Introduction
Les rapports entre territoires et politiques publiques se
resserrent en ce que les premiers sont passés de terrains d'application
et de tests au statut d'acteurs interagissant sur les modes d'interventions des
seconds.
Cette interaction ouvre de nouvelles perspectives pour les
politiques d'aménagement qui tendent de plus en plus à se
combiner avec les problématiques du développement durable.
Ce nouveau cadre spatial implique un dispositif institutionnel
de régulation adapté dans le cadre d'une nouvelle architecture
institutionnelle intégrant plusieurs niveaux de décision.
La problématique du développement durable
constitue la référence principale de la stratégie
d'aménagement du territoire. Celle-ci peut, grâce à la
gouvernance participative, permettre de définir des rapports
territoriaux plus équilibrés.
1. Les contraintes générales
inhérentes aux politiques d'aménagement territorial
1.1. Le territoire : une réalité
complexe
L'aménagement du territoire a toujours eu comme
objectif principal d'assurer un équilibre entre la répartition
des hommes et la localisation des activités économiques.
Le territoire a d'abord un contenu objectif
délimité par des aspects géographiques et politiques.
Cependant, on ne peut se contenter de cette approche car le territoire est
aussi un construit social. Il doit, en plus de son entité politique ou
géographique, être considéré comme l'expression
organique d'un collectif humain chargé d'histoire, de culture et
d'intérêts communs. Il se concrétise dans la volonté
de ceux qui veulent "vivre et travailler au pays".
C'est un espace construit par les hommes, qui reflète
leur culture et leur mode d'organisation sociale, ce qui revient à dire
que c'est un produit social.
C'est un espace d'habitat, en ce sens que l'homme organise
à sa convenance le milieu où il vit.
C'est un lieu d'usage, parce qu'il est aménagé
à des fins de production, de consommation et d'échanges.
C'est un lieu de relations sociales qui reflètent
toujours les rapports hiérarchiques et inégaux qui
s'établissent entre les groupes et qui débouchent souvent sur des
situations de conflits ou de rivalités.
C'est un lieu de culture, produit d'une histoire
séculaire, ce qui se traduit par la permanence d'une tradition,
quelquefois d'une langue et d'une façon de vivre.
La dynamique territoriale dans ses composantes
démographiques, économiques et sociales doit plus à
l'intervention publique qu'aux mécanismes du marché. Elle
résulte principalement d'une régulation administrée
centrée sur la maîtrise et la gestion des externalités.
Ces externalités territoriales deviennent des
potentialités ou des contraintes pour le développement
économique. Il s'agit en fait pour la politique d'aménagement
territoriale de valoriser les externalités positives et de limiter les
conséquences des externalités négatives. Les
externalités positives ainsi produites jouent le rôle d'un bien
public global. Elles pèsent sur les conditions de localisation des
entreprises en jouant de plus en plus un rôle d'entraînement de la
production.
On peut aussi distinguer les externalités quantitatives
comme les économies d'agglomération ou les économies
d'infrastructures, et les externalités qualitatives pour tout ce qui
concerne les aménités environnementales.
Ces externalités sont en partie déjà
construites, car le territoire recèle des ressources collectives,
produit de son histoire socio économique et culturelle, mais elles sont
aussi le résultat d'une stratégie visant à favoriser leur
maîtrise et leur gestion.
Une politique territoriale de maîtrise et de gestion des
externalités permet de gérer les externalités beaucoup
mieux que n'aurait pu le faire une politique conduite centralement.
On y gagne en adaptabilité et en rapidité car
les externalités exigent aujourd'hui une gestion au plus près des
besoins du système productif.
Les déplacements de main d'oeuvre ou de capital
résultent en partie de cette politique de gestion des
externalités. L'attractivité du territoire va dépendre du
volume d'externalités positives dégagées mais aussi de la
façon dont sont traitées et réduites les
externalités négatives comme la pollution ou les problèmes
de transport.
Il faut aussi souligner que la qualité des services
publics offerts sur un territoire joue un rôle déterminant quant
à la localisation des activités et au déplacement de la
main d'oeuvre.
1.2. Les nouvelles contraintes de l'aménagement
du territoire
Les fondements des politiques territoriales sont
déterminés en grande partie par les programmes européens
et nationaux. Ils constituent bien souvent la base de la théorie
d'action des politiques d'aménagement territoriaux.
L'aménagement du territoire européen prend
aujourd'hui un relief particulier avec le SDEC (Schéma de
Développement de l'Espace Communautaire), approuvé à
Postdam en mai 1999.
