HAUTE ECOLE GALILEE
INSTITUT DES HAUTES ETUDES DES COMMUNICATIONS
SOCIALES
La presse quotidienne nationale européenne
peut-elle tirer profit du Web 2.0 ?
Stratégies en ligne de la presse quotidienne nationale
européenne depuis l'éclatement de la bulle Internet.
Travail présenté dans le cadre du Mémoire
de fin d'études pour l'obtention du Diplôme d'Etudes
Supérieures Spécialisées en Journalisme
Européen.
MARC LEIBA
Bruxelles - Août 2007
Remerciements
Pour réaliser un mémoire il est certes
indispensable de se plonger dans la lecture de nombreuses sources
écrites. Cependant, pour prendre vie à son tour sur le papier, ce
travail a eu besoin de se nourrir de la collaboration de professionnels.
L'encadrement de l'IHECS, la Direction du développement des
médias, l'Association mondiale des journaux des auteurs qualifiés
ainsi que des professionnels du secteur.
Je tiens ici à remercier Stephen Bunard, promoteur de
mon travail de fin d'études, Pierre de Greef, coordonnateur du DESS
Journalisme Européen ainsi que Pierre de Villers, directeur de l'IHECS
Formation.
La Direction du développement des médias m'a
apporté un soutien indispensable dans le traitement de cette
problématique. Laure Kaltenbach, chef du bureau des évaluations
économiques de la société de l'information et Alexandre
Joux, chargé d'études, pour leur appréciation du sujet. Le
centre de documentation, dirigé par Marie-Catherine Vencatassin,
assistée de son équipe, pour son accueil, sa disponibilité
et son fonds documentaire.
L'Association mondiale des journaux, en la personne de Tatiana
Repkova, pour m'avoir fourni une documentation abondante autant qu'utile.
Merci également à Olivier Bomsel, Charles de
Laubier et Serge Guérin, auteurs d'ouvrages de références
dans les domaines de l'économie numérique et de la presse sur
Internet.
Enfin, merci aux professionnels qui m'ont reçu sur leur
lieu de travail. Bertrand Gié, responsable des nouveaux médias au
groupe Figaro et Nicolas Rauline, journaliste à Metro.fr.
Et merci à Elisabète Vidal, pour son
efficacité, son soutien et sa patience, cette fois encore.
Avant-propos
L'impact des nouvelles technologies de l'information et de la
communication (NTIC) sur le média presse est considérable alors
que l'histoire de la presse quotidienne sur Internet remonte seulement à
une dizaine d'années. Sans mésestimer les transformations en
cours et à venir auxquelles sont progressivement confrontés les
journalistes, la réflexion qui suit ne cible pas directement les
conséquences de la diffusion des technologies numériques sur la
production éditoriale. Dans la lignée du cours
d' « économie du journalisme européen »
tel qu'il est dispensé à l'IHECS, ce mémoire se veut une
interrogation sous l'angle économique de la présence en ligne des
quotidiens nationaux européens à l'heure du « Web
2.0 ». Les organisations, les stratégies et les modèles
économiques occupent l'essentiel de ce travail académique. Par
conséquent, il n'est nullement question de juger le bien fondé du
pouvoir grandissant de l'audience par rapport aux producteurs d'information,
mais plutôt de constater le phénomène et d'apprécier
le rôle que peut encore jouer la presse écrite dans ce nouveau
rapport de forces.
Si la problématique affiche une évidente
dimension européenne, le lecteur ne trouvera pas ici une revue
détaillée de l'état de la presse en ligne pays par pays.
Certes, le critère géographique est révélateur de
grandes aires culturelles et des rapports à la presse qui en
découlent (Scandinavie, Europe du Sud...) mais l'angle d'attaque choisie
se veut plutôt transversal et thématique. Par ailleurs, il a
été pris grand soin de diversifier les exemples dans l'ensemble
des pays européens mais il est vrai que les contacts ont
été essentiellement noués avec des acteurs
français. Les échanges de courriers électroniques avec des
rédactions Internet hors de France sont restés limités.
Introduction
« Il faut être lucide : la « tare
» originelle d'Internet est la gratuité. Ce qui laisse peu de
chances aux journaux de gagner de l'argent sur Internet par leurs
marchés traditionnels. » Voici ce qu'écrivait Jean
Miot, ancien directeur de l'Agence France Presse, dans un rapport de 1999 qui
s'intéressait aux effets des nouvelles technologies sur l'industrie de
la presse. Peut être nostalgique de l'époque du minitel où
les éditeurs empochaient les cinq huitièmes du prix des services,
il s'alarmait du problème majeur posé par Internet : la
gratuité. En Europe, les éditeurs de presse quotidienne nationale
(PQN) sur Internet ont un temps cru au financement sans limite des annonceurs.
Malheureusement, l'éclatement de la bulle a laissé exsangue la
majorité des rédactions Web des quotidiens du vieux continent.
Aujourd'hui, l'économie numérique connaît
de nouveau une période faste et les services en ligne se
développent sous la bannière du Web 2.0. L'autorité des
médias est battue en brèche et l'expertise citoyenne semble en
mesure de concurrencer le journalisme traditionnel. Piqués au vif, les
professionnels de l'information affirment augmenter la qualité de leur
production éditoriale. Mais les éditeurs européens
créent-ils suffisamment de valeur pour facturer aux cyberlecteurs des
articles en ligne ? Les sites Internet de PQN ont-ils
appréhendé le nouvel environnement concurrentiel dans lequel ils
évoluent et peuvent-ils dégager une nouvelle source de
profit ?
Nous rappellerons tout d'abord le cadre technologique et
concurrentiel qui s'est imposé sur le marché de la PQN en ligne
en l'espace d'une dizaine d'années. Puis nous tenterons de mieux cerner
le phénomène de la gratuité à l'oeuvre sur la toile
et ses implications économiques. Enfin, nous aborderons les pistes
explorées par certains éditeurs pour élaborer de nouveaux
modèles économiques en phase avec l'évolution d'Internet
et de l'audience.
Sigles et abréviations
AJAX : Asynchronous Javascript and XML
ARCEP : Autorité de régulations des
communications électroniques et des postes (en France)
FNAC : Fédération nationale d'achat des
cadres
GMID : Global Market Information Database
ICANN : Internet Corporation for Assigned Name and Numbers
INSEE : Institut national de la statistique et des études
économiques
MIT : Massachusetts Institute of Technology
NASDAQ : National Association of Securities Dealers
Automated Quotations
NTIC : Nouvelles technologies de l'information et de la
communication
OCDE : Organisation de Coopération et de
Développement économiques
PQN : Presse quotidienne nationale
PQR : Presse quotidienne régionale
TIA : Telecommunication Industry Association
UGC : User generated content (contenu
généré par les utilisateurs)
WAN : World association of newspapers (Association mondiale
des journaux)
1. Du modem 56 Kbits au Web 2.0
1.1. Une présence historique sur le net
Le temps médiatique progresse à notre
époque à une vitesse fulgurante si bien qu'il ne faut qu'une
poignée de secondes à une nouvelle pour faire le tour du monde.
Il est loin le temps où Paul Julius Reuter, fondateur de l'agence
Reuters, utilisait des pigeons voyageurs pour faire circuler des informations
entre Bruxelles et Berlin. Depuis l'avènement silencieux de
l'économie numérique, se remémorer la condition d'un
média ne serait-ce qu'un an plutôt revient à effectuer un
travail d'archéologue. Pour donner une image symbolique, soulignons que
les éditeurs de PQN se sont lancés dans l'aventure d'Internet
à une époque où Google, aujourd'hui incontournable sur la
toile, n'existait pas.
1.1.1. La genèse des sites de
presse
L'histoire de la presse quotidienne en ligne en Europe
s'écrit à partir du milieu des années 1990. Pour
caractériser un site Internet de presse, nous reprendrons la
définition de Danielle Attias : « une
agrégation de contenus numériques, textes, graphiques, audio ou
vidéo, produits par des agences de presse ou par des journalistes
professionnels, mis à jour régulièrement, mis en forme
selon une logique chronologique et de dossiers, diffusée sur Internet
via un nom de domaine et financé par la publicité, voire par des
contributions du consommateur final (achat d'archives à l'unité,
abonnement, etc.) » (ATTIAS, 2006). La Scandinavie,
région historiquement propice à la diffusion des innovations
technologiques, fait figure de pionnier ne matière de presse quotidienne
en ligne. Aussi, l'un des tous premiers sites est-il celui du quotidien
suédois Aftonbladet, ouvert dès août 1994. On
observe d'ailleurs au pays de Bergman que la hiérarchie Internet est
respectueuse de la concurrence que se livrent les versions papier. Le site
d'Aftonbladet, premier quotidien du pays est plus
visité que celui de son dauphin Dagens Nyheter. Idem pour la
Norvège, où la version en ligne de l'Aftenposten devance
celle du Verdens Gang qui est elle-même plus consultée
que celle de Dagbladet ; et pour le Danemark où le
quotidien le plus lu sur papier, le Jyllands Posten, devance
électroniquement les sites du Politiken et du Extra
Bladet. Toutefois, ce n'est pas toujours le cas. En Autriche, le
cinquième quotidien du pays, Der Standard, s'impose sur
Internet, tout comme le cinquième quotidien finlandais,
Iltalehti. Au Royaume-Uni, soulignons l'initiative du groupe News
Corporation qui débute son projet de site Internet pour The
Times et The Sunday Times en octobre 1995 et
créé un département des éditions Internet en
janvier 1996. En France, Libération se lance le premier en
1995, suivi la même année par Les Echos, Le Monde et
La Tribune. En Espagne, El Mundo est un pionnier de
l'aventure numérique, rejoint par ABC et La Vanguardia
puis en avril 1996 par El Pais. La voie numérique qui s'ouvre
alors aux éditeurs en est encore à ses balbutiements et les
premiers recensements significatifs des sites de presse quotidienne en Europe
surviennent en 1997.
Tableau 1 : Evolution des éditions en ligne de
quotidiens en Europe1(*)
Nombre d'éditions en ligne
|
1997
|
1998
|
1999
|
Allemagne
|
120
|
142
|
179
|
Royaume-Uni
|
n.d
|
n.d
|
82
|
Italie
|
17
|
28
|
62
|
Espagne
|
n.d
|
16
|
29
|
France
|
17
|
21
|
28
|
En octobre 1998,, le groupe New-yorkais Editor & Publisher
annonçait que la presse européenne en ligne comptait 514 sites.
Par comparaison, les magazines en avaient 627, les radios 248 et les
télévisions 197 (LAUBIER, 1998). La presse quotidienne n'a donc
pas trop hésité devant cette nouvelle voie numérique
même si les investissements ont beaucoup varié d'un éditeur
à l'autre.
1.1.2. Un modèle économique
impératif ?
Un modèle économique semble s'imposer partout en
Europe : la gratuité, quasi-totale pour l'accès aux contenus
des sites. Ce choix trahissait moins une volonté des éditeurs
qu'une contrainte dictée par le média Internet.
« Si la presse online avait été payante, elle se
serait retrouvée en porte à faux avec la Netiquette - ces
règles non écrites de « civilités »
nées au début de l'Internet en contrepartie d'un accès
sans bourse délier aux contenus du Web - et n'aurait pas fait long
feu. » (LAUBIER, 2003, 205). De plus, Bruno Patino, qui a
dirigé la filiale Internet du Monde avant de prendre la
vice-présidence du groupe éponyme, rappelle que
« la gratuité, sur le net, a des raisons autres que
purement culturelles. En microéconomie, dans une situation de
concurrence pure et parfaite, quand le coût marginal de service d'un
consommateur tend vers zéro, alors le prix de vente tend vers
zéro. C'est à l'application pure et simple de cet axiome de base
que nous avons assisté au cours des années
1995-2000. » (LAUBIER, 2003, 228). Rappelons ici que le
coût marginal est le coût supplémentaire induit par la
dernière unité produite. Cependant, gratuité de
l'accès ne signifie pas absence de revenus pour les éditeurs qui
tablent sur le développement de la publicité en ligne, quoiqu'
encore limitée à l'époque, et sur les ventes d'archives
à l'unité.
Il n'en n'existe pas moins aux Etats-Unis, un cas connu des
éditeurs du monde entier, où un journal parvient à
facturer l'intégralité des contenus qu'il propose en ligne :
le Wall Street Journal. Inauguré en 1996, WSJ.com opte
dès le départ pour un modèle payant. En 2006, le groupe
Dow Jones qui édite le site, annonce 811 000 abonnés
à 99 dollars l'abonnement annuel, pour plus de 3,5 millions de visiteurs
uniques par mois2(*).
Certes, nombreuses sont les connections payées par des entreprises pour
lesquelles une information économique de qualité est
indispensable. Le groupe Pearson, éditeur britannique du Financial
Times au Royaume-Uni et des Echos en France a imité avec
moins de succès cette stratégie. En 1997, le premier quotidien
économique français propose à ses lecteurs en ligne un
formule hybride : 60 % gratuit et 30 % payant. Cependant, les abonnements
n'ont pas été aussi nombreux qu'espérés.
Passage obligé plus que suicide économique, la
PQN européenne a acquis au cours de cette période une
crédibilité certaine, en plus de créer des effets
d'habitudes de lecture auprès d'un lectorat technophile. De plus,
Danielle Attias, auteur d'une thèse sur l'impact d'Internet sur
l'économie de la presse, explique que pour ce type de marché,
« fixer un tarif en dessous du coût marginal n'est pas
forcément lié à un comportement
prédateur » pour un éditeur qui chercherait
à « extraire du surplus [...] du côté des
annonceurs et de la commercialisation d'espace publicitaire »
(ATTIAS, 2007).
1.1.3. La fin des illusions :
l'éclatement de la bulle
Dans la seconde moitié des années 1990, l'heure
est à l'euphorie de la « nouvelle économie ».
L'expression est installée le 13 janvier 2000 par un discours du
président de la banque fédérale de réserve
américaine, Alan Grennspan. Il s'agit d'une poussée de
fièvre technologique et financière dont le symbole est le cours
du Nasdaq, indice boursier américain connu pour ses valeurs
technologiques. Créé le 8 février 1971, l'indice
clôturait l'année à 100,84 points. En juillet 1995, il
franchit la barre des 1 000 points et commence une folle ascension,
jusqu'à dépasser les 5 000 points lors de la séance
du 9 mars 2000. Après l'introduction en bourse de l'entreprise Netscape
le 9 août 1995, Jim Clark, son co-fondateur avait déclaré
« l'introduction en bourse n'est plus une source de financement
mais une course contre la montre et un évènement
marketing » (01net, 26/06/2007). Problème, les
valorisations boursières sont totalement déconnectées des
performances économiques de ces entreprises « .com »
qui accumulent au contraire des pertes colossales. Aussi, à la date du
20 décembre 2000, le Nasdaq accuse-t-il une baisse de 53,8 % par rapport
à son record du mois de mars. Le même jour, le titre Amazon.com,
numéro un mondial du commerce en ligne, affiche une cotation de 16,9
dollars, contre 102 dollars un an auparavant, soit une perte de 83 % de sa
valeur (Le Monde, 22 /12/200).
Cette constellation d'entreprises qui misait sur Internet et
sur une nouvelle révolution industrielle connaît des heures
sombres. Bernard Arnault avait par exemple investi 500 millions d'euros dans
Europ@web, holding à la fois incubateur de projets Internet et
société de capital risque, en pure perte. Ou Lycos Europe, qui
annonçait pour l'exercice 2000-2001 une perte d'un milliard d'euros.
Plus généralement, ce sont les sites Internet de médias
pour qui « l'éclatement de la bulle Internet, la
disparition de nombreuses « dot. com » - grandes consommatrices
d'espace publicitaire - et les mauvaises nouvelles charriées par la
conjoncture américaine ont eu des répercussions très
nettes sur les recettes » (Le Monde, 29/06/2001).
Tableau 2 : Evolution des recettes publicitaires, totales
et en ligne, dans le monde entre 1997 et 20013(*)
En millions de dollars courants
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
Evolution entre 2000 et 2001
|
Total des dépenses publicitaires
|
|
|
|
|
|
|
Monde
|
275 577
|
281 952
|
303 252
|
327 785
|
306 650
|
-6,4%
|
Europe de l'Ouest
|
70 053
|
75 231
|
78 101
|
76 214
|
70 644
|
-7,3%
|
Etats-Unis
|
112 038
|
120 743
|
134 335
|
150 389
|
141 636
|
-5,8%
|
Dépenses Internet
|
|
|
|
|
|
|
Monde
|
1 460
|
2 565
|
5 611
|
7 905
|
8 469
|
7,1%
|
Europe de l'Ouest
|
175
|
222
|
475
|
924
|
847
|
-8,3%
|
Etats-Unis
|
906
|
1 920
|
4 600
|
6 000
|
6 600
|
10,0%
|
Alors que les investissements publicitaires augmentent
régulièrement entre 1997 et 2000, le coup d'arrêt survient
à partir de l'année 2001, où les dépenses totales
reculent de 6,4 % dans le monde, de 7,3 % en Europe et de 5,8 % aux Etats-Unis.
Concernant les investissements sur Internet, l'Europe est
particulièrement touchée avec une réduction en valeur de
8,3 % entre 2000 et 2001. C'est une véritable
« débandade publicitaire » selon
l'expression de Laurent Maury, à l'époque directeur des
rédactions électroniques de Libération, à
laquelle doivent faire face les éditeurs de PQN. Et d'admettre que les
recettes publicitaires que liberation.fr engrangeait à l'époque
en 2001, atteignaient « à peine 40 % de leur niveau de
2000 » (01net, 25/06/2001). En 2000, le site Internet du
quotidien avait dégagé 8,2 millions de francs de recettes pour un
budget de fonctionnement de 22 millions, dont 13 pour la masse salariale.
