REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE
Union-Discipline-Travail
MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR
ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
ANNEE UNIVERSITAIRE
2006-2007
UFR SCIENCES DE L'HOMME
ET DE LA SOCIETE
DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
THEME
LES CONDITIONS DE VIE DES PERSONNES AGEES
EN
COTE D'IVOIRE :
REGARD SUR LA MALTRAITANCE
A ADJAME VILLAGE
Sous la direction de :
Professeur DEDY Séri
Maître de recherches
Assisté de :
Dr DAYORO Arnaud Kevin
Assistant
Présenté Par :
TANOH Ahou Clémentine épse SAY
Maître es Sciences Sociales
Tu te lèveras devant les cheveux blancs, et tu
honoreras la personne du vieillard. Tu craindras ton Dieu, Je suis
l'Eternel.
LEVITIQUE
19 : 32
SOMMAIRE
AVANT PROPOS ET
REMERCIEMENTS.......................................................
5
PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE ET
METHODOLOGIQUE..............7
Chapitre I : CADRE
THEORIQUE...................................................................8
I.1 Introduction générale : position du
problème......................................................8
I.2. Revue
documentaire.................................................................................18
I.3. Objectifs de
l'étude..................................................................................
40
I.4.
Thèse....................................................................................................40
I.5. Hypothèses de
recherche............................................................................41
I.6. Approche
conceptuelle...............................................................................41
Chapitre II : CADRE
METHODOLOGIQUE.....................................................46
II.1 Délimitation du champ
d'étude....................................................................46
II.2 Méthode d'analyse : la méthode
dialectique.....................................................46
II.3 Techniques de collecte des
données.................................................................49
II.4 Le
dépouillement.....................................................................................54
II.5 Les difficultés
rencontrées..........................................................................54
DEUXIEME PARTIE : PRESENTATION DU CADRE DE
L'ETUDE....................56
Chapitre I : SITUATION GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET
DEMOGRAPHIQUE...................................................................57
I.1 Situation
géographique...............................................................................57
I.2 Historique du peuple
tchaman......................................................................57
I.3
Adjamé-village........................................................................................58
I.4 La population
d'Adjamé-village.........................................................................................59
I.5 Les infrastructures
d'Adjamé-village..............................................................60
I .6 Activités
économiques...............................................................................61
Chapitre II : ORGANISATION SOCIALE ET SYSTEME
POLITIQUE
TRADITIONNEL....................................................62
II.1 Le système de
parenté...............................................................................62
II.2 Les générations ou
Abêposa........................................................................62
II.3 Les classes d'âge ou
apasa.........................................................................63
TROISIEME PARTIE : LOGIQUES SOCIALES ET FORMES DE
MALTRAITANCE
DES PERSONNES AGEES..............67
Chapitre I : LES AINES SOCIAUX D'ADJAME
VILLAGE................................68
I.1 Genre et situation matrimoniale
....................................................................68
I.2 Genre et religion
....................................................................................69
I.3 Genre et groupe d'âge
..............................................................................70
I.4 Genre et niveau
d'instruction.......................................................................71
I.5 Genre et catégorie
socioprofessionnelle..........................................................72
I.6 Alimentation
.........................................................................................73
I.7 Etat
sanitaire..........................................................................................75
I.8 Logements et cadre de vie
...........................................................................76
Chapitre II LA VIE COMMUNAUTAIRE DES PERSONNES
AGEES D'ADJAME-VILLAGE
...............................................77
II.1 Personnes âgées
d'Adjamé-village : les laissées pour compte
...................................77
II.2 Place et rôle des personnes âgées
à Adjamé-village ...........................................79
II.3 Personnes âgées et jeunes
générations
.................................................83
Chapitre III : LA DEPENDANCE DES PERSONNES AGEES DE
LEURS FAMILLES ET LES FORMES DE
MALTRAITANCE...........93
III.1 Dépendance des personnes âgées de
leurs familles...........................................93
III.2 Formes de maltraitance des personnes âgées
................................................101
III.3 Réactions des personnes âgées face
aux maltraitances......................................106
Chapitre IV : LA DIALECTIQUE DES REPRESENTATIONS
SOCIALES DES PERSONNES
AGEES.......................................108
IV.1 Les personnes âgées, objets d'honneur
à Adjamé-village...................................108
IV.2 Les personnes âgées, objets de tous les
maux................................................110
IV.3 La question des hospices de
vieillards.........................................................112
CONCLUSION
GENERALE.......................................................................114
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................117
ANNEXES...............................................................................................124
Table des
matières.................................................................
... 140
AVANT PROPOS ET REMERCIEMENTS
Dans la famille, comme dans la société, l'on a
toujours considéré comme êtres vulnérables les
femmes et les enfants. Les personnes âgées le sont autant. Elles
sont aussi violentées d'une manière ou d'une autre, et parfois
rejetées hors de leurs familles comme ce vieillard de plus de 80 ans,
que des inconnus ont abandonné dans une touffe d'herbes, pendant la
nuit du lundi 19 juin 2006, à Adjamé
Fraternité-matin.
C'est pour étudier un tel phénomène que
cette recherche a vu le jour. Elle se situe dans le cadre de notre
Diplôme d'Etudes Approfondies en sociologie. Ce travail est une
contribution aux recherches sociologiques et anthropologiques sur les personnes
âgées, dirigées par le Professeur DEDY Séri de
l'Université de Cocody. C'est le lieu d'adresser nos s'incères
remerciements à notre cher Maître, le Professeur DEDY, pour avoir
bien voulu accepter de diriger les travaux de ce mémoire. Qu'il trouve
ici, l'expression de notre profonde gratitude.
Également, nous voudrions exprimer toute notre
gratitude à toutes les personnes auprès desquelles, nous avons
trouvé compréhension, disponibilité et encouragements
nécessaires pour réaliser ce travail. Ces remerciements vont
à l'endroit de (s) :
Ø Monsieur DAYORO Arnaud Kévin, doctorant en
sociologie, pour son apport très notable dans la réalisation de
ce travail
Ø Autorités administratives, politiques et des
personnes morales ou physiques sollicitées.
Ø Nanan GBANDA Nathanaël, doyen d'âge
d'Adjamé-village, par qui nous avons reçu l'autorisation de mener
l'enquête.
Ø Le chef du village et ses notables, en particulier,
monsieur LOBA Yapo Emmanuel, secrétaire général de la
chefferie du village ébrié d'Adjamé, pour nous avoir
facilité l'enquête sur le terrain.
Ø Monsieur SAGOU Pierre, l'interprète qui nous a
été d'une très grande utilité.
Ø Messieurs TRA Fulbert et KACOU Fato, doctorants en
sociologie, pour leurs concours très appréciables dans la
réalisation de ce travail.
Ø Monsieur GNABRO Etienne, notre frère en
christ, pour son apport informatique à l'accomplissement de ce
travail.
Ø Notre époux, Monsieur SAY ATTOBRA
François. Nous tenons à le remercier pour son soutien spirituel,
matériel et financier, sans lequel nous n'aurions pu réaliser ce
travail.
PREMIERE PARTIE :
CADRE THEORIQUE ET
METHODOLOGIQUE
Chapitre I : CADRE THEORIQUE
I.1 Introduction générale : Position du
problème
Les personnes âgées, détentrices des
valeurs culturelles, occupent une place de choix, dans la société
traditionnelle africaine. Elles sont les dépositaires de tous
les us et coutumes et font figure d'autorité morale et de sagesse
en ce sens que, la culture traditionnelle africaine repose essentiellement sur
l'expression orale. Possesseurs de capitaux, de savoir, de savoir être,
de savoir-faire, elles ont été des références, dans
le règlement des conflits, dans l'application des règles et des
sanctions ; d'où leur utilité sociale et culturelle. Cette
utilité s'observe dans plusieurs sociétés et ceci
à différents niveaux.
Chez les Guéré1(*) de Côte d'Ivoire par exemple,
Le statut de gnon-gboo (l'homme le plus vieux), peut
entraîner la fonction de chef de village.
Dans cette société, les aînés
sociaux possédaient plusieurs fondements de l'autorité :
l'âge, la sagesse, la richesse, la capacité d'intervention en
matière de sacré. Par ailleurs, lors de la
cérémonie de la détermination du nom d'un
nouveau-né, les " vieilles femmes " du lignage, sont
sollicitées pour identifier l'ancêtre incarné dans ce
bébé. Il en est de même pour le choix du conjoint qui est
précédé d'une étude minutieuse des
aînés sociaux. En ce qui concerne la dot, seuls les biens
rares qui donnaient une vraie valeur à la prestation matrimoniale,
étaient fournis par les aînés sociaux (dans la mesure
où n'étant pas à la portée de tous).
Chez certains peuples Akan, la cérémonie
d'initiation des premières menstrues des jeunes filles, est l'affaire
des femmes âgées ménopausées.
En outre, devant certains problèmes de santé ou
face à la mort, l'on a souvent recours à l'aide des personnes
âgées quand la relation entre la maladie et le
mécontentement d'un parent ou d'une personne âgée est
établie.
Au total, dans la société ivoirienne, les
personnes âgées jouent un rôle assez
prépondérant. Elles sont très souvent sollicitées
pour participer à la vie de la nation à travers des
réunions d'ordre administratif et politique où elles se
retrouvent dans des groupements sociaux, notamment les chefferies
traditionnelles. Elles assurent le rôle de conseillers dans certaines
instances de décision de leur communauté traditionnelle et se
chargent du règlement des conflits et litiges dans leurs
localités.
Dans ce contexte, le vieillard était non seulement
vénéré de tous, mais aussi, l'objet d'attention
particulière, à cause de son âge et de son savoir.
Cependant, avec l'occidentalisation de la
société ivoirienne par le biais de la colonisation, la famille de
type nucléaire (le père, la mère et les enfants) tend
à se substituer à celle de type élargi (le père, la
mère, les ascendants, les descendants, les collatéraux). Dans ce
cas, les personnes âgées ressentent une rupture entre elles et les
autres membres de la famille : c'est le déclin de la cellule
familiale.
Toutefois, même si on parle de déstructuration de
la cellule familiale, il y a encore un reste dans le subconscient, cette
relation entre la qualité du devenir sociale et le respect des
aînés sociaux. Qu'on le veuille ou pas, bien qu'on soit
engagé dans ce processus de changement social, dans cette transition
politique
(gestion des pouvoirs), économique (partage des
ressources, logiques d'appropriation et de redistribution des biens),
culturelle (tendance à nier les valeurs traditionnelles ou appropriation
des valeurs culturelles occidentales) et sociale (absence de politique de
valorisation des personnes âgées), l'utilité sociale et
culturelle des personnes âgées ne souffre d'aucune contestation.
A cette utilité sociale et culturelle, s'ajoute le
poids démographique des personnes âgées. En effet, au
recensement général2(*) de la population de 1975 (RGP- 75), l'on a
dénombré 233 754 personnes âgées dont 124 918 hommes
et 108 827 femmes. La sous-population des personnes âgées
représente 3,5% de la population totale recensée et s'est
retrouvée essentiellement en zone rurale (85,5%).
Le recensement général de la population et de
l'habitat de 1988 (RGPH- 88) a permis de relever une augmentation de l'effectif
des personnes âgées. Ainsi, 370 234 habitants (197 203 hommes et
173 031 femmes) âgés de 60 ans ou plus, ont été
enregistrés. Cette situation équivaut à un accroissement
relatif du nombre de personnes âgées d'environ 58,4%, par rapport
au résultat obtenu en 1975. Cet accroissement de la population des
personnes âgées est observé tant chez les hommes que chez
les femmes dans les mêmes proportions. 81% des personnes
âgées de 60 ans ou plus résident dans les zones rurales.
La dernière opération de recensement
démographique de 1998, a permis de dénombrer 604 934 personnes
âgées de 60 ans ou plus (317 336 hommes et 287 598 femmes). Cet
effectif représente un poids démographique de 3,9%,
légèrement supérieur à celui enregistré aux
précédents recensements, soit 4% de la population totale
évaluée à 15 366 672 habitants.
En 23 ans (de 1975 à 1998), soit en l'espace de deux
décennies environ, le nombre des personnes âgées en
Côte d'Ivoire est multiplié par au moins 2,5 tant chez les hommes
que chez les femmes. Le taux d'accroissement annuel moyen est de 5% :c'est
un rythme très accéléré. Cette sous population des
personnes âgées reste toujours majoritairement rurale avec 72,2%.
Cependant, la tendance est à l'augmentation de la proportion des
personnes âgées vivant dans la zone urbaine soit 27,8% de cette
sous-population, avec plus du tiers dans la ville d'Abidjan, comparativement en
1988 où ce taux était de 19%.
Aussi, toutes les régions de la Côte d'Ivoire
sont-elles touchées par le vieillissement de la population. La
répartition de la population âgée de 60 ans ou plus varie
d'une région à une autre.
Dans la Vallée du Bandama, par exemple, au sein de la
population totale de 1 080 509 habitants, on compte 65 819 personnes
âgées de 60 ans ou plus. Quant à la région des
Lagunes qui inclut Adjamé-village, l'on dénombre 88 346
personnes âgées sur une population totale de 3 733 413
habitants. La région du Fromager enregistre 26 785 personnes
âgées sur une population de 542 992 habitants. La
région des Savanes en comporte 46 591 sur une population de
929 673 habitants. De façon générale, on observe une
concentration des personnes âgées de 60 ans ou plus dans les
régions des lagunes (14,6%) et de la vallée du Bandama
(10,9%).
Ces données montrent la dynamique du nombre des
personnes âgées en Côte d'Ivoire et du coup, posent son
impact sur l'organisation des systèmes sociaux. Ceci implique des
inquiétudes ou des réflexions pour des actions à court,
moyen et long terme, sur l'enjeu d'une société de tous les
âges. Au regard de cette dynamique, des interrogations sont
suscitées et partant, des défis à relever au plan social,
culturel, économique, politique et sanitaire, à l'égard
des personnes âgées en Côte d'Ivoire. En effet, elles
constituent un groupe social qu'il va falloir intégrer aux
préoccupations nationales, régionales, locales, communautaires,
et familiales. Mais qu'est ce qui est donné de constater par rapport
à ce qui devrait être fait, au regard des défis qu'impose
la dynamique du nombre des personnes âgées ?
En Côte d'Ivoire3(*), certes, la nouvelle constitution adoptée,
prévoit en son article 6, la protection de la personne
âgée. Aussi, une Assurance Maladie Universelle (AMU) a-t-elle
été initiée par le gouvernement de la deuxième
République. Toutefois, il n'existe en ce jour, aucune institution de
prise en charge des personnes âgées, tant sur le plan social que
sur le plan sanitaire.
De ce qui précède, les conditions de vie des
personnes âgées peuvent s'apprécier au niveau de l'habitat,
de la santé, de l'économie et de la famille.
Au niveau de l'habitat, les personnes âgées en
Côte d'Ivoire n'habitent pas des maisons de type particulier,
spécialement conçues pour répondre aux exigences de leur
état physiologique dépérissant. Elles vivent plutôt
dans des logements de type ordinaire.
Selon l'Institut National de la Statistique, dans le milieu
urbain, les chefs de ménage âgés vivent en majorité
dans les maisons simples (45%). A Abidjan, les personnes âgées,
chefs de ménage, habitent beaucoup plus les maisons de type concession
(34,7%) et en bande (22,3%) que les autres types de construction. La
prépondérance de ces deux types de logement dans lesquels vivent
les personnes âgées, s'explique par le coût relativement bas
de ceux-ci.
Si les personnes âgées, chefs de ménage,
sont en majorité propriétaires (84%) des maisons qu'elles
habitent, il en existe qui sont toujours en location simple (7,3%).
Au niveau sanitaire, notons que l'organisme vieillissant n'a
plus à sa disposition ses réserves. Il ne peut plus faire face
aux efforts physiques, ce qui conduit inéluctablement à une
baisse des activités.
A cela, il faut ajouter le problème de la faim chez ces
personnes. En effet, lors des préparatifs de la deuxième
assemblée de l'Organisation des Nations Unies sur le
vieillissement4(*) , une
étude a relevé que les personnes âgées vivant dans
les pays en développement (y compris la Côte d'Ivoire),
rapportaient que la nourriture est leur " besoin urgent ".
L'organisme déjà affecté par la
vieillesse et la faim, devient si fragile qu'il ne peut lutter contre les
différentes pathologies qui l'assaillent. Ainsi, les personnes
âgées sont constamment sujettes à divers problèmes
de santé5(*) parmi
lesquelles, la maladie mentale (démence et délire,
dépression, psychose, maladie d'Alzheimer et/ou de Parkinson...),
l'incontinence (incontinence urinaire, incontinence fécale) ; les
maladies cardio-vasculaires et cérébrales dues pour la plupart
à l'hypertension artérielle (avec pour conséquences
directes, l'hémiplégie). A ces maladies, s'ajoutent le
diabète, le cancer, le rhumatisme et les maladies broncho pulmonaires
avec une gêne respiratoire, qui sont les principales affections
chroniques responsables de la mort des personnes âgées.
En outre, la pandémie du VIH/SIDA6(*) a de grandes incidences sur ces
personnes, même si les premières victimes sont essentiellement les
jeunes et les adultes.
Les handicapés physiques représentent 15,6% des
personnes âgées. La cécité est le handicap le plus
courant avec 30,1%. A cela, il faut ajouter les nombreux cas de surdité,
voire de mutité, qui font d'elles des personnes invalides.
Aussi, faut-il noter qu'au niveau national7(*), les ménages
dirigés par les personnes âgées qui sont exposés aux
diverses maladies liées à l'impureté des eaux,
représentent un sixième de la population des personnes
âgées chefs de ménage. Cette proportion assez importante de
ménages dirigés par les personnes âgées de 60 ans ou
plus qui s'approvisionnent en eau dont la source ne garantit pas suffisamment
la qualité, est certainement due au faible moyen dont elles disposent,
mais surtout à l'insuffisance d'infrastructures, notamment des
adductions d'eau et pompes villageoises dans le milieu rural.
Résoudre ces problèmes de santé, exige
implicitement, une prise en charge médio sociale des vieilles personnes
eu égard à leur pouvoir économique qui s'est
amenuisé considérablement. Or la Côte d'Ivoire ne dispose
pas de spécialistes en matière de médecine des personnes
âgées.
L'absence donc de gériatrie conditionne ces
dernières à une vie précaire, voire dangereuse, et
pourtant, la Côte d'Ivoire regorge de nombreux spécialistes, dans
le domaine de la pédiatrie (la médecine de l'enfant) et de la
gynécologie (la médecine de la femme). L'on comprend
aisément les décès de plus en plus précoces parmi
les personnes âgées.
Au niveau économique, à la
retraite, le fonctionnaire touchera jusqu'à sa mort (qui peut survenir
très longtemps après) environ 80%, voire 100% de son salaire,
s'il est père d'une nombreuse famille. Par contre, le retraité du
secteur privé, ne percevra qu'entre 35 et 45% de son salaire
initial.8(*)
Par ailleurs les veuves ne bénéficient que de la
moitié de la pension due au mari défunt. Et lorsque la femme qui
percevait la pension de retraite décède, le mari veuf ne
perçoit rien de celle-ci.
En outre, la pension de retraite est assujettie à
l'impôt général sur les revenus (IGR), à
l'impôt sur les salaires (IS), à la cotisation nationale, etc.
Ainsi, une pension d'un montant de 100 000 Francs CFA subirait près
de 10 000 Frs de ponction, soit environ 10%, contrairement à la
pension qui est exemptée de taxe et d'impôt au Burkina Faso.
la pension n'augmente pas mais on continue de
prélever des impôts tels que l'IGR et l'IS. Les démarches
pour en obtenir la suppression sont restées vaines.
Selon Ezalé9(*),
A cela il faut ajouter les nombreux efforts que le
retraité ivoirien doit fournir pour entrer en possession de sa pension,
en dépit, parfois d'un état de santé précaire.
Pour les autres catégories de travailleurs, notamment
ceux exerçant pour leur propre compte, qui constituent la
majorité des cas, la pension de retraite n'existe pas. L'âge
formalisé de départ à la retraite est presque inexistant
et la plupart d'entre eux continuent de travailler aussi longtemps qu'il en
sont capables. C'est ceux-ci qui exercent dans leur majorité, des
travaux dégradants pour leur âge, travaux qui exigent de fournir
des efforts physiques intenses, tels que l'agriculture, la maçonnerie,
la menuiserie, la précollecte des ordures ménagères. Ils
vivent donc dans une situation de précarité et pour survivre,
quelques-uns se livrent à la mendicité.
Au niveau familial, les personnes âgées
en Côte d'Ivoire habitent des ménages de type ordinaire classique.
A l'image des ménages traditionnels africains, l'on y retrouve le
responsable et l'ensemble des autres membres, notamment les conjoints, les
enfants, les parents consanguins et autres, sans lien de
parenté.
Les personnes âgées vivent dans des
ménages ordinaires dont elles assurent la charge, malgré leur
moyen d'existence parfois très faible.
La population des personnes âgées de 60 ans ou
plus, vivant dans leur propre ménage se chiffre à 415 563
individus10(*). Cette
sous-population composée de chefs de ménage et de leurs
épouses, équivaut à 68,7 % de l'ensemble des personnes
âgées en Côte d'Ivoire. Les chefs de ménages sont
très fortement représentés avec 82,8% de l'effectif.
En dehors des personnes âgées, chefs de
ménages, il existe une autre catégorie dite "personnes
dépendantes" dont le nombre était de 189 371
(47 246 hommes et 142 125 femmes) en 1998, en Côte d'Ivoire.
Cette sous-population représente 31,3% des personnes de grand
âge.
La très grande majorité d'entre elles sont
accueillies par leurs parents (enfants, soeurs, frères, neveu ou
nièces).
Dans les deux cas de figure, n'est-ce pas une forme de
maltraitance que les personnes âgées soient à ce
niveau ? Comment l'Afrique traditionnelle, la Côte d'Ivoire dont le
système d'organisation sociale a intégré la valorisation
des personnes âgées dans la socialisation des
générations, soient arrivées aujourd'hui à un tel
niveau ? En effet, les personnes âgées chefs de
ménage, peuvent être sujettes à la maltraitance quand elles
n'arrivent pas à pourvoir aux besoins de ceux qu'elles ont à
charge, compte tenu des difficultés économiques qu'elles
rencontrent (revenus insuffisants). Aussi, celles qui vivent au dépend
de leurs familles, sont-elles prédisposées à la
maltraitance dans la mesure où par épuisement (moral, physique,
financier), les aidants peuvent réagir avec agressivité face aux
diverses sollicitations des " aidées ".
En somme, le développement, le changement social
constaté en Côte d'Ivoire, a contribué à
désacraliser les personnes âgées au point qu'elles ne
constituent plus le centre d'intérêt des communautés, des
groupes de famille. Elles sont désacralisées de sorte que l'on
voit de plus en plus en elles des " mangeurs d'âme ", des
sorcières. Ce fait divers paru dans certains journaux en Côte
d'Ivoire, dont L'Inter sous le titre « Un sorcier tombe du haut
d'un arbre »11(*), confirme la maltraitance à laquelle les
personnes âgées sont de nos jours sujettes :
Un vieillard de 76 ans découvert vers 4 heures 30
du matin, non loin de l'Hémicycle, a manqué d'être
lynché par une foule révoltée contre lui. Ce
septuagénaire qui devrait susciter pitié (vu son état), a
déclenché la colère de la rue lorsqu'il a
révélé être un sorcier surpris par le jour.
Il a été sauvé de justesse d'un lynchage certain par
des éléments du CeCOS12.
Des témoins disent avoir vu une chauve-souris au
pied de l'arbre. Et c'est lorsqu'ils ont voulu en savoir davantage que celle-ci
a commencé à faire sa mue pour devenir un homme sous leurs yeux.