Même si aucune compétence n'est dévolue
à l'UE en matière d'aménagement du territoire le fait que
le SDEC ait été adopté par les Etats membres
témoigne d'un positionnement idéologique fort, il est ensuite
proposé aux responsables de tenir compte des objectifs et des options
politiques du SDEC dans les politiques nationales et régionales
d'aménagement du territoire. Certains objectifs comme la recherche d'une
plus grande cohésion économique et sociale et la
préservation des bases naturelles de la vie et du patrimoine culturel
sont assez classiques mais la nouveauté réside dans la
volonté de favoriser la compétition entre les territoires
à travers des politiques basées sur la recherche d'avantages
comparatifs.
L'attractivité des territoires et la
compétitivité régionale sont aussi les objectifs
principaux des politiques d'aménagement nationales. Elles reposent, pour
l'essentiel sur la volonté d'inscrire la politique d'aménagement
du territoire dans une logique de concurrence des territoires en recherchant
des avantages comparatifs en matière d'attractivité.
Au niveau local, on est encore dans la phase
préparatoire des plans d'aménagement et de développement
durable. Ces plans doivent définir une stratégie multi
directionnelle
intégrant les dimensions économiques,
environnementales, sociales et culturelles et
leurs interactions. Ils doivent indiquer les orientations
fondamentales en matière d'aménagement de l'espace.
On peut légitimement penser que les grandes
orientations centrales seront pour l'essentiel reprises dans ces plans et que
l'on insistera tout particulièrement sur la nécessité de
rendre le territoire plus attractif dans un environnement international de plus
en plus dominé par la concurrence interrégionale.
Mais l'objectif de maintien ou d'amélioration de la
qualité du cadre de vie devrait aussi tenir une place importante. Il est
aujourd'hui admis que la fonction résidentielle de l'espace est devenue
une composante aussi forte que la création d'activités
économiques.
1.3. La prise en compte du développement durable
dans la problématique de l'aménagement du territoire
La stratégie de développement territorial
durable doit combiner les impératifs du développement
économique avec la valeur sociale complexe de l'environnement.
Il s'agit, en d'autres termes, de déterminer le lien
entre le développement économique et la préservation et la
valorisation du capital naturel. Ces stratégies doivent permettre la
protection du capital naturel tout en oeuvrant à la conservation et
l'augmentation de richesses liées à sa valeur d'usage
Le territoire à travers la politique
d'aménagement et de développement durable pourrait permettre la
réalisation de ces objectifs. Il faudrait pour cela privilégier
un modèle de développement "de qualité environnementale
globale".
Ce modèle de Q E G répond aux trois
impératifs fixés par le Plan National pour l'Environnement.
Une politique "d'assurance minimale" consistant à faire
face aux urgences et à limiter les risques.
Une politique de "croissance soutenable" prenant en compte la
reproduction des ressources naturelles.
Aménagement du Territoire
Une politique de "mobilisation sur la qualité",
beaucoup plus ambitieuse où l'environnement ne serait plus seulement une
contrainte mais un potentiel qu'il faut valoriser.
Ce modèle de développement coopératif
exige que soit respecté un certain nombre de conditions comme
l'organisation de l'action par les pouvoirs publics et la nécessaire
complémentarité économie/environnement.
Un modèle de développement de qualité
environnementale globale exige de dégager des convergences et des
synergies entre l'environnement et le développement. On doit passer
d'une pure logique défensive de protection et de lutte contre les
nuisances à une logique d'intégration structurelle des variables
environnementales dans les stratégies de développement.
La compréhension de ces mécanismes passe par
l'analyse des idées constitutives de la théorie d'action des
nouvelles formes de gouvernance. La théorie d'action peut se
définir comme l'ensemble des valeurs qui sous tendent l'intervention
publique. Elle agit comme un cadre de référence pour l'ensemble
des acteurs. Ces finalités se concrétisent ensuite sous la forme
d'objectifs (bien souvent implicites).
Pour définir correctement la théorie d'action,
il est indispensable de se resituer dans le contexte qui prévalait lors
de la mise en oeuvre de la politique. Cela permet de bien identifier les
différents éléments d'une chaîne complexe de
causalité et de déboucher sur une théorie explicative.
2. Vers de nouvelles formes de gouvernance mieux
adaptées à ces contraintes
2.1. La gouvernance participative
La territorialisation de l'action publique impose une nouvelle
logique organisationnelle.
Elle pose aussi le problème des structures
décisionnelles ayant en charge cette gouvernance.
Il semble plutôt réducteur de définir la
gouvernance comme l'ensemble des institutions permettant la coordination entre
les agents. Certes, elle vise d'abord à résoudre les
problèmes communs. Mais elle a aussi une fonction plus large consistant
à édicter et imposer des normes idéologiques et techniques
constitutives de la théorie d'action.
