Discussions
Les analyses statistiques révèlent que plusieurs
facteurs affectent le choix et dimensionnement des spéculations sur les
exploitations maraîchères.
La zone de production affecte le choix et le dimensionnement
des spéculations sur les exploitations maraîchères. La
notion de zone de production utilisée ici inclut les paramètres
écologiques et socio-démographiques de l'environnement de
production des cultures maraîchères. Alors que l'amarante occupe
une place plus importante dans les systèmes de production des zones
intra-urbaines, l'intensité de la production d'oignon est plus
importante en zone côtière. Quant à la laitue, elle est
cultivée au Sud-Bénin plus sur sable qu'en bas-fonds. Ces
résultats pourraient être expliqués de diverses
manières.
Le contexte socio-démographique en zone intra-urbaine
entretient une forte pression sur la terre, ce qui réduit les
superficies exploitées (moins de 500 m² en moyenne par
maraîcher). Cette situation n'incite guère à la prise de
risque et de surcroît, limite les marges de manoeuvre des
maraîchers en ce qui concerne la diversification de la production qui est
une pratique reconnue de tous les maraîchers comme étant une
stratégie d'évitement de risque. Dans ces conditions, les
maraîchers se contentent des cultures moins exigeantes et moins
risquées telle l'amarante. Par ailleurs, la forte intensité de la
production de l'amarante en milieux intra-urbains et celle de la laitue en
milieux intra-urbains et périurbains pourraient être
imputées à la proximité de la demande potentielle
émanant des centres urbains.
Contrairement à l'amarante qui est cultivée
aussi bien en bas-fonds (Vallée de l'Ouémé) que sur sable
(Cotonou, Sèmè-Kpodji), l'oignon est surtout cultivé en
zone côtière. La forte intensité de production de l'oignon
en zone côtière pourrait être liée aux exigences
écologiques de la culture. En effet, l'oignon est une plante
potagère dont le bulbe se développe dans le sol. Contrairement
aux sols lourds et peu aérés des bas-fonds, les sols sableux et
légers des zones côtières offriraient aux cultures de
meilleures conditions de développement. Par ailleurs, l'influence du
site écologique sur la production de la laitue ne saurait être
liée aux préférences écologiques de la culture car
la laitue se développe aussi bien en bas-fonds (Porto Novo) que sur
sable (Cotonou, Sèmè-Kpodji). Ce résultat est plutôt
imputable à la proximité de la demande des centres urbains.
Dans le cas particulier de l'amarante, la forte
intensité de la production en zones intra-urbaines pourrait être
expliquée en partie par son utilisation dans la lutte contre les
nématodes. Selon les maraîchers, l'amarante de par son
système racinaire, permet de contrôler la population des
nématodes qui constituent de véritables dangers pour certaines
cultures (carotte, chou etc.).
La superficie disponible au niveau des exploitations
maraîchères affecte elle aussi le choix et la dimension des
spéculations. Son influence s'est révélée
pertinente sur la laitue. Plus la superficie de terre disponible au niveau des
exploitations maraîchères est grande, plus la proportion de terre
allouée à la production de laitue est faible. Ce résultat
s'explique aisément lorsqu'on sait que la laitue est surtout
cultivée en milieux urbains et péri-urbains où la pression
foncière est très accentuée. Dans le même temps, on
enregistre au niveau des centres urbains une forte demande en produits
maraîchers surtout les légumes exotiques dont la laitue. La forte
intensité de la production de laitue sur les exploitations disposant de
faibles superficies est donc le résultat de la combinaison des effets de
la forte pression foncière et de la proximité de la demande en
légumes exotiques dans les milieux urbains et péri-urbains.
Le choix et la dimension des spéculations sur les
exploitations maraîchères sont par ailleurs influencés par
l'accès des maraîchers au crédit agricole. En effet, le
crédit agricole constitue une importante source externe de financement
qui renforce la capacité de financement des exploitations. Il encourage
donc l'intensification de la production au niveau des exploitations. Cependant,
pour le cas spécifique de l'amarante, l'influence du crédit
agricole sur l'intensité de la production n'est pas directe. En effet,
sur les exploitations des zones urbaines et l'amarante n'est
généralement pas cultivé pour son revenu car elle est
très peu rémunératrice. Elle est surtout cultivée
pour le contrôle des nématodes. Dans les successions culturales,
elle est placée en avant des cultures les plus vulnérables aux
nématodes (chou, carotte, poivron etc.), ce qui permet au
maraîcher de réduire les coûts liés à l'achat
des produits phytosanitaires.
Les tests statistiques ont aussi révélé
que l'encadrement des maraîchers constitue lui aussi un important facteur
qui affecte le choix et la dimension des spéculations. Il affecte
positivement l'intensité de production de la laitue et de l'oignon. En
effet, l'une des finalités de l'intervention des structures telle le
CeRPA est le renforcement des capacités des producteurs. L'encadrement
améliore donc le savoir et renforce le savoir-faire au plan technique
des maraîchers. Ces derniers, confortés par la maîtrise
qu'ils ont dans la conduite technique des cultures, sont désormais plus
disposés à intensifier la production des cultures exigeantes et
les plus rémunératrices dont la laitue et l'oignon.