Les élèves du Cours Secondaire Protestant du Plateau (CSP)
soutenaient, pour leur part, qu'ils ont surpris ce vieillard entrain de se
métamorphoser (d'une chauve-souris à un homme) et de l'avoir
entendu avouer être un sorcier venu du village spécialement pour
tuer sa fille, son unique. »
N'est-ce pas là une humiliation, voire une maltraitance
psychologique, pour ce vieillard de 76 ans qui arrive à peine à
se tenir sur les pieds, que de se voir à la une de la presse nationale
audiovisuelle et écrite, pour cause de sorcellerie ?
Choyées hier dans un contexte social plus
adapté, les personnes âgées sont engagées de plus en
plus, de la sorte, dans un processus de réponses, de stratégies
quotidiennes contre les contraintes symboliques, économiques,
politiques, sociales culturelles et sanitaires. Ce constat s'observe surtout
dans les zones urbanisées où émergent de nouvelles
logiques d'appartenance culturelle, de solidarité ethnique ou familiale,
de production, d'appropriation et de distribution des biens. Comment la
situation se présente dans les zones engagées, certes dans un
processus de changement social mais qui conservent encore des
particularités culturelles traditionnelles telle que
Adjamé-village ? Quelles sont les logiques et les formes de
maltraitances des personnes âgées vivant dans cet espace
social ? Cette interrogation se justifie dans la mesure où la
population ébrié d'Adjamé-village est de 195012(*) habitants avec 123 personnes
âgées de 60 ans ou plus. Ce qui fait un poids démographique
de 6,30% de cette population. Ce pourcentage est supérieur, avec un
écart de 2.3, à celui des personnes âgées au niveau
national, qui est de 4%.
Une autre justification tient au fait qu'Adjamé-village
est engagé comme tous les villages du District d'Abidjan, entre
l'urbanisation imposée et la reproduction de l'identité
culturelle. Dans un tel contexte, les questions qui orienteront notre
étude se présentent comme suit : comment
les populations d'Adjamé-village construisent la maltraitance des
personnes âgées ? Quelles sont les représentations
sociales des personnes âgées ? Quelles sont les formes de
maltraitance des personnes âgées ? Quel est le niveau
d'intégration des personnes âgées en termes de
participation sociale et d'utilité sociale ?
C'est à cette série de questions que nous
tenterons de répondre, par notre enquête de terrain, après
une consultation documentaire relative à notre sujet de recherche.
I.2. Revue documentaire
De nombreux auteurs ont déjà traité la
question des problèmes se rapportant aux conditions de vie et à
la maltraitance des personnes âgées, sous divers angles. Nous
allons nous atteler à faire le point de ces écrits suivant une
approche thématique. Quelques thèmes s'y rapportant vont
être abordés : les théories psychosociologiques du
vieillissement, la place et le rôle des personnes âgées, les
conditions de vie des personnes âgées, la maltraitance des
personnes âgées, la réaction des personnes
âgées aux comportements maltraitants et la vieillesse
rayonnante.
I.2.1 Les théories psychosociologiques du
vieillissement
Il s'agit des théories de l'activité, du
désengagement, de la continuité et du vieillissement du point de
vue social.
Ces théories ramènent aux interactions de
l'individu avec la société. La psychologie sociale permet
d'étudier ces interactions à travers de multiples variables, tels
que la solitude, la retraite, le niveau de vie et les activités. Le but
de ces théories de la psychologie sociale du vieillissement, est
d'élaborer des modèles susceptibles d'expliquer ou de
prévoir les échanges entre l'individu et la société
au cours du vieillissement.
La première théorie est celle de
l'activité. Cette théorie a été initiée en
1953 par les chercheurs anglo-saxons R. J. Havighurst et M. Albrecht13(*). Son postulat de base est le
suivant : il existe un lien significatif chez les personnes
âgées entre les investissements sociaux ou relationnels et leur
niveau de satisfaction devant la vie. En d'autres termes, la personne qui
s'adapte le mieux à sa vieillesse est celle qui réussit à
se maintenir active le plus longtemps possible et cherche à remplacer
d'une manière ou d'une autre, des amis ou des personnes aimées,
éloignées ou disparues. Cette théorie montre que c'est
moins l'aspect quantitatif des activités ou des rôles, qui est
important que les retombées positives des interactions qu'elles
engendrent.
Malgré certains appuis empiriques, cette théorie
comporte quelques lacunes : elle ne s'applique qu'aux " jeunes
vieux " disposant d'un revenu correct. Elle ne concerne pas les "
vieux-vieux " et les économiquement faibles. En outre, elle ne
permet pas d'expliquer pourquoi il existe des groupes de personnes au niveau
d'activité élevé et moral faible, et des personnes au
niveau d'activité faible et au moral élevé. En
vérité, cette théorie n'est cohérente que pour la
population âgée la moins concernée par la vieillesse.
La seconde qui est la théorie du désengagement,
est élaborée par des chercheurs de l'Université de
Chicago. Elle part du principe qu'il y a un désengagement
réciproque de l'individu et de la société. Suivant cette
théorie, le vieillissement normal est caractérisé par une
diminution des interactions entre l'individu vieillissant et le réseau
social auquel il appartient. L'individu s'intéresse moins à la
société (on ne lui demande pas de jouer un rôle
précis). Ce désengagement nécessite l'intervention de
variables psychologiques et sociologiques.
Le désengagement psychologique est
caractérisé par un désengagement émotionnel de la
personne envers les individus, des objets et envers son environnement,
contingent d'une augmentation de la préoccupation de soi.
Le désengagement social résulterait d'une
diminution des interactions entre la personne et son réseau social.
L'une des critiques que suscite cette théorie est qu'elle ne semble
valide que pour une fraction de personnes très âgées (80
ans et plus.)
Malgré les critiques, la théorie du
désengagement a le mérite de montrer que les individus soumis au
processus du vieillissement peuvent mettre en place des
phénomènes d'adaptation différents de ceux de l'adulte
actif. En d'autres termes, il est possible de rester heureux en vieillissant
sans pour autant avoir accès à toutes les activités qui
motivent les gens plus jeunes. Etre vieux ne veut pas forcement dire ne plus
être jeune.
La troisième est la théorie de la
continuité. Au lieu de voir la vieillesse comme une période
à part, en fonction des rôles qu'un individu peut ou ne peut plus
accomplir, cette théorie explique la vieillesse comme un prolongement de
l'âge adulte. En se servant des compétences et des
expériences du passé, le sujet va s'adapter aux changements du
vieillissement normal. Cette phrase d'Ajuriaguerra, résume cette
théorie : « on vieillit comme on a
vécu »14(*)
Bien qu'il apporte quelques réponses aux faiblesses des
théories du désengagement et de l'activité, ce
modèle présente à son tour certaines limites. Tout
d'abord, il est très difficile d'en vérifier la validité.
Pour s'adapter au vieillissement, l'individu va le plus souvent adopter une
multitude de petites modifications dans son existence, dont il est impossible
d'apprécier le degré de continuité. Par ailleurs, si la
persistance de certains comportements peut être efficace pour les uns,
elle risque d'être totalement dysfonctionnelle pour d'autres.
Malgré ces imperfections, la théorie de la
continuité aura permis de mettre l'accent sur l'incroyable
diversité des façons de vieillir : en indiquant les liens
qui existent entre la jeunesse, la maturité et le vieillissement.
La quatrième théorie est celle du vieillissement
du point de vue social.
Celle-ci va se définir relativement aux rôles
sociaux. Ainsi la retraite pourrait être vécue positivement si
elle est désirée et si du point de vue chronologique, physique
et psychologique, il n'y a pas de décalage relativement à
l'activité ou l'inactivité.
Par contre, s'il y a un décalage, la personne peut se
sentir rejetée et mise hors de la société. De plus,
à un âge souvent supérieur, un autre facteur peut
accroître ce sentiment d'impuissance. Il s'agit du renversement des
dépendances lorsque la personne âgée devient
dépendante de ses enfants ou des plus jeunes, pour des raisons
financières ou de santé.
Cette vision plus ou moins positive ou négative de la
vieillesse est surtout déterminée par le rôle social que
joue la personne âgée.
En définitive, aucune des théories ne rend
compte à elle seule de l'ensemble des phénomènes menant un
organisme jeune au vieillissement et à la mort. Toutes ces
théories ne sont que des hypothèses. Elles partent d'une ou de
plusieurs observations vraies. Elles ne font que décrire à leur
niveau (génétique ou moléculaire, endocrinien ou
immunitaire...) un même phénomène qui est le
vieillissement.
A la suite de cette revue théorique, voyons à
présent quelques analyses empiriques.
I.2.2 Place et rôle des personnes
âgées
Suivant qu'il se trouve en Afrique ou en Occident, le
vieillard a un statut socioculturel différent. Par conséquent,
il joue un rôle spécifique en fonction de l'idée qu'on se
fait de lui.
Louis Vincent Thomas (1989)15(*) à travers des attitudes collectives envers
les vieillards : un problème de civilisation, a fait une
étude comparative du vieillard en Afrique et en occident.
Selon lui, en Afrique, les vieillards sont peu nombreux et peu
coûteux. Ils sont utiles à des travaux spéciaux et à
l'éducation des enfants. Ici, les vieillards sont insérés
dans la famille et le lignage où ils sont traités de sages.
En Occident, les vieillards sont très nombreux et
coûtent chers. Les vieillards sont inutiles socialement et même
encombrants. De ce fait, ils sont rejetés dans les hospices ou restent
solitaires chez eux. Toute chose entraînant une fréquence du
suicide délivrance ou de désespoir.
Si en Afrique, les vieillards meurent dans leurs maisons
maternés et sécurisés par les femmes, en Occident, ils
meurent seuls, le plus souvent à l'hospice ou à
l'hôpital.
La mort du vieillard africain est le couronnement de sa vie.
Son enterrement est plein de sens ; c'est une fête où la
société se renouvelle et qui provoque un grand rassemblement. Son
deuil est ainsi important et il a la possibilité de devenir un
ancêtre.
En Occident au contraire, la mort du vieillard est vide de
sens et met un terme à une fin de vie dérisoire. Son enterrement
est insignifiant, à tonalité affective neutre et sans incidence
pour le groupe, si ce n'est une certaine libération. A contrario de la
mort du vieillard africain, celle de l'Occident est vite oubliée avec un
deuil vite liquidé.
Pour Touré (1984) également qui a fait cette
étude comparative, dans la civilisation africaine, la vieillesse n'est
pas une tare. Contrairement à l'africain, l'occidental redoute la
vieillesse dans la mesure où l'on y devient inutile. Le mot " vieux "
est refusé comme une injure. Des synonymes sont alors trouvés
pour l'atténuer : personnes âgées, troisième
âge. Ici, on n'est plus vieux, on n'est plus âgé, on
appartient seulement à un âge. En Afrique, le mot " vieux " est
accepté comme un honneur. Au sein des structures traditionnelles, les
privilèges tels que le droit d'aînesse, le droit à la
parole et la respectabilité, sont liés à la vieillesse.
Ici, le vieux, c'est l'homme d'expériences, de savoir ; c'est
l'aîné, c'est le doyen, le père, le grand-père.
Alors qu'en Occident il est infantilisé.
Selon ce même auteur, les personnes âgées
jouent quatre rôles principaux dans la société
traditionnelle africaine.
Au plan économique, les personnes âgées
sont chargées de la distribution équitable des terres.
Au plan culturel, elles sont dépositaires de la
tradition orale.
Au plan politique et social, elles jouent le rôle de
conseillers pour l'organisation de cérémonies diverses :
baptême, initiation, mariage et funérailles. Ce sont aussi des
sages à qui on a recours dans le règlement des conflits. Le
rôle politique des vieillards se résume en ceci :
« rien de sérieux ne s'entreprend ni ne se décide
sans leur accord. »
Leur rôle culturel et éducatif est d'assurer
l'éducation et l'enculturation des petits-enfants. Ce sont ainsi des
éducateurs, des conseillers, des médiateurs et des diffuseurs de
la tradition.
De nos jours, avec le renouvellement rapide des techniques et
les besoins toujours accrus de productivité, la personne
âgée est dépassée ; elle n'est plus une
référence, un exemple, contrairement aux sociétés
traditionnelles. Il lui est donné le statut de " vieux " qui a
une connotation péjorative.
Les écrits des ces deux auteurs nous permettent
d'apprécier l'utilité sociale et culturelle des personnes
âgées dans l'Afrique traditionnelle. Ce n'est pas le cas pour
celles des pays européens qui sont perçues comme des "
déchets sociaux " n'ayant aucune participation sociale.
Et c'est pour illustrer cette représentation que la
société occidentale a des vieillards, que Jean- marie
Vetel16(*) écrit
ceci :
En France on n'aime pas les gens qui ont l'air vieux.
Alors qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux, les vieillards font
peur, parce qu'ils nous forcent à nous projeter dans notre propre
vieillissement. Ce qui est demandé aux vieux, c'est de conserver au
maximum les attributs de la jeunesse, la beauté, la santé, la
forme physique.
Quelques fois, la personne âgée peut donner
l'impression de ne pas entendre, de ne plus voir ce qui se passe à
l'extérieur. La société moderne véhicule des images
négatives sur les " vieux " : personnes inutiles,
acariâtres, avares, grincheuses, égocentriques, rigides. Elle
donne aussi une image de mort, surtout pour la personne dépendante.
Cette mort est rejetée ; tout le monde doit être jeune, beau
et en bonne santé.
Les vieillards ne doivent pas manifester de
déchéance, ne doivent pas être trop visibles dans le
paysage social, surtout lorsque leurs corps ne correspondent plus aux normes en
vigueur.
L'anthropologue Bernadette Puijalon, citée par Vetel,
déclare même que :
Les personnes âgées sont
écartées dans des structures ghettos ! On les fait vivre
dans une ambiance de pensionnat, avec une bouffe de pension. !
La société exprime également un refus de
voir des individus vieillir, la mode étant à la jeunesse
éternelle. Le " vieux " est représenté par les
médias en bonne santé (publicité pour eau minérale)
ou utilisant de la crème de soins pour atténuer les effets
physiques du vieillissement. La personne âgée dépendante
n'est que l'ombre d'elle-même, elle est presque honteuse, du fait que le
monde présent lui reproche sa faiblesse, sa marginalité par
rapport aux normes sociales de beauté éternelle.
L'image du vieillard est ambivalente : il y a le
" vieux " respectable, enrichissant, affectueux ; et puis celui
qui est figé, intolérant, vulgaire et agressif.
Les points de vue de ces trois auteurs convergent vers la
même réalité : la représentation qu'on se fait
des personnes âgées, actuellement en Afrique, semble rejoindre,
celle de l'Europe, eu égard au changement social qui s'est
opéré au sein des sociétés africaines. Ceci
explique l'attitude de rejet de la société vis-à-vis des
personnes âgées. C'est cette attitude qui de nos jours, est
entrain de prendre le pas sur les valeurs traditionnelles ; à telle
enseigne qu'en lieu et place du prestige social dont jouissaient les personnes
âgées, il est de plus en plus question de maltraitance.
Amadou Hampaté BÂ (1972) abonde dans le
même sens quand il écrit que le principal responsable de la
destruction des sociétés africaines, est la colonisation qui a
été le tremplin par laquelle l'occident a nié toute la
culture et l'histoire africaine. Pour elle, la seule connaissance valable,
capable d'apporter la " lumière " aux sociétés africaines
dites sauvages, s'acquiert dans les écoles conventionnelles. Celles-ci,
dans le même temps, dépossèdent les vieillards de leur
rôle central qu'est l'éducation. Car comme nous l'apprend
l'auteur :
La connaissance africaine est une connaissance globale,
une connaissance vivante qui se transmettait régulièrement de
génération en génération, par les rites
d'initiation et par les différentes formes d'éducation
traditionnelle. Cette transmission régulière s'est trouvée
interrompue du fait d'une action extérieure, extra africaine :
l'impact de la colonisation (...). Et c'est pourquoi les vieillards qui sont
les derniers dépositaires, peuvent être comparés à
de vastes bibliothèques dont les multiples rayons sont reliés
entre eux par d'invisibles liens qui constituent précisément
cette science de l'invisible authentifiée par les chaînes de
transmission initiatique. La chaîne qui relie la vieille
génération à la jeune génération a
été rompue et de plus en plus, l'on note des conflits entre les
deux. Or, le fonctionnement de la chaîne commandait aux jeunes, le
respect à l'égard des aînés car comme dit le
proverbe africain : c'est l'enfant qui sait laver sa main, qui mange
en compagnie des vieux.
Dans ce contexte, apprécions les écrits sur les
conditions de vie des personnes âgées.
I.2.3 Les conditions de vie des personnes
âgées
Simone de Beauvoir (1970) a effectué une étude
sur les conditions de vie de ceux qu'elle nomme les " vieux " (les
personnes âgées) dans le monde et dans l'histoire.
A travers cette étude, cet auteur pose la question des
relations qui existent entre les adultes, les jeunes gens et l'ancienne
génération.
Pour De Beauvoir, le vieillard est de plus en plus
éloigné des autres membres de la société. Ceci
s'explique par le fait que le vieillard est caractérisé par
une exis, non par une praxis. Le vieux, n'étant
plus en activité, les autres membres actifs de la société
restent indifférents à sa présence. Cette situation est
plus accrue dans le cas des personnes âgées masculines.
L'attitude de l'adulte ou du jeune à l'égard de
son père âgé, se caractérise par le fait qu'il le
manoeuvre. C'est une attitude hypocrite. Au fond, selon De Beauvoir, ce dernier
ne sert à rien. Il est considéré comme un objet
encombrant, inutile. Réciproquement, les filles comme dans la
relation père fils, éprouvent souvent du ressentiment envers
leur mère et leur attitude est analogue à celle des fils avec
leur père. Toujours selon De Beauvoir :
Quand l'adulte n'a pas de lien personnel avec eux, les
vieillards suscitent chez eux un mépris teinté de
dégoût. La relation grand-père, petit- fils se
caractérise par une réciproque affection. Cependant si beaucoup
d'enfants chérissent leurs grands-parents, d'autres ont tendance
à se rire d'eux, de cet " adulte déchu,
affaibli et bizarre.
L'auteur révèle aussi que quand on
s'intéresse aux personnes âgées, c'est dans un but lucratif
à travers les cliniques, les maisons de repos et autres
résidences.
De cette étude de De Beauvoir, une piste de recherche
s'ouvre à nous : Quelle est l'attitude des adultes et des jeunes
à l'égard de l'ancienne génération ?
En Finlande17(*), le Ministère des Affaires sociales et de la
Santé a fait des publications sur les conditions de vie des personnes
âgées. L'un des points abordés, concerne l'habitat et le
cadre de vie.
Parlant de l'habitat et du cadre de vie, les auteurs de ces
publications ont relevé que la très grande majorité des
personnes âgées - soit 86% des plus de 75 ans - vivent dans des
logements ordinaires. Par ailleurs, plus de 50% des femmes de plus de 75 ans
et près d'un quart des hommes du même âge, vivent seuls.
Certes dans les années 1990, beaucoup de logements de personnes
âgées ont été réparés, convenablement
équipés et adaptés. Toutefois, l'absence d'ascenseurs dans
de nombreux immeubles est un grave problème. Les personnes
âgées rencontrent aussi des difficultés quotidiennes dans
les logements qui sont étroits pour celles qui utilisent des fauteuils
roulants et d'autres accessoires dans leurs déplacements. En outre, une
personne âgée sur quatre, estime que les magasins, la poste, la
banque, la pharmacie et/ou les services de santé sont situés trop
loin de chez elle. Toujours dans les années 1990, l'habitation dans un
centre de logements et de services, s'est généralisée plus
rapidement qu'aucune autre forme de services aux personnes âgées,
remplaçant le soin en établissement.
Ces auteurs ont aussi montré que les personnes
âgées soignées dans les établissements sont de moins
en moins nombreuses, car elles y sont placées de manière
prolongée à un âge de plus en plus avancé.
Près de deux tiers des plus de 65 ans, sont domiciliées dans des
villes ou communautés urbaines. Mais à la campagne, la proportion
des retraités est nettement supérieure à celles des
citadins à la retraite.
Ces auteurs ont eu le mérite d'analyser les conditions
de vie des personnes âgées en termes de relation avec leurs
proches parents, d'habitat et de cadre de vie. Ils nous renseignent donc sur
leur situation sociale, dans certains pays européens. Mais ils ne nous
instruisent pas sur la situation psychologique des personnes
âgées, encore moins sur leur situation économique.
Ira Bruno (2006) a également mené une
étude sur les conditions de vie des personnes âgées, sous
le titre : Conditions de vie des personnes âgées et
solidarité sociale et familiale à l'épreuve de la
pauvreté en milieu urbain : le cas de la ville d'Abidjan. Selon
lui, depuis le début des années 1980 que la crise
socioéconomique affecte directement les moyens d'existence des
populations, la catégorie sociale des personnes du troisième
âge, est devenue de plus en plus vulnérable à la
pauvreté.
A cet effet, il montre que le nombre de personnes
âgées vivant en dessous du seuil de pauvreté qui est de 183
358 francs CFA par personne et par an, est de plus en plus croissant . Aussi,
les ménages pauvres dirigés par les personnes âgées
ont-ils augmenté en moins de deux décennies, passant de 11% de la
population en 1985 à 36% en 2002.
Contrairement aux personnes âgées de la Finlande
qui bénéficient des logements sociaux réhabilités
et équipés par l'Etat, celles de la Côte d'Ivoire en
général et d'Abidjan en particulier, sont à 36,99%
locataires des maisons qu'elles habitent et à 6,69% logées par
leurs familles.
C'est donc pour améliorer les conditions de vie de ces
personnes âgées que l'auteur propose à travers son
étude, la solidarité familiale et sociale comme solution.
Toutefois, il reconnaît que dans le contexte actuel de crise
économique et de changement social, l'entraide à l'égard
des personnes âgées devient rare.
Dans un tel contexte, les personnes âgées sont de
plus en plus livrées à elles mêmes et sujettes pour la
plupart, à la maltraitance.
I.2.4 La maltraitance des personnes
âgées
Ecouter et prévenir la maltraitance envers les
personnes âgées est le titre d'un article écrit
par Robert Hugonot et Françoise Busby18(*). A travers cet écrit, ils font une analyse des
maltraitances envers les personnes âgées.
Selon ces auteurs, la maltraitance des personnes
âgées est restée jusqu'à une période
récente, un phénomène méconnu, renié,
ne faisant l'objet d'aucune étude ni, a fortiori, de prévention.
La maltraitance des personnes âgées reste encore assez
secrète et se développe tant en famille qu'en institution.
En famille : les recherches19(*) ont montré que la
violence serait un mode de vie habituel dans 20% des familles, violence contre
tous les êtres faibles de la famille : enfants, femmes, et personnes
âgées. Aussi, plusieurs études ont-elles montré que
les adules maltraitant leurs parents, ont souvent été
eux-mêmes des enfants maltraités. Devenus adultes, les enfants
maltraités silencieux, devant le pouvoir de leurs parents, se
révèlent à leur tour maltraitants, quand avec l'avance en
âge, leurs parents faiblissent physiquement et intellectuellement.
L'on peut à cet effet, citer l'étude de Jill E.
Kurbin, Georgia Anetzberger et Craig Austin20(*). Sous le titre : Cycle
intergénérationnel de violence, dans le cas de maltraitance
d'enfants et de vieillards, ces auteurs ont fait un rapport sur les violences
contre les personnes âgées (23 cas). Les maltraitants, ont tous
dit avoir été victimes de violences, dans leur enfance.
Pour Hugonot (2003), c'est par l'épuisement de la
tolérance que l'on arrive à la violence à l'égard
des personnes âgées. Dans la relation avec les personnes
âgées, il peut arriver que le comportement d'un des deux
partenaires atteigne un tel niveau répétitif ou
démesuré qu'il épuise la tolérance de l'autre. On
peut alors entendre des propos tels que « je n'en pouvais plus,
elle m'a épuisé, alors je l'ai
giflée. ».C'est donc la tolérance qui craque et
l'idée de rejet qui prend naissance.
