Rapports interethniques et différenciation identitaire en milieu rural : Cas d'Aboudé-Mandéké dans le département d'Agboville.( Télécharger le fichier original )par Karamoko KONE Université Cocody-Abidjan - DEA 2007 |
VII- DIFFICULTES DE L'ETUDEL'indisponibilité des enquêtés a considérablement allongé la durée de l'enquête. En effet, le chef du village était durant toute la période de l'enquête à Abidjan pour cause de maladie. Nous avons eu recours au secrétaire général de la chefferie qui représente le deuxième personnage de la chefferie après le chef. Le chef burkinabé est décédé juste avant la période de l'enquête, nous avons eu recours au fils de l'ancien chef de communauté burkinabé, lui - même ancien chef des jeunes. Enfin notre enquête a été reportée de deux mois en raison des obsèques du chef de terre. Ces facteurs ont énormément retardé le rythme de notre travail.
PREMIERE PARTIE : CONSTRUCTION DES IDENTITES SOCIOCULTURELLES ET DELIMITATION DES GROUPES
Dans cette partie il s'agira pour nous de comprendre comment les modalités d'occupation de l'espace villageois par les différentes communautés ethniques contribuent à préfigurer la différenciation intercommunautaire. Cette préprogramation de la différenciation interethnique se saisit également dans les représentations des groupes qui édifient des barrières socioculturelles de disqualification. Comment le style d'occupation de l'espace façonne-t-il le marquage identitaire? En quoi les processus de reproduction de la société d'origine pré fabriquent la différenciation interethnique à Mandéké ? CHAPITRE I : ITINERAIRE MIGRATOIRE ET HISTORIQUE DES COMMUNAUTES ETHNIQUES Plusieurs groupes ethniques cohabitent sur le site d'Aboudé Mandéké, celui-ci étant composé "d'un terroir originel" : noyau villageois et d'un "terroir éclaté"38(*): implantations de campements allochtones. Ce chapitre vise à comprendre les processus de singularisation à travers les stratégies d'implantation des différentes communautés ethniques. La construction sociale des Aboudé comme entité autochtones est la base de la production des sentiments d'inégalité Aboudé-migrants. Issue de vagues migratoires, la présence d'unités singulières de migrants entame le processus de différenciation identitaire. Quelles sont les idéologies qui président à ces processus sociaux ? I. 1 Historique du peuplement krobou II. 1. 1 De l'origine des krobou.
Les krobou font parti du grand groupe des Akan lagunaires avec pour proches voisins les Abidji, les Attié et les Abbey. Contrairement aux Essouman, Aïzi et Avikam qui vivent sur les bords des lagunes ; les krobou tout comme les Abbey et Abidji occupent les terres de l'intérieur qui jouxtent les lagunes. Parmi les Akan lagunaires, seuls les Aïzi, les Abidji, les Abbey les Krobou ont un système de filiation à accentuation patrilinéaire, disposé en classe d'âge. Mais n'ont pas d'Etat centralisé, l'autorité se limitant à chaque village; Oress-krobou est le "foyer originel" de tous les krobou, car issus de la migration Akpafu-gbabrobo-Adele-Avitime39(*), ce site fut l'un des centres de rassemblement et unique village des krobou qui vivent à l'ouest du fleuve Agbo (Agneby). I. 1. 2 De la légende locale : origine céleste des krobou. « Nous sommes descendus du ciel, nous avions un chef appelé ADJE Mangbou qui opprimait. Il confisquait toute la récolte et affamait son peuple. Un jour, Dieu nous réunit en l'absence du roi et décida de nous débarrasser de lui. Pour ce faire disait-il "je vais vous faire descendre sur terre pour vous permettre de vivre en paix ". Il nous offrit une longue chaîne et un escabeau pour la descente. La fuite s'organisa secrètement afin d'éviter la terreur du tyran. Elle eut lieu au moment ou tout le monde dormait. La chaîne fut jetée. Et la population commença à descende. Mais le roi informé par l'un de ses hommes put s'accrocher à la chaîne pour nous rejoindre. Pendant la descente la chaîne craqua et seulement trente deux personnes et une femme stérile purent regagner la terre. L'endroit où nous sommes descendus fut appelé Krobou du nom de notre peuple. » 40(*) Les krobou tiennent cette tradition orale des Zomon sous-clan du groupe krobou. Si les Zomon disent être descendus du ciel à l'aide d'une chaîne ils tiennent cette tradition de leur groupe d'origine krobo en côte de l'or appelé le clan Akradé. Ce clan affirme être descendu du ciel pour atterrir dans deux grands récipients en cuivre. C'est cette tradition orale