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L'émergence de la responsabilité sociale des entreprises en Afrique : état des lieux, enjeux et perspectives

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par Urbain K. YAMEOGO
IAE Gustave Eiffel - Université Paris 12 (Créteil) - Master 2 professionnel Management de la RSE 2007
  

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II- Tirer le meilleur parti des échanges internationaux

L'Afrique est investie à la fois par des entreprises nationales, qui sont à la recherche d'une insertion dans le marché international, et de filiales d'entreprises multinationales soucieuses de la préservation de l'image de groupe. La RSE s'inscrit de plus en plus dans une dynamique de normalisation. La normalisation, dans certains domaines ou certains secteurs (agricole et produits alimentaires) avaient contribué et contribue encore à fermer la porte des marchés européens aux entreprises africaines. Par ailleurs le risque d'être impliqué dans des situations compromettantes et les contextes socio-politiques et économiques ont suscité les réticences de certaines entreprises à investir en Afrique. L'émergence de la RSE pose ainsi un enjeu double. En favorisant/contribuant à l'assainissement du milieu des affaires africains, la RSE loin de dissuader les investisseurs, pose un environnement favorable à l'IDE. Les exigences rencontrées sur le marché africains sont loin d'être supérieures à celles constatées sur les marchés des pays développés. Ce ne serait que tout bénéfice/au profit des entreprises

étrangères que de retrouver en Afrique un environnement normatif et juridique comparable à celui de leurs pays d'origine. Par l'adoption de démarches RSE, les entreprises nationales se donnent les moyens de prendre part au marché international qui se complexifie davantage avec l'émergence de la RSE. En effet, le véritable défi actuel est moins de faire face à des réglementations et normes érigées par des Etats pour protéger des entreprises ou des secteurs au niveau national, que répondre à des exigences et normes posées individuellement ou collectivement par des entreprises occidentales désormais très peu enclines à traiter avec des partenaires qui constitueraient un risque potentiel pour leur image. Tout l'enjeu pour les Etats et pour les entreprises africaines est donc de tirer le meilleur parti des échanges internationaux en créant le cadre à la manifestation/l'institutionnalisation de la RSE et en s'inscrivant dans une démarche de responsabilisation. La pression ici est à la fois externe et sournoise.

III- Relever les défis de la mondialisation

Comme nous l'avons déjà vu plus haut, la RSE peut être approchée comme un outil de régulation de la mondialisation. Le premier défi qui se pose à tous les Etats c'est de donner à cette mondialisation un visage humain/de l'humaniser. La RSE apparaît ainsi comme la réponse à ce défi. Le développement de la RSE impliquerait la vulgarisation et la généralisation de bonnes pratiques. En Europe divers organismes se sont invités sur le marché de la compilation des « bonnes pratiques » dites encore « pratiques socialement responsables ». Au moment où s'enchaînent les critiques de la mondialisation en tant que processus implacable d'homogénéisation, on peut aussi se poser des questions sur l'opportunité du développement et de la transposition de ces pratiques dans des univers souvent très différents sans considérations des réalités locales, de la spécificité des entreprises et des cultures locales. Sans remettre en cause la nécessité de diffuser les bonnes pratiques, il nous paraît essentiel que de faire figurer au nombre des défis de la mondialisation la nécessité d'adaptation de ces pratiques et des normes de façon générale : c'est postuler pour le droit à la différence dans un processus d'homogénéisation.

Relever les défis de la mondialisation, c'est aussi poser le cadre qui permette aux entreprises et à d'autres acteurs ou parties prenantes de l'entreprise de s'engager dans une démarche de responsabilité sociétale. Cela aurait pour effet d'éviter que le marché africain ne soit considéré comme potentiellement dangereux ou risqué parce que pouvant entacher l'image de l'entreprise qui y investirait. C'est tout simplement ouvrir la voie à la conclusion de relations économiques durables entre entreprises africaines et occidentales ?

IV- Instaurer le dialogue et une contribution de tous les acteurs au

développement durable

Un des enjeux de la RSE est de favoriser la contribution du secteur privé au développement durable, autrement dit, c'est d'introduire l'acteur privé dans un domaine qui a longtemps relevé de la sphère publique. L'entrepreneur africain, notamment dans le secteur informel, est parfaitement intégré dans son milieu et contribue de fait au bien-être de sa communauté. Cependant, il ne conçoit pas son rôle ni son action en termes de contribution à la réalisation d'un objectif global, ni en termes de participation à la mise en oeuvre d'une quelconque politique de type public ou privé. Les entreprises du secteur ne se sentent pas non plus responsables d'une quelconque manière du succès de la mise en oeuvre d'objectifs publics globaux. Mais la participation à la mise en oeuvre des objectifs publics s'est amorcé à travers les CSLP et la RSE devrait contribuer à nourrir le dialogue et la convergence des efforts des pouvoirs publics et des entreprises dans ce sens. La société civile a longtemps gardé des rapports assez distants avec le milieu des affaires et n'a eu d'interaction qu'avec les pouvoirs publics. Cela ne découle pas forcément d'une quelconque suspicion ou méfiance, mais est plutôt dû au fait que les deux types d'acteurs ont des domaines d'intervention qui officiellement se recoupent peu. La société civile, qui a été jusqu'à un certain moment peu avertie sur les questions microéconomiques, était peu encline à discuter des problématiques économiques à l'échelon de l'entreprise. Tout l'enjeu donc de la RSE est d'amener, de convier ces différents acteurs à discuter des meilleures voies, stratégies et politiques à mettre en oeuvre pour répondre aux problématiques locales, nationales et globales de développement.