Dans le couple âgé, poursuit l'auteur, la
violence est le plus souvent liée à un renversement de pouvoir.
Du fait de son affaiblissement intellectuel et de son âge plus
élevé, le conjoint dominateur dépend désormais de
celui qui était auparavant dominé, et qui devient souvent
son soignant principal.
La violence familiale à l'égard des personnes
âgées est souvent liée aux traits du caractère et
aux attitudes et comportements de ces dernières. Selon Hugonot, nous
trouvons dans la littérature de nombreux portraits de vieillards
odieux, tyranniques et provocateurs. Repliés sur leur
" argent ", tel Arpagon, ou naturellement hostiles à
leur environnement familial ou social sur lequel ils rejettent leur refus de
vieillir, de vivre une vie désormais trop longue et seul, incapables de
faire le deuil de leur jeunesse ou d'assumer leur veuvage.
Cela donne par exemple l'image de Tatie Danielle,
personnage ambigu et méchant du film d'Etienne Chatiliez, devenant
incontinente pour maltraiter les siens jusqu'au drame final.
Une autre image que donne l'auteur, est celle de La vieille
dame des rues de Henri Ghein (1994) que Michel Drouin décrit dans sa
préface comme une atroce petite vieille misanthrope, hargneuse,
rancunière et roublarde, douée d'un égoïsme pervers
et sordide .
Ce sont encore les Cahiers déchirés de
Monique Lange, dont le père était décrit par Bernard Pivot
comme coléreux, injurieux, tyrannique et mythomane.
Il est important dans la présente étude,
contrairement aux précédentes, d'indiquer les membres de leurs
familles avec qui les personnes âgées entretiennent des relations
cordiales ou conflictuelles d'une part ; et ceux qui sont
géographiquement proches ou éloignés d'elles, d'autre
part.
En institution : si la
maltraitance en famille est secrète, cachée, et non dite, la
maltraitance en institution, en occident, l'est plus encore parce que ceux qui
y travaillent, opposent leur " esprit de corps " à la
révélation de la vérité.
Ainsi, dans Vieillesse des pauvres, les chemins de
l'hospice, cité par R. Hugonot, Nicolas Benoît Lapierre (1980)
ne parle pas de violence, mais de la contrainte de la règle, de
l'enfermement général derrière les hauts murs de l'asile.
Dans ces institutions, on écoute des personnels qui dénoncent la
rigidité administrative sans qu'il soit jamais question de violence que
certains de ces personnels seraient susceptibles d'exercer.
Les premières études révélant la
maltraitance en institution des personnes âgées remontent au
début des années quatre-vingt. Aux Etats-Unis21(*), en 1983, Almendaris a
découvert une cavalcade de maltraitances en maisons de retraite.
Pillemer, en 1989, parle de découvertes
décourageantes dans ces établissements. Toujours au
Etats-Unis, D.W. Moore, en 1989, publie une maltraitance passive à
l'échelle massive.
Ces auteurs observent que le personnel se comporte de
façon inappropriée, en travaillant dans des conditions
stressantes et difficiles.
En Grande Bretagne22(*), M. Vousden en 1987, parle de personnes
rançonnées (rackettées) dont la mort aurait
été accélérée.
En 1989, P. Horrtosks23(*) fait l'analyse de douze services de long
séjour. Ses conclusions :
Services trop grands, peu accueillants, sans protection de
la vie privée des résidents, résidents trop nombreux, lits
trop proches les uns des autres, mobiliers en mauvais état, pas de tapis
ou moquette, vie privée menacée même quand l'équipe
d'inspection est présente, malade lavé nue à la vue de
tous, nourriture pauvre sans choix, heures trop précoces, absence de
plan de soins, réduction du nombre d'infirmiers, diminution des
interventions de médecins ou soignants
spécialisés. »
L'auteur conclut en disant qu'il s'agit d'une
maltraitance passive à une échelle massive.
A cette longue liste, Hugonot ajoute les meurtres, les
violences sexuelles, la familiarité, le ligotage, la contention
physique, le vol.
Ces recherches relèvent deux catégories de
maltraitance en institution. Dans la première catégorie, la
maltraitance est liée au règlement de l'institution ou à
leur absence, ainsi qu'à la gestion de l'établissement et aux
consignes de la direction.
La seconde catégorie est liée aux attitudes des
personnels et à leurs actes individuels.
Paul Paillat24(*) abonde dans le même sens quand il dit que les
institutions conçues pour apporter la consolation aux personnes
âgées s'avèrent un enfer pour elles. Il décrit
l'hospice comme étant :
Le mélange des valides et des grabataires dans de
vastes salles, la séparation des ménages, l'abandon du mobilier
personnel, la nourriture uniforme et mal conçue, l'insuffisance du
contrôle médical, l'absence de formation du personnel, la
séparation d'avec la vie sociale normale, sont autant d'atteintes au
moral et l'équilibre physique et psychique des vieillards ainsi
hébergés dans des locaux dont l'aspect est souvent sinistre
où l'oisiveté accroît le sentiment d'inutilité. A la
limite du pamphlet, certains ont qualifié de tels hospices d' "
antichambre de la mort ", de " pourrissoirs ".
Ces différents écrits nous permettent de
percevoir l'ampleur des actes de maltraitance que subissent les personnes
âgées dans les pays développés. Ils mettent
également en évidence des logiques sociales qui sou tendent cette
maltraitance : l'épuisement de la tolérance (en famille) et
les conditions difficiles de travail (en institution). C'est en cela que ces
écrits constituent pour nous, un apport très appréciable
dans le cadre de cette étude. Cependant, ces auteurs ne mentionnent pas
la nécessité, voire l'urgence de connaître la psychologie
des vieillards. Méconnaître cette psychologie, c'est faire
obstacle aux aides proposées dans la mesure où les personnes
chargées de s'occuper des aînés sociaux l'ignorent souvent.
Jean Charles Escribano (2007), met également à
nu les conditions de vie humaines et la maltraitance des vieillards dans les
maisons de retraite sensées être solidaires de la misère
des vieillards. Ces maisons apparaissent pour les familles qui viennent y
laisser les vieux parents "encombrants", comme une garderie en attendant que
l'institution annonce leur mort qui est imminente, vu les traitements
inhumains. Pour lui, les personnes âgées, même si elles sont
atteintes de démence (Alzheimer), ont droit au respect et on doit leur
concéder leur dignité humaine. Les maisons de retraite, loin
d'être des mouroirs et des institutions totalitaires, doivent exercer
leur rôle d'aide.
A ces deux types de " programmes " (le vieillard à la
maison et le vieillard en institution), Paul Paillat privilégie celui
qui maintient le vieillard à la maison.
En effet, il recentre le cadre familial comme le milieu de
prédilection de l'épanouissement de l'être humain en
général et en particulier des vieilles personnes. C'est pourquoi,
il dit que :
L'une des règles d'or de la politique de la
vieillesse devrait être de permettre à la personne
âgée " de rester le plus longtemps possible dans son
cadre familier " » car « toutes les
expériences françaises et étrangères, toutes les
enquêtes soulignent la valeur psychologique de l'attachement au foyer,
fût-il misérable. Les médecins constatent une plus grande
rapidité dans la convalescence selon que le malade rentre chez lui ou
reste à l'hôpital.
Mais que faut- il entreprendre concrètement pour
maintenir les vieillards dans le cadre familial ?
A cette interrogation, Paul Paillat répond que le
programme doit viser l'octroi d'une allocation de loyer, d'une aide
ménagère, d'une aide médicale et des services
collectifs.
L'allocation de loyer a pour objectif dans un premier temps de
permettre aux vieillards de payer leur loyer mais plus encore d'abandonner les
logements devenus incommodes pour leur âge. Par exemple des vieilles
personnes qui malgré leur état doivent rejoindre leur maison au
4e étage par l'escalier.
L'aide ménagère est une assistance que les
personnes rémunérées par l'Etat apportent à
domicile à des personnes âgées ; c'est un service
domestique.
L'aide médicale consiste à un service de soins
à domicile et à une hospitalisation à domicile.
Enfin, les services collectifs sont des aides apportées
par le quartier aux personnes âgées. Parmi ces services, nous
pouvons citer la fourniture de repas, le lavage et le raccommodage du linge,
l'ouverture de foyers d'accueil.
Comme on le constate, ces aides, dans l'ensemble,
reposent sur la satisfaction des besoins essentiels afin de sortir cette frange
sociale de l'isolement. Toutefois, l'éthique à respecter, nous
rappelle l'auteur, est celle de la dignité des personnes
âgées : ne pas leur insinuer qu'elles sont des
nécessiteuses.
Somme toute, les personnes âgées sont
maltraitées tant en famille qu'en institution. Dans les deux cas, l'on
dénote plusieurs catégories de maltraitances25(*). Les maltraitances les plus
fréquentes sont d'ordre financier et psychologique (27% chacune).
Pour ce qui est du domaine financier, il s'agit non seulement
de la rétention des pensions, des vols, des escroqueries, de
l'héritage anticipé, de spoliation d'argent, de biens mobiliers
et immobiliers, mais aussi, de vie aux crochets de l'aïeul.
Dans le domaine psychologique, les maltraitances vont de la
menace d'abandon aux privations de visite et aux humiliations diverses. Elles
concernent aussi les mauvais traitements psychologiques qui englobent le
langage grossier, les injures, la cruauté mentale, les menaces,
l'infantilisation et la dévalorisation (vieille, mémère),
l'abus d'autorité (prendre des décisions à la place de la
personne, par exemple), le chantage et l'abus social (ignorer la
présence de la personne, avoir des préjugés...).
En plus, il existe d'autres formes de maltraitances26(*) telles que :
Les maltraitances physiques (15% des cas signalés)
regroupent les brutalités, les coups, les gifles, les escarres non ou
mal soignées.
Moins connues que les précédentes, mais
très nombreuses (15%) sont les négligences d'aide à la vie
quotidienne, volontaires ou non : lever, coucher, toilette, repas, marche.
A ceux-ci, il faut ajouter les meurtres, les coups et blessures
délibérés, les viols, le ligotage à un lit ou
à une chaise, l'alimentation inadéquate, etc.
Les maltraitances médicamenteuses (4 à 5% des
cas signalés) qui sont l'excès de médicaments, de
neuroleptiques ou, à l'inverse, la privation de médicaments et de
soins.
Par ailleurs, il faut noter la violation des droits des
personnes âgées et leurs négligences actives
(placement autoritaire, enfermement...) et passives (oubli, auto
négligence).
Selon Robert Hugonot et Françoise Busby27(*), les victimes sont en
majorité des femmes veuves (75%) vivant en famille. Les hommes (25%)
sont maltraités par leurs conjointes, un membre de la famille ou encore
par une tierce personne, compagne de "quelque temps", dame de compagnie
abusive.
La moyenne d'âge des victimes est de 79 ans.
Quant aux maltraitants, ce sont en majorité des membres
de la famille (52,9%). On trouve par ordre de fréquence : les fils,
les filles, puis les cousins, les neveux, nièces, conjoints et, enfin
les petits enfants, adultes ou adolescents.
Les professionnels soignants (infirmiers, aides soignants,
aides ménagères, etc.) représentent 19,6% des
maltraitants.
Les amis et voisins sont impliqués dans 12,4 % des
cas.
Le maltraitant type est souvent un enfant du
maltraité, la plupart du temps un homme (fils, gendre ou conjoint) dont
la situation financière est précaire. Les descendants vivant aux
crochets de l'aïeul sont plus facilement maltraitants.
L'épuisement physique et moral des aidants est un des
premiers facteurs de maltraitance. A Cela s'ajoute l'ignorance des
possibilités d'aide.
Face aux mauvais traitements qu'elles subissent, quelles
réactions peut-on observer de la part des maltraités ?
I.2.5 Réaction des personnes âgées
aux comportements maltraitants
Sous le titre Perceptions et réactions des
personnes âgées aux comportements maltraitants,
Hélène Thomas28(*) a mené une étude qualitative sur les
perceptions et les réactions des personnes âgées face
à des comportements négatifs, des atteintes ou des actes de
maltraitance dont elles sont victimes en institution ou à leur
domicile.
L'étude a porté sur ce que les personnes
âgées (elles-mêmes ou leurs proches) considèrent
comme des faits de maltraitance, qu'elles utilisent ou non ce terme.
La notion de maltraitance désigne dans cette
étude, des comportements répétés et
banalisés de violence, dans leur vie quotidienne. Les personnes qui en
sont victimes déclarent que ces comportements leurs causent
désagrément, douleur, chagrin, humiliation, honte, indignation
ou colère....
En France par exemple, ces actes donnent lieu à des
plaintes des personnes âgées contre leurs maltraitants. Ces motifs
de plainte sont posés tant à domicile qu'en
établissement.
Par ailleurs, en réaction à cette maltraitance,
certaines personnes âgées exercent la violence contre
elles-mêmes. C'est ainsi que des études de l'OMS29(*) (Organisation Mondiale de la
Santé) ont montré que le taux de décès par suicide
augmente nettement à partir de 70 ans.
D'autres par contre, garde le silence de la
résignation. Elles donnent l'impression de consentir, parce qu'elles se
taisent, alors que leur silence est celui de la résignation comme le
souligne Hugonot30(*).
Les personnes incriminées, citées par l'auteur,
sont aussi bien la direction et le personnel de l'établissement que les
autres résidents ou les familles, ainsi que le voisinage, pour les
personnes vivant à domicile. Ces dénoncés sont ainsi, des
médecins libéraux des services hospitaliers, des tuteurs et
curateurs, des aidants professionnels à domicile et des services
sociaux, du personnel para médical, de la famille, des
commerçants, etc.31(*).
Certes, ces différents écrits nous
renseignent sur les conditions de vie liées aux mauvais traitements des
personnes âgées au sein de leurs propres familles comme en
institutions. Cependant, ils ne concernent que les personnes
âgées des pays occidentaux en général. Ils ne
prennent pas en compte celles des pays africains encore moins celles de la
Côte d'Ivoire et singulièrement celles d'Adjamé-village,
qui vivent des réalités socioculturelles différentes.
C'est cette insuffisance que nous voudrions palier dans
notre étude, en analysant les conditions de vie des personnes
âgées d'Adjamé-village, sous le regard de la maltraitance.
La vieillesse, dans la littérature n'est pas que
désolation. Elle est aussi radieuse.
I.2.6 La vieillesse rayonnante
Les auteurs des discours sur la vieillesse rayonnante sont
conscients que cette période de la vie entraîne des
déclins. Mais il faut admettre ces déclins comme normaux et non
comme pathologiques, appelant l'isolement social de la personne
âgée. Ces discours plaident en faveur d'une indulgence. Ils
exhortent à voir dans la vieillesse des aspects luisants. C'est dans un
tel contexte que Hérault De Séchelles32(*), à la suite de sa
visite à Buffon, s'exclame en disant :
Je vis une belle figure, noble et calme. Malgré son
âge de 78 ans, on ne lui en donnerait que 60 ; et ce qu'il a de plus
singulier, c'est que venant de passer 16 nuits sans fermer
l'oeil, et dans des souffrances inouïes qui duraient encore, il
était frais comme un enfant et tranquille comme en santé. On
m'assure que tel était son caractère.
Jamais d'humeur, jamais d'impatience (...). Il
était frisé, lorsque je le vis, quoiqu'il fût malade ;
c'est là une de ses manies, et il en convient.
Ici, ce qui est captivant c'est que Hérault De
Séchelles surmonte l'effet de la misère imposée par la
maladie pour vanter la beauté, les qualités morales et psychiques
du presque octogénaire ; son caractère stoïque qu'il
affiche contre la souffrance. Il rompt ainsi la chaîne
« vieillesse - hospice - déchéance » des
XVIIe, XIXe, et XXe siècles.
Pour Ciceron33(*), c'est détourner l'attention que de focaliser
tous les discours sur la perte de la force physique chez le vieillard. Pour
cela, il émet quatre idées fortes en faveur de l'âge
magnifique. Selon lui :
La vieillesse ne détourne pas des affaires, car il
y a des activités qui conviennent aux vieillards, celles qui
requièrent autorité et jugement. Le déclin physique ne
gène : on ne demande pas à un vieillard d'être fort.
Le renoncement aux plaisirs de la table, de l'amour est une libération
plus qu'une punition, et laisse place à d'autres plaisirs, par exemple
l'agriculture et la satisfaction de voir au jardin croître ses
récoltes.
Certes ! Avec l'étape de vieillesse, il y a des
pertes avec lesquelles il va falloir compter, mais il y a aussi des gains qui
appellent à une réorganisation ou une adaptation. Dans ce cas,
pendant la période homérique par exemple, le Conseil des anciens
et de la magistrature était composé de personnes
âgées. Dans les pays occidentaux, on encourage les personnes
âgées à demeurer actives en entretenant les jardins.
Robert Hugonot dans La vieillesse
maltraitée34(*), écrit
J'ai vu des vieillards heureux rassembler leurs souvenirs,
leurs photos et écrire l'histoire de leur vie, de leur métier, de
leur famille, de leur ville, les faire lire autour d'eux comme
témoignage du temps passé. (...). J'ai vu des vieillards heureux
de jouer dans leur famille un rôle grand-parental et arrière
grand-parental.
Mais j'ai vu aussi des vieillards rapetissés,
racornis, concentrés dans un espace réduit... Et d'autres errants
dans la rue, un cabas à la main, une canne dans l'autre, cheminant
lentement de l'épicier au boulanger, du boulanger au domicile, sans
vivre rien d'autre que leur passivité. Et puis j'en ai vu d'autres,
effrayés de vivre, pleurant au téléphone l'histoire des
souffrances qu'ils endurent.
Cette étude sur la vieillesse rayonnante se
présente comme un véritable plaidoyer que font ces auteurs en
faveur d'une vieillesse heureuse. Ils n'ignorent pas les difficultés de
tous ordres liées à la vieillesse. Cependant, celle-ci peut se
vivre positivement si la société s'engage à
intégrer les personnes âgées en son sein. Il est alors ici
question, de la participation sociale et de l'utilité sociale des
personnes âgées, en lieu et place de leur maltraitance. C'est dans
ce contexte que s'inscrit notre étude. Nous voudrions analyser la
réalité dialectique des conditions de vie des personnes
âgées d'Adjamé-village, sous l'angle de la maltraitance.
Au total, ces écrits nous ont été d'une
très grande utilité. Ils nous ont permis d'apprécier les
conditions de vie et la maltraitance des personnes âgées, surtout
dans les pays développés. Ces écrits ont constitué
pour nous des cadres de références, essentiellement au niveau de
l'orientation théorique, dans le sens de l'approche et de la
compréhension du thème de maltraitance. Ceci nous a ouvert la
voie d'une recherche empirique spécifique sur la maltraitance à
Adjamé-village.
Quels sont les objectifs de la présente
étude ?
I.3. Objectifs de l'étude
I.3.1 Objectif général
L'étude vise à saisir la construction sociale de
la maltraitance des personnes âgées, par l'analyse des logiques
sociales et des différentes formes de maltraitance.
De cet objectif général découlent des
objectifs spécifiques.
I.3.2 Objectifs
spécifiques
1. Identifier les attitudes et les comportements de la
société ébrié en général et des
membres de la famille en particulier, à l'égard des personnes
âgées.
2. Evaluer la charge que constituent les personnes
âgées pour leurs différentes familles.
3. Mettre en exergue les sentiments de frustration des
personnes âgées, résultants des formes de maltraitance.
I.4. Thèse
De l'observation empirique, l'évolution de la
société ivoirienne favorise le rejet des personnes
âgées. En effet, de la société traditionnelle
à notre société actuelle, de la famille élargie
à la famille nucléaire, le statut et le rôle des personnes
âgées tendent à se dégrader. Or l'acceptation d'une
personne dépend de son statut et du rôle que cette dernière
joue dans la société. Ce manque fait des personnes
âgées une véritable charge. Cette charge
est plus ressentie par les membres de leurs familles qui, à la longue,
finissent par se lasser. C'est ici que commencent dans la plupart des cas, des
actes de maltraitance. De ce fait, les personnes âgées seront
maltraitées tant qu'elles resteront uniquement dépendantes des
seuls membres de leurs familles, surtout qu'au niveau institutionnel, il n'y a
rien pour les prendre en charge, alors qu'une politique sociale pourrait
être clairement définie et exécutée en leur
faveur.
I.5. Hypothèses de recherche
La maltraitance des personnes âgées s'explique
par la représentation qu'on se fait d'elles et par leur niveau
d'intégration au sein de la communauté, résultante de leur
participation et de leur utilité sociale. A Adjamé-village, les
personnes âgées sont perçues comme des charges et non
comme des personnes indispensables ; ceci, parce qu'elles mobilisent les
ressources humaines et financières, de par leurs conditions de vie.
Elles mènent donc une vie de dépendance qui favorise leur
maltraitance.
I.6. Approche
conceptuelle
Selon Durkheim (1968 : 35),
tout discours scientifique doit utiliser des concepts
clairs et précis afin de se démarquer de la confusion qui
caractérise le sens de chacun.
Ainsi, une clarification des concepts s'avère
nécessaire à la compréhension de notre étude. Elle
est également utile pour mieux organiser et orienter notre recherche.
Nous nous proposons de définir ici, les concepts théoriques
suivants : conditions de vie, personnes âgées,
maltraitance, dépendance, représentation sociale,
intégration sociale. Pour mieux expliquer ces concepts, nous allons leur
donner un contenu opératoire.
I.6.1 Conditions de vie
Pour donner un contenu opératoire au concept de
conditions de vie, nous allons définir les dimensions suivantes :
conditions matérielles, économiques, sociales, psychologiques et
physiques.
I.6.1.1 Conditions
matérielles
Dans le cadre de cette étude, la situation
matérielle des personnes âgées va se définir en
rapport à leurs moyens de subsistance, leur mode d'hébergement et
leurs frais médicaux.
Les moyens de subsistance font mention de l'alimentation des
personnes âgées. Cette dernière s'observe à travers
leurs différents mets quotidiens.
Le mode d'hébergement, c'est la manière dont les
personnes âgées sont logées. Il inclut le lieu d'habitation
(la résidence) et les conditions d'hygiène corporelle,
vestimentaire et environnementale (la cour, les toilettes, les chambres, etc.).
Les frais médicaux, c'est les moyens financiers indispensables pour
satisfaire les exigences de santé des personnes âgées.
I.6.1.2 Conditions économiques
La vie économique des personnes âgées,
nous renvoie, à un premier niveau, à leur engagement ou non, dans
des activités économiques. Ces activités peuvent renfermer
entre autres, la maçonnerie, la menuiserie, la couture, l'agriculture.
A un second niveau, nous expliquons ce concept par l'impact
de la pension de retraite et des autres sources de revenu, sur le vécu
quotidien des aînés sociaux d'Adjamé-village. Nous
entendons par autres sources de revenu, les revenus issus de loyers ou une
aide quelconque.
I.6.1.3 Conditions sociales
Pour donner un contenu opératoire à cette
dimension des conditions de vie, nous allons raisonner d'une part, en terme de
position sociale c'est-à-dire, la place occupée par les personnes
âgées au sein de leur génération d'appartenance, de
leur classe d'âge, de la chefferie, de la grande famille et de leur
communauté religieuse ; et d'autre part, en terme d'instruction
(Analphabète, niveau d'étude primaire, secondaire ou
supérieur) et de catégorie socioprofessionnelle (ouvriers, cadres
supérieurs...).
I.6.1.4 Conditions
psychologiques
Dans notre contexte, nous entendons, d'abord, par conditions
psychologiques, les interactions des personnes âgées avec leur
environnement social (la société ébrié en
générale et les familles en particulier) ; ensuite, l'image
que les personnes âgées ressentent d'elles-mêmes et des
générations plus jeunes. Et enfin, nous notons les frustrations
liées aux stéréotypes véhiculés en leur
encontre, au manque d'affection, à la solitude, à
l'inactivité et aux difficultés de tous ordres,
rencontrées par les personnes âgées.
