paysan dans une spirale qui l'incite à se consacrer de plus en plus à l'arachide, principale culture de rente.

    Cette économie de marché introduit dans la société une nouvelle valeur dont le rôle est déterminant dans le changement très profond des mentalités et des contradictions internes qu'elle engendre au sein des structures sociales. Elle a profondément bouleversé les bases de la société traditionnelle. Celle-ci était désormais travaillée par le levain de l'argent et des idées nouvelles qui fermentaient partout.

    La société Sérère du Sine se caractérisait par une « économie de groupe » dont les manifestations se faisaient sentir dans les opérations de production, d'accumulation et de consommation. Elle avait son unité faite de solidarité communautaire.334(*) Cependant, le développement de l'économie marchande y contribua, d'une manière décisive, à la lente décomposition de l'ordre social ancien. Il substitue l'individu aux cadres sociaux traditionnels, aux hiérarchies anciennes. La collectivité tend à s'effriter au profit de l'individu isolé. C'est ce qu'exprime Robert Delavignette dans cette phrase significative : « avec l'économie commerciale que nous avons apportée, nous avons fait pénétrer jusqu'au village un ferment individualiste qui ronge l'antique communauté ».335(*) Cet individualisme, associé à la réussite dans le monde occidental, entraîne le fractionnement de la famille large au profit du ménage restreint.

    Jadis, l'armature des institutions traditionnelles conférait au patriarche, la prérogative de gestion de toutes les ressources de sa collectivité. Il réussissait ainsi à contrôler tous les actes des membres de sa communauté. Il payait l'impôt de tous ses subordonnés qui travaillaient pour lui. La coercition née du système fiscal altéra radicalement cette réalité. En effet, l'argent attira beaucoup de jeunes villageois vers les centres urbains, les escales et les lieux de manutention de l'arachide où ces anciens ruraux, apprennent très vite à se passer du cadre familial. Ils y gagnent et gèrent eux-mêmes leur propre argent sans rendre compte à personne.

    Dans ce creuset urbain, lieu de négation des valeurs traditionnelles du monde rural, ils échappent en même temps au contrôle et à l'autoritarisme des chefs traditionnels. Eloignés de leur milieu coutumier, ces jeunes s'affranchissent bientôt des contraintes morales en honneur dans celui-ci. Ils apprécient progressivement le goût de la liberté et de cette vie où ils ne sont soumis à aucune des règles strictes qui régissent leur communauté d'origine. Les centres urbains et industriels où se heurtent tant de races différentes, où la vie familiale ne s'organise que péniblement sont autant de creuset où se dissolvent les valeurs morales des indigènes. Dans leur quête de numéraires, ces jeunes gens côtoient d'autres humanités et d'autres cultures. Ils reviennent au village avec une synthèse de nouvelles certitudes, le plus souvent, non conforme aux valeurs traditionnelles du terroir. Ce qui était source de conflits et de tensions sociales. L'indépendance économique entraîne une prise de conscience individualiste et une remise en cause de l'ordre existant.

    L'argent était devenu une valeur sûre vers laquelle convergeaient toutes les énergies. Ces signes monétaires étant à la portée de tout monde finirent par provoquer de nombreuses cassures qui ont lézardé le cadre social. Economiquement indépendants, ces nouveaux parvenus cherchent une indépendance sociale, en tentant de mener leur existence à leur convenance sans ne plus tenir compte de la hiérarchie existante. Ce qui s'accommodait mal avec un système social basé sur la règle de primogéniture. Ainsi d'anciens captifs devenus relativement riches contestent l'autorité de leurs anciens maîtres, car ceux-ci ne contrôlaient plus la circulation des richesses. Cette grande mobilité de la frange jeune de la population fit perdre aux familles leur cohésion d'antan.336(*) A mesure que le temps passait, la cohésion sociale s'effritait.

    Une autre contradiction engendrée par l'économie marchande se retrouve dans le paiement de la dot. Dans les temps anciens, celle-ci se versait en articles d'usage quotidien comme les chevaux, les esclaves, les étoffes etc. Boilat nous apprend qu'en pays Sérère, la dot était évaluée à une barre de fer et une calebasse de vin de palme.337(*) Avec l'extension de la spéculation monétaire, la dote s'évalue désormais en francs.

    Jadis, la dot était le symbole de l'alliance entre deux familles, entre deux groupes. Elle était une sorte d'échange de biens et de prestations scellant cette alliance. Elle participait à l'affermissement des liens matrimoniaux et conférait au mariage toute sa sacralité. Progressivement, elle se transforme en un prix comme les autres. Elle devient de plus en plus une forme d' « achat » de la femme. Si bien que les jeunes en âge de se marier, ne disposant pas suffisamment d'argent pour payer la dote, demandent à ce qu'on leur « prête » une femme en attendant qu'ils puissent acquérir le numéraire de la dote.338(*) On assiste ainsi à une altération du sens profond du mariage qui devient une forme de transaction financière.

    Cette monétarisation se traduit par une paupérisation progressive des masses paysannes. Celles-ci obligées de s'acquitter du fisc consacrèrent une grande partie de leur temps à la culture arachidière au détriment des cultures vivrières. Mohamet Mbodj minimise l'impact de l'impôt sur la culture arachidière.339(*) Pour lui, le taux de l'imposition n'oblige en rien le paysan à cultiver la moitié de son champ en arachide, comme à lui consacrer la majorité de son temps de travail.340(*) Cependant, il faut préciser que le cultivateur du Sine-Saloum, acculé par la lourdeur de l'impôt n'avait qu'un seul recours pour échapper à l'arbitraire du système colonial : s'adonner aux cultures de rente. Nous pensons que si les masses paysannes n'étaient pas soumises à cette fiscalité confiscatoire avec son faisceau de mesures draconiennes, elles seraient très peu enclines à consacrer autant de temps et d'espace à l'arachide. A ce propos, cette observation de Noirot nous semble éclaircissant : « si nos populations n'avaient pas l'obligation de satisfaire à l'impôt, si elles n'étaient obligées de se mettre forcément en rapport avec le commerce pour se procurer les espèces nécessaires, la culture des produits industriels tomberait dans des proportions désastreuses ».341(*)

    En négligeant les cultures vivrières, les masses paysannes se sont laissées entraîner dans une spirale génératrice de situations confuses : déficit alimentaire chronique, mise en dépendance galopante, détérioration progressive de leur niveau de vie. Ainsi, la pression fiscale avait fini par engendrer dans les campagnes « une activité usuraire source de conflits et de tensions sociales ».342(*) Elle provoqua dans toutes les couches sociales des mutations majeures avec des contradictions internes.

