L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle( Télécharger le fichier original )par Raphaël BAZEBIZONZA Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007 |
II.2. L'espace public perverti par la dominationLe paradigme communicationnel fonctionne comme centre de gravité de la vision historique et politique ; l'appréhension des rapports de pouvoir et de domination en découle directement. En effet, analysée en termes politiques, l'évolution décrite par Habermas révèle un Etat détenteur du pouvoir mais qui demeure en dehors de la sphère publique ; plutôt, c'est la nouvelle sphère publique qui s'est en fait affirmée elle-même comme coupée de tout rapport de pouvoir. Le principe même de la publicité, de l'opinion publique [Öffentlichkeit] se trouve donc investi d'un véritable rôle émancipateur : l'espace public est devenu une instance critique effective, un lieu de contrôle - voire de transformation - de l'exercice du pouvoir étatique. C'est Kant qui, aux yeux de Habermas, est le premier véritable théoricien de ces changements politiques de la modernité ; en affirmant que le pouvoir appartient à la seule raison, Kant fonde ainsi théoriquement les principes de la nouvelle réalité politique qu'il a devant les yeux. L'homme entre dans sa majorité à partir du moment où, distinguant l'usage public de l'usage privé de sa raison, il fait apparaître une sphère publique qui s'affirme par son rôle politique, en étant la médiatrice entre l'Etat et la société. Dans cette relecture de Kant, Habermas évoque en fait un idéal politique qu'avait révélé la modernité : le modèle libéral de l'espace public bourgeois, un modèle de transparence communicationnelle, un modèle qui aurait fourni à la modernité son contenu normatif. En effet, ayant décrit cet idéal, Habermas entreprend d'expliquer et de mettre en évidence ce qui l'a perverti, et, bien sûr, ce qui permet de le maintenir comme idéal. A partir du milieu du XIXème siècle et avec l'avènement du « Social Welfare State » (l'Etat-providence), l'opinion publique s'est peu à peu laissé déposséder de son potentiel critique ; l'espace public s'est « reféodalisé », c'est-à-dire que le pouvoir et la domination y ont retrouvé une nouvelle forme et par là, une véritable place. Plus précisément, Habermas poursuit son analyse en mettant en évidence l'apparition, en deux temps, d'un autre type de « Publicité », d'une autre pratique des rapports politiques, d'une nouvelle structuration de la société. La transformation résulte en fait directement de l'extension, puis de la dégradation de la « Publicité » telle que l'avait établie la société bourgeoise du XVIIIème siècle57(*). Le modèle de l'espace public s'est ainsi perverti par son propre développement ; alors qu'il supposait une stricte séparation entre les domaines privé et public, son extension et la généralisation de son principe ont fait advenir une sphère sociale qui a tout perdu de son autonomie initiale. En effet, le rôle de médiateur entre l'Etat et la société que la sphère publique assumait à ses débuts a peu à peu changé de mains ; ce sont en fait des institutions relevant soit de la sphère privée soit d'une sphère publique qui ont dépossédé le « public des personnes privées » de sa véritable fonction politique. Cette fonction se trouve dès lors dénaturée en son principe même, puisqu'elle s'effectue désormais dans le cadre d'un rééquilibrage des pouvoirs que favorise cette interpénétration de l'Etat et de la société : les domaines étatisés de la société et ceux socialisés de l'Etat composent ensemble une sphère qui demeure tout juste un intermédiaire et où l'authenticité de la communication critique a, de nouveau, laissé la place à la manipulation, voire à une certaine domination. Cela n'appelle-t-il pas un certain décollage, mieux un changement de paradigme ? * 57 En 1961, Habermas estimait que la sphère publique bourgeoise était sur le déclin mais qu'avec l'éclosion de l'Etat social on assistait à « un rattrapage démocratique radical en même temps qu'à une reconversion de l'interpénétration fonctionnelle de l'Etat et de la société, se déroulant quasiment au-dessus de la tête des participants », c'est-à-dire une manipulation de l'Etat de droit qui sous le couvert du bien-être anesthésiait la participation active, et appelait à l'acclamation. |
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