I.6.1.5 Conditions
physiques
Les conditions physiques des personnes âgées,
dans cette étude, expriment d'un côté, la
sénescence ou processus physiologique du vieillissement avec pour
conséquence, la perte d'adaptabilité de l'organisme à
mesure que le temps passe.
De l'autre, elles englobent leur état de santé
à savoir, leur bien-être physique (absence de maladie
déclarée), psychologique (équilibre affectif, manque
d'angoisse prolongée) et sociale (rapports sociaux satisfaisants avec
les autres membres de la communauté).
I.6.2 Personnes âgées
Nous définirons le concept de personnes
âgées, des points de vue chronologique et social.
Du point de vue chronologique, les personnes
âgées constituent l'ensemble des hommes et des femmes, qui ont
atteint ou dépassé l'âge de 60 ans. Cette frange de la
population se subdivise en deux grands groupes. Le premier groupe appelé
" personnes de troisième âge ", est composé de
personnes qui ont un âge compris entre 60 et 74 ans révolus. Le
second groupe nommé "personnes de quatrième
âge ", concerne l'ensemble des personnes dont l'âge est
supérieur ou égal à 75 ans.
Du point de vue social, les caractéristiques des
membres de la société qui sont considérés comme
âgés, varient selon le contexte culturel et d'une
génération à une autre.
I.6.3 Maltraitance
Dans cette recherche, la maltraitance est synonyme de
violence. Elle désigne les mauvais traitements ou la négligence
que les personnes âgées peuvent subir de la part de leurs
enfants, de leurs petits enfants et d'autres membres de leurs familles ou
d'autres personnes en situation de pouvoir ou de confiance.
De là, la maltraitance englobe toutes les formes de
violence qui sont : les sévices physiques (viol, coups et
blessures), psychologiques (peur, intimidation, abandon, humiliation),
matériels (vols d'argent, de biens ou d'objets).
I.6.4 Dépendance
Dans le cadre de cette étude, la notion de
dépendance, fait référence à l'assujettissement des
personnes âgées à l'Etat, à leurs familles et aux
institutions villageoises. Elle est à la fois économique et
sociale.
L'économique renvoie essentiellement au soutien
financier et matériel, à la personne âgée. Le
social, quant à lui, renferme l'assistance à cette
dernière en vue de la satisfaction de ses besoins corporels (toilette,
soin, nourriture).
I.6.5 Représentation sociale
La représentation sociale, en ce qui nous concerne, est
l'image que l'on a des personnes âgées. C'est la perception et la
vision que la société a d'elles. Réciproquement, c'est
l'image, la perception et la vision, qu'ont les personnes âgées,
du monde et des acteurs sociaux.
I.6.6 Intégration sociale
Nous développerons l'intégration sociale du
point de vue culturel. Il s'agira d'une part, de l'adhésion des jeunes
et des aînés sociaux, aux règles de structuration et de
fonctionnement du village ébrié d'Adjamé. D'autre part, il
sera question de l'opposition des normes de conduite du grand âge et de
celles des jeunes générations.
Au total, l'intégration sociale, ici, fait
référence à l'interaction entre les personnes
âgées et les autres générations qui les entourent.
Chapitre II : CADRE METHODOLOGIQUE
II.1 Délimitation du champ
d'étude
II.1.1 Le champ géographique
L'enquête de terrain se déroule dans la commune
d'Adjamé, précisément à Adjamé-village.
La principale raison qui motive ce choix est que ce village
est situé au coeur de la ville d'Abidjan et par conséquent, est
à cheval entre la modernité et la tradition. Nous nous
interrogeons d'une part sur la place qu'occupent les personnes
âgées dans un tel village, et d'autre part, sur leurs conditions
de vie dans une société ébrié, stratifiée en
classes d'âge.
II.1.2 Le champ social
Le champ social permet d'indiquer la frange de la population
qui constitue la principale cible de l'étude. Aussi, les personnes
âgées de 60 ans ou plus, les membres de leurs familles respectives
sont-ils directement concernés par notre enquête, ainsi que les
autorités coutumières et les jeunes générations.
La société ébrié étant une
unité sociale irréductible, nous voudrions comprendre à
travers son histoire, sa coutume et son fonctionnement, la perception de la
vieillesse, le rôle et les conditions de vie des aînés
sociaux, en son sein.
II.2 Méthode d'analyse : la méthode
dialectique
Pour analyser et expliquer les conditions de vie des personnes
âgées, nous pensons que la méthode dialectique est la plus
appropriée. Pour cela, appuyons nous sur les quatre principes
fondamentaux de la dialectique (Paul Foulquié, 1962 : 62).
A travers le premier principe de cette dialectique (la loi du
mouvement), une approche historique de la problématique des personnes
âgées d'Adjamé-village s'impose. Cette approche est celle
qui a recourt à la connaissance du passé. Elle permet
l'établissement des faits : elle les groupe, les agence et les
construit.
Elle conduit donc à la construction des faits humains
passés, des évènements passés et des
phénomènes qui caractérisent la vie de l'homme en
société.
Ainsi, cette méthode nous permet de relever, de
comprendre et d'expliquer l'évolution des différentes positions
qu'ont occupées dans le temps, les personnes âgées, dans le
système social ébrié à classes d'âge,
d'Adjamé-village.
Ici, la personne âgée a été enfant,
jeune et adulte. Elle a une histoire. Et l'histoire de sa vie est importante
à recueillir et à analyser. Ceci peut permettre de comprendre ses
conditions de vie actuelle. Nous pouvons également par cette approche
saisir ses aspirations.
Le second principe d'analyse de la vie des personnes
âgées de notre recherche, est la loi de l'interaction. Il va
s'agir pour nous de considérer chaque aspect des conditions de vie de
ces personnes, dans leurs rapports avec les autres membres de la
communauté villageoise et citadine. A ce niveau, notre analyse est
d'abord fonctionnelle.
L'analyse fonctionnelle a consisté à examiner
les institutions sociales telles que la famille, la parenté, la
génération et la classe d'âge, dans leurs relations avec la
totalité du champ social ébrié dont elles font parties.
Nous nous sommes basée sur la fonction ou les rôles que jouent ces
éléments, au sein de cette société
ébrié.
Par ailleurs, cette méthode nous a permis de percevoir,
d'une part, la fonction remplie par la société vis-à-vis
des personnes âgées, en vue de leur intégration en son
sein, et d'autre part, le rôle joué par ces dernières au
sein du système social, en vue de son maintien et de sa
cohésion.
Elle est ensuite structuraliste. Dans cette analyse
structuraliste, la société ébrié est perçue
comme une structure, c'est une combinaison d'éléments, de sorte
que, la modification quelconque de l'un d'entre eux (la classe d'âge par
exemple), entraîne celle de tous les autres. Elle s'intéresse donc
à l'interaction que ces éléments entretiennent entre
eux : interactions entre personnes âgées elles-mêmes,
entre personnes âgées et familles, entre personnes
âgées et classes d'âge ou générations, entre
personnes âgées et chefferie.
En un mot, le structuralisme nous permet d'élucider les
éléments composites de la structure sociale ébrié,
les structures sous-jacentes et surtout leurs influences sur les personnes
âgées et réciproquement. Ceci dans le but de mieux
comprendre les relations sociales qui régissent cette
société. Dans cette interaction, ces éléments n'ont
aucune existence séparée et ils ne se définissent que par
rapport à leurs fonctions globales.
Au total, la personne âgée, suivant
Foulquié35(*)
n'est qu'une abstraction, car elle dépend de l'action
exercée sur elle par les êtres qui l'entourent ainsi que de tout
son passé. On ne peut donc la comprendre qu'en la situant au carrefour
des actions du tout sur elle et de ses réactions à l'égard
de son milieu.
Notre troisième principe analytique est celui de la
contradiction. A ce niveau, il va s'agir de mettre en lumière la lutte
des contraires, des situations différentes d'une époque à
une autre, dans la vie des personnes âgées du village
d'Adjamé. La lutte entre l'ancien (leur vision traditionnelle du monde,
leur manière d'être, de vivre et de faire) et le nouveau (la
vision du monde des jeunes générations, leur manière
d'être, de vivre et de faire) est révélatrice de leurs
actuelles conditions de vie. Aussi, la représentation qu'on ce fait
d'elles, peut être contradictoire. Les personnes âgées
peuvent incarner à la fois, la sagesse et la folie, la richesse et la
pauvreté (paupérisant), l'utilité et l'inutilité,
l'honneur et le déshonneur (sorcellerie), l'indispensable et la charge.
Cette situation est explicative de leur devenir social.
Ceci nous conduit à notre quatrième
principe : la loi du bond qualitatif.
Les personnes âgées, dans leurs rapports avec
les jeunes générations, tant en famille qu'en communauté,
peuvent poser des actes ou tenir des propos (en fonction de leurs passés
sociaux et personnels) qui peuvent avoir des conséquences
préjudiciables à leurs conditions de vie. Ces conséquences
peuvent être une acceptation ou un rejet, un abandon, un bon traitement
ou un mauvais traitement (une maltraitance).
II.3
Techniques de collecte des données
Au cours de notre recherche, nous avons eu recours à
plusieurs techniques de collectes de données notamment la documentation,
la pré enquête, l'échantillonnage, l'entretien, le choix
des variables et le dépouillement.
II.3.1 La documentation
Ensemble d'informations riches et diversifiées, la
documentation permet aux chercheurs de se référer aux travaux
antérieurs. Nous avons consulté des ouvrages
généraux, des ouvrages spécifiques et des revues relatives
aux personnes âgées. Cette documentation a été
possible grâce à des recherches que nous avons effectuées
sur l'Internet, et aussi dans les bibliothèques de l'Institut
d'ethnosociologie (IES), de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et
de l'Institut de Recherche et de Développement (IRD).
La lecture d'ouvrages méthodologiques nous a
aidée à la rédaction de notre mémoire. Ces ouvrages
nous ont permis d'approfondir nos connaissances sur les paradigmes, les
méthodes d'analyse et en conséquence choisir les plus
appropriées à notre thème.
Les documents relatifs aux personnes âgées,
à leurs conditions de vie et à leur maltraitance, nous ont
aidée dans la construction de la problématique et dans la
rédaction de la revue de littérature.
Quant aux dictionnaires des sciences sociales, ils nous ont
été d'un apport appréciable dans l'élaboration de
notre approche conceptuelle.
II.3.2 La pré enquête
Elle s'est déroulée du lundi 17 au jeudi
20septembre 2007.
Elle a consisté à identifier les personnes
ressources capables de nous fournir les informations sur notre sujet de
recherche. Ainsi, en interrogeant les autorités municipales
d'Adjamé, nous nous sommes rendue compte que les personnes
âgées ne figurent pas au nombre des préoccupations des
dites autorités. Cette pré enquête nous a aussi permis
d'avoir une connaissance plus approfondie de notre thème de recherche en
vue de lui donner une meilleure orientation méthodologique. Elle nous a
confortée quant à la formulation de nos hypothèses de
recherche et dans le choix des différentes variables. Elle a
consisté à tester le guide d'entretien sur un échantillon
réduit de 5 personnes âgées. Elle nous a permis
également d'ajuster certaines questions avant l'enquête proprement
dite.
L'exploration de façon limitée des conditions de
vie des personnes âgées nous a renseignée sur l'existence
effective de cas de maltraitance à Adjamé-village. C'est alors
que nous avons pu préciser les objectifs de notre recherche.
II.3.3 L'échantillonnage
Sur un total de 123 personnes âgées de 60 ans
ou plus à Adjamé-village, nous en avons retenues 26. Ce choix se
justifie par le fait que, par la pré enquête, nous disposions
d'informations précises sur la population mère.
Concrètement, la population d'Adjamé-village est
stratifiée en générations (Tchagba, Blessoué,
Gnando et Dougbo) et en classes d'âges (Djehou, Dongba, Agban et
Assoukrou).
Nous avons retenu le cinquième du nombre d'individus de
chaque génération, de sorte que les générations qui
ont des personnes âgées de 60 ans ou plus soient
représentées dans cet échantillon. Cet univers de 123
personnes âgées (62 hommes et 61 femmes) se repartit comme
suit :
- 1 Tchagba Agban
- 4 Blessoué dont 1 par classe d'âge (Djehou,
Dongba, Agban et Assoukrou)
- 21 Gnando dont 8 Djehou et 13 Dongba, suivant leurs
proportions dans cette génération.
Les Agban et les Assoukrou de la génération
Gnando ne sont pas concernés par notre enquête dans la mesure
où ils sont âgés de moins de 60 ans (52 à 59 ans).
Il en est de même pour toute la génération Dougbo dont
l'âge varie de 34 à 49 ans.
II.3.4 L'entretien
Vu la quasi inexistence des écrits relatifs aux
conditions de vie des personnes âgées en Côte d' Ivoire, vu
aussi la spécificité de notre sujet de recherche, nous avons eu
recours à la technique d'entretien, afin de recueillir et d'approfondir
le plus d'informations nécessaires. L'entretien s'est
déroulé sur une période discontinue de cinq semaines,
allant du 24 septembre au 30 octobre 2007.Cette discontinuité s'explique
par le fait que nous étions obligée de nous soumettre aux
programmes de nos enquêtés qui nous demandaient parfois de
repasser, pour cause de décès dans le village, de
réunions de la chefferie ou de fêtes religieuses.
L'enquête s'est faite avec la collaboration
étroite du doyen d'âge et de la chefferie actuelle au pouvoir (la
génération Gnando).Cette dernière a mis à notre
disposition son porte parole pour nous facilité le recueil de nos
informations. En cas d'empêchement du porte parole, il se faisait
remplacer par un interprète que la chefferie avait mis à notre
disposition. Ainsi, nous avions eu recours à deux guides et
interprètes, de façon alternative. En ce qui concerne les
entretiens, nous avons utilisé un magnétophone pour faire des
enregistrements (60 à 90 minutes par entretien). Toutefois, cela ne nous
a pas empêchée de revenir à plusieurs reprises, sur nos
pas, pour approfondir des points obscurs.
Les entretiens se sont déroulés sous forme
d'entrevues semi directives structurées autour de différents
thèmes. Le nombre de guides d'entretien que nous avons
administrés est fonction des catégories de personnes
concernées par notre thème. Nous avons adressé un guide
d'entretien au doyen d'âge qui fait parti de la génération
des anciens Blessoué, au chef du village et aux notables qui composent
la génération au pouvoir, à savoir les Gnando. Un guide
d'entretien a été adressé aux personnes âgées
et aux membres de leurs familles respectives. Par ailleurs, nous avons
interrogé les responsables des générations plus jeunes
(Tchagba et Blessoué) en vue de déterminer la nature des rapports
qui les lient aux personnes âgées.
Les différents guides d'entretien comportent les
thèmes suivants :
- Organisation socioculturelle et politique du village (place
et rôle des personnes âgées dans cette organisation)
- Conditions de vie des personnes âgées
- Rapports des autres générations avec les
personnes âgées.
- Représentation des personnes âgées
- Traitement des personnes âgées.
II.3.5 Le choix des variables
Il s'agit ici, d'identifier les variables annoncées par
chacune de nos hypothèses et de préciser le lien que
l'hypothèse suggère entre elles. Ce sont : le genre, la
maltraitance, la dépendance, les conditions de vie, le milieu social,
la représentation sociale, l'intégration sociale et la
frustration.
Le genre va nous permettre de faire une
comparaison entre les conditions de vie des personnes âgées
féminines et masculines, et de savoir lequel des deux est enclin
à la maltraitance.
La situation matrimoniale permet d'expliquer
les conditions de vie des personnes âgées et partant leur
prédisposition à la maltraitance, suivant qu'elles soient
mariées, en union libre, divorcées, veuves ou
célibataires.
L'instruction a un rapport avec la
catégorie socioprofessionnelle. Par elle, l'on peut accéder
à un emploi assez rémunérateur et préparer
consciencieusement son avenir afin d'éviter plus tard, la
dépendance financière, par exemple.
Les conditions de vie font état de la
situation psychologique, matérielle, financière, sociale et
physique des personnes âgées.
La maltraitance peut être
psychologique, matérielle, financière, sociale ou physique.
Psychologique, elle s'observe à travers la tristesse,
les pleurs, la dépression, l'isolement, la solitude, l'abandon,
l'agression verbale (insultes, accusations)...
Matérielle, elle prend en compte le mode de vie et
l'alimentation.
Financière, elle englobe les cas d'escroquerie, le
poids des charges familiales en rapport avec l'insuffisance des ressources
financières de la personne âgée.
Sociale, la maltraitance s'observe à travers les
rapports sociaux des personnes âgées avec leur environnement
social immédiat (parents) et lointain (membres de la grande famille,
communauté villageoise).
Physique, elle inclue les agressions physiques, la sous
alimentation et/ ou la malnutrition.
Le milieu social englobe les familles, la
communauté villageoise, la mairie d'Adjamé, le district
d'Abidjan, et toutes les institutions étatiques prenant en charge les
personnes âgées.
Les personnes âgées sont en
interaction avec ce milieu social qui conditionne leur existence. En effet,
elles ne peuvent se passer des services des membres de leurs familles, de la
mairie de leur commune, des structures étatiques telles que la CGRAE
(Caisse Générale de Retraite des Agents de l'Etat) et la CNPS
(Caisse Nationale de Prévoyance Sociale) pour les retraités,
l'INSP (Institut National de Santé Publique), pour ne citer que
celles-ci.
La dépendance des personnes
âgées de cet environnement social peut être morale,
physique, financière et matérielle.
Cette dépendance peut conduire à la maltraitance
lorsque la personne âgée est perçue comme une charge
jugée encombrante et non utile pour son milieu. En somme, la
maltraitance est alors fonction de la représentation qu'on se fait de
la personne âgée, de son niveau d'intégration au sein de
son milieu social. Cette charge peut varier suivant l'âge
(troisième ou quatrième âge), le statut matrimoniale, les
capacités physiques, financières de la personne
âgée. En retour, la personne âgée ressent de
l'humiliation et surtout de la frustration qui s'exprime en terme de
révolte et de replie sur soi.
II.4 Le
dépouillement
Pour Comoé Krou (1985 :28), le
dépouillement consiste à regrouper les réponses identiques
se rapportant à un même caractère ou en une modalité
de manifestation afin de rendre possibles la description, l'analyse et
l'explication des données de l'enquête.
Pour ce qui nous concerne, nous avons d'abord
procédé à la transcription des informations
enregistrées pendant notre enquête. Une lecture attentive des
textes transcrits a facilité l'émergence de thèmes plus
précis. Ensuite nous avons classé ces extraits dans les dossiers
thématiques correspondants. Enfin par une analyse thématique,
nous les avons regroupés pour établir des relations entre les
variables, selon notre thématique.
Ainsi, il ressort de notre analyse que la
représentation sociale qu'on se fait des personnes âgées
influe sur la maltraitance.
II.5 Les difficultés
rencontrées
Dans le déroulement de notre recherche, nous nous
sommes heurtée à plusieurs difficultés majeures.
La première est relative à l'insuffisance de
documents sur les conditions de vie et la maltraitance des personnes
âgées en Côte d'Ivoire.
La seconde est relative au problème de communication
qui s'est manifesté à deux niveaux. Ne comprenant pas la langue
ébrié, nous avons eu des difficultés dans la prise des
rendez-vous avec les personnes âgées qui ne comprennent pas la
langue française. Nous étions obligée de nous conformer au
temps de disponibilité de nos guides et interprètes. Aussi, lors
des entretiens, les mêmes problèmes d'interprétation se
sont-ils posés. Pour les contourner, nous avons dû expliquer
à fond nos questions ; ce qui nous a pris plus de temps que
prévu.
La troisième difficulté est liée à
l'indisponibilité de certaines personnes âgées dont la
dégradation de leur état physique les contraint à rester
en permanence dans leur chambre à coucher. Nous n'avons pas pu y
accéder, pour les rencontrer, en vue de nous entretenir avec elles sur
leurs conditions de vie et leurs traitements.
En dépit de toutes ces difficultés, nous avons
pu mener notre travail jusqu'à terme, sachant que toute recherche
scientifique est jalonnée d'obstacles qu'il faut vaincre.
DEUXIEME PARTIE :
PRESENTATION DU CADRE DE L'ETUDE
Chapitre I : SITUATION
GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET
DEMOGRAPHIQUE
I.1 Situation géographique
Limitée au Nord par la commune d'Abobo, au Sud par la
commune du Plateau, à l'est par la commune de Cocody et à l'ouest
par celle d'Attécoubé, la commune d'Adjamé comprend dix
neuf quartiers dont un seul village ébrié :
Adjamé-village. Avant la colonisation, le territoire de ce village
comprenait toute l'étendue de l'actuelle commune d'Adjamé et
celle du Plateau.
Adjamé-village, cadre géographique de notre
étude, est limité à l'ouest par la mairie, au nord par la
pharmacie Saint Michel, à l'est par le Groupement des Sapeurs Pompiers
Militaires (GSPM) et au sud par la mission libanaise. La principale rue du
village porte le nom du gouverneur colon Reboul. Quant au boulevard Nangui
Abrogoua qui passe devant le Forum et la mairie d'Adjamé, il porte le
nom du chef suprême des ébrié36(*).
I.2 Historique du peuple tchaman
Les tchaman, peuple lagunaire, se retrouvent au sud de la
Côte d'Ivoire, essentiellement autour de la lagune qui porte leur nom.
Leur activité principale est la pêche. Toutefois, ceux qui
habitent dans les régions périphériques (Songon,
Bingerville...) pratiquent l'agriculture et produisent des vivriers (banane
plantain, igname, taro, manioc et des produits d'exportation (café,
cacao, hévéa, palmier à huile, banane douce...)
Initialement appelés « tchaman »
entendons « ceux qui ont été choisis, ou les
élus », le nom " ébrié " leur fut donné
par leur voisin Abouré de Moossou, par raillerie, et signifie
« les gens sales ».
La migration de ce peuple s'est déroulée par
vagues successives et la coalition a eu lieu à Blêguè
situé entre Divo et Tiassalé plus précisément
à Bago, vers le 18ème siècle. Les Bidjan ou
Meliegonin vivaient dans un seul gros village appelé Meliegon
situé à Abobo-Baoulé, l'actuel emplacement de la Djibi. A
la recherche de l'eau et de terre cultivable, le peuple tchaman s'est
déplacé vers le sud, à Plittou-Baya, actuel site du Zoo
d'Abidjan. En absence de couchette à cet endroit, les tchaman dormirent
sur des feuilles appelées M'bi. D'où leur appellation par
les tchaman d'Abobo, Bidjan Man, c'est- à- dire ceux qui coupent des
feuilles et plus tard, cette appellation devient Bidjan. Les tchaman se
sont groupés à l'intérieur de neuf phratries ou
goto, possédant chacune un nom propre : Kwè, Bidjan,
Yopougon, Nonkwa, Songon, Bodo, Dyapo, Bya et Gnangon. Toutes ces
phratries forment un ensemble de soixante-trois villages dont
Adjamé-village qui est le village mère.
Par ailleurs, la situation géographique des
différents goto se présente comme suit : à l'est, les
Akoué, au sud les Bidjan, au nord, les Nonkwoua, au centre les Bobo et
à l'ouest les Gnangon.
L'extension de la ville d'Abidjan s'est faite par rapport
à l'emplacement de ces goto. L'on comprend aisément pourquoi les
ébrié revendiquent le titre de propriétaires terriens et
veulent par conséquent être représentés dans les
mairies des différentes communes d'Abidjan, appartenant aux conseils
généraux.