    CONCLUSION GENERALE

    L'option du colonisateur en matière de fiscalité, voulait que l'indigène supporte lui-même le financement de son exploitation et de sa domination. Il a déterminé la mise en oeuvre d'un système dont le poids s'est fait sentir dans tous les aspects de la vie des colonies : l'impôt de capitation et son corollaire le travail forcé.

    Ainsi, dès le début de son établissement, les théoriciens de la colonisation ont mobilisé toutes leurs ardeurs, pour donner une justification à cette nouvelle exigence. Ils trouvèrent les soubassements de celle-ci dans la nonchalance et l'inertie innée des indigènes. La capitation était aux yeux du colonisateur un moyen très efficace pour extirper des masses indigènes cette apathie qui constituait un frein à la mise en valeur du domaine colonial.

    Ces justifications qui ne relèvent que de l'idéologie, finirent par faire de l'impôt de capitation la clé de voûte des finances coloniales. Cette forme de contribution des indigènes constitua la principale ressource de l'approvisionnement des budgets locaux. Toutefois un constat apparaît dans le fonctionnement de l'impôt : la masse indigène est victime d'une injustice entretenue à dessein par le colonisateur. Elle est mise en contribution sans que l'on ne tienne compte de ses capacités contributives.

    Il fut décidé que l'impôt serait perçu globalement par les chefs de village sous la surveillance des chefs de cantons. On avait tenu à stimuler le zèle de ces auxiliaires de l'administration coloniale, par une politique d'intéressement en décidant dès le début que l'un et l'autre percevront une ristourne sur les sommes perçues. C'est pourquoi, manipulés par leurs appétits féroces et obnubilés par le culte du profit, ces chefs locaux participèrent sans commune mesure à la déstructuration du cadre de vie de leur société, en acceptant de spolier leurs compatriotes.

    Du fait de la mauvaise fois de ces chefs et de l'hypocrisie de l'administration coloniale, les recensements furent tronqués et le recrutement des prestataires arbitraire.

    La perception de l'impôt et l'exécution des prestations s'effectuaient dans une atmosphère délétère où planaient la brutalité et le mépris de la personne humaine. L'excès de zèle des percepteurs avait fini par donner à la fiscalité un caractère confiscatoire et impitoyable.

    L'imposition des indigènes constituait, dans la dynamique d'exploitation coloniale, un élément majeur puisque l'un des fondements théoriques de sa mise en oeuvre restait l'idée que le financement de la « mise en valeur » de chaque territoire conquis incombait d'abord à ses habitants. On assista ainsi à l'extorsion, sans compensation directe, de la force de travail des masses laborieuses du Sine.

    Il est vrai que l'impôt de capitation a contribué à doter le Sine de l'infrastructure nécessaire à l'exploitation de ses ressources, mais l'usage inique et abusif qui en fut fait explique qu'il ait été l'objet d'une véritable terreur et d'une grande aversion. Ainsi apparaît une autre dimension de la fiscalité coloniale : à la capitation source essentielle des recettes budgétaires, s'oppose la capitation agent par excellence de désagrégation sociale, politique, économique et culturelle.

    Cette étude sur la fiscalité coloniale au Sine a, sans doute, permis de rendre beaucoup plus perceptible le processus d'exploitation des peuples sous domination coloniale. En quantifiant l'apport personnel des indigènes dans l'oeuvre de colonisation, elle a mis en évidence l'injustice notoire que subissait la masse indigène dans ce système.

    Ces contribuables n'étaient pas traités à la mesure des efforts fiscaux qui leurs étaient demandés. Cette quête effrénée de numéraire pour le financement de l'oeuvre coloniale, fit des Baadolo la cible par excellence de la classe dirigeant qui les transforma en de véritables « chairs à impôt ».

    Devant cette atmosphère de détresse, les masses laborieuses du Sine, spoliée de toutes parts, ne sont pas restées passives. Elles se sont souvent rebeller contre l'arrogance du colonisateur et des chefs indigènes. Une autre réaction pour les paysans consistait à l'extension des emblavures consacrées à l'arachide principale culture de rente du Sine, au détriment des cultures vivrières comme le mil.

    L'impôt colonial contribua donc à modifier la cadence de l'évolution de la société du Sine, et la secouant jusque dans ses fondements les plus profonds et en l'intégrant dans le circuit d'une économie de marché. Par le biais de la capitation et des Sociétés Indigènes de Prévoyance qui entraînèrent l'essor des cultures spéculatives, les paysans du Sine qui évoluaient d'antan dans une économie de subsistance devinrent producteurs pour l'exportation, donc partie prenante de la monétarisation, du salariat, bref du capitalisme occidental.

    Cette monétarisation de l'économie fait subir à l'indigène, une transformation insidieuse mais profonde de l'ensemble de son système de valeurs. Une société nouvelle fut en gestation. Celle-ci, sous l'emprise de l'argent, avait tendance à se débarrasser des collatéraux pour se réduire aux couples et à leurs enfants. Des forces centrifuges conduisirent progressivement à la désagrégation de la famille traditionnelle, en introduisant des germes de fragilité dans le tissu social.

    ANNEXES

    * 1Touré A., « L'impôt de capitation dans le Sénégal unifié : une constante dans son rôle d'instrument de domination coloniale (1921-1936) », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, n° 26, Dakar, 1996, p. 72.

    * 2 Klein M A., Islam and imperialism in Sénégal. Sine-Saloum, 1847-1914, Stanford University Press, 1968, 285 p.

    * 3 Mbodj M., Un exemple d'économie coloniale. Le Sine-Saloum (Sénégal) de 1887 à 1940 : cultures arachidières et mutations sociales, Thèse de doctorat troisième cycle d'histoire, Paris VII, 1977-1978, 691 p.

    * 4 A.N.S. 1G33 : Notice sur les Sérères, 1863. par Pinet-Laprade.

    * 5 Noirot E., Notice sur le Sine-Saloum, in Journal Officiel du Sénégal, 1892.

    * 6 Aujas L., « La région du Sine-Saloum. Le port de Kaolack », in B.C.E.H.S.A.O.F., tome XII, 1929, pp. 92-132.

    « Les Sérères du Sénégal (moeurs et coutumes de droit privé) », in B.C.E.H.S.A.O.F., 1932, pp. 1-41.

    * 7 Bourgeau J., « Notes sur la coutume des Sérères du Sine et du Saloum », in B.C.E.H.S.A.O.F., tome XVI, 1933, pp. 1-62.

    La liste est loin d'être exhaustive, nous nous sommes limités au plus intéressantes pour notre étude.

    * 8 Gueye Mb., Les transformations des sociétés Wolofs et Sereer de l'ère de la conquête à la mise en place de l'administration coloniale : 1854-1920, Thèse de doctorat d'Etat d'histoire, Dakar, 1989-1990, 1003 p.

    * 9 Mbodj M., op. cit.

    * 10 Touré A., Un aspect de l'exploitation coloniale en Afrique : fiscalité indigène et dépenses d'intérêt social dans le budget du Sénégal 1905-1946, Thèse de troisième cycle d'histoire, Dakar, 1991, 427 p.

    * 11 La thèse de Babacar Fall publiée sous le titre : ., Le travail forcé en Afrique Occidentale Française(1900-1945), Paris, Karthala, 1993, 346 pages est très édifiante pour aborder la question sur les prestations.

    * 12 Noirot E., « Notice sur le Sine-Saloum », in Journal Officiel du Sénégal, 1892.

    * 13 Noirot E., op. cit.

    * 14 Noirot E., op. cit.

    * 15 Aujas L., « La région du Sine-Saloum. Le port de Kaolack », in B.C.E H.S.A.O.F., Tome XII, 1929, p. 93.

    * 16 Aujas L., op. cit. p. 94.

    * 17 Guèye Mb., op. cit. p. 29.

    * 18 Aujas L., op. cit. p. 100.

    * 19 Pelissier P., Les Paysans du Sénégal. Les civilisations agraires du Cayor à la Casamance, Paris, Saint Yrieux, 1966, p. 3.

    * 20 Ibid.

    * 21 A.N.S. 2G32-88 : Cercle du Sine-Saloum (Kaolack). Rapport annuel d'ensemble, 1932.

    * 22 Guèye Mb., 1990, p. 37.

    * 23 Pelissier P., op. cit. p. 261.

    * 24 Guéye Mb. , op. cit. p. 34.

    * 25 Barry B., Le royaume du Waalo. 1659-1859 : Le Sénégal avant la conquête, Paris, Maspero, 1972 p. 87.

    * 26 Ba A. B., Essai sur l'histoire du Saloum et du Rip, p. 816.

    * 27 Diouf M. M., Lances mâles. Léopold Sédar Senghor et les traditions Sérères, CELHTO, 1996, p. 88.

    * 28 Aujas L., «Les Séréres du Sénégal ( moeurs et coutumes de droit privé ) », in, B.C.E.H.S.A.O.F. tome XIV, n°3, 1931, p. 5.

    * 29 A.N.S. 13G327 : Notice sur le Sine-Saloum par l'administrateur Noirot, Foundiougne le 10 avril 1896

    * 30 Avant l'arrivée des conquérants mandingues et leur accession au trône, le Sine était divisé entre trois chefs de la terre appelés lamanes :

    - le Lam Sango, résident à Palmarin ;

    - le Diémé Fadial à Fadial ;

    - le Wal Satim Ndokh, à Ndokh (à l'Est du Sine).

    * 31 A.N.S. 13G327: op. cit.

    * 32 Guéye Mb., op. cit. p.102.

    * 33 Le Joung-Joung est le tam-tam royal du Sine.

    * 34 Diouf G. A. op. cit. p. 78.

    * 35 Guéye Mb., op. cit. pp. 102-103.

    * 36 Gravrand H., Visage africain de l'Eglise. Une expérience au Sénégal, Paris, Ed. de L'Orante, 1961, p. 26.

    * 37 Noirot E., op. cit.

    * 38 Aujas L., 1932, p. 19.

    * 39 Diagne P., « Les royaumes sérères, les institutions traditionnelles du Sine- Saloum », in, Présence Africaine, N° 54, 1965, p. 155.

    * 40 Diagne P., op. cit. p. 155.

    * 41 Si une calamité s'abattait sur le royaume, on désignait le bour comme responsable. Ceci était le signe de sa faiblesse naturelle et un procédé ainsi à sa mise à mort symbolique ou à sa purification spirituelle.

    * 42 Noirot E., op. cit.

    * 43 Diagne P., op. cit. p. 158.

    * 44 Bourgeau J., « Note sur la coutume des Serer du Sine et du Saloum », in B.C.E.H.S.A.O.F., n° XVI, 1933, p. 19.

    * 45 Aujas L., « Funérailles et ordre de succession au trône chez les sérères du Sine », in, B.C.E.H.S.A.O.F., tome VIII, n°3, 1925, p. 502.

    * 46 Idem.

    * 47 Noirot E., op. cit.

    * 48 Bourgeau J., op. cit. p. 21.

