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UNIVERSITE DE COCODY
UFR SCIENCES DE L'HOMME ET DE LA
SOCIETE
INSTITUT D'ETHNO-SCIOLOGIE
ANNEE ACADEMIQUE
2007-2008
MEMOIRE DE DEA
RAPPORTS INTERETHNIQUES ET DIFFERENCIATION IDENTITAIRE EN
MILIEU RURAL : Cas d'Aboudé-Mandéké dans le
département d'Agboville.
Sous la Direction de :
Prof. DEDI SERY :
Maître de recherche
Sous la codirection de :
Prof. Roch YAO GNABELI :
Maître de conférences
Présenté par :
KONE Karamoko
SOMMAIRE
SOMMAIRE................................................................................2
DEDICACE..................................................................................3
REMERCIEMENTS......................................................................4
SIGLES ET
ABBREVIATIONS........................................................5
INTRODUCTION.........................................................................6
CADRE THEORIQUE ET
METHODOLOGIQUE..................................8
I- LA
PROBLEMATIQUE...............................................................8
II- LA REVUE DE LA
LITTERATURE.............................................21
III- LES
OBJECTIFS.......................................................................40
IV- LE MODELE
D'ANALYSE.......................................................40
V- LA DELIMITATION DU CHAMP DE
L'ETUDE...............................42
VI- LES TECHNIQUES DE COLLECTE DE
DONNEES.........................47
VII- LES DIFFICULTES
RENCONTREES.........................................49
PREMIER PARTIE : CONSTRUCTION DES ENTITES SOCIO-
CULTURELLES ET DELIMITATION DES
GROUPES............50
CHAPITRE I : ITINEARAIRE MIGRATOIRE ET HISTOIQUE
DES
COMMUNAUTES
ETHNIQUES..................................52
CHAPITRE II : PARTAGE DE L'ESPACE ET DOUBLE
PROCESSUS
D'HOMOGENEISATION
IDENTITAIRE.......................59
DEUXIEME PARTIE : MARQUAGE SOCIAL PRODUCTION DE LA
DOMINATION
SYMBOLIQUE..........................67
CHAPITRE III : LA REPRODUCTION DES INSTITUTIONS DE
CONTROLE..........................................................70
CHAPITRE IV : LES DETERMINANTS SOCIOCULTURELS DE LA
DOMINATION
SYMBOLIQUES.................................78
TROISIEME PARTIE : LES DYNAMIQUES INSTITUTIONNELLES ET
REPRODUCTION CONFLICTUELLE DES RAPPORTS
INTER-
ETHNIQUES..........................................................84
CHAPITRE V : EVOLUTION DES PROCEDURES DE CESSION ET
REPERAGE DES LOGIQUES
PROPRIETARISTES.........86
CHAPITRE VI : CRISE ECONOMIQUE ET PRODUCTION
CONFLICTUELLE DES RAPPORTS INTER
ETHNIQUES.......91
CONCLUSION
GENERALE...............................................................101
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................103
TABLE DES
MATIERES.............................................................110
DEDICACE
A mon père feu KONE TIEMIKRY,
A ma mère feu KONE SIATA,
A ma grand-mère feu SOUMAHORO MATOGBA à qui je
rends un grand hommage du fait du rôle de mère qu'elle a
joué pour moi.
Que vos âmes reposent en paix et qu'ALLAH Le Tout
Puissant vous garde à ses cotés.
Enfin à tous mes parents, amis, frères et soeurs
pour leurs soutiens moraux et spirituels.
REMERCIEMENTS
Cette étude a pu être réalisée
grâce à l'assistance et la collaboration de personnes que nous
tenons à remercier.
Il s'agit du Professeur ROCH YAO GNABELI, notre Directeur de
mémoire et Directeur du Laboratoire de sociologie économique et
d'anthropologie des appartenances symboliques (Laasse) qui a bien voulu
accepter la direction scientifique de ce travail. Sa disponibilité, ses
conseils et surtout son amour pour la recherche scientifique a permis que nous
réalisions cette étude sans entraves. Qu'il trouve ici
l'expression de mes sincères remerciements.
Je tiens également à remercier mes
collègues du Laasse notammant Soho Rusticot DROH De Bloganqueaux, Sagbo
Jean-Louis Lognon, Bouaki Kouadio Baya sans oublier Dr LIDA ainsi que Monsieur
BADOU, Secrétaire Général de la Chefferie
d'Aboudé-Mandéké ainsi que toute sa famille de m'avoir
hébergé pendant la durée de l'enquête. Il m'a fourni
les informations nécessaires et m'a également permis d'avoir
accès aux personnes sollicitées pour l'enquête. Je souhaite
lui adresser mes sincères remerciements pour ces gestes sans lesquels ce
travail n'aurait pu voir le jour.
Je n'oublie pas SAWADOGO Amadou pour sa franche
collaboration.
Qu'il me soit enfin permis de remercier trois personnes
à savoir BADOBRE Valéry pour son aide, ANDREDOU Elie Franck, mon
ami et frère qui m'a toujours soutenu et encouragé, et surtout
SANGARE Zéinabou a qui j'octroie la palme d'or des remerciements. Merci
pour ton soutien du point de vue logistique que moral, pour ton
dévouement dans la saisie et les corrections répétitives
de ce travail. Trouve ici l'expression de ma profonde reconnaissance.
SIGLES ET ABREVIATIONS
ADIACI : Association pour la Défense des
Intérêts des Autochtones
de Côte d'Ivoire
AOF : Afrique Occidentale Française
ARSO : Autorité pour la Région du
Sud-ouest
AVB : Autorité pour l'Aménagement
de la Vallée du Bandama
BNETD : Bureau National d'Etude Technique et de
Développement
CAE : Commission des Affaires Economiques
CAS : Commission des Affaires Sociales
CJCS : Commission Jeunesse - Culture - Sport
CERAP : Commission de Recherche et d'Adoption
pour la Paix
FPI : Front Populaire Ivoirien
IES : Institut Ethnosociologie
INADES : Institut National de
Développement Economique et Social
IRD : Institut de Recherche de
Développement
PDCI : Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire
RDA : Rassemblement Démocratique
Africain
RDR : Rassemblement des
Républicains
RGPH : Recensement Général
de la Population et de l'Habitat
RNA : Recensement National de
l'Agriculture
SIGS : Société
Internationale de Gestion et de Service
S/P : Sous-préfecture
SODEPALM : Société de
Développement du Palmier à Huile.
INTRODUCTION
En côte d'Ivoire, la réalisation de
l'économie de plantation depuis le début du siècle dernier
a vu la participation de migrants venus d'horizons divers. Dans le
département d'Agboville et plus précisément à
Aboudé-Mandéké, l'on retrouve divers groupes ethniques
dont les Aboudé, groupe autochtone, les Baoulé, les Agni et les
Dioula, groupes allochtones et les Guinéens ,les maliens et les
Burkinabé qui représentent les groupes étrangers ou
allogènes.
Notre étude cherche à comprendre les processus
sociaux de reproduction des entités ethniques et la construction de la
différenciation identitaire à l'oeuvre dans ce village.
Notre objectif est donc de saisir les logiques qui
sous-tendent la différenciation identitaire et les causes des conflits
entre Aboudé et certains migrants. Ainsi nous avons émis
l'hypothèse selon laquelle L'évolution du cadre institutionnel
d'expression des rapports inter ethniques prédispose à la
différenciation identitaire.
Pour vérifier cette hypothèse, notre
étude s'articule autour de trois (03) parties :
La première analyse la construction des
identités socioculturelles et la délimitation des groupes. Il
s'agit d'abord pour nous de rappeler les fondements historiques du peuplement
autochtone et l'itinéraire migratoire des groupes migrants avant de dire
en quoi le partage de l'espace est-il l'objet d'un processus double
d'homogénéisation et de différenciation entre
Aboudé et migrants.
La deuxième partie intitulée marquage social et
production de la domination symbolique fait ressortir les mécanismes
instrumentaux de production identitaire et d'affirmation de l'autochtonie
à travers l'analyse des institutions de contrôle et les
déterminants socioculturels locaux.
Enfin la troisième partie examine les dynamiques
foncières et la production conflictuelle des rapports interethniques.
Elle élucide d'abord l'évolution des procédures de cession
et le repérage des logiques propriétaristes des autochtones avant
de rendre comte des formes expressives des conflits interethniques et les
itinéraires locaux de résolution.
CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
I - LA PROBLEMATIQUE
« La Côte d'Ivoire est uns pays de tradition
hospitalière disait Félix HB1(*). Se fondant sur l'idéologie panafricaniste il a
favorisé après les indépendances en Cote d'ivoire
l'accès des migrants (internes et externes) à la terre, notamment
à travers le slogan « la terre appartient à celui qui
la met en valeur ». Cette rhétorique houphouetienne, guidon de
la politique agraire de l'administration poste coloniale a joué un
rôle déterminant dans la conception et la production des rapports
interethnique entre migrant et autochtones en milieu rural.
Cependant, le contexte socioculturel de la production des
rapports autochtones migrants présuppose tantôt une
homogénéisation des rapports qui puise ses racines dans la
perception positive de l'image de l'«étranger source de
prospérité économique'', Schwartz A Martinet F et
al2(*). Tantôt la
perception négative des l'image de l'«étranger envahisseur''
Dozon3(*) par les
autochtones donne lieu à des pratiques de discrimination et de
différenciation sociale. C'est ce dernier aspect qui constitue l'objet
de la présente étude.
En opérant le choix de ce thème nous comptons
contribuer à la compréhension des rapports interethnique en
milieu rural. Cette dernière nécessitant la mise en oeuvre
d'étude de cas multiples. Ce qui nous amène à opter pour
Aboudé Mandéké, village krobou situé dans le
département d'Agboville. En effet, le caractère conflictuel de la
question ethnique en Côte d'Ivoire nécessite qu'on examine les
problèmes à l'origine des identifications identitaires en milieu
rural.
L'ouverture du champ d'accès aux ressources
foncières en milieu rural préconisée par les pouvoirs
coloniaux et post-coloniaux qui devrait permettre une
homogénéisation identitaire donne lieu à Aboudé
Mandéké à une forte ségrégation
interethnique souvent marquée par des violences communautaires. Les
raisons de cette contradiction méritent donc d'être connues.
En outre les spécialistes du monde rural sont unanimes
sur une instrumentalisation politique de l'identité ethnique en milieu
rural (Babo A 2006)4(*).
Cependant les éléments concrets qui favorisent cette manipulation
ethnique restent peu élucidés.
Pourquoi les autochtones et migrants se reconstruisent- ils
différemment alors que les dispositions égalitaires
d'accès aux ressources des politiques administratives
présupposent une homogénéisation sociale ?
Selon Durkheim5(*), expliquer un phénomène social, c'est en
rechercher la cause efficiente. Notre étude vise ici à montrer
les raisons fondamentales de ces pratiques de démarcation des
entités ethniques dans le cadre restreint du village d'Aboudé
Mandéké.
Ces observations qui s'opèrent à partir de la
mise en oeuvre de l économie de plantation pendant la période
coloniale à nos jours sont fondées sur quatre grandes
hypothèses d'explication des séparatismes identitaires.
Les fondements historiques de la différenciation, la
base idéologique, le cadre institutionnel et les enjeux
économiques.
I-1 Les fondements historiques de la
différenciation sociale en milieu rural.
La Côte d'Ivoire est caractérisée par une
diversité ethnique et culturelle liées aussi bien à son
peuplement autochtone qu'aux migrations étrangères
héritées de l'histoire coloniale.
Ø Les divisions ethno-régionales comme
modèle d'occupation du territoire.
La Côte d'Ivoire est le point de contact de quatre
principaux groupes ethniques issus d'aires culturelles et géographique
différentes. C'est un carrefour où se rencontre les grandes
civilisations de l'Ouest africain.
Les voltaïques qui sont : les sénoufo,
installés entre les deux groupes malinké, les Koulango et les
lobi qui se succèdent ou cohabitent dans le Nord et le long des
frontières Burkinabé et Guinéenne.
Les malinké qui viennent primitivement des bords du
Niger sont divisés en deux parties : l'une au Nord-ouest occupe la
région d'Odienné et l'autre est à l'Est de l'axe routier
Niakara-Ferké appelé communément groupe Dioula. A l'ouest,
sous le groupe malinké, sont repartis les Mandé sud qui sont les
dan ou Yacouba, les Gouro ou Kouéné et les Gagou.
Les krou dans le sud-ouest viennent du Libéria
anglophone. Ils englobent les Guéré, les Wébè, les
Gnaboua, les Neyo, les Bété, les Godié ainsi que les Dida.
En fin les Akans subdivisés en Akan lagunaires et Akan
de l'intérieur sont : les lagunaires, arrivés en plusieurs
vagues du Ghana et reunit plusieurs sous groupes dont les Ali, Fanti,
Ebrié, Abouré, Attié, Abè, Abidji, et les Krobou.
Pour ceux de l'intérieur venus plus tard et essentiellement
regroupés dans les régions centre ou les Baoulés font
frontière avec les Gouro à l'ouest et les Agou au sud et le long
de la frontière ghanéenne depuis Bondoukou jusqu'à
Aboisso.
Comme on le voit ces données historiques de la
répartition spatiales des ethnies en Côte d'Ivoire
préfigurent une différenciation identitaire en milieu rural. Et
cela semble être appropriés et exploités par les
consciences individuelles et collectives aux fins d'identification sur tout que
ces entités ethniques ne sont pas closes. Etant donnée, la
fluidité relative des frontières ethniques et vu le brassage
interethnique à la suite des flux migratoires, les différences de
pratiques et de comportements doivent-elles s'expliquer par les
différences d'appartenance ethno régionale.
Ø Les effets de la mobilité
spatiale.
· Les migrations internes
Les migrations internes sont très souvent
motivées par des raisons d'ordre économiques et de recherche de
bien être. Aussi les populations à l'intérieur du pays
s'orientent-elles en fonction des potentialités économiques des
différentes régions ; c'est ainsi que la mise en oeuvre de
l'économie de plantation dans la boucle du cacao (le sud-Est notamment)
va donner lieu à des courants migratoires en provenance des
régions Nord et Centre.
Entamés depuis la période coloniale, les
migrations interrégionales se maintiennent après la
deuxième guerre mondiale et surtout celles du centre et du sud vers
l'ouest. A cette époque, on assiste également au
développement des mouvements migratoires sénoufo et
malinké vers toutes les régions ivoiriennes propices à la
pratique des cultures d'exportation et du commerce urbain. Après
l'indépendance de la Côte d'Ivoire et tout particulièrement
avec la mise en oeuvre des grands projets de développement comme
l'autorité pour la région du Sud - Ouest (ARSO) et
l'autorité pour l'aménagement de la vallée du Bandama
(AVB) à partir de 1968, ces mouvements vont s'accentuer.6(*)
Dans le département d'Agboville, c'est à partir
de 1950-1951 que la région voit affluer les Baoulés et les Agni
venus s'ajouter aux Dioula déjà installés aux cotés
des autochtones. Contrairement à ces derniers les Baoulés et Agni
se sont établis dans les campements à la recherche de
forêts à défricher. Cette période coïncidant
avec les hauts cours du café.7(*)
Comme ont le voit, la migration interne a pu rassembler dans
les zones pionnières de l'économie de plantation divers groupes
ethniques ayant des pratiques socioculturelles distinctes, ce qui
préfigure une différenciation sociales liées aux
sentiments individuelles et collectif d identifications.
· Les migrations externes
Cette forme de migration vers la Côte d'Ivoire a
commencé véritablement avec la mise en valeur des ressources du
pays par la métropole. Cette mise en valeur va nécessiter une
main d'oeuvre abondante. En vue de satisfaire ces besoins en main d'oeuvre,
différentes mesures ont été prises pour favoriser la
migration externe et particulièrement celle des voltaïques et de
l'ancien Soudan (Mali).
D'abord en 1932 cinq cercles de la Haute Volta seront
annexés au profit de la Côte d'Ivoire, ce qui ne change rien dans
le mouvement migratoire des ressortissants de ces contrés vers la basse
Côte d'Ivoire. Dans ce cadre, il sera instituée par le
gouvernement provisoire Français la même année la
réquisition obligatoire remplacée après son abolition par
le SIAMO (syndicat inter -professionnel pour l'acheminent de la main-d'oeuvre)
dont les activités permettrons de recruter 59000 personnes en 1952.
Cette migration étrangère va continuer et
s'accroître au-delà de l'indépendance de Côte
d'Ivoire et des pays d'origine des migrants. En 1975 les populations issues de
la migration externe représentent 22% de la population totale pour
atteindre les proportions connues à ce jour dont 51,5% des migrants sont
Burkinabé, 23,50% maliens et 7 ,4% Guinéens8(*) qu'on retrouve principalement
dans les zones rural d'économie de plantation. On trouve ainsi dans ces
zones des entités venues de divers horizons chacune ayant sa pratique
culturelle propre, semblable à celle de sa société
d'origine.
Ces observations laissent penser que la différenciation
entre autochtones et migrants provient de cette différence de culture
d'origine. Tout se passe comme si chaque migrant se déplaçait
avec son arsenal culturel qu'il redéploie dès son
établissement.
Cependant par quels mécanismes sociaux la
diversité culturelle reproduit-elle la
différenciation ?
A Aboudé Mandéké, les Burkinabé,
les Maliens ainsi que les Dioula sont établis au sein du village pendant
que les Baoulé et Agni sont principalement sédentarisés
dans les campements bien que ces derniers soient issus du groupe Akan tout
comme les Aboudé. Et les propos tels « eux, c'est un
peuple de campement » attestent des rapports distants qu'ils
entretiennent avec les Aboudé. Ce qui sous-entend que la
différenciation interethnique ne tient pas uniquement aux processus
historiques d'établissement des groupes,mais elle a des origines
idéologiques.
I - 2 La base idéologique de la
différenciation
L'identité nationale de Côte d'Ivoire selon Dozon
JP (1997)9(*) s'est
largement faite autour de l'économie de plantation. La
problématique de la différenciation autochtone migrant est
intimement liée à la question récurrente des
revendications autochtones à l'égard d'une politique coloniale de
construction identitaire sur fond de disqualification de l'autochtone et de
valorisation de l'allogène. En effet, pour le colonisateur, la
région forestière regorgeait autre fois de nombreuses
opportunités naturelles.
Cependant, les habitants de ladite région
possédaient des attributs tout à fait contraires à ses
yeux. Selon le classement colonial, cette région était
occupée par des « peuplades » jugées
primitives et parfaitement arriérées, surtout à l'ouest ou
le colon considérait que les pratiques
« anthropophagiques » sacrificielles et fétichistes
n'étaient pas compensées comme au centre et à l'est par
des activités commerciales. Pour résoudre ce hiatus entre une
région potentiellement riche et des populations réputées
primitives le colonisateur eut recours à ces propres
préjugés et considérait que les gens du Nord,
particulièrement les Malinké ayant une forte tradition
commerciale devraient en grand nombre migrer vers le sud. En plus des
Malinké, les Sénoufo devraient être aussi amenés
à migrer par ce qu'il étaient considérés comme de
« solides cultivateurs » et constituaient une main
d'oeuvre agricole. L'Etat colonial organisa d'autant mieux l'implantation des
Baoulé, des Sénoufo, des Dioula et des migrants étrangers
présents dans ces forêts10(*).
Bref au moment où se constituait la Côte D'Ivoire
en tant qu'entité géographique, la région sud fut l'objet
d'une disqualification de ses autochtones et d'une valorisation des
migrants.
La réaction à cette politique marginalisant de
l'Etat colonial suscite dès les années 1930 la création de
l'ADIACI qui incarne une sorte de conscience nationale de revendication
à l'égard des étrangers et surtout à l'égard
des Dioula et des baoulé qui ne se satisfaisaient plus de leurs
activités commerciales ou leur rôle de main d'oeuvre, mais
s'appropriaient selon l' ADIACI les terres des autochtones.
Comme on le voit l'identité ivoirienne s'est
nouée autour du rapport à l'allochtone et à
l'étranger11(*). Ce
qui présuppose la différenciation entre autochtones et migrants
dans les régions forestières, surtout que cette logique coloniale
à été reconduite avec l'avènement de
l'administration post-coloniale qui à permis et favorisé
l'implantation des Baoulé au détriment des autochtones dans les
zones d'économie de plantation12(*). Ainsi donc l'idéologie d'une autochtonie
spoliée qui prévalait au moment de la mise en oeuvre de
l'économie de plantation a généré des
méfiances interethniques qui se sont soldées par des pratiques
de différenciation et d'exclusion de l'autre.
Outre cette différenciation
fondée sur l'idéologie de l'autochtonie, on assiste avec
l'ouverture du marché politique à une différenciation
fondée sur une recomposition de l'espace sociopolitique pendant
l'occupation du territoire ivoirien. On a assisté en effet à la
formation de grandes aires culturelles qui ont étaient exploitées
depuis l'ouverture politique. Cette ethno- régionalisation qui se fait
autour des leaders est le produit d'un travail politique. On assiste alors
à la formation de trois ethno-régions à savoir la
coalition Akan autour du pouvoir d'Etat pendant le règne du PDCI-RDA, la
coalition autochtone qui regroupe les populations d'origine des zones de
l'économie de plantation supposé spoliée par
l'administration et favorable au FPI et à son président et enfin
l'union sacrée du Grand Nord qui a manifesté sa solidarité
à Alassane Dramane Ouattara suite à l'entrée de celui-ci
en scène politique consacré par la création du
RDR13(*) .