I.3 Adjamé-village
Abidjan Adjamé ou Adjamé-village fait partie des
huit villages qui constituent le goto Bidjan qui deviendra plus tard
Abidjan, signifiant le pays des Bidjan. Ce sont : Abidjan
Adjamé, Abidjan Cocody, Abidjan Anoumabo, Abidjan Agban, Abidjan
Attécoubé, Abidjan lokodjro, Abidjan santé et leur
allié Adiapoto n°1.
Adjamé-village est un gros village organisé le
long d'une artère principale. Des petits passages tortueux
séparent les différentes concessions faites majoritairement de
maisons à étages, placées les unes à
côté des autres.
Le village est composé de trois quartiers principaux ou
" akroku " qui sont : Até (le quartier bas où se
déroulait la pêche), Ato (le quartier haut où se
déroulait l'agriculture), Adjemin (le quartier centre où il
y'avait le marché et aussi où l'autorité politique prenait
des décisions). C'est donc là que se trouve le pouvoir central.
Lors des cérémonies, chaque quartier joue un rôle
précis, selon l'organisation sociale mise en place, par les
autorités coutumières.
Toutefois, l'urbanisation de la ville fait que ces
différents quartiers ne jouent plus pleinement leur rôle d'antan.
Ainsi, la pêche n'est plus pratiquée dans le quartier Até.
Au quartier Ato, les plantations n'existent plus, par manque de terres
cultivables. Quant au marché, il a pratiquement disparu à
Adjemin, au profit du Forum et du marché gouro. Toutefois,
l'autorité politique y demeure.
Par ailleurs, l'organisation politique des ébrié
est d'ordre militaire, car ils sont guerriers. A Adjamé-village, chaque
classe d'âge a un chef guerrier. C'est à travers la danse
guerrière que les ébrié démontrent leur force
mystique, pour d'éventuels combats.
Les plus grands guerriers et le tambour de guerre de tous les
ébrié, se trouvent à Adjamé-village. La danse
guerrière commence toujours par le bas (au quartier Até) pour
progresser vers le haut (quartier Ato).
I.4 La population d'Adjamé-village
La population d'Adjamé-village est estimée
à 9860 habitants dont 1950 ébrié, 2561 nationaux des
autres groupes ethniques et 5349 non nationaux37(*). Les ébrié, peuple autochtone, sont
minoritaires dans leur village avec une proportion de 19,8%. Plusieurs raisons
pourraient expliquer cette situation, entre autres, l'installation de certains
d'entre eux sur les sites de compensation que l'Etat leur a
octroyés : II Plateau Agban et quartier ébrié
d'Adjamé. De cette migration, résulte la mise en location par
certains, de leurs concessions actuellement occupées majoritairement par
des étrangers commerçants, et ceci dans le but de subvenir
à leurs besoins.
Parmi les 1950 ébrié, on dénombre 123
personnes âgées de 60 ans ou plus. Elles
représentent 6,31% de la population des ébrié.
Ces personnes âgées vivent dans leurs familles
respectives.
I.5 Les infrastructures
d'Adjamé-village
Les principales infrastructures du village sont d'ordre
religieux et éducatif.
Au plan religieux, on note trois édifices quasiment
regroupés dans la même localité, ce sont :
l'église catholique, l'église méthodiste unie et
l'église harriste. Tout ébrié de ce village doit
obligatoirement appartenir à l'une de ces trois confessions religieuses,
pour le strict respect de la mémoire des ancêtres qui y
appartenaient. La fréquentation d'une autre église, genre
évangélique, suscite beaucoup de persécutions dans ce
village, eu égard aux coutumes qui doivent être respectées
par tout fidèle, quelle que soit la profession de sa foi.
C'est alors que les trois confessions religieuses sus
citées, acceptent d'intégrer les classes d'âge. A cet
effet, les cotisations au sein de ces églises se font par classe
d'âge, comme cela se fait dans la société
ébrié. Elles participent ainsi à la reproduction sociale
du village. Tolérantes, elles ne rejettent pas la tradition et
bénéficient, par conséquent, de la protection de la
communauté villageoise qui s'oppose à l'implantation d'autres
confessions religieuses.
Au plan éducatif, Adjamé-village dispose de
quatre écoles primaires dont une publique et trois privées. Il
dispose également de deux établissements secondaires dont l'un
public et l'autre privé.
Toutefois, les élèves qui fréquentent ces
établissements, proviennent de tous les quartiers d'Adjamé, voire
des autres communes d'Abidjan.
Au plan économique, le village ne dispose pas de
marché et fréquente par conséquent les principaux
marchés de la commune, à savoir le Forum et le marché
gouro. Elle dispose cependant d'une pharmacie.
Au plan sanitaire, le village ne dispose pas de dispensaire.
A cet effet, en fonction des pathologies qui les affectent, les villageois se
réfèrent aux structures sanitaires de la commune d'Adjamé
(maternité Marie Thérèse Houphouët Boigny, Institut
National de Santé Publique ou INSP, infirmeries
privées,...) et des autres communes (Centres Hospitaliers et
Universitaires ou CHU).
Au plan sécuritaire, Adjamé-village ne dispose
pas de commissariat de police, ni de gendarmerie. Les villageois recourent aux
structures sécuritaires (commissariats du district et des 3e
et 7e arrondissements) de la commune d'Adjamé, en cas de
nécessité.
I .6 Activités économiques
Du fait de l'urbanisation, les plantations du quartier Ato
(quartier haut où se déroulait l'agriculture), ont
été détruites pour faire place à des
bâtiments. Ainsi, d'une économie de subsistance à une
économie marchande, les ébrié de ce village s'investissent
de plus en plus dans la fabrication de l'attiéké qui est de nos
jours, une activité génératrice de revenu. A cela,
s'ajoutent la location de magasins et de maisons, la vente de terrains urbains,
qui constituent les principales sources de revenu. Toutefois, dans le souci de
préserver le foncier urbain pour les générations à
venir, les autorités villageoises ont mis en place des
règlements, pour empêcher la vente des terrains des II
plateaux.
Chapitre II : ORGANISATION SOCIALE ET SYSTEME
POLITIQUE
TRADITIONNEL
II.1 Le système de parenté
L'organisation sociale d'Adjamé-village repose
essentiellement sur des clans qui sont fonctions du lignage maternel. Parler
donc de grande famille chez les tchaman, c'est se référer
à la famille maternelle.
Ces matriclans ou mando au nombre de sept sont : Lokoman,
Fiedoman, Tchadoman, Godouman, Kouédoman, Gbadoman et Abromando. Ils
regroupent tous les tchaman, qui y sont repartis. Des liens d'unité et
de solidarité unissent les membres d'un même matriclan.
Toutefois, un enfant qui naît appartient à son
père. Ce dernier est chargé de lui donner un nom. C'est
lorsqu'il grandit qu'il intègre sa famille maternelle (système
matrilinéaire).
II.2 Les générations ou
Abèpasa
L'une des structures fondamentales de la société
ébrié, c'est les générations d'habitants. Elles
jouent des rôles politique, culturel, religieux, militaire et
économique très importants, dans l'organisation sociale
ébrié.
A l'instar des autres villages ébrié,
Adjamé-village comporte quatre générations. Cette
organisation prend en compte les deux genres (homme et femme). Les
générations sont désignées sous les appellations
suivantes : Blessoué, Gnando, Dougbo et Tchagba. Après
l'âge de dix ans, les habitants du village (akoubè) sont
organisés au sein de ces quatre générations. Toutefois,
les femmes ayant moins de responsabilité que les hommes dans cette
organisation, leurs générations restent les moins actives.
Une génération regroupe tous ceux qui sont
nés dans un espace de temps de quinze ans au moins. Le cycle complet des
quatre générations à Adjamé-village dure soixante
ans. Ainsi, Adjamé-village est structuré par le système de
générations et les membres de la même
génération se considèrent tous comme des
frères ; d'où le renforcement des liens de fraternité
et de solidarité. En effet, entre les différentes
générations, il existe un système d'alliance qui
fonctionne selon le principe suivant : les Gnando et les Dougbo sont des
frères immédiats, rivaux. Par contre, ils ont le devoir de
protéger leurs descendants. Ainsi, les Gnando protègent les
Tchagba qui sont leurs descendants, les Dougbo protègent les
Blessoué, leurs descendants. Les ascendants inculquent aussi les valeurs
sociales à leurs descendants. En retour, ces derniers sont contraints de
les respecter en tant qu'aînés sociaux et donc de respecter le
droit d'aînesse.
II.3 Les classes d'âge ou apasa
Les classes d'âge, en tant qu'institution sociale,
permettent à l'ébrié d'affirmer son identité socio
culturelle et son appartenance à un système politique. Tout
ressortissant d'Adjamé-village est lié, pour la vie, à
celles-ci.
C'est au sein des classes d'âge que la solidarité
est plus agissante et la promotion sociale, plus évidente.
L'appartenance à une classe d'âge, après initiation, rend
l'individu apte à participer à la vie communautaire. Tous les
individus sont égaux en droits et en devoirs et sont chargés de
diriger les affaires du village. Ce qui fait de la société
ébrié, une société égalitaire et
démocratique. Chaque génération d'habitants (abè)
comprend quatre classes d'âge (pasa) dont les noms sont : Djehou
(aînés), Dongba (puînés), Agban (cadets) et Assoukrou
(benjamins). Cela fait au total seize classes d'âge. En
considérant parallèlement l'organisation féminine qui
obéit à la même règle, l'on obtient en somme, huit
générations et trente deux classes d'âge (en multipliant
quatre générations par deux, et seize classes d'âge par
deux). Trois années séparent la constitution de deux classes
d'âge à Adjamé -village. Par ordre chronologique, nous
avons donc pour chaque génération, les classes d'âges
suivantes :
ASSOUKROU (1971-1974)
AGBAN (1967-1970)
DJEHOU (1959-1962)
DOUGBO
DONGBA (1963-1966)
TCHAGBA
DJEHOU (1905-1908)
DONGBA (1909-1912)
AGBAN (1913-1916)
ASSOUKROU (1917-1920)
GENERATIONS
CLASSES D'AGE
ASSOUKROU (1935-1938)
AGBAN (1931-1934)
DONGBA (1927-1930)
DJEHOU (1923-1926)
BLESSOUE
DONGBA (1945-1948)
GNANDO
DJEHOU (1941-1944)
AGBAN (1949-1952)
ASSOUKROU (1953-1956)
Première génération :
DOUGBO
Première génération :
GNANDO
Première génération :
BLESSOUE
Première génération :
TCHAGBA
ASSOUKROU (1971-1974)
AGBAN (1967-1970)
DJEHOU (1959-1962)
DOUGBO
DONGBA (1963-1966)
TCHAGBA
DJEHOU (1905-1908)
DONGBA (1909-1912)
AGBAN (1913-1916)
ASSOUKROU (1917-1920)
GENERATIONS
CLASSES D'AGE
ASSOUKROU (1935-1938)
AGBAN (1931-1934)
DONGBA (1927-1930)
DJEHOU (1923-1926)
BLESSOUE
DONGBA (1945-1948)
GNANDO
DJEHOU (1941-1944)
AGBAN (1949-1952)
ASSOUKROU (1953-1956)
Première génération :
DOUGBO
Première génération :
GNANDO
Première génération :
BLESSOUE
Première génération :
TCHAGBA
TCHAGBA
DJEHOU (1977-1980)
DONGBA (1981-1984)
AGBAN (1985-1988)
ASSOUKROU (1989-1992)
ASSOUKROU (2007-2010)
AGBAN (2003-2006)
DONGBA (1999-2002)
DJEHOU (1995-1998)
BLESSOUE
Deuxième génération :
TCHAGBA
Deuxième génération :
BLESSOUE
Comme dans le cas des générations, les Djehou
et les Dongba sont des classes rivales, de même que les Agban et les
Assoukrou. Par ailleurs, des alliances politiques lient les Agban aux Djehou et
les Assoukrou aux Dongba. Ces descendants (Agban et Assoukrou) reçoivent
des conseils de leurs ascendants (Djehou et Dongba) envers qui, ils doivent
obéissance. C'est d'ailleurs eux qui les aident, à porter le
tambour sacré, lors de la danse guerrière.
En somme, l'ébrié n'est identifié dans la
société que par rapport à sa classe d'âge qui a
d'ailleurs une forte emprise sur toute sa vie. En effet, dès l'âge
de 15 à 16 ans, le jeune ébrié, détaché de
sa famille naturelle, subit les rites d'initiation en vue de gravir des
échelons, au sein de la génération. Par la suite, il est
remis à la société villageoise afin d'appartenir
totalement au système des classes d'âge qui deviennent sa "
famille ".
Ce qui lui vaudra son aptitude à participer à la
vie communautaire, après avoir passé les différents stades
de guerrier, d'homme mûr et de vieillard (dernier chaînon de la
pyramide). L'amitié, la solidarité, l'entraide, la discipline et
la fidélité existent entre les membres d'une même classe
d'âge et le principe du droit d'aînesse n'est pas
respecté.
TROISIEME PARTIE :
LOGIQUES SOCIALES ET FORMES DE MALTRAITANCE DES PERSONNES
AGEES
Chapitre
I : LES AINES SOCIAUX D'ADJAME VILLAGE
Dans ce chapitre, nous entendons mettre en exergue,
les caractéristiques démographiques et
socioculturelles des personnes âgées enquêtées. Elles
prennent en compte le genre, la situation matrimoniale, la religion, le
groupe d'âge, le niveau d'instruction, la catégorie
socioprofessionnelle, l'alimentation, l'état sanitaire, les logements et
le cadre de vie.
I.1 Genre et situation matrimoniale
Les modalités que nous avions retenues,
liées à la situation matrimoniale des
enquêtés sont : Marié
(tout individu dont l'union a été
célébrée à l'état civil, religieusement ou
coutumièrement), union libre ( tout individu
non marié qui vit en concubinage), divorcé (toute personne dont
le mariage a été rompu et qui ne s'est pas remariée),
célibataire (personne qui n'a jamais
été mariée et qui ne vit pas en union libre) et
veuve ou veuf ( personne dont le mariage a
été rompu par le décès du conjoint et qui ne s'est
pas remariée).
A l'issu de l'enquête, force est de constater que nos
enquêtées sont, soit mariées (9/26), soit veuves (17/26).
D'une manière générale, les conditions de
vie des hommes (mariés ou veufs) et des femmes (mariées ou
veuves) sont presque identiques. Cependant, la situation varie fonction du
degré de dépendance de la personne âgée. En effet,
une femme âgée de 70 ans environ, encore valide, est moins
dépendante qu'un homme du même âge, aussi bien portant, en
ce sens que cette dernière continue de vaquer à ses occupations
domestiques. L'homme, quel que soit son âge, a toujours besoin d'une aide
extérieure pour subvenir à ses besoins essentiels (cuisine,
ménage, lessive...). C'est en cela qu'il est plus exposé aux
mauvais traitements des servantes ou des petits enfants desquels il
dépend, lorsqu'il est veuf.
I.2 Genre et religion
La Côte d'Ivoire est un Etat laïc. Elle
autorise toutes les confessions religieuses. A Adjamé-village, les
personnes âgées, dans leur ensemble, sont des croyants. Toutes
celles que nous avons interrogées sont de la religion chrétienne.
La majorité est catholique (17 sur 26). Elles sont en minorité
évangéliques (1 personne), 6 d'entre elles sont protestantes et 2
sont harristes.
Toutes les femmes sont soit protestantes (3/12), soit
catholiques (9/12).
La religion n'a pas d'influence directe sur les conditions de
vie des personnes âgées. Au sein des différentes
communautés chrétiennes précitées, il n'existe pas
de structure particulière de prise en charge des personnes
âgées. En effet, tous les chrétiens sont
considérés et traités de la même manière.
L'accession à un poste de responsabilité (membre du conseil
paroissial chez les catholiques, prédicateur chez les
méthodistes, ancien ou diacre chez les évangéliques, ...)
n'est pas lié à l'âge mais, à l'ancienneté et
au dynamisme au sein de l'église. C'est à ce titre qu'on
rencontre des personnes âgées jouant des rôles précis
au sein de leurs églises. Toutefois, au niveau de l'église
évangélique à laquelle appartient le doyen d'âge du
village, il existe un comité dit « comité du grand
âge » qui regroupe toutes les personnes âgées d'au
moins 50 ans. Au sein de ce comité, les membres se visitent
mutuellement. Chaque semaine, ces derniers se retrouvent au sein de leur
église pour se soutenir spirituellement dans la prière et pour
s'entraider matériellement et financièrement, en cas de
nécessité.
I.3 Genre et groupe d'âge
La population des personnes âgées que nous
avons interrogée est en majorité composée de personnes du
quatrième âge (75 ans ou plus) à savoir 14/26. Cette
sous population se caractérise par une surpopulation féminine
avec 9 femmes pour 5 hommes.
Il se dégage donc, qu'à
Adjamé-village, la population des personnes les plus
âgées, est celle des femmes. Les deux femmes les plus
âgées ont respectivement, 94 et 96 ans. Toutefois, dans le
village, le doyen d'âge est un homme, bien qu'il soit moins
âgé que ces femmes. Ceci s'explique par le fait que dans la
société ébrié, ce sont les hommes qui assurent les
fonctions politiques, administratives et culturelles. Le doyen d'âge
actuel de ce village est ainsi âgé de 88 ans (avec un écart
de 8 ans de la femme la plus âgée du village). Ce principe pose la
problématique de la domination masculine chez les ébrié
d'Adjamé-village. Ici, les femmes n'ont pas le pouvoir de
décision. Elles ne peuvent siéger dans le conseil des anciens.
Leur voix ne compte pas en public. Selon le doyen d'âge, la femme
ébrié est essentiellement ménagère.
Elle s'occupe des enfants, fait le marché,
fait le commerce si elle est courageuse. Les femmes font partie des
générations mais n'ont pas le pouvoir de décision, elles
ne peuvent devenir notables. Pendant les réunions, la femme n'est pas
autorisée à prendre la parole en public.
De la sorte, les femmes ébrié
d'Adjamé-village n'ont pas de pouvoir politique ni administratif au sein
de leur communauté. Plus loin, nous comprendrons pourquoi elles sont les
plus, à la merci des chefs de famille et de ce fait, davantage sujettes
à la maltraitance.
Poursuivant notre analyse, notons que le troisième
âge (60-74 ans) s'affiche avec 12 personnes sur 26. Cette proportion
compte plus d'hommes (9) que de femmes (3).
La structure de la population des personnes
âgées interrogées, laisse apparaître une
régression de l'effectif des hommes à mesure que l'on avance en
âge (du troisième au quatrième âge), en comparaison
à celui des femmes.
De ce qui précède, il ressort que dans ce
village ébrié, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. A
la question de savoir ce qui a pu favoriser cette longévité,
elles sont unanimes pour dire :
« C'est par la grâce de Dieu
que nous vivons jusqu'à ce jour ».
I.4 Genre et niveau d'instruction
Le niveau d'instruction, c'est le niveau le plus
élevé qu'un individu a atteint dans ses études. Il est un
facteur déterminant dans la vie sociale. Plus ce dernier est
élevé, plus grandes sont les possibilités d'avoir
accès à un emploi mieux rémunéré, en vue de
mener une vie décente. Le niveau d'instruction peut être aussi un
facteur d'ouverture au monde, tant intérieur (le village)
qu'extérieur (la ville, le pays et le reste du monde). Par ailleurs,
l'instruction permet d'éviter certaines formes de maltraitance telle que
la maltraitance médicamenteuse (l'excès de médicaments, de
neuroleptiques ou la privation de médicaments et de soins.)
Or à Adjamé-village, 11 enquêtées
sur 26 sont analphabètes. Toutes nos enquêtées femmes sont
dans ce sous ensemble avec 9 analphabètes contre seulement 2 hommes. 12
sur 26 ont fait l'école primaire. Cette situation est sans nul doute, le
résultat de la faible scolarisation qu'a connu cette population. En
effet, les personnes âgées dont l'enfance se situe à
l'époque coloniale, ont bénéficié à peine de
la scolarisation, faute d'infrastructures scolaires aussi variées et
mieux réparties dans le pays, comme c'est le cas aujourd'hui. A cela, il
convient d'ajouter le peu d'intérêt accordé par la
population qui, en ce moment, ignorait le bien fondé de l'instruction
importée de l'occident. Les parents, pour la plupart,
préféraient se faire accompagner par leurs enfants au champ
plutôt que de les laisser aller à l'école. Cette situation
pourrait justifier, dans une large mesure, les très faibles taux
d'alphabétisation et d'instruction observés dans cette frange de
la population.
Sur les 26 personnes âgées que nous avons
interrogées dans le cadre de notre étude, seulement 2 ont fait le
secondaire et 1 le supérieur. Ces 3 enquêtés sont de genre
masculin.
Des hypothèses précédentes, nous pouvons
dire que la plupart des personnes âgées d'Adjamé-village,
avec une grande proportion de femmes, sont plus rattachées à leur
communauté villageoise qu'au reste du monde. Le niveau d'instruction de
ces personnes a été l'un des facteurs constructeurs de leur vie
de dépendance actuelle. Elles ont toutes, en effet, un faible niveau
d'instruction. Ces personnes âgées ont toutes, de ce fait, eu
accès à un emploi moins rémunéré. Cet
état de fait ne leur permet pas de mener, une vie décente, dans
leur vieil âge.
I.5 Genre et catégorie
socioprofessionnelle
Toutes les personnes âgées de genre
féminin enquêtées sont des ménagères. Parmi
les hommes, nous avons 11 ouvriers retraités sur les 14
interrogés. Cette situation a nécessairement un rapport avec les
conditions de vie de nos enquêtés.
L'analyse de ces faits révèle que le genre
constitue le premier élément de discrimination face à
l'emploi.
I.6 Alimentation
La façon de se nourrir compte beaucoup chez les
personnes âgées, car la qualité de l'alimentation permet de
ralentir le vieillissement naturel, de retarder l'apparition de certaines
maladies liées à l'âge, et donc de vieillir en ayant une
bonne qualité de vie.
Selon
Béatrice
Carraz38(*), du point
de vue nutritionnel, le risque majeur chez les personnes âgées est
un risque lié à la dénutrition et aux carences, et pas
vraiment à la pléthore : les points importants à
vérifier restent l'apport énergétique, l'apport en
protéines, en calcium et en acides gras indispensables. La
dénutrition protéino-énergétique favorise
l'apparition de la dépendance, en fragilisant les défenses
naturelles de l'organisme. Pour cet auteur, le besoin de la personne
âgée est identique à celui de l'adulte : ni plus, ni moins.
Cependant les consommations alimentaires diminuent : moins de viande, moins de
vrais repas, des restrictions alimentaires sévères liées
à des problèmes de santé (cholestérol, sel,
sucre...). Et ce type de comportement joue sur la qualité de vie et
l'évolution vers les dépendances.
Les aînés sociaux d'Adjamé-village,
suivant leur culture, se nourrissent essentiellement de l'attiéké
(Agbodjama) fait à base de manioc, mais aussi de foutou ou de foufou
(cocotcha) d'igname ou de banane plantain. Ces plats sont accompagnés
de sauce "claire", de sauce "graine" ou de sauce "N'tro" avec du
« bon » poisson propre aux lagunaires tels que le
broché, le machoiron, le capitaine, pêchés directement
dans la lagune. Or, avec la pollution actuelle de la lagune, la pêche ne
se pratique plus par les villageois. Dans cette logique, parlant des pouvoirs
politiques, les personnes âgées d'Adjamé-village,
s'exclament en ces termes :
« Depuis 1946, ils ont ramassé nos
terres. Nous n'avons plus rien. Avant cette date, chacun de nous allait au bord
de la lagune avec son épervier pour pêcher. Aujourd'hui, vas au
bord de la lagune, tu ne peux plus pêcher ; avec les casses de
véhicules, les pneus usagers, tous les autres déchets, tout cela
dans la lagune ; peut-on pêcher dan ces conditions ? Plus de
pêche, alors que nous vivons de la pêche. Avant, également,
nous avions des champs de caféiers, de cacaoyers. Maintenant, tout n'est
que constructions, habitations.