    * 49 Diagne P., op. cit. p. 145.

    * 50 Ces villages étaient ceux de Thioupane et de Saass Maak dans le Sine occidental.

    * 51 Nous ne parlerons ici que de la religion traditionnelle. On sait que les Sérères furent pendant longtemps hostiles à la religion de Mahomet. Ce refus de se convertir à l'islam fut selon certaines sources la cause de leur migration de la vallée du fleuve Sénégal vers les zones qu'ils occupent actuellement. La tentative de Maba d'imposer au Sine cette religion lui coûta la vie en 1867 dans la clairière de Somb Thiouthioune.

    Pour le christianisme, même si les Sérères furent l'un des premiers convertis à cette religion, ils continuèrent toujours de s'adonner à leurs pratiques animistes. Cette conversion fut donc superficielle et syncrétique.

    * 52 Contrairement à ce pensent beaucoup de non-initiés à cette religion, ces pangol ne sont nullement des divinités. C'est l'esprit des ancêtres et des hommes célèbres qui est vénéré par le culte.

    * 53 Gravrand H., 1961, p. 40.

    * 54 Idem.

    * 55 Ibid.

    * 56 A.N.S. 1G33 : Notice sur les Sérères ; par Pinet-Laprade.

    * 57 A.N.S. 2G33-70.

    * 58 Voir les détails en deuxième partie, chapitre I.

    * 59 Diop Ch. A., Nations nègres et culture. De l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui, Paris, Présence Africaine, Ed. de 1979, p. 384.

    * 60 Idem. p. 385.

    * 61 A.N.S. 2G33-70. op. cit.

    * 62 Aujas L., 1929, p. 30.

    * 63 Noirot E., op. cit.

    * 64 Idem.

    * 65 A.N.S. 1G33 : Notice sur les Sérères. Par Pinet-Laprade, 1864.

    * 66 Saint-Martin Y., Le Sénégal sous le Second Empire. Naissance d'un empire colonial (1850-1871), Paris, Karthala, 1989, p. 417.

    * 67 Idem. p. 398.

    * 68 A.N.S. 2B32 : Lettre du Gouverneur au Ministre, juin 1859.

    * 69 Idem.

    * 70 Klein M.A., Islam and imperialism in Senegal : Sine-Saloum (1847-1914), Stanfort University Press, 1968, p.37.

    * 71 A.N.S. 1G33, op. cit.

    * 72 Moniteur du Sénégal, n°167 de juin 1859, pp. 96-97. Voir aussi Klein M. A., op. cit. p. 285.

    * 73 A.N.S. 1G33 op. cit.

    * 74Diouf G. A., op. cit. p. 197.

    * 75 Une toise = 1,949m.

    * 76 Cf. Klein M. A. op. cit. p. 55.

    * 77 A. N. S. 1D1: Expédition du Sine, 1859.

    * 78 Ibid.

    * 79Ibid.

    * 80 On appelle ainsi les habitants du Sine.

    * 81 Moniteur du Sénégal, n°168, juin 1859, p.99.

    * 82 A.N.S. 1G33 op. cit.

    * 83 A.N.S. 13G-318 : Bour Sine au Gouverneur, 6 juin 1859.

    * 84 -Voir ces traités dans Moniteur du Sénégal, N°1859, Juin 1859, pp. 100-102.

    * 85 A. N. S. 4B35. Le commandant de Gorée aux chefs de Joal, Ndiouk, Fadiouth et Mbourdiam. 17 Juin 1859.

    * 86 A.N.S. 3G3181 : Bour Sine au Commandant de Gorée et au Gouverneur, 8 juillet 1860.

    * 87 Annuaire du Sénégal et Dépendances, 1867, p. 176.

    * 88 A.N.S. 1G33, op. cit.

    * 89 Annuaire du Sénégal et Dépendances, op. cit. p. 178.

    * 90 A.N.S. 13G318 : Bour Sine au Gouverneur, septembre 1861.

    * 91 A.N.S. 4B35 : Bour Sine au commandant de Gorée.

    * 92 Boilat D., Esquisses sénégalaises, Paris, Karthala, 1984, pp. 98-99.

    * 93 Barry B., La Sénégambie du XVe au XIXe. Traite négrière, islam, conquête coloniale, Paris, L'Harmattan, 1988, p. 268.

    * 94 Diouf N., p. 725.

    * 95 On appelle ainsi les Saltigui c'est à dire les grands voyants du pays sérère.

    * 96 Diouf M. M., Lances Mâles, p. 183.

    * 97 Klein M.A.op.cit. p. 91.

    * 98 Diouf N., op. cit. p. 729.

    * 99 Ce dernier répondit : «  que faut-il faire de ces débris ? Les enterrer au cimetière musulman, ce serait réveiller certaine sympathie pour lui ». Cf. A.N. S. 1D30.Commandat de Gorée au Gouverneur p. i. 31 Juillet. 1867.

    * 100 Thiam I. D., Maba Diakhou Ba Almamy du Rip (Sénégal), Paris, ABC, Dakar-Abidjan, NEA, 1977, p. 44.

    * 101 Barry B., 1988, p. 272.

    * 102 Klein M. A., op. cit. p. 106.

    * 103 Gueye Mb., « Koumba Ndoffène roi du Sine de 1853 à 1871 », in Historiens-Géographes du Sénégal n°7, 2e trimestre, 1999, pp. 14-27.

    * 104 Le Boumi est l'héritier présomptif du trône.

    * 105 Gueye Mb., op. cit. p. 465.

    * 106 A. N. S. 13G318. Commandant de Joal à celui de Gorée, 17 mars 1878.

    * 107 J.O.S. : Traité signé avec le Sine le 15 septembre 1891.

    * 108 Idem.

    * 109 Ibid.

    * 110 Barry B. op. cit. pp. 289-290.

    * 111 J.O.S. : Arrêté du 4 mai 1908.

    * 112 Zucarelli F., « De la chefferie traditionnelle au canton : évolution du canton colonial au Sénégal ( 1855-1960 ) » in, Cahiers d'Etudes Africaines, vol. XIII, Mouton & Co., 1973, p. 213.

    * 113 Delavignette R., Les vrais chefs de l'empire, Paris, Gallimard, 1939, p. 124.

    * 114 A.N.S. 13G75 : Politique indigène, circulaire du Gouverneur Général Ponty au sujet du rôle des chefs indigènes, 22 septembre 1909.

    * 115 A.N.S. 13G75 : Politique indigène, circulaire du Gouverneur Général Van Vollenhoven au sujet du rôle des chefs indigènes, 15 août 1917.

    * 116 Cette suspension fait suite au refus catégorique des populations du canton de Ngohé Ndoffongor de payer l'impôt à ce chef imposé et dont le choix ne respectait pas leurs traditions.

    * 117 Coquery-Vidrovitch C., L'Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et colonisés (1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 89.

    * 118 A.N.S. 13G75, op. cit.

    * 119 A.N.S. 2G7-32 : Sénégal, pays de protectorat, rapport politique annuel, 1907.

    * 120 A.N.S. 2G10-12 : Rapport d'ensemble sur la situation des pays de protectorat, 1910.

    * 121 Barry B., 1988, pp. 190-208.

    * 122 Mbodj M., op. cit. p. 208.

    * 123 Fleury, « L'arachide », in Congrès colonial de Bordeaux, 4 au 8 août 1907, Cité par A. Sow, 1983-84, p. 35.

    * 124 A.N.S. 1G217 : Situation de Nioro et du Sine, 1896.

    * 125 Aujas L., 1929, p. 117.

    * 126 A.N.S. 2G33-62 : Cercle du Sine-Saloum. Rapport annuel 1933.

    * 127 David Ph., Les navétanes. Histoire des migrants saisonniers de l'arachide en Sénégambie des origines à nos jours, Dakar-Abidjan, N.E.A., 1980, p. 59.

    * 128 A.N.S. 13G326 : Administrateur du Sine-Saloum à Morel & Frères, 11 mars 1896.

    * 129 Ndao M., Le ravitaillement de la ville de Dakar de 1924 à 1945, Thèse de doctorat de troisième cycle d'histoire, Dakar, 1997-1998, 410 p.

    * 130 A.N.S. 2G33-62 : Cercle du Sine-Saloum. Rapport annuel, 1933.

    * 131 A.N.S. 13G327 : Notice sur le Sine-Saloum par l'administrateur Noirot, 1896.

    * 132 Idem.

    * 133 Aujas L., 1929, p. 118.

    * 134 Lakroum M., Le travail inégal. Paysans et salariés sénégalais face à la crise des années trente, Paris, L'Harmattan, 1982, p. 19.

    * 135 Aujas L., Idem.

    * 136 Mbodj M., op. cit. p. 391.

    * 137 David Ph. op. cit. p. 218.

    * 138 A.N.S. 2G40-20 : Sénégal, rapport d'ensemble, 1940.

    * 139 A.N.S. 10D6-0032 : Tournée du Gouverneur Général au Sine-Saloum, 1924.

    * 140 Gastellu J.M., « Politique coloniale et organisation économique des pays serer, Sénégal,1910-1950 », in Becker Ch., Mbaye S., & Thioub I., A.O.F. Réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, Direction des Archives du Sénégal, 1997, p. 565.

    * 141 A.N.S. 2G33-62 : Cercle du Sine-Saloum, rapport annuel, 1933.

    * 142 Ces enlèvements d'enfants reste un fait toujours vivace dans la mémoire des gens du Sine.

    * 143 A.N.S. 2G33-62 Idem.

    * 144 Gueye Mb., op. cit. p. 729.

    * 145 Gastellu J. M., op. cit. p. 565.

    * 146 Mbodj M., op. cit. p. 504.

    * 147 ibid. p. 523.

    * 148 David Ph., op. cit. p. 30.

    * 149 A.N.S. 13G321 : Lieutenant-Gouverneur aux chefs de service au sujet de la situation dans le Sin-Saloum, 1888.

    * 150 Mbodj M., op. cit. p. 535.

    * 151 A.N.S. 11D3-0024 : Lieutenant-Gouverneur à Administrateur du Sine-Saloum, 1932.

    * 152 Ndao M., op. cit.

    * 153 Voir à ce sujet David Ph., Les navétanes. Histoire des migrants saisonniers de l'arachide en Sénégambie des origines à nos jours, Dakar-Abidjan, N.E.A, 1980.

    * 154 A.N.S. 2G22 -26 : Sénégal, rapport économique annuel, 1922.

    * 155 David Ph., op. cit. p. 46.

    * 156 En pays Sérère, on appelait ces migrants « riiglan » qui vient du mot « ndiig » qui signifie saison des pluies.

    * 157 David Ph. op. cit. p. 24.

    * 158 A.N.S. 2G21-1 : Sine-Saloum, rapport économique mensuel, juillet 1921.

    * 159 Aujas L., 1929, p. 105.

    * 160 Ce choix du lundi et du jeudi se justifiait par une vieille croyance selon laquelle, ces jours ne sont pas fastes, en matière d'exploitation du sol, car les génies de terre n'y étaient pas favorables surtout s'il s'agit des cultures comme le mil.

    * 161 David Ph. op. cit.

    * 162 A.N.S. 13G326, op. cit.

    * 163 A.N.S. 2G24-21 : Rapport politique d'ensemble, 1924.

    * 164 Idem.

    * 165 David Ph., op. cit. p. 91.

    * 166 « Rapport de Donerus président de la cambre de commerce de Kaolack à M. le Gouverneur du Sénégal, in Bulletin de la chambre de commerce de Kaolack, 1929.

    * 167 Idem.

    * 168 Ibid.

    * 169 David Ph., op. cit. p. 65.

    * 170 Bulletin de la chambre de commerce de Kaolack, 1930, pp. 117-118.