L'année suivante, les recettes étaient estimées entre 3 et
4 millions de francs pour des dépenses inchangées.
Conséquences, réduction des effectifs et départ de Laurent
Maury (01net, 19/07/2001). Le Monde qui s'était lancé
depuis avril 2000 dans une logique de portail avec toutlemonde.fr fait machine
arrière pour se recentrer sur son coeur de métier, l'information.
Lefigaro.fr, ouvert en octobre 2000 pendant la tourmente, sera même
géré par un prestataire externe pour la mise en ligne des
articles de la version imprimée. Charles de Laubier résume la
situation d'une formule lapidaire « l'année 2001 sera
noire pour la presse sur Internet » (LAUBIER, 2003), si bien que
même le WSJ.com se séparera de quelques-uns de ses
collaborateurs.
1.2. Le Web 2.0 ou la revanche du net
Alors que la marée Internet se retire au début
des années 2000, laissant derrière elle les cadavres des petits
soldats de la nouvelle économie, le réseau des réseaux
s'apprête à entrer dans une nouvelle ère qu'on appelle
aujourd'hui Web 2.0, terme consacré mais dont les contours sont
âprement discutés sur la toile. Pour se développer, le Web
2.0 s'est appuyé sur le développement de l'Internet à haut
débit qui attire aujourd'hui des investissements colossaux de la part
des opérateurs de télécommunications.
1.2.1. L'explosion du haut
débit
En langage profane, le haut débit correspond à
des capacités d'accès à Internet rapides, en opposition
à celles délivrées par un « dial-up
modem » qui plafonnait à un débit de 56 kilobits par
seconde et qui empêchait toute autre utilisation simultanée de la
ligne téléphonique. S'il n'existe pas de définition
canonique du haut débit, retenons celle donnée par l'OCDE4(*) : « de
manière générale, le haut débit désigne un
ensemble de technologies de communication numérique permettant de
transmettre des volumes significatifs de données à des vitesses
élevées, et de distribuer un éventail de services
numériques, de façon simultanée pour certains ou la
totalité d'entre eux. »
Tableau 3 : Progression du haut débit en Europe
entre 2001 et 20065(*)
Abonnés à l'Internet haut
débit En milliers de personnes
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
Evolution sur la période
|
Belgique
|
459
|
815
|
1 243
|
1 617
|
1 903
|
2 121
|
362%
|
Finlande
|
134
|
274
|
491
|
800
|
1 174
|
1 438
|
971%
|
France
|
597
|
1 644
|
3 569
|
6 757
|
9 466
|
12 350
|
1 969%
|
Allemagne
|
2 100
|
3 205
|
4 470
|
6 922
|
10 707
|
14 234
|
578%
|
Italie
|
390
|
850
|
2 250
|
4 701
|
6 780
|
8 460
|
2 069%
|
Pays-Bas
|
466
|
1 170
|
1 988
|
3 206
|
4 114
|
5 316
|
1 040%
|
Royaume-Uni
|
375
|
1 822
|
3 823
|
7 131
|
9 864
|
12 560
|
3 249%
|
Comme le montrent les chiffres du tableau ci-dessus, l'Europe
est un acteur important de l'essor du haut débit. En cinq ans, la
Belgique a multiplié par plus de quatre le nombre de ses abonnés
haut débit, quand l'Italie, partie de loin, enregistre une progression
de plus de 2 000 % sur la période contre plus de 3 200 %
pour le Royaume-Uni.
La promesse d'un téléchargement puissant autant
que rapide, légal autant que hors la loi, attire en masse les
abonnés. Par conséquent, les fournisseurs d'accès Internet
ont fait du haut débit, puis du très haut débit un axe
stratégique de croissance. Une étude de la Telecommunication
Industry Association (TIA) a donné le chiffre de 81 milliards de dollars
de recettes issues de la fourniture d'accès Internet haut débit
dans le monde (Journal du net, 25/08/2006). En France, deux exemples illustrent
cette course aux investissements. Tout d'abord, la filiale
télécoms de l'industriel Vincent Bolloré qui a
remporté, en juillet 2006, douze des 49 licences régionales de
Wimax attribuées par l'Autorité de régulations des
télécoms (Arcep). Le Wimax étant une technologie qui
transporte l'Internet haut débit par onde hertzienne dans un rayon de 20
kilomètres. L'homme d'affaire dont le groupe opérait
originellement dans l'industrie du papier, annonce un investissement à
venir de 200 millions d'euros dans la couverture du territoire français
en Wimax (La Tribune, 10/07/2006). Second exemple, l'opérateur Free du
groupe Iliad, qui annonce le 11 septembre 2006 un investissement d'un milliard
d'euros dans le déploiement de la fibre optique d'ici 2012 (Journal du
net, 11/09/2006). La fibre optique étant un support de transmission
permettant un débit théorique en émission et en
téléchargement de 100 mégabits par seconde. Pour les
fournisseurs d'accès Internet, l'enjeu est clair : suivre la
surenchère des débits ou disparaître.
1.2.2. La philosophie 2.0
Le Web 2.0 marque l'entrée dans une nouvelle ère
de l'Internet. Un moment de l'histoire de la toile, moins dû à un
saut technologique, qu'à une évolution philosophique, voire
« rete-logique ». Ce néologisme, rete
signifiant « réseau » en latin, se calquerait sur
le modèle de l'anthropologie, une discipline qui étudierait les
réseaux sous leurs aspects sociaux, psychologiques, culturels et
techniques. L'expression Web 2.0 est quant à elle employée pour
la première fois en août 2004 par Dale Dougherty de la
société O'Reilly Media, lors d'une séance de
brainstorming. Depuis, Tom O'Reilly a publié un article intitulé
« What is Web 2.0 ? » (Qu'est ce que le Web
2.0 ?), dans lequel il précise sa définition du nouveau
concept en sept points (O'Reilly, 2005) :
· Le Web est une plate-forme de services et non plus une
collection de sites
· Les internautes sont invités à
améliorer les applications que les éditeurs mettent en ligne
· Agréger l'intelligence collective : plus
les utilisateurs sont nombreux, plus grande est l'utilité du
réseau
· L'importance des données : les applications
Web s'appuient sur une base de données spécialisée
· Adopter la logique de « logiciel
service » en opposition à « logiciel
produit » et proposer le plus souvent possible des mises à
jour
· Proposer des interfaces souples et
légères reposant sur les nouveaux standards du Web
· Le logiciel gagne en nomadisme, il ne se limite plus au
PC et débarque sur les téléphones portables, assistants
personnels ou encore sur les baladeurs numériques
C'est donc bien dans l'esprit plutôt que dans la
technique que réside la nouveauté. Toutefois, nous avons
déjà indiqué que le haut débit a constitué
une condition nécessaire à l'avènement de l'Internet
seconde génération. Soulignons également le rôle des
technologies Ajax, autorisant une plus grande fluidité dans l'affichage
des pages Web. Si le Web 1.0 reposait sur une relation unilatérale entre
l'éditeur et la personne qui, derrière son écran cherche
de l'information, le Web 2.0 se caractérise par « un
Internet ouvert, collaboratif, interactif. Une plate-forme d'échanges,
mettant en réseau des communautés réunies par des centres
d'intérêt communs. » (SCHWARTZ et ACHACHE, 2005).
En définitive, le Web 2.0 sanctionne l'aboutissement de l'utopie en
marche depuis la création d'Internet : les internautes ont pris le
pouvoir, le réseau est fait par eux et pour eux. Internet
« n'est plus utilisé comme un média
(c'est-à-dire permettant un accès statique à un ensemble
de pages définies) mais comme une véritable plate-forme
d'échanges et d'interactivité » (SCHWARTZ et
ACHACHE, 2005). C'est le triomphe du « User generated
content » ou « contenu généré par les
utilisateurs ». L'audience ne se contente plus de recevoir
passivement l'information mais interagit avec celui qui la produit, voire
produit elle-même les contenus.
Voyons à présent, sans ordre particulier cinq
« grandes familles du Web 2.0 » (CB News, 18/12/2006). Les
blogs, phénomène à présent bien
connu, contraction de Web et de log. Ils consistent en un journal
électronique édité par une personne, une association ou
une entreprise, rédigé sous forme de billets suivant un
classement chronologique. Technorati, un moteur de recherche
spécialisé dans les blogs en recensait plus de 63 millions dans
le monde en décembre 2006 (Journal du net, 10/01/2007). Les
sites collaboratifs, sont eux des sites qui peuvent être
librement étoffés, corrigés et mis à jour par les
internautes qui les visitent. Le cas le plus célèbre et largement
controversé est celui de l'encyclopédie en ligne gratuite
Wikipédia6(*).
Celle-ci fonctionne selon le principe du wiki dont elle donne la
définition suivante : « système de gestion de
contenus de site Web qui rend les pages Web librement modifiables par tous les
visiteurs autorisés ». Les réseaux
sociaux sont des sites Web qui mettent en relation des utilisateurs en
établissant des arborescences de profils. Ils peuvent être
professionnels comme Viadeo7(*), amicaux comme StudiQG8(*), voire les deux en même temps comme ceux qui
regroupent les individus par affinités mais qui présentent
également un intérêt professionnel tels Myspace ou
Facebook9(*). On retrouve
ici les effets de réseaux décrits par les
économistes : plus nombreux sont les utilisateurs et plus grande
est l'utilité individuelle et sociale. Le
référencement social qui correspond à une
classification des contenus disponibles sur Internet via un système de
notes distribuées par les internautes. Le dernier exemple en date est le
français Wikio10(*), un moteur de recherche d'actualités qui
scanne les sources médias habituelles ainsi que les blogs, et fait
ressortir les éléments en fonction du jugement des internautes.
L'idée a été reprise aux Etats-Unis, en Allemagne, en
Italie et en Espagne. Enfin, les plates-formes de partage de photos et
de vidéos. Pour les premières, Flickr11(*) permet de stocker et
d'échanger des photos en ligne. Pour les secondes, le français
(précurseur) Dailymotion et le numéro un YouTube12(*), hébergent les contenus
envoyés par un internaute pour les mettre à disposition de tous
les autres, sans se soucier si le contenu est protégé par un
droit d'auteur.
On le voit, le Web 2.0 permet et organise une nouvelle
utilisation d'Internet, dans une démarche de sociabilité et de
confiance, où l'information est le produit de tous et est
contrôlée par tous. Comme le dit Jeff Bezos, le fondateur de la
librairie en ligne Amazon, l'objectif du Web 2.0 est de « rendre
Internet utile ». Tout un symbole, la personnalité de
l'année 2006 élue par Time Magazine n'est autre
que...VOUS ! « Et parce que vous prenez le contrôle
des médias globaux, parce que vous fondez et modelez la nouvelle
démocratie numérique, parce que vous travaillez sans contrepartie
financière et parce que vous battez les professionnels sur leur propre
terrain, la personnalité 2006 élue par le Time c'est
vous. » (Time Magazine, 13/12/2006).
1.3. Une crise du papier dans toute l'Europe
Même en ligne, les éditeurs de presse n'en
demeurent pas moins des industriels du papier. Il leur est donc difficile de
planifier des investissements stratégiques sur la toile si leur
activité traditionnelle est lourdement déficitaire. Or, on
observe à l'échelle de l'Europe et globalement par pays, un
déclin certain de la diffusion payée des quotidiens, alors que la
presse quotidienne est en concurrence depuis longtemps avec d'autres
médias de masse.
1.3.1. Une industrie papier
déclinante
Quelle est la réalité de l'état de la PQN
européenne ? Pour l'apprécier, nous étudierons
plusieurs séries de chiffres, directement issues de l'Association
mondiale des journaux ou relayées par elle. On pourra toujours examiner
des titres qui ne se fondent pas dans cette tendance au déclin de
l'industrie et on aura raison de souligner le dynamisme de certaines formules
éditoriales en phase avec leur lectorat. Pour autant, ces exemples
particuliers ne peuvent gommer la situation d'ensemble observée sur une
période récente et significative. Penchons-nous tout d'abord sur
la diffusion de la PQN européenne.
Tableau 4 : Evolution de la diffusion payée totale
des quotidiens en Europe sur la période 1995-200213(*)
En milliers d'exemplaires
|
1995
|
1998
|
2000
|
2002
|
Evolution sur la période
|
Europe de l'Ouest
|
95 513
|
92 150
|
91 116
|
89 850
|
-5,9%
|
Belgique
|
1 936
|
1 888
|
1 864
|
1 651
|
-14,7%
|
France
|
8 770
|
8 799
|
8 423
|
8 151
|
-7,1%
|
Italie
|
5 977
|
5 914
|
6 273
|
7 906
|
32,3%
|
Allemagne
|
25 557
|
25 016
|
23 946
|
23 267
|
-9,0%
|
Pays-Bas
|
6 197
|
5 619
|
5 354
|
5 046
|
-18,6%
|
Royaume-Uni
|
19 742
|
18 921
|
19 159
|
19186
|
-2,8%
|
Europe de l'Est
|
19 148
|
16 706
|
17 547
|
17 428
|
-9,0%
|
Hongrie
|
1 980
|
1 700
|
1 624
|
1 917
|
-3,2%
|
République Tchèque
|
2 542
|
1 802
|
1 704
|
1 690
|
-33,5%
|
Pologne
|
n.d
|
3 011
|
2 820
|
3 827
|
27,1%
|
Ainsi pourra-t-on observer qu'entre 1995 et 2002, la diffusion
payée des quotidiens italiens progresse de près d'un tiers quand
celle des quotidiens polonais grimpe de 27 %. Mais force est d'admettre qu'en
Europe de l'Ouest comme en Europe de l'Est, les résultats indiquent
globalement un déclin de la diffusion payée de respectivement 5,9
et 9 %.
Tableau 5 : Evolution de la diffusion moyenne par titre
en Europe sur la période 2002-200614(*)
En milliers d'exemplaires
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
Evolution 2006-02
|
Evolution 2006-05
|
Europe
|
57,3
|
56,2
|
53,4
|
52,5
|
52,8
|
-7,85%
|
0,57%
|
Ces chiffes ne font que confirmer la tendance du déclin
même si la courbe ralentit progressivement, voire tremble
légèrement. La presse quotidienne européenne voit sa
diffusion moyenne par titre chuter de 7,85 % en l'espace de quatre ans,
même si elle enregistre un soubresaut entre 2005 et 2006.
A présent, penchons-nous sur des exemples relatifs aux
chiffres d'affaires des éditeurs de PQN à l'échelle de
pays, puis nous comparerons l'évolution des parts de marché
publicitaire entre les journaux et Internet.
Tableau 6 : Chiffre d'affaires de la PQN en 2000 et 2004
: France, Allemagne, Royaume-Uni15(*)
Chiffre d'affaires PQN
|
2000
|
2004
|
Variation sur la période
|
Allemagne (en milliards d'euros)
|
8,2
|
7,1
|
-13,4%
|
Royaume-Uni (en milliards de livres sterling)
|
2,1
|
2,1
|
0,0%
|
France (en millions d'euros)
|
1145
|
899
|
-21,5%
|
En quatre ans, le chiffre d'affaires de la PQN
française diminue de plus de 20 %. En Allemagne et au Royaume-Uni, si
les chiffres d'affaires y sont sensiblement plus importants qu'en France, celui
de l'Allemagne chute tout de même de 13 % entre 2000 et 2004, tandis que
celui du Royaume-Uni stagne. Le déclin de l'industrie touche donc
également les éditeurs au portefeuille.
De plus, alors que la part de marché des
investissements publicitaires en PQN diminue globalement en Europe, celle
d'Internet connaît des taux de croissance exponentiels.
Tableau 7 : Parts de marché publicitaire des journaux
et Internet en 2002 et 2006 en Europe16(*)
PDM publicitaire en %
|
2002
|
2006
|
Variation journaux
|
Variation Internet
|
Journaux
|
Internet
|
Journaux
|
Internet
|
Allemagne
|
41,7
|
1,4
|
40,3
|
2,6
|
-3%
|
86%
|
Autriche
|
36,7
|
0
|
39,1
|
1,4
|
7%
|
-
|
Belgique
|
19,9
|
0,6
|
25,9
|
3,1
|
30%
|
417%
|
Danemark
|
44,7
|
3,9
|
36,3
|
5,9
|
-19%
|
51%
|
Espagne
|
28,2
|
1,3
|
24,6
|
2,2
|
-13%
|
69%
|
France
|
16,6
|
1
|
15
|
3,1
|
-10%
|
210%
|
Hongrie
|
12,4
|
0
|
10,2
|
1,8
|
-18%
|
-
|
Italie
|
21,1
|
1,3
|
19
|
2
|
-10%
|
54%
|
Pays-Bas
|
43,5
|
0,9
|
39
|
3,4
|
-10%
|
278%
|
Portugal
|
8,6
|
0,6
|
7,8
|
0,9
|
-9%
|
50%
|
République Tchèque
|
20
|
0,7
|
19,1
|
2,3
|
-4%
|
229%
|
Roumanie
|
15,9
|
0
|
9,2
|
1,4
|
-42%
|
-
|
Royaume-Uni
|
39,8
|
1,7
|
33,5
|
13,5
|
-16%
|
694%
|
Slovaquie
|
8,5
|
0
|
6,3
|
0,6
|
-26%
|
-
|
Suisse
|
48,6
|
0,5
|
35,5
|
1,4
|
-27%
|
180%
|
En seulement quatre ans, les annonceurs ont investi le
média Internet qu'ils intègrent désormais presque
systématiquement dans leurs plans de communication. Ceci, donc au
détriment de la presse quotidienne, le recul s'échelonnant de
quelques points pour l'Allemagne à 42 % pour la Roumanie.