d'origine céleste des Akradé qui a retenu l'attention de la plus part des clans krobo dont les Zomon. Ainsi donc à partir d'Oress-krobou seront créés Aboudé Kouassikro et Aboudé Mandéké déformation d'Aboudé Man Diliké: Chez Abou on trouve la nourriture. A Aboudé Mandéké cinq grandes familles se partagent le droit d'autochtonie à savoir les bouèdè, les zomon les dabou, les aka-bosso et les koffi bosso qui forme le clan Ngadjè, les premiers à s'établir à proximité du site actuel. Aboudé Signifie village de Abou, le premier à s'établir sur le site d'Aboudé kouassikro suivi par son lignage. La promiscuité du clan Ngadjè, les derniers venus d'Oress-krobou avec les autres membres, pousse ce clan à se retirer et à trouver un autre site auprès du site actuel appelé Dimpou. Pendant la colonisation la recherche de mains-d'oeuvre amena les colons à l'établissement forcé des indigènes aboudé sur le site actuel nommé par la suite Aboudé Mandéké lors du tracer de l'axe Ndouci - Agboville. I.1.3 Des caractéristiques du milieu naturel favorable à l'économique de plantation. Les Aboudé sont installés non loin du fleuve ``coconzo'', l'une des ramifications de l'Agneby, les caractéristiques du milieu naturel vont ensuite favoriser la venue massive de communautés migrantes : - Le milieu naturel est favorable à la production des cultures d'exportation que sont le café le cacao et le palmier à huile. Le sol, le relief et le climat sont à l'image de ceux de l'ensemble du département. - Le sol est de type férralitque légèrement lessivé sur roche granitique. Il est généralement pauvre en argile et se caractérise par la présence fréquente d'horizon gravillonnaires et d'une faible proportion d'éléments grossiers. Ce qui le rend favorable à toutes les cultures. - Le relief est très accidenté et se caractérise par la présence de collines et de vallons plus ou moins accentués dépassant rarement 1000m d'altitudes. La présence de nombreux bas-fonds souvent marécageux constitue la principale contrainte physique. - Le climat est de type tropical humide (attiéen) caractérisé par deux saisons humides et deux saisons sèches. On le voit les possibilités du milieu physique ayant permis le développement ultra-rapide de l'économie de plantation est à l'origine de l'arrivée des vagues migratoires et de la transformation du statut de la terre devenue désormais une source de richesse et donc un enjeu économique entre les composantes ethniques du terroir villageois. Trois termes permettent d'identifier la communauté autochtone d'Aboudé Mandéké à savoir les krobou, dénomination unifiante et unificatrice. Lorsqu'un autochtone se désigne krobou, il fait référence à l'ensemble du groupe dont la base est à Oress-krobou. Ainsi, « le krobou est venu du ciel (...), ne mange pas et n'élève pas le cabri ». Le terme krobou est employé de nos jours pour désigner ceux resté sur le site d'Oress-Krobou. Les Aboudé sont une phratrie des Krobou du nom de ceux ayant suivi Abou dans sa migration vers le site actuel d'Aboudé Kouassikro dont une partie s'est ensuite détachée pour créer Aboudé Mandéké. Les aboudé sont donc les krobou originaires d'Aboudé Mandéké et Kouassikro. Une troisième appellation semble de plus en plus spécifier les habitants de Mandéké à savoir les Mandéké. Si l'Aboudé se recrute dans les deux villages Kouassikro et Mandéké, le Mandéké ne se recrute qu'à Aboudé Mandéké. Bien que pas assez suffisamment employé, ce terme comme « identifiant » tend à s'imposer comme identité des Aboudés vivant à Aboudé Mandéké. Comme on le voit, l'ethnie est une structure sociale en réserve41(*) pouvant ou non être activée par les acteurs. Elle n'est pas une structure de base immuable, c'est le sentiment d'appartenance perpétuelle à un groupe. C'est une reconstruction historique. Du Krobou, groupe originel créé par la migration naquirent successivement l'Aboudé, (référence à un ancêtre commun), et le Mandéké (référence à un territoire). C'est cette conscience d'appartenance qui guide les autochtones Aboudé dans les processus d'identification, non seulement vis-à-vis des autres autochtones mais aussi vis-à-vis de l'ensemble des groupes migrants présents sur le site et dans le terroir villageois à la faveur de l'économie de plantation. I.2 Migration et établissement des communautés migrantes à Aboudé Mandéké. I.2.1 Installation des allochtones et éclatement du `` terroir originel'' Les premiers migrants à investir les terroirs d'Aboudé Mandéké sont les Baoulé et les agni. Depuis la période coloniale et la création d'Aboudé Mandéké, les premières communautés à côtoyer les Aboudé furent les Agni et les Baoulés. Dans les discours autochtones, « Mandéké veut dire «man di like'' qui est un terme agni. Ce qui veut dire que nos rapports avec ce groupe ne datent pas d'aujourd'hui. » Cependant, les baoulé et Agni ne se sont pas établis aux cotés des Aboudé dans le cadre de l'économie de plantation. Ils ont notamment créé des campements ou des abris de fortune aux abords des plantations de café et de cacao qu'ils exploitent. Ils ont pu avoir directement accès à la terre grâce au système de tutorat qui présidait les rapports au moment du démarrage de l'économie de plantation. Ainsi, laissant les villages autochtones, ces groupes ont recréé au sein de ces implantations à l'origine temporaires un espace social semblable à celui de leur groupe d'origine. Ayant acquis de vastes surfaces de forêt dès le début de leur installation, les plantations des chefs de familles Baoulé et Agni dépassent la moyenne villageoise en superficie. En dehors de ce type d'établissement à l'origine qui leur était propre, les communautés Agni et baoulé qui s'établissent de nos jours le font aux coté des autochtones et d'autres migrants allochtones à savoir les sénoufo, les malinkés et les Gouro (les derniers allochtones à venir s'établir auprès des autochtones) présents à Mandéké depuis la période des indépendances. A l'égard des Agni et Baoulé les Sénoufo et Malinké s'investissent activement dans l'économie de plantation pendant que les Gouro exploitent les bas-fonds marécageux pour la culture du maraîcher. Leur arrivée est assez récente. I.2.2 Etablissement des allogènes Les migrants allogènes d'Aboudé Mandéké sont de diverses nationalités. On y trouve des maliens, des guinéens, des ghanéens et surtout des burkinabé représentant la plus importante numériquement parmi ces communautés. Tout comme la plupart des allochtones les burkinabé se sont investis principalement dans l'économie de plantation et se sont installés en recréant le mode de vie d'origine. Mais contrairement aux baoulé et Agni, les burkinabé n'ont pas eu un accès direct à la terre. Issus parfois de parcours migratoire de plusieurs étapes, les burkinabé sont généralement employés au départ comme manoeuvre par les Aboudé et accèdent finalement à la terre soit par achat (c'est le cas le plus fréquent), soit par don de la part du tuteur, d'une surface que le migrant exploitait uniquement pour le vivrier destiné à la consommation domestique. La deuxième communauté allogène numériquement importante est la communauté malienne. Les membres de celle-ci ont le même parcours migratoire que les burkinabé. « Lorsque je suis arrivé à Kouadjakro, j'ai été reçu par Akalé avec qui j'ai acheté 17hectares de forêt. Mon premier champ, je l'ai laissé à mon oncle à Moha (Aboisso).Avant d'avoir ce champ, j'ai été d'abord bouzan à Biesso (Aboisso) où j'ai débarqué quand je suis arrivé du mali en 1966. C'est pendant la construction de la SODEPALM en 1972, que mon champ a été détruit et on m'a dédommagé à hauteur de 600000fcfa. C'est cet argent que j'ai pris pour acheter la forêt à Kouadjakro en 1974 » On le voit, le mode d'accès à la terre varie selon les groupes ethniques et prédétermine les rapports de différenciation interethniques. CHAPITRE II : PARTAGE DE L'ESPACE ET DOUBLE PROCESSUS D'HOMOGENEISATION ET DE DIFFERENCIATION ENTRE ABOUDE ET MIGRANTS. Dans ce chapitre il s'agit dans un style constructiviste de montrer comment les acteurs exploitent la conscience d'appartenance communautaire pour configurer l'agir collectif. Pour cela il s'agira d'identifier les facteurs d'inclusion et d'exclusion sociale et de montrer leurs influences sur les rapports interethniques. Il s'agit donc pour nous de montrer comment Aboudé et migrants se construisent, à la fois comme membres d'un groupe spécifique, ethnie ou communauté d'origine et comme membre de la communauté villageoise dans son ensemble. C'est un double processus de construction ethnique sur la base d'éléments sociaux collectivement partagés. II.1. Les facteurs de différenciation identitaire Les éléments de différenciation sociale entre les différentes communautés d'Aboudé Mandéké sont multiples. Ils permettent aux individus et aux groupes de se construire grâce aux représentations sociales qu'ils se font de leur communauté mais aussi des différents groupes en présence.
