II- Tirer le meilleur parti des échanges
internationaux
L'Afrique est investie à la fois par des entreprises
nationales, qui sont à la recherche d'une insertion dans le
marché international, et de filiales d'entreprises multinationales
soucieuses de la préservation de l'image de groupe. La RSE s'inscrit de
plus en plus dans une dynamique de normalisation. La normalisation, dans
certains domaines ou certains secteurs (agricole et produits alimentaires)
avaient contribué et contribue encore à fermer la porte des
marchés européens aux entreprises africaines. Par ailleurs le
risque d'être impliqué dans des situations compromettantes et les
contextes socio-politiques et économiques ont suscité les
réticences de certaines entreprises à investir en Afrique.
L'émergence de la RSE pose ainsi un enjeu double. En
favorisant/contribuant à l'assainissement du milieu des affaires
africains, la RSE loin de dissuader les investisseurs, pose un environnement
favorable à l'IDE. Les exigences rencontrées sur le marché
africains sont loin d'être supérieures à celles
constatées sur les marchés des pays développés. Ce
ne serait que tout bénéfice/au profit des entreprises
étrangères que de retrouver en Afrique un
environnement normatif et juridique comparable à celui de leurs pays
d'origine. Par l'adoption de démarches RSE, les entreprises nationales
se donnent les moyens de prendre part au marché international qui se
complexifie davantage avec l'émergence de la RSE. En effet, le
véritable défi actuel est moins de faire face à des
réglementations et normes érigées par des Etats pour
protéger des entreprises ou des secteurs au niveau national, que
répondre à des exigences et normes posées individuellement
ou collectivement par des entreprises occidentales désormais très
peu enclines à traiter avec des partenaires qui constitueraient un
risque potentiel pour leur image. Tout l'enjeu pour les Etats et pour les
entreprises africaines est donc de tirer le meilleur parti des échanges
internationaux en créant le cadre à la
manifestation/l'institutionnalisation de la RSE et en s'inscrivant dans une
démarche de responsabilisation. La pression ici est à la fois
externe et sournoise.
III- Relever les défis de la mondialisation
Comme nous l'avons déjà vu plus haut, la RSE
peut être approchée comme un outil de régulation de la
mondialisation. Le premier défi qui se pose à tous les Etats
c'est de donner à cette mondialisation un visage humain/de l'humaniser.
La RSE apparaît ainsi comme la réponse à ce défi. Le
développement de la RSE impliquerait la vulgarisation et la
généralisation de bonnes pratiques. En Europe divers organismes
se sont invités sur le marché de la compilation des « bonnes
pratiques » dites encore « pratiques socialement responsables ».
Au moment où s'enchaînent les critiques de la mondialisation en
tant que processus implacable d'homogénéisation, on peut aussi se
poser des questions sur l'opportunité du développement et de la
transposition de ces pratiques dans des univers souvent très
différents sans considérations des réalités
locales, de la spécificité des entreprises et des cultures
locales. Sans remettre en cause la nécessité de diffuser les
bonnes pratiques, il nous paraît essentiel que de faire figurer au nombre
des défis de la mondialisation la nécessité d'adaptation
de ces pratiques et des normes de façon générale : c'est
postuler pour le droit à la différence dans un processus
d'homogénéisation.
Relever les défis de la mondialisation, c'est aussi
poser le cadre qui permette aux entreprises et à d'autres acteurs ou
parties prenantes de l'entreprise de s'engager dans une démarche de
responsabilité sociétale. Cela aurait pour effet d'éviter
que le marché africain ne soit considéré comme
potentiellement dangereux ou risqué parce que pouvant entacher l'image
de l'entreprise qui y investirait. C'est tout simplement ouvrir la voie
à la conclusion de relations économiques durables entre
entreprises africaines et occidentales ?
IV- Instaurer le dialogue et une contribution de tous les
acteurs au
développement durable
Un des enjeux de la RSE est de favoriser la contribution du
secteur privé au développement durable, autrement dit, c'est
d'introduire l'acteur privé dans un domaine qui a longtemps
relevé de la sphère publique. L'entrepreneur africain, notamment
dans le secteur informel, est parfaitement intégré dans son
milieu et contribue de fait au bien-être de sa communauté.
Cependant, il ne conçoit pas son rôle ni son action en termes de
contribution à la réalisation d'un objectif global, ni en termes
de participation à la mise en oeuvre d'une quelconque politique de type
public ou privé. Les entreprises du secteur ne se sentent pas non plus
responsables d'une quelconque manière du succès de la mise en
oeuvre d'objectifs publics globaux. Mais la participation à la mise en
oeuvre des objectifs publics s'est amorcé à travers les CSLP et
la RSE devrait contribuer à nourrir le dialogue et la convergence des
efforts des pouvoirs publics et des entreprises dans ce sens. La
société civile a longtemps gardé des rapports assez
distants avec le milieu des affaires et n'a eu d'interaction qu'avec les
pouvoirs publics. Cela ne découle pas forcément d'une quelconque
suspicion ou méfiance, mais est plutôt dû au fait que les
deux types d'acteurs ont des domaines d'intervention qui officiellement se
recoupent peu. La société civile, qui a été
jusqu'à un certain moment peu avertie sur les questions
microéconomiques, était peu encline à discuter des
problématiques économiques à l'échelon de
l'entreprise. Tout l'enjeu donc de la RSE est d'amener, de convier ces
différents acteurs à discuter des meilleures voies,
stratégies et politiques à mettre en oeuvre pour répondre
aux problématiques locales, nationales et globales de
développement.
