Section III : Les institutions de la
microfinance : tendance et viabilité.
I- Le concept
d'institutionnalisation :
1) la notion
d'institutionnalisation :
Les concepts de financement du développement, comme
toute théorie économique, ont toujours été
fortement imprégnés par les courant de pensé de leur
époque. Ainsi, les premières activités de
microcrédit se situent souvent dans un contexte de
« l'ajustement structurel » dans le cadre duquel le retrait
de l'Etat suscitait la « promotion » de l'activité
prouvée de la part des agences de coopération. C'est dans ce
contexte qu'ont émergé, notamment en Afrique de l'Ouest. De
nombreux projets d'appui aux « microréalisations »
de promotion de l'artisanat ou de développement rural
intégré. Pour renforcer leur caractère promotionnel, ces
projets étaient souvent dotés d'instruments financiers, tels que
des fonds de crédit au service du groupe cible.
Au lieu de cette intervention directe dans le secteur
financier, encor peu de projets favorisaient la coopération avec des
institutions financières formelles ou informelles sur place, ces
dernières faisant souvent défaut. Aujourd'hui, on constate que le
concept de la « promotion financière » d'hier ne
rime pas avec celui de « l'institutionnalisation d'un
projet » de nos jours.
Depuis le milieu des années 90, on est passé du
concept de « financement » à celui de
« développement des institutions financière »
et notamment des institutions de microfinance (IMF) avec un objectif de
pérennité. Ce changement était accompagné par le
développement des approche systémiques en faveur des secteurs
financiers qui mettaient l'accent sur les conditions cadres
(réglementation et supervision des nouvelles institutions
financières). En même temps, on cherchait l'articulation de ces
nouvelles IMF avec le système bancaire classique accentuant ainsi la
complémentarité qui peut exister entre les institutions
financières de taille et de part de marché différentes.
Finalement, le développement de la « microfinance »
était de plus en plus programmé dans le cadre des
stratégies nationales pour le développement de la microfinance
qui ont vu le jour à partir du milieu des années 80, notamment au
Mali, au Burkina-Faso et plus récemment, au Niger.
2) Forme juridique de l'institution :
Le statut juridique permet de déterminer qui a la
propriété de l'institution et qui a le pouvoir de
décision. L'analyse des textes organiques (notamment les statuts) va
permettre d'identifier les différents organes de décision et leur
rôle respectifs.
Une institution de microfinance peut avoir différents
statuts (projet, association/ONG, mutuelle/ coopératives,
société anonyme, institution publique). Le choix du statut sera
déterminant pour le type d'organisation. Pour les modalités de
prise de décision et donc pour la gouvernance de l'institution.
Les statuts principalement rencontrés sont
caractérisés par un niveau de formalisation plus ou moins
important (du projet à la banque, allant du champ du public au
privé, en passant par l'associatif et le coopératif).
- projet : institution non reconnues au stade de la
création et ayant un statut de projet de développement le plus
souvent financé directement ou indirectement par les bailleurs de
fonds.
- association/ONG/ fondation : organisation à but
non lucratif. Ce type d'institution ne peut pas collecter d'épargne.
Dans le cas où la collecte existe, c'est une tolérance en
l'absence de cadre juridique pour la microfinance.
- Mutuelle / coopérative : institution
détenue par les membres qui sont bénéficiaires directs des
services d'épargne et de crédit proposés.
- société anonyme : société
avec une composition du capital très viable selon les situations en
fonction de l'origine des capitaux et de la motivation des investisseurs.
Une analyse des raisons qui ont conduit du statut juridique
peut s'avérer intéressante pour comprendre la démarche et
les contraintes éventuelles de l'institution.
Différents éléments peuvent être
retenus pouvant conduire à un choix :
le niveau de formalisation, l'âge de
l'institution : le statut de projet ou d'ONG est souvent un statut
provisoire en amant de l'institutionnalisation.
les contraintes légales : le choix su montage
institutionnel sera étroitement lié au cadre légal
encadrant ou non la profession. En effet, on distingue les pays ayant un cadre
légal spécifique, pour la microfinance et ceux pour lesquels rien
n'existe. Parmi les pays ayant un cadre légal spécifique, on
distingue ceux pour lesquels le choix reste ouvert entre les différents
statuts (société, coopérative, association...) et ceux
où le choix est très restrictif et imposé par les textes.
