2.1.2.
Justifications théoriques et empiriques
Des raisonnements, cette fois économiques, tentent
d'appréhender la gratuité à l'oeuvre sur le réseau.
Tout d'abord, nous l'avons déjà dit, comme sur Internet le
coût de reproduction d'une information est quasi-nul, alors
« les théories néoclassiques qui préconisent
une tarification au coût marginal se prononceraient donc logiquement pour
la gratuité de l'offre de presse sur Internet vis-à-vis du
consommateur final » (ATTIAS, 2006). Mais ce n'est pas
tout, des économistes contemporains du développement de
l'économie numérique ont également pu analyser le
phénomène. Ainsi en 2001, Daniel Cohen publiait-il une tribune
dans le quotidien Le Monde, intitulée « la
propriété intellectuelle, c'est le vol » (Le Monde,
08/04/2001). S'il reconnaît que l'achat d'un bien entraîne
automatiquement une propriété exclusive d'une personne sur la
chose acquise, il explique que le même raisonnement n'est pas applicable
pour la propriété intellectuelle. « Lorsque une
idée a été trouvée, rien ne fait obstacle à
son usage par tous, sinon la propriété elle-même. Alors que
la propriété tout court rend possible l'appropriation d'un objet,
le droit de propriété intellectuelle la restreint. »
Et d'ajouter « un film comme une chanson ou une formule
chimique, ne demande qu'à circuler librement une fois qu'il a
été fabriqué ». Pour justifier la
gratuité, Daniel Cohen invoque dans ce texte deux arguments.
Premièrement, le fait que le nombre d'utilisateurs d'une idée,
film ou chanson n'empêche pas la consommation ultérieure par
d'autres utilisateurs de la même « chose ». A
contrario, un bien classique est détruit ou s'use du fait de sa
consommation ou de son utilisation. Deuxièmement, la libre circulation
d'un film ou d'une chanson allonge son utilisation ce qui diversifie et
augmente les revenus qui en sont issus. Daniel Cohen parle d'un
« nouvel équilibre économique, plus proche de sa (le
produit) nature originelle ».
De son côté, Olivier Bomsel étudie le
phénomène de gratuité à l'oeuvre dans le
déploiement de l'économie numérique. Ainsi écrit-il
que « le numérique est un Cheval de Troie. Il
pénètre et se diffuse d'abord comme un bienfait. Puis
déploie rapidement ses effets de réseau. »
(BOMSEL, 2007, 11). Il rappelle qu'un effet de réseau se produit lorsque
sur un marché, l'utilité d'un consommateur s'améliore avec
la consommation du bien ou du service par d'autres consommateurs.
Théoriquement, le quotidien payant qui accueille de la publicité
dans ses colonnes est sur un marché à « deux
versants » qui produit des effets de réseau. Plus il compte de
lecteurs, plus il attire des annonceurs et plus il attire des annonceurs, plus
il peut diminuer le prix d'un exemplaire et attirer de nouveaux lecteurs. On
objectera que ce cercle vertueux ne prend pas en compte la tolérance du
lecteur face à la publicité ni la réaction d'un non
lecteur face à la variation du prix de vente d'un titre. Sur Internet,
comme il est difficile de facturer l'information généraliste au
lecteur, « les firmes peuvent mettre en oeuvre des
stratégies dites de « marché à deux versants »
où l'accès au client gratuit ou largement subventionné est
revendu à d'autres clients, payants », en l'occurrence
les annonceurs (BOMSEL, 2007, 89). La presse en ligne s'inspirerait
donc du modèle économique des chaînes de
télévision hertziennes et des stations de radio, à savoir
que pour en bénéficier, il faut s'équiper d'un poste voire
s'acquitter d'une redevance, mais non payer en fonction de sa consommation.
Enfin, notons le constat d'impuissance économique
dressé par Denis Olivennes. Il déplore « le culte
de la gratuité » qui
« démonétise les oeuvres et (...) dévalorise
ceux qui les créent et les produisent » (OLIVENNES, 2007,
p.11). Il se désole de ce qu'une même oeuvre artistique,
même format, même qualité, puisse être disponible sur
des plates-formes de téléchargement légales et payantes,
mais aussi illégalement en libre accès via des réseaux
d'échanges de fichiers de pair à pair, organisés par
exemple par Kazaa ou eMule.
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