1.3.2. Epoque oblige
Ce n'est pas nouveau, la presse écrite a perdu le
monopole de l'information. Un professionnel de la presse posera même
cette question douloureuse « à quand remonte la dernière
fois où vous avez appris un événement important en lisant
la presse ? » (TESSIER, 2007). La T.S.F de Marconi puis l'invention
de la petite lucarne avaient déjà sérieusement
concurrencé la PQN dans la fonction informative. Ces deux médias
sont capables de rassembler simultanément plusieurs millions d'auditeurs
ou de téléspectateurs quand seuls trois quotidiens en Europe se
vendent à plus d'un million d'exemplaires par jour dont deux dans le
même pays (Bild, The Sun, Daily Mirror). L'explosion d'Internet
a enfoncé encore plus la presse écrite mais elle a aussi
empiété sur l'audience de la radio et la
télévision. En effet, ce nouveau moyen de communication s'est
approprié les spécificités de chacun de ces
ancêtres : le texte des journaux, le son des radios et l'image des
chaînes de télévision. Internet donne à
présent le ton dans le monde des médias, à tel point qu'au
début des années 1990, Nicholas Negroponte, le fondateur du
laboratoire des Médias au MIT, prédisait :
« la technologie suggère qu'à la possible exception
du sport et des soirées d'élections, la télévision
et la radio du futur seront acheminés de façon
asynchrone. » (FOGEL et PATINO, 2005, 27).
Internet est un média incontournable de la vie
quotidienne des Européens. Et si la télévision et la radio
ne peuvent plus toucher de publics supplémentaires, ce n'est pas le cas
du Web qui augmente son taux de pénétration à mesure que
les ménages s'équipent en ordinateurs et souscrivent à des
accès au réseau. Le graphique ci-dessous montre que la toile est
très présente dans les pays économiquement en pointe
d'Europe occidentale, avec un record pour les Pays-Bas dont le taux de
pénétration atteint 79 %. L'Internet haut débit,
représenté sur le graphique par la colonne inférieure,
dépasse dans l'ensemble l'Internet bas débit. De plus, en France,
en Belgique, en Estonie, aux Pays-Bas et en Finlande, plus de 80 % des
ménages équipés disposent d'une connexion à haut
débit.
Figure 1: Taux de pénétration d'Internet
par pays européen à fin 200617(*)
Enfin, dernier phénomène que nous soulignerons,
l'intensification de l'utilisation d'Internet. Une étude du cabinet
comScore publiée en juin 2007 révélait que l'internaute
moyen européen se connectait par mois 16,5 jours pour une durée
de connexion de 24 heures. L'Autriche (12 jours), l'Italie (12.9), l'Irlande
(13), le Portugal (13.4), la Norvège (14.7), le Danemark (14.7), la
Suisse (15.1), la Belgique (15.5) et la Finlande (16.4) se connectent moins
fréquemment que la moyenne européenne tandis que les britanniques
arrivent en tête du classement avec en moyenne une fréquence de 21
jours et une durée de connexion de 34,4 heures. Des pratiques
irréversibles sont adoptées par les européens en
matière d'usage d'Internet et on peut s'attendre encore à une
forte progression de la fréquence et du temps de connexion. Par
contrecoup, le temps et les ressources alloués aux autres médias
en seront nécessairement affectés. C'est la structure même
des dépenses culturelles des ménages qui est en train de se
modifier au profit des loisirs numériques, ce que montre les
données de l'INSEE ci-dessous. Dans le cas français, on
s'aperçoit qu'entre 1990 et 2005, la part de ce budget consacrée
aux supports physiques (disques, cassettes, pellicules photo) chute de 18 % et
celle de l'imprimé (presse, livre) et de la papeterie plonge de 30 %. A
contrario, l'informatique (hardware et software) progresse de 286 %.
Tableau 8 : Evolution des postes budgétaires dans
les dépenses culturelles et de loisirs, en France, entre 1990 et
200518(*)
En % des dépenses culturelles et de loisirs
|
1990
|
1995
|
2000
|
2005
|
Variation sur la période
|
TV, Hi-Fi, Vidéo, Photo
|
14,7
|
11,4
|
10,8
|
10,6
|
-28%
|
Informatique (y compris logiciels, CD Rom)
|
1,9
|
4,3
|
7,7
|
7,3
|
286,7%
|
Disques, Cassettes, Pellicules photo
|
5,9
|
6,2
|
5,5
|
4,8
|
-18,4%
|
Autres biens culturels et de loisirs
|
3,9
|
3,1
|
3,4
|
3,6
|
-8%
|
Jeux, Jouets, Articles de sport
|
8,8
|
8,7
|
8,5
|
9
|
2,4%
|
Jardinage, animaux de compagnie
|
14,2
|
13,1
|
11,9
|
12,3
|
-13,3%
|
Spectacles, cinéma, voyages
|
14,1
|
15,1
|
16,4
|
18,1
|
28,6%
|
Jeux de hasard
|
6,7
|
8,0
|
8,6
|
9,8
|
45,9%
|
Services culturels (y compris redevance TV)
|
9,6
|
10,9
|
11,6
|
10,5
|
9,1%
|
Presse, livres et papeterie
|
20,2
|
19,3
|
15,8
|
14
|
-30,6%
|
Total
|
100
|
100
|
100
|
100
|
|
Internet est donc appelé à jouer un rôle
de plus en plus important dans nos vies en tant que source d'information, outil
de communication, vecteur de loisirs, canal de vente, instrument de travail,
tout ça mélangé et bien d'autres potentialités
à venir. Dès lors, la problématique qui se pose aux
éditeurs de presse, tout comme aux producteurs professionnels d'oeuvres
artistiques (films, musiques, ouvrages), c'est l'idéologie redoutable
charriée par le réseau des réseaux : la
gratuité.
Après avoir rappelé dans cette partie le cadre
économique et technologique dans lequel évoluent actuellement les
éditeurs de presse, nous allons aborder le défi qui se pose de
manière aigue à la presse, média historiquement payant, le
problème de la gratuité.
2. « La tare
originelle »
2.1. D'où vient la gratuité ?
Comment est-il possible, dans une économie
mondialisée, où la logique marchande s'est immiscée
partout, jusque dans la culture et les questions de santé publique, de
voir un réseau comme Internet se développer sous la
bannière du gratuit ? Si les raisons idéologiques sont
réelles, elles sont rattrapées par des réflexions
économiques.
2.1.1. Une idéologie
consubstantielle au développement du réseau
Bien qu'issu originellement d'un programme de l'armée
américaine, qui se demandait dans les années 1960 comment
décentraliser l'information en cas d'attaque soviétique, la toile
a été très vite investie par le grand public. Le
perfectionnement du système hypertexte puis l'invention du World Wide
Web (la toile d'araignée mondiale) conjuguée à la mise au
point du navigateur Internet Mosaic a conduit à la diffusion massive de
cette technologie dans les années 1990. Les pionniers du réseau
voyaient dans cette nouvelle technologie un chemin vers la culture et la
connaissance universelles, réalisant - là ou la
télévision avait échoué- la prophétie de
McLuhan du fameux « village global ». « Mais
ce lieu global est différent de celui qu'aurait pu engendrer la
télévision. Tous ses habitants ne sont pas soumis au même
message en même temps. Leur communication n'est pas
synchrone. » (FOGEL et PATINO, 2005, 198).
Dans un essai à charge contre la culture de la
gratuité, Denis Olivennes, le patron de la FNAC, revient sur les
conditions historiques entourant l'origine du réseau. « A
sa naissance, Internet se caractérise non seulement par sa prodigieuse
nouveauté technique mais aussi par son idéologie d'escorte
où le marché figure l'ennemi et l'échange, l'instrument
d'une libération » (OLIVENNES, 2007, p.87). Il
rappelle ainsi que dès les premiers déplacements d'octets sur
Internet, des esprits bienveillants se sont penchés sur le réseau
avec des ambitions généreuses voire utopiques. Et de citer
Régis Soubrouillard19(*) : « Internet n'a pas seulement la
puissance d'une technique, il possède également la force de
l'utopie technicienne optimiste dont il est issu : la culture Internet,
qui s'enracine dans un refus de l'opacité et du secret, qui enveloppe
toute institution tenue d'emblée pour aliénante, et dans un
désir, celui de la transparence absolue par la communication
universelle. Ces idéaux (...) ont rencontré d'autres exigences
plus anciennes et authentiquement démocratiques : celle de
l'accès pour tous au savoir et à la culture, institué
comme droit et réalisé dans l'instruction
gratuite. »
Internet donne ainsi une nouvelle résonance à la
contre-culture, ce mouvement libertaire qui trouve ses racines dans les
années 1960 : de l'Amérique hostile à la guerre du
Viêt-Nam et à l'American Way of life, jusqu'aux révoltes de
l'année 1968 à Prague, Rome et Paris. La toile devient le
promoteur de cet esprit. C'est également le sens des logiciels libres,
développés à partir des années 1980 tels les
système d'exploitation GNU lancé par l'américain Richard
Stallman en 1983, puis Linux du finlandais Linus Torvalds en 1991. De nos
jours, ces logiciels et leur filiation font figure de résistance face
aux géants honnis de l'Internet comme Microsoft et, de plus en plus,
Google dont la devise est pourtant « Don't be evil » (ne
fais pas le mal). Autre combat tout aussi gigantesque mené par les
internautes libertaires, celui de la gouvernance d'Internet. « Le
pouvoir de contrôle de ses (Internet) infrastructures critiques reste, en
réalité, entre les mains d'un acteur unique » et
cet acteur c'est l'ICANN (BENHAMOU et SORBIER, 2006). Inféodé au
Département du commerce des Etats-Unis, cette société de
droit privée créée en 1998, pourrait en théorie
« « effacer » de la carte de l'Internet les ressources
de pays entiers » (BENHAMOU et SORBIER, 2006). Aussi
des voix s'élèvent-elles pour réclamer une
multilatéralisation du contrôle du réseau. Enfin, nous
avons déjà parlé de l'encyclopédie en ligne et
gratuite Wikipédia, dont le projet de diffusion de la connaissance
universelle repose sur le travail bénévole de centaines de
milliers d'internautes à travers la planète.
2.1.2.
Justifications théoriques et empiriques
Des raisonnements, cette fois économiques, tentent
d'appréhender la gratuité à l'oeuvre sur le réseau.
Tout d'abord, nous l'avons déjà dit, comme sur Internet le
coût de reproduction d'une information est quasi-nul, alors
« les théories néoclassiques qui préconisent
une tarification au coût marginal se prononceraient donc logiquement pour
la gratuité de l'offre de presse sur Internet vis-à-vis du
consommateur final » (ATTIAS, 2006). Mais ce n'est pas
tout, des économistes contemporains du développement de
l'économie numérique ont également pu analyser le
phénomène. Ainsi en 2001, Daniel Cohen publiait-il une tribune
dans le quotidien Le Monde, intitulée « la
propriété intellectuelle, c'est le vol » (Le Monde,
08/04/2001). S'il reconnaît que l'achat d'un bien entraîne
automatiquement une propriété exclusive d'une personne sur la
chose acquise, il explique que le même raisonnement n'est pas applicable
pour la propriété intellectuelle. « Lorsque une
idée a été trouvée, rien ne fait obstacle à
son usage par tous, sinon la propriété elle-même. Alors que
la propriété tout court rend possible l'appropriation d'un objet,
le droit de propriété intellectuelle la restreint. »
Et d'ajouter « un film comme une chanson ou une formule
chimique, ne demande qu'à circuler librement une fois qu'il a
été fabriqué ». Pour justifier la
gratuité, Daniel Cohen invoque dans ce texte deux arguments.
Premièrement, le fait que le nombre d'utilisateurs d'une idée,
film ou chanson n'empêche pas la consommation ultérieure par
d'autres utilisateurs de la même « chose ». A
contrario, un bien classique est détruit ou s'use du fait de sa
consommation ou de son utilisation. Deuxièmement, la libre circulation
d'un film ou d'une chanson allonge son utilisation ce qui diversifie et
augmente les revenus qui en sont issus. Daniel Cohen parle d'un
« nouvel équilibre économique, plus proche de sa (le
produit) nature originelle ».
De son côté, Olivier Bomsel étudie le
phénomène de gratuité à l'oeuvre dans le
déploiement de l'économie numérique. Ainsi écrit-il
que « le numérique est un Cheval de Troie. Il
pénètre et se diffuse d'abord comme un bienfait. Puis
déploie rapidement ses effets de réseau. »
(BOMSEL, 2007, 11). Il rappelle qu'un effet de réseau se produit lorsque
sur un marché, l'utilité d'un consommateur s'améliore avec
la consommation du bien ou du service par d'autres consommateurs.
Théoriquement, le quotidien payant qui accueille de la publicité
dans ses colonnes est sur un marché à « deux
versants » qui produit des effets de réseau. Plus il compte de
lecteurs, plus il attire des annonceurs et plus il attire des annonceurs, plus
il peut diminuer le prix d'un exemplaire et attirer de nouveaux lecteurs. On
objectera que ce cercle vertueux ne prend pas en compte la tolérance du
lecteur face à la publicité ni la réaction d'un non
lecteur face à la variation du prix de vente d'un titre. Sur Internet,
comme il est difficile de facturer l'information généraliste au
lecteur, « les firmes peuvent mettre en oeuvre des
stratégies dites de « marché à deux versants »
où l'accès au client gratuit ou largement subventionné est
revendu à d'autres clients, payants », en l'occurrence
les annonceurs (BOMSEL, 2007, 89). La presse en ligne s'inspirerait
donc du modèle économique des chaînes de
télévision hertziennes et des stations de radio, à savoir
que pour en bénéficier, il faut s'équiper d'un poste voire
s'acquitter d'une redevance, mais non payer en fonction de sa consommation.
Enfin, notons le constat d'impuissance économique
dressé par Denis Olivennes. Il déplore « le culte
de la gratuité » qui
« démonétise les oeuvres et (...) dévalorise
ceux qui les créent et les produisent » (OLIVENNES, 2007,
p.11). Il se désole de ce qu'une même oeuvre artistique,
même format, même qualité, puisse être disponible sur
des plates-formes de téléchargement légales et payantes,
mais aussi illégalement en libre accès via des réseaux
d'échanges de fichiers de pair à pair, organisés par
exemple par Kazaa ou eMule.
2.2. Un phénomène
générationnel
Quelque soit l'impact des théories économiques,
le monde est aujourd'hui séparé entre les « digital
immigrants » et les « digital natives ». C'est ce
qu'a expliqué en substance Rupert Murdoch, l'homme qui dirige le groupe
de médias News Corporation, en 2005 lors d'une soirée de
l'American Society of Newspaper Editors. Il y a ceux qui ont connu
l'époque de l'encre et du papier et ceux qui sont nés dans
l'ère du numérique et de la libre circulation des informations.
Le rapport de force a peut être déjà basculé en
faveur des seconds, et si ce n'était pas le cas, ce ne serait qu'une
question de temps.
2.2.1.
Vieillissement chronique du lectorat
En 2004, Bernard Spitz rendait au ministre français de
la culture un rapport intitulé « Les jeunes et la lecture de
la presse quotidienne d'information politique et
générale ». Ceci, parce que les quotidiens
français, mais c'est une tendance observable dans le reste de l'Europe,
ont de plus en plus de mal à renouveler leur lectorat. Fidéliser
les lecteurs sur toute une vie est une performance appréciable, mais ne
pas renouveler son vivier de lecteurs est une faute impardonnable. C'est comme
si un groupe pétrolier voyant ses réserves d'hydrocarbures
s'épuiser ne regardait pas du côté des nouvelles sources
d'énergie. Il rappelle qu'entre 1994 et 2003, les tranches de lecteurs
âgés de 15 à 24 ans et de 25 à 34 ans ont
diminué de respectivement de 17,5 et de 18 %. Dans le même temps,
la proportion des lecteurs âgés de 50 à 64 ans a
progressé de 23 %. Autre chiffre cité par Bernard Spitz, celui de
la proportion de lecteurs de presse quotidienne en Espagne dont l'âge se
situe entre 15 et 24 ans. Les jeunes espagnols se classent avant dernier de
l'Union Européenne à 15 puisque seulement 32,5 % de cette
classe d'âge lit la presse quotidienne, seuls les jeunes français
font pire. Citant une étude de la société BIPE, il
souligne que l'habitude prise vers l'âge de 20 ans en matière de
lecture de presse quotidienne est « au mieux conservée par
cette génération tout au long de son cycle de vie, mais jamais
augmentée. Par conséquent, le renouvellement démographique
entraînera mécaniquement un forte déclin de la diffusion de
la presse quotidienne à moyen terme ».
Significatifs d'une tendance européenne, ces chiffres
sont préoccupants. En 2007, le Département des études, de
la prospectives et des statistiques (DEPS) rattaché au ministère
français de la culture, s'est penché sur les pratiques
culturelles des français depuis les années 1970. L'étude
révèle que concernant la presse quotidienne, l'âge est la
variable la plus explicative du niveau de lecture, plus que le niveau de
diplôme, le statut familial, l'habitat ou le sexe.
Tableau 9 : Part de lecteurs de PQN par
génération et par âge en France
Génération (en %)
|
15-28
|
23-38
|
33-48
|
43-56
|
53-63
|
63-72
|
11-sept-01
|
10
|
|
|
|
|
|
Internet
|
20
|
23
|
|
|
|
|
Sida
|
28
|
21
|
27
|
|
|
|
Crise
|
31
|
29
|
29
|
29
|
|
|
mai-68
|
36
|
36
|
43
|
43
|
35
|
|
Guerre d'Algérie
|
|
48
|
49
|
50
|
49
|
40
|
Libération de la France
|
|
|
64
|
58
|
56
|
47
|
Les données collectées par le DEPS mettent bien
en évidence un « effet générationnel
négatif très marqué ». En effet, quelle que
soit la classe d'âge considérée, plus on remonte dans les
générations et plus la lecture de la presse quotidienne est
importante. Le record absolu étant détenu par la
génération née au moment de la Libération de la
France, avec un taux de lecture des quotidiens de 64 % entre 33 et 48 ans. De
plus, l'étude mentionne que « la presse quotidienne subit
une perte additionnelle de son lectorat à chaque nouvelle
génération ».
Même tendance en Europe. En Belgique, au Danemark et au
Royaume-Uni, plus d'un lecteur de presse sur deux est âgé de
quarante-cinq ans ou plus. Dans les deux cas, la majorité se trouvant
dans le camp des personnes de plus de 65 ans avec respectivement 20,9 % et
19,5 % du lectorat20(*).
En Allemagne, 64 % des lecteurs sont âgés de quarante ans ou plus
et 45 % sont âgés de 50 ans ou plus21(*). L'Irlande est un pays plus
dynamique démographiquement que le reste de l'Europe et affiche un taux
de lecteurs âgés au minimum de quarante-cinq ans plus faible,
seulement 44 %22(*).
C'est 10 points de moins qu'aux Pays-Bas23(*). L'Espagne possède également un jeune
lectorat puisque 57 % des lecteurs ont moins de 35 ans24(*).
2.2.2. Importance
du lectorat en ligne
Effet de génération oblige, le lectorat en ligne
ne cesse de progresser dans les différents pays d'Europe. Pour s'en
assurer, étudions empiriquement le cas de plusieurs quotidiens nationaux
en Allemagne, en France et en Espagne. Historiquement, l'Europe du Nord et
scandinave a une forte tradition de lecture de la presse, ce qui est moins
vérifié pour l'Europe latine (Portugal, Grèce, Espagne,
Italie), la France se situant à la limite basse des deux situations.
Tableau 10 : Fréquentation de sites de quotidiens
nationaux allemands sur un an, juillet 2006-200725(*)
En millions de visites
|
juil-06
|
juil-07
|
Variation
|
Bild.de
|
39, 9
|
47, 9
|
20%
|
sueddeutsche.de
|
8, 9
|
11, 6
|
30%
|
FAZ.NET
|
8, 9
|
11, 3
|
27%
|
DIE WELT online
|
5, 7
|
7, 6
|
33%
|
Handelsblatt.com
|
5, 0
|
6, 3
|
26%
|
Financial Times Deutschland
|
3, 7
|
4, 9
|
32%
|
Frankfurter Rundschau online
|
1, 3
|
1, 3
|
-2%
|
Dans l'ensemble, ces sites Internet de titres nationaux
connaissent une progression du nombre de visites de plus ou moins 30 %. Ce qui
est considérable. Seul le Frankfurter Rundschau accuse une
baisse de la fréquentation de son site de 2 %.
Tableau 11 : Fréquentation de sites de quotidiens
nationaux français sur la période juin 2006-0726(*)
En millions de visites
|
juin-06
|
juin-07
|
Variation
|
Le Monde
|
22, 3
|
38, 3
|
72%
|
Libération
|
6, 8
|
9, 2
|
36%
|
Les Echos
|
3, 0
|
3, 2
|
6%
|
La Tribune
|
1, 1
|
2, 3
|
105%
|
Cette fois, les chiffres sont beaucoup plus disparates mais
témoignent tous d'une augmentation du nombre de visites des sites. En un
an, le quotidien économique La Tribune parvient à
doubler sa fréquentation Internet contre seulement 6 % pour le leader du
segment, Les Echos, mais dont la fréquentation réelle
demeure supérieure de près d'un million de visites.
Tableau 12 : Nombre de visiteurs uniques de sites de
quotidiens espagnols entre juillet 2006 et juin 200727(*)
En millions de visiteurs uniques
|
Juillet 2006
|
Juin 2007
|
Variation
|
EL MUNDO
|
7, 6
|
9, 2
|
21%
|
MARCA.COM
|
4, 9
|
5, 4
|
11%
|
20MINUTOS.ES
|
2, 0
|
4, 0
|
99%
|
ABC
|
1, 8
|
3, 2
|
81%
|
SPORT
|
1, 5
|
1, 8
|
23%
|
En Espagne aussi, les performances sont inégales d'un
titre à l'autre. Soulignons que le site Internet de la version
ibérique de 20 Minutes parvient à doubler le nombre de
visiteurs uniques présents sur son site en l'espace d'un an. Dans les
trois exemples que nous avons relevés, on note que les meilleures
progressions d'audience sont le fait de titres en position de challenger.
L'audience des leaders augmente également mais moins rapidement.
En Europe, les éditeurs de presse quotidienne ont
perçu cette tendance et ont multiplié les ouvertures de sites
Internet. En 2006, on recense en Belgique vingt sites de presse quotidienne
contre 17 en 200228(*).
Sur la même période au Danemark, les éditeurs gèrent
au total 38 sites (+ 31 %)29(*). Toutefois, il arrive que le nombre de sites de
presse quotidienne diminue entre 2002 et 2006, notamment dans les pays
où ils sont très nombreux. Ainsi, de 35 sites aux Pays-Bas en
2002, il en reste 29 en 200630(*). Idem en Norvège où on passe de 81
à 78 sites sur la période31(*), et en Suède 75 contre 77, quatre ans plus
tôt. En Scandinavie, le groupe norvégien de médias
Schibsted apprécie tout particulièrement le caractère
stratégique du lectorat en ligne.
Figure 2 : Evolution de la composition du lectorat de
Verdens Gang (Norvège), en milliers de lecteurs32(*)
La colonne inférieure représente la part des
lecteurs papiers, la colonne supérieure celle des lecteurs en ligne et
celle intermédiaire correspond à la portion de lecteurs qui
lisent à la fois la version papier et la version en ligne. On remarque
sans difficulté que le lectorat papier du premier quotidien de
Norvège en termes de diffusion diminue chaque année. Pourtant,
son lectorat total progresse de façon plus que proportionnelle.
Figure 3 : Evolution de la composition du lectorat de
Aftonbladet (Suède), en milliers de lecteurs33(*)
Le constat est presque identique pour le quotidien
suédois Aftonbladet, lui aussi édité par le groupe
Schibsted. A la différence près que le premier quotidien de
Suède en termes de diffusion endigue mieux le déclin de son
lectorat papier. Voilà une évolution qui annonce très
sûrement l'avenir de nombreux quotidiens européens à court
terme.
2.3. Des concurrents de poids
La PQN payante doit donc faire face à la culture du
gratuit qui anime Internet depuis la naissance du réseau, mais elle doit
aussi affronter une autre forme de concurrence, gratuite cela va sans dire,
celle des quotidiens gratuits d'information politique et générale
qui se dévoilent sur le Web et celle des agrégateurs de contenus,
tels que Google Actualités ou Yahoo Actualités.
2.3.1. La
conquête du net
Par une coïncidence troublante, la presse quotidienne
gratuite d'information générale et politique apparaît au
milieu des années 1990 en Scandinavie - la première
édition de Metro paraît le 13 février 1995 à
Stockholm - c'est-à-dire au moment même où débute la
démocratisation d'Internet. Avec le recul dont nous disposons
aujourd'hui, nous pouvons dire que c'est comme si la foudre s'était
abattue deux fois d'affilées sur la même personne, les
éditeurs de presse payante. La gratuité prend donc l'allure d'un
Janus avec d'un côté la liberté numérique et de
l'autre la gratuité de cellulose. Remarquons d'ailleurs que les porteurs
suédois du concept de ce qui deviendra Metro, s'étaient
appuyés sur Kinnevick, le groupe de Jan Stenbeck, opérant entre
autres dans le domaine des médias et fondateur de l'opérateur de
télécommunications Tele 2 (HIRTZMAN et MARTIN, 2004, p.10). Cette
dernière entreprise qui opère dans la téléphonie
fixe, mobile et les services en ligne revendique en 2006 une présence
dans 22 pays pour 29 millions de clients34(*). Quand Metro International, filiale de Kinnevik qui
supervise l'ensemble des éditions de Metro dans le monde, et Schibsted,
groupe norvégien à l'origine du gratuit 20 Minutes, ont
décliné ces formules éditoriales à travers la
planète, les réactions des éditeurs traditionnels furent
initialement violentes, dans les mots voire dans les actes. Après de
longues querelles d'experts et de chiffres, et dans certains cas après
des accords capitalistiques et d'impression, il est a peu près admis que
les quotidiens gratuits empiètent peu sur le lectorat des payants en
séduisant un public jeune, urbain, actif et comptant environ 50 % de
femmes. Par contre, les nouveaux entrants provoquent nécessairement un
impact sur le marché publicitaire, ce qui est tout aussi vital pour les
éditeurs de presse payante. Mais ces deux éditeurs ont finit pas
dévoiler leurs ambitions : partir à la conquête du
net. « Les limites sur papier seront bientôt
atteintes, analyse Corinne Mrejen de chez ZenithOptimedia. L'enjeu
c'est de devenir le plus vite possible une marque de presse nationale de
référence afin de prolonger cette domination sur
Internet. » (Le Point, 21/09/2006).
Considérons en France la situation de Metro et
de 20 Minutes. En mars 2007, Médiamétrie / Net Ratings
annonçait que 20minutes.fr et que metrofrance.com pointaient
respectivement à la 13eme et 19eme place des sites d'information en
termes de fréquentation, loin derrière lemonde.fr, lefigaro.fr et
les sites d'agrégateurs. Pour David Targy, consultant, cette situation
est compréhensible. « Sur Internet, les gratuits perdent
leur double avantage : il n'y sont pas meilleur marché que les
autres, et ne sont plus amenés dans la main des gens. »
(Stratégies, 25/05/2007). Mais comme le souligne Nicolas Rauline,
journaliste au sein de la rédaction Internet de Metro,
« la toile est devenue la priorité numéro un de
Metro France. L'essentiel des investissements vont se faire sur le
Web » (Entretien Nicolas RAULINE, 07/2007). En effet, Metro
Sport, projet de quotidien gratuit sportif en collaboration avec
Eurosport, chaîne du groupe TF1 actionnaire de Metro France à
hauteur de 34 %, a été reporté pour favoriser les
investissements sur Internet. Logique, pour des quotidiens gratuits qui se
financent uniquement grâce à la publicité, et dont les
frais d'achat de papier et d'impression représentaient en 2005 en France
42,5 % du chiffre d'affaires annuel35(*). Metro a donc remanié son site en
septembre 2006 et prépare une nouvelle version pour la rentrée
2007, tandis que Pierre-Jean Bozo, président de 20 Minutes
France considère que la nouvelle version (V5) de 20minutes.fr,
lancée le 15 mars 2007 constitue « la neuvième
édition du quotidien » car en France, le titre est
implanté dans huit agglomérations (Stratégies,
22/03/2007).
Et les gratuits savent y mettre le prix. 20minutes.fr
lancé en mars 2006 a pour l'heure englouti dix millions d'euros
d'investissements. En outre, le site a internalisé depuis juin 2007 sa
régie publicitaire pour l'activité Internet, auparavant
confiée à Lagardère Active Publicité
(Correspondance de la Presse, 07/06/2007). La version numérique de
20 Minutes, dont la rédaction dédiée se compose
de 16 journalistes, obère les comptes du groupe en France qui
espère un retour à l'équilibre pour 2009. Metro n'est pas
en reste. Valérie Decam, directrice générale de Metro
France annonce prendre en compte le Web dans toutes les
« réflexions en matière de lancement d'autres
supports papier » signe que le développement du
portefeuille de titres ne peut s'envisager sans viser des synergies avec la
toile. Et d'ajouter, « nous allons aussi élargir
l'utilisation de notre site Internet et le positionner comme un grand portail
communautaire, en travaillant notamment sur les aspirations de nos lecteurs,
telles que la musique ou le sport. Ainsi, nous pourrons recruter des
« Metronautes » qui ne sont pas forcément lecteurs
du journal mais qui pourraient le devenir. Nous croyons à l'effet de
vases communicants entre les deux supports. »
(Stratégies, 22/03/2007). En l'absence de paiement des lecteurs,
Metro opte pour une stratégie de portail c'est-à-dire
qu'il se lance dans la course à l'audience maximale. Un pari difficile
pour les journalistes Web de Metro, « partis de loin et (...)
arrivés plus tard » (Entretien Nicolas RAULINE, 07/2007),
d'autant plus que la version papier n'est distribuée que dans onze
grandes villes françaises. Pour l'heure, Metro France revendique pour sa
version papier 1,5 million de lecteurs par jour (Le Figaro, 14/02/2007) et pour
sa version électronique une hausse de fréquentation de 20 % par
mois depuis avril 2007 et ses 430 000 visiteurs uniques (Stratégies
24/05/2007). Objectif déclaré, franchir le cap du million de
visiteurs uniques d'ici la fin de l'année 2007.
2.3.2. David contre
Google
Dans la course à l'audience en ligne, d'autres acteurs
sont mieux positionnés que Métro ou 20
Minutes : les agrégateurs de contenu. « Ce sont
surtout des portails généralistes, produits par des fournisseurs
d'accès à Internet (Orange, Free, Neuf Cegetel...) ou par les
principaux acteurs de la communication interpersonnelle en ligne (Yahoo,
MSN) » (ATTIAS, 2007). Dans tous les cas, il s'agit de pure
players Internet, à l'aise avec les modèles économiques
2.0, d'autant plus qu'ils en sont souvent à l'origine. Les
agrégateurs de contenus exploitent une forte audience initiale, une
audience quasi-captive qu'ils s'emploient à maintenir le plus longtemps
possible sur leurs propres pages Internet afin de maximiser leurs revenus
publicitaires. Dans le cas des fournisseurs d'accès, ces derniers
profitent de ce que leur portail est souvent la page d'accueil de leurs
clients, et dans le cas des « acteurs de la communication
interpersonnelle en ligne », rappelons qu'ils sont une porte
d'entrée incontournable sur le réseau et que « 40 %
des visites quotidiennes d'un site non indexé dans les favoris d'un
internaute viennent du moteur de recherche Google, contre 15% pour un
« grand site » » (FOGEL et PATINO, 2005,
52). Fournisseurs d'accès Internet comme moteurs de recherche
bénéficient donc sur le net d'une excellente
notoriété si bien que le service d'actualités était
le troisième poste d'audience de Yahoo en 2004 (ATTIAS, 2007).
L'information - fournie gratuitement - n'est évidemment
pas le coeur de métier des agrégateurs mais alimente une
chaîne thématique indispensable pour un grand portail. De fait,
ces pure players Internet ne produisent aucun contenu en propre mais prennent
le parti d'agréger des contenus existants, soit qu'ils proviennent
d'agences de presse (Reuters, Belga, AFP), soit qu'ils proviennent
d'éditeurs de presse payante (De Telegraaf, Jornal de Noticias, The
Irish Times). L'agrégateur peut alors proposer aux producteurs de
contenu une rémunération, en l'échange d'une information
reconnue du grand public comme étant de qualité ; ou bien un
contrat dont les termes se résument ainsi : « contenus
contre visibilité ». L'avantage pour les agrégateurs
d'externaliser la fonction éditoriale et de n'avoir aucun coût de
ressources humaines. Pas de journalistes à rémunérer et
pas de conflits sociaux. Danielle Attias s'est penchée sur le
fonctionnement et le modèle économique des agrégateurs.
Ses calculs indiquent que cette catégorie d'acteur emploie en moyenne
2,9 personnes pour proposer une chaîne d'actualité. L'auteur
explique que Yahoo Actualités « mobilise cinq
Surfeurs, supervisés par un producteur et un responsable des
contenus ». Ces derniers « ont pour fonction
d'identifier et de classer les sites qui leur semblent les plus
intéressants afin de les proposer aux internautes ». Ces
tâches ne sont pas effectuées par des journalistes mais les
surfeurs produisent, adapté aux contraintes du Web, un travail qui se
rapproche du secrétariat de rédaction.
Ce n'est même pas le cas de la chaîne
d'actualité de Google, la fameuse Google News. La firme californienne
propose sur une page Web une sélection automatisée de liens vers
des articles parmi plusieurs centaines de sources (des éditeurs de
presse professionnels mais aussi certains sites et blog à forte
notoriété). Pour ce faire, elle a recours à un robot qui
sélectionne les articles, les analyse grâce à des
algorithmes et les classe sur le site. En outre, le service garde en
mémoire les articles même après que l'éditeur les
eût retiré de la partie gratuite de son site. De son
côté, l'internaute a même la possibilité de
personnaliser la disposition de la page et d'organiser l'affichage de
l'information en fonction de ses centres d'intérêts. Aucun
partenariat n'est noué entre Google et les éditeurs qui pour
certains voient d'un mauvais oeil cette concurrence. Une situation qui devient
de plus en plus préoccupante quand on sait que Google est depuis mars
2007, le site le plus fréquenté du monde, selon une étude
du cabinet comScore (Correspondance de la presse, 03/05/2007). En Belgique,
où il existe une version francophone de service depuis 2006,
l'association Copiepresse qui défend les intérêts
d'éditeurs de presse francophone et germanophone a triomphé par
deux fois du géant devant la justice. Confirmant son jugement du 5
septembre 2006, le Tribunal de première instance de Bruxelles a, le 13
février 2007, condamné Google pour violation de la
législation sur le droit d'auteur. Le tribunal avait estimé la
première fois que la chaîne actualités de Google
« est de nature à faire perdre aux éditeurs une part
importante de leurs revenus tirés des recettes publicitaires qu'ils
perçoivent » et que « la vente
électronique d'articles est menacée, ainsi que les ressources
tirées de l'archivage de ces articles, dont la consultation est
payante » (Recueil Dalloz 2006, n° 33). Même si
Google Actualités n'associe pas de publicité à son
service, il court-circuite le schéma de navigation mis en place par les
éditeurs, donc impacte négativement leurs ressources
publicitaires, et comme le souligne Olivier Bomsel, « la fonction
d'agrégation proposée par Google fait de ce dernier l'outil de
navigation, non pas sur un seul site, mais sur plusieurs. Difficile alors pour
un titre de fidéliser l'internaute » (Entretien Olivier
BOMSEL, 07/2007).
Le bras de fer judiciaire remporté par les
éditeurs belges reflète « les difficultés
à articuler le droit contemporain de la propriété
intellectuelle et la nécessaire organisation de l'information sur le
Web. » (Recueil Dalloz 2006, n° 33). Toutefois, il n'est
pas acquis que le retrait par Google des articles des éditeurs belges
soit bénéfique pour ces derniers. En représailles, le
moteur de recherche avait même totalement
déréférencé les membres de Copiepresse,
procédure légal, afin de minimiser leur trafic. Par
conséquent, « Copiepresse continue à batailler
ferme afin de décrocher un accord financier par lequel ses articles
pourront être publiés sur Google News, en échange d'une
rémunération » (Correspondance de la presse,
04/05/2007). L'incertitude juridique dans les autres pays et le coût
financier induit par des batailles juridiques fleuves pousseront sans doute les
éditeurs à rechercher des accords plutôt qu'un arbitrage
judiciaire. Ainsi l'AFP annonçait-elle le 6 avril 2007 la signature avec
Google d'un accord de partenariat qui « prévoit la
fourniture rémunérée d'informations AFP (textes/photos) en
ligne ». Cet accord « met un terme aux actions en
justice lancées par l'agence de presse contre le moteur de recherche aux
Etats-Unis et en France en 2005 » (Communiqué de presse
AFP, 06/04/2007).
A la fois émanation idéologique, alchimie
opportuniste de la technologie et des modèles économiques et
phénomène socio générationnelle auto entretenu, la
gratuité pose un sérieux problème aux éditeurs de
presse payante qui assistent, impuissants, à la
démonétisation de leur travail. Toutefois, la radio n'a pas
achevé l'écrit, pas plus que la télévision n'a
tué ces deux médias. De ces deux exemples, il a été
déduit qu'un nouveau média n'entraînait pas la disparition
d'autres plus anciens. La gratuité est donc une épreuve
économique dont les éditeurs peuvent triompher.
3. Quels modèles
économiques à l'ère du Web 2.0 ?
3.1. Deux versants, trois possibilités
Nous l'avons rappelé, l'industrie de la presse a
classiquement le choix pour se financer de faire payer le lecteur et / ou de
démarcher des annonceurs. Sur Internet, les sites de journaux se sont
retrouvés en face de trois options : facturer
l'intégralité des contenus, proposer à l'inverse un
accès libre à toutes les ressources du site et enfin composer une
offre mixte.
3.1.1. Le tout
payant
Le Web 2.0 se caractérise comme on l'a vu par son
esprit de fraternité numérique, d'ouverture, de communauté
libre. L'argent n'y a pas cour, du moins pas entre l'internaute et le
prestataire de service. Ce sont plutôt des conseils, de l'entraide, des
connaissances qui font office de devise. Dans ce contexte, difficile de lever
un impôt sur le contenu, par trop impopulaire, alors que les
éditeurs avaient habitué l'internaute à la gratuité
des informations. Un autre élément de taille plaidait en faveur
du refus de cette solution. En effet, l'information, « par
essence tout ce qui peut être numérisé, c'est-à-dire
encodé en flux de bits » (ATTIAS, 2007) appartient
à la catégorie de ce que les économistes appellent les
biens d'expérience. Par bien d'expérience on entend des
« biens qu'on ne connaît véritablement
qu'après les avoir consommés » (BOMSEL, 2007,
184). La gratuité de contenus, même de qualité, surtout de
qualité, permet ainsi à l'éditeur de donner un gage de
transparence aux internautes et de lever l'incertitude quant à la valeur
des informations proposées. La gratuité est en tout cas une
étape vers une éventuelle tarification de l'offre, une
période où l'éditeur fait ses preuves en matière de
crédibilité éditoriale sur un autre support.
Néanmoins, certains éditeurs parviennent
à tirer leur épingle du jeu et à facturer la
majorité de leurs ressources en ligne. Suivant l'exemple heureux du Wall
Street Journal, le groupe britannique Pearson s'est décidé
à appliquer ce modèle à ses sites d'information
économique dont ft.com et lesechos.fr. Cette option est quasi
exclusivement le fait d'éditeurs de presse spécialisée,
car les informations qu'ils produisent bénéficient d'une forte
valeur ajoutée en comparaison de l'information politique et
générale, disponible en abondance sur la toile. Par exemple,
Pearson indique qu'en 2005, le site Internet du Financial Times comptait
84 000 abonnés payants et que la publicité en ligne a
progressé de 27 % par rapport à 200436(*). De plus, le ft.com a
été visité en moyenne par 2,8 millions de visiteurs
uniques par mois, soit une hausse de 33 % par rapport à l'exercice
précédent (Les Echos, 28/02/2007). Quant au site Internet du
premier quotidien économique français, lesechos.fr revendiquent
1,2 million de visiteurs uniques en moyenne par mois au cours de l'année
2006, et annoncent une profitabilité supérieure à 10
% (Challenges, 03/07/2007). Comme pour leur version imprimée, les
quotidiens économiques jouissent d'un avantage comparatif certain par
rapport à la PQN généraliste. L'information est de
qualité en plus d'être facturée à des prix
relativement élevés. Le ft.com propose des formules annuelles
d'abonnement en ligne allant de 120 euros pour le service minimum (articles et
archives) à 549 euros pour la formule premium (nombreux services
financiers supplémentaires), et 365 euros pour lesechos.fr. Mais
même sur Internet, le prix de ce genre d'abonnement n'est pas une
barrière à l'achat puisque le coût est la plupart du temps
supporté par l'entreprise et non pas par les particuliers.
3.1.2. Le tout
gratuit
Les informations politiques et générales
proposées gratuitement sur un site Internet le sont donc à la
fois par calcul économique et par obligation. Ne pas s'aligner revient
pour un éditeur à s'exposer à une fuite de l'audience
Internet et à un affaiblissement de la visibilité globale du
titre. En ligne, la gratuité est naturellement le lot des quotidiens
déjà gratuits en version papier (20 Minutes, Metro),
mais aussi le choix d'éditeurs qui vendent un quotidien imprimé
(the Irish Examiner en Irlande, As en Espagne). Les
contreparties de ce modèle économique sont tout d'abord, une
forte dépendance à la publicité. L'éclatement de la
bulle Internet avait laissé entrevoir les limites de cette
stratégie. Ensuite se pose irrémédiablement la question de
la cannibalisation des lectorats. En proposant gratuitement sur Internet des
contenus qu'il vend sur papier, un éditeur ne scie-t-il pas la branche
sur laquelle il est assis ? En septembre 2004, le tabloïd britannique
The Sun annonçait qu'il réduisait les ressources
accessibles gratuitement sur son site Internet. En effet, une étude
évaluait à 90 000 le nombre de lecteurs qui chaque jour
consultaient la version électronique et n'achetaient plus le quotidien
papier. Cette décision intervint alors que la diffusion du journal avait
baissé de 4,8 % en 2004 par rapport à l'année
précédente.
En outre, Danielle Attias rapporte l'exemple d'une
étude37(*) sur les
quatre principaux titres de PQN en Italie : le Corriere delle Sera, La
Repubblica, La Stampa et Il Giornale. L'objet de l'étude
était de découvrir si la lecture en ligne avait une incidence sur
l'achat des quotidiens papier. En définitive, l'étude conclut que
la lecture d'articles sur Internet réduisait en moyenne de 2,7 % les
parts de marché des journaux. Par conséquent, les éditeurs
se sont tournés vers une plus large tarification des contenus dès
2002. Or, ces mêmes éditeurs proposent aujourd'hui un accès
totalement gratuit à leurs ressources, signe qu'ils n'ont pas
trouvé le salut économique dans la facturation de l'information
généraliste à l'internaute.
Mais d'autres arguments plaident pour une non cannibalisation
des lecteurs entre un quotidien imprimé et son site Internet. On peut
souligner tout d'abord la complémentarité des supports. Pris en
compte dans le traitement de l'information par les éditeurs papier, le
média Internet permet d'apporter une réactivité qui
faisait cruellement défaut à la version imprimée. Les
contraintes liées au bouclage des éditions et à la
distribution des journaux permettaient de moins en moins de faire jeu
égal avec les médias de l'audiovisuels, en particulier depuis le
développement de puissantes chaînes d'information en continue
telles CNN, Al Jazeera ou BBC World. Les éditeurs
préfèrent donc de plus en plus actualiser (presque 24H/24) leur
site Internet afin de réagir à chaud, et réserver les
colonnes du quotidien à de l'information traitée avec plus de
recul, et mise en perspective. Par conséquent, le risque de
cannibalisation est d'autant plus réduit que les deux supports proposent
une information différenciée, même si Internet reprend
gratuitement l'intégralité de l'édition du jour. Car si le
journal suit « un chemin de fer », autrement dit une
hiérarchie de l'information qui s'adapte à la pagination,
l'édition électronique obéit à une autre logique.
L'information la plus immédiate occupe le haut de la page, ce qui
implique une rotation à intervalle de quelques minutes, une colonne est
réservée pour les dépêches, tout comme un espace
pour les opinions et contenus envoyés par les lecteurs. Bref, le
cheminement de lecture ne peut pas correspondre à celui du papier, ce
sont deux expériences de lecture différentes (ATTIAS,
2007). Pour le vérifier empiriquement, Danielle Attias prend l'exemple
du quotidien Le Monde. Une étude diligentée par le
journal en 2001 révèle que 75 % des lecteurs du site Internet ne
lisent pas l'édition papier et réciproquement. De plus, 60 % des
internautes qui surfent sur lemonde.fr sont âgés de moins de 35
ans et près des deux tiers d'entre eux résident hors de France.
On retrouve l'idée qu'Internet offre un support qui par nature attire un
lectorat plus technophile et plus jeune que celui du papier et
libéré des contraintes géographiques. Toutefois, pour
éviter que les lecteurs papier ne migrent vers l'édition
électronique, les éditeurs ont intérêt à
construire leur site selon les canons de l'agencement Web et
différencier les contenus proposés. Il est indispensable de ne
pas simplement transposer les articles imprimés sur un support
accessible en ligne.
3.1.3. L'offre
mixte
Constatant que la formule du tout payant n'était
acceptable que pour des contenus à forte valeur ajoutée, en
pratique les informations économiques et financières, et
craignant que la stratégie de l'entière gratuité ne
suffise pour parvenir à l'équilibre, certains éditeurs se
sont orientés vers une solution tierce. L'idée est de proposer
des ressources gratuites à côté des ressources payantes
dans des proportions variables. L'avantage de cette tarification mixte est de
jouer sur les deux versants de la presse papier traditionnelle,
c'est-à-dire la contribution des lecteurs et l'apport des annonceurs. Ce
faisant, l'entreprise de presse se réserve la possibilité
d'engranger des recettes publicitaires conséquentes, si elle est leader
de son marché, tout en se permettant de facturer certains de ses
contenus à forte valeur ajoutée. Cette option est essentiellement
du ressort de la presse qui se positionne sur une information dite
« de qualité » (I Kathimerini en
Grèce), en opposition à l'information populaire (Super
Express en Pologne) ou d'opinion (Correio da Manha au
Portugal)38(*).
L'internaute est placé devant le choix d'une facturation à
l'acte, c'est dire ponctuellement pour un fichier, au forfait, il
bénéficie d'un tarif dégressif avec le nombre de fichiers
préachetés, ou par abonnement et il accède à toutes
les ressources sans limitation de nombre.
Reste à définir pour l'éditeur le choix
des contenus libres et ceux qu'il souhaite facturer. La pratique
révèle deux types de stratégie. Tout d'abord celle
initiée par le New York Times et reprise en Europe comme le
fait par exemple The Scotsman, quotidien national écossais
basé à Edinburgh. Le raisonnement est de considérer que
l'information la moins différenciée, c'est-à-dire celle
qui se retrouve le plus facilement dans les autres médias, ne peut pas
faire l'objet d'une facturation. Autrement, l'internaute se la procurerait
d'une autre manière. C'est ainsi que selon Alistair Brown, directeur du
Scotsman.com au moment de l'introduction de ce changement en juillet 2005,
« vous ne pouvez pas faire payer ce qui est populaire, mais ce
qui est unique. Les lecteurs veulent de la profondeur d'analyse et un regard
typiquement écossais sur le monde et c'est ce que nos journalistes ont
à leur proposer » (Online Journalism News,
20/07/2005)39(*).
C'est donc l'analyse des journalistes maison, la marque de fabrication du
journal, bref tout ce qui le rend différent du Scottish Daily
Express ou du Daily Star of Scotland que les lecteurs sont
prêts à payer. L'actif du journal le plus précieux n'est
donc plus ses rotatives ou ses locaux comme naguère, mais son image, son
influence et sa crédibilité. 10 % du site Internet passent
ainsi en accès payant, essentiellement les analyses, les
éditoriaux et certaines archives.
Une autre stratégie est celle du Monde. Le
quotidien français propose l'intégralité de ses contenus
du jour gratuitement. Attention, l'internaute serait, comme nous l'avons
expliqué plus haut, bien en peine de lire les articles dans le
même ordre que celui de la version papier. Les articles sont
classés par « urgence » et par thème.
L'internaute a également l'accès aux contenus multimédias
et la possibilité de participer aux forums, chats et blogs. En revanche,
la souscription à l'abonnement lemonde.fr donne le droit à de
nombreux services supplémentaires qui peuvent décider le lecteur
à franchir le pas des contenus payants (six euros par mois ou deux euros
l'archive). Il bénéficie alors du service Desk, fils des grandes
agences de presse proposant des contenus texte, image et son, de l'envoi de
newsletters (les titres du journal), alerte d'actualité chaude à
toute heure du jour et de la nuit, l'accès aux archives, aux dossiers
thématiques, aux infographies, quinze jours d'édition du
Monde en PDF et d'autres services encore, comme les annales et les
résultats des examens nationaux, l'info trafic, l'accès à
la partie abonnés de Elpais.es ... Empiriquement, des auteurs40(*) ont pu vérifier qu'un
éditeur de site Internet de presse augmente ses revenus si les articles
produits pour le journal papier sont disjoints sur le site Internet et
agrégés à d'autres articles abordant le même
thème au sein d'un dossier. Le savoir faire éditorial du
journaliste trouve ainsi de nouveau matière à s'exprimer dans
cette hiérarchisation et mise en perspective de l'information. Le
chercheur, l'étudiant, le professionnel, l'homme curieux peut donc
approfondir la réflexion et dépasser le stade de la consommation
rapide d'une information.
Pas de modèle économique miracle, mais des
formules qui réussissent plus ou moins bien au quotidien en fonction de
leur offre éditoriale et de leur savoir faire Internet. D'ailleurs,
certains titres changent encore radicalement de cap. C'est le cas de The
Irish Times qui a essuyé une chute de 95 % de son lectorat Internet
après le passage sans transition d'une version intégralement
gratuite à une version intégralement payante. Elpais.com
était passé au 100 % payant en novembre 2002 avant de revenir
à une formule mixte en juin 2005. Idem, leparisien.fr qui depuis mars
2005 fait payer la consultation électronique des articles du jour au
même titre que l'édition papier. « On ne peut plus
offrir ce que l'on fait payer par ailleurs. » déclarait
à l'époque Benoit Luciani, directeur général
d'e-Paris, filiale multimédia du Parisien (01 Net,
18/03/2005).
3.2. Construire une stratégie de marque
« Plus une marque laisse de place à
l'expression de ses « consomm'acteurs », plus elle peut
rassembler sous sa légitimité des phénomènes
profonds de consommation et porter, légitimer des
innovations » (LENTSCHENER, 2007, 136). Pour émerger sur
Internet et réaliser des profits, les éditeurs font de plus en
plus valoir leur marque, actif intangible permettant la création de
valeur. Sur le net où des millions de voix aveugles se concurrencent
sans hiérarchie, la marque de l'éditeur rassemble et rassure.
3.2.1. La
marque : mieux l'évaluer et la développer tous azimuts
Mesurer l'aura d'un quotidien national uniquement à
l'aune des chiffres de sa diffusion payée n'a plus de sens. Le
phénomène socio générationnel global que nous avons
évoqué plus haut ne laisse pas entrevoir une inversion de
tendance et un retour en grâce du papier chez les jeunes. La diffusion
des technologies et la mobilité professionnelle sont passées par
là. L'exemple du quotidien norvégien du Verdens Gang
montre qu'il est devenu nécessaire d'adapter les outils de mesure du
lectorat pour appréhender au mieux ce dernier et le valoriser
auprès des annonceurs. En Belgique, le changement est intervenu
relativement tôt. En effet, l'étude annuelle du CIM pour
l'exercice 2004-2005 comptabilisait pour la première fois les lectures
payantes des versions PDF des quotidiens. Ainsi, après les
résultats de l'étude CIM 2005-2006, La Libre Belgique
annonce une moyenne quotidienne de 197 800 lecteurs mais 205 000 au
total en comptant les ventes de versions PDF. Rappelons que pour le CIM, un
lecteur est toute personne ayant «lu, parcouru ou feuilleté»
un journal au cours des 24 dernières heures, donc pas
nécessairement un acheteur du titre sauf pour la version PDF (La Libre
Belgique, 15/09/2006). Ce changement méthodologique dans l'enquête
annuelle du CIM permet à La Libre Belgique de franchir
quotidiennement le cap des 200 000 lecteurs, ce qui est important aux yeux
des annonceurs.
En France, l'étude de la presse d'information
quotidienne (EPIQ) diligentée annuellement par TNS / Sofres a
également incorporé trois nouveaux indicateurs dans sa mouture
2006. Il s'agit d'indicateurs « cross media » dont le but
est une mesure plus fine de l'impact d'un quotidien et de sa marque. Les trois
indicateurs créés concernent, sur la période des huit
derniers jours précédant l'enquête, l'audience non
doublonnée du quotidien et du site Internet, du quotidien et de ses
suppléments hebdomadaires et du quotidien, des suppléments
hebdomadaires et du site Internet. L'étude 2006 révèlent
que certains éditeurs ont pu bénéficié grâce
à la fréquentation de leur site Internet d'un supplément
d'audience de près de 20 %. C'est le cas de L'Equipe, Le Monde,
Libération, Les Echos et la Tribune (Le Monde,
07/03/2007). Ce classement révèle ainsi que L'Equipe est
la marque de PQN française bénéficiant de la plus forte
audience avec en 2006 avec 7 773 000 lecteurs du quotidien, des
suppléments ou du site Internet sur huit jours. Une fois mieux
mesurée, la marque a besoin d'être déclinée sur
d'autres supports pour prolonger son impact.
Pour l'heure, de nombreux journalistes dans les
rédactions européennes sont encore très réticents
à l'encontre de l'usage des nouvelles technologies et d'Internet. Tous
n'ont pas la volonté d'accepter un changement aussi nécessaire
que radical dans leur manière de pratiquer le journalisme. Par
conséquent, les éditeurs font le choix de bâtir des
équipes éditoriales uniquement dédiées au support
Internet ou bien de faire contribuer les journalistes papier sur la base du
volontariat. Cette stratégie est compréhensible mais quelque peu
redondante. On comprend que plusieurs journalistes soient recrutés pour
leurs aptitudes au maniement des technologies multimédias mais il sera
inefficient d'employer des journalistes Internet pour suivre les mêmes
sujets que leurs confrères du papier. Il faut néanmoins
reconnaître qu'en France, le journal Le Monde a filialisé
sa rédaction Internet et réussi à dégager des
bénéfices. A l'équilibre en 2004, Le Monde Interactif (55
personnes en 2006) a réalisé un profit de 200 000 euros en
2005 et de trois millions d'euros en 2006 alors que les pertes du groupe
atteignent la même année les 14,3 millions d'euros (Le Figaro,
05/04/2007).
Ailleurs en Europe, la tendance est à la
rationalisation des effectifs, la mutualisation des coûts et donc
à la fusion des rédactions Internet et papier. Un éditeur
est particulièrement en pointe de cette tendance, il s'agit du groupe
Edipresse en Suisse qui édite notamment les quotidiens Le
Matin, 24 heures, La Tribune de Genève, le
gratuit Le Matin Bleu et détient une participation de 47 % dans
le journal Le Temps. Edipresse considère que « le
métier d'éditeur évolue par étapes vers celui de
fournisseur de contenu et de services distribués à travers
différentes plateformes »41(*). Pour le groupe suisse, les éditeurs
devraient donc se recentrer sur leur métier de base, c'est-à-dire
la production d'information en se débarrassant de tout à priori
sur le support qui l'accueille. Benoît Raphaël, responsable
éditorial au Monde Interactif, raconte sur son blog la visite qu'il a
effectué dans les locaux d'Edipresse. Il décrit comment le groupe
helvète est parvenu en trois ans à mettre en place une
rédaction intégrée pour laquelle « chaque
journaliste écrira, selon l'heure de la journée, pour le Web ou
le print (il sortira donc plusieurs « papiers » à partir d'une
même information). Avant d'écrire son article pour le journal, il
rédigera une brève qui sera publié aussitôt sur
Net »42(*).
Cette organisation fonctionnelle des rédactions a aboli les
frontières entre les vecteurs des nouvelles, et donne à
l'information le statut de « matière
première » que les mêmes journalistes remodèlent
en fonction du support.
En France, Le Parisien s'apprête à
revenir sur son modèle tout payant, au profit d'une organisation
similaire. « Il faut qu'on rattrape le retard, notamment
aggravé avec la version payante qui a tari l'audience. Nous devons
enrichir et protéger notre territoire » a
déclaré Vincent Régnier, directeur des rédactions
du Parisien43(*).
Comme chez l'éditeur suisse, l'homme veut « transformer la
rédaction en rédaction plurimédia. C'est à dire que
tous les journalistes soient potentiellement contributeurs ».
Concernant le modèle économique du site à venir, il
tranche « La bataille du payant en ligne est perdue, les gens ne
veulent pas payer pour l'information. Resteront payants uniquement certains
pronostics hippiques etc. Mais sinon, le gratuit a
gagné ». L'intégration des rédactions et la
polyvalence des journalistes semblent dessiner l'avenir des éditeurs de
PQN en Europe.
3.2.2. Diversifier
les modèles économiques
« Nous avons quatre flux possibles pour
générer des revenus sur Internet, explique Pierre Conte,
président de Publiprint, en charge des nouveaux médias du groupe
Figaro : La publicité, la vente de contenus, le commerce en ligne et
l'accès payant aux sites ». (Le Figaro, 22/02/2007).
C'est la réponse des éditeurs de presse payante à la
gratuité véhiculée par le net, diversifier le
modèle économique et exploiter d'autres pistes de revenus. La
théorie du marché à deux versants se révèle
trop restrictive une fois transposée à l'univers
numérique, surtout si la majorité des éditeurs renoncent
à l'un des deux versants, c'est-à-dire à la contribution
des lecteurs. On objectera avec raison que le métier premier de la
presse n'est pas de gagner de l'argent autrement que par la sueur du poignet
des journalistes. Cependant, la révolution technologique que nous vivons
au quotidien et son impact sur la presse en ligne nous permet de penser que
« la presse n'a pas entamé un nouveau chapitre de son
Histoire, mais bien une autre Histoire, sous le régime d'Internet
» (FOGEL et PATINO, 2005, 16). Loin de prophétiser la
disparition du papier, qui offre encore des avantages valorisant comme la
simplicité d'accès et le confort de lecture, force est d'admettre
que la rencontre de la presse avec Internet, et à plus forte raison le
Web 2.0, ouvre des perspectives différentes du modèle classique
du papier pour le développement de ce nouveau média. Certes, ceci
implique des investissements technologiques conséquents et des
compétences dans les disciplines de gestion (marketing,
stratégie, ressources humaines) qui ne sont pas à la
portée des petits éditeurs. Pour autant, plus aucun titre ne peut
faire l'économie d'une présence en ligne qui dépasse le
stade basique du site vitrine.
En France, Le Figaro illustre parfaitement cette
stratégie de modèle économique diversifié. Mais,
comme le rappelle Bertrand Gié, directeur adjoint des nouveaux
médias du groupe Figaro, « l'actualité, c'est la
base de notre métier, c'est notre image de marque, notre vitrine. Avant
de penser aux bénéfices, l'objectif est de diffuser des contenus
puis donner une visibilité à nos marques ». Il
dénonce ainsi la tentation d'oublier la raison d'être d'un
quotidien, à savoir produire et distribuer de l'information
vérifiée, et dans le cas du Figaro, une information
« de qualité ». Sans cette assise éditoriale,
pas de modèle économique possible. En quelques années,
l'éditeur a réussi à développer sa production
éditoriale tout en construisant des synergies avec une activité
de commerce en ligne. On trouve d'abord une quinzaine de journalistes
chargés de la gestion du figaro.fr, qui accueille les contenus
rédigés par les journalistes papiers et qui les actualise entre
07H00 et 23H00, sept jours sur sept. En interne, Le Figaro s'appuie
également sur la déclinaison Web du pôle féminin
(Madame Figaro) et le site de TV Magazine, le premier
magazine français en termes de diffusion. A partir de ça, Le
Figaro a renforcé sa capacité de production de contenu, par
une stratégie de croissance externe. D'abord le rachat d'AG Presse, une
agence qui alimente en contenu financier Le journal des finances,
propriété du groupe, et les chaînes bourse et patrimoine du
figaro.fr. Ensuite, la prise de contrôle progressive et
entièrement achevée du site sportif sport24.com. Enfin, entre
février et juin 2007, le groupe Figaro a successivement pris 20 % du
capital de Bazarchic.com, un e-marchand spécialisé dans les
articles de mode/luxe, racheté Evene.fr, le premier site culturel
français et racheté TickeTac, site spécialisé dans
la billetterie en ligne. L'objectif est donc d'agréger, de valoriser et
de fidéliser les audiences en apportant toujours plus de services aux
Internautes. Ce que résume Bernard Morel, directeur
général du groupe, « l'idée c'est de se
servir de sa marque pour faire venir des gens et leur offrir de l'info et des
services » (CB News, 16/07/2007). Les activités Internet
contribuent à hauteur de huit à dix pourcent du chiffre
d'affaires du groupe (Entretien Bertrand GIE, 06/2007).
Par conséquent, le modèle économique du
Figaro est moins dépendant de la publicité même si elle
génère encore aujourd'hui les deux tiers des revenus du
pôle Internet. Cependant, les responsables du pôle prévoient
pour 2008 une évolution significative du modèle. 50 % du chiffre
d'affaires demeurera issu de la publicité, 25 % proviendra de la vente
des contenus produits par le groupe comme par exemple « la
conception pour RMC d'une chaîne sport, la création de mini sites
à l'occasion de la coupe du monde de rugby » (Entretien,
Bertrand Gié) et 25 % issus des partenariats (comme Parship, site de
rencontres) et du e-commerce. La vente de contenus peut s'avérer
lucrative pour les éditeurs. Ces derniers ont comme client des
entreprises (revues de presse spécialisées) ou des
agrégateurs et syndicateurs de contenus éditoriaux (Factiva,
L'Argus de la presse, l'Européenne de données...). En 2006,
lemonde.fr réalisait 20 % de son chiffre d'affaires de cette
façon44(*).
Autre activité dans laquelle les éditeurs
européens de PQN trouvent une importante source de revenus, les annonces
classifiées. En France, « un tiers du marché des
petites annonces se trouvera sur le Web à l'horizon 2010. Entre 2000 et
2005, le chiffre d'affaires des sites de petites annonces est passé de
27 à 170 millions d'euros. Dans le même temps, les petites
annonces dans la presse ont reculé de 1,022 milliard d'euros à
940 millions d'euros45(*) » (Correspondance de la
publicité, 30/04/2007). Aussi s'est engagée en Europe une course
à la récupération de cette manne publicitaire en ligne. De
fait, le secteur est en pleine consolidation. En France, le groupe Figaro est
l'actionnaire majoritaire de la société Adenclassfieds, leader
sur son marché, qui regroupe Explorimmo (immobilier) Cadremploi et
Keljob (offres d'emploi). En Belgique, Roularta Media Group et Rossel
(éditeur notamment du Soir) ont annoncé en mai 2007 la
mise en commun de leurs sites de petites annonces, respectivement easy.be et
vlan.be afin de « créer un site Internet national et
bilingue » (Correspondance de la Presse, 24/05/2007). Le groupe
norvégien Schibsted possède lui un portefeuille de 21 sites
d'annonces classées à travers le monde46(*). Blocket en Suède, Soov
dans les Etats Baltes, coches.net en Espagne, leboncoin.fr en France, Barche.it
en Italie, fotocasa.com.mx au Mexique...
Figure 4 : Composition des profits du groupe Schibsted
en 2005 et 2006, en millions de couronnes norvégiennes
En 2006, les annonces classées représentent la
troisième source de profit du groupe norvégien, juste
derrière les journaux en ligne. L'association de ces deux
activités en expansion sécurise l'avenir des profits de cet
éditeur. Certes, Schibsted est encore loin du jour où il
arrêtera ses rotatives, mais il est en passe de réussir la
diversification de l'entreprise. Le président du groupe avance un
chiffre éloquent : « au troisième trimestre
2006, les activités en ligne représentaient 40 % du chiffre
d'affaires et 50 % du profit47(*) ».
3.2.3. Miser sur
les spécificités du Web 2.0
Internet avait déjà permis la création
d'un nouveau média qui, parti du texte, s'était enrichi de
l'image, du son et de la vidéo. Aujourd'hui, les fonctionnalités
du Web 2.0 ont fait entrer ce média dans une nouvelle phase, le dialogue
entre le producteur de l'information et son audience. Cette évolution
est irrévocable et personne n'imagine plus lire un article en ligne sans
avoir la possibilité de répondre au journaliste, laisser un
commentaire, se répandre dans des joutes verbales sans fin sur un forum
associé. Les éditeurs donnent la parole à leurs
internautes. Ils mettent en exergue les réactions de quidams sur la page
d'accueil de leur site, incitent le cyberlecteur a participer aux forums et
surtout lui octroient l'espace d'une heure le fauteuil de journaliste. En
effet, il est devenu fréquent pour un journal d'inviter une
personnalité ou un journaliste de la rédaction pour
répondre, sans filet ou presque, aux questions des internautes
connectés en direct. Le quotidien efface pour de bon sa
subjectivité et livre la source d'information en pâture aux
récepteurs. L'internaute n'accepte plus le magistère des
journalistes et exige d'être placé au même niveau. C'est
pourquoi, un site Internet vivant doit se plier à cette contrainte et
s'ouvrir aux contributions de son audience.
Illustration en France avec une station de radio visionnaire,
Skyrock, sous la houlette de son président, Pierre Bellanger.
« La puissance d'Internet réside dans le réseau
social d'échange électronique qu'il permet : en un mot la
force d'Internet c'est la conversation. Le XXeme siècle a
été l'âge de la diffusion, le XXIeme est l'âge de la
conversation. » (BELLANGER, 2006). Cet homme qui n'a jamais
pratiqué un autre média que la radio, avait anticipé la
physionomie du réseau en devenir. C'est ainsi qu'il lance en 2002 une
plate-forme de blogs à destination de ses auditeurs. Les
« skyblogs » font un tabac auprès des jeunes. Fin
2005, sur l'ensemble des blogs dans le monde, 20 % se situent en France et 10 %
sont des skyblogs. « Au lieu du portail en ligne traditionnel des
années 1990 qui fédérait les contenus, nous devenons un
tableau de bord d'accès aux autres, rassemblant des outils
d'échanges Internet et mobile : rencontre, messagerie
instantanée, forums, blogs, etc. Une logique de productivité
relationnelle se met en place ; il s'agit de faciliter les relations
pertinentes et les échanges, le maillage au sein du réseau
social ». Pierre Bellanger a donc réussi le tour de force
de cimenter une communauté, non seulement en diffusant de la musique et
des émissions qui touchent un large public analogique, mais en
prolongeant cette sociabilité sur Internet. Résultat, Skyrock est
la première marque française sur Internet en termes d'audience
depuis septembre 2006 d'après les mesures effectuées par
Médiamétrie. En juillet 2007, Skyrock totalise
168 414 245 visiteurs uniques contre 68 388 522 seulement
pour son dauphin, le site pagesjaunes.fr. Début 2006, les revenus
interactifs (revenus Web, SMS, sonneries mobiles) représentaient 20 % du
chiffre d'affaires du groupe (Journal du net, 16/01/2006). L'idée a
séduit d'autres médias en ligne. Lemonde.fr reprenait cette
idée de plate-forme de blogs en janvier 2005, imité plus tard par
La Libre Belgique.
Assurément, les contenus générés
par les utilisateurs sont appelés à prendre de plus en plus de
place dans l'offre éditoriale d'un quotidien en ligne. Commentant la
dernière version du site Internet metrofrance.com, Nicolas Rauline
expliquait avoir développé « plus
d'interactivité, c'est-à-dire une plus grande exploitation des
possibilités techniques offertes par le plurimédia ».
Metro proposant aux lecteurs « des vidéos
issues des sites comme Dailymotion ou YouTube » (Entretien
Nicolas RAULINE, 06/2007). Les podcasts, fichiers audio
proposés en téléchargement, les Web radio et les Web TV
constituent également une éventuelle piste de
développement des journaux. Ainsi Le Télégramme de
Brest (quotidien régional) a-t-il lancé en avril 2007 une
Web TV qui propose chaque jour un petit journal télévisé
d'information régionale et locale de six minutes environ. Exit donc les
sites d'éditeurs qui ne proposent en ligne qu'un simple décalque
de leur quotidien papier et une version PDF. En Norvège, les journaux en
ont écoulé en 2006 à peine 1850 exemplaires par jour, ce
qui compte pour à peine 0,07 % du total de la diffusion48(*). Place à l'ouverture,
aux partenariats et aux contenus générés par l'audience.
En 2005, seuls 25 % des contenus consultés par les cyberlecteurs du
monde.fr étaient des articles du quotidiens contre 85 % en 2000. Dans un
environnement en perpétuelle mutation, les éditeurs devront faire
preuve d'audace comme le quotidien néerlandais De Volkskrant
qui en 2006 lançait un logiciel de diffusion de nouvelles via le
système de messagerie instantanée MSN Messenger de Microsoft.
Laissons le mot de la fin à Pieter Kok, le patron de ce quotidien qui
déclarait lors d'une conférence à Amsterdam49(*) : « la
logique multimédia est relativement simple, si les clients changent leur
approche de l'information, alors nous changeons avec eux ».
Conclusion
Le Web 2.0 n'est pas un coup de bluff conceptuel. Cette
expression désigne bel et bien une période de l'évolution
d'Internet à la fois nouvelle et fondamentale pour les éditeurs
européens de PQN. D'une part, il n'existe plus de frontière entre
le producteur d'information et le grand public. D'autre part, les internautes
génèrent eux même des contenus et parviennent à
s'intéresser les uns les autres. Néanmoins, « le
Web 2.0 est à peine né que déjà s'ébauche
Web 3.0, la world-wide database. (...) Le Web 3.0, sur lequel travaillent
actuellement les sociétés Internet, et les universités,
c'est l'injection dans le système d'une couche d'intelligence
artificielle ». (OLIVENNES, 2007, 115). Aussi est-il juste de
souligner que le Web 2.0 n'est qu'une étape, un moment de l'histoire
d'Internet. Intrinsèquement, ce n'est pas une technologie. Par
conséquent, ce n'est pas du Web 2.0 que les éditeurs peuvent
espérer le salut. D'autant plus que les entreprises emblématiques
du « contenus générés par les
utilisateurs », Dailymotion et Youtube avancent des chiffres
spectaculaires excepté lorsqu'il s'agit de divulguer leur
bénéfice, probablement inexistant.
L'enjeu est donc pour les quotidiens européens de
s'adapter aux nouveaux comportements des cyberlecteurs et mettre en oeuvre des
modèles économiques et des organisations innovants et
pérennes. Il n'existe pas une seule solution mais plusieurs
possibilités de se réinventer dans l'univers numérique.
L'essentiel est d'avoir appréhendé les rapports changeant des
individus à la presse et identifié « le
déplacement du lieu principal de formation de la valeur »
(LENTSCHENER, 2007, 148). Annonces classées, e-commerce ou manne
publicitaire, les éditeurs européens ne pourront en tout cas plus
ignorer que l'information échappe de plus en plus à la
sphère monétaire. Charge à eux de sublimer l'environnement
du Web 2.0 pour répondre à la problématique Internet de la
gratuité. Dans ce contexte, le rayonnement de leur marque sera
l'allié le plus précieux pour progresser dans la galaxie
numérique. C'est elle qui permet de capter « le temps de
cerveau disponible » et partant, d'augmenter les audiences et de
proposer des services additionnels rémunérateurs.
Executive summary
Depuis la démocratisation massive d'Internet dans le
monde, les éditeurs européens de presse quotidienne en ligne
sont confrontés à une concurrence polymorphe et intense. Le
réseau a entraîné dans ses filets la culture de la
gratuité et l'évolution actuelle du net, dénomée
Web 2.0, a provoqué une inversion du rapport de force entre l'audience
et le producteur d'information. Sur la toile, la qualité n'est plus un
argument pour déclencher l'acte d'achat du cyberlecteur et les
ressources publicitaires n'atteignent pas le niveau du papier. Dans
l'impossibilité d'appliquer les modèles traditionnels des
journaux imprimés, les éditeurs sont confrontés à
deux types de choix. Soit ils ignorent ostensiblement le nouveau média
en ne développant pas de présence en ligne significative ou en
facturant systématiquement les contenus. Dans ce cas, ils compromettent
à coup sûr le renouvellement de leur lectorat, étant
donné la faible pénétration des quotidiens papiers
auprès des jeunes générations. Soit, ils acceptent de
partir à la recherche de nouvelles sources de financement. En effet, qu
l'on soit favorable ou hostile à ce phénomène de
démonétisation de l'information, il n'en reste pas moins que la
concurrence est rude et que le processus de création de valeur s'est
déplacé. L'information de qualité demeure indispensable
à la pérennité d'un titre mais ne suffit plus. Les
éditeurs soucieux d'organiser la diversification de leur quotidien
devront repenser leur organisation et développer en ligne des
stratégies de marque afin d'agréger les audiences et proposer de
nouveaux services. Le Web 2.0 est un moment de l'histoire d'Internet et en tant
que tel, à vocation à être dépassé. L'enjeu
plus général pour les éditeurs européens de presse
quotidienne en ligne est alors de maîtriser la gratuité,
l'intégrer dans l'élaboration de nouveaux modèles
économiques et de définir le contexte de leur présence sur
Internet.
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pratiques culturelles et
Médiatiques. Département des
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http://www.clubsenat.fr/Rapport-Nouveaux-supports-d-opinion-_a57.html
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l'économie numérique. Paris,
Gallimard.
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numériques, par Bernard BENHAMOU
et Laurent SORBIER.
http://www.ifri.org/files/politique_etrangere/PE_3_2006_Benhamou.pdf
LAUBIER, Charles de et al.
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2004 Le défi des quotidiens gratuits.
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principes, définitions et atouts pour le
Professionnel, par Véronique MESGUICH.
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OLIVENNES Denis 2007 La gratuité, c'est le vol.
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(version française)
SCWARTZ Marc & ACHACHE Gilles
2007 N°55. Internet de deuxième
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http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1569514,00.html
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http://economix.u-paris10.fr/docs/10/ArticleTDM_DanielleAttias_Nov2005.doc
TESSIER Marc & BAFFERT Maxime
2007 La presse au défi du numérique, Rapport au
ministre de la culture et de la communication.
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/tessier/rapport-fev2007.pdf
Annexes
Tableau 13 : Top 15 des sites d'information en novembre
2006 selon Médiamétrie NetRatings
Sites d'information
|
Visiteurs uniques mensuels (en milliers)
|
Pages vues mensuelles
(en milliers)
|
1. Orange Actualités
|
2 416
|
38 746
|
2. Le Monde
|
2 137
|
46 722
|
3. Yahoo Actualités
|
1 985
|
54 988
|
4. Google Actualités
|
1 868
|
24 320
|
5. Le Nouvel Obs
|
1 840
|
18 044
|
6. Le Figaro
|
1 598
|
21 055
|
7. TF1 Actualités
|
1 564
|
16 768
|
8. Libération
|
919
|
14 094
|
9. L'Express
|
888
|
5 269
|
10. Ouest France
|
811
|
29 213
|
11. MSN News and Weather
|
737
|
4 399
|
12. Free Actualités
|
576
|
12 510
|
13. 20 Minutes
|
571
|
6 858
|
14. AOL Actualités
|
531
|
5 837
|
15. L'Humanité
|
504
|
1 203
|
Tableau 14 : classement Médiamétrie
CybereStat de l'Internet français, juillet 2007
Tableau 15 : Les usages du net par les internautes
européens, d'après Eurostat, en 2004
Tableau 16 : Corrélation entre le taux de
pénétration d'Internet et la diffusion des journaux dans le
monde, d'après Association mondiale des journaux, World press trends
2005
Juillet 2007
La crise de la presse vue par Olivier
Bomsel
(P.248) Une autre conséquence (du
déploiement de Google), horizontale celle-là est la crise de la
presse écrite d'opinion. La fonction de moteur de recherche
s'étend en effet à l'agrégation de contenus
rédactionnels d'actualité. Ainsi, la plupart des journaux ayant
développé une présence en ligne dans une logique de
portail se trouvent concurrencés par les revues de presse des moteurs
dont, en outre, le modèle publicitaire est bien plus efficace. Cette
concurrence qui institue la gratuité dans l'accès à
l'information écrite suscite l'apparition de quotidiens gratuits pour
lesquels la subvention total du contenu par la publicité est la seule
réponse possible à la concurrence d'Internet. (P.249)
Les quotidiens d'opinion doivent donc faire face à une double
concurrence, tant sur le lectorat que sur la publicité. Certains tombent
déjà en deçà de la masse critique. Seuls pourront
demeurer sur le modèle payant les quotidiens dont le contenu
rédactionnel est suffisamment dense et différencié pour
que le lecteur consente à soutenir leur richesse éditoriale.
Laquelle pourra être relayée comme on l'observe
déjà, par la vente de contenus joints sur d'autres supports
matériels : suppléments, livres, DVD. Néanmoins, la
disparition de quotidiens payants, associés dans le cas de la France,
à un système de fabrication monopoliste - le Syndicat du livre -
figé depuis soixante ans, ne peut s'apprécier comme une
destruction nette. Elle correspond, de fait, au transfert vers Internet d'une
activité informationnelle régulièrement
concurrencée.
Gratuit !
Du déploiement de l'économie numérique
1. « Une autre conséquence, horizontale
celle-là est la crise de la presse écrite
d'opinion » Est-ce à dire que les revues de presse en
ligne sont à l'origine de la crise de la presse écrite
d'opinion ?
O.B. Dès 1997, Internet a été investi par
les grands titres de presse qui n'ont pu prendre le risque de ne pas y
apparaître. A cette époque, des journaux gratuits en ligne comme
Wired ou l'Industry Standard menaçaient de les concurrencer. Dès
lors le contenu des journaux est devenu accessible aux internautes dans une
version gratuite financée par la publicité. Le foisonnement de
ces contenus en ligne a incité les moteurs de recherche à
proposer des utilités d'agrégation.
2. En quoi les journaux en ligne sont-ils concurrencés
dans leur modèle publicitaire alors que Google News est une
utilité gratuite supplémentaire qui n'affiche pas de
publicité ?
O.B. Les journaux en ligne vivent de leur trafic. La
navigation sur leur site pilotée par leur portail permet d'augmenter les
pages vues et le nombre de clics. La fonction d'agrégation
proposée par Google fait de ce dernier l'outil de navigation, non pas
sur un seul site, mais sur plusieurs. Difficile alors pour un titre de
fidéliser l'internaute.
3. Google News n'est-il pas un deal gagnant gagnant, certes
conclu unilatéralement par Google, dans la mesure où il apporte
un trafic supplémentaire aux sites des journaux qui eux affichent de la
publicité ? Qui plus est, les éditeurs
belges qui ont obtenu leur déréférencement du service
veulent à présent trouver un accord financier avec Google pour
rendre disponible de nouveau leurs articles sur Google News.
O.B. Google adresse aux journaux des lecteurs d'articles
isolés. Les sites de journaux ont, quant à eux, besoin de
fidéliser. Comparez la navigation de Google News avec celle du site de
20minutes.fr. Vous verrez que ce dernier site est conçu pour scotcher le
lecteur. Les journaux peuvent trouver utile d'accueillir des lecteurs venus de
Google, mais il leur faudra ensuite les retenir et les faire revenir
systématiquement.
4. Pouvez-vous revenir sur cette phrase :
« l'apparition de quotidiens gratuits pour lesquels la subvention
totale du contenu par la publicité est la seule réponse possible
à la concurrence d'Internet. » Or, en
France, l'apparition des quotidiens gratuits 20 Minutes et Metro date
respectivement de février et mars 2002. Et, Google News est lancé
dans sa version anglophone en septembre 2002 et francophone en mai 2003. En
outre, Schibsted (l'éditeur de 20 Minutes) et Modern Times group
(actionnaire majoritaire de Metro) sont deux groupes de médias. Ce ne
sont donc pas des pure players Internet qui ont suscité la
création de journaux gratuits. De plus, ni la radio, ni la
télévision, médias quasi gratuits, n'avaient
entraîné la disparition du papier.
O.B. Google News résulte de la présence de
nombreux titres en ligne sur un modèle à deux versants, laquelle
remonte au moins à 1997. Il n'y aurait pas eu d'agrégateur sans
contenu à agréger. Les quotidiens gratuits -- voir les sites de
20minutes et de Metro -- ont l'avantage de ne pas mettre en concurrence la
version papier et la version en ligne puisque ces deux versions sont
tarifées sur le même modèle. Les versions en ligne peuvent
alors être plus utiles que la version papier en offrant l'actualisation
en temps réel du contenu et l'interactivité. Le gratuit papier
résulte de la nécessité de versionner en ligne.
L'abonnement mensuel au Monde coûte 26 euros, soit l'équivalent du
prix du service de Canal+: à ce prix, le journal ne peut donner
gratuitement plus de services à aux Internautes, sous peine de perdre
des abonnés. L'avantage concurrentiel de la presse gratuite est qu'elle
diffuse très rapidement sa marque et peut versionner* profitablement sur
Internet.
5. « la disparition de quotidiens
payants », phénomène qui n'est plus arrivé
en France depuis la disparition d'Info Matin en janvier 1996, est-elle
inéluctable du fait du « transfert vers Internet
d'une activité informationnelle régulièrement
concurrencée » ? Dans ce cas, quid des aides de
l'Etat qui reconnaît le pluralisme comme « un objectif de
valeur constitutionnel depuis 1984 » ? L'érosion des
tirages de la presse quotidienne nationale ne suit-elle pas une tendance
planétaire et antérieure à la diffusion massive
d'Internet ?
O.B. Entendons nous, je ne prédis pas la disparition de
la presse payante, mais celle de titres qui ne justifieront pas leur
utilité par rapport au gratuit. Il est ainsi possible que
Libération qui semblait moribond trouve dans la refondation de la gauche
un viatique éditorial susceptible d'attirer des lecteurs.... Par
ailleurs, les agences de presse et de photo se sont déjà
très fortement concentrées. Le pluralisme sera servi autrement (y
compris par les blogs associés à la presse en ligne). Les aides
d'Etat s'adapteront le moment venu. La presse écrite existe depuis le
17e siècle. Elle a vécu 4 siècles et continuera
tant que le support papier sera nécessaire à la lecture et que le
journal gardera des utilités d'accès au contenu. Ces
utilités son toutefois, depuis 30 ans, concurrencée par la radio
et la télévision. L'apparition de chaînes de news
spécialisées est une concurrence très forte à la
presse écrite. En fait, au fur et à mesure que d'autres versions
de l'info (news) apparaissent, c'est l'ensemble de son versionnage qui
doit être repensé.
6. Si on reprend l'objet de votre livre qui démontre
que derrière l'apparence de gratuité en économie
numérique se trouve toujours une source de financement, plus ou moins
directe et plus ou moins volontaire, on peut alors se demander qui paie pour la
gratuité des informations sur la majorité des sites d'information
politique et générale ?
O.B. Les annonceurs ont toujours financé la presse. Aux
Etats-Unis, ils ont permis, dès le début du 19e siècle un
développement spectaculaire de ce média. La publicité
représentait alors jusqu'à 80% de la surface des journaux. Les
américains ont vigoureusement soutenu le déploiement de ceux-ci
en subventionnant l'acheminement postal et en passant des commandes publiques.
Les Européens ont toujours été dans ce domaine beaucoup
plus frileux : ils ont délibérément restreint la diffusion
des journaux en taxant le papier et en demandant des cautions aux
éditeurs.
Plus précisément, il faut séparer la
dimension des coûts de celle des prix ou du modèle tarifaire :
· s'agissant des coûts, l'information est
constituée de matière première -- les
dépêches d'agence -- fournies par des grossistes
rémunérés par abonnement, et de mise en forme
rédactionnelle -- le commentaire -- fourni par les éditeurs
salariant des journalistes. La part relative de chaque composant dépend
du type de journal. De plus en plus de journaux en ligne font aussi appel
à des amateurs ou des lecteurs.
· le modèle tarifaire des journaux s'appuie sur de
la vente groupée -- les abonnements -- de la vente au détail et
du marché à deux versants. Dans la PQN payante, le contenu en
ligne est un versionnage* additionnel qui complète la version papier.
Ses coûts sont combinés à ceux du journal. Son financement
combine les trois tarifs. Dans la presse gratuite et les agrégateurs en
ligne, c'est uniquement du marché à deux versants.
*Dans son ouvrage, Olivier Bomsel donne la définition
du versionnage dans le glossaire p.301. Versionner consiste à mettre
successivement en marché des variantes de qualité et de prix
décroissants afin de toucher d'abord les consommateurs les mieux
disposés à payer pour le bien ou le service. Le
prêt-à-porter est un versionnage de la haute couture. Dans le cas
de biens d'expérience, la circulation de versions
dégradées et gratuites (bandes annonces, radiodiffusion de titres
musicaux) permet de susciter le désir d'achat.
Juin 2007
Entretien avec Bertrand Gié, groupe Le
Figaro
1. Quel est l'intitulé de votre poste?
B.G. Je suis directeur adjoint des nouveaux médias du
groupe Figaro
2. Lefigaro.fr est-il une entité indépendante au
sein du groupe ?
B.G. Non, c'est un département du groupe Figaro qui
dispose de ses propres effectifs, budgets et stratégies mais ce n'est
pas une filiale.
3. Existe-t-il une rédaction
dédiée ? Combien de personnes rédaction et fonctions
supports ?
B.G. Le Figaro.fr occupe environ 70 personnes au total. Nous
avons voulu construire un portail Internet qui s'organise autour de 5
chaînes / pôles :
· la chaîne actualité, chaîne
dominante, c'est la « home page » sur laquelle travaillent
une quinzaine de journalistes dédiés. On retrouve la base des
contenus produits pour le journal papier qui emploie 300 journalistes, mais
également une actualisation des nouvelles, de 07H00 à 23H00 et
7jours sur 7.
· la chaîne sport, avec Sport24 et
lefigaro.fr/sport qui comprend 8 à 10 journalistes.
· La chaîne bourse et patrimoine. Alimentée
par AG Presse qui fournit également le journal des finances.
· Un pôle féminin, qui fédère
l'ensemble des contenus féminins produits par le groupe.
C'est-à-dire Madame Figaro et le cahier quotidien Et vous.
· Le pôle culture et loisirs, avec TV Magazine,
Evene et TickeTac.
Mis à part le portail, nous sommes également
l'actionnaire majoritaire de Adenclassifieds, (53,6%), spécialiste des
annonces classées sur Internet issu du rapprochement des sites Keljob,
Cadremploi et Explorimmo.
4. Quel est le modèle économique des
sites ?
B.G. Aujourd'hui, notre chiffre d'affaires est
généré aux 2/3 par la publicité. Mais nous
prévoyons une autre répartition à l'horizon 2008.
50 % du chiffre d'affaires issu de la pub
25 % en provenance de la vente des contenus produits par le
groupe. C'est par exemple la conception pour RMC d'une chaîne sport, la
création de mini sites à l'occasion de la coupe du monde de
rugby, des négociations en cours avec d'autres portails pour la
fourniture de contenus « féminins », vente
d'articles à des agrégateurs (base de données)... On peut
se contenter de cendre les contenus, mais on peut aussi assurer la conception
des sites.
25 % issus des partenariats comme le service de rencontres,
fruits de la collaboration du Figaro et de l'allemand Parship, et du e-commerce
comme la commercialisation des « plus produits » (CD, DVD,
livres) ou des billets de spectacles.
A l'heure actuelle, le pôle Internet du Figaro en
incluant Adenclassfieds contribue à hauteur de 8 à 10 % du
chiffre d'affaires du groupe. Notre objectif est d'atteindre les 20 % en 2010.
Aujourd'hui, nos contenus sont publiés en accès libre mais nous
réfléchissons à en rendre une partie payante comme pour le
Journal des finances.
5. Quels sont les indicateurs financiers que vous pouvez
communiquez ?
B.G. En 2007, le pôle Internet du Figaro sera
globalement à l'équilibre, ça peut être
légèrement négatif ou légèrement positif.
6. Considérez-vous le site Internet du Figaro comme un
tremplin vers vos sites commerciaux (Bazarchic, Evene et TickeTac) ?
B.G. Non. L'actualité, c'est la base de notre
métier, c'est notre image de marque, notre vitrine. Avant de penser aux
bénéfices, l'objectif est de diffuser des contenus puis donner
une visibilité à nos marques. N'oublions pas que les gens vont de
plus en plus chercher de l'information sur Internet. On doit faire venir les
gens à la marque.
7. Que signifie la prise en compte par la dernière
étude Epic de l'audience Internet des quotidiens ?
B.G. C'est un pas dans la bonne direction vers la
mutualisation des audiences. D'autant plus que Le Figaro souffre d'un
problème d'image dans les enquêtes déclaratives. Beaucoup
de gens n'avouent pas lire Le Figaro, jugeant que le titre est trop
marqué à droite. Or, les chiffres de vente et la
fréquentation du figaro.fr montre une toute autre réalité
statistique.
8. Quels sont vos projets de croissance en ligne ?
B.G. Depuis 18 mois, le groupe Figaro redéroule le
pôle numérique après la douche froide que fut
l'éclatement de la bulle Internet. Nous préparons un city guide
qui se rapprocherait de ce qu'est le Fiagorscope.
juin 2007
Entretien avec Nicolas Rauline, journaliste Internet
pour Metro
1. Le site Internet a-t-il été lancé en
même temps que la version papier ? Sinon, depuis quand est-il en
place ?
N.R. Il y a eu un site Internet dès le lancement de la
version papier en 2002, mais cela se résumait à un site vitrine.
Seul la version PDF était disponible. Au fil du temps, le site s'est
étoffé mais il n'y avait pas de rédaction web
dédiée et les mises en ligne s'effectuaient en fonction du temps
disponible.
2. Combien de personnes, journalistes et fonctions supports,
sont dédiées à la version en ligne de Metro ?
N.R. Le site est alimenté par une équipe de 5
journalistes, renforcée en permanence par un stagiaire. Concernant les
fonctions supports, il comprend un responsable des partenariats et
bénéficie de l'appui d'un chargé des relations publiques
qui travaille aussi pour le papier. Quant à la régie
publicitaire, elle est assurée par TF1 actionnaire de notre journal
à hauteur de 34,3 %.
3. La version en ligne est-elle un simple décalque de
la version papier ?
N.R. Non. On ne se contente plus de rendre disponibles les
articles du papier sur Internet. On ajoute des compléments d'information
à certains articles quand l'actualité l'exige, on rédige
des articles uniquement destinés à être publiés sur
la version web et on élargit notre champ de couverture de certains
sujets minoritaires dans la version papier. On donne plus de place à
l'actualité Internet et High-Tech.
4. Quel est le modèle économique du site
Internet ? Pratiquez-vous le e-commerce ou développez-vous des
partenariats commerciaux ?
N.R. Le modèle économique de notre site Internet
repose à 95 % sur la publicité. Cependant, nous
développons les partenariats. Par exemple, un service de rencontre avec
Meetic ou encore des petites annonces gratuites avec Vivastreet. Dans le
premier cas, nous touchons un pourcentage sur chaque abonnement au service
contracté via notre site, dans le second nous sommes
rémunérés en fonction des clics des lecteurs.
5. Le site dégage-t-il des
bénéfices ?
N.R. Pour l'instant, le site n'a pas encore atteint
l'équilibre, ce qui est normal vu les investissements pour recruter une
rédaction dédiée.
6. Qu'a apporté le remaniement du site en septembre
2006 ?
N.R. Plus d'interactivité, c'est-à-dire une plus
grande exploitation des possibilités techniques offertes par le
plurimédia. Nous proposons aux lecteurs des vidéos issues des
sites comme Dailymotion ou YouTube. De plus, nous mettons en exergue chaque
jour une vidéo par rubrique : extrême, insolite, people,
politique pendant la campagne.
7. Le développement du titre sur Internet est-il une
priorité stratégique ?
N.R. C'est la priorité numéro un de Metro
France. L'essentiel des investissements vont se faire sur le web.
8. Comment envisagez-vous l'avenir du site ?
N.R. Nous devrions lancer une nouvelle version du site pour la
fin de l'année 2007. L'idée est de mettre encore plus l'accent
sur le user generated content.
9. Ce qui fait votre originalité à
l'écrit, entre autres un traitement de l'information politiquement
neutre ou la concision des articles, n'est-il pas un handicap sur
Internet ?
N.R. Sur le net, on essaie de se démarquer du papier en
élargissant notre ligne éditoriale - même si on reste
politiquement neutre - et en adoptant un style plus percutant. Nous proposons
plus de sports, plus de people, plus de High-Tech mais moins de politique, de
sujets institutionnels et d'actualité monde. Le journalisme en ligne
relève d'une autre culture, qui surprend parfois les journalistes
papier. Les sondages sont très accrocheurs. Par exemple,
« pour vous l'environnement c'est très important ou
vous n'en n'avez rien à faire ? »
10. Comment attire-vous l'audience sur votre site ?
N.R. Essentiellement en faisant de l'autopromotion dans nos
éditions papier. Nous profitions d'une diffusion nationale d'environ
800 000 exemplaires pour insérer des renvois vers notre site dans
les colonnes de Metro. Plus marginalement, nous achetons des liens
sponsorisés à Google. Par ailleurs, nous fidélisons
l'audience au moyen du Club Metro qui existait avant que ne se développe
sérieusement le site. L'internaute s'inscrit gratuitement au Club et
reçoit quotidiennement une newsletter dans laquelle sont présents
les annonceurs de Metro. En revanche, l'internaute bénéficie
d'avantages divers comme des réductions sur certains achats ou encore
des invitations pour des évènements culturels. L'audience du Club
Metro, agrégée avec celle du site Metrofrance.com, compte pour
environ un quart de l'audience totale.
11. Comment évolue votre fréquentation ?
N.R. Nous sommes partis de loin et nous sommes arrivés
plus tard que les sites de certains quotidiens payants. Cependant, nous
connaissons une forte croissance des visiteurs uniques depuis le lancement de
la dernière version du site, en septembre 2006. A cette date, nous
enregistrions environ 100 000 visiteurs uniques contre pas loin de
600 000 à l'heure actuelle.
Juillet 2007
Entretien avec Serge Guérin, auteur en 1996 de
La cyberpresse.
1. A l'époque où le premier vous parliez de
cyberpresse, les quotidiens avaient-ils pris conscience des
potentialités mais aussi des menaces véhiculées par
Internet ?
S.G. A l'époque, les quotidiens percevaient
l'arrivée d'Internet uniquement comme une menace pour l'écrit.
Les éditeurs se montraient plutôt frileux et n'avait pas mis en
place de stratégie audacieuse.
2. Etait-ce de la presse écrite transposée en
l'état sur Internet ou bien s'agissait-il d'un nouveau
média ?
S.G. Dans la plupart des cas, il s'agissait d'une
réplique du papier sur l'écran même si on assistait aux
Etats-Unis à des tentatives plus développées. Aujourd'hui,
la grande majorité des titres de presse ont cessé de
considérer Internet comme quelque chose d'annexe et en ont fait un axe
stratégique de développement. Soit c'est une façon d'aller
séduire de nouveaux abonnés, soit Internet offre le moyen de
développer les activités d'un éditeur. Si Murdoch
rachète aussi cher le groupe Dow Jones, ce n'est pas pour l'existant
mais pour les opportunités de décliner des activités sur
Internet, sur les téléphones mobiles et les assistants
personnels. Pour la presse qui cible les publics à fort pouvoir d'achat,
l'électronique est un moyen de diversification et de création de
valeur. Internet permet donc deux choses : multiplier les supports pour
toucher un public toujours plus fragmenté et l'interaction avec le
public, donc la création du lien social, fonction historique des
médias. On assiste à une augmentation de la valeur sociale de la
presse du fait d'une amélioration de l'interactivité rendue
possible par Internet.
3. Qu'a changé pour les sites de PQN l'entrée
dans une nouvelle phase de l'Internet, participative et communautaire,
appelée communément le Web 2.0 ?
S.G. Fondamentalement, le Web 2.0 n'est que la
continuité de ce qui existait déjà. C'est
l'évolution du comportement des internautes et l'augmentation du niveau
moyen de culture électronique du public. Se profile alors la question de
qui fait l'information ? Le Web 2.0 laisse entendre que chacun est capable
de devenir journaliste. Chacun est dans le vrai en parlant de sa propre
expérience. Certains médias jouent avec le feu en donnant par
trop la parole au public et en étouffant la valeur journalistique qui
vient des fonctions de tri, hiérarchisation et surtout
vérification de l'information. Pourtant, on s'aperçoit bien que
toute parole n'a pas la même légitimité.
4. Les agrégateurs d'informations comme Yahoo
actualités ou Google actualités représentent-ils une
source de trafic supplémentaire ou bien exploitent-ils une faille
juridique qui obère les recettes publicitaires des éditeurs
professionnels ?
S.G. Cela pose un problème d'économie de la
production de contenus. Nous sommes ici confrontés à un
problème de rémunération et de valorisation du travail
d'origine. Idéalement, ces agrégateurs devraient rétribuer
les fournisseurs de contenus. De plus, les agrégateurs risquent de
lisser et relativiser l'information en ne la hiérarchisant pas.
5. Les lecteurs qui paient - encore - leur presse quotidienne
subventionnent-ils les éditions électroniques, le plus souvent
gratuites (ou en partie gratuites), des journaux ?
S.G. Il y a quelque chose de cet ordre en effet. Toutefois, le
développement sur Internet est à ce jour peu rentable car la
valorisation publicitaire est trop faible, même si les choses commencent
à évoluer. Rappelons quand même que le lecteur qui
achète la version imprimée d'un quotidien bénéficie
des avantages liés au papier : principalement confort de lecture et
mobilité.
6. Peut-on envisager de lancer et maintenir un site Internet
d'information politique et générale sans s'appuyer sur une
version papier, comme par exemple
Rue89 dont le slogan est
Votre révolution de l'info et qui avait
révélé le blocage par le JDD du non vote de Cécilia
Sarkozy au second tour ?
S.G. Tout à fait. Cependant ces sites n'apportent pas
une valeur ajoutée particulière par rapport aux éditeurs
traditionnels. Ni en termes de diversité des contenus, d'angles
d'attaque des sujets ou même d'affranchissement des pouvoirs. Dans le cas
de la presse généraliste, la force de la marque reste
prépondérante car le savoir-faire journalistique est
difficilement imitable.
7. La presse quotidienne nationale papier,
pénalisée par ses coûts fixes industriels, a-t-elle encore
un avenir ?
S.G. Oui, à condition d'alléger sa structure et
ses coûts car le papier reste un mode d'influence. De toute façon,
l'enjeu dépasse le support et réside au niveau des
compétences des journalistes. La bonne stratégie, c'est celle du
groupe Edipresse qui a fusionné ses rédactions
indépendamment du support. Au départ il y a une information qui
est la même pour tous les médias et qui nécessite des
journalistes pour l'appréhender. Ensuite, libre aux éditeurs de
faire intervenir différents métiers pour la mettre en
scène en fonction du support.
Table des matières
Remerciements
2
Avant-propos
3
Introduction
4
1. Du modem 56 Kbits au Web 2.0
6
1.1. Une présence historique sur le
net
6
1.1.1. La genèse des sites de
presse
6
1.1.2. Un modèle économique
impératif ?
7
1.1.3. La fin des illusions :
l'éclatement de la bulle
8
1.2. Le Web 2.0 ou la revanche du net
10
1.2.1. L'explosion du haut débit
10
1.2.2. La philosophie 2.0
13
1.3. Une crise du papier dans toute
l'Europe
15
1.3.1. Une industrie papier
déclinante
15
1.3.2. Epoque oblige
18
2. « La tare
originelle »
21
2.1. D'où vient la
gratuité ?
21
2.1.1. Une idéologie consubstantielle
au développement du réseau
21
2.1.2. Justifications théoriques et
empiriques
22
2.2. Un phénomène
générationnel
24
2.2.1. Vieillissement chronique du
lectorat
24
2.2.2. Importance du lectorat en ligne
26
2.3. Des concurrents de poids
29
2.3.1. La conquête du net
29
2.3.2. David contre Google
31
3. Quels modèles économiques
à l'ère du Web 2.0 ?
34
3.1. Deux versants, trois
possibilités
34
3.1.1. Le tout payant
34
3.1.2. Le tout gratuit
35
3.1.3. L'offre mixte
37
3.2. Construire une stratégie de
marque
39
3.2.1. La marque : mieux
l'évaluer et la développer tous azimuts
39
3.2.2. Diversifier les modèles
économiques
42
3.2.3. Miser sur les
spécificités du Web 2.0
45
Conclusion
47
Executive summary
48
Bibliographie
49
Annexes
51
* 1 World Association of
Newspapers, 2000
* 2 Informations disponibles
dans le rapport annuel 2006 du groupe Dow Jones.
* 3 D'après WAN et
Jupiter, via GMID
* 4 Le haut débit au
service de la croissance, OCDE, 08/01/2004
* 5 Source GMID
* 6
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil
* 7
http://www.viadeo.com/fr/connexion/
* 8
http://www.studiqg.fr/
* 9
http://www.myspace.com/ et
http://www.facebook.com/
* 10
http://www.wikio.fr/
* 11
http://www.flickr.com/
* 12
http://www.dailymotion.com/fr/
et
http://www.youtube.com
* 13 D'après GMID
* 14 D'après Association
mondiale des journaux, World Press Trends 2007
* 15 Euromonitor et
Infos-Médias n° 13, Direction du développement des
médias, 07/2007
* 16 Association mondiale des
journaux, World press trends 2007
* 17 Etude sur les
communications électroniques auprès des ménages,
Eurobaromètre Spécial, avril 2007
* 18 Insee, comptes
nationaux
* 19 Régis
Soubrouillard, « Gratuits : le prix à payer »,
in Le Débat, Gallimard n°139, mars-avril 2006.
* 20 Pour la Belgique
d'après le C.I.M, Centre d'information sur les médias,
étude de lectorat 2005-2006 ; pour le Danemark source TNS
Gallup ; pour le Royaume-Uni selon TGI et BMRB. Données
relayées par le WAN
* 21 D'après BDZV et
MA
* 22 D'après Joint
National Readership Survey
* 23 D'après NOM Print
Monitor 2005-2006
* 24 D'après EGM
Prensa
* 25 D'après
Informationsgemeinschaft zur Fetellung der Verbreitung von Werbetragern
* 26 D'après OJD
* 27 OJD Interactiva
* 28 D'après Association
Belge des Editeurs de Journaux
* 29 D'après Danish
Nespaper Publishers Association
* 30 D'après Cebuco
* 31 Estimation
* 32 D'après groupe
Schibsted, rapport annuel 2006
* 33 D'après groupe
Schibsted, rapport annuel 2006
* 34 D'après rapport
annuel 2006 groupe Tele2
* 35 Tableaux statistiques de
la presse, édition 2007
* 36 Pearson, rapport annuel
2005
* 37 L. Filistrucchi : The
impact of internet in the market for daily newspapers in Italy, Working
Newspaper n°12, European University Institute, 2004.
* 38 Pour une description des
quotidiens, voir Planète Presse sur le site de Courrier International
http://www.courrierinternational.com/planetepresse/planeteP_accueil.asp
* 39
http://www.journalism.co.uk/news/story1455.shtml
* 40 Cités par Danielle
Attias, W. Maass, M.-F. SchÄafer et F. Stahl : Strategies for selling paid
content on newspaper and magazine web sites, The International Journal on
Media Management, 2004
* 41 Edipresse, rapport annuel
2006
* 42 Benoît Raphaël,
http://benoit-raphael.blogspot.com/2006/10/edipresse-la-salle-de-rdaction-du.html
* 43 Cité sur le blog de
Joël Ronez,
http://blog.ronez.net/?p=623
* 44
http://www.memoireonline.com/12/06/296/m_quel-avenir-pour-la-presse-quotidienne-nationale-francaise36.html#toc247
* 45 Etude Precepta,
« Presse gratuite : modèles économiques et
stratégies de croissance »
* 46 Schibsted, rapport annuel
2006
* 47 Intervention de Kjell
Aamot, Pdg du groupe Schibsted, lors du 15eme congrès européen de
la presse française, à Strasbourg, le 22/11/2006
* 48 D'après Norwegian
Media Businesses' Association
* 49
http://www.journalism.co.uk/news/story2001.shtml
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