Au lieu de nous dédommager, ils ne le font pas.
Avec nos dirigeants, les choses sont devenues pires qu'avec les blancs. L'Etat
prend de force nos portions de terre. Dans de tel cas, comment manger à
sa faim ? Aujourd'hui, nous ne pouvons plus pêcher par manque d'eau.
Nous sommes obligés de manger du poisson congelé. Mêmes les
fruits que nous consommons sont à base d'engrais. Tout cela est à
la base de toutes les maladies que nous avons. Quant au manioc et à
l'igname, nous ne disposons plus de terre pour les cultiver. Nous sommes
obligés de tout acheter. C'est ce qui fait que nous mangeons
mal
Qu'est ce qui va arriver sans la nourriture ? Quand
on ne mange pas bien, quand on vit mal, on tombe malade et c'est la mort. Vous
aller mourir seuls. »
Cette plainte pose le problème de la qualité et
de la quantité de l'alimentation des personnes âgées. Si
la sous-alimentation pose la question de la quantité de nourriture, la
malnutrition souligne, celle de sa qualité. Pour les personnes
âgées interrogées, elles "mangent mal " et ne "mangent
pas à leur faim". Ceci se justifie en ce sens qu'à cet âge,
le besoin des personnes âgées se trouve essentiellement dans
l'apport en calcium. C'est pour cette raison majeure qu'elles doivent consommer
moins de féculents (manioc, igname, banane...) qui contiennent les
glucides. A l'opposé, leur alimentation doit comporter plus de fruits et
de légumes, qui sont très riches en sels minéraux
(calcium, magnésium, fer, potassium), en oligo-éléments
et en vitamines.
Par ailleurs, les protéines d'origines animale et
végétale, nécessaires au renforcement du système
immunitaire, s'avèrent indispensables aux personnes âgées
eu égard à la fragilité de leur organisme.
Or, l'alimentation des personnes âgées
d'Adjamé-village, est principalement focalisée sur les
féculents, le sucre (qui est en partie à la base du
diabète) et les lipides (le cholestérol surtout) qui sont en
général à la base de l'hypertension artérielle et
des maladies cardio-vasculaires.
I.7 Etat sanitaire
Lors de notre enquête, il nous a été fait
cas de maladies dont souffrent plusieurs personnes âgées, à
Adjamé-village. Ecoutons ces enquêtées :
« Ma mère parle seule. Quand on lui
pose une question, elle répond, mais elle ne parvient pas à
répéter ce qu'elle vient de dire. En plus, elle souffre
d'incontinences urinaire et fécale depuis des années. Son
entretien nous coûte excessivement cher. Vous voyez ces couches
jetables ? Elles nous reviennent à 80 000 francs par mois,
alors que mon mari et moi ne travaillons pas ».
« Cela fait deux ans qu'elle ne peut plus se
déplacer. Elle reste à la maison. Son état de
santé est fragile. Elle pense que cela est dû au fait qu'elle a
beaucoup travaillé pendant sa jeunesse. » ;
« Cela fait 8 ans qu'elle est malade et qu'elle
est à ma seule charge. Le chef de famille ne me vient pas en aide. Ce
n'est qu'en mars 2007, qu'il a apporté 100 000 francs comme aide.
Depuis, plus rien et j'attends toujours. Mon mari est à la retraite et
mon petit salaire de dactylographe, à la Fonction Publique ne suffit
pas. J'ai treize enfants et des petits enfants à charge. Les week-ends,
je suis obligée de me priver de repos, pour préparer de
l'attiéké que je vend au service.»
En somme, ces aînés sociaux souffrent en
général de troubles de mémoire, d'incontinences
fécale et urinaire, de rhumatisme, de diabète, de lombalgie,
d'hypertension artérielle et de maladies de nerfs, pour ne citer que
celles là.
La prise en charge de ces maladies nécessite de gros
moyens financiers. L'on comprend aisément les plaintes plus ou moins
inexprimées qui traduisent la souffrance financière de ceux qui
ont à charge les personnes âgées. Du coup, elles deviennent
budgétivores, pour ceux-ci.
Pour leurs soins médicaux, les personnes
âgées d'Adjamé-village se rendent à l'Institut
National de Santé Publique (INSP), dans les Centres Hospitaliers et
Universitaires (CHU) ou dans les infirmeries privées du quartier.
Autrefois, ces personnes se soignaient à base de
plantes (médecine naturelle). Mais de nos jours, avec l'urbanisation,
ces plantes ne leur sont plus accessibles.
C'est la raison pour laquelle elles ont recours à la
médecine occidentale et orientale (chinoise) qu'elles jugent d'ailleurs
inefficaces, pour leurs maux.
I.8 Logements et cadre de vie
Adjamé-village est un village moderne. La plupart des
logements appartiennent aux familles autochtones de cette cité. C'est
ainsi que toutes les personnes âgées que nous avons
interrogées, déclarent être propriétaires de leurs
logements.
Les hommes sont entièrement propriétaires. Les
femmes, quant à elles, sont soit chez leurs époux, dans la
famille de ce dernier, soit dans leurs propres familles, suivant leur situation
matrimoniale présente et surtout passée.
Au total, quel que soit son genre, aucune personne
âgée interrogée n'est locataire de la maison dans laquelle
elle vit.
Toutefois, ces propriétaires questionnés se
plaignent de l'exiguïté de leurs logements, résultante de
l'urbanisation. Les cours sont peuplées. Et c'est pour remédier
au problème de la promiscuité que ceux qui ont les moyens,
construisent en hauteur.
A cela il faut ajouter les bruits provenant des
véhicules, des commerces, des passants, des établissements
scolaires, qui rendent impossible le repos de ces personnes âgées.
C'est le lieu de mentionner la pollution de l'environnement et les visites
inopportunes des bandits, Adjamé étant un " centre
commercial ".
Chapitre II : LA VIE COMMUNAUTAIRE DES PERSONNES
AGEES D'ADJAME-VILLAGE
De par l'organisation sociale du peuple ébrié,
il existe déjà des institutions telles que les
générations, les classes d'âges et les grandes familles, au
sein desquelles les personnes âgées sont parfaitement
intégrées. A celles-ci, il faut ajouter la chefferie, les groupes
d'amis et les églises auxquelles elles appartiennent.
Leurs conditions de vie, quelles soient bonnes ou
précaires, s'expliquent à travers leurs interactions avec les
membres de ces groupes. De ces interactions, différents types de
rapports se développent.
Pour les besoins de l'analyse, nous allons, dans ce chapitre,
mettre l'accent sur la vie des personnes âgées en dehors de leur
famille, tant au niveau étatique qu'au niveau communal.
II.1 Personnes âgées
d'Adjamé-village : les laissées pour compte
II.1.1 Au niveau étatique
Les personnes âgées du village
ébrié d'Adjamé se disent être les
« oubliés du pouvoir ». Elles s'expriment en ces
termes :
« Nous avons prié pour le
Président Houphouët, demandant à Dieu de le soutenir, de le
bénir pour qu'il devienne le président de la Côte d'Ivoire,
en remplacement des colons. Ce qui a été fait. Nous avons
pensé qu'avec lui, les choses allaient changer en notre faveur. Mais
rien n'y fit. Nous sommes frustrés, très mécontents des
dirigeants qui se sont succédés à la tête de la
Côte d'Ivoire, tous ayant oublié notre cause. L'Etat ne donne rien
aux vieillards, rien, rien, rien... ».
A cet effet, ces aînés sociaux sont tous unanimes
sur le fait que c'est pendant le jeune âge qu'il faut travailler
« dur » pour préparer la vieillesse. Sinon,
« la pauvreté s'attache à vous
jusqu'à la mort. »
Ceci soulève la problématique de couverture de
la sécurité sociale. En effet, les personnes âgées,
en Côte d'Ivoire, semblent être oubliées et exclues des
projets sociaux. Malgré les mutations sociales connues de
l'indépendance jusqu'à nos jours, il n'existe pas pour l'heure,
de structures de prise en charge des personnes âgées, tant au
niveau social qu'au niveau sanitaire.
Ainsi, en cas de survenue d'une maladie quelconque, les
personnes âgées d'Adjamé-village doivent non seulement
faire face à leurs frais médicaux, mais aussi fréquenter
les mêmes hôpitaux que les personnes moins âgées, plus
valides qu'elles. Elles font les mêmes rangs sur les bancs des
hôpitaux et sont reçues dans les mêmes conditions que
celles-ci. Et pourtant, leur état physique, dégradé par
l'âge et par les maladies liées à la vieillesse, exige
qu'une attention plus particulière leur soit accordée, dans les
différentes structures, par le personnel médical et social.
II.1.2 Au niveau de la mairie d'Adjamé
Tout comme au niveau de l'Etat, au sein de la mairie
d'Adjamé, il n'existe pas de programme prenant en compte les personnes
âgées et leurs besoins. Nos entretiens, avec les responsables des
activités socioculturelles de ladite mairie, confirment cette situation.
Les personnes âgées abondent dans le même sens quand elles
affirment les faits suivants :
« Au niveau de la mairie, le maire qui est
là ne s'occupe pas de nous. Ce qui l'intéresse, ce sont les
magasins qu'il fait encaisser par ses agents. Il n'est jamais venu en aide aux
villageois. Nous avons fait une délégation pour aller le voir un
premier jour de l'an. Au moins un mouton ou quelque chose ; mais rien,
rien du tout, il ne nous a rien donné. Et c'est comme cela chaque
année. »
De ce qui précède, nous pouvons dire que
l'urbanisation de la ville d'Abidjan en général, et de la commune
d'Adjamé en particulier, a porté préjudice au peuple
autochtone tchaman. Cette urbanisation l'a privé de certains biens
patrimoniaux tels que la lagune (pour la pêche), la terre (pour les
plantations et les cultures vivrières), les plantes médicinales
(pour les soins), et l'espace vert (pour les jeux, les loisirs et les
activités culturelles).
Il faut cependant noter que l'Etat de Côte d'Ivoire
n'est pas resté indifférent à la situation des villageois
d'Adjamé. Plusieurs actions de dédommagement ont
été faites. C'est à ce juste titre que le quartier
ébrié d'Adjamé a vu le jour dans les années 1963.
Quelques temps après, des sites dont II Plateaux Agban
(Adjamé-village extension) et Paillet, ont été
attribués à ces villageois.
II.2 Place et rôle des personnes
âgées à Adjamé-village
Le statut social est la place qu'une personne occupe dans la
structure sociale. La société tchaman étant fondée
sur les groupes de générations, la place des aînés
sociaux est de ce fait, culturellement définie : c'est le prestige
social que les générations inférieures leur accordent,
objectivement, au sein de la communauté villageoise.
Si le statut met l'accent sur la situation légale et
sociale, le rôle quant à lui, met l'accent sur des tâches
à assumer et des comportements attendus. Le rôle des personnes
âgées consiste donc dans l'ensemble des comportements qui sont
légitimement attendus d'elles. Leur rôle dans la
société traditionnelle est avant tout lié à leur
statut de vieillard comme le relève l'un de nos informateurs :
« une personne âgée est
quelqu'un qui a vécu. Il y a des choses qu'elle a vues et que vous
n'avez pas vues »
Les personnes âgées sont ainsi
considérées comme des personnes
d'expérience, « qui ont vécu, qui ont
vu ». Elles deviennent donc une référence.
Leur place et leur rôle sont alors liés à
la représentation que l'on se fait d'elles.
A Adjamé-village comme dans tous les villages
ébrié, les personnes âgées jouent plusieurs
rôles, à différents niveaux :
Au niveau socioculturel, par exemple, elles jouent un
rôle capital dans l'initiation des jeunes tchaman. En effet,
l'initiation est nécessaire pour tout ébrié qui veut
être associé aux prises de décisions dans le village. Dans
le cas contraire, il est considéré comme un enfant, quel que soit
son âge. Cette initiation qui intervenait autour de 16 ans, se
déroule de nos jours entre 20 et 25 ans, à cause de la
scolarisation et des activités professionnelles que certains exercent en
dehors d'Abidjan.
Antérieurement à la cérémonie
initiatique, le grand âge contribue au choix des chefs guerriers ou
Taprognan. Ce choix intervient après une observation discrète qui
tient compte, essentiellement, de critères physiques des futurs
guerriers. Ces critères sont : être grand, fort, beau et de
tempérament calme, savoir danser et avoir des gestes nobles.
Après ce choix, les chefs guerriers sont
accompagnés sur le lieu d'initiation (autrefois forêt
sacrée, aujourd'hui, cour du roi Nangui Abrogoua), par les
aînés sociaux qui sont eux-mêmes, des chefs guerriers. Cette
formation spirituelle et culturelle est l'occasion pour les personnes
âgées, d'apprendre aux initiés " la danse des
génies ", à travers le tambour parleur ; apprentissage
qui a pour but de déjouer les pièges éventuels qui
pourraient leur être tendus, pendant la danse guerrière. Quant aux
autres membres de la génération, les aînés sociaux
leur donnent des conseils d'usage, leur apprennent le respect et
l'obéissance des anciens, les chants et la gestion du foyer (pour les
filles).
Pendant les fêtes de génération, les
initiés sortent par classe d'âge (chaque génération
comporte quatre classes d'âge). Ce sont, d'abord, les Djehou
(aînés) qui sortent. Ensuite, viennent les Dongba
(puînés) ; puis, les Agban (cadets) et enfin, les Assoukrou
(benjamin).
Pendant ces cérémonies, les différents
chefs guerriers sont testés par les aînés sociaux.
L'exercice consiste à voir si les jeunes générations sont
mûres pour prendre la destinée du village en main. Selon un de
nos informateurs,
« un vieux peut s'asseoir là pendant que
les danseurs arrivent, et il tend un piège. Ce piège peut
être un grand feu, ou un trou. Le piège est tendu au chef
guerrier. Toute la catégorie met sa puissance en oeuvre pour
protéger leur chef guerrier. Si le chef tombe dans ce piège,
c'est que vous n'êtes pas prêts pour prendre la destinée du
village en main. Pour assurer cette protection, nous avons recours à
certains vieux »
Au niveau politique, cinquante notables siègent
régulièrement aux côtés du chef du village. Chaque
classe d'âge de la génération au pouvoir, désigne un
certain nombre de notables qui doivent siéger constamment dans le
conseil.
Plusieurs commissions composent la chefferie :
La commission foncière et de l'habitat est
chargée de régler les conflits fonciers. Elle est chargée
aussi de répertorier, de récupérer et de gérer tous
les terrains appartenant au village.
La commission jeunesse, éducation et culture est
chargée de l'encadrement des jeunes tchaman et de la valorisation de la
culture ébrié.
La commission affaires sociales est chargée de la
gestion des affaires courantes du village (cérémonies
funéraires, cotisations, indemnités...)
La commission litiges est chargée de régler les
problèmes successoraux et patrimoniaux.
La commission des sages est composée d'hommes les plus
âgés du village.
Ici les personnes âgées interviennent surtout
dans la commission litiges et dans celle des sages. En effet, elles sont
consultées pour le règlement des différents litiges tant
au niveau du foncier rural, qu'au niveau des familles. Elles donnent leurs avis
ou leurs témoignages sur un problème donné. Elles sont
également sollicitées pour des conseils d'usage, par la
chefferie. Il faut toutefois noter que la décision finale, dans le
règlement des litiges, revient à la génération au
pouvoir.
Au regard de ce qui précède, il ressort que les
personnes âgées occupent une place de choix et jouent un
rôle primordial dans l'organisation socioculturelle et politique
d'Adjamé-village. Elles participent ainsi, et dans bien d'autres
domaines, à la vie de la communauté villageoise. Elles sont
utiles à la chefferie et aux différentes
générations. De la sorte, elles sont, dans une bonne mesure,
intégrées à la société tchaman.
Toutefois, dans leur vécu quotidien, face aux
vicissitudes de la vie, elles ne bénéficient d'aucune assistance,
au niveau de la communauté villageoise. En effet, il n'existe pas de
structure villageoise de prise en charge des personnes âgées
encore moins d'association pouvant les regrouper. Seules les cotisations
prévues par le règlement intérieur du village, en cas de
décès d'un membre de la famille, leur permettent de
bénéficier de l'assistance villageoise, au même titre que
les autres. Les différentes chefferies qui se sont
succédées à la tête du village n'y avaient jamais
pensé.
L'explication plausible à cette situation, est le
rôle déterminant que jouent les grandes familles maternelles dans
la société ébrié. En effet, il leur appartient de
développer les stratégies et les moyens pour la prise en charge
de leurs membres en général et de leurs personnes
âgées en particulier. Chaque famille est ainsi la seule
responsable de la survie ou de la mort de sa personne âgée. En
somme, le sort des aînés sociaux est entre les mains des grandes
familles. C'est dans cette logique sociale que rien de particulier ne se fait,
au niveau du village, en faveur des personnes âgées
éplorées ou en difficulté. Chacune d'elles se bat tant
bien que mal, pour survivre. L'expression de cet aîné traduit
mieux leurs situations :
« vous crevez si votre famille n'a rien.
De surcroît, nos enfants ne nous aident pas. Ces " enfants de
biberon " n'entendent pas aider leurs parents. »
C'est certainement pour mieux supporter cette situation que
certaines d'entre elles se retrouvent fréquemment autour d'un jeu
d'awalé, pour échanger.
II.3 Personnes âgées et jeunes
générations
Dans le village, les personnes âgées sont aussi
bien en relation avec les personnes de la même génération
qu'elles, qu'avec celles des générations plus jeunes. Bien qu'ils
ne soient pas regroupés au sein d'une association, les
aînés sociaux du village se retrouvent entre eux (groupes d'amis),
se fréquentent (par affinité), en vue d'échanger sur
divers sujets, les concernant.
Les problèmes relationnels surviennent surtout avec
les jeunes générations. C'est sous cet angle que nous entendons
analyser les rapports communautaires (relations hors familles) des personnes
âgées.
A ce niveau nous pouvons en relever quatre types.
II.3.1 Les relations amicales
A Adjamé-village, nous avons découvert un groupe
de personnes âgées qui entretiennent des relations amicales avec
des jeunes. Ce témoignage d'un jeune en est une illustration :
« Nous avons des amis qui jouent très
bien avec les personnes âgées. Ils se taquinent. Ils jouent
à l'awalé. Si les vieux jouent qu'ils ne les voient pas, ils
envoient quelqu'un les chercher. Quand ils font une journée sans les
voir, ils envoient quelqu'un aller les chercher. Quand ces jeunes sont
là, ils ne se sentent pas isolés. Ces vieux là se sentent
plus à l'aise avec eux. On les qualifie maintenant "amis des
vieux ".
Parmi ces jeunes, il y a un qui est leur
préféré. C'est lui qui effectue leurs courses. Ce dernier
est qualifié de "savant" en ce sens qu'il est auprès d'eux
continuellement, et donc qu'il apprend à leur côté.
D'autres par contre vont à leurs occupations et leurs relations avec
les personnes âgées se limitent aux salutations d'usage. Ils n'ont
pas l'habitude de faire des cadeaux aux vieux. »
Leur lieu de rencontre se situe en bordure de la route sous
un hangar, près d'une femme qui vend de la banane frite (alloco).
Il s'agit d'un groupe de 5 personnes âgées, de
genre masculin. Le doyen d'âge de ce groupe d'amis a 85 ans. Le benjamin
en a 75.
Quant aux jeunes, au nombre de 4, ils sont
âgés de moins de 40 ans.
4 membres d'un groupe d'amis de personnes âgées
d'Adjamé-village
II.3.2 Les relations à plaisanterie
Certains types de parents, selon Laburthe-Tolra et Warnier
(1993 : 95) ne doivent pas se rencontrer sans se taquiner librement. C'est
l'expression d'un sentiment de fraternité dont personne ne se sent
offenser.
De là, la parenté à plaisanterie est l'un
des socles de la relation des personnes âgées avec les personnes
du premier et du second âge. A cet effet, voici ce que dit un de nos
informateurs :
« Je suis de la famille du vieux K. Je l'appelle
mon fils. Pendant une réunion je peux l'envoyer chercher quelque chose
pour moi. Et il va. C'est la coutume ».
En conséquence, le tchaman appartient à sa
famille maternelle de par sa filiation matrilinéaire. Toutefois, les
membres de sa famille paternelle ont des droits légaux sur lui, et quel
que soit son âge, un ressortissant de cette famille peut lui donner des
ordres.
II.3.3 Les relations de respect
La société tchaman repose, comme la plupart des
sociétés lagunaires ivoiriennes, sur le système des
classes d'âge, structure sociale, politique et militaire à la
fois. La génération réunit tous les habitants nés
dans une période de quinze ans. Chaque génération, comme
nous l'avions mentionné en d'autres lieux, comporte quatre classes
d'âge que sont les Djehou (aînés), les Dongba
(puînés), les Agban ( cadets) et les Assoukrou (
benjamin).
La norme culturelle voudrait que chaque aîné
social soit respecté et honoré par les moins âgés
que lui. Ce respect fait partie de l'éducation du jeune tchaman. Pendant
les réunions de génération par exemple, aucune
réunion ne peut commencer en l'absence des Djehou
(aînés).
« Quand ils ne sont pas encore venus, c'est que
tout le monde n'est pas présent. Mais quand ils sont là que les
autres sont absents, la réunion peut commencer ».
Aussi pendant leur rencontre, la disposition spatiale des
tchaman impose-t-elle le respect. Pour une génération
donnée, l'on s'assoit suivant les classes d'âge, de manière
progressive et ascendante.
Les personnes âgées, suivant ce principe,
reçoivent respect et considération au sein de la
communauté villageoise. A l'approche du doyen d'âge du village par
exemple, les jeunes se lèvent pour le saluer. Ce respect et cette
considération que les personnes des premier et deuxième
âges ont à l'égard du vieil âge, s'expriment
également dans leur manière de les appeler ou de les
désigner : grand-père (Adjissè), grand-mère
(Baba) ou ancêtre (Nanan).
Tout ceci s'exprime à travers cette position de Kouakou
N'guessan39(*)
François :
Le troisième âge est l'objet de nombreuses
considérations de principes dans les sociétés de
traditions culturelles africaines. A l'âge avancée (60 ans et
au-delà) sont rattachées des valeurs de respect, de courtoisie et
de références positives dans l'ordre de la connaissance de la
morale et de l'exercice des pouvoirs (politique, économique, social,
culturel et religieux).
Nanan Gbanda Nathanaël (88 ans environ) : de la
génération blessoué, doyen d'âge
d'Adjamé-village.
II.3.4 Rapports conflictuels
Les interactions entre les personnes âgées et les
autres membres de la communauté villageoise, notamment les jeunes, ne
sont pas toujours emprunts d'amitié, de plaisanterie et de respect. Nous
avons également des rapports conflictuels. Ce sont des cas d'insultes,
de paroles malveillantes et mêmes de violences physiques.
Pour certains jeunes du village d'Adjamé, le mauvais
traitement infligé aux personnes âgées dépend de
l'éducation reçue. Plusieurs se sont défendus de n'avoir
jamais eu à poser de tels actes envers leurs parents âgés.
Pour ceux-ci, leur culture religieuse ne les autorise pas à maltraiter
une personne âgée.
Toutefois, nos informateurs reconnaissent qu'il existe des cas
de violences à l'égard de certaines personnes âgées
dans le village. Des cas d'insultes ?
« Oui, dans la vie courante, aujourd'hui, ce
sont des choses qui ne manquent pas. »
répond un d'entre eux.
A cet effet, une femme âgée de 80 ans nous a
confié qu'un jeune lui a déjà dit :
« fou le camp ».
« Cela ne m'a rien dit. Je sais que c'est leur
âge. Ils n'ont pas encore l'âge de comprendre les
choses »,
a-t-elle poursuivi.