    * 171 A.N.S. 2G30-96 : Sine-Saloum : rapport économique annuel, 1930.

    * 172 Bull. chambre de commerce de Kaolack, 1931, p. 63.

    * 173 David Ph. op. cit. p. 94.

    * 174 Idem. p. 98.

    * 175 A.N.S. 2G33-70 :Subdivision de Fatick, rapport politique annuel, 1933.

    * 176 A.N.S. 2G34-87 : Subdivision de Fatick, rapport politique annuel, 1934.

    * 177 Idem.

    * 178 A.N.S. 13G326 : Famine dans le Sine-Saloum, 1905-1906.

    * 179 A.N.S. 2G6-30 : Sénégal, rapport d'ensemble, 1906.

    * 180 J.O.S., Décret du 29 juin 1910 instituant les S.I.P.

    * 181 Idem.

    * 182 Le « franc du Commandant » était la cotisation que chaque sociétaire de SIP devait verser annuellement. Il était dessiné au renforcement du budget local.

    * 183 Mbodj M., op. cit. p. 459.

    * 184 Coquery-Vidrovitch C., 1992, p. 124.

    * 185 Niokhor Diouf : entretien à Niakhar le 13 août 2004.

    * 186 A.N.S. 2G28-73 : Cercle du Sine-Saloum, rapport annuel, 1928.

    * 187 A.N.S. 5Q3(1) : Rapport sur le fonctionnement des SIP, 1925.

    * 188 Idem.

    * 189 A.N.S. 2G30-96 : Cercle du Sine-Saloum, rapport économique annuel, 1930.

    * 190 Sow A., Les Sociétés Indigènes de Prévoyance du Sénégal. Des origines à 1947, Thèse de doctorat de troisième cycle d'histoire, Dakar, 1983-1984, p. 114.

    * 191 Idem.

    * 192 Aujas L., 1929, p. 128.

    * 193 Idem.

    * 194 Sow A., op. cit. p. 112.

    * 195 A.N.S/5Q3(1) : Rapport sur la création des SIP.

    * 196 Sow A., op. cit. p. 5.

    * 197 Ki-Zerbo J., Histoire de l'Afrique Noire d'hier à demain, Paris, Hatier, 1978, p. 443.

    * 198 A.N.S. 1G330 : Droit coutumier du Sine-Saloum, par les administrateurs Donis et Lefilliatre.

    * 199 Aujas L., op. cit. 1932, p. 35.

    * 200 Les expressions « droits de feu » et « doits de hache » font référence au défrichement de la terre par le feu et la hache des premiers occupants du Sine. Voir Pélissier P., 1966.

    * 201 Idem.

    * 202 Pélissier P., 1966, op. cit. p.217

    * 203 Ibid. p.220

    * 204 A.N.S. 2G32-83 : Cercle du Sine Saloum ( Kaolack) : Rapport annuel d'ensemble, 1932.

    A.N.S. 13G330 : Correspondance du Commandant de Cercle du Sine-Saloum, Alsace, 27 janvier-1er juin 1896.

    * 205 Aujas L., 1932, p. 36.

    * 206 Idem.

    * 207 Ibid.

    * 208 A.N.S. 13G330. Idem.

    * 209 Klein M. A., 1968, p. 160.

    * 210 Duverger M., Eléments de fiscalité, Paris, P.U.F., 1976.

    * 211 Touré A., « L'impôt de capitation dans le Sénégal unifié : Une constante dans son rôle d'instrument de domination coloniale (1921-1936) », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Dakar, n° 26, 1996, p.73.

    * 212 Coquery- Vidrovitch C., L'Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et colonisés (1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 108.

    * 213 A.N.S. 1G33 : Notice sur les Sérères, par Pinet-Laprade, 1864.

    * 214 A.N.S. S14: Régime fiscal: enquête poursuivie par l'union coloniale au sujet des impôts directs dans les colonies, 26 juillet 1912.

    * 215 Touré A., 1991, p. 33.

    * 216 Duchenne A., Histoire des finances coloniales de la France, Paris, Payot, 1938, p. 169.

    * 217 A.N.S. S25: Décret du 4 août 1860 portant l'établissement au Sénégal de l'impôt personnel et l'impôt de l'enregistrement du timbre.

    * 218 A.N.S. 1D55: Expédition du Sine, traités signés entre Bour Sine et Faidherbe, 1859.

    * 219 A.N.S. 1G33, op. cit.

    * 220 François G., Le budget local des colonies, Paris, Larose, 1903, p. 1.

    * 221 Idem.

    * 222 Ibid.

    * 223 Girault A., Principes de colonisation et de législation coloniale, Paris, Larose, 1895, p. 479.

    * 224 B.A.S., 1891, p. 495.

    * 225 B.A.S., 1906, p. 10.

    * 226 J.O.S., Décret du 4 juillet 1921 portant l'unification de l'impôt au Sénégal, p. 600.

    * 227 A.N.S. 2G32-83: Cercle du Sine-Saloum (Kaolack) ; Rapport annuel d'ensemble, 1932.

    * 228 J.O.S., 1892.

    * 229 Gueye Mb., op. cit. p.661.

    * 230A.N.S. 13G327: op. cit.

    * 231 A.N.S. 13G327 : Noirot au Bour Sine Mbacké, 12 novembre 1895.

    * 232 A.N.S. 13G330: Alsace au Gouverneur, Foundiougne, le 10 février 1898.

    * 233 A.N.S. 1G290: Etat nominatif des cantons et villages du Sine, exercice 1904.

    * 234 A.N.S. 2G1-136: Cercle du Sine-Saloum; rapports politiques, agricoles et commerciaux mensuels, Kaolack, le 31 août 1899.

    * 235 A.N.S. 13G75: politique indigène, circulaire du 27 août 1912 au sujet du rôle des chefs indigènes dans l'administration des cercles du Sénégal.