Dans les pays n'ayant pas de cadre légal pour la microfinance, tout est
possible pour les institutions, toutefois il est important de vérifier
lors du montage l'acceptation par les autorités de tutelle potentielles
afin d'éviter les problèmes de mise en conformité lors de
l'introduction d'une régulation pour le secteur.
le niveau de structuration sociale : la cohésion
du groupe notamment des bénéficiaires va orienter vers une
structure plutôt de type coopérative avec une large base sociale
si ces derniers ont participé directement à la mie en place de
l'institution.
la structure de financement : selon les sources de
revenus, la possibilité ou non de collecter l'épargne ou au
contraire la nécessité de faire appel à des investisseurs
extérieurs va influencer le choix entre un statut de type
coopératif ou plutôt une société.
le rôle de l'Etat : En fonction du rôle
joué par l'Etat et sa place dans le capital on s'orientera plutôt
vers une structure de type privée ou publique. Le statut associatif peut
également être un moyen pour l'Etat de garder un certain
contrôle sur les ressources mises à disposition des
institutions.
II- le concept de viabilité
sociale :
1. La problématique de la
pérennité des institutions de microfinance :
Si au départ, le crédit était
considéré comme moyen d'atteindre d'autres objectifs(lutte contre
la pauvreté, promotion des activités féminines...)
,l'évolution de ces dernières années a conduit à
réfléchir en terme de services financiers et de création
d'institutions financières pérennes. Les besoins des services
financiers étant structurels ou permanents, ils ne peuvent être
réglés par des interventions temporaires ou de projets. Pour
arriver à une telle institutionnalisation, la priorité a
été mise d'abord sur deux points :
- arriver à l'équilibre financier (ou
viabilité financière).
- donner un statut juridique aux IMF et faire rentrer ces
institutions dans la surveillance bancaire (Ministère des finances,
Banque Centrale). Mais on s'aperçoit de plus en plus, notamment avec les
crises récentes de certains réseaux, que ces
éléments très importants sont insuffisants.
Par exemple, les causes des impayés ne sont pas
seulement financières ou économiques mais peuvent venir de la
volonté de certains de ne pas rembourser. Il y a donc interaction entre
divers éléments et nécessité de prendre en compte
de nouveaux facteurs (par exemple la perception de l'IMF et de l'origine de ses
fonds par les emprunteurs, leur confiance vis-à-vis des élus et
des agents...).
2. La viabilité sociale :
Plusieurs acteurs sociaux sont concernés, directement
ou indirectement par les IMF ; au niveau local, les emprunteurs et les
épargnants, les élus, l'agent de crédit et le
gérant, ceux qui n'ont pas accès aux services (volontairement ou
involontairement). Les démissionnaires mais aussi les usuriers, les
grands commerçants, les autorités religieuses, coutumières
et politiques, à d'autres niveaux les différents types de cadres
nationaux de l'IMF (selon leurs degré de responsabilité, leur
ancienneté, leur niveau d'éducation), l'Etat, les bailleurs de
fonds, éventuellement l'opérateur/assistant technique.
Chaque acteur a ses intérêts (par exemple
accéder au crédit pour les membres/client ou avoir une
sécurité d'emploi pour le salarié/et ses normes (ou
système de références ou de valeurs). Par exemple l'agent
de crédit et l'emprunteur ont des visions différentes sur la
nécessité de rembourser le jour de l'échéance, sur
le type de garanties et notamment sur les groupes de solidarité, sur les
pénalités à appliquer, sur le type de sociétaires
(faut-il par exemple intégrer les fonctionnaires et les gros
commerçants ?), sur le niveau des taux d'intérêt, sur
le niveau de rémunération et des indemnités...
Il y a viabilité sociale si on arrive à des
compromis, des comptabilités, des accords d'intérêt et des
normes entre les différents acteurs. Autrement dit s'il n'y a pas un
véritable accord, une intériorisation des règles, on
constate une application ou une détournement de celle-ci, une
réinterprétation officieuse, ce qui débouche souvent sur
des crises.
On peut parler de viabilité sociale interne quand ces
compromis/accords concernant les acteurs directement concernés (les
emprunteurs, les élus, les cadres, les actionnaires) et de
viabilité sociale externe lorsque l'IMF n'est plus
considérée comme un corps étranger venant de
l'extérieur mais devient une véritable institution locale au
service de la population et des autorités coutumières,
religieuses ou politiques.
Pour analyser la viabilité sociale, il faut donc
identifier les différents acteurs sociaux ; comprendre leurs
intérêts, leurs logiques, leurs stratégies, voir comment
peuvent s'établir des comptabilités (par l'information, la
formation, le débat, les décisions conjointes, les
co-évaluation) ; observer les divers dysfonctionnements (par
exemple impayés, détournement, démissions) et les
crises.
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