Ces actes qu'on peut qualifier de maltraitance psychologique
de la personne âgée s'observent, parce que selon un
enquêté :
« les jeunes d'aujourd'hui prennent de la
drogue, consomment de la boisson forte. Quand ils sont dans de tels
états, ils ne respectent plus les vieilles personnes »
Dans le passé, selon l'une des personnes
âgées interrogées,
« les vieux étaient beaucoup
respectés. Maintenant, les jeunes leur parlent comme ils le veulent, du
genre "quitte devant moi" ; "vieille sorcière, tu attends quoi pour
mourir" ou encore, "tu es vieux, il faut mourir maintenant on va avoir la
paix" ; "tous les gens de ta génération sont morts, toi tu
fais quoi ? Tu nous fatigues là ! " »
Tout cela exprime la fragilisation du système social
traditionnel tchaman, d'Adjamé-village. Cette fragilisation se comprend
à travers le changement social intervenu avec l'urbanisation de la ville
d'Abidjan et partant, du contact avec les autres cultures, africaines et
surtout occidentales. C'est de cela qu'il est question avec Amon d'Aby (1958,
p8) quand il soutient qu'au contact de la civilisation occidentale, nos
sociétés tribales ou claniques se sont profondément
bouleversées. Selon lui, depuis ce contact, nos institutions
coutumières n'ont cessé de subir les assauts de la civilisation
dynamique.
A Adjamé-village, même si les institutions comme
la génération et les classes d'âge survivent et continuent
de jouer leur rôle d'enculturation, cela n'empêche pas
d'énormes déviances comportementales à l'égard des
aînés sociaux. En effet, ces institutions ne sont plus les seules
concernées par la socialisation des jeunes générations.
Les écoles occidentales, les mass médias, la rue, le brassage
culturel, sont aussi des concurrents. C'est le lieu de mentionner que le site
géographique d'Adjamé-village constitue un facteur explicatif des
comportements déviants des jeunes du village. Selon une personne
âgée,
« les rues environnantes du village sont
jalonnées de maquis et de bars. Dès 18 heures, nos enfants, du
retour de l'école ou du travail, investissent ces lieux profanes. Ils y
mangent, fument, boivent des boissons alcoolisées, ils entrent ivres
à des heures tardives sans se préoccuper de nous, leurs parents
âgés. »
Aussi, la société actuelle devenue dans une
large mesure capitaliste de consommation, explique-t-elle ce changement. De nos
jours, le jeune tchaman ne dépend plus absolument de son chef de famille
du point de vue économique. En effet, grâce au capital culturel
(notamment les diplômes) acquis par le moyen de l'école, les
jeunes ont la possibilité d'exercer un emploi
rémunérateur. Le salaire ou le revenu mensuel perçu, les
rend facilement autonome vis-à-vis de leur famille dont ils devraient en
réalité dépendre, selon l'organisation et le
fonctionnement de la société ébrié. Cette autonomie
financière des jeunes tchaman implique une certaine indépendance
vis-à-vis des parents âgés qui sont pour la plupart des
chefs de familles. Ils n'ont pas de ce fait de comptes à rendre à
un " vieux " :
« C'est ceux qui n'ont rien à faire qui
sont attachés à ces vieux »
comme le disait l'un d'eux.
II.3.5 De l'évitement à la
marginalisation
Dans la société moderne, les rapports
conflictuels entre les personnes âgées et les jeunes
générations se manifestent également par
l'évitement qui aboutit à une marginalisation plus ou moins
accentuée de la personne âgée, en cause.
Dès lors, ces dernières se sentent
rejetées par la société, surtout lorsqu'elles pensent
être incomprises. En effet, les conflits naissent des divergences de
points de vue; divergences sur la manière de parler, de s'habiller et de
se comporter. Alors que les jeunes qualifient leurs grands parents de "
dépassés ", de " traditionnels ", en rapport à leur
manière d'être, de voir et de faire, ceux-ci trouvent à
leur tour, les jeunes acculturés.
Dans la société traditionnelle, ces
réalités étaient quasi-inexistantes. Voici un récit
qui révèle le processus de la marginalisation de ces
aînés sociaux.
« Il y a des vieux qui trouvent les jeunes de
maintenant arrogants. Les vieux jugent les jeunes à travers les
éléments tels que : la parole, le langage, l'habillement en
se référant à leur époque, à leur temps.
Pour qu'ils approuvent un jeune, il faut que celui-ci se
mette en pagne ; il faut qu'il s'habille comme eux. Quand ils voient les
jeunes porter un Jeans coupé, ils les jugent automatiquement. Ils
commencent à les agresser verbalement. En retour, les jeunes
s'énervent et ils sont obligés de contourner ces vieux pour ne
pas avoir affaire à eux.
Les vieux qui acceptent les jeunes avec leur mode, leurs
comportements, ce sont eux que les jeunes vont fréquenter. Les vieux qui
font tout le temps des reproches aux jeunes sont évités par ces
derniers. »
Nous observons à travers ce texte deux conceptions
différentes du monde : celle des personnes âgées et
celle des jeunes. Pour les personnes âgées, la conception
traditionnelle du monde (culture ébrié), avec ses manières
de se vêtir et de parler est bien meilleure. Les jeunes sont alors
jugés en fonction du savoir, du savoir être et du savoir faire,
qu'ils ignorent, parfois.
Pour les jeunes générations,
« le monde a évolué, les choses
ont changé. Nous ne sommes plus dans les années
1950. »
Ce qui prévaut pour eux, c'est la manière
occidentaliste de faire. Il faut être donc à la mode pour
être en phase avec son époque. Plusieurs personnes
âgées ne semblent pas entendre la chose de cette façon. Et
c'est cette opposition de conceptions qui crée le conflit. Les jeunes
pour éviter d'être continuellement mal vus et mal jugés,
préfèrent passer outre ces personnes âgées aux
conceptions toujours traditionnelles. Ces dernières sont
désormais évitées. Et le prix à payer, c'est la
solitude, l'isolement et partant, la marginalisation.
La marginalisation de certaines d'entre elles, est
également la résultante d'accusations de sorcellerie, d'où
la méfiance à leur égard, tant par les membres de leurs
familles que par les autres villageois.
Chapitre III : LA DEPENDANCE DES PERSONNES AGEES
DE
LEURS FAMILLES ET LES FORMES DE
MALTRAITANCE
III.1 Dépendance des personnes
âgées de leurs familles
III.1.1 Des revenus contraignants à la
dépendance
Selon les données de notre enquête, dans la
sous-population des hommes (14 personnes) 11 perçoivent une pension de
retraite, 2 vivent des revenus de loyer, et 1 vit aux dépens de sa
famille. Dans celle des femmes (12), 4 ont pour source de revenu le loyer et 8
dépendent de leurs grandes familles. Au total, ce sont 9 personnes
âgées qui dépendent de leurs grandes familles.
C'est dire combien de fois, les conditions de vie de ces
dernières sont tributaires de leurs grandes familles,
précisément, pour ce qui est des conditions matérielles,
nutritionnelles et économiques.
Par ailleurs, sur les 11 retraités, 8 perçoivent
une pension allant de 10.000 à 30.000 francs CFA par mois. Parmi eux, 4
ont de 4 à 11 personnes à charge ; 2 ont plus de 12 personnes
à charge et 2, moins de 3 personnes à charge.
Pour tout dire, ces retraités ont au moins 4 personnes
à nourrir, à soigner, à vêtir, à loger,
à scolariser; alors que la pension de retraite (10.000 à 30.000
francs CFA / mois) que l'un d'eux qualifie de " bonbon
glacé ", est loin de satisfaire ces besoins
primaires.
Sur les 11 enquêtés retraités, 10 sont
issus du secteur privé et 1 seul du secteur public. C'est ce dernier qui
perçoit mensuellement, une pension comprise entre 90.000 et 110.000
francs CFA. En effet, en Côte d'Ivoire, la situation des
retraités est différente selon qu'il s'agit d'un ex
fonctionnaire ou d'un ex travailleur du secteur privé. A titre
d'exemple, selon Théodore Kacou40(*)
Un travailleur qui était payé à 200
000 FCFA dans le secteur public, perçoit à peu près 80% de
cette somme, à la retraite et par mois. Ce même travailleur, s'il
avait plutôt servi dans le secteur privé, ne toucherait au maximum
que 70 000 FCFA par trimestre. Soit un peu moins de 25 000 FCFA par mois pour
ce travailleur qui était rémunéré à 200 000
FCFA quand il était en activité.
Pour confirmer ces faits, l'un de nos enquêtés
nous a confié qu'il perçoit moins de 15 000 FCFA mensuellement
alors que son salaire était de 150 000 FCFA par mois. Pour
remédier à cette insuffisance économique notoire, certains
d'entre eux transforment les devantures de leurs maisons en magasins. D'autres
partagent leurs pièces avec des locataires commerçants. Tout ceci
traduit la précarité des conditions de vie de notre population
cible.
Avec de telles pensions qui s'avèrent insuffisantes
pour les concernés mêmes, force est de constater que la prise en
charge d'autres personnes les rend plus vulnérables. Dans ces
conditions, le recours à la grande famille devient une
nécessité pour ces personnes âgées ;
d'où leur vie de dépendance.
III.1.2 Le logement et l'héritage
Chez les ébrié, le logement occupe une place
primordiale, selon l'adage :
« Les maisons des ébrié sont
leurs café-cacao ».
Pour dire que, les logements constituent leurs principales
sources de revenu. La plupart des tensions entre les générations
ou les individus, dans ce contexte, ont pour cause, l'héritage
immobilier. Comment se fait la transmission ?
« Si un homme meurt, ses biens propres
reviennent à sa femme et à ses enfants. Les biens qu'il a
hérités de la grande famille reviennent à la grande
famille. Un an après l'enterrement, la femme est libérée
et remise à sa famille d'origine. Si elle est encore jeune, elle peut se
remarier. Au cas où elle est avancée en âge, elle retourne
dans sa famille d'origine si son mari n'a pas fait de
réalisation. »
Les personnes âgées trouvent dans la
résolution des litiges fonciers et immobiliers salut ou
désolation. Certaines sont des chefs de familles acceptés et ont,
de ce fait, à leur possession l'héritage de la grande famille.
Dans ce cas, elles sont responsables de la satisfaction de leurs besoins
fondamentaux et au delà. Pour d'autres, ce n'est pas le cas. Ces
dernières sont des chefs de familles contestés et
dépossédés des biens familiaux ou continuellement traduits
devant les juridictions coutumières et étatiques.
Comme le relate cet enquêté :
« J'ai déjà
été traduit devant les tribunaux par ma nièce pour un
problème d'héritage. Cela fait cinq ans que le problème
est à la justice. Pour elle, ce n'est pas moi qui devrais hériter
des biens de la grande famille ».
En général, ce sont les hommes âgés
qui sont victimes de ce traitement, de par leur statut de chef de famille.
Quant aux femmes, leur sort dépend le plus souvent des
décisions de la grande famille.
III.1.3 La grande famille et la prise en charge de ses
personnes âgées
La société tchaman est composée de sept
grandes familles, selon l'expression de nos enquêtés. Ce
sont : les Lokoman, les Fiedoman, les Tchadoman, les Godouman, les
Kouèdouman, les Gbadoman et les Abromando. Chacun de ces matriclans ou
mando est subdivisé en plusieurs lignages.
Pour Laburthe-Tolra et Warnier (1994:97),dans ce mini-Etat
qu'est la famille étendue ou le lignage, le chef de famille remplit
à la fois quatre fonctions principales d'autorité :
religieuse, politique, juridique et économique.
Au niveau religieux, il est le prêtre du culte
domestique.
Au niveau politique, il est le mandataire de la
communauté domestique dans les relations politiques, auprès du
conseil du village.
Au niveau juridique, il a juridiction à
l'intérieur de la famille : donne des ordres, prononce des
sanctions, résout les litiges.
Au niveau économique, il est l'administrateur du
patrimoine de la communauté, dont il doit assurer la conservation et
l'accroissement.
En ce qui concerne Adjamé-village, c'est l'homme le
plus âgé du matriclan qui est le chef de famille et qui remplit
également les quatre fonctions sus citées. C'est lui qui est
chargé de la gestion des biens familiaux qui sont le plus souvent,
immobiliers et terriens. C'est de la vente de ces biens ou de leur mise en
location que proviennent les revenus de la famille. La famille procède
également à des cotisations individuelles pour constituer son
budget.
L'une des obligations du chef est d'être le soutien
moral et financier des personnes âgées de la famille.
Néanmoins, ce n'est pas toujours le cas dans toutes les familles. Ici
trois groupes se dégagent, suivant l'assistance familiale aux personnes
âgées.
Dans le premier groupe, les chefs de famille donnent de
l'argent à leurs personnes âgées, surtout aux femmes,
chaque fin de mois. Cette aide peut être également
matérielle, sinon immobilière. Par conséquent, la grande
famille peut mettre à la disposition de son parent âgé, une
maison dont le loyer mensuel lui revient, pour son entretien.
L'assistance de la grande famille peut être
également nutritionnelle. Il y a des cas où les
épouses de chefs de familles apportent un repas au parent
âgé, quotidiennement.
Dans le second groupe, cette assistance
financière et matérielle des grandes familles aux parents
âgés, est irrégulière et insuffisante. Certains de
nos informateurs disaient :
« La grande famille est large. Chacun s'occupe
de ses propres affaires. »
ou encore
: « L'aide vient de la grande famille. Les
temps sont durs, ce qui est sûr, on lui donne quelque
chose. »
Ces personnes âgées vivent ainsi dans une logique
du contentement en ce sens qu'elles ne se plaignent pas du manque
malgré l'insatisfaction de leurs besoins, souvent primaires. C'est ce
que disent ces propos :
« Elle se contente de ce qu'on lui
apporte. Elle n'est pas satisfaite mais elle se contente du peu qu'elle
reçoit »
« Elle se contente de ce qu'on lui
donne, ne sachant d'où d'autres aides peuvent lui
venir. »
ou encore
En outre, le témoignage ci-après de ce vieil
homme de 86 ans, caractérise le troisième groupe de famille.
Dans des familles, l'on ne s'occupe pas des personnes
âgées. On enferme certaines, dans des maisons. Au niveau des
familles, il y a ainsi des personnes âgées
négligées. C'est mon cas. J'ai perdu ma première femme, ma
seconde aussi. Il y a de nombreuses filles dans la famille qui sont veuves. Je
leur ai demandé de venir vivre avec moi pour s'occuper de moi, mais
elles ont toutes refusé. Je suis obligé d'employer des servantes
qui ne s'occupent pas bien de moi. Elles me font toujours manger à 14
heures. Je parle mais elles ne changent pas.
D'autres reçoivent de la visite des membres de leur
famille. Malgré cela, ils ne s'occupent pas d'elles comme il le faut. Ce
qui fait qu'elles ont des soucis. Avant, il y avait l'amour pour les vieux, on
leur faisait des cadeaux, ce qui n'est pas le cas de nos jours où les
personnes âgées sont livrées à elles mêmes.
Les villageois cultivaient l'igname, le palmier à huile et pratiquaient
la pêche et l'esprit de partage régnait dans le village. Les
personnes âgées en bénéficiaient. Aujourd'hui,
même si tu demandes, on ne te donne pas.
De ces témoignages, découle l'abandon physique
et / ou moral de plusieurs personnes âgées, à
Adjamé-village.
II1.1.4 Traitement familial des personnes
âgées
Les aînés sociaux du village sont à la
charge de leurs familles respectives. Ils y occupent la position de grands
parents. Ils vivent ainsi avec leurs descendants et les descendants de ces
derniers, proches ou lointains.
Nous avons constaté que, d'une manière
générale, les aînés sociaux sont beaucoup plus en
contact avec leurs petits enfants. Certes, nous avons rencontré quelques
cas où c'est la fille qui s'occupe de sa mère, ou la petite
nièce de sa grande tante. Même dans ces différents cas, la
petite fille intervient, bien qu'elle ne soit pas seule à le faire.
Dans la plupart des cas donc, ce sont les petites-filles qui
s'occupent de leurs grands parents. Elles sont déscolarisées,
filles mères, divorcées, veuves, ou chômeuses, ou en
quête d'un premier emploi. Ce sont soit des jeunes filles, soit des
jeunes femmes. Outre la surveillance de leurs " mémé " ou
" pépé ", elles sont chargées de faire la cuisine,
la lessive et le ménage. Dans certains cas d'invalidité
(liée au poids de l'âge ou à la maladie), l'entretien de la
personne âgée va jusqu'à la toilette et au port de couches
jetables. Dans ce cas, il s'agit d'une dépendance totale car la personne
âgée n'a plus les capacités mentales et physiques pour
vaquer à ses occupations (se lever, se laver, manger...).
Exacerbés à la longue par cette charge que
constituent les personnes âgées, les petits enfants
transforment les relations grandes parentales, en maltraitance.
Comment en arrive-t-on là ?
Le plus souvent, comme nous l'avons mentionné plus
haut, ce sont les petites filles qui restent en charge de leurs grands parents.
La plupart d'entre elles nous ont confié qu'elles le font
délibérément. Elles s'occupent de leurs grands parents
parce qu'elles les aiment. Elles le font également en reconnaissance de
ce que ceux-ci leur ont été très utiles et les ont
beaucoup aimées, pendant que ces derniers étaient encore adultes.
Il n'est donc pas question de les abandonner présentement, à leur
vieil âge. Seulement, c'est que pour une personne âgée
donnée, il ne se trouve qu'une seule personne (souvent sa petite fille),
véritablement, à ses côtés.
Prendre soin d'une personne âgée demande beaucoup
de précaution, d'attention et de compréhension. Les petits
enfants ne sont pas formés à cela. Avec le temps, la lassitude
apparaît. C'est ce que Robert Hugonot appelle :
« l'épuisement de la
tolérance ».
C'est par cet épuisement que l'on arrive à la
violence à l'égard des personnes âgées. Face aux
exigences de ces dernières et quand leurs comportements atteignent un
tel niveau répétitif ou démesuré, elles
épuisent la tolérance de l'autre et le découragement
s'installe. L'on parvient alors à se demander :
« à quoi sert tout cela, et s'il mourait
pour que je sois enfin libre ? »
C'est alors que les négligences s'étalent. Les
violences psychologiques avec leurs lots de paroles infantilisantes,
dévalorisantes et d'insultes font vite place aux violences physiques,
des plus subtiles, aux plus dramatiques.
A ce manque de formation préalable, s'ajoute la
situation socioéconomique de ces petites filles qui ont la charge de
leurs grands parents. En effet, leurs besoins personnels (vêtement,
argent de poche, scolarité de leurs enfants, pour les filles
mères) ne sont pas pris en charge par la grande famille. Elles se
retrouvent de ce fait dans un dénuement total. C'est pour
remédier à cette situation que certaines abandonnent leurs grands
parents de nuit comme de jour, pour aller vendre. Lors de nos entretiens, une
jeune femme, mère de 2 enfants, divorcée et chômeuse, nous
a avoué abandonner toutes les nuits (de 19h à 23h) sa grande
mère invalide, pour aller vendre devant la pharmacie Saint Michel
d'Adjamé.
Quant aux enfants nés de ces personnes
âgées, ils vivent généralement dans leurs foyers,
hors du village. Alors que quelques uns ont accepté de recueillir leurs
parents âgés dans leurs foyers, d'autres par contre, ont
préféré les abandonner dans la cour familiale et se
contenter de visites périodiques, comme pour soulager leur conscience.
Dans ces cours, tandis que certains membres de la famille, à l'image des
petites filles, font l'effort de subvenir aux besoins quotidiens des parents
âgés (cuisine, ménage...), d'autres, par contre, leur
rendent la vie difficile. Les personnes âgées sont de la sorte
à la merci des autres membres de la grande famille qui habitent la cour.
C'est dans cet autre contexte qu'elles sont victimes de plusieurs types de
violences.
III.2 Formes de maltraitance des personnes
âgées
Une personne est susceptible d'être victime de violence
à pratiquement toutes les étapes de sa vie : enfance,
adolescence, début de l'âge adulte, âge moyen et vieillesse.
Mais, la nature et les conséquences de cette violence peuvent varier en
fonction de sa situation. A Adjamé-village, la violence commise
à l'égard des personnes âgées est
liée à leurs conditions de vie. Ici, ces dernières vivent
avec des membres de leurs familles ou avec d'autres personnes telles que les
servantes.
A travers nos recherches, nous pouvons signaler trois formes
de violences :
La violence psychologique ;
L'exploitation ou la manipulation financière ;
La violence physique.
III.2.1 La violence psychologique à
l'égard des aînés sociaux
Dans ce cas, l'âge avancé est victime
d'insultes, de blasphèmes, d'injures ou d'abandons comme en
témoignent les textes suivants :
« Ma mère a déjà eu des
différends avec les enfants de son frère, sur un terrain que son
frère lui avait donné. A la mort de ce dernier, ses fils se sont
révoltés et sont venus réclamer le terrain, disant que
c'est pour leur père. »
« Elle faisait le commerce. Avec le poids de son
âge, elle a tout arrêté. Son fils qui s'occupait d'elle est
décédé. Depuis son décès, personne ne lui
donne de l'argent. Ses autres enfants ne lui viennent pas en
aide. »
Dans le premier cas, les réactions des neveux ont
profondément choqué cette personne âgée qui s'est
sentie humilier, au sein de la communauté villageoise.
Dans le deuxième, la personne âgée,
victime d'abandons moral et physique, est devenue taciturne, depuis le
décès de son fils. Elle s'enferme régulièrement
dans sa chambre pour pleurer, tout en réclamant la mort.
Par ailleurs, lors de nos entretiens, des informateurs nous
ont confié que plusieurs personnes âgées invalides sont
enfermées dans les maisons. Ecoutons l'un d'eux:
« Il y a des enfants qui trouvent que
leurs parents âgées les emmerdent. Chaque matin, c'est eux qui
doivent être à leurs petits soins. C'est pour tout cela qu'ils
les laissent à la maison sachant qu'à telle heure, ils doivent
aller aux toilettes, pour leurs besoins. Seuls à la maison, ils font
leurs besoins sur eux. Quand leurs enfants reviennent, ils se plaignent et ils
crient sur eux. Vous voyez, ce n'est pas bien ! »
De telles personnes âgées sont en proie à
la solitude, aux frustrations, aux humiliations et ne se sentent pas
suffisamment aimer par les membres de leur famille.
III.2.2 La maltraitance financière
Il s'agit de l'utilisation, à des fins
répréhensibles, de l'argent ou des biens appartenant aux
personnes âgées ou du fait de ne pas les utiliser, pour leur
bien-être. Ceux qui exploitent financièrement le grand âge,
agissent sans son consentement, sinon, à leur propre profit. Cette
exploitation financière peut prendre les formes suivantes : le vol
de son argent ou d'autres biens, la vente de sa maison ou d'un autre bien sans
sa permission, l'utilisation frauduleuse d'une procuration, le fait de ne pas
lui rembourser l'argent qui lui a été emprunté lorsqu'elle
le demande.
A Adjamé-village, certaines personnes
âgées sont victimes d'exploitation financière. Des
pressions sont exercées sur elles pour qu'elles quittent leurs
maisons contre leur gré. C'est surtout le cas des veuves. Toujours sous
l'effet des pressions, des membres de leurs familles les
dépossèdent de leurs maisons, terrains et autres biens. D'autres
ont aussi signé des documents juridiques sous la pression, en vue de les
dessaisir des biens patrimoniaux qu'ils héritent. Il existe
également des personnes qui, malgré leur âge avancé,
gèrent encore des activités lucratives (plantations à
Songon, ateliers de couture, ...) en vue de subvenir aux besoins
matériels et financiers des leurs.
Des informateurs nous ont fait part des cas de maltraitance
financière des personnes âgées dans les familles.