C- Les facteurs du développement de la RSE en
Afrique : forces, faiblesses, opportunités et contraintes
Le débat et les initiatives en matière de RSE
sont en train de s'enraciner progressivement dans le paysage africain. On peut
puiser dans les traditions africaines les fondements justificatifs d'une RSE
implicite. Mais il y a lieu de se pencher sur les facteurs favorables et
défavorables à l'institutionnalisation de la RSE en tant que
concept explicite. A cet effet, nous avons recueilli les avis des participants
africains et français sur ce qui peut constituer une force, une
faiblesse, une opportunité ou une contrainte à au
développement/ l'enracinement de la RSE en Afrique. Cette partie
reflète une opinion fondamentalement personnelle éclairée
par les avis des différents participants à la consultation.
I Forces
a) Le cadre institutionnel et juridique
Malgré l'imperfection inhérente à tout
système juridique, on peut noter que les pays africains disposent d'un
cadre juridique propice à l'émergence et à
l'institutionnalisation de la RSE. L'enjeu réside maintenant dans
l'effectivité de sa mise en oeuvre et dans l'amélioration
progressive du cadre pour répondre aux problématiques et enjeux
nouveaux. Des mécanismes comme le mécanisme africain
d'évaluation par les pairs (MAEP) offrent un terreau favorable à
la RSE et à des processus de dialogue multi-acteur97. La
création par ailleurs de structures interfaces entre le secteur
privé, les organisations de la société civile et l'Etat
contribue à faire du cadre institutionnel force pour
l'institutionnalisation de la RSE. Le Projet de renforcement de l'interface
Etat - secteur privé - société civile (PARECAP) au Burkina
Faso constitue à ce titre un exemple intéressant et une structure
d'appui à l'émergence et à l'institutionnalisation de la
RSE.
b) Une culture favorable de la cohésion sociale
et de solidarité
Le lien social, l'appartenance communautaire et la
solidarité sont les fondements d'une cohésion sociale et sont
profondément ancrés dans la culture et les traditions africaines.
Ils constituent à la fois des valeurs et les éléments
moteurs de l'émergence et de l'enracinement de la RSE. Il faut y
rechercher des éléments de RSE implicite pour guider la mise en
oeuvre des stratégie de RSE explicite .
c) La proximité avec les communautés
locales
Elle constitue une composante du lien social et de la
solidarité. L'entreprise, l'entrepreneur et la société ne
sont pas des mondes différents qui s'ignorent. Bien au contraire !
L'entrepreneur est parfaitement intégré dans son milieu social
qui donne du sens à son activité. Il se crée alors une
proximité voire une intégration/un ancrage de l'entreprise, de
ses valeurs dans ceux de la communauté. Cette proximité de
l'entrepreneur avec sa communauté lui permet de connaître les
vraies problématiques auxquelles la société est
confrontée et éventuellement de s'impliquer dans la
résolution.
97 Le MAEP est un mécanisme mis en place par le
NEPAD. Il implique des processus nationaux d'autoévaluation de la
gouvernance aux plans politique, économique et financière entre
autres des entreprises.
d) Les engagements internationaux des pays
africains
Si elles peuvent être
vécues/appréhendées comme une contrainte pour certaines
entreprises ou certains acteurs, les engagements internationaux peuvent
constituer à notre avis une force en créant un cadre favorable,
équitable et fertile aux pratiques RSE. Ces engagements sont le
fondement de l'action des organisations de la société civile. Ils
leur donnent les outils de référence et les moyens de mettre les
entreprises face à des obligations objectives dont elles ne peuvent se
soustraire même si elles ne sont ni les signataires, ni les destinataires
primaires de tels engagements. Ces engagements mettent les entreprises sur un
même pied d'égalité aussi bien au plan interne
qu'international, chacune étant soumise à la même
obligation de respecter l'esprit et la lettre des conventions ratifiées
ou non par leurs Etats.
II Faiblesses
a) La limitation de la capacité des
Etats
Elle est la résultante des opérations
d'ajustements structurelles qui ont dépouillé les Etats de leurs
capacités d'interventions économique et sociale. Un repli de
l'Etat qui n'a toutefois pas été compensé par le
renforcement consécutif du secteur privé. Il ne faut pas
forcément un Etat gendarme pour favoriser l'ancrage de la RSE, mais il
faut que l'Etat puisse, s'il le souhaite, disposer des moyens et outils
nécessaires pour inciter les entreprises ou contrôler
l'effectivités des démarches engagées.