Comme on le voit l'idéologie de l'autochtonie se
superpose sur une idéologie politique de division ethnique. Ce qui
accroît les sentiments d'inégalité de disqualification qui
produisent la différenciation sociale en milieu rural comme c'est le cas
à Mandéké.
L'idéologie aurait certes créé des
sentiments de frustration des autochtones, mais les propos du genre
« le krobou, c'est une ethnie à part, la seule qui soit
venue du ciel (......), il faut la préserver » attestent
d'une logique bien différente. Elle s'apparente à celle d'un
désire de construction identitaire fondée sur la
supériorité imaginaire des krobou. Et cela est
matérialisé dans la structuration des rapports.
Mais quels sont les matériels symboliques de ces
idéologies?
I - 3 La base institutionnelle de la
différenciation interethnique.
· Le tutorat : institution traditionnelle
d'intégration des migrants comme élément
de différenciation sociale.
Selon Chauveau14(*) le tutorat correspond à une
« convention agraire » caractéristique de
l'économie morale des sociétés Ouest-africaines, il est
matérialisé par un ensemble de cérémonies
(libations et incantation) effectuées par le propriétaire de la
terre aux ancêtres aux quels il confie le travail de « son
étranger » en lui cédant une portion de terre aux
contours flous ; tout en ayant à l'esprit de conserver une
certaine maîtrise foncière associée aux autels de la terre
mère. Le tutorat a ainsi permis l'installation des premières
générations de migrants qui bénéficiaient des
surfaces de culture sans contre partie matérielle.
Cependant avec la pression foncière à travers
le refus d'aliénation des terres par les autochtones les rapports de
tutorat se renouent autour des rapports de reconnaissance manifeste soit par la
subordination rituelle soit par la subordination administrative
vis-à-vis du village tuteur.
En plus avec la pression foncière également et
l'accélération des vagues migratoires après les
indépendances, les cessions de terre ralentissent fortement et les
autochtones par le biais du tutorat adoptent de nouvelles stratégies
d'allocation de terre aux étrangers. Dans ces condition les migrants
sont de plus en plus installés loin de la propriété du
tuteur qui procède a la mise en oeuvre d'espace virtuellement
occupés15(*). Or
cette situation de mise à l'écart profitait au migrant qui se
voyant isolé recréait un espace sociopolitique semblable à
celui de la société d'origine et poussait les
défrichements au-delà des limites qui lui avaient
été fixées par l'autochtone16(*).
Le tutorat a donc contribué à la mise en oeuvre
de la différenciation sociale à travers les modes
d'établissement sur fond de méfiance et de distanciation avec les
migrants.
En raison de ce climat de suspicions les autochtones se
réorganisent en mettant en place des institutions de gestion commune des
ressources villageoises.
· Les institutions politiques de la
différenciation identitaire.
En plus du tutorat la chefferie traditionnelle joue un
rôle primordial dans la gestion des rapports interethniques en milieu
rural. Elle incarne l'autorité au sein du village. Autre fois (au
début de l'économie de plantation) la lutte pour le
contrôle des institutions politiques villageoises n'impliquaient pas les
migrants en raison du fait que ces derniers dépendaient moins du chef
de village que du tuteur qui les hébergeait. Mais à partir des
années 1990 on assiste à une modification des instances
d'autorité. D'abord l'institution a vu son rôle renforcé
avec l'avènement des nouvelles lois sur le foncier qui semblent redonner
le pouvoir à la coutume en plaçant les chefs traditionnels au
coeur des débats fonciers.
Ensuite avec l'implication de nouveaux acteurs dans la gestion
foncière à savoir les cadres de la région, on assiste
à l'apparition de nouvelles stratégies d'investissement dans les
arènes politiques locales en s'appuyant sur les demandes jeunes au sein
du village. Ils sont aussi élément de participation au pouvoir
locaux souvent en compétition pour le contrôle des affaires du
village, il sont de plus en plus chefs de village ou canton on parle de la
« notabilisation » des cadres17(*).
Cette « notabilisation » des cadres joue
un rôle important dans la mise en oeuvre de la différenciation
interethnique dans les milieux forestiers ivoiriens.
A Aboudé Mandéké par exemple la chefferie
est gérée par un ancien fonctionnaire. Celui-ci a
élaboré dès sa prise de pouvoir un document appelé
règlement intérieur et code de conduite de la population
d'Aboudé-Mandéké ayant pour objectif la formalisation des
normes coutumières applicable a tous les individus vivant dans le
village. Ce code qui aborde tous les aspects de la vie au sein du village,
redéfinit les rapports interethniques en disqualifiant les migrants
non seulement de la gestion des affaires villageoises mais aussi en limitant
leur accès à certaines ressources locales. Ces mesures de
redéfinition identitaire prennent leurs origines dans les crises
successives qu'a connues le monde rural depuis l'avènement du
multipartisme et l'ouverture du débat politique sur fond de malaise
économique.
A Aboudé - Mandéké également la
différenciation interethnique est observable au niveau de la
répartition spatiale des groupes, dans le mode d'organisation et de
structuration au sein de ces espaces sociaux.
Cependant les processus de stigmatisation et d'exclusion
semblent assez récents selon les discours des acteurs
« Nous avions toujours entretenus de bons rapports jusqu'en 2000
où on a commencé à nous demander de rentrer chez nous
(....) »
En outre les Baoulé et Agni qui reviennent s'installer
au sein du village entretiennent des rapports distants avec les Aboudé
malgré les nombreuses « similitudes culturelles »
entre eux et les krobou.
Par ailleurs, la discrimination de l'espace comme motif de
différenciation laisse perplexe puisque de nombreux Krobou
notamment les jeunes partagent avec les Baoulé, Agni Gouro et maliens,
le nouveau quartier où les habitats sont socialement
disqualifiés.
La différenciation est-elle donc le produit des
institutions sociales ?
Cela supposerait que ces institutions aient un contrôle
effectif sur les individus et groupes. Comme le soulignent certains
autochtones « nous comptons sur le bon sens de chacun pour
l'application de nos règlements. Sinon nous n'avons aucun moyen de
coercition. La chefferie et ses textes, c'est de nom qu'ils
existent »
I - 4 Les enjeux économiques de la
différenciation interethnique en milieu rural.
Au début de l'économie de plantation
l'accroissement démographique a travers l'accueil des migrants
était un moyen pour les groupes locaux de garantir l'autonomie de leurs
cités et une compétition s'instaurait entre les autochtones afin
de gagner l'ascendant démographique sur les villages voisins18(*). Mais très tôt
ces enjeux démographiques qui opposaient les autochtones se
déclinent en enjeux économiques opposant désormais les
autochtones aux migrants. En effet avec la pression foncière, un climat
de suspicion réciproque s'installe entre autochtones et migrants. Les
premiers accusent les Dioulas et Baoulé d'outre passer leurs rôles
respectifs de commerçants et de fournisseurs de main d'oeuvre pour
s'investir dans la création de plantations et les seconds de reprocher
aux autochtones le refus de céder des surfaces non exploitées.
Mais parallèlement se développait un marché informel de
commerce de terres malgré les mots d'ordre d'interdiction de vente de
terre à partir des années 1960. Ainsi dans le département
d'Agboville, le prix a l'hectare a évolué de 5000f CFA vers la
fin des années 1950à à plus de 150000f CFA dans les
années 198019(*).
A Aboudé-Mandéké cette situation a permis
l'enrichissement de nombreux chefs de famille Aboudé qui ont ainsi
« bradé leurs terre à de vils prix ».
Ensuite avec l'arrivée massive des migrants, les
autochtones ressentent une prédominance démographique et
procèdent à une reconfiguration spatiale des migrants qui seront
regroupés sur un site éloigné du noyau villageois à
ce propos certains allogènes affirment « quand on
nous envoyait ici on était comme dans un campement ». En
les regroupant sur un site les migrants n'agissent plus individuellement par le
canal de leurs tuteur, leur participation aux projets de développement
du village est désormais collective et plus important qu'auparavant.
En plus de ce caractère d'intérêt
communautaire des enjeux économiques de la différenciation
identitaire, ces derniers s'expriment également au niveau
interindividuel à travers des antagonismes et des conflits. Mais si les
enjeux économiques devraient être tenus comme principaux motifs
pour justifier la différenciation Aboudé - migrants ces processus
devraient autant concerner les membres d'une même famille Aboudé
où les lutes pour le contrôle du patrimoine foncier familiale font
souvent objet d'affrontements violents à caractère fratricide.
Les enjeux économiques sont donc certes déterminants mais
n'expliquent pas à eux seuls les raisons qui poussent les autochtones
à entretenir avec les migrants des rapports de distanciation.
Vu l'impertinence de l'ensemble des observations ci-dessus
notre étude s'articule autour de la question centrale suivante :
Quelles sont les logiques sociales qui sous-tendent les
rapports de différenciation autochtones-migrants à Aboudé
Mandéké ?
Cette dernière appelle d'autres interrogations
subsidiaires à savoir :
La différenciation entre autochtones et migrants
a-t-elle un lien avec les idéologies de l'autochtonie
développée à travers le processus historique de
construction des groupes ethniques ?
Quelles sont les ressources structurelles et symboliques de
la différenciation entre Aboudé et migrants à
Aboudé Mandéké et quel est leur impact réel dans le
processus de différenciation ?
En quoi le contexte institutionnel d'expression des rapports
interethniques reproduit les inégalités d'accès aux
ressources et selon quels enjeux spécifiques ?
II - REVUE DE LITTERATURE
L'analyse de la différenciation interethnique est
inscrite dans la problématique générale des
phénomènes migratoires en Côte d'Ivoire. La mise en oeuvre
des séparatismes identitaires dans les zones d'accueil rurales
d'économie de plantation a été examinée par
différents spécialistes de la question ethnique en milieu rural
selon les hypothèses suivantes :
Les
données socio-historiques comme origine des rapports de
différenciation interethnique , les conceptions idéologiques
de ségrégation ethnique ,
le cadre institutionnel comme structure matérielle de
production de la différenciation sociale.
II - 1 L'origine historique des rapports de
différenciation interethnique.
· Du « multiculturalisme »
séculaire des populations de l'AOF.
Pour Dieudonné O20(*)., l'AOF est un espace de
contact et d'échange ou la ségrégation ethnique perdure
depuis des siècles. En effet, selon cet auteur à la
bipolarisation des peuples de cette zone en éleveurs/agriculteurs,
s'ajoute le clivage religieux qui érode
l'homogénéité des groupes. Ainsi, on a le nord
partagé entre agriculteurs et éleveurs de religion musulmane car
venus de l'Afrique du Nord depuis le Xe siècle, ceux-ci ont pu atteindre
cette région après avoir traversé le Sahel. Par contre, au
Sud on a les agriculteurs forestiers de religion chrétienne dû au
fait que le christianisme a été introduit à travers la
côte de l'Océan Atlantique à partir du XVe siècle
à la faveur du grand commerce maritime et surtout de la colonisation. A
travers les analyses de cet auteur nous percevons les fondements historiques de
la différenciation opérée entre d'une part les populations
venues du Nord et les pays limitrophes au Nord et celles du Sud forestier. En
effet, si le peuplement de la Côte d'Ivoire s'est fait à travers
l'arrivée de quatre principaux groupes communautaires à savoir
les Voltaïques, les Mandé, les Krou et les Akan, les scissions
selon les représentations ou les idéologies se font
généralement sur les oppositions sudistes, nordistes, gens de
forêt/gens de savane ou encore chrétiens/musulmans.
A Aboudé Mandéké, cette logique d'opposition qui alimente
les débats et les conflits autochtones/migrants. Les autochtones
assimilant à« étranger» toute personne de religion
musulmane originaire de cette partie septentrionale du pays. Ils justifient
cela en affirmant que les communautés sont
« identiques »,
« indifférenciables » ou
« indissociable ».
Bien qu'intéressante pour notre étude,
cette analyse exprime-t-elle la réalité actuelle des processus de
différenciation en cours à Aboudé
Mandéké ?
En fait, elle n'inscrit pas la différenciation dans un
cadre étroit des rapports pouvant conduire à une étude
empirique. Or les rapports Aboudé-migrants tels que nous les observons,
prennent leur origine dans le développement de l'économie de
plantation.
· La différenciation comme produit de
l'évolution de l'économie de plantation et du processus
d'intégration des groupes.
La mise en oeuvre de l'économie de plantation s'est
faite avec la participation de deux formes de migration à savoir, la
forme interne qui a vu le déplacement des groupes tels les
Senoufo ; Malinké ou Dioula et les Baoulé venus des
régions Nord et Centre et la forme externe avec l'arrivée des
migrants des pays limitrophes au Nord à savoir le Mali, le Burkina et la
Guinée.
Les processus migratoires entamés depuis la
période coloniale ont eu pour conséquence une reconfiguration des
ethnies des zones rurales du Sud qui a eu pour corollaires la
déstructuration et la restructuration des rapports sociaux.
Plusieurs auteurs se sont intéressés à
l'analyse des processus d'intégration des migrants dans les zones
d'accueil. Ainsi, Chauveau J.P et Richard J21(*) observent une différenciation interethnique
liée aux stratégies d'accès aux ressources
socio-foncières à travers l'étude de l'Organisation
socio-économique Gban et économie de plantation.
Pour eux, l'autochtone ou le« propriétaire
terrien», du fait de son statut de premier venu dispose au
début de vastes réserves forestières
contrôlées généralement par des aînés
de famille. Ainsi à partir des années 1946, les migrants
présents dans les zones d'accueil se différenciaient selon les
activités qu'ils exerçaient à savoir, les Dioula
pratiquaient le commerce pendant que les Bété et Baoulé
s'adonnaient à la culture arbustive. Mais, selon ces auteurs avec
l'arrivée massive des migrants d'origine étrangère, une
seconde forme de différenciation s'établit sur la base de la
nationalité en rapport avec le statut socio-économique. En effet,
les Burkinabé qui viennent s'offrir en manoeuvres agricoles sont
maintenus dans cette position à la fois par les autochtones et les
allochtones à travers de stratégie de restriction d'accès
aux ressources foncières.
Cette analyse nous révèle les raisons
fondamentales à l'origine de la différenciation fondée sur
la nationalité. Par ailleurs, abordant dans le même sens,
Schwartz A, Martinet F. et al22(*) examine l'aspect temporel comme facteur de
différenciation. A ce propos ils soutiennent que la date
d'arrivée des migrants conditionne leurs liens avec les autochtones.
Pour eux, les migrants peuvent être divisés en trois
générations :
La première qu'ils nomment les véritables
pionniers sont en contact direct avec les autochtones Bakwé qui leur ont
octroyé par générosité de vastes surfaces de
culture.
La deuxième génération de migrants est
accueillie par la première qui procède à leur
présentation aux autochtones avant de les installer.
Enfin la troisième génération est
coupée de tous liens avec les autochtones car cette dernière a pu
s'établir grâce à leurs prédécesseurs qui
leur ont trouvé des terres à cultiver sans contenter leurs
tuteurs.
En outre, ils affirment que cette situation est rendue possible
grâce à la reproduction par ces premiers migrants d'une
organisation sociopolitique fortement hiérarchisée semblable
à celle de la société d'origine.
Tout comme les précédentes, cette analyse nous donne les raisons
qui sont à l'origine des processus de différenciation
interethnique en milieu rural.
Enfin, toujours concernant les modalités
d'intégration socio-économique des migrants, Charléard
J.L23(*) .observe tout
comme ses prédécesseurs une différenciation sociale
liée à la période d'arrivée, à la
nationalité ou à l'appartenance ethnique du migrant. En
effet, selon lui, les groupes ethniques migrants ont différemment eu
accès à la terre au moment de leur établissement et cela
détermine leurs relations avec les autochtones.
Les Baoulé arrivés dans les années 1950
ont eu la terre par le biais des pratiques coutumières de
générosité de leurs hôtes Abbey. Ils
préfèrent pourtant s'établir dans des campements où
la terre à déficher est assez disponible.
Par contre, les Dioula sont pour la plupart acheteurs de terre
malgré leur présence plus ancienne puisqu'ils étaient pour
la majorité commerçants. Ils préfèrent
résider au sein du village pour poursuivre leurs activités
économiques.
Les burkinabé ont un accès assez limité
à la terre parce qu'ils sont maintenus dans une position de fournisseur
de main-d'oeuvre salariée.
Comme on le voit les rapports de différenciation
interethniques ont une origine liée au processus historique de
développement de l'économie de plantation. Les modalités
d'établissement des groupes ethniques sont à l'origine de la
différenciation interethnique en rapport avec la nationalité et
l'origine ethnique.
L'analyse de Charléard, tout en confirmant les
précédentes permet de saisir les implications de ces processus
notamment au niveau de la « structuration de l'habitat et des
activités sociales entièrement distinctes ».
Cependant, bien que restituant l'ensemble du processus de
production de la différenciation interethnique à travers le
développement historique de l'économie de plantation, des
études qui se situent essentiellement dans les décennies 1950
à 1980 ne peuvent rendre compte de l'ensemble du processus
évolutif de la question de la différenciation interethnique en
milieu rural. En effet, l'actualité des rapports interethniques en
milieu rural soulève la question récurrente des conflits
interethniques qui auraient pour origine certaines idéologies
discriminatoires à l'égard des autochtones.
II - 2 Idéologies et aspects symboliques de la
différenciation interethnique
L'aspect historique de la différenciation sociale nous
a permis à travers l'analyse de certains auteurs de comprendre
l'évolution et l'ampleur du problème à travers le
processus historique de l'économie de plantation. Mais au-delà de
ces explications liées au mode d'évolution des enjeux
économiques entre acteurs, il existe des raisons idéologiques
telles la disqualification de l'autochtonie comme élément
explicatif des rapports interethniques de différenciation entre
autochtones et migrants dans les zones d'accueil rurales.
Selon Dozon J.P.24(*), au moment où se constituait la
Côte d'Ivoire en tant qu'entité géopolitique, la
région forestière fut l'objet à la fois d'une
disqualification de l'autochtone et d'une valorisation de l'allochtone du Nord
et de l'auxiliaire africain non ivoirien par le colonisateur. Et il ajoute que
c'est en réponse à cette frustration que l'ADIACI vit le jour
vers dès les années 1930 pour d'une part corriger l'image
globalement négative du peuple de la forêt et d'autre part, forger
l'autochtonie afin d'en devenir le porte-parole ou l'avant-garde en
éveillant la conscience nationale.
Ainsi l'identité ivoirienne selon lui s'est
précisément nouée autour du rapport à l'allochtone
et à l'étranger.
Cette étude nous révèle les fondements
idéologiques des oppositions entre sudistes et nordistes ou encore entre
peuple de la forêt et peuple de la savane. Si dès la
période coloniale ,les peuples de la forêt se sont sentis
marginalisés par les colons, cette marginalisation fut maintenue et
renforcée en sourdine par Houphouët BOIGNY et l'administration
poste-coloniale à travers des politiques de discrimination notamment le
célèbre adage qui dit « la terre appartient
à celui qui la cultive ».On comprend alors les comportements
de méfiance manifestés par les autochtones à
l'égard des migrants depuis les années1950 qui ont vu une
accélération des migrations dans la moitié sud de la
Côte d'Ivoire .
Cependant, si cette étude nous éclaire sur
l'idéologie principale à l'origine les pratiques de
différenciation, elle ne nous permet pas de saisir les traductions
symboliques de cette idéologie dans pratiques économiques entre
autochtones et migrants dans le cadre de l'économie de plantation. En
d'autres termes comment cette idéologie a-t-elle accompagné le
processus d'intégration des migrants et les rapports de production entre
migrants et autochtones ?
Chauveau J.P. et Richard J25(*)nous fournissent des éléments
d'explication sur ce point dans l'Organisation socio-économique Gban
et économique de plantation. Pour ces auteurs, l'opposition
autochtones/allochtones trouve ses racines dans les rapports que chacun de ces
groupes entretient avec la terre. Il y aurait selon eux une différence
de rationalité supposée entre ces deux groupes qui les pousse
à adopter des pratiques distinctes. Ils estiment que les autochtones
sont les plus souvent présentés négativement comme
n'étant ni de véritables propriétaires ni de
véritables paysans. Il suffirait d'observer la facilité selon
laquelle ils aliènent leur patrimoine foncier et la négligence
avec laquelle ils entretiennent la source dans leurs revenus. Cela
témoignerait de la faiblesse de leurs liens à la terre et le
sens de la valeur qu'elle représente pour eux.
Cette analyse nous permet.de comprendre comment les acteurs
interprètent leur propre situation pour bâtir le mur de la
différenciation interethnique. En produisant des discours sur
l'irrationalité économique des autochtones, ces derniers se
sentent marginalisés et adoptent des comportements de méfiance et
même de mépris pouvant conduire à des conflits entre ces
groupes.
Cependant, peut-on fonder des différences interethniques
sur le simple rapport à la terre ?
L'auteur lui-même, en concluant la séquence a
estimé que la distinction entre autochtone et allochtone ne saurait
être pertinente pour rendre compte de la dynamique de l'économie
de plantation puisqu'il y a en réalité une diversité
interne à chaque groupe. Et cela se traduit bien à Aboudé
Mandéké car les rapports internes sont plus
différenciés que ceux que l'ensemble des migrants entretiennent
avec les autochtones .Ainsi, les Baoulé, les Agni et les Gouro d'une
part et les Malinké d'autre part ont autant de traits culturels
divergents qu'ils semblent avoir plus de compatibilité avec les Krobou
dont ils ont appris la tradition que les autres migrants. Cela se traduit
d'ailleurs dans l'organisation structurelle de ces différents groupes.
Nous nous intéresserons également aux
oppositions internes des groupes. En effet, les allochtones dont les
principales communautés sont les Malinké, les Agni, les
Baoulé et les Sénoufo sont distinctement organisés
à Aboudé Mandéké. D'un côté les
Baoulé et les Agni, de tradition Akan semblent avoir au niveau des
pratiques culturelles de nombreuses similitudes avec les Krobou.
Par contre, les Malinké et les Sénoufo originaires
du Nord sont généralement assimilés aux allogènes
burkinabés, guinéens et maliens avec qui ils partagent
l'héritage historique des «gens de la savane». Cette
bipartition idéologique construite sur les rapports historiques se
concrétise dans la structuration des relations entre ces groupes.
Comment fonctionne le captage des identités ethniques
dans l'arène villageoise ?
En d'autres termes, comment une foi parvenus dans les
localités d'accueil les groupes migrants parviennent-ils à
produire des identités pluriethniques ?
Cela conduit à examiner le processus d'organisation structurelle et
les enjeux symboliques de la différenciation.
II - 3 Aspects structurels et symboliques de la
différenciation identitaire
Les analyses précédentes ont mis l'accent sur
le processus historique et idéologique et de la mobilisation ethnique.
Cette séquence sur la structuration symbolique des rapports
interethniques met l'accent sur les modalités d'ancrage de ses
idéologies et leurs traductions symboliques.
Selon Martinet F. et Schwartz A. et al, le fait
marquant chez les sociétés «migrantes» est la
persistance des structures familiales de production.
Ensuite, en évoquant l'organisation des
communautés ils distinguent le dioula du baoulé.
Pour eux, au sein des deux grands groupes Dioula et
Baoulé, ils distinguent une hiérarchisation qui contribue
à éloigner l'immigrant des véritables maitres de la terre.
Ainsi, dans le système baoulé le nouvel arrivant est placé
assez loin des précédents afin de réserver l'espace
interstitiel qui sera progressivement comblé avec l'arrivée de
nouveaux migrants baoulés. La stratégie étant d'occuper le
plus d'espace possible. Dans le système dioula par contre,
l'implantation se fait en «tache d'huile» autour de campements
numériquement très importants. Cette stratégie restreint
les marges de manoeuvre du nouvel arrivant et est souvent source de conflits
entre migrants.
Cette analyse nous permet de comprendre en quoi la
reproduction de la société d'origine participe à la
différenciation interethnique. Les stratégies d'occupation de
l'espace propres à chaque groupe ethnique leur permettent de
s'établir en traçant des frontières géographiques
culturellement délimitées ; l'analyse semble cependant faire
des groupes ethniques, des entités closes.
A Aboudé Mandéké, par exemple les
campements allochtones sont multiethniques. Ce sont généralement
des espaces où l'on rencontre à la fois les allochtones, les
allogènes et même parfois les autochtones.
Comment se construisent alors les rapports interethniques
dans ce nouveau contexte ?
Et comment se maintiennent les rapports de dépendance
autochtones-migrants ?
En d'autres termes, comment les autochtones entretiennent ils
les relations de tutorat avec les migrants aussi bien au sein des campements
allochtones qu'au sein du village noyau ?
A ce sujet, les auteurs du dynamique pionnier
évoquent le rôle joué par l'administration. Pour eux,
l'administration reconnaît les autochtones Bakwé comme les vrais
maîtres de la terre. Ainsi, elle installe dispensaires et écoles
dans les villages autochtones et non dans les campements allochtones dix fois
plus importants. Ensuite, elle procède à un regroupement des
villages Bakwé et « toutes discussions concernant l'avenir de
la région ont lieu dans les villages ; les campements étant
tenus d'envoyer des représentants ».
Comme on le voit, la différenciation interethnique ne
saurait tenir aux seules idéologies transmises à travers
l'histoire. Elle est traduite dans des structures qui convertissent les
idées en actions concrètes de différenciation.
Par ailleurs, ces analyses ne mettent pas l'accent sur les
rapports autochtones-migrants au sein des espaces collectivement
partagés puisque certains migrants résident t volontiers au sein
des villages autochtones comme l'indiquent Chauveau J.P et Richard J26(*).
Selon ces
derniers, « planteurs dioula et voltaïques
résident volontiers dans le village hôte où ils constituent
des quartiers distincts. Mais avec lesquels des relation de voisinage existent
alors que les baoulé préfèrent s'installer dans des
campements isolés qui deviennent peu à peu de véritables
villages autonomes, chose qui ne facilitent pas les contacts avec les
autochtones ».
Cette étude toute comme la précédente
nous indique que la différenciation autochtones-Baoulé
relève de la stratégie d'implantation de ces derniers. Mais
contrairement à la précédente, ces auteurs
éclairent à la fois sur les logiques internes et externes des
processus de différenciation interethnique et leur implantation.
En examinant le mode de structuration des rapports
différent selon les groupes, ils estiment que chacun de ces modes
détermine un degré de lien particulier avec les autochtones.
Ainsi, les Baoulé entretiennent du fait de leur choix de positionnement
géographique, des rapports conflictuels et distants avec les autochtones
qui se traduisent à travers l'agrégation des campements
Baoulé en véritables villages et leur séparation avec les
villages hôtes. Ce qui génère de façon permanente
des litiges de limite de champs ou de redevance.
A l'opposé, il semble que les voltaïques du fait
de leur option bénéficient d'une intégration plus grande
dans les sociétés autochtones car lorsqu'ils ne sont pas
employés en permanence par un planteur où ils résident
dans sa cour ou dans son campement, ils vivent dans un quartier du village qui
leur est réservé où résident les travailleurs sans
terre et propriétaires de plantations.
Les Dioula occupent une «position
intermédiaire» par rapport aux baoulé et voltaïques en
cumulant les deux modes de résidence. Cela relèverait de
l'hétérogénéité interne de ce groupe.
Comme on le voit, la structuration de l'espace qui
relève d'un choix stratégique du migrant, détermine le
degré des rapports entre autochtones et migrants.
L'analyse de ces auteurs montre ici une contradiction
de ce processus d'intégration des groupes migrants. Si les Baoulé
et les Dioula semblent bénéficier d'un accès plus facile
à la terre par rapport aux voltaïques tenus volontairement à
l'égard par les nationaux comme l'ont montré les analyses
précédentes, le processus d'intégration fonctionne dans le
sens inverse puisque les voltaïques entretiennent des rapports plus
étroits et plus harmonieux avec leur hôte que les allochtones. On
pourrait dire alors que plus l'accès des migrants à la terre est
facile moins ils sont intégrés au sein de la
société d'accueil. Mais cela est-il vraisemblable puisque les
rapports autochtones-migrants se tissent autour des valeurs collectivement
partagées et les acteurs individuels ou collectivement s'unissent ou se
distinguent en fonction de la situation ou des intérêts en
jeux.
En somme, si ces analyses font du mode de structuration des
rapports autochtones-migrants le point de départ de la
différenciation interethnique, elles ne nous disent pas le contexte dans
lequel évoluent ces rapports. En effet, ces études font
l'état des lieux de la situation des différents groupes migrants
par rapport aux autochtones mais elles n'éclairent pas sur le devenir
probable des rapports en fonction de l'évolution du cadre
institutionnel.
A Aboudé Mandéké par exemple,
autochtones, voltaïques et Dioula (Sénoufo et Malinké) se
sont établis aux côtés des Krobou au sein du village
hôte contrairement aux baoulé et Agni qui étaient
installés principalement dans les campements. Mais de nos jours on
assiste à un retour de ces derniers au près de leur hôte
ainsi qu'à l'implantation des Dioula et voltaïques dans les
campements Agni ou Baoulé.
Comment en est on arrivé là et quels types de
rapports ces derniers entretiennent-ils avec les autochtones ?
Cette relation a-t-elle un impact sur les relations
autochtones- voltaïques ou autochtones-dioula ?
Les analyses suivantes nous fournissent des
éléments de réponses à ces questions.
II - 4 Cadre institutionnel et évolution des
rapports interethniques
Les analyses précédentes ont mis successivement
l'accent sur les dimensions historiques et idéologiques des rapports
interethniques ainsi sur le contexte et le cadre institutionnel d'expression et
de structuration de ces rapports. Cela nous conduit aux analyses sur
l'évolution et les transformations non seulement des systèmes
traditionnels de gestion mais aussi des institutions Etatiques de gestion
foncière en milieu rural.
Dans ce contexte, l'examen de Koné M27(*). nous éclaire sur
l'institution du tutorat et son évolution dans un contexte de crise
socio-économique. Pour l'auteur, le tutorat est une institution qui
régit des droits et du dynamisme ; c'est un ensemble de
règles, normes acceptées et intériorisées par les
acteurs qui reposent avant sur un contrat d'hospitalité.
Il a un caractère collectif et les éléments
qui le structurent sont, le respect de l'obligation rituelle de
reconnaissance, comme acte majeur de pérennisation de l'institution, les
pratiques de corruption comme moyen d'accès à certaines
ressources malgré leur prohibition ou comme moyen de règlement de
certains litiges et enfin, la menace de sorcellerie comme frein à
l'ardeur des jeunes.
Ainsi, le tutorat depuis l'amorce de l'économie de
plantation et du phénomène migratoire a présidé
à l'accueil et l'installation des migrants dans les zones d'accueil.
Cependant, en quoi le tutorat participe-t-il à la
production de la différenciation identitaire ?
Si les analyses précédentes convergent sur la
facilité avec laquelle les premiers migrants ont eu accès
à la terre, certains ne tardent pas à dénoncer les
«conditions draconiennes» imposées dès les
années 1957 dans le centre ouest par ce système traditionnel pour
maintenir les migrants à l'écart (Chauveau J.P., Richard J.
1985)28(*). Le tutorat est
donc à la fois une institution d'intégration et un moyen de
disqualification des migrants. Mais comment évolue cette
institution ? Et comment la disqualification des migrants est-elle
maintenue ?
Dans son analyse sur l'évolution du tutorat,
Koné M. distingue les périodes d'évolution liées au
contexte sociopolitique :
- La première est celle de l'établissement des
premiers migrants qui part dès le début des années 1950
à la fin des années1960. Cette période est marquée
par le contexte d'économie morale de transactions
foncières ;
- La deuxième est celle qui a subit de plein fouet les
effets conjugués de la crise économique et celle du
système éducatif. Pendant cette période, on assiste
à la «monétarisation du tutorat» et la
«marchandisation des relations sociales» entre autochtones et
migrants
- La troisième
qu'on pourrait qualifier comme la conséquence de la seconde survient
avec une modification des instances d'autorité dans les villages et
l'émergence de pratiques innovantes au niveau des rapports
socio-fonciers.
En somme pour Koné M., les rapports interethniques
dans le cadre du tutorat varient en fonction du contexte politique et de
l'environnement socioéconomique qui prévaut.
Cette analyse a une portée théorique majeure
notamment au niveau de la structuration des rapports internes dans le cadre du
tutorat. Cet apport théorique permettra dans le cadre de nos
investigations empiriques de guider le processus de recherche selon les
perspectives théoriques annoncées.
Malgré cette contribution à la fois
théorique et empirique, l'étude de Koné M. n'explore pas
tous les aspects du processus de différenciation en milieu rural. En
effet, les études antérieurs ont souligné une
différence d'intégration des Baoulé qui entretiennent des
relations distantes et souvent conflictuelles avec les autochtones et des
voltaïques qui sont fréquemment les mieux intégrés du
fait de leur rôle de fournisseur de main d'oeuvre.
Cependant, les conflits interethniques en milieu rural
pendant cette dernière décennie opposent le plus souvent les
autochtones aux voltaïques comme ce fut le cas à Aboudé
Mandéké en juin 2005 (enquête exploratoire).
Comment en est-on arrivé à cette conversion de
sentiments affectifs en rapports conflictuels ?
Et comment cette réversibilité des sentiments
affectifs se traduit- elle au niveau des échanges sociaux ?
Pour répondre à ces interrogations, Babo
A29(*) dénonce le
rôle « pernicieux » des instrumentalisations
politiques des acteurs en milieu rural.
Selon cet auteur, « dans les villages
kroumen les burkinabés, les maliens et ghanéens cohabitent
paisiblement avec les autochtones kroumen grâce à
l'économie morale » du tutorat où de nombreux
migrants ont établit des relations de parenté rituelle avec ces
autochtones, à l'exception des Baoulé qui se sont maintenus
à l'écart du mécanisme d'intégration locale non
seulement grâce à l'appui du PDCI-RDA et de l'administration dans
les années 1970 mais grâce aussi à leur organisation
politique « fortement
hiérarchisée »différente de celle des
sociétés d'accueil.
Cependant, avec la démocratisation du champ politique
la stratégie de l'opposition concourait à
«réveiller» les frustrations des autochtones. Cette
instrumentalisation politique conduisit d'abord à l'émergence de
nombreux conflits entre autochtones et Baoulés (registre ethnique) avant
de tourner aux oppositions autochtones-burkinabés (registre
national).
Avant de conclure son analyse, l'auteur affirme que cette
situation a engendré la mise en oeuvre de nouvelles stratégies
migratoires baoulé qui consistent à retourner au sein des
villages hôtes ou la pratique de la «mobilité inverse»
qui consiste à revenir s'établir dans les villages d'origine.
L'analyse de cet auteur est fort contributive dans la mesure
out elle permet trois éclairages majeurs dans la compréhension du
processus de différenciation interethnique en milieu rural.
D'abord, confirmant les analyses précédentes
sur la logique distinctive de l'établissement des Baoulés par
rapport aux migrants burkinabés mieux intégrés, l'auteur
contrairement à ses prédécesseurs examine les facteurs
institutionnels ayant favorisés cette situation.
Ensuite, l'analyse des instrumentalisations politiques permet
d'établir un rapport entre les mutations institutionnels et politiques
et la production de l'ethnicité comme ressources par les acteurs pour
l'action sociale. En plus, ce cadre analytique permet dans le cadre de notre
étude de comprendre la réversibilité des rapports de
différenciation et le contexte institutionnel de conversion de
sentiments affectifs en rapports conflictueux.
Cependant, la dynamique des rapports interethniques doit elle
exclusivement s'expliquer par les manoeuvres politiciennes ? En outre,
l'insécurité foncière qui prédomine de nos jours
à Mandéké et qui se manifeste à travers les
exclusions, les disqualifications et les violences à caractère
communautaire a-t-elle une origine exclusivement politique ?
Si les observations de l'auteur nous permettent de comprendre
les raisons du retour des baoulé et Agni au sein d'Aboudé, elles
ne nous éclairent pas sur la nature des rapports qui
s'établissent entre ces nouveaux venus et les autochtones.
Quels, sont les enjeux de ces rapports de type
nouveaux ?
En outre, en quittant le campement, comment se restructurent
les rapports au sein de celui-ci ? Dans les campements allochtones
d'Aboudé Mandéké on a constaté une forte
présence allogène notamment burkinabé et malienne.
Comment allochtones et allogènes communiquent ou
interagissent face aux enjeux multiples au sein des campements ?
Pour de nombreux auteurs, le politique n'a fait qu'exploiter
une situation plus ancienne qui est celle de l'absence ou des
ambiguïtés des modes de régulation foncière en
Côte d'Ivoire depuis la période coloniale et postcoloniale.
Selon, Lavigne Delville Ph, la complexité des rapports
fonciers et des conflits est due à l'existence de plusieurs
systèmes dont aucun ne semble prédominant. D'une part le
système coutumier est régi par une pluralité de normes
non formelles à la fois flexibles et évolutives
conformément à la situation qui prévaut. La gestion des
ressources serait le fait des réseaux sociaux qui puisent leur
légitimité dans l'antériorité d'occupation. D'autre
part, le système Etatique dont les normes prennent leurs sources dans
les législations coloniales. En effet, l'auteur estime que le
colonisateur était motivé par un désir de domination et
d'exploitation des matières premières des métropoles. Leur
action a donc été de balayer du revers le système local de
gestion des ressources foncières. De même, l'Etat post colonial
qui a retenu l'essentiel des dispositions de cette politique coloniale les ont
souvent renforcé en déclarant après les
indépendances la nationalisation des terres agricoles.
A cela s'ajoute l'inexistence de véritables
réglementations foncières étatiques, notamment dans les
zones forestières où l'écart entre logiques
coutumières et modernisme semble grand. Et pour l'auteur,
« slogan such as «the land belongs to those who cultivate
it'' speed up the rate of clearance both by migrants seeking to appropriate
virgin fallow land and also by customary land holder using evidence of tillage
to protect their right », ,30(*)
Ce qui implique comme l'ont souligné certaines
études, la méfiance des autochtones envers les migrants dont
l'installation leur aurait été imposée par
l'administration (Babo A.). Ainsi, dans les zones d'immigration, la
différenciation interethnique n'est pas uniquement le fruit des effets
conjugués d'idéologies et de données historiques. Il y a
une part moins négligeable du cadre institutionnel qui, lorsqu'il est
flou permet aux acteurs la mise en oeuvre de stratégies en fonction de
leur position sociale et de leurs intérêts. C'est pourquoi Lavigne
Delville Ph., en parlant des consequences de cette situation estime que :
« (...) the uncertainty about rights encourages people to take
advantage of the dichotomy between the rules(...).The real problems arise not
from the coexistence of different systems, but from the multiplicity of
arbitration authorities whose links are unclear(...).While it facilitates
change and thus plays relatively functional role rapidly evolving contexts, the
confusion surrounding land rights favours powerful player particularly the
political-administrative class and some local elite who are the only ones able
to master the legal and administrative complexity ».31(*)
L'analyse de cet auteur nous permet de comprendre plusieurs
aspects de la différenciation sociale en cours à Aboudé
Mandéké. D'abord, elle nous fournit un cadre théorique
supplémentaire d'étude de la différenciation interethnique
en mettant celle-ci en rapport avec les antagonismes entre modernisme
tradition.
Ensuite, son étude nous permet d'effectuer une analyse
profonde des conflits interethniques entre Aboudé et migrants dans leurs
interactions.
Enfin, grâce aux éclairages fournis par cette
analyse nous examinons les législations foncières ivoiriennes en
rapport avec les interprétations qu'en font les acteurs à
Aboudé Mandéké.
Cependant, même quand les rapports interethniques en
milieu rural semblent prédominés par les rapports fonciers, les
pratiques de différenciation ne sont pas uniquement
déterminées par les enjeux fonciers. Ainsi, la confusion et les
conflits interethniques peuvent subsister même s'il ya adéquation
entre pratiques coutumières et règles étatiques. Le
problème de l'insécurité foncière ne couvre pas
à lui seul le champ des rapports interethniques qui se
redéfinissent selon le cadre de référence et la situation
des acteurs.
Pour clore ce chapitre sur la revue documentaire, il convient
de retenir que plusieurs tendances explicatives des rapports de
différenciation sociale et des conflits interethniques se
dégagent :
Il y a d'abord la tendance historiciste pour laquelle les
rapports de différenciation sont des données historiques car
liés à l'histoire du peuplement des zones forestières et
savanicoles ainsi que celle des processus migratoires dans le cadre de
l'économie de plantation. Cela à travers l'analyse de certains
auteurs tels que Dieudonné O. et Schwartz A. al et J.L.
Charléard.
Ensuite, il y a la tendance idéologique qui
s'inspirant de la précédente se focalise sur les idéaux
qui ont contribué à accroître la distance entre les
entités ethniques. L'analyse de ces auteurs se résume au fait que
les différenciations interethniques sont dues aux représentations
que chacun se fait de l'autre car, selon cette idéologie lorsque les
représentations que les entités se font les unes des autres sont
fondées sur les suspicions réciproques, elles conduisent à
l'évitement de l'autre et à l'entretien des rapports
distants32(*).
En outre, une autre tendance évoque le mode de
structuration des groupes. Pour elle, l'organisation structurelle des groupes
détermine les rapports de différenciation car cette
dernière dérive de la nature des rapports de production et de la
structure intrinsèque de ces rapports.
Enfin, selon la dernière tendance, les systèmes
institutionnels déterminent les rapports de différenciation
interethniques dans la mesure où ils complexifient les cadres
d'interprétation de ces rapports.
A travers ces analyses, nous avons ainsi perçu les
différents angles sous lesquels le problème de la
différenciation interethnique a été abordé par les
spécialistes.
Ces analyses sur la construction de la différenciation
entre autochtones et migrants en milieu rural ont certes étés
pertinentes, mais elles ne rendent pas compte des logiques sociales qui
sous-tendent les rapports de différenciation que les Aboudé
entretiennent avec les migrants installés sur «leur territoire''.