    * 236 A.N.S. 2G33-62: circulaire n° 3026 de l'administrateur du Sine-Saloum à MM. Les chefs de cantons, 18 juillet 1933.

    * 237 B.A.S., Arrêté du 9 août 1861, p. 152.

    * 238 A.N.S. S28: Régime fiscal 1914-1918.

    * 239 A.N.S. 2G17-5: Sénégal: situation politique et administrative des pays de protectorat, 1917.

    * 240 A.N.S. 6T12(26): Délibération du conseil colonial portant création au Sénégal d'une taxe civique,1927.

    * 241 A.N.S. 6T12(26): Lieutenant-gouverneur par intérim du Sénégal à M. le président de la chambre de commerce de Kaolack, 4 juin 1926.

    * 242 Idem.

    * 243 A.N.S. 6T12(26): Le président de la chambre de commerce de Kaolack à M. le gouverneur du Sénégal, Kaolack, le 15 mai 1926.

    * 244 Idem.

    * 245 A.N.S. S25: Lieutenant-gouverneur du Sénégal au Gouverneur général de l'A.O.F., 26 novembre 1911.

    * 246 A.N.S. S28: Arrêté fixant le taux et le mode de perception de l'impôt personnel dans les cercles du Sénégal, Saint-Louis, le 18 octobre 1913.

    * 247 A.N.S. S 28: Arrêté fixant le taux et le mode de perception de l'impôt personnel dans les cercles du Sénégal, Saint-Louis, le 18 octobre 1913.

    * 248 Girault A., Principes de colonisation et de législation coloniale, 3e édition, Paris, Larose, 1907, p. 268.

    * 249 B.A.S., Décret du 5 août 1861.

    * 250 J.O.S., 1917, p. 198.

    * 251 J.O.S., 1922, p. 67.

    * 252 A.N.S. 6T25(26): Perception de l'impôt indigène : amendement pratique des méthodes en vigueur. M. Coppet Gouverneur Général de l'A.O.F. aux lieutenant-gouverneurs des colonies, Dakar, le 19 juillet 1937.

    * 253 A.N.S. S25: Arrêté du 9 août 1861.

    * 254 A.N.S. S25: Camille Guy aux commandants de cercles, 15 mai 1906.

    * 255 Idem.

    * 256 Idem.

    * 257 A.N.S. 11D1-1113 : Cercle du Sine-Saloum, le commissaire des affaires indigènes à M. le directeur des affaires indigènes, Kaolack, le 16 février 1900.

    * 258 A.N.S. 2G23-11: Sénégal, rapport politique annuel, 1923.

    * 259 Idem.

    * 260 A.N.S. 10D6-39: Arrêté modifiant la solde et le classement des chefs de province et de cantons, Saint-Louis, le 3 mars 1926.

    * 261 A.N.S. 13G340: Lefilliatre à M. Le Gouverneur Général, Kaolack le 16 mars 1903.

    * 262 A.N.S. 13G52: Dossier Madiouf Diouf.

    * 263 Niokhor Diouf, op. cit.

    * 264 A.N.S. S32: Arrêté relatif à la création d'un droit sur le bétail, 14 mars 1915.

    * 265 Entretien à Usine Ben Tally, le 18 février 2005.

    * 266 A.N.S. 2G32-83: Cercle du Sine-Saloum, rapport annuel d'ensemble, 1932.

    * 267 A.N.S. S32 : Taxes sur le bétail, 1916.

    * 268 A.N.S. 11D3-0041 : Procès verbal de la réunion des notables du Sine-Saloum tenue à Kaolack le 15juin 1920.

    * 269 A.N.S. 6T10(26) : Gouverneur des colonies, Lieutenant-Gouverneur du Sénégal à MM. les conseillers coloniaux, 28 mars 1932.

    * 270 A.N.S. 2G35-82 : cercle de Kaolack (Sine-Saloum) : rapport politique annuel, 1935.

    * 271 Idem.

    * 272 A.N.S. S32 : op. cit.

    * 273 A.N.S. 6T24(26) : Compte rendu de la conférence des gouverneurs généraux, 1937.

    * 274 Mercier R., Le travail obligatoire dans les colonies africaines, Paris, Larose, 1933, p. 10.

    * 275 Thiam I.D., L'évolution politique et syndicale du Sénégal de 1840 à 1936, Thèse de doctorat d'Etat d'Histoire, Paris I, Panthéon Sorbonne, 1982-1983, p. 663.

    * 276 Mercier R., Idem. p. 191.

    * 277Ninine J., La main-d'oeuvre indigène dans les colonies africaines, Paris, Jouve & Cie, 1932, p. 129.

    * 278 Idem.

    * 279 Fall B., Le travail forcé en Afrique Occidentale Française (1900-1945), Paris, Karthala, 1995, p. 8.

    * 280 J.O.S., Arrêté du 25 novembre 1912.

    * 281 Fall B., op. cit. p. 204.

    * 282 J.O.S., 1927.

    * 283 J.O.S. Arrêté du Gouverneur Cor sur le régime des prestations, 20 janvier 1914.

    * 284 A.N.S. 2G35-82 : Cercle de Kaolack ( Sine-Saloum ) : Rapport politique annuel, 1935.

    * 285 Fall B., op. cit., p. 220.

    * 286 A.N.S. K8(1): Utilisation de la main-d'oeuvre indigène, application du régime des prestations (1936-1938). Circulaire du Gouverneur général de l'A.O.F. sur le régime des prestations, 3 février 1937.

    * 287 A.N.S. 2G35-82 : Cercle de Kaolack ( Sine-Saloum ) : Rapport politique annuel, 1935.

    * 288 A.N.S. 6T30(119): Circulaire sur le régime des prestations, 12 septembre 1930.

    * 289 A.N.S. 11D3-0041: Prestations en nature dans les cercles du Sénégal, 1919-1928: Rapport politique de 1922.

    * 290A.N.S. 11D3-0041 : Délibération du conseil colonial du 19 novembre 1921.