II.1.1 L'appartenance ethnique et la nationalité comme facteurs d'identification primaire. Le premier élément qui divise les groupes à Aboudé-Mandéké est l'appartenance ethnique. Les groupes se construisent et occupent l'espace en fonction des liens ethniques. Aux cotés des autochtones Aboudé préétablis, les premiers migrants se sont installés en reproduisant un style de vie communautaire semblable à celui de la société d'origine. Cette reproduction du mode de vie d'origine fonctionne à travers la reproduction des liens de parenté dont le premier élément est la famille. · De la famille à la communauté comme modèle de reproduction de la société d'origine. Le terme de famille correspond à un concept assez imprécis. Au sens étroit du mot c'est « un groupe de personnes reliées par le sang, le mariage ou l'adoption et résident habituellement ensemble avec pour objet la survie économique, l'identification individuelle et collective, et l'élevage des rejetons éventuels42(*) ». La famille que recrée le migrant au moment de son installation est d'abord une famille élémentaire ou famille nucléaire composée de l'homme, chef de famille et son épouse avec ou sans enfants. Employé comme manoeuvre pour les allogènes il se construit un abri de fortune à l'écart de la maison du tuteur et s'y installe avec sa femme et son éventuel enfant. Parfois il s'agit de foyer polygame (famille composée) et très vite accourent d'autres membres de la famille (famille élargie) au fur et à mesure que le statut du chef de famille évolue. Avec l'arrivée massive d'autres membres de la famille se créent une ambiance familiale semblable à celle de la société d'origine. Sont ainsi aisément reproduits la langue comme outil de communication, la religion, les interdits et toutes les autres caractéristiques de la société d'origine. La famille fonctionne donc comme un élément vital de la différenciation entre groupes migrants et autochtones. En plus de ce rôle de reproduction culturelle, la famille a une fonction économique comme l'on soulignés Schwartz A., Martinet F.et al. « La famille dans les zones de départ comme dans les zones d'arrivée, constitue pour les migrants, un réservoir de main d'oeuvre. Elle diminue considérablement le coût social du développement. Sa reproduction est donc indispensable dans la pratique de l'économie de plantation. »43(*) Pour Meillassoux C (cité par Swartz A et al), « le fait important chez les migrants était la persistance des structures familiales de production appelée «communauté domestique»44(*) A coté de la famille il y a la communauté, celle-ci se crée à partir de l'association de plusieurs groupes familiaux qui réclament une origine commune. Cela étant perçu comme un signe de cohésion et de solidarité. La communauté se crée donc à partir du moment où les individus ou groupes se réclament de la même identité perçue quant à elle comme un principe de cohésion intériorisé par une personne ou un groupe, où un ensemble de caractéristiques sont partagées par les membres du groupes, qui permettent un processus d'identification des personnes au sein de ce groupe et de différenciation par rapport à d'autres groupes. La formation des entités communautaires est alors un double processus d'inclusion et d'exclusion sociale. Ainsi à Aboudé-Mandéké, Agni et Baoulé ont des pratiques similaires au plan social et culturelles à telle enseigne qu'elles sont généralement perçues comme formant une communauté unique ( Agni - Baoulé ). De même les Malinké, les Sénoufo et les Burkinabé forment le grand groupe Dioula. Ils partagent le quartier Dioulabougou. Bien que les Mossi soient les plus nombreux de cette grande communauté, ce quartier est ainsi nommé à cause du fait que les Aboudé ont tendance à appelé Dioula tous les individus ou groupes de religion musulmane : il s'agit des nordistes ivoiriens, des maliens, des guinéens et burkinabé. Ici la source de l'identification ethnique constitue le partage de l'héritage culturel transmis par des ancêtres issus d'une expérience historique commune. La préservation de l'identité du groupe est assurée par un processus de reproduction globale de la