En effet si ces études ont montré les différentes
tendances explicatives des rapports de différenciation entre autochtones
et migrants, elles ne disent pas comment ces tendances peuvent varier dans le
temps et l'espace.
A Aboudé Mandéké on constate que les
rapports de différenciation évoluent avec l'évolution du
cadre institutionnel dans lequel s'expriment ces rapports. On assiste
également à la réversibilité des sentiments
d'exclusion dans le temps, où des inclus d'une époque deviennent
les exclus d'une autre époque. La compréhension de cet
état de fait à Aboudé Mandéké,
nécessite la mise en oeuvre d'enquête selon les objectifs
clairement définis.
III - LES OBJECTIFS DE L'ETUDE
Cette étude vise à comprendre les logiques
sociales qui sous-tendent les rapports de différentiation interethniques
à Aboudé Mandéké.
De façon spécifique, il s'agit de :
· Décrire le contexte socioéconomique
d'évolution des rapports Aboudé - migrants et les conditions
spécifiques de production de la différenciation interethnique
à Aboudé Mandéké.
· Identifier et évaluer l'impact des ressources
structurelles et symboliques de construction de la différenciation
aboudé - migrants.
· Analyser l'évolution du cade institutionnel
d'expression des rapports aboudé - migrants afin de comprendre l'origine
des conflits inter individuels ou à caractère communautaire.
IV - MODELE D'ANALYSE.
IV - 1 Les hypothèses.
- L'évolution du cadre institutionnel d'expression des
rapports inter ethnique prédispose à la différenciation
identitaire ;
- Le style d'occupation de l'espace sur fond de marquage
sociaux prédétermine les processus d'inclusion et d'exclusion de
certains groupes ethniques ;
- Les institutions traditionnelles de gestions villageoises
constituent des ressources potentielles de disqualification et de
marginalisation sociale ;
- Enfin, ces processus de construction sociale de la
différenciation inter ethnique préfigurent les antagonismes
sociaux et les conflits fonciers.
IV - 2 Définition conceptuelle
Dans un champ d'interactions sociales, le
marquage renvoie à un processus de construction
identitaire à travers des stratégies d'appropriation de l'espace.
Il apparaît comme un ensemble de mécanismes d'élaboration
des rapports sociaux qui concourent à l'affirmation d'un "soi
collectif". Il réside dans le cadre de notre étude en l'usage
symbolique des éléments socioculturels locaux à des fins
de revendication du droit d'autochtonie. Il s'agit notamment de la manipulation
instrumentale du tutorat, de la chefferie et de la coutume comme moyen de
justification et de légitimation du droit des Aboudé au
contrôle et à la gestion des espaces urbains et des terres de
culture. C'est le processus par lequel se construit la
différenciation identitaire. Celle-ci est un
élément de la stratification sociale. C'est le processus par
lequel les entités ethniques et les groupes communautaires se
définissent et se distinguent les unes des autres.
A Aboudé-Mandéké, la construction sociale
de la différenciation identitaire implique la production des sentiments
d'inclusion, d'exclusion et de marginalisation sociale. Elle implique
également la production des inégalités d'accès aux
ressources socio-foncières par les Aboudé vis-à-vis des
groupes migrants selon des degrés variables en fonction des
différents groupes. Les variables qui permettent selon notre
modèle théorique de comprendre la production de ces processus
sociaux incluent l'instrumentalisation politique de la nationalité, la
disqualification de l'espace habité par les migrants et les pratiques
d'exclusion qui conduisent aux conflits interethniques.
La notion de production conflictuelle des rapports
interethniques désigne l'ensemble des processus qui
conduisent aux antagonismes sociaux interindividuels ou à
caractère communautaires dans l'espace de reproduction des rapports.
Cette conflictualité est nourrie par la dérégulation des
rapports fonciers due à la déstructuration des liens sociaux de
production engendrée par la marchandisation des relations de tutorat
dans un contexte d'imprécision juridique.
V - DELIMITATION DU CHAMP DE L'ETUDE
V - 1 Champ Géographique
L'économie de plantation est très ancienne dans
le département d'Agboville. Les communautés allochtones y sont
installées depuis plusieurs générations et constituent
une part très importante de la population. L'étude
d'Aboudé-Mandéké dans la Sous-préfecture
d'Oress-Krobou nous paraît significative pour plusieurs raisons :
D'abord le milieu naturel est assez représentatif de
l'ensemble du département (climat chaud et humide, forêt dense,
relief peu accidenté...) qui favorise la pratique de la culture
marchande notamment le café, le cacao, le palmier à huile et
l'hévéa, principales productions du village.
Ensuite la forte présence de divers groupes
allochtones (Abbey, Attié, Baoulé, Agni, Dioula...) et
allogènes (Burkinabé, Maliens, Guinéens...)
regroupés dans des quartiers distincts et représentant une grande
proportion des planteurs du village.
Enfin, la récurrence des conflits intercommunautaires
depuis bientôt une dizaine d'années.
V - 2 Champ Social
Le champ social de cette étude est
constitué par toutes les personnes susceptibles de nous renseigner ou de
constituer un canal d'accès aux informations pouvant nous permettre de
comprendre les processus de différenciation fondées sur les
pratiques de formalisation des normes coutumières par les autochtones
à Aboudé Mandéké.
Pour cela nous nous adresserons aux personnes
physiques et morales suivantes :
- Les autorités administratives
La préfecture d'Agboville, la sous-préfecture
d'Oress-krobou et le personnel administratif d'Aboudé
Mandéké pour la présentation du site, les investissements
publics et leur connaissance des rapports intercommunautaires.
- Les autochtones
- La chefferie de terre (le chef de terre ou son
représentant)
- La chefferie villageoise (trois (3) membres dont le chef, le
1er notable et le SG)
- Un (1) représentant de chacune des cinq (5) grandes
familles autochtones (Bouédé, Zomon, Dabou, Koffi bosso, Aka
Bosso)
- La jeunesse estudiantine (le président des
élèves et étudiants)
- Le président de la commission gestion foret du
village
- La diaspora (le représentant des ressortissants
d'Aboudé Mandéké à Abidjan)
- La jeunesse paysanne (président de la
coopérative locale)
- La présidente des femmes.
- Les chefs des deux grandes églises
(Méthodistes et Catholiques)
Les allochtones
- Le chef des Dioula
- Le chef des Baoulé et/ou celui des Agni
- Le chef des Abbey
Ces trois groupes sont choisis en fonction de leur origine
géographique (allant respectivement du plus distant au plus proche) et
des types de rapports qu'ils entretiennent (du plus hostile au plus
intégré)
- Les associations féminines des différents
groupes ci mentionnés
- Ainsi que les associations de jeunesse, notamment les
présidents de ces associations
- Et enfin les chefs religieux de chaque communauté
seront interrogés.
Les allogènes
- Le chef des Burkinabé
- Le chef des Maliens
- Le chef des Guinéens
Ce sont les communautés allogènes les mieux
structurées et les plus représentées au sein du village
- De même les présidents des associations de
jeune et les associations féminines de ces groupes seront
également interrogés.
A toutes ces personnes, nous adresserons des guides
d'entretien thématiques suivant les communautés sur les
thèmes suivants :
Aux autochtones :
Le guide portera sur :
- Historique du village
- Rapport avec les migrants
- Connaissance des pratiques coutumières locales
- Rapports avec la chefferie et connaissance des règles
formelles
Aux allochtones et allogènes
Le guide comprendra les thèmes suivants :
- Conditions de migrations
- Les rapports intercommunautaires
- Connaissances des règles coutumières et des
règles formelles
V - 3 Le champ de référence
théorique
La question de la différenciation
interethnique en milieu rural est inscrite au coeur des théories de
l'« ethnicité » ou de
l'« identité ethnique » en tant que frontière
sociale entre groupes sur la base de marqueurs tels que le langage, la
religion, la culture, les expériences historiques, les coutumes33(*).
- Les théories primordialistes d'explication de la
différenciation, d'inspiration holiste, considèrent que les
identifications raciales et ethniques sont des données fixes
fondamentales et immuables, structurées autour d'éléments
culturels collectivement partagés tels que la (consanguinité), le
langage et la coutume. Pour ces théories, la différenciation et
les conflits interethniques s'expliquent par des divisions ethniques
primordiales ou des affinités naturelles ou affectives, toutefois
confortées par le travail de composition identitaire de l'administration
coloniale. Ces théories négligent cependant la fluidité
des frontières ethniques
- Par contre les théories instrumentalistes
considèrent l'identité ethnique comme le résultat de choix
stratégiques. Ainsi, les conflits et les processus de
différenciation sont le fruit de la poursuite d'intérêts
propres des élites. Malgré les éclairages qu'elles peuvent
nous fournir, ces théories sont réfutées à cause de
leur abus d'analyses centrées sur l'acteur.
Par ailleurs l'approche constructiviste d'explication de la
différenciation porte une attention particulière sur les forces
qui élèvent et ou baissent la probabilité de mobilisation
ethnique. Selon elle, les conflits ethniques ne sont pas des données
sociales mais plutôt, sont produits à travers des processus
historiques de socialisation34(*). Suivant le modèle constructiviste tel
qu'élaboré par Bourdieu P., La différenciation
interethnique est un processus qui s'accomplit à travers plusieurs
étapes.
Dans le cadre de notre étude, la différenciation
en cours entre Aboudé et migrants s'analyse à la lumière
de cette logique constructiviste. La construction des identités
socioculturelles dans l'espace villageois (ou champ) constitue la
première étape de la différenciation interethnique. En
effet, les individus ou groupes (acteurs) sont dotés de
capacités qui leur permettent de se distinguer les uns des autres. Cette
distinction prend forme dans les idéologies à savoir
l'idéologie de l'autochtonie, la perception idéologique des
différences ethniques et nationale. Ensuite la deuxième
étape de ce processus est celle des marquages sociaux comme moyens de
domination. Les identités « subjectivement
construites » où les «acteurs idéologiquement
différenciés'' se servent de ressources sociales disponibles dans
le champ à savoir les institutions de contrôle (système de
tutorat, chefferie traditionnelle, normes formelles ....) et les interdits
culturels en tant que moyens de pression et de coercition. C'est l'aspect
symbolique de la différenciation qui aboutit à la marginalisation
et la disqualification de l'«autre'' à travers un processus
d'étiquetage35(*)
et de stigmatisation sur la base des attitudes, habitudes ou des pensées
et perceptions (habitus) acquises au sein du groupe de
référence. En outre, constructions idéologiques et
marquages symboliques fonctionnent dans un contexte de dynamique
institutionnelle qui joue un rôle catalyseur des comportements des
acteurs. Dans ce contexte, les acteurs, pour atteindre le but visé
interagissent en mettant en oeuvre des stratégies (action
sociale) selon leur dotation en certains «capitaux'' tels, les
ressources financières (capital économique),
position dans la hiérarchie sociale (capital social), ou leur
niveau intellectuel (capital culturel).
Enfin c'est la convergence de ces processus sociaux qui
consolide les rapports de différenciation interethniques souvent
traduits à travers les conflits, les ségrégations
ethniques et les restrictions d'accès à certaines ressources
sociales.
VI - LES TECHNIQUES DE COLLECTE DE DONNEES
La construction sociale des identités en milieu rural
est un double processus d'affirmation versus distinction entre autochtones et
migrants à partir de relation d'interdépendance et des cercles
sociaux que les individus établissent et entrecroisent entre eux dans le
quotidien de la vie réelle36(*).
Pour comprendre ce travail instrumental de production
identitaire à Mandéké, nous avons eu recours dans un
premier temps à l'observation directe qui est
une activité de "constatation d'un fait à l'aide de moyens
d'investigation37(*).
Nous avons pu saisir comment les entités villageoises
se construisent dans un espace physique déterminé,
géographiquement spécifié comme marqueur identitaire
à l'échelle villageoise. Egalement, au moyen de l'observation, il
apparaît que ces espaces prédéterminent
l'élaboration par les différentes communautés de cercles
sociaux et des cadres de sociabilité spécifique qui
préside à la différenciation identitaire.
A Aboudé-Mandéké par exemple, elle nous a
permis de distinguer les types d'habitat spécifiques aux
communautés à savoir ; autochtones : habitat moderne,
Sénoufo, Malinké, Burkinabé : habitat "semi-moderne"
et Baoulé et Agni : habitats précaires. On a observé
également l'interdiction de l'élevage et la consommation de la
viande de cabri sur le territoire de Mandéké et dans les
campements satellites.
Dans un deuxième temps nous avons effectué des
entretiens semi-directifs pour recueillir les
informations adéquates à la réalisation de l'étude.
Dans le face à face avec les enquêtés, nous avons
exploré des guide d'entretien sur différents thèmes en
fonction des objectifs de l'étude. Ainsi dans la première phase
de l'étude effectuée en année de maîtrise, six
groupes ont été ciblés (voir mémoire de
maîtrise 2006).
Dans cette seconde phase, il s'agissait d'approfondir la
recherche sur certains aspects non suffisamment explorés pendant la
première phase telle que la question foncière.
Pour cela nous avons eu recours à deux principaux
guides. L'un adressé aux autochtones Aboudé sur
l'évolution des rapports interethniques aux plans économique,
socioculturel et politique ainsi que sur les modifications dans les rapports
fonciers face aux mutations intervenues en milieu rural. L'autre adressé
aux allogènes Burkinabé considérés comme les plus
anciens migrants établis à Mandéké sur les
mêmes thèmes. L'analyse de contenu de ces entretiens visaient
à comprendre les motifs d'élaboration de la
différentiation identitaire à partir de la saisie des
comportements spécifiques des acteurs sociaux (individus et collectifs)
qui prédétermine les processus de marginalisation et de
disqualification conduisant aux conflits interethniques.
Notre troisième démarche fut la
revue documentaire. Elle nous a conduits dans différentes
institutions et bibliothèques à savoir la bibliothèque de
l'Institut d'Ethnosociologie (IES) de l'Université de Cocody, celle du
Centre de Recherche et d'action pour la paix (CERAP, ex INADES) et celle de
l'Institut de Recherche et de Développement (IRD). Nous avons
également été à l'Institut National de la
Statistique (INS) ainsi qu'au BNETD pour des informations sur les situations
géographiques et sociodémographique de la zone
d'enquête.
Nous nous sommes ainsi servis d'ouvrages
généraux de revus d'articles spécifiques et des
mémoires d'étudiants portant sur la thématique de
l'étude afin d'approfondir notre connaissance du phénomène
étudié.
Enfin, nous avons eu recours à l'Internet
notamment le moteur de recherche de Google dans le but de
recueillir les approches diversifiées du problème
étudié.
VII- DIFFICULTES DE L'ETUDE
L'indisponibilité des enquêtés a
considérablement allongé la durée de l'enquête. En
effet, le chef du village était durant toute la période de
l'enquête à Abidjan pour cause de maladie. Nous avons eu recours
au secrétaire général de la chefferie qui
représente le deuxième personnage de la chefferie après le
chef.
Le chef burkinabé est
décédé juste avant la période de l'enquête,
nous avons eu recours au fils de l'ancien chef de communauté
burkinabé, lui - même ancien chef des jeunes.
Enfin notre enquête a été
reportée de deux mois en raison des obsèques du chef de terre.
Ces facteurs ont énormément retardé le rythme de notre
travail.
PREMIERE PARTIE : CONSTRUCTION DES IDENTITES
SOCIOCULTURELLES ET DELIMITATION DES GROUPES
Dans cette partie il s'agira pour nous de comprendre comment
les modalités d'occupation de l'espace villageois par les
différentes communautés ethniques contribuent à
préfigurer la différenciation intercommunautaire. Cette
préprogramation de la différenciation interethnique se saisit
également dans les représentations des groupes qui
édifient des barrières socioculturelles de disqualification.
Comment le style d'occupation de l'espace façonne-t-il
le marquage identitaire?
En quoi les processus de reproduction de la
société d'origine pré fabriquent la différenciation
interethnique à Mandéké ?
CHAPITRE I : ITINERAIRE MIGRATOIRE ET HISTORIQUE
DES COMMUNAUTES ETHNIQUES
Plusieurs groupes ethniques cohabitent sur le site
d'Aboudé Mandéké, celui-ci étant composé
"d'un terroir originel" : noyau villageois et d'un "terroir
éclaté"38(*): implantations de campements allochtones.
Ce chapitre vise à comprendre les processus de
singularisation à travers les stratégies d'implantation des
différentes communautés ethniques.
La construction sociale des Aboudé comme entité
autochtones est la base de la production des sentiments
d'inégalité Aboudé-migrants.
Issue de vagues migratoires, la présence
d'unités singulières de migrants entame le processus de
différenciation identitaire.
Quelles sont les idéologies qui président
à ces processus sociaux ?
I. 1 Historique du peuplement krobou
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II. 1. 1 De l'origine des krobou.
Les krobou font parti du grand groupe des Akan
lagunaires avec pour proches voisins les Abidji, les Attié et les Abbey.
Contrairement aux Essouman, Aïzi et Avikam qui vivent sur les bords des
lagunes ; les krobou tout comme les Abbey et Abidji occupent les terres de
l'intérieur qui jouxtent les lagunes. Parmi les Akan lagunaires, seuls
les Aïzi, les Abidji, les Abbey les Krobou ont un système de
filiation à accentuation patrilinéaire, disposé en classe
d'âge. Mais n'ont pas d'Etat centralisé, l'autorité se
limitant à chaque village; Oress-krobou est le "foyer originel" de tous
les krobou, car issus de la migration Akpafu-gbabrobo-Adele-Avitime39(*), ce site fut l'un des centres
de rassemblement et unique village des krobou qui vivent à l'ouest du
fleuve Agbo (Agneby).
I. 1. 2 De la légende locale :
origine céleste des krobou.
« Nous sommes descendus du ciel, nous
avions un chef appelé ADJE Mangbou qui opprimait. Il confisquait toute
la récolte et affamait son peuple. Un jour, Dieu nous réunit en
l'absence du roi et décida de nous débarrasser de lui. Pour ce
faire disait-il "je vais vous faire descendre sur terre pour vous permettre de
vivre en paix ". Il nous offrit une longue chaîne et un escabeau pour la
descente. La fuite s'organisa secrètement afin d'éviter la
terreur du tyran. Elle eut lieu au moment ou tout le monde dormait. La
chaîne fut jetée. Et la population commença à
descende. Mais le roi informé par l'un de ses hommes put s'accrocher
à la chaîne pour nous rejoindre. Pendant la descente la
chaîne craqua et seulement trente deux personnes et une femme
stérile purent regagner la terre. L'endroit où nous sommes
descendus fut appelé Krobou du nom de notre peuple. »
40(*)
Les krobou tiennent cette tradition orale des Zomon
sous-clan du groupe krobou. Si les Zomon disent être descendus du ciel
à l'aide d'une chaîne ils tiennent cette tradition de leur groupe
d'origine krobo en côte de l'or appelé le clan Akradé. Ce
clan affirme être descendu du ciel pour atterrir dans deux grands
récipients en cuivre. C'est cette tradition orale d'origine
céleste des Akradé qui a retenu l'attention de la plus part des
clans krobo dont les Zomon. Ainsi donc à partir d'Oress-krobou seront
créés Aboudé Kouassikro et Aboudé
Mandéké déformation d'Aboudé Man Diliké:
Chez Abou on trouve la nourriture.
A Aboudé Mandéké cinq grandes
familles se partagent le droit d'autochtonie à savoir les
bouèdè, les zomon les dabou, les aka-bosso et les koffi bosso
qui forme le clan Ngadjè, les premiers à s'établir
à proximité du site actuel.
Aboudé Signifie village de Abou, le premier à
s'établir sur le site d'Aboudé kouassikro suivi par son lignage.
La promiscuité du clan Ngadjè, les derniers venus d'Oress-krobou
avec les autres membres, pousse ce clan à se retirer et à trouver
un autre site auprès du site actuel appelé Dimpou.
Pendant la colonisation la recherche de mains-d'oeuvre amena
les colons à l'établissement forcé des indigènes
aboudé sur le site actuel nommé par la suite Aboudé
Mandéké lors du tracer de l'axe Ndouci - Agboville.
I.1.3 Des caractéristiques du milieu
naturel favorable à l'économique de plantation.
Les Aboudé sont installés non loin du fleuve
``coconzo'', l'une des ramifications de l'Agneby, les
caractéristiques du milieu naturel vont ensuite favoriser la venue
massive de communautés migrantes :
- Le milieu naturel est favorable à la production des
cultures d'exportation que sont le café le cacao et le palmier à
huile. Le sol, le relief et le climat sont à l'image de ceux de
l'ensemble du département.
- Le sol est de type férralitque
légèrement lessivé sur roche granitique. Il est
généralement pauvre en argile et se caractérise par la
présence fréquente d'horizon gravillonnaires et d'une faible
proportion d'éléments grossiers. Ce qui le rend favorable
à toutes les cultures.
- Le relief est très accidenté et se
caractérise par la présence de collines et de vallons plus ou
moins accentués dépassant rarement 1000m d'altitudes. La
présence de nombreux bas-fonds souvent marécageux constitue la
principale contrainte physique.
- Le climat est de type tropical humide (attiéen)
caractérisé par deux saisons humides et deux saisons
sèches.