La gouvernance peut se concevoir comme une méthode de
résolution des problèmes que rencontrent toutes
communautés humaines que ce soit au niveau local ou global.
Elle ne peut être véritablement efficace que, si
au préalable, on s'est assuré de son
opérationnalité, c'est-à-dire si l'on a d'abord
vérifié que le problème est gérable. Elle repose
aussi sur une vision normative de l'intervention publique donc sur une
rationalité idéologique qui va lui conférer tout son
sens.
Compte tenu des enjeux et de la nature des problèmes
à régler il est préférable de privilégier
une gouvernance multi niveaux/multi acteurs. Elle seule permet à la fois
de prendre en compte les normes centrales tout en ne négligeant pas les
aspirations locales et d'impliquer la totalité des acteurs
concernés par la mise en oeuvre de ces programmes. Cette gouvernance
favorise l'émergence d'une nouvelle rationalité programmatrice
qui pourrait prendre la forme d'une Programmation Stratégique
Concertée et coordonnée (PSCC).
Cette programmation est dite stratégique parce qu'elle
mêle prospective et action volontariste, grâce à une
programmation conjointe entre tous les niveaux institutionnels
concernés.
On la qualifie aussi de concertée car elle repose sur
une coopération forte entre les acteurs principalement les
décideurs institutionnels et les membres de la société
civile organisée.
Elle est cordonnée car elle implique différents
niveaux institutionnels de décision et qu'il s'agit de rendre
cohérentes leurs différentes interventions.
Dans l'ensemble elle est fondée sur une
rationalité plus procédurale que substantielle recherchant avant
tout le compromis quand les intérêts sont vraiment divergents.
Cette nouvelle donne pose un double problème, celui du
degré de hiérarchisation
entre les différents niveaux institutionnels et celui
de la cohérence de l'intervention publique partenariale et conjointe.
L'articulation entre ces différentes institutions
suppose des compétences partagées entre des niveaux
décisionnels imbriqués.
La mise en oeuvre de la gouvernance territoriale exige au
préalable la participation des citoyens afin d'aboutir à une
action concertée.
La règle doit devenir une règle
négociée et non imposée, produit d'une
délibération collective afin d'aboutir à un consensus.
L'enjeu d'un développement durable territorial
entraîne une recomposition de l'intervention publique et préfigure
l'arrivée d'une nouvelle forme de gouvernance que l'on peut qualifier de
participative. Elle combine la participation des acteurs à travers un
processus de résolution des conflits pouvant
déboucher sur un compromis voire un
consensus et une intervention publique multi niveaux
décisionnels. La gouvernance
participative met en relief l'action conjointe et la
responsabilité partagée de tous les
acteurs concernés et donc la nécessité de
disposer de nouvelles méthodes et de nouveaux
outils. Sans cela, il n'est pas possible d'opérer une
véritable coopération et on
court le risque d'un manque certain d'efficacité.
La question de la résolution des intérêts
divergents, surtout quand il s'agit de régler des
problèmes environnementaux détermine
l'efficacité et la viabilité de cette gouvernance.
La gouvernance participative se distingue de la gouvernance
d'autorité dans la mesure
où la société civile (organisée)
participe elle aussi à la réflexion et surtout à la
prise
de décision. C'est dans le domaine du
développement durable que cette démarche semble la plus
opportune.
Cette nouvelle gouvernance publique doit résoudre
plusieurs problèmes majeurs :
- La complexité accrue des procédures
consécutives à l'enchevêtrement des instances
décisionnelles
- Le besoin de participation des citoyens à la vie
publique
- La nécessité de rendre les politiques
publiques plus efficaces et plus efficientes dans un environnement de plus en
plus incertain.
La gestion d'un patrimoine collectif ou d'un capital naturel,
alliant développement économique et conservation qualitative et
quantitative de la ressource, peut se fonder sur des actions concertées
et négociées qu'il convient d'organiser étant
données la proximité institutionnelle, la diversité des
intérêts et l'imbrication des niveaux de compétences.
À l'évidence, les procédures
d'établissement de règles pour le développement durable
territorial supposent une culture de dialogue et des procédures de
coordination socialement construites et contextualisées. Ainsi, le
développement durable territorial peut être
considéré comme une action collective et comme une coordination
d'actions individuelles.
Les politiques publiques fortement marquées par une
incertitude croissante et une plus grande complexité requièrent
des formes de gouvernance adaptées. Aujourd'hui la recherche d'un
consensus techno politique n'est plus suffisante, il faut s'orienter vers des
formes de gouvernance participative incluant l'ensemble de la
société civile.