Les équipements disponibles au niveau de l'exploitation
affectent aussi la décision des maraîchers. Alors que la
production de l'oignon nécessite des équipements de plus en plus
performants, l'amarante quant à elle est surtout cultivée sur les
exploitations faiblement équipées. L'influence des
équipements en l'occurrence les équipements d'irrigation sur le
choix et la dimension de l'oignon sur les exploitations, est imputable aux
exigences de la cultures et aux caractéristiques du site
écologique. En effet, l'oignon est une culture plus ou moins exigeante
en eau (1 à 3 arrosages par jour selon le niveau de
développement). Il pousse plus facilement sur des sols sableux,
légers, bien aérés et riches en humus (MDR, 1996). Ainsi,
il est cultivé au Sud-Bénin sur les sols sableux du littoral. Les
exigences de la plante, combinées aux caractéristiques du site
écologiques de production de l'oignon, impliquent des équipements
d'irrigation plus ou moins performants pour assurer une meilleure couverture
des besoins en eau de la plante. En ce qui concerne l'amarante qui est une
culture peu exigeante, se développant aussi bien dans les
systèmes extensifs des zones de bas-fonds que dans les systèmes
plus ou moins intensifs des zones intra-urbaine et péri-urbaine, sa
production n'exige pas d'équipements performants.
L'âge du maraîcher affecte le choix et
l'allocation de la terre aux spéculations. Alors que l'âge du
maraîcher influence positivement l'intensité de production de
l'oignon, son influence est plutôt négative sur l'intensité
de la production de la laitue. De façon empirique, le goût du
risque baisse avec l'âge des individus. Ceci pourrait expliquée la
forte intensité de production de laitue au niveau des exploitations
conduites par les jeunes. La laitue étant une culture non seulement
exigeante mais aussi risquée en raison de la forte fluctuation du prix
(incertitude du marché), les jeunes maraîchers lui allouent plus
de superficie. En ce qui concerne l'oignon, ce résultat parait atypique.
Cependant, l'analyse de la corrélation entre l'âge du
maraîcher et le niveau d'équipement des exploitations
révèle un coefficient significatif et positif. Ce résultat
indique que l'âge du maraîcher et le niveau d'équipement de
son exploitation évoluent dans le même sens. En
conséquence, l'influence de l'âge sur l'intensité de la
production de l'oignon serait liée aux ressources disponibles qui
croissent avec l'âge du maraîcher, permettant ainsi à ce
dernier d'intensifier sa production.
L'influence du sexe du maraîcher sur le choix et la
dimension des spéculations s'est révélée pertinente
pour la laitue. L'intensité de production de la laitue est plus forte
sur les exploitations dirigées par les hommes. De façon
empirique, les femmes sont généralement moins motivées
face au risque. Ainsi, étant données les exigences et le risque
que comporte la production de certaines cultures exotiques en l'occurrence la
laitue, les femmes sont réticentes face à sa production. Elles
préfèrent les légumes qui demandent moins de travail et
moins risqués tels les légumes feuilles locaux dont les plus
produits sont l'amarante et la Grande morelle.
Selon les tests statistiques, l'expérience du
maraîcher affecte positivement l'intensité de la production de
l'amarante, de l'oignon et de la laitue. En effet, l'expérience
améliore non seulement le savoir et le savoir-faire technique des
maraîchers, mais aussi la connaissance du marché des
légumes. Elle confère donc au maraîcher une meilleure
capacité d'anticipation des périodes favorables et
défavorables afin de mieux planifier ses productions. Ainsi, les
maraîchers les plus expérimentés sont plus motivés
à intensifier la production des cultures les plus exigeantes, les plus
risquées et les plus rémunératrices telles que la laitue
et l'oignon. En ce qui concerne l'amarante, l'influence de l'expérience
du maraîcher sur sa production est plutôt imputable à son
utilisation sur les exploitations comme « plante de
liaison ». A cause de son aptitude à combattre les
nématodes, elle est cultivée pour préparer les parcelles
à recevoir des cultures plus rémunératrices (chou,
carotte, laitue, poivron etc.).
Conclusion
La présente étude a permis de comprendre la
logique des maraîchers à travers les facteurs qui affectent le
choix et de dimensionnement c'est-à-dire l'allocation de la terre aux
spéculations sur les exploitations maraîchères au
Sud-Bénin. Ces facteurs sont non seulement nombreux, mais aussi
très variables et interconnectés. Les maraîchers
décident des légumes à produire et de la dimension de
chaque spéculation sur les exploitations, en se basant sur les
facteurs naturels (site écologique), les facteurs structurels
(équipements de production, terre), les facteurs
socio-économiques (prix des produits, coût de production,
accès au crédit agricole accès au crédit agricole
etc.), les facteurs agronomiques (exigences techniques des cultures etc.), les
facteurs institutionnels (encadrement technique etc.) et les facteurs
liés au maraîcher lui-même (sexe, âge et
expérience). Pour un accroissement de l'offre des produits
maraîchers au Bénin, il est important que ces facteurs soient pris
en compte dans l'élaboration et la mises en oeuvre des politiques
agricoles initiées à cet effet.
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