société qui repose sur des données intuitivement perçues comme immédiates et naturelles de l'existence sociale à savoir la langue, les liens biologiques, la religion et les récits mythiques. Ce processus de construction symbolique de l'autochtonie s'enracine dans les modèles et les pratiques des individus. Il apparaît donc que, la famille, l'entité ethnique et la communauté fonctionnent comme des marqueurs sociaux des identités. Ce sont des canaux d'intégration sociale (à l'échelle de la communauté), et des barrières d'exclusion à l'échelle villageoise. · L'exclusion Par la nationalité comme résultat des instrumentalisations politiques. L'ouverture du champ politique en Côte d'Ivoire s'est faite avec « l'instrumentalisation des identités ethniques. Les acteurs politiques jouant sur les différents registres identitaires pour rallier une clientèle, favorisant la construction de l'identité individuelle et sociale par les différents groupes qui se distinguent des proches voisins. » BABO A. Cette distinction identitaire s'est d'abord opérée entre autochtones et allochtones en milieu rural. Ensuite, le renforcement de la compétition électorale se fit avec la `` logique ivoiritaire'' de redéfinition identitaire sur la base de la nationalité. Cette scission nationaliste des identités est bien présente à Aboudé Mandéké. Ainsi malgré le partage d'un espace commun avec les Malinkés ivoiriens, les Burkinabés tout comme d'ailleurs les autochtones Aboudé procèdent à une redéfinition des entités ethniques sur la base de la nationalité : « Les Dioula et les Sénoufo, sont nos frères, ils peuvent voter pour tout ce qui concerne les postes électifs du village même s'ils partagent tout avec les étrangers (...) ». « Ici, les Dioula et les sénoufo sont avec nousi dans le quartier dioula (....), ce sont nos frères on partage tout mais eux ils sont ivoiriens, donc quelque part on n'est pas même chose. » Comme on le voit la nationalité est un facteur de différenciation qui produit des inclus et exclus sociaux.
II.1.2. De la formation des entités territoriales spécifiques La répartition spatiale des communautés est la première forme de la différenciation identitaire à Aboudé Mandéké. Le quartier fonctionne comme une entité autonome, régie par ses propres règles qu'on pourrait considérer comme un village à part entière au sein d'Aboudé Mandéké. Les groupes qui forment le quartier Dioula sont diffus. On retrouve : les sénoufo, les maliens, les guinéens et les burkinabé partagés entre les deux religions (christianisme/ islam), mais en majorité musulmane. Cependant qu'est ce qui fonde la spécificité de ce groupe ? Contrairement aux autochtones qui disposent d'un chef central, ce grand groupe Dioula a développé un système segmentaire de société à chefferies où l'autorité n'est pas détenue par un individu. Chaque famille ou chaque groupe ethnique dispose d'une autorité plus ou moins élargie, les actions spécifiques de tous ces sous-groupes sont orientées vers la préservation des intérêts de l'unité englobante. Bien que produits d'une ``migration disjonctive `` (Horton R, cité par Laburthe T et Warnier J-P), ces entités développent une stratégie commune de préservation de leurs intérêts. On comprendra dès lors la nécessité d'institution permettant de cimenter ces liens familiaux et groupaux en unité sociopolitique viable où la solidarité territoriale passe au premier plan. C'est le cas surtout des campements allochtones tel que Kouadjakro (Campement satellite d'Aboudé Mandéké). Au sein de ces campements, allochtones et allogènes fondent une unité politique centralisée et développent des liens communautaires, basés sur les sentiments d'appartenance commune au territoire et des stratégies de préservation de leurs intérêts. Même si à l'intérieur de chaque groupe, le système d'organisation reste segmentaire et les chefs de ménages conservent une relative indépendance et une autorité vis-à-vis du chef. Le territoire a donc une influence majeure sur les processus de différenciation entre autochtones et migrants. La reconstruction de la société d'origine sur un espace prédispose à la différenciation