b) La nature du marché
Dans les pays occidentaux, la question de l'engagement des
PME dans des démarches RSE au même titre que les grandes
entreprises se pose. En Afrique c'est plutôt la question de l'insertion
des micro-entreprises, des très petites entreprises du secteur informel
et de leur capacité à s'inscrire dans des démarches RSE
qui doit être posée. La formulation d'exigences normatives ne
conduirait-elle pas à mettre ces structures en dehors du champs de la
RSE ?
c) Faiblesse du secteur privé et insuffisance des
capitaux et des IDE La faiblesse du secteur privé et
notamment des investissements directs étrangers constitue
un obstacle. Il apparaît que les pays où les entreprises
étrangères sont très présentes et où
le secteur privé est très structuré sont des terreaux
favorables à l'éclosion d'initiatives RSE parce que les
entreprises mères ou têtes de groupes disposent de
stratégie ou politique RSE à la mise en oeuvre de laquelle
participent leurs filiales. Les difficultés d'accès aux
crédits pour les
entreprises et le manque de moyens financiers pose le
problème de leur capacité à investir le peu de ressources
dont ils disposent dans le développement social.
d) La capacité des parties prenantes de
l'entreprise
L'engagement des entreprises a souvent été le
résultat d'une forte pression de la part de ses parties prenantes. Les
stratégies RSE s'inscrivent ainsi dans une perspective de réponse
ou d'anticipation de telle pression, voire de manipulation. En Afrique, on
constate cependant une faiblesse relative des parties prenantes qui sont
susceptibles d'influencer les pratiques de l'entreprise. Dans l'absence de
pression interne et externe, on peut être porté à croire
que rien ne peut contraindre une entreprise à s'engager dans une
démarche RSE.
e) La faible insertion dans l'économie
internationale
Le bénéfice d'une insertion dans les
échanges internationaux aurait aussi pour contrepartie, une plus grande
vigilance sur les pratiques des entreprises. L'exemple de la Chine est
très manifeste. Si les pratiques des entreprises chinoises ou
étrangères opérant en Chine sont sous les projecteurs de
nos jours, c'est bien parce que la Chine occupe aujourd'hui une place
importante dans le commerce international. La marginalisation de l'Afrique et
son incapacité à accéder aux marchés occidentaux
sont de ce fait un handicap au développement de la RSE.
f) Fragilité et instabilité du contexte
politique et économique
Le contexte des pays africains décrit
précédemment montre une large dépendance vis-à-vis
des produits primaires et une vulnérabilité du système
économique aux aléas climatiques. Le contexte politique souvent
instable est loin d'être propice à l'éclosion durable de
démarche de RSE explicite et à un dialogue entre les entreprises
avec leurs différentes parties prenantes notamment avec les pouvoirs
publics.
g) Caractère rudimentaire des opérations
de production
La nature des processus de production et de commercialisation
des biens et services, la faiblesse de la maîtrise technologique laisse
croire que le développement de la RSE, qui suppose l'abandon des
pratiques de productions non durables et l'engagement sur la voie de
l'innovation, peut relever plutôt de l'illusion si rien n'est fait pour
favoriser le développement des technologies et de modes de production et
de consommation propres dans des pays africains qui en ont certainement
besoin.
III Opportunités
a) L'agenda international de la RSE
L'inscription de la RSE dans l'agenda des négociations
internationales (normalisation) constitue une opportunité à
saisir par les différents acteurs africains pour faire partager leur
approche de la RSE et établir éventuellement un agenda propre,
national ou régional.
b) Accès aux marchés
internationaux
L'espoir d'un accès aux marchés internationaux
que suscite la RSE peut être un facteur incitatif à l'engagement
dans des démarches RSE pour les entreprises locales. Pour l'Etat, il
peut en résulter une opportunité de présenter son
marché comme sain et favorable pour les affaires et partant, de
favoriser les échanges avec des entreprises très soucieuses des
pratiques RSE de leurs partenaires africains.
IV Les contraintes
a) La mondialisation et la concurrence
internationale
La mondialisation et le développement de la
concurrence internationale constituent des contraintes majeures pour les
entreprises et les Etats. Soucieux de ne pas pénaliser leurs entreprises
par des contraintes réglementaires et normatives, les Etats pourraient
être enclins à abaisser le niveau des exigences sociales et
environnementales. Les entreprises quant à elles, soucieuses de
préserver une certaine compétitivité pourraient être
peu disposées à être proactivité en matière
de RSE. La RSE peut ainsi être perçue comme une contrainte
supplémentaire dont l'entreprise se passerait bien.
b) Le développement de barrières non
tarifaires au commerce
Diverses barrières non tarifaires (normes sanitaires
par exemple) empêchent l'insertion des Etats et des entreprises
africaines dans les échanges. Il n'est pas exclu que ceux-ci voient dans
la RSE une nouvelle forme de barrière non tarifaire. Ainsi, les
entreprises qui s'investissent déjà pour répondre aux
contraintes et normes posées par les marchés extérieurs
pourraient- elles manquer d'énergie et de moyens supplémentaires
à consacrer à la RSE.
c) Difficultés d'accès ou de transfert de
technologies
Le boom des technologies propres et les droits qui les
accompagnent n'autorisent pas des transferts peu onéreux dans les
entreprises des pays en développement qui ne peuvent se payer le luxe de
les acquérir.
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