CHAPITRE II : LA RATIONALITE
COMMUNICATIONNELLE
L'idée de re-fonder le concept marxiste
d'émancipation au sein de la « discussion », comme
la lecture d'une modernité centrée sur la
« communication » ou d'une rationalité
tournée vers « l'action communicationnelle »
constitue - sous des formes diverses et successives - le fil directeur de la
pensée de Jürgen Habermas. Cette optique singulière et
originale - que nous nous proposons maintenant d'expliciter
- est à la fois ce qui oriente sa critique et ce qui
motive l'évolution de son propre itinéraire conceptuel ; la
place qu'y trouve la communication ainsi que le sens accordé à la
discussion seront déterminants pour notre problématique.
En effet, toute l'entreprise philosophique de Habermas
consiste en un sens à justifier et à légitimer de
façon plus précise et plus irrévocable ce recours au
concept de communication (communication langagière, discussion en vue
d'un accord, partage ou échange de valeurs, de normes et d'opinions,
compréhension intersubjective en sont autant de figures). Celle-ci ne
saurait être un recours et Habermas entend, au contraire, la poser comme
une nouvelle instance critique. Ainsi, c'est comme rationalité qu'il
commence par l'éprouver.
L'objet d'étude de Habermas est donc la
rationalité communicationnelle, qui englobe la première et
désigne cette force sans violence du discours argumentatif qui permet de
réaliser l'entente et de discuter le consensus. Mais le centre de
réflexion de Habermas se situe en fait, dans l'articulation entre ces
concepts de rationalité, de communication, de rationalisation. L'analyse
de ce mouvement de rationalisation porte ainsi Habermas à approfondir ce
qui en est le moteur, la communication et le consensus que celle-ci
génère : il introduit pour l'éclairer, la notion de
« monde vécu ». Celui-ci est en fait
« l'horizon » à partir duquel les sujets sont
à même de communiquer.
II.0. la rationalité
communicationnelle
A l'heure où les moyens de communication les plus
sophistiqués et leur onde de choc placent la communication au rang de
première force productive, la rationalité communicationnelle fait
son apparition dans la philosophie sociale, morale et politique. Pourtant, elle
n'est pas l'idéologie fonctionnelle de la « troisième
révolution industrielle » ; du moins son intention n'est
pas de légitimer les changements attendus dans les rapports sociaux de
la mise en place du nouveau « système technique ».
C'est plutôt contre l' « idéologie de la
technique et de la science » qu'est, notamment, dirigée la
« rationalité communicationnelle ».
L'idéologie en question, telle que Habermas l'a critiquée, repose
sur le préjugé selon lequel il n'y a de rationalité que
dans la science au sens strict du terme. Sur ce préjugé peuvent
alors se constituer des « idéologies » tout à
fait opposées, mais qui, en un certain sens, s'avèrent
complémentaires : en effet, ou bien l'on considère que toute
question est susceptible d'un traitement scientifique ; ou bien l'on admet
que les questions d'ordre éthique échappent, par principe,
à l'élucidation scientifique, de sorte qu'elles seraient
nécessairement irrationnelles. Voilà deux positions - le
scientisme et l'existentialisme - opposées, mais complémentaires
au niveau de la fonction idéologique : le premier cas
révèle que la sphère politique doit être
réservée aux seules personnes expertes en la matière, ce
qui rend caduque la démocratie ; le deuxième cas au
contraire, fait éclater le principe d'une formation démocratique
de la volonté politique qui n'est pas plus fondée comme n'importe
quelle autre tradition historique contingente. Or ces deux cas affadissent
l'idée de la démocratie dans la mesure où tous deux
reposent sur une conception erronée de la rationalité :
cette dernière n'est en effet pensée que sur le modèle
d'une rationalité scientifique. Dans ce sens, ces deux positions sont
incapables de penser une certaine rationalité élargie au concept
de la raison pratique. Et c'est dans cette mesure que toutes les deux se
montrent également impuissantes à fonder l'idée
démocratique du point de vue de la rationalité politique. Ni
l'une ni l'autre ne peuvent accéder à la pensée d'un
lien nécessaire entre rationalité politique et
légitimité démocratique. Or, comment faire
apparaître ce « lien
nécessaire » ? Habermas s'est efforcé de
fonder la légitimité en raison ; et c'est là
qu'intervient « la rationalité communicationnelle ».
Elle se présente alors comme une « éthique de la
discussion » dans un environnement perverti par la domination.
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