Écoutons leurs témoignages :
« Mon frère aîné a toujours
refusé de s'occuper de notre mère, bien qu'il ait en sa
possession l'héritage de notre père. »
« La famille a arraché la maison
à notre maman après le décès de notre père
pendant près de 15 ans, alors qu'ils étaient mariés
légalement. C'est tout dernièrement qu'on lui a rendu la maison
en raison des impôts impayés. Mes frères qui devaient lui
apporter quelque chose, n'y pensent même pas. »
Dans ces deux cas, les biens des parents âgés
sont confisqués par des tierces personnes (fils aîné,
belles familles) qui refusent par la suite de s'occuper d'eux. Aussi, leurs
droits sont-ils bafoués. L'on ne tient pas compte du fait que les
femmes, par exemple, héritent de leurs maris par le biais du mariage
légal. Malgré cela, elles sont dépossédées
de tous leurs biens et abandonnées, après le décès
de leurs conjoints. En effet, l'organisation sociale des tchaman repose
essentiellement sur la filiation matrilinéaire. L'héritage se
fait toujours dans la grande famille maternelle et c'est l'homme le plus
âgé qui hérite des biens successoraux. La femme n'a pas
droit à l'héritage. Cela justifie la dépossession de la
veuve, des biens de son défunt mari (biens qui reviennent directement
à la famille maternelle de ce dernier) et son renvoi dans sa famille
à elle, un an après le décès intervenu.
En outre, il convient de noter que la plupart des personnes
âgées d'Adjamé-village, ont à charge d'autres
personnes. En fait, comme nous l'avons mentionné plus haut, leurs
proches sont leurs petites-filles, chargées de prendre soins d'elles.
Ces dernières sont des filles-mères pour la plupart.
Sans emploi et sans revenu, certaines vivent avec leurs
enfants, aux dépens des personnes âgées qu'elles assistent.
En général, les petites-filles, tout comme les filles, qui
s'occupent de leurs parents âgés, sont dans cette situation, comme
nous le dit cette dame :
« Je vis chez ma mère avec mon mari et
mes six enfants. Mon mari ne travaille plus, mais il se
débrouille. »
Ce genre de cas ne manque pas dans le village
ébrié d'Adjamé. C'est une forme de maltraitance
financière. Ici, la personne âgée est subtilement
obligée de s'occuper de ses enfants, de ses petits-enfants, de son
gendre et d'autres membres de sa famille.
Des enquêtés ont aussi fait mention de certains
membres de la famille qui refusent de quitter la maison des parents
âgés lorsqu'ils le demandent. C'est le cas de ce petit-fils qui
refuse de libérer la maison de sa grande mère, malgré
plusieurs insistances. D'autres aussi qui habitent ces maisons, refusent de
participer aux dépenses du ménage. De plus, des cas d'agressions
physiques de la part des petits-enfants, sous l'effet de l'alcool et des
stupéfiants, ont été signalés. De la sorte, de
nombreux cas de maltraitances physiques des personnes âgées,
existent à Adjamé-village.
III.2.3 La violence physique à l'égard
des aînés sociaux
Dans ce point, deux témoignages, parmi tant d'autres,
nous interpellent.
Témoignage 1
Dans le village, tout dernièrement, il y a un jeune
qui a poussé sa grande mère dans le couloir. Et quand son oncle,
aussi âgé, est arrivé, il a envoyé un coup à
son oncle. Son oncle est tombé et il s'est blessé. Il a fuit par
la suite. Et pourquoi il a fait cela ? Parce que sa grand-mère a
refusé de lui donner de l'argent.
Témoignage 2
Mes grandes soeurs et moi vivions avec notre
grand-mère, après le décès de nos deux parents. Mes
soeurs refusaient de faire le marché pour notre grand-mère. L'une
d'entre elles, la plus jeune, frappait notre grande mère sous
prétexte qu'elle était sorcière. Quand la vieille les
envoyait, elles refusaient d'aller. C'est d'autres personnes qui partaient
faire le marché pour la vieille. Et tout cela les énervait.
Je partais à l'école et quand ma
grand-mère me voyait à midi, elle se mettait à pleurer en
me racontant ce que mes soeurs lui avaient fait.
De mon côté, voilà comment les gens
ont maltraité ma grande mère.
Il apparaît clairement dans le premier
témoignage, que cette femme âgée est victime à la
fois de maltraitance financière et physique. Du second, il ressort que
des personnes âgées sont brutalisées, battues,
violentées. C'est ainsi que pendant notre entretien, l'une des
enquêtées, âgée d'environ 75 ans, a fondu en larmes,
à l'idée de toutes les agressions verbales et physiques qu'elle
subit, de la part de son petit-fils.
A l'image de toutes les sociétés ivoiriennes, la
société ébrié est en pleine mutation, c'est alors
que l'on observe des comportements anomiques, dans une proportion
grandissante. Certes, l'organisation sociale ébrié est
conservée, dans sa totalité ou dans l'essentiel de ses
composantes. Toutefois, les profondes mutations socioculturelles et
économiques en cours, associées aux influences externes (eu
égard au site géographique d'Adjamé-village), expliquent
le fait que de plus en plus, les jeunes affichent des comportements
déviants. Ces comportements soulèvent la problématique des
rapports sociaux entre les jeunes générations, et celles des
aînés ; les traditions de respect à l'égard des
personnes âgées étant menacées par suite de
l'évolution des moeurs.
Ces comportements peuvent également constituer des
réactions de subversion à la logique de structuration et de
fonctionnement de la société ébrié. Ici, ce sont
les aînés qui possèdent les capitaux (culturel, symbolique,
économique, social). Ce sont eux qui les distribuent. Ils sont les seuls
à dirent ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. En un mot,
ils détiennent les ressources et le pouvoir. En réaction, les
jeunes qui vivent dans le dénuement, dans une certaine mesure,
développent des stratégies de riposte à ce qu'ils pensent
être une injustice.
III.3 Réactions des personnes
âgées face aux maltraitances
Face aux actes de maltraitance, les personnes
âgées répondent de deux manières essentielles.
La première, concerne celles qui pratiquent
" l'exclusion refuge ": elles se cloîtrent chez elles. Elles
préfèrent rester " dans leur coin " comme le dit l'un de nos
informateurs. Elles restent muettes, pensives et solitaires. C'est par ce
comportement taciturne que ces personnes âgées répondent
à la maltraitance, de leur entourage. Certaines pleurent
fréquemment leurs enfants affables, décédés ;
ceux qui s'occupaient véritablement d'elles, dans la mesure où,
ceux qui sont encore vivants, les négligent ou les abandonnent.
A Adjamé-village, c'est aussi le cas de celles qui sont
marginalisées, parce qu' accusées de sorcellerie. Certaines se
réfugient dans un silence de résignation : elles donnent
l'impression de consentir, parce qu'elles se taisent, alors que leur silence
n'est que celui de la résignation.
Ce témoignage d'une dame, petite-nièce d'une
femme âgée de 75 ans, confirme ce fait :
Lorsque je viens voir ma grande tante, je la trouve le
plus souvent assise sur son lit à coucher, entrain de pleurer tout en
réclament la mort. Sa propre fille est dans la cour, mais elle ne
s'occupe pas d'elle. Elle l'accuse de sorcière qui a " mangé "
ses deux grands enfants qui s'occupaient d'elle. Aujourd'hui, elle est
abandonnée par sa fille et par son fils. D'ailleurs, c'est le fils de
cette dernière qui a tenté plusieurs fois de battre la vieille
avec des menaces du genre " il faut mourir maintenant pour libérer la
famille, c'est à cause de ta sorcellerie que nous souffrons tous, que
nous ne travaillons pas." En plus de ces menaces, il a plusieurs fois
bousculé la vieille et l'a fait tomber.
En ce qui concerne la seconde manière de réagir
à la maltraitance, quelques personnes âgées se plaignent
des comportements de ceux qu'elles ont jadis, aidés. Ici, celles ayant
encore un pouvoir de décision (de par leur statut social), privent
leurs maltraitants d'assistance financière et matérielle.
A Adjamé-village, certains grands parents, ont
expulsé de leur maison, des petits- enfants et neveux et les ont
convoqués devant la chefferie.
Chapitre IV : LA DIALECTIQUE DES REPRESENTATIONS
SOCIALES DES PERSONNES
AGEES
IV.1 Les personnes
âgées, objets d'honneur à Adjamé-village
Que nous soyons dans le village ou dans les familles, pour les
tchaman d'Adjamé-village, avoir une personne âgée dans sa
famille, est une grande fierté.
La personne la plus âgée d'Adjamé-village
(96 ans environ) : génération tchagba
Elles sont perçues comme des symboles, des
références culturelles, familiales et
générationnelles. Elles sont vues comme les représentants
des ancêtres : des êtres sacrés. Objets d'admiration,
l'on s'interroge et parfois les interroge sur le secret de leur
longévité.
Pour les habitants de ce village, la longévité
se résume dans le simple fait de rester le seul survivant de sa
génération. La notion de longévité est ainsi
liée à la vie des générations. Suivant un
informateur :
« On dit qu'une personne a vécu longtemps
quand cette personne est restée la seule de sa
génération. Ainsi, dans la première
génération des Tchagba, deux vieilles presque centenaires sont
encore en vie. C'est un honneur de rester le seul de sa
génération composée souvent de 150
membres. »
Dans ce sens, l'on est fier de clamer que son parent est, ou
était, le dernier de sa génération. Visiblement, le petit
fils de Nanan Gbanda tirait un certain orgueil de son grand-père, quand
il nous disait que celui-ci est le doyen d'âge du
village. Dans chaque cour, cette fierté d'avoir le
parent le plus âgé, se lisait sur les visages des enfants et des
petits-enfants.
Dans cette logique, pour nos entretiens, l'on
préférait que des rendez-vous soient pris, en vue de mieux
apprêter la personne âgée (un accoutrement bien
présentable).
En tout état de cause, la plupart des personnes
âgées d'Adjamé-village, sont objets d'honneur et
d'admiration. Toutefois, elles sont aussi sujettes de mépris.
IV.2 Les personnes âgées, objets de tous les
maux
IV.2.1 Une charge pour la famille
Les personnes âgées d'Adjamé-village
dépendent, pour la plupart, de leurs familles. Elles constituent pour
celles-ci, une véritable charge quant à la satisfaction de leurs
besoins en logement, en alimentation, en soins médicaux, en soins
corporels et en assistance de toutes sortes. Dans le contexte de la
récession économique actuelle, la prise en charge des
aînés sociaux, improductifs et budgétivores, devient
problématique pour les membres de leurs familles.
Cette charge se situe aussi au niveau du temps qu'il faut leur
accorder, dans leur assistance. En effet, certaines personnes
âgées sont totalement dépendantes des membres de leur
famille : leurs toilettes, leurs besoins biologiques, leurs nourritures,
leurs surveillances, pour ne citer que ceux-là, exigent qu'on leur
consacre beaucoup de temps. De ce fait, ceux qui les ont à charge sont
obligés de se priver de repos, de distraction et de participation
à diverses activités culturelles.
« Depuis que ma mère est devenue
invalide, cela fait des années que je ne suis pas allée dans une
église pour prier. A la moindre absence, elle me cherche partout et elle
se met à pleurer comme une enfant. »
Nous a-t-elle confié l'une de nos
enquêtées.
De ce qui précède, elles apparaissent comme des
"parasites"et des "occupants encombrants",
des charges supplémentaires dans les ménages ; objets de
paupérisation. Dès lors, l'on n'est plus loin de se
demander :
« il attend quoi pour
mourir ? »
IV.2.2 Les personnes âgées : " les
mangeurs d'âmes"
Si pour les familles tchaman, la longévité d'un
parent un objet de gloire, cet objet d'honneur est vite traité de
sorcier, lorsqu'elles sont confrontées aux difficultés
liées à la satisfaction des besoins existentiels de ce dernier et
au décès précoce des plus jeunes. S'il vit encore, c'est
qu'il appartient à une confrérie de sorciers où
« ils ôtent la vie des autres » pour vivre plus
longtemps.
Dans la société actuelle, eu égard au
mode de vie, mourir à un âge jeune ou adulte semble normal.
L'espérance de vie qui tourne autour de 40 ans, conforte cette
idée. Vivre longtemps devient alors sujet à spéculation.
Devenir personne âgée et surtout très âgée
(atteindre le quatrième âge), c'est appartenir à un autre
monde, celui de l'irrationnel. Justement, la sorcellerie en Afrique
relève de l'irrationnel. Les sorciers ont pouvoir de vie et de mort.
Cette disposition mentale voit ipso facto les personnes
âgées, appartenir à un tel monde.
Ecoutons ce récit d'accusation de sorcellerie.
Les cas d'accusation des personnes âgées, de
sorcellerie, existent et sont nombreux. Moi-même, j'ai
été accusé de sorcier par ma nièce et certains
habitants du quartier. J'ai été accusé d'avoir mis un
caillou dans son ventre en lieu et place d'un bébé. La grossesse
a duré onze mois. C'est au bout du douzième mois qu'elle a
accouché.
Le personnel médical avait diagnostiqué un
fibrome. Après l'accouchement de cet enfant, qui vit jusqu'à ce
jour, ma nièce a formé une délégation pour venir me
demander pardon.
De tels cas d'accusation des personnes âgées de
sorcellerie, sont fréquents dans le village. Toutefois, ce sont des
problèmes qui sont réglés en famille et non devant la
chefferie. Ici, la maltraitance s'explique par la mauvaise
représentation que l'entourage se fait des personnes âgées.
En effet, leur image est dans la plupart des cas, ressentie de manière
négative. Nous avons rencontré des cas où tous les enfants
de la personne âgée sont décédés et le seul
vivant, refuse de s'approcher d'elle, de peur de mourir à son tour.
Au total, les stéréotypes qui sont
véhiculés à leur encontre et les difficultés
qu'elles rencontrent, peuvent trouver dans une certaine mesure, leur origine
dans le fait qu'elles n'exercent plus de rôle dans la production et la
transmission du patrimoine. Ceci soulève la problématique de leur
participation sociale. Elles ne correspondent donc plus dans notre
société actuelle, aux critères matériels du
succès ; ce qui explique leur marginalisation. Elles sont alors
perçues comme une charge et la société a du mal à
réaliser leur utilité sociale ; d'où l'insuffisance
de leur intégration sociale.
IV.3 La question des hospices de
vieillards
En vue de mieux apprécier la position des jeunes et de
celle des personnes chargées de s'occuper des parents âgés,
nous leur avons exposé la question des hospices de vieillards, en
occident. L'idée principale était de savoir, si nos
enquêtés qui disent être tant attachés à leurs
parents âgés, accepteraient de les interner dans les maisons de
repos, au cas où elles existaient en Côte d'Ivoire.
D'une manière générale, sur ce sujet, les
avis de nos enquêtés sont partagés. Les uns sont pour le
regroupement des personnes âgées dans ces structures d'accueil.
Ceci en faveur surtout, des personnes âgées qui n'ont personne
pour les prendre en charge.
Les autres sont catégoriques sur la question et ne se
sentent pas disposer à exiler leurs parents âgés dans une
maison de repos. Ils préfèrent eux-mêmes en prendre soin
afin que ceux-ci bénéficient de la chaleur familiale, qu'ils
aient l'occasion de jouer avec leurs petits enfants et leur raconter les faits
passés.
Les derniers souhaiteraient que leurs parents restent avec
eux. Toutefois, pour leurs soins et alimentation, que l'Etat leur octroie des
aides et des prises en charge.
Au total, dans leur majorité, nos enquêtés
qui ne sont pas en contact direct avec les parents âgés, ne
souhaiteraient pas les interner dans des maisons de repos, au cas où
elles existeraient en Côte d'Ivoire. Pour eux, les hospices de vieillards
sont propres à la culture occidentale. Ils ont eu l'occasion de vivre
avec leurs grands parents et ils ne veulent pas les isoler pour cause de
vieillesse. Ils entendent transmettre cette manière de faire (vivre avec
les parents âgés) à leurs descendants, pour
perpétuer leurs coutumes.
Au demeurant, ce sont ceux qui sont plus proches des personnes
âgées et chargés de s'occuper d'elles, qui sont les plus
disposés à les exiler dans des maisons de repos, si cela
dépendait d'eux. Ils justifient leur position par le fait que cela leur
permettrait d'avoir un peu plus de liberté pour vaquer à leurs
propres occupations.
Il convient de noter également que plusieurs personnes
âgées se sont prononcées pour leur retrait dans des maisons
de repos. Pour elles, non seulement cela leur permettrait de s'éloigner
des bruits du quartier et de la maison (en rapport au site
d'Adjamé-village), mais surtout, se serait le moyen de contraindre
l'Etat à s'occuper d'elles.
CONCLUSION GENERALE
Les personnes âgées constituent un groupe social
très important dans la société ivoirienne actuelle. Leur
importance est à la fois socioculturelle et démographique. Dans
le processus de changement social que connaissent nos sociétés
traditionnelles, la perception qu'on a des vieillards a considérablement
évoluée. Nous assistons de plus en plus à une
désacralisation des personnes âgées au point qu'à la
dégradation de leurs conditions de vie (sociale, économique,
matérielle, physique, psychologique), l'on ne manque pas d'user de
violences de toutes sortes (physique, psychologique, financière),
à leur encontre.
C'est pour mieux approcher un tel phénomène que
nous avons choisi de l'étudier dans un milieu social
(Adjamé-village), caractérisé par les recompositions
familiales, la crise économique, les pertes d'emploi, l'amenuisement des
ressources étatiques et communales ; par l'impact des dynamiques
urbaines. Il a été essentiellement question de savoir comment les
populations d'Adjamé-village construisent la maltraitance des personnes
âgées.
Notre étude a tenté de saisir les contours de
cette question, à travers des entretiens avec les
générations anciennes, les jeunes générations, les
familles et les autorités villageoises.
A Adjamé-village, la construction sociale de la
maltraitance se fait surtout dans le cadre familial "recomposé", mais
aussi dans le cadre communautaire villageois. A cela, il faut ajouter ce que
nous pouvons qualifier de "maltraitances étatique et communale"
des personnes âgées, résultantes de l'absence d'une
politique de leur prise en charge socio-sanitaire.
Au niveau familial, il ressort que les personnes
âgées en grande majorité vivent dans des familles
constituées de leurs petits enfants, essentiellement. C'est ceux-ci,
notamment les petites filles, qui s'occupent d'elles. Notre étude a
montré que la maltraitance des personnes âgées est
l'aboutissement d'un processus de lassitude (l'épuisement de la
tolérance), dans l'assistance familiale (financière,
psychologique, physique) aux personnes âgées.
Aussi, faut-il noter qu'elle est la conséquence de la
pauvreté économique des petits-enfants. En effet, ceux-ci
finissent par en vouloir à leurs grands-parents (supposés
détenir les richesses de la famille) lorsqu'ils ne parviennent pas
à leur venir en aide. A ce niveau, il serait souhaitable que les grandes
familles qui assistent les personnes âgées, intègrent
également les petits enfants à leurs préoccupations
d'assistance familiale. Ces grandes familles devraient aider les petites-filles
chargées de s'occuper de leurs grands-parents, à scolariser leurs
enfants et à subvenir à leurs besoins fondamentaux. Les chefs de
familles doivent réellement jouer les rôles qui leur sont
dévolus, en prenant effectivement en charge les personnes
âgées, tant sur le plan financier que sur le plan social.
En ce qui concerne le village, il devrait songer
véritablement à la prise en charge de ses anciens, les garants de
sa tradition, jadis constructeurs de son bien être social. A cet effet,
il peut constituer une caisse d'entraide destinée aux personnes
âgées en difficulté. Aussi, les normes villageoises
devraient-elles être un peu plus strictes à l'égard de tous
ceux qui, en famille comme dans le village, maltraitent les personnes
âgées. La chefferie gagnerait à s'impliquer fortement dans
le règlement des conflits familiaux liés aux personnes
âgées, au lieu de toujours les ramener en famille.
Au niveau étatique comme municipal, une assistance
financière, sanitaire, logistique, juridique, aux personnes
âgées, s'avère nécessaire. A l'image de l'ALMA, en
France, un réseau d'écoute téléphonique des
personnes âgées maltraitées, devrait voir le jour. Aussi,
faut- il, avec l'aide de la Société Nationale Ivoirienne de
Gériatrie et de Gérontologie (SNIGG), organiser des
séminaires de formation des personnes proches des aînés
sociaux, en vue d'une meilleure prise en charge de ces derniers.
Pour ce qui est de ceux-ci et des personnes proches d'eux, il
leur serait profitable de s'adapter au style de vie des uns et des
autres :
« adaptation des vieux au style de vie des
jeunes, comme il peut être demandé en retour aux jeunes de
s'adapter au style de vie de leurs anciens »41.
Cette adaptation-tolérance est alors le
garant de la paix du ménage, de la famille et partant, des relations
familiales et communautaires des personnes âgées.
Ces recommandations ne sont pas exhaustives, tout comme
l'ensemble de la présente étude. Les personnes âgées
allochtones d'Adjamé-village n'ont pas été prises en
compte. De plus, une enquête ethnographique, exigeant un séjour
beaucoup plus prolongé sur le terrain, permettrait de cerner davantage
la maltraitance des aînés sociaux d'Adjamé-village, telle
que celle des personnes âgées enfermées dans des maisons,
depuis des années.
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* 1 Schwartz (1975), La vie
quotidienne dans un village Guéré
* 2 Institut National de la
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* 3 INS, situation
socioéconomique des personnes âgées, mai 2001 : 51
* 4 ONU, Madrid, 12 avril
2002
* 5 OMS, 2002
* 6 Idem, OMS
* 7 INS, Mai 2001, Situation
socio-économique des personnes âgées p65.
* 8 Théodore Kouadio,
Fraternité Matin du 23 Avril 2007
* 9 Cité par Soungalo
Koné, Ouest Afrique économie, n°16 de septembre 2007
* 10 INS, op. Cit. Mai
2001
* 11 L'Inter du vendredi 26
janvier 2008, n° 2910, p10.
* 12INS, RGPH-1998.
* 13 Cités par Olivier
De Ladoucette (1999), Bien vieillir, Bayard, Paris.
* 14 Idem, p109.
* 15 In Bianchi et al., La
question du vieillissement - perspectives psychanalytiques, 1989
* 16 Cité par R.
Marescotti (juin 2003), in « Le respect de la personne
âgée en institution » [en ligne], http://
www.cec-formation-net.
* 17
http//pre 20031103.stm.fi/français
* 18 Allô maltraitance
des personnes âgées (ALMA), http://www.asso.alma.free.fr
* 19 Robert Hugonot, La
vieillesse maltraitée, 2003
* 20 Congrès de
l'Institut National Américain du vieillissement, consacré aux
« conflits familiaux et violences contre les vieux », en
mai 1991.
* 21Cité par R. Hugonot,
op. cit.
* 22 Idem
* 23 Idem
* 24 Paul Paillat (1963),
Sociologie de la vieillesse, paris : PUF.
* 25 ALMA France, op. Cit.
* 26 Idem
* 27 Idem
* 28 Hélène
Thomas et al. Drees, Etudes et Résultats, n° 370, janvier 2005
* 29 OMS, 2004
* 30 Op.cit. p131
* 31 ALMA, op. cit.
* 32 Cité par J.P, Bois
(1963), Histoire de la vieillesse, Paris : PUF.
* 33 Cité par J.P, Bois
(1963), Idem.
* 34 Op.cit
* 35 Idem
* 36 Peuple lagunaire de la
Côte d'Ivoire, « ébrié » est
l'appellation coloniale du nom réel, « Tchaman ».
* 37 INS, RGPH-98
* 38 Béatrice Carraz,
« L'alimentation des personnes âgées »; [en ligne]
http// www.alimentation-et-sante.com
* 39 N. Kouakou, intervention
lors de la journée de la Société Nationale Ivoirienne de
Gériatrie et de Gérontologie (S.N.I.G.G), 22 nov. 2007
* 40 Théodore Kacou,
président de l'union nationale des retraités en Côte
d'Ivoire (UNARCI), http// www. Ouestafriqueeconomie.com.
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