C- Les facteurs du développement de la RSE en Afrique : forces, faiblesses, opportunités et contraintes

Le débat et les initiatives en matière de RSE sont en train de s'enraciner progressivement dans le paysage africain. On peut puiser dans les traditions africaines les fondements justificatifs d'une RSE implicite. Mais il y a lieu de se pencher sur les facteurs favorables et défavorables à l'institutionnalisation de la RSE en tant que concept explicite. A cet effet, nous avons recueilli les avis des participants africains et français sur ce qui peut constituer une force, une faiblesse, une opportunité ou une contrainte à au développement/ l'enracinement de la RSE en Afrique. Cette partie reflète une opinion fondamentalement personnelle éclairée par les avis des différents participants à la consultation.

I Forces

a) Le cadre institutionnel et juridique

Malgré l'imperfection inhérente à tout système juridique, on peut noter que les pays africains disposent d'un cadre juridique propice à l'émergence et à l'institutionnalisation de la RSE. L'enjeu réside maintenant dans l'effectivité de sa mise en oeuvre et dans l'amélioration progressive du cadre pour répondre aux problématiques et enjeux nouveaux. Des mécanismes comme le mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP) offrent un terreau favorable à la RSE et à des processus de dialogue multi-acteur97. La création par ailleurs de structures interfaces entre le secteur privé, les organisations de la société civile et l'Etat contribue à faire du cadre institutionnel force pour l'institutionnalisation de la RSE. Le Projet de renforcement de l'interface Etat - secteur privé - société civile (PARECAP) au Burkina Faso constitue à ce titre un exemple intéressant et une structure d'appui à l'émergence et à l'institutionnalisation de la RSE.

b) Une culture favorable de la cohésion sociale et de solidarité

Le lien social, l'appartenance communautaire et la solidarité sont les fondements d'une cohésion sociale et sont profondément ancrés dans la culture et les traditions africaines. Ils constituent à la fois des valeurs et les éléments moteurs de l'émergence et de l'enracinement de la RSE. Il faut y rechercher des éléments de RSE implicite pour guider la mise en oeuvre des stratégie de RSE explicite .

c) La proximité avec les communautés locales

Elle constitue une composante du lien social et de la solidarité. L'entreprise, l'entrepreneur et la société ne sont pas des mondes différents qui s'ignorent. Bien au contraire ! L'entrepreneur est parfaitement intégré dans son milieu social qui donne du sens à son activité. Il se crée alors une proximité voire une intégration/un ancrage de l'entreprise, de ses valeurs dans ceux de la communauté. Cette proximité de l'entrepreneur avec sa communauté lui permet de connaître les vraies problématiques auxquelles la société est confrontée et éventuellement de s'impliquer dans la résolution.

97 Le MAEP est un mécanisme mis en place par le NEPAD. Il implique des processus nationaux d'autoévaluation de la gouvernance aux plans politique, économique et financière entre autres des entreprises.

d) Les engagements internationaux des pays africains

Si elles peuvent être vécues/appréhendées comme une contrainte pour certaines entreprises ou certains acteurs, les engagements internationaux peuvent constituer à notre avis une force en créant un cadre favorable, équitable et fertile aux pratiques RSE. Ces engagements sont le fondement de l'action des organisations de la société civile. Ils leur donnent les outils de référence et les moyens de mettre les entreprises face à des obligations objectives dont elles ne peuvent se soustraire même si elles ne sont ni les signataires, ni les destinataires primaires de tels engagements. Ces engagements mettent les entreprises sur un même pied d'égalité aussi bien au plan interne qu'international, chacune étant soumise à la même obligation de respecter l'esprit et la lettre des conventions ratifiées ou non par leurs Etats.