    * 291 A.N.S. 13G330 : Alsace à M. le résident du Sine à Diakhao, 30 mars 1898.

    * 292 A.N.S. S12: Alsace à M. Le secrétaire du gouvernement de l'A.O.F., Kaolack le 12 octobre 1898.

    * 293 A.N.S. 2G35-82 : Cercle de Kaolack (Sine-Saloum), rapport politique annuel, 1935.

    * 294 A.N.S. 2G32-83 : Cercle du Sine-Saloum (Kaolack), rapport annuel  d'ensemble, 1932.

    * 295 Gueye Mb., 1990, p. 614.

    * 296 Mercier R., op. cit. p. 235.

    * 297 Ninine J., La main-d'oeuvre indigène dans les colonies africaines, Paris, Jouve & Cie, 1932, p. 156.

    * 298 Coquery-Vidrovitch C., 1992, p. 116.

    * 299 Ninine J., op. cit. p. 137.

    * 300 La documentation ne nous a pas permis de nous étendre sur ce sujet.

    * 301 A.N.S. K8(1) : Utilisation de la main d'oeuvre indigène, compte rendu de la tournée du gouverneur général de l'A.O.F., Dakar, le 15 janvier 1937.

    * 302 A.N.S. 11D3-0041 : Prestation en nature dans les cercles du Sénégal. Extrait du rapport politique du 20 mai 1922.

    * 303 Idem.

    * 304 A.N.S. 11D3-0041 : Prestation en nature dans les cercles du Sénégal. Rapport politique 1925.

    * 305 Anouma R.-P., «  Une modalité du travail forcé : la prestation en Côte d'Ivoire de 1912 à la veille de la seconde guerre mondiale », in Annales de l'Université d'Abidjan, Série I (Histoire), tome IV, 1976, pp. 77-78.

    * 306 Gueye Mb., op. cit. p. 672.

    * 307 Conseil général du 19 novembre 1908.

    * 308 A.N.S. 6T25 (26) : Perception de l'impôt indigène. Amendement pratique des méthodes en vigueur, 1937-1938.

    * 309 A.N.S. 2G7-32: Pays de protectorat: rapport politique annuel, 1907.

    * 310 Idem.

    * 311 Delavignette R., Les vrais chefs de l'empire, Paris, Gallimard, 1929, p. 140.

    * 312 A.N.S. 13G-75: Le Gouverneur Général de L'Afrique Occidentale Française à monsieur le Lieutenant-Gouverneur au sujet du rôle des chefs dans l'administration des cercles au Sénégal, 27 août 1913.

    * 313 Idem.

    * 314 Le sanghaï est un arbre dont le nom scientifique nous échappe.

    * 315 Ablaye Ndiaye : entretient à Niakhar, le 16 août 2004.

    * 316 Gueye Mb., op. cit. p. 685.

    * 317 A.N.S. 1G359 : Le commerce et les habitants de Fatick au Gouverneur du Sénégal, Fatick, le 5 mars 1913.

    * 318 Ki-Zerbo J., Histoire de l'Afrique Noire, d'hier à demain, Paris, Hatier, 1978, p.434.

    * 319 A.N.S. 11D1-1113 : Affaire du Canton de Ngohé Ndoffongor, 1898.

    * 320 A.N.S. 11D1-1113: Alsace, administrateur du Sine-Saloum à M. le Directeur des affaires indigènes, Kaolack, le 21 août 1898.

    * 321 Idem.

    * 322 A.N.S. 11D1-1113: Alsace à M. le Directeur des affaires indigènes, 21 août 1898.

    * 323 A.N.S. 11D1-1113 : Télégramme de l'Administration du Sine-Saloum à M. le Directeur des Affaires indigènes, avril 1899.

    * 324 A.N.S. 11D1-1120: Télégramme du 13 avril 1899.

    * 325 A.N.S. 11D1-1120: Télégramme du 23 avril 1899.

    * 326 Idem.

    * 327 A.N.S. 11D1-1120: Télégramme du 29 avril 1899.

    * 328 Idem.

    * 329 Ibid.

    * 330 A.N.S. 11D1-1113 : op. cit.

    * 331 A.N.S. 11D1-1120 : Administrateur du Sine-Saloum au Directeur des Affaires indigènes, Kaolack, le 28 mai 1899.

    * 332 A.N.S. 2G1-136 : Cercle du Sine-Saloum : Rapports politiques, agricoles, commerciaux mensuels, Niakhar, le 31 mai 1899.

    * 333 Suret-Canal J., Afrique occidentale et centrale. L'ère coloniale (1900-1945), Paris, Ed. Sociales, 1964, p. 80.

    * 334 Gastellu J-M., Individualisme, ethnocentrisme. Réflexion sur l'économie rurale de l'Afrique de l'Ouest, Université de Bordeaux, Centre d'Etude d'Afrique Noire, Travaux et documents n° 19, 1988, p.1.

    * 335 Delavignette R., Les vrais chefs de l'empire, Paris, Gallimard,1929, p. 143.

    * 336 Gueye Mb., op. cit. p. 752.

    * 337 Boilat D., Esquisses sénégalaises, Paris, Karthala, 1984, p. 101.

    * 338 Un nouveau terme jusque-là commerciale entre ainsi dans le vocabulaire du mariage : « luup » qui signifie emprunter. Au Sine une femme « empruntée » n'est reconnue par sa collectivité que lorsque son mari verse la dote. Elle ne participera pas ainsi aux organisations féminines comme le « mal » c'est-à-dire le groupement des femmes de sa localité.

    * 339 Mbodj M., op. cit. pp. 602-609.

    * 340 Idem. p. 605.

    * 341 A.N.S. 13G326 : Noirot, Administrateur du Sine-Saloum à Morel & Frères, 11 mars 1896.

    * 342 Lakroum M., Le travail inégal. Paysans et salariés sénégalais face à la crise des années trente, Paris, L'Harmattan, 1982, p. 92.






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