interethnique et les groupes en présence s'approprient ces stratifications idéologiques pour forger des représentations allant dans le sens des divisions ethniques. Sur cette base la différenciation transparaît aussi bien entre les individus membres des collectivités symboliquement configurées, qu'entre les entités distinctes. Cependant, ces entités formées ne sont pas les groupes homogènes. Leur coexistence tient des enjeux spécifiques qui émergent. II.2. Les facteurs d'homogénéisation identitaires : la politique et la religion comme éléments de rapprochement intercommunautaire. Les religions jouent un rôle important dans la mobilisation des groupes à Aboudé Mandéké: « Il suffit que tu dises `` Allah hou Akbar'' pour faire partir de notre communauté ». Au-delà des divergences ethniques les cultes rassemblent dans un même lieu les membres de diverses communautés aussi diffuses qu'elles puissent paraître. Les représentations collectives et les croyances en des valeurs religieuses communes gomment les barrières sociales et reproduisent un style de vie communautaire basé sur la communion et les liens d'entraide et de solidarité. Ainsi le christianisme est la religion qui unifie autochtones et migrants à Aboudé Mandéké. En créant une communauté chrétienne sans distinction d'origine géographique et ethnique, il fonde un sentiment d'agir collectif et cela se traduit dans la pratique par la participation commune aux activités socioreligieuses et l'église s'érige souvent en instance de résolution des conflits entre fidèles d'origine ethnique ou nationale distinctes. Par exemple les cimetières du village étaient à l'origine divisés entre d'une part les krobou et d'autre part les autres communautés. De nos jours, lorsqu'un burkinabé de religion chrétienne décède, son corps passe par l'église et il est enterré au cimetière des autochtones. Ensuite le christianisme tend aujourd'hui à gommer certaines pratiques autochtones qui fonctionnaient comme des barrières sociales. Le problème de la non consommation du cabri qui est un élément spécifique de la culture krobou tend à s'affaisser devant la foi chrétienne. Certains autochtones estimant que cette institution ne figure pas dans la bible. Tout comme la religion la politique gomme les frontières ethniques. Les religions fonctionnent comme un facteur d'inclusion des allogènes il y a la politique qui produit une nouvelle forme de différenciation basée non pas sur les différences ethniques mais sur les divergences idéologiques. Ainsi les autochtones Aboudé sont repartis entre trois grands partis politiques à savoir le FPI, le RDR, et le PDCI vue que « l'ouverture du marché politique en Côte d'Ivoire s'est opérée avec la « formation d'entités ethno régionales correspondant plus ou moins aux grandes aires culturelles »45(*). Conscients des représentativités relatives des communautés d'origine de ces aires au sein du village, les élites locales reconstruisent des unités sociopolitiques qui regroupent à la fois autochtones et allochtones. Il s'agit ici d'une activité instrumentale d'inclusion des communautés allochtones à travers la poursuite d'objectifs politiques propres. Ainsi se superpose sur la carte ethnique villageoise une carte politique qui transforme les scissions ethniques en scissions idéologiques. L'ethnicité apparaît donc comme un système culturel permettant aux individus de situer leur place dans un ordre social plus large. La concrétisation des groupes est un processus d'assignation et d'auto-attribution des individus à des catégories ethniques. On assiste à une construction sociale de l'appartenance " situationnellement" déterminée et manipulée par les acteurs46(*). * 38 Charléard J L op cit * 39 Diabaté H op cit * 40 Version recueillie sur place et complétée par Diabaté H * 41 Poutignat P, et Al, Théories de l'ethnicité suivi de, les groupes ethniques et leurs frontières, PUF, Paris, 1995. * 42 LABURTHE TOLRA P et WARNIER J-P, Ethnologie, Anthropologie, PUF, Paris, 1997. * 43 Schwartz A., Martinet F.et al, op cit * 44 Schwartz A., Martinet F. et al, op cit * 45 KONE G op. cit. * 46 Poutignat P, et Al, op, cit. |
|