C) - Autour de la lune (1870) : suite et fin de «
De la terre à la lune ».
Faisant suite à De la terre à la
lune (1865), Autour de la lune (1870) est remarquable
par la maîtrise dont fait preuve Jules Verne lorsque ce
dernier décrit les différentes formes du relief lunaire
observées par les passagers du projectile cylindro-conique. De la
géomorphologie (étymologiquement, « la science des
formes du relief terrestre11 ») Jules
Verne passe ainsi à la « sélénomorphologie
» (néologisme inventé de notre part pour définir
« la science des formes du relief de la lune »), avec toute
l'imagination que nous lui connaissons. Ses connaissances en topographie, en
orographie et en cartographie12 sont largement
démontrées dans ce roman, où l'étude de l'espace
(à la fois terrestre, lunaire et interstellaire) est une fois de plus
centrale. Il s'agit donc d'un voyage dans l'espace, mais aussi dans le temps,
compte tenu de l'intérêt porté à l'étude de
la formation de la lune et des différentes formes de vies - animales
et/ou végétales - qui ont pu s'y développer. Jules
Verne fait ainsi de l'oïkologie avant l'heure, pour notre plus
grand bonheur.
11 A la fin du 19° siècle, la
géomorphologie représente l'essentiel des travaux se rapportant
à la géographie physique, laquelle constitue alors la branche de
la Géographie la plus développée.
12 En cette fin de 19° siècle, le
paradigme de la Géographie est essentiellement naturaliste, le
déterminisme environnemental orientant fortement les systèmes de
pensée et les modes de recherche. Fortes des connaissances
apportées par Charles Darwin (1809-1882) avec sa
théorie de l'Evolution (« De l'origine des espèces
au moyen de la sélection naturelle » - 1859 -), les
échelles de temps (notamment géologiques) sont
reconsidérées sur une plus longue durée, la Bible
étant alors très largement remise en cause quant à son
explication de l'origine du monde.
Ces trois premiers romans13 nous permettent
déjà de voir à quel point la terre (c'est-à-dire la
planète) représente pour Jules Verne une source
d'inspiration inépuisable. Elle est le point de départ de
nombreuses aventures :
* Dans Voyage au centre de la terre il s'agit
de visiter ses entrailles, de découvrir un monde parallèle,
vestige des temps passés. Jules Verne nous y fait
découvrir une sorte de machine à remonter le temps, qui permet
ainsi de voyager à la fois dans l'espace et dans le temps. Il s'agit par
conséquent, pour l'homme, d'un retour aux sources.
* Dans De la terre à la lune il s'agit
au contraire pour l'homme de s'émanciper de son cocon originel pour
coloniser le satellite naturel de la terre. L'humour de Jules
Verne conduit les héros de son histoire à se retrouver
dans la même situation que celle de la lune par rapport à la terre
: ils se retrouvent en orbite autour de la lune... Notons cependant que,
malgré la pointe d'humour de l'auteur, la situation fait preuve pour
l'époque considérée de beaucoup de réflexion et de
recul par rapport au projet dont il est question.
* Dans Le tour du monde en 80 jours l'objectif
est de montrer que les progrès scientifiques et techniques de cette fin
de 19° siècle permettent enfin de dominer la distance, l'espace,
l'étendue14. Il en est de même dans Cinq
semaines en ballon (1863), mais dans le cas présent l'auteur
procède à un changement d'échelle, et le moyen
utilisé est différent de ceux utilisés dans Le tour
du monde en 80 jours. L'idée de conquête et de domination
est toujours présente. Il s'agit de conquérir pour
découvrir et apprendre, comme le firent les grands explorateurs du
15° et du 16° siècle.
L'idée que nous voulons développer ici est que
les notions d'espace et de temps sont fondamentales dans les romans de
Jules Verne15. Ce dernier fait souvent oeuvre de
géographe, d'historien, de sociologue, d'anthropologue... dans ses
romans, tant les descriptions des pays et/ou des gens rencontrés sont
dressées avec une aisance particulière. Il aime les mots, c'est
un spécialiste sans nul doute de la sémantique. Le vocabulaire
qu'il emploie est toujours approprié, quel que soit le domaine de
compétence auquel il fait
13 Nous avons choisi ici quelques romans parmi tant
d'autres de l'auteur ; il ne s'agit donc que d'un échantillon.
14 Ces trois notions (concepts) sont fondamentales en
Géographie.
15 Martin Paz (1852), l'un des
premiers romans de Jules Verne est ainsi sous-titré :
« Roman historique ».
référence, à tel point qu'il apparaît
parfois comme un savant, un érudit, capable aussi bien de parler
Géographie que Géologie ou Sociologie.
Lire Jules Verne, c'est donc voyager dans
l'espace et dans le temps. De plus, il n'introduit aucune discontinuité
dans ses voyages. Ils sont tous linéaires, continus. Ses héros
partent toujours d'un point A pour arriver à un point B. Finalement, le
but recherché est plus de montrer le caractère possible des
voyages que d'arriver à la destination prévue. Ainsi, dans
Le tour du monde en 80 jours, les points de départ et
d'arrivée sont confondus, seul compte le trajet à effectuer en un
temps donné. Les pays traversés ne sont que des prétextes
montrant que désormais l'homme a vaincu la distance et les nombreux
obstacles naturels que lui impose la terre. Dans ce roman, aucune
discontinuité géographique et temporelle n'est introduite, si ce
n'est la prise en compte du décalage horaire (qui permet ainsi un gain
de temps de 24 heures). La nécessité et la volonté de
maîtriser l'espace, l'étendue, sont aussi à l'origine de
tous ces Voyages Extraordinaires qui ont fait le succès
de Jules Verne.
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