On le voit les possibilités du milieu physique ayant
permis le développement ultra-rapide de l'économie de plantation
est à l'origine de l'arrivée des vagues migratoires et de la
transformation du statut de la terre devenue désormais une source de
richesse et donc un enjeu économique entre les composantes ethniques du
terroir villageois.
Trois termes permettent d'identifier la communauté
autochtone d'Aboudé Mandéké à savoir les krobou,
dénomination unifiante et unificatrice. Lorsqu'un autochtone se
désigne krobou, il fait référence à l'ensemble du
groupe dont la base est à Oress-krobou. Ainsi, « le krobou
est venu du ciel (...), ne mange pas et n'élève pas le
cabri ». Le terme krobou est employé de nos jours pour
désigner ceux resté sur le site d'Oress-Krobou.
Les Aboudé sont une phratrie des Krobou du nom de ceux
ayant suivi Abou dans sa migration vers le site actuel d'Aboudé
Kouassikro dont une partie s'est ensuite détachée pour
créer Aboudé Mandéké.
Les aboudé sont donc les krobou originaires
d'Aboudé Mandéké et Kouassikro. Une troisième
appellation semble de plus en plus spécifier les habitants de
Mandéké à savoir les Mandéké. Si
l'Aboudé se recrute dans les deux villages Kouassikro et
Mandéké, le Mandéké ne se recrute qu'à
Aboudé Mandéké. Bien que pas assez suffisamment
employé, ce terme comme « identifiant »
tend à s'imposer comme identité des Aboudés vivant
à Aboudé Mandéké.
Comme on le voit, l'ethnie est une structure sociale en
réserve41(*)
pouvant ou non être activée par les acteurs. Elle n'est pas une
structure de base immuable, c'est le sentiment d'appartenance
perpétuelle à un groupe. C'est une reconstruction historique. Du
Krobou, groupe originel créé par la migration naquirent
successivement l'Aboudé, (référence à un
ancêtre commun), et le Mandéké (référence
à un territoire). C'est cette conscience d'appartenance qui guide les
autochtones Aboudé dans les processus d'identification, non seulement
vis-à-vis des autres autochtones mais aussi vis-à-vis de
l'ensemble des groupes migrants présents sur le site et dans le terroir
villageois à la faveur de l'économie de plantation.
I.2 Migration et établissement des
communautés migrantes à Aboudé
Mandéké.
I.2.1 Installation des allochtones et
éclatement du `` terroir originel''
Les premiers migrants à investir les terroirs
d'Aboudé Mandéké sont les Baoulé et les agni.
Depuis la période coloniale et la création d'Aboudé
Mandéké, les premières communautés à
côtoyer les Aboudé furent les Agni et les Baoulés. Dans
les discours autochtones, « Mandéké veut dire
«man di like'' qui est un terme agni. Ce qui veut dire que nos rapports
avec ce groupe ne datent pas d'aujourd'hui. » Cependant, les
baoulé et Agni ne se sont pas établis aux cotés des
Aboudé dans le cadre de l'économie de plantation. Ils ont
notamment créé des campements ou des abris de fortune aux abords
des plantations de café et de cacao qu'ils exploitent. Ils ont pu avoir
directement accès à la terre grâce au système de
tutorat qui présidait les rapports au moment du démarrage de
l'économie de plantation.
Ainsi, laissant les villages autochtones, ces groupes ont
recréé au sein de ces implantations à l'origine
temporaires un espace social semblable à celui de leur groupe d'origine.
Ayant acquis de vastes surfaces de forêt dès le début de
leur installation, les plantations des chefs de familles Baoulé et Agni
dépassent la moyenne villageoise en superficie. En dehors de ce type
d'établissement à l'origine qui leur était propre, les
communautés Agni et baoulé qui s'établissent de nos jours
le font aux coté des autochtones et d'autres migrants allochtones
à savoir les sénoufo, les malinkés et les Gouro (les
derniers allochtones à venir s'établir auprès des
autochtones) présents à Mandéké depuis la
période des indépendances. A l'égard des Agni et
Baoulé les Sénoufo et Malinké s'investissent activement
dans l'économie de plantation pendant que les Gouro exploitent les
bas-fonds marécageux pour la culture du maraîcher. Leur
arrivée est assez récente.
I.2.2 Etablissement des
allogènes
Les migrants allogènes d'Aboudé
Mandéké sont de diverses nationalités. On y trouve des
maliens, des guinéens, des ghanéens et surtout des
burkinabé représentant la plus importante numériquement
parmi ces communautés. Tout comme la plupart des allochtones les
burkinabé se sont investis principalement dans l'économie de
plantation et se sont installés en recréant le mode de vie
d'origine. Mais contrairement aux baoulé et Agni, les burkinabé
n'ont pas eu un accès direct à la terre. Issus parfois de
parcours migratoire de plusieurs étapes, les burkinabé sont
généralement employés au départ comme manoeuvre par
les Aboudé et accèdent finalement à la terre soit par
achat (c'est le cas le plus fréquent), soit par don de la part du
tuteur, d'une surface que le migrant exploitait uniquement pour le vivrier
destiné à la consommation domestique.
La deuxième communauté allogène
numériquement importante est la communauté malienne. Les membres
de celle-ci ont le même parcours migratoire que les burkinabé.
« Lorsque je suis arrivé à
Kouadjakro, j'ai été reçu par Akalé avec qui j'ai
acheté 17hectares de forêt. Mon premier champ, je l'ai
laissé à mon oncle à Moha (Aboisso).Avant d'avoir ce
champ, j'ai été d'abord bouzan à Biesso (Aboisso)
où j'ai débarqué quand je suis arrivé du mali en
1966. C'est pendant la construction de la SODEPALM en 1972, que mon champ a
été détruit et on m'a dédommagé à
hauteur de 600000fcfa. C'est cet argent que j'ai pris pour acheter la
forêt à Kouadjakro en 1974 »
On le voit, le mode d'accès à la terre varie
selon les groupes ethniques et prédétermine les rapports de
différenciation interethniques.
CHAPITRE II : PARTAGE DE L'ESPACE ET DOUBLE
PROCESSUS D'HOMOGENEISATION ET DE DIFFERENCIATION ENTRE ABOUDE ET
MIGRANTS.
Dans ce chapitre il s'agit dans un style constructiviste de
montrer comment les acteurs exploitent la conscience d'appartenance
communautaire pour configurer l'agir collectif. Pour cela il s'agira
d'identifier les facteurs d'inclusion et d'exclusion sociale et de montrer
leurs influences sur les rapports interethniques.
Il s'agit donc pour nous de montrer comment Aboudé et
migrants se construisent, à la fois comme membres d'un groupe
spécifique, ethnie ou communauté d'origine et comme membre de la
communauté villageoise dans son ensemble. C'est un double processus de
construction ethnique sur la base d'éléments sociaux
collectivement partagés.
II.1. Les facteurs de différenciation
identitaire
Les éléments de différenciation sociale
entre les différentes communautés d'Aboudé
Mandéké sont multiples. Ils permettent aux individus et aux
groupes de se construire grâce aux représentations sociales qu'ils
se font de leur communauté mais aussi des différents groupes en
présence.
II.1.1 L'appartenance ethnique et la
nationalité comme facteurs d'identification primaire.
Le premier élément qui divise les groupes
à Aboudé-Mandéké est l'appartenance ethnique. Les
groupes se construisent et occupent l'espace en fonction des liens ethniques.
Aux cotés des autochtones Aboudé préétablis, les
premiers migrants se sont installés en reproduisant un style de vie
communautaire semblable à celui de la société d'origine.
Cette reproduction du mode de vie d'origine fonctionne à travers la
reproduction des liens de parenté dont le premier élément
est la famille.
· De la famille à la communauté
comme modèle de reproduction de la société
d'origine.
Le terme de famille correspond à un concept assez
imprécis. Au sens étroit du mot c'est « un groupe
de personnes reliées par le sang, le mariage ou l'adoption et
résident habituellement ensemble avec pour objet la survie
économique, l'identification individuelle et collective, et
l'élevage des rejetons éventuels42(*) ».
La famille que recrée le migrant au moment de son
installation est d'abord une famille élémentaire ou famille
nucléaire composée de l'homme, chef de famille et son
épouse avec ou sans enfants. Employé comme manoeuvre pour les
allogènes il se construit un abri de fortune à l'écart de
la maison du tuteur et s'y installe avec sa femme et son éventuel
enfant. Parfois il s'agit de foyer polygame (famille composée) et
très vite accourent d'autres membres de la famille (famille
élargie) au fur et à mesure que le statut du chef de famille
évolue. Avec l'arrivée massive d'autres membres de la famille se
créent une ambiance familiale semblable à celle de la
société d'origine. Sont ainsi aisément reproduits la
langue comme outil de communication, la religion, les interdits et toutes les
autres caractéristiques de la société d'origine. La
famille fonctionne donc comme un élément vital de la
différenciation entre groupes migrants et autochtones. En plus de ce
rôle de reproduction culturelle, la famille a une fonction
économique comme l'on soulignés Schwartz A., Martinet F.et al.
« La famille dans les zones de départ comme dans les zones
d'arrivée, constitue pour les migrants, un réservoir de main
d'oeuvre. Elle diminue considérablement le coût social du
développement. Sa reproduction est donc indispensable dans la pratique
de l'économie de plantation. »43(*)
Pour Meillassoux C (cité par Swartz A et al),
« le fait important chez les migrants était la persistance
des structures familiales de production appelée «communauté
domestique»44(*)
A coté de la famille il y a la communauté,
celle-ci se crée à partir de l'association de plusieurs groupes
familiaux qui réclament une origine commune. Cela étant
perçu comme un signe de cohésion et de solidarité. La
communauté se crée donc à partir du moment où les
individus ou groupes se réclament de la même identité
perçue quant à elle comme un principe de cohésion
intériorisé par une personne ou un groupe, où un ensemble
de caractéristiques sont partagées par les membres du groupes,
qui permettent un processus d'identification des personnes au sein de ce groupe
et de différenciation par rapport à d'autres groupes. La
formation des entités communautaires est alors un double processus
d'inclusion et d'exclusion sociale.
Ainsi à Aboudé-Mandéké, Agni et
Baoulé ont des pratiques similaires au plan social et culturelles
à telle enseigne qu'elles sont généralement perçues
comme formant une communauté unique ( Agni - Baoulé ). De
même les Malinké, les Sénoufo et les Burkinabé
forment le grand groupe Dioula. Ils partagent le quartier Dioulabougou. Bien
que les Mossi soient les plus nombreux de cette grande communauté, ce
quartier est ainsi nommé à cause du fait que les Aboudé
ont tendance à appelé Dioula tous les individus ou groupes de
religion musulmane : il s'agit des nordistes ivoiriens, des maliens, des
guinéens et burkinabé. Ici la source de l'identification ethnique
constitue le partage de l'héritage culturel transmis par des
ancêtres issus d'une expérience historique commune. La
préservation de l'identité du groupe est assurée par un
processus de reproduction globale de la société qui repose sur
des données intuitivement perçues comme immédiates et
naturelles de l'existence sociale à savoir la langue, les liens
biologiques, la religion et les récits mythiques.
Ce processus de construction symbolique de l'autochtonie
s'enracine dans les modèles et les pratiques des individus.
Il apparaît donc que, la famille, l'entité
ethnique et la communauté fonctionnent comme des marqueurs sociaux des
identités. Ce sont des canaux d'intégration sociale (à
l'échelle de la communauté), et des barrières d'exclusion
à l'échelle villageoise.
· L'exclusion Par la nationalité comme
résultat des instrumentalisations politiques.
L'ouverture du champ politique en Côte d'Ivoire s'est
faite avec « l'instrumentalisation des identités
ethniques. Les acteurs politiques jouant sur les différents registres
identitaires pour rallier une clientèle, favorisant la construction de
l'identité individuelle et sociale par les différents groupes qui
se distinguent des proches voisins. » BABO A. Cette distinction
identitaire s'est d'abord opérée entre autochtones et allochtones
en milieu rural. Ensuite, le renforcement de la compétition
électorale se fit avec la `` logique ivoiritaire'' de
redéfinition identitaire sur la base de la nationalité. Cette
scission nationaliste des identités est bien présente à
Aboudé Mandéké. Ainsi malgré le partage d'un espace
commun avec les Malinkés ivoiriens, les Burkinabés tout comme
d'ailleurs les autochtones Aboudé procèdent à une
redéfinition des entités ethniques sur la base de la
nationalité :
« Les Dioula et les Sénoufo,
sont nos frères, ils peuvent voter pour tout ce qui concerne les postes
électifs du village même s'ils partagent tout avec les
étrangers (...) ».
« Ici, les Dioula et les
sénoufo sont avec nousi dans le quartier dioula (....), ce sont nos
frères on partage tout mais eux ils sont ivoiriens, donc quelque part on
n'est pas même chose. »
Comme on le voit la nationalité est un facteur de
différenciation qui produit des inclus et exclus sociaux.
II.1.2. De la formation des entités
territoriales spécifiques
La répartition spatiale des communautés est la
première forme de la différenciation identitaire à
Aboudé Mandéké. Le quartier fonctionne comme une
entité autonome, régie par ses propres règles qu'on
pourrait considérer comme un village à part entière au
sein d'Aboudé Mandéké. Les groupes qui forment le quartier
Dioula sont diffus. On retrouve : les sénoufo, les maliens, les
guinéens et les burkinabé partagés entre les deux
religions (christianisme/ islam), mais en majorité musulmane. Cependant
qu'est ce qui fonde la spécificité de ce groupe ?
Contrairement aux autochtones qui disposent d'un chef central,
ce grand groupe Dioula a développé un système segmentaire
de société à chefferies où l'autorité n'est
pas détenue par un individu. Chaque famille ou chaque groupe ethnique
dispose d'une autorité plus ou moins élargie, les actions
spécifiques de tous ces sous-groupes sont orientées vers la
préservation des intérêts de l'unité englobante.
Bien que produits d'une ``migration disjonctive `` (Horton R,
cité par Laburthe T et Warnier J-P), ces entités
développent une stratégie commune de préservation de leurs
intérêts. On comprendra dès lors la nécessité
d'institution permettant de cimenter ces liens familiaux et groupaux en
unité sociopolitique viable où la solidarité territoriale
passe au premier plan. C'est le cas surtout des campements allochtones tel que
Kouadjakro (Campement satellite d'Aboudé Mandéké). Au sein
de ces campements, allochtones et allogènes fondent une unité
politique centralisée et développent des liens communautaires,
basés sur les sentiments d'appartenance commune au territoire et des
stratégies de préservation de leurs intérêts.
Même si à l'intérieur de chaque groupe, le système
d'organisation reste segmentaire et les chefs de ménages conservent une
relative indépendance et une autorité vis-à-vis du
chef.
Le territoire a donc une influence majeure sur les processus
de différenciation entre autochtones et migrants. La reconstruction de
la société d'origine sur un espace prédispose à la
différenciation interethnique et les groupes en présence
s'approprient ces stratifications idéologiques pour forger des
représentations allant dans le sens des divisions ethniques. Sur cette
base la différenciation transparaît aussi bien entre les individus
membres des collectivités symboliquement configurées, qu'entre
les entités distinctes. Cependant, ces entités formées ne
sont pas les groupes homogènes. Leur coexistence tient des enjeux
spécifiques qui émergent.
II.2. Les facteurs d'homogénéisation
identitaires : la politique et la religion comme
éléments de rapprochement intercommunautaire.
Les religions jouent un rôle important dans la
mobilisation des groupes à Aboudé Mandéké:
« Il suffit que tu dises `` Allah hou Akbar''
pour faire partir de notre communauté ».
Au-delà des divergences ethniques les cultes
rassemblent dans un même lieu les membres de diverses communautés
aussi diffuses qu'elles puissent paraître. Les représentations
collectives et les croyances en des valeurs religieuses communes gomment les
barrières sociales et reproduisent un style de vie communautaire
basé sur la communion et les liens d'entraide et de solidarité.
Ainsi le christianisme est la religion qui unifie autochtones
et migrants à Aboudé Mandéké. En créant une
communauté chrétienne sans distinction d'origine
géographique et ethnique, il fonde un sentiment d'agir collectif et cela
se traduit dans la pratique par la participation commune aux activités
socioreligieuses et l'église s'érige souvent en instance de
résolution des conflits entre fidèles d'origine ethnique ou
nationale distinctes. Par exemple les cimetières du village
étaient à l'origine divisés entre d'une part les krobou et
d'autre part les autres communautés. De nos jours, lorsqu'un
burkinabé de religion chrétienne décède, son corps
passe par l'église et il est enterré au cimetière des
autochtones. Ensuite le christianisme tend aujourd'hui à gommer
certaines pratiques autochtones qui fonctionnaient comme des barrières
sociales.
Le problème de la non consommation du cabri qui est un
élément spécifique de la culture krobou tend à
s'affaisser devant la foi chrétienne. Certains autochtones estimant que
cette institution ne figure pas dans la bible.
Tout comme la religion la politique gomme les
frontières ethniques. Les religions fonctionnent comme un facteur
d'inclusion des allogènes il y a la politique qui produit une nouvelle
forme de différenciation basée non pas sur les différences
ethniques mais sur les divergences idéologiques.
Ainsi les autochtones Aboudé sont repartis entre trois
grands partis politiques à savoir le FPI, le RDR, et le PDCI vue
que « l'ouverture du marché politique en Côte
d'Ivoire s'est opérée avec la « formation
d'entités ethno régionales correspondant plus ou moins aux
grandes aires culturelles »45(*). Conscients des représentativités
relatives des communautés d'origine de ces aires au sein du village, les
élites locales reconstruisent des unités sociopolitiques qui
regroupent à la fois autochtones et allochtones. Il s'agit ici d'une
activité instrumentale d'inclusion des communautés allochtones
à travers la poursuite d'objectifs politiques propres. Ainsi se
superpose sur la carte ethnique villageoise une carte politique qui transforme
les scissions ethniques en scissions idéologiques.
L'ethnicité apparaît donc comme un
système culturel permettant aux individus de situer leur place dans un
ordre social plus large. La concrétisation des groupes est un processus
d'assignation et d'auto-attribution des individus à des
catégories ethniques. On assiste à une construction sociale de
l'appartenance " situationnellement" déterminée et
manipulée par les acteurs46(*).
Conclusion partielle
Le positionnement des entités ethniques d'Aboudé
Mandéké dans l'espace social est opéré sur fond de
différenciation identitaire. Sur la base de marqueurs identitaires comme
la nationalité la religion, la langue et bien d'autres
caractéristiques culturelles, les groupes sociaux se sont reconstruits
et ont configuré un système d'agir collectif spécifique en
utilisant ces marqueurs comme ressources. Cependant des actions
d'homogénéisation président à ce processus de
démarcation des entités collectives. Ainsi, la religion et la
politique constituent les fondements idéologiques de ces processus
sociaux.
Cependant comment fonctionne ce processus de co-construction
de l'agir collectif à Aboudé Mandéké et
quelles sont les ressources symboliques qui alimentent son fonctionnement ?
DEUXIEME PARTIE: MARQUAGE SOCIAL ET PRODUCTION DE
LA DOMINATION SYMBOLIQUE
La séquence précédente nous a
permis de comprendre que la formation des entités villageoises est un
processus stratégique de démarcation spatiale de la part non
seulement des groupes autochtones (Krobou) mais aussi des migrants en
fonction du contexte.
Cependant l'entretien d'une vie communautaire à
l'échelle villageoise exige l'existence des valeurs collectivement
partagées. La présente séquence met l'accent sur la
dimension instrumentale de la différenciation. Elle nous permet de
montrer que les valeurs collectives qui apparaissent comme des fibres
permettant de raccorder le tissu social sont des instruments de marquage et de
contrôle des autochtones Aboudé. Elle comprend deux (02)
chapitres :
Le premier chapitre permet de saisir les motifs de la
production par les Aboudé des institutions sociales de
contrôle.
Dans le second chapitre, il s'agit
d'appréhender la fonction subjective de certains comportements
manifestes des autochtones Aboudé.
Chapitre III. La reproduction des institutions
DE CONTRÔLE
La population d'Aboudé-Mandéké
croît à un rythme accéléré. Chaque
année le village enregistre de nouveaux membres venant s'établir
soit pour la poursuite de l'économie de plantation, soit pour des
activités économiques telles que le commerce ou encore la
production vivrière ou maraîchère. Pour ce faire, il
convient d'avoir un regard sur l'ensemble des groupes. Certaines institutions
assurent cette fonction.
III.1. La redéfinition du rôle du
tutorat
L'analyse du tutorat va nous conduire à déceler
la dynamique de transformation de cette institution et son adaptation au
contexte sociopolitique.
Le tutorat est un ensemble de règles, normes
acceptées et intériorisées par les acteurs qui reposent
avant tout sur un contrat d'hospitalité. L'accueil des migrants
participe et contribue au développement et à l'agrandissement du
village, permet de maintenir les limites du territoire villageois contre
l'agression des villages voisins, un paravent contre les animaux
sauvages.47(*)
Ces fonctions du tutorat sont dynamiques. La "subordination
rituelle (BABO A.), et les "obligations d'assistance" de la part du migrant
n'existent plus.
Cela est dû au fait que les premières
générations de tuteurs et de migrants sont pour la plupart
décédés et ce sont leurs enfants ou petits enfants qui
sont présents.
Ensuite les nouveaux migrants qui s'établissent sont
directement absorbés par leur communauté fortement
structurée qui permet leur intégration. La relation du tutorat
reste donc une relation fictive. Les enfants et petits enfants des migrants
considèrent les enfants des hôtes de leur père comme leur
tuteur. De même le nouveau migrant reconnaît comme tuteur le tuteur
de son tuteur ou le propriétaire du bien qu'il occupe (location de
maison ou occupation provisoire d'un lot). Ce qui contraste avec la
thèse de KONE M. qui dit que celui qui loue uniquement une portion ou
des parcelles ne parlera pas de tuteur. Cette affiliation fictive des migrants
aux membres de la communauté autochtone permet aux autochtones de
rappeler à tous les migrants leur devoir de subordination et leur statut
d'infériorité par rapport aux autochtones.
« Chaque migrant doit participer au
développement du village à travers son tuteur (...). Une fois que
tu passes une nuit ici, tu as un tuteur. C'est lui fait les démarches
quand tu veux épouser une fille Krobou. Et quand tu as un
problème, c'est lui qu'on appelle. Chaque tuteur est responsable de son
étranger. Il doit lui apprendre les interdits, qu'on
n'élève pas du cabri chez nous, qu'on ne vole pas et qu'on ne
commet pas d'adultère.»
On le voit, ces propos visent à affirmer une
subordination du migrant qui est une forme symbolique de le dominer. Cependant,
ce caractère fictif de la domination est matérialisé
à travers une autre institution à savoir la chefferie
traditionnelle.
III.2. La restructuration de la chefferie
traditionnelle
La chefferie de village est une instance reconnue depuis
l'administration indigène et renforcée après les
indépendances par le ministère de l'intérieur et de la
direction de l'administration territoriale. Ainsi, la
circulaire N°20/INT/DGAT du 03 Juin 1976 adressée aux
préfets et aux sous-préfets atteste que « le chef
de village est le premier maillon de l'organisation administrative est le seul
représentant de l'autorité de l'Etat. Il ne doit pas être
imposé aux communautés villageoises
intéressées ». Mais avant, l'arrêté
portant constitution de l'administration indigène en Côte d'Ivoire
précise en son article 3 du titre 1er que
« Tout indigène fait obligatoirement partie du village
où il réside habituellement et se trouve de ce fait soumis
à l'autorité du chef de village. Il précise les
attributions du Chef du village en article 6 du même titre qui sont entre
autres « le garant de la police
générale » (maintien de l'ordre), et rural
(protection des cultures), « le garant de la
voirie », de « l'hygiène »
et de la « perception des impôts ». Ces
différentes fonctions du chef de village depuis la période
coloniale montrent l'importance de celui-ci et les prestiges sociaux
liés à son exercice.
S'inspirant de ces dispositions antérieures,
les autorités traditionnelles d'Aboudé-Mandéké ont
institué une chefferie dont les aspirations politiques débordent
le cadre villageois. Pour être chef de village précise le
Secrétariat,
« il faut être né de père
Krobou originaire d'Aboudé-Mandéké, savoir lire et
écrire, avoir un logement décent et être élu par
tous les villageois »
Ces nouvelles prescriptions de l'autorité politique
villageoise émanent de plusieurs sources.
D'abord ces décisions ont été prises
à la suite d'un séminaire regroupant tous les ressortissants
d'Aboudé-Mandéké à l'initiative des élites
intellectuelles regroupés au sein d'une association
dénommée la « diaspora ». Parmi ces
derniers, on compte des anciens cadres de l'administration (un
député et un préfet à la retraite, tous originaires
d'Aboudé-Mandéké ».
Ensuite cette institution qui date de 2002 s'inscrit dans un
contexte de crise politique au plan national où on assiste à une
manipulation des appartenances identitaires en occurrence des identités
ethniques pour régir les relations intergroupes (BABO A).
Ainsi ces nouvelles modalités d'accès à
la chefferie du village qui contrastent avec les dispositions traditionnelles
bien qu'elles incluent tous les autochtones sont doublement discriminatoires.
D'abord à l'égard des autochtones, le fait de dire que le chef
doit savoir « lire et écrire, avoir une maison
décente » ne permet pas à certains autochtones
Krobou « héritiers légitimes » du
trône de s'y installer. Ce qui explique les vives réactions de
protestations de certains autochtones lors de l'intronisation du chef actuel
qui est un adjudant à la retraite, relativement fortuné comme
l'atteste l'introduction du code de conduite.
Quant aux migrants, même si les dispositions sont
discriminatoires, ils y sont indifférents car la gestion de la chefferie
villageoise est traditionnellement du ressort des autochtones. Ce qui importe,
c'est le nouveau mode de conduite des affaires villageoises.
Désormais, la chefferie fonctionne dans un climat de
politique nationale d'exclusion et de marginalisation ethnique
orchestrée par la presse et par les autorités politiques qui
stimulent dans la conscience collective des nationaux la peur de
l'étranger à travers la fabrique de son image
d'envahisseur48(*).
Ainsi le pari de l'intimidation des migrants par les
autochtones est gagné par le fait que les migrants qui sont pour la
plupart analphabètes considèrent le chef actuel comme une
«autorité militaire'' dont les ordres ne sauraient être
discutés. Cet avis est partagé autant par les
autochtones : « de toute façon ils font toujours
ce qu'on leur demande, ils ne peuvent rien refuser », que par
les migrants : « le chef d'ici, chef ABONDO, c'est en
tout cas un bon chef, il est beaucoup instruit, il donne des conseils, il nous
guide sur les meilleurs chemins, même pour cette histoire
d'identification (2008) des ivoiriens, il nous a fait appel et il a dit que
ça ne concerne que les ivoiriens, et que si un burkinabé ment
pour se faire enrôler qu'il sera pris et conduit à la justice. Il
nous a sérieusement mis en garde en tant que conseiller
(...) »
C'est la personne du chef ici qui influence les migrants.
Comme on peut le constater le charisme constitue un moyen de domination. Et les
autochtones Aboudé ayant perçu cela utilisent la chefferie
d'Aboudé-Mandéké comme un moyen de contrôle en
combinant à dessein les règles traditionnelles et
coutumières avec les modes modernes de gestion : c'est la position
qui est utilisée comme ressources pour produire les
inégalités interethniques d'accès aux ressources
socio-foncières. C'est dans ce contexte de revendication identitaire
qu'après son intronisation un code de conduite de la population fut
adopté à travers les statuts et règlement intérieur
et des documents annexes.
III.3.La normalisation formelle comme style de
domination
Cette analyse vise à savoir l'impact de la
formalisation des réglementations villageoises sur les rapports
interethniques. Pour cela, une analyse de forme et de fond s'impose.
III.3.1. Le statut et règlement
intérieur d'Aboudé comme style de communication
Dès l'intronisation du nouveau chef de village, la
formalisation des règles coutumières devient le nouveau style de
communication de la chefferie.
Ce style est pour elle un moyen de démarcation de
rupture avec la forme traditionnelle de la gestion villageoise. Ce qui est
perçu comme une marche vers la modernité. Le nouveau style a pour
effet majeur de renforcer l'image charismatique et d'autorité du chef
aux yeux des villageois. Ce qui crée chez les autochtones un sentiment
de fierté et de supériorité à l'égard des
communautés non Aboudé.
« Ce document, c'est comme notre
constitution, et chaque ménage l'a en sa possession lettré ou non
lettré, chacun doit connaître le contenu ».
Ces propos attestent du caractère d'universalité
des prescriptions à l'échelle villageoise. Au-delà des
communautés, l'évocation des ménages et des individus est
une manière pour la chefferie de supplanter l'autorité des chefs
de communautés migrants à travers la constitution d'un canal
d'accès direct aux membres. Sachant que les migrants sont en
majorité analphabètes. Les autochtones jouent ici en s'appuyant
sur le statut intellectuel. C'est l'intellectualisation du jeu interactionnel.
Et le pari semble gagné car pour les migrants :
« (...) eux, ce sont les autochtones, ils connaissent beaucoup
de choses, ils sont beaucoup instruits. Quand ils veulent interdire quelque
chose, ils l'écrivent et informent nos chefs (...) Nous on ne peut que
les suivre, c'est pour eux leur village. »
Comme on le voit, on assiste à travers cette forme de
communication à une construction instrumentale du pouvoir et de la
domination de la chefferie locale. Comment cela se traduit dans le
fond ?
III.3.2 Les fondements du caractère
discriminatoire des règles formelles
L'analyse de fond porte ici sur l'intentionnalité des
actions. L'image de dominant déjà construite est ici
forgée et cristallisée à travers un processus
d'élaboration de barrières sociales.
En effet, certains articles des statuts et règlement
intérieur redéfinissent l'accès des communautés aux
ressources sociales sur une base inégalitaire :
On a ainsi dans le règlement intérieur :
« Article 2 : Tout candidat pour être
nommé chef du village ; doit être de père Krobou
originaire d'Aboudé-Mandéké, (...). Avoir un logement
décent »
Le règlement intérieur est accompagné
d'un autre document dénommé Commission d'Appui Technique de la
Chefferie. Il y a trois commissions d'appui technique à la chefferie
à savoir la CAE, la CAS et la CJCS dont chacune subdivisée en
sous commissions. Ces instances de gestion sont entre autres régies par
les articles suivants :
« Article 11 : la CAS est chargée du
recensement de tous les allogènes et étrangers vivant sur le sol
d'Aboudé-Mandéké...
Article 12 : les tuteurs des allogènes ou
étrangers ont le devoir de les faire identifier et de les amener
à avoir un domicile fixe au village ;
Article 17 : le vote dans les différentes
organisations traditionnelles du village est autorisé à tout
ivoirien assimilé aux autochtones du village ;
Article 18 : n'est éligible au poste de
président ou de trésorier d'institution traditionnelle que tout
autochtone d'Aboudé-Mandéké ;
Article 19 : l'appellation de tout village ou
campement satellite de Mandéké doit se terminer par le suffixe
« dé » signifiant village... ;
Article 20 : les premiers responsables des gros
campements sont des "délégués" du chef de
village ;
Article 35 : le montant de la dote dans un
délai de trois (03) ans s'établit comme suit :
· Femme de Mandéké : 35 000
F ;
· Femme de Mandéké mariée
à Kouassidé : 35 000 F ;
· Femme de Mandéké mariée
à Oress-Krobou : 35 000 F ;
· Femme de Mandéké mariée en
dehors des villages ci-dessus : 100 000 F variable selon les
régions en présence. ».
L'analyse de fond de ces articles est
révélatrice d'un processus de différenciation sociale. Les
acteurs utilisent le capital culturel dont ils disposent comme ressources pour
construire la légitimité du statut d'autochtone. Ainsi les
acteurs jouent sur deux registres :
Le registre identitaire permet aux autochtones de se
distinguer des communautés migrantes en prenant comme prétexte
l'appartenance ethnique, notamment l'appartenance à la communauté
autochtone Aboudé, d'Aboudé-Mandéké sur la base des
liens de parenté biologique ou fictive. On est face à une
manipulation de l'identité ethnique qui permet de gérer les
relations intergroupes (BABO A. P.14). Dans ce registre le jeu est plus
objectif et l'intention des acteurs est de bénéficier du droit
d'autochtonie en produisant une inégalité d'accès aux
ressources entre les identités.
Dans le registre nationaliste, il s'agit d'une recomposition
identitaire dont le but est de construire une communauté nationale
fictive ayant pour repère local les autochtones Aboudé. Pour BABO
A., le concept de nation constitue aujourd'hui une entité abstraite, une
communauté imaginaire qui repose sur un processus historique s'exprimant
dans un ensemble de pratiques ou de gestes de la vie quotidienne
partagés par un groupe social. Or comme le dit Michel LALLEMENT P. 201,
« la sélection d'une séquence d'action par un
acteur dans son interaction avec les autres acteurs est
rationnelle. » on peut s'interroger sur le
bénéfice que tirent les autochtones dans la construction de
barrières sociales vis-à-vis de certains migrants.
A l'analyse, il s'agit du nationalisme "le nouveau
registre identitaire" depuis la crise politique et notamment depuis la
guerre du 19 sept qui guide les comportements, les discours et les
représentations des acteurs dans la réorganisation ou la
redéfinition des rapports interethniques.
On le voit, pour parvenir à un même but
(production de l'inégalité et la différenciation sociale),
les communautés utilisent des registres différents selon leur
dotation en ressources (capital culturel notamment).
CHAPITRE IV : DETERMINANTS SOCIO-CULTURELS DE LA
DOMINATION SYMBOLIQUE
Deux idées majeures ont été
développées dans le présent chapitre :
· Le degré de relation à l'espace
territorial comme critère de disqualification sociale ;
· Le marquage spatial fondé sur les interdits
culturels.
Pour certains tenants des théories
intégrationnistes, la dynamique de l'intégration des
communautés migrantes à la société d'origine
s'inscrit dans un processus d'assimilation qui part des particularismes
communautaires à la fusion totale des groupes.
Ainsi PARK (cité par Michel L. PP 72) parle de
« cycle des relations sociales » dont la première
étape est le contact entre les populations installées et les
nouveaux venus, puis les relations de compétitions, conflits, ensuite
l'établissement de l'adaptation et enfin l'assimilation.
S'inscrivant dans la logique de PARK l'analyse du
« Ghetto » de WIRTH cité par Michel L PP 76) permet
de comprendre l'intégration des communautés selon le style
d'habitation qui varie d'une génération de migrant à
l'autre. Par conséquent, s'ensuit pour Jean Luc RICHARD (P.208) une
ségrégation spatiale des populations et certaines zones
d'habitation sont des motifs de stigmatisation qui entraînent des
discriminations (cité par Michel L. PP 72).
Partant de ces analyses, l'intention de ce chapitre est de
comprendre d'une part comment la relation à l'habitat fonctionne comme
un élément structurant des rapports intergroupes et notamment les
relations autochtones - migrants, d'autres parts comment les valeurs
culturelles et les normes de la société d'accueil contribuent
à la fabrique de l'autochtonie dans le champ de ces relations
sociales ?
IV.1. Style d'occupation spatiale et
processus d'étiquetage social
Les communautés migrantes reproduisent dans les zones
d'accueil la société d'origine dès leur installation. En
raison de leur faible dotation en ressources économiques, ces groupes
optent premièrement pour des abris de fortunes avant
l'intégration finale. Cependant de nos jours la forme de l'habitat est
utilisée par les autochtones Krobou comme marqueur pour produire la
différenciation sociale.
Selon certains autochtones: « (...) les
Baoulé et Agni, eux, ils n'aiment pas construire, mais je pense que pour
qu'ils construisent, il va falloir leur attribuer des lots sinon ils occupent
des établissements éparpillés, parsemés au milieu
de tout le monde. Ils construisent des maisons mais, ce ne sont pas des maisons
décentes. Et ce sont surtout les Baoulé et les Agni qui font
cela. Ils sont là dans les bas-fonds derrière nous. Quant aux
Burkinabé c'est propre parce qu'il y a longtemps qu'ils sont nos
frères, ils occupent le site du village et ils ne peuvent pas s'amuser
à construire en « Papo ». Mais les Baoulé et
les Agni avancent qu'ils n'ont pas les moyens pour le moment. Alors qu'ils s'en
vont construire dans leurs villages respectifs. C'est un peuple gourmand (..).
Nous avons avec les Baoulé et les Agni une forte ressemblance de nos
valeurs culturelles. On est du même grand groupe AKAN, ce sont les
communautés les plus pacifiques du village. »
« Les Baoulé et les Agni sont des
travailleurs, ils ne sont pas paresseux, c'est pourquoi ils aiment habiter dans
les campements. Ils n'aiment pas la ville comme nous autres. Mais ils ne
construisent pas en dur ici parce qu'ils sont à une heure ou deux heures
de route de chez eux. Ils préfèrent construire chez
eux.». Discours allogène.
A travers ces discours, il ressort que les autochtones
produisent à la fois une tendance d'inclusion et une tendance
d'exclusion des Baoulé et les Agni à leur
communauté ; inclusion par un discours sur le partage d'une
expérience historique commune, le sentiment d'appartenance au grand
groupe Akan ainsi que sur la similitude de certaines valeurs culturelles (le
langage par exemple). Ce qui justifie le fait que l'interlocuteur qualifie les
Baoulé et les Agni de groupes les plus
« Pacifiques ».
En revanche, le stigmate de l'habitat précaire des
Baoulé et Agni suscite la production d'un discours d'exclusion à
l'égard de ces groupes « ils aiment trop campement (...)
Ce sont des gourmands ». Ce modèle d'habitat (habitat en
"papo") étant perçu comme non conforme au style moderne, les
autochtones n'autorisent leur construction que dans des endroits
périphériques le plus souvent marginalisés. Les termes
« bas-fonds »,
« campements »,
« collines » sont le plus souvent employés
pour désigner les sites habités par les migrants, c'est
d'ailleurs ce prétexte « d'habitat non
moderne » qui a été évoqué pour
"déloger"les Burkinabé anciennement installé aux
abords du centre-ville pour leur attribuer un nouveau site sur les
"collines" (actuel Dioulabougou).
« Nous, avant notre arrivée sur ce site,
on abattait les anciens pieds de caféiers et de colatiers pour
construire nos maisons, personne ne savait qu'on serait un jour au milieu du
village (...) mais à ce moment, Jules KOFFI était au pouvoir,
c'est lui qui nous a dit d'aller sur le site que nous occupons, il a
envoyé des machines et a démoli nos maisons. Mais ce
n'étaient pas de bonnes maisons ».
Ainsi la construction d'un motif pour justifier la
disqualification des migrants passe par la production d'une image
négative de l'espace habité. Et cette image négative est
captée par les migrants et restituée à travers un
processus de redéfinition de leur statut social. Les migrants
fonctionnent dès lors au point de vue individuelle et collectif comme
des personnes ou entités à statut inférieur par rapport
aux autochtones. Ici l'enjeu porte sur la domination symbolique par une
fabrique d'inégalité interethnique qui se consolide à
travers les processus d'interdiction d'accès aux ressources disponibles.
Le jeu interactionnel étant déterminé par des conditions
structurelles telles que les relations de classe et la répartition des
statuts sociaux et du pouvoir.
IV.2. Les interdits comme style symbolique
de production de l'autochtonie.
L'aspect le plus apparent du processus de production de la
domination symbolique est l'institution traditionnelle qui vise à
interdire l'élevage du cabri et sa consommation sur les terres
Krobou.
« Nous avons un seul interdit ici c'est le
cabri. Je ne me suis pas fait expliquer le pourquoi. Mais lorsqu'on
était enfant, le cabri ne passait même pas dans le village. Si un
chauffeur s'entêtait et qu'il traversait le village, on le huait et
après la traversée, le cabri mourrait et une pluie venait
immédiatement effacer les traces. (...). Mais avec la religion (le
christianisme), certains estiment qu'il s'agit d'une croyance animiste,
contraire à la foi chrétienne. Mais ils en ont souvent pour leur
compte et même nous sommes en train de tabler sur le cas d'un proviseur
à la retraite qui est décédé cette année
(2008) après avoir consommé le cabri. »
Il ressort de ce discours que les individus adhèrent
à cette institution sans chercher à comprendre les raisons de son
existence.
Le récit de l'interdiction de consommer le cabri
fonctionne comme un mythe dont la fonction est de forger par consensus une
acceptation sociale commune de la réalité présente.
L'interdit ici apparaît comme un élément sacré
doté d'une valeur emblématique au double sens d'attribut
substantiel et de possession (Schwartz, cité par Poutignat et Al).
Le discours sur les sanctions liées à sa
profanation joue un rôle de production d'attitude communautaire
d'affirmation d'une identité collective puisque l'individu qui s'en
soustrait encourt une peine allant jusqu'à la mort. Ce rôle
unificateur des interdits communautaires, DURKHEIM, l'avait déjà
souligné dans les formes élémentaires de la vie religieuse
sous le vocable du totémisme. Pour lui « l'origine
première du totémisme est la reconnaissance du sacré.
C'est une force impersonnelle, anonyme, diffuse, immanente et transcendante qui
guide les croyances. ». (DURKHEIM cité par Raymond ARON P
352).
Comme on le voit, l'interdiction du cabri est un
élément symbolique qui consolide la pérennisation de la
communauté Krobou en tant qu'entité ethnique différente
des entités migrantes. Elle est productrice de sentiment communautaire
et son caractère coercitif joue une fonction de mobilisation de
membres.
Cependant, si elle permet la reproduction de la phratrie ou du
clan des Krobou, l'interdiction du cabri a également une fonction
instrumentale dans la fabrique de l'autochtonie. En effet, la migration des
allochtones et des allogènes a donné lieu à l'implantation
de campements divers. Certaines de ces localités sont distantes de plus
de vingt (20) Km du village central, "le village noyau" c'est à
dire Aboudé-Mandéké.
Ainsi pour exercer leur droit d'autochtonie sur ces
localités, on assiste à la production d'un processus de
légitimation à partir d'un discours sur l'interdiction
d'élever le cabri sur le "sol Krobou". Ce processus apparaît comme
une forme symbolique de marquage spatial. Puisque le récit mythique de
l'interdiction du cabri est restitué par les Aboudé et
approprié par les migrants qui observent cette prescription. Ce
processus de transmission aux communautés migrantes de l'héritage
sacré des Aboudé s'effectue avec la production d'un autre
discours sur l'origine céleste des Krobou qui cimente l'ensemble du
processus de construction sociale de l'autochtonie comme entité ethnique
distincte et supérieur aux entités migrantes dans tourtes leurs
composantes.
Aussi, face aux enjeux politiques qui prévalent les
individus utilisent-ils d'abord des traits culturels empiriquement observables
comme des symboles d'inclusion et d'exclusion. Ils se saisissement des liens
matériels historiquement perceptibles à la fois comme moyens
d'assignation ou d'identification des "in-group" et comme producteurs de
valeurs contrastives par rapport aux "Out-group".
CONCLUSION PARTIELLE
La construction sociale de l'autochtonie dans l'espace
géographique d'Aboudé-Mandéké s'est
réalisée à travers un processus instrumental de
construction de la différenciation identitaire.
En effet, utilisant la position sociale ou le statut comme
ressource, les autochtones reproduisent des institutions sociales à
caractère coercitif. Le fonctionnement de ces institutions contribue
à la fabrique d'inclus et d'exclus en prenant pour moule le contexte
sociopolitique qui préfigure la disqualification des migrants.
Aussi, le processus de légitimation des revendications
des autochtones donne lieu à des styles différents de marquage
social de l'espace. C'est un processus d'étiquetage qui prend forme
à partir de l'arrière fond culturel pour produire une
inégalité interethnique.
Par ailleurs comment l'évolution du cadre
institutionnel entraîne- t- elle une modification des rapports
interethniques ?
TROISIEME PARTIE : LES DYNAMYQUES
INSTITUTIONNELLES ET REPRORODUCTION CONFLICTUELLE DES RAPPORTS
INTERETHNIQUES
La deuxième partie de cette étude a
été consacrée à l'expression des marquages sociaux
comme style de production de la différenciation identitaire. Elle nous a
permis de repérer dans l'espace social villageois les outils symboliques
de production de la part des autochtones Aboudé d'un «soi
collectif'' sur fond de légitimation du droit de propriété
sur l'espace.
Autrement dit, la seconde partie a planté le
décor de l'expression de la différenciation sociale dans un style
de revendication du droit d'autochtonie. La présente partie
définit les contextes institutionnels dans lesquels
s'extériorisent les sentiments d'inégalité issus des
processus de différentiation sociale. Dès lors, il s'agit
d'examiner les rapports fonciers et de rendre compte de leurs expressions
conflictuelles. Il est question surtout de montrer comment les autochtones
expriment leur droit d'autochtonie dans un contexte instrumental
d'identification ethnique.
Elle comprend deux chapitres : le premier rend compte de
la dynamique des processus d'accès aux ressources foncières
à Aboudé-Mandéké. Ramené à notre
modèle théorique, il s'agit de comprendre comment, dans un
contexte mouvant de jeux (affectifs et idéologiques) interactifs,
s'élabore la logique propriétariste des Aboudé,
vis-à-vis des migrants de Mandéké.
Le second chapitre met l'accent sur la dimension instrumentale
de cette logique. Cette dimension se saisit concrètement à
travers les modalités d'expression de la conflictualité
(antagonismes) et la production des itinéraires de résolution par
les acteurs en présence.
CHAPITRE V : EVOLUTION DES PROCEDURES DE CESSION
ET REPERAGE DES LOGIQUES PROPRIETARISTES
Dans les chapitres
précédents, nous avons indiqué que dans l'espace
villageois, les entités se construisent sur fond de
différenciation identitaire. Et que cette différenciation se
produit dans un registre de revendication de l'autochtonie et de
marginalisation des migrants. A présent il s'agit de savoir comment ce
repère sociopolitique est réinvesti dans le foncier. On part du
principe que la production des sentiments d'inégalité entre
autochtones et migrants se décline en expression de sentiments de
marginalisation et d'exclusion sociale.
Partant d'un contexte d'économie morale, comment les
sentiments affectifs se déclinent en relations marchandes ?
Dans quels contextes s'expriment les transactions
foncières et quels sont les ancrages idéologiques de ces
contextes ?
V - 1- La pratique des dons ou logique
coutumière d'accès aux ressources foncières.
Les modalités d'appropriation des ressources
foncières jouent un rôle important dans la compréhension de
la dynamique des rapports entre autochtones et migrants en milieu rural.
L'arrivée et l'établissement des premiers migrants à
Aboudé Mandéké se sont fait à travers le tutorat
dans un contexte d'économie morale, marquée par une logique
coutumière de cession des terres.
Le tutorat est une institution agraire et sociale
fondée sur une conception morale des droits aux étrangers. C'est
un ensemble de règles, normes acceptées et
intériorisées par les acteurs, dont le contenu moral repose sur
des principes traditionnels d'hospitalité, de fraternité. Il a un
caractère bilatéral, et exige des droits et obligations à
la fois du tuteur, qui devient comme père, aîné social,
bienfaiteur ou patron selon les perceptions des communautés ethniques,
et du migrants qui doit manifester des rapports de reconnaissance dont le
contenu peut être moral (devoir de subordination rituelle) ou
matériel (rente foncière , obligation d'assistance par des dons
de diverses formes).
Le tutorat apparaît donc comme un système
d'économie morale marqué par un style inégalitaire
d'échange d'un bien social (honneur, vertus respect...)49(*). « Avant, ici
à Aboudé-Mandéké, quand tu viens et que tu veux
définitivement y rester, il suffit d'être gentil avec ton tuteur,
et tu te voyais octroyer une portion de forêt.
Tu ne payais rien qu'une ou deux bouteilles de
« gin » ou un poulet (...) .Quand tu es beaucoup
aimé par ton patron, même quand il doit te demander de l'argent
c'est insignifiant. »
« Nos père étaient habités
par l'humanisme et la générosité, c'est ça qui les
habitait, ils ont donc bradé les terres, ou bien gratuitement pour une
bouteille de « gin » ou bien contre une modique somme
d'argent (...). »
On le voit l'entame de l'économie de plantation s'est
fait dans un contexte de prédominance des liens communautaires comme
mode de fonctionnement des sociétés ivoiriennes de
l'époque coloniale. Les ressources disponibles dans l'espace social
étant conditionnées par ces sentiments affectifs et les
acteurs en font usage pour parvenir à leur but.
« La seule garantie pour s'établir en
Côte d'Ivoire, c'est d'être propriétaire de terre. Et les
tuteurs eux - mêmes nous encouragent puisqu'ils nous trouvaient assez
gentils. » Discours allogène.
V-2 Relations marchandes et redéfinition des
rapports de tutorat.
En déclarant le mot d'ordre « la terre
appartient à celui qui la met en valeur » dès le
début des années 1960, les autorités ivoiriennes ont
consacré l'expansion spectaculaire de l'économie de plantation
dans un conteste de valorisation des allochtones et des immigrants
étrangers comme fer de lance (DOZON J.P.1997). Cette date marque une
étape importante dans les relations autochtones migrants. A
Aboudé - Mandéké, les allogènes Burkinabé et
Maliens ainsi que certains Dioula ivoiriens établis au sein du village
se convertissent massivement dans la culture arbustive en achetant ou en
bénéficiant des faveurs de terre auprès des autochtones
Krobou.
Par ailleurs les allochtones Baoulé, Agni,
majoritairement établis dans les campements depuis les années
1950 à la faveur du tutorat cessent de verser des redevances aux Krobou,
certains acceptant seulement de donner encore une somme symbolique de 1000 F
à 2000 F CFA par an. A partir de cette période, la conquête
pour l'exploitation de la terre devient un enjeu majeur entre Aboudé et
migrant du terroir villageois. Dès lors les autochtones rompent avec les
dons de forêt. Même les prêts destinés aux cultures
vivrières autrefois gratuites se transforment en location
(indemnités en argent, en nature, ou en prestations de service.). Les
ventes de terre deviennent le seul mode d'accès face à
l'engagement grandissant des groupes pour la culture de rente devenue une
source réelle de richesse. Les prix de vente restent pourtant bas
(autour de 5000f à 10.000f par hectare). La saturation foncière
s'en suit, les ventes décelèrent et les prix flambent pour
atteindre les 100.000f l'hectare vers la fin années 1970. De nos jours
le prix d'un hectare de forêt à Aboudé
-Mandéké dépend du contrat de négociation entre
cédant-acquéreur et tourne autour de 200.000Fcfa. Les cessions de
terre par vente restent les seules modalités de cession entre
autochtones et migrants même si les ventes restent rarissimes.
Cependant le retour de certains Baoulé et Agni dans
l'enceinte villageois a redonné lieu au système
« Busan » comme nouveau mode d'accès
à la terre. Dans ce système, l'autochtone qui dispose par exemple
de 10hectars de forêts, les met à la disposition du migrant,
celui-ci les aménage et plante le produit de rente recommandé par
l'autochtone (généralement, il s'agit de l'hévéa ou
le cacao). Après la récolte, les deux parties se partagent les
produits en parts égales. La plantation reste celle de l'autochtone et
le système peut durer jusqu'au départ des migrants ou
jusqu'à ce que l'autochtone décide de retirer ses plantations. Il
y a également de nos jours une présence massive des allochtone
Gouro. Ces derniers s'investissent dans le maraîcher dans des bas-fonds
loués auprès des autochtones. Puisqu'ils se sont heurtés
aux problèmes de manque de terre. Les bas-fonds étant
considérés comme impropres à la culture arbustive, leur
accès est relativement facilité car les conditions de cession
sont relativement non drastiques. Il s'agit simplement pour le Gouro de
« manifester sa bonne foi envers son
tuteur ».
A l'analyse, l'évolution des modes de cession s'est
reflétée sur les représentations des statuts des individus
dans le champ social. La « marchandisation » du
tutorat s'est opérée à travers la conversion des rapports
affectifs en relations marchandes avec son cortège de
« contrats informels ». Pour le migrants, l'autochtone,
dans ce contexte, n'apparaît plus comme un «tuteur''
puisqu'il achète la terre. Ce qui implique souvent la
présence de plusieurs cédants (tuteurs) pour un seul
migrant (le client). Malgré ce contexte clientéliste, les
autochtones (Aboudé) estiment qu'il est impératif que subsistent
les rapports de reconnaissance, le contexte monétaire des transactions
ne purgeant pas la totalité des droits coutumiers. Pour eux
« le clientélisme foncier » ne doit pas
être un prétexte de d'aliénation de leurs droits :
« On vent la forêt, mais on ne vend pas la
terre. Même si tu as cent hectares de cacao, saches que la terre
appartient aux Aboudé.»
En somme, la monétarisation du tutorat a
préfiguré une reconstruction conflictuelle des rapports
interethniques à Aboudé - Mandéké.
Le degré d'expression des sentiments de
disqualification varie selon les rapports de production entre migrants et
autochtones. Les Baoulé, Agni et Gouro sont relativement inclus en
raison, pour les premiers de la modification de leur stratégie
foncière d'isolement et de distanciation en rapports de cohabitation au
sein du village.
Pour les Gouro, il y a une absence d'enjeux
réels avec les autochtones. L'accès à la terre ne fait pas
objet de compétition puisque les bas-fonds sont disponibles et les
Aboudé ainsi que les autres groupes de migrants ne font pas de la
production maraîchère une source potentielle de revenus.
Au contraire l'ensemble des groupes formant la
communauté Dioula font objet de disqualification. Cette situation est
moins imputable à la similitude interne de leurs valeurs culturelles et
leurs oppositions aux valeurs culturelles des autochtones et des trois
précédents groupes de migrants jugés semblables. Cette
distanciation est due au contexte global de marginalisation des migrants
Burkinabé ainsi que "leurs frères" du Nord par les acteurs
politiques. Et cela est relayé au niveau local par les différents
acteurs locaux sur fond de conflit foncier ou conflits interethnique.
CHAPITRE VI : CRISE ECONOMIQUE ET PRODUCTION
CONFLICTUELLE DES RAPPORTS INTERETHNIQUES
VI-1 Contexte et motifs de déstructuration des liens
sociaux.
VI-1-1 Des effets pervers de la crise
économique
Les années 1980 sont un tournant dans les modifications
des pratiques concernant le tutorat dans le paysage foncier local. En effet,
elles marquent l'avènement de la crise économique nationale
(« conjecture ») avec son cortège de
licenciement de (« conjecturés »)
puis « déflatés » et
« compressés » C'est aussi la
période de la crise de l'éducation le système
éducatif ayant produit de
nombreux « déchets » scolaires
formé des jeunes sans-emploi (diplômés- chômeurs).
Par ailleurs il y'a la politique nationale d'encouragement des jeunes à
retourner à la terre, or en arrivant ces jeunes se retrouvent
confrontés à une sorte de pénurie foncière, de
saturation due aux aliénations foncières des aînés
qui ont vendu ou bradé le patrimoine familial aux étrangers.
Ainsi, ces « victimes » de la crise
économique et de la crise du système éducatif investissent
le milieu rural avec un état d'esprit
« revanchard » qu'ils traduisent en comportements
marginaux vis-à-vis des migrants qu'ils tiennent pour responsables de
leurs malheurs.50(*)
Pour ce faire, ils se redéfinissent en tant que
« nouveau tuteurs » et exercent de plus en plus
une influence au sein du système d'autorité villageois qu'ils
manipulent dans un dessein instrumental. Comme l'indique bien ces
propos : « Aujourd'hui c'est la jeunesse qui
décide. Et nous à la chefferie, on leur octroie une grande place
(....) ».
Comme on le voit la crise socio-économique a
formaté une crise de la ruralité en propulsant sur la
scène, des acteurs nouveaux qui réinventent les règles du
jeu social à Aboudé. Ce qui génère des conflits et
renforce la différenciation interethnique.
VI-1-2 Des interventionnismes «pernicieux'' de
l'Etat.
· Absence des règlementions
foncières et spoliation de l'autochtonie.
Depuis la période coloniale, la politique de l'Etat
avait encouragé la colonisation des terres dans les zones
forestières par les migrants en mettant en place des dispositions
particulières favorisant à la fois l'implantation des
allogènes et des allochtones. Et de cette époque jusqu'aux
années 1990 l'Etat ivoirien sous le parti unique procédait
à une redistribution, des fruits de la croissance. Le consensus
politique et social présidait et évitait provisoirement
l'explosion sociale (Konaté, 2003 cité par Babo A). De
même, le principe Houphouëtien de « la terre appartient
à celui qui la met en valeur » présidait à cette
colonisation pionnière (Otch-Akpa cité par Babo A.). Par ailleurs
avec l'ouverture du jeu politique dans les années 1990, on assiste
à une instrumentalisation de l'ethnicité purement animée
par les acteurs politiques avec des relais locaux qui véhiculent leurs
idéologies.
Il en résulte alors de nombreux conflits autant entre
autochtones allochtones qu'entre autochtones et migrants allogènes qui
ont contribué à fragiliser l'équilibre
socio-économique du monde rural. Pour juguler cette crise du foncier
rural, la Côte d'Ivoire s'est dotée d'un « arsenal
juridique » par la loi N°98-750 du 23 décembre 1998
relative au domaine foncier rural.
· La loi 98 comme logique de renforcement de
l'autochtonie par l'Etat
Les objectifs de la loi 98 étaient
clairs : « (...) Résoudre la question des droits
coutumiers, fixer et protéger définitivement les droits de
propriété sur les terres rurales ; déclarer
solennellement patrimoine national le domaine foncier rural pour en
réserver la propriété aux seuls ivoiriens »
SIGS, 2008 P. 10-11.
L'objectif affiché par l'Etat dans sa recherche de
« solution » vise donc a redonner le pouvoir
à l'autochtonie longtemps spoliée et marginalisée. C'est
une « reconnaissance juridique de la coutume et l'Etat ne fait
que rétrocéder aux propriétaires terriens, les terres dont
ils avaient été dépouillés ».
(Koulibaly M.2004 cité par Koné M. P.14.).
Ainsi pour parvenir à ce but, la grande
nouveauté introduite par cette loi est la reconnaissance des droits
coutumiers exercés par les personnes que les coutumes reconnaissent
comme détentrices de terres. Ce qui signifie que si aujourd'hui une
personne affirme détenir une parcelle de terre selon la tradition et la
coutume, la loi la lui concède. Cependant cette affirmation verbale est
temporaire et précaire si elle n'est pas consolidée en droits
permanant par le canal du certificat foncier dont la procédure
d'obtention se résume en six étapes fondamentales à
savoir :
1. Introduire une demande d'enquête
auprès du Sous-préfet de la
localité ;
2. Le Sous-préfet :
ü Désigne un
commissaire-enquêteur,
ü Fait la publicité.
3. Le Commissaire
enquêteur :
ü s'entoure d'une équipe pour réaliser
l'enquête,
ü rédige un procès verbal.
4. Les résultats de
l'enquête :
ü Font l'objet de publicité,
ü Sont présentés publiquement,
ü Approuvés par le Comité
Villageois.
5. Validation par le Comité
sous-préfectoral de gestion foncière et transmis
au Directeur Départemental de l'agriculture
qui prépare un certificat foncier ;
6. Délivrance d'un certificat foncier par
le préfet de département qui le publie au journal
officiel.51(*)
Ainsi l'obtention d'un certificat foncier représente un
parcours épineux aux yeux des populations en milieu rural. A
Aboudé-Mandéké certains autochtones estiment que
« cette histoire de papier ne fait que compliquer les choses. Ce
sont les riches qu'on arrange (...) ». Les populations
n'étant pas suffisamment informés, certains considèrent le
coût exorbitant et à ce jour « aucun autochtone ne
possède un certificat, ou bien il l'a eu sans passer par le
Comité Villageois de Gestion Foncière, car je fais parti de ce
Comité (...) »
Si la marge de marginalité construite entre autochtones
et allogènes est explicitement exprimée par les dispositions,
celle entre autochtone et allochtones en implicite. En effet, cette loi propose
deux options pour un allochtone déjà exploitant d'une surface
préalablement cédée par un autochtone.
La première préconise qu'avant d'engager la
procédure d'immatriculation en son nom, l'allochtone purge les droits
coutumiers à partir des contrats de cession en négociant avec le
propriétaire terrien.
La deuxième option plus ambiguë préconise
que l'allochtone reconnaisse d'abord les droits du propriétaire
coutumier sur la terre cédée. Ensuite il entame la
procédure d'immatriculation au nom du propriétaire coutumier avec
promesse ferme de ce dernier de lui céder ladite terre à la fin
de la procédure. Les modalités de l'opération étant
négociées à l'amiable.
Il ressort donc qu'avec les antagonismes qui
préexistent entre autochtones et allochtones les procédures de
négociation s'avèrent épineuses. C'est pourquoi les
allochtones préfèrent ne pas engager la procédure aux
risques de se voir expropriés. Tout comme les allochtones, les
autochtones non plus ne possèdent pas de certificats fonciers à
Aboudé-Mandéké.
Concernant les allogènes, la loi est claire, il y a
d'abord constatations et consolidation des droits coutumiers par le
détenteur coutumier qui a cédé la terre. Ensuite
signature d'un contrat d'exploitation liant non-ivoirien et détenteur
coutumier. Enfin, le détenteur coutumier procède à
l'immatriculation des terres en son nom. Ces dispositions s'ajoutent à
certains avertissements formels du code foncier à savoir :
La nationalité ivoirienne comme condition ciné
qua non dans l'attribution du titre de propriété ;
Il est interdit de donner, vendre ou transmettre par
héritage la terre à un étranger même entre deux
conjoints dont l'un est ivoirien et l'autre étranger ;
Désormais pour vendre ou donner la terre, il faudra la
faire immatriculer, la cession verbale ou les bouts de papier sont
proscrits ;
L'ancien Article 26 de la loi faisait obligation aux
héritiers étrangers de vendre la terre de leur défunt
ascendant à un ivoirien dans un délai de trois (03) ans
après la promulgation de la loi.
Mais ayant suscité de vives protestations et conflits,
sa révision a été recommandée par les accords de
Linas-Marcoussis en Janvier 2003 dans le cadre de la résolution de la
crise militaro-politique et son amendement a eu lieu le Jeudi 9 Juillet 2004.
Ainsi, le nouvel article permettant aux détenteurs étrangers d'un
certificat foncier d'être propriétaire mais ne peut la donner ou
la vendre à un étranger. Il a seulement le droit de transmission
par héritage.
A l'analyse, il convient d'admettre que la loi 98 est un
défoliant politique sur le monde rural. C'est un prétexte de
marginalisation et d'exclusion des communautés
étrangères.
Mais le faisant elle rend plus flou l'expression des rapports
fonciers autant entre autochtones, entre autochtones - allochtones qu'entre
autochtones-allogènes. Les acteurs se contentent seulement de
l'écho reçu par le biais des politiques pour mener leurs actions
A Aboudé - Mandéké les actes de
disqualification sont généralement dirigés contre les
migrants burkinabés. En 2005, un autochtone Aboudé meurt des
coups et blessures qui auraient été infligés par des
Burkinabés, le village entre en effervescence, trois burkinabés
sont tués, les fèves de cacao saccagées, certaines
plantations détruites et la communauté menacée
d'expulsion. Malgré donc les amendements à lui apporter la loi 98
semble inapplicable puisqu'elle ne part pas des réalités du
terrain. Si les autochtones l'utilisent pour exhumer des conflits latents en
menaçant les étrangers d'expulsion, il apparaît que les
allochtones semblent dans une position perplexe. Car de quelle garantie
dispose-t-il lorsqu'ils auront purgés les droits coutumiers ? Ou
encore les parties contractantes sont-elles sûres d'obtenir le respect
scrupuleux de l'engagement pris?
Enfin la loi 98 semble soulever plus de problèmes que
d'apaisement dans les rapports entre autochtones. « C'est le
médecin après la mort, cette loi est venue en retard (...) ce
n'est pas facile de chasser quelqu'un qui a fait 40 à 50 ans entrain de
cultiver une terre. C'est ce que la loi nous demande (...). Quand on veut
immatriculer la terre, les allogènes pensent qu'on veut la leur
arracher, ils s'opposent donc. Comment agir dans ces conditions, la loi ne nous
le dit pas (...) »
Ces propos attestent bien évidemment de l'état
conflictueux dans lequel cette loi plonge les communautés en milieu
rural. Elle formate une idéologie d'exclusion en attisant les
antagonismes interethniques.
VI.2. Expression des conflits interethniques
Le blocage de l'application effective de la loi 98 est en
parti imputable aux conflits qu'elle préfigure autant à
l'intérieur d'un même groupe qu'entre les communautés
vivant en milieu rural.
VI.2.1 Les conflits Aboudé -
Aboudé
« La loi n'arrange que les riches. Elle
discrimine les riverains qu'elle devrait pourtant privilégier. Mais moi,
si quelqu'un comme c'est le cas souvent, essaie de venir derrière ma
maison et dire qu'il détient des droits coutumiers sur ma portion, juste
à côté parce qu'il est riche, je mets les plombs dans ses
fesses (...) »
Ainsi le processus de détermination des droits
coutumiers est à la base de nombreux conflits entre les membres de la
communauté Aboudé. Ce fait est renforcé par des
antagonismes politiques. Les "riches" étant également les
autochtones Aboudé faisant parti du conseil général
d'Agboville et donc affiliés au FPI, Parti au pouvoir
pendant que la plus part des membres de la chefferie se réclament du
PDCI-RDA. Comme quoi l'instrumentalisation identitaire induite par la loi se
fait prendre à son propre piège. Préétablie pour
discriminer les allogènes la loi finit par opposer les autochtones entre
eux.
VI.2.2 Les conflits Autochtones- Migrants
Aujourd'hui, plusieurs années de productions
marginalisant de l'identité des migrants ont contribué à
fragiliser leur statut en milieu rural. La différenciation
"Ivoiritaire" opérée à travers un processus
instrumental de fabrique de l'image de l' « étranger
nocif » a abouti à une précarisation de leur droit
d'accès aux ressources socio-foncières rurales.
A Mandéké, les conflits naissent
généralement des processus de déstabilisation des migrants
par certains autochtones. Il s'agit le plus souvent des Burkinabé.
« Ici aujourd'hui, le principal problème
c'est cette histoire de terre ; les autochtones estiment que leurs
pères ont vendus à des prix dérisoires ou donné
gratuitement la terre à nos parents sans prévoir leur part (...).
Mon père et moi avons payé 6 ha de forêt avec l'un de nos
frères burkinabé à 180 000 F. Cet espace appartenait
au fils de notre tuteur. Mais avant de donner l'argent, mon père est
allé voir le fils en question qui a reconnu avoir vendu au
préalable l'espace au Burkinabé qui désirait rentrer au
Burkina. Il lui expliqua son intention de racheter l'espace et ce dernier donna
son accord. A ce moment, son frère cadet travaillait à Abidjan.
Quand ce dernier fut licencié, il est revenu à Aboudé ici
et il a réclamé les 6 ha de mon père en stipulant que cet
espace lui aurait été cédé par son père et
non à son frère. Nous avons montré notre reçu
d'achat et il a dit qu'il ne le reconnaissait pas et qu'on ne pouvait aller
nulle part avec ce papier qui n'a aucune valeur (....). Nous avons
été enfin de compte obligé de racheter les six (06) ha
avec lui à 500 000 FCFA et il nous a établi un nouveau papier
signé par les chefs. »
En plus d'être le résultat des
manoeuvres politiciennes, les conflits éclatent
généralement entre les deuxièmes générations
de migrants et leurs pairs autochtones. Pour la plus part des cas, ces derniers
n'ont pas pris part aux accords fonciers dont ils méconnaissent les
closes. Ce qui laisse une marge de manoeuvre d'une part à l'autochtone
pour accuser le migrant soit d'avoir usurpé ou outre passer les limites
fixées ou les droits cédés et d'autre part au migrant de
produire un discours sur sa légitimité à travers la
présentation d'un reçu ou l'évocation de liens affectifs
liant les deux géniteurs.
Comme on le voit les conflits en milieu rural
s'expriment sur fond de discrimination ethnique. Le statut et le capital
culturel de l'individu sont utilisés comme instrument sociopolitique de
marginalisation, et le conflit permet le maintien des frontières entre
"in-group" et "Out-group".
La marginalisation et l'exclusion des Burkinabé
notamment étant le repère de ces pratiques à
l'échelle nationale.
Ramené à notre modèle analytique,
l'expression des conflits est le reflet d'un enjeu de domination de l'espace
par les Aboudé. Le champ d'exercice des actions étant plus ou
moins ouvert, les acteurs réalisent leur but par différentes
stratégies dont l'accumulation de plusieurs types de ressources. Ce qui
préfigure des itinéraires locaux de résolution.
VI - 3 - Itinéraire de
résolution
Les conflits entre autochtones et migrants ont souvent vu
l'intervention des autorités administratives ou d'organismes nationaux
(conflit de 2006). Cependant au plan local on assiste à la reproduction
d'instances de gestion des antagonismes interethniques.
« Aujourd'hui, nous n'acceptons pas que nos
compatriotes fassent le "forcing" aux étrangers. On propose toujours une
solution à l'amiable. Le migrant doit reconnaître l'Aboudé
qui lui a vendu la terre comme propriétaire terrien. A ce titre, il doit
lui verser une somme allant de 5 000 F à 10 000 F par hectare
après chaque récolte. Cela évite les conflits
(...) ».
« Ici maintenant tout est claire, quand on veut
acheter la terre, ce ne sont plus un ou deux individus que cela implique. Ce
sont les chefs de communautés que la procédure engage (...). Le
chef du village signe, le chef de terre signe, le chef de communauté du
migrant signe après que les deux contractants aient signé. Comme
ça c'est clair pour nous étrangers ! ».
A l'analyse, ces instances semblent une innovation majeure
dans le règlement des conflits fonciers. Elles semblent
définitivement régler l'épineux problème de la
crédibilité des contrats de cession.
Cependant, la logique de résolution des conflits de
revendication autochtones montre bien en quoi elles constituent un moyen de
repli sur le foncier de la part des autochtones. La reconnaissance obligatoire
du droit d'autochtonie préalable à toute négociation est
une forme symbolique de domination.
Mais pour rétablir un équilibre dans la prise de
décision, le recours aux chefs de communautés comme caution
s'avère une ressource adéquate pour le migrant.
En effet, face à la mobilisation de pratiques
inégalitaires par les autochtones, les migrants développent un
sentiment d' "agir communautaire" seule capable de les soustraire
de cette domination.
« Maintenant, on ne reste plus ici sans
repère. Il faut que tu appartiennes à une communauté.
Sinon le jour où tu auras un problème (...). Par ce qu'ici on est
étranger et le "morceau de bois aura passé cent ans dans l'eau ne
sera jamais un caïman." ».
CONCLUSION PARTIELLE
La construction sociopolitique de la différenciation
identitaire entre Aboudé et Migrants, réinvestie dans le foncier
se décline en processus de disqualification puis en rapports
conflictuels.
L'usage de l'affect comme ressources pour accéder au
foncier, dans un contexte prédominant d'économie morale se mue en
relation marchande entre migrants et tuteurs. C'est la marchandisation du
tutorat (Koné M)
Ce nouveau contexte d'économie marchande ayant subi de
plein fouet les contrecoups successifs des crises économiques et
sociopolitiques a favorisé une déstructuration des liens
interethniques et une transformation des sentiments d'inégalité
en sentiments d'hostilité interethnique même si des
mécanismes d'autorégulation de ces antagonismes sont relativement
mobilisés.
CONCLUSION GENERALE
La production de la différenciation interethnique
s'inscrit dans le processus global de construction sociale des identités
en milieu rural par les entités (individuelles et/ou collectives).
Dans le sud forestier ivoirien, la pratique de
l'économie de plantation qui est la marque de la ruralité
constitue l'axe central autour duquel se forment les cadres de
sociabilité et le pôle d'agglomération où
s'édifient et se consolident les pratiques, les comportements et les
représentations des migrations.
Dans cette perspective, la reproduction à
Aboudé-Mandéké, village du département d'Agboville,
de groupes de référence d'origine ou entités
communautaires est le résultat d'un double processus d'affirmation et de
distinction construit autour des pratiques et des systèmes de
significations, qui étant partagés par les individus, les
conduisent à se constituer en groupes distincts.
Dans ce contexte de production identitaire, l'affirmation du
droit d'autochtonie à travers la mobilisation des pratiques
traditionnelles par les Aboudé, provoque chez les migrants un sentiment
de marginalisation et d'injustice surtout quand il est question des rapports
fonciers où les sentiments affectifs dans le cadre du tutorat ont
progressivement érodés et ont décliné en relations
marchandes. Ce registre nouveau de déstructuration des liens renforce le
clivage interethnique qui se mue en sentiments d'hostilité et en
conflits plus ou moins virulents dans un contexte global
d'insécurité foncière.
Somme toute la mise en oeuvre de la différenciation
identitaire entre autochtones et migrants en milieu rural suscite la production
de normes et valeurs qui lorsqu'elles forgent l'identité de soi
discriminent, marginalisent puis excluent celle de l'autre. C'est pourquoi les
tentatives de résolution de la conflictualité en milieu rural
devraient nécessiter un réexamen des modes de régulation
foncière qui prédéterminera les conditions d'un consensus
entre les entités ethniques.
Cette étude devrait donc être poursuivie pour
élucider les aspects laissés en suspend à savoir l'analyse
des conditions de production des modes de régulation foncière et
les processus qui permettront leur légitimation auprès des
communautés autochtones et migrantes.
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TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE..............................................................................2
DEDICACE................................................................................3
REMERCIEMENTS.....................................................................4
SIGLES ET
ABBREVIATIONS......................................................5
INTRODUCTION........................................................................6
CADRE THEORIQUE ET
METHODOLOGIQUE..............................8
I
-PROBLEMATIQUE..................................................................8
I-1-Les fondements historiques de la différenciation
sociale en milieu rural...10
· Les divisions ethno-régionales comme
d'occupation du territoire
Ivoirien.............................................................................10
· Les effets de la mobilité
spatiale...............................................11
ü Les migrations
internes..................................................11
ü Les migrations
externes.................................................12
I-2-La base idéologique de la différenciation
interethnique.......................13
I-3-Le cadre institutionnel et symbolique de la
différenciation...................16
· Le tutorat : institution traditionnelle
d'insertion des migrants
comme élément de différenciation
sociale....................................16
· Les institutions politiques de différenciations
identitaires..................17
I-4-Les enjeux économiques de la différenciation
interethnique..................19
II -REVUE DE
LITTERATURE...................................................21
II-1-L'origine historique des rapports de
différenciation interethnique.........21
· Du multiculturalisme séculaire des populations
rurales de l'AOF.........21
· La différenciation interethnique comme produit
de l'évolution
de l'économie de plantation et du processus
d'intégration des groupes...23
II-2-Idéologie et aspect symbolique de la
différenciation..........................26
II-3-Aspect structurel et symbolique de la
différenciation identitaire............28
II - 4 - Cadre institutionnel et évolution des rapports
interethniques.............32
III - LES OBJECTIFS DE
RECHERCHE.......................................40
IV - MODELE
D'ANALYSE.........................................................40
IV-1-Les
hypothèses....................................................................40
IV-2-Définitions
conceptuelles........................................................41
V-DELIMITATION DU CHAMP DE
L'ETUDE...............................42
V-1-Champ
géographique..............................................................42
V-2-Champ
social.......................................................................43
V-3-Champ de référence
théorique...................................................45
VI -LES TECHNIQUES DE COLLECTES DE
DONNEES..................47
VII -LES DIFFICULTES
RENCONTREES.....................................49
PREMIERE PARTIE : CONSTRUCTION DES IDENTITES
SOCIOCULTURELLES ET DELIMITATION DES GROUPES............50
CHAPITRE I : ITINERAIRE MIGRATOIRE ET HISTORIQUE DES
COMMUNAUTES ETHNIQUES
I-1-Historique du peuplement des
Krobou...........................................52
I-1-1-De l'origine des
Krobou.........................................................52
I-1-2-De la légende locale : origine
céleste..........................................53
I-1-3-Des caractéristiques du milieu naturel favorable
à l'économie de
Plantation..........................................................................54
I- 2- Migration et établissement des communautés
migrants
à
Aboudé-Mandéké...............................................................56
I- 2- 1- Installation des allochtones et éclatement du
"terroir originel" .........56
I- 2- 2- Etablissement des
allogènes..................................................57
CHAPITRE II : PARTAGE DE L'ESPACE ET DOUBLE
PROCESSUS D'HOMOGENEISATION ET DE
DIFFERENCIATION ENTRE ABOUDE ET
MIGRANTS.....................59
II- 1- Les facteurs de différenciation
identitaire....................................59
II- 1- 1- L'appartenance ethnique et la nationalité comme
facteur
d'identification
primaire.....................................................59
· De la famille à la communauté comme
modèle de reproduction de la société
d'origine..................................................................60
· De l'exclusion par la nationalité comme
résultat des
instrumentalisations
politiques..................................................62
II-1-2- De la formation des entités
territoriales.......................................64
II - 2 - Les facteurs d'homogénéisation
identitaire : la politique et la religion
comme éléments de rapprochement
intercommunautaire.................65
Conclusion
partielle............................................................67
DEUXIEME PARTIE : MARQUAGES SOCIAUX ET PRODUCTION
DE LA DOMINATON
SYMBOLIQUE............................................68
CHAPITRE III - LA REPRODUCTION DES INSTITUTIONS
DE
CONTROLE........................................................................70
III - 1 - La redéfinition du rôle du
tutorat.............................................70
III - 2 - La restructuration de la chefferie
traditionnelle...........................71
III - 3 - La normalisation formelle comme style de
domination..................74
III - 3 - 1 - Les statuts et règlement intérieur
comme style
de
communication.........................................................74
III - 3 - 2 - Les fondements du caractère discriminatoire
des règles formelles.75
CHAPTRE IV : LES DETERMINANTS SOCIOCULTURELS
DE LA DOMINATION
SYMBOLIQUE..........................................78
IV - 1 - Style d'occupation spatiale et processus
d'étiquetage social ............79
IV - 2 - Les interdits comme style symbolique de production de
l'autochtonie....................................................................81
Conclusion
partielle............................................................83
TROISIEME PARTIE : LES DYNAMIQUES INSTITUTIONNELLES
ET REPRODUCTION CONFLICTUELLE DES RAPPORTS
INTERETHNIQUES...................................................................84
CHAPITRE V : EVOLUTION DES PROCEDURES DE CESSION ET
REPERAGE DES LOGIQUES
PROPRIETARISTES.........................86
V - 1 - La pratique des dons ou logique coutumière
d'accès aux ressources
Foncières.........................................................................86
V - 2 - Relations marchandes et redéfinition des rapports
de tutorat.............88
CHPITRE VI : CRISE ECONOMIQUE ET PRODUCTION
CONFLICTUELLE DES RPPORTS INTERETHNIQUES..................91
VI - 1 - Contexte et motifs de déstructuration des liens
sociaux ...............91
VI - 1 - 1 - Des effets pervers de la crise économique sur
le monde rural .....91
VI - 1 - 2 - Des interventionnismes pernicieux de l'Etat
.........................92
· Absence de règlementations foncières et
spoliation de l'autochtonie.92
· La loi 1998 comme logique de renforcement de
l'autochtonie........92
VI - 2 - Expression des conflits
interethniques.....................................96
VI - 2 - 1- Les conflits Aboudé -
Aboudé..........................................97
VI - 2 - 2 - Les conflits Aboudé -
Migrants.........................................97
VI - 3 - Itinéraire de
résolution........................................................99
Conclusion
Partielle..........................................................100
CONCLUSION
GENERALE.......................................................101
BIBLIOGRAPHIE....................................................................103
TABLE DES
MATIERES...........................................................110
* 1 BABO (A) et al, Conflits
fonciers : de l'ethnie à la nation .Rapports interethniques et
ivoirité dans le Sud Ouest de la Côte d'ivoire in colloques
international «Les frontières de la question foncières -At
the frontier of land issues «, Montpellier, 2006
* 2 Schwartz A, Martinet F et
al, Le dynamisme pionnier dans le sud-ouest ivoirien, ORSTOM Paris 1962
* 3 Dozon (J.P.),
« l'étranger et l'allochtone en cote d'ivoire »,
in Contamin (B) Memel fotê (A) (Dir), le modèle ivoirien en
gestion, crises, ajustements, recomposition, paris édition
Karthala-orstom, 197.
* 4 Babo A op cit
* 5 Durkheim(E), Les
règles de la méthode sociologique P.U.F paris 1937
* 6 (Baha Bi Youzan) fiche de
travail cours de sociologie rurale 2005).
* 7 Chaléard (J.L.),
« Occupation du sol et immigration en pays Abe (département
d'Agboville cote d'ivoire) », in cahier ORS TOM, série
sciences humaines, vol. XVIII, n°3, 1982.
* 8 Baha BI op cit
* 9 Dozon JP. Op cit
* 10 Koné G,
Violences politiques à caractères communautaires e
inégalités horizontales en Côte d'Ivoire d'octobre 2000
à Mars 2004, Mémoire de DEA, Université de
Bouaké, 2003-2004.
* 11 Dozon JP op cit
* 12 Babo A. op cit
* 13 Koné G, op cit
* 14 Babo A op cit
* 15 Chauveau JP, Question
foncière et construction nationale en Côte d'Ivoire : les
enjeux silencieux d'un coup d'Etat, in Politique africaine, vol 78,
pp94-125
* 16 Neveu C, Essai sur
l'immigration baoulé en pays Bakwé, Université de
paris 10, ORSTOM, paris 1976
* 17 Koné M, Foncier
rural, citoyenneté et cohésion sociale en Côte
d'Ivoire : Pratique du tutorat dans la sous-préfecture de
Gboguhé, in colloque international les frontières de la
question foncières - At the frontier of land issues, Montpellier
2006
* 18 Babo A, op cit
* 19 Charléard J-L op
cit
* 20 Ouédraogo D,
Migrations circulaires et enjeux identitaires en Afrique de l'Ouest,
www.google.fr
* 21 Chauveau J.P et Richard
J L'Organisation socio-économique Gban et économie de
plantation
* 22 Schwartz A, Martinet F et
al op cit
* 23Charléard J.L op cit
* 24Dozon J.P op cit
* 25 Chauveau J.P. et Richard
J, op. cit.
* 26 Chauveau JP et Richard J
op. Cit.
* 27 Koné M op cit
* 28 Chauveau J.P., Richard J.
1985
* 29 Babo A op cit
* 30 Lavigne Delville Ph, La
décentralisation administrative face à la question
foncière (Afrique de l'Ouest Francophone rurale), in Working paper on
Afican societies n°39 Instut Fuert Ethnologie und Afrikaanders (Mainz
University)/Das Arabische, 18p.
* 31 Lvigne Delville Ph.op
cit
* 32 Chauveau J.P, op. cit
* 33 Koné G op cit
* 34 Koné G op cit
* 35Lallement (M), histoire
des idées sociologiques, Tome 2, édition Nathan, Paris, 2000
* 36 Rodrigo I, Les
identités sociales dans l'espace social agricole, in option
méditerranéenne, série B, n°12, Lisbonne, 1997
* 37 Boudon R, Dictionnaire de
Sociologie, édition Larousse Bordas, Paris, 1999.
* 38 Charléard J L op
cit
* 39 Diabaté H op cit
* 40 Version recueillie sur
place et complétée par Diabaté H
* 41 Poutignat P, et Al,
Théories de l'ethnicité suivi de, les groupes ethniques et leurs
frontières, PUF, Paris, 1995.
* 42 LABURTHE TOLRA P et
WARNIER J-P, Ethnologie, Anthropologie, PUF, Paris, 1997.
* 43 Schwartz A., Martinet F.et
al, op cit
* 44 Schwartz A., Martinet F.
et al, op cit
* 45 KONE G op. cit.
* 46 Poutignat P, et Al, op,
cit.
* 47 Koné M, op, cit.
* 48 Koné G, op,
cit.
* 49 Koné M, op, cit.
* 50 Koné M, op, cit.
* 51 SIGS
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