L'intitulé générique
Dans les premiers exemplaires (rappelons-le toujours), rien
n'a été mentionné à propos de l'appartenance
générique de l'oeuvre. Ce silence à la fois de l'auteur et
de l'éditeur est sûrement significatif. Ils auraient voulu laisser
au lecteur le soin de juger : le texte, le talent de l'auteur et de ce fait
pouvoir lui choisir un classement selon les pertinences de chaque lecteur.
Cependant, l'éditeur s'est prononcé sur cette appartenance en
mentionnant Kiffe kiffe demain comme roman dans la
quatrième de couverture :
"Kiffe kiffe demain est d'abord une voix,
celle d'une enfant des quartiers. Un roman plein de sève et
d'humour."
Approche titrologique
Nous estimons que le titre est l'élément le plus
important de cet ensemble paratextuel, car c'est le premier signe que
l'oeil du lecteur embrasse avant tout autre chose. Autrement dit, le titre
intervient comme intermédiaire entre l'oeuvre et le lecteur.
C'est pour cela que nous lui avons réservé une place
importante dans cette approche.
1. Définition et fonctions des titres
L'étude des titres ou la
titrologie1 s'est imposée depuis un certain nombre
d'années comme un outil très important dans l'approche des
oeuvres littéraires. Un titre est d'abord "ce signe par lequel le
livre s'ouvre : la question romanesque se trouve dès lors posée,
l'horizon de lecture désigné, la réponse promise.
Dès le titre l'ignorance et l'exigence de son résorbement
simultanément s'imposent. L'activité de lecture, ce désir
de savoir ce qui se désigne dès l'abord comme manque à
savoir et possibilité de le connaître (donc avec
intérêt), est lancée."2
1 Léo H. Hoek, La marque du titre :
dispositifs sémiotiques d'une pratique textuelle, Paris, Mouton,
1981 .Cité par J-P Goldenstein, Entrées en
littérature, Paris, Hachette, 1990, p.68.
2 Grivel, Charles, Production de
l'intérêt romanesque, Paris-La Haye, Mouton, 1973, p. 173.
Occupant ainsi une place indéniable dans le
péritexte1, le titre joue un rôle très important
dans la relation du lecteur au texte. En effet, dans l'absence d'une
connaissance précise de l'auteur, c'est souvent en fonction du titre
qu'on choisira de lire ou non un roman.
L'auteure de Kiffe kiffe demain est
justement l'une de ces jeunes auteurs quasi- inconnus qui se sont
imposés dans le monde littéraire grâce à leurs
productions originales. En effet, Faiza Guène est un nom qui n'a vu le
jour qu'en 2004, date de publication de son premier roman. Cela dit, le titre
Kiffe kiffe demain était la seule chose qui
pouvait solliciter l'intérêt d'un lecteur. Nous tenterons de
découvrir ce que ce titre a d'aussi exceptionnel pour valoir une
renommée internationale à sa jeune auteure d'à peine
dix-neuf ans. L'impact de ce titre sur le lecteur serait-il dû au fait
qu'il soit surprenant? Fascinant? Choquant? Ou enchanteur?
"Le titre est souvent choisi en fonction d'une attente
supposée du public, pour les raisons de "marketing"(...) il se produit
un feed-back idéologique entre le titre et le public"2.
Ainsi, pour qu'un titre "accroche" il doit jouer auprès du lecteur le
rôle d'un séducteur et fonctionner de fait comme un texte
publicitaire. Claude Duchet définit le titre ainsi :
Le titre est " un message codé en situation de
marché : il résulte de la rencontre d'un énoncé
romanesque et d'un énoncé publicitaire ; en lui se croisent
nécessairement littérarité et socialité : il parle
de l'oeuvre en termes de discours social mais le discours social en terme de
roman.3 »
1 Genette distingue deux sortes de paratextes : le
paratexte situé à l'intérieur du texte (titre,
préface, titres de chapitre, table de matière) auquel il donne le
nom de péritexte, et le paratexte situé à
l'extérieur du livre (entretiens, correspondance, journaux intimes)
qu'il nomme épitexte. cette notion de « péritexte
» est introduite par Gérard Genette dans Palimpsestes,
Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique »,
1982, puis développée dans Seuils, Paris,
Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1987, p. 8-9.
2 Mitterand, Henri, Les titres des romans de Guy
des Cars, in Duchet, C., Sociocritique, Nathan, 1979, p92.
3 Duchet, Claude, «Eléments de
titrologie romanesque», in LITTERATURE n° 12,
décembre1973.
Nous expliciterons les différents aspects par lesquels
le titre de notre jeune auteure rend compte de cette rencontre de
littérarité1 et socialité.
Se souciant de répondre aux besoins du
"marché littéraire" le titre est travaillé de
plus en plus par l'auteur et l'éditeur. Tout comme un texte publicitaire
le titre a pour rôle de mettre en valeur l'ouvrage et de séduire
un public et dans cette perspective il est évident qu'il peut
réunir ces fonctions : la fonction référentielle (il
doit Informer), la fonction conative (il doit impliquer) et la
fonction poétique (il doit susciter l'intérêt ou
l'admiration). "Toutefois le rôle du titre d'une oeuvre
littéraire ne peut se limiter aux qualités demandées
à une publicité car il est "amorce et partie d'un objet
esthétique. "2Ainsi, il est une équation
équilibrée entre «les lois du marché et le
vouloir-dire de l'écrivain2».
Le titre est également considéré comme
emballage et "incipit romanesque"3. Emballage
car « il promet savoir et plaisir » constituant ainsi un "acte
de parole performatif", incipit romanesque en tant que premier
élément introduisant le texte.
En outre, le titre peut assumer deux fonctions principales :
"mnésique" quand il sollicite le savoir antérieur (le
déjà familier) du lecteur ; de "rupture" quand il
s'affiche comme nouveau et original. Pendant que dans le premier cas, le titre
cherche à atteindre un public précis ou, comme l'écrit C.
Duchet «sélectionne son public», dans le
deuxième, le but est plutôt de se faire de nouveaux
admirateurs.
Nous tenterons à travers une lecture analytique de
démontrer le fonctionnement du titre dans l'oeuvre de Faiza
Guène.
1 Roman Jakobson d'finit la littérarité ainsi :
« L'objet de la science de la littérature n'est pas la
littérature mais la `littérarité', c'est-à-dire ce
qui fait d'une oeuvre donnée une oeuvre littéraire » (in :
Questions de poétique.- Paris : Seuil, 1974, pp. 11-24 ; p. 15, Trad .
Tzvetan Todorov ; éd. orig. Prague, 1921).
2 Achour Christiane, Bekkat Amina , Clefs pour la
lecture des récits, CONVERGENCES CRITIQUES II, éditions du
Tell, Alger, 2002, p.7 1
3 Léo H. Hoek, La marque du titre :
dispositifs sémiotiques d'une pratique textuelle, op. cit.
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