Cette gouvernance participative devrait permettre aux experts,
aux citoyens et aux responsables politiques de confronter leurs points de vue
afin d'aboutir à une solution acceptable tant du point de vue de
l'aménagement du territoire que du développement durable.
2.2. La place de l'évaluation dans cette nouvelle
gouvernance
On peut estimer que l'évaluation est à la fois
un outil d'aide à la décision afin de nourrir la réflexion
et l'action et un examen critique d'une action publique donnée en vue
d'en apprécier les modalités et les résultats afin de
fournir des informations utiles aux décideurs dans la perspective de sa
reconduction ou de son amélioration.
Pendant longtemps l'évaluation n'a été
considérée que comme le complément plus ou moins
indispensable de l'action publique. Les nouvelles formes de gouvernance
repositionnent l'évaluation comme un élément fondateur des
politiques publiques facilitant la prise de décision et
renforçant sa lisibilité auprès de tous les acteurs
concernés.
D'une façon générale, on peut dire que
l'évaluation est devenue :
- un élément constitutif important d'une
programmation stratégique à visée prospective
- un vecteur important de l'efficacité de l'action
publique
- un gage de la transparence démocratique et une
condition nécessaire de la participation de tous les acteurs de la vie
publique.
L'évaluation participative et citoyenne pourrait
utilement compléter le dispositif de gouvernance territoriale
participative. Elle vise avant tout à parvenir à un accord au
sein de l'instance décisionnelle. Elle ne doit cependant pas être
réduite au simple pilotage du dispositif d'évaluation. Elle doit
s'inspirer d'une démarche participative comme le recommandent le
règlement fondant la réforme des fonds structurels de 1988 et la
DATAR pour qui "le partenariat qui est au coeur des programmes est aussi au
coeur de l'évaluation". Elle doit permettre l'expression de toutes les
opinions sans en négliger aucune.
Dans la perspective d'une gouvernance participative, cette
dernière caractéristique prend une importance toute
particulière car la participation des différents acteurs au
dispositif d'évaluation s'avère indispensable pour plusieurs
raisons : elle est garante de l'efficacité du dispositif en favorisant
une information ascendante et descendante plus complète, elle
évite de tomber dans les travers d'une évaluation technocratique
et elle facilite la cohésion sociale, elle aiguise
l'intérêt des populations pour les politiques publiques, elle
permet de corriger les grandes orientations au plus près des besoins de
la population et elle associe en amont les principaux acteurs aux grandes
décisions.
L'évaluation participative apparaît comme un
processus de résolution de problèmes associant l'ensemble des
parties concernées. Ne se limitant plus à la simple mesure des
impacts d'une politique publique, elle contribue au développement de la
démocratie.
Elle est à la fois pluraliste car permettant
l'expression de tous les points de vue et collective en favorisant la
formulation des jugements de tous les acteurs concernés. Elle permet de
conjuguer de façon interactive les avis des experts qui doivent
être capables d'intégrer dans leur raisonnement les
préoccupations de la population et les jugements de citoyens qui ne
soient pas en opposition avec les connaissances scientifiques du moment.
Elle évite de tomber dans une vision expertocrate,
instrumentaliste et bureaucratique de l'action publique. Elle n'oppose pas
forcément l'expert et le citoyen, au contraire elle devrait permettre un
meilleur équilibre entre les deux en favorisant la communication
interactive entre tous les protagonistes des politiques publiques. Il s'agit de
remettre en cause la dichotomie entre les experts dépositaires de la
légitimité scientifique et les citoyens garants du respect
démocratique.
Du point de vue des méthodes utilisées, elle
peut combiner les approches quantitatives et descriptives avec des
méthodes plus qualitatives. Il s'agit, comme le recommande la
Commission européenne, de prendre en compte l'ensemble
des effets intégrant ainsi la théorie d'action et la
théorie explicative.
Pour toutes ces raisons, l'évaluation couplée
avec la gouvernance participative peut permettre de revivifier les politiques
d'aménagement et de développement durable en
Conclusion
L'enjeu principal, pour les politiques d'aménagement et
de développement durable aujourd'hui, est de savoir s'il est possible de
trouver de nouvelles médiations articulant les impératifs
économiques, les contraintes environnementales et les aspirations de la
société civile. La réponse à cette question ne peut
appartenir seule aux décideurs et aux experts. La gouvernance
participative en y associant l'ensemble de la société civile peut
contribuer à la recherche d'un nouveau compromis social indispensable
à la résolution d'un tel problème.
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