II Faiblesses

a) La limitation de la capacité des Etats

Elle est la résultante des opérations d'ajustements structurelles qui ont dépouillé les Etats de leurs capacités d'interventions économique et sociale. Un repli de l'Etat qui n'a toutefois pas été compensé par le renforcement consécutif du secteur privé. Il ne faut pas forcément un Etat gendarme pour favoriser l'ancrage de la RSE, mais il faut que l'Etat puisse, s'il le souhaite, disposer des moyens et outils nécessaires pour inciter les entreprises ou contrôler l'effectivités des démarches engagées.

b) La nature du marché

Dans les pays occidentaux, la question de l'engagement des PME dans des démarches RSE au même titre que les grandes entreprises se pose. En Afrique c'est plutôt la question de l'insertion des micro-entreprises, des très petites entreprises du secteur informel et de leur capacité à s'inscrire dans des démarches RSE qui doit être posée. La formulation d'exigences normatives ne conduirait-elle pas à mettre ces structures en dehors du champs de la RSE ?

c) Faiblesse du secteur privé et insuffisance des capitaux et des IDE
La faiblesse du secteur privé et notamment des investissements directs étrangers constitue un
obstacle. Il apparaît que les pays où les entreprises étrangères sont très présentes et où le
secteur privé est très structuré sont des terreaux favorables à l'éclosion d'initiatives RSE parce
que les entreprises mères ou têtes de groupes disposent de stratégie ou politique RSE à la mise
en oeuvre de laquelle participent leurs filiales. Les difficultés d'accès aux crédits pour les

entreprises et le manque de moyens financiers pose le problème de leur capacité à investir le peu de ressources dont ils disposent dans le développement social.

d) La capacité des parties prenantes de l'entreprise

L'engagement des entreprises a souvent été le résultat d'une forte pression de la part de ses parties prenantes. Les stratégies RSE s'inscrivent ainsi dans une perspective de réponse ou d'anticipation de telle pression, voire de manipulation. En Afrique, on constate cependant une faiblesse relative des parties prenantes qui sont susceptibles d'influencer les pratiques de l'entreprise. Dans l'absence de pression interne et externe, on peut être porté à croire que rien ne peut contraindre une entreprise à s'engager dans une démarche RSE.

e) La faible insertion dans l'économie internationale

Le bénéfice d'une insertion dans les échanges internationaux aurait aussi pour contrepartie, une plus grande vigilance sur les pratiques des entreprises. L'exemple de la Chine est très manifeste. Si les pratiques des entreprises chinoises ou étrangères opérant en Chine sont sous les projecteurs de nos jours, c'est bien parce que la Chine occupe aujourd'hui une place importante dans le commerce international. La marginalisation de l'Afrique et son incapacité à accéder aux marchés occidentaux sont de ce fait un handicap au développement de la RSE.

f) Fragilité et instabilité du contexte politique et économique

Le contexte des pays africains décrit précédemment montre une large dépendance vis-à-vis des produits primaires et une vulnérabilité du système économique aux aléas climatiques. Le contexte politique souvent instable est loin d'être propice à l'éclosion durable de démarche de RSE explicite et à un dialogue entre les entreprises avec leurs différentes parties prenantes notamment avec les pouvoirs publics.

g) Caractère rudimentaire des opérations de production

La nature des processus de production et de commercialisation des biens et services, la faiblesse de la maîtrise technologique laisse croire que le développement de la RSE, qui suppose l'abandon des pratiques de productions non durables et l'engagement sur la voie de l'innovation, peut relever plutôt de l'illusion si rien n'est fait pour favoriser le développement des technologies et de modes de production et de consommation propres dans des pays africains qui en ont certainement besoin.

III Opportunités

a) L'agenda international de la RSE

L'inscription de la RSE dans l'agenda des négociations internationales (normalisation) constitue une opportunité à saisir par les différents acteurs africains pour faire partager leur approche de la RSE et établir éventuellement un agenda propre, national ou régional.

b) Accès aux marchés internationaux

L'espoir d'un accès aux marchés internationaux que suscite la RSE peut être un facteur incitatif à l'engagement dans des démarches RSE pour les entreprises locales. Pour l'Etat, il peut en résulter une opportunité de présenter son marché comme sain et favorable pour les affaires et partant, de favoriser les échanges avec des entreprises très soucieuses des pratiques RSE de leurs partenaires africains.

IV Les contraintes

a) La mondialisation et la concurrence internationale

La mondialisation et le développement de la concurrence internationale constituent des contraintes majeures pour les entreprises et les Etats. Soucieux de ne pas pénaliser leurs entreprises par des contraintes réglementaires et normatives, les Etats pourraient être enclins à abaisser le niveau des exigences sociales et environnementales. Les entreprises quant à elles, soucieuses de préserver une certaine compétitivité pourraient être peu disposées à être proactivité en matière de RSE. La RSE peut ainsi être perçue comme une contrainte supplémentaire dont l'entreprise se passerait bien.

b) Le développement de barrières non tarifaires au commerce

Diverses barrières non tarifaires (normes sanitaires par exemple) empêchent l'insertion des Etats et des entreprises africaines dans les échanges. Il n'est pas exclu que ceux-ci voient dans la RSE une nouvelle forme de barrière non tarifaire. Ainsi, les entreprises qui s'investissent déjà pour répondre aux contraintes et normes posées par les marchés extérieurs pourraient- elles manquer d'énergie et de moyens supplémentaires à consacrer à la RSE.

c) Difficultés d'accès ou de transfert de technologies

Le boom des technologies propres et les droits qui les accompagnent n'autorisent pas des transferts peu onéreux dans les entreprises des pays en développement qui ne peuvent se payer le luxe de les acquérir.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire