WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

( Télécharger le fichier original )
par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II.6.3. Le principe de la publicité

Eclairer sous un jour nouveau le sens de la modernité politique, telle était en effet déjà la perspective dans laquelle Habermas avait écrit son premier essai, L'Espace public. Il y entreprend de relire l'histoire moderne des sociétés occidentales à la lumière de l'évolution de la « communication politique » pratiquée par les citoyens d'un même Etat. L'histoire sociale et politique se comprendrait alors comme celle des changements qui affectèrent la structure de « l'espace public bourgeois ».

Habermas reprend dans un premier temps l'opposition entre domaine privé et domaine public, opposition qu'il emprunte directement à l'antiquité grecque (et donc à une grande partie de la tradition de la philosophie politique). La sphère de la polis, chose commune (koinê) à tous les citoyens libres était strictement séparée de la sphère de l'oïkos qui était propre à chaque individu. Cependant, c'est justement le dépassement de cette alternative privé/public que met en évidence l'évolution des structures socio-politiques modernes. En effet, le regard de Habermas se porte, au-delà de ces deux domaines, sur l'apparition d'un troisième terme, « la sphère publique bourgeoise » ou publicité [Öffentlichkeit]. Cette dénomination recouvre en fait une « société civile » qui, composée d'agents individuels, est révélée par « l'opinion publique » : « la sphère des personnes privées rassemblées en un public ». Décrivant le jeu qui dans une société libère ou réprime la communication, Habermas traite ainsi l'opinion publique comme une véritable catégorie historique ; par elle, la sphère publique nouvelle s'autonomise d'une part du pouvoir exécutif centralisé et étatique, d'autre part de la sphère privée de l'économie domestique : l'opposition privé-public se trouve bel et bien dépassée. En fait, Habermas réactive ainsi en un sens la dénonciation, commune à toute une partie de la tradition marxiste, de l'illusion qui consiste à définir l'Etat comme secteur « public ». En effet, chez Marx, l'Etat doit, au moins dans un premier temps, être analysé comme coupé de la société civile pour laquelle il n'est ni un reflet, ni un élément neutre censé promouvoir l'intérêt général, mais bien plutôt comme la « machine » organisant la domination d'une classe sur une autre, l'organe assurant les conditions de la reproduction des rapports d'exploitation.

Cependant, il convient de souligner ici que chez Marx l'appréhension ou la critique de l'Etat est loin d'être toujours aussi claire ; en particulier, on peut distinguer une très nette évolution sur la question de la prise de pouvoir : le prolétariat doit-il s'emparer de l'appareil d'Etat et l'utiliser à son tour comme instrument de domination ou bien doit-il le transformer ou bien encore le laisser « s'éteindre » ? Quoi qu'il en soit, c'est bien l'identification de l'Etat comme organisation résolument extérieure à la société que Habermas cherche à exploiter ; mais aux yeux de Habermas, le problème majeur de l'analyse marxiste, réside justement dans son explicitation de cet autre de l'Etat qui est la « sphère publique » : Marx ne peut selon lui l'envisager que dépourvue de tout caractère politique. La conception libérale d'une sphère publique politiquement orientée trouve sa formulation socialiste dans l'idée d'une dissolution du pouvoir politique en pouvoir public. A la suite d'une citation de Saint-Simon, Engels l'a exprimée dans cette formule connue : « la domination sur les personnes doit céder la place à l'administration des choses et à la gestion des moyens de production ». Ce n'est pas l'autorité en tant que telle qui doit disparaître, mais la domination de nature politique ; les fonctions publiques traditionnelles et celles qui se sont nouvellement créées transforment leur caractère politique en caractère administratif.

Clairement, Habermas reproche à la tradition marxiste de ne pouvoir envisager la sphère publique qu'une fois accomplie la « destruction de l'appareil d'Etat bureaucratique ». Mais celle-ci aurait alors déjà perdu tout caractère politique, elle ne serait déjà plus critique. Cette confrontation montre ainsi où se situe l'originalité de la lecture habermassienne : plus qu'un troisième terme qui, selon un modèle très dialectique, dépasserait en l'anéantissant l'alternative domaine privé/domaine étatique, l'espace public est une instance qui (idéalement certes) ne prend place que suspendue entre les deux sphères originelles dont elle est la critique ; elle se dote là d'une réelle fonction politique : soumettre au contrôle d'un public faisant un usage critique de sa raison des états de choses rendus publics. Ainsi donc, c'est exactement face au pouvoir [entendu comme pouvoir central ou comme pouvoir étatique] et comme son pendant que se forme la société bourgeoise, que s'instaure l'espace public. Cependant, dans l'esprit de Habermas, loin d'en constituer la cause première, cette remise en cause de la domination du pouvoir exécutif d'Etat n'en est qu'un effet. Ce n'est pas le politique qui est ici premier : l'anti-pouvoir que représente la nouvelle publicité est certes une manifestation de l'émancipation mais elle n'est en rien son fondement.

A dire vrai, celui-ci est double : son origine est économique, le coeur de son développement est communicationnel. En effet, c'est la transformation de la structure économique qui consacre l'anéantissement des anciennes structures de pouvoir et, donc, des anciens rapports sociaux. Dans ce sens, le développement de l'économie d'échange comporte une double conséquence politique : il abolit dans un premier temps l'opposition mécanique entre l'échelle de l'individu-citoyen et l'échelle de l'Etat centralisé, et il génère de ce fait dans un second temps de nouveaux types de relations sociales et de rapports politiques. « L'opinion publique » apparaît ainsi comme un troisième terme, constitutif d'un nouvel espace politique hors de la maisonnée et se tenant face à l'Etat : la nouvelle société civile. Habermas la définit comme procédant d'une discussion sur des affaires d'intérêt général entre des individus privés ; les citoyens cessent en partie d'être conçus comme des entités atomisées pour devenir une réalité tierce : « un public faisant usage de sa raison pour exercer sa propre critique », qui s'est autonomisé à la fois par rapport à l'Etat centralisateur et aux intérêts particuliers agrégés. Ici se trouve le coeur de la vision historique de Habermas : l'opinion publique apparaît et se manifeste d'abord à l'occasion de l'extension et du développement d'activités économiques d'intérêt général, mais l'essentiel est qu'elle s'est ouvert un lieu politique où il est possible de prendre la parole, de se réunir ou d'engager une discussion publiquement. La communication et l'interaction, sources et moteurs de ce nouveau pôle critique, sont l'objectivation sociale et politique des transformations économiques des temps modernes.

Ce chapitre nous a fait passer de la domination à l'émancipation par la rationalité communicationnelle. La rationalité est pour Habermas, un « potentiel » qui donne son sens à l'émancipation comme une rationalisation à accomplir. La rationalisation signifie là, l'élimination des rapports de domination qui sont intégrés de façon inaperçue au sein des structures de communication et qui empêchent la gestion consciente des conflits et un règlement consensuel de ces conflits en mettant des obstacles à la communication. La rationalisation signifie, que sont dépassées les formes de communication systématiquement déformée, dans le cadre desquelles n'est maintenu qu'en apparence le consensus porteur de l'action relatif aux exigences de validité. En définitive, l'attention et la recherche ont porté avant tout, sur l'élaboration et surtout la légitimation de ce système ou de ce nouveau paradigme - la rationalité et l'agir communicationnels -. Ce n'est qu'au sein de celui-ci et à travers lui, qu'il sera possible d'envisager un pas